Dictionnaire de théologie catholique/VŒUX DE RELIGION, V. Consécration

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 868-873).

V. Consécration par le vœu.

C’est à dessein que nous parlons du vœu au singulier, tout comme saint Thomas se demande s’il est nécessaire que tombent sous le vœu, codant sub voto, la pauvreté, la continence et l’obéissance pour la perfection de la religion. II*-II", q. clxxxvi, a. 6. En effet, avant d’apparaître dans leur distinction de vœu de continence, etc., et même longtemps après, le « vœu de religion » embrassait cumulativement ces trois promesses comme essentielles au dit état religieux. Allons plus loin : le vœu primitif de virginité, le renoncement au monde attachaient pareillement les continents et les anachorètes à tout l’essentiel de nos trois vœux.

Développement historique. — À chacune des trois époques de la vie religieuse, les documents fort divers dont nous disposons permettent d’importantes observations sur le développement des vœux, sur les destinataires des promesses, et sur leur objet. Tout d’abord, les vœux de religion, qui, dans notre conception actuelle de l’état religieux, en sont comme la mise en détail en trois chapitres indispensables, sont apparus bien plutôt comme un moyen unique, cumulatif, pratique, d’assurer la garde d’un état de vie selon les conseils évangéliques. De même, c’est après de longs siècles de vie monastique que les promesses religieuses, le « vœu de religion », reçues jusque-là par les autorités officielles, ont été enregistrées comme des promesses faites à Dieu de suivre les trois conseils, essentiels désormais à toute institution religieuse. Os réserves sont nécessaires pour comprendre comment le vœu a pu apparaître fie si bonne heure en des organisations si rudimentaires.

1. Dans l’ascétisme primitif.

Malgré les conseils de retraite donnés aux ascètes par Clément d’Alexandrie. Quis dives salvetur ?. c. xxxvi, P. (’, .. I. x, col. 6 11 ; par Origène, //) Levitic, hom. xi, n. 1, P. f, ’., t.xii, col. 629 ; par Tcrtullien, Dr virgm. retondis, c. III, P. L., t. ii, col. 891 ; malgré les précautions prises pour le recrutement ou l’admission des continents et des vierges, ce qui suppose que ces personnes con clnaient un pacte mutuel, auve7rfj8rj<rav », S. Épi phane, Heeres., c. i.xvii, n. 2. P. < ;.. t. xi.n, col. 173 : il fallait que leur continence filt protégée par un vœu. C’est déjà le sens quc donne à la virginité des Mlles du diacre Philippe, l’olycrale d’Éphèse, dans Eusèbe,

H Ut. eccleê., l. v. c. jcxiv. De la « foi violée des veuves, I Tim., v, 12. saint Jean Chrysostome, In I Tim.,

hom. XV. dit que c’est un pacte (pli exige la vérité : après s’être vouées ; i Dieu, elles lui ont menti et l’ont

méprisé ; elles ont violé le pacte

Les textes du ir siècle ne sont pas aussi nets. mais. quand les apologistes révèlent aux païens que, clic/

les chrétiens, « les continents, instruits dès l’enfance dans la discipline du Christ, demeurent purs jusqu’à la vieillesse », Justin, / Apolog., xv, « dans l’espoir d’être plus unis à Dieu », Athénagore, Legatio pro christianis, c. 33, on peut bien penser qu’il y a à l’origine une promesse perpétuelle, Justin, / Apol., xxix. D’ailleurs, au siècle suivant, Clément d’Alexandrie enseigne ouvertement que « le propos, r) TcpoŒaiç, de celui qui s’est lui-même mutilé doit demeurer de façon à ne pas déchoir ». Slrom., 1. lit, c. xii. Le texte grec de Clément semble permettre à celui qui « tombe et transgresse sa règle de perfection » la ressource du mariage ; mais cette indulgence ne contredit pas l’idée d’une promesse antérieure. Celle-ci avait, pour Origène, la valeur d’une professio religionis. In Num., hom. ii, n. 11, P. G., t.xii, col. 591. Elle était publique : « Nous vouons à Dieu de le servir en toute chasteté, nous prononçons de nos lèvres et nous jurons de châtier notre chair. » In Levit., hom. iii, n. 4, P. G., t.xii, col. 428. C’est l’analogue du vœu de naziréat, Méthode, Convivium, passim., P. G., t. xviii, col. 38, 82, 102, 134. Cf. Ps.-Clément, Epist. ad virgines, P. G., t. i, col. 380-382.

Bien plus, il était officiellement reconnu par l’Église, ou plutôt par certaines Églises bien organisées, attentives à protéger ceux qui « veulent demeurer êv àyvsta ». Epist. ad Polycarpum, c. v, P. G., t. v, col. 724. Non seulement l’Église s’en glorifie, mais elle reconnaît cette promesse et en sanctionne la violation par la pénitence publique. Cyprien, De habitu virg., c. iv, P. L., t. iv, col. 455-456 ; Epist., lxii (iv, Hartel), c. ii, ibid., col. 366 et 370. L’Église romaine a des bénédictions liturgiques pour les veuves et les vierges et des règlements officiels de vie pour tous les continents. Traditio apostolica d’Hippolyte, cf. Hippolyte, Fragment, in Jeremiam, P. G., t. x, col. 627. On ne comprendrait pas de pareilles promotions, toutes semblables aux ordinations des lecteurs et des diacres, sauf qu’il n’y a ici « ni sacrifice, ni ministère », si l’Église n’avait exigé et reconnu la promesse de virginité ou de viduité. Qu’après cela, on soit dans l’ignorance des rites primitifs de la consécration, de la velatio par exemple, et du genre de vie religieuse imposé par les différentes Églises, cela importe peu à la réalité du vœu de chasteté.

On a fait aussi une difficulté de la solution indulgente de saint Cyprien et de son concile de Carthage au sujet de vierges infidèles : I ntercedendum est cito talibus ut separentur dam adhuc separari possunt innocentes. .. Si virgines incorruplæ inventas fuerint, accepta communicatione, ad ecclesiam admittantur… Si autem perseverare nolunt vel non possunt, melius est ut nubant. Epist., lxii (iv, Hartel), c. n et iv, loc. cit. Cette décision nous semble plus large qu’on ne l’attendrait de cet âge héroïque ; on en a conclu que « la preuve n’existe pas d’un vœu public de virginité pour les ascètes et pour les vierges avant le commencement du ive siècle. De même que l’exercice de la virginité est volontaire, son abandon, en cas de nécessité, est libre. S’il existe des peines pour la violation du « propos » de virginité, le mariage contracté n’en est pas moins légitime et valide, et ceci dit tout ». H. Leclercq, Dict. d’arch. chrét. et de liturg., art. Cénobitisme, t. ii, col. 3082. En réalité, cette solution de Cyprien soulève de multiples questions sur la matière, la forme et le destinataire de la promesse de virginité au me siècle, et sur le pouvoir dispensateur dans l’Église d’Afrique. Il est démontré que l’objet principal du vœu de virginité était alors, aux yeux des chrétiens comme des païens, la sauvegarde de l’intégrité corporelle : op. cit., c. iii, col. 367-370, l’objet principal restant sauf, le vœu demeure et la vierge sera réintégrée dans l’Église, à condition de ne pas retomber, c. iv. Par contre, sur la force, la perpétuité et la valeur religieuse d’une telle promesse, jamais aucun docteur de l’Église ne se montrera plus formel que l’évêque de Cartage : Ex fi.de se Christo dicaverunt, et… ita fortes et stabiles præmium virginitatis exspectent. .. qui se semel caslraverunt propler regnum cœlorum, c. iv et v. Si donc il reconnaît, en cas de nécessité, la validité d’un mariage subséquent, c’est que l’évêque se reconnaît le droit de dispenser du vœu de chasteté perpétuelle ; on pourrait dire que cette discipline propre à l’Église d’Afrique, maintenue même au temps de saint Augustin, De bono viduitatis, n. 13-14, P. L., t. xl, col. 438-439, s’inspirait de la conception particulière de saint Cyprien touchant les droits de l’Église en matière de sacrements, d’ordinations et de dispensations spirituelles. iMais l’indulgence des évoques d’Afrique, de saint Augustin surtout, pourrait aussi tenir au fait qu’en ce pays et en d’autres, à cette époque, le bénéficiaire, pourrait-on dire, du vœu de continence était l’Église ; c’était donc à l’Église de préciser le degré d’ « émulation », comme dit saint Augustin, loc. cit., qu’elle devait apporter à conserver au Christ des vierges chastes.

Au reste, le cas classique de la vierge voilée infidèle à son vœu a été résolu dans le sens de la nullité du mariage aussi bien par saint Cyprien, loc. cit., que par saint Jérôme. Adv. Jovin., t. I, c. xiii, P. L., t. xxiii, col. 229 ; saint Basile, Epist., cic, c. 18, P. G., t. xxxii, col. 720 ; saint J. Chrysostome, De virgin., P. G., t. xlvii, col. 312 ; le concile de Carthage de 401 ; Innocent I er, Epist. ad Victricium, c. 12. Sur le cas de la vierge non voilée, ibid., c. 13, qu’on peut assimiler à un vœu simple de virginité, on en a appelé à Tertullien. Ami du clergé, 1911, p. 13-16. Cf. P. Braida, Dissertatio in S. Nicetam, P. L., t. lii, col. 1087. La vierge non voilée pouvait contracter mariage, nous disent les papes Innocent et Sirice ; mais saint Césaire demanda au pape Symmaque la suppression de cette tolérance. Les sanctions canoniques n’impliquaient-elles pas, au jugement de ces Églises, la violation d’un vœu également canonique ?

Son nom d’ailleurs le disait ; on l’appelait, non seulement propositum, qui met l’accent sur sa liberté, mais professio, qui en marque le caractère public, voire même paclum et conventio, ce qui exprime, mieux même que le mot votum de cette époque, l’idée d’une promesse acceptée. On pensera à ces « fils du pacte », ascètes répandus dans les villages chrétiens de Mossoul, dont parle Aphraate, Demonstratio vi, dans Palrol. orient, t. iv.

2. Dans le cénobitisme égyptien.

Après une floraison si apparente des vœux, on pourrait croire qu’ils auraient donné des fruits abondants dans les monastères d’Egypte munis d’une série d’observances. Il n’en fut rien, et ce fut justement la multitude, la variété et la difficulté de ces pratiques de pénitence qui interdit d’en faire des vœux spéciaux. Il y avait néanmoins un engagement général, très caractéristique de cette seconde période : c’était « la renonciation au monde, à-Ko-oL^ix », qui n’eut d’abord qu’un aspect négatif, celui de ne plus reprendre la vie séculière. Il impliquait sans doute la promesse de garder la continence, et d’y adjoindre progressivement une forte dose de jeûnes et de mortifications. Mais, en prenant l’habit des anachorètes, on vouait avant tout ce votum monasticum sans formule précise.

C’est avec saint Macaire, Régula, c. 23, et saint Pacôme, Vita, c. 3, Acta sanct., mai, t. iii, p. 303, « quand on se fut acheminé doucement vers la pratique en commun de l’ascèse, vers l’institution cénobitique », c’est alors que l’institution même imposa à tous ses obligations et que le « renoncement » devint pratiquement le vœu de garder tels usages de 70

tel monastère. La tentation fut pour quelques moines de vouer tel et tel point de cette règle. Pacôme s’y montrait peu favorable. Schenoudi d’Atripé n’eut qu’un succès limité quand il voulut imposer à ses moines insubordonnés une promesse solennelle et écrite, ce qui était pousser d’un coup à l’extrême l’obligation du vœu. « Convention. Je jure devant Dieu dans son saint lieu : Je ne veux souiller mon corps en aucune manière ; je ne veux pas voler… » Vœu d’obéissance, a-t-on dit ; plutôt vœu de continence et promesse bilatérale, Siaôifjxr), d’observer de concert les commandements de Dieu. Cf. Leipoldt, Schenuia von Atripé, Leipzig, 1903, p. 100, 195-196. La violence du caractère de Schenoudi n’est pas la seule raison de son insuccès : dans son milieu, l’acquiescement volontaire à des directives, non écrites mais vivantes, avait plus de saveur que l’obéissance jurée à Dieu, fût-elle attestée dans les archives.

En somme, la pratique des vœux ne semble pas avoir été commune, non seulement en Egypte, mais dans tout le monde chrétien aux premières décades de l’institution cénobitique. Pallade ne la signale que pour la blâmer. Histoire lausiaque, prol., p. 12, 1. 10-14, édit. Butler, Cambridge, 1898 ; mais il parle pour les anachorètes. Une réprobation toute pareille, et qui surprend davantage parce qu’elle s’adresse à des cénobites, se lit dans Pomerius : t Nous devons faire abstinence et jeûner, mais sans nous soumettre à la nécessité de jeûner, de peur que nous fassions désormais sans dévotion une chose qui doit se faire de plein gré. » De vila contemplativa, t. III, c. xxiv, P. L., t. lix, col. 470.

Ainsi Cassien restait dans la ligne des anciens Pères, et peut-être même avec quelque regret, quand il répétait avec l’abbé Pynuphe : Melius est cnim, secundum Scripturam, non vovere quempiam quam vovere et non reddere. De cœnob. instit., t. IV, c. xxxiii, P. L., t. xlix, col. 194.

3. Dans le cénobitisme grec.

L’admission dans le monastère, après des épreuves préalables assurant la maturité de la délibération et la fermeté du propos, devenait définitive par un engagement qui avait la valeur d’un vœu solennel. « Quiconque viole sa profession doit être regardé comme ayant péché contre Dieu, comme sacrilège, dérobant à Dieu ce qu’il lui a consacré. »

De toutes façons, la profession est un acte définitif et irrévocable. S. Basile, Grandes règles, xiv ; cf. Constitutiones monast., c. xxii, P. G., t. xxxi, col. 949 et 1401 ; S. Jean Chrysostome, Adhorl., ii, ad Theodorum lapsum, P. G., t. xlvii, col. 309. « Au sacrilège [de l’apostasie], les frères ne doivent jamais ouvrir la porte », dit saint Basile, loc. cit. Cette perpétuité du vœu entraîne, sinon encore la stabilité dans le monastère, du moins la fixité dans l’état monastique, écartant ainsi les principaux inconvénients de l’instabilité. S. Nil. Epist., xxxii. « Cette profession religieuse, a-t-on écrit, porte sur la chasteté, la pauvreté, l’obéissance. » En réalité, autant qu’on peut le voir, le vœu monastique ne portait expressément que sur la virginité, à l’ancienne manière, et secondairement sur la vie monastique in génère, qui comportait toujours et partout une doe : i peu près semblable de pauvreté, de prière, de mortifications, d’obéissance. Tout cela était voué, semble t il. sur le même plan, ou plutôt ucundttm régulant, où 1rs jeûnes, par exemple, étalent bien plus en vedette que l’obéissance. On vouait un genre de vie. non pas une règle lise ou les constitutions de tel ou tel chef <le monastère : quand une réforme ou le relâchement survenait, le moine basilien avait la ressource d’assurer la garde de son vœu sous une : >ulie obédience, s. Nil, Epist., i.xxi. Plus précisément encore le vœu basilien se faisait en deux temps : on « convenait » d’une observance avec un monastère, on promettait devant « des témoins » de l’observer, Petites règles, c. 15, P. L., t. xv, col. 498-499, et puis « cette pactorum conjessio était offerte à Dieu comme un don consacré », loc. cit. : c’était là le véritable vœu, comme on l’a dit ci-dessus, art. Vœu, col. 3200 : l’oblation à Dieu d’une promesse aux hommes. Cf. L. Clarke, S. Basil, p. 107-109.

4. Dans le cénobitisme occidental.

C’est encore le mirage de trois vœux distincts qui fait hésiter ici les meilleurs esprits : « Dans les anciennes règles latines, écrit dom Butler, Le monachisme bénédictin, p. 130, aucune trace de ces vœux : pour saint Augustin, les références données par’Pourrat, Spiritualité chrétienne, t. i, p. 264, ne prouvent point surtout que les trois vœux de religion fussent établis. » On cherche sur une fausse piste. Nous n’avons d’ailleurs qu’à jalonner la vraie : ce qu’on trouve, en Occident comme ailleurs, c’est un vœu unique à valences multiples : Homo Dei nomine consecratus et Deo volus, in quantum, etc. S. Augustin, De civil. Dei, t. X, c. vi, P. L., t. xli, col. 283. De ce « renoncement à Satan, à son siècle, à sa pompe et à ses œuvres », saint Jérôme parle comme d’un vœu général de religion. Epist., cxxx, ad Demelriadem, c. 7, englobant avec le sacrum virginilatis propositum, c. 19, des éléments de pauvreté, c. 14, et d’obéissance, c. 19, P. L., t. xxii, col. 1113.

De là, ces expressions significatives de propositum sanctitalis, Sirice, Epist., i, ad Himerium ; Mansi, Concil., t. iii, col. 657 ; propositum monachi, ou professio, S. Léon, Epist., ii, ad Rusticum ; Vila Fulgentii, P. L., t. xlv, col. 117 ; religionis professio, Salvien, Ad Ecclesiam, t. II, c. iii, n. 12 ; concile d’Arles (452) ; de Tours (461) ; Mansi, t. vii, col. 881 et 946. « Dans saint Césaire, dit-on encore, pas de vœux formels, mais une résolution personnelle de persévérer : avec ou sans vœu, l’acte de se donner à la vie monastique fut de tout temps regardé comme obligatoire. » B. Butler, loc. cit. Mais, sauf le mot, c’était cela le « vœu de religion », cf. Régula ad monachos, c. 1 ; Malnory, Saint Césaire d’Arles, p. 249-250, et même le vœu perpétuel et solennel. Quant au vœu bénédictin, il est bien connu par le texte de la règle, c. 58 : encore que saint Benoît ne connaisse pas le mot de vœu, il parle d’une promesse, à l’abbé, comme faisait saint Basile, mais prononcée coram omnibus, « en présence de Dieu et de ses saints ». Loc. cit. Et de cette promesse, qui est un vœu, on fera une petitio, c’est-à-dire « une formule écrite et signée contenant tout à la fois une demande d’admission, une promesse solennelle de fidélité, et l’acte juridique qui témoigne à jamais des engagements contractés … D. Dclatte, op. cit., p. 139. Cette pétition était donc, en rigueur de termes, une convention « au nom des saints (du lieu) et de l’abbé du moment.. ; c’était, en ordre inverse, les deux actes de la profession basilieunc. Actuellement d’ailleurs, c’est la lecture de la charte coram Dca qui constitue la profession bénédictine. Elle porte toujours sur - la stabilité, l’obéissance et la conversio morum ». Loc. cil. « Si saint Benoit ne fait point émettre aux siens les vœux explicites de chasteté ei (le pauvreté, c’est qu’ils se trouvent renfermés dans la promesse de garder les mœurs et le mode de vie du monastère, convenio morum. » l). Delatte, p. 278. si ou lit selon le texte critique, édit. Butler, p. 1 10, conversatw morum, avec le sens de vie eu commun, comme on l’a admis plus haut, il faudrait dire que le moine bénédictin ne voue que l’obéissance avec ses deux modalités cénobitlques. La réduction à l’unité sera beaucoup plus nette encore aux vur et ix’siècles, quand tout un groupe de monastères supprimera soit l’obéis 32 71

VŒUX DE RELIGION. CONSÉCRATION

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sance, soit la conversatio morum devenue inintelligible. Butler, p. 131-132. Il n’y avait d’ailleurs aucun doute que le « vœu monastique », comme disaient les sacramentaires et les conciles du temps, ne comportât la chasteté et une certaine dose de pauvreté et d’obéissance, secundum regulam ; mais justement la règle donnait à l’abbé un tel pouvoir d’interprétation que certains d’entre eux dispensaient, dit le pape Innocent III, trop facilement de toute pauvreté. La règle des chartreux, celles des chanoines réguliers et des carmes ont pris la formule bénédictine ; au xiiie siècle encore, la profession des dominicains ne mentionnait que l’obéissance, tandis que la règle de saint François semblait étouffer les trois vœux de la profession sous de multiples recommandations touchant à la vie intérieure.

Tout irait donc mieux en disant clairement que l’état religieux se fondait sur un unique vœu de vivre selon la règle, ce qui comportait nos vœux actuels. Le travail de systématisation — car c’en est un, et qui exigeait de la réflexion — s’est opéré pendant quatre siècles, et l’on en trouve les acquisitions dans les œuvres didactiques, ascétiques et polémiques du ixe au xiiie siècle, ainsi que dans les sermonnaires de ces temps-là : il serait curieux d’en montrer les progrès. D’une façon très générale, on a commencé par analyser la règle des moines et leur vie avec ses pratiques d’importance diverse ; et les notions de pauvreté, de chasteté et d’obéissance émergèrent tout naturellement du détail des observances. On peut comparer, à ce sujet, les commentaires de plus en plus nets de Bède, de Pierre Damien et de saint Bernard avec celui de saint Jérôme sur Matthieu, xix, 27-29, celui-ci, à juste titre, n’y voyant guère que « la séparation d’avec sa famille », In Matth., t. III, et les auteurs monastiques faisant surgir du texte la pauvreté, Bède, In nat. S. Benedicti ; Pierre Damien, De conlemptu sœculi, c. iii, P. L., t. cxlv, col. 253-254, enfin l’obéissance, S. Bernard, Serm. de verbis Domini : Ecce nos, sermon qui est plutôt de l’abbé Geoiîroy de Vendôme. Cette exégèse ad usum religiosorum a été condensée par saint Thomas, q. clxxxvi, a. 6, ad l um, avec cette remarque judicieuse « qu’il n’y est pas fait mention de vœu ».

Mais voilà qu’au xie et au xiie siècle de nouveaux instituts se fondent, les uns très austères, qui ajoutent à la règle bénédictine de nouveaux engagements, d’autres fort humbles qui ont les usages monastiques sans les vœux correspondants, par exemple les béguines, d’autres qu’on nomme les ordres militaires, qui n’ont pourtant ni le vœu de pauvreté, ni toujours le vœu de chasteté. Il était urgent de préciser les vœux inclus dans le votum monaslicum, pour décider si les nouvelles institutions réalisaient un état vraiment religieux. Cela ne se fit pas sans des polémiques, dont le grand avantage fut du moins de mettre en plein relief nos trois vœux de religion. Plusieurs excellents théologiens ne veulent cependant reconnaître comme vœu que la chasteté ; d’autres seulement l’obéissance : « Nous avons voué l’obéissance, c’est-à-dire que nous avons juré de vivre sous tel régime. » Hugues de Saint-Victor, Expositio in regul. S. Augustini, c. 11, P. L., t. clxxvi, col. 920. C’est pourtant sur cette règle si peu explicite de saint Augustin, et pour l’expliciter, que vient s’insérer, chez les ermites de Saint-Augustin, au xiie siècle, la mention distincte des trois vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Le pape Innocent III, en 1202, fit bénéficier de cette explicitation la règle bénédictine, restée à son imprécision originelle dans sa lettre à l’abbé de Subiaco : « La garde de la chasteté et le renoncement à la propriété sont des annexes essentielles de la règle monastique. » Citée dans la

Décrétale de Grégoire IX, De statu monachorum, cap. Cum ad monasterium., iii, 35. Tout était plus clair désormais, et les ordres mendiants pouvaient venir : ils n’y changeraient rien. Le vœu qui fait le religieux est unique, si l’on veut ; il forme un tout et il se prononce en une fois ; mais il vaut pour trois vœux distincts et essentiels, les autres vœux n’étant qu’accessoires pour constituer un ordre religieux. La trilogie d’Hildebert du Mans († 1133) n’est sans doute qu’approchée : « La sainteté religieuse s’établit sur trois piliers préétablis par le Seigneur Jésus, à savoir la charité fraternelle, la communauté des biens, communis substantia, et l’humble obéissance ; et l’obéissance est le principal des trois. » Sermo cxviii, P. L., t. clxxi, col. 880 ; mais, par ses hésitations mêmes à délaisser la charité et l’humilité, c’est un bon témoin de ce délicat travail d’approche vers notre trilogie classique.

Développement théologique.

On pourra être assez bref, parce que la doctrine à exposer se ramène pour une part à celle de l’utilité du vœu en général, telle qu’on l’a donnée à l’art. Vœu, d’après les Pères et les théologiens. C’est même à cet avantage privé, pour ainsi dire, des vœux de religion que s’attache saint Bonaventure, De perfectione evangelica, t. III, c. ii, corp. et obj. 10-19 : n’est-ce pas présomptueux de faire de tels vœux ? n’est-ce pas fermer la voie du salut aux faibles que de les obliger à faire cette promesse ? … Mais il y a un aspect social des vœux de religion qui est beaucoup plus important : aussi avons-nous dit que les Pères et les auteurs ascétiques avaient insisté sur ce fait capital que le vœu crée un état officiel dans l’Église, que les trois éléments de chasteté, de pauvreté et d’obéissance y sont requis, et qu’enfin l’un de ces éléments : la virginité, ou la pauvreté, ou l’obéissance y établissent tour à tour leur prééminence. C’est aussi les trois considérations complémentaires que développe saint Thomas, q. clxxxvi, a. 6, 7, 8 : le vœu est essentiel à l’état religieux, a. 6 ; les trois vœux ensemble ont un caractère plénier de perfection, a. 7 ; l’un d’eux, le vœu d’obéissance, y prend un caractère dominateur, a. 8, qui explique qu’on s’en soit contenté durant des siècles, parce qu’il impliquait les deux autres.

1. Le vœu est constitutif de l’état religieux.

Ce qu’on a dit à l’article précédent sur l’avantage du vœu, qui est d’affermir la volonté, II 1 - II*, q. i.xxxviii, a. 4, corp., et sur l’avantage que prend la chose vouée, d’être un acte de religion offert avec sa racine volontaire et d’une volonté confirmée dans le bien, a. 6, prend une valeur singulière quand il s’agit d’offrir à Dieu, non plus un acte de passagère générosité, mais sa vie entière. Le vœu apparaît alors seulement comme une démarche quasi indispensable. « À la rigueur, on pourrait concevoir un état de vie religieuse moyennant le seul engagement que l’on prendrait à l’égard de soi-même ; car, par ce bon propos, on assurerait déjà une certaine stabilité au genre de vie que l’on embrasserait. Toutefois cette stabilité manquerait à la fois d’uniformité et de fixité. » O. Lottin, op. cit., p. 25. Il ne faut pas condamner d’emblée comme insuffisant ce bon propos, car il fut à la base — sous le nom même de vœu, tel que l’entendait Origène, De oratione, c. xiv — de plusieurs institutions éphémères, du genre du gnostique chrétien de Clément d’Alexandrie, Stromates, t. VII, c. xii, n. 78, 7, P. G., t. ix, col. 509 ; cf. col. 481 ; voir encore Origène, In Matth. comm., tr. VIII, P. G., t. xiii, col. 890. Sans aller si loin, on la retrouve à la naissance de différents ordres religieux, à l’époque de la Renaissance, et l’un d’eux a subsisté sous cette forme, libre de vœux : c’est l’Oratoire de saint Philippe Néri et dé Bérulle, dont Bossuet a si bien saisi 7 4

l’esprit : « Là une sainte liberté fait un saint engagement ; on obéit sans dépendre, on gouverne sans commander… La charité opère un si grand miracle. » I Oraison funèbre du P. Bourgoing. Cette conception — tout à fait catholique, faut-il le dire — coïncide fort bien avec un courant d’idées que l’on a senti se développer en France, en Angleterre, en Amérique au xixe siècle. Ces directives, faites de confiance réciproque, s’appliquent particulièrement bien à des associations religieuses à tendances intellectuelles ou apostoliques, là où la vie de l’esprit, les libres initiatives de l’apostolat demandent plus d’aisance.

Mais, enfin, ce ne sont pas là, aux yeux de l’Église, des instituts religieux : le Code canonique appelle ainsi « une société approuvée par l’autorité ecclésiastique légitime, dont les membres, selon les lois propres à leur société, émettent des vœux perpétuels ou temporaires mais alors renouvelables à leur échéance », can. 488, § 1. Saint Thomas d’Aquin entendait à son époque des ordres à vœux solennels. Aujourd’hui encore ces vœux solennels sont nécessaires pour constituer ce que l’on appelle « un ordre religieux » et confèrent à leurs membres le titre de « réguliers », can. 488, § 2 et 7 ; mais les vœux simples des « congrégations religieuses » suffisent pour que l’on soit engagé dans l’état religieux. Loc. cit. Les privilèges des ordres à vœux solennels sont-ils purement nominaux ? Il ne le semble pas, puisque les monastères de moniales de France et de Belgique ont été autorisés à demander au Siège apostolique « de pouvoir émettre des vœux solennels ». S. C. des Réguliers, déclar. du 4 juin 1923, cité dans Janvier, Conférences de N.-D., 1923, p. 349. De toutes façons, puisque l’Église a juridiction dans ce domaine de l’état religieux, elle demande que l’émission des vœux soit un acte public dont elle puisse connaître.

a) Dans son essence, « l’état religieux est condition stable de perfection, qui requiert qu’on s’oblige aux choses de la perfection ». C’est une tendance, rien de plus, mais qui doit d’autant plus s’affirmer par une attache solide à des moyens de perfectionnement moral. Or, par ce que nous avons dit aux trois articles précédents, « il est manifeste qu’à la perfection de la vie chrétienne se rapportent la chasteté, la pauvreté et l’obéissance ». L’Église a approuvé constamment ces trois voies de perfection. « Et c’est pour cela que l’état religieux requiert que chaque religieux s’oblige par vœu à ces trois choses. » A. 6, corp. C’est bien certainement l’Église qui a exigé, pour reconnaître officiellement cet état de perfection, que chaque membre de la congrégation se lie par une promesse formelle fiiite à Dieu. Mais combien cette disposition est sagel b) Dans sa durée, en effet, cet état est permanent, il embrasse des actes multiples échelonnés sur des années ; mieux encore, d’après l’enseignement de saint Grégoire et des auteurs monastiques, non seulement on promet à échéance, comme dans un vœu ordinaire, maison livre sur l’heure toute une part de son activité ; sai/it Thomas dit même : toute sa vie, parce qu’il parle des ordres à vœux perpétuels. Et donc « il faut que tout ce qu’il a promis à Dieu, le religieux le réalise sur-le-champ ; or, un homme ne peut livrer actuellement toute sa vie à Dieu, parce qu’elle n’est, pas simultanée, mais successive : il ne peut donc le faire que par l’obligation du vœu « , ad 2um, qui, elle, est actuelle et toujours le demeure. L’homme, fatigué du quotidien, du provisoire, ramasse autant qu’il peut toute sa vie en un acte, et cet acte de donation se continue autant que sa vie elle-même.

c) Dans sa totalité du moment. Dans une vie parfaite mais sans vœu, « il y a encore, parmi les biens qu’il nous est loisible de ne pas livrer, notre propre liberté, qui est pour tout homme le bien le plus cher ; aussi lorsque, spontanément, l’homme se dépouille par le vœu de la liberté qu’il a de se dispenser d’œuvres qui regardent le service de Dieu, ce sacrifice est très agréable à Dieu ». Ad 3um. La religion gagne donc par le vœu de faire un dernier et capital sacrifice. On comprend du reste que la charité n’y perd point en sa spontanéité de chaque instant : sans doute, « parmi nos bons services, avait dit saint Augustin, ceux-là nous sont plus chers, que nous aurions la liberté de ne pas rendre, et que nous donnons cependant par motif d’amour ». De adulter. conjug., t. I, c. xiv. Mais le vœu, qui fait bon marché de notre liberté morale, ne peut s’accomplir qu’en offrant de multiples actes libres, qui peuvent, eux aussi, devenir des actes de charité. C’est cependant, comme dit Bossuet, cette sauvegarde un peu ombrageuse des susceptibilités de l’amour qui inspire les instituts sans vœux. Cf. Mgr d’Hulst, Confér. de N.-D., 1893, p. 248.

Une fois fait cet examen général de la pauvreté, de la chasteté et de l’obéissance en tant que vœu, étudions-les dans leur objet propre en fonction de l’état religieux.

2. Les trois vœux se complètent en un tout.

D’une façon universelle, les théologiens affirment que les vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance sont de l’essence de l’état religieux, et que l’on est religieux au sens formel du mot dès lors que l’on a prononcé ces trois vœux en des conditions qu’ils déterminent. Cela signifie que les multiples instituts, pourvu qu’ils s’astreignent à prononcer ces trois vœux essentiels, sont vraiment des instituts religieux. Ces trois vœux sont requis, mais ils suffisent. Dans certains ordres, on prononçait un quatrième vœu, celui par exemple de racheter les captifs, d’évangéliser les noirs, etc. Mais, en vérité, ces obligations étaient implicitement comprises par les anciens ordres dans les trois autres vœux, seuls essentiels. Voyons donc comment il se fait que, à eux trois, il couvrent toutes les fins de la vie religieuse, tous ses exercices, toutes les vertus de l’âme, toutes les passions de la vie.

a) Le tout des fins religieuses.

La démonstration de saint Thomas, q. clxxxvi, a. 7, est fort connue et assez souvent reprise, mais avec des retouches ou des omissions qui font soupçonner qu’on ne l’a pas saisie dans son ampleur théologique et psychologique. Cf. Lemonnyer, op. cit., p. 520 ; O. Lottin, op. cit., p. 24. C’est, en effet, à l’universalité des buts religieux que nos trois vœux sont nécessaires et suffisants. Ne craignons point d’élargir la question à toutes les finalités de l’état religieux : essentiellement, c’est une donation de toute la vie en sacrifice de religion ; mais, éminemment, c’est aussi un régime de vie qui met à l’abri des inquiétudes du monde, selon la forme défensive qu’il avait prise au i.v siècle et encore au xi" ; finalement, ce n’est rien de moins que l’idéal primitif réglementé par l’Église, à savoir « un exercice déterminé pour tendre à la perfection de la charité ». (l’est surtout ce point de vue primordial que l’on voudrait voir parfois mieux exposé, avec les tempéraments que l’expérience et la réflexion théologique ont dictés à saint Thomas : parce qu’il a jugé plus logique de considérer avant tout l’état de perfection comme une institution de l’Église réglée sur la vertu morale de religion, il ne s’est pas interdit pour cela de replacer, comme l’avaient fait d’emblée les Pères de l’Église, cette institution dans l’ordre surnaturel de la charité et de la contemplation mystique : ici la religion parfaite, la devotio, comme il dit, devient dévotion au sens actuel du mot, c’est-à-dire une direction amoureuse vers Dieu et vers nos frères de toutes nos activités humaines. Cf. O. Lottin, op. cit., p. 19, et L’âme du culte, passim. Considérés à ce point de vue, nos trois vœux de religion appa32 7 : »

VŒUX DE KKLHIIO.V OBLIGATION CRÉÉE

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raissent comme nécessaires d’abord à l’exercice de la charité intérieure, la seule chose qui importe après tout dans une vie humaine. G. Lemaître, op. cit., p. 58-61.

En somme, c’est à un triple point de vue que les trois vœux viennent mettre le sceau à l’état religieux. D’abord, en tant qu’exercice de perfection de l’amour de Dieu, « cet état requiert que l’on se débarrasse de ce qui pourrait empêcher l’affectivité, afjectus, l’amour de l’âme, de tendre totalement à Dieu, en quoi consiste la perfection de la charité ». A. 7. Si on laissait la charité parfaite à sa ferveur, elle se disperserait peut-être sur des objets inférieurs ; mais elle trouve son compte dans les trois vœux de religion, qui la délivrent des affections de second ordre qui l’entravent et risquent de la brider plus ou moins complètement. Ces entraves de trois sortes, ce n’est pas autre chose que la triple concupiscence dont parlait saint Jean, I Joa., ii, 16, entendues au sens « de l’amour des délectations des sens, de la cupidité des biens extérieurs, et du déséquilibre de la volonté humaine ». Loc. cit. Cette ordination intime de la charité vers Dieu n’est sans doute procurée que d’une façon médiate par des obligations aussi externes que les trois vœux de religion : mais c’est déjà un grand point qu’ils détachent l’âme de toutes ces séductions qui risqueraient de la captiver.

Les deux autres points de vue nous sont plus familiers, parce que plus modestes ; et l’utilisation des trois vœux à leur service est facile à prouver : ils dégagent la vie des préoccupations du monde : soucis de la famille, des richesses et de sa propre conduite, point de vue négatif encore ; et enfin, point de vue positif de religion, ils président à la donation totale au service de Dieu et du prochain des biens de notre corps, des biens extérieurs à nous, enfin de ce bien de l’âme, la volonté.

b) Le tout des vertus chrétiennes. — « La perfection de la vie chrétienne, dira-t-on, consiste bien plus dans les vertus intérieures que dans des actes extérieurs… On comprendrait donc mieux que les vœux de religion portent sur de tels actes intérieurs de contemplation, d’amour de Dieu et du prochain, etc., plutôt que sur la pauvreté, etc. » Il n’est pas inouï d’entendre suggérer des vœux d’oraison mentale, d’abandon à la volonté de Dieu, etc. Mais, le vœu est un moyen pour tout cela, dit saint Thomas : « ordonné premièrement comme à sa fin à la perfection de la charité, dont relèvent tous les actes intérieurs des vertus, il facilite ces actes d’humilité, de patience », d’abandon, d’esprit intérieur. Dans ces vertus-là, les vœux de religion « trouvent leurs fins, non leur objet ». Ad l um. À bien y regarder, ne sont-ils pas la source permanente de tous les dévouements, de toutes les saintetés ?

c) Le tout des observances religieuses.

Qu’on les prenne toutes les unes après les autres, elles sont ordonnées aux trois vœux, non plus comme des fins, mais comme des moyens : « pensons aux macérations qui conservent le vœu de continence, ou bien au travail manuel qui se réfère à la pauvreté ; quant aux observances plus actives : l’étude, la visite des malades, ce sont des expressions particulières du vœu d’obéissance ». Ad 2um. Il y a, dans cette systématisation, une part de convention : en fait, les règles religieuses n’ont pas été rédigées en vue d’assurer la garde des vœux de religion, et en droit les obligations des vœux ne s’étendent point à toutes leurs prescriptions ; mais toutes s’y rapportent.

d) Le tout des activités humaines.

Distinguons actions et passions : les premières réglées par l’obéissance, les secondes par les vœux de pauvreté et de chasteté, qui ont donc bien leur rôle particulier dans « l’achèvement de l’état religieux ».

Cette dernière remarque nous fait toucher du doigt ce qu’il y a de systématique dans toutes les théories qui veulent ramener à l’unité d’un seul vœu la trinité des vœux de religion. Saint Thomas, dont la profession dominicaine inspirait les préférences, a voulu montrer que « le vœu d’obéissance est le principal des trois vœux », q. clxxxvi, a. 8, parce qu’il offre à Dieu ce qu’il y a de meilleur en nous, et qu’il englobe les deux autres d’une certaine façon ; au vrai, parce qu’il donne sa dernière note caractéristique à l’institution religieuse. D’autres théologiens, à l’imitation des anciens Pères, ont fait la même synthèse en faveur de la chasteté parfaite : Beati mundo corde… On l’a fait aussi très heureusement en fonction de la pauvreté. Cf. O. Lottin, op. cit., p. 28-29. Cf. S. François de Sales, Entreliens spirituels, c. viii : De la désappropriation et dépouillement de toutes choses.