Dictionnaire de théologie catholique/USUARD

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 392-393).

USUARD, moine de Saint-Germain-des-Prés, milieu du ixe siècle. — On n’a pas de renseignements sur ses origines. En 838 il était déjà profès et prêtre à Saint-Germain, car il signe en cette qualité un pacte de prières entre son monastère et Saint-Bemi de Reims. Une vingtaine d’années plus tard, il fait un long voyage en Espagne, pour y chercher les reliques du diacre saint Vincent, titulaire du monastère, que l’on espérait pouvoir trouver à Valence. En fait Usuard et ses compagnons ne purent découvrir ces reliques ; du moins rapporlèrent-ils celles de plusieurs martyrs espagnols, victimes d’une persécution récente des Maures. Cette expédition d’Usuard est longuement racontée dans la Translalio corporum SS. Georgii, Aurelii et Natalise ex urbe Corduba Parisios, rédigée très peu après par Aimoin, moine de Saint-Germain. Texte dans P. L., t. cxv, col. 930-966. Les corps saints furent apportés d’abord à la villa d’Egmant, au diocèse fie Sens, où les moines de Saint-Germain s’étaient réfugiés lors de l’expédition des Normands contre Paris en 856, qui ruina tous les monastères des environs de la capitale. Cf. De miraculis sancti Germani. du même Aimoin, P. L., t. cxxvi, col. 1027 sq. Quand le roi Charles-le-Chauve eut traité avec les Normands pour les éloigner, les moines, Usuard compris, rentrèrent à Saint-Germain-des-Prés, l’an 863, rapportant les reliques espagnoles et aussi le corps de saint Germain que l’on avait sauvé en 856. C’est alors qne. le calme revenu, Usuard put se livrer au travail que lui demandait le roi : rédiger un martyrologe qui évitât les défauts de ceux qui étaient pour lors en circulation, qui fût assez complet d’une part, assez bref de l’autre pour satisfaire aux exigences de la liturgie. Ainsi fui il amené à composer le martyrologe qui porte son nom et qui est le prototype du martyrologe romain encore en usage aujourd’hui. Il s’en explique dans la courte dédicace à Charles le Chauve qu’il a mise en tête de son œuvre, P. L.,

t. CXXlll, col. 599, dédicace dont s’est inspiré, dans sa notice, Sigebert de Cembloux, De script, eccl., n. 85, P. /… t. cix, col. 567.

Ce n’étaient pas les martyrologes qui manquaient

i cette teconde moitié du ix 1, siècle. On continuait

à utiliser le soi-disant martyrologe de saint Jérôme et celui de Bède, que tout récemment, vers 830, le diacre i lorus de Lyon avait plus ou moins largement supplémentés. Ces recueils donnaient simplement pour chaque jour de l’année — encore était-il des jours creux — la liste des saints dont on célébrait l’anniversaire, avec l’endroit de leur mort et quelquefois une précision chronologique. C’étaient en somme de simples calendriers. Wandalbert de Priim s’était contenté de mettre en vers médiocres la prose de Florus ; voir son article. Raban Maur avait conçu son martyrologe rédigé avant 847, d’une manière assez différente ; aux moines et aux clercs qui le liraient, il fournirait une lecture instructive et édifiante, leur donnant en abrégé le contenu des documents hagiographiques qui se multipliaient à l’époque. Ainsi se substituaient, à la sèche énumération des calendriers, de courtes notices, disant en quelques phrases les traits essentiels de la passion du martyr ou de la vie du confesseur. Mais déjà certaines notices se développaient à la dimension de nos leçons du second nocturne de matines. Voir par exemple dans Raban Maur, la notice au 13 janvier des saints Julien et Basilissa, P. L., t. ex, col. 1125, et bien d’autres. Quelques années plus tard, Adon, le futur évêque de Vienne, était entré plus résolument encore dans cette voie. Qu’il ait ou non connu l’œuvre de Raban Maur, il en donnait une réplique, souvent très augmentée. Sans doute prenait-il comme point de départ le petit martyrologe romain qu’il avait autrefois transcrit à Ràvenne, mais, puisant de toutes mains dans tous les hagiographies à sa disposition, il donnait un résumé quelquefois fort ample de leurs narrations : sa notice sur saint Polycarpe, au 26 janvier, ne tient pas moins de deux colonnes de la Patrologie, t. cxxui, col. 221222, et reproduit tout l’essentiel de l’ancien Martgrium Pohjcarpi ; celle du 2 juin sur les martyrs de Lyon, ibid., col. 274-279, s’inspire de la fameuse lettre des Lyonnais ; celle de saint Laurent, au 16 août, donne les grands traits de la légende, si fortement romancée, du diacre romain, ibid., col. 322-325 ; au 14 septembre, toute la « passion proconsulaire » de saint Cyprien est donnée, à quoi s’ajoute même l’histoire de la translation de ses reliques en France sous Charlemagne, ibid., col. 354-356 ; on pourrait multiplier ces exemples. En tête de son martyrologe, Adon avait même placé un Libellus de festivitatibus sanctorum apostolorum et rcliquorum qui discipuli aut viciai successoresque ipsorum apostolorum fucrunt. recueil de notices du même ordre, groupées non d’après leur place dans le calendrier, mais d’après la dignité des ayants-cause. Ces notices ne sont d’ailleurs pas si étendues qu’elles n’aient pu être insérées dans le martyrologe à leur place normale (ce qui a été fait d’ailleurs dans certains mss. et dans certaines éditions). L’œuvre d’Adon devait être terminée vers 858. Ce martyrologe allait être remanié quelque temps après par Notkcr le Bègue (voir son art., t. xi. col. 805) qui s’efforça d’abréger les notices les plus longues et en ajouta un certain nombre de nouvelles.

Entre les deux conceptions qui avaient dominé : le martyrologe-calendrier et le recueil de notices hagiographiques, Usuard allait suivre une voie moyenne. Pour un grand nombre des saints qu’il signale, il se contente de donner le lieu de leur martyre ou de leur mort. Ainsi, au 1 er janvier, Adon avait consacré une notice de huit lignes à sainte Fuphrosyue, une vierge d’Alexandrie, P. /… t. c.xxiii. col. 209 ; Usuard écrit simplement : Alexandrie, sanctæ Eufrosina vlrginis, ibid.. col. 601, et ainsi de suite. Les longues notices d’Adon sont ramenées à de brèves indications ; celle de Polvearpc. au 26 janvier, est expédiée en quelques lignes : Apud Smirnam, natalis suncii Poly curpi, qui l’iuli.lunnnis apostoh disdpulus et ah en

episcopus ordinatus, totiua Astæ princeps fuit, l’osteu sub Marco Antonino et Lucio Aurelio, personanle uni verso populo ejusdem urbis in ampjiithealro adversum eum, ii/ni traditus est. Ibid., col. 694-695. Au lieu de résumer, au 2 juin, toute la lettre des Lyonnais, Usuard écrit seulement : Lu.gdu.ni, sanctorum Fotini, ejusdem urbis episcopi, Zacharix presbyteri, sancti diaconi Epagati… cum aliis quadrut/inla. Hi omnes famuli Christi, sicut in historia ecclesiastica scribitur, pariter coronali sunt . Passa est quoque et sancta Blandina ex eorum collegio, quæ primo, secundo et tertio die pulsata cruciatibus, cum non superaretur, quarto verberibus acta, craticulis exusta et multa alia perpessa, ad ullimum gladio jugulatur. P. L., t. cxxiv, col. 113. La notice de saint Laurent, au 10 août, devient simplement : Romæ, via Tiburtina, natalis beati Laurentii archidiaconi, qui pressente Decio imperalore, post plurima tormenta carceris, verberum diversorum, laminarum ardentium, ad ultimum in craticula ferrea assatus, murtijrium complevit. Ibid., col. 349.

La dépendance d’Usuard par rapport à Adon est d’ailleurs visible. Non seulement les mêmes noms de saints reviennent aux mêmes jours, mais très fréquemment des expressions, des tournures de phrase, des détails, sont passés de l’un dans l’autre. Ce point qui a été contesté au xvir 5 siècle ne l’est plus aujourd’hui ; tout le monde est d’accord pour faire d’Adon une des sources et la principale d’LIsuard. Mais ce dernier a ajouté bien des noms de saints à son modèle et la question est de savoir où il les a rencontrés. Son voyage en Espagne lui en a certainement fourni un certain nombre : d’abord, et tout naturellement, les martyrs dont il avait rapporté les reliques, cf. 27 août, t. cxxiv, col. 405 ; 1 er décembre, col. 755, mais d’autres encore qu’il avait appris à connaître dans la péninsule, ainsi au 7 juin, les martyrs de Cordoue, Pierre, Aventius, Jérémie et trois autres ; au 17 septembre saint Émilien, diacre de Cordoue ; au 3 novembre les « innombrables martyrs de Saragosse, sous Dacianus » ; au 23 du même mois, sainte Lucrèce, vierge, à Mérida ; le lendemain, à Cordoue, les saintes Flora et Marie, etc. Les noms ainsi ajoutés sont, pour la plupart, ceux des victimes des persécutions musulmanes ; mais il y en a d’autres qui proviennent des débuts du christianisme. Nous n’avons pas à discuter ici la question des autres sources d’Usuard ; ce travail a été fait avec beaucoup de diligence par dom H. Quentin, Les martyrologes historiques. Qu’il suffise d’ajouter que la compilation d’Usuard est devenue le point de départ des remaniement successifs qui ont donné naissance à notre martyrologe romain actuel. Celui-ci, à tout prendre, n’est qu’une édition revue, corrigée et considérablement augmentée de l’œuvre du moine carolingien ; nombre de ses notices sont passées telles quelles dans notre texte ; celles, très nombreuses, qui y ont été ajoutées sont, pour l’ordinaire, rédigées sur le même modèle et dans le même style « martyrologique », dont on peut dire que c’est Usuard qui l’a créé.

Il n’est pas sans intérêt pour le théologien de feuilleter le martyrologe ; la lex orandi aidant parfois à déterminer la lex credendi. Rien de plus curieux, par exemple, que de comparer les diverses rédactions dans les martyrologes du ixe siècle de la notice du 15 août ; celle d’Usuard est extrêmement sobre :

Dormitio sancta » Dei genitricis Marias, cujus sacratissimum corpus etsi non invenitur super terram, tamen pia mater Ecclesia venerabilem ejus memoriam sic festivaln agit, ut pro conditione carnis eam migrasse non dubitet. Quo autem illud venerabile Spiritus sancti templum nutu et consilio divino occultatum sit, plus elegit sobrietas Ecclesia" cum pietate nescire, quam aliquid frivolum et apocripluim inde tenendo docere. T. cxxiv, col. 365.

A comparer avec Adon, dans le Libellus de festiv., dernière notice (rattachée au 8 septembre) :

Cujus dormilionem xviii kal. sept, omnis célébrât Kcclesia : cujus et sacrum corpus non invenitur super terram : sic nec beati Moysi sepulcrum quem sacra Scriptura dicit a Domino sepultum. Tamen pia mater Ecclesia… ejus venerabilem memoriam sic festivam agit ut pro conditione carnis eam migrasse non dubitet (Suit ta phrase comme dans Usuard). Suïïiciunt enim ei ad sanctitatem et vitam Yirginis et Matris Domini commendandam evangelistarum testimonia, nec de ea quærere ultra necessarium putat. T. cxxiii, col. 202.

Notker le Bègue, au contraire, donne ce même jour une petite dissertation apologétique, revendiquant l’historicité du récit que fournit Grégoire de Tours de l’assomption corporelle de Marie, et il termine sur cette déclaration, qui laisse d’ailleurs la porte ouverte à une autre hypothèse :

Sciendum quia vel hæc specialis assumptio corpoiis venerandæ genitricis Dei Mariée, vel eorum qui cum Domino surrexisse leguntur et in cælum ascendisse creduntur, apostolicam auctoritatem magis adjuvant quam impugnant. Quoniam et corpus illud, de quo Deus incorporari voluit, citius in cælum sublevari decuit et illos verse resurrectionis et ascensionis nostræ testes prseisse procul dubio constat. De quibus quia doctissimi tractatores videntur inter se dissidere, non est meum in tam brevi opusculo definire. Hoc tamen certissime cum universali Ecclesia et credimus et confitemur, quia si reverendissimum illud corpus ex quo Deus est incarnatus, adhuc alicubi in terra celatur, revelatio utique ipsius ad destructionem Antichristi reservatur. P. L., t. cxxxi, col. 1141-1142.

On verra également avec intérêt qu’Adon, Usuard, Raban-Maur et Notker font au 24 septembre l’annonce de la conception de saint Jean-Baptiste, alors que nul d’entre eux ne fait mention de la conception de Marie.

Le martyrologe d’Usuard a eu de très nombreuses éditions ; la principale, un peu trop surchargée, est celle qu’a donnée en 1715 le bollandiste J.-B. Sollier ; elle est reproduite dans P. L., t. cxxiii, col. 452-992 et t. cxxiv, col. 1-860 ; Migne y a inséré et la préface et les remarques critiques de l’édition donnée en 1718 par dom Bouillart, qui s’élève de façon assez vive contre les leçons de Sollier. Voir les prolégomènes du bénédictin, ibid., t. cxxiii, col. 583-598. Sur les martyrologes en général voir le travail capital de dom H. Quentin, Les martyrologes historiques.

É. Amann.