Dictionnaire de théologie catholique/URBAIN II

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 370-378).

URBAIN II, élu pape lerj12 mars 1088, mort le 29 juillet 1099. —
I. Sa carrière antérieure.
II. Rapports avec les États d’Occident.
III. La question d’Orient : la croisade.
IV. La réforme de l’Église.

I. Carrière antérieure.

Le pontificat éphémère et sans cesse hésitant de Victor III (voir son article) avait laissé l’Église dans un profond désarroi. On pouvait se demander si la cause de la réforme pour laquelle avait lutté Grégoire VII n’était point compromise. L’empereur Henri IV semblait avoir le dessus ; son antipape, Guibert, s’il ne se maintenait pas définitivement à Rome, conservait dans la capitale de nombreux partisans. De surcroît la discorde s’était mise au camp des grégoriens. Irrité de ce qu’il nommait les abandons de Victor III, Hugues, archevêque de Lyon, un des protagonistes les plus ardents de la réforme ecclésiastique, s’était bruyamment séparé du pape ; un des derniers actes de celui-ci avait été de l’excommunier. Cf. Jaffé, Regesta pont. Rom., 1. 1, post n. 5345 et n. 5346. Il était grand temps que montât sur le siège apostolique un homme intelligent et ferme, qui refit l’unité parmi les grégoriens et, pour assurer l’indispensable réforme de l’Église, continuât la lutte commencée par Grégoire VII. Cet homme, ce fut Eudes, cardinal d’Ostic, que déjà Grégoire VII mourant avait désigné aux suffrages des électeurs, que des intrigues d’ordre plus politique que religieux avaient écarté et qu’en ses derniers moments Victor III avait reconnu comme le personnage le plus capable de réussir là où il avait lui-même échoué. Voir Victor III. Mais il fallut quelque temps pour que cette idée s’imposât à tous les électeurs. Victor III était mort au Mont-Cassin le 16 septembre 1087 ; c’est seulement le 12 mars suivant que les cardinauxévêques et les représentants des autres électeurs, réunis à Terracine depuis le 8 mars, s’accordent sur le nom d’Eudes d’Ostic qui est intronisé le jour même, n’ayant pas à être consacré. Récit de l’élection dans Chronica monaslerii Casinensis, t. IV, c. il.

Eudes était né vers 1010 au château de Chàtillon-SUT-Marne, aux abords de la petite ville de ce nom. Enfant et jeune homme, il avait fréquenté les écoles de Reims, où il avait eu pour maître saint Bruno, le futur fondateur des chartreux. Des 1064 il est archidiacre de Reims, bientôt après chanoine. Entre 1073 et 1077, à une date qu’il est impossible de préciser, il s’éprend de la vie monastique et entre a Cluny, espérant y demeurer caché..Mais, en 1078, le pape Grégoire VII, qui veut infuser à l’épiscopat un sang nouveau, demande a Hugues, abbé de Cluny, un certain nombre de moines dont il fera des évêques. Ceci ainsi qu’Eudes de Châtillon devient évêque d’Ostic et cardinal. On sait peu de choses sur les années qui suivent sa nomination. En 1084-1085, alors que Grégoire vil a dû quitter Rome pour Salerne, Eudes d’Ostic est envoyé comme légat en Allemagne ; c’est en cette qualité qu’il assiste aux réunions épis copales de Gerstungen (janvier 1085) et de QuedlinbOUTg (Pâques de la même année), où partisans et adversaires de Grégoire Yll essaient de s’entendre, A la seconde de ces réunions, Eudes renouvelle la condamnation de l’antipape Guibert. À quoi l’em pereui riposte, huit jours plus tard, en déposant les évêques grégoriens. La légation d’huiles n’est donc pas un sucées ; du moins le légal va-t il réussir à consacrer, comme évêque de Constance, Gebhard,

que ses multiples liens de famille rendent puissant dans l’Allemagne du Sud et qui deviendra le chef des grégoriens. Rentré en Italie au moment où meurt Grégoire VII, il se voit d’abord écarté du siège apostolique où l’appelait la désignation du pontife mourant. Cela ne l’empêche pas de rester loyal à Victor 1 1 1, qui à son tour le désigne comme son successeur éventuel. Autour de lui se rallie finalement l’assemblée de Terracine. C’est la fin de la crise qui a suivi la mort de Grégoire VII. Sur les circonstances de l’élection, cf. A. Fliche, L’élection d’Urbain II, dans le Moyen Age, 2e série, t. xix, p. 379 sq.

Nul plus qu’Eudes de Châtillon n’était capable de faire sortir l’Église du désarroi où l’avait plongée le pontificat de Victor III. À une formation très complète et à une expérience consommée des affaires ecclésiastiques, à une fermeté de principes égale à celle de son grand prédécesseur, Eudes joignait en effet un esprit de finesse et un sens politique qui avaient manqué à celui-ci. Hardiment il se déclare le continuateur de Grégoire, Jaffé, n. 5348 (lettre aux évêques allemands) ; il a la même foi que lui en la suprématie romaine, Jaffé, n. 5351 (à Lanfranc de Cantorbéry) ; à cette autorité suprême les princes laïques eux-mêmes sont soumis, Jaffé, n. 5367 (à Alphonse VI, roi de Castille) ; mais ce pouvoir souverain qui est aux mains du pape doit être avant tout au service de l’Église ; le nicolaïsme, la simonie et, tout autant, l’investiture laïque, ces fléaux auxquels s’était attaqué Grégoire VII, Urbain II les dénoncera aussi et les poursuivra. À vrai dire, en ses premières années il tempérera quelque peu l’âpreté des principes, au risque de susciter les plaintes des grégoriens intransigeants ; c’est seulement quand il se sentira, après Plaisance, après Clermont, le maître de la situation, qu’il urgera dans toute leur vigueur l’application des réformes nécessaires. Il faut donc le suivre d’abord dans ses rapports avec les divers royaumes, puisque c’est de l’état de ses relations avec les uns et les autres que dépend, en grande partie, le succès de la réforme.

II. Rapports avec les divers États d’Occident.

La situation du Saint-Siège est fonction, avant tout, de l’attitude de l’Allemagne. Depuis 1080 c’est la guerre ouverte, à main année, entre le pape et l’empereur. Soutenu par Henri IV, l’antipape Guibert (Clément III) a rallié autour de lui une bonne partie de l’Italie et la majorité tics évêques allemands. Au moment où Urbain II monte sur le trône pontifical, il ne reste plus guère en Germanie que cinq évêques fidèles. La mort (septembre 1088) de l’antiroi 1 1ermann de Luxembourg, opposé par les grégoriens à Henri, amène la dislocation à peu près définitive de l’opposition, la Saxe renonce à la lutte, la Bavière ne tarde pas à l’imiter. Si. en Italie, la situation esi moins sombre, il n’empêche que Guibert n’a pas dit son dernier mot. En mai-juin 1089 il peut encore tenir, à Rome même, un synode où il déclare nulle l’excommunication d’Henri [V et se donne en même temps la coquetterie de proclamer quelques-uns des principes de la réforme grégorienne. Sommation est adressée à Eudes, » ci-devant évêque d’Oslic », déjà excommunié pour ne s’être pas présenté au synode de l’Église romaine, de comparaître cette fois à l’assem blée qui vient de se réunir à Saint Pierre. Jaffé, post n.. r > : j2.N, et n. 5329, 5330. Ainsi le premier devoir d’Ur bain II est de réduire le schisme : ce pourquoi il a besoin de loutes les bonnes volontés dans le monde laïque comme dans le monde ecclésiastique. Pour ce dernier il se montrera relativement conciliant dans les questions de réforme ; quant aux princes séculiers, il fera le nécessaire pour ne pas se créer avec eux d’insurmontables difficultés.

2271

URBAIN II

1° Étais autres que l’Allemagne. - 1. En Angleterre, Guillaume le Conquérant, en dépit de quelques froissements passagers, était demeuré en bons termes avec Grégoire VII. Sa mort (9 décembre 10X7) donne le pouvoir à son fils Guillaume le Houx, véritable despote, fort jaloux de son autorité. L’archevêque de Cantorbéry, Lanfranc, avait reçu du nouveau souverain les plus belles promesses ; elles n’empêchèrent ni le pillage par le roi des biens d’Église, ni la simonie ouvertement pratiquée. Et quand Lanfranc fut mort (2-1 mai 1089), le roi perdit toute retenue. Urbain II tout d’abord laissa faire, craignant de s’aliéner un souverain dont il pourrait avoir besoin. Aussi bien Guillaume évitait-il de se prononcer entre Urbain II et son rival. De ce chef la vacance du siège de Cantorbéry se prolongea plus de trois ans. C’est seulement à la suite d’une maladie, qui l’amena provisoirement à de meilleurs sentiments, que le roi se décida à désigner l’abbé du Liée, Anselme, qui fut sacré le 4 décembre 1093..Mais un conflit était inévitable entre le souverain et le nouvel archevêque. Pour le détail, voir Anselme (Saint), 1. 1, col. 1329. Après quelques escarmouches, la lutte éclate en 1095 entre les deux puissances. A la demande d’Anselme d’aller à Rome pour y recevoir le pallium le roi oppose un refus formel. L’archevêque demande alors que la question soit soumise à un concile qui se réunit à Rockingam (25 février 1095). En dépit des hésitations de l’épiscopat, Anselme maintient qu’il est de son devoir de se rendre auprès du pape. Le roi se décide alors à envoyer à Rome deux clercs, lesquels revinrent convaincus de la légitimité d’L’rbain. En fin de compte le souverain la reconnut lui aussi ; il fut entendu que l’archevêque viendrait à Windsor recevoir le pallium que lui apportait le légat pontifical, Gauthier d’Albano. Mais les conflits reprennent lors de la légation en Angleterre de Jarenton, abbé de Saint-Bénigne de Dijon. Les mêmes plaintes s’élèvent contre la tyrannie royale, qui pressure les Églises. Anselme alors annonce son intention d’aller trouver le pape ; en dépit de la défense que lui fait le roi, il quitte l’Angleterre en novembre 1097. Arrivé à Rome au printemps de 1098, il offre sa démission au pape, pour le bien de la paix. Urbain refuse de l’accepter et enjoint à Guillaume le Roux de restituer à l’Église de Cantorbéry tout ce qu’il lui a dérobé. Jafl’é, n. 5704. En octobre de la même année, l’affaire est soumise au concile de Bari, où l’archevêque accompagnait le pape. Sur plainte de celui-ci, le concile est d’avis de frapper le roi. Cf. Jafïé, t. i, p. 094, post n. 5709. Ce n’est point l’avis d’Anselme, qui provisoirement l’emporta. Aussi bien des ambassadeurs du roi étaient-ils venus à la Curie et avaient-ils obtenu un ajournement de la sentence. Les choses traînèrent en longueur jusqu’à la mort d’Urbain (29 juillet 1099). Quand mourut Guillaume le Roux (2 août 1100), l’affaire d’Anselme n’était pas encore réglée et l’archevêque n’avait pu encore rentrer dans le royaume. En définitive Urbain n’avait pas osé se montrer dur à l’endroit du roi d’Angleterre, craignant sans nul doute de le rejeter dans l’obédience de Guibert.

2. En France les relations avec le roi Philippe I er, qui avaient été franchement mauvaises au temps de Grégoire VII, semblèrent d’abord devoir s’améliorer. Au pape le roi promettait, sans ambages, la debitam subjectionem. Tout alla à peu près bien jusqu’en 1092. Mais à cette date la bonne harmonie fut troublée par une grave affaire qui désormais va peser sur les relations entre Urbain et Philippe. Abandonnant son épouse légitime, le roi enlève Bertrade de Montfort, femme de Foulques d’Anjou et prétend l’épouser. Au début, Lirbain II veut traiter le roi avec quelque ménagement ; une lettre adressée par lui à l’archevêque de

Reims, Renaud, blâme sans doute l’évêque de Scnlis qui a béni le mariage adultère. L’archevêque devra faire tout le possible pour faire cesser le scandale. Du moins aucune sentence n’est portée contre le souverain. .Jafl’é, n. 5469 (27 octobre 1092). Tout au long de l’année 1093 des négociations entre le roi et la Curie n’aboutissent à rien. Alors, le 10 octobre 1094, le pape lance l’excommunicafeig>n contre le roi ; il faut remarquer d’ailleurs que c’est au lendemain de la victoire remportée sur Henri IV. L’affaire du divorce royal figure aussi parmi les questions qui seront traitées au fameux concile de Clermont (novembre 1095). Mais, pour se rendre en France, le pape avait de bien autres raisons. Le royaume capétien, depuis la mort de Grégoire VII, avait partiellement échappé à l’emprise pontificale. Pendant près de neuf années (10851094) le redoutable promoteur de la réforme grégorienne qu’avait été Hugues de Lyon n’avait plus exercé de pouvoir effectif en dehors de sa province et la situation morale du clergé empirait chaque jour. Il fallait que la présence pontificale, comme un demisiècle plus tôt, au temps de saint Léon IX, vînt redonner une nouvelle vigueur à la réforme ecclésiastique. Sans compter que la question de la croisade allait trouver à l’assemblée sa solution définitive.

Le concile de Clermont fut un immense succès ; les décrets de Grégoire VII sur le nicolaïstne, la simonie, l’investiture laïque furent précisés et complétés. Interdiction fut faite aux ecclésiastiques de prêter au roi ou à un seigneur laïque le serment féodal. Enfin, l’excommunication fut prononcée contre le roi Philippe. Jafïé, p. 681. Celui-ci devait faire une soumission apparente. Au concile qu’Urbain II tint à Nîmes après une longue tournée dans toute la France de l’Ouest, le roi, moyennant la promesse qu’il se séparerait de sa nouvelle épouse, fut relevé de la sentence encourue quillet 1096). Il manqua bientôt à sa parole, et se vit à nouveau frappé par Hugues de Lyon vers la fin de cette même année. Sans doute affecta-t-il de n’en point tenir compte et, par manière de défi, il se fit couronner solennellement, le jour de Noël, par l’archevêque de Tours. Cette fois Urbain II se montra extrêmement énergique. L’interdit fut jeté sur tous les endroits où se trouverait le roi ; cf. Jaffé, n. 5682 (dispense donnée aux Clunisiens de ne point observer les règles de l’interdit). Philippe n’en était pas à une promesse près, il obtint la levée de l’interdit. Il faut croire que l’enquête pontificale constata de nouveaux manquements à la parole donnée ; toujours est-il qu’au moment où mourait Urbain II, Philippe se trouvait encore sous le coup d’une excommunication. Mais, somme toute, le roi de France n’était jamais entré en révolte ouverte contre le Saint-Siège et Urbain avait reçu dans le royaume, au cours de son long voyage de 1095-1096, des marques non équivoques de la soumission générale aux directives du Siège apostolique.

3. Avec les Normands de la Basse-Italie les rapports du Saint-Siège s’étaient bien améliorés aux dernières années de Grégoire VII, plus encore au temps de Victor III, où Jourdain de Capoue avait exercé sur l’Église romaine une sorte de protectorat. C’était maintenant de Roger I er de Sicile, frère de Robert Guiscard et successeur de ses ambitions, qu’il convenait de se rapprocher. Au concile de Melfi (septembre 1089), Roger faisait hommage-lige à Urbain et recevait de lui « per vexillum » l’investiture de la Sicile et le titre de comte. Jaffé, p. 664 au bas. Dix-huit mois plus tard, au cours des conversations de Mileto, le pape et le comte de Sicile procédaient à la réorganisation religieuse de l’île, reconquise désormais sur les Sarrasins et que Roger entendait gouverner à son gré. Pour se concilier pleinement le nouveau souverain, Urbain lui faisait, en matière de nominations ecclé 74

siastiques, les plus larges concessions. En 1095, pour faire pièce à Henri IV, le pape négociait un mariage entre une fille du comte Roger et Conrad, un des fils de l’empereur, en révolte contre son père. Le projet n’aboutit pas, mais il montre le genre de secours qu’Urbain II attendait de son vassal sicilien. À la vérité une brouille s’éleva entre eux deux en 10961097, quand le pape eut désigné comme légat permanent en Sicile Robert de Messine. Dès 1098, pourtant, une réconciliation intervenait à la suite d’entrevues à Capoue, puis à Salerne ; une bulle du 5 juillet promettait à Roger que désormais le pape n’enverrait plus de légats en Sicile sans l’assentiment du souverain. Le comte devenait légat-né du Saint-Siège et c’était par lui que se régleraient les affaires qui se traitent d’ordinaire par les légats ; ce serait le comte lui-même qui, au nom du pape, convoquerait aux conciles romains, où il n’enverrait d’ailleurs que le nombre d’évêques et d’abbés qu’il jugerait convenable. Jaffé, n. 5706 ; l’authenticité de cette bulle qui avait été mise en doute a été démontrée par É. Jordan, La politique ecclésiastique de Roger I effet les origines de la légation de Sicile, dans le Moyen Age, t. xxv, p. 40 sq. Ces concessions considérables resserraient ainsi les liens entre le Saint-Siège et le jeune État qui commençait à se constituer dans le Sud de l’Italie. Sur tout ceci : Chalandon, Histoire de la domination normande en Italie et en Sicile, t. i, p. 330 sq.

4. Espagne. Dans le même temps le Saint-Siège travaillait à étendre son emprise sur les parties de l’Espagne qui peu à peu étaient reconquises sur l’Islam. Le grand animateur de la lutte était pour lors Alphonse VI de Castille, qui, le 6 mai 1085, avait repris Tolède. Les succès s’étaient vite balancés de revers, dans l’ensemble pourtant la reconquête chrétienne progressait. En 1092. Rodrigue Diaz (celui que nous appelons le Cid) créait autour de Valence, sur la côte orientale, un nouvel État chrétien. Il importait grandement à la papauté, qui avait été. aux années précédentes, l’instigatrice de la croisade espagnole, d’entretenir avec ces jeunes États, si pleins d’ardeur et d’espérances, des relations plus qu’amicales. Grégoire VII avait été. en paroles du moins, un peu rude parfois. Ce fut par des concessions diverses, tout spécialement en réduisant l’action des légats, qu’Urbain II se gagna le dévouement d’Alphonse VI ; de même maintint-il, sans trop de peine, dans leur vassalité au Saint-Siège, les souverains de [’Aragon (cf. Jaffé, n. 5552) et de la Catalogne. Jaffé, n. 5401. Même attitude à l’endroit des puissants seigneurs du nord des Pyrénées : le comte de Maguclone a fait hommage de son comté à Saint-Pierre ; à sa mort c’est l’évêque qui devient comte et vassal direct du Saint-Siège. Jaffé, n. 5375, 5377. Le comte Raymond de Saint-Gilles, de par l’investiture pontificale, est fait comte de Toulouse, duc de Narbonne et marquis de Provence. À cet le époque où le régime féodal joue à plein, il est utile pour le Saint-Siège de pouvoir escompter le secours de véritables vassaux.

2° La lutte avec Henri l d’Allemagne, Cette lutte

a pour théâtre l’Italie, OÙ Gulbert conserve de solides

points d’appui, et l’Allemagne, où l’empereur et son

antipape rallient encore la majorité des évêques. Le

plus urgent parut d’abord a Urbain II de se rendre définitivement maître de Home, on Guibeii avait pu encore tenir concile a Saint-Pierre a l’été de 1089 Le

pape légitime avail réussi, à l’automne de 1088, a s’in s taller dans l’île du Tibre. C’est de la que le 28 juin H>JS’.l il se lame a l’assaut de la ville, ou il fail son entrée le 3 juillet : (iiiiberl a prestement déguerpi, suivi de près par le préfet impérial. RécH de ici exploit dans

Jaffé, n. 5403 et surtout dans une bulle publiée par

Kehr dans Archivio delta tocieta romana di storia

patria, t. xxiii, p. 277-280. Succès d’ailleurs éphémère ! Si l’rbain peut se maintenir à Rome pendant une année, en juin 1090 il est obligé de reprendre le chemin de la Basse-Italie ; il ne remettra plus le pied dans la capitale qu’à la fin de 1093, après que se seront déroulés, en Italie et en Allemagne, les événements que nous allons raconter.

Pendant qu’en Allemagne le légat Gebhard, évêque de Constance, s’efforçait de réchauffer le zèle des grégoriens, un couj) de théâtre se préparait en Italie. La grande comtesse Mathilde, veuve depuis 1076, épousait en août 1089 le jeune Welf V, fils de Welf IV, duc de Bavière..Mariage horriblement disproportionné : Mathilde avait quarante-trois ans, le jeune Welf en avait dix-sept ! Du moins « cette singulière union offrait pour la papauté des avantages inappréciables ; elle conjuguait les deux têtes de l’opposition allemande et de l’opposition italienne, fortifiait la situation de Mathilde et du même coup celle du Saint-Siège dans l’Italie du Nord, enchaînait par des liens plus solides la Bavière à la cause pontificale « (Fliche, p. 240). Tout n’était peut-être pas des plus rassurants, dans ce mariage ; Welf finirait par connaître un jour la clause du testament de Mathilde qui donnait tous ses biens à l’Église romaine. À partir de 1095 les Welf reviendront au parti de l’empereur. Pour l’instant l’annonce du mariage déclencha en Italie une intervention militaire de Henri IV.

La campagne, doublée d’ailleurs par une offensive littéraire — un moine de Hersfeld publiait un traité De unitale Ecclesiæ conservanda, qui sonnait le ralliement de l’Église autour de Clément III (texte dans Libelli de lite, t. ii, p. 173-284) — dura de 1090 à 1092. Henri attaqua d’abord la comtesse Mathilde. En avril 1091, après onze mois de siège, Mantoue était enlevé et peu après les châteaux de la rive gauche du Pô. En juin 1092 l’empereur passait le fleuve, investissait Monteveglio, qui, avec Canossa, constituait le réduit de la résistance. Un peu antérieurement Guibert reprenait l’offensive contre Rome où il parvenait à s’installer en février-mars 1091 ; il y passerait la fui de cette année-là.

Ainsi l’Italie semblait échapper à l’rbain IL Mathilde, à un moment donné, fut sur le point de songer a une réconciliation avec l’empereur. Mais, comme celui-ci mettait pour condition la reconnaissance de Guibert, les négociations furent bien vite rompues. Mathilde finalement eut raison. Repoussé sous les murs de Canossa. Henri dut battre en retraite et bientôt la retraite devint déroule (automne 1092). Sur quoi l’on apprit que l’un des (ils de l’empereur s’alliait avec Welf et Mathilde et se faisait couronner roi à Milan ; une ligue des cités lombardes se constituait el tous ces événements renforçaient en Allemagne l’opposition contre le souverain, lui novembre 1093, Urbain II pouvait rentrer à Rome, pas encore au Latran, où il ne s’installera qu’en avril 1094, du moins dans l’une des nombreuses maisons fortes de la ville. Maître de Home, Urbain est aussi le maître

de l’Italie.

Cette victoire fut consacrée par le concile réuni à l’la isa née au mois de mai 1095 et dont nous étudierons plus loin les décisions. À cette assemblée étaient convoqués ions les évêques de l’Occident, il y figura aussi des ambassadeurs d’Alexis [ » Comnène. empereur d’Orient. Bref, l’rbain y parut comme le vrai chef de la chrétienté. Plus encore lors de son voyage en France qui suit Immédiatement. Terré dorénavant

dans Ravenne, Guibert faisait bien petite figure auprès du grand pape qui. en ce moment même, entrai

nait l’Occident à la conquête de Jérusalem. Sans doute, durant le séjour d’Urbain en France, Henri IV

est en l.ombardie ou en Yénélic, mais il hésile a

reprendre une attaque à main armée. À la guerre ouverte succède la lutte diplomatique où chacun des adversaires cherche à isoler son rival, Urbain se rattachant Conrad, fils de l’empereur, en révolte contre son père, Henri de son côté retrouvant, après les déconvenues du jeune Welf V, l’appui du père de celui-ci, Welf de Bavière.

Après le retour d’Urbain en Italie (automne de 1096), Henri IV repasse les Alpes et Guibert se renferme de plus en plus dans Ravenne, d’où il arrive péniblement à exercer son autorité sur les régions qui lui sont encore soumises. Ainsi s’affermit de plus en plus en Italie la situation du pape légitime. A Rome, pourtant, les guibertistes tiennent encore le château Saint-Ange et Saint-Pierre, qui ne leur seront enlevés qu’au printemps de 1098. Dans tout le reste de la péninsule la situation d’Urbain se renforce de plus en plus. En dépit de la rupture entre Mathilde et Welf V, la grande comtesse reste, dans l’Italie du Nord, une puissance de premier plan. Au Sud, le resserrement de l’alliance entre le Saint-Siège et .Roger de Sicile (aussi bien qu’avec Roger de Pouille) assure au pape un précieux appui. Sauf Venise qui tient encore pour Henri IV, l’Italie est tout entière groupée autour du Saint-Siège. Le schisme inauguré à Brixen par la désignation comme pape de Guibert, archevêque de Ravenne, allait vers l’extinction. Ce sera le successeur d’Urbain, Pascal II, qui devra, non sans bien des difficultés encore, procéder à la liquidation définitive. En tout état de cause l’Allemagne seule se rangeait encore à l’obédience de l’antipape. La Hongrie avait pu hésiter quelque temps ; quand, à la mort de Ladislas, 29 avril 1095, Coloman lui succéda, la Curie romaine fit tout pour le mettre en garde contre l’antipape. Jaffé, n. 5662 (27 juillet 1096). Le nouveau souverain ne resta pas sourd à ces objurgations, rejeta les sollicitations d’Henri IV et ménagea le Saint-Siège qu’il ne voulait pas s’aliéner.

III. La question d’Orient. La croisade. — Le geste de Michel Cérulaire en 1054 n’avait jamais été considéré à Rome comme supprimant toute relation entre Rome et Constantinople. Sans doute entre le pape et le patriarche disparaissent les signes extérieurs qui, durant des siècles, avaient montré, tant bien que mal, que les deux Églises, grecque et latine, conservaient entre elles la communion. Mais entre le Sacré Palais et la Curie romaine des rapports continuèrent, d’ailleurs assez espacés. Au fait, dès le dernier tiers du xie siècle, un ennemi des plus redoutables se dressait contre Constantinople ; pour lui faire face ce ne serait pas trop des forces réunies de l’Occident et de l’Orient. Musulmans fanatiques, les Turcs Seldjoukides ont substitué peu à peu en Asie leur domination à celle des Arabes et s’acharnent à la destruction de ce qui reste de l’Empire byzantin. En 1071 le basileus Romain Diogène est par eux battu et fait prisonnier ; Iconium est pris, l’armée turque arrive en vue de Constantinople.

Alors l’empereur Michel VII (1071-1078) se décide à envoyer une légation au pape Grégoire VII pour demander le secours de l’Occident. Le pape, qui n’est pas encore entré en lutte avec Henri IV, entre dans ses vues. Il songe à confier au roi des Romains la garde de l’Église d’Occident, tandis qu’il invite la chrétienté à se lever pour défendre l’empire chrétien. Lui-même se mettra à la tête de l’expédition destinée à secourir Constantinople. Mais on ne s’arrêterait pas en si beau chemin ; il faudrait pousser jusqu’en Palestine et délivrer de la captivité le tombeau du Christ. Jaffé, Regesta, n. 4826 (1 er mars 1074). Ainsi est lancée pour la première fois l’idée de croisade.

Rien de. tout cela ne se fit ; bientôt la lutte contre Henri IV va accaparer toutes les forces vives de la

papauté. Il n’empêche que Grégoire VII conserve de la sympathie pour Michel VII, Quand celui-ci eut été renversé par l’usurpateur N’icéphore Botoniatès (10781081), le pape, qui venait de resserrer son alliance avec les Normands d’Italie, autorisa volontiers Robert Guiscard à faire campagne contre le Botoniatès, puis contre Alexis Comnène (1081-1118) qui avait à son tour évincé l’usurpateur. Le chef normand avait passé l’Adriatique, poussé jusqu’en Thessalie, mais il était mort en 1085 sans avoir achevé son expédition victorieuse. L’intervention du Saint-Siège avait d’ailleurs eu pour résultat d’opérer un rapprochement entre Alexis et Henri IV d’Allemagne. Mais, quand Alexis Comnène eut été définitivement reconnu, le Saint-Siège revint à une politique d’accord. Au début de son pontificat, Urbain II envoie une légation à Alexis ; hardiment il se plaignait au basileus de la radiation que l’on avait faite du nom du pape dans les diptyques de Constantinople ; en même temps il demandait que fût permis aux latins séjournant dans l’Empire l’usage des azymes dans la célébration eucharistique. Le patriarche, Nicolas, fort surpris de cette démarche, réunit cependant un concile en septembre 1089 ; les évêques demeuraient hésitants, le basileus qui présidait se prononça pour l’acceptation immédiate des demandes du Saint-Siège. Le synode, en fin de compte, accepta de rétablir le nom du pape dans les diptyques : Urbain II serait invité à venir de sa personne dans la capitale pour résoudre les questions litigieuses. Sur toute cette négociation, voir W. Holtzmann, Die Unionsverhandlungen zwischen Alexis I. und Papst Urban II. im Jahre 1089, dans Dyzant. Zeitschrifl, t. xxviii, 1928, p. 38-67 ; et Studien zur Orientpolilik des Reformpapstiums und zur Enlslehung des ersten Kreuzzuges, dans Histor. Vierteljahrschrift, t. xxii, 1924-1925, p. 167-199.

Nous sommes assez mal renseignés sur ce qui se passa, à l’automne de 1089, au concile de Melfi, où certainement fut soulevée cette question de la reprise des rapports avec Constantinople. Il semble bien que rien n’ait pu se régler. Mais il est incontestable qu’à ce moment se remarque chez les grecs, dans la polémique antilatine, un certain apaisement. Ainsi le traité de Théophylacte, archevêque de Bulgarie, sur les erreurs des latins, LTspl <î>v èyy.aXoJ^TO.i Aocuvoi, P. G., t. cxxvi, col. 221-229, est relativement modéré, même en ce qui concerne la question du Filioque.

Au fait, les relations continuaient entre Alexis I er et Urbain II ; on ne fut donc pas autrement étonné de voir arriver au concile de Plaisance (mars 1095) une ambassade byzantine, chargée de « solliciter instamment du pape et de tous les fidèles du Christ un secours pour la défense de la sainte Église ». Au dire de Bernold de Constance, Chronicon, an. 1095, Urbain excita beaucoup de gens à faire la promesse par serment de se rendre à Constantinople et de fournir de tout leur pouvoir l’aide la plus fidèle à l’empereur en question contre les païens. Cf. Jaffé, Regesta, p. 677. Cette idée allait prendre corps dans les mois suivants, en se transformant d’ailleurs. Il ne sera plus seulement question de porter secours à Constantinople, de plus en plus menacée par les Turcs, mais d’organiser une vaste expédition militaire dont le but essentiel serait de délivrer le Saint-Sépulcre du joug des infidèles, autrement dit d’expulser l’Islam de la Palestine et des régions adjacentes.

C’est à l’issue du concile de Clermont. qu’Urbain II, le 27 novembre 1095, devant une immense assemblée, divulgua le projet, qui, au cours des mois précédents, s’était précisé dans son esprit et parla avec une émotion communicative des souffrances des chrétiens d’outre-mer et de la captivité où se trouvait le tombeau du Christ. Le but de l’entreprise était nettement 227 7

URBAIN II

2278

désigné. Cette annonce souleva dans l’assistance un vif enthousiasme. Sur l’heure même, imitant le geste de l’évêque du Puy, Adhémar de Monteil, beaucoup des chevaliers présents s’engagèrent par vœu à faire partie de l’expédition et commencèrent à coudre des croix sur leur épaule droite. Le succès de l’appel pontifical devait se développer dans les mois qui suivirent.

Dès le début Urbain entendit bien assurer lui-même la bonne marche de l’entreprise, dont on n’avait pas, dans l’enthousiasme du début, pesé toutes les difficultés. Le 28 novembre, il désignait comme son représentant à la tête de l’armée qu’il s’agissait de former, l’évêque Adhémar de Monteil. Ce serait à l’Assomption de 1096 que l’on s’ébranlerait du Puy dans la direction de Constantinople. Des avantages d’ordre spirituel et temporel étaient accordés à ceux qui prendraient part à l’expédition : le plus considérable était à coup sûr l’indulgence plénière promise aux « pèlerins ».

Nous n’avons pas à suivre ici les péripéties diverses de la première croisade : l’enthousiasme naïf de la croisade populaire, qui devait aboutir à un désastre complet ; les préparatifs fort sérieux de la croisade des barons avec ses quatre armées qui, au cours de 1097, exécutèrent leur jonction sous les murs de Constantinople ; l’accueil plus que froid que reçut dans la capitale cette troupe de libérateurs ; les conflits surgissant aussitôt entre le basileus et les chefs des croisés ; la continuation pénible à travers l’Anatolie. de la marche sur Jérusalem ; les séparations qui, dès l’arrivée en Syrie, amenèrent certains chefs à se tailler immédiatement des souverainetés ; le long arrêt sous les murs d’Antioche (octobre 1097-juin 1098) auquel ne survécut pas longtemps le légat Adhémar de Monteil ; la débandade presque générale qui suivit cette mort ; le remplacement d’Adhémar par Daimbert, archevêque de Pise, qui ne put partir qu’au début de 1099 ; enfin, après tous ces retards, l’arrivée de l’armée chrétienne en vue de Jérusalem et l’assaut victorieux donné presque immédiatement à la ville sainte, 15 juillet 1099. Cet immense succès, Urbain II ne put l’apprendre, puisqu’il mourait quinze jours plus tard, le 29 juillet. Nous n’avons pas à raconter non plus, puisque ces événements débordent le pontificat d’Urbain, l’organisation civile, politique, militaire, religieuse, qui va être instaurée dans les pays de Syrie et de Palestine. Faisons seulement remarquer que, s’il avait escompté la création sur le littoral syrien d’un grand État vassal, le Saint-Siège en fut pour ses espérances. Ce à quoi l’on assista ce fut à la naissance de quatre petites souverainetés, qui ne relevèrent d’aucune puissance supérieure. Si, sa vie durant, le premier chef île Jérusalem, Godefroy de Bouillon, se contenta du titre d’avoué du Saint-Sépulcre, son frère Beaudoin, qui lui succéda, prit ouvertement le titre de roi, et ceci en dépit des efforts du légat Daimbert qui, à la mort de Godefroy, aurait voulu transformer le nouvel Étal en État ecclésiastique.

Plus intéressant serait-il de marquer les conséquences que put avoir l’expédition au point de vue des rapports entre les deux Églises grecque et latine. Il ne faut pas hésiter a reconnaître que ces eonsé quences furent néfastes. Loin de voir dans l’armée îles barons latins un secours contre les Turcs, le basileus. non sans raison peut Être, ne la considéra guère que comme Un ClOUVe ! ennemi. Le passage des croisés à Constantinople amena de part et d’autre des froissements, (les incompréhensions, des méfiances qui devaient être durables. Lue fois que furent organisés par les lalins les États de Syrie et de Palestine, l’antagonisme persévéra entre ceux <i et l’Empire byzan

tin. Cet antagonisme politique, bientôt exacerbé par les ambitions de Bohémond de Tarente, devenu prince d’Antioche, se doubla vite d’un antagonisme religieux. Incapable de concevoir une Église grecque conservant, dans la soumission à Rome, ses rites, son droit, ses usages, les Occidentaux latinisèrent à outrance, substituant, partout où ils le pouvaient, la hiérarchie, les coutumes, le droit de leur Église à ceux de l’Église grecque. En définitive la croisade eut pour résultat d’accentuer le divorce religieux entre les deux moitiés de la chrétienté.

Pourtant le concile rassemblé à Bari, en octobre 1098, où se groupèrent sous la présidence d’L’rbain II, cent quatre-vingt-cinq évêques, tant grecs que latins de l’Italie méridionale, et qui devait régler la situation religieuse des nouveaux États normands, avait montré qu’une entente entre les Églises n’était pas impossible. Les grecs furent amenés à poser plusieurs questions sur la foi, tout spécialement sur le Filioquc. Anselme de Cantorbéry, qui accompagnait Urbain, intervint avec chaleur pour défendre la procession du Saint-Esprit ab utroque et les grecs se rallièrent à sa thèse. Cf. JafTé, Regesta, p. 694. Ce ne fut là, malheureusement, qu’un succès local et partiel, sans conséquences d’ordre général.

IV. La réforme dp ; l’Église. — Toutes les préoccupations politiques que nous venons de dire ne détournèrent jamais Urbain II de la grande pensée de la réforme ecclésiastique. Au lendemain de son couronnement il s’était posé en continuateur de Grégoire VII ; son pontificat verrait, dans ce domaine, des réalisations que le premier protagoniste de cette réforme n’avait pu qu’entrevoir. Toutefois — et le plus récent historien d’Urbain II l’a fait remarquer avec beaucoup de justesse — il faut distinguer comme deux temps dans l’action pontificale. Au début de son règne, Urbain, préoccupé avant tout d’affermir son autorité et de vaincre Henri IV et son antipape, sait ménager les personnalités ecclésiastiques ou laïques que des gestes intransigeants risqueraient de rejeter du côté des sehismatiques. C’est seulement quand le triomphe lui paraît assuré qu’il applique, dans toute son ampleur et toute sa rigidité, le plan de réforme établi par son grand prédécesseur.

Les débuts du pontificat.

Les premiers actes

d’Urbain ne sauraient laisser de doute sur sa volonté de réaliser la réforme. Le concile qui se tint à Melfl en septembre 1089 promulgue à nouveau les [joints les plus importants du programme grégorien : la simonie, le nicolaïsme, l’investiture laïque y sont une fois de plus condamnés ; des mesures précises sont édictées pour l’admission des clercs au sous-diaconat (il ne pourra être conféré avant quinze ans), et la réception de cet ordre interdira le droit à user du mariage contracté antérieurement. Les fils des prêtres seront écartés des fonctions sacrées. Le trafic des biens ecclésiastiques, à plus forte raison celui des choses saintes, est réprimé avec beaucoup de minutie. L’intrusion des laïques dans les nominations ecclésiastiques est interdite. Voir rémunération des divers articles dans Jalïé. Regesta, p. 061.

Et néanmoins il semble qu’à la tension qui avait régné aux dernières années de Grégoire Y 1 1 succède plus de sérénité et île calme. On sait que, sous le pontifical précédent, le collège cardinalice et il s’en était plaint a diverses reprises avait perdu a peu

près toute influence sur la marche des affaires ecclésiastiques. Désonnais une place plus grande lui scia faite dans le gou erneinent de l’Église. Cf. JafTé,

n. 5411, 5449. Les évéques, au temps de Grégoire VII, avaient été un peu trop considérés comme des fonctionnaires pontificaux, dépendant étroitement de la Curie, surveillés de 1res pies, tracassés parfois par 227 ! »

URBAIN II

2280

l’omnipotence des légats permanents du Saint-Siège. Quelques-uns de ces légats avaient laissé d’assez fâcheux souvenirs, en France, par exemple, Amat d’Oloron ou Hugues de Lyon dont l’intransigeance et la rudesse étaient proverbiales, en Espagne, Richard, abbé de Saint-Victor de Marseille. Ces légats permanents perdent leurs pouvoirs, sauf en Allemagne, où Gebhard de Constance continue à représenter le Saint-Siège. On revient au régime des légations temporaires. C’est ainsi que le cardinal Renier de Saint-Clément, le futur Pascal II, sera envoyé de Rome en Espagne et dans le midi de la France pour régler diverses affaires. Kncore cette activité des légats temporaires est-elle beaucoup réduite ; en somme on voit se relâcher la surveillance méticuleuse sur les évêques qui avait rendu si impopulaires les légats permanents.

Sur la question brûlante de l’investiture laïque, Urbain II n’urge pas non plus les sévères interdictions portées par Grégoire VIL Quand il constate la bonne foi de celui qui a passé outre aux prohibitions canoniques, il se montre arrangeant et, par l’exercice du droit de dispense, donne des solutions que n’aurait pas imaginées son prédécesseur. La plus heureuse est celle qui concerna Yves de Chartres, élu régulièrement par le clergé et le peuple, mais qui, pour avoir reçu l’investiture royale, s’était vu refuser la consécration épiscopale par l’archevêque de Sens. Urbain II le sacrera lui-même. Il n’est pas jusqu’à des pratiques, plus ou moins entachées de simonie, sur lesquelles on ferme les yeux. Jusqu’en 1094, on ne relève aucune indication de censures ecclésiastiques contre des princes laïques, qui ont plus ou moins trafiqué des choses saintes, ou mis la main sur des biens d’Église. Enfin la Curie se montre aussi moins intransigeante sur la question des rapports entre orthodoxes d’une part, schismatiques et excommuniés de l’autre. Pas davantage n’insiste-t-on sur la nullité des ordinations conférées par les simoniaques, question difficile s’il en fut et qui avait suscité tant de controverses à l’époque précédente.

Cette attitude prudente, on pourrait dire opportuniste, Urbain la prend très consciemment et, pour la justifier, il fait état d’une doctrine dont les canonistes pontificaux commencent de s’aviser, la doctrine de la dispense. En permettant que sur tel ou tel point particulier ne soit pas appliquée la rigueur des canons, le pape manifeste tout autant la plénitude de son droit qu’en urgeant l’application de la loi. Son droit de lier les consciences a comme contre-partie le droit de délier. La bulle du 18 avril 1089, adressée au légat en Allemagne, Gebhard, est particulièrement instructive à ce point de vue. Jafïé, n. 5393. Elle confirme les sentences portées contre l’antipape Clément III, Henri IV, son protecteur, et ceux qui se mettraient à leur service, mais elle permet de recevoir à la pénitence ceux qui auraient « communiqué » avec ces excommuniés. A. Fliche conjecture que cette théorie de la dispense peut avoir été suggérée à Urbain par Rernold de Constance, qui la formule dans son traité De excommunicatis vitandis, de reconcilialione hipsnrumel de fontibus juris ccciesiastici, dans Libelli de lite, t. ii, p. 112-142. Elle sera reprise par Yves de Chartres.

On se tromperait d’ailleurs si l’on voyait dans cette attitude d’Urbain un abandon des principes qui s’étaient exprimés dans les Dictatus papse. Le nouveau pape est tout aussi pénétré que Grégoire VII du sentiment de ses droits souverains. Il s’attribue par exemple le droit de modifier, si de besoin, les circonscriptions ecclésiastiques ; ainsi agit-il dans l’affaire de Cambrai-Arras en 1092-1094, où il soustrait à la juridiction de Cambrai l’Église d’Arras, en dépit des protestations de l’évêque Manassès et du métropolitain

de Reims qui entendait défendre les droits de Cambrai. Comme L’écrit très justement A. Fliche, « cette affaire est vraiment symbolique… en la circonstance. Le Saint-Siège a usé avec une tenace énergie d’une des prérogatives inscrites dans les Dictatus papa ;, celle de scinder les évêchés et de les réunir à son gré ; l’autorité romaine sur les Églises locales reste intacte. Histoire de l’Église, t. viii, p. 222.

L’apogée du pontificat.

Il est marqué par les

grands conciles de Plaisance (mars 1095) et de Clermont (novembre de la même année). C’est à ce moment surtout que se remarque le retour non plus seulement aux idées mais aux méthodes grégoriennes.

Ce retour avait été préparé dans les années qui précédèrent. Et d’abord par les faveurs accordées à certains groupements monastiques dont le pape voulait faire les auxiliaires de la réforme. Plus que jamais Cluny, où s’est jadis formée la conscience et la mentalité du pape, devient dans la chrétienté occidentale la grande puissance. Cf. Jafîé, Regesta, n. 5372, bulle du 1 er novembre 1088 à l’abbé Hugues, confirmant et amplifiant ses privilèges, lui subordonnant un certain nombre de monastères récemment réformés. L’exemption de la juridiction épiscopale sera accordée à d’autres abbayes, ainsi à Saint-Victor de Marseille, dont les religieux sont « sous la protection et l’immunité romaines et sous la juridiction du seul pontife romain ». Jaffé, n. 5392 (20 février 1089). Cette exemption amène le rattachement direct à Rome d’un nombre croissant de monastères. En même temps que l’on assure ainsi à la Curie des ressources matérielles qui ne sont pas négligeables, on prive les évêques simoniaques de revenus importants. Et c’est déjà travailler pour la cause de la réforme. Mais il y a mieux, on vise à se faire de ces moines des auxiliaires dans l’œuvre même de la rééducation chrétienne, en confiant à certains d’entre eux la cura animarum. Ceci ne se réalisera définitivement que vers la fin du pontificat. En attendant on cherche à étendre le plus possible l’institution déjà ancienne des chanoines réguliers qui reprend vigueur surtout en France. Voir des précisions dans A. Fliche, op. cit., p. 228, note 4.

De même qu’au temps de Grégoire VII, les canonistes, disons mieux les publicistes pontificaux, contribuent par leurs ouvrages à créer l’atmosphère où peut s’épanouir la réforme ecclésiastique. Aussi bien était-il indispensable d’opposer des répliques à toute une littérature favorable au schisme de Guibert. Au temps du pape Victor III s’était répandu le Liber ad Heinricum du trop fameux Benzon d’Albe, œuvre truculente, moitié vers, moitié prose, où l’auteur attribuait à l’empereur la plénitude du pouvoir judiciaire et législatif sur tous, clercs ou laïques, et voyait dans le souverain la source même des prérogatives pontificales. Une critique véhémente de Grégoire Vif servait de fond à ces théories aventurées. Édition dans Mon. Germ. hist., Scriptores, t. xi, p. 591-681. C’était aussi une soi-disant histoire du grand pape, qu’avait prétendu écrire le cardinal Benon, déserteur du camp grégorien en 1084 dans ses Gesta Romanæ Ecclesiæ contra Hildebrandum ; en réalité, c’était une accusation fort partiale des actes de Grégoire. Texte dans Libelli de lite, t. ii, p. 369-373. Sous une forme qui visait davantage à l’objectivité, Guy de Ferrare, dans son De scismate Hildebrandi, avait étudié l’élection d’FIildebrand, dont il enseignait la nullité ; il prenait parti pour Clément III, en même temps qu’il proposait, pour résoudre la question de l’investiture, un compromis entre les deux doctrines extrêmes. Texte dans Libelli de lite, t. i, p. 529-507.

A cette littérature de combat les partisans de la monarchie pontificale s’efforçaient d’en opposer une autre. Aux dernières années de Grégoire VII avaient 2281

URBAIN 11’2 2 8 2

paru et la lettre de Gebhard de Salzbourg à Hermann de Metz (dans Libelli de lite, t. i, p. 263-279), et le Liber canonum contra Heinricum quarliim (ibid., p. 471-516) d’un anonyme qui pourrait être Altmann de Passau ou Bernard de Constance. Plus important encore était le Liber ad Gebehardum de iManegold de Lautenbach, voir ici t. ix, col. 1825. Bernold de Constance faisait paraître, pou après la mort de Grégoire VII, ses Apologeticæ rationes contra scismaticorum objectiones (dans Libelli de lite, t. ii, p. 94-101). suivies bientôt d’autres opuscules de même inspiration. Voir Bernold, t. ii, col. 792. Tous ces travaux demeuraient dans la sphère relativement sereine de la discussion des idées ; il n’en était plus tout à fait de même d’œuvres comme le Liber contra Guibertum d’Anselme de Lucques (ibid., t. i, p. 517-528) et surtout comme le Liber ad amicnm de Bonizon de Sutri (ibid., t. i, p. 568-620). Cette littérature dont l’importance est considérable pour l’histoire des idées grégoriennes se continue aux premières années d’Urbain II. Bonizon de Sutri, un peu dépité par l’apparent libéralisme d’Urbain, critique, dans son Liber de vita christiana (éd. Perels, Berlin, 1930), les tendances trop modérées du nouveau pape, soutient la nullité des ordinations conférées par les excommuniés, les schismatiques et les simoniaques, tout en proscrivant les réordinations. Note analogue dans le cardinal Deusdedit, Liber contra iiwasores et simoniacos et reliquos schismaticos (dans Libelli de lite, t. ii, p. 292-365) : il faut en finir, disait en somme le cardinal, avec les dispenses et revenir à l’application des règles qui privent de l’exercice du sacerdoce simoniaques et schismatiques et ceux qui ont reçu d’eux leurs pouvoirs ; en même temps le procès était fait de l’investiture laïque. La thèse de l’invalidité des ordinations conférées par les simoniaques ou les schismatiques qui prévalait dans cet ouvrage du savant canoniste était au contraire battue en brèche par le moine Bernold de Constance, qui, à la demande de son évêque Gebhard, écrit en 1094, son traité De reordinatione vitanda et de sainte parvulorum qui ab excommunicalis baptizati suni. Ibid., t. ii, p. 150-156. Sur les diverses doctrines en présence voir l’art. Réordinations, t. xiii, col. 2416 sq. D’inspiration moins restreinte étaient les traités canoniques d’Yves de Chartres, rédigés sans doute à l’instigation même d’Urbain II, avec qui l’évêque fut en rapports personnels. Voir son article ci-dessous. À la vérité ces œuvres diverses témoignent aussi de la diversité des conceptions que la fréquentation des textes du passé avait suggérées aux canonistes. Sur une des questions brûlantes du moment : la validité des ordinations irrégulières, la divergence était flagrante. Presque aussi contesté étail le caractère délictueux de l’investiture laïque. Alors que les grégoriens de stricte observance continuaient sur ce point l’intransigeance absolue de Grégoire VII, Yves de Chartres commençait à per ((voir quc des distinctions s’imposaient. La doctrine le la dispense, enfin, avait besoin d’être approfondie et assouplie.

Dans l’ensemble néanmoins cette littérature témoignait que l’idée de la réforme prenait corps et que, passée la période d’hésitation du début du pontificat, il fal lait se remettre a la grande (euvro entreprise par

(jrégoirc VII. Quelques faits qui se passent au lende main de la victoire d’Urbain II montrent bien le désir du pape de revenir aux méthodes mêmes (huit s’était Inspiré son grand prédécesseur. Le plus caractéristique est la rentrée en scène d’Hugues de Lyon, qui reprend en France ses fonctions de légal permanent du Saint Siège. Cf..lafîé, n. 5523, 10 mai 1094. In peu auparavant Amat d’Oléron avait recouvré lui aussi ses pouvoirs. Cf..lafîé. n. 5492, 17 octobre 1(193.

DICT. m i m OL CATBOL.

En Espagne, l’archevêque de Tolède, Bernard, ajoute à son titre celui de legatus Hornanæ Ecclesiæ. Nous avons vu par contre, que la tentative d’établir en Sicile une légation permanente échoua devant la résistance du comte Roger. Un des fruits de l’activité des légats en question se marque dans la tenue plus fréquente des conciles provinciaux. Parmi ceux qui furent ainsi rassemblés il faut signaler celui qui, à l’instigation d’Hugues de Lyon, se tint à Autun à la mioctobre 1094 et où étaient présents trente-deux évêques. On n’y pourchassa pas seulement les simoniaques et les nicolaïtes. À la demande du légat, l’excommunication fut portée contre l’antipape Guibert et Henri IV, également contre le roi de France, à cause de sa conduite adultère. Cette dernière sentence montrerait aux souverains temporels que le temps de l’indulgence pontificale était révolu. Le ton même des bulles adressées dès ce moment à divers personnages haut placés se fait plus ferme. Voir des exemples dans A. Fliche, op. cit., p. 262 sq.

Tout ceci préparait la tenue du grand concile qu’Urbain II convoque à Plaisance pour le début de mars 1095 et où sont invités tous les évêques d’Occident. C’est, avant tout, dans la pensée du pape, un concile réformateur et l’affluence y fut considérable ; il y aurait eu près de quatre mille clercs et près de quarante mille laïques. Toujours est-il que l’on fut obligé, à cause du grand nombre des participants, de tenir les séances en plein air. S’il s’agissait d’en finir avec le schisme impérial — il n’y fut pas porté cependant de nouvelles excommunications contre l’empereur et son antipape — bien plus encore voulait-on prendre des décisions définitives au sujet des problèmes qu’avait posés cette crise. Celui de la validité des ordinations conférées par les simoniaques et les excommuniés était le plus brûlant. Voir ci-dessus, col. 2281, et cf. art. Béorpinations, t. xiii, col. 24182420. On a dit à ce dernier article combien il est difficile de donner une interprétation correcte des décrets assez ambigus qui nous restent du concile. À les prendre proul son<ml les canons 2, 3 et 4 règlent ainsi la question des ordinations simoniaques. Les fonctions ecclésiastiques acquises à prix d’argent sont nulles (irrita) ; les ordinations faites gratuitement par un évêque simoniaque d’une personne qui ignore cette circonstance sont valides ; elles sont invalides si l’ordinand connaissait que son consécrateur était simoniaque. Pour ce qui est des ordinations faites par des évêques schismatiques, voici ce que règlent les canons 8, 9 et 10. Les ordinations faites par Guibert, depuis sa condamnation par le. pape Grégoire, et celles qui ont été conférées par des évêques consacrés par lui sont sans valeur ; le sont de même les ordinations faites par un évêque excommunié ou intrus, si la situation du consécrateur était connue du sujet ; quant à ceux qui ont été ordonnés par des évêques eux-mêmes ordonnés catholiquetnent, mais (plus tard) séparés de l’Église romaine et devenus schismatiques, ils seront, s’ils reviennent à l’unité, reçus avec miséricorde, on leur conservera leurs ordres, si toutefois leur vie les recommande. Nous ne reviendrons pas ici sur la discussion relative au sens du mot irrilus ou de l’expression titillas unquam pires obtinere censemus. faisons seulement remarquer que, en dehors de tonte discussion théologique, les personnes visées ne pourront jamais être admises, dans l’Église Catholique, à l’exercice des ordres soi-disant reçus. Kn d’autres ternies il n’était plus question de faire jouer a leur endroit cette théorie de la dispense dont l rliain s’elail avisé antérieurement. L’altitude intransigeante des canonistes italiens, tels que Boni/on et Deusdedit. l’emportait sur les conceptions, théologiquement plus exactes, de Bernold de Constance, Du moins met I. ii !

I.

72. 2 2 S 3

URBAIN II

2284

on fin à d’interminables et irritantes polémiques sur les

ordinations.

Par ailleurs la législation grégorienne sur la simonie i-t le nieolaïsme était à nouveau proclamée, quelques précisions étant apportées sur des points de détail. Ceux cpii, étant enfants, auraient reçu une église achetée par leurs parents pourront la conserver, s’ils s’engagent à vivre conformément aux règles canoniques (cari. 5). Ceux au contraire qui, à un âge plus avancé, auraient acquis une église à prix d’argent, devront l’abandonner ; on leur permettra néanmoins de servir dans une autre église avec le grade obtenu, ou, si cette mutation était impossible, dans un grade inférieur, et qu’ils ne pourraient désormais dépasser (can. 6). Ceux enfin qui, avant une acquisition simonique, auraient été régulièrement ordonnés, pourraient conserver leur rang, à condition de rendre ce qu’ils auraient reçu à prix d’argent, à moins qu’il ne s’agisse d’une haute dignité, laquelle ne saurait être conservée en aucun cas (can. 4).

D’autres mesures furent prises concernant la discipline générale et l’administration des sacrements : les jeûnes des Quatre-Temps étaient fixés à la première semaine du carême, à celle de la Pentecôte, à la troisième semaine de septembre et de décembre ; on n’admettrait pas à la pénitence, ceux qui ne voudraient pas renvoyer leurs concubines, renoncer à la haine ou à tout autre péché mortel ; aucun prêtre ne pourrait recevoir à la pénitence que par commission de son évêque ; à ceux qui se seraient dûment confessés on ne refuserait pas l’eucharistie. Le texte des canons dans Mansi, Concilia, t. xx, col. 804 sq.

Le voyage qu’Urbain II entreprit en France au lendemain du concile de Plaisance et qui devait avoir son point culminant au concile de Clermont (novembre 1095) est inspiré par le désir de presser l’application en ce royaume de la législation renforcée dans l’assemblée italienne. Sans compter un certain nombre de questions administratives qui attendaient une solution définitive, et de surcroît la situation du roi de France. Enfin l’affaire de la croisade, amorcée déjà à Plaisance, préoccupait également la Curie. Nous avons dit ci-dessus, col. 2272 et col. 2275 sq., les solutions qui furent données respectivement à ces deux derniers problèmes. Pour ce qui est des différends entre évoques, ils furent arbitrés au concile : en particulier, malgré une vive opposition du titulaire de Sens, la primatie lyonnaise fut reconnue sur les métropoles de Sens, Rouen et Tours qui faisaient autrefois partie de la province lyonnaise. Cf. JafTé, n. 5600. En même temps s’affirme la politique inaugurée par Urbain II et qui multiplie les exemptions monastiques. Mais surtout l’assemblée accepte et promulgue, autant que de besoin, les canons qui appliquent la réforme grégorienne et répriment le nieolaïsme, la simonie et les abus liés à l’investiture laïque. Texte des canons dans Mansi, Concilia, t. xx, col. 816-819. Rien que nous ne connaissions déjà dans. cette législation. Mais il convient de rappeler quelques mesures destinées à améliorer le recrutement du clergé : nul ne pourra devenir doyen ou archiprêtre, s’il n’est déjà prêtre, ni archidiacre s’il n’est déjà diacre (can. 3) ; on ne peut élire comme évêque ni un laïque, ni un clerc dans les ordres inférieurs y compris le sous-diaconat (can. 5) ; les bâtards ne seront point admis aux ordres et dignités de I l’Église, à moins qu’ils ne soient déjà moines ou cha- | noines (can. 1 1). Non moins important le canon 17 qui | défend aux évêques et aux clercs de prêter le serment l féodal au roi ou à un seigneur à la réception de quelque dignité ecclésiastique. Comme ou le voit, Urbain dépasse ici en intransigeance Grégoire VII lui-même, lequel interdisait seulement l’investiture d’une dignité ecclésiastique par un laïque. Il faudra quelque temps

pour amenuiser ce que cette disposition présentait de vraiment excessif : c’est autour de - cette question du serment féodal que se développera en France — et aussi en Angleterre — la question des investitures. D’autres canons du même ordre tendent à mettre les biens ecclésiastiques hors des prises des laïques ; ceux-ci ne doivent ni retenir les dîmes, ni en prélever pour eux-mêmes (can. 19) ; ils ne peuvent garder pour eux les revenus des églises ou des autels (can. 20). Dans un ordre d’idées analogue, le canon 1, qui rend obligatoire la trêve de Dieu, protégera le personnel ecclésiastique contre les violences. Les moines, clercs et les femmes, ainsi que leur suite, jouissent quotidiennement du bienfait de la paix de Dieu ; la rupture de cette paix n’est autorisée pour les autres personnes, si elles sont attaquées, que du lundi au jeudi. C’était l’extension à toute la chrétienté des institutions de paix, qui, depuis le début du xie siècle, s’efforçaient de restreindre, dans la mesure du possible, les guerres seigneuriales.

Telles sont, en gros, les décisions prises à Clermont ; elles donnent une idée très exacte de l’idéal réformiste qui s’impose à la pensée d’Urbain. Au cours du long voyage en France qui suit le concile et qui amène le pape en passant par Privas, à Brive, Saint-Flour, Aurillac, Uzerches, Limoges (Noël 1098), Poitiers, Angers, Le Mans, Vendôme, Tours, Saint-Jean-d’Angély, Saintes, Bordeaux, Toulouse, Carcassonne jusqu’à Nîmes, la grande affaire, en dehors de celle de la croisade, est d’amener le clergé à l’observation des décrets portés à Clermont. Les divers monastères où il passe, Glanfeuil par exemple, ou Marmoutiers, Saint-Maixent et bien d’autres sont rattachés plus directement par l’exemption à la juridiction immédiate du Saint-Siège. Les liens qui les unissent à Cluny sont également renforcés. A Nîmes, du 8 au 12 juillet 1096, se tient encore un grand concile qui, tout au moins pour l’importance des décisions prises, ne le cède guère à celui de Clermont. Texte dans Mansi, Concilia, t. xx, col. 933. Une fois de plus la primatie des Gaules fut renouvelée à l’archevêque de Lyon. Plus importantes furent les mesures destinées à confier aux moines la cura animarum. Cf. ci-dessus, col. 2280. Le canon 2 déclare qu’il est licite aux moines de s’acquitter des fonctions pastorales, auxquelles ils sont plus aptes, dit le canon 3, que les clercs vivant dans le monde. Ce qui devait, au reste, amener des protestations.

Aux derniers jours de juillet, Urbain se mettait en route pour l’Italie ; par Saint-Gilles, Avignon, Apt, Forcalquier, il rejoignait la Lombardie ; il était de retour à Rome pour Noël. Ce long voyage outre monts avait beaucoup contribué à resserrer les liens entre le Saint-Siège et la France : à bien des reprises, au cours du siècle suivant, les papes seront amenés à chercher refuge dans ce royaume. Il contribua davantage encore à y faire refleurir la discipline ecclésiastique et à rallier de plus en plus ce pays à la cause de la réforme grégorienne.

Les grands conciles que nous venons d’énumérer : Plaisance, Clermont, Nîmes, n’épuisent pas l’action réformatrice entreprise et menée à bien par Urbain II. Nous avons signalé, col. 2278, le concile tenu à Bari en octobre 1098, qui rassembla cent quatre-vingt-cinq évêques, de rit latin et de rit grec, et jeta les bases de la nouvelle organisation ecclésiastique dans les possessions normandes de l’Italie méridionale. Le dernier synode qu’ait tenu Urbain II est celui qui eut lieu à Saint-Pierre de Rome dans la troisième semaine après Pâques 1099. On y confirma les décrets de Melfi (1089) et de Plaisance (1095) ; dans son ardeur à lutter contre tout ce qui pouvait ressembler à de la simonie, le pape interdit encore aux prélats consécraleurs de demander ou même de recevoir les dons en

nature, et tout spécialement les ornements d’Église, que les évoques ou les abbés avaient coutume d’offrir à l’occasion de leur sacre ou de leur bénédiction. Jaffé, Regesta, post. n. 5787. Semblablement une des dernières bulles pontificales est celle par laquelle Urbain confirme les règlements, les biens et les privilèges des chanoines réguliers de Rodez. Jaffé, n. 5805. La lutte contre les abus dont souffrait l’Église, le soutien cherché dans cette lutte auprès des religieux, moines ou séculiers, ce furent en effet les deux grandes idées du pontificat, avec celle de la croisade d’Orient qui fut encore traitée au dernier concile romain.

Urbain n’est pas arrivé sans lutte à faire triompher ces idées. Dans la notice assez longue que lui consacre le Liber pontificalis de Pierre-Guillaume, l’auteur, sortant, par extraordinaire, de son style impersonnel, écrit de lui : « Cet illustre pontife, qui, en son temps, mena une vie sainte, gouverna bien l’Église romaine, opposa ses doctrines aux dogmes des hérétiques et de ce chef essuya bien des persécutions ; à la fin cependant il délivra suffisamment cette Église de Rome. Confesseur du Christ, bon soldat du Christ, il rendit son âme à Dieu le 20 juillet, dans la demeure de Pierleoni, auprès de Saint-Nicolas in carcere. » Il faut donc croire que le palais du I.atran ne présentait pas encore toute garantie, qu’il restait encore à Rome des adversaires. Aussi bien le biographe ajoute ces derniers mots : « C’est par le Transtévère, à cause des embûches possibles de ses ennemis, que son corps fut conduit à Saint-Pierre où il fut enterré honorablement. » Duchesne, t. ii, p. 204. En d’autres termes si Urbain avait mené toute sa vie le bon combat, il n’avait pas remporté encore une victoire absolument définitive.

I. Sources.

Il y a une Vie d’Urbain II par Pierre de Pise, que l’on trouvera dans Duchesne, Liber pontificalis, t. ii, p. 293 sq. ou dans Watterich, Pontificum liomanorwn vilæ, 1. 1, p. 571-574 et p. 744-746 ; en ce dernier ouvrage on lira, p..">7 1-G20, les extraits des annales contemporaines, les divers textes relatifs au concile de Clermont, p. 598-603, où est rapporté le discours d’Urbain relatif à la délivrance de la Terre-Sainte. Les diverses lettres d’Urbain dans.Jafïé, lier/esta pontificum Homanorum, t. i.

II. Travaux.

Ils sont relativement nombreux ; parmi les anciens il faut encore tenir compte de la Vie rédigée par Ruinait, reproduite dans P. L., t. ci.i, col. 9-266, et de la notice de l’Histoire littéraire de la France, t. viii, p. 514 : > : < : ’, ; le meilleur résumé des travaux modernes est donné, avec renvoi aux sources principales et aux travaux dignes d’être retenus, dans A. Fliche.t. viii de l’Histoire de l’Église publiée par A. Fliche et V. Martin, Paris, 1941, p. 177 sq.

É. A.MANN.