Dictionnaire de théologie catholique/UNITARIENS I. Historique des deux Églises

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 316-318).

UNITARIENS. (On dit également Unitaires). Au sens large, ce mot désigne tous les partisans des erreurs antitrinitaires. Il s’appliquerait donc aux subordinatiens d’une part, notamment aux ariens et semi-ariens, et aux sabelliens ou monarchiens d’autre

part. En un sens plus restreint, on a appelé unitariens

ou unitaires les antitrinitaires postérieurs à la révolution protestante, l h Michel Servet (voir son article), et même un Bernardino Ochino, bien qu’avec des formes plus réticentes, ont pu, avec bien d’autres personnages moins connus, être appelés unitariens.

Avec plus de raison encore, 'ce terme a été employé à propos des sociniens. Voir Socinianisme. On lit dans les Lettres philosophiques de Voltaire des phrases comme les suivantes : « Il y a en Angleterre une petite secte composée d’ecclésiastiques et de quelques

séculiers très savants qui ne prennent ni le nom d’ariens ni celui de sociniens, mais qui ne sont point du tout de l’avis de saint Athanase sur le chapitre de la Trinité et qui vous disent nettement que le Père est plus grand que le Fils. » — « Le parti d’Arius commence à revivre en Angleterre aussi bien qu’en Hollande et en Pologne. Le grand Newton faisait à cette opinion l’honneur de la favoriser. Ce philosophe pensait que les unitaires (c’est nous qui soulignons) raisonnaient plus géométriquement que nous. Mais le plus ferme patron de la doctrine arienne est l’illustre docteur Clarke. Cet homme est d’une vertu rigide et d’un caractère doux, plus amateur de ses opinions que passionné pour faire des prosélytes, uniquement occupé de calculs et de démonstrations, aveugle et sourd pour tout le reste, une vraie machine à raisonnements. Il s’est contenté de faire imprimer un livre qui contient tous les témoignages des premiers siècles pour et contre les unitaires, et a laissé au lecteur le soin de compter les voix et de juger. » Lettres philosophiques, lettre vu.

Auprès de Newton et Clarke, on peut citer encore, parmi les unitariens anglais de leur temps, le célèbre poète Milton et le non moins illustre philosophe John Locke. Milton, l’auteur du Paradis perdu, avait rédigé aussi un Traité de la doctrine chrétienne, qu’il ne publia jamais, mais où il se montrait nettement hostile à la divinité de Jésus-Christ et à celle du Saint-Esprit. Locke n’a également développé des idées unitariennes que dans un manuscrit posthume intitulé Adversaria theologica, ainsi que dans des lettres privées. Mais, si l’on peut signaler ainsi des penseurs isolés, en dehors des sociniens proprement dits, il n’existait pas encore de groupes religieux arborant le nom d’unitariens, en Angleterre. Les lois anglaises étaient très sévères contre l’hérésie antitrinitaire. Un certain John Biddle, que l’on regarde communément comme le principal précurseur de l’unitarianisme proprement dit, en fit la rude expérience. Il était né, en 1615, au comté de Glocester et il avait conquis à Oxford le titre de maître-ès-arts. Il affirmait que la simple lecture de la Bible, avant tout contact avec les ouvrages sociniens, lui avait donné des doutes sur le dogme de la Trinité. Il fut dénoncé, traduit devant la Commission ecclésiastique de Westminster, condamné à la prison. À peine en fut-il sorti qu’il publiait, coup sur coup, en 1647, deux ouvrages d’inspiration unitarienne : Lettre à sir Henry Vane, et Douze arguments tirés de l’Écriture contre la divinité du Saint-Esprit. Poursuivi de nouveau, il passa le reste de sa vie dans les cachots et il mourut à la prison de Londres, en 1662. Rien n’avait pu le faire changer d’opinion et il trouva moyen de publier divers ouvrages où il maintenait son point de vue : Confession de foi concernant la Trinité selon la Sainte Écriture ; Témoignages d’Irénée, de Justin martyr, etc., relatifs au Dieu unique et aux trois personnes. Après sa mort, son ami Firmin, riche négociant de la Cité, réunit ses œuvres et les fit imprimer ensemble. Ce recueil est connu sous le titre de Old Unitarian Tracts, Anciens traités unitariens. Il semble bien qu’il y ait eu dès lors une petite Église unitarienne.

Au sens strict cependant, on réserve le nom d’unitariens aux adhérents des Églises unitariennes fondées séparément, au xviiie siècle, à la fois en Angleterre et en Amérique. C’est de celles-là seules que nous allons parler. I. Historique des deux Églises. II. Doctrines unitariennes (col. 2166).

I. Historique des deux Églises unitariennes.

— 1° L’Église unitarienne d’Angleterre. — Le créateur de l’Église unitarienne anglaise fut Théophile Lindsey. Né le 20 juin 1723, à Middlewich, au comté de Chester, ce personnage fit ses études à Cambridge

et fut attaché, comme précepteur, à la famille des ducs de Somerset. Il renonça aux avantages que pouvaient lui procurer ses hautes relations, parce qu’il nourrissait des doutes sur les trente-neuf articles. En 1762, il fut du nombre des ecclésiastiques anglicans qui signèrent une pétition aux Communes contre l’obligation de souscrire à cette confession de foi officielle. Il professait, dès cette époque, l’unitarisme strict, en ce sens qu’il n’admettait pas que le dogme de la Trinité fût compatible avec le dogme primordial de l’unité de Dieu. Il donna donc sa démission de ministre anglican lorsque le Parlement eut rejeté la pétition susdite. C’était en 1773. Il chercha à créer une communauté indépendante. À partir de 1774, il commença à réunir une congrégation d’unitariens, dans une chapelle provisoire. En 1778, il put fonder l’église unitarienne d’Essen-Street. La liturgie qu’il y pratiquait était celle de Clarke. Après vingt ans de ministère, en 1793, il prit sa retraite et fut remplacé par son beau-frère, Desney. Il ne devait mourir qu’en 1808, laissant divers écrits dont les plus notables sont un Essai historique sur l’état de la doctrine et du culte des unitariens, 1783, et surtout ses Conversations sur l’Idolâtrie chrétienne (Conversations upon Christian Idololatrꝟ. 1790). Dans ce dernier ouvrage, il traite la foi à la sainte Trinité « d’idolâtrique ». Il essaya d’ordonner ses idées en une sorte de système dans un ouvrage postérieur intitulé : Conversations sur le Gouvernement divin (Conversations on the divine Government, 1802).

Dans le même temps que Lindsey organisait son Église à Londres, un personnage, qui est surtout connu comme chimiste de grande valeur, Joseph Priestley était arrivé aux mêmes conclusions que lui et fondait, lui aussi, une congrégation unitarienne, ce qui prouve que la chose était dans l’air. Priestley était né à Leeds, en 1733. De bonne heure, tout en faisant des études théologiques, il s’adonna aux recherches de physique et de chimie. Il fut d’abord très attaché aux doctrines calvinistes, puis il devint arminien, enfin arien. Il n’en combattait pas moins avec vigueur l’incrédulité et le scepticisme qui se répandaient, à la suite de Hume, dans la société anglaise. De 1768 à 1780, il dirigea une communauté unitarienne, à Leeds. Il passa de là à Birmingham (1780-1791). A la nouvelle qu’une révolution avait éclaté en France, Priestley témoigna si hautement ses sentiments de sympathie qu’il se vit en butte aux critiques et aux persécutions de ses concitoyens. Le 14 juillet 1791, une sorte d’émeute se déchaîna contre lui, sa maison fut envahie, ses livres et ses instruments de laboratoire furent livrés aux flammes. Il en conçut un tel chagrin qu’il résolut de quitter l’Angleterre. Une consolation lui fut apportée quand il fut nommé citoyen français et même membre de la Convention. Mais il dut déchanter quand se déroulèrent les luttes sanglantes de cette Assemblée. Mal vu dans son pays, découragé du côté de la Révolution, il prit le parti de se réfugier en Amérique, en 1794. Il s’établit avec sa famille dans une petite ferme isolée, non loin de Philadelphie, où il termina paisiblement sa vie, en 1804. Il s’était mis en rapport avec l’Église unitarienne d’Amérique et travailla jusqu’à la fin de ses jours, à la propagation des doctrines de son choix. Priestley avait beaucoup écrit. Ses œuvres ne remplissent pas moins de 70 volumes. Il a réfuté Volney et Dupuis, aussi bien que Swedenborg, Thomas Payne et Gibbon. Il a surtout critiqué, contre l’anglicanisme, les dogmes de la Trinité et de la rédemption. Notons parmi ses ouvrages principaux : La doctrine scripturaire de la rédemption (The Scripture doctrine of remission), 1761 ; L’histoire des corruptions du christianisme (History of the corruption of christianity), Jlili

2 vol., 1782 ; L’histoire des opinions primitives concernant Jésus-Christ (History of early opinions concerning Jesus-Christ), 2 vol., 1786. Il dédia à Jefferson, son protecteur en Amérique, son Histoire générale de l’Église chrétienne, de la chute de l’Empire d’Occident jusqu’à nos jours ( General history of the Christian Church, from the fall of the western Empire

10 the présent time), 4 vol., 1792-1803.

Ne quittons pas l’Angleterre sans signaler qu’un riche négociant nommé William Christie fonda, en 1781, une congrégation unitarienne, en Ecosse. Les lois contre l’hérésie antitrinitaire furent abolies en Angleterre, en 1813. Depuis ce temps les unitariens anglais gagnèrent du terrain. Ils fondèrent en 1822 l’Association unitarienne britannique et étrangère, mais ils n’atteignirent jamais une véritable importance numérique. Quelques-uns de leurs écrivains n’en exercèrent pas moins une influence appréciable sur l’opinion anglaise. Le plus connu d’entre eux est James Martineau, frère d’une femme de lettres illustre, miss Harriet Martineau. Né à Norwich, en 1808, et mort à Londres, en 1900, James Martineau consacra presque toute sa longue existence à la propagation de l’unitarianisme à Liverpool, à Dublin, à Londres.

Il dirigea, durant dix-sept ans (1868-1885) le grandcollège des unitariens, à Manchester. Il a contribué pour une très large part à donner à l’unitarianisme anglais sa physionomie actuelle.

L’Église unitarienne d’Amérique.

Quand le chimiste Priestley arriva en Amérique, en 1794, il y trouva des groupes déjà établis d’unitariens. Ces groupes toutefois n’étaient pas encore désignés sous ce nom. On les appelait simplement les « chrétiens libéraux », Libéral Christians. Voici en quelles circonstances curieuses ils avaient pris naissance. Les États d’Amérique britannique, ou comme l’on disait alors « de la Nouvelle-Angleterre », ne comprenaient pas seulement des puritains ou dissidents de l’Église épiscopalienne anglicane, mais aussi des membres de cette Église. Toutefois, il n’y avait encore jamais eu d’évêque anglican dans ces régions. Quand les colonies britanniques confédérées eurent conquis leur indépendance, à la suite de la guerre de 1775 à 1783, les épiscopaliens américains voulurent avoir leurs évoques. Ils envoyèrent donc en Angleterre des candidats à l’épiscopat, pour s’y faire ordonner. Les deux premiers consacrés furent le docteur Seabury et le docteur Provoost. Dans l’intervalle, justement parce que le contrôle épiscopal faisait défaut, il s’était produit à Boston, à la Chapelle royale, la plus ancienne église d’Amérique, une controverse concernant le symbole de la foi. Le recteur de cette église était retourné en Angleterre avec les familles tories de la ville. Les laïques prirent la direction du service religieux. Mais celui qui fut chargé de remplacer le pasteur déclara qu’il avait des scrupules au sujet des mentions de la Sainte-Trinité dans le Frayer-Book. La congrégation lui concéda donc la suppression de toutes ces mentions, en 1785. Et ce fut ainsi que « la première Église épiscopalienne de la Nouvelle-Angleterre devint la première Église unitarienne d’Angleterre ». Cela n’empêcha pas du reste le pasteur improvisé de demander à l’évêque Seabury l’ordination pastorale. Naturellement, sa demande fut repoussée. Pareil refus lui fut opposé par l’évêque Provoost. La congrégation locale lui conféra donc le titre définitif de pasteur sans ordination. Ce fut ainsi que les unitariens prirent une existence distincte.

Au nombre des premiers pasteurs de cette nouvelle Église, l’un des plus remarquables fut le révérend William Lmerson, le père du célèbre écrivain Ralph-Waldo Emerson. La secte unitarienne ne réussit pas à mordre profondément sur les milieux épiscopaliens, mais elle se répandit promptement parmi les congrégationalistes. Au bout de peu de temps on ne comptait pas moins de 126 églises qui rejetaient la doctrine trinitaire. L’université Harvard, fondée en 1638, la première université d’Amérique, fut conquise en majeure partie par les unitariens, vers 1805. Les progrès de la secte ne dépassèrent guère toutefois Boston et le Massachussets, où elle était née. Les personnages les plus remarquables de cette Église furent William Ellery Channing (1780-1842) qui exerça soit par ses sermons, soit par ses écrits une influence énorme, non seulement au sein de l’unitarianisme, mais dans les milieux les plus étendus, Théodore Parker (1810-1860) qui lui succéda comme prédicateur de grand renom et comme publiciste de talent reconnu dans toute l’Amérique, enfin Ralph-Waldo Emerson, dont la célébrité fut encore beaucoup plus vaste et dont le nom se situe auprès de ceux de Carlyle, Ruskin, Nietszche, mais qui fut beaucoup plus un poète et un essayste qu’un théologien. Emerson (1803-1882) avait été, comme son père, pasteur d’une église unitarienne de Boston, de 1829 à 1832, mais il se sépara de sa congrégation, à cette dernière date, parce qu’il n’admettait pas que l’on continuât de célébrer la Cène dans une Église où la divinité de Jésus-Christ n’était plus admise. Il n’en resta pas moins unitarien dans l’âme et ce fut au nom de ses convictions unitariennes qu’il poursuivit jusqu’à sa mort une sorte d’apostolat purement laïque et individualiste. Nous le regarderons donc ci-après comme vraiment représentatif de la pensée unitarienne au xixe siècle.

En 1925, on comptait, aux États-Unis, 440 églises unitariennes, avec 476 ministres et 58 024 communiants. Mais il y avait sûrement un bien plus grand nombre de sympathisants. En Angleterre, l’expansion unitarienne fut toujours moins grande qu’en Amérique.