Dictionnaire de théologie catholique/TRINITÉ, LA THÉOLOGIE LATINE. II. La grande scolastique et les controverses aboutissant au concile de Florence

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 100-118).

II. L’apogée de la scolastique et les controverses aboutissant au concile de Florence.

I. L’ENSEIGNEMENT SPÉCULATIF.

Coup d’œil général sur le XIIIe siècle.

Pierre Lombard est un disciple fidèle de saint Augustin. Ses Sentences sur Dieu et la Trinité reflètent toujours (sauf en ce qui concerne la charité identifiée avec l’habitation du Saint-Esprit dans l’âme) la doctrine et souvent la terminologie augustiniennes. Les théologiens s’efforcent de l’imiter, presque toujours en le commençant. Il suffit de citer les dominicains Roland de Crémone, Hugues de Saint-Cher, Jacques de Mandres, Pierre de Tarantaise, Hugues de Strasbourg (dans son Compendium veritalis theologicae : cf. A. Stohr. Die Trinitätslehre Ulrichs von Strassburg, Munster, 1921) et les anglais Richard de Fishacre et surtout Robert de Kilwardby († 1278). Leurs commentaires sur les Sentences s’en tiennent ordinairement à la formule primitive où l’étude du texte l’emporte sur la quæstio. Voir Sentence t. xiv, col. 1874. Dès l’origine se révèle chez les franciscains, un maître, Alexandre de Halès, qui, jusque dans le titre de son ouvrage, Summa theologica, affirme sa personnalité. Il sera le précurseur d’un autre maître, saint Bonaventure en attendant que, dans le même ordre religieux, se manifeste Duns Scot.

Du côté des dominicains, deux noms s’imposent : Albert le Grand et Thomas d’Aquin. Dans le clergé séculier, plusieurs noms sont à retenir : des évêques illustrèrent la science théologique en même temps que le gouvernement de l’Église, Guillaume d’Auxerre, Guillaume d’Auvergne, Robert Grossetête, etc. Au fur et à mesure de notre exposé, d’autres noms s’ajouteront à cette première liste mais en se groupant tous autour des « chefs de file ». Sur l’orientation générale de la théologie triuitaire au xiiie siècle, voir A. Stohr, Die Hauptrichiungen der Théologie des mu. Jahrhunderls, dans Tubinger theol.Quartalschrift, 1925, p. 113-135.

En ce qui concerne le dogme trinitaire, il faut, hors cadre, mettre en relief Robert Grossetête, évêque de Lincoln, et Guillaume d’Auvergne, évêque de Paris.

1. Guillaume d’Auvergne († 1249). —

Sans écrire à proprement parler sur les Sentences, Guillaume a laissé vingt-deux traités théologiques, dans lesquels on peut voir les éléments d’une vaste encyclopédie théologique, laquelle, tout en demeurant fidèle au plan qui a dicté l’œuvre du Lombard, prélude déjà à ia magistrale conception de saint Thomas d’Aquin.

Le traité De Trinitate, notionibus et prædicamentis est placé au début du t. h de l’édition d’Orléans-Paris, 1674. L’auteur y fait d’abord un préambule sur l’existence, la simplicité, la toute-puissance de Dieu prouvées par des arguments métaphysiques en forme de démonstrations géométriques. C’est par des raisonnements analogues qu’il veut établir le mystère de la Trinité. Toutefois il semble bien qu’on doive interpréter cette démonstration comme celle de saint Anselme, car Guillaume apporte des exemples tirés des choses créées « pour rendre ce mystère plus croyable ». L’âme humaine vit ; elle s’aime ; elle se conçoit : ces trois choses, vie, intelligence, amour ne sont pas dans l’âme comme des parties différentes d’elle-même ni comme des accidents ; elles ne font avec l’âme qu’une même essence. Enfin, l’auteur traite des notions et des attributs divins, tant relatifs qu’essentiels ; et il termine le traité en s’expliquant brièvement sur la volonté et la prédestination divines. Cf. Ceillier, op. cit., p. 1027. Sa doctrine sur les relations divines est encore bien hésitante : elle semble accorder aux personnes de la Trinité un caractère absolu. Voir Schmaus, op. cit., p. 391.

Comme évêque, Guillaume eut à censurer un certain nombre d’erreurs, réduites à dix propositions, où l’on retrouve des échos d’Abélard ou de Gilbert de la Porrée et de l’hérésie cathare. Cf. Ceillier, op. cit., p. 1030. Voici les premières, qui intéressent plus directement le dogme trinitaire :


I. Les bienheureux ne verront pas l’essence de Dieu ;
II. À raison de la force, l’essence divine n’est pas la même dans le Saint-Esprit que dans le Père et le Fils ;
III. Le Saint-Esprit, comme amour et lien de l’amour mutuel du Père et du Fils, ne procède pas du Fils ;
IV. Il y a plusieurs vérités éternelles qui ne sont pas Dieu même ;
V. Le principe n’est pas créateur.
Cf. Bibliotheca Palritm, t. xxv, p. 329.

2. Robert Grossetête († 1268). —

Cet auteur aurait admis, comme Guillaume d’Auvergne, que les personnes divines sont constituées par une propriété absolue, virtuellement distincte de l’essence : « L’opinion du vénérable évêque de Lincoln est qu’en Dieu il y a trois suppôts absolus et une essence commune et qu’il n’y a pas de suppôts constitués par les relations. Celles-ci s’ajoutent aux suppôts déjà constitués par les propriétés absolues ; c’est une réalité absolue, hypostasc ou personne, qui engendre et, en suite de cette génération, s’établit, par l’acte passif, per actum passivum, de l’origine une « habitude » (un rapport) de filiation. La troisième personne, qui est « spirée » acquiert aussi « l’habitude » de don ou d’Esprit. Les relations sont donc des habitudes consécutives aux personnes déjà constituées par des propriétés incommunicables et absolues, de sorte que l’essence est commune aux trois personnes absolues et chaque propriété personnelle est formellement incommunicable et propre à chaque personne. Ainsi, dans le Père, la paternité n’est pas formellement identique à l’essence et n’entre pas dans son concept ; et pourtant, dans le Père, elle est réellement identique à l’essence, sans composition ni imperfection… » Cité par Robert Cowton (début du xive siècle), dans Schmaus, op. cit., p. 452.

Cette doctrine trouvera à la fin du xiiie et au xiv «  siècles des adeptes. Schmaus cite, après Guillaume d’Auvergne, voir ci-dessus, P. Olieu († 1298), Jacques de Viterbe († 1307) et Jean de Ripa (t vers 1350). Les textes, p. 391, 467, 475, 541-543, 567, 551. On voudra bien, à l’art. Relations divines, t. xiii, col. 2152, ajouter ces noms à celui de Jean de Ripa.

Deux maîtres franciscains de l’école de Richard de Saint-Victor.

Pour l’intelligence des exposés qui vont suivre, il est nécessaire de se remémorer les notions philosophiques relatives au principe formel prochain, au principe formel immédiat, au principe formel quod et au principe formel quo des processions divines. Voir Processions divines, t. xiii, col. 654659.

1. Alexandre de Halès († 1245). —

Sur cet auteur, voir t. i, col. 772. On notera que, depuis la parution de cet article, les franciscains de Quaracchi ont commencé d’éditer la Somme théologique d’Alexandre, avec des introductions qui contiennent d’intéressants aperçus doctrinaux. Les difficiles circonstances dans lesquelles l’auteur du présent article s’est trouvé pour le rédiger, l’ont contraint à se référer au texte des anciennes éditions, sans faire la discrimination des interpolations de Guillaume de Méliton.

Dès les premières questions relatives à la Trinité, Alexandre corrige le plan défectueux de Pierre Lombard et s’en tient à l’ordre suivi par Richard de Saint-Victor, étudiant d’abord les attributs essentiels de la divinité et seulement ensuite la trinité des personnes.

a) Personnes, processions, relations.

Le point de départ, conforme au concept grec de la Trinité, est semblable à celui de Richard : Dieu, d’abord envisagé dans les trois personnes et ensuite dans l’essence unique. Comme chez Richard, « personne » signifie « substance ». Sum. theol., part. I a, q. lvi, memb. 3 ; cependant la personne est quis habens, la substance quid habitum : « Il y a plusieurs personnes et non plusieurs substances, parce qu’il y a plusieurs « ayant » un seul et même être indistinct, mais avec des propriétés différentes qui les unissent. » Ibid., q. xliv, resol. L’ordre de nature et d’origine des personnes nous est connu par la révélation, mais « puisqu’en Dieu tout est divine substance, il ne peut y avoir ordre de nature et d’origine que par rapport à une chose qui est substance. Donc il ne peut y avoir en Dieu un ordre sans qu’il y ait plusieurs hypostases. Bien plus, puisque l’hypostase est substance, l’ordre de nature établit les hypostases mêmes ». Ibid., q. xlvi, memb. 8, ad 2um. Écrivant après le concile de 1215, Alexandre explique qu’on ne peut dire : Substantia gentil subslantiam, car engendrer suppose non la substance conçue comme principium quo, mais la personne, principium quod, possédant la divine substance. Ibid., q. xlii, memb. 3, a. 2.

Toutefois, encore qu’il n’emploie pas l’expression, il semble bien qu’Alexandre maintienne encore que le principe prochain de la procession est l’essence.


Nous ne confondrons pas, cependant, sa doctrine avec celle de l’abbé Joachim. Celui-ci affirmait que le Fils était engendré par la nature divine absolument considérée. Pour Alexandre, la nature divine, considérée relativement en tant qu’elle est dans le Père est le principe de la génération. Ce disant, il ne nie pas pour autant le rapport étroit de la génération du Fils à l’intelligence divine : le Verbe de Dieu ne peut qu’être proféré intellectuellement par le Père ; mais la nature divine, étant par elle-même intellectuelle, le Père engendre le Fils par cette nature intellectuelle. Notre théologien tout en affirmant le lien intime qui existe entre la génération et la connaissance, nie l’identité formelle entre generare et intelligere dans le Père. Voir plus loin.

L’ordre d’origine constitue dans la Trinité les relations divines, mais, tandis que la plupart des théologiens postérieurs verront surtout Vopposition mutuelle des relations, d’où ils font dériver la distinction réelle des personnes entre elles, Alexandre considère plutôt la liaison qui, par les relations, s’établit entre les hypostases pour réaliser l’unité divine. Ainsi, la procession du Saint-Esprit est nécessairement a Pâtre Filioque, parce que, « si deux personnes procédaient d’une seule sans que l’une des deux procédât de l’autre, il n’y aurait ni souveraine affinité, ni souveraine convenance, ni par conséquent souverain amour ; ce qu’on ne peut soutenir b. Ibid., q. xliii, memb. 4. D’ailleurs, ce ne sont pas les relations opposées qui constituent formellement les personnes ; ce sont les propriétés d’origine. Les relations ne font que manifester et, pour ainsi dire, notifier la distinction des personnes.

Si l’ordre d’origine entre les hypostases différentes ne contredit pas l’unité substantielle, c’est que la multiplicité n’existe que dans les personnes et l’unité est dans l’essence. Les différences de relations n’ont par elles-mêmes aucune connexion avec les différences substantielles : « Tout ce qui est en Dieu se rapporte à son unité. Pour le Père, engendrer n’est pas autre chose qu’être Père ; pour le Père, être Père n’est pas autre chose qu’être ; pour le Père, être n’est pas autre chose que la divine essence. Toutes ces choses et toutes les raisons personnelles se réduisent à l’unité d’essence qui n’est pas multipliée dans ces choses multiples. » Ibid., q. xiv, memb. 6, a. 2, 3° ratio. Que l’unité soit en plusieurs, c’est une perfection ; mais, qu’elle soit elle-même multipliée, c’est une imperfection. La perfection souveraine qu’est Dieu exige donc qu’il y ait en lui unité d’essence non multipliée, mais en plusieurs personnes, de sorte que la Trinité est la perfection même de l’unité. Ibid., memb. 1.

b) La seconde personne.

Dans ce qui précède, il a été suffisamment parlé du Père. Le nom de Fils est un nom propre. Pour Richard de Saint-Victor, la procession, envisagée selon la conception métaphysique, n’est que la fécondité de la substance et, selon la conception psychologique, une exigence de l’amour personnel. Voir ci-dessus, col. 1718. Le mode de procession par génération proprement dite et, partant, le nom de Fils importerait donc assez peu : une telle appellation relève plutôt de la convenance. De Trinitate, I. VI, c. v, P. L., t. exevi, col. 971 AB. Ce reste de rationalisme abélardien ne se retrouve pas chez Alexandre : c’est la révélation même et non une convenance de langage qui < nscigne que la seconde personne est vraiment le Fils de Dieu : Matth., iii, 17 ; cf. Marc, i, 11 ; Luc, iii, 22 ; Matth., xvii, 5 ; cf. Luc, ix, 35 ; Marc, ix, 7 ; II Pet., i, 17. Aussi son traité s’ouvret-il par ces mots : « Dieu a engendré ! »

Afin de maintenir le caractère de génération à la procession du Fils, Alexandre cherche à transformer la preuve de la fécondité de la substance, telle que l’avait proposée Richard. Le bien, dit-il en substance, est difîusif de soi et la plus grande diffusion qu’on puisse imaginer est une diffusion substantielle en vue de produire son semblable en nature. Pourrait-il en être autrement de Dieu dont la vertu causative doit être tellement puissante que son acte s’identifie avec elle comme perfection de nature ? Il faut en inférer une génération éternelle. Enfin, dernier motif, on ne peut refuser à Dieu la noblesse de la fécondité ; et, « si l’on objecte que ce ne sont là que des raisons de convenance et non des preuves nécessaires », Alexandre répond : « Tout ce qui est inconvenant en Dieu est impossible ; tout ce qui est convenable en Dieu est nécessaire. Si donc la génération convient en Dieu, elle est nécessaire en Dieu. » I », q. xlii, memb. 1. Alexandre termine en soulignant le caractère personnel d’une telle génération, car la tendance à se communiquer ne peut être le propre du bien considéré en soi ; elle n’existe que dans une personne qui ne dépend pas d’une autre : Est diffusivum prout est in persona non ente ab alio. Ibid., memb. 3, a. 1, fin.

Après le nom de Fils, le nom d’Image, qui est aussi nom propre de la seconde personne. Le Fils « est la similitude expresse du Père et son image en ceci que, de même que la plénitude de la divinité procède de l’un, ainsi cette même plénitude procède de l’autre » (dans le Saint-Esprit). Ibid., q. lxi, memb. 3, a. 2. Le principe de la fécondité substantielle est ainsi toujours à la base du raisonnement.

Enfin, en troisième lieu seulement, le nom de Verbe. Pour Alexandre, le Verbe ne peut être conçu comme le terme de l’intelligence divine ; c’est l’étal même de cette intelligence, c’est-à-dire de la substance divine, état concomitant à l’acte même par lequel Dieu se connaît et qu’il est impossible que Dieu ne possède pas. Ibid., q. lxii, memb. 1, a. 1. Ainsi « génération » n’est pas formellement identique à « intellcction » : « La génération en Dieu est une production univoque de toute la substance en parfaite similitude de nature. Il faut donc affirmer que l’idée même de la génération ne coïncide pas exactement avec celle de l’intcllection, tout comme la génération et l’être. « Penser » est dit en Dieu absolument ; mais l’idée de, génération comporte une relation. « Penser » est donc, en Dieu, simplement concomitant à « engendrer ». Ibid., q. xlii, memb. 2.

c) La troisième personne.

Ces considérations permettent difficilement d’expliquer l’existence d’une seconde procession en Dieu. Ne conservant pas la théorie augustinienne du « concept » et de 1’ « amour », Alexandre ne peut pas distinguer les deux processions selon le concept et selon l’amour, comme l’avait fait saint Augustin et comme le fera bientôt saint Thomas. Il recourt donc à une double manière de procéder de la première personne. Cette double manière est l’action par nature et l’action par volonté : « La plus parfaite diffusion de nature est celle qui s’opère par voie de génération ; la plus parfaite diffusion de volonté se fait par voie d’amour et de dilection… Si tout ce qui est parfait et glorieux ne peut manquer dans le Bien suprême, il est clair que, dans le Bien suprême qui est Dieu, il y a diffusion par voie de génération… et de plus diffusion par voie de dilection, que nous appelons procession du Saint-Esprit. » Ibid., q. xliii, memb. 4, Il s’agit ici, Alexandre le déclare expressément, de la volonté divine personnelle, dont l’acte formel » si l’amour et le terme une autre personne. Dans la pro>n du Fils, la volonté joue son rôle ; mais simplement à titre de nature se. communiquant ; dans la procession du Saint-F.sprit, la volonté divine Intervient à titre de personne et ne peut que suivre l’acte intellectuel qui la détermine objectivement. Aussi l : i procession du Saint-Esprit vient-elle après celle du Fils et, n’étant pas selon la nature, ne peut être dite génération. Ibid., q. xlvi, memb. 7. D’où il suit encore que, de même que « l’amour procède par le moyen de l’idée », de même « le Saint-Esprit ne peut procéder du Père que par le moyen du Fils ». Ainsi s’établit logiquement la procession a Pâtre F Moque. Ibid., q. xlvi, memb. 5. Dans cette conception, il serait inexact de dire que le Saint-Esprit est l’amour commun du Père et du Fils ; cet amour mutuel est un principe dont le terme est la « condilection » du Saint-Esprit par le Père et le Fils ; et ainsi s’explique que la troisième personne procède des deux autres par une seule procession.

En résumé, pour Alexandre, c’est la bonté qui est au principe des processions divines, en raison de la diffusion qui lui est naturelle. Ibid., q. xvi, memb. 3 ; cf. memb. 8.

Puisque le Saint-Esprit procède par voie d’amour et non par nature selon l’intelligence, s’ensuit-il qu’il soit moins semblable au Père que le Fils ? Richard avait paru l’admettre. Cf. De Trinitate, t. VI, c. xi, xviii sq., P. L., t. exevi, col. 975, 982-985. Alexandre opine également en ce sens, tout en admettant la parfaite identité de nature et de perfection des personnes divines. Ibid., q. lxi, memb. 3, a. 2. Cf. Chr. Pesch, op. cit., ii. 586.

2. Saint Bonaventure († 1274). —

Saint Bonaventure continue Alexandre de Halès dont il avait été l’auditeur vers 1244. Le problème trinitaire a retenu son attention à plusieurs reprises : In IV libros Sentent., t. I, dist. VIII-XXXIV, éd. de Quaracchi, t. i ; Queestiones disputatæ : de mysterio Trinilatis, t. v, p. 44-115 ; Breviloquium, part. I », ibid., p. 199 sq. ; Itinerarium mentis ad Deum, c. vi. ibid., 293 sq. La Queestio disputata débute par la démonstration de ces deux propositions : Deum esse, esse verum indubitabile ; Deum esse trinum, esse verum credibile. Elle continue par l’exposé de sept attributs divins dont on montre quod possunt stare cum Trinitate. Enfin, saint Bonaventure a un sermon pour la fête de la Trinité, à l’octave de la Pentecôte. Ibid., t. ix. Dans l’exposé qui suit, on s’en tiendra surtout au commentaire.

a) Processions ; relations.

Saint Bonaventure suit le plan de Pierre Lombard ; il en accepte le point de vue initial qui est celui des Latins : considération de l’essence divine, d’abord, des personnes, ensuite ; il s’en tient à la définition de la personne donnée par Boèce. In I am Sent., dist. XXV, a. 1, q. il. Mais, disciple de Richard et d’Alexandre, il ne considère la nature que comme subsistante et la personne en Dieu n’a pas d’autre raison d’être que son origine. Ibid., dist. XIX, part. II, a. 1, q. ii. La nature est « possédée » ; le « possesseur » en est la personne : « Ainsi, parce qu’il n’y a qu’une seule et identique nature « possédée », nous devons dire qu’il n’y a qu’une seule essence ou substance ; mais parce qu’il y a plusieurs « possesseurs », il v a plusieurs personnes. » Ibid., dist. XXIII, a. 2. q." ii.

Pour l’école dyonisienne, à laquelle Bonaventure se rattache, Dieu est bien l’acte pur, mais un acte dont la plénitude de bonté ne demande qu’à s’épancher. La métaphysique de saint Bonaventure est dynamique ; elle explique sa conception de la Trinité. Tout en accueillant la théorie augustinienne de l’image de la Trinité dans l’âme humaine, le Docteur séraphique ne prend pas ce fait psychologique comme base de sa doctrine des processions ; il s’en sert uniquement comme d’un exemple et d’une confirmation. C’est le concept de « primauté » qui prend le pas sur celui de « bonté » et qui, en dernière analyse, explique la fécondité divine : « Pour démontrer la pluralité des personnes divines, il faut présupposer en Dieu quatre choses : premièrement, qu’il y a en lui suprême béatitude ; deuxièmement, souveraine perfection ; troisièmement, suprême simplicité ; quatrièmement, suprême primauté… En vertu de la simplicité, l’essence est incommunicable et ne peut exister en plusieurs. En vertu de la primauté, la personne est apte à en produire une autre et j’appelle ici primauté « l’innascibilité », en vertu de laquelle, comme l’enseigne une antique opinion, il y a dans le Père une plénitude de source pour toute émanation, fontalis plenitudo… En vertu de la perfection, cette personne est apte à produire. En vertu de la béatitude et de la charité, elle en a la volonté. » Ibid., dist. II, q. ii. Puis, reprenant une thèse de Richard, Bonaventure déclare qu’ « il n’existe que deux manières de produire… ou par mode de nature, ou par mode de volonté… Donc une personne divine produit suivant ces deux modes et uniquement suivant ces modes ». Ibid., q. iv. Cf. Breviloquium, t. I, c. iii. Nature féconde, volonté féconde, tels sont les principes formels des deux processions ; mais nature possédée par la personne et volonté personnelle. Ibid., dist. XIX, part. I, a. 1, q. ii, ad 3°" » ; dist. XIII. a. 1, q. iii. Par là, le producteur fécond et les termes produits par la fécondité s’opposent et se distinguent par voie d’origine et constituent des personnes, principia quæ. Les différences des deux sortes de fécondité proviennent des différences entre les principes quo, c’est-à-dire entre les puissances opératives, nature et volonté. Et, puisque la génération est une émanation par manière de parfaite assimilation, elle provient d’un seul ; puisque la spiration est une émanation par manière de connexion, elle provient de deux. Cf. In I am Sent, dist. XIIIs a. 1, q. iii.

b) La personne du Père.

Entre « personnes » et « relations », il y a identité réelle et simple distinction de raison. Voir Relations divines, t. xiii, col. 2151. Tout en maintenant l’identité réelle des personnes, des relations, des propriétés personnelles, voir Notions, t. xi, col. 803-804, saint Bonaventure admet, comme avant lui Alexandre de Halès, que les relations ne sont pas constitutives, mais simplement caractéristiques des personnes distinctes en raison de leurs propriétés d’origine. Dist. XXVI, a. 1, q. ni. C’est peut-être ce qui l’a fait accuser, mais à tort, d’avoir, touchant l’élément constitutif des personnes divines, renouvelé la thèse de Grossetête. Cf. A. Stohr, Die Trinitâtslehre des hl. Bonaventura, Munster-en-W., 1923, p. 114124 ; Schmaus, op. cit., p. 448-452. La personne, selon la conception issue de Richard de Saint-Victor, est l’hypostase caractérisée par une propriété impliquant une dignité d’être. Les propriétés personnelles apportent aux hypostases divines cette dignité qui constitue la personne ; mais, si l’on fait abstraction de ces propriétés caractéristiques, on doit encore concevoir les hypostases divines comme déjà constituées dans leur individualité en raison de leur origine : Qui non ab alio et a quo alius — qui ab alio et a quo alius — qui ab alio et a quo non alius. Voir Richard de Saint-Victor, t. xiii, col. 2687-2688.

En adoptant ce point de vue, saint Bonaventure montre la personne du Père constituée hypostase par cela seul qu’elle est principe ne procédant d’aucune autre hypostase. Hypostase, elle peut être le principe d’un acte générateur et c’est en vertu de cet acte générateur qu’elle est Père : Ideo Pater quia gênerai, avait déjà dit Pierre Lombard, dist. XXVI, initié. Saint Thomas, admettant que les propriétés constituent les personnes, dira au contraire : Générât, quia Pater. Sum. theol., I », q. xl, a. 4, ad 1 UB. Saint Bonaventure est donc ici en désaccord avec le Docteur angélique. Rien d’étonnant. Saint Thomas, intégralement fidèle à la conception latine qui voit en Dieu d’abord l’unité de substance, en laquelle seule l’opposition des relations peut apporter la distinction des personnes, ne peut qu’identifier personne, relation et propriété personnelle, sans qu’il lui soit possible de concevoir la personne antérieurement à sa propriété personnelle. Saint Bonaventure envisage ici d’abord l’hypostase et il trouve dans la perfection même de Fhypostase la raison de la paternité divine. Cette perfection s’exprime d’une manière en apparence négative : Générât quia innascibilis, et spirat quia improcessibilis. Dist. XXVII, part. I, a. 1, q. ii, ad 3 am : « L’innascibilité, sous une forme privative, est une réalité parfaite et positive. Le Père est dit innascible, parce qu’il ne procède pas d’un autre. Or, ne pas procéder d’un autre, c’est être premier et la primauté est une noble affirmation… Il est premier et donc principe ; il est principe, donc il y a, en acte ou en puissance, un terme procédant du principe… Et il n’y a pas à poursuivre, ni à demander pourquoi il est innascible : innascibilité dit primauté et il faut s’arrêter au « premier ». — Cette position de saint Bonaventure est discutée par saint Thomas, Sum. theol., I », q. xxxiii, a. 4, ad l um. On trouvera dans Th. de Régnon, op. cit., t. ii, p. 489 sq., le résumé de la controverse, avec une bienveillance non dissimulée pour le Docteur séraphique.

c) La personne du Fils.

La foi enseigne que la seconde personne est le Fils, l’Image, le Verbe. Mais les théologiens ne s’entendent pas sur l’ordre à placer entre ces noms divins.

La filiation frappe saint Bonaventure surtout par son aspect métaphysique : de là vient qu’il la place en premier lieu. On sait qu’il admet cette première production divine « par mode de nature ». La nature divine est toute noblesse et toute perfection ; elle est communicable et, en fait, communiquée. Mais, en raison, d’une part, de sa simplicité même, d’autre part, de son infinité, elle se communique sans se multiplier et en demeurant identique et totale. Cette communication est une génération parce qu’une hypostase divine donne à une autre hypostase la nature divine : unité de substance en pluralité de personnes, Père et Fils. Dist. IX, a. 1, q. i ; cf. dist. X, a. 1, q. i, ad 3° m ; dist. XIII, a. un., q. m ; dist. XVIII, part. II, a. un., q. iv ; Brevil., t. I, c. iii.

Le Fils est aussi l’Image du Père, imitation, non de l’essence, mais de la personne. Seul le Fils est, à proprement parler, l’Image du Père, parce que seul il en procède par voie de nature. À cette raison propre, on peut ajouter d’autres raisons de convenance : il procède d’un seul ; il produit le Saint-Esprit avec le Père et semblablement. Dist. XXXI, part. II, a. 2, q. n ; cf. ad 3um. Image parfaite, le Fils peut être appelé, comme saint Hilaire l’a fait, species, parce qu’il est la raison de connaître toutes choses et qu’il comporte la beauté. Ibid., q. iii, ad 2° iii.

Image, le Fils est aussi Verbe. Pierre Lombard et son école enseignaient : eo Filius, quo Verbum. Pour l’école de Richard de Saint-Victor, c’est eo Verbum quo Filius qu’il convient de dire. Jadis saint Augustin avait uni les deux formules : Eo Filius quo Verbum et eo Verbum quo Filius. De Trinitate, t. VII, n. 2, P. L., t. xi.ii, col. 934. Saint Bonaventure rétablit ainsi l’assertion : Eo quo Filius, eo est Imago et eo ipso Verbum. Dist. XXXI, part. II, a. 1, q. n : « Le verbe mental n’est pas autre chose qu’une ressemblance exprimée pressive, conçue par la force de l’intelligence qui contemple soi-même ou autre chose. Le verbe présuppose donc connaissance, génération et image. » Dist. XXVII, part. II, a. 1, q. iii. Les trois personnes, dans leur nature commune et unique, pensent et ont la même contemplation de la vérité ; c’est un état absolu et immobile. Seul le Père dit » un verbe ; c’est une opération qui a tous les caractères de la génération puisque le terme est semblable en nature au principe dont il procède ; et, à ce sujet, Bonaventure maintient que la procession du Verbe n’est pas formellement selon l’intelligence. Dist. X, a. 1, q. i, ad S""". Mais, en Dieu, le Verbe a un caractère personnel, parce que la parole atteste et apporte le témoignage d’une personne parlante.

d) Le Saint-Esprit.

Parce que l’Esprit-Saint procède selon la volonté et non selon la nature, sa procession n’est pas une génération. Dist. VI, a. 1, q. n ; X, a. 1, q. i, ad 3 nm ; XII, q. rv ; XIII, a. 1, q. ii, ad 3um ; q. iii, ad 2um. Il procède par mode de libéralité et d’amour. Dist. VI, a. 1, q. iii.

Il n’est pas suffisant, il est même inexact d’affirmer que le Saint-Esprit procède selon l’amour que Dieu a de lui-même. Saint Bonaventure rappelle les sentences des premiers Pères affirmant que la troisième personne procède formellement de l’amour mutuel du Père pour le Fils et du Fils pour le Père et il bannit de cette procession tout amour d’une personne pour soi-même. Dist. XIII, a. 1, q. i. Le Saint-Esprit est le Nœud qui réunit ces deux amours réciproques. Son opération d’aimer, à lui, n’étant pas une opération personnelle, reste dans la ligne de l’amour essentiel commun aux trois personnes. Dist. X, a. 2, q. i, ad 4 am. Et donc, si le Saint-Esprit ne procédait pas aussi bien du Fils que du Père, il ne se distinguerait pas du Fils. Dist. XI, a.un., q. i. Toutefois, en admettant que le Père et le Fils ne sont qu’un principe de spiration active, Bonaventure déclare qu’ils sont cependant deux « spirateurs ». Expression moins conforme à la terminologie reçue. Cf. Stohr, op. cit., p. 68-71 ; J. Slipyj, De principio spirationis, Lwov, 1926, p. 84.

Un autre nom de l’Esprit-Saint est le Don, qui exprime une relation à la créature. Sans doute, ce don n’a été fait que dans le temps, mais de toute éternité, il était susceptible d’être donné. Dist. XVIII, a. 1, q. v. Cf. S. Augustin, De Trinitate, t. V, n. 16, P. L., t. xlii, col. 921.

Conclusion.

La meilleure conclusion de cet exposé sera le bref parallèle établi par saint Bonaventure entre la seconde et la troisième personne : « Esprit désigne principalement (la troisième personne) par comparaison à la vertu productrice, savoir la vertu spirative ; Amour la désigne principalement par le mode de procéder qui est un noeud ; enfin, Don la désigne par un rapport conséquent aux deux autres, son propre étant de nous lier à Dieu, quia nos nalus connectera. . De même, la procession du Fils est signifiée d’une triple manière par les noms : Fils, Image, Verbe : Fils, parce qu’il procède par voie de nature ; Image, parce qu’il procède par voie d’expression ; Verbe, parce qu’il exprime aux autres, quia aliis expressivum. .. ideo Verbum. » Dist. XVIII, a. 1, q. v, ad 4 nB. Sur la théologie trinitaire de saint Bonaventure, voir A. Stohr. Trinitdtslehre des hl. Bonaventura, Munster, 1923.

3. Influence des doctrines trinitaires d’Alexandre de Halès et de saint Bonaventure aux xrn* et xrv siècles.

L’influence des deux grands docteurs franciscains se fait sentir sur quatre points principaux :

a) Beaucoup d’auteurs n’admettent pas que les relations soient constitutives des personnes : elles sont caractéristiques des personnes, lesquelles se distinguent entre elles par leurs propriétés d’origine. Voir Im textes d’Kudes (Odon) Rigaud, de Pécham, de Guillaume de la Mare, de Nicolas Ockam, de Roger Manton dans Schmaus, op. cit., p. 447-452, 455, 460, 466. Sur la doctrine trinitaire de Pécham, voir ici, t. xii, col. 129.

b) L’innascibilité, comme propriété constitutive du Père, Mt une thè^e bonaventurienne. qtM ces mêmes auteurs accueillrnt volontiers, en y ajoutant cette précision : le Père est constitué par l’innascibilité dans sa personne, mais imparfaitement, inchoalive ; la paternité s’y ajoute comme forme perfective. "Voir les textes de Roger Marston, de G. de la Mare, de Pierre de Trabibus dans Schmaus, p. 565, 587, 590. La doctrine trinitaire de Pierre de Trabibus a été exposée ici, t. xii, col. 2053 sq. On y a marqué, col. 2056, certaines ressemblances avec celle de P. Olieu.

c) La thèse de la procession du Verbe par voie de nature et non formellement d’intelligence se retrouve chez les disciples d’Alexandre et de Bonaventure. On peut citer, dans l’ordre franciscain, Eudes Rigaud, Guillaume de la Mare, Richard de Médiavilla, Pierre de Trabibus ; chez les dominicains eux-mêmes, Fishacre, Pierre de Tarentaise (saint Thomas explique en bonne part le texte de Pierre de T. dans l’opuscule : responsio ad CVIII art., q.xii, éd. de Parme, t. xvi, p. 154), Ulrich de Strasbourg, Roger Marston et, au début du xive siècle, Jacques de Metz, Jacques de Lausanne, Noël Hervé, Durand de Saint-Pourçain, Jean de Naples. Bien plus, les deux Jacques (de Metz et de Naples) ont prétendu que telle était l’opinion de saint Thomas. Les textes dans Schmaus, p. 117-134. Peut-être l’assertion visant saint Thomas a-t-elle un fondement dans l’œuvre de jeunesse de saint Thomas : In I am Sent., dist. VI, q. i, a. 3 ; X, q. i, a. 1 et 5 ; XI, q. i, a. 1 ; XIII, q. i, a. 2, ad 2°" » et q. iii, a. 3, ad 4um ; XXVIII, q. ii, a. 3. Cf. M.-T.-L. Penido, Le rôle de l’analogie en théologie dogmatique, Paris, 1931.

d) Par voie de conséquence, les mêmes auteurs ajoutent que la procession du Saint-Esprit n’est pas une génération, précisément parce que le Fils procède par voie de nature et que le Saint-Esprit procède selon la volonté. Les textes dans Schmaus, p. 187, 188, 190, 191, 194, 213-214.

4. Raymond Lulle († 1315). —

Raymond Lulle mérite une attention particulière. Un certain nombre de ses ouvrages, plusieurs encore inédits, étudient directement la Trinité ; d’autres en parlent incidemment. Ceux qui sont consacrés à l’étude de la Trinité ont été énumérés à l’art. Lulle, t. viii, col. 1096 sq. (Œuvres théologiques et apologétiques, sous les n. 2, 3, 4, 7, 8, 13, 17, 19, 20, 26, 29, 36, 37, 48). Quelques-uns de ces ouvrages ont trait à la procession du Saint-Esprit ab utroque, contre les Grecs. C’est dans les œuvres mystiques qu’on rencontre incidemment — mais fréquemment — des considérations relatives à la Trinité.

On ne comprend bien la position théologique de Lulle qu’en le rapprochant, comme on le fait ici, de l’école de Richard de Saint-Victor, Alexandre de Halès et saint Bonaventure. La bonté est mise par Lulle au premier rang des attributs divins ; elle est aussi le principe des processions divines, à tel point qu’en « démontrant » la production des personnes en Dieu par ce simple fait que les dignités divines ne peuvent être inactives, le bien tendant à se répandre, on apporte un motif qui doit empêcher l’esprit humain d’admettre avec quelque apparence de raison que le contraire soit faux. Voir les textes, art. cit., col. 1126.

Les deux fondateurs de l’école thomiste : Albert le Grand et Thomas d’Aquin. —

1. Albert le Grand.

A l’article qui lui est consacré, t. i, col. 673, on a dit le rôle, plus effacé en théologie qu’en philosophie, joué par Albert le Grand. Son principal mérite fut de tirer parti des conceptions aristotéliciennes dans l’exposé du dogme catholique. En ce qui concerne la Trinité, on voit immédiatement que son point de vue est différent de celui de l’école bonaventurienne. Sa doctrine trinitaire est exposée dans le Commentaire sur les Sentences, t. I, et dans la Summa theologica, part. I ».

a) Processions.

Tandis que Richard, Alexandre et Bonaventure partent de l’idée du Bien pour expliquer la fécondité de la vie divine, Albert le Grand est

Adèle à la théorie psychologique de saint Augustin et à la primauté du vrai sur le bien. La vie immanente de Dieu n’est pas une source desséchée. La « communicabilité » divine qui se manifeste dans toute la création et dans les relations de Dieu avec la créature, où resplendissent sa bonté, sa perfection, son amour, ne peut avoir d’autre fondement que Dieu lui-même. En Dieu elle se manifeste réellement par les processions ad intra : la génération du Fils, la spiration du Saint-Esprit. Elle s’achève ainsi dans les trois personnes divines et seulement en ces trois.

Il ne peut y avoir communication de la divinité que de deux façons : par manière de verbe de vérité et par manière de bien. Une communication par mode de nature — celle que préconisaient les théologiens qu’on vient d’étudier — ne saurait être une manière de communication distincte. Le Père, principe sans principe, se manifeste dans la procession des personnes, mais seulement de ces deux façons. Le bien vient après le vrai et ainsi le Saint-Esprit procède aussi du Fils, à qui revient la première procession selon le vrai. Dist. X, a. 12. On doit cependant confesser que d’autres textes laissent l’impression qu’Albert retient encore, au moins quant à la formule, la thèse du Fils procédant selon la nature. Dist. XIII, a. 1. C’est parce que le Fils procède selon l’intelligence que sa procession est une génération ; la procession du Saint-Esprit selon la volonté ne saurait être dite telle. Ibid. Cf. A. Stohr, Der hl. Albertus ùber dem Ausgang des Heiligen Geistes, dans Divus Thomas (Fribourg), t. x, 1932, p. 241-265. C’est aux personnes, non à l’essence qu’il faut attribuer la génération et la spiration active. Albert justifie sur ce point la doctrine promulguée en 1215 contre Joachim de Flore. Les expressions divinitas nata, substantia de substantia, qu’on peut parfois relever chez les Pères signifient simplement que le Fils a la même divinité et la même essence que le Père, vu que d’une part le Fils est du Père mais que, d’autre part, il est aussi de la même substance que lui. Summa, part. I », q. xxx, memh. 3, a. 1.

b) Relations, notions, propriétés.

La distinction des personnes par leurs relations opposées est fondamentale dans la doctrine trinitaire. Si l’opposition des relations n’existait pas entre le Saint-Esprit, d’une part, et, d’autre part, le Père et le Fils, ce dernier ne serait pas distinct de la troisième personne. Dist. XI, a. 6. Albert cite cinq propriétés, caractéristiques des relations et des personnes : au Père, l’innascibilité, la génération active et, en commun avec le Fils, la spiration active ; au Fils, la génération passive, au Saint-Esprit, la spiration passive. C’est une doctrine reçue ; voir Notion, t. xi, col. 804. Les propriétés personnelles prennent le nom de « notions », si elles nous servent à distinguer entre elles les personnes elles-mêmes. Summa, q. xxxix, a. 1. La personne est constituée par la relation, mais incommunicable ; aussi, tout en retenant la définition que Boèce a donnée de la personne, voir Hypostase, t. vii, col. 409, Albert en explique l’expression : substantia individua par substantia incommunicabilis, en ce sens que la nature, en tant qu’elle est communicable, ne constitue pas la personne. Le concept de personne inclut l’unité, la singularité, l’incommunicabilité, dans la division, la séparation d’avec une autre hypostase. In III am Sent., dist. V, a. 14 ; cf. a. 11-13. L’âme séparée, partie d’un homme qui doit un jour ressusciter, demeure bien un élément constitutif de la nature humaine. La personne ne sera reconstituée qu’à la résurrection dernière. Summa, q. xliv, memb. 2. En Dieu, l’unité vient de l’essence ; l’incommunicabilité vient de. la relation s’opposant à la relation. En sorte que, si le Saint-Esprit ne procédait pas du Fils en s’opposant à lui, il ne s’en distinguerait pas. In J° m Sent., dist. X, a. 6.


c) Vestiges et image de la Trinité.

Albert les recherche avec prédilection dans les créatures. Il y trouve des vestiges, c’est-à-dire une certaine trinité dans le monde matériel et ses parties constitutives, dans son fieri, dans son esse, dans son perfectionnement (perfeclum esse), ou encore dans sacognoscibilité ou dans sa capacité d’agir.

Dans la création du monde (le fteri), le nombre, le poids, la mesure, cf. Sap., xi, 21, lui paraissent une première trinité. Les choses elles-mêmes, considérées dans leur être (esse) se distinguent par leur forme (modus), leui espèce (species), leur relation au but final (ordo). Du côte du perfectionnement des créatures, la trinité se manifeste plus clairement dans l’être, perfectionné par la vérité et la bonté. Du côté de leur cognoscibilité, les vestiges se constatent dans Vêtre, les ressemblances et les différences. Enfin, selon la capacité d’agir, nous trouvons : la substance, la faculté, l’acte. Summa, part. I », tr. iii, q. xv, memb. 2, a. 1. Canevas classique, qu’on retrouvera désormais chez les théologiens postérieurs.

L’image de la Trinité n’existe que dans les créatures spirituelles. L’âme est l’image de Dieu, avec sa mémoire, son intelligence, sa volonté. Enseignement traditionnel depuis saint Augustin ! S’en inspirant, Albert compare les trois facultés, leurs propriétés particulières, leurs relations réciproques avec les trois personnes divines et leurs mutuelles relations. Ibid., a. 2. Sur les personnes en particulier, leurs noms propres ou appropriés, la théologie d’Albert n’apporte aucun élément spécial.

2. Saint Thomas d’Aquin.

a) Disposition générale de son traité sur la Trinité dans la Somme théologique.

C’est sur un plan nouveau et plus logique que saint Thomas expose la doctrine trinitaire. Sum. theol., I », q. xxvii-xliii. Voici tout d’abord les grandes lignes, répondant aux exigences primordiales de la foi ; des processions (q. xxvii) ; des relations (xxviii) ; des personnes et de la pluralité des personnes en Dieu (xxixxxx). Logiquement s’insère ici la distinction entre ce qui relève en Dieu de l’unité de nature et de la pluralité des personnes (xxxi) et la connaissance que nous en pouvons avoir (xxxii). L’auteur passe ensuite à l’étude de chaque personne en particulier : le Père (xxxui) ; le Fils, Verbe et Image (xxxiv, xxxv) ; le Saint-Esprit procédant ab utroque (xxxvi) et les noms du Saint-Esprit : Amour et Don (xxxvii et xxxviii). Les questions suivantes sont proprement théologiques : comparaison des personnes à l’essence (xxxix), et aux actes notionnels (xli) ; égalité et similitude des personnes divines (xxm). L’étude des missions divines (xliii) clôt le traité.

Le cadre du 1. I er des Sentences est décidément brisé ; ici, le traité De Deo uno est nettement séparé du De Deo trino. Cf. Dondaine, La Trinité, éd. de la Revue des jeunes, 2 vol., Paris, 1945.

Autres ouvrages < ! ’saint Thomas sur la Trinité : Contra Sente », I. rv.c. i-xxvi ; In Sent., . I.dist. [I-VII, IX-XVI ; XVIII-XXXIV ; Qumst. disp. de palrntia, <r. ri, vrn-i ; De VtrttaU, q. iv-x ; Quodlibet., iv, a. 6-7 ; vi, a. 1 ; xii, a. 1 ; In Wang. Jouruii », c. r, lect. 1-3 ; Opuseula : Cont. errorrs Grœcorum, c. r-xv, xxxii ; Compenrfium theologiæ, t. I, c. xxxvii-i.xvii ; Declaratio quorumdam articulorum contra Grtecos, Armenos, Saracenos, c. in-iv ; In art. ftdet et sacram. nv (le début) ; In tumbolum aposlolorum, n. 1, 2, 8 ; Retponsio adfr. Joannem Vercellensem (à propos de 108 artistes tirés de Pierre de Tarentaise), a. 5-6, 8-13, 23-30, 50-64 : De dlfferentia verbl rtiolnt il verbi humani (extrait du comnentalrc -ur le prologue de saint Jean) ; in décrétaient /

tmpoiillo (cap. Flrmtter) ; In décrétaient II’" (sur l’abbé

< ! ’Flore) ; In m>. Boettlde Trlnitate.

b) La connaissance du mystère.

Dan le Commentaire sur Boèce. q. i, a. I, saint, Thomas rappelle tous les argument’, invoqués avant lui pour prouver la possibilité de s’élever à la connaissance de la Trinité par le seul raisonnement naturel ; et il conclut néanmoins par la négative : « Que Dieu soit trine, c’est uniquement objet de croyance et on ne peut le prouver d’aucune manière démonstrative. On peut en apporter quelques raisons non nécessitantes et qui n’ont de probabilité que pour le croyant. Dans notre état présent de voie, nous ne pouvons connaître Dieu que par ses effets dans le monde. Or, la Trinité des personnes ne peut être perçue en vertu de la causalité divine, puisque, cette causalité est commune à toute la Trinité ». Éd. de Parme, t. xvii, p. 357. Dans la Somme théologique, I a, q. xxxii, a. 1, saint Thomas ajoute que vouloir démontrer la trinité des personnes, c’est doublement offenser la foi : c’est d’abord rapetisser à notre taille les mystères divins qui dépassent infiniment la raison humaine ; c’est aussi, par la faiblesse des arguments, exposer la foi aux moqueries des infidèles. Toutefois, les créatures ordinaires présentent des vestiges de la Trinité, q. xlv, a. 7 ; les créatures raisonnables ont en elles-mêmes une certaine image de la Trinité, q. xciii, a. 1-4 ; la psychologie de l’âme humaine présente comme, un reflet de la connaissance et de l’amour divins, ibid., a. 5-8. Et de là, en présupposant le mystère déjà révélé, on peut tirer une certaine connaissance de la Trinité. Q. xxxii, a. 1, ad 2um ; cf. In I am Sent., dist. III, q. i, a. 4 ; q. ii, a. 1-3 ; q. iii, a. un. ; q. iv, a. 1-4 ; q. v ; Cont. Gentes, t. I, c. xiv ; De potentia, q. ix, a. 5 ; De veritate, q. x, a. 1, 7 et surtout 13 ; In epist. ad Romanos, c. i, lect. G, in fine.

c) Les processions.

Il y a en Dieu deux processions ; c’est une vérité de foi. Mais il faut entendre ces processions dans le sens d’une émanation intellectuelle. I », q. xxviii, a. 1. Cf. In I<"° Sent., dist. XIII, a. 1 ; Cont. Génies, t. IV, c. xi ; De poteniia, q. x, a. 1. Tout se passe donc dans l’ordre spirituel.

Une première procession est celle du Verbe, laquelle vérifie pleinement la définition fournie par Aristote de la génération véritable : Origo viventis a vivente principio conjuncto. Le Verbe divin est ainsi engendré : il procède par manière d’acte intellectuel, ce qui est une opération vitale au premier chef ; il procède d’un principe uni. puisqu’il s’agit d’une procession immanente ; et, en vertu même de sa procession, il est en parfaite similitude de nature, le verbe intellectuel étant la parfaite représentation de la chose conçue et, en Dieu, ne pouvant être que Dieu lui-même. Q. xxvii, a. 2 ; cf. Cont. Génies, t. IV, c. x, xi ; Comp. theol., t. I, c. xl. Sur les analogies avec le verbe humain, voir Processions divines, t. xiii, col. 647-648, et 652.

Mais il y a en Dieu une autre procession, celle de l’amour : « Le Verbe suit l’opération de l’intelligence ; l’amour suit l’opération de la volonté, celle-ci postérieure à celle-là, selon notre manière de concevoir ; car il n’y a pas de procession selon l’amour sinon consécutivement à la procession selon l’intelligence, rien ne pouvant être aimé s’il n’est connu d’abord. » Q. xxvii, a. 3 ; cf. In /" » Sent., dist. XIII, q. i, a. 2 ; Cont*. Gentes, t. IV, c. xiii, (n fine ; De potentia, q. x, a. 2. & tte procession n’est pas une génération. Voir plus loin. Aucune autre opération que celle de l’intelligence et celle de la volonté ne peuvent se concevoir en Dieu ; il n’y a donc pas lieu d’établir plus de deux processions. Q. xxvii, a. 5 ; xxviii, a. 4 ; xxxvii, a. 1 ; xli, a’. : cf. In /" m Sent., dist. XIII, a. 3 ; Cont. Génies. i. IV. c. xxiii.

d) Les relations.

La procession entraîne en Dieu des relations : la seconde personne procède du Père dans le même ordre de réalité ; il en es ! de même de la troisième personne par rapport an l’ère et au I ils. Il est doue née.".’aire que les relations qui les unissent ni réelles et non pal seulement dans notre manière de voir. I », q. xxviii, a. 1. Or, en Dieu, la relation ne peut avoir d’autre réalité que la réalité même de l’essence. Gilbert de la Porrée a été condamné à Reims pour avoir distingué la réalité de l’essence de celle de la relation ; et peut-être aussi Joachim au IVe concile du Latran. En Dieu, la réalité de la relation ne peut être que substantielle ; cette réalité s’identifie donc avec l’essence divine, a. 2. Et pourtant il est nécessaire que les relations se distinguent entre elles réellement, non pas dans l’ordre d’où elles tirent leur réalité (esse iii), mais dans ce qui fait leur opposition (esse ad). Sur tous ces points, voir Relations divines, t. xiii, col. 2141-2145. Tout en s’identifiant avec l’essence dans leur réalité, les relations en demeurent distinctes d’une distinction de raison. In 7um Sent., dist. XXXIII, q. i, a. 1. Les théologiens postérieurs chercheront à préciser d’une manière plus subtile la nature de cette distinction. Voir plus loin.

S’identifiant avec l’essence divine, les relations sont dites subsistantes, c’est-à-dire qu’elles existent en elles-mêmes et par elles-mêmes, en raison de leur identité avec l’essence divine. Cette conclusion se dégage nettement des principes posés par saint Thomas, encore que le mot subsistentia ne présente pas chez lui de signification absolument fixe. Voir les exemples cités à Relations, col. 2153.

En raison de leur opposition d’origine, les relations divines ne peuvent être qu’au nombre de quatre : paternité = filiation ; spiration (active) = spiration (passive). Q. xxviii, a. 4 ; cf. q. xxx, a. 1, 2, et ad l um.

e) Les personnes divines. —

Saint Thomas conserve la définition de Boèce : persona est rationalis naturæ individua substantia, individua marquant ici l’incommunicabilité. Q. xxix, a. 1 ; cf. III », q. ii, a. 2 ; In /" » Sent., dist. XXV, a. î ; De potentia, q. ix, a. 2 ; De unione Verbi, a. 1. Il faut donc identifier personne, hypostase, subsistence (au sens concret), chose de nature, lorsque ces trois derniers termes indiquent un individu raisonnable. Ibid., a. 2 ; cf. In II am Sent., dist. XXIII, a. 1 ; De potentia, q. ix, a. 1. Ces noms, et très proprement le nom de personne, peuvent et doivent être transférés à Dieu, avec l’analogie et l’excellence qui conviennent. Ibid., a. 3 ; cf. a. 2 et a. 3. Ces principes posés, saint Thomas rappelle que le mot « personne » signifie en Dieu la relation d’origine, mais considérée comme subsistante. Ibid., a. 4 ; cf. a. 3 et dist. XXVI, q. î, a. 1 ; De potentia, q. ix, a. 4. Et c’est par là que s’achève la solution de la difficulté provenant de l’unité de l’essence et de la trinité des personnes, solution esquissée à la q. xxviii, a. 3 ; ad l um et qui a été développée à Relations, col. 2155-2156.

Qu’il y ait seulement trois personnes en Dieu, cela résulte non seulement de la révélation qui impose cette croyance, mais de la définition même de la personne en Dieu. Puisque la personne est la relation subsistante, incommunicable, la spiration active, commune au Père et au Fils, ne peut constituer une personne, I », q. xxx, a. 1-2 ; cf. xxxi, a. 1, a. 6 ; In I am Sent., dist. X, a. 5 ; Conl. Gentes, t. IV, c. xiii, xxvi ; De potentia, q. ix, a. 9 ; Comp. theol., t. I, c. lvi, lx.

Enfin — conclusion logique — c’est par l’opposition des relations que les personnes se distinguent entre elles, I », q. xl, a. 2, ad 2um ; cf. De potentia, q. viii, a. 3 ; q. ix, a. 5, ad 18 om. On a vu plus haut l’opinion moins catégorique de saint Bonaventure, d’Alexandre de Halès et de leur école. Pour saint Thomas, les relations non seulement manifestent et notifient la distinction des personnes ; elles la réalisent effectivement par leur opposition mutuelle. L’a. 3 de la q. xl de la Somme est sur ce point aussi catégorique que possible. Sans les citer, l’Angélique docteur combat les théologiens franciscains : même si, par simple abstraction, nous enlevions des personnes divines l’idée de relation, il ne resterait plus que l’idée d’essence unique. Cf. In I um Sent., dist. XXVI, q. î, a. 2 ; De potentia, q. viii. a. 4 ; Comp. theol., t. I, c. lxi, lxii. Toute l’école thomiste est ici avec le Maître.

Tels sont les principes généraux par lesquels il est possible de montrer quelle est la vraie pensée de saint Thomas sur quelques problèmes trinitaires purement scolastiques :

a. Les personnes divines sont constituées dans leur être personnel formellement et uniquement par l’opposition qui réalise leur distinction. Par conséquent, la spiration active ne peut être invoquée à aucun titre comme constituant l’être personnel du Père et celui du Fils. Cette solution est contestée par plus d’un théologien des écoles non thomistes, ainsi qu’il apparaîtra plus loin.

b. Les notions et les personnes sont identiques ; les notions ne font que marquer d’une façon abstraite la raison qui, dans les personnes mêmes, les distinguent l’une de l’autre. Essentia in divinis est ut quid, persona vero ut quis, proprietas autem ut quo. I », q. xxxii, a. 2. Voir Notion, t. xi, col. 802.

c. La procession et la relation en Dieu sont formellement la même réalité et ne diffèrent que dans les termes. Cf. I », q. xli, a. 1, ad 4 nm. Selon leur mode de signification, la procession diffère de la relation comme l’implicite de l’explicite. Ibid. Cf. q. xl, a. 2.

f) Le Père. —

Voir ici t.xii, col. 1188 sq. Avec tous les théologiens, saint Thomas enseigne que le Père est et doit être appelé « principe », puisqu’il est à l’origine des processions divines. I*, q. xxxiii, a. 1. Bien que marquant la relation d’origine, le mot « Père » est un nom personnel, car en Dieu la relation de paternité est subsistante, a. 2 ; toutefois la paternité peut être affirmée essentiellement de Dieu par rapport à ses créatures et en ce cas elle appartient en commun aux trois personnes, c’est-à-dire à la divinité comme telle. A. 3. Enfin le Père est l’inengendré, en tant qu’il lui est propre de ne procéder d’aucun autre. A. 4. C’est à ce propos que, dans l’ad 1um, saint Thomas réfute la thèse de saint Bonaventure accordant à l’innascibilité une réalité positive qui en ferait le principe de la fécondité divine. La vraie considération des choses ne sépare pas la relation de sa subsistence dans la personne divine, voir ci-dessus ; elle exige, contrairement à l’affirmation de Pierre Lombard et de saint Bonaventure, qu’on dise : générât quia Pater.

g) Le Fils. —

Qui a étudié le Père a étudié le Fils, les deux relations de paternité et de filiation étant concertantes, I », q. xxxiv, introduction.

C’est surtout la dénomination de Verbe qui retient l’attention du saint Docteur. Eo Filius quo Verbum et eo Verbum quo Filius, répète saint Thomas après saint Augustin. Dieu ne reçoit pas la vérité ; il la pose comme le terme d’un acte qui est son être même ; il ne la conçoit pas comme l’intelligence conçoit le verbe mental ; il l’engendre. Par là même qu’il pense, il est Père et uniquement père et la Vérité est son Fils par là même qu’elle est son Verbe. On a dit comment la procession du Verbe réalisait la définition aristotélicienne de la génération, voir col. 1742. Saint Thomas a voulu marquer d’un trait admirable la différence entre la génération divine, toute intellectuelle, et la génération charnelle :

La génération charnelle des animaux exige une vertu active et une vertu passive : vertu active qui caractérise le père, vertu passive qui caractérise la mère. Parmi les choses exigées pour la génération d’un fils, les unes conviennent au père et d’autres conviennent à la mère… Or la procession du Verbe est définie comme l’acte par lequel Dieu se pense lui-même. Cette pensée ne provient d’aucune vertu passive, mais d’une sorte de vertu active, puisque l’intelligence divine n’est pas en puissance, mais seulement en acte. Donc, dans la génération du Verbe de Dieu, aucune maternité ; tout procède de la paternité. Voilà pourquoi tous les rôles qui sont distribués entre le père et la mère dans une génération charnelle sont attribués par les Saintes Écritures au Père seul pour la génération du Verbe. C’est ainsi qu’elles disent du Père qu’il donne la vie au Fils, qu’il le conçoit et qu’il l’enfante. Cont. Gentes, t. I, c. xi (tr. Th. de Régnon, op. cit., t. ii, p. 193-194).

Quelle clarification apporte la thèse thomiste à la doctrine scolastique du Verbe et d’une manière conforme aux données de la révélation ! Il y a là un réel progrès sur la thèse parallèle de saint Bonaventure.

La doctrine de l’Image est brièvement traitée, I », q. xxxv, a. 1-2. Ici encore, la psychologie humaine éclaire la révélation. Si je pense à moi-même, je pose devant moi ma propre image. Or, Dieu se connaît. Celui qui est le Verbe du Père est par là même son image parfaite et, puisqu’il s’agit d’une image procédant du Père, ce ne peut être qu’une personne, a. 1 ; cf. q. ciii, a. 5, ad 4<"° et In / « m Sent., dist. XXVIII, q. ii, a. 2. Être image appartient en propre au Verbe, a. 2. Voir plus loin.

Une question subsidiaire et toute scolastique est agitée à propos du Verbe ; quel est l’objet de l’intelligence divine quand elle exprime son Verbe ? Saint Thomas répond que « le verbe représente tout ce que l’intelligence conçoit dans l’acte qui le produit. Puis donc que Dieu se connaît lui-même et toutes choses par un seul acte, son Verbe unique représente et le Père et toutes les créatures. La science de Dieu est simplement spéculative, eu tant que Dieu se connaît soi-même ; elle est spéculative et créatrice à la fois, en ce qui concerne les créatures. Ainsi dans le Verbe se trouve simplement exprimé tout ce qui concerne Dieu ; mais en lui s’exprime et se réalise ce qui concerne les créatures : dix// et facta sunt (ps. xxxii, 9) ». I », q. xxxiv, a. 3. Écho du beau commentaire du prologue de saint Jean, c. i, lect. 2. Cf. De veritate, q. iv, a. 4-7.

h) Le Saint-Esprit. —

La procession selon la volonté donne naissance au Saint-Esprit, lequel procède à la fois du Père et du Fils comme d’un principe unique. A vrai dire, cette procession est plus obscurément présentée par la révélation, qui laisse innommée la relation reliant le Père et le Fils au Saint-Esprit. La théologie invente le nom de « spiration » (active et passive) en conformité avec le nom d’esprit. Mais il n’y a ici qu’une dénomination de haute convenance. I », q. xxxvi, a. 1 ; cf. Cont. Gentes, t. IV, c. xix ; Comp. theol., c. xlvi-xlvii.

Pourquoi la procession du Saint-Esprit n’est-elle pas une génération ? Richard de Saint-Victor pensait l’expliquer en indiquant que le Saint-Esprit n’avait pas reçu du Père, et du Fils une nature féconde. De Trin., t. VI, P. L., t. exevi, col. 975, 982-985. Saint Bonaventure estimait que le Saint-Esprit, ne procédant pas selon la nature, ne pouvait être dit engendré. Saint Thomas donne une raison, semble-t-il, plus profonde. Par lui-même, l’amour ne tend pas à reproduire l’aimant dans l’aimé, mais plutôt à créer dans l’aimant une propension vers l’aimé. Voir le développement de cette idée à Processions divines, t. xiii, col. 648. Il n’y a donc pas ici une procession en parfaite similitude de nature. I », q. xxvii, a. 4 ; xxxvi, a. 1, in fine ; cf. Cont. Gentes, t. IV, c. xxiv-xxv. Pierre Auriol contestera la valeur de cette raison, la volonté, l’amour ne pouvant être considérés comme produisant une réalité. Voir t.xii, col. 1862. Mais il ne s’agit que d’analogie, comme on l’a dit à Processions, toc. cit., et ce t poids qui entraîne l’aimant vers l’aimé est bien capable de nous suggérer en Dieu l’existence d’un terme de la procession selon la volonté. Ainsi l’expliquent tous les thomistes pour défendre cette raison contre les attaques dont elle a été l’objet. Cf. Pcnldo,

Cur non Spiritus Sanctus a Pâtre Deo genitus ? S. Augustinus et S. Thomas, dans Rev. thom., 1930, p. 508 sq.

Pourquoi le Saint-Esprit ne peut-il être dit, comme le Fils, l’image du Père ? Après avoir éliminé les raisons proposées par d’autres, saint Thomas déclare qu’il ne peut y avoir similitude en raison de la procession même sinon pour le Verbe. L’amour, par lui-même, ne comporte pas cette ressemblance. Ici donc encore, on pourrait dire : Eo Filius quo Verbum ; eo Imago quo Filius. I a, q. xxxv, a. 2.

Enfin, reste la controverse du Filioque, sur laquelle saint Thomas est revenu à maintes reprises et sous différentes formes. On n’examinera ici que l’aspect scolastique de la question. Pour la controverse avec les Grecs, voir plus loin, col. 1758. Logique avec sa doctrine rigide de l’opposition relative, seul principe de la distinction des personnes, saint Thomas ne conçoit pas que le Saint-Esprit puisse être réellement distingué du Fils s’il ne s’oppose pas à lui par une relation d’origine : « Les relations ne peuvent distinguer les personnes, sinon en tant qu’elles sont opposées. Il en est ainsi du Père qui a deux relations dont l’une s’oppose au Fils, l’autre au Saint-Esprit. Mais ces deux relations, n’étant pas opposées l’une à l’autre, ne constituent qu’une personne. Si, dans le Fils et le Saint-Esprit, on ne trouvait que deux relations, l’une et l’autre s’opposant au Père, ces deux relations ne s’opposeraient pas l’une à l’autre, pas plus que dans le Père la relation au Fils et la relation au Saint-Esprit. Ainsi, de même que la personne du Père est unique, ainsi la personne du Fils et celle du Saint-Esprit se confondraient, avec leurs deux relations opposées seulement aux deux relations du Père. Et cela est hérétique. Il faut donc affirmer que le Fils procède du Saint-Esprit, ce que personne n’a jamais dit ou que le Saint-Esprit procède du Fils. » I*, q. xxxvi, a. 2 ; cf. In I um Sent., dist. XI, q. i, a. 1 ; De potentia, q. x, a. 4 ; Cont. Génies, t. IV, c. xxiv, xxv ; Comp. theol., t. I, c. XLIX.

A cette raison, qu’on pourrait appeler métaphysique, le Docteur angélique ajoute une raison « psychologique », esquissée déjà plus haut, col. 1742, dans l’ordre des processions : « Il est nécessaire que l’amour procède du Verbe, car nous n’aimons quelque chose qu’autant que nous le percevons dans un concept mental. » I*, q. xxxvi, a. 2.

Mais comme, dans la spiration, le Père ne s’oppose pas au Fils, on doit en conclure qu’ils ne forment à l’égard du Saint-Esprit qu’un principe unique. Ibid., a. 4. Ce principe se rapporte indistinctement aux deux personnes du Père et du Fils dans l’unité de la substance divine. Ibid., et ad 4um ; cf. ad 5 ii, n. Cette unité de spiration dans l’unité de la substance ne détruit pas la dualité des personnes : « Il n’est pas contradictoire que la même propriété se retrouve dans deux suppôts dont la nature est une. Cependant, si l’on considère les suppôts de la spiration, le Saint-Esprit procède du Père et du Fils en tant qu’ils sont deux, puisqu’il procède comme l’amour qui les unit tous deux. » Ibid., ad l u ™. Néanmoins saint Thomas ne rejette pas la formule grecque du Saint-Esprit procédant du Père par le Fils, a. 3 ; il l’explique en bonne part, en ce sens que « l’Esprit-Saint procède immédiatement du Père, puis médiatement en tant qu’il sort du Fils ». Ad 1°".

Les questions xxxvii et xxxviii sont consacrées aux deux noms appropriés au Saint-Esprit : V Amour et le Don. Voir Noms divins, t. xi, col. 790-791. Dans la question xxxvii, a. 2, ad 3° iii, saint Thomas établit un heureux parallèle, par rapport aux créatures, entre la procession du Verbe et celle de l’Esprit-Saint : « Le Père aime non seulement le Fils, mais encore lui-même et nous par le Saint-Esprit ; car, encore une fois, le mot « aimer », pris notionellement, implique et la production d’une personne divine et cette personne elle-même. Comme donc le Père se parle et parle toute créature dans le Verbe, parce que le Verbe représente toute créature et le Père, ainsi, il s’aime et aime toute créature dans le Saint-Esprit, parce que le Saint-Esprit procède comme amour de la bonté première qui fait que le Père s’aime et aime toute créature. Où l’on voit que le Verbe et l’Amour comportent secondairement un rapport aux créatures : ils sont, comme Vérité et Bonté divines, le. principe de la connaissance infinie et de l’amour de Dieu à l’égard des créatures. »

Les autres questions touchées par saint Thomas ont été exposées à Notion et Noms divins. La question des « missions divines » fera l’objet d’un article spécial. Voir col. 1830.

3. Influence des doctrines trinitaires de saint Thomas d’Aquin aux XIe et XIVe siècles. —

On sait que saint Thomas n’eut pas que des admirateurs et qu’il fallut attendre sa canonisation pour que tombassent certaines oppositions violentes à sa doctrine. Cependant, depuis 1278, les chapitres généraux des dominicains avaient agi en faveur des doctrines thomistes. La doctrine trinitaire était d’ailleurs en dehors des controverses. Noël Hervé (Hervé de Nédellec), général de l’ordre en 1318 († 1323) est l’auteur d’une Defensa doctrinæ divi Thomse, qui est une véritable apologie de la Somme et prépare l’œuvre théologique de Capréolus.

Il faut cependant signaler deux points où l’influence de saint Thomas fut, sinon décisive, du moins prépondérante, même en dehors de l’ordre dominicain :

a) C’est d’abord la réaction contre l’opinion bonaventurienne de la procession du Verbe secundum naturam. Saint Thomas défendit énergiquement la procession secundum intellectum, plus conforme à la révélation et à la nature des choses. Des théologiens de toutes écoles et de tous ordres embrassèrent ce point de vue. Citons les principaux : le dominicain Bernard de la Treille († 1292), le séculier Henri de Gand († 1293) qui admet une lumière spéciale accordée aux théologiens pour pénétrer, comme par intuition, la nature intime de la Trinité ; le franciscain Guillaume de Ware (début du xiv° siècle) ; le carme Gérard de Bologne († 1317) ; Pierre Auriol († 1322) ; Pierre de la Palu († 1342) ; le cistercien Jean de Pouilly († 1342), etc. Voir les textes dans Schmaus, op. cit., p. 135-139. Sur Guillaume de Ware, professeur à Oxford, voir A. Daniels, Zur den Beziehungen zwischen Wilhelm von Ware und Duns Scotus, dans les Franc. Stud., 1917, et d’autres études et extraits par le même auteur, dans les Beitrâge de Bàumker, Munster-en-W., t. vin. Sur Bernard de la Treille, voir G.-S. André, Les Quodlibeta de Bernard de la Treille, dans Gregorianum, 1921, p. 226-265 ; Notes sur les manuscrits de Bernard de la Treille et Guillaume de Hozun, daas Rev. des se. phil. et théol., 1914, p. 467-476.

b) C’est encore et surtout l’élément constitutif des personnes divines. Disciples de Pierre Lombard, un certain nombre de théologiens, même avant saint Thomas, avaient enseigné, sans toutefois approfondir la question, que les personnes divines étaient constituées par les propriétés personnelles d’origine et relatives. Ainsi : Bobert de Melun († 1167), Pierre de Poitiers († 1205) ; Guillaume d’Auxene († 1231) et postérieurement à saint Thomas, Jean de Naples († 1336). Les textes dans Schmaus, op. cit., p. 387, 391, 433, 409, 411, 441. Saint Thomas ayant précisé cette doctrine, voir col. 1743, contre la thèse de saint Bonaventure, c’est toute une pléiade de théologiens de provenances fort diverses qui s’y rallient. Chez les dominicains : Thomas de Sutton († 1300), Jean de Paris († 1306), Hervé Noël († 1323), Jacques de Lausanne,

Jean Picard (de Lichtenberg), Henri de Lubeck, Nicolas Trivet. Cf. Schmaus, op. cit., p. 509, 510, 417, 427, 424, 412, 440, 439. Bon nombre de scotistes : Guillaume de Ware, Jean de Beading, Alexandre d’Alexandrie, Landulphe Caraccioli, Hugues de Newcastle, Pierre d’Aquila (Scotellus), Henno, tous au début du xive siècle. Les textes dans Schmaus. op. cit.. p. 516, 518, 522-525, 537-539, 541, 543. Du même auteur, voir Auguslinus und die Trinitàtslehre Wilhelms von Ware (sur la doctrine trinitaire de Guillaume de Ware) dans la collection Grabmann-Mausbach, Aurelius Auguslinus, Cologne, 1930, p. 330-331. L’opinion thomiste est également retenue par les augustins Gilles de Borne et Thomas de Strasbourg ; par les carmes Gérard de Bologne et Gui de Perpignan (Gui Terreni) et par les séculiers Henri de Gand et Godefroy (ou Geoffroy) des Fontaines, tous de la première moitié du xiv c siècle. Cf. Schmaus, op. cit., p. 474, 476, 477, 479, 481. Sur Geoffroy des Fontaines et sa place dans l’histoire de la théologie trinitaire, voir A. Stohr, Des Gotifried von Fontaines Stellung in der Trinitàtslehre dans Zeitschr. fur kalh. Theol., 1926, p. 177 sq.

4° Réactions théologiques diverses. —

Il s’en faut néanmoins que la synthèse thomiste sur la Trinité ait été acceptée par tous et sur tous les points. Un jeune et brillant théologien de la famille franciscaine devait y apporter plus d’une réserve. Tout en restant fidèle dans les grandes lignes à un exposé consacré par la tradition de longs siècles, Duns Scot, sur des points où la philosophie a son mot à dire, modifie l’exposé de saint Thomas. Au nom de ce maître qui fera école doivent être joints ceux de trois autres théologiens, chacun très indépendant en son genre, dont la théologie trinitaire est trop personnelle pour être passée sous silence : Pierre Auriol, Durand de Saint-Pourçain, Occam.

1. Duns Scot et son école. —

La doctrine trinitaire de Duns Scot a été exposée à Duns Scot, t. iv, col. 18811884 ; cf. P. Minges, Zur Trinitàtslehre des Duns Scotus, dans Franc. Studien, 1919, p. 24 sq. Nous n’y revenons ici que pour marquer l’influence du Docteur subtil sur l’école scotiste du xive siècle en matière trinitaire. On a dit que les arguments employés par Scot pour « démontrer » le fait de la Trinité ne sont en réalité ni une démonstration quia, iii, à plus forte raison, une démonstration propter quid, col. 1882 ; ce ne sont que des arguments de convenance. C’est là, d’ailleurs, l’attitude prise par la presque totalité des théologiens du xive siècle, y compris Henri de Gand. Cf. L. Janssens, De Deo trino, p. 412.

a) Les processions. —

Les processions sont de véritables productions (c’est le terme employé par Scot) constituées par un acte vital ou attachées à cet acte. C’est substantiellement la doctrine traditionnelle. En Dieu, il n’y a que deux principes de production : la nature, la volonté ; et, dans chaque ordre, il ne peut y avoir multiplicité de production en raison de l’infinité du terme produit ; voir t. iv, col. 1882. Ici, Scot se rattache à l’enseignement bonaventurien, qui demeure héréditaire dans l’ordre de saint François.

Dans la génération du Verbe, Scot distingue intelleclion et diction. C’est par la diction seule, produite par l’intelligence déjà en possession de son objet (ce qui est la memoria fecunda), que l’acte de génération se réalise et produit le Verbe ; voir col. 1888. Cette explication a été retenue dans l’école scotiste, au xive siècle, par François de Meyronnes († 1325), Jean de Bassolis († 1347), Jean de Beading (vers 1325) (sur la doctrine, trinitaire de ce théologien, voir t. xiii, col. 1833), Landulphe Caraccioli († 1351), dont Pierre de Candie affirme que la doctrine est doctrina Doctoris subtilis, cf. Ehrle, Die Sentenzenkommentar Peters von Candia, Munster-en-W., 1925, p. 70, et enfin par Pierre d’Aquila († 1361). Voir les textes dans Schmaus, op. cit., p. 139-151. Sur Pierre d’Aquila, voir Scotellus, t. xiv, col. 1732. La connaissance dont procède la diction est restreinte par Scot à la connaissance de l’essence et des attributs divins et probablement aussi des personnes ; voir t. iv, col. 1881. Cf. Scot, In Il" m Sent., dist. I, q. i, concl. (expliqué par Frassen, Scotus academicus, tract, vi, dist. I, a. 3, q. ii, concl. 2). Toute l’école scotiste suit ici son chef de file. Cf. Suarez, De Trinitate, t. VI, c. vi, n. 1.

Dans la procession du Verbe existe un acte d’amour essentiel qui suit la connaissance que Dieu a de lui-même, des attributs et des personnes. Mais un second acte d’amour, commun au Père et au Fils, est un acte d’amour volontaire, à la fois libre et nécessaire et donc personnel. Voir t. iv, col. 1882-1883. Cette doctrine « met en relief le caractère formel des productions éternelles sans les expliquer uniquement par.l’opposition des relations.. Elle souligne particulièrement la différence à établir, d’une part, entre les émanations vitales : actes de connaissance et d’amour, et, d’autre part, entre les actes féconds : diction productrice du Verbe et spiration productrice de l’Esprit-Saint. Elle rend compte enfin de la thèse soutenue par le Docteur subtil que l’Esprit-Saint se distinguerait du Verbe, alors même qu’il n’en procéderait pas ». Col. 1883.

Ce dernier point a son fondement philosophique dans la célèbre distinction formelle ex natura rei que Duns Scot applique même aux conceptions trinitaires. Tandis que, pour saint Thomas, c’est uniquement l’opposition des relations qui justifie la distinction des personnes, pour Scot, la relation et la propriété personnelle suffisent, par elles-mêmes, à distinguer les personnes. In I um Sent., dist. XI, q. ii, n. 6-11. Et ainsi, même si la spiration active n’était pas commune au Père et au Fils, par la seule paternité et la seule filiation, les deux premières personnes se distingueraient de la troisième.

Des théologiens antérieurs à Scot, des contemporains et, cela va sans dire, l’école scotiste dans son ensemble soutiennent cette manière de voir, qui est bien dans la ligne d’Alexandre de Halès et de saint Bonaventure. Avant Scot : Jean Pecham, Henri de Gand, Pierre de Trabibus, Roger Marston, Guillaume de Ware, Mathieu d’Aquasparta, Nicolas Ockam, Pierre d’Angleterre. Après Scot, la plupart des scotistes : Alexandre d’Alexandrie, Henri Harclay, Martin d’A’nwick, Jean de. Bassolis, Landulphe Caraccioli, François de Marchia, Pierre d’Aquila dit Scotellus, Robert Cowton, Pierre Auriol. Les textes dans Schmaus, op. cit., p. 291, 292, 296, 300, 304, 307, 311, 341, 313, 344, 350, 351, 352, 354, 356, 357, 367, 373. Cf. J. Slipyj, Num Spiritus Sanctus a Filio distingueretur si ab eo non procederel, dans Bohoslooia, Lwov, 1927, p. 2sq. ; 1928, p. 1 sq.

Enfin, la procession du Saint-Esprit n’est pas une génération. Scot apporte la même preuve qu’Alexandre de 1 laies 1 1 saint Bonaventure ! Op. Oxon., I. I, dist. XIII, n. 18 ; l’Esprit-Saint procède selon la volonté. Toute l’école scotiste est, ici encore, substantiellement d’accord. Voir, pour le xive siècle, les textes dans Schmaus, op. cit., p. 236-248 ; cf. Frassen, Scotus academicus, De Trinitate, tract. III, dist. I, a. 2, q. iv, concl..’!  ; Henno, De Trinitate, disp, I, q. vi. concl. l : (. Mais la spiration n’est pas le résultat de l’amour du l’en pour !, Mis ni du Fils pour le Père : le Père et le Fils produisent le Saint-Esprit parce qu’ils ont l’aadivine comme premier objet de leur volonté. Cf. In /""> Srnt., dist. XII, q. i, n. 7.

b) Les relations. —

Le problème des relations divines présenti pin, chez Scol - on le com p re n d pat ce qui précède av< c le menu caractère systémal Ique qui’chez talni i homas. Sans doute, le Docteur subtil enseigne l’existence des quatre relations réelles : paternité, filiation, spiration active et spiration passive. Mais, en plus des relations réelles s’opposant dans les personnes divines, Scot admet des relations réelles communes d’identité, de ressemblance et d’égalité entre les personnes. Op. Oxon., In I um Sent., dist. XXXI, q. un, a. 2 et 5 ; Rep. Paris., id., q. iii, n. 26-30 ; Quodl. vi, a. 2 et 5. Cette affirmation ne peut se soutenir qu’avec l’appui de la distinction formelle ex natura rei. Pour nous en tenir aux quatre relations réelles d’origine, Scot admet avec tous les théologiens que, par leur opposition mutuelle, elles se distinguent réellement l’une de l’autre. Bien plus, la relation de spiration active, commune au Père et au Fils, se distingue non réellement, mais formellement ex natura rei de la relation de paternité et de filiation. Elle ne constitue pas une personne, mais, dans la pensée de Scot, ne serait-elle pas un complément nécessaire dans la constitution de la personne du Père et dans celle de la personne du Fils ? C’est du moins à cette conclusion qu’arrive Pierre Auriol. In I" m Sent., dist. XI, q. i, a. 3. Pour Scot, voir Op. Oxon., dist. XI, q. ii, n. 6-11.

c) Les personnes. —

Quelques mots complémentaires suffiront. La définition scotiste de la personne corrige celle de Boèce ; elle présente la personnalité comme une répugnance à toute communication, répugnance constituée par la réalité positive de l’être personnel. Voir t. iv, col. 1883, mais aussi Hypostase, t. vii, col. 411. Cette notion de la personne, où l’élément négatif (incommunicabilité) se mêle à l’élément positif (réalité de l’être incommunicable), a été retenue par toute l’école scotiste. Voir t. vii, col. 412. Appliquée à Dieu, elle ne représente par elle-même ni substance, ni relation, et par là elle est commune aux trois personnes. Concrètement, chaque personne est constituée et distinguée par la relation subsistante et non par une propriété absolue. Toutefois l’opinion relevée chez Robert Grossetête, voir col. 1731, ne paraît pas improbable à Scot. In I » ™ Sent., dist. XXVI, n. 23-40. Tout en reconnaissant le sérieux de l’argumentation de Scot en faveur de l’évêque de Lincoln et les difficultés de la thèse traditionnelle, les scotistes se rallient néanmoins à cette thèse, parce que traditionnelle et plus conforme à la révélation. Ainsi opinent, au xiv° siècle, Jean de Bassolis, François Mayronnes, Fr. de Marchia et Robert Cowton. On retrouvera le même point de vue au xvie siècle, chez Lichet et Malafossa et, au xvii c, chez Macedo et Frassen. Les textes dans Schmaus, op. cit., p. 482-509, 508, 533, 534, 536, 542, 557, 558 ; Frassen, toc. cit., dist. II, a. 1, q. n.Cf.Baliè, Les commentaires de Jean Duns Scot sur les quatre livres des Sentences, Louvain, 1927, p. 154-161.

Un dernier point, à peine ébauché par Scot, est la subsistence des personnes divines. Préludant à une solution qui ne sera explicitée qu’ultérieurement, Scot semble n’affirmer qu’une subsistence absolue, par laquelle les trois relations possèdent leur existence personnelle. In III um Sent., dist. I, q. II, n. 6.

2. Pierre Auriol († 1322). —

Malgré de nombreuses divergences, Auriol est un précurseur du nominal isme d’Occam. Rien d’étonnant que, dans l’exposé du dogme trinitaire, l’apport philosophique soit réduit au minimum. Cet exposé a été rappelé t. XII, col. 16811685. Nous n’en ferons ici qu’un bref résumé. Tout en restant traditionnel dans les grandes lignes, Auriol s’allirme indépendant de toutes les tendances. C’est là, peut-on dire, sa note caractéristique II admet la poa Ibilité d’une démonstration philosophique des pro"its divines. Toutefois sa théorie sur la génération et la spiration en Dieu est très particulière : d’une part, avec Pierre Lombard et. dit-il, avec l’Église (concile de 1215), il nie que l’essence puisse engendrer l’essence ; d’autre part, il n’admet dans la génération que l’actualité même du terme : le Fils. Pareillement, le Saint-Esprit procède selon la volonté et l’amour ; mais la volonté et l’amour ne sont pas des principes producteurs ; c’est un acte qui se distingue par son objet. Ainsi « engendrer » et « souffler » (spirare) ne se distinguent pas ; seuls les deux termes sont réellement distincts. On comprend pourquoi Auriol se place parmi les auteurs qui expliquent la distinction du Fils et de l’Esprit-Saint par leur réalité personnelle et non par leur relation d’origine ; d’où il suit que, si le Saint-Esprit ne procédait pas du Fils, il s’en distinguerait encore. Néanmoins, il faut accepter, en vertu de la définition de l’Église, les relations divines. Les personnes en Dieu sont une résultante de la nature et des relations. Les propriétés personnelles s’identifient pleinement avec l’essence, sans distinction même de simple raison ; il n’y a, de notre part, qu’une impossibilité de les concevoir distinctement. Et il faut en dire autant des relations par rapport aux propriétés et par rapport à l’essence.

Le Fils est appelé Verbe parce qu’il est Dieu placé dans un être objectif et apparent ; et c’est aussi pourquoi il doit être appelé Image.

3. Durand de Saint-Pourçain († 1334). —

Durand est le dominicain infidèle au thomisme. Sur bien des points, en effet, même en doctrine trinitaire, il s’écarte de l’enseignement de sa famille religieuse.

Tout d’abord, il admet comme possible une démonstration rationnelle des processions : Demonstrationem processionum divinarum inlranearum certain dari posse, en supposant toutefois la révélation préalable du mystère. In J am Sent., dist. II, q. iv. Jacques de Metz, dont la parenté doctrinale avec Durand est fortement accusée, soutient la même thèse. Voir les textes dans Schmaus, op. cit., p. 29, 30. Cf. J. Koch, Die Jahre 1312-1317 im Leben des Durandus de S. Porciano, dans Miscellanea Ehrle, 1924, 1. 1, p. 274.

On a vu plus haut que Durand s’était rallié à la thèse de la procession du Verbe par voie de nature, col. 1739 ; mais il faut signaler qu’il ne s’agit pas d’une « production » (generatio), mais d’une « émanation de la nature très féconde. Et la production du Saint-Esprit s’explique par le même principe. Pareillement les propriétés et attributs découlent de l’essence. Explication assez singulière qui rend difficile la conception de deux « émanations » parallèles différentes ou, si l’on admet cette possibilité, qui ne présente aucune raison valable de s’arrêter à deux. Explication, en tout cas, qui ne saurait rendre compte de la différence entre la génération du Fils et la « spiration » de la troisième personne. Cette explication est cependant accueillie avec faveur par Jacques de Lausanne, Jean de Naples, Guy de Perpignan, Guillaume de Rubione, Guillaume d’Occam, Nicolas Trivet. Les textes dans Schmaus, op. cit., p. 130, 131, 216-225, 136, 141, 247, 153, 247, 228. Ce qui n’empêche pas plusieurs de ces auteurs de se rallier pleinement à la thèse thomiste des relations.

En troisième lieu, Durand semble s’accorder avec saint Thomas, en plaçant dans la relation la personne divine. In I » m Sent., dist. XXVI, q. i, n. 15-17. Mais il s’en écarte en accordant à la relation comme telle, qui constitue la personne une réalité en quelque sorte distincte de celle de l’essence : « La différence entre l’essence et la relation n’est pas purement et simplement une différence de raison. Mais on ne saurait dire non plus que c’est une différence réelle. Il est nécessaire d’affirmer qu’elles diffèrent d’une certaine manière réellement… comme la chose et le mode de la posséder. » In 7um Sent., dist. XXXIII, q. i, n. 33 sq. Pour l’appréciation de cette opinion, voir Relations divines, t. xiii, col. 2146.

Cette distinction modale trouve une application aussi peu heureuse dans la distinction réelle que Durand en conclut entre la spiration active d’une part et, d’autre part, la paternité et la filiation. Il y aurait donc ainsi quatre relations non seulement réelles, mais réellement distinctes : « Engendrer et souffler (spirare) diffèrent réellement et pareillement être engendré et être soufflé ; ces relations se distinguent par elles-mêmes et non par une autre chose, sans quoi il faudrait aller à l’infini. » In Z um Sent., dist. XIII, q. n. D’où il suit que, même si le Saint-Esprit ne procédait pas du Fils, il s’en distinguerait encore réellement. Ibid.

Un dernier point, sur lequel on pourra être d’accord avec Durand, c’est la subsistence divine au sens concret du mot. « La personne divine subsiste par l’essence et non par la propriété relative », d’où il suit que « la subsistence en Dieu est unique et absolue ; et c’est en raison de l’essence qu’elle appartient aux personnes ». In III nm Sent., dist. I, q. ii, n. 7. Voir ici t. xiii, col. 2153-2154.

4. Guillaume d’Occam (t vers 1349). —

La métaphysique du nominalisme exclut les relations réelles, voir ici t. xi, col. 748. Et déjà nous avons vu plus haut comment Pierre Auriol en avait minimisé l’importance dans le dogme trinitaire. Occam va plus loin. On a rappelé à l’art. Nominalisme son attitude en face de la distinction formelle à admettre en Dieu pour distinguer la formalité de la relation de celle de l’essence, tout en identifiant la réalité de l’une et de l’autre. C’est en vertu du principe d’identité qu’Occam s’insurge, au nom de la seule raison, contre les distinctions formelles et même de simple raison apportées en Dieu par la théologie. Il s’insurge également, toujours au nom de la seule raison, contre le réalisme de la relation même transportée en Dieu en vue d’expliquer la trinité des personnes. Voir t. xi, col. 742748. On a dit aussi comment, en dépit de ces présupposés philosophiques, Occam avait cru pouvoir exposer sa doctrine trinitaire, col. 776-779. En réalité, il a la foi ; il croit au mystère ; mais, se plaçant au point de vue rationnel, il y trouve contradiction : « Il y a opposition essentielle entre le mouvement de la raison et la donnée de la foi, mais la raison et la foi n’ont pas une égale autorité : en croyant, nous adhérons à l’objet qui s’est lui-même révélé ; en raisonnant, nous usons, autant que nous le pouvons, des puissances que possède actuellement notre esprit ; la raison ne peut que s’arrêter devant le mystère et constater que, de soi, elle le nierait. » P. Vigneaux, art. cit., col. 779.

Du procès qui fut fait à Occam en cour d’Avignon, nous avons le rapport adressé au pape Jean XXII par les censeurs, au nombre desquels était Durand de Saint-Pourçain. Cinquante et un articles avaient été examinés. En ce qui concerne le dogme trinitaire, graves étaient les conséquences résultant de la critique des idées de relation et de distinction. Voir le résumé des art. 27, 28, 37, 41, 42 et 44 relatifs à la Trinité, t. xi, col. 892. L’université de Paris prit position contre Occam, col. 896. Mais le Saint-Siège n’intervint pas directement dans le débat théologique. Du moins les principes philosophiques fortement apparentés à ceux d’Occam furent condamnés par Clément VI dans la cause de Nicolas d’Autrecourt ; voir t. xi, col. 561 sq.

Plus d’un siècle après, le nominalisme trouvait un dernier et illustre défenseur dans la personne de Gabriel Biel († 1495). Biel, est caractérisé par son souci de l’orthodoxie. Mais Biel est un disciple d’Occam et, dans son traité de la Trinité, Epilome et collectarium circa IV Sententiarum libros…, t. I, dist. II sq., il montre qu’il conserve la rigide logique nominaliste. L’essence et la relation apparaissent en Dieu, d’après la raison, comme une simple réalité. La foi seule nous apprend que tout ce qui est vrai de l’une ne l’est pas de l’autre. Voir t. ii, col. 819.

5° Conclusion. —

Une vue d’ensemble sur l’enseignement des grands scolastiques résumera cette partie de notre étude.

1. En général, les scolastiques partent de cette idée que la doctrine de la Trinité relève du domaine strictement surnaturel. Les raisons qu’on peut en apporter, même après révélation faite du mystère, sont de simples raisons de convenance. Les uns prennent ces raisons dans la psychologie humaine, où Augustin avait trouvé une image de la Trinité ; d’autres, dans la diffusion inhérente à l’amour divin ; d’autres enfin, dans la bonté de Dieu, source de communications personnelles.

2. Les scolastiques sont d’accord pour rattacher la génération du Fils à l’ordre de la connaissance, même ceux, assez nombreux, qui considèrent que cette première procession est « selon la nature » ; la procession du Saint-Esprit est selon l’ordre de l’amour et de la volonté. Tous admettent que cette dernière procession n’est pas une génération, bien que les raisons qu’ils en apportent soient assez divergentes.

3. Les personnes divines sont constituées par les relations ; tous reconnaissent que la foi est engagée dans cette doctrine. Mais le mot « constituées » est interprété de différentes manières. L’école thomiste seule identifie formellement la personne et la relation subsistante ; les autres écoles semblent placer dans la personne quelque propriété que la relation met simplement en relief.

4. En ce qui concerne la distinction du Saint-Esprit des deux autres personnes, les scolastiques se partagent en deux grandes écoles. L’école thomiste, fidèle au principe de la relation constitutive de la personne, déclare que le Saint-Esprit ne se distingue du Père et du Fils qu’en raison de sa procession de l’un et de l’autre, l’opposition de la spiration active et de la spiration passive marquant la distinction des personnes. L’école scotiste maintient que, même si le Saint-Esprit ne procédait pas du Fils, il s’en distinguerait par les propriétés personnelles que manifeste la relation au Père. Mais puisque le Saint-Esprit vient du Père et du Fils, les deux personnes ne font qu’un principe : duo spiranles, mais non duo spiratores.

5. Enfin, pour les notions et les appropriations, on se reportera aux articles consacrés à ces mots ; t. xi, col. 802-805 ; t. i, col. 1708.

II. les controverses.

Les articles Esprit-Saint (la procession de V) et Filioque n’ont pas fait à la théologie latine du Moyen Age la place qu’elle tient dans les controverses relatives à la procession du Saint-Esprit. Il sera utile de rappeler ici quel fut l’effort de quelques bons théologiens, avant d’indiquer les solutions apportées par les conciles.

L’apport des théologiens latins. —

1. Rappel des travaux antérieurs au XIIe siècle. —

Le Filioque, on l’a vii, avait provoqué de la part d’Alcuin, de Théodulphc d’Orléans, d’Énée de Paris et de Ratramne, des travaux divers en réponse aux attaques des Grecs. Plus tard, au xie siècle, nous avons pu citer les traités de Pierre Damicn et d’Anselme de Cantorbéry. En débordant un peu sur le xiie siècle, on a rappelé, de Rupert de Deutz, le De glorificatione Trinitatis et processione Spiritus Sancti.

2. Les controversistes des XIIe et XIIIe siècles. —

La controverse se situe entre les dernières luttes ; i|>rès le schisme consommé et les espoirs d’union que le II* concile de Lyon devait si fragilement restaurer. Nous signalons simplement en passant VOratio de Spiritu Sancto de Pierre Chrysolanus († 1117), archevêque de Milan, P. G., t. cxxvii, col. 911-920, adressée à l’empereur Alexis Comnène. Il s’agit de prouver cjuc le

texte de Joa., xv, 26 n’est pas exclusif de la procession a Filio. L’orateur montre que l’Esprit du Père est aussi l’Esprit du Fils (Gal., iv, 6 ; Rom., viii, 9). Plusieurs exemples scripturaires font voir qu’en nommant le Père, on sous-entend le Fils, par exemple les textes sur la rémission des péchés, Matth., vi, 14, et l’accomplissement de la volonté du Père qui nous rend frères de Jésus-Christ, Matth., xii, 50.

Il convient de s’arrêter sur trois noms : Anselme de Havelberg, Hugues Éthérien, saint Thomas d’Aquin.

a) Anselme de Havelberg († 1159). —

Envoyé comme ambassadeur à Constantinople par l’empereur Lothaire II, il eut avec les évêques grecs les plus habiles des conférences sur les dogmes qui divisaient les deux Églises. Sa longue familiarité avec les Pères lui permettait la controverse. Le résumé de ses discussions est contenu dans le 1. II de ses Dialogues, P. L., t. clxxxviii, col. 1163 sq.

On peut diviser l’ouvrage en trois parties. Dans la première, toute spéculative, Anselme montre à ses interlocuteurs qu’il n’est pas possible de concevoir la procession du Saint-Esprit sinon du Père et du Fils comme d’un principe unique, le Père étant lui-même sans principe et le Fils étant engendré de lui, sans toutefois que ces processions marquent entre les personnes un degré différent de dignité ou indiquent une participation différente de la substance divine. C. nix, col. 1165-1178. Les processions n’existent que selon les relations d’origine, le Père et le Fils émettant le Saint-Esprit comme leur nœud et leur mutuel amour. C. x-xvii, col. 1178-1183.

La deuxième partie fait appel à l’Écriture. Tout d’abord, certaines manifestations et missions du Saint-Esprit, envoyé par le Fils, cf. Luc, i, 35 ; vi, 19 ; xxiv, 49 ; Joa., xv, 16 ; xx, 22 ; Act., i, 8 ; l’expression même « l’Esprit du Fils », Rom., viii, 9 ; Gal., iv, 6, rapprochée de « l’Esprit du Père », Matth., x, 20, peuvent être considérées comme des indications que l’Esprit-Saint procède du Fils, tout comme il procède du Père, Joa., xv, 26. C. xvi-xvii, col. 1187-1189. Aux Grecs objectant qu’autre chose est procéder du Père, autre chose être du Fils, Anselme riposte qu’être et procéder, pour une personne divine, sont identiques. Il en est ainsi du Fils, cf. Joa., xvi, 28 ; viii, 42, col. 1199 C ; il doit en être de même du Saint-Esprit. Et ce n’est pas admettre une pluralité de principes : le Saint-Esprit, en procédant du Père et du Fils, n’en procède que comme d’un seul principe, puisque le Père et le Fils sont un, Joa., x, 30. Ainsi niei que le Saint-Esprit procède du Fils comme du Père, c’est nier son existence, c’est détruire le mystère de la Trinité. Sans doute, l’Évangile ne dit pas expressément que l’Esprit-Saint procède du Fils, mais il n’affirme pas non plus le contraire et nulle part il n’est dit que l’Esprit ne procède que du Père. Il n’est pas téméraire d’ajouter une précision qui n’est pas contenue dans l’Évangile : 1rs conciles l’ont fait pour la « consubstantialité » du Fils et pour la « coadoration » du Saint-Esprit, ainsi que pour la maternité divine de Marie. Col. 11991200. Positivement enfin, la procession a Filio est suffisamment indiquée dans Joa., xvi, 14 : de meo accipiet. C. xviii-xxii.

La troisième partie laisse à désirer : c’est la tradition patristique. Parmi les Pères grecs, Anselme cite un passage du symbole dit d’Athanase ; un texte de Didyme l’Aveugle, De Spiritu Sancto, n. 36, P. G., t. xxxix, col. 1064-1065. Voirie texte ici, t. v. col. 789. Anselme en appelle ensuite au « symbole d’Eplièse », puis à une lettre de Cyrille d’Alexandrie à Nestorius. En réalité ces deux textes n’en sont qu’un, extrait delà lettre du concile d’Alexandrie a l’automne de 430 condamnant Nestorius et reproduite dans les actes du concile d’Éphèse. S. Cyrille, Epist., xvii, P. G., t. lxxvii, col. 118 C. Suivent trois citations de saint Jean Chrysostome qu’il nous a été impossible d’identifier. C. xxiv, col. 1202-1205.

Anselme rapporte aussi des témoignages de Pères latins, Jérôme, Augustin, Hilaire. Tout en admettant que le Saint-Esprit procède pioprement et principalement du Père, il rejette l’expression : procéder du Pèle par le Fils. C. xxv-xxvi, col. 1205-1208. La conclusion de ce colloque avec les évêqucs orientaux fut qu’on souhaita, des deux côtés, un concile général où seraient débattus les différends dogmatiques des deux Églises. Cf. Ceillier, op. cit., p. 414-415.

2. Hugues Éthérien (t fin du xiie siècle). —

L’œuvre d’Hugues Éthérien est plus consistante. Ce Toscan, envoyé de bonne heure à la cour de Constantinople, y put prendre contact avec les théologiens grecs et se renseigner d’une manière plus exacte sur la polémique du Filioque. Voir t. vii, col. 308 sq. Invité par l’empereur Manuel Comnène à exposer les preuves de la croyance latine, il rédigea une longue dissertation qu’il dédia au pape Alexandre III, De hæresibus Grœcorum, P. L., t. ccii, col. 227-396. Le De hæresibus est divisé en trois livres, sans toutefois qu’un lien logique rattache l’un à l’autre.

Le 1. Ier est surtout spéculatif. Les Grecs n’admettaient pas que le Saint-Esprit procédât du Père et du Fils, alléguant comme raison qu’il est impossible qu’une même chose ait deux principes ou que deux principes produisent la même chose. L’argumentation d’Hugues vise donc à prouver que le Père et le Fils ne forment qu’un principe, d’où procède le Saint-Esprit. Il rejette tous les exemples tirés des natures créées, puisqu’il n’y a aucune proportion entre elles et la nature divine : le Père et le Fils sont deux personnes distinctes ; ils n’ont cependant qu’une seule et même nature et, par là, ne forment qu’un seul principe du Saint-Esprit. C. i-vi, col. 233-244. Hugues se sert du terme « cause » pour marquer la procession du Saint-Esprit. Le terme est assez inexact, mais, pour les cerveaux grecs, il ne présentait pas d’inconvénient. Cf. Père, t. xii, col. 1189. Pour répondre à d’autres instances, Éthérien rappelle le principe théologique que ce n’est pas en ce que le Père est distingué du Fils qu’il produit le Saint-Esprit, mais en ce qui lui est commun, c’est-à-dire la nature divine. C. vii-xx, col. 245-274. Ce premier livre avait été écrit par Hugues en collaboration avec son frère Léon. Celui-ci, parti avec l’empereur Comnène, se contenta d’exhorter Hugues à continuer seul son œuvre.

Le t. II, après une brève introduction sur l’origine du monde, s’attache à réfuter les sophismes de Nicétas de Byzance, de l’évêque de Méthone, de l’évêque de Nicomédie, de Théophylacte de Bulgarie, de Photius. Il donne le vrai sens de certains textes scripturaires, d’après les interprétations de saint Jean Chrysostome, de saint Grégoire de Nazianze, de saint Cyrille d’Alexandrie. On retrouve ici les assertions d’Anselme ds Havelberg, mais avec plus de développements. C. ii-xvi, col. 275-322. C’est sur le De meo accipiet, Joa., xvi. 5, que notre auteur insiste, c. xvii, invoquant l’autorité d’Athanase, de Basile, de Cyrille d’Alexandrie, c. xviii ; et il conclut, dans une argumentation assez confuse, que l’Esprit-Saint n’est pas dit « Esprit du Fils » parce qu’il lui est consubstantiel ou qu’il est envoyé par lui, mais parce qu’il tire de lui son origine. C. xix, col. 322 D-354. Sur l’argumentation d’Éthérien, voir Petau, De Trinilate, t. VII, c. iv, n. 13-14.

Du t. III, une première partie est toute spéculative et s’attache à démontrer derechef l’unité de la nature divine, la trinité des personnes, la génération du Fils et la procession du Saint-Esprit. C. i-x, col. 335358 D. Mais — et c’est ici la partie, la plus intéressante de l’ouvrage d’Éthérien — les Pères de l’Église auxquels plus d’un emprunt avait été fait précédemment, vont être interrogés et opposés aux prétentions de Photius et de ses disciples. Le texte latin d’Hugues ne répond pas toujours exactement au texte grec ; parfois il commente ou il soude des phrases séparées entre elles dans le texte original. Cependant ses citations sont substantiellement exactes, sinon toujours quant à la lettre, du moins quant au sens.

Dès le t. II, c. ta, saint Grégoire de Nazianze est appelé en témoignage des rapports qu’ont entre elles les trois personnes, le Père sine initio ; le Fils, qui principium ; le Saint-Esprit, qui cum principio ; les trois unus Deus. Cette paraphrase se rapporte vraisemblablement à l’Oratio, xx, n. 7, P. G., t. xxxv, col. 1074 AB. Puis, voici, avec un texte qui déborde celui du fragment inséré dans Migne, P. G., t. xlvi, col. 1109 BC (cf. Damascenica, t. xciv, col. 240-241), le texte si discuté de Grégoire de Nysse sur l’oraison dominicale (voir ici t. v, col. 786). Hugues, col. 280281. — Au c. vii, partant du principe formulé par saint Basile, EpisL, lii, n. 4, P. G., t. xxxii, col. 396 BC, qu’il n’y a point d’intermédiaire entre le Père et le Fils, Hugues reprend une expression assez familière aux Grecs pour montrer que ce que le Père est au Fils, du moins pour l’origine, le Fils doit l’être au Saint-Esprit. Le Saint-Esprit est appelé l’image du Fils, comme le Fils est appelé l’image du Père ; cf. S. Basile, Adv. Eunomium, 1. V (et non III), t. xxix, col. 724 B et 725 C ; Grégoire le Thaumaturge, Expositio fidei, t. x, col. 985 ; S. Jean Damascène, De fide orth., t. I, c. xiii, t. xciv, col. 856 D ; S. Grégoire de Nazianze, Orat., xxx, n. 20, t. xxxvi, col. 129 B. Donc il doit, non certes par génération, procéder du Fils comme le Fils procède du Père. Hugues, col. 292 D-293 A. — Plus loin, c. xv, Hugues rappelle, au sujet de la procession du Saint-Esprit, la controverse entre Théodoret de Cyr et Cyrille d’Alexandrie (voir ici t. v, col. 793-794). Et il ne manque pas, à ce propos, de citer la synodique de Cyrille à Nestorius ; ci-dessus, col. 1754. Hugues, col. 316-317. — Au c. xviii, commentant le De meo accipiet et le Omnia quæ sunt Patris, mea sunt, Hugues montre que le Saint-Esprit.hormis la génération, doit tenir du Fils ce qu’il tient du Père ; et il invoque l’autorité d’Athanase, Ad Serapionem i, n. 20, P. G., t. xxvi, col. 580 AB ; de Basile, Adv. Eunom. (titre rectifié), 1. III n. 1, P. G., t. xxix, col. 656 A (sur ce texte, voir la discussion t. v, col. 783) ; de Cyrille d’Alexandrie, De Trinitate, dial. vi, P. G., t. lxxv, col. 1013 B (titre rectifié ; le texte est cité librement) ; et de Jean Chrysostome, In Joannem, hom. lxxviii, n. 3, P. G., t. lix, col. 424. Hugues, col. 327-328.

Les autorités invoquées dans le 1. III visent plus directement la procession a Pâtre Filioque. Tout d’abord, c.xii, une assertion attribuée à Basile : « Le Fils procède immédiatement du Père et le Saint-Esprit médiatement », qu’il a été impossible d’identifier. Suivent quelques lignes empruntées au Damascène, Homil. in sabbat, sanct., P. G., t. xevi, col. 605 B : « Le Saint-Esprit est dit Esprit du Fils, parce qu’il est manifesté par lui et communiqué aux créatures. » Texte bien discutable quant à sa valeur probante, car les paroles qui suivent ont été supprimées par Hugues, àXX* oôx è^ aû-roG 2x ov T’î v orcapÇiv. (Voir ici t. v, col. 795-796 et les notes de Le Quien, P. G., t. xciv, col. 831, note 28 et t. xevi, col. 605, n. 70.) Enfin, Grégoire de Nysse, dans le traité Quod non sint très dii (titre rectifié ; texte cité librement), P. G., t. xlv, col. 133 B, marque « la différence entre le Père, causam esse ; le Fils, ex causa, mais sine medio ex primo, et le Saint-Esprit, qui dérive du Père, le Fils conservant son rôle d’intermédiaire et sa qualité d’unique engendré ». Hugues, col. 364-365. — Au c. xiii, un texte de Grégoire de Nazianze, qu’il faut restituer à l’Orat., xli, n. 9, P. G., t. xxxvi, col. 441442, semble quelque peu détourné de son sens véritable. Grégoire affirme que « le Saint-Esprit est toujours uni au Père et au Fils et énuméré avec eux ; ainsi ne convient-il pas de séparer en aucun cas le Père du Fils et le Fils du Saint-Esprit : oùSè yàp ëîrpsTrsv IXksiizevj tzozs, /) ïlôv ITarpî, 9) IIvsG^a Yîw. Eu traduisant : itaque non expedit Filium a Pâtre in emissione Spiritus separari, Hugues force évidemment le sens du texte grec. Hugues, col. 365 A. Chrysostome, In Joannem, xv, 26, Homil. lxxvii, n. 3, P. G., t. lix, col. 417, déclare que ce n’est pas le Père seul, mais aussi le Fils qui envoie le Saint-Esprit. S’il l’envoie, comme le Père, on doit logiquement conclure, affirme Hugues, qu’il l’émet aussi pareillement : si mitlil, emittit. Hugues, col. 365 C.

La procession a Filio est enseignée par Basile, au début du 1. III contre Eunomius. On sait que l’authenticité de l’incise la plus caractéristique est contestée (voir ici t. v, col. 783). Hugues, col. 366 B. Hugues appuie sa démonstration en rappelant le texte déjà cité de Grégoire de Nysse, dans Quod non sint 1res dii, texte ici encore plutôt commenté que cité. Col. 367 AB. Et, pour répondre à l’objection que l’ordre placé entre les personnes divines semble marquer une infériorité de l’Esprit, il renvoie à saint Basile, pour montrer qu’en Dieu l’ordre des personnes n’implique qu’un ordre d’origine. Adv. Eunom., t. I, n. 20, P. G., t. xxix, col. 557 AB ; Hugues, col. 367 CD.

Voici, au c. xiv, des textes catégoriques. Athanase écrit à Sérapion : « L’Esprit à l’égard du Fils a le même rapport que le Fils à l’égard du Père. » Le contexte dont Hugues entoure cette phrase ne se trouve pas littéralement chez l’évêque d’Alexandrie. Un passage qui s’en rapproche se lit Ad Serapionem, i, n. 20-21, P. G., t. xxvi, col. 580 B ; voir aussi n. 30-31, col. 660 C-661 A ; iii, n. 1, col. 625 B. Basile, De Spiritu sancto (titre modifié), n. 46, P. G., t. xxxii, col. 152 BC, parle de cet Esprit qui seul peut glorifier dignement le Christ, non comme créature, mais comme esprit de vérité manifestant en lui-même la Vérité, c’est-à-dire le Fils. Hugues, col. 368 CD. — Ici s’intercalent les textes de trois Pères latins, Hilaire, Augustin et Jérôme, col. 378-379, et plus loin Grégoire le Grand, col. 393-394, en raison de l’autorité que leur ont reconnue les conciles orientaux eux-mêmes. Puis nous revenons à des textes fort pertini rits, empruntés aux Grecs : à Cyrille d’Alexandrie, De adoratione in spiritu et veritate, t. I, P. G., t. lxviii, col. 147 A (cité ici t. v, col. 793) ; In Joël, n. 35 r « Le Saint-Esprit est dans le. Fils et du Fils, comme le Fils est dans le Père et du Père », P. G., t. i.xxi, col. 377 D. Hugues résume un passage de VExpositio fidei attribuée à saint Athanase et prête à l’auteur une formule de saveur latine qui ne se lit pas dans le texte grec, P. G., t. xxv, col. 208 A. Mais cinq textes, tous très affirmatifs, sont pris dans VAncoralus d’Épiphane (on aurait pu en trouver plusieurs autres) : L’Esprit est Dieu ; i ! est l’Esprit du Père et l’Esprit du Christ (Fils), non par une fusion des deux, mais au milieu du l’ère et du Fils ; il sort de l’un et fie l’autre, n. 8, col. 29 C. « Le Saint-Esprit vi< nt des deux, l’Esprit de l’Esprit, car l’Esprit est Dieu », n. 70, col. 148 A. i Dirons-nous qu’il y a deux Fils ?… Non, Dieu dit que le Fils sort de lui et que le Saint-Esprit sort des i » US », n. 71, col. 148 H. - I. S.iint-Esprit est un esprit : il est la troisième lumière, issue du l’ère et du Fils », ihirl. ; Hugues, col. 393-394. La pensé* du Uamascène semble à Hugues, sinon opposée à l’orthodoxJ autres Pères, du moins fort douteuse. Il essaie toutefois « le l’expliquer en bonne part, OO). 394 CD., * oir ici, sur Jeun Damascènc, t. V, col 798 799.

Sans être parfait, le travail d’Hugues eut, à l’époque où il fut composé, une valeur de premier ordre. Les Grecs l’ont utilisé et il servit de point de départ à plus amples recherches. Petau lui-même s’y réfère fréquemment. Aussi avons-nous voulu faire une mise au point aussi exacte que possible de son enquête patristique.

3. Saint Thomas d’Aquin. —

Saint Thomas s’est livré, lui aussi, à une longue enquête, patristique à propos du Filioque. Déjà dans le Commentaire sur les Sentences, dist. XI, q. i, a. 1, le De potentia, q. x, a. 4 et la Somme théologique, il avait expliqué quelques difficultés provenant du pseudo-Denys ou de saint Jean Damascène. Dans la Somme contre les Gentils, t. IV, c. xxiv, il apporte, en faveur de la thèse catholique, l’autorité du symbole d’Athanase, de la synodique de Cyrille d’Alexandrie et d’un texte du Saint-Esprit de Didyme. Mais c’est dans l’opuscule Contra errores Grœcorum que l’enquête patristique est conduite sur de plus larges bases.

Saint Thomas ne recourt pas aux sources originales ; il utilise un recueil de textes que le pape Urbain IV lui avait donné à examiner. Grave défaut de documentation qui nous met souvent dans l’impossibilité de contrôler l’exactitude et même l’origine des citations ! L’opuscule se divise en deux parties, mal séparées en certaines éditions. La disposition la plus pratique est celle adoptée par Fretté, éd. Vives, t. xxix. La première partie (1. I) comprend, outre le préambule général, les 31 chapitres indiqués dans les autres éditions, plus le début du 32e. La seconde partie, après une courte introduction, renferme les trente subdivisions non numérotées des éditions courantes, qui constituent le long chapitre xxxii et qui, chez Fretté, forment 30 chapitres nouveaux du 1. II.

Dans le 1. I er, les quinze premiers chapitres sont consacrés à la théologie trinitaire. Le lecteur y trouve une ample moisson de textes se rapportant à des locutions plus ou moins défectueuses, glanées chez les Pères grecs et que saint Thomas, à la lumière des principes de sa théologie, interprète en bonne part. De la seconde partie, les vingt premiers chapitres concernent la procession du Saint-Esprit a Filio. Elle ne renferme pas moins de 96 textes pris dans les œuvres authentiques ou supposées de saint Athanase, saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, saint Grégoire de Nysse, saint Épiphane, saint Cyrille d’Alexandrie, saint Cyrille de Jérusalem (un seul texte), Théodoret, saint Maxime (un texte). L’efîort était digne du genie de saint Thomas ; le résultat est difficilement utilisable en raison de la façon dont les textes lui furent communiqués. Tout un travail critique des sources serait à faire, avant de pouvoir utiliser les textes — et ils sont nombreux encore — qui pourraient entrer définitivement dans l’arsenal de la théologie positive.

Dans son édition Sancti Thomæ AqV.in.atis in Scripturam sacram expositiones et opUBCllla, Rome, 1880, Ucclli a publié d’un anonyme un Liber de fide sanctiesima Triniiatis ex dtversis auctoritatibus sanctorum Patrum grivcorum contra Grsecos, p. 361-420. On ne petit Ici qu’y renvoyer.

L’apport des théologiens grecs. —

On indiquera succinctement cet apport, lequel, en plusieurs auteurs, marqua beaucoup plus l’influence latine que la pensée grecque.

1. Sous le nom du diacre Pantatéon est puiiiu dans la P. G., t. cxi„ col. 487-574, un opuscule Contra Grœcorum errores qui, en réalité, est une rruvre (les dominicains de IVia. L’ouvrage, <ph a précédé le (.unira rrmrcs Grœcorum « le saint Thomas et semble avoir été Ignoré de ce dernier, l’i mporU de beaucoup sur le traité latin dédié à 1 ïh.iin IN’: tl KteS plus nombreux, plus exactement rapport) >t faciles à l’iden tifler. Seul le début concerne la procession du Saint-Esprit ; les objections des Grecs, les réponses des Latins sont exposées, col. 487-510. L’influence d’Hugues Éthérien se fait sentir à maintes reprises.

2. Les écrits de Nicéphore Bkmmyde († 1272) ont été alternativement employés par les Latins et par les Grecs pour ou contre la procession du Saint-Esprit a Pâtre Filioque. Voir Nicéphore Blemmyde, t. xi, col. 444.

3. Georges Acropolite peut, à la rigueur, être cité comme un partisan de l’union entre Grecs et Latins, puisqu’il fut un des artisans de cette union au concile de Lyon de 1274. On notera cependant une évolution profonde en son esprit touchant la procession du Saint-Esprit. Michel l’Ange, despote d’Épire, l’ayant fait prisonnier en 1257, Georges profita de deux ans de captivité pour écrire sur la procession du Saint-Esprit en un sens plutôt défavorable aux Latins. Deux discours sont le fruit de ce travail. Dans le premier, « l’auteur s’élève avec force contre les discussions stériles des théologiens et demande l’union sur les bases d’une morale commune ; dans le second, il défend le dogme photien avec les arguments accoutumés des polémistes byzantins ». M. Jugie, art. Acropolite (Georges), dans le Dicl. d’hist. et de géogr. ecclés., t. i, col. 378. Ces deux discours dans le t. n des œuvres complètes éditées à Leipzig, 1903, collection Teubner. Mais une fois acquis au parti unioniste, Georges Acropolite lui resta fidèle jusqu’à sa mort (1282). Il composa en faveur du dogme catholique un opuscule qui fut brûlé par ordre d’Andronic II et qui, pour cette raison, ne nous est pas parvenu.

4. Le patriarche Jean XI Veccos ou Beccos († 1293) fut converti au Filioque, encore simple chartophylax, par la lecture du traité de Nicéphore Blemmyde. Cette conversion, d’ailleurs sincère, favorisait les desseins de Michel Paléologue en faveur de l’union des Églises. Cf. L. Bréhier, art. Beccos, dans le Dict. d’hist. et de géogr. ecclés., t. vii, col. 357. Après l’abdication du patriarche Joseph, antiunioniste, Veccos fut élevé à la dignité patriarcale quin 1275). Ses œuvres sont nombreuses, dans lesquelles il professe la double procession : 1. Ilepi TÎjç svtiæoç xal eîpiQvïjç tûv tÎ)ç TtaXaiâç v.vl véaç’Pa^r/jç èxxXTjatôv (1275), P. G., t. cxli, col. 15-156 : défense de la doctrine romaine à l’aide des Pères grecs, n. 1-34 ; réfutation des objections de Photius, n. 35-49 ; de Jean Phurnès, n. 49-54 ; de Nicolas de Méthone, n. 55-64 ; de Théophylacte de Bulgarie, n. 66-70. Ce sont là les falsificateurs de la vraie doctrine et les fauteurs du schisme. 2. Dans la Lettre synodale au pape Jean XXI (1277), l’article consacré au Saint-Esprit renferme expressément la profession de foi au « Saint-Esprit procédant et du Père et du Fils, comme d’une seule source », col. 946947. 3. Dans Y Apologie, homélie prononcée en 1280 pour montrer que l’union n’abolit aucunement les coutumes grecques, on devra retenir un passage, n. 4, en faveur du dogme de la procession ab utroque, col. 10161020. 4. Dans l’ouvrage de polémique Ad Constantinum libri IV, col. 337-396, adressé en 1280 à l’empereur pour réfuter les doctrines de Georges de Chypre, la question du Filioque est reprise dans le sens catholique : « Que le Verbe soit engendré par le Père et que l’Esprit en procède, c’est le point culminant de la foi sincère et exacte », col. 396. 5. Vers 1280 également, Ilepi TÎjç èxTropeûoewç toû àyiou IIveûjxaToç, où il rétablit la vraie pensée de Basile et de Cyrille, col. 157. 6. Sentence synodale (1280) au sujet d’un passage altéré de Grégoire de Nysse (préposition èx à rétablir : t6 Se IIveij(jia to ayiov xal èx toû IlaTpoç Xéyexai, xai (èx) toû Yioû elvxi), col. 284 D. 7. Réponse à Théodore, évêque de Sougdcea (1280), sur les questions posées par celui-ci relativement à la procession de l’Esprit col. 289-337. 8.’AvTippir)Tixà (1280) contre Andronic Camatérès : remarques sur son traité de la procession du Saint-Esprit, afin d’établir la paix de l’Église et de réfuter les écrits qui peuvent compromettre cette paix, col. 396-613. 9. Recueil d’épigraphes (1280), c’est-à-dire de textes empruntés aux Pères grecs favorables à la thèse latine : aux noms déjà habituellement rencontrés s’ajoutent ceux de Jean Chrysostome, du Damascène, de Métaphraste, de Théodore de Raïthou (fréquemment cité), de Sophrone ; de Maxime, de Taraise. Veccos y montre que les deux formules èi ; uioû et Si* uioû sont équivalentes, col. 613-724. Il avait d’ailleurs déjà établi cette équivalence dans le Ilepi ttjç évwoewç, col. 60, en marquant toutefois que èx convenait mieux au Père qui est la source des deux autres, et 8tà mieux au Fils, qui a sa source dans la première personne. 10. Encore d’autres àvTipp7)Ti.xà > col. 728864 ; c’est une réfutation en règle des assertions de Photius : fidèle à une méthode employée dans la plupart des livres de polémique déjà cités, Veccos rappelle le texte qu’il veut critiquer et le fait suivre de ses observations. 11. Pendant son exil, après 1282, Veccos adresse à Théodore de Sougdæa une profession de foi pour montrer la concordance parfaite des doctrines contenues dans ses ouvrages, ’E7tiCT7)[xeîto(ji( ; tûv ccùtoû ànoLcGiv p16Xô>v xal ypacpôv CTUpLçwviaç ; profession de foi, dit-il, de « Jean, par la miséricorde divine humble archevêque de Constantinople, condamné jusqu’à sa mort à l’exil et à la prison, pour son attachement à la vraie doctrine des Pères sur la procession du Saint-Esprit, du Père et du Fils, col. 1019-1028. 12. Toujours pendant l’exil, vers 1282-1284, avec la même suscription, une lettre sur la procession du Saint-Esprit, à Alexis Agallianos, diacre de la Grande-Église, un de ses adhérents qui l’avait abandonné, col. 275-282. 13. Après 1284, Ilepi àSixîaç ?jç ô^éaT/), toû oixeioo 6p6vou à7reXa0e((T, sur l’injustice qu’on lui fit en l’enlevant de son siège ; il montre une fois de plus qu’il eut raison d’enseigner la procession a Paire Filioque, col. 940-1010 (la justification comprend deux discours). 14. En 1285, il écrit Contre le « tomos » de Georges de Chypre (le patriarche Grégoire qui lui avait été substitué). Cet usurpateur avait essayé, dans ses écrits, d’interpréter en sa faveur un texte du Damascène ; Veccos découvre dans ses traités des erreurs importantes qu’il signale à l’empereur, et c’est ainsi qu’il provoqua (1290) l’abdication forcée de Grégoire, col. 863-926. 15. Enfin, en 1293, avant sa mort, AiafrrjXï), son testament spirituel, dans lequel il îenouvelle sa profession de foi touchant la procession du Saint-Esprit, col. 1027-1032.

On le voit, non seulement Veccos est resté fidèle à la foi catholique, mais il s’en est fait le champion décidé. « De tous les théologiens de Byzance, c’est celui qui a présenté, avec le plus de force les arguments favorables à l’union des Églises et a défendu avec le plus d’érudition l’antiquité de la double procession. Il a exercé une grande influence sur les luttes théologiques de la fin du xiiie siècle et ses œuvres devaient fournir aux futurs champions de l’union avec Rome leurs arguments les plus solides. » L. Bréhier, art. cit., col. 362. Voir ici, Jean Beccos, t. viii, col. 656.

5. Constantin Méliténiotès (fin du xiiie siècle) partagea fidèlement les doctrines et les revers de son maître Jean Veccos. Il composa lui-même deux discours sur la procession du Saint-Esprit. P. G., t. cxli, col. 1039-1274 : « Le principal intérêt en est fourni par la constatation que la procession du Saint-Esprit a Paire Filioque est déjà enseignée dans les écrits des principaux théologiens du ive et du v c siècle. Au point de vue du contenu et de la forme, Constantin dépend de son maître littéraire Jean Veccos. » Voir ici t. iii, col. 1227.


6. Un autre compagnon de doctrine et d’infortune du patriarche, l’archidiacre Georges le Métochite (t après 1308), plus encore que Constantin Méliténiotès, atteste sa dépendance d’idées à l’égard de Veccos. Mais son grand ouvrage en cinq livres sur la procession du Saint-Esprit (que nous connaissons par Allatius, Diatriba de Georgiis eorumque scriptis, n. 137, Paris, 1651, p. 345-348), est encore inédit. Il s’agit toujours des Pères qui ont défendu chez les Grecs la procession ab utroque, des textes difficiles à expliquer, des doutes à dissiper, des objections à résoudre. Migne en a reproduit quelques fragments, tirés du I. IV, dans P. G., t. cxli, col. 1405-1420. Mais le thème de la procession du Saint-Esprit fait le fond des deux écrits publiés in extenso dans Migne, d’après Allatius : 1. Réfutation des trois chapitres du moine Maxime Planude, col. 1275-1308 ; 2. Réfutation des écrits de Manuel neveu du Cretois (du métropolite de Crète, Nicéphore Moschopoulos). Voir ici, t. vi, col. 1238.

7. Barlaam de Seminara, évêque de Gorace († 1348), est un calabrais de culture grecque. Voir t. ii, col. 407. Il a écrit contre les Latins et pour les Latins, selon les fortunes de son existence mouvementée. En faveur du Filioque, nous avons de lui : 1. Un bref traité sur la procession du Saint-Esprit, P. G., t. cli, col. 12811282 (lequel n’est que la fin de la deuxième lettre écrite à ses amis de Grèce ; on devra donc rectifier ce qui a été dit à ce sujet, t. ii, col. 408) ; 2. Une réponse à Démétrius Cydonius, pour lui exposer les motifs de son adhésion au Filioque, col. 1301-1309 (trois motifs : beaucoup de Pères ont ainsi entendu la sainte Écriture ; c’est la doctrine de l’Église romaine ; cette doctrine a été sanctionnée au IIe concile de Lyon), col. 1301 ; 3. Une lettre à Alexis Calochète, où il montre que, faute d’admettre le Filioque, on s’expose à tomber dans l’hérésie ou à déclarer hérétiques les plus grands des Pères grecs, col. 1309-1314 ; 4. Une démonstration du Filioque par seize arguments scripturaires, col. 1314-1330. De ces arguments, plusieurs n’ont qu’une valeur d’allégorie prise dans les types ou les manifestations de l’Ancien Testament ; un seul (le 12e) est vraiment concluant : il s’appuie sur le De meo accipiet.

8. Démétrius Cydonius, dont il vient d’être question, vécut à la fin du xive siècle et au début du siècle suivant. Voir t. iii, col. 2444. On trouvera, dans la notice qui lui est consacrée, la liste des ouvrages manuscrits intéressant la procession du Saint-Esprit. Traducteur en grec de la Somme théologique de saint Thomas, Cydonius était pénétré de la théologie latine. On trouvera, dans la P. G. : 1. Sa lettre à Barlaam, où il lui expose ses doutes touchant la procession du Saint-Esprit et lui demande comment il a été amené à admettre le Filioque, t. cli, col. 1283-1301. 2. Un traité « sur la procession du Saint-Esprit », en treize chapitres, dont le dernier a l’avantage de présenter en une cinquantaine de lignes tout le résumé de l’ouvrage, t. cliv, col. 863-958.

9. Manuel Calécas († 1410), dans son Contra errores Grircorum, P. G., t. clii (traduction latine), consacre les trois premiers livres à établir la doctrine romaine de la procession du Saint-Esprit, col. 17-186. Pctau a formulé sur cette œuvre le jugement suivant : Manuel Caleras, auctor eruditus et catholicus, cujus habeo volumen egregium pro Latinis adversus Grœcos, in quo de processione Sanrti Spiritus uberrime, accuratissimeque disputât, nihil ut hoc de argumento scribi pnssit doctius ur tubttliu ». Dr Trinttate, t. VII, c. i, n. 11. Caleras veut d’-montrer « que les principaux théologiens du IV et du v » siècle, tant de l’Orient que de l’Occident, nt pleinement d’accord sur ce point de doctrine. Mai’, il fn » it avouer que, pu suite sans doute de sa formation théologique, le religieux dominicain connaît

I beaucoup mieux les écrits des Pères latins que ceux de ses anciens coreligionnaires ». S. Vailhé, art. Caléi cas, t. ii, col. 1332. Calécas garde néanmoins la tendance générale de la théologie byzantine qui place les Pères au premier rang de l’argumentation et sacrifie plus ou moins complètement les spéculations scolastiques. Il remet à l’étude un texte du Damascène en ] apparence opposé au Filioque : « Nous disons que l’Esprit vient du Père et qu’il est l’Esprit du Père ; mais nous ne disons pas qu’il vient du Fils, nous disons simplement qu’il est l’Esprit du Fils. » De flde orth., t. I, 8 (voir ici t. viii, col. 522). Calécas fait observer que Jean Damascène réserve la préposition èx au Père uniquement, paice qu’il est la première personne. En ajoutant : « Nous ne disons pas », Jean aurait simplement rappelé l’usage, sans cependant condamner la procession a Filio, col. 159.

10. Le moine Maxime Chrgsoberge (fin du xive siècle ) a laissé une exhortation aux Cretois pour les conjurer de se rallier au Filioque. P. G., t. cliv, col. 12171230. Peu de raisonnements ; quelques rares citations patristiques ; adjuration émouvante cependant, lacrymis potius quam verbis, dit l’éditeur, col. 1215.

En face de ces défenseurs de l’orthodoxie catholique, les partisans de la thèse photienne sont nombreux. Voici les principaux, dont les noms en italique indiquent une monographie dans ce dictionnaiie. Au xe et xie siècle : l’empereur Léon le Sage ; Michel Cérulaire ; Théophylacte ; au xiie, Euthymius Zigabène, Nicétas Stétathos, Nicolas de Méthone ; Andronic Camatéros ; Nicétas de Maronée, Nicétas Acominatos ; au xiiie, Grégoire Palamas, Constantin Acropolite, Maxime Planude, George Pachymère, Georges de Chypre ; au xiv 8, Nil Cabasilas, Nicolas Cabasilas, Théophane de Nicée, Mathieu Blastarès, l’empereur Manuel Paléologue, Joseph Bryennios.

III. DOCUMENTS CONCILIAIRES ET PONTIFICAUX.

— Différents points de la théologie trinitaire sont fixés d’une manière plus nette par les documents conciliaires et pontificaux. Nous procédons par ordre chronologique, en remontant toutefois jusqu’à Léon IX, dont le symbole marque un point de dépari important.

1° Symbole de foi de Léon IX (1053). —

Sur la théologie des trois personnes consubstantielles, voir ci-dessus, col. 1726. Denz.-Bannw., n. 343. Sur la procession du Saint-Esprit, Léon IX affirme la procession a Pâtre et Filio, tout en confirmant l’égalité de la troisième personne avec les deux premières : le Saint-Esprit est « coégal, coessentiel, coomnipotent, coéternel en tout avec le Père et le Fils et il est, pleinement, parfait et vrai Dieu ». Ibid., n. 345.

2° IIe concile de Lyon (1274). —

Sur l’histoire de ce concile, voir t. viii, col. 1374 sq. Deux documents conciliaires concernent la question trinitaire : 1. La constitution dogmatique sur la procession du Saint-Esprit. Denz.-Bannw., n. 460. Sur la portée de cette constitution, voir t. viii, col. 1383. — 2. La profession de foi, prescrite par Clément IV et Innocent IV, et à laquelle Michel Paléologue et les évoques déclarèrent se rallier. Voir le texte, t. viii, col. 1384-1386 : Denz.-Bannw. , n. 461-466. La premièic partie, relative à la Trinité, reproduit à peu près le symbole de Léon IX. La partie relative à la procession du Saint-Esprit propose explicitement la formule ex Paire Filioque procedentem, en grec : èx ITarpic ; TLoij re. Voir col. 1387.

3° Concile de Florence. —

Le concile de Florence fournit deux définitions dogmatiques relatives au mystère de la Trinité.

1. Décret d’union pour les Grecs ((> juillet 1439). — On a lu à l’art. Florence (Concile de), t. vi, le récit des pourparlers et des discussions qui précédèrent, oit à Fcrrarc, col. 31-33, soit à Florence même, col. 34-41, le décret d’union. Dans la bulle Lætentur qui contient le texte définitif du décret d’union, il faut distinguer deux parties : la première historique, la seconde, dogmatique. La première partie rappelle le grand bienfait du concile qui rétablit la concorde entre l’Orient et l’Occident, et elle indique en quelques phrases la raison du malentendu au sujet de la procession du Saint-Esprit : « On a cité des témoignages de l’Écriture et un grand nombre de textes tirés des saints docteurs de l’Orient et de l’Occident, dont les uns disent que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils et les autres, qu’il procède du Père par le Fils ; tous cependant voulant exprimer la même chose en des termes différents. Car les Grecs ont assuré qu’en enseignant que le Saint-Esprit procède du Père, ils ne le faisaient pas dans l’intention d’exclure le Fils, mais parce qu’il leur semblait, disaient-ils, que les Latins professaient que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils comme de deux principes et par deux spirations ; pour ce motif, ils s’abstenaient de dire que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils. Les Latins ont déclaré qu’en enseignant que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, ils n’avaient nullement l’intention d’exclure le Père comme la source et le principe de toute divinité, savoir le Fils et le Saint-Esprit ; pas plus qu’en disant que le Saint-Esprit procède du Fils, ils ne voulaient nier que le Fils procédat du Père ; qu’enfin ils n’admettaient pas deux principes ou deux spirations, mais un seul principe et une seule spiration de l’Esprit. L’accord étant ainsi réalisé, Eugène IV en vient à la définition dogmatique :

In nomine Sanctæ Trinitatis, Patris et Filii et Spiritus Sancti, hoc sacro universali approbante Florentino concilio, distinimus, ut hæc fidei Veritas ab omnibus christianis credatur et suscipiatur, sicque omnes profiteantur, quod Spiritus Sanctus ex Pâtre et Filio aeternaliter est, et essentiam suam suumque esse subsistens habet ex Pâtre simul et Filio, et ex utroque aeternaliter tanquam ab une principio et unica spiratione procedit :
Au nom de la Sainte-Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, avec l’approbation de ce saint concile œcuménique de Florence, nous définissons que tous les chrétiens doivent croire, recevoir et professer cette vérité de foi, savoir que le Saint-Esprit est éternellement du Père et du Fils, qu’il tient tout ensemble du Père et du Fils son essence et son être subsistant et qu’éternellement il procède de l’un et de l’autre comme d’un seul principe et par une spiration unique.
Declarantes quod id, quod sancti Doctores et Parses dicunt, ex Patre per Filium procedere Spiritum Sanctum, ad haut intelligentiam tendit, ut per hoc significetur, Filium quoque esse secundum Græcos quidem causam, secundum Latinos vero principium subsistentiæ (ὑπάρξεως) Spiritus Sancti, sicut et Patrem.
Nous déclarons que les expressions des saints Docteurs et des Pères, affirmant que le Saint-Esprit procède du Père par le Fils, signifient que, selon les Grecs, le Fils est aussi la cause et, selon les Latins, le principe de la subsistence du Saint-Esprit, comme le Père.
Et quoniam omnia quæ Patris sunt, Pater ipse unigenito Filio suo gignendo dedit, præter esse Patrem, hoc ipsum quod Spiritus sanctus procedit ex Filio, ipse Filius a Patre aeternaliter habet, a quo etiam aeternaliter genitus est.
Et, parce qu’en engendrant son Fils, le Père lui a donné tout ce qui appartient au Père, excepté d’être Père, le Fils tient éternellement du Père, dont il a été engendré de toute éternité, cette particularité même que le Saint-Esprit procède de lui (comme il procède du Père).
Diffinimus insuper, explicationem verborum illorum « Filioque » veritatis declarandæ gratia, et imminente tune necessitate, licite ac rationabiliter Symbolo fuisse appositam.


Denz.-Bannw., n. 691.
Nous définissons en outre que l’explication apportée par ces mots Filioque pour exposer la vérité, en raison d’une nécessité urgente, a été ajoutée au Symbole d’une manière licite et raisonnable.



Le texte conciliaire peut être divisé, comme on l’a fait ici en quatre paragraphes. — Le premier est une définition de foi, promulguant comme un dogme, que le Saint-Esprit procède éternellement du Père et du Fils, comme d’un seul principe et par une unique spiration, tenant d’eux toute sa réalité essentielle et personnelle. — Le second est une simple déclaration marquant l’identité de foi chez les Orientaux et chez les Latins, malgré la différence des formules. On y trouve acceptée l’expression grecque « cause », prise comme l’équivalent de « principe ». — Le troisième consacre une raison dogmatique maintes fois apportée par les Latins en faveur du Filioque : le Père donne au Fils tout ce qu’il a, sauf la paternité ; ainsi, comme du Père procède le Saint-Esprit, ainsi du Fils le Saint-Esprit doit-il également procéder. — Enfin le texte se clôt par une définition concernant la légitimité de l’addition Filioque au symbole.

On sait combien fut fragile l’entente réalisée à Florence. Des discussions dogmatiques — qui aujourd’hui n’ont pas encore pris fin — continuèrent après le décret d’union. Voir Filioque, t. v, col. 2331-2336, ainsi que les bibliographies des art. Esprit-Saint, ibid., col. 819-829 et Filioque, col. 2342-2343, qu’on complétera, en ce qui concerne le concile de Florence, par les art. Bessarion, t. ii, col. 801 ; Marc Eugenicos, t. ix, col. 1968 sq. ; Scholarios, t. xiv, col. 1521 sq., surtout 1534-1540, 1562-1565, et par A. Touron, Hist. des hommes illustres de l’ordre de Saint-Dominique, Paris, 1746, t. iii, pour Jean de Montnoir, théologien des Latins au concile de Florence, p. 287-303 ; cf. ici Jean de Montenero, t. viii, col. 891. Pour la suite des controverses, qui dépassent le cadre de cet article, on se référera à M. Jugie, Théologia christianorum orientalium, t. ii, Paris, 1933, p. 296-536. Tous ces compléments n’ajoutent aucun progrès à la doctrine trinitaire.

2. Décret d’union pour les jacobites (4 février 1441).

Sur les préparatifs de cette union aussi éphémère que celle des Grecs, voir Ethiopie (Église d’), t. v, col. 941-942, et Florence (Concile de), t.vi, col. 47-48.

Le préambule de la bulle Cantate Domino ne renferme rien qui intéresse le dogme. Mais la partie doctrinale est un véritable résumé de la théologie catholique, où la première place est réservée au mystère de la Trinité. La partie concernant ce mystère comprend deux paragraphes, le premier consacré à l’unité de l’essence et à la trinité des personnes, le second à la circumincession et à la parfaite égalité des personnes, nonobstant l’ordre des processions.

Sacrosancta Romana Ecclesia, Domini et Salvatoris nostri voce fundata, firmiter credit, profitetur et prædicat, unum verum Deum omnipotentem, incommutabilem et aeternum, Patrem et Filium et Spiritum Sanctum, unum in essentia, trinum in personis : Patrem ingenitum, Filium ex Patre genitum, Spiritum Sanctum ex Patre et Filio procedentem.
La sacrosainte Église romaine, fondée par la parole de Notre-Seigneur et Sauveur, croit fermement, confesse et prêche qu’il y a un seul et vrai Dieu tout-puissant, immuable et éternel, Père, Fils et Saint-Esprit, un dans son essence, trine dans ses personnes. Le Père n’est pas engendré ; le Fils est engendré du Père ; le Saint-Esprit procède du Père et du Fils.
Patrem non esse Filium aut Spiritum Sanctum ; Filium non esse Patrem aut Spiritum Sanctum ; Spiritum Sanctum non esse Patrem aut Filium ; sed Pater tantum Pater est, Filius tantum Filius est, Spiritus Sanctus tantum Spiritus Sanctus est. Solus Pater de substantia gentil Filium, solus Filius de solo Patre est genitus, solus Spiritus
Le Père n’est ni le Fils ni le Saint-Esprit ; le Fils n’est ni le Père ni le Saint-Esprit ; le Saint-Esprit n’est ni le Père ni le Fils, mais le Père est seulement Père, le Fils seulement Fils, le Saint-Esprit seulement Saint-Esprit. Seul le Père a engendré de sa substance le Fils, seul le Fils est engendré du seul Père, seul le Saint-Esprit procède
Sanctus simul de Patre procedit et Filio. Hæ tres personæ sunt unus Deus et non tres dii ; qui a trium est una substantia, una essentia, una natura, una divinitas, una immensitas, una aeternitas, omniaque sunt unum, ubi non obviat relationis oppositio.
à la fois du Père et du Fils. Ces trois personnes sont un Dieu et non trois dieux ; les trois, en effet, n’ont qu’une substance, qu’une essence, qu’une nature, qu’une divinité, qu’une immensité, qu’une éternité, et tout en elles est un, là où l’opposition des relations n’empêche pas l’unité.


Dans cet exposé clair et précis de la foi trinitaire, le concile rappelle l’unité divine quant à l’essence, la trinité quant aux personnes et marque chaque personne de sa notion propre : au Père seul convient l’innascibilité ; au Fils, la génération ; au Saint-Esprit la procession du Père et du Fils. La profession de foi conciliaire proclame ensuite la distinction des personnes, indiquant expressément que chacune des trois personnes n’est pas les deux autres et se distingue d’elles par ce qui constitue sa personnalité. Elle indique ensuite que seul le Fils procède par mode de génération et qu’il est engendré « de la substance » du Père, c’est-à-dire qu’il lui est consubstantiel. Elle enseigne que le Saint-Esprit procède à la fois du Père et du Fils ; enfin, elle consacre les dernier progrès de la théologie trinitaire en affirmant qu’en Dieu, substance, essence, nature, divinité et tous les attributs essentiels, dont deux sont expressément nommés, tout est un, là où n’existe pas l’opposition des relations. C’était déjà la formule dogmatique du XIe concile de Tolède, voir col. 1705 ; reprise par saint Anselme, col. 17Il et par saint Thomas, col. 1743. Au concile de Florence, les deux principaux orateurs de l’union, Jean de Montenero pour les Latins, Bessarion pour les Grecs, avaient constaté l’accord unanime des Églises sur ce point de théologie confinant au dogme : Est vero secundum Doctores tam Grœcos quam Latinos, disait le premier, sola relatio, quæ multiplicat personas in divinis productionibus, quæ vocatur relatio originis, ad quam duo tantum spectant, a quo alius et qui ab alio. Et Bessarion : Quod nomina personalia Trinitatis relativa sunt, nullus ignorat. Hardouin, sourit., t. ix, col. 203, 339.


Propter hanc unitatem Pater est totus in Filio, totus in Spiritu Sancto ; Filius totus est in Patre, totus in Spiritu Sancto ; Spiritus sanctus totus est in Patre, totus in Filio.


Nullus ni allium aut prætecte aeternitate, aut excedit magnitudine, aut superest potestate. AEternum quippe et sine suffio est, quod Filius de Patre exstitit ; et aeternum ac sine suffio est, quod Spiritus sanctus de Patre Filioque procedit.


Pater quidquid est aut habet, non habet ab allo, sed ex se ; et est principium sine principio. Filius quidquid est aut habet, habet a Patre, et est principium de principio. Spiritus Sanctus quidquid est aut habet, habet a Patre, simul et Filio. Sed Pater et Filius non duo principia Spiritus Sancti, sed unum principium ; sicut Pater et Filius et Spiritus Sanctus non tria principia creaturæ sed unum principium.
En raison de cette unité, le Père est tout entier dans le Fils, tout entier dans le Saint-Esprit ; le Fils est tout entier dans le Père, tout entier dans le Saint-Esprit ; le Saint-Esprit est tout entier dans le Père, tout entier dans le Fils.


Aucune personne ne précède l’autre par l’éternité ; aucune n’est supérieure à l’autre par la majesté ; aucune ne surpasse l’autre par la puissance. C’est de toute éternité et sans commencement que le Fils existe du Père ; c’est de toute éternité et sans commencement que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils.


Tout ce que le Père est ou possède il le tient non d’un autre, mais de lui-même, il est principe sans principe. Tout ce que le Fils est ou possède, il le tient du Père, il est principe issu de principe.Tout ce que le Saint-Esprit est ou possède, il le tient tout ensemble du Père et du Fils. Et pourtant, le Père et le Fils ne sont pas des principes du Saint-Esprit, mais un seul principe ; tout comme le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas trois principes, mais un seul principe des créatures.
Quoscumque ergo adversa et contraria sentientes damnat, reprobat et anathematizat et a Christi corpore, quod est Ecclesia, alienos esse denun tiat.


Denz.-Bannw., n. 703-705
Tous ceux qui professent des doctrines contraires et opposées à ces vérités, le concile les condamne et les anathématise ; il les déclare séparés du corps du Christ, qui est l’Église.




Les premiers mots de cette définition rappellent que les trois personnes, quoique distinctes entre elles en raison de leur origine et de leur relation mutuelle, sont tout entières l’une dans l’autre selon leur communauté d’essence. C’est ce qu’on appelle la circumincession. Voir ce mot, t. ii, col. 2527 ; simple conclusion de la doctrine des relations subsistantes et de leur consubstantialité. Vient ensuite l’exposé de l’enseignement catholique sur l’égalité parfaite des trois personnes, nonobstant les propriétés d’origine, complété par deux affirmations : l’unité du principe de la spiration active ; l’unité du principe créateur en Dieu ; toute action ad extra étant commune aux trois personnes.

Ces définitions de Florence sont demeurées dans l’Église la pierre de touche de l’orthodoxie, quand il s’agit de rappeler aux Orientaux les conditions de l’unité catholique. Voir la profession de foi imposée aux Gréco-Busses par Grégoire XIII (1575), Denz.-Bannw., n. 1084 ; la constitution Nuper ad nos (16 mars 1743) de Benoît XIV, rappelant aux Maronites qu’il leur faut adhérer à la doctrine définie par les conciles, notamment, en ce qui concerne la Trinité, aux définitions de Nicée, Constantinople et Florence. Denz.-Bannw., n. 1460-1461, 1468. Enfin, c’est encore l’adhésion à la procession du Saint-Esprit que Pie X demande aux Orientaux pour s’unir à Rome. Voir la Lettre aux délégués apostoliques de Constantinople, Grèce, Egypte, Mésopotamie, Syrie, Indes orientales. Denz.-Bannw., n. 3035.

Le concile termine en anathématisant ceux qui refuseront de souscrire à la doctrine définie et, reprenant l’expression de saint Paul, Col., 1, 24, il les déclare désormais étrangers « au corps du Christ, qui est l’Église ».