Dictionnaire de théologie catholique/REVIVISCENCE

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 13.2 : QUADRATUS - ROSMINIp. 602-610).

REVIVISCENCE.

Le mot reviviscence signifie par lui-même la propriété que possèdent certains êtres, ayant présenté l’apparence de la mort, de reprendre l’activité de la vie dans certaines conditions déterminées. Analogiquement, le terme est employé en théologie pour désigner la réapparition dans l’âme de certains phénomènes de la vie spirituelle, alors que ces phénomènes avaient paru tout d’abord éliminés. On parle ainsi de reviviscence.
I. Des sacrements.
II. De la grâce et des vertus (col. 12629).
III. Des mérites (col. 2C34).
IV. Des péchés (col. 2014).

I. Reviviscence des sacrements.

I. LE MOT ET LA CHOSE. —

Le mot reviviscence appliqué aux sacrements n’est peut-être pas très bien choisi. Ne peut « revivre » que ce qui a déjà vécu. Or, dans les cas où l’on parle de la reviviscence des sacrements, le sacrement n’a pas vécu, tout au moins sous l’aspect où on le dit revivre. Il serait plus exact de parler d’influence salutaire commençant â se faire sentir en raison de meilleures dispositions du sujet. Il faut, en effet, se rappeler que certains sacrements ne produisent pas nécessairement leur effet ou tout leur effet au moment même où ils sont appliqués. Le sujet qui les reçoit peut, â ce moment-là, présenter des dispositions suffisantes pour permettre l’application valide du sacrement, sans posséder encore les dispositions requises pour une application fructueuse. Voir Fiction dans les sacrements, IL Fiction de la pari du sujet, t. v, col. 2295. Mais si le sacrement, après l’instant où il est appliqué, laisse dans l’âme un effet permanent, qui de soi appelle la grâce, et si, en raison des dispositions imparfaites du sujet, la grâce n’est pas produite immédiatement, elle pourra néanmoins l’être ultérieurement, quand l’obstacle des dispositions imparfaites disparaîtra. L’elïet de la grâce est pour ainsi dire suspendu jusqu’au moment où le sujet présentera les dispositions requises.

Bien plus, les sacrements produisent une grâce qui leur est propre, la grâce sacramentelle. Si, d’après l’opinion qui semble la plus probable, la grâce sacramentelle ne fait qu’ajouter à la grâce sanctifiante une vigueur spéciale et une exigence de secours particuliers proportionnes aux fins de chaque sacrement, il faut admettre que la perte de la grâce entraîne, pour le chrétien, la perte de la grâce sacramentelle, tout au moins dans son essence même ; mais il faut admettre aussi que cette grâce renaît dans l’âme de nouveau justifiée et cela toujours en raison de l’elïet permanent laissé par le sacrement auquel elle correspond.

Dans ce dernier cas, le terme reviviscence serait employé avec plus d’exactitude. Mais les théologiens n’ont jamais envisagé le problème de la reviviscence de la grâce sacramentelle indépendamment du problème de la reviviscence du sacrement. Bien que ce ne soit pas la même chose — on vient de le voir — cependant le principe est le même : la permanence d’un effet sépa

rable de la grâce permet au sacrement soit de devenir fructueux, soit de le redevenir.

II. APPLICATIONS. — Il faut se garder de croire que la doctrine de la reviviscence des sacrements s’applique également à tous les sacrements et avec la même certitude. Il faut distinguer entre sacrement s et sacrements.

1° Baptême.- C’est surtout à l’occasion du baptême que la doctrine de la reviviscence sacramentelle a été exposée. Les anciens théologiens ne parlent pas de reviviscence. Ils se demandent si, » la fiction disparaissant, le baptême acquiert tout son effet ». Cf. S. Thomas, Sum. Iheol., III 1, q. i.xix, a. 9 ; In /V"" 1 Sent., dist. IV, q. iii, a. 2, qu. 3. La réponse affirmative est une doctrine théologiquement certaine, qui s’appuie sur le dogme de la non itération du baptême validement conféré par les hérétiques. Voir ici, t. ii, col. 211° sq. Elle est unanimement professée par les théologiens depuis saint Augustin, De baplismo contra donatistas, t. I, c. xii ; t. III, c xin ; t. VI, c. xxv, P. L., t. xi.in, col. 119, 146, 214. Cf. Epist., CLxxxy, Decorreclione Donatislarum liber, c. vi, n. 23, P. L., t. xxxiii, col. 803. Même doctrine chez Fnlgencc de Ruspe, De ftde, Teg. iii, n. 41, P. L., t. lxv, col. C92 ; l’auteur (tardif) du De vera et falsa pœnitentia, n. 11), P. L., t. xl, col. 119. Doctrine consacrée implicitement par les décisions de saint Etienne I er, Denz.-Bannw., n. 4(i ; de saint Grégoire le Grand, id., n. 219, plus explicitement par Innocent I II, Epis’, majores à l’archevêque d’Arles, id., n. 411. La fiction est clairement supposée par le concile de Trente pour les sacrements en général (poncnlibus obicem), sess. vii, can. G, Denz.-Bannw., n. 819 ; et l’interdiction de renouveler le baptême validement reçu nonobstant la fiction implique la présente doctrine de la reviviscence du sacrement. Cf. Canones de sacramento baplismi, can. 11, Denz.-Bannw. , n. 867.

La raison théologique de cette doctrine peut être ainsi formulée : le péché originel et les péchés actuels commis dans l’infidélité ne peuvent être remis que par le baptême reçu en réalité ou tout au moins par le désir. Or, celui qui a reçu le baptême d’une façon valide mais non fructueuse ne peut plus le recevoir ni en fait ni en désir. Donc si le baptême déjà reçu doit être pour lui le moyen de salut, il faut que ce moyen puisse revivre quant à son effet salutaire, c’est-à-dire quant à l’infusion de la grâce. Cf. S. Thomas, Sum. Iheol., IIK q. i.xix, a. 10.

Tel est l’enseignement de la théologie quant à l’effet premier et principal du baptême, c’est-à-dire quant à la justification de l’homme..Mais les auteurs soulèvent une question plus subtile quant aux effets secondaires, c’est-à-dire quant à l’extinction de toute peine temporelle. On peut imaginer l’hypothèse d’un adulte recevant le baptême validement mais infructueusement quant à la rémission des péchés véniels, dont il n’a pas le regret, tout en regrettant les péchés mortels qu’il a pu commettre. Cet adulte vient a mourir aussitôt après avoir été baptisé. Le baptême revivra-t-il » quant à cet effet secondaire de la rémission du péché véniel quant à la coulpe et quant à la peine ? L’opinion de saint Thomas est qu’à l’instant même qui suit immédiatement la mort cet adulte, en grâce avec Dieu, fera un acte parlait d’amour qui lui enlèvera les moindres péchés véniels auxquels il était resté at taché. L’obstacle

à l’efficacité pleine du baptême étant enlevé, il est à

croire que, même à l’égard de la peine temporelle due à ces péchés véniels, le baptême exercera son efficacité par une sorte de reviviscence, (.’est la solul ion insinuée paisaint Thomas, De malo, q. vii, a. 11, in fine ; qui est proposée plus explicitement par Billot, De sacramentis, t. I, (i° édition, p. 1 12, noie, et par 1. épicier, Tructutus de baplismo et confirmatione, Home. 1923, p. 97. Mais la solution contraire - permanence du reatus culpte

(venialis) el peenæ ( IcmporaHs) — semble s’imposer dans l’opinion scotiste qui admet que le péché véniel peut suivre l’âme au purgatoire.

Enfin, on peut faire l’hypothèse d’un adulte qui reçoit le baptême, de bonne foi, mais avec des dispositions insuffisantes quant aux péchés mortels commis avant le baptême. Il y aurait ici « fiction » purement matérielle, mais empêchant cependant la justilication. Si cet adulte venait à mourir aussitôt après avoir été baptisé, en bonne logique, on devrait nier la possibilité de la reviviscence du baptême et condamner à l’enfer ce malheureux… Nous n’avons trouvé aucun théologien pour résoudre ce cas. Il semble que la cause du pécheur de bonne foi doive être séparée de la cause du pécheur qui reçoit validement le baptême, tout en ayant conscience de ses dispositions défectueuses. Billot écrit à propos du martyre quc Dieu ne permettra pas qu’un véritable martyre se produise chez le pécheur qui n’aurait pas les dispositions requises pour la justification. De sacramentis, t. i, p. 248, note. Il en serait vraisemblablement de même pour l’infidèle recevant de bonne foi l’ablution baptismale et mourant aussitôt après : Dieu ne permettra pas que lui manquent les dispositions nécessaires à la justilication. Cf. Ami du clergé, 1936, p. 185.

2° Confirmation et ordre. — La non-itérabilité de la confirmation et de l’ordre conduit les théologiens à admettre la reviviscence de ces deux sacrements, absolument comme pour le baptême. Sans doute, ils n’ont plus ici l’argument de la volonté salviliquc universelle et les documents du magistère relatifs à la « fiction » font défaut. Il semble toutefois que le canon 9 de la session vu du concile de Trente, Denz.-Bannw., n. 852, soit une base d’argumentation très solide. Aussi, sans affirmer que la reviviscence de la confirmation et de l’ordre soit une vérité théologiquement certaine, doit-on dire qu’elle est une vérité certaine. N’est-il pas, en effet, conforme à la bonté et à la sagesse divines que ceux qui auraient reçu en état de péché mortel ces sacrements non réitérables, puissent néanmoins retrouver, lorsqu’ils auront éliminé l’obstacle de leurs dispositions mauvaises, les grâces si utiles au soldat ou au ministre de Jésus-Christ ?

Extrême-onction et mariage.

Une conclusion

identique, d’une très grande probabilité, doit être proposée en ce qui concerne le mariage, durant la vie des deux conjoints, et l’extrême-onction, durant la maladie à l’occasion de laquelle elle a été conférée. L’argument est proportionnellement le même que dans les cas précédents. Le mariage ne peut être réitéré du vivant des deux conjoints. L’extrême-onction ne peut être renouvelée durant la même maladie. lit cependant ces deux sacrements peuvent être reçus validement et infructueusement. Il convient donc (pue la grâce qu’ils auraient dû conférer puisse apparaître dans l’âme, quand les dispositions suffisantes seront acquises.

Pénitence.

La chose est discutable et discutée

pour la pénitence. Nous devons nous y arrêter plus longuement, puisque l’article Pénitence, t. xii, col. 1 126, a renvoyé au présent article l’exposé des opinions. La question est celle-ci : le sacrement de pénitence peut-il être reçu d’une façon valide, mais informe. c’est-à-dire sans le fruit de la grâce justifiante, de tille sorte que la grâce sera produite (reviviscence du sacrement) seulement quand sera enlevé l’obstacle qui a rendu informe le sacrement.

1. Comment peut se poser ce cas.

Des sacrements

qui ont leurs éléments essentiels totalement distincts des dispositions du sujet, on conçoit facilement qu’ils puissent être conférés validement et cependant demeurer infructueux ou « informes » en raison d’un défaut ou d’une insuffisance dans les dispositions requises pour l’acquisition de la grâce. Mais le sacrement de péni

tence a pour partie essentielle ou tout au moins intégrale la contrition qui est une disposition du sujet requise à la production de la grâce : il est donc difficile de concevoir qu’il puisse être administré validement et cependant qu’il demeure informe, c’est-à-dire infructueux.

D’où viendrait l’obstacle qui le rend informe ? A coup sûr, ce n’est pas du côté du ministre ou de l’absolution. Si le ministre a le pouvoir et emploie la forme requise, il rend, autant qu’il est en lui, le sacrement valide et capable de produire son effet. Ce n’est pas non plus en raison d’un manque d’intégrité dans la confession, car si la confession, matériellement incomplète, est cependant intègre formellement, elle ne peut constituer un obstacle à la production de la grâce. Ce n’est pas non plus du côté de la satisfaction, car la satisfaction, comme tille, n’est pas partie essentielle du sacrement de pénitence et son omission ne saurait empêcher le sacrement de produire son fruit essentiel. Reste donc que la fiction qui rend informe le sacrement ne peut provenir que d’une contrition, su/lisante pour assurer la validité, insuffisante pour produire l’effet de lu grdee. Ce cas est-il possible ?

2. Les réponses des théologiens.

Les auteurs sont très partagés sur ce point. On peut ramener leurs réponses à quatre solutions.

Première solution : là où la contrition est insuffisante pour produire l’effet de la grâce, le sacrement est non seulement informe, mais encore invalide. — La raison invoquée est qu’il manque ici une matière absolument rjquise pour l’existence même du sacrement. Cet le matière, c’est la détestation réelle et efficace du péché commis accompagnée du ferme propos de ne plus pécher, propos absolu et universel, qui doit se rencontrer explicitement ou tout au moins implicit ement dans la disposition du pénitent. Beaucoup d’auteurs invoquent cet argument contre l’opinion que nous proposerons en quatrième lieu ; mais tous n’en tirent pas une conclusion contre la possibilité, au moins spéculative, d’un sacrement de pénitenceà la fois valide et informe.

Parmi ceux qui poussent leurs conclusions jusqu'à 1 i négation de cette possibilité, citons les théologiens de Wiirtzbourg, De pœnilentia, n. 177-179 ; Chr. Pesch, Traclalus dogmalici, t. vii, n. 172 ; d’Annibale, Theol. mcralis, t. iii, n. 240, note 18 ; Génicot-Salsmans, Theol. moralis, t. ii, n. 272 ; Prùmmer, Manuede theol. moralis, t. iii, n. 42 ; Hugon, Traclatus dogmalici, Paris, 1031, p. 525. Cappcllo, Traclatus canonico-moralis de. sacramentis, t. ii, Turin, 1926, n. 153, après (laitier, De pœnilentia, Paris, 1923, n. 407, déclare que cette solution est « théoriquement plus probable », en raison des déclarations des conciles de Florence, Denz.-Banrrw., n. 699, et de Trente, id., n. 896, 914, voir ici t.xii, col. 1046, 1090, 1105. Ces conciles, en effet, ne distinguent pas entre ce qui est nécessaire à la validité du sacrement et ce qui est nécessaire à la production de la grâce ; par contrition, partie du sacrement de pénitence, ils entendent cette contrition qui exclut toute affection aux péchés passés et futurs et qui, par conséquent, supprime tout obstacle à l’infusion de la grâce.

Deuxième solution : là où la contrition est suffisante pour assurer la validité du sacrement, elle est également suffisante pour assurer la production de la grâce. — La contrition n’est suffisante pour la validité du sacrement qu'à la condition de renfermer, d’une part, le ferme propos de ne plus pécher, d’autre part, la volonté sincère de se réconcilier avec Dieu. Or, cette volonté sincère de réconciliation ne peut se concevoir sans une vraie et efficace rétractation de tout péché mortel et une volonté universelle de ne plus offenser Dieu. Telle est la position adoptée par Vasquez, De pœnilentia, q. xcii, a. 2 ; Palmieri, De pœnilentia, th. xxxii, n. 6 ; Ballerini-Palmieri, Opus morale, t. v, n. 51 sq. (quoi que cependant, en raison de ce que Ballerini enseigne de l’attrition existimala, n. 41, 42, 45, on pourrait, à la rigueur, le placer parmi les tenants de la quatrième opinion).

Troisième solution : un seul cas, plus théorique que pratique, peut se présenter, qui rendrait le sacrement valide et informe ; c’est le défaut inconscient d’universalité dans la contrition. — Un pénitent, coupable de plusieurs péchés mortels, les déteste pour des motifs particuliers. Il se trouve que l’un de ses péchés n’est pas atteint par les motifs particuliers de contrition auxquels il s’arrête. En réalité donc, quelque illusion qu’il se fasse à ce sujet, le pénitent n’a pas la contrition de ce péché qu’il n’a pu envisager dans ses motifs de regret et de détestation. Cette thèse est défendue par les auteurs qui, attaquant la solution que nous exposons en quatrième lieu, entendent la ramener à ses justes proportions. Ainsi l’ont pensé Suarez, De pœnitentia, disp. XX, sect. iv, n. 22, 24-25 ; sect. v, n. 7 sq. ; Gonet, Clypeustheologiæ, De psenitentia, disp. X, a. 1, n. 11-14 : De Lugo, De pœnitentia, disp. XIV, sect. vi, n. 74 sq. : S. Alphonse, Depœnitentia, n. 144 : Lehmkuhl, Theol. moralis, t. II, n. 402. Cette opinion est également rapportée avec quelque faveur par Chr. Pesch, op. cit., n. 173 ; Génicot-Salsmans, op. cit., n. 275 ; N’oldinSchmitt, De sacramentis, n. 259. « Vraiment probable, mais presque fictive » telle est l’appréciation de 1'. Galtier, op. cit., n. 405 bis, sur cette solution. La raison pour laquelle il est difficile de rencontrer ce cas exceptionnel, c’est que les pécheurs n’ont pas l’habitude de s’exciter à la contrition pour des motifs particuliers ; c’est toujours un mol if général, s'étendant à tous les péchés, qui excite leur cœur au repentir, motif presque toujours pris dans la crainte du châtiment divin. Galtier, lue. cit. ; Cappcllo, op. cit., n. 152. Génicot-Salsmans donne cependant un exemple oii le cas pourrai ! facilement se vérifier, c’est le cas d’un pécheur, coupable de deux péchés mortels d’espèce très différente, vol et luxure, qui ressent une attrition très sincère de son péché de luxure en raison de la honte spéciale qui s’y attache : il oublie d’accuser le péché de vol, ou il l’accuse n’ayant de ce péché aucune contrition et cela, en raison de la honte violente qu’il a conçue de l’autre péché, avec la plus entière bonne lui. hoc. cil. Thèse reprise, en des termes presque identiques par A. I Iayual. (). P.. dans V Angelicum, 1927, p. 31 sq., et par J. (Jmberg, s., 1.. Periodica de re morali, canonica

liturgiea, 1928, p. 17 sq.

Quatrième solution : Toute attrition estimée par le pénitent de bonne foi suffisante et quant à son universalité et quant à sa souveraineté. ENCORE QU’EN RÉALITÉ ELLE NE LE SOIT POINT, rend le sacrement valide tout cil le laissant informe. — Si l’on admet la possibilité d’un sacrement de pénitence valide et informe pour le cas accepté dans la troisième solution, pourquoi ne pas l’admettre d’une manière générale pour tous les cas ou la contrition serait estimée suffisante par le pénitent fie bonne foi"? Sous cette forme, la solution devient vraiment pratique et opérante. Il ne s’agit plus seulement du cas. neuf fois sur dix chimérique, d’une contrition, issue d’un motif particulier, qui se croit universelle et ne l’est pas : il s’agit de toute espèce de cas où le pénitent, ayant loyalement confessé ses pêches el n’en ayant cependant conçu, d’ailleurs de bonne foi, qu’un repentir insuffisant (quelle que soit la raison de cette insuffisance), pose en réalité et sans le savoir un obstacle à la grâce, tout en présentant a l’absolution du prêtre une matière suffisante. D’où sacrement valide et cependant informe. Au premier acte de repentir suffisant, l’obstacle à la grâce disparaît, et la grâce du sacrement est conférée. Le sacrement « revit ».

Cette solution, déclarent ses défenseurs, est admissible. Car il faut distinguer, dans le pénitent, la réalité

des dispositions et leur degré de perfection et, dans le degré de perfection, le degré suffisant pour la validité, insuffisant pour la « fructuosité », et le degré suffisant pour l’une et pour l’autre. Dieu seul peut connaître quand l’attrition, extérieurement manifestée, existe dans le pénitent à un degré et avec des qualités suffisantes pour rendre fructueux le sacrement. Mais, le sacrement étant signe sensible, la manifestation extérieure de l’attrition est essentielle au sacrement ; toutefois, la manifestation du degré et des qualités étant impossible, il semble qu’on doive conclure que la manifestation extérieure d’une contrition intérieure, insuffisante ou suffisante, est seule de l’essence du sacrement. « Une chose surtout milite en faveur de [cette] manière de voir ; c’est que, seule, elle explique scientifiquement la pratique de l'Église dans l’administration du sacrement de la pénitence, sans qu’il soit besoin de recourir à une exception quand il s’agit de juger la matière. De même que, dans les autres sacrements, la matière doit être certaine, de même, ici, le confesseur peut et doit être certain de la douleur et du propos du pénitent — mais seulement en tant que douleur et propos contribuent à constituer le signe sensible du sacrement, et non pas en tant qu’ils sont une disposition intérieure. Le confesseur ne peut point, à son gré, absoudre ou retenir les péchés : il doit s’assurer (vidrat diliijenter, dit le Rituel romain) si le pénitent est disposé, s’il est digne de l’absolution. < L’homme voit bien ce qui est visible, mais le Seigneur lit dans les cœurs. » (I Reg., xvi, 7.) C’est seulement d’après les marques extérieures que le confesseur peut juger prudemment si la disposition, qui est une chose intérieure, existe en réalité ; et, d’ordinaire, il doit se contenter d’une probabilité prudente. Il a donc raison d’absoudre lorsqu’il juge avec motif que le pénitent soumet sincèrement et avec douleur ses péchés au pouvoir des clefs, en d’autres termes, il absout sans avoir en même temps la certitude morale que l’attrition du pénitent est absolument efficace, ce qu’il faudrait pourtant si ce degré d’attrition était non seulement la disposition prochaine, mais encore une partie essentielle de la matière sacramentelle.

En demandant poui la validité de notre sacrement une attrition moins parfaite sous le rapport du degré que pour recueillir le fruit sacramentel, Jésus-Christ a grandement facilité la tâche si délicate du confesseur. L’administration du sacrement de la pénitence serait moralement impossible si, pour donner licitement l’absolution, le confesseur devait être absolument certain mie l’attrition du pénitent est souveraine. » N. Gihr, Les sacrements, trad. fr., t. iii, p. 102-103.

Pratiquement, les partisans des autres opinions sont bien obligés d’accepter cette quatrième solution, puisque tous reconnaissent qu’il ne faut pas inquiéter un pénitent de bonne foi qui peut-être n’a pas eu l’attrition souveraine ou universelle.

Spéculai ivement ils ne manquent pas d’opposer des arguments de quelque poids, Galtier et, après lui, Cappello ont bien présenté ces arguments. Galtier, De psenitenlia, n. 405 ; Cappello, De psenitenlia, n. 151. On trouvera une vigoureuse défense de la thèse dans Billot, Desacramentis, t. ii, th. xvi. Cet auteur prétend s’abriter derrière plus de trente autorités théologiques : pour quelques-unes, c’est inexact ; d’autres, Gonet et SuareZ, par exemple, n’admettent le sacrement valide et informe qu’en un cas très spécial. Voir ci-dessus. On doil cependant reconnaître que Billot est fidèle à la pensée de saint Thomas, In IV 1 "" Sent., dist. XVII, q. iii, a. 4, sol. 1 (Suppl., q. i, a. 1 1, vraisemblablement d’Alberl le Grand, In M'"'", dist. XVII, a. 6 (édition de Paris, 1890, t. xix, p. 665) ; à coup sûr de saint Antonin, Sum. theol., pari. III, tit. xiv, c. xix (édition de Vérone, 1740, p. 77.")) ; de Cajétan, Qutèstiones de confessione, quæsitum ">, opuscule publié dans l'édition léonine de la Somme théologique, après la pars III », t. xii, p. 353 ; de Capréolus, In IV'"". dist. XVII, q. ii, concl. 3, et de Jean de Sain i Thomas, Cursus iheologicus, l. ix, Desacramentis, disp. XXX 1 1 1, a. 6. Jean de Saint Thomas († 1643), étant postérieur

au concile de Trente, on ne peut donc pas dire que cette opinion ait été abandonnée après le concile. Il est vrai que la plupart des auteurs qui l’ont enseignée depuis la deuxième moitié du xvie siècle l’ont restreinte au seul cas de « non-universalité » de la contrition. Voir cidessus, 3e solution. Billot lui a rendu une vogue incontestable. Après lui, en effet, on peut citer Vermeersch, Theol. moralis, t. iii, n. 569 ; Van NoortVerhaar, De sacramentis, t. ii, n. 68 sq. ; Gihr, op. cit., p. 1 61-103 ; Lépieïcr, De pxiiilenlia, Rome, 1924, p. 412 ; Paquet, De sacramentis, part. II a, disp. III, Québec, 1903, p. 156 sq. ; A. d’Alès, De sacramento pœnitenliæ, Paris, 1926, p. 156-158 ; Hugueny, La pénitence, édition de la Somme théologique de la Revue des Jeunes, t. ii, p. 401-464. Voir une bonne dissertation en ce sens dans l’Ami du clergé, 1920, p. 675 sq. Lépicier, op. cit., p. 414-415, montre bien qu’on ne peut raisonner sur le sacrement de pénitence comme sur les autres sacrements. En ceux-ci, une fiction, même volontaire et consciente, n’empêche pas la validité du sacrement. Dans la pénitence, la fiction consciente et volontaire deviendrait coupable et, par conséquent, constituerait un obex non seulement à la « fructuosité », mais à la validité.

5. Eucharistie.

La question se pose à peine pour l’eucharistie, ce sacrement ne laissant dans l'âme aucune trace de son application. On ne voit pas, en effet, comment la grâce pourrait revivre. La seule supposition qu’on puisse faire, c’est qu’un pécheur, communiant d’une manière nulle ou sacrilège, se repente au moment où il possède encore en lui-même la présence eucharistique. Hypothèse bien fragile, mais qui n’est pas absolument invraisemblable. Cajétan qui avait d’abord enseigné la reviviscence de l’eucharistie, Opusc. v, tr. v, q. v, s’est rétracté dans le Commentaire sur la Somme, III a, q. lxxix, a. 1.

/II. explications. — 1° Ex opère operanlis. — Il faut signaler d’un mot cette explication bizarre qui, en réalité, détruit le concept même de « reviviscence du sacrement ». La grâce apparaîtrait dans l'âme, non en vertu du sacrement précédemment reçu, mais précisément en raison de la pénitence — acte de vertu ou sacrement — éloignant l’obstacle de la fiction. Vasquez attribue cette explication à Duns Scot et la considère comme probable. In IIl &m part. Sum. theol. S. Tlwmæ, disp. CLIX, sect. i, n. 38. Que Scot ait enseigné cette doctrine, c’est là une assertion gratuite. Cf. J. Bosco, Theologia sacramentalis, sect. VI, n. 5 sq. Tout ce qu’on peut affirmer, c’est que Duns Scot ne s’est rallié à l’explication ex opère operalo qu’après quelques hésitations. Voir ici, t. IV, col. 1911.

Ex opère operalo.

Si l’on veut maintenir le

concept de « reviviscence », ou plus exactement cette « efficacité à retardement » des sacrements, il faut admettre que la grâce est produite, au moment où l’obstacle est enlevé, ex opère operalo, conformément au mode d’efficacité des sacrements. Voir Opus opebatum, t. xi, col. 1085-1087.

Mais une difficulté se présente immédiatement à l’esprit : comment un sacrement peut-il produire la grâce c.v opère operalo alors qu’il n’existe plus ? La solution générale, par tous admise, et que nous avons déjà laissé pressentir, voir col. 2618, c’est que « le sacrement, après l’instant où il est appliqué validement, laisse dans l'âme un effet permanent qui de soi appelle la grâce ». C’est cet effet permanent qui, tant qu’il persévère, est susceptible de produire la grâce que le sacrement, en raison de la » fiction » apportée par le sujet n’a pu produire au moment où il était appliqué. L’effet durable, permanent, est ce que les théologiens appellent res et sacramentum. A la suite des anciens, ci plus spécialement de saint Thomas, Sum. theol., 111°, q. î.xvi, a. 1, ils distinguent dans tout

sacrement trois choses : l’une, sacramentum lantum, le rite extérieur, composé de la matière et de la forme, qui signifie et n’est pas signifié par autre chose ; l’autre, res lantum, l’effet intérieur produit par le sacrement fructueusement reçu, c’est-à-dire la grâce que le sacrement signifie, mais qui, elle, n’est pas le signe d’une autre réalité ; enfin, la troisième réalité, pour ainsi dire intermédiaire, qui participe de ces deux premières, étant à la fois signe par rapport à la grâce et cfjet par rapport au sacrement extérieur : res et sacramentum. C’est le res et sacramentum qui, demeurant dans l'âme après l’application valide du sacrement, expliquerait la reviviscence de la grâce.

Les auteurs exploitent cette théorie générale en la faisant rentrer dans les cadres particuliers de leurs opinions divergentes sur la causalité des sacrements. Voir Sacrements.

1. Les partisans d’une causalité disposilive des sacrements (d’ordre physique ou intentionnel, peu importe dans la présente question) pensent trouver dans le fait de la reviviscence des sacrements l’argument convaincant en faveur de leur opinion. Pour eux le res et sacramentum est une disposition dans l'âme, un titre permanent qui demeure, signifié par le sacrement extérieur, signe par rapport à la grâce qu’il exige. Tant que ce titre subsiste, même s’il y a quelque obstacle à la grâce, il l’appelle néanmoins et. dès que l’obstacle est levé, le titre exerce son action et la grâce est produite. Or trois sacrements, le baptême, la confirmation et l’ordre, impriment dans l'âme un caractère indélébile. Le titre à la grâce se confond ici avec le caractère ; il dure toujours comme lui : aussi la grâce de ces sacrements peut toujours revivre. Dans le mariage, le titre se confond avec le lien conjugal : tant que ce lien subsiste, c’est-à-dire tant que l’un des deux conjoints n’est pas mort, la grâce du sacrement peut revivre. Dans l’extrême-onction, le titre est la recommandation à Dieu du malade en danger : tant que dure le danger, le sacrement peut revivre. Mais si le malade revient à la santé et, de nouveau, tombe en danger de mort, on doit lui réitérer l' extrême-onction. Cf. Billo*, De sacramentis, th. vii, § 2, édition de 1924, p. 127.

2. Les partisans de la causalité morale en disent autant. Voir De Augustinis, De re sacramentaria, t. i, th. xviii, et surtout C.hr. Pesch, De sacramentis, pars l'.n. 165. Par le fait (pue le sacrement est validement administré, la dignité, la valeur intrinsèque du rite sacramentel persévèrent devant Dieu et dans son acceptation. Aussi, dès que l’obstacle disparaît, Dieu, en vertu du sacrement déjà reçu, confère la grâce au sujet. Une remarque ici s’impose, indépendante de celles qui pourront être formulées à l’art. Sacrement, sur le système de la causalité morale : on peut se demander comment il se fait que la dignité du sacrement de baptême demeure dans l’acceptation divine et non pas cille de l’eucharistie ?

3. Les partisans de la causalité physique sont plus embarrassés, et P. Pourrat n’hésite pas à dire que ce système « paraît être en opposition avec la doctrine théologique de la reviviscence des sacrements ». La théologie sacramentaire, Paris, 1907, p. 172. « La théorie de la causalité physique, continue le même auteur, est radicalement impuissante à expliquer ce fait, car la causalité physique exige rigoureusement la coexistence de la cause et de l’effet et, dans la reviviscence, le sacrement opère la grâce, lorsqu’il n’existe plus depuis longtemps. Vasquez, disp. CXXXII, c. iv, n. 41-44, expose triomphalement cette dilliculté dans sa vigoureuse critique du thomisme. » Ibid.

Généralement les thomistes, partisans de la causalité physique, ont une réponse toute prête en ce qui concerne les sacrements comportant l’impression d’un caractère indélébile. « Pour les sacrements qui impri ment un caractère, la difficulté semble écartée, puisque le caractère peut concourir physiquement à la production de la grâce. Il est bien vrai que, selon le mode ordinaire (c’est un partisan de la causalité perfective qui parle), la grâce sacramentelle n’a pas besoin de passer par cet intermédiaire, mais quand les sacrements n’existent plus, ils peuvent encore agir par la vertu qu’ils ont laissée dans le caractère indélébile, comme la cause survit dans l’influence qui reste d’elle. Telle est la solution de saint Thomas. » Ed. Hugon, O. P., La causalité instrumentale en théologie, Paris, 1907, p. 147. Voir S. Thomas, In JVum Sent., dist. IV, q. ni, a. 2, qu. 3, et Sum. theol, IID, q. lxix, a. 10, ad lum.

L’embarras commence avec les autres sacrements. Certains thomistes s’en tirent en niant la possibilité de la reviviscence dans les sacrements n’imprimant pas de caractère. Salmanticenses, De sacramentis, disp. IV, n. 91 sq. D’autres admettent que, pour expliquer ces cas exceptionnels, il faut, pour les trois sacrements de pénitence, d’extrême-onction et de mariage, recourir à la causalité purement morale, le mode d’opérer devant varier si les circonstances sont changées : quand les sacrements existent physiquement, leur causalité est toujours physique ; quand ils n’existent que moralement, leur causalité n’est que morale. Gonet, Clgpeus, De sacramentis, disp. III, a. 3, § 2, n. 81 ; cf. Hugon, op. cit., p. 148. D’autres, tels que Didace Nuno, Jean de Saint-Thomas. Billuart recourent à l’hypothèse d’une modification dans la volonté : « Pour les autres sacrements, déclare Ilugon, on répond qu’ils ont déposé dans la volonté, qui s'était déterminée à les recevoir, des impressions et des vestiges, et que Dieu peut encore s’en servir pour produire la grâce. » Op. cit., p. 148 ; cf. Billuart, De sacramentis, dissert. 111, a. 2, obj. Dccsf exisienlia.

Dans une courte étude, mais trop solide' pour ne pas avoir ici une place de choix, le P. Marin-Sola, O. P., a proposé une nouvelle solution pour concilier la causalité physique des sacrements avec leur reviviscence. Proponitur noua solulio ad conciliandum causalitalem physicam sacramentorum cum eorum reviviscentia élans Divus Thomas de janvier 1925. La solution qui consiste à éliminer toute possibilité de reviviscence dans les sacrements autres que le baptême, la confirmation et l’ordre est une véritable défaite. En recourant à la causalité morale pour expliquer la reviviscence des sacrements qui ne confèrent pas de caractère, Gonet apporte un remède pire que le mal ; il installe la contradiction au cœur même du système et donne au surplus satisfaction aux adversaires, trop heureux d’avoir arraché à la théorie ce premier lambeau pour se tenir tranquilles. Quant à l’hypothèse d’une modification physique dans la volonté, le P..Marin-Sola ne la trouve guère heureuse : il faudrait, en ce cas, admettre la reviviscence de tous les sacrements, y compris l’eucharistie et la considérer, en chacun d’eux, comme pouvant être perpétuelle. On est ici d’ailleurs acculé à cette contradiction que, pour les sacrements qui impriment un caractère, la reviviscence s’explique par une modification de l’intelligence (le caractère) et, pour les autres sacrements, par une modification de la volonté.

Aussi le P. Marin-Sola propose-t-il une solution nouvelle (que d’autres auteurs ont présentée depuis avec ferveur ; cf. Fr. Connell, De sacramentis Ecclesiæ, Bruges 1933, p. 87 ; Mac Kenna, dans Irish Eccles. Record, août 192(5, p. G5 ; Haynal, O. P., art. cité). Le caractère baptismal doit être considéré comme une puissance passive à recevoir les autres sacrements. Toute puissance passive étant modifiée par la réception de son acte, le caractère baptismal sera modifié physiquement par la réception valide d’un sacrement. C’est, d’après le P. Marin-Sola, cette modification physique du carac

tère baptismal qui serait la cause, également physique, de la reviviscence.

Cette explication était ainsi appréciée dans l’Ami du clergé, 1926, p. 84 : « Elle a, sur les précédentes, de grands avantages qu’il serait injuste de ne pas signaler d’un mot : elle repose d’abord sur une théorie solide du caractère baptismal, et des rapports de la puissance à l’acte ; elle est, d’autre part, homogène en toutes ses parties, exempte des artifices que nous avons découverts dans les autres ; enfin, elle peut être considérée comme une sorte de mise au point définitive des idées des anciens thomistes, sans en excepter Nufio et Jean de Saint-Thomas, qui y trouveraient mieux leur compte que dans leur propre théorie. L’avenir dira si une telle solution, engageante de tant de manières, ne présente pas quelques lacunes qui l’empêcheraient d'être encore la solution définitive. »

Mais peut-être faudrait-il ajouter une remarque. Les sacrements sont si différents les uns des autres que l’analogie de leur mode d’action doit être envisagée dans les limites aussi larges que possible. La théorie du P. Marin-Sola nous paraît se prêter facilement à cette souplesse désirable. En tous cas, gardons-nous, en matière d’efficacité sacramentelle, des catégories trop rigides que notre esprit voudrait imposer à l’action divine.

IV. conditions.

La condition générale pour que « revivent » les sacrements, c’est que l’obstacle (obex) à la production de la grâce soit enlevé. Mais l’obstacle peut être de différentes espèces. De plus, à l’obstacle primitif qui s’est opposé à la grâce lors de la réception du sacrement peut s’ajouter un nouvel obstacle, c’est-à-dire un péché mortel commis délibérément. Aussi la condition générale doit-elle être précisée pour divers cas possibles dans les règles suivantes :

1° Première règle : A la reviviscence d’un sacrement reçu avec un obstacle purement matériel suffit l’altrition, à la condition toutefois que ne survienne aucun pèche mortel. — L’obstacle est dit simplement matériel, soit parce que le sujet n’en a pas conscience, soit parce qu’il ne le considère pas comme empêchant la grâce. Celui qui reçoit un sacrement avec un obstacle purement matériel ne pèche que matériellement : mais il demeure privé de l’influence de la grâce. Or, cet obstacle purement matériel n’a pu être, en quelque sacrement que ce soit, que l’absence d’attrition vraie, souveraine et universelle. Car une telle attrition est suffisante pour la réception fructueuse des sacrements des morts et même, accidentellement, des vivants, quand celui qui les reçoit est fie bonne foi. Voir Sacrement. Donc, la seule présence d’une véritable attrition dans l'âme rendra le sacrement fructueux.

Une seule exception doit être faite, mais pour un cas à peine concevable. Si un adulte a reçu le baptême, d’une manière valide, niais sans fruit, et s’il n’a jamais péché mortellement, le sacrement deviendrait fructueux, non par l' attrition qui n'était pas nécessaire, mais par de simples actes de foi et d’espérance. Mais, encore une fois, le cas est chimérique,

2° Deuxième règle : Pour la reviviscence il' un sacrement reçu (u<ec un obstacle purement matériel, si an péché mortel a été commis après la réception da sacrement, est requise ou la contrition parfaite ou la réception du sacrement île pénitence avec l’altrition. - Celle règle vaut, el pour les sacrements des vivants et pour les sacrements des morts. D’une part, en effet, un sacrement ne peut revivre si l'âme reste en élal de péché mortel ; d’autre pari, l’efficacité <u sacrement déjà reçu ne saurait s'étendre à un péché postérieur. Aussi, pour obtenir la rémission de ce péché, faut-il recourir aux moyens ordinaires : ou la contrition parfaite ou, normalement, le sacrement de pénitence (cl, par accident, un sacrement des vivants reçu de bonne foi). Si le sacrement de

baptême doit ainsi revivre par le sacrement de pénitence, c’est par les deux sacrements agissant simultanément que la grâce est conférée à l'âme ; mais, en raison du baptême, seuls les péchés commis avant la réception de ce sacrement sont remis et, en raison de la pénitence, les péchés postérieurs au baptême. Cf. S. Thomas, Sum. theol., Ifl a, q. lxix, a. 10, ad 2um.

3° Troisième règle : Pour la reviviscence d’un sacrement reçu avec un obstacle formel (c’est-à-dire dont le sujet avait conscience), est requise ou la contrition parfaite ou la réception du sacrement de pénitence avec l’altrition. — En ce qui concerne la reviviscence de la pénitence elle-même, la question ne peut se poser : jamais le sacrement de pénitence ne sera valide avec un obstacle formel à sa fructuosité. En ce qui concerne les sacrements des vivants, la règle posée est d’une évidence qui se passe de commentaire : le sacrilège qui a été commis en recevant le sacrement en de si fâcheuses dispositions doit être d’abord remis avant que puisse revivre le sacrement.

Une controverse théologique concerne la rémission du sacrilège commis en recevant le baptême d’une façon valide, mais indigne. Ce péché doit-il être soumis au pouvoir des clefs et remis par la pénitence, ou bien est-il effacé en vertu du baptême, dont la reviviscence serait assurée par la simple attrition ? Les deux opi nions ont leurs défenseurs. La première solution est de beaucoup la plus commune : tant de fictione quant de peccatis postea perpelralis est peenilentia imponenda, S. Bonaventure, In IV am Sent., dist. IV, part. I, a. 2, q. m ; Suarez, De baplisnto, disp. XXVIII, sect. v, Dico tertio ; Vasquez, op. cit., disp. CLX, c. ir, n. 18 sq. ; Salmanticenscs, De sacramento pxiiitentiiv, tract. VI, c. iv, n. 15 etc. Chez les auteurs contemporains : Van Noort, De sacramentis, t. i, n. 144 ; Hugon, Traclalus, t. iii, p. 104 ; Diekamp-Holïmann, Monnaie, t. iv, p. 08 ; De Smet, De sacramentis in commuai, de baplisnto et confirmalione, n. 248 ; etc. « Communissime affirmant », dit saint Alphonse de Liguori, qui cependant considère l’opinion opposée comme probable et admissible. Theologia moratis, t. VI, n. 87, 427, édition Gaudé, t. iii, p. 60, 422. Cf. J. Connell, op. cit., n. 80, p. 88-89.

V. UNE CONCLUSION PRATIQUE POUR L’ADMINISTRATION DES SACREMENTS SOUS CONDITION — Étant donné que les sacrements (sauf l’eucharistie) peuvent être à la fois valides et informes et revivre plus tard quand l’obstacle à leur fructuosité aura disparu, il faut bien se garder d’employer jamais la condition, autrefois indiquée dans nos vieux manuels de morale : si lu es dispositus, mais toujours celle-ci : si la es capax. Autre chose est la validité, autre chose la fructuosité du sacrement. La première formule, celle des dispositions, se référerait à la fructuosité, la seconde, celle de la capacité, à la validité seule. Il faut donc, en administrant le sacrement sous condition, réserver l’avenir et laisser au sujet la possibilité de le faire revivre, si la chose est nécessaire. Le cas est pratique surtout dans l’administration du sacrement d’extrêmeonction.

Sur tous ces points on consultera les manuels théologiques au chapitre de la reviviscence des sacrements. Nous indiquons plus spécialement : Billot, Ile sacramentis, l. I, th. VI ; Chr. I’eseh, Traclalus dogmaiici, t. vi, n. 314-316 ; I. épicier. De sacramentis in commuai, q. iii, a. 6, appendix iii, p. 136139 ; De baptismo et confwmatione, q. v, a. 10, p. 253-260 ; / '< gralia, q. cxiii, dissert, specialis, S, p. 358 sq. ; J. Connell, C. ss. r, .. De sacramentis F.cclesiæ, t. i, n. 78-81 ; de Smet, Ile sacramentis in génère, n. 86-89 ; 247-250 ; 391.

on lira également deux monographies instructives : A. 1 1 ; i > 1 1.- 1 1. (). 1'., De reuiviscentia sacramentorum fictione recedente, dans l’Angelicum, 1927, p..">1 sq., 293 sq.. 382 sep ; J.-B. Umberg, S..1., De reuiviscentia sacramentorum ratione

rei etsacramenti —, dans l’eriotlica de re morali, 1928, p. 17 sq.

Si l’on veut avoir des références nombreuses aux auteurs anciens, on se reportera à l'édition Gaude de la Théolorjie morale de saint Alphonse de Liguori, t. iii, n. S7 et 427, p. 66 et ! -22. Les anciens théologiens traitent la question de la reviviscence des sacrements principalement par rapport au baptême ; cf. S. Thomas, Sum. theol., lll a, q. î.xix, a. 9 ^t 10, et les commentateurs.

II. Reviviscence de la grâce et des vertus. — Les théologiens en traitent ordinairement à propos de la reviviscence des mérites. Sans doute, les deux problèmes présentent des points de connexion étroite ; ils doivent cependant être distingués. Cf. A. d’Alès, De sacramento psenitentise, p. 163, n. 2.

Remarquons aussi que le problème de la reviviscence de la grâce et des vertus ne s’identifie pas avec le problème de la reviviscence des sacrements. Selon l’expression consacrée, le sacrement « revit », quand, au moment de son application, il n’avait pas produit son effet, c’est-à-dire la grâce, et qu’ensuite, l’obstacle étant enlevé, l’effet est enfin réalisé. La reviviscence de la grâce et des vertus dans la réception valide et fructueuse du sacrement de pénitence (et accidentellement d’un autre sacrement) présuppose un état dans lequel, avant de tomber dans le péché, l’homme possédait déjà la grâce. Le péché survenant dans l'âme détruit la grâce et les vertus surnaturelles infuses, seules la foi et l’espérance pouvant subsister à l'état informe. Si le pécheur fait pénitence de sa faute et en obtient le pardon, grâce et vertus surnaturelles formées reparaissent en son âme ; elles revivent. Cette reviviscence peut se produire de double façon soit sacramentellement, ordinairement par le sacrement de pénitence, ex opère operato, soit extrasacramentellement par la contrition parfaite, ex opère operanlis. Le cas spécial du martyre n’introduit pas d'élément nouveau au double problème envisagé par la théologie catholique touchant cette reviviscence de la grâce et des vertus et dons. Nous étudierons : 1° le fait ; 2° la mesure de cette reviviscence.

I. le fait.

Le fait de la reviviscence ou récupération de la grâce, des vertus et des dons dans la juslilication ne saurait faire de doute. En ce qui concerne la grâce et la charité, c’est une doctrine de foi, qu’impliquent nécessairement la nature même de la justification et l’efficacité des sacrements. En ce qui concerne les autres vertus théologales et les lions, c’est une doctrine au moins Ihéologiquement certaine, en raison de la connexion qui existe entre la grâce et ces lutbilus surnaturels. En ce qui concerne les vertus morales infuses, c’est une doctrine plus communément admise. Voir Vertus.

L’argument scripturaire principal en faveur de la reviviscence des vertus et des dons est la parabole de l’enfant prodigue, Luc, xv, 1 1 sq. C’est surtout sur le v. 22 que les Pères s’appuient : Cito proferte stolam primant et induite ittum et date anniilum in maniun ejus et calceamenta in pedes ejus. Bien que prima stola ne signilie pas ici 1' « ancienne robe », celle qu’il possédait auparavant, cf. Lagrange, Évangile selon saint Luc, p. 125, le texte marque clairement que le prodigue va « reprendre sa place de maître dans la maison de son père ». Voir l’interprétation de saint Ambroise, P. h., t. xv, col. 1761. Un beau texte de saint Vincent Ferrier résume toute la tradition sur ce point : Proferte stolam primam et induite illum, inquit. Ecce magna misericordia Christi, qui non solum remitlil culpas, sed etiam restitua tibi graliam pristinam, vesliendo animam veste (jraliie, qua fueral nudala. Et, quando anima vestila est veste gratise, potest cantare et dicere : « Gaudens gaudebo in Domino, et exultabit anima mea in Deo meo, quia induit me veslimentis salulis et indumento juslitiw circumdeditme. » (Ts., lxi, 10) Vestimenta sulutis sunthabilus virtutum theologicarum et moralium, sive cardinatium et septem dona Spirilus Sancli. Omnia isla resti tua Dominus pœnitenti. Indumentum jusliliæ est gralia divina habitualis. Sermon pour le samedi après le 2e dimanche du carême, dans Sermoncs Quadragesimales, Cologne, 1482.

Le concile de Trente a d’ailleurs consacré ce fondement scripturaire en même temps qu’il a canonisé la doctrine qu’on y rattache. Itaque veram et clirislianam justitiam accipientes, eam ceu primam stolam pro illa, quam Adam sua inobedienlia sibi et nobis perdidil… Sess. vi, de juslifïcatione, c. vii, Denz.-Bannw., n. 800. Ce rappel scripturaire complète l’assertion relative à l’infusion simultanée de la grâce et des vertus : unde in ipsa justificatione cum remissione peccatorum hœc omnia simul infusa accipit homo per Jesum Christian cui inseritur : /idem, spem, charitaiem. Id., ibid. Sur cette infusion simultanée, voir également Innocent III, Ei’ist. majores à Guibert, archevêque d’Arles, Denz.Bannw., u. 410. Le canon 1 1 de la session vi du concile de Trente prononce l’anathème contre quiconque déclare que la justification peut se faire sans l’infusion de la grâce et de la charité. Denz.-Barihw., n. 821.

Aussi tous les théologiens, à la suite de saint Thomas, affirment-ils le fait de la récupération de la grâce, des vertus infuses et des dons du Saint-Esprit : « Les péchés sont remis par la pénitence. Mais la rémission des péchés ne se fait pas sans l’infusion de la grâce, d’où il suit que la grâce est réintroduite en notre âme par la pénitence. Or, de cette grâce procèdent toutes les vertus surnaturelles, comme toutes les facultés de l'âme découlent de son essence… Donc il faut admettre que toutes les vertus nous sont rendues par la pénitence. > If-If 1 ', q. LXXXIX, a. 1.

La conclusion immédiate de cette affirmation générale, c’est que l'élément essentiel de la dignité de l’homme, l'étal de grâce et les dons surnaturel, annexes, sont rendus au pécheur pénitent. Mais l'élément accessoire, l’innocence, la virginité matérielle ne saurait être reconstitué : le pénitent peut d’ailleurs récupérer des biens supérieurs, une vertu plus grande et plus agissante. Id., a. 3.

II. LA MESURE DE CETTE REVIVISCENCE.

Ce second problème donne lieu à des solutions divergentes, parce cpie, pour le résoudre, les auteurs font appel a des principes différents, sinon opposés, concernant l’accroissement de la grâce et des vertus dans l'âme.

1° Les principes invoqués. - - Nous ne ferons que les résumer brièvement, leur exposé normal relevant de l’article Vertus. On peut constater deux courants opposés :

1. Saint Thomas, considérant que la grâce sanctifiante, les vertus infuses et les dons du Saint-INpi il sont métaphysiquement réductibles au prédicament qualité et non au prédicament quantité, rejette la thèse nominaliste d’un accroissement par mode d’addition : Il peut arriver qu’un - habit us » augmente par addition parce qu’il s'étend a des objets auxquels il ne s'étendait pas jusqu’alors… Or, on ne peut pas dire cela de la charité, puisque la moindre charité s'étend à tout ce cpii peut être aimé dans la charité… Si de la charité s’additionne a de la charité, cela ne peut se faire qu’en supposant une distinction numérique, c’est-à-dire une diversité de sujets… Mais on ne peut dire pareille chose dans le cas qui nous occupe ; car la charité se trouve dans l'âme raisonnable comme dans son sujet ; et alors il s’ensuivrait qu’une âme raisonnable s’ajouterait à une' autre âme raisonnable, ce qui est impossible. Et si même c'était possible, une telle augmentation agrandirait l'être aimant, mais ne ferait pas qu’il aimât davantage. La charité augmente donc parce que le sujet [qui la reçoit ] la pratique de plus en plus, c’està-dire est davantage incité a produire son acte et plus commandé par elle.. Ainsi la charité augmente parce

qu’elle s’intensifie dans le sujet. » IIMI 110, q. xxiv, a. 5. Cet aecroissement en intensité, non en quantité, saint Thomas l’exprime d’un mot : c’est un enracinement plus parfait de la vertu dans l'âme, nihil est aliud ipsam secundum esseniiam augeri quant eam mugis inesse subjecto, quod est eam magis radicari in subjectn. Id., ([. xxiv, a. 4, ad 3um. Cf. [ a -II », q. lii, a. 2 ; In Ium Seul., dist. XVII, q. ii, a. 2 et a. 5 ; De virtutibus, q. t, a. 11. On trouve un excellent exposé de cette conception dans Billot, De virtutibus infusis, 1905, Prolegomenon, p. 25-28, et De sacramentis, t. ii, 1922, p. 10K sq.

2. Sous l’influence de préoccupations relatives à la reviviscence des mérites, voir plus loin, beaucoup d’auteurs modernes ont repris l’ancienne théorie combat t lie par saint Thomas ou tout au moins ont essayé de l’interpréter. L’accroissement de la grâce et des vertus se ferait non seulement intensivement mais par une sorte d’addil ion de degrés : recle (lierre licet virtutes augeri per additionem, non hoc sensu, quod caritas additur caritati ul nova forma, ut sint duse earilales in anima, sed hoc sensu, quod novus gradus accedit, qui priorem gradum SUpponit et eum eo nnnm formant ejjiiil. Chr. Pesch, Prselectiones dogmalicse, t. vin. De virtutibus, n. 69. C’est la doctrine exposée par Suarcz dans sa Métaphysique, disp. XLVI, et reprise, au point de vue théologique, dans le De gratia et la Releciio de reviviseentia meritorum ; de Lugo, De psenitentia, disp. XI, sect. iii, n. 40 sq. ; Vasquez, In /a™-// » Sum. theol. S. Thomæ, disp. 1. XXXII ; Tolet, In III aja part. Sum. Iheologicee, <(. lxxxix, a. f>, concl. 2 ; Coninck. De act. supern., disp. XXII, dub. m ; Ripalda, De ente supern., disp. CXXIX, sect. n ; Salas, In I*v-II », tract, x, disp. IV, sect. iv, et un grand nombre d’autres théologiens jésuites.

Applications.

Tous les théologiens acceptent

le même point de départ dans la vie surnaturelle du juste et se réfèrent à la vérité affirmée par le concile de Trente, sess. vi, c. vu : « Chacun de nous reçoit en lui sa justice, selon la mesure qu’il plaît à l’EspritSaint de départir à chacun et selon la disposition et la coopération propre à chacun. » Denz.-Bannw., n. 799. I.a mesure de la grâce et des vertus, au point de départ de la vie surnaturelle de chaque juste, sera donc, d’une part, le bon plaisir de Dieu, d’autre part, les dispositions de l’homme.

1. Les anciens théologiens et l'école thomiste. — Il est remarquable que tous les grands théologiens antinominalistes acceptaient l’opinion qui a prévalu ensuite dans l'école thomiste : la grâce et les vertus sont rendues â l’homme justifié dans la proportion de ses bonnes dispositions au moment même de la justification. Voir Alexandre de Haïes, Summa, part. IV, q.xii, memb. 1 : q. i.vii, memb. 5 ; Albert le Grand, In l' nm Sent.. dist. XIV, a. 30 ; Pierre de Tarenlaise, //( ///""', dist. XXXI, q. i, a. 3, et In M'"" 1, dist. XIV. a..S, qu. 1 : Richard de Médiavilla, In ///'"", dist. XXXI, a. I, q. ii ; S. Bonaventure, In I V"" 1, dist. XIV, part. II, a. 2, q. i, et même Duns Scot, lu IV'"", dist. XXII, q. un., a. 2, n. 8-9, et Durand de Saint-Pourçain, In ///"", dist. XXXI, q. ii, a. 3. On retrouve évidemment cette doctrine chez les grands commentateurs ou disciples de saint Thomas, lierre de La l’allu, In I Vum, dist. XIV, q.i, c. ii, concl. 3 ; Capréolus, dist. XIV, q. ii, a. I. concl. I ; Cajétan, In 1 1 ! ""' part. Sum. theol., q. lxxxix, auxquels il faut ajouter Grégoire de Valencia, Commentarii in ///"" part. Sum. S. Thomse, t. iv, disp. VII, q. vi, punct. i ; Pierre Solo, De psenitentia, sect. vi ; Silvius, In III"" part. Sum. theol., q lxxxix, a. 2 ; Estius, In I V" 1 " Sent., dist. XIV, § 12 et, plus près de nous, le continuateur de Tournely, De psenitentia, part. ii, n. 216-217.

Saint Thomas expose celle doctrine dans la Somme

théologique, III », q. lxxxix, a. 2 (cf. In III" m Sent., dist. XXXI, q. t, a. 4) : « Le mouvement du libre arbitre qui se trouve dans la justification de l’impie est l’ultime, disposition h la réception de la grâce. (Test pourquoi ce mouvement du libre arbitre se produit au même instant que l’infusion de la grâce… Dans ce mouvement est inclus l’acte de pénitence. Or, il est manifeste que les formes susceptibles de recevoir un degré plus ou moins élevé d’activité, le reçoivent en proportion des divers degrés de disposition du sujet… En conséquence, selon que, dans la pénitence, le mouvement du libre arbitre est plus intense ou plus faible, ]c pénitent reçoit une grâce plus grande ou moins grande. Mais il arrive que la grâce à laquelle est proportionnée l’intensité du mouvement ilu pénitent est parfois égale, parfois supérieure ou inférieure au degré de grâce d’où il était tombé. Il s’ensuit que le pénitent se relève quelquefois avec une grâce plus grande et d’autres fois avec une grâce égale ou même inférieure, et il en va de même des vertus qui suivent la grâce. » III >, q. i.xxxix, a. 2 (trad. du P. Hugueny). cf. a. i, ad l" m.

La conclusion immédiate de ce principe — manifeste, dit saint Thomas — c’est que l’accroissement de la grâce sanctifiante et des vertus et dons qui en découlent est procuré seulement, soit ex opère, operalo, soit ex opère operanlis, en raison d’une disposition plus parfaite du sujet. Dans l’accroissement c.r opère operalo, la réception valide et fructueuse du sacrement apporte toujours au juste, tout au moins par l’influence du sacrement, une disposition subjective qui constitue par elle-même un progrès spirituel, si minime soit-il, sur l'état spirituel qui précédait la réception du sacrement. Dans l’accroissement ex opère operanlis, l’augmentai ion de grâce serait procurée par les seuls actes méritoires intenses, c’est-à-dire dont le principe, la charité, dépasse en ferveur le degré précédent de charité. Cf. C. Ncveut, Des conditions de la plus grande valeur de nos actes méritoires, dans Divus Thomas de Plaisance, 1931, fasc. 4. Quant au pécheur qui ressuscite à la vie de la grâce, sa résurrection aura pour mesure, dans l’opinion thomiste, le degré de ses dispositions. Ce qui est vrai, unanimement accepté, consacré par le concile de Trente, pour la première acquisition de la grâce, ne le serait-il donc plus pour sa récupération ?

2. Les lltc’ologiens modernes non thomistes.

Préoccupés de justifier leur thèse sur la reviviscence des mérites, ces théologiens négligent de considérer ce que le concile de Trente affirme de l’influence des dispositions subjectives sur le degré de la grâce infusée à l'âme, sess. vi, c. vu : juslilium in nobis recipienles unusquisque suam… secundum propriam cujusque dispositionem et cooperationem. Denz.-Bannw., n. 799. Ils ne veulent retenir que l’affirmation des canons 2 1 et 32 ; juslilium acceplam… augeri… per bona opéra, et hominem jusliflcalum …bonis operibus… vere mereri augnten/nm gratise. Id., n. 834, 842. Ils en déduisent que l’accroissement de grâce et de vertus s’opère pour ainsi dire mathématiquement par tout acte méritoire, même rémittent, c’est-à-dired’une ferveur inférieure au degré précédent de charité. Et, dans le cas du pécheur pénitent, récupérant la grâce et les vertus perdues par le péché, ils n’hésitent pas à affirmer qu’en toute hypothèse ce pécheur ressuscite avec une grâce et des vertus supérieures ; Chaque fois qu’un homme, qui a été juste, puis a péché, est juslilié, il ressuscite avec un trésor augmenté de grâces ; car tout d’abord il reçoit une nouvelle grâce proportionnée à ses dispositions, puis tout le trésor de grâces qu’il avait avant son péché. Il ressuscitera donc toujours avec une grâce plus grande. » Suarez. Relectio de reviviseentia meritorum, disp. ii, sect. iii, n. 58, edit. Vives, t. xi, p. 518.

Nous avons ici l’applical ion de la théorie général ? de l’accroissement pur addition : la conversion du pécheur étant un nouveau mérite, elle ajoute quelque chose au degré de grâce antérieure.

La controverse.

Le P. Hugueny a bien souligné

le côté faible de cette théorie, en apparence simple et facile. Premièrement, elle ne tient pas compte du caractère vital que doit présenter dans la vie surnaturelle de l’homme tout accroissement de grâce et de vertus : « Le progrès vital, surtout en fait de vie d’esprit, n’est pas une addition, et son résultat final ne s’estime pas comme un total, mais d’après l'état auquel, finalement, il a conduit le vivant. » La pénitence, t. t, p. 297 : cf. A. -A. Goupil, Les sacrements, t. iii, p. 67. Deuxièmement, cette théorie aboutirait, par son caractère quantitatif, à considérer « que la multitude des actes médiocres pût suppléer à leur infériorité en perfection. En ce cas, une vieille centenaire, qui aurait mené la vie la plus banale, avec pas mal de péchés mortels au cours de cette vie, pourrait être élevée en gloire au-dessus de sainte Agnès trop tôt martyrisée pour arriver à un aussi beau total de petits mérites. » Hugueny, op. cit., p. 296.

Suarez a répondu d’avance à cette seconde considération. La théorie de l’addition n’entraîne pas, comme conséquence, que la multitude des actes médiocres puisse suppléer à leur imperfection ; car si le chrétien, au lieu de pécher et de se relever sans cesse, avait perst tri dans la justke, sa vie spirituelle se serait Elevée à un niveau bien supérieur. Op. cit., disp. II, sect. ii, n. 21. A quoi l’on peut répondre que cette considération vaut sans doute pour le même sujet ; mais quille perd toute sa valeur si l’on compare deux sujets différents, l’un additionnant au cours d’une longue vie de multiples petits accroissements de vie surnaturelle, l’autre empêché d’en faire autant par une mort prématurée.

Ce qui différencie fondamentalement l’explication de saint Thomas et celle de Suarez, c’est donc ceci : dans la première, on pose comme condition de l’accroissement de grâce l’acte de charité plus intense ; dans la seconde, cette condition n’existe pas. Et c’est sur ce point précis que porte toute l’offensive des suaréziens. Trois arguments sont invoqués : 1. Preuve tirée du concile de Trente, sess. vi, c. xvi : » A la promesse de la vie éternelle, le concile ne pose que cette condition : 5*178 meurent dans la grâce de Dieu. Or. à l’augmentation de la grâce, il n’a posé ni cette condition, ni aucune autre : mais bien plutôt, au canon 2 1 (et 32) il a défini, que la grâce de Dieu est augmentée par les bonnes œuvres… 2. Preuve tirée du silence de l'Écriture, des Pères et des conciles… 3. On pourrait enfin demander en quoi consiste cette prétendue condition qui devrait être ajoutée à la promesse divine… > Suarez, De gratia, t. IX, e. xxiii, édit. Vives, t. i.. p. -17.">.

En ce qui concerne le concile de Trente — le seul argument qui mérite d'être ici retenu - on peut répondre avec Jannssens : « Le concile a voulu condamner l’erreur de Luther, sans entrer dans des précisions, ni indiquer quel acte est requis pour l’accroissement de grâce ou quand cet accroissement doit se produire. » De gratia, p. 497. Et Billot : Re enim vera, ex Tridentino nihil, neque pro, neque contra. De sacramentis, t. n (1922), p. 109-110. Voir aussi A. d’Alès, De sacramento pœnitentise, th.xii, p. 161 sq. ; Hugueny, La penitence, t. i, p. 285, etc.

La véritable raison pour laquelle les théologiens modernes ont, en grand nombre, adopté l’opinion suarézienne, c’est celle que nous avons déjà fait pressentir et qui deviendra plus évidente encore au paragraphe suivant : il semble à ces théologiens impossible de prouver le fait de la reviviscence des mérites sans aller jusqu'à ce qui leur paraît la conséquence logique de ce fait, la restitution totale de leur valeur au point de vue de la récompense. Or, cela implique qu'à chaque mérite nouveau correspond une valeur nouvelle de grâce et, dans l’autre vie, de gloire : « Mérite, grâce et

gloire se correspondent. Si les mérites revivent dans leur plénitude et conduisent à la gloire correspondante, il en résulte nécessairement que, dans la justification, la grâce méritée par les bonnes œuvres, mais perdue par le péché, est rendue au même degré qu’auparavant. » N. Gihr, Les sacrements, trad. franc., t. iii, p. 270-271. Nous verrons plus loin qu’une telle parité ne s’impose pas.

Au point de vue de la vie spirituelle, l’opinion de saint Thomas, plus sévère, semble plus sûre, la seule sûre : « Si nous considérons la chose pratiquement, écrit Hillot, le meilleur avis qu’on puisse donner est de diriger la vie spirituelle conformément aux principes de cette opinion qui sans aucun doute est encore la plus sûre, dans l’hypothèse où toutes les autres opinions pourraient être défendues… Il faut craindre, en elïet, que les richesses spirituelles que ces autres opinions nous distribuent si libéralement ne s'évanouissent en fin de compte au jour de la rétribution et que la parole du psalmiste n’ait alors son application : « Ils « ont dormi leur sommeil et tous les hommes de richesses « n’ont rien trouvé dans leurs mains, o De gratia, p. 280. Cf. De sacramentis, t. n (1922), p. 120-121.

4° L’autorité du pape Pic XL A l’occasion du

jubilé de 192.".. S. S. le pape Lie XI a publié la bulle Injinita Dei misericordia, dans laquelle les partisans de l’opinion de Suarez ont cru trouver un argument décisif en leur faveur. La controverse étant entrée dans nos manuels, cf. Hugon, Traclalus dogmalici, t. iii, ]). 564, il est nécessaire de la résumer. Le texte invoqué est ci lui-ci :

Çhiu unique cnini ps nitciuli apostclk.' Ssdis salutaiii jussa, jubilseo magno vertente, perficiunt, iidem, tum casu, quam peccando amiserant, meritorum donorumque copiam ex

in rEGRO REPARANT At ; RECIPIUNT, tu ni de asperrimo Sa fana 1 dominatu sic eximuntur ut libertatem répétant, * qua Christus nos liberavil, tum denique pœnis omnibus, quas pro culnis vitiisque suis lucre debuerant, ob cumulatissima Christi Jesu, beatæ Maria ; virginis sanctorumque mérita plene exsolvuntur.

Cette déclaration du souverain pontife peut très bien s’accommoder de la doctrine thomiste sur la mesure de la reviviscence de la grâce et des vertus : Outre les avantages de l’indulgence plénière dont la constitution souligne la richesse et l’ampleur…, Pie XI parle de la reddition intégrale des mérites et des dons perdus par le péché. » Les dons perdus par le péché mortel sont la grâce sanctifiante, les vertus surnaturelles, théologales et morales, les dons du Saint-Esprit. Dans quell nieure la justification fait-elle revivre ces trésors spirituels et quelle part y a le jubilé? » Nous pouvons répondre avec saint Thomas, le prince des théologiens, quèces dons nous sont rendus dans ta mesure de nus dispositions intérieures. Or le jufcll ; par ses pi itliS et ses sai riÉceS, ses cm r : K ; s i t ses prédications, par la vertu surnaturelle que leur ajoute la volonté de l'Église, est un moyen très ejj’eæe pour exciter la ferveur et préparer l’unie à recouvrer grâces et dons dans toute leur intensité… » Mgr Rousseau, évêque du Puv. Lettre pastorale à l’occasion du xxixgrand jubilé de N.-D. du Puy (1932), p. 22.

La question de la reviviscence de la grâce et des vertus étant abordée le plus souvent à l’occasion de la reviviscence des mérites et conjointement avec cette question, nous renvoyons pour la bibliographie à la bibliographie du paragraphe suivant.

III. Reviviscence des mérites.

I. doctrine

    1. CATHOLIQUE SDR I##


CATHOLIQUE SDR I.A REVIVISCENCE DES MÉRITES. — 1° Affirmation.

On a exposé ailleurs les conditions

requises pour qu’un acte bon soit méritoire de la vie éternelle. Voir Mérite, t. x, col. 780. Il convient de rappeler que, par rapport au salut éternel, les actes humains doivent être distingués en : 1. œuvres vives