Dictionnaire de théologie catholique/RÉDEMPTION III. Explication de la foi catholique 6. Effets de la rédemption

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 13.2 : QUADRATUS - ROSMINIp. 284-287).

VI. Effets de la rédemption. - —

Il reste, pour obtenir un concept intégral de l'œuvre rédemptrice du Christ, à tirer au clair la notion exacte et l’aire de son efficacité. C’est, au demeurant, plutôt par ses fruits qu’elle s’exprime dans les sources primitives de la foi. A suivre la marche inverse, qui est celle de la science, la synthèse théologique ne fait qu’achever de mettre en pleine lumière la compréhension et l’extension du donné.

Mode d’action.

Parce qu’elle a un sens objectif,

les premiers effets de la Rédemption, et les plus importants, se produisent en dehors de nous. C’est tout d’abord devant Dieu qu’elle compte et qu’il faut donc en marquer au juste le rôle comme facteur dans la réalisation de ses décrets.

1. Déformations polémiques. -- A qui mieux mieux les adversaires de l’orthodoxie ecclésiastique inscrivent à son passif les plus lourdes charges en vue de la discréditer. Mais il suffit d’un minimum d’objectivité pour réduire ces mythes polémiques à néant.

C’est ainsi que la rédemption n’a pas pour but de réconcilier en Dieu les prétentions contradictoires de sa justice qui doit punir et de sa miséricorde qui voudrait pardonner. Après D.-Fr. Strauss, Die christliche Glaubenslehre, Tubingue et Stuttgart, 1841, p. 260261, A. Sabatier, La doctrine de l’expiation, p. 53-54, et d’autres subalternes ont raillé ce « parallélogramme des forces » dont « la diagonale de la satisfaction vicaire i serait l’aboutissement. Sans doute le conflit des « filles de Dieu » tient une grande place, par manière de pieuse imagination, dans la littérature oratoire ou dramatique du Moyen Age : mais i ! ne devait prendre une certaine consistance doctrinale qu’avec la Réforme. En réalité, pour une saine théologie, le problème n’existe pas. Ces sortes d’oppositions, qui déchirent nos volontés imparfaites en présence d’actes aux multiples aspects, se résolvent en harmonie dans la simplicité de l'Être absolu.

Il n’y a pas non plus à objecter que notre Rédempteur ne saurait agir sur Dieu à la façon d’une cause extérieure qui viendrait le réconcilier pour ainsi dire de force avec nous et lui arracher notre pardon. Au regard de la théodicée chrétienne la plus rudimentaire, en effet, il est certain que Dieu nous aime de toute

éternité et que c’est précisément pourquoi il veut faire miséricorde aux pécheurs. De cet amour l’avènement de son Fils n’est pas la cause, mais le signe et la preuve. Il dépend ensuite du théologien d’appliquer à l’analogie de la réconciliation la via remotionis et la via cminenliæ qui sont de rigueur.

On n’imaginera pas davantage un antagonisme entre le Père et le Fils, celui-là représentant la justice tandis que celui-ci incarnerait la pitié. Car les trois personnes divines sont dans les mêmes dispositions envers nous et le décret de notre rédemption procède, à n’en pas douter, de leur commun vouloir. Il faut rectifier au nom de ces principes du dogme trinitaire les anthropomorphismes du langage populaire et les outrances de certaines prédications.

2. Vraie notion.

Une fois le terrain ainsi déblayé de ces confusions grossières non moins que tendancieuses, il n’est pas impossible de concevoir que l'œuvre du Rédempteur puisse être un agent efficace dans la genèse objective du salut.

Le sens nécessaire et suffisant de la foi chrétienne est que Dieu, plein d’amour pour les hommes, désireux de remettre leurs péchés et de les rétablir dans leur destinée surnaturelle, a décrété comme condition préalable la vie et la mort de son Fils. De la sorte, aussi bien devant Dieu que devant les hommes, la mission du Sauveur, qui est un effet de l'éternelle bonté, devient en même temps une cause à laquelle en est désormais subordonnée la manifestation.

Notre rédemption par le ministère du Sauveur a donc pour unique point de départ l’initiative de Dieu. ('.uni homo, dit saint Thomas, Sum, th., III a, q. xlvi, a. 1, ad 3, llii, per se satisfacere non posset pro peccato tolius humanse naturse…, Deus ei satis[aclorem dedit Filium suum. Mais, comme c’est en prévision et en dépendance de ce don initial que la grâce nous est ensuite octroyée, on peut et doit dire que la médiation du Christ sert à nous réconcilier avec celui qui nous en accorde le bienfait. Voir ibid., q. xi.ix, a. 4 : Tantum bonum fuit quod Christus volunlarie passus est quod propter hoc bonum in natura humana inventum Deus placatus est super omni offensa generis humani.

Pour qualifier, en définitive, le genre d’efficacité qui convient à l'œuvre du Rédempteur, il faut, par conséquent, dire qu’elle est une cause morale, comme suffirait à l’indiquer le terme de médiation qui la désigne, et cause dont Dieu lui-même est, au surplus, le premier auteur, mais dont il ne tient pas moins compte, après l’avoir établie, pour faire découler de son intervention les faveurs qu’il nous réservait.

Objet.

De la rédemption ainsi entendue l’action

s'étend à l’ensemble de l’ordre spirituel, où les « yeux de la foi », plus encore que les perceptions de l’expérience, en découvrent l’ampleur.

1. Réalités de l'économie surnaturelle. — C’est toute une création nouvelle que le dogme chrétien fait apparaître, de ce chef, à la plus grande gloire de celui qui en est l’ouvrier.

a) Le monde racheté. — Sous le bénéfice des précisions qui en ont défini le jeu, il est aisé de voir comment l’efficience de l'œuvre rédemptrice couvre l’immense domaine du surnaturel qui nous est rouvert par sa vertu.

Elle est d’abord le principe de notre justification. Ce qui comporte en premier lieu la fin de l’inimitié divine et, avec elle, de toutes les sanctions, tant de la coulpe que de la peine, qui pesaient sur le genre humain du chef de son péché. Sum. th., III B, q. xlix, a. 1-5. Mais l'Église ne se contente pas ici de l’amnistie extérieure qui suffisait aux protestants : pour elle, cette rémission de nos fautes ne va pas sans une régénération intime de l'être spirituel, qui assure à l'âme rachetée le privilège d’une participation mystérieuse 1983 RÉDEMPTION. EFFETS DANS LOKDRE EXPERIMENTAL 1984

à la vie même de Dieu. Voir Justification, t. viii, col. 2217-2224. L'œuvre du Christ est plutôt caractérisée par le terme de satisfaction quand elle est envisagée sous le premier aspect et de mérite sous le second. Cf. Sum. th., III », q. XLVI ; a. 3e t q. xlviii, a. 1-2.

Comment l’homme, une fois justifié, pourrait-il ne pas avoir une activité en conséquence ? Operalio sequitur esse. Logique avec elle-même, la foi catholique lui reconnaît le pouvoir de produire à son tour des œuvres salutaires, qui lui confèrent un titre des plus authentiques à la faveur divine. Voir MÉRITE, t. x, col. 774784. Il n’en fallait pas moins pour réparer les suites de la chute, qui avait à jamais paralysé ses énergies dans l’ordre supérieur auquel Dieu l’avait destiné. Mais la réparation fut assez grandiose pour dépasser en splendeur l'édifice primitif, au point que l'Église nous invite à chanter : O felix culpa ! O vere necessarium Adx peccalum !

Au demeurant, cette restauration n’atteint pas seulement les individus. L'Église, avec la puissance de sanctification dont elle dispose et les fruits de sainteté qui la distinguent, en est le suprême épanouissement. Voir Église, t. iv, col. 2150-2155 ; JésusChrist, t. viii, col. 1359-1361. Détourné de sa fin par le péché, l’univers moral retrouve en mieux, à titre corporatif, les moyens de la remplir.

Non moins qu’avec son corps visible, il faut également compter enfin avec l'âme de l’Iïglise, c’est-à-dire tout ce que représente de valeurs l’influence directe ou indirecte du christianisme dans le monde actuel, ainsi que les biens attachés par la Providence à la pratique de l’ancienne Loi, judaïque ou naturelle. Voir Capéran, Le problème du salai des infidèles. Essai théologique, nouvelle édition, Toulouse, 1934. Ce qui, en un sens très réel, étend la grâce de la rédemption à l’ensemble de l’humanité.

b) Le Rédempteur du monde. — C’est dans le cadre de ce tableau que la figure du Rédempteur prend ellemême ses véritables proportions.

Dans sa propre personne d’abord, au terme de son ministère ici-bas, le Christ retrouve, aux côtés du l'ère, la gloire qu’il avait au commencement. Joa.. xvii, 5. Assis « à la droite de Dieu », Marc, xvi, 19 ; Act., vii, 55 ; cf. Ps. ex, 1, il y est élevé au sommet de la puissance, Apoc, v, 12-14, et associé au règne du Père, en attendant son retour comme juge universel et son triomphe définitif sur ses ennemis. Joa., v, 23 ; I Cor., xv, 24-20. Or cette gloire, entre autres caractères, a celui d'être la récompense de ses abaissements. Luc, xxiv, 20 ; Phi]., ii, '.Ml. lui proclamant la suprême royauté spirituelle du Sauveur, cf. S. Thomas d’Aquin, Sum. th., III a, q. i.vii-i.ix, la théologie catholique ne manque pas de retenir qu’il se l’est méritée par sa passion. Ibid., q. xlix, a. ; q. lui, a. 1 et a. 4 ad 2°"* ; q. lix, a. 3. Voir Jésus-Christ, t. viii, col. 1325-1327 et 1355-1359.

Mais, au lieu d'être un honneur stérile, cette glorification se double d’une activité qui ne connaît plus désormais les limitations et les entraves de la terre. C’est alors que le Christ entre en possession effective de la gratia capilis qu’il tenait de son incarnation.

1 Par lui et en lui toutes choses ont été faites », Col., 1, 6. Il suffit de croire que le Christ est le Fils de Dieu pour admettre que, de toute la création spirituelle, il soit « l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin », Apoc, xxii, 13, c’est-à-dire non seulement, pour son compte personnel, le « bien-aimé en qui le l'ère met ses complaisances », Matlh., xvii. 5, mais 1' « aîné de plusieurs frères » qui reçoivent de lui « l’esprit d’adopl i"ii », Rom., viii, 15 et 29, pour former « un peuple de choix assidu aux bonnes œuvres », TH., ii, 14, et deviennent capables à leur tour d’honorer Dieu, I l’etr., 11. 1-5, par des sacrifices qui participent au rôle et au prix du sien.

De la vie surnaturelle qui nous est ainsi rendue le Christ, en même temps que l’initiateur lointain, est encore l’agent immédiat. Type idéal de l’humanité nouvelle qu’il réalise en sa propre personne, il ne cesse de produire la même régénération, par son influx vital, en tous ceux qui lui sont effectivement unis. Plus encore dans l’ordre des réalités invisibles que sur le plan de l’histoire, il est le mystique ferment toujours actif qui fait lever la pâte humaine vers Dieu. La doctrine de l'état de grâce, incorpore la notion du salut chère aux Pères arecs. Cf. col. 1938. Voir L. Richard, Le dogme de la rédemption, p. 82-92 et 179-188.

En tant qu’elle inaugure et préfigure cette œuvre positive de sanctification, l’incarnation par elle-même est déjà rédemptrice au sens large. Mais, dans le plan actuel de la Providence, elle est ordonnée vers la passion, qui lui permet seule d’agir sur les âmes, parce qu’elle est seule prévue comme le fait générateur de notre rédemption au sens précis.

Sous ce double rapport, le Christ est « l’unique médiateur entre Dieu et les hommes », I Tim., ii, 6. Toute la sève divine qui peut couler ici-bas vient de lui et de lui seul. Joa., xv, 4-5. De même il n’est pas sur la terre de sainteté, commune ou extraordinaire, dont ses mérites ne soient la source, pas d'œuvre agréable à Dieu dont il 11c faille le reconnaître pour le premier agent. In quo vioimus, proclame le concile de Trente à propos de la pénitence, sess. xiv, c viii, DenzingerBamrwart, n. 904, in quo movemur, in quo satisfacimus, /acienles fructus dignos pienilenlise, qui ex Mo vim habe.nl, ab Mo offeruntur Patri et per Mum acceplantur a Pâtre. Voir Jésus-Christ, t. viii, col. 1335-1353.

Marie, en particulier, n’a de privilèges qui ne lui soient accordés, tout comme celui de l’immaculée conception, Denzinger-Rannwart, n. 1641, inluilumerilorum Christi, parce que, suivant la formule classique de Pie IX (bulle. Inc/Jabitis), elle est d’abord ellemême sublimiori modo redempla. Sa médiation, quelle que soit la manière de l’entendre, voir Marie, t. ix, col. 2389-2405, ne saurait être concevable qu'à ce titre dérivé.

C’est pourquoi l'Église n’adresse jamais à Dieu de prière, en somme, qu’au nom du Christ et, lorsqu’elle répartit à ses enfants quelques faveurs, ne fait que monnayer, Denzinger-Bannwart, n. 550-552, le trésor qu’elle tient de lui. Si la messe est un sacrifice, elle le doit, comme l’expose officiellement le concile de Trente, sess. xxii, c. 1-11, ibid., n. 938-940, à ce qu’elle est une reproduction et une application du sacrifice unique de la croix.

Enfin l'œuvre du Rédempteur déborde le temps, de manière à se poursuivre, sous forme d’intercession, Rom., viii, 34 ; Hebr., VII, 25 ; I Joa., ii, 1, jusque dans l'éternité. Voir Jésus-Christ, t. viii, col. 1335-1342.

2. Réalités de la vie chrétienne.

Il s’en faut, du reste, que, dans ce rayonnement ontologique du surnaturel, le domaine psychologique soit sacrifié.

Le bénéfice de la rédemption, en effet, n’est pas et ne saurait être automatique : il est dans l’ordre que chacun n’en reçoive le fruit que moyennant son libre concours. Cf. Sum. th., 111°, q. xlix, a. 1 et 3. Par où l'Église entend notre collaboration la plus complète d'êtres humains, c’est-à-dire non seulement la foi mais les œuvres qu’elle inspire. Voir Justification, t. viii, col. 2211-2217. Ainsi les mérites et satisfactions du Christ deviennent un point de départ au lieu d’un point d’arrêt : c’est le dogme même de la rédemption qui demande, loin de les exclure, le repentir du pécheur et son effort personnel de relèvement.

En exigeant cette coopération, le Christ nous met, du rcsle, en mesure de la fournir. L’action secrète de sa grâce ne s’aceompagne-t-elle pas d’une autre, sur le terrain de notre activité consciente, où toutes nos

facultés spirituelles trouvent à la fois un stimulant et un secours ?

Mais il n’est pas d’âme loyale qui n’ait le sentiment de son insuffisance. Quel homme ici-bas peut se rendre le témoignage de n’avoir pas défailli dans la réparation du mal ou la pratique du bien ? Et qui voudrait se persuader que nos actions les meilleures sont adéquates à ce que Dieu est en droit d’attendre de nous ? Par la solidarité qui nous unit au Christ, la rédemption nous permet d’abriter ces inévitables misères derrière son infinie sainteté. De telle sorte que celle-ci, en même temps qu’elle valorise objectivement nos humbles mérites, a pour effet subjectif d’en révéler tout à la fois et d’en combler le déficit. C’est là sans nul doute, aussitôt qu’on accepte le Christ comme Rédempteur au sens de l’Église, que se vérifie pour la conscience inquiète du pécheur le résultat le plus précieux de sa médiation.

Est-il besoin d’observer que ces bienfaits de l’œuvre rédemptrice dans l’ordre de la vie religieuse s’ajoutent, sans les supprimer, à ceux que les psychologues les moins croyants s’accordent à lui reconnaître dans l’ordre purement moral ? Le Christ est toujours le maître dont les préceptes et les exemples font le guide par excellence de l’humanité sur les voies du redressement ou de la perfection.

Ces divers profits que le chrétien peut retirer de la rédemption n’en seraient pas moins bornés et précaires sans la foi à son rôle objectif dans le plan divin du surnaturel, qui leur donne seule plénitude et solidité.

Sujet.

En connexion avec d’autres problèmes,

on s’est parfois demandé quels sont les bénéficiaires de la rédemption. Voir B. Dôrholt, Die Lehre von der Genuglhuung Christi, p. 305-376. Débats pour une large part aujourd’hui périmés, qui n’en méritent pas moins quelques mots de rappel.

1. Universalité des hommes.

Par le fait de proclamer que le Fils de Dieu vint au monde propler nus et propler nostram salutem, le symbole indique où il faut avant tout chercher la sphère de son action. Mais, dans cet ordre, n’y aurait-il pas à la limiter ?

a) Question de principe. — Contre toutes les formes de particularisme, l’Église enseigne que l’œuvre rédemptrice ne comporte, en elle-même, aucune exception.

Déjà la controverse prédestinatienne du ix<e siècle soulevait, à titre complémentaire, la question de savoir si le Christ est ou non mort pour tous. "Noir Prédestination, t.xii, col. 2904-2905 et 291 7-291 X. Non sans une certaine confusion qui tenait à la divergence des écoles, ibid., col. 2920-2935, les conciles de l’époque, dont les plus saillants furent ceux de Quierzy (853) et de Vaience (855), tendaient à dire que la portée de l’œuvre rédemptrice ne connaît pas d’autres limites que celles que lui impose la résistance des pécheurs endurcis. Textes dans Denzinger-Bannwart, n. 319 et 323-324. Pour l’interprétation, cf. Augustinisme, t. i, col. 2528-2530. Telle est aussi la ligne tracée par le concile de Trente, sess. vi, c. ni, dans Denzinger-Bannwart, n. 795 : Etsi Me pro omnibus mortuus est, non omnes tamer. mortis ejus beneficium recipiunl, sed ii dumtaxat quibus meritum passionis ejus communicatur.

Avec Jansénius, Augustinus, III, iii, 21, l’universalité de la rédemption allait être nettement soumise à des restrictions, conformes à son système de la grâce, qui revenaient à la nier. Voir Jansénisme, t. viii, col. 398-399. L’Église jugea bon d’intervenir. D’où la 5e des fameuses propositions condamnées par Innocent X (1653), dans Denzinger-Bannwart, n. 1096 : Semipelayianum est dicerc Christum prn omnibus omnino hominibus morluum esse aut sanguinem (udissc. Elle est qualifiée de « téméraire, fausse et scanda leuse » dans son sens obvie, voire même d’ « hérétique » si l’on entendait qu’il s’agit de limiter l’œuvre du Christ aux seuls prédestinés. Pour le commentaire, voir Jansénisme, t. viii, col. 492-494. De même furent censurées plus tard les thèses plus cauteleuses qui restreignaient par prétention le bienfait de la mort du Sauveur aux « seuls fidèles », Denzinger-Bannwart, n. 1294, et à plus forte raison aux « élus », 32e proposition de Quesnel, ibid., n. 1382.

En maintenant ainsi, de la manière la plus ferme, que le Christ est mort « pour tous », et cela sans exception, l’Église reste fidèle à la doctrine expresse de saint Paul. Rom., v, 18 ; lCor., xv, 22, II Cor., v, 15 ; ITim., n, 6 et iv, 10. Cf. Matth., xviii, 11 ; Joa., i, 29 et vi, 51. Quant à l’expression pro multis de Matth., xx, 28 et xxvi, 28, qu’exploitaient volontiers les jansénistes, il est admis par l’exégèse moderne que cet hébraïsme suggère seulement l’idée d’un grand nombre, cf. Rom., v, 15, sans rien de limitatif. Voir Lagrange, Évangile selon saint Marc, 4e éd., 1929, p. 283.

Aussi bien la tradition ecclésiastique n’a-t-elle jamais sérieusement varié sur le fond. Preuve dans Petau, Z)e inc. Verbi, xiii, 2-12. La position de l’évêque d’Hippone est indiquée à l’article Augustin (Saint), t. i, col. 2370.

Du point de vue théologique, l’universalité de la Providence divine dans l’ordre surnaturel, voir GRACE, t. vi, col. 1595-1604, entraîne comme conséquence nécessaire l’universelle destination de la mort du Christ, qui, dans l’économie présente, en est l’unique moyen. Et il va de soi que, si elle est applicable à tous les hommes, la rédemption l’est aussi par le fait même, voir Incarnation, t. vii, col. 1506, à tous leurs péchés.

Ce principe dogmatique se traduit : au for externe, par l’attitude pratique de l’Église devant le problème des races et des castes, ainsi que par son perpétuel effort d’apostolat ; au for interne, par le droit qu’elle revendique d’étendre d’une manière indéfinie l’exercice du pouvoir des clefs.

b) Question d’application. — Ne fallait-il pourtant pas mettre cette doctrine d’accord, non seulement avec les démentis réels ou possibles de l’expérience, mais avec la perspective redoutable, ne fût-elle que théorique, d’un enfer éternel pour les damnés ?

Cette antinomie apparente entre le fait et le droit fut résolue sans peine. Une fois liquidées les suites de la controverse prédestinatienne, dès la fin du xiie siècle, cf. A. Landgraf, Die Unterscheidung zivischen Hinreiclien und Zuwendung der Erlôsung in der Frùhscholastik, dans Scholaslik, t. ix, 1934, p. 202-228, l’École s’est ralliée à la formule : Christus redemit omnes quantum ad sufj}rienliam, non quantum ad e/licientiam. Voir Pierre de Poitiers, Sent., IV, 19, P. L., t. ccxi, col. 1207 ; Simon de Tournai. Disp.. XXIII, édit. "Warichez, p. 77. Distinction non moins reçue de tous au courant du xiiie, ainsi que l’antithèse qui la traduit. Voir S. Thomas d’Aquin, In ///uni Sent, dist. XIX. q. i, a. 3, sol. 1 ; S. Bonaventure, In 1 1 /""> Sent., dist. XIX, a. 1. q. ii, ad l 1°’» et q. 3. Cf. F. Stegmiiller, Die Lehre vom allgemeinen Heilswillen in der Scholaslik, Rome, 1929.

2. Cas des anges.

Faut-il étendre à l’ordre angélique le bienfait dont l’universalité des hommes est admise à jouir ? Question liée à celle de la grâce des anges, au sujet de laquelle on discute, voir Anges, t. i, col. 1238-1241, pour savoir s’il y a ou non lieu de l’annexer au domaine de la gralia Christi.

La solution est corrélative à l’opinion qu’on adopte sur le motif déterminant de l’incarnation. Aussi l’école thomiste est-elle pour la négative et ne veut tout au plus rattacher à l’œuvre du Christ que la gloire accidentelle des esprits bienheureux, tandis que l’école

scotiste, suivie par Suarez, De inc, disp. XLII, sect. i, 1-13, fait dépendre du Verbe incarné, comme pour nous-mêmes, la totalité de leurs privilèges surnaturels. Voir Incarnation, t. vii, col. 1495-1506.

En tout état de cause, les esprits mauvais en sont exclus. Seul, pour les englober dans son système d’universelle apocatastase, Origène, voir t. xi, col. 15501553, imaginait que le Christ serait mort également pour eux, peut-être même qu’il devrait être crucifié de nouveau à cette fin dans un monde futur. Réveillée au cours des querelles du vie siècle, voir t. xi, col. 15761578, cette dernière conception fait partie des doctrines origénistes condamnées en 543, DenzingerBannwart, n. 209, par les ordres de Justinien. Mais la première n’est pas davantage compatible avec la tradition chrétienne, qui tient les démons pour irréductiblement obstinés dans le mal.

A renoncer au charme de problématiques hypothèses pour s’en tenir à la révélation et à ses données certaines, on ne risque d’ailleurs pas d’affaiblir l’importance de la rédemption. Même restreinte dans le cadre de l’humanité, le fait que l'œuvre du Christ est le moyen de rétablir le cours surnaturel de nos destinées la met au centre du plan divin tel qu’il nous est connu.