Dictionnaire de théologie catholique/PROVIDENCE .III. La Providence selon Saint Augustin

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 13.1 : PRÉEXISTENCE — PUY (ARCHANGE DU)p. 488-499).

III. LA PROVIDENCE SELON SAINT AUGUSTIN.

Bien que tous les Pères latins aient parlé de la providence en commentant les textes de l’Écriture où il on est question, nous nous contenterons d’étudier cette doctrine chez saint Augustin, qui l’a beaucoup plus approfondie que ses prédécesseurs et l’a considéré non pas seulement du point de vue moral et pratique par manière d’exhortation, mais du point de vue spéculatif, en touchant à tous les grands problèmes connexes. Les limites de cet article ne nous permettront que de donner un aperçu sommaire des le saint Augustin sur ce grand sujet.


I. Préliminaires.
II. L’existence de la providence (col. 962).
III. La notion de providence (col. 962).
IV. L’universalité ou l’extension de la providence (col, 968).
V. La fin du gouvernement divin (col. 979).

I. Préliminaires : comment saint Augustin a-t-il été amené à exposer sa pensée sur la providence ?

Quand on essaie de préciser la pensée d’Augustin sur la providence, on est frappé de voir combien sa manière d’aborder la question est conforme à l’esprit du temps. Depuis Chrysippe de Tarse (IIIe siècle av. J.C.), le schéma traditionnel de tout ouvrage sur la providence comprenait trois traites : 1° Preuves de la providence ; 2° Mode d’action ; 3° Défense contre les adversaires. On s’en tint longtemps à ce schéma. on, dans son De natura deorum, exposait encore les preuves de la providence. Mais, peu à peu, on abandonne cet exposé et, au siècle suivant, Sénèque s’excuse de rompre avec la tradition en abandonnant la Ier et la IIe partie. Plotin, qui traite ex professo de la providence, ne s’arrête pas a la prouver : deux chapitres seulement pour le mode d’action sur les vingt-cinq chapitres des deux traites consacres à la providence. A son tour, Augustin suit cette voie, et c’est surtout une défense et une apologétique de la providence qu’il nous présente.

Les circonstances expliquent aisément cette attitude. D’une part, en effet, Augustin n’avait pas à introduire dans le mouvement des idées une notion inconnue. Et, bien au courant de la vie et des besoins de son temps, il savait que dans le monde antique la providence était objet de croyance de la part du peuple et objet de spéculation de la part des philosophes. Il savait au prix de quels efforts ces philosophes étaient arrivés a ces parcelles de vérité et déjà il avait fait remarquer, comme le fera Pascal, que « ce que les hommes, par leurs grandes lumières, avaient pu connaître, cette religion (chrétienne) l’enseignait à ses enfants. Pascal, Pensées, Brunschwicg, n. -141. Quidquid philosophi inler falsa quæ opinati sunt verum vidât poluerunt et laboriosii dispulationibus persuadere moliti sunt ; qund mundum istuni jeceril Deus, eumque ipse PROVidbntissimus administre ! … ista omnia, in itta ciritate, populo commendata sunt. De civ. Dei, XVIII, xii. Augustin n’hésitait donc pas à reconnaître tout ce que la philosophie et le paganisme contenaient de vérité : il n’hésitait pas à se rapprocher de ses adversaire, leur tendant ainsi, avec une condescendance toute faite de charité, la main qui les introduirait dans cette vérité qu’ils n’avaient fait qu’entrevoir.

La croyance a la providence était donc générale ; pourquoi Augustin n’a pas éprouvé le besoin d'écrire un traité pour prouver son existence. Il n’en a parlé en effet qu’en fonction du problème du mal. Ce problème se posait à son époque comme il se pose toujours, et comme toujours, pour bon nombre, il était objet de scandale, et aussi occasion de blasphème. La grande préoccupation d’Augustin a été de justifier la providence.

Telle a été l’occasion de La cité de Dieu, qui, par son but, son caractère et sa date, reste la source principale où l’on va puiser la doctrine augustinienne sur ce point

"La cité de Dieu, dit Portalié, explique l’action de Dieu dans le momde. » Art. AUGUSTIN, Col, 2291. On y retrouve eu effet les grands aspects du problème du mal qui ont préoccupé Augustin toute sa vie et d’où l’on tirait des objections contre la providence. Le mal physique d’abord, que les païens imputaient aux chrétiens et a leur Dieu : les afflictions des chrétiens aussi, qui faisaient redire au païens le Ubi est Deus eorum ? ; de l’Écriture ; puis c’était le péché de l’ange qu’il fallait expliquer aux gnostiques, plus ou moins entachés de manichéisme ; la prescience divine des futurs, scandale des Juristes romains qui y voyaient une violation des droits de la liberté humaine ; enfin le naturalisme des pélagiens, qui déniait à Dieu toute action sur la volonté créée, même dans l’ordre du mérite et de la justification. Tels étaient les adversaires qu’Augustin rencontrait sur sa route. C’est donc en les critiquant qu’il a été amené à exposer sa doctrine de la providence, par manière de défense et de réfutation, plutôt que par manière d’exposition.

On verra par les textes que nous allons citer que la providence, selon saint Augustin, présuppose en Dieu la sagesse, la prescience, la volonté de créer et d’ordonner toutes choses à la fin de l’univers ou à la manifestation de la bonté divine.

II. L’existence de la providence.

Augustin n’ignore pas pour autant les preuves traditionnelles de la providence, celles-là mêmes que Chrysippe demandait que l’on fit valoir, spécialement l’argument tiré de l’ordre et de la beauté du monde, et que les néo-platoniciens avaient emprunté aux stoïciens :

Et certe qui hoc aegant… vidèrent tantum ordinem, quibus in menibris carnis cujuslibct aninianlis apparent non dico inedicis, qui hoc propter artis sua> necessitatem diligenter patefacta et dinumerata rimati sunt, sed cuivis mediocris cordis et consklerationis boniini ; nonne clamaient ne puiicto quidein temporis Dcuni… ai) ejus (i. e.universitatis mundi) cessare ? (Juid er^o absurdius, quid insultius sentiri potest quain eam totani vactiam nutu et reginiine providentiæ cujus extrema et exigua videas tan la dispositione tormari, ut aliquando attentais cogitata Inefîabilem incutiant admirationis horrorem ? De Ocn. ad tilt.. Y, xxii, 43 ; cf. aussi De civ. Dei, XXII, xxiv.

Cet argument, qu’Augustin avait rencontré chez les néo-platoniciens, il le complète par des considérations tirées des merveilles dont l’univers a été le théâtre à la prédication de l’Évangile :

Si enini philosophi, pnecipueque platonici, rectius cæteris, sapuisse laudantur, sicut paulo ante coninienioravi, quod divinam providentiam hsec quoque rerum infirma atque terrena administrare docuerunt, numerosarum testimonio pulchritudinum, quæ non solum In corporibus animallirm, venus in berbis etiam tœnoque glgnuntur, quanto evidentius bæc attestantur divinitati quæ ad horam prædicationis ejus iiunt, ul>i ea rellgiocommendaturquæ omnibus cœlestibus, terrestribus, inférais sacrificari vetat, uni Deo tantum Jubens. De du. Dei, X, xvii.

Mais Augustin ne s’attarde pas davantage à prouver une providence, à laquelle tout le monde croit et dont la négation serait absurdité et folie (absurdius el insuit i us).

Augustin, qui n’a pas formulé une définition de la providence, la nomme cependant assez souvent (pas moins de trente-cinq fois dans La cité de Dieu) pour que, à partir delà, on puisse dégager les éléments de la définition et la formuler en ces termes : La providence est l’attribut divin par lequel la Trinité dirige l’action qu’elle exerce sur toute la création ri qui a pour terme la constitution définitive de la ciléde Dira. Où l’on voll que la notion de cette providence dit essentiellement une action gubernatrice de la Trinité, son extension, l’univers tout m lier, sa im. la < -on, i 1 1 ni ion de la cité de Dieu.

III. La notion de providence. —

Le principe qui dirige l’action de Dieu sur l’univers. —

1. Quand on parcourt les textes où Augustin nomme la providence, on volt d’abord qu’il entend désigner par là un attribut divin. Il est lies rare qu’il nomme la providence sans y joindre un déterminatil ou un qualificatif qui en montre le caractère divin ; le plus souvent il dit providentiel divina ou providentia Dei, quelquefois aussi l>rovidenlia Creatoris ou providentissimus Deus. Et même cet attribut est une prérogative divine : la providence est exclusivement divine.

2. Si l’on pénètre plus avant, on voit qu’Augustin considère la providence comme s’exerçant sur l’univers. Parcourons ces textes :

C’est la providence, ou Dieu par sa providence, qui crée le monde et le gouverne. De civ. Dei, XII, vi ; XVIII, xli ; XV, xxvii ; De diversis quoeslionibus lxxxiii, q. lui ; De Gen. ad litler., V, xxii, 43.

La providence, s’étendant du plus petit des êtres jusqu’au plus parfait, harmonise dans l’univers cette hiérarchie de beautés qui en fait la splendeur. De civ. Dei, X, xiv, xvii ; XXII, xxiv. C’est elle qui dispose la marche des siècles, ordinare temperum cursum. De civ. Dei, X, xv. C’est encore elle qui constitue les empires, distribue les royaumes, élève ceux-ci au pouvoir et aux honneurs, et abaisse ceux-là dans la sujétion et la servitude. Ibid., V, i, xi, xix ; XVIII, il.

C’est la providence qui trace les lois des générations et des naissances. Epist., cxl, 31 ; De civ. Dei, XXII, xxiv ; VII, xxix. Elle aussi de qui relèvent les faits merveilleux aussi bien que le cours ordinaire de la nature. Ibid., X, xvi. La providence encore qui dote l’homme de tous les organes requis au ministerium animée rationalis, XXII, xxiv ; qui pourvoit aux besoins de chacun : sua cuique distribua. XIV, xxvii. C’est la providence qui a préparé cette regalis via liberandæ animée qu’est la religion du Christ, X, xxxii ; elle qui a donné à l’Écriture son incontestable supériorité sur les autres œuvres de l’esprit humain, XI, i ; elle qui distribue indistinctement les biens et les maux temporels aux justes comme aux impies, I, vin ; elle qui, par la marche des événements qu’elle dirige, corrige le vice et éprouve la vertu. I, i ; II, vu.

C’est la providence encore qui ordonne dans le présent les événements favorables et permet les adversités, XVII, xxin ; qui dispose les joies et les afflictions du juste, qui punit immédiatement certaines fautes et retarde la sanction de certaines autres, elle qui réserve pour le dernier jour la sanction définitive. I, vin.

C’est elle aussi qui exerce et purifie les justes, qui distribue sa grâce selon son bon plaisir et non selon nos mérites. Epist., cxciv ; De civ. Dei, II, xxix.

C’est la providence qui brise notre orgueil et purifie notre foi par l’incompréhensible exécution de ses insondables desseins. Ibid., XI, xxii ; XII, iv ; Cont. Acad., i, xii.

C’est elle qui tire le bien du mal, même du péché, De Gen. contra manich., II, xxviii, 42 ; elle qui rétablit l’ordre de la justice, maintenant en partie, au dernier jour dans sa totalité. De civ. Dei, II, vu ; I, viii ; De divers, quæsi., q. nu, 2 ; elle enfin qui remplit les désirs de la créature raisonnable et la met en possession de sa fin en la conduisant ad perfectionem sapientiee. De civ. Dei, X, xxix.

Action gubernalrice.

Cette action divine sur

l’univers est une action directrice et gubernalrice.

1. Elle se dislingue de l’action créatrice.

On a peut-être remarqué que la création est nommée elle aussi parmi les attributions de la providence : Augustin parle en effet, en plusieurs endroits, de la providentia, per quam (Deus) omnia creavit et régit, De musica, VI, xvii, 56 ; cf. aussi De civ. Dei, I, xxviii ; XII, iv ; en sorte que l’on pourrait croire que le terme de providence désigne l’ensemble de l’action divine sur l’univers, sans distinguer entre création et direction. Cepen dant, un examen plus attentif des textes conduit à une autre conclusion.

a) Il est aisé de voir d’abord que les textes invoqués, bien qu’ils nomment la création, n’excluent jamais de la providence l’action gubernatrice ; au contraire, ils la supposent, même s’ils ne la nomment pas. De civ. Dei, XII, iv.

b) Certains de ces textes, où création et gouvernement sont ensemble attribués a la providence, donnent la prépondérance à l’élément gouvernement, cf. De civ. Dei, I, xxviii, où il s’agit nettement du gouvernement divin (pourquoi la providence a permis les violences exercées sur les chrétiens ; et nullement de la création, qui est seulement nommée.

c) Ailleurs, ces deux prérogatives de la providence semblent n’avoir été rapprochées que pour être mieux distinguées, et l’on y voit que pour Augustin la providence est proprement gubernatrice. Quod verus Deus mundum condideril, et de providentia cjus, qua, universum quod condidil, régit, ibid., i, xxxvi, où l’on voit que création et gouvernement sont distincts, la création attribuée au verus Deus, et le gouvernement (regere) à sa providence.

Oue si maintenant on considère les textes où Augustin nomme la providence, on y verra clairement qu’il entend toujours faire de l’idée de gouvernement une note essentielle de la providence : il sépare en effet création et gouvernement ; on l’a déjà vu au dernier texte cité. Il y insiste : C’est Dieu qui a créé le monde, mais c’est en tant que providence qu’il l’administre… Quod mundum istum fecerit Deus, eumque ipse providentissimus adminislrel. Ibid., XVIII, xli.

d) Enfin, certains autres textes, replacés dans le contexte historique, montrent qu’Augustin ne fait nullement de la création un élément caractéristique de la providence. Dans De civ. Dei, IX, xiii ; X, xvii, Augustin rapporte et fait sienne la notion de providence professée par les néo-platoniciens. Or, cette notion est caractérisée par l’idée de direction, de gouvernement (regitur mundus, administrai), et cela à l’exclusion de la création : on sait en effet que ces philosophes rejetaient la création, au moins la création in tempore. Cf. Plotin, Ennéades, III, ii, 1. Mais Augustin, lui, tenait de la foi la création, et la création in tempore ; si donc il avait inclu la création dans la notion de providence, il n’aurait pu féliciter les néoplatoniciens d’une notion d’où la création était précisément exclue.

2. Elle est proprement gubernalrice.

a) Il est facile de le déduire des textes où Augustin nomme la providence.

Puisque, en effet, le propre de l’action gubernatrice est de conduire vers une fin l’être sur lequel elle s’exerce, on en conclura que l’action exercée par la providence sur l’univers est une action gubernatrice elle aussi, puisque nous la voyons toujours s’exercer en vue d’une fin (médiate ou immédiate, particulière ou universelle).

Si en effet la providence permet les maux dont souffre l’empire et que l’on impute aux chrétiens, c’est qu’elle veut corriger les mœurs dépravées, éprouver le juste, puis récompenser la vertu ainsi purifiée et éprouvée. De civ. Dei, I, i. Si elle ne fait aucune distinction entre le juste et l’impie dans la distribution des biens temporels, c’est pour en détacher le juste, en lui montrant qu’ils ne sont pas une preuve de justice puisque l’impie y a sa part lui aussi. Ibid., i, vin.

Si elle agrée les devoirs de piété que l’on rend aux cadavres des défunts, c’est que par là elle entend affermir dans les âmes la croyance en la résurrection de la chair : propler fidem resurreclionis aslruendam. Ibid., I, xiii.

La diaspora elle-même a été voulue de la providence, afin de faire resplendir dans l’univers la vérité I critures, spécialement des prophéties. Ibni… providence que se constituent les empires, ibid., . i, et cela dans une fin de justice, car il est Juste que les efïorts terrestres reçoivent une récomsi neque hune eis terrenam gloriam fXxrri.’<I. non redderetur mcrccs

rum, id est virtutibus quibus ad tantani gloriam pervtnire nilebantur. Et ainsi resplendit la justice de Dieu : non est quod de summi et veri Dei conquerantur runt mercedem suant. Ibid..,

i providence permet que des empereurs Indignes Montent sur le trône, c’est encore en vue d’une Dn de justice : les mauvais princes sont une punition aux uvals peuples. Ainsi se réalise la parole de l’Écri ture : Qui regnare [acit hominem hypoeritam prepler perversitalem popult. Ibid.. Y. i. La providence a accordé aux démons certains avan--. potiora corporum munera : agilité, rapidité, etc. afin <le nous faire mépriser cette partie de notre être par où les démons nous sont supérieurs et nous lier à la perfection morale, bouillis vitte, par où leur sommes supérieurs. Ibid.. VIII, xv. SI la providence déploie sur le Sinal des signes miraculeux et terribles de s.’puissance, c’est afin d’apprendre au peuple que la créature est au service du Créateur, Creatori strvire creaturam. Ibid.. X, xiii. Le siècles, lui aussi, est réglé par la providence, st pour amener à point nommé la promulgation L, X, xv. Puis nous voyons la providence établissant les lois de la nature et déterminant les causes pin siques : évidemment en vue de la production des effets émai anses, selon le jeu des lois établies. Ibid.,

. XVI.

Parfois, la providence et la grâce interviennent dans l’activité des êtres doués d’intelligence, et c’est pour les élever à l’ordre surnaturel et les conduire ad perfectionem tapientiee. Ibid., X, xxix.

La. providence trace aussi à l’humanité cette via

regalis qu’est la religion chrétienne, dans le dessein de

conduire l’àme a sa libération, via libcrandiv animée.

Ibid.. X. xxxii. Et, si la providence a doté la sainte

Écriture de la supériorité et de l’excellence qui sont les

est afin que les saints Livres jouissent d’une

autorité incontestable sur toutes les intelligences.

Ibid., XI. i. Si elle a permis la chute de l’ange et le

péché de l’homme, c’est qu’elle voulait en tirer le bien :

de illo bene fecil. De lien, contra manich., 1 t. xxviii, 42.

événements favorables, c’est pour

er les courages abattus ; si elle permet les adversi cer la justice. De cir. Dei. XVII,

XXIII. en a établi certains dans la

domination et d’autres dans la sujetii n. c’est en vue

du bien qui doit en résulter : la soumission à un vain fet préférable aux rigueurs et aux ven la Kucrre. Ibid.. X 1 1 1. n.

isme merveilleusement précis qui lu corps humain, la providence l’a prévu en ministerium animæ rationalis qu’il doit remplir. Ibid.. XXII, xxiv.

oit, saint Augustin semble avoir eu a cceur de incttn l’action de la providence en

relation avec une fin. Il est vrai que parfois cette fin lui t Lorsque, pur exemple, la providence

aux dénions la faculté d’exercer sur l’humanité ii souvent néfaste, elle ne nous en livre pas toujours la profonde et sûre raison. Ibid., VIII, II. xxiii, xxix. Mais, s’il n’arrive pas a sonder le rir la fin que poursuit la providence. Augustin n’en affirme pas moins la réalité, la pour inconnus que soient les dess ne sont jamais injustes ; œeuitiuùno judicio, ibid., III, i ; neque enim

propterca sunt ista qudlcia) tnjusta, qUia occulta.

Epist., cri. tu. El Augustin aime a répéter les paro les de L’Apôtre : Inserutabilia sunt judieia e/tu </ investi ga biles vite ejtis. D’ailleurs, cette Impuissance dans laquelle nous

laisse la providence eu face de ses desseins a elle aussi une /in : briser notre orgueil, nous ramener a l’humilité et taire monter a nos lèvres l’acte de foi humble et

confiante en la prov Idence. Cf. De civ. Dei, il. vu ; XI,

wii : XII, i.

L’action de la providence sur l’univers n’est donc

pas aveugle ; elle a une fin en vue. et c’est pour cela

quon peut la définir une action gubernal i ace.

b) Augustin, d’ailleurs, le déclare en propres tennis. — Le rôle de la prov idence est en effet de régir, diriger, administrer, gouverner l’univers : l’roridentia ejus (Dei i. ijua mundum quod condidii régit. De civ. Dei, I. xxxvi. Providentiel siunini Dci…, non fortuila tenicrilatc. EU (, ni R inundiis. Ibid., IX, xiii. …lùtmque (mundum) ipse providentissimus (Deus) administre ! *, ibiil., XVIII, xi. i ; usque ad passerum administratiomem. sicut Dominas m Evangelio dicit, providentia pertendente alque veniente. De divers, quasi., q. un, ’j. Quid ergo absurdius… quant eam funiversilatem rerumj væuam nutu et rbgiminb providentiel ? Et ce texte ne fait que reprendre l’idée développée dans le contexte, où l’action de Dieu est nommée en propres ternies : gubernalio. De Cen. ad liti., Y, xxii, 43 ; cf. De lib. arb., 111, xvii, 45. A propos de l’arche de Noé, Augustin va même jusqu’à faire jouer à la providence le rôle de pilote : magis divina / rovidenlia quant liun.ana prudeniia nalantem e. berkbt ne inclinât ubicuntque naufragiurn. De civ. Dei, XV, xxvii. Et il faut noter que dans la pensée d’Augustin ce rôle de pilote ne reste pas limité a l’arche de Xoé : cette arche, en effet, il la désigne quelques lignes plus loin comme la figure de l’Église, de la cité de Dieu. C’est donc envers l’Église tout entière que la providence joue ce rôle de pilote, et, comme l’univers doit contribuer de diverses manières à la constitution de la cité de Dieu, cette action gubernatrice s’étendra à l’univers tout entier.

Enfin, dans une formule plus précise et qui ressemble presque a une définition, Augustin résume sa pensée sur le rôle et la nature de la providence quand il dit que « c’est sous l’action et l’influence de la providence divine que les créatures tendent vers cette fin que comporte la notion du gouvernement de l’univers, in eunt divina providentia Icndenles exilum quem ratio gubernandæ universitalis incluait. De civ. Dei, XII, iv.

La providence est donc bien l’action gubernatrice que Dieu exerce sur l’univers.

3. L’action gubernatrice de. la providence relève de l’activité ad extra de la Trinité. — a) Elle relève de la Trinité. — L’activité de Dieu relative aux créatures, leur production dans l’être et leur organisation harmonie use. est l’œuvre commune des trois personnes : Ab hoc summa et sequaliter et immulabiliter bona Trinilate creata sunt omnia, et nec summe nec œqualiter, nec immulabiliter bona, sed tamen bona, etiam singula ; simut vero universel, valde bona, quia ex omnibus consista universitalis admirabilis pulchriludo. Enchir., 10.

Ce texte, qui à proprement parler n’attribue strictement à la Trinité que la création et l’organisation de l’univers, convient cependant à la providence. C’est qu’Augustin continue à réunir les concepts de création et de providence. La preuve en est que cette admirabilis pulchriludo universitalis, qu’il attribue ici à la Trinité créatrice, nous l’avons vue tout à l’heure lui servir d’argument pour prouver la providence à la suite des platoniciens : c’est donc que création et providence relèvent du même principe. Et la Trinité, qui n’est désignée ici que comme principe créateur, est aussi principe provident. ^D’ailleurs, dans De civ. Dei, V, XI, c’est aux trois personnes : Drus siiiimu s et vertu, ciun Ver bu et Spiritu sancto, quæ Iria iinum sunt , qu’Augustin attribue nettement toute l’activité divine relative à l’univers : créai ion et gouvernement.

b) Elle relève d’une activité différente de la vie intime de Dieu. — Celte activité créatrice et gubernalrice que Dieu exerce sur l’univers est distincte de la vie intime de Dieu ou des processions divines : ea (la nature humaine) quam creavil ex nihilo, non quam gentil Creator de semetipso, sicut gentil Verbum, per quam facta sunt omnia. Ibid., XIV, xi.

C’est la distinction que l’on énoncera plus tard par les termes : opérations ad intra et opérations ad extra. Et voilà qui met un abîme entre la providence d’Augustin et celle de Plotin.

3° Position d’Augustin par rapport à ses prédécesseurs et à ses successeurs. — 1. Par rapport aux anciens. — Si l’on excepte son attribution à la Trinité, cette notion de providence, envisagée comme principe directeur de l’action qui régit l’univers, restait donc, dans l’ensemble, assez voisine de la notion communément admise par les contemporains d’Augustin. Celuici en effet ne prétendait pas innover et il ne craignait pas d’utiliser dans la mesure du possible tout ce que lui apportait le mouvement des idées de son temps. Et il est intéressant de noter des similitudes d’expressions et même d’images entre Augustin et ceux qui l’ont précédé. C’est ainsi que la providence remplissant l’office de pilote fait penser à Plutarque, platonicien lui aussi : « Il est une opinion, dit-il, qui remonte à la plus haute antiquité : elle nous enseigne que l’univers ns flotte pas au hasard, sans être gouverné par une puissante intelligence… » De Is. et Osir., 45, éd. Didot, t. i, col. 451. Sans doule on ne peut songer à conclure, de cette similitude, à une influence de Plutarque sur Augustin. Cette image du pilote est assez naturelle et assez commune pour que quiconque réfléchissant sur l’ordre et la marche de l’univers puisse la trouver de soi. D’autant que, dans les deux cas, cette image paraît être commandée par des contextes différents : pour Augustin, c’est l’arche de Noé qui requiert le pilote ; pour Plutarque, c’est la cosmogonie des anciens se représentant la terre, l’univers, comme un disque flottant sur Océanos. Cf. Aristote, Metaph., i, iii, 983b-984a.

Avec Plotin, les similitudes sont encore plus frappantes, et la prépondérance que ce philosophe accorde, dans sa notion de providence, à l’idée d’ordonnance, de gouvernemsnt, d’administration, a peut-être attiré l’attention d’Augustin ; cf., par exemple, Ennéades, III, ii, 7, fin ; 8 ; 15, 17 ; III, iii, 2. Plotin lui-même avait été influencé par les stoïciens. Quoi qu’il en soit des influences que pourraient dénoter ces similitudes, il est intéressant de remarquer combien Augustin s’en est tenu à la notion de providence communément admise, sans se croire obligé de mettre l’accent sur les différences pourtant profondes qui séparent sa providence de celles des païens. C’est que les deux premiers thèmes du schéma de Chrysippe n’avaient plus la même vogue à l’époque d’Augustin.

2. Par rapport à la théologie postérieure.

S’il en est ainsi, il ne faudra pas demander à Augustin une notion de la providence finement élaborée, et dans laquslle on trouverait nettement séparées toutes les distinctions que la spéculation introduira par la suite.

On sait la définition précise que saint Thomas donnera de la providence : Rilio ordinaniorun in finem, proprie providenlia est. I », q. xxii, a. 1. Nous sommes ici dans un ordre purement intentionnel : necesse est quod ralio ordinis rerum in finem in mente divina prœexistat. Et la providence ainsi définie se distingue du gouvernement divin. La notion augustinienne, elle,

est beaucoup plus confuse, et se rapprocherait, si l’on veut, de la providence au sens large dont saint Thomas dit : ad providenlia curam duo pertinent : sciticet ralio ordinis quæ dicitur providenlia, et disposilio et execulio ordinis quæ dicitur gubernalio. Et le pilote de saint Augustin remplit en effet ces deux fonctions. Mais c’est le gouvernement, la réalisation du plan qui retient surtout l’attention de notre docteur.

Il ne serait donc pas légitime de conclure qu’Augustin a ignoré les éléments distingués par saint Thomas. H est vrai qu’il insiste sur l’aspect réalisation et gouvernement, mais cette ratio ordinandorum in finem, qui constitue la providence au sens strict de Thomas d’Aquin, fait penser qu’Augustin a déjà parlé lui aussi de la ralio gubernandæ universilalis qui inclut la fin vers laquelle tendent tous les êtres sous l’action de la providence. Cf. De civ. Dei, XII, v. Pour saint Thomas encore, la providence est éternelle, comme Dieu lui-même, tandis que le gouvernement ou réalisation du plan providentiel se déroule dans le temps. Cf. loc. cit. Augustin avait dit : In ipsius (Dei).eternitate alque in ipso ejus Verbo, eidem œlerno, jam prædeslinatione fixum erat, quod suo lempore fulurum erat. De civ. Dei. XII, xvi ; cf. XI, xxi ; XII, xiv et xvii. Avec le consilium sempilernum et cette una, eademque sempiterna et immulabilis voluntas de Dieu, Augustin n’a donc pas ignoré le plan divin, la ralio ordinis, mais il ne l’a pas séparé de sa réalisation : la distinction ne présentait pour lui aucun intérêt immédiat, et rien ne l’obligeait à préciser davantage, tandis que saint Thomas a poussé plus loin l’analyse de cet ensemble complexe qu’Augustin avait pris en bloc.

IV. L’universalité ou l’extension de la providence. — 1° Sa place de premier rang dans les préoccupations d’Augustin. — La notion augustinienne de providence est donc relativement peu originale. La véritable originalité du grand docteur est dans sa défense de l’universalité de la providence.

Sans doute il a bien connu les autres propriétés de la providence, spécialement son infaillibilité et son unité ; mais elles apparaissent chez lui comme subordonnées à l’universalité, et Augustin ne semble en avoir parlé que dans la mesure où elles intéressaient cette universalité. En effet, pas d’universalité sans infaillibilité et sans unité.

Cette importance qu’Augustin accorde à l’universalité de la providence lui était comme imposée par le milieu et les circonstances historiques. On sait que ce sont les difficultés soulevées par le problème du mal qui ont amené l’évêque d’Hippone à s’expliquer sur la providence. Or, ces objections allaient toutes, en fait, à limiter et à restreindre l’action de la providence.

Pour les païens : ou bien ils nient le Dieu des chrétiens et sa providence, et alors le gouvernement de l’univers se partage entre cette multitude de dieux qu’Augustin se plaît à mettre en opposition les uns avec les autres : et, dans ce cas, l’universalité de cette providence est ruinée par cette division et cette opposition ; ou bien, s’ils consentent à prendre en considération le Dieu de ceux qu’ils persécutent, c’est pour montrer la faiblesse de son bras et les limites de sa providence, puisqu’elle ne peut protéger ses propres fidèles des mains qui, en bonne justice, ne devraient frapper que leurs ennemis. Pour les manichéens : Dieu, le D’eu bon, n’a pu s’opposer à l’action du principe mauvais : l’universalité de sa providence n’est donc qu’un mot. Mais il y a plus : pour emprisonner celui qu’il ne peut supprimer, le Dieu bon s’est vu contraint de créer la matière et le monde sensible qu’il abandonne à l’action, à l’empire, à la providence du principe mauvais. Ici, ni unité ni universalité. Pour les juristes romains, cette providence, si elle est uns, ne s’étend pas jusqu’à la prescience des futurs libres. De cii>. Dei, V, ix-x. Enlln, les - l’arrêtent au seuil de la

liberté humaine. Partout, une limite.1 l’action dix Ine : la provldenec n’est p.i-s universelle.

— lurs. on comprend que le docteur d’HIppone ait tant insisté sur cette propriété ainsi attaquée ; lui qui, « tout brillant du maison de Dieu, n’avait

entrepris la composition de ! Dieu que pour

arrêter les blasphèmes < ! corriger les erreurs. Retract.

11. LII1.

lors, on comprend ans- : qu’il prodigue

ilatoniciens, a Plotin surtout, *i n "i l nomme en

plusieurs endroits et qu’il cite quelquefois, et « huit le

I mérite, à ses yeux, est précisément d’avoir vu nettement que l’action de la providence s’étend à tout l’univers et que rien ne lui échappe : De providenlia eerle Plotinus plalonicus disputât, eatnque a summo Deo, eujus est intelligibilis atque inefjabilis pulchritudo, usque ad lute terrena et ima perlingere, floscularum atqut foliorum pulchriludine comprobat : quæ omnia quasi objecta et pelocissime pereunlia decentissimos formarum suarum numéros habere non possunt confirmât, nisi iiute formentur ubi forma intelligibilis et inconimutabilis simul habens omnia persévérai. De civ. Dei, X. xiv.

Principe qui fonde l’universalité de la providence,

— Dieu est l’Être suprême. C’est en effet à partir de là que se déroule toute la théologie augustinienne de la providence parée que c’est <le la que part l’universelle

dite de Dieu : causalité dans l’ordre de l’être,

dite dans l’ordre du bien, causalité dans l’ordre de l’opération ; voilà où s’enracine l’universalité de la providence.

1. Dieu, Être suprême. — Augustin ne parle pas en eflct île l’être de Dieu comme de celui de la créature. « Analogie de l’être », dira-t-on plus tard ; mais, si

istin n’a pas le mot, il semble difficile de lui en dénier la notion.

Le Dieu d’Augustin est ce Dieu qui summe est, De eio. Dei, XII, v ; qui summa essenlia est, XII, 11 ; qui vert est, quia incommulabililcr est ; qui vere est quia inconimutabilis est, VIII, xi : qui simpliciter est, VIII, vi. ld quod summe ac primitus esse… id quod esse verissime dicitur, cette nature manens in se atque incommutabititer se habens, cela nihil aliud queun Deum possumu % dicere. De nwr. manich., 1.

A l’opposé, la créature, quæ non siunme est, sicut ipse (Deus) est, ex nihilo creata. De civ. Dei, XII, 11. D’où le caractère des créatures : mulabilia quod non de illo, sed de nihilo facto sunt . Ibid.

Dieu et la créature ne sont donc pas de la même manière, et Dieu seul, à proprement parler, est l’Être. « Ego sum qui sum et dices filiis Israël : Qui est misil me ad vos’.tamquam in ejus comparatione qui vere est quia inconimutabilis est, ea quir mulabilia fada sunt, De eu : Dei. VIII, xi. Dieu seul est l’Être immuable et simple. En 1 15-4 10, près de trente ans après sa conversion et dégagé de l’influence platonicienne, prépondérante au moment de cette conversion,

ue fait encore l’éloge des platoniciens parce qu’ils

ont bien compris cette infinie simplicité de Dieu qui le met au- « lessiis de tout ce qui est composé et changeant. En Dieu, en effet, nec aliud est esse, aliud vivere : quasi possit esse non viuens ; nec aliud vivere, aliud intelligere : quasi possit vivere non intelligens ; nec aliud Mi r</ intelligere, aliud beatum esse : quasi possit intelligere et beatum non esse. De civ. Dei, VIII, vi.

Et cette notion de l’être de Dieu, sur laquelle Augustin revient avec insistance, n’est pas le simple effet d’une admiration non dissimulée à l’endroit des plato1 subtilité métaphysique ; ce n’est pas un hon-d’oeuvre dans sa doctrine, mais une pièce maltresse. Il pense en effet que, si l’on ne conçoit pas ainsi l’être de Dieu.il est impossible de résoudre couve oablement le problème du mal. Il le dit expressément à propos des anges déchus, en pariant de ceux qui pré tendent que la nature de ces anges ne peut être créée de Dieu, en/us erroris impietate tanto quisque carebit expeditius et facilius, quanta perspicacius intelligere potuerit quod pet angelum dixit Deus quando Moysen mittebat ad filios Israël : « Ego sum qui sum. De civ. Dei, XII, 11. Et c’esl a cette transcendance de l’êl re de Dieu qu’Augustin rattache l’universelle causalité de Dieu, et doncl’unh ersalité de son action providentielle.’2. Causalité ilars l’ordre de l’être. - Tout ce qui a

l’être, tout l’être créé, participé, devenu et changeant

doit son existence et sa nat lire a l’Être incréé, suprême,

éternel et Immuable. Augustin se plaît à affirme ! el à répéter cette dépendance de la créature dans l’ordre de l’être. Puis qui summe est atque ob hoc, ab illo facta est omnis essenlia quæ ruai summe est : qu a nique Mi mqualis esse deberet, quæ de nihilo farta esset, neque ullo modo esse posset si ab Mo facta non esset… De civ, Dei, XII, . El encore : Cum enim Dais summa essenlia sit, hoc est summe sit. et ideo immulabilis sit, rébus, quas ex nihilo criant, esse dédit.

Cette relation, qui met l’être devenu sous la dépendance de l’Être Immobile, Augustin félicite encore les platoniciens de l’avoir comprise : ils ont bien u en effet que cet être devenu ne peut être que dépendanl : Won posse esse, nisi ab illo qui nie est, quia incommulabilis est ; …nisi ab illo qui simpliciter est. Propter liane incommutabilitatem et simplicitalem intellexeruni eum el omnia isla fecisse et ipsum a nullo ficri posse. Ibid., VIII, vi. Les platoniciens avaient soutenu cette dépendance de l’être devenu ; ils y avaient mime insisté ; Augustin y insiste beaucoup plus encore.

Tous les êtres n’ont pas le même degré d’être : c’est un fait d’expérience. Or, cette gradation, cette diversité dans l’infusion de l’être vient encore de celui qui est l’Être suprême ; Rébus, quas ex nihilo creavit, esse dédit, sed non surnme esse, sicut ipse est ; el aliis dédit esse amplius, aliis minus, alque ila naturas essenliarum gradibus ordinavit. Ibid., XII, 11. C’est le Créateur qui, selon sa volonté, dote les ciéatures du degré d’être et de perfection qu’il leur destine : … islw erealuræ eum modum nulu (.reatoris accipiunl. Ibid., XII, îv.

Mais ce n’est pas seulement la nature, l’être essentiel que les créatures reçoivent de l’Être suprême : toutes les modalités accidentelles surajoutées, dès là qu’elles ont l’être, en quelque manière que ce soit, viennent elles aussi de l’Être suprême, en sorte que tout ce qui est dit être dans la créature relève de l’Être suprême : Ipsas omnino naturas quæ sic vel sic in suo génère aff’.ciantur, non facit nisi summus Deus : eujus occulta potentia cuncta pénétrons inconleminabili preesentia facit esse quidquid aliquo modo est, in quantun cumque est ; quia, nisi faciente illo, non laie vel taie esset, sed prorsus esse non posset. Ibid., XII, xxv. Et Augustin s’est déjà expliqué sur ce quidquid aliquo modo est, in quantun. cuir.que est. Dans un texte, où il insiste sur l’universalité de l’action divine, il avait dit en effet : A quo (Deo) est omnis n.odus, omnis specii.s, omnis ordo : a quo est mensura numerus el / ondus ; a quo est quidquid naturaliler est, cujuscun que generis est, cujuslibel wslin.ationis est. De civ. Dei, Y, xi. Cf. aussi De natura boni, 13. On ne pouvait affirmer plus explicitement, dans la langue du c siècle, que tout l’être créé, substantiel et accidentel, relève de l’universelle causalité de l’Être suprême.’.', . Causalité dons l’ordre du bien. — a) Dieu, cause du bien, parce que il est le souverain Bien. — Dieu, qui est le « Bien commun », est aussi le Bien immuable : il est le souverain liien, comme il est l’Être suprême. El c’est là la raison de sa causalité dans l’ordre du 1 ien : Dicimus ilaque ineen n ulabile benum nen esse nisi verum beatum Deum ; ca vero quæ fceit, bena quidem esse, quod ui> Mo… Puis il ajoute : Quamquom ergo summa non tint, qulbus est Dais mujus bonum ; magna saut lumen ru inulubiliu bona. De civ. Del, XII. i. lit, Mois ou quatre ans plus tard, il dira encore : Xaturæ ii/itur omnes, quoniam natururum prorsus omnium Conditor summe bonus est, bona nu.nl ; sed quia non slcul earum Conditor summe atque incommulabilller borne sunt, Idco in eis et minai bonum et augeri potest. Enchir., 12.

Il y a donc parallélisme entre l’ordre de l’être et l’ordre du bien. De môme, en elïet, qu’il y a un Être suprême, il y a aussi un Bien suprême. De même aussi qu’il y a un être devenu, il y a aussi un bien communiqué. De même encore qu’il y a des degrés dans l’ordre de l’être, il y en a aussi dans l’ordre du bien. De même enfin que l’Être suprême est la cause de l’être devenu, de même le Bien suprême est la cause du bien participé.

b) Dieu cause du bien, parce qu’il cause l’être. — C’est qu’en effet il y a corrélation entre l’être et le bien. Et, en dernière analyse, c’est parce que Dieu est l’Être suprême qu’il est aussi le Bien suprême et la cause du bien. Si en effet être et bien coïncident, l’Être suprême sera aussi le Bien suprême, et il causera le bien dans la mesure même de Vèlre qu’il créera.

Voilà pourquoi Augustin insiste tant sur cette identité : Être = Bien (qui à vrai dire lui a été suggérée par les néo-platoniciens et qui fut, on le sait, le point de départ au moins éloigné de sa conversion). Cf. Confess., VII, xi, 16-19. Et, comme notre docteur aime les oppositions, il va chercher la preuve de son équation dans les créatures corruptibles et vicieuses. Le vice s’oppose à la nature, qu’il corrompt ; c’est donc, conclut Augustin, que cette nature, cet être est un bien, puisque le mal ne s’oppose qu’au bien et qu’il est son contraire. Vitium quo résistant Deo qui ejus appellantur inimici, est malum ipsis… neque, hocob aliud nisi quia corrumpil in eis naturx bonum…, nam (vilia) quidin eis nocendo faciunt, nisi adimunt inlegritatem, pulchritudinem, salutem, virtutem, et quidquid boni naturse per vitium detrahi sive minui consuevil. Quia quod malum est con-Irariatur bono, … porro bonum est et natura quam vitial. El naturse quæ vitiantur…, in quantum naturx sunt bonx sunt. De civ. Dei, XII, m. (Noter que, pour Augustin, essenlia, natura, substanlia, sont des termes à peu près synonymes qu’il emploie indistinctement.)

Être et bien coïncident donc. Or, c’est Dieu qui donne l’être et qui crée les natures ; c’est donc lui qui cause tout ce qu’il y a de bien dans les êtres et dans les natures, dans la mesure même de cet être et la perfection de ces natures.

4. Causalité de Dieu dans l’ordre de l’opération (influence sur l’activité des causes secondes). — Augustin insistera beaucoup sur ce point, qui est à vrai dire le pivot de sa position contre les pélagiens.

Déjà au début de sa lutte contre les pélagiens, en 412 (cf. Epist., cxl), Augustin avait pressenti ce principe, ne le considérant toutefois que dans son application au problème de la justification. Mais les relations que l’hérésie soutenait avec le naturalisme des juristes romains l’obligèrent à élargir son cadre ; et en 415-416, écrivant le 1. V de La cité de Dieu, il exposait, cette fois avec plus d’ampleur, sa doctrine de l’influence divine sur l’activité des créatures. Il se plaçait maintenant à un point de vue général, embrassant l’ordre naturel et l’ordre surnaturel, et exposait à vrai dire l’acticn universelle de Dieu, cause incréée, sur les causes créées.

Dès lors apparaît l’importance de ce point de vue pour l’universalité de la providence telle que la conçoit Augustin, action gubernatrice de Dieu.

Dieu d’abord donne au monde le mouvement : il est la cause du mouvement de l’univers. Aussi, Augustin rend hommage aux stoïciens de l’avoir compris : crediderunt eum (Deum) esse animam molu ac ralione

mundum gubri nuntem. De civ. Dei, IV, xxxi. Tous peuvent relever dans l’univers assez de traces de cette influence du Créateur sur les créatures (par ex., Drus… qui ei |le soleil | vim congruam et motu/n dédit, ibid.. Vil, xxix ; a quo sunt… motus seminum et /ormarum, V, xi, pour conclure : Temporalia movens temporaliler non movetur, X, xii).

Il y a plus : Augustin a déjà, et souvent, affirmé l’universelle causalité de Dieu. Quod diclum est’Semel locutus est », intelligitur : immobililer, hoc est incommulabililer locutus est ; sicut novit incommulabiliter omnia qux fuliiru sunt et quæ ipse [aclurus est. Ibid., V, ix. Or, parmi ce lout qu’il doit faire, se trouve aussi l’activité des créatures qui les constitue causes : leur causalité, la causalité des créatures, tombe ainsi sous l’influence de la causalité divine, et Augustin distingue en effet la Cause divine qux facil nec fit, et les autres causes, les causes créées qux faciunt et fiunt. Ibid. Il s’arrête même à montrer que les causes créées, en tant que causes et dans leur activité de causes, relèvent de la Cause suprême. Ibid., V, ix.

Beprenant une division des causes efficientes proposée par Cicéron, qu’il veut réfuter, Augustin consent lui aussi à diviser ces causes en fortuites, naturelles et volontaires ; non que la division le satisfasse pleinement ; mais il en retient ce principe affirmé par Cicéron de la nécessité d’une cause efficiente, principe qui lui suffira à réfuter son adversaire : Illud quod idem Cicero concedit : nihil fieri si causa e/ficiens non prxcedat, satis est ad eum in hac quæslione redarguendum.

a) En effet, Augustin commence par ramener aux causes volontaires les trois genres de causes efficientes distinguées par Cicéron. Les causes « fortuites » d’abord : …causas qux dicuntur forluilx, undeeliam forluna nomen accepit, non esse dicimus nullas sed latentes ; easque tribuimus vel Dei veri, vel quorumlibet spirituum volontali. Quant aux causes « naturelles », c’est déjà l’affirmation de leur dépendance à l’égard de la Cause suprême : ipsasque naturales nequaquam ab illius voluntate sejungimus qui est auctor omnis conditorque naturæ. En sorte que, pour Augustin, il n’est pas d’efficience qui ne dépende des causes volontaires, parmi lesquelles on peut ranger même les animaux, si lamen appellandx sunt voluntates animalium rationis expertium motus Mi, quibus aliqua faciunt secundum naturam suam, eum quid vel appelant vel evilanl.

b) Mais, en définitive, Augustin ne retient comme véritables causes efficientes que les causes intelligentes : Dieu, cause incréée, puis les anges et les hommes, causes créées et qui participent, en tant que telles, a cette nature qui est Esprit de vie, non esse causas efficientes omnium qux ftunl, nisi volunlarias : illius naturx scilicet qux Spiritus vitx est. Sans doute elles participent à cette nature spirituelle, mais selon leur condition de créature et non selon le mode propre à l’Esprit incréé. On dit bien, en effet, que l’air matériel est esprit (spiritus) lui aussi ; on le dit, mais il ne l’est pas puisque, au contraire, il est matériel : dicitur spiritus, sed quoniam corpus est, non est spiritus vitx. De même pour les esprits créés ; bien que vraiment esprits. eux, il ne leur appartient pourtant pas en propre d’être cet Esprit de vie, cause d’être et de mouvement. C’est qu’en effet leur nature d’esprits créés les distingue de l’Esprit incréé, à qui il appartient premièrement (le mouvoir et de vivifier corps et esprits : Spiritus ergo vitx qui vivificat omnia creatorque est omnis corporis et omnis creuti spiritus, ipse est Deus. Spiritus uliqiie non cru : us. …Son creatus : voilà donc encore le discriminant. Et Augustin de conclure : In ejus voluntate summa potestas est. Ibid.. V, ix.

Il y a donc dans l’ordre de la causalité la même distance entre l’Esprit incréé et les esprits créés que, dans l’ordre de l’être, entre l’Être suprême et l’être créé, et, « .Luil’ordre du bien, entre le 1 ii*-n Immuable et le bien participé.

Kt. iio même que l’être créé el le bien participé ont véritablement de l’être et « lu bien, el cela dans la mesure même où Ils sont sous l’inQuence de l’Être et du Bien suprêmes, de même les causes créées seront d’autant plus et mieux de vraies causes efficientes qu’elles seront dans le rayonnement de la Cause suprême, qui leur communiquera leur vertu de causa. Or. ce rayonnement et cette Influence de la Cause suprême, de celui qui est proprement et premièrement Esprit de vie, s’étendent.1 tous les ordres de causes efflefa s t -t les pénètrent jusqu’au plus profond.

L’influx de la Cause suprême s’étend d’abord aux D eu en effet les assiste : creatorum tpiriluum poluntates bonas adjurai ; il les juge : tnalas judieat ; il les ordonne et les dispose : omnes ordinal ; il leur donne l’efficace selon son gré : quibusdam tribuit potestates. quibusdam non tribuit. Et la raison de cette Influence est que, sicut omnium naturarum creator est,

rtniti/n pottUalum dalor. Nous ne nous arrêtons pas ki su : ce grand sujet, qui a été traité a l’art. Pw mtATlON : La prédestination selon saint Augustin. Par le ministère îles volontés créées. Dieu exerce

son Influence et son action sur les corps : corpora igitur magis subjacent ooluntatibus : qUsedam nostris… quxdam angelorum ; sed omnia maxime Del voluntati subdita tant ; eui etiam voluntates cannes subjiciuntur ; quia non habent potestatem nisi quam Me concedit. Et

-tin de conclure : Causa ilaque reniai quxfacilnec fti : D ilia vero, et faciunt et fiunt : sieul sunt

omnes ereali spirilus, maxime ralionales. Ibid.

pplications du principe. — 1. La théorie : le mal et l’universalité de la providence. Optimisme d’Augustin. — L’existence <lu mal est un fait irrécusable, et ce fait pose un problème auquel on a parfois donné des réponses injurieuses a l’endroit de la providence. Et c’est là ce qui avait fait l’angoisse d’Augustin avant

aversion : Quie Ma lormenta parlUrientis cordis

qui gemitus ! Deus meus ! El ibi eranl aures tua,

nie me… Tu sciebas quid patiebar et nullus hominum. l’.onj s*., VI 1. vu. 2 ; car. ne pouvant se résoudre, iccuser Dieu et à charger la providence, Il ne pouvait cependant trouver la réponse à cette multitude de questions qui le pressaient de leurs difficultés : Unde igitur mihi maie pelle et bene nolle ?… Quis in me

isuit, et inseruit mihi plantarium amaritudinis ; civn Mus fierem a dulcissimo beo meof… Ubi ergo malum ? et unde et qua inrepsit ? Qux radix ejus et quod semen ejus ? Unde et malum ? An unde /ecit ca, materics aliqu i mala erat, et formavit alque ordinavil eam, sed reliquil aliquid in Ma quod in bmum non converleret ? Cur et hoc ? Conf., VII. v, 7.

ie que l’on imputât directement le mal à Dieu, soit qu’on lui reprochât de n’en avoir pas pré . univers, la providence se trouvait atteinte ; et, comme la solution en faveur était celle des manichéens

Dieu bon, n’ayant pu s’opposer a l’action du principe mauvais, a été contraint de créer la matière pour

indre cette action, et lui a abandonné le monde sensible — c’était surtout V universalité de lu providence qui se trouvait mise en question par le problème du mal.

-si. une (ois la lumière retrouvée, Augustin s’appliqu : ire la difficulté. Sa réponse tient en ces

deux formules i n’est pas l’auteur du mal.

b) Dans le plan providentiel, le mal est permis eu vue du triomphe du bien.

a) Dieu n’est pas l’auteur du mal. — C’est à cette tin trace, rapides et nettes, les grandes lianes d.- sa métaphysique du mal.

a. Qu’est-ce en effet qw / mal ? — Une privation, un non-étre. Contre Plotin, Hnnéades. Lvm, 3 et T. el contre les manichéens (cf. Cont. Julian. op. imp., III.

    1. CLXXXIX)##


CLXXXIX), pour qui le niai est une nature, une soi le de

privation subsistante, Augustin ne cesse de répéter que

le in il n’est pas nue liai lire, une suhsl anee. ( u : n omnino

natura nulla sit malum, nomenque hoc non sit nist

PRIA vil. > BONI. De ew. Dei. l. XXII. Quid tSt aalem

aliud quod malum dicitur, nisi privatio boni ? Non eninx ulla substantia, dit-il à propos du mal physique. Enehtr., il. El encore : Mali nulla natura est ; sed amissio boni malt namen aecepit, De civ Dei, XI, ix ; et de nouveau : Malum illud, qtlod quærebam unde esset, non est substantia ; quia si SUbstantta effet bonum esset, (’.onL. VII, xii, 18, a Ici point que, considéré eu lui-même, on peut « lue du mal qu’il n’existe pas, el qu’il a besoin, pour être, du sujet qu’il vicie, el qui. pOUT Cette raison, est lion : esse vitium et non noerre. non potest, Unde colligitur. quamvts non possit riliiun nocere incommutabili bono, non tamen potest nocere nisi bono ; quia non inesl nisi ubi noeet. Hoc etiam isto modo did potest : Vitium esse nec in summo posse bono, nec nisi in aliquo bono. Sola ergo bona alicubi, esse passant ; sola mala nusquam : quoniam natura, etiam Ma qux ex malx ooluntatis vitio vittata sunt, in quantum vitialæ sunt, mala sunt ; in quantum aalem natura sunt, bonæ sunt. De civ. Dei, XII. m. Nous oicidoncrex eu us à l’équation bicn = étrc, qui par opposition des contraires donne : mal = non-être. Encore un peu, et Augustin nous dirait que le mal est un accident : Non ulla substantia. serf carnis substantia vitium est vulnus nul morbus (mal physique) ; cum caro sit substantia, profecto aliquod bontim, cui accidunt isla mala : id est privaliones ejus boni quod dicitur sanilas. EncJiir., II. Il le dira même formellement à la fin de sa vie : Ipsum vitium non substantif accidens, sed subslanliam (manichœi) pillant esse. Op. imp.. III, clxxxix.

Le mal n’est pas une substance, une nature : il n’est qu’un accident, et encore par manière de privation : voilà ce qui fonde ce que l’on pourrait appeler l’optimisme métaphysique de saint Augustin. L’accident, en effet, a toujours besoin de son sujet ; dès lors, le mal aura, lui aussi, toujours besoin du bien, et il ne pourra jamais être tellement puissant qu’il triomphe totalement du bien, car alors il se détruirait lui-même en détruisant le sujet sans lequel il ne serait rien. Le bien subsistera donc autant que l’être et il triomphera toujours du mal. Et Augustin revient sur cette conséquence avec une satisfaction visible. En 400 : Si autem omni bono privabuntur, omnino non erunl, Confess. VII, xii, X ; en 10$1-$205 : Corruptio si onmem modum, omnem speciem. omnem ordinem rebus corruplibilibus auferal, nulla natura remanebil. Ac per hoc, omnis natura qux corrumpi non potest, summum bonum est, sicut Deus est. Omnis aulern natura qux corrumpi potest, etiam ipsa aliquod bonum est ; non enim posset ei nocere corruptio, nisi adimendo et minuendo quod bonum est, De nat. boni, 4 ; en 418-419 : Si bonx (naturx) non essent, cis vilia nocere non possent… Quod si omnino desit (bonum) nihil boni adimendo non nocel, ac per hoc nec vitium est. Nom esse vitium et non nocere non potest. De civ. Dei, XII. m. Voir aussi les très explicites développements de VEnchiridion. 12. l.’i. 1 I.

b. Cause déficiente du mal moral. — Saint Augustin distingue naturellement le mal physique du mal moral ; il compare souvent le péché a la maladie et à la mort et voit dans la souffrance une occasion de mérite. Le mal physique peut être produit par l’influence positive d’une cause perturbatrice : ainsi, le feu détruit une maison..Mais le mal moral étant une défaillance de l’action volontaire, il ne peut avoir une cause vraiment efficiente. Le mal moral est du par conséquent à une cause efficiente qui défaut dans la production de son effet, et en cela elle n’est pas efficiente. Augustin le dit expressément à propos de la chute des an IIujus mnlx voluntatis causa c/Jiciens, si quxratur, nihil trwenitur. Quld est enim quod facit voluntatem malam, cum ii>su faciat opus malum ? A.c perhoc mala voluntas e/ftcims est operis mali. Mala autem voluntatis effli est nihil. De <ii>. Dei, XII, vi. Cette mauvaise volonté des anges (mal moral) n’a qu’une cause déficit Nemo igitm quærat efftcientem causam mala voluntatis ; non enim est e/ficiens, sed deficiens ; quia nec illa efjectio est, sed defectio. Ibid., XI I, vu ; cf. ix.

Dès lors, à ce double titre (non-être et cause déficiente), le mal ne saurait être imputé à la providence de ce Dieu qui est l’Être suprême et qui, dans l’ordre de la causalité, ne peut défaillir. A celui qui est l’Être et qui ne produit que l’être, seul le non être est contraire : Ei natune quæ summe est, qua faciente sunt quæcumque sunt, contraria natura non est ; nisi quæ non est. Ei quippe quod est non esse conlrariuin est. Ibid., XII, II. Quod malum est contrarium bono. Quis autem neget Deum summe bonum ? Vilium ergo contrarium est Deo, lanquam malum bono. Ibid. Le mal est le contraire de Dieu : comment dès lors l’attribuera Dieu ?

c. D’où vient le mal ? — Cependant, le mal reste un fait : on ne peut le nier, comme l’essayait ce stoïcien dont parle Aulu-Gelle et que raille doucement Augustin. De civ. Dei, IX, iv. On a beau dire que c’est un manque ; qu’il n’est rien en lui-même ; qu’il n’est qu’un accident et qu’il ne subsiste pas en dehors du sujet qu’il dévore ; il n’en est pas moins vrai qu’il existe encore dans ce sujet ; c’est encore beaucoup trop, et le problème reste entier : d’où vient le mal ?

C’est encore la même métaphysique qui fournit la réponse ; la solution qui respecte la justice et la bonté de Dieu repose toujours sur l’équation : bien = êlre, et elle se déroule à partir du principe : un être est bon dans la mesure même de son être.

Dès lors, en effet, que l’être créé n’est pas l’Être suprême, il n’est pas non plus le Bien suprême, mais seulement ce bonum commutabile, qui n’exclut pas la possibilité du mal. Voilà ce qui permet de distinguer dans tout être créé ces trois éléments : sa bonté, sa défeclibililé, sa chute.

Sa bonté suit son être et ne peut être anéantie qu’avec son être, comme on l’a déjà vu. Quant à la défeclibililé — qui n’est autre chose que la possibilité de déchoir, le mal possible — elle suit nécessairement sa condition de créature, quæ sunune non est. Si elle tient en effet du Créateur son être et le bien qu’est cet être, c’est au néant d’où l’a tirée la bonté du Créateur qu’il faut attribuer cette possibilité de défaillir : Ea vero quæ fecil (Deus) bona quidem esse, quod ab Mo ; verumlamen mutabilia, quod non de Mo, sed de nihilo facta sunt. De civ. Dei, XII, i. Volunlas, in natura quæ fada est bona a Deo bono, sed mulabilis ab immutabili, quia ex nihilo, et a bono potest declinare ut facial malum. Ibid., XV, xxi.

Et, si Dieu ne pouvait faire autrement que de tirer du néant une créature défectible, il n’en faut pourtant pas conclure que les créatures sont mauvaises et qu’il leur serait meilleur d’être restées dans le néant. D’abord, en effet, elles ont l’être, et cela est un bien. Enchir., 12. D’ailleurs, la défectibilité n’est pas le défaut ; la peccabilité n’est pas le péché, et le mal possible n’est pas le mal actuel, qui seul est le vrai mal. Aussi, les créatures intelligentes, les plus défectibles de toutes, et dont la défectibilité met en danger la possession du plus grand des biens : Dieu, leur fin et leur béatitude, ces créatures ne doivent pas être considérées comme plus misérables que celles dont la défectibilité a moins de jeu et moins de danger : Nec ideo cetera in hac creaturæ universitate meliora sunt quia misera esse non possunt. Neque enim cetera membra corporis noslri ideo dicendum est oculis esse meliora, quia exca esse non possunt. Sicut autem melior est natura senliens et cum dolet quam lapis qui dolere nullo modo potest ; ita ratio nalit natura prastantior est ettam misera, quam illa qua ralionts cil srusus est expert et ideo in /(un non cadit miseria. be eiv. Dei, XII, i.

I teste la chute, le mal a<t uel. La question, à vrai dire, pose chez Augustin que [jour le mal moral, le péché ; car les autres maux ne sont que des maux relatifs, ordonnés a de plus grands biens. VA ainsi Augustin pose le problème du mal tout autrement que les païens, ’/'" inagis stomachantur si oillam u ala/n tiabeant’/mi/ii si viiam ; quasi Swe sit hominis maximum bonum habere bona omnia præter seipsum. Ibid., III, i. En outre, beaucoup de ces maux ne sont qu’une juste conséquence du péché et, dans la mesure où ils servent a restaurer l’ordre de la justice lésée, ils sont encore un bien. Ibid., i, ix ; cf. XII, iv.

Quant à la chule, au péché, il n’est imputable qu’à l’activité de cette cause défectible qui librement défaut. Et Augustin, qui a affirmé la primauté de Dieu dans la causalité du bien, affirme non moins énergiquement la primauté de la volonté libre, défaillant librement, dans la causalité du mal. Fecil ilaque Deus sicut scriplum est hominem rectum ; ac per hoc voluntatis bonœ… Mala vero volunlas prima, quoniam omnia mala opéra prœcesserit in homine, defeclus potius fuit quidam ab epere Dei ad opéra sua quam opus ullum. Ibid., XIV, xi. Dieu n’est donc pas responsable ; mais la volonté : Ad malum quippe ejus fseil. hominis) prior est voluntas ejus ; ad bonum vero ejus, prior est volunlas Crealoris ejus, sive ut eam foceret quæ nulla erat, sive ut reficial quæ lapsa perieral. Ibid., XIII, xv. Et, dans cette défaillance, rien n’est imputable à Dieu : Sicut in hac carne, vivere sine adjumentis alimenlorum in potestat : non est, non autem in ea vivere in potestate est, quod faciunt qui seipsos necanl, ita bene vivere sine adjutorio Dei, etiam in paradiso non erat in potestate ; eral autem in potestate maie vivere, sed bealiludine non permansura. Ibid., XIV, xxvii. Si donc la volonté tient du néant, qui est son origine, la possibilité de déchoir, c’est par sa liberté qu’elle actualise cette possibilité : quia ex nihilo, a bono potest declinare ut facial malum ; quod fit libero arbitrio. Ibid., XV, xxi. Et c’est à la créature et non à la providence qu’il faut imputer le mal moral ou le péché.

b) Le mal moral permis en vue d’un bien supérieur. — Dieu ne pouvait créer que des créatures défectibles ; mais il aurait pu empêcher que cette possibilité ne devînt déficience actuelle. Il le fait même quelquefois : (voluntas potest declinare) a malo ut facial bonum, quod non fil sine divino adjutorio. De civ. Dei, XV, xxi. Mais cela n’est pas dû, et nous ne saurions le réclamer en stricte justice, surtout depuis la prévarication d’Adam. Si Dieu nous délivre du mal, c’est par pure bonté : Non enim débita sed graluila bonilale lune se quisque agnoscil erulum malis, cum ab eorum hominum consorlio fit immunis cum quibus illa justa effet pœna communis. Ibid., XIV, xxvi. La stricte justice nous condamnait tous à rester dans la déchéance, nisi inde quosdam indebila Dei gratia liberarel. Ibid., XIV, i.

Mais alors pourquoi la providence n’a-t-elle pas exercé cette action préservatrice sur tout l’univers ? Ou bien pourquoi Dieu a-t-il créé des êtres défectibles alors qu’il ne pouvait pas ignorer qu’un jour ils tomberaient dans le mal ? La providence de Dieu qui ne peut vouloir que le bien et qui cependant permet le mal serait-elle donc trop courte ? Et ne s’étendrait-elle pas jusqu’aux êtres qui souffrent du mal ?

A cette question qui lui venait de tous côtés, spécialement du manichéisme, Augustin donne toujours, sous diverses formes, la même réponse, après s’être insurgé contre l’injure adressée à la providence : qui donc oserait dire que le mal, le péché lui-même a échappé à la providence et qu’elle n’a pu l’empêcher ? Ce mal, d’abord, Dieu en a eu la connaissance avant qu’il arrh stln s’étend longuemenl

particulic, V, ix x, contre Clcéron) a prou v divine de tous les Futurs, y compris

le péché n a Dieu et nier sa

est une absurdité manifeste. Quant à ilire

que Dieu <’.i pu s’opposer.1 ce mil connu d’avance,

— ir.liune serait pas moindre : Qui’s enim audeat

re ut nequ iderel

in D Def, XIV, xxvii.

me Dieu a permis le mal du péché, et,

loin d’échapper i ii’. mal tombe au con a, qui le laisse

r un plus gran, ’./ est l’occasion ou

ainsi que se résolvent quelques unedes objections qui avaient contraint Augustin.> prendre la plume pour défendre la providence.

Le mal physique est occasion de mérite et peut être é ou esprit de réparation. Ibid., 1.. xxxiii. du juste : persécutions et vexations à l’extérieur, combats et tentations à l’Intérieur, tout ulu de l> eu afin d’amener ses élus à la participation du bien qu’il leur réserve : cf. ibid., i, xxiv, xwiii. xi : XI, xvii ; XVI, xxxii, etc.

Mien plus, il est utile à l’orgueilleux de tomber en certains péchés manifestes : El audeo dicere : superbis esse utile cadere in aliquod aperlum manifeslumque peccalum, un de sibi displiceant, qui jam sibi placendo eecideranl. Ibid., XIV, xiii.

sont pour les fidèles une occasion de lutte qui les affermit dans la foi : Mulla quippe ad fidem cathoiicam pertinentia dum liœreticorum calida inquietudine exagilantur. ut aduersus eos defendi possinl, et considerantur diligentius et intelliguntur clarius et instantius prxdicantur et ab adversario rnota quæstio discendi existit occasio. ibid.. XVI, h : cf. aussi XVIII, li (hæretiei ) péris illis catholicis membris Christo malo suo provint. .. Jusqu’à Judas : Elegil discipulos… Habuit inter eos unum qw> malo utens bene et suse passionis dispositum impleret. et Ecclesiæ suse tolerandorum malorum prmbtrel exemplum. Ibid.. XVIII, xlix. Le mal en lui-même n’est pas utile : il serait un bien ; mais le vertueux prend occasion du mal et en ce sens s’en sert pour le bien.

Enfin, Augustin, avec le calme et la sérénité d’une âme en possession d’une vérité pacifiante, donne sa réponse à la redoutable question de la prescience des réprouvés et de la prédestination des élus :

Justice et miséricorde y resplendissent mervcilleuit. Pourquoi dès lors ne pas créer ceux dont étaient prévues la damnation et la chute ? Cur ergo non erearet Deus quos peccaluros rsse prxscivil, quandoquidtm in eis, et ex eis, et quid eorum culpa mererctur et quid sua gralia doraretur possit ostendere, nec sub illo Creatore ac dispositore perversa inordinalio delinquentium reelum perverteret ordinem rerurn ? Ibid., XIV, xxvi. Pourquoi aussi leur ôter l’exercice de cette liberté qu’il leur a donnée, dut-elle les conduire au mal ? Hoc eorum potestati maluit non au/erre atque ila et quantum mali ecrum superbia, et quantum boni sua gratia palerel ostendere. XIV, xxvii. C’est pourquoi il a permis la chute des ui cum prassciret angelos

quosdam… tanti boni désertons fuiuros, non eis ademil hanc pofestatem. De même pour l’homme : Quem timililer cum prævariaitionia legis Dei, [icr Dei dærtionan peccaturum esse prsesciret, nec illi ademil liberi arbitra potestaiem, simul prævidens quid boni de malo ejus erset ipse facturux. XXII, i.

Le péch. st un mal, mais, sous l’empire de la

providence et dans la main de Dieu, il est malgré lui la

lition du triomphe du bien, et le démon, lui-même,

sert à sa manière, au but visé par Dieu. Il est le pri’n ceps impise cioitatis, ibid., XVIII, li. dont il est dit au

/) Gen. cont, manteh., II. xxviii, 12 : Quls feclt diabo lu n’.' - Seipse ; non enim natura, si./ peccando, <hubolus fœtus es Vét ipsum, aiunt, non faceret Deus, ti

eum peccaturum esse setebat. — Imo, quare non faceret, cum per suam justtttam et providentiam mutins de malitia diaboli corrigat ? - Ergo, inquiunt, bonus est dtabo lus, quia utills est ? — lmo malus ; in quantum diabolus (s/, - sed fronus est omntpotens Drus, qui ettam de malitia dus mulla iusiii et bona operatur. Non enim diabol i impulalw nisi voluntas sua qua conatur fæere maie, non Dei prooidentia, qua de illo benefectl.

i.i providence triomphe doue, el c’esl en toute se qu’elle permet que le mal se fasse ; potentius el melius esse judicans etiam de malis bene fæere quam mata esse non sinerc. De civ.JDei, XXII, t ; <ar du mal, dont elle n’est en aucune manière responsable, elle trouve le moyen de tirer un bien supérieur : Neque enim Deus omnipotens, i/uoil etiam infidèles fatentur, rerum cui summa potestas, cum summe bonus sii, ullo modo sineret mail aliquid esse in operibus suis, nisi usque adeo effet omnipotens et bonus ui bene faceret de malo. Enchir., 11.

En sorte que, dans l’ordre de l’opération comme dans l’ordre de l’être, le mal est toujours soumis au bien, contre lequel il luttera toujours à son propre désavantage. Il ne peut être sans le bien, qu’il ne peut jamais complètement détruire et au triomphe duquel il concourt : Usque adeo mala vincuntur a bonis, ut quamvis sinantur esse ad demonslrandum quam possit el ipsis bene uti juslilia providentissima Crealoris. De cii’. Dei, XIV, xi. L’optimisme s’impose donc.

2. Les confirmations de la pratique.

L’observation confirme ces principes et un regard quelque peu attentif Jeté sur l’univers montre bien que la providence s’étend aussi loin que l’être. Aussi, en de longues énumérations (De civ. Dei, V, xi ; VII, xxix), qui par endroits font penser à Plotin, Augustin s’attarde à montrer, jusque dans le plus petit brin d’herbe, cette action providentielle qui embrasse tout ce qui, de quelque manière, contribue à la marche de l’univers. C’est elle, en effet, qui lui assigne sa fin ; elle aussi qui préside à la réalisation de cette fin (pour la fin, cf. § V).

Selon la terminologie actuelle de la théologie, l’action providentielle, dans la réalisation de la fin, relève proprement de ce que l’on appelle le « gouvernement divin » et que saint Thomas a nettement distingué de la providence proprement dite. Mais comme Augustin inclut cette notion dans son concept de providence, il faut, à tout le moins, tracer les grandes lignes du gouvernement divin.

Certains événements, certains faits, certains résultats, sont l’œuore immédiate de Dieu : Dcus) (aciens quxdam per seipsum quie illo solo digna sunt eique soli conveniunt, sicuti est illuminare animas et seipsum eis ad perfruendurn præbendo, sapientes bealasque præstare. De div. quæsl., q. Lin, 2. Les autres, il les exécute par l’intermédiaire des créatures : alia, per servientem sibi creaturam. Ibid.

Lt alors, la providence : a) Dispose les moyens en vue des fins ou des résultats, soit les moyens d’ordre naturel : depuis l’organisation des plus petites plantes, la conformation si bien proportionnée des organes, jusqu’à la distribution du pouvoir el à la constitution des empires ; soit les moyens de l’ordre surnaturel : telles l’incarnation et la médiation du Christ (le Christ en cffet, chez Augustin, apparaît surtout avec ce caractère de médiateur : médiateur de grâce durant notre vie, médiateur de justice au dernier jour). Voir, entre autres, De cio. Dei, IX, xv, xvii ; X, xxii, xxiv, xxix ; XIII, xxiii ; XX, v, VI, xxx, etc. Tel aussi et surtout ce don de la grâce, don absolument gratuit, que nos mérites n’ont précédé ni causé en aucune manière et sans lequel nous ne pouvons prétendre non seulement ; i la parfaite poe ion de la sagesse, mais même à taire le moindre bien dans l’ordre surnaturel ; pas même atteindre cette toi dont le Juste doit vivre et qui nous conduit à la vie éternelle ; i » ; is même éviter cette secunda mors qui est la damnation éternelle. Aussi Augustin ne cesse d’en affirmer la nécessité el d’en demander l’infusion.

b) Elle meut les agents, non pas en agissanl en leur lieu et place, mais en les mouvant conformément à leur nature, de sorte que, sous son action, ils soient vraiment agissants, ni etiam ipsa proprios exercere et agere motus sinat. De civ. Dei, VII, xxix.

C’est ici qu’il faudrait exposer la pensée d’Augustin sur l’influence de l’action divine dans l’acte de volonté libre. Cf. De civ. Dei, V, x ; VII, xxix ; XIII, xv ; XIV, xi ; XVII, iv, etc.

c) Elle envoie ses ministres. — Les anges en effet sont comme les ministres de Dieu, chargés ou de porter ses ordres, ou de les exécuter, ou de les faire exécuter. De civ. Dei, IX, v-xxiii ; X, xv, xvii, etc. Il faudrait ici comparer l’angélologie d’Augustin à la démonologie des néo-platoniciens, qu’il prend vivement à partie. Voir De civ. Dei, VIII, IX, X, passim.

Ainsi, la providence d’Augustin possède, mais à juste titre, elle, toutes les prérogatives de ce Jalum des anciens qui embrassait l’universalité des êtres : Quandoquidem ipsum caiisarum ordinem et quandam connexionem Dei sitmmi tribuunt volantati et potestati, qui oplime et veracissime creditur et cuncla scire antequam fiant, et nihil inordinalum relinquere, a quo sunt omnes potestates, quamvis ab illo non sinl omnium voluntates. Et cette volonté divine, qu’ils appellent le fatum, s’étend à tout invinciblement, infailliblement : Ipsam ilaque prsecipue Dei summi voluntatem, cujus potestas insuperabililer per cuncla porrigitur, eos appellare falum sic probatur. De civ. Dei, V, vin.

V. La fin du gouvernement divin.

1° Nature.

— Ainsi qu’on l’a vii, le concept de providence comporte toujours, chez Augustin, un regard vers une fin, ftnem, quem ratio gubernandæ universilatis includit. Mais les fins discernées jusqu’à maintenant sont surtout des fins particulières, alors que, si l’on considère de plus près l’action divine et les divers mouvements qu’elle imprime aux êtres qui sont les sujets de cette action, on voit que ces mouvements multiples et ces fins particulières se hiérarchisent et tendent vers une fin supérieure et ultime.

Cette fin n’est autre chose que la constitution définitive de la cité de Dieu. Augustin n’a entrepris son De civilate Dei que pour montrer, dans l’histoire de l’humanité, comment tout y a été ordonné ou permis par la providence en vue de cette cité et comment tout, en définitive, concourt dans l’univers à la marche de cette cité : Sive in hoc temporwn cursu, cum inler impios peregrinatur, ex fide vivens, sive in illa slabililale sedis œlernse quam mine expeclal per patientiam, quoadusque justilia convertatur in judicium ; deinceps ade.ptura per excellentiam Victoria ullima et pace perfecta. De civ. Dei, I, prol.

La cité de Dieu est donc en formation et en marche ; mais le repos est le terme de tout mouvement : de même, le terme de cette marche que guide la providence c’est le repos « de la victoire dernière et de la paix complète » ; c’est ce repos figuré par le sabbat de l’Ancien Testament, le repos dans la gloire et la louange de Dieu. A propos du psaume lxxxviii, Misericordias Domini. il écrit :

Quo cantico in gloriam gratiæ Christi cujus sanguine liberati Sumus, nihil erit prolecto illi jucundius civitati. Ibi perficietur « Vacate et vidite quoniam ego sum Deus ». Quod erit vere maximum sabbatum non habens vesperam quod commendavit Dominas in primis operibus mundi, ubi legltur : > Et requievit Deus <liem septimum, et s.inctificavit

eiini. quia m eu leipiievil : il< omnibus operibus suis qu : i Inchoavil liens tacere. Dits entm tepUnuu etiam ruts ipst erimus, quando ejus hierimus benedietfone et sanctifica tione pleni atepie refecti. Ibi vacantes, videbimUi i/unniam i Deus : quod nobis ipsi esse voluimus, quando ab illo cecidimus, audlentes a seductore : Eritis sicut dii, et recèdent" s a vero Deo ; quo raciente dii essemus ejus participatione, non desertione… /" civ. Dei, XXII, xxx.

Ce texte contient en résumé toute la fin vers laquelle tend l’univers sous la direction de la Providence : le repos dans la vision de celui qui est, vision accordée par une participation miséricordieuse à sa vie intime, vision enfin qui fera naître le cantique éternel de la louange. Béatitude des saints et glorification de Dieu, ou mieux glorification de Dieu par la béatitude des saints, tel est le but ultime de la providence.

1. Béatitude des élus.

Tout concourt à la préparer. C’est pourquoi dès ici-bas rien ne peut priver ceux qui ont été prédestinés de ce qui les fait riches aux yeux de Dieu : Quibus recle consideralis alque perspeclis, attende utriim aliquid mali acciderit fidelibus et piis quod eis non in bonum verteretur ; nisi forte putandum est apostolicam illam vacare sententiam ubi ait : « Scimus quia diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum. » De civ. Dei, I, ix. Car, si la providence distribue ses biens, ici-bas, aux fidèles et aux impies, indistinctement, ce n’est pas là une disposition définitive : Placuil quippe divinse providentise prseparare in poslerum bona justis quibus non fruentur injusli, el mala impiis quibus non excruciabuntur boni. Ibid., i, vin.

C’est Dieu en effet qui donnera la béatitude à ses élus dans la citéjcéleste ; ils y recevront la récompense de leurs œuvres. Aussi, Dieu ne cesse d’inspirer et d’enseigner cette cité céleste, eam inspirât et docet verus Deus dalor vitse selernse. Ibid., VI, iv. C’est pourquoi il envoie d’en haut, en gage de l’héritage, cette foi à laquelle est promise la récompense et qui, dès ici-bas, commence à rassembler et à rattacher ensemble les membres qui composent cette « société des saints » en marche vers sa fin : Merces autem sanctorum longe alia est, etiam hic, opprobria suslinenlium pro civilate Dei, quæ mundi hujus dilecloribus odiosa est. Illa civilas sempiterna est ; ibi nullus oritur, quia nullus moritur ; ibi est vera et plena félicitas, non dea, sed donum Dei. Inde fidei pignus accepimus, quandiu peregrinantes ejus pulchriludinis suspira-nus. Ibid., V, xvi.

C’est Dieu qui sera cette béatitude, car il se donnera lui-même en partage. Il se donne comme objet de contemplation. Les anges, qui le contemplent ainsi, nous le promettent. C’est cette vision, qui est aussi une union, qui fera vraiment notre béatitude ; tel est le terme de toute notre vie, le but de tous nos efforts, la récompense de nos vertus : Ad hune videndum sicut videri potest, eique cohserendam, ab omni peccalorum et cupidilalurn malarum labe mundamur, el ejus nomine consecramur. Ipse enim fons noslræ beatitudinis, ipse omnis appelilionis est finis… ad eum dilectione tendimus. ut perveniendo quiescamus ; ideo beati, quia illo fine perfecti. Ibid., X, ni. Cette vision sera la récompense de notre foi : Præmium ilaque fidei nobis Visio ista servatur, de qua et Joannes apostolus loquens : « Cum apparuerit. inquit, similes ei erimus, quoniam videbimus eum sicuti est. » Ibid., XXII, xxix. Il se donne dans une ineffable intimité, intimité que les platoniciens avaient bien entrevue : non dixerunt beatum esse hominem fruenlem corpore, vel fruenlem animo, sed fruenlem Deo, non sicut corpore vel seipso animus aut sicut amico amicus, sed sicut luce oculus. Ibid., VIII, viii.

Voilà la fin que Dieu a amoureusement assignée à ses élus et que sa providence poursuit inlassablement : cette lin. cette béatitude, c’est lui-même. Et cette béatitude sera celle de tous ; cette vie sera la vie de tous, et c’est ainsi que se constitueront, que se constituent même, des A présent, le royaume et le peuple de Dieu : Quid est enim aliud quod per prophetam dixii : « En illoru I mini pu bs."… Sic enim

et illad rede inteUigihtr quod ail apostolus : *Ul sit Deus mania in omnibus. Ipse finis tril desideriorum nostromm, qui sine fine videbitur, sine faslidio amabitur, sine laudabitur. Hoc munus, hic affectas, hic actus

l omnibus, sicut ipsa vita, mterna communis.

_’. Glorification tic Dieu. — La société des saints m* trouve ainsi constituée. Mais cela ne suffit pas : dans le plan de la providence, Unit doit converger vers ce Dieu, qui, a la tête de la société des saints et constituant avec’elle l’ensemble de la cité de Dieu, en est le roi et le fondateur -. et tout doit retourner à ce Dieu qui. par la béatitude qu’il donne à ses flus, exerce sur .u son replie éternel : quemadmodum scriplum est in Bpemgetio : « Btgni ejus non erit finis. » /)(’çiv. Dei, XXII, i. Aussi, par un admirable retour, après avoir reçu île Dieu cette béatitude, la société des saints lui offre maintenant la louange de sa gloire et elle lui (ait l’oblation « le son sacrifice.

a) La société des saints offre à Dieu la louange de sa gloire. — La louange doit être en effet l’œuvre de la etté de Dieu : ipsi eioilati Dei, de qmi nobis est ista operosisiima disputalio, in sancto dieitur psalmo : « Landa, Jérusalem Dominum, eollauda Deum tuitm, Sion. » De efe. Dei, XIX. xi. Alors, tout ce qui aura servi aux saints pour exercer les œuvres de vertu, que Dieu couronne maintenant, tout cela nous servira aussi a chanter a Dieu le cantique de louange : Quanta erit illa félicitas ubi nullum erit malum. nullum latebit bonum ; oacabitur Dei laudibus, qui erit amnia in omnibus ! Nom qtiid aliud agatur… nescio. Omnia membra et oisecra ineorruptibilis corporis… proficient in laudibus Dei. tbid.. XXI I. xxx. El cette louange des possesseurs du

une sera éternelle dans le repos, la vision et l’amour.

b) I.a société des saints fait à Dieu l’oblation de son sacrifice, et cela dès ici-bas. dans la préparation, quelquefois si rude, que doivent subir les citoyens de cette

soit par les efforts que les élus ont à fournir, car les couvres de vertu et de miséricorde sont de vrais fferts à Dieu : Corpus etiam nostrum cum per lempranliam casligamiis, si hoc. quemadmodum debemus. .. sacri/icium est, ibid., X. v-vi. soit que Dieu mette lui-même la dernière main à cette purification : Et mundabit filios Leoi et fundel cos sicut aurum et’uni, et erunt Domino offerentes hostias in juslitia, et placebit Domino sacri/icium Judo et Jérusalem, i litique oslendit t prophela) eos ipsos qui emundabuntur, n sacrificiis Domino esse placiluros, ac per hoc ipsi a.’(P/ iniustia mundabuntur in quo Domino displicebant. Hostist parro in plena perjectaque justitia, ciim mundati fuerint, ipsi erunt. Quid enim acceptius fjerunt quam seipsos. Ibid.. XX. xxv. la cité de Dieo, c’est-à-dire toute la société un sacrifice offert à Dieu par le prêtre suprême, à l’image du sien : Tola ipsa redempla c est congregalio societasque sanctorum unilie sacrifium (offerturj Deo per sacerdolem magnum, i’im seipsum obtulil in passione pro nobis, ut tanti rnus essemns, seeundum formam servi. Ibid., t donc nous-mêmes qui sommes ce sacrifice rieux : Præclarissimwn nique optimum citim nos ipsi sumus. hoc est cioilas ejus cujus rawus oblalionibus nostris. Ibid., XIX.

XXIII.

t dans le temple que sont les

es : in boni~ tanquamtn templo suo, XVIII, xi.ix.

et qu’est la cité de Dieu tout * n t î « - r.-. Car Dieu ne

mble que dans chacun :

lum simul omnes ; et singuli

lempln sumus. quia et omnium concordiam et singulos

inhabitare dignatur ; non in omnibus quant m Singulis major… El c’est la. en notre CCSUT, qu’il tTOUVe l’aiili I

lu s.iei Iflce : ’um ad illum sursum est, ejus est aliart r, i nostrum ; ejus Vnigenila cum sæerdote placamus ; n crucnitis rictinuis esedimus quando usque ml sangutnem pro ejus veritale cerlamus ; ci suavissimum adolemus ineensum, cum in ejus conspectu pio sanetoque amore flagramus ; ci dona ejus m nobis nosque ipsos ooven us ci

reddimus ; … ci sucri/icamus Iwstiam humilitotis et taudis in ara cordis igné fervidss charitalis. Ibid., X. m ; cf. X, VI. Ce sacrifice commencé ici-bas se continuera éternellement après le Jugement. Ibid., XX, xxvi. 2° Place de l’homme dons le plan providentiel. - -1. Si

l’on s’arrête à la teneur matérielle de l’expose, on est frappé de voir la place de premier rang qu’Augustin parait accorder à l’homme dans le plan providentiel, et l’on pourrait en conclure que pour lui l’homme est l’objet principal de la providence.

Cette importance apparente peut s’expliquer. La

providence, en effet, relève de l’activité ad extra et a pour objet tout le créé. Or, l’homme, en raison de sa nature intellectuelle et du don de la grâce, apparaît comme la partie centrale de l’univers, et donc comme l’objet principal de la providence qui régit cel univers. Les circonstances historiques d’ailleurs permettent aussi d’expliquer cette prépondérance que notre docteur semble attribuer à l’homme dans le plan providentiel. Les objections qui l’avaient poussé à prendre la défense de la providence étaient en effet principalement Urées du mal dont l’homme est le sujet : mal physique, calamités de l’empire, afflictions du juste, limitation injuste et contre nature de la liberté de l’homme par la prescience divine, enfin arbitraire prétendu de la prédestination. Dès lors, on comprend comment il a dû faire à l’homme une large place dans sa réfutation.

Cependant, cette prépondérance n’est qu’apparente et il importe à l’homme de bien savoir la place qu’il occupe dans la fin que poursuit la providence, car, selon Augustin, c’est seulement de cette place que l’homme pourra éviter ces surprises et parfois ces scandales que provoque le problème du mal.

2. Sous l’influence de la pensée grecque, qui avait insisté — spécialement Plotin dans sa controverse avec les gnostiques — sur le caractère de partie qui est celui de l’homme dans le tout sympathique qu’est l’univers. Augustin a bien compris, lui aussi, que l’homme n’est pas un isolé dans l’univers et que le bien qui fait sa béatitude est d’abord le bien commun. De cii’. Dei, XII, i, le bien commun des saints anges et des élus, le bien commun de la cité de Dieu tout entière. Et l’objet principal « le la providence est bien cette cité de Dieu qu’il s’agit d’amener à son terme et a son triomphe : la tin de la providence est pour Augustin éminemment sociale et collective. (Il semble que l’on n’insiste pas assez d’ordinaire sur la place, dans sa pensée, des notions exprimant une collectivité : massa, domus, populus, regnum, ciritas.)

Or. cette cité de Dieu est composée de son « roi e1 fondateur. qui est Dieu. et de la » société des saints » constituée par les (’lus ::uii ; effet hommes. L’homme se situe donc dans cette cite comme un cilouen ; dans l’univers, comme une partie.

El voila un point de vue important pour bien comprendre l’action providentielle sur l’homme. A partir de là en effel s’ébauchent une solution du problème du mal et une justification de la providence.

.’i. On peut sur ce point distinguer deux étapes dans la pensée d’Augustin.

ni D’abord, sous l’influence prépondérante’lu néoplatonisme, Augustin insista surtout sur unisorte de P: du mal. Le mal. même le mal moral, serait requis et exigé par l’ordre de l’univers, et la beauté harmonieuse de l’ensemble, résultant de contrastes bien ordonnés, exigerait que certaines parties jouent le rôle d’ombre, pour faire ressortir la lumière : le mal, même celui du pèche, serait donc nécessaire pour faire pleinement ressortir le bien ; à tel point que le mal viendrait de Dieu et sérail « aime de Dieu », non pour lui-même, niais pour l’ordre, la gradation et l’barmonie auxquels le mal est nécessaire : Certe enim et mata dixisli online conlineri et ipsum ordinem manare a sumnio Deo alque ab eo diligi. Ex quo sequitur lit et mata sinl a summo Deo et mata Dcus diligat. De ordine, I, vii, 17. C’est la solution esthétique, et Augustin y eut souvent recours. On connaît sa comparaison de l’univers aune mosaïque, où certaines parties considérées en elles-mêmes choquent et blessent, mais qui donnent à l’ensemble un relief plus frappant. Cf. De ordine, I, i, 2. Trente ans plus tard, écrivant le 1. XI de La cité de Dieu, il disait encore : Sicut piclura cum colore nigro, loco suo posila, ita universilas rcrum, si quis possit intueri, eiiam cum peccaloribus pulchra est, quamvis per seipsos considérâtes sua deformitas turpet. XI, xxiii. Et même, après 420 : Deus enim creator est omnium qui ubi et quando creari quid oporteot vel oporlueril, ipse novit, sciens universitatis pulchritudincm, quorum parlium vel simililudine vel divcrsitale conlexlal. XVI, vin.

b) Mais, si Augustin n’abandonna jamais complètement ce point de vue, à mesure cependant qu’il pénétrait les saintes Lettres, il le complétait et le subordonnait à un point de vue supérieur. L’accent se déplaçait : de la nécessité du mal pour l’ordre et la beauté de l’univers, il passe sur la bonté de la fin pour laquelle il est permis ; l’optimisme succédait à l’esthéticisme. Augustin ne dit plus en effet, du moins avec la même insistance, que le mal est nécessaire, il dit maintenant que le mal n’est pas un obstacle pour la perfection de l’univers : Non ipsa peccala vel ipsam miscriam perfeclioni universitatis esse necessaria, sed animas, in quantum animée sunt ; quæ, si velinl, peccanl ; si peccaverinl miseras sunt . Cum autem non peccantibus adest bcalitudo, perfecla est universilas ; cum vero peccantibus adest miseria, nihilominus perfecla est universilas. De lib. arbitr., III, ix, 26.

C’est la perfection de l’ensemble qui est le terme poursuivi par la providence. Que l’homme prenne donc conscience de sa place de partie dans cet ensemble, qu’il cesse de se considérer comme le centre de l’univers, et bien des difficultés disparaîtront. Partie, il ne peut saisir l’ordre universel ; c’est pourquoi les raisons et les motifs de l’action providentielle, de cette action universelle, lai échapperont parfois : Qui tolum inspicere non potest, lamquam deformitale partis offenditur, quoniam cui congrual et quo referatur, ignorai. De civ. Dci, XVI, vin. Non seulement il ne comprend pas ces raisons, mais il les trouve parfois douloureuses et s’insurge contre la providence quand le bien du tout, la perfection de l’univers et le triomphe de la cité de Dieu exigent de la partie et du citoyen qu’est l’homme quelque sacrifice incompris : Cujus ordinis cl decus proplerea nos non détectai, quoniam parti ejus, pro conditione nostræ mortalilalis intcxli, universum, cui parliculæ quæ nos ofjendunt salis apte deccnlerque conveniunl, senlire non possumus. Ibid., XII, iv.

Dès lors, Augustin devra prendre toujours la défense de la providence lorsqu’on la rendra responsable des maux dont souffre l’humanité. Il n’aura pas de peine à montrer que le mal véritable s’étend beaucoup moins qu’on ne le dit. L’erreur vient de ce que l’homme néglige de faire réflexion sur sa condition de citoyen et de partie : souvent, un examen plus attentif fait à cette lumière rendrait raison de l’utilité de ces prétendus maux. Cf. De civ. Dei, XII, iii, rv.

Il n’est pas même jusqu’à cette difjicillima quæstio (EpisL, CXCrv, 5) de la prédestinai ion libre et gratuite qui n’apparaisse sous un jour nouveau. Une f<-is dégai effet la responsabilité « le Dieu dans la culpabilité du pécheur, Augustin n’éprouvera aucune difficulté a retourner la question qu’on lui posait inlassablement : Pourquoi Dieu permet-il le péché ? » et à demande ! a son tour : Pourquoi ne l’aurait-il pas permis ? i Cur ergo non crearct Dcus quos peccaluros esse prsescivil ? De civ, lui, XIV, xxiii. Pourquoi, puisque le plan de la providence : gloire de Dieu et béatitude des élus, ne saurait en être troublé : quandoquidem in eis et ex eis et quid eorum culpa n.ereretur et quid sua gralia donaretur posset ostendere, nec sub illo creatorc ac disposilore perversa inordinalio delinquenlium rectum perverleret ordinau rerum ? Ibid. ; cf. aussi XIV, xi. Pourquoi, puisque en définitive le péché tourne au bien de l’ensemble, du peuple choisi, des prédestinés, de la cité de Dieu ? La grâce devait en effet suivie la chute, et la gloire des saints faire pâlir la victoire du tentateur : Cur cum (hominem) non sinerel (Deus) invidi angeli malignilale leniari ? Nullo modo quidem qued vincerctur incertus ; sed nihilominus preescius quod ab ejus semine adjulo sua gralia, idem ipse diabolus fuerat sanctorum gloria majore vincendus. De civ. Dei, XIV, xxvii. Pourquoi, puisque la louange de ce Dieu, qui est le Bien commun de la cité céleste, éclaterait jusque dans cette « masse de damnation », dont une partie ferait resplendir sa grâce miséricordieuse, et l’autre sa justice inexorable ? Hinc est universa gencris huir.ani nassa damnala ; quoniam qui hoc primilus admisil, cum ea qux in illo fuerat radicata sua stirpe, punitus est ul nullus ab hoc justo debiloque supplicio nisi misericordia et indebita gralia liberetur ; atque ila dispertiatur genus humanum, ul in quibusdam demonslraretur quid valcat misericors gralia, in cœteris quid justa vindicla. Ibid., XXI, xxii.

Gloire de Dieu, béatitude de la société des saints : voilà le bien de cette cité de Dieu que la providence poursuit par-dessus tout et qui explique la permission du mal : c’est le propler majus bonum de la théologie postérieure.

Certes, le mystère n’est pas percé à fond ; mais cette impossibilité même à percer le mystère résulte encore de notre condition de partie, qui nous empêche de saisir l’ordre universel. Aussi, Augustin nous demande, en certaines circonstances, l’acte de foi en cette providence dont les desseins nous dépassent. (Plotin déjà demandait une soumission à l’ordre universel qui nous dépasse dans l’ordre purement naturel.) Unde nobis in quibusdam eam contemplari minus idonei sumus, reclissime credenda præcipitur providentia Crealoris, ne tanli artificis opus in aliquo reprehendere vanilate temeritatis audeamus. De civ. Dei, XII, iv. Aussi, il n’aura aucune difficulté à confesser son impuissance à rendre raison en certains cas de la conduite de la providence, il n’hésitera pas à déclarer insondables les décisions et les conseils de Dieu et il nous renverra au jour du jugeiik nt pour en saisir toute la vérité et la justice : Judicio quippé novissimo non sic eril, sed in aperla iniquorum miseria et aperta felicilate juslorum longe quam nunc est, aliud apparcbil. Ibid., XX, xxviii. Ce que nous ne pouvons voir ici-bas, nous le pourrons dans sa lumière : Hsec dislantia… quæ sub isto sole in hujus vitæ vanilate non cernitur, quando sub illo sole justifiée in illius vilse manifestalione clarebit ; tune profeclo eril judicium quale nunquam fuit. Ibid., XX, xxvii. Et les jugements les plus incompréhensibles nous apparaîtront alors de la plus haute justice : apparebunt esse justissima. Ibid., XX, n.

L’esthéticisme s’est doublé d’un optimisme à base de foi, et le philosophe platonicien est devenu un docteur du Christ.

A. Rascol.