Dictionnaire de théologie catholique/PIERRE LOMBARD . I Vie
43. PIERRE LOMBARD, dit le Maître des Sentences, professeur de théologie à Paris, puis évoque de
Paris († 1160).
I. Vie.
II. Œuvres(col. 1951).
III. Analyse théologique (col. 1978).
IV. Luttes autour du
Livre des Sentences (col. 2003 ;.
V. Conclusion (col. 2015).
I. Vie.
Les événements de la vie de Pierre Lombard n’ont pas été marqués de la notoriété dont a joui son œuvre. Sur la plupart des années de son existence pèse une obscurité profonde, que l’histoire a peine à percer. Elle connaît la date de sa mort, qui finalement a pu être fixée avec certitude au 21 ou 22 juillet 1160, mais celle de sa' naissance demeure toujours inconnue. Son élévation au siège épiscopal de Paris est datée, avec une suffisante précision, de la fin du mois de juin 1159 ; mais son arrivée en France quelque vingt ans avant cela, ses études antérieures à Novare ou à Bologne, le début de son enseignement à Paris et l’apparition de son principal ouvrage, les IV libri Sententiarum, soulèvent des problèmes chronologiques dont plusieurs semblent se dérober à toute solution. Le travail des bibliographes s’est trop souvent contenté de juxtaposer les avis, ©u de répéter celui de leurs prédécesseurs, sans prendre le souci du contrôle critique. Nous donnerons ici les principaux traits de sa carrière connus avec certitude, ou fixés avec une certaine probabilité, et nous indiquerons, au sujet des autres, les principales questions et hypothèses qu’ils suscitent.
1o Premières années.
Mort en juillet 1160, sacré évêque une douzaine de mois plus tôt, comme le disent les documents cités plus loin, Pierre Lombard doit avoir vu le jour dans les premières années du xiie siècle ou, au plus tôt, dans les dernières du xie ; car il est difficile d’admettre que l'élection épiscopale de 1159 ait porté au siège de Paris un homme déjà arrivé au seuil de la vieillesse ; mais, d’autre part, l'épithète de venerabilis vir, employée par saint Bernard dans son billet de recommandation, Epist., cdx, P. L., t. clxxxii, col. 619, ne permet pas d’abaisser au-dessous de trente ans l'âge de l'étudiant voyageur arrivé d’outremonts à Reims, puis à Paris ; l’usage médiéval dans l’emploi des mots adolescens, juvenis, etc., oriente dans le même sens. Or, cette première présence de Pierre Lombard en France doit se placer très probablement vers 1136 ou peu après, comme on le dira plus bas.
Sa patrie est sûrement la Lombardie, comme l’indique son surnom de Lombardus, que nous rencontrons très tôt et déjà de son vivant, par exemple chez Gerhoch de Reichersberg, Liber de ordine donorum sancti Spiritus, dans Mon. Germ. hist., Libelli de lite, t. iii, p. 275, lig. 43 ; Liber de gloria et honore Filii hominis, c. xix, P. L., t. cxciv, col. 1143 ; chez Jean de Salisbury, Historia pontificalis, dans Mon. Germ. hist., Script., t. xx, p. 522 ; et chez Gautier Mapes, édit. Wright, The latin poems commonlij attribuled to W aller Mapes, t. xvi, Londres, 1841, p. 28-29 ; chez Arnon de Reichersberg vers 1163, Apologeticus contra Folmarum, édit. W’eichert, Leipzig, 1888, p. 13 ; chez Robert de Torigny, abbé du Mont-Saint-Michel, édit. Howlett, dans The chronicles and memorials of Great Britain and Ircland, t. lxxxii, vol. iv, Londres, 1889, p. 204, et la Continuatio Beccensis, Id., ibid., p. 323 ; un peu plus tard, avant 1206, Etienne Langton l’appellera souvent Lombardus tout court : in libro Lombardi, etc. : Postillse super Apostolum, Paris, Bibl. nation., lat. 14 447, fol. 276, 282, etc. ; cf. G. Lacombe, Studies on the commentaries of cardinal Slejihen Langton, part. I, dans Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age, t. v, 1930, p. 57, n. 3, p. 59 ; etc.
On peut la préciser davantage : c’est de Novare qu’il est originaire, comme le dit expressément la chronique
anonyme de Laon vers 1220. Chronicon universale. édit. Cartellieri, Paris. 1909, p. 7, et la mention d’un ms. des Sentences qui remonte au xii c siècle, .Munich. lut. 18 109, fol. Il : renseignement que répètent désor mais les chroniqueurs, comme Jacques d’Acqui, ver*1328, Chronicon imaginis mundi, dans les Monumenta historiæ patrise, Scriptores, t. iii, Turin, 1848. col. 1620 B, Riccobald de Ferrare, vers 1312, Historia imperatorum, dans Muratori, Scriptores rer. ital., t. ix. col. 121 C, et Ptolémée de Lucques, avant 1327, Hist. eccl., t. XX, c. xxvii, ibid., t. xi, col. 1 108. Les efforts tentés, depuis l’humaniste Paul Jove (1552), sur une fausse donnée de ses Hisloriarum sui temporis libri XXXXV, Paris, 1558, t. III, t. i, p. 53 B, en faveur de Lomello ou de Lomellogno (cf. Histoire littéraire de la France, t.xii, 1763, p. 585, n. 1), ont déjà été écartés avec raison par Tiraboschi, Storia délia letteratura italiana, t. IV, c. xi, t. iii, 1806, p. 298.
Sa famille était pauvre, puisque l'étudiant dut solliciter des secours pour séjourner à l'étranger (lettre de saint Bernard citée ci-dessus) et que sa mère, si les souvenirs des chroniqueurs sont exacts, gagnait péniblement sa vie par son travail de lavandière, voir Jacques d’Acqui et Riccobald de Ferrare, aux deux passages signalés ci-dessus.
De sa parenté avec le canoniste Gratien de Bologne et Pierre Comestor ou le Mangeur, appelé souvent Magister hisloriarum, il n’y a pas lieu de tenir compte : c’est une légende, basée sur le parallélisme des trois grandes œuvres scolaires théologiques du xiie siècle, qui, tardivement, a associé comme trois frères les auteurs de la Concordia discordantium canonum, des IV libri Sententiarum et de V Historia scolastica : intéressant exemple d’une évolution légendaire qui associe d’abord, deux par deux, Pierre Lombard et Gratien (comme chez Aubri des Trois-Fontaines, Chronica. Mon. Germ. hist., Script., t. xxiii, p. 843, Martin de Troppau, Chronicon, ibid., t. xxii, p. 469, et Godefroi de Viterbe, Panthéon, additions, partie, t. xxiii, n. 48, ibid., p. 260), ou Pierre Lombard et Pierre le Mangeur (comme chez Othon de Saint-Biaise, ContinuatioSan-Blasiana de la chronique d’Othon de Freising, n. 12, ibid., t. xx, p. 308, et Vincent de Beauvais. Bibliotheca mundi, t. iv, Spéculum historiale, 1. XXIX. c. i, Douai, 1624, p. 1185), pour les associer ensuite à trois (comme chez les chroniqueurs anglais, tels que Ranulphe de Higden, Polychronicon, t. VII, c. xix, dans The chronicles and memorials of Great Britain and Ireland, t. xli, vol. vii, p. 10 et 12, Jean de Trévise qui le traduit, Polychronicon, 1. VU, c. xix, ibid., p. 10, 12, 13, Henri de Knighton. Chronicon, t. II, c. x, même collection, t. xcii, vol. i, p. 135, Jean de Brompton, Chronicon, dans Twysden, Historiæ anglicanes scriptores decem, t. i, Londres, 1652, p. 1036, et dans les notices littéraires qui encadrent l'énumération des volumes dans le beau catalogue de la chartreuse de Salvatorberg, près d’Erfurt, vers 1477 : Petrus Comestor, frater Graciani et Pétri Lombardi ; voir P. Lehmann, Mittelalterliche Bibliothekskalaloge Deutschlqnds und der Schweiz, t. ii, Munich, 1928, p. 555, lig. 11-12). Finalement, on fait naître les trois frères du concubinage d’un évêque ou d’un prêtre, comme le racontent les c.vempla des prédicateurs, d’après l’information recueillie, par saint Antonin de Florence, Opus excellentissimum ou Chronica, III a pars histor., t. xviii, c. vi, Bàle, 1491, fol. xxiii qui, du reste, l'écarté comme sans valeur : reperitur non esse authenticum. La mère coupable, disaient-ils, éblouie par la gloire de sa brillante progéniture, ne pouvait se résoudre, même à son lit de mort, à se repentir de son péché. C'était supposer à la mère une bien longue survivance. Chez le bibliographe Guillaume Cave, Scriptor. eccles., t. ii, Oxford, 1743, p. 216, la légende s’enrichit encore d’un nouvel
élément : c’est une maternité trigémellaire qui se
trouve à l’origine du groupe des trois écrivains ; niais Cave ici fait exception : la plupart des auteurs depuis Bellannin, De scriptor. eccles., Cologne, 1631, p. 235, ivec Aubcrt le Mire, Hiblioth. eccles., Anvers, 1639, p. 108 (Schclia à Henri de (iand). Laz. Aug. Cotta, Museo kovarese, Milan, 1701. p. 2.">7-238, Oudin, Commentarius de script, eccles., t. ii, Leipzig, 1722, col. 12021206, le Gallia christiana, t. vii, Paris, col. 70, et VHistoire littéraire de lu France, t.xii, 1763, p. 585, n. 2, rejettent résolument cette légendaire parenté. Un trait du même genre, à propos de la damnation d’une mire adultère, qui se rencontre dans le Spéculum Ecclesia dû à Honorius d’Autun, P. L., t. clxxii, col. 867, dans les compilations à'E.vempla depuis Etienne de Bourbon, Paris, Ribl. nat., lut. 15 970, fol. 153 v°, et sous une autre forme dans les Vitae Patrum, P. L., t. lxxiii, col. 997, a pu se trouver à la base de ces légendaires affirmations.
Des études faites à Bologne, comme l’affirme Jacques d’Acqui, Chronicon imaginis mundi, dans les Mon. hist. pair.. Script., t. iii, col. 1620, que répètent le Gallia christiana, t. vii, 1744, col. 68, VHist. littér. de la France, loc. cit., et Sarti-Fattorini, De claris archigymnasii Bonuniensis pro/essoribus, t. i, ii, Bologne, 1772, p. 4-5, avec Protois, Pierre Lombard, c’vêque de Paris, Paris, 1880, p. 28, rien n’est connu, pas plus que d’une chaire d’enseignement obtenue à Pologne, comme le veulent Sarti-Fattorini, op. cit., p. 4.
2° Arrivée en France.
Nous entrons sur un terrain
plus sur avec le voyage en France ; il s’agit d’un complément d'études que le vir venerabilis qu’est déjà Pierre Lombard, selon le mot de saint Hernard, vient chercher à Reims et à Paris. Bernard, qui recommande le voyageur à ses amis de l’abbaye de Saint-Victor de Paris, s'était déjà chargé de lui venir en aide pendant le séjour à Reims, à la demande de son ami, l'évêque de Lucques. Episl., cdx, P. L., t. clxxxii, col. 619. La date de cette lettre cdx, dont le destinataire n’est probablement pas celui de la lettre cdlxix écrite par Nicolas de Clairvaux, donc entre 1145 et 1151 (ibid., col. 674 ; cf. col. 674 D et t. exevi, col. 1632), se place très probablement entre 1136 et 1139, c’est-à-dire sous l'épiscopat d’Odon de Lucques (1137-1146), peut-être à la fin de celui d’Hubert son prédécesseur (1128-1137), les relations entre saint Bernard et le clergé italien du Nord ayant surtout pu se produire durant son troisième séjour très prolongé en Italie (1136-1138), peutêtre durant le second (mai-novembre 1135). Pour les dates de ces voyages, voir Yacandard, Vie de saint Bernard, Paris, 1910, t. i, p. 336-345, 391, et t. ii, p. 4 et 26. Cela placerait donc vers 1136-1139 l’arrivée de Pierre Lombard à Reims. Seeberg, Prot. Realencyklopàdie, au mot Pelrus Lombardus, t. xi, p. 631, lig. 43, et Hofmeister, Studien ùber Otto von Freising, dans Xeues Archiv, t. xxxvii, 1912, p. 144, n. 3, opinent pour 1130-1135 ; Yacandard, op. cit., t. ii, p. 112, n. 5, el les éditeurs de Quaracchi, Pétri Lombardi libri IV Sententiarum, t. i, p. x, qui le suivent, pour 1139 environ ; cette divergence de quatre années n’a pas de bien grandes conséquences pour la suite de la carrière de Pierre Lombard. Toutefois, le témoignage fourni par Gerhoch de Reichersberg, en 1142-1143,
- ur la célébrité du Magister Pelrus Longobardus, et
dont il sera question plus loin, exige aussi que l’on rapproche plutôt de 1136 que de 1139 l’arrivée en France et à Paris. Mais la détermination approximative de 1136-1139, historiquement motivée, au besoin celle de 1130-1135, fait sûrement rejeter la date de 1115-1119 qu’on appuyait, jadis, sur l’impossibilité pour Pierre Lombard d’entendre encore les leçons d’Abélard, après 1119, année où celui-ci cessait son enseignement à Sainte-Geneviève. Protois. Pierre Lombard, p. 33. Mais
à supposer que Pierre Lombard ail été en contact avec Abélard autrement que par la lecture de ses ouvrages, la reprise de ses cours par le maitre breton, en 1136, qui nous est certifiée par Jean de Salisbury, Metalogicus, t. II, c. x, P. L., t. cxcix, col. 869 (voir aussi Reginald Lane Poole, The maslcrs oj the scliools at Paris and Chartres in John oj Salisbury' s lime, dans The English historical revient, t. xxxv, 1920, p. 321, et les prolégomènes de l'édition de Quaracchi, t. i, p.xii, n. 2), permet de satisfaire à cette donnée du problème. De plus, la date de 1115 environ pour l’arrivée à Paris et les conditions d'âge exigées par le billet de saint Bernard, à propos du vir venerabilis, P. L., loc. cit., col. 619 A, c’est-à-dire de 25 à 30 ans au moins, auraient comme conséquence de retarder, contre toute vraisemblance, jusque vers l'âge de soixante-dix ans l'élévation à l'épiscopat, qui a eu lieu en 1159. Nous datons donc l’arrivée en France des quatre ou cinq années antérieures à 1140.
Après un court séjour à Reims, dont les circonstances nous sont totalement inconnues, hormis le soutien que lui accorde saint Hernard, Pierre Lombard quitte l'école où avait brillé jadis son compatriote Lotulphe de Novare, voir Othon de Freising, Gesta Frederici imp., t. I, c. xlvii, Mon. Germ. hist., Script., t. xx, p. 376-377, à côté d’Albéric de Reims, lequel cesse son enseignement en mai-juin 1136. Noir les lettres d’Innocent II, Jalïé, Regesla, n. 7776-7777. L'étudiant-voyageur se rendait à Paris, muni de la recommandation de saint Bernard aux victorins ; le séjour devait être court per brève tempus quod /acturus est hic usque ad natiitilalem beatæ virginis Mariée.
3° Séjour definili/ à Paris. — En fait, le séjour se prolongea indéfiniment : Pierre Lombard devait désormais vivre à Paris.
Quelles écoles y fréquenta-t-il ? Où séjourna-t-il ? Quelles fonctions y exerça-t-il ? Quand et comment fut-il appelé à une chaire d’enseignement ? Autant de questions auxquelles il est difficile de répondre. Il eut dès lors, sans doute, des relations excellentes avec l’abbaye de SaintVictor, dont Gilduin était abbé ; la recommandation de saint Rernard dut produire ses fruits. Le nom de Pierre Lombard et même ceux de son père et de sa mère figurent dans l’obituaire de l’abbaye, voir le Paris, lat. 14 673, fol. 202 v°et217r°, cf. Denifle, Die Universitùten des M. A., p. 657, n. 16 : signe de la bienveillante sympathie dont les chanoines l’entourent lui et sa famille. Il prêche à l’abbaye divers sermons, voir Hauréau, Notices et extraits de quelques manuscrits, t. iii, 1891, p. 44-50, et, comme évêque, il lui assure un accroissement fle revenus, voir V. Mortet, Maurice de Sully, dans les Mémoires de la Société d’histoire de Paris, t. xvi, 1889, p. 120 et 288, et Gallia christiana, t. vii, col. 68 ; Mortet, op. cit., p. 288, n. 1. Mais rien n’incline à faire croire qu’il y donne des cours, ni qu’il y habite régulièrement, comme le fera son successeur, Maurice de Sully ; voir F. lionnard, Histoire de l’abbaye royale et de l’ordre des chanoines réguliers de Saint-Victor de Paris, t. i, Paris, s. d., p. 251, et surtout V. Mortet, étude citée ci-dessus, p. 190-191, et pièces justificatives, n. 9, p. 288-289.
Entre 1135-1140 et 1159, date de l'élection épiscopale, quelques rares données jettent un peu de lumière sur ces vingt ans de la carrière professorale de Pierre Lombard ; mais aucune d’elles ne fixe le début de son enseignement, ni les circonstances qui déterminent la composition de ses ouvrages. Rien non plus ne vient appuyer l’affirmation d’un historien moderne, qui attribue à Pierre Lombard l'éducation des fils du roi Louis VII. Les IV libri Sententiarum et les Commentaires sur saint Paul et sur les psaumes sont-ils le fruit ou la préparation de son activité professorale ? Aucun texte ne le dit de façon expresse. L’on voit seulement, 1945
pierre lomuahd. vie
L946
par l’analyse de leur contenu, que Pierre Lombard prend intimement contact avec les idées de l'école victorine et de celle d’Abélard, comme on le dira plus loin.
t’n renseignement de Gerhoch de Reichersberg sur le Commentaire de saint Paul, en 1142-1143, un autre de Jean de Salisbury sur le rôle de Pierre Lombard au concile de Reims contre Gilbert de la Porrée en 1148, une recommandation du pape Eugène III pour une prébende en 1152, avec, un voyage à Rome à la même date, sont les seuls témoignages externes que nous ayons pour cette période de vingt années. Il faut y ajouter quelques traits qui se dégagent de son œuvre et qui aident à reconstituer son act ivité professorale ou oratoire. Passons rapidement en revue ces témoignages dont il faut fixer la chronologie et préciser la portée.
La première en date de ces mentions est des plus précieuses, car elle nous affirme qu’en 1142-1143 déjà, c’est-à-dire six ou sept ans après son arrivée à Paris, la réputation de Pierre Lombard s'était répandue jusqu’en Bavière. Le combatif Gerhoch de Reichersberg. toujours aux aguets pour dépister quelque hérésie ou quelque erreur théologique dans l’enseignement des écoles de Paris, rangeait à ce moment Pierre Lombard parmi les maîtres en vue. Il dit, à propos d’une confusion entre Ambroise Autpert et Ambroise de Milan : Quidam pillant… nescientes in œquivocatione deceptos magnos quoque magistros, qui suis glosis in Aposlolum falsitatem hanc inseruerunt, quorum præcipui sunt magistri (sic) Anselmus et magister Gillibertus et novissime Petrus Longobardus. Libellus de ordine donorum sancti Spir., dans Mon. Germ. hist., Libelli de lite, t. iii, 1897, p. 275, lig. 40. Le témoignage de Gerhoch porte sa date, car l'écrit qui le contient est le discours ou la dissertation faite devant quelques cardinaux, pendant son second voyage à Rome, en 1142, et les noms de deux des destinataires auxquels s’adresse la préface disparaissent des documents à partir de la fin du mois de mai 1143 ; en outre, Gilbert de la Porrée, évêque de Poitiers en 1143 et nommé ailleurs episcopus par Gerhoch, ibid., p. 275, lig. 41, et Liber de novitatibus, c. xxetxxv, ibid., p. 301, lig. 25 ; p. 303, lig. 34, et p. 288, est encore introduit cette fois avec le titre de Magister. II n’y a pas lieu d’examiner de plus près l’attribution erronée à Ambroise Autpert d’un texte qui vient en réalité de Y Ambrosiaster (cf. P. L., t. xvii, 1845, col. 410) ; contentons-nous de dire que Pierre Lombard cite en effet ce passage à propos de Philipp.. il, 9, In omnes D. Pauli apost. epistolas collectanea. P. L., t. cxcii, col. 237 13, en l’attribuant à saint Ambroise, ce qu’il fait encore dans Sentent., t. III, dist. XVIII, 3, édit. Quaracchi, t. ii, p. 631 ; P. L.. t. cxcii, col. 793-794, mais sans aucunement mériter de ce chef le reproche d’hétérodoxie. Des textes de Jean Damascène, De fide orthodoxa, t. III, c. m et d’autres cités dans P. L., t. cxci, col. 1307, 1337, etc. dont la traduction par Burgundion de Pise n’a pas eu lieu avant 1115 (voir plus loin), sembleraient devoir infirmer les données chronologiques fournies par la préface de Gerhoch ; mais Pierre Lombard, ou un copiste, peut les avoir ajoutés plus tard, de même que la Glose de Walafrid Strabon s’est fortement enrichie au cours des siècles (voir.1. de Ghellinck, Mouvement théologique du XIIe siècle, p. 127, n. 5, p. 272, n. 2 et p. 346), et rien ne nous dit que les Collectanea sur saint Paul fussent complets déjà dans leur libellé définitif au moment où Gerhoch en eut connaissance. Le contraire plutôt semble établi ; car d’après un souvenir personnel d’Herbert de Boseham, disciple du maître, illustris doctor qui horum fuit glosator et meus in hac doctrina institulor præcipuus, et qui remaniait les gloses des psaumes et des épîtres pauliniennes à l'époque du martyre de saint Thomas Becket (29 décembre 1170),
Pierre Lombard n’avait pas encore fini de revoir et de corriger son œuvre au moment de sa nomination au siège épiscopal de Paris : la déclaration d’Herbert. prise à sa préface qui dédie son travail à Guillaume aux Blanches-Mains, encore archevêque de Sens, est antérieure à 1176, date de la nomination de Guillaume à Reims. Ms.de Cambridge, Trinity Collège, 750, Prima pars Psalterii Glosati sec. Ilerb. de lioseham, fol. 1 v".
D’après ces témoignages, il semble bien que Pierre Lombard occupait déjà une chaire à Paris et, très vraisemblablement, à l'école Notre-Dame, comme le dit Déni fie et, après lui. les éditeurs de Quaracchi. Die Universitaten des M. A. bis 1400, t. i, p. 679. n. 83. cl 657, n. 16 ; Sentent., éd. Quaracchi. t. i, p. xiii. Rien n’appuie les affirmations de quelques auteurs comme du Boulay, Historia universit. Paris., t. ii, p. 249, du Molinet, Bibliothèque SainteGeneviève, ms. II. Fr. -'/, p. 580 (cf. P. Féret, qui en cite plusieurs extraits dans La faculté de théologie de Paris. Moyen Age, t. i, Paris, 1891, p. xii et vi), Cave, Script, eccles., t. ii, p. 2^o, et Féret, ibid., p.xii, n. 4 et p. 15, qui parlent de l'école Sainte-Geneviève. On doit mentionner aussi qu'à cette date se préparaient déjà les matériaux et s'élaboraient les questions qui allaient entrer plus tard dans ses / V libri Sententiarum ; car les Collectanea sur saint Paul en contiennent un certain nombre qui reviendront plus ou moins identiquement dans le grand ouvrage de Pierre Lombard ; on peut en voir une liste sommaire dans l’introduction des éditeurs de Quaracchi, t. i. p. xxvi-xxix.
Peu d’années après, son activité professorale, que rehaussent semble-t-il de saines préoccupations pédagogiques, I. I, dist. XIX, c. 10, p. 135, eut l’occasion de s’affirmer avec éclat, car Pierre Lombard figure parmi les Magistri scolares qui doivent juger, sous la présidence du pape Eugène III et devant un certain nombre d'évêques et d’abbés, de la doctrine de Gilbert de la Porrée, au concile de Reims, en 1148, et sans doute aussi à la réunion de Paris qui en est le préambule en 1147. C’est à Jean de Salisbury, bien renseigné sur ce qui touche à Gilbert, son ami, que nous devons ce détail, Histor. pontif., éd. Reginald L. Poole, Oxford, 1927, c. viii, p. 17. En psychologue averti, qui tâche de pénétrer les mobiles des actions, il insinue en même temps une appréciation, qui attribue des vues peu désintéressées à l’animosité de ces Magistri scolares qui suas et aliorum linguas in eum acuebant… ut sic promererentur abbalem. ibid. Ce qui est sûr, c’est que le Maître des Sentences s’occupe longuement des thèses de Gilbert de la Porrée, pour les combattre, dans ses IV libri Sententiarum (voir plus loin) et que sa présence à Reims, remarquée, avec celle d’Adam du Petit-Pont et de Hugues de Reading, par Jean de Salisbury et par Othon de Freising, Gesta Frederici. t. I, c. i.i, proclame le renom dont il jouissait déjà.
Quelque temps après, se place un voyage à Rome dont la date est importante, surtout s’il n’y en a eu qu’un seul, pour la chronologie de la composition des Libri Sententiarum. Dans ceux-ci, en effet, Pierre Lombard relate comme un événement tout récent la traduction du De fuie orthodoxa de Jean Damascène, I. I dist. XIX, 9, t. i, p. 133, n. 181 : Inler Grœcorum doctores magnus, in libro quem de Trinitate scripsit, quem et papa Eugenius transferri fecit. Or, une glose ancienne des Sentences, dont il sera encore question plus loin, conservée dans un manuscrit de Bamberg et attribuée à Pierre de Poitiers, un des plus fidèles disciples du Maître, nous dit que ces textes de Jean Damascène ont été pris à Rome : A libro isto (De ftde orthodoxa) sumpsit magister hanc auctoritatem dum Romæ esset. Ms.de la bibliothèque de Bamberg, Q. VI, 53, fol. 43 v°. D’autre part, nous constatons l’absence de toute citation damascénienne dans deux livres de Pierre LomL947
- IMKRHE LOMBARD##
IMKRHE LOMBARD. VIE
1948
baril, leur rareté dans le I". et le choix restreint qui se borne à quelques chapitres du De fi.de orthodoxa, alors que pas mal d’autres auraient pu avantageusement s’ajouter aux '27 citations qu’il utilise. Le mouvement the’ologique…, p. 241 ; voir aussi Les œuvres de Jean de Damas en Occident au zile siècle, premières citations… chez Pierre Lombard, dans la Revue des quest. hist., t. lxxxvin, 1910, p. 149-160 ; tout cela s’explique aisément par eetle occasion du voyage qui lui fait prendre contact au dernier moment avec l'œuvre fraîchement traduite du Damascène.
Mais quand a eu lieu ce voyage ? Du Boulay, Hist. univ. Paris., t. ii, p. 251-252, et beaucoup d’autres à sa suite le plaçaient vers 1148-1149, sur la foi d’une lettre d’Eugène 111. Mansi, Concil., t. xxi, col. (545. Mais, comme le fait remarquer le P. Pelster, Wann hat Petrus Lombardus die « Libri IV Sententiarum » vollendet ? dans Gregorianum. t. ii, 1921, p. 387-392, et comme l’insinue une expression d’un des correspondants romains, sludium quod semper tiberalibus artibus applicuit, P. L., t. clxxxvi, col. 1415 B, ce qui ne désigne pas les études théologiques, cette lettre d’Eugène III. non datée du reste, Jafïé, Regesta, t. ii, p. 65. peut difficilement concerner Pierre Lombard ; car il n’est pas vraisemblable que le vir déjà venerabilis aux yeux de saint Bernard, dix ou douze ans plus tôt, tout récemment censeur théologique au concile de Beims, se soit commis dans une rixe d'étudiants, à laquelle la lettre pontificale accuse le magister Petrus d’avoir participé. Ce magister Petrus doit donc avoir été un autre, qu’il n’est pas possible d’identifier.
Mais une autre lettre pontificale vient à l’appui de la glose de Bamberg pour attester le voyage de Borne ; en même temps, elle montre l’estime qu’on avait à Borne de l’activité théologique de Pierre Lombard : c’est la lettre du 19 janvier 1152, datée de Segni, et qui recommande Pierre Lombard à l'évêque Henri de Beauvais, sur les instances de saint Bernard, pour que le magister Petrus qui tam longo tempore scholasticis ttudiis utiliter et honeste per Dei gratiam insudavit nec lamen ad hue ecclesiaslieo meruit bene/icio sublevari, P. /… t. clxxx. col. 1498-1499, et édit. Quaracchi, t. i. p. xix, soit nanti enfin d’un bénéfice ecclésiastique. Tous les traits fournis par la recommandation pontificale cadrent parfaitement avec ce que nous savons de Pierre Lombard et les mots pro lalore prwsentium désignent le bénéficiaire, qui reçoit à la curie même la lettre qu’il est venu solliciter. Par le fait même, la date de l’achèvement des Libri Sententiarum se place au plus tôt dans la deuxième moitié du premier semestre de 1152 ; car, malgré la fréquence, catervatim, des voyages pour appels à Borne au XIIe siècle, ce serait sortir des données historiques que de recourir, sans preuve nouvelle, à une autre démarche à Borne de la part de Pierre Lombard avant 1152.
Cette lettre d’Eugène III, qui affirme que Pierre Lombard n’a encore été investi d’aucun bénéfice, écarte définitivement le canonicat de Chartres, que beaucoup d’auteurs voulaient attribuer au Maître des Sentences, comme le Gallia christiana, t. vii, col. 68, l’abricius-Mansi. t. v, p. 262, et Cave, t. ii, p. 220, sur la foi sans doute de Du Cange, dans son Gloss. med. et inf. latin., t. i, Paris, 1841o. p. 367, au mot Archiater, qui fait d’un Petrus Lombardus le médecin de Louis VII et un chanoine de Chartres.
Pour les années de l’activité professorale de Pierre Lombard, l’on sait aussi qu’il fréquentait beaucoup les Pères latins, surtout Ililaire et Augustin ; qu’il lisait usidûment Abélard, voir Jean de Cornouailles, Eulogium, c. m. P. L., t. cxcix, col. 1052 CD et 1053 B, comme les écrits de Hugues de Saint-Victor avec la Summa Sententiarum (voir plus loin) ; qu’il axait avec lui le texte de la Concordia de Gratien, dont il fera don
par son testament au chapitre de Notre-Dame, Cartulaire de l'église Notre-Dame de Paris, Obiluarium, n. 125. publié par Guérard, t. iv, p. 60, dans la Collection des carlulaires île France, t. vii, Paris, 1850 ; qu’il était consulté par Alexandre III, entre autres sur une question de correction fraternelle, voir Laides d’Ourscamp, Qusestiones magistri Odonis Suessionis, dans l’itra. Anal, noviss., t. ii, 1887. p. 142. Robert de Courson, Summa theologica, ms. île Bruges, 247, 191, fol. 69 r° ; qu’il suivait de très près toutes les discussions et problèmes qui se posaient dans les écoles et enregistrait avec soin les avis qu’on y donnait en réponse, à preuve les nombreux quirri solet, quæritur, etc., de ses Sentences ; qu’il connaissait, semble-t-il, l'œuvre de Bobert le Poule et d’Adam du Petit-Pont, voir Landgraf, Some unknown writings, dans The new scholasticism, t. iv, 1930, p. 3 et 14, et Recherches de theol. <inc. et médiév., t. iii, 1931, p. 140 ; que Jean de Cornouailles et que Maurice de Sully venaient l'écouter, mais n’admettaient pas chacune des thèses de son enseignement, Jean de Cornouailles, Eulogium, c. m et iv, ibid., col. 1053 B et 1055 A, pas plus que Bobert de Melun, De modo eolligendi Summas, préface du ms. de Bruges, 191, et Jean de Cornouailles, op. cit., c. iv, ibid., col. 1055 A ; qu’il avait des rivaux peu favorables qui tâchaient de le trouver en défaut, mais qu’il était décidé à rester fidèle à l’orthodoxie, voir Jean de Cornouailles, op. cit., c. in et iv, col. 1052 C et 1053 B, et prologue des Libri Sententiarum, P. L., t. cxcii, col. 521-522 ; Quar., t. i, p. 2 : déclaration qu’il répétait encore peu de temps avant son épiscopat.
Quelques années se passent encore, dans le travail professoral et le renom, sinon dans l’aisance ou le confort, et le magister Petrus, qui a fini depuis longtemps ses Collectanea sur saint Paul, puis ses / V Libri Sententiarum, et sans nul doute ses Commentaires sur les psaumes, avec probablement un certain nombre de sermons, passera bientôt de la chaire de l'école NotreDame au siège épiscopal de Paris. Il occupait jusque-là une maison située à peu près aux confins des propriétés de l’abbaye Sainte-Ceneviève et de celles de l'église Notre-Dame de Paris, Cartulaire de l'église N.-D. de Paris, t. iii, n. lxviii, p. 395 : domus quie fuit magistri Pétri Lombardi… usque ad pilarium lapideum médium inler censivam nostram et eensivam Ecclesia ? I^arisiensis.
4o L'épiscopat et la mort. — On peut dire qu’avec la nomination à l'évêché, de Paris la carrière de Pierre Lombard est virtuellement terminée ; car, à part deux ou trois actes sans importance conservés par les documents, nous ne savons rien de son épiscopat.
Les circonstances de l'élection présentent quelque intérêt et la nomination elle-même manifeste l’estime et la célébrité qui entouraient son nom. L'élection eut lieu après l’année d’interrègne qui suivit la mort de Thibaut, décédé le 8 janvier 1158. Elle est décrite par la chronique de Bobert de Torigny et par l’anonyme qui y a joint quelques additions pour cette année, dans des termes qui n’ont rien que d'élogieux pour les deux candidats en présence : Philippe, archidiacre de NotreDame et frère du roi Louis VII, sur lequel se porte d’abord le choix du chapitre, puis Pierre Lombard, que se fait substituer le premier élu après sa renonciation : Magister etiam Petrus Lombardus Parisiensem episcopatiim adeptus est, connivente Philippo ejusdem ecclesiæ decano, /ralre régis Francorum, qui ut dicunl, clcctioncm suam concessit eidem Petro, dans Mon. Germ. hist.. Script., t. vi, p. 5111, lig. 31 ; Delisle, La Chronique de Robert de Torigny ou du Mont-Saint-Michel, dans les Publications de la Société d’histoire de Normandie, t. (, Rouen, 1872, p. 32 1 ; llowlett, même chronique dans les Chronicles and memorials of Grc<d Britain ami Ireland, t. lxxxii, vol. iv, p. 204. Les additions au texte original, conservées par le Suec. 553, Ou Vatican,
contiennent un substantiel éloge du nouvel évêque : Magister Peirus Lombardus, vir mugnæ scientice et super Parisiensium doctores admirabilis, electus est Parisiensîs episcopus, dans Mon. Germ. Iiist., Script., t. vi, p. 509, lig. 35, et Bouquet, Recueil des historiens des Gaules, t. xiii, p. 302 A ; elles fixent le sacre à la fin du mois de juin ou au début de juillet : circa jestum apostolorum Pétri et Pauli. Il n’y a donc rien là qui appuie l’accusation de simonie lancée une quarantaine d’années plus tard par Gautier de SaintVictor, dont la véhémence et l’inconsidération tranchent sur le suave équilibre de Hugues de SaintVictor : l'épithète d' « intrus simoniaque » semble bien une calomnie. Contra IV labyrinthos Franche, t. II, dans Geyer, Die Sententiæ Divin’ilatis, appendice, dans les Heilrùgc de Bâumker, t. vii, fasc. 2 et 3, p. 188*. L'épiscopat de Pierre Lombard fut de très courte durée et n’est représenté que par très peu d’actes dans les documents. Lasteyrie, Cartulaire général de Paris, t. i, 1887, n. 457, p. 386-388 ; voir p. 387. On peut signaler une pièce, datée de l’abbaye de SaintVictor, reproduite dans V. Mortet à la fin de son étude, Maurice de Sully, évêque de Paris, recueil cité plus haut, t. xvi, p. 288289, et telle ou telle donation de dîmes, voir Gallia christiana, t. vii, col. 68, et éd. de Quaracchi, 1. 1, p. xxi, la fixation du droit de nomination d’un chèvecier à Saint-Germain-l’Auxerrois, qui est reconnue au doyen de cette église, et la ratification d’une donation à Saint-Lazare. R. de Lasteyrie, Cartulaire, n. 410 et 415, p. 357 et 362. Cet acte dut être le dernier : la confirmation, par une charte de Louis VII, même ouvrage, n. 416, p. 363, n’arriva que quelques jours après la mort de l'évêque.
C’est pendant cette année d'épiscopat que se place le trait rapporté par Riccobald de Ferrare, Historia imperatorum, dans Muratori, lier. ilal. script., t. ix, coi. 124, et par Jacques d’Acqui, Chronicon, dans les Mon. hist. pair., Script., t. iii, p. 1620 : la mère de Pierre Lombard serait allée à Paris pour faire visite à son fils et jouir de son élévation. Mais l'évêque ne voulut la reconnaître que lorsqu’elle eut repris ses vêtements de femme du peuple qu’elle avait remplacés, pour lui faire honneur, par de riches atours. Toutefois, ce récit, que ne connaît aucun chroniqueur antérieur à Riccobald et à Jacques d’Acqui, lesquels écrivaient vers 1320, se retrouve aussi dans les Cotlationes de decem præceptis de saint Bonaventure, qui le raconte à la louange de Maurice de Sully, Collatio, v, 20, Opéra, t. v, Quaracchi, 1891, p. 525, et dans les Anecdotes historiques d’Etienne de Bourbon, publiées par Lecoy de la Marche, Paris, 1877, p. 231 ; on le trouve encore ailleurs avec Jean de Corbeil, archevêque de Sens, comme héros, ms. Ottob. 522, fol. 233 r° (quelques extraits dans les Analecta jranciscana, t. i, Quaracchi, 1885, p. 417, et Lecoy de la Marche, op. cit., p. 388, note). Cette variabilité dans les attributions, avec le long silence des chroniqueurs, et la difficulté du voyage pour une personne déjà vraisemblablement octogénaire justifient pour le moins un certain scepticisme.
En 1160, la mort mettait fin à la carrière épiscopaie de Pierre Lombard. On a longtemps hésité entre les deux dates de 1160 et de 1164. S’il fallait admettre cette dernière, Pierre Lombard aurait renoncé à l'épiscopat après douze mois environ de gouvernement et aurait survécu quatre ans. Car une chose est sûre, c’est la nomination, au mois d’octobre 1160, de son successeur, Maurice de Sully, celui qui devait bâtir NotreDame et dont l'épiscopat eut une durée de 36 années. V. Mortet, Une élection épiscopaie au XIIe siècle, Maurice de Sully, dans les Annales de la faculté des lettres de Bordeaux, nouv. série, t. ii, 1885, p. 149-157 ; Note sur la date des actes de Maurice de Sully, dans le Bultetin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile-de France, t. xiv, 1887, [>. 34-36 ; Maurice de Sully, dans les Mémoires de la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile-de-France, t. xvi, 1889, p. 105-318 ; voir surtout p. 119-144. La date de 1164 n’avait aucun appui en dehors de l'épitaphe, car le dire d’Aubri des TroisFontaines qui écrivait en 1252, dans sa Chronica, que Pierre Lombard fut évêque /ère per triennium, ne contient rien de ce chef en faveur de l’année 1164, puisqu’il relate le fait pour l’année 1 156, ce qui placerait la mort de Pierre Lombard vers 1159. Chronica, dans Mon, Germ. hist.. Script., t. xxiii, p. 843. Quant à l'épitaphe placée dans l'église Saint-Marcel et qu’on peut voir dans Gallia christiana, t. vii, col. 69, et dans l'édition de Quaracchi, t. i, p. xxm-xxiv, il est établi que l’addition de 1164 est toute moderne et fautive. Cf. Hist. litt. de la France, t.xii, p. 586 et 587, n. 1, et G. Dubois, Historia Ecclesiæ Parisiensis, t. ii, Paris, 1710, p. 123. C’est au mois de juillet, le 21 ou le 22, qu’eut lieu le décès ; l’obituaire de Notre-Dame le fixe bien au 3 mai, Obituarium, n. 125, dans Guérard. Cartulaire de l'église Notre-Dame de Paris, t. iv, n. 125, p. 60, mais il est en contradiction avec tous les autres documents ; le nécrologe de Saint-Martin-des-Champs le place au 21 juillet, Molinier, Obituaires de la province de Sens, t. i, 1902, p. 447, comme la partie ancienne de l’inscription de Saint-Marcel ; l’obituaire de Saint-Victor est pour le 22 juillet, Bibliothèque nationale, ms. lat. 14 673 ; cf. V. Mortet, op. cit., p. 136. n. 3 ; de même l'érudit annaliste de Saint-Victor, Jean de Thoulouze, Annales Sancti Vicloris, Bibliothèque nationale, ms. lat. 14 368-14 374 ; un document des archives de Notre-Dame, publié par Guérard, Cartulaire, t. iv, p. 358, n. 14 des extraits du Liber niger de l’appendice, rappelle la redevance due le jour de l’anniversaire de Pierre Lombard « au mois de juillet. Herbert de Boseham, cité plus haut, nous dit aussi, avant 1176, que Pierre Lombard mourut peu de temps après sa nomination au siège de Paris. Ms. 150 de Trinity Collège de Cambridge, fol. 1 r°.
U n’y a donc plus lieu d’hésiter ni d’expliquer la date de 1164 par une sortie de charge en 1160, suivie d’une survivance de quatre ans, comme on l’a fait jadis.
Un texte des Décrétâtes, qui a trouvé place dans le Corpus juris canonici. Décrétai., t. III, tit. xxiv, c. 2. ne doit pas jeter une ombre rétrospective néfaste sur l’intégrité de la gestion épiscopaie de Pierre Lombard. Le pape Alexandre III y rappelle que le prédécesseur du destinataire de la lettre avait fait plus d’une donation préjudiciable à son église et sans consultation préalable du chapitre. Mais la vraie leçon n’est pas Parisiensi episeopn, en l’occurrence Maurice de Sully. successeur de Pierre Lombard ; il faut lire Papiensi episcopo, et les deux évêques sont Lanfranc de Pavie et Pierre Toscani (vers 1178-1180). L’erreur, rectifiée par les manuscrits que Friedberg mentionne dans son apparat critique, Corp. jur., t. ii, p. 533, avait déjà été corrigée par Antoine Augustin, Antiquæ collectiones Decretalium, dans les Opéra omnia, t. iv, Lucques. 1759, p. 170, et la correction est confirmée par les travaux de Kehr, Iïegesla pontificum romanorum, Italia pontificia, t. vi a, Berlin, 1913, p. 183 (Pavie, n. 45) : voir aussi le relevé sommaire des décrétales d’Alexandre III, d’après les Iiegesta de Jaffé, dans P. L., t. ce. col. 1358 D, lettre cdxci. La courte correspondance, toute banale et bourrée d’allégorismes, avec Arnold de Metz et Philippe de Reims, contenue dans un ms. de Leipzig, Feller, Catalogus cod. mss. bibliotheese Paulinse in Academia Lipsiensi. Leipzig, 1686, p. 182, n. 10 (la voir dans édit. de Quaracchi, t. i, p. xxxv), n’a rien d’intéressant et n’inspire aucune confiance, les deux destinataires n’ayant jamais occupé les sièges épiscopaux qu’on leur attribue dans ces deux lettres.
En attendant quiles recherches dans les manuscrits des premiers glossateurs et commentateurs des Sentences viennent ajouter quelque nouveau trait à l’histoire des IV libri Sententiarum et des habitudes professorales de leur auteur, ce qui précède contient virtuellement tout ce qui est connu jusqu’ici de la biographie et de l’activité de Pierre Lombard. Pour tout ceci, on peut voir La carrière de Pierre Lombard. Quelques précisions chronologiques, dans la Revue d’histoire ecclésiastique, t. XXVII, 1031, p. 792-830, les Prolegomena de l'édition de Quaracchi, 1916, p. vxxiv, et l’introduction de.J. Schupp, Die Gnadenlehre des Petrus Lombardus. Fribourg-en-B., 1932, p. 1-13, ouvrage paru depuis la composition de cet article, mais qui en confirme, à part un ou deux détails, tous les résultats.