Dictionnaire de théologie catholique/PIERRE LOMBARD . III Analyse théologique de l'oeuvre et appréciation doctrinale

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 12.2 : PHILOSOPHIE - PREDESTINATIONp. 271-284).

III. Analyse théologique de l'œuvre de Pierre Lombard et appréciation doctrinale. —

Le court aperçu, donné plus haut, sur les matières contenues dans les IV libri Sententiarum, facilitera l’analyse doctrinale de l'œuvre qu’il nous faut aborder maintenant ; il nous dit aussi comment Pierre Lombard, théologien, se distingue de ses contemporains. — 1° Caractéristiques générales. 2° Mode de composition et matériaux. 3° Détail des doctrines.

I. caractéristiques GÉNÉRALES.

Indiquons pour commencer quelques caractéristiques générales de l’auteur et de son œuvre.

Programme relativement complet.

S’il n’a pas su

trouver un principe de groupement fort et fécond pour nettement étreindre toutes les matières théologiques enseignées alors dans les écoles, il faut reconnaître que le Lombard est parvenu à les réunir toutes dans ce qu’on peut appeler sa synthèse. Sans doute, la grande innovation en ce point remonte au moins à Abélard et à son école, car nous ne sommes pas encore renseignés avec suffisamment de certitude sur l'œuvre propre d’Anselme de Laon pour attribuer sûrement ce progrès à la période préabélardienne et aux livres du magister Anselmus. Mais, œuvre de sec élèves ou production personnelle, les nombreux recueils de Sententia-, associés au nom d’Anselme de Laon et les nombreux témoignages qui nous affirment la grande réputation du maître et l'énorme succès de sa scola divinitatis, Abéard, Epist., i, 2, P. L., t. clxxviii, col. 122 A, cf. Mouvement théologique, p. 93-94, nous sont une preuve que l'élaboration de la synthèse théologique doit une page importante de son histoire aux initiatives de celuici, magister Anselmus, « à l'œil plus éclatant qu’une étoile », comme dit Guibert de Nogent, Commentar. in Genesim, préf., P. L., t. clvi, col. 19 D, « restaurateur des études sacrées », comme l’appelle Innocent II. Voir le Mouvement théologique, p. 92, et The « Sentences > of Anselm of Laon and their place in the codification of theology, dans The Irish theologpal quarlerhj, t. vi, 1911, p. 427-428 ; Bliemetzrieder, Anselmus von Laon systematischen Sentenzen, dans les Beitriige de Baumker, t. xviir, fasç. 2-3, 1919, p. 42 sq., 112 sq., 152-153 ; du même, Gratian und die Schule Anselms von Laon, dans VArchiv fur kalhol. Kirchenrecht, t. cvi. 1932, p. 37-63 ; H.Weisweiler, S. J., L'école d’Anselmede Laon et de Guillaume de Champeaux, Nouveaux documents, dans Rech. de théol. anc. et méd., t. iv, 1932, p. 237. Il n’y a pas lieu d’examiner de plus près ici la part qui revient strictement à Anselme lui-même dans l’initiative de ce travail de synthèse ou tout au moins de groupement ; mais l’on constate qu'à partir de ce moment le traité des sacrements, et bientôt celui des fins dernières, commencent à entrer dans la théologie, 1979

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PIERRE LOMBARD. CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES

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et cela deviendra résultat acquis grâce aux IV libri Sententiarum de Pierre Lombard.

Le principe posé par Abélard en tête de son Introduclio ad theologiam, 1. I. c. ii, P. L., t. clxxviii, col. 981 C. repris par toute son école, et admis en fait par Hugues de SaintVictor, De sacramentis christianse fidei, I. I. part. IX. c. viii, P. L., t. ci.xxyi, col. 328 A. donnait au traité des sacrements surtout une place tout autrement ferme, puisqu’il devenait une des trois pièces maîtresses de toute la charpente de sa synthèse. Tria sunt in qui bus humanæ salutis summa consista, /ides, charitas, sacramentum, avait dit Abélard en divisant son ouvrage d’après ce principe, et Hugues énonce incidemment la même idée, tria sunt quee… ad salutem obtinendam necessaria fucrunt, id est fides, sacramentel fidei, et opéra bona, en expliquant le degré de nécessité de chacun de ces objets. Les Sententiæ divinitatis, édit. Geyer, p. 155*. marquaient un progrès sur la Summa Sententiarum, tract. I. 4, P. L., t. clxxvi, col. 47 C, qui faisait consister la foi principalement dans ce double objet, Trinité et incarnation ; elles plaçaient le traité des sacrements en relation étroite avec l’incarnation : in duobus fides consistit, in cognitione Trinitatis et in lus quee circu eani considerantur, et mysterio incarnationis et sacramentorum in ea nobis collatorum. De tout cela, Pierre Lombard sut tirer parti et acheva de donner corps à cette tendance ; les signa, opposés aux res, furent la formule sous laquelle il introduisit tout le traité. L’antériorité des Sententiæ divinitatis sur Pierre Lombard, généralement admise jusqu’ici, a été contestée par le P. Pelster, Zeitschrijt fur kathol. Théologie, t. lui, 1929, p. 575, n. 4 ; mais l'étude qu’il annonçait n’a pas encore paru ; voir R. Martin. O. P., Œuvres de Robert de Melun, t. i, Spicilegium sacr. Lovan., Louvain, 1932, fasc. 13, p. xlviii.

L’idée de synthèse, ou plutôt de groupement, car il a trop peu de principes d’unité pour qu’on puisse strictement parler de synthèse, lui fit étendre ce progrès à d’autres matières ; mais il faut reconnaître chez lui moins de fermeté dans la pensée que chez plusieurs de ses prédécesseurs. Car, s’il a habilement tiré parti de la classification d’Augustin par les res et les signa : omnis doctrina de rébus vel de signis est, t. I, dist. I, 1, p. 14, il ne demeure pas fidèle à ce principe, on le verra plus loin, dans la série de ses développements, et l’agencement des diverses matières entre elles n’en est que superficiellement alïectée. En somme, il suit un ordre logique qui juxtapose les grands mystères de la foi, à peu près comme l’avait fait la Summa Sententiarum, puis donne une large place aux sept sacrements, un quart à peu près de son volume, pour le finir par les fins dernières ; mais, avant cela, il avait rattaché, comme il l’avait pu, à la christologie le traité des vertus et, en l’abrégeant fortement, celui des commandements. Le traité De vera religione, malgré la controverse antijuive du xiie siècle, n’a pas trouvé place dans son programme d’enseignement, pas plus que le traité de l'Église, malgré l’exemple des canonistes qui consacraient à la question de l'Église, de son gouvernement, de ses membres, etc., plus d’une page intéressante. Gratien aurait pu l’orienter dans cette voie ; voir Landgraf, Sùnde und Trennung von der Kirche in der Frùhsclwlastik, t. v, 1930, p. 233-247.

Hugues de Saint-Victor, imité par Kobert de.Melun. avait suivi un autre ordre : c'était à la suite historique des Opéra conditionis et des Opéra restauralionis, qu’il s'était attaché, comme a une idée qui lui était chère et familière ; et. si l’exécution du plan prête, dans le détail, à quelque critique, l’idée même avait quelque chose de grandiose et assignait sa place à chacune des matières ; voir Mouvement théologique, p. 115-110. Le plan de Robert fie Melun. reconstitué parle R. P. Mar tin d’après les mss. de Bruges et de Londres, n’avait pas la clarté de son modèle, voir art. cil. de la Revue d’hist. eccl., t. xv, 1914-1920, p. 47$1-$279.

Comparés aux Sententiee divinitatis de l'école nilbertine, qui ont la création du monde et de l’homme, le péché originel, le sacramentum incarnationis, les sacrements et la Trinité, et aux Sententise de Robert le Poule dont le contenu est beaucoup moins bien ordonné P. L., t. clxxxvi, col. 639-1010 (cf. Mouvement théologique, p. 101-102 et 184, n. 4), les IV libri Sententiarum de Pierre Lombard accusent un progrès réel pour l’ordre, l’enchaînement et le contenu des divers traités. En outre, le Maître a donné au traité des fins dernières la place qu’il n’avait pas trouvée dans les autres écoles. On le voit, la suite logique des matières et un programme des questions aussi complet que possible donnent à l'œuvre de Pierre Lombard une réelle supériorité !

2° Conception d’ensemble et principe de division. — A lire les premiers paragraphes du 1. 1, on serait porté aussi à louer la conception d’ensemble, qui veut unifier toutes ces matières dans une imposante synthèse : conception originale qui pouvait grouper ces matières d’une manière féconde et profonde. En réalité, ce n’est qu’un essai imparfait ; le Lombard n’a pas su étreindre sa pensée et n’est pas arrivé au terme de son effort pour tout réduire à l’unité. On est loin encore du moment où le travail théologique prend conscience de son procédé, dégage sa méthode et devient une science, qui différencie nettement les choses de foi, les systématisations techniques, les interprétations et les opinions ; voir Chenu, La théologie comme science au XIIIe siècle, dans les Archives d’hist. doctr. et littér. du M. A., t. ii, 1927, p. 31, 33, etc. Examinons brièvement la conception encore confuse de Pierre Lombard.

La -division générale de la matière, en effet, est commandée par une formule d’Augustin, De doctrina christ., t. I, c. il et iv, P. L., t. xxxiv, col. 19-20 : les choses dont il faut jouir, res quibus fruendum est, celles dont il faut faire usage, res quibus ulendum est, parmi lesquelles se placent celles au moyen desquelles nous arrivons à pouvoir jouir, res per quas fruimur, comme sont les vertus et les puissances de l'âme ; celles qui jouissent et qui font usage, res quæ fruuntur et utuntur, à savoir nous-mêmes, les hommes. Après ces res, viennent les signa ; parmi ceux-ci, l’usage des uns est in significando, des autres in significando et justificando, c’est-à-dire les sacrements de l’ancienne Loi et ceux de la nouvelle, t. I, dist. I, c. 1, 2 et 3, p. 14, 15, 18, 19, 20.

Cette division revient de temps à autre dans la trame de l’ouvrage ; c’est ainsi que la doctrinf de la Trinité est introduite dès le début du 1. 1, dist. I, c. 2, avec un texte d’Augustin à l’appui, De doctrina christiana, t. I, c. iv, et à la fin de cette même distinction, c. 3 ; voir p. 15 et 20. On a dit plus haut que les mêmes idées, souvent les mêmes termes, inspirés d’Augustin (ibid.), se retrouvent dans le sermon xxvi sur la Trinité. Au début du t. IV, la même division est rappelée : his tractatis quæ ad doclrinam rerum pertinent quibus fruendum est, et quibus ulendum est et quæ fruuntur et utuntur, ad doctrinam signorum accedamus, avant que l’on ne passe à l'étude des sacrements. P. 745.

Mais, dans l’intervalle, on serait porté à croire que l’auteur n’a plus eu sous les yeux le même principe de division, car les introductions des 1. II et III, p. 306 et 550, ne font plus la moindre allusion soit aux res quibus fruimur, soit aux res quæ fruuntur et utuntur, comme le sont les créatures humaines et les anges, l’univers et ce qu’il contient, selon sa formule du t. I, dist. I, c. 2, p. 15, prise en partie à saint Augustin. Or, après le livre sur la Trinité, on s’attendrait à voir appliquer la même idée des res quibus fruimur au Verbe 1981

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PIERRE LOMBARD. CARACTERISTIQUES GÉNÉRALES

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incarné, objet de noire amour et (te notre culte, conformément à la même formule augustinienne. Ibid., p. l">. Au contraire, ces introductions s’inspirent de considérations logiques, très sensées du reste, qui proviennent, semble-t-il, d’autres sources, entre autres du module victorin ou abélardien et du Commentaire sur les psaumes. La fin de l’ouvrage, à propos des tins dernières, t. IV, dist. XLIII sq., p. 994, ne contient pas non plus un mot qui rappelle la division initiale ; la transition ou l’introduction est toute banale : postremo de condilione resurrectionis et modo resurgenlium… breviter disserendum est, ibid., p. 994 ; les quæritur ou les solet quæri, quæri potest, considerari oporlei, etc., introduisent les divers sujets. Même pour la vision béatifique, dist. XLIX, p. 1027 sq., où s’imposait pourtant le rappel de la pensée augustinienne, il n’est plus question du principe de division, res quibus fruimur. Le traité des vertus théologales et morales, rattaché à la christologie, t. III, dist. XXIII sq., p. 655-715, pas plus que celui des commandements, t. III, dist. XXXVII, p. 715-734, ne contient d’allusion aux res per quas fruimur, omission d’autant plus étonnante que le Lombard avait explicitement introduit ce classement dans sa dist. I du t. I, p. 20. La doctrine générale de la vertu, du libre arbitre et de la grâce, à propos de l’hérésie pélagienne, 1. 11, dist. XXVII, p. 444-452, ne se range pas non plus sous ce principe de division, bien que les mots uti, frËi, fructus, eussent dû fournir l’occasion à sa pensée de revenir à cette idée. En somme, l’annotateur anonyme d’Erfurt avait été plus conséquent que l’auteur, en apostillant, des courtes gloses suivantes, la petite introduction du 1. IV : (quibus fruendum) in I" libro ; (quibus utendum) in II libro ; (quæ fruuntur et uluntur) in 111° libro. Ms. 108 Amplon., fol. 215. Le Maître des Sentences a trouvé dans Augustin un texte qui lui permettait d’introduire, sous le patronage d’un grand nom, une répartition des matières qu’il avait déjà sans doute élaborée indépendamment de l’idée contenue dans sa citation. Ce n’est donc guère plus qu’un cadre extérieur qu’il a donné à l’exposé de sa doctrine ; saint Thomas a fait ressortir tout autrement la fécondité qui s’en dégageait pour une synthèse solidement échafaudée, Commentarius in Senientias, 1. 1, dist. II, divisio textus, éd. de Parme, t. vi, p. 20 ; mais Pierre Lombard n’a pas cherché, dirait-on, à en faire l’inspiration profonde et constante de sa pensée, malgré la richesse de conception qu’il pouvait y trouver. Il semble vraiment qu’il n’a voulu y voir qu’une introduction toute superficielle à son exposé.

Comme contre-épreuve de ce qui est dit ici, on pourrait ajouter qu’un commentateur et un abréviateur de P. Lombard, qui suit de très près, jusque dans ses divisions, les grandes lignes du Livre des Sentences, a trouvé le moyen de se libérer de ce principe directif des res et des signa sans rien devoir changer à l’ordonnance de l'œuvre. A la dissertation sur les res et les signa, il a simplement substitué l’idée sommaire du symbole pseudo-athanasienQui’cumçue. Noir May. Gandulphi Bononiensis Sententiarum libri IV, édit. J. von Walter, Vienne, 1924, p. 1. Là où Pierre Lombard avait rappelé son principe directif dans le cours de son œuvre, Gandulphe n'éprouve aucune peine à n’en plus souiller mot (p. 276 et 384-385). Cette idée de la possession et de la jouissance du bien absolu, de la Trinité et du Verbe incarné, fin suprême obtenue par la jouissance des fins partielles ou immédiates et par l’usage des ressources créées, n’a pas commandé la construction lombardienne, ni modelé d’une manière caractéristique les traits principaux de ses développements ; c’est à peine si elle affleure deux ou trois fois. Le même texte, et surtout la pensée qu’il recèle, eût fourni à un Hugues de Saint-Victor, ou à un saint Bernard, une

présentation tout autrement unifiée d’une théologie intimement profonde et vivante ; contentons-nous de souligner ici cette particularité, qui reviendra plus loin.

Révélation et raison.

Par contre, le principe

théologique qui commande chez Pierre Lombard la conception même de la théologie dans la question des rapjmrts entre la révélation et la raison, lui assure un réel titre de louange, qui grandit en raison même des circonstances qui l’entourent. Que la pensée d’Abélard, plus vivement discutée que jamais, entache de rationalisme les applications du système plutôt que le système lui-même, ou que l'évolution historique de ses conceptions l'écarté de plus en plus de son rationalisme néoplatonicien initial, l’on ne peut nier qu'à la base de toutes les accusations dont Abélard est constamment l’objet et des condamnations dont il est deux fois la victime, à Soissons H121) et à Sens (1140), c’est toujours l’idée de son rationalisme qui domine chez tous ses adversaires et qui demeure attachée à sa réputation et à sa doctrine. Voir l'étude originale de J. Cottiaux, La conception de la théoloyie chez Abélard, dans Revue d’hist. ecclés., t. xxviii, 1932, p. 217-295 et 533551, avec les ouvrages cités p. 249, n. 4 ; Mouvement théologique, p. 98-106, et ouvrages cités p. 99, n. 1 ; Dialectique et dogme, Fcstgube zum 60. Geburtstag Clemens Râumker, 1913, dans les Retirage, Supplementband, t. i, p. 90. Pierre Lombard, au contraire, dès le prologue de ses Sentences, professe des principes très nets sur les relations entre la science et la foi. Non pas, évidemment, qu’il les ait énoncés dans une vraie synthèse théorique ni dans un exposé d’ensemble, ou qu’il ait atteint la netteté qui distinguera en ce point la théologie du xme siècle ; mais, à propos d’applications diverses, il formule des déclarations qui permettent de reconstituer son idée. Cette idée est fort orthodoxe et très simple sans aucune des sinuosités que marque l'évolution d’Abélard : dès qu’il s’agit des choses de foi, la raison doit céder le pas, comme l’avaient dit Ambroise et Augustin. Prolog., p. 3 ; t. III, dist. XXIII, c. 7, p. 659, etc. Il reconnaît parfaitement cependant les droits de la raison, comme il l’avait déjà fait dans ses gloses sur I Cor., ix, 18-22, P. L., t. cxci, col. 1613 C, sans les pousser aussi loin que saint Anselme, bien que ses idées en ce point s’affirment parfois avec une note à première vue paradoxale. L. III, dist. XXIV, c. 3, p. 663-665.

Opposition aux dialecticiens.

L’attitude intellectuelle de Pierre Lombard vis-à-vis des dialecticiens

de son entourage dans les écoles, comme vis-à-vis des adversaires de toute ingérence dialectique ou métaphysique dans les sciences sacrées, est en fonction de ses idées sur la foi et la raison ; elle s’accuse dès le prologue. Là aussi est tracé le programme qui préside à toute l'élaboration des Sentences. Après s'être mis en garde, à l’aide d’un long passage pris à peu près verbalement à saint Hilaire. contre les interprétations malignes, le Magister Sententiarum veut, à la prière de ses élèves, donner un ouvrage qui se tiendra à égale distance des deux extrêmes, temperalo inter' utrumque moderamine uienles, fortement appuyé sur les textes des Pères et sans s'éloigner de leur pensée s’il lui arrive de parler personnellement, p. 2, 1 et 3 ; en même temps, . le volume de dimension réduite, brevi volumine, contiendra les enseignements des Pères de manière à rendre superflu le recours à de multiples ouvrages. Ibid.. p. 3. Très modéré d’expression, cet énoncé de principe se renforce, au cours des chapitres, de pas mal de déclarations contre les ratiocinatores, les elaliores où garruli ratiocinatores, les dialectici, les 'scrutatores, les argutiæ, les versutiee, etc., où l’auteur se défend de vouloir les imiter. Voir, par exemple, 1. 1, dist. U.c. 3, p. 22 ; dist. IV, c. 1 et 2, p. 40 ; dist. VII, c. 1, p. 54 ; dist. IX, c. 3, p. 68 ; dist. XLIII. c. 1, p. 263 ; dist. XLIV, c. 1, 983

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PIERRE I.OMHAIin. CARACTERISTIQUES GENERALES

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p. 269 ; I. III. dist. XXII, c. 1. p. 650, etc. Ou bien il se refuse à donner une solution personnelle, préférant demeurer dans l’indécision, par exemple : t. I, dist. Y, e. 1. p. 49 ; dist. VII, e. 1. p. 55 : dist. XIII, c. 3. p. 86 ; dist. XVI, e. 2, p. L06 ; dist. XIX. e. 9, p. 134 ; dist. XXXII, e. 0. p. 206 ; dist. XXXV. c. 7, p. 222 ; dist. XLV. e. 1. p. 271 ; 1. II. dist. XXVI 1, c. 10, p. 152 : dist. XXXV. e. 2. p. 192-493 ; I. III. dist. VII, e. 3. p. 589 ; t. IV, dist. XIII, e. 1 (Deus novit), p. 818 ; dist. XXII. c. 1. p. 888 ; dist. XXV, c. 1, p. 904-909, dist. XLV, e. 1, p. 1009. Les exemples des p. 55, 134 ; 206. 152. 589, 818. 888 sont particulièrement typiques : Pierre Lombard se dérobe, avec beaucoup de modestie du reste, au moment de donner une solution. On comprend dès lors l’appréciation attribuée au pape Innocent 111, qui. après s'être fait lire à table les Sentences du maître de Paris, violemment accusé à Rome, répondait à ces calomniateurs, au dire d’Etienne Langton : relatorem invenio, non assertorem. Glossie in historiam scholaslicam, dans le ms. Paris, lat. 14 417, fol. 156, cf. Lacombe, dans The new scholasticism, t. iv, 1930, p. 59, et Landgraf, Problèmes relatifs aux premières gloses des « Sentences », dans Recherches de theol. anc. et méd., t. iii, 1931, p. 144. L’on a été porté à croire aussi que Pierre Lombard rapportait parfois ses propres explications sous la rubrique : quidam dicunt, comme le font d’autres après lui, tels Langton, qui le dit expressément, et le magister Martinus ; voir Landgraf, article et recueils cités, p. 143-144, et Some unknoiun writings of the early scholastic period, dans The new scholaslicism, t. iv, 1930, p. 17. En tout cas, on sait la manière dont Pierre Lombard se défendait devant Jean de Cornouailles et d’autres, en opposant son asserlio, qui ne serait jamais que catholique, et son opinio. Eulogium, c. ni, P. L., t. cxcix, col. 1053 B ; voir plus loin.

Attitude modérée.

Cette attitude intellectuelle

est donc celle d’un modéré ; Pierre Lombard ne veut pas être de ces novateurs qui rompent avec la tradition ou ne tiennent ses enseignements qu’en médiocre estime ; partout chez lui s’accuse le souci de s’en tenir fidèlement aux données traditionnelles et il se défend de vouloir de ingenio suo præsumere. comme il reproche à d’autres de le faire. L. I, dist. IX, c. 3, p. 68 ; t. III, dist. V, c. 1, p. 369 ; dist. IX (fin), p. 593 ; 1. 1, dist. XXXVII, c. 3, p. 233 et 234 ; t. II, dist. XXXVI, c. 6, p. 504. Le revêtement extérieur de son œuvre trahit ce souci dès le début : il exprime très souvent sa pensée par les termes mêmes des Pères ; dès son prologue, il prend à saint Hilaire des phrases entières, à peine remaniées, p. 2, et, dans la suite, il est des séries de pages consécutives qui n’ont que quelques lignes de sa plume, tout le reste est transcrit littéralement des Pères. Le glossateur de Bamberg, Pierre de Poitiers, ou un autre, avait raison de dire que la déclaration du prologue, le sicubi vox nostra insonuit, se réduisait à peu de chose. Ms. de Bamberg, Patr. 128, fol. 28. Les textes des Pères n’interviennent pas seulement comme témoignages, auctoritates ; très souvent ce sont leurs phrases mêmes qui servent d’expression aux idées de Pierre Lombard. Plus loin, à propos des sources et de la documentation patristique, on verra dans quels écrits des Pères et des écrivains ecclésiastiques Pierre Lombard a surtout puisé ; on verra aussi que ce n’est pas aux seuls écrivains du passé antique qu’il a restreint ses emprunts ; mais qu’il a largement puisé même chez ses contemporains au point de tomber souvent dans ce qu’on appellerait aujourd’hui le plagiat.

Peu de philosophie.

Il faut ajouter que ce traditionnel n’a rien d’un philosophe. C’est une faiblesse,

<ar, en dogmatique, une synthèse sans philosophie est-elle possible ? Mais, au moment où cette synthèse parut, cette carence fut peut-être son salut ; car

l’exemple d’Abélard, de Roscelin, de Gilbert de La Porrée, et d’autres montre que le renouveau intellectuel du xii 1 e siècle, sans expérience ni direction ferme encore comme en connut le xui c, exposait ses principaux représentants à de singuliers écarts, qui devaient faire tort à l’orthodoxie et à la survivance de leurs systèmes.

Quoi qu’il en soit, Pierre Lombard, qui n’est séparé d’Anselme de Cantorbéry que par une seule génération et qui se nourrit constamment des livres d’Abélard, n’a rien de la pénétration philosophique du premier ni de l’acuité dialectique du second. Des philosophes de l’antiquité, il n’a pas l’air de se soucier : contraste étrange avec Abélard, dont certaines pages rappellent les préoccupations philosophico-religieuses des apologistes du iie siècle et de Clément d’Alexandrie. S’il cite Platon ou Aristote, c’est uniquement pour rejeter leurs idées sur l’origine du monde, t. II, dist. I, c. 1 et 3, p. 307, 308. Il a comme programme ou comme mot d’ordre de ne pas s’aventurer à énoncer une pensée trop personnelle. Par moments même, il énonce un principe absolu qui semble devoir fermer la porte à toute ingérence philosophique, t. III, dist. XXII, c. 1, p. 650, et ici c’est lui qui parle et non un de ses porteparoles habituels ; car ailleurs, habituellement, pour toutes ses conceptions, il recourt au témoignage des Pères ou des écrivains ecclésiastiques.

Sa pensée se meut dans l’ambiance d’augustinisme qui caractérise son siècle ; on hésite à l’appeler platonicien, bien que pour l'âme, motrice du corps, il semble bien se rallier à l’idée du platonisme ; encore moins est-il aristotélicien, bien que la dialectique scolaire, qu’il n’ignore pas, lui fournisse une assez grande richesse de terminologie apparemment aristotélicienne ; dans la question des universaux, il paraît se ranger plutôt du côté du réalisme, t. I, dist. V, c. 1, p. 46 ; dist. XXV, c. 2, p. 159 ; dist. XXVIII, c. 1, p. 178 ; encore emploie-t-il deux fois, pour le dire, une formule d’Hilaire, De Trinit., iv, 14, mais sans nuance bien précise, et Durand a cru pouvoir en faire un nominaliste. C’est un éclectique, qui a peu élucidé ses idées philosophiques et lui-même aurait sans doute été surpris de nous voir ranger ses vagues conceptions sous les rubriques de théorie de la connaissance, ontologie, cosmologie, psychologie, théodicée et le reste. Ce lecteur assidu d’Augustin, car il l’a personnellement étudié, n’a pas su ou voulu entrer dans les voies de son maître, même en psychologie, où Hugues de SaintVictor, si personnel et qu’il connaissait bien, lui avait cependant donné l’exemple ; il prend des formules à Augustin sur l'âme, sur son origine, qu’il attribue nettement à la création, sur ses facultés, qu’ji ne distingue pas de sa substance, mais sans profiter de ses leçons pour l’analyse psychologique.

On pourrait faire une remarque du même genre à propos des principales matières philosophiques, comme substance et accident, matière et forme, personne, à propos de la Trinité ou de l'âme humaine, causalité, libre arbitre, problème du mal, etc. Habituellement aussi, il ne remonte pas jusqu'à Boèce ou Aristote, mais se contente d’emprunter ses définitions, quand il en donne, aux intermédiaires comme Hugues de Saint-Victor. On a voulu voir en lui un négateur du principe de contradiction, t. II, dist. XXXIV, c. 5, p. 190, là où il ne fait que transcrire un texte de saint Augustin, Enchiridion, 14-15, sans nullement aller aussi loin que Pierre Damien, Opusc, xxxvi, .De divina omnipotentia, 4, Il et 15, P. L., t. cxlv, col. 595, 612, 618. En théodicée, il n’est pas beaucoup plus que rapporteur de ce que disent Augustin ou Ambroise dans leurs preuves de l’existence de Dieu, et on ne peut pas dire qu’il ait toujours bien compris le premier, t. I, dist. III, c. 1, p. 31, car il dissocie deux arguments qui,  ! jsi ;

pour Augustin, n’en font qu’un ; ce que les premiers' lecteurs de son livre ont souligné davantage encore en intitulant ce paragraphe : quartus modus vel ratio qua potuit Creator cognosci ; cf. P. L., t. cxcii, col. 529.

Forcément, surtout dans le traité de la Trinité, t. I, dist. II-XXXIV, par exemple dist. XIX, XX11I, etc., p. 125 sq., et dans celui de l’incarnation, I. III, dist. V-VII, p. 566 sq., il rencontre des locutions et des Concepts qui relèvent de la philosophie et que lui suggèrent les autorités dont il s’entoure, entre autres Bpèce, Augustin et Jean Damascène. Mais il se tient sur la réserve ; de Boèce, il ne prend qu’un texte par traité, ce qui est déjà significatif, et de Chalcidius, qui est avec Boèce un des principaux agents de liaison entre le Moyen Age et la pensée philosophique antique, il n’a guère plus. Ses diverses descriptions de la substantia, par exemple, qu’il reprend à son Commentaire sur les psaumes, lxviïi, 1-3, voir ci-dessus, n’accusent pas une haute spéculation philosophique ; et la terminologie, mal harmonisée, de ses sources occidentales et du Damascène le montre un peu dépaysé, malgré le vocabulaire de la dialectique aristotélicienne qu’il y retrouvait. Dans le traité de l’eucharistie, même attitude ; la grosse question de la conversion et celle de la permanence des accidents nous montrent l’auteur peu sûr de sa pensée, fidèlement servile au libellé d’autrui et décidé à ne pas approfondir davantage, t. IV, dist. XI, c. 1 et 2 ; dist. XII, c. 1, p. 802-804 et 808. Voir Espenberger, Die Philosophie des Petrus Lombardus iind ihre Slellung im xii. Jahrhundert, dans les Beitragc de Bâumker, t. iii, fasc. 5, 1901, p. 37, 45, 51, 65, 103, 119, etc. ; Geyer, dans Ueberweg-Geyer, Grundriss der Geschichte der Philosophie, t. ii, Berlin, 1928, p. 275.

Progressisme.

Malgré cela, ce modéré, ce traditionnel, ce timide, cet indécis, ce « plagiaire », si

l’on veut, est au fond un progressiste. Pour le juger équitablement, il suffit de le situer dans son époque. Il se rend compte des besoins intellectuels nouveaux qu’a créés l’immense essor, excessif du reste, de la dialectique ; d’autre part, il y a tout un groupe qui voudrait, par une lutte sans merci, anéantir cette tendance sous le poids de condamnations répétées. Mais le mouvement irrésistible des esprits, qui a provoqué du trouble chez beaucoup, ne peut plus être arrêté ; il n’y a plus qu'à l’endiguer, le rectifier, le modérer, de manière à l’empêcher de nuire et à lui faire porter ses fruits. Voir Dialectique et dogme aux xe -xiie siècles, quelques notes, dans la Festgabe… Clemens Bâumker, dans les Beitràge, Supplementband, 1913, p. 79-99. Esprit clair, qui voit les choses avec justesse, prudent et judicieux, Pierre Lombard sait démêler les tendances et leurs aboutissements, comme les moyens de les utiliser ou de les modérer.

Richesse d’information sur les mouvements scolaires.

Il n’est pas moins averti de tout ce qui se

pense et se dit dans les milieux scolaires. Le doit-il à son sens pédagogique ou à une longue accoutumance avec le mouvement des idées scolaires ? En tout cas, son livre dénote de réelles qualités pédagogiques, comme on peut le voir dans sa réflexion sur la répétition, t. I, dist. XIX, c. 10, p. 135, et dans son habileté à soutenir l’intérêt par des formules variées d’introduction aux nouveaux problèmes et questions. Son livre est comme une mosaïque où trouvent place, rangées dans l’ordre voulu et habituellement évaluées à leur vraie valeur, toutes les doctrines, toutes les questions et toutes les explications présentées par les maîtres contemporains. C’est une des originalités de son œuvre d’avoir pu nous donner un tableau si complet des divers avis en présence : quæri solet, quidam dicunt, hic quxritur, etc. C’en est une autre, d’avoir habituellement émis une appréciation judicieuse et .trouvé son chemin dans ce dédale. Les quelques excep tions, dont il sera question plus loin, à propos des opinions rejetées quæ communiter non lenentur, montrent seulement la difficulté de pareil choix et rehaussent le mérite du théologien qui, régulièrement, n’a pas laissé gauchir son jugement. Saint Bonaventure avait parfaitement reconnu ce mérite, Commentarius in Il am librum Sententiarum, dist. XLIV, Opéra, t. ii, p. 1016. Dire que durant des siècles la théologie catholique a vécu de ce manuel, c’est dire que son auteur, malgré quelques opinions attaquables, avait habituellement fait, entre les divers avis, une sélection qui honore son sens théologique.

II. MODE DE COMPOSITION ET MATÉRIA VX.

Avant

de placer dans le cadre des opinions contemporaines quelques-uns des détails doctrinaux de cette œuvre, il faut faire connaître son mode même de composition et les matériaux qui y entrent ; cela éclaire aussi l’enseignement théologique de cette époque. On pourra trouver quelques compléments à ce qui est dit ici et une application spéciale deces remarques aux divers chapitres sur la grâce, dans l'étude de J. Schupp, parue depuis la composition de cet article, mais qui s’appuie sur l'œuvre exégétique aussi bien que sur les Sentences, Die Gnadenlehre des Petrus Lombardus, p. 289-298.

Compilation.

Pierre Lombard est avant tout

un compilateur ; son originalité, si originalité il y a, réside exclusivement, peut-on dire, dans le choix très étendu des textes patristiques qu’il utilise et dans la sélection qu’il pratique entre les diverses opinions qu’il trouve en présence. Dans un certain nombre de cas même, où il avait à se décider, comme à propos du porrétanisme et de la simplicité divine (voir plus loin), on doit admirer chez lui les principes d’une saine théologie. Une étude approfondie de sa doctrine ne peut que lui être avantageuse de ce point de vue ; de même, la judicieuse utilisation qu’il fait des formules d’autrui, de saint Augustin spécialement, pour énoncer sa pensée.

Mais, comme mode de composition, nous ne trouvons plus rien de ce qu’on appelle personnel, et cela s’explique par le jeu même des circonstances. Venant à un moment où la défiance vis-à-vis de la dialectique et l’hostilité à toute ingérence philosophique dans les sciences sacrées se justifiaient par les écarts des écoles d’Abélard et de Gilbert de La Porrée, Pierre Lombard eut l’idée de ne pas aller au delà de l’exposé des idées de la tradition représentées par les Pères, en se tenant habituellement dans une grande réserve vis-à-vis de toute initiative de pensée personnelle. C’est ainsi que nombre de pages sont un tissu de citations des écrivains ecclésiastiques, au point que, par moments, c’est par leurs mots que s'énoncent les quelques idées qui lui sont propres. Les textes pris à dix auteurs ou ouvrages différents s’enfilent l’un à l’autre avec une habileté, apparemment même avec une aisance, qui suppose une vaste lecture et une réflexion peu commune. Souvent les quelques mots, ou les incises, parfois les phrases, qui servent de ligatures entre ces panni consuti, représentent la dixième partie tout au plus du contenu d’une page ; tout le reste est citations accumulées. On en trouverait des exemples frappants dans les dist. XX, XXI, XXIV, XXVI, XXVII, XXXII, XXXIV. XXXVII. XXXVIII, XLI, du t. II, qui sont bourrées de phrases de saint Augustin. Mais, là comme ailleurs, cette utilisation des phrases d’autrui ne va pas sans une certaine autonomie de la pensée, un sens très fin de la nuance à apporter, parfois une indépendance dans l’appréciation, qui rendent très complexe l’analyse psychologique de l’auteur et font tourner habituellement celle-ci à son honneur.

Utilisation littérale des écrits contemporains.


Il y a plus ; on vient de dire plus haut que Pierre Lombard avait collectionné en quelque sorte tous les avis

contemporains émis dans les écoles et les avait classés, rangés systématiquement et appréciés. Mais, outre cela, s’il a transcrit les Pères et répété les opinions en présence, il n’a pas hésité non plus à utiliser sans scrupule les passages des livres contemporains qui concordaient avec ses idées. Deux ou trois ouvrages se présentent ainsi dans un lumineux relief, tant l’usage qu’en fait continuellement Pierre Lombard rend indubitable l’identification : usage textuel ou littéral, durant des ligues entières ou des paragraphes entiers, comme si la question tic la propriété littéraire n’existait pas a ses yeux. Ces deux ouvrages sont le De sacramentis de Hugues de Saint-Victor et la Summa Sententiarum ; on doit y joindre les livres d’Abélard, auxquels il est fait aussi de nombreux emprunts. Enfin le Decretum ou la Concordia de Gratien est le grand réservoir de textes patristiques, principalement sur les sacrements (1. IV), tandis que le.Sic et non d’Abélard en fournit beaucoup pour les autres parties ; on doit leur ajouter la glose de Walafrid Strabon, constamment enrichie au cours des siècles, et que le Lombard mentionne sous le nom de Strabus. Mais, régulièrement, et sauf le cas de Strabus, Pierre Lombard prend son bien où il le trouve, sans jamais le dire. C’est ainsi que le De sacramentis de Hugues de Saint-Victor et la Summa Sententiarum sont constamment transcrits, et dans les recueils qui fournissaient les textes patristiques, comme la Concordia canonum de Gratien, les Dicta Gratiani ne sont pas moins pillés que les citations patristiques dont ceux-là sont le cadre.

L’on a pu identifier un bon nombre de passages qui se retrouvent textuellement ailleurs et que Pierre Lombard a copiés ; les deux éditions des PP. franciscains de Quaracchi (Florence) en 1884 et en 1916, avec le travail de Baltzer, qui s’est beaucoup servi de la première, sont très utiles pour mettre sous les yeux le procédé de composition en mosaïque dont s’accommodait Pierre Lombard. Les notes marginales de beaucoup de mss. des Sentences témoignent de l’attention donnée par les lecteurs médiévaux à ces loci paralleli ; souvent, ils parlent nettement d’emprunts, nous dirions actuellement de plagiats ; parfois, ils font même une étude qu’on serait tenté d’appeler critique, comme en contient le ms. 1206 de Troyes, et celui d’Erfurt, Amplon., in-4o, 108 ; mais il ne semble pas que les commentaires des théologiens aient tenu compte de ce caractère composite de l'œuvre ; en tout cas, ils n’y font pas ou guère allusion. Voir Les notes marginales du « Liber Sententiarum », dans la Revue d’hist. eccl., t. xiv, 1913, p. 512-536 et 705-719, et Landgraf, art. cit. plus haut des Recherches de théol. anc. et méd., t. il et iii, 1930-1931.

Emprunts avec changements de mots ou de sens.


(.e procédé d’emprunts continuels, qui emprisonne peut-on dire la pensée dans l’expression d’autrui, ou tout au moins arrête son essor libre et normal, explique sans doute plus d’une faiblesse qu’on peut remarquer dans l’ordre suivi pour chaque développement et dans le traitement homogène d’une même matière. D’autre part, il exige un examen critique minutieux, si l’on veut se rendre compte de la parfaite identité — on serait porté à dire servilité — entre le copiste et son modèle. On verra plus loin que Pierre Lombard a parfois copié, en les comprenant mal, des passages d’Augustin. D’autres fois, le changement intentionnel d’un mot modifie totalement l’idée ; on peut le voir pour la composition des sacrements qui de aut in rébus aut in verbis, etc., chez Hugues de SaintVictor, devient in rébus vel in verbis dans la Summa Sententiarum, et in rébus et in verbis chez Pierre Lombard, ce qui introduit une conception nouvelle, fortement distante de celle de Hugues. Exemple du même genre pour la définition du sacrement dès l'époque de Déranger, voir

Un chapitre dans l’histoire de la définition des sacrements au.v//e siècle, dans les Mélanges Mandonnet, t. ii, Paris, 1931, p. 79-96. Autre cas encore chez Gandulphe de Bologne, par le simple changement d’un mot à propos de la caritas, non plus mater, mais forma virtutum, voir Lottin, La connexion des vertus avant saint Thomas, dans les Recherches de théol. anc. et méd., t. ii, 1930, p. 22-30. Tout cela dénote chez les auteurs médiévaux quelques traits qui ne sont pas ceux du pur plagiaire, et des idées fort éloignées des nôtres sur la propriété littéraire. Sur tout ceci, avec quelques exemples à l’appui, voir Le mouvement théologique, p. 141-145. En somme, l’appréciation de Gerhoch de Heichersberg, proférée sans doute comme boutade, en 1163-1164, se montre d’une exactitude parfaite, dès qu’on veut approfondir un peu la recherche des sources : llle magister Petrus, egregius multarum et diversarum ecclesiasticarum et scholasticarum tam antiguarum guam et novarum sententiarum colleclor, Liber de gloria et honore Filii hominis, c. xix, P. L., t. cxciv, col. 1143 D ; pour la date, voir Sackur, dans Libclli de lite, t. iii, p. 396. Par ses gloses sur les psaumes et sur saint Paul, Pierre Lombard s'était formé la main à ce genre de composition.

Mentions anonymes des avis contemporains.


Quant aux mentions des avis contemporains et des opinions scolaires, les IV libri Sententiarum sont le recueil peut-être le plus complet du genre pour cette époque ; les allusions se suivent sans discontinuer : quæri solet, hic quæritur, hic quæri solet, quidam dicunt. L’usage, c’est vrai, en remontait plus haut ; déjà la Summa Sententiarum et les Sententiæ divinitatis, celles-ci à partir du traité des sacrements surtout, avaient mentionné beaucoup des opinions en cours. Pierre Lombard renchérit encore sur ses prédécesseurs et ne-laisse sans mention, dirait-on, aucune des questions qui se débattaient alors dans les écoles. Mais, au grand désespoir des historiens et des théologiens, jamais il ne lève le voile de l’anonymat sous lequel se couvrent tous ces quidam — le ut Gandulphus du t. IV, dist. XXIV, qui fait seul exception, est une interpolation tardive — et l’identification est souvent bien malaisée ; les gloses anciennes ont commencé à éclairer quelques-unes de ces énigmes et il y a certain espoir que ces résultats s'élargissent encore. Vers le dernier quart du xiie siècle, les glossateurs de Gratien sont moins laconiques ; Etienne Langton, Pierre le Chantre, Robert de Courson et quelques anonymes, nous livrent un bon nombre de renseignements anecdotiques, que mettent au jour les travaux de Landgraf, Lacombe, etc., et vers la fin du xiir 3 siècle comme au xive, quelques auteurs les imitent, ce qui est de précieux Recours pour l’histoire de la théologie. Mais Pierre Lombard, comme la plupart de ses contemporains, est désespérément discret..S’occupait-il seulement des idées, sans se soucier de perpétuer le nom de leurs protagonistes ? On a voulu donner cette caractéristique aux penseurs du xme siècle, ce qui n’est pas toujours exact ; elle cause, en tout cas, de fréquentes déceptions à l’historien, quel que soit le mobile qui commande leur silence.

5° L’expression « quidam dicunt ». - - Faudrait-il ajouter, comme particularité de ce mode de composition, que Pierre Lombard aurait voulu se désigner luimême, ou mieux dérober son identité, sous cette vague formule de quidam dicunt ? Récemment, on a été amené à le croire par la constatation qu’on a faite de ce procédé chez Etienne Langton, peut-être chez l 'ierre de Poitiers déjà ; Etienne Langton dit cyniquement qu’il recourt à ce subterfuge pour n'être pas ensuite accusé d’inexactitude ou d’erreur, voir Landgraf, article cité plus loin des Recherches de théol. anc. et méd.. t. ii, 1930, p. 82 ; t. iii, 1931, p. 144. Rien ne justifie jusqu’ici cette interprétation pour le cas de Pierre 1989

PIE M KI- : LOMHAKI). METHODE DE TRAVAIL

L990

Lombard. Au contraire, on pourra voir dans les listes des opinions in quibus Magister non tenetur, qu’il s’est plus d’une lois aventuré à énoncer des thèses contestables, et d’autres fois il avouait sans détour son impuissance à trouver une solution acceptable, voir col. 1983 ; dans ces conditions, on ne voit pas trop pourquoi en d’autres cas il aurait voulu se dérober sous l’anonymat, comme quarante ou cinquante ans plus tard l’a fait Langton.

Sources patristiques.

Composés à l’aide de matériaux multiples, les IV libri Sententiarum soulèvent

tout de suite une question : à quelles sources patristiques s’est alimentée la pensée théologique de Pierre Lombard ? Comme premier résultat, simple affaire de statistique, on-peut dire que les écrivains anténicéens n’ont guère été utilisés par le Magister Sententiarum, pas même Tertullien ou Irénée, qu’on connaissait encore à l'époque carolingienne ; même Cyprien, dont l’Occident possède une cinquantaine de mss. antérieurs au xme siècle, et qui avait été mis si abondamment à contribution dans les controverses des investitures, n’intervient que quatre fois ; Hermas, dont les traductions latines figurent une vingtaine de fois au moins dans les bibliothèques médiévales, n’est représenté que par un seul texte, sur le divorce ; encore est-il dû à une mauvaise transcription des collections canoniques d’Yves de Chartres, de Gratien et d’autres, qui sont, avec le Sic et non d’Abélard et la Glossa ordinaria de Walafrid Strabon (Slrabus), les grands pourvoyeurs de textes patristiques pour les Sentences. C’est ainsi qu’Origène arrive à figurer une dizaine de fois, et Jean Chrysostome, à peu près deux fois autant, l’un et l’autre grâce à la Glossa ; tandis qu’Isidore de Séville n’est représenté par aucun passage qui ne soit déjà dans le Sic et non d’Abélard. Les Carolingiens comme Bède, Alcuin, Paschase Radbert et Haymon d’Halberstadt, quels que soient les titres d’authenticité de son œuvre, ont chance d’avoir été utilisés directement ; on peut le croire aussi pour saint Ambroise, peut-être pour saint Jérôme, et pour Grégoire le Grand, mais il ne faudrait pas trop pousser l’affirmation. De l’Orient grec, nous trouvons le pseudo-Denis deux fois, saint Athanase, Hésychius, Didyme et saint Cyrille d’Alexandrie, chacun une fois, tous grâce aux recueils exégétiques. Par contre, Jean Damascène fait son entrée dans la théologie occidentale grâce à l’initiative toute personnelle de Pierre. Lombard, avec à peu près une trentaine de textes trinitaires ou christologiques ; mais ce qui est dit ailleurs suffit pour montrer que la pensée même de Pierre Lombard n’a pas pu s’inspirer beaucoup de l'œuvre du saint Thomas de l’Orient.

Par contre, la lecture de saint Hilaire doit avoir beaucoup aidé à la composition des IV libri Sententiarum, mais dans les chapitres sur la Trinité presque exclusivement ; et, d’autre part, l’abondante documentation augustinienne qui caractérise les Sentences dans chacune des parties dénote, à coup sûr, une connaissance personnelle de l'œuvre d’Augustin, représentée par une bonne soixantaine d’ouvrages, plus une dizaine d’apocryphes. Le nombre des citations authentiques atteint plus d’un millier, c’est-à-dire plus de treize fois la part d’Hilaire lequel, avec un peu plus de quatre-vingts textes, est le Père latin le plus avantagé après saint Augustin. D’une manière générale, la pensée et l’inspiration sont augustiniennes pour tout l’ensemble de l’ouvrage et on a pu dire que c’est une œuvre augustinienne. Mais, si l’on compare la façon d’Hugues de SaintVictor, intérieure et profonde, à la manière beaucoup plus gauche et un peu artificielle des Sentences, on n’hésitera pas un instant à reconnaître à la conception victorine une supériorité de fond beaucoup plus constamment proche que l’autre de la vraie

pensée augustinienne. Pour tout ceci, voir Le mouvement théologique, p. 1 13-1 18 ; / ; '/* marge des catalogues des bibliothèques médiévales, dans les Miscellanea Francesco Ehrle, t. v, 1924, p. 342-348 ;). Annat.Pierre Lombard et ses sources patristiques, dans Bulletin de litt. ecclés., 1906, p. 84-95 ; F. Cavallera, Saint Augustin et le Livre des Sentences de Pierre Lombard, dans Archives de philosophie, t. vu. 2e part., 1930, p. 186 [438J-199 [451].

Argument patristique.

L’utilisation des Pères,

on devrait dire plutôt des textes patristiques, appellerait une autre question. Quelle est la nature de l’argument patristique chez Pierre Lombard ? Qu’est-ce que Vauctoritas pour lui : 't dans l’argument de tradition ? Il n’y a pas lieu de restreindre la question à Pierre Lombard et, par suite, c’est ailleurs qu’il faut la traiter. Disons seulement que Pierre Lombard recourt fréquemment à la tradition d’une manière générale, mais, habituellement, le recours à Vauctoritas n’est pas ce qu’on peut strictement appeler l’argument de tradition ; c’est l’argument d’autorité entendu dans le sens spécial de la méthodique médiévale. L’auctorilas n’est pas limitée aux seuls auteurs inspirés, ni aux seuls Pères de l'Église : même des profanes comme Platon, Aristote, Cicéron, Boèce, peuvent entrer dans le canon des autorités et alors ils passent au rang des auteurs authentici, dont les énoncés robur auctoritatis habent, tandis que dans un degré inférieur, celui des magislri, leurs énoncés ne sont que des verba magistralia ; cf. saint Thomas. Sum. theol., Ila-II*, q. v, a. 1, ad lum. On a même cru que, pour Gandulphe de Bologne, Pierre Lombard était une auctoritas ; mais cette interprétation, admise aussi par l'éditeur von "Walter, ne peut être acceptée. Voir J. de Blic, .Sur la récente édition de Gandulphe de Bologne : Pierre Lombard est-il pour Gandulphe une « auctoritas » ? dans Recherches de science religieuse, t. xvi, 1926, p. 407-415.

Cette méthodique des auctoritates se caractérise aussi par une note conciliatrice entre les autorités, qu’il y a lieu de signaler brièvement : car Pierre Lombard, ici encore une fois disciple d’Abélard, se montre en conformité d’idées avec les tendances de son époque et la règle des eadem verba in diversis significationibus, préconisée par Abélard (Sic et non, prologue, P. L., t. clxxviii, col. 1344 D), exerce une influence durable sur toute la présentation médiévale de l’argument patristique. Pour écarter les divergences, au moins apparentes, qui mettent en opposition les textes apportés comme auctoritates, Abélard avait codifié quelques règles, au début de son Sic et non, qui complétaient les essais tentés jusque-là dans ce sens par des canonistes ou des théologiens. La dialectique y avait sa part, mais surtout un certain nombre de remarques herméneutiques, dont quelques-unes préludent de loin à ce qu’on appelle aujourd’hui la sémantique. Pierre Lombard, comme Gratien de Bologne, suit la même voie ; on peut le constater dès le début de son œuvre ; il « détermine » le sens conciliateur entre les textes divergents, quæ sibi contradicere videntur sic determinamus, t. I, dist. I, c. 3, p. 16, repugnantiam auctoritalum de medio eximere cupientes dicimus, ibid., p. 19, etc. Mais l’on ne peut manquer d’ajouter que les règles d’Abélard, qui ne sont au fond que des principes de bon sens, furent souvent mal appliquées et que Pierre Lombard en donna des exemples fâcheux ; ce en quoi il ne fut ni le premier, ni le dernier. Lui, comme presque tous les autres, il se contenta de trouver divers sens possibles, dont un au moins satisfit aux exigences de la conciliation : mais, une fois trouvé ce sens, le contrôle de l’hypothèse explicative par la recherche de la vraie pensée de l’auteur analysé n’entrait habituellement plus dans les préoccupations ; c’est la faiblesse trop réquente de l’interprétation médiévale des 992

textes. Sur tout ceci, l’on peut voir le Mouvement théologique, p. 317 mi., p. 331-338.

/II. détail dbs doctrines. Il est temps maintenant de passer en revue rapidement le détail (Us doctrines de l'œuvre lombàrdienne et, pour les mieux apprécier, de les placer dans le cadre des opinions contemporaines. Mais il faudra se restreindre à quelques matières particulières, car il serait prématuré de donner ici une étude complète de la pensée de Pierre Lombard sur chacune des grandes doctrines et des théories exposées dans le Livre des Sentences. Les travaux monographiques n’ont pas encore été pousses assez loin pour que cette enquête puisse être pleinement satisfaisante. Mais il y a avantage à dégager sur quelques points précis renseignement et la position du Maître.

Livre I.

La doctrine trinitairc de Pierre Lombard vient tout au début de son ouvrage, comme chez

la plupart des auteurs de son temps, de ceux au moins qui ont fortement subi l’ascendant d’Abélard, car le De sacramentis de Hugues de SaintVictor et les Sententiiv divinitatis de l'école porrétaine la placent plus loin. L’extension qui est donnée à ce traité se ressent de la même influence, semble-t-il ; il occupe un cinquième au moins de tout l’ouvrage, t. I, dist. I-XXXV, p. 4-219, tandis que l'école d’Anselme de Laon développait beaucoup moins la partie qui traite de Dieu et des personnes divines. L’ordre suivi est moins satisfaisant et n’a rien de la belle ordonnance des deux Sommes de saint Thomas. On serait porté à croire que, fortement imprégné des idées de saint Augustin, le Maître va suivre la marche du docteur d’Hippone. En fait, il n’en est point ainsi : il prend les textes d’Augustin à divers livres à la fois ; souvent, il revient sur ses pas et « l’ordonnance » suivant laquelle il classe les sentences ne permet guère de suivre le fil des théories, mais semble surtout « destinée à grouper ensemble des textes parallèles puisés çà et là dans ses œuvres ». On pourrait cependant, avec un peu de bonne volonté, retrouver un essai de classement entre la Trinité in fieri et la Trinité in esse ; Robert de Melun est moins satisfaisant de ce point de vue de l’ordonnance, il mêle trop aussi le De Deo uno et le De Deo trino.

Parmi les particularités à relever dans ces longs développements de trente-quatre distinctions, il y a d’abord à noter que, contrairement à Hugues de SaintVictor, dont le traité s’ouvrait par la théorie des « vestiges », Pierre Lombard commence, comme la Summu Sententiarum, par l’unité divine. C’est à l'Écriture qu’il fait profession de vouloir prendre ses premières démonstrations, et le début de son traité ne manque pas d’une certaine solennité, rehaussée d’ailleurs par des textes significatifs d’Augustin, pour inculquer la vraie marche à suivre si l’on veut procéder catholiquement. La théorie des « vestiges » y a sa place ; aussitôt après, l’utilisation du per ea quee jacta sunt, Rom., i, 20, pour la connaissance de Dieu en général, dist. III, c. 1, p. 30-31, le même texte est commenté par rapport à la Trinité ; puis, à la suite d’Augustin, l'âme humaine avec ses trois facultés, mémoire, intelligence, volonté, dist. III, c. 2 sq., p. 33-39, est le principal élément de la théorie des vestiges, avec des restrictions, du reste prises en partie d’Augustin et qui ne négligent pas les dissemblances. Ibid., p. 36. On sent que l’auteur a conscience d’avoir des adversaires et qu’il ne veut pas s’aventurer sur ce terrain sans être couvert par d’augustes défenseurs. Les idées des porrétains devaient en effet se manifester dans l’attaque de l’anonyme de Grenoble, Liber de vera philosophia, qui peu après visait a la fois la Summa Sententiarum et Pierre Lombard (<f. P. I-'ournier, Études sur Joachim de Flore, Paris, 1909, p. 68-7 1) : cet auteur niait la valeur des « vestiges », tandis que les Sententiæ divinitatis, un autre ouvrage por rétain, se ((intentait de ne pas en parler, et donnait a la révélation tout ce qu’il enlevai ! a la raison pour la preuve de la simplicité divine.

La preuve de l’existence de Dieu, traitée d’une façon très sommaire, dist. III, c. l, p. 31, et dont une citation d’Augustin, De civit.Dei, VIII, vi, /'. L., t. xi.i, col. 231, fait presque tous les frais, contraste avec les développements que lui donne un contemporain, Clarembauld d’Arras, qui écrit son Expositio super librum Boclhii de Trinitate la même année à peu près que Pierre Lombard et qui expose même avec ampleur la preuve par le mouvement, dont le Magister se contentait de faire simplement mention à la suite d’Augustin. Voir G. Grùnwald, Geschichte der Gollesbeweise im M. A., dans les Beitrùge de Bâumker. t. vi, fasc. 3, Munster, 1907, p. 44 sq. ; G. Jansen, Der Kommentar des Clarembaldus von Arras, Breslau, 1926, p. 98-99 et 83*-85*.

Les appuis tirés de l’Ancien Testament en faveur de la révélation de la Trinité dans l’ancienne Loi et que Pierre Lombard accumule dans la dist. II, c. 4, p. 2528, à la suite d’Abélard, Theologia christiana, i. 3, sont ceux qui reviendront dans toute la théologie médiévale, jusqu'à ce que les vues de Tostat, De beatissimu Trinitate, Opuscula, dans les Opéra, t. xii, p. 1-4, qui combat les thèses contraires de Raymond Martin, Pugio fidei, Leipzig, 1687, t. III, dist. I, p. 490-501, reprises ensuite par Suarez, De Trinitate, i, 10, obtiennent en fin de compte, avec quelques restrictions, l’adhésion de la plupart des théologiens de nos jours. Le texte des « trois témoins », I Joa., v, 7, est invoqué parmi les témoignages du Nouveau Testament, mais pas en premier lieu. Dist. II, c. 5, p. 29. Signalons encore à l’attention l’argumentation de Pierre Lombard pour l’absolue simplicité de la nature divine, dist'. III, c. 3, p. 38 sq., avec le parallèle, un peu plus court, qui se trouve dans la Summa Sententiarum, tract. I, c. 4, P. L., t. clxxvi, col. 47 C ; ce qui devait lui valoir l’opposition de l'école porrétaine, dont il avait bien saisi le côté faible, et finalement l’approbation du concile de 1215. Sur la discussion doctrinale, question chronologique à part, voir Chossat, op. cit., p. 92 sq., p. 135-136.

Il faudrait du reste suivre pas à pas Pierre Lombard dans chacune des questions pour reconstituer toutes les discussions scolaires de son époque ; telles, par exemple, les dist. IV et V, p. 39 et 42, qui discutent Ta fameuse question du rôle actif de l’essence dans la génération du Fils, utrum essentiel genuerit essentiam, discussion célèbre où s'était déjà distingué Lotulphe de Novare contre Abélard, où Richard de Saint-Victor prendra, avec une nouvelle définition de la personne, une position différente de celle de Pierre Lombard. Voir, sur cette question et la portée de la condamnation du concile de 1215 contre Joachim de Flore, Th. de Régnon, Études de théologie positive sur la sainte Trinité, IIe série, Paris, 1892, p. 245-2£6 ; Petau, Dogmata theologica, De Trinit., vi, 10 sq. ; Ceillier, Histoire des auteurs ecclés., t. xxii, p. 158, et t. xxiii, p. 17-18. Il en va de même pour reconstituer toute la marche qu’a suivie l'élaboration du traité de la Trinité au xiie siècle ; chaque question à peu près ferait remarquer dans quelle mesure un progrès, un complément, une précision de détail est apportée par le Maître des Sentences ou tout au moins sanctionnée par son autorité, comme pour les propriétés des personnes, les notions, les relations, etc. Voir Schmaus, Der « Liber propugnatorius » des Thomas Anglicus und die Lehrunlerschiede zwischen Thomas von Aquin und Scotus, dans les Beitrâge de Paumker, t. xxix, 1930, p. 18, 386, etc.

Contentons-nous de noter encore la dist. XI, p. 7981, à propos de la procession du Saint-Esprit et de l’harmonie de croyance entre (, rccs et Latins : mais

Pierre Lombard l’appuie, non pas sur l’analyse de la formule grecque a Paire per Filium, mais sur l’expression Spiritus Filii et l’apport de quelques textes, dont plusieurs apocryphes ; ici encore, AhélanI lui servait de modèle. P. L.. I. clxxvhi, col. 1303.

La théologie du Saint-Esprit, très développée dans le Livre des Sentences, où elle prend plus de dix distinctions, X-XIX, et ensuite passim. appellerait plus d’une étude ; Pierre Lombard y soulève beaucoup de questions, y avoue plus d’une fois son ignorance, comme à propos de la nature de la « notion » du l'ère cl du Fils, principe du Saint-Esprit : Yunica spiratio que consacrera le IIe concile de Lyon en 1274, Dcnzinger, n. 460, lui est encore inconnue. Dist. XXIX, c. 4. Faisons remarquer encore l’importante et intéressante question de l’habitation du Saint-Esprit en nous et de l’identification du Saint-Esprit avec notre amour de Dieu et du prochain. Dist. XVII, p. 106 sq. Objet de diseussions fréquentes dans les traités anciens et modernes de théologie, comme dans nos manuels contemporains, la doctrine de Pierre Lombard a suscité beaucoup d’intérêt ; l'étude de ses sources, pour un avis si original, a commencé à attirer l’attention. Cette étude, qui en grande partie est encore à faire, aboutirait vraisemblablement à dire que la peiisée de Pierre Lombard s’est petit à petit formée au contact des textes de saint Augustin, dont elle a plus ou moins forcé ou déformé la portée, et cela entre la composition du commentaire sur saint Paul et celle des Sentences. Les sources grecques seraient sans doute à écarter, tout attirantes qu’elles soient à première vue. S’est-il inspiré de quelques brefs énoncés de Cassien, du moine Candidus, de Paschase Radbert ? ou aussi de quelques contemporains ? Toujours est-il qu'à la manière dont il parle et se défend, on sent qu’il a rencontré une opposition, qu’après lui, en dépit de quelques adhésions enthousiastes comme celle de Bandinus, ont vigoureusement renforcée Gandulphe et Simon de Tournai, et que, bientôt, l’ensemble des théologiens allait rendre définitivement triomphante. Voir J. Schupp, Die Gnadenlehre des Pelrus Lombardus, p. 216-242, et les articles mentionnés dans notre bibliographie, études spéciales.

L’enseignement d’Augustin, du reste, est partout à la base de la doctrine lombardienne, aussi bien à propos du sens absolu qu’il est porté à donner au mot persona, dist. XXV, c. 1-3, p. 156-163, que pour l’interprétation psychologique de la Trinité, qu’il lègue à tout le Moyen Age, et pour les autres problèmes trinitaires. Parfois, il lui arrive de compléter ou d’interpréter heureusement le Maître, par exemple dist. VII, c. 1, p. 55, à propos du texte Contra Maximinum : neque non potuit sed non oportuit ; mais une étude des sources très minutieuse serait indispensable pour être sûr que ce titre de gloire ne revient pas à un autre de ses modèles. Voir Schmaus, Die psychologische Trinitàtslelire des heil. Augustinus, dans Mùnsterische Beitreige zur Théologie" t. xi. Munster, 1927, p. 144, 149, 148, 119, etc. Pour tout l’ensemble de la doctrine trinitaire, il est surprenant que le Maître des Sentences n’ait utilisé Jean Damascène que dans la seconde moitié de son traité, à partir de la dist. XIX. On s'étonne aussi qu’il n’ait pas plus recouru directement à Boèce, qu’il ne cite guère, et aux conciles de Tolède, si étonnamment nourris et si riches en exposés trinitaires, dont il n’invoque que deux fois le témoignage et cela à propos de l’incarnation, t. III, dist. V, c. 1, p. 567, et pas à propos de la Trinité. Son attitude dans la question de la distinction numérique des personnes, dist. XIX, c. 10, p. 135, se rapproche de celle de Clarembauld d’Arras, op. cit., p. 51*, contre la théorie de Gilbert de La Porrée, ibid., p. 133 ; la solution pour la persona. dist. XXIV et XXV, p. 154, 160-163,

entendue dans le sens de subsislentia, liyposlasis chez les Grecs, contre les porrétains, est devenue classique. Voir Chossat, op. cit., p. 136-139.

Dans les dernières distinctions du 1. I qui traitent de diverses matières du De Deo uno, on remarquera les idées sur la prédestination, qui pourraient être mieux groupées et mieux étreintes. Dist. XXXV, c. 1 et 7 ; dist. XL. et passim ; dist. XLYI, XL II, p. 220, 2 19, 278, 287, etc. (.'est plutôt une juxtaposition de sentences qu’un exposé systématiquement construit ; voir plus loin, à propos de la grâce. A mentionner encore, comme exemple de rectitude théologique, l’opposition à l’optimisme abélardien. Dist. XLIII, p. 263. Mais ici, encore une fois, comme en maint autre endroit, les guides du Lombard, à savoir Hugues de Saint-Victor et l’auteur de la Summa Sententiarum, dont le Magister Sententiarum copie la pensée et habituellement l’expression, peuvent revendiquer pour eux le principal mérite de ces énoncés.

Livre II.

Cette analyse théologique du I er livre,

toute fragmentaire qu’elle soit, a permis d’apprécier le genre de Pierre Lombard et son attitude dans les questions doctrinales du moment. Dans le IIe livre, il y aurait aussi pas mal de choses à relever, à propos de la création, voir ici, t. iii, col. 2082, de l’angélologie, t. i, col. 1223-1227 et 2143, de l'œuvre des six jours, t. vi, col. 2339, de l'âme et de l’anthropologie, t. i, col. 1006, du péché originel, de la grâce et du péché. Signalons la circonspection du Magister à propos de la complète incorporéité des anges, dist. VIII, c. 1, p. 340-341, qui répond à l’attitude qu’il a prise dès le livre I, dist. VIII, c. 4, p. 61-62 ; elle s’explique du reste facilement par la réaction de Gilbert de La Porrée contre le mouvement commencé sous Anselme de Laon et Hugues de Saint-Victor en faveur de la simplicité de la nature angélique. Voir Lottin, La composition hijlémorphique des substances spirituelles, dans Revue nco-scolastique, t. xxxiv, 1932, p. 22-24. Mentionnons encore son affirmation à propos de l’ange gardien, dist. XI, c. 1, p. 353-355 ; la netteté de sa réponse à propos de la création de l'âme, dist. XVII, c. 1, p.- 382-383, appuyée du reste sur le De Genesi ad littéraux d’Augustin, et qu’il faudrait rapprocher de la dist. XXXI, p. 468, sur la transmission du péché originel ; les questions relatives à la prévision de la chute et qui auraient pu venir plus haut avec la prédestination, dist. XXIII, c. 7, p. 416-417, et dist. XXXII, c. 6, p. 478 ; et surtout le grand traité du péché originel, dist. XXX-XXXIII, p. 460-487, avec les dist. XXIXXIII, p. 403-419, qui traitent de la chute d’Adam. Pierre Lombard se rallie à l’idée d’Augustin, qui domine d’ailleurs toute la préscolastique, et qui fait consister le péché originel dans la concupiscence coupable. Sans se ranger avec Abélard pour le debitum pœnæ œternæ, il se tient aussi éloigné de saint Anselme qui, le premier, introduit l’idée de la privation de la justice originelle, voir Espenberger, Die Elemente der Erbsùnde nach Augustin und der Frùhscholastik, dans les Forschungen zur christlichen Literqtur-und Dogmengeschichtc, t. v, fasc. 1, Mayence, 1905, p. 58, 85, etc., 126-137, 183, etc. ; c’est au xme siècle qu’est réservé le grand progrès en ce point, entrevu ou esquissé par saint Anselme ; voir aussi R.-M. Martin, O. P., Les idées de Robert de Melun sur le péché originel, dans Revue des sciences philosophiques et théologiques. t. vii, 1913, p. 700-725, surtout 723-725.

L’importante question de la grâce, avec celle du libre arbitre, dist. XXV, est rattachée à la chute d’Adam. Dist. XXIV, XXVI-XXIX, p. 419-460. L’auteur ne traite là que de ce que nous appelons la grâce actuelle ; il y a quelques allusions à la grâce sanctifiante en somme, moins le nom, dans ce qui se rencontre à propos de la charité et de l’habitation du Saint-Esprit, au 1. I 199 :

    1. PIERRE LOMBARD##


PIERRE LOMBARD. DOCTRINES

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ou au I. III. Mais d’autres parties des Sentences contiennent aussi des questions relatives à la grâce, comme à propos de la grâce donnée aux anges, t. II, dist. IIVII surtout, de la fin surnaturelle, t. I, dist. I, t. II, dist. I. t. IV, dist. XLIX, de la prédestination, réprobation et prescience, t. I, dist. XL, XLI et XXXVIII, du premier homme au paradis, t. II, dist. XVI sq., surtout XIX-XXIII, de la chute originelle et de ses suites, 1. II. dist. XXX-XXXIII, du péché, dist. XXXVI, etc., de la justification, du mérite, des vertus, des dons, des degrés préparatoires, de leur connexion, etc., de l’application par les sacrements, etc., t. III, dist. XVIII, etc., XXIII, XXVII, XXXI-XXXVI, 1. IV. dist. IV, XIV-XXI, etc., où l’on trouvera diverses contributions souvent importantes. On pourra y joindre, pour s'éclairer, un grand nombre de passages de l'œuvre exégétique, surtout du commentaire sur saint Paul, qui aide à mieux connaître l’idée de Pierre Lombard, à retrouver les sources et l'évolution de sa pensée et à suivre les progrès de sa doctrine. Le travail déjà cité de Schupp a abondamment utilisé ces Collectanea. Mais il faudra distinguer entre les citations et le texte personnel du Lombard et ne pas oublier que la pensée théologique du Magister s’est principalement et finalement énoncée dans ses Sentences, qu’elle s’y montre plus claire et plus fixée et que c’est par là qu’elle a surtout influencé l’enseignement universitaire médiéval. Cette pensée, qui a exploité, trop exclusivement peut-être, une des caractéristiques d’Augustin, est beaucoup plus empirique et psychologique, a-t-on dit, que métaphysique ; d’instinct à peu près plutôt que par une marche spéculative, il arrive à saisir la vraie note. Insuffisance du plan, manque de vue d’ensemble, terminologie laborieuse, réserves ou réticences trop fréquentes, exégèse fourvoyée par l’allégorisme, tels sont les reproches qu’on peut faire à son exposé, malgré ses progrès sur le commentaire de saint Paul. Par suite, il laisse beaucoup encore à faire à ses successeurs : nature et surnaturel, essence de la grâce, grâce actuelle et habituelle, suites du péché originel, corollaires de la justification, espèces du mérite, etc., mais surtout la synthèse de la construction et ses fondements métaphysiques. Mais il a montré son sens théologique en dégageant, habituellement avec netteté, les principales positions catholiques et en rejetant avec la plus grande énergie, grâce à un coup d'œil qui accuse une réelle pénétration, les idées erronées d’Abélard ou celles des gilbertins ainsi que leurs suites ou leurs prémisses. Sur tout ceci on peut voir la forte étude déjà citée de Schupp, passim, conclusion, p. 287-289, 298-302.

Pierre s’inspire beaucoup d’Augustin, de la Summa Sententittrani et d’Hugues de Saint-Victor. S’il a été initiateur en introduisant certaines considérations dans le courant scolaire grâce à son Commentaire sur Paul, voir Landgraf, Studien zur Erkenntnis des Uebernalùrliclien in der Frùhscholastik, dans Scholaslik, t. iv, 1929, p. 11, 17, il faut reconnaître qu’il ne pénètre pas le problème de la conciliation entre la grâce et la liberté. Son contemporain, Robert de Melun, a des idées beaucoup plus nettes et tranchées ; dom Mathoud, qui avait songé à éditer l'œuvre, le faisait déjà remarquer ; voir sa note à propos des sentences de Robert le Poule dans /'. L.. t. clxxxvi, col. 1015 C, et R. Martin, O. P.. L’oeuvre théologique de Robert de Melun, dans la Reime d’hist. ecclés., t. xv, 1914-1920, p. 480-481. Sur ces mêmes matières de la grâce, du mérite, etc., la comparaison avec d’autres auteurs de la préscolastique montre que Pierre Lombard est loin d'être complet et n’est pas toujours net. Landgraf, Die Vorbereitung auf die Rechlferligung und die Eingiessung der heiligmachenden Gnade in der Frùhscholastik, dans Scholastik, t. vi, 1931, p. 65 sq., 483 sq., 355 sq., etc.

A propos du libre arbitre, dist. XXIV, c. I, p. 119, et dist. XXV. c. 1-9, p. 428-436, on remarquera sa définition prise, sans le dire, à Boèce, sans doute par l’intermédiaire d’Abélard, la manière dont il conçoit la liberté en Dieu et les quatre stades ou états de la liberté avant ou après la chute ; ce qui est pris directement à la Summa Sententiarum, III, 9. Mais, avant cela, dist. XX IV, c. 3, p. 421, il avait donné une autre définition, qui s’inspire des Sententi ; e divinitatis et se ressent de la condamnation de Sens en 1 140 ; il s’essaie. pas toujours avec succès, à harmoniser des inspirations diverses prises à Abélard, au Victorin et à la Summa Sententiarum. Voir O. Lottin, Les définitions du libre arbitre au XIIe siècle, dans Revue thomiste, nouv. série. t. x, 1927, p. 118-120.

La fin du 1. II contient un certain nombre de doctrines dont le développement, au xiie siècle et ensuite, soulève actuellement pas mal d’intérêt. Signalons la théorie de Pierre Lombard des mouvements premiers de l’appétit sensitif, dist. XXIV, c. 4, 9-10, p. 421427 ; sa solution sévère appuyée apparemment sur Augustin, ou plutôt encadrée de phrases d’Augustin, sera prise tout un temps pour celle même du docteur d’Hippone. Voir O. Lottin, La doctrine morale des mouvements premiers de l’appétit sensiti/ aux.XIIe et XIIIe s., dans les Archives d’hist. doctr. et litt. du Moyen Age, t. vi, 1932, p. 51 sq. ; Th. Deman, Le péché de sensualité, dans les Mélanges Mandonnet, t. i, Paris, 1930, p. 265-283.

Sa théorie sur le péché véniel et la différenciation entre le péché véniel et le péché mortel, prend pour base les diverses puissances de l'âme (comment les distingue-t-il et dans laquelle des deux catégories de Jean de Salisbury, Metalogicus, iv, 9, P. L., t. cxcix, col. 922 A, se place-t-il ? Il n’est pas aisé de le démêler, si on’rapproche de cette dist. XXIV, la dist. III, c. 2, du t. I, p. 33-35). II admet et précise la solution classique du xiie siècle : le péché véniel et le péché mortel se différencient d’après la puissance de l'âme où chacun a son siège. Voir Landgraf, Das Wesen der lasslichen Sùnde in der Scholastik bis Thomas von Aquin, Ramberg, 1923, p. 26-27 et passim.

A propos de cette classification des puissances de l'âme, dist. XXIV, c. 3-5, p. 421-422, Pierre Lombard ne connaît rien de l’analyse faite par le Damascène dans le De fide orthodoxa, du processus psychologique de l’acte humain, et il faudra attendre jusqu'à Hugues de Saint-Cher pour que la scolastique s’en inspire. Voir O. Lottin, La psychologie de l’acte humain chez saint Jean Damascène et les théologiens du XIIIe siècle occidental, dans la Revue thomiste, nouv. série, t. xiv, 1931, p. 636-637 et 658-659.

Le traité du péché actuel et celui de la moralité des actes en général, rattaché au péché depuis Abélard, donne lieu à quelques constatations intéressantes, dist. XXXIV sq., qui montrent le rôle de Pierre Lombard dans l'évolution des doctrines, notamment dans son opposition à Abélard à propos de l’intention et de l’acte extérieur, comme aussi sa place, bien minime, dans la préparation du traité de la syndérèse, scintilla rationis, dist. XXXIX, c. 3, p. 517, qui sera élaboré par ses disciples, Pierre de Poitiers et d’autres, Philippe de Grève, etc. Voir Lottin, Les éléments de la moralité des actes dans les écoles avant saint Thomas, Les premiers linéaments du traité de la syndérèse au Moyen Age, Le fondateur du traité de la syndérèse au Moyen Age, dans la Revue néo-scolastique, t. xxiv, 1922, p. 25 sq., 32-36 et 62-65 ; t. xxvi, 1926, p. 422-425, et t. xxvii, 1927, p. 197, etc.

3° Livre LU. - — Ce livre, qui comprend surtout la christologie, prêteà des remarques non moins suggestives. Pour ne pas prolonger cette revue, signalons seulement quelques points, et d’abord, l’emploi beau

coup plus fréquent de l'œuvre du Damascène, qui figure en christologie avec une vingtaine de citations, tandis que le traité de la Trinité n’en avait que huit. Voir Mouvement théologique, p. 241..Mais cela ne veut pas dire que Pierre Lombard se soit imprégné de la mentalité grecque de son modèle OU qu’il se soit assimilé profondément les conceptions damascéniennes, comme on peut le constater par exemple chez saint Thomas à propos de certains ouvrages de saint Cyrille ou de.Jean Damascène. Voir J. Backes, Die Christologie des heil. Thomas und die griechischen Kirchenvater, dans les Forschungen zur christlichen Literaturund Dogmengeschichte, t. xvii, fasc. 3-4, Paderborn, 1931, p. 123, 127 sq. La part de saint Augustin, qui n’a pas écrit d’ouvrage spécial sur la christologie, n ! a plus, évidemment, la même prépondérance que dans les trois autres livres.

Une autre constatation s’impose aussi : en christologie, malgré ses nombreux emprunts textuels à Hugues de Saint-Victor, le Lombard se ressent fortement de l’enseignement d’Abélardet, dans l’ensemble, pour l’union des deux natures et ses corollaires, il est beaucoup plus voisin d’Abélard que du Victorin, malgré quelques précisions et perfectionnements de détail qu’il apporte aux doctrines victorines. Tout l’exposé christologique, fortement disséqué ou dispersé en petites questions, qu’alimente ou mieux que dessèche la dialectique envahissante du xiie siècle, se range donc du côté de ce qu’on a appelé les christologies dialectiques, par opposition à un autre groupe improprement nommé les christologies mystiques. L’on y trouve, sans doute, un bon nombre des principales thèses de détail qui se perpétueront, souvent précisées, complétées et perfectionnées, dans la dogmatique catholique. Mais plus rien n’y rappelle l’exposé si pieux, si ferme et si synthétique d’Hugues de Saint-Victor et, comme ensemble, la rançon de quelques rectifications à l’enseignement d’Hugues, qui accentue trop l’identité entre le Verbe et l’humanité du Christ, se trouve dans une présentation incomplète de l’union personnelle : insuffisance qui vicie toute la christologie du xii c siècle, et que ne rachètent pas chez Pierre Lombard des développements plus ou moins personnels et des discussions plus étendues que dans les autres livres.

Ces remarques aideront à saisir plus exactement le contenu des dist. VI-XI, p. 573 sq., où se rencontre l’exposé des trois systèmes sur l’union hypostatique, dist. VI sq., p. 573 sq., qui se partagent tout l’enseignement christologique du xiie siècle, jusqu'à ce que saint Thomas, par son analyse, In 1 1 I am Sent., dist. VI, remette chaque chose à sa vraie place. Une espèce de commentaire théologieo-historique des dist. VI et VII est donnée par un contemporain, Jean de Cornouailles, Eiilogium ad Atexandrum III, dont il sera question col. 2003. Cf. P. L., t. cxcix, col. 10431086. On devra voir aussi la dist. IX, p. 591, à propos de l’adoration de l’humanité du Christ, exposé d’une fermeté contestable ; car, en somme, Pierre Lombard, qui y introduit un texte du Damascène plus net que ses propres prémisses christologiques, ne dit pas franchement qu’il tranche la question dans le sens de la seconde solution, celle du Damascène et d’Augustin ; toutefois, il a trouvé grâce devant Eberhard de Bamberg, qui tempère l’ardeur combattive de Gerhoch de Reichersberg, en le renvoyant à ce passage des Sentences. Epist., xvi, P. L., t. exem, col. 562 A sq. Puis, vient la dist. X, sur le nihilisme christologique, erreur maîtresse du système christologique abélardien, admise par Pierre Lombard et qui niait non pas la réalité du corps et de l'âme de Jésus-Christ, mais l’union substantielle qui permet d’affirmer l’identité personnelle du Verbe avec cette humanité ; de là aussi.

comme corollaire, l’adoptianisme et les virulents débats dont l’un et l’autre, nihilisme et adoptianisme, furent l’objet à Borne (Adam, chanoine du Latran), en Bavière (Gerhoch et ses frères, Folmar, etc.), en France (conciles divers), pour aboutir, en 1177, à la condamnai ion d’une formule enseignée jadis par Roland Bandinelli, reprise par Pierre Lombard et finalement proscrite par son auteur devenu pape sous le nom d’Alexandre III. Denzinger, n. 393, et Corpus juris, Décret., t. V, tit. vii, c. 7, Friedberg, t. ii, col. 779.

D’autres questions mériteraient encore attention, comme celle de la science du Christ, dist. XIII et XIV, p. 603 sq., avec des solutions qui complètent ou rectifient, par l’admission d’une science créée, ce que Hugues de Saint-Victor et en partie la Summa Sententiarum avaient dit de la science infinie et incréée de l’humanité du Christ, ou comme celle du mérite du Christ sibi et nobis, de la dist. XVIII, p. 628 sq., ou comme celles du Christ au tombeau, des dist. XXIXXI 1, p. 6Il sq., le Christ au tombeau était-il encore homme ? l'âme ou le corps fut-il séparé du Verbe ? Dans ces questions, qui passionnent tous les auteurs du xiie siècle et qu’ils traitent souvent fort dialectiquement, même Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, t. II, pari. I, c. xi, P. L.. t. ci.xxvi, col. 409-410, il est surprenant qu’au lieu de s’en tenir a un texte de saint Ambroise, ibid., p. 645, le Lombard n’ait pas recouru à l’idée de saint Hilaire. sinon à celle de saint Athanase, qui avait résolu le problème dans le sens négatif de saint Ambroise. Voir J. Lebon, Une ancienne opinion sur la condition du corps du Christ dans la mort, dans la Revue d’hist. ecclés., t. xxiii, 1927, p. 10-11, 15-43 et 209-241.

Dans le traité de la rédemption, très court du reste, dist. XIX-XX, p. 634-644, il y a plus et mieux que la doctrine trop subjective d’Abélard, mais rien encore de la puissante conception de saint Anselme, qui ne triomphera que vers la fin du xiie siècle. Voir J. Rivière, Le dogme de la rédemption, essai d'étude historique, Paris, 1905, p. 346-351 et 475-478. Sur ces matières christologiques, voir ici art. Abélard, t. I, col. 53 ; art. Adoptianisme au xiie siècle, t. i, col. 413-418 avec les auteurs cités ; O. Baltzer, Beitriïge zur Geschichte des christologischen Dogmas im XI. und xiI. Jahrhundert (en le corrigeant), dans les Studien zur Geschichte der Théologie und der Kirche, t. ii, fasc. 1, Leipzig, 1898 ; J. Bach, Die Dogmengeschichle des Mittelalters vom christologischen Standpunkte, t. n. Vienne, 1875, passim.

Le traité des vertus, on l’a vu plus haut, se rattache à la christologie, par la question : Si Christus habucrit /idem, spem et carilatem, dist. XXIII, p. 655 ; après les vertus théologales, Pierre Lombard passe aux vertus cardinales, dist. XXXIII, p. 697, et aux dons du Saint-Esprit, dist. XXXIV, p. 699, toujours avec la même question qui marque le point de suture : utrum in Christo fuerint, p. 697 et 700. La place de ces traités est en général la même dans les œuvres du xiie siècle : espèce de compromis, dirait-on, plus ou moins réussi, entre l’ordre réalistico-historique d’Hugues de SaintVictor et le classement dialectique des autres écoles. Certaines vertus sont étudiées très brièvement, telle la prudence ; il en sera ainsi jusqu'à Guillaume d’Auxerre ou mieux jusqu’au chancelier Philippe de Grève ; voir dist. XXXIII, p. 697, et Lottin, O. S. B., Les débuts du traité de la prudence au Moyen Age, dans Recherches de théologie ancienne et médiévale, t. iv, 1932, p. 270 sq.

L’identité ou la distinction entre les dons du Saint-Esprit et les vertus est une question qui n’a guère beaucoup retenu Pierre Lombard. Comme Hugues de Saint-Victor, il ne les distingue pas réellement, De sacramentis, t. II, part. XIII, c. n P. L., t. ci.xxvi,

col. 527, et 1. Ill.disi. XXXIV, c. 2, p. 699 : ce que ses

commentateurs comme (iandulphe de Bologne, Sententiariun libri IV. édit.von W’alter.l. III, § 126 el 1 14, p. : <67 et 381, et Pierre de Poitiers, Sententiarum libri Y. t. III, c 17. P. /… t. ccxi, col. 1078-1080, ne feront pas davantage. Ce qui est plus curieux, c’est qu’un des inspirateurs les plus constants de la pensée lombardienne. l’auteur de la Siunma Sententiariun, 1. III. c. 17, P. L.. t. CLXXvi, col. 114, avait pris la solution opposée, admise aussi par Jean de Salisbury, si celui-ci est vraiment l’auteur du De septem septenis, .">. P. L., t. cxcix, col. 95 I. et le Lombard n’y fait pas allusion, tant il se contente d’un long extrait de saint Ambroise. Lottin, Les dons du Saint-Esprit chez les théologiens depuis Pierre Lombard jusqu'à saint Thonyis. dans les Recherches de théol. anc. et méd., t. i. 1929, p. 41-42. Pierre Lombard insiste sur la crainte et ses diverses sortes, servilis, initialis, castus, comme tous ses contemporains, dist. XXXIV, c. 4-9, p. 701707 : il consacre une distinction entière aux dons d’intelligence et de sagesse, dist. XXXV, p. 707-710, ce qui montre la place qu’il leur reconnaît dans la vie surnaturelle, Ch. Bôckl, Die sieben Gaben des hl. Geistes in ihrer Bedeutung fur die Mystik, Fribourgen-Br.. 1931.

La définition des vertus et leur connexion, dist. XXXVI, p. 711, est un autre problème qui permet de saisir une fois de plus les positions de Pierre Lombard et les progrès réalisés ensuite. Comme toute la tradition qu’il suit, il est net pour la connexion, mais sa définition vise surtout les vertus infuses, et pour lui il n’y a pas de différence entre la vertu et la grâce, voir I. II. dist. XXVII, c. 5, 6 et 10. Ce n’est que plus tard, avec Philippe de Grève, qu’on distinguera entre les vertus infuses et les vertus acquises et pour celles-ci on niera la connexion. Voir O. Lottin, La connexion des vertus avant saint Thomas, dans les Recherches de théol. anc. et méd., t. 11, 1930, p. 23, 29, 30, 40, etc. ; Les premières définitions et classifications des vertus au Moyen Age, dans la Revue des sciences philos, et théol., t. xviii, 1929, p. 370-371.

! Livre IV. — La chose importante que présente le I. IV est d’abord la synthèse de la doctrine des sacrements, qui est définitivement enchâssée dans l’ensemble de la théologie, comme on l’a vu plus haut ; on peut en dire autant de la doctrine des fins dernières.

Cette partie sacramentaire, dont la documentation surtout et quelques idées sont grandement tributaires de la Concordia de Gratien, ne peut être interprétée dans le sens d’une brisure dans la ligne traditionnelle, le Décret de Gratien, dans cette explication, représentant, comme dernier témoin, l’ancienne conception primitive sacramentelle et ecclésiastique. Cette thèse de R. Sohm, Dus altkatholische Kirchenrecht und das Dekret Gratians, Leipzig, P.) 18, aussi spécieuse que sensationnelle, a été, après un moment de surprise, généralement rejetée et ses preuves estimées fausses ; qu’il suffise de rappeler, avec les interventions de Gôller et de Stutz, la longue étude de Fr. Gillmann, Einteilung und System des Gratianischen Dekrets, dans VArchiv jùr kath. Kirchenrecht, t. evi, 1926, p. ~2.

La synthèse sacramentaire présente une caractéristique qui la différencie, au premier coup d’oeil, des autres essais contemporains ou antérieurs. D’abord, elle mentionne et décrit explicitement l’ordre et le mariage, qui manquaient a la Summa Sententiariun ; elle en fait autant pour les deux sacrements qu’ignorait la nomenclature d’Ahélard et auxquels son école avait pratiquement donné peu d’attention, bien que, en divers endroits de son œuvre, le maître du Pallet en eût parlé, a savoir la pénitence et l’ordre. Puis, elle laisse de côté tous les objets et rites qui avaient si longtemps figuré dans les listes, complètes et incom plètes, des sacrements, c’est-à-dire des sacramentaux, le mot qui devait les distinguer n’apparaissant qu’alors. Pierre Lombard, qui n’ignorait évidemment pas le vieil emploi du mot, puisqu’il parle de sacramentorum ecclesiasticorum notilia, du sacramentum fidei et du sacramentum Trinitatis. prologue ; t. III, dist. XXII, c. 1, et 1. 11, dist. I, c. 6, p. 1, 650 et 312, et des sacramentel Judseorum, Collectanea in epistolas sancti Pauli, 1 Cor., ix, 18-22, P. L., t. c.xc.i, col. 1614 C, et qui emploie le mot sacramentalia, I. IV, dist. VI, c. 7, p. 784, bien avant Alexandre de llalès, habituellement, mais à tort, regardé comme l’initiateur de cette locution, ne semble même pas se soucier ou se souvenir de tous ces sacramenta minora ; ce en quoi il est fidèle à l’exemple d’Abélard. Mais cette abstention, qui est tout à fait contraire à la synthétique exposition d’Hugues de Saint-Victor, ne laisse pas que d'étonner. Aussi un glossateur, dont l'écrit se place dans les vingt années sans doute qui suivent l’apparition des Sentences, ne manque pas de le constater par cette note intéressante : Nota quod hic principalia sacramenta enumerantur de quibus specialiter tractabitur, de minoribus vero… ut aqua benedicta et sacramentum eineris et hujusmodi, tacetur, ms. de Bamberg, Patr. 128, fol. 3 r°. A l'époque de Pierre Lombard, on rencontre déjà le mot sacramentalia. employé avec un sens juridique dans une charte de 1143. Cf. Pour l’histoire du mut "Sacramentum », 1. 1, p. 27, n. 3, dans le Spicilegium sacrum Lovaniense. fasc. 4, 1924.

L’affirmation septénaire, qui apparaît dans son énumération si ferme, dist. II, c. 1, p. 751, est une des premières qui se rencontre : résultat doctrinal dû beaucoup moins à l’analyse dialectique qu’aux effets d’une longue pratique qui mettait en évidence les rites auxquels s’associait l’idée salvifique. Les courtes formules d’introduction ou de groupement, employées par Abélard, par Hugues de Saint-Victor et par les Sententise divinitatis de l'école gilbertine et qu’on a rappelées ci-dessus, orientaient dans cette direction. Un peu plus tard, les gloses des premiers glossateurs et commentateurs de Gratien, à partir -de Kufin d’Assise, devaient revenir à ces anciens groupements si amplement décrits par Hugues de SaintVictor, en intégrant sacrements et sacramentaux, sacramenta principalia et sacramenta minora, dans la quadrijormis species sacramentorum, qui eut son demi-siècle de célébrité. Sur tout ceci, ' voir Mouvement théologique, p. 359-369 ; Geyer, Die Siebenzahl der Sakramente in ihrer historischen Entivickelung, dans Théologie und Glaube, t. x, 1918, p. 325-348 ; Gillmann, Die Siebenzahl der Sakramente bei den Glossatoren des Vratianischen Dekrets, dans Der Katholik, tiré à part remanié et développé, t. 11, JVIayence, 1909 ; E. Dhanis, Quelques anciennes formules septénaires des sacrements, qui donne l’exposé le plus complet de cette matière, dans la Revue d’hist. ecclés., t. xxvi, 1930, p. 574-608, 916-950, et t. xxvii, 1931, p. 5-26, surtout synthèse finale, p. 17-26 ; voir ici, art. Gratien, t. vi, col. 17471748.

La définition du sacrement, la composition du rite sacramentel et son efficacité sont des matières qui doivent beaucoup à Pierre Lombard ; relevons notamment, dans sa définition, son insistance sur l’idée du signe efficace et sur la causalité, ce qui écartera beaucoup de confusions dans la nomenclature, malgré sa conception incomplète de la collation de la grâce par le mariage. Voir Un chapitre dans l’histoire de la définition des sacrements au XIIe siècle, dans les Mélanges Mandonnet, t. -11, Paris 1931, p. 76-96 ; Pourrat, La théologie sacramentaire, Paris, 1910, p. 39 sq. el passim, 62, etc.

Ce même 1. IV nous donne aussi, à l’exemple de

Hugues de Saint-Victor et de l’auteur de la Summa Sententiarum, les premiers linéaments du traité De sacrmnento circumcisionis qui prendra plus d’une fois un développement et une importance démesurée chez les scolastiques, dist. I, c. 6-10, p. 748-751 ; de même, les premiers préludes à la doctrine du baptême de désir, à côté du baptême du sang, dist. IV, c. 4, p. 765-768, mais pas encore avec la fermeté de vues qui réduit les divers éléments à l’unité chez Robert de Melun. Voir R.-M. Martin, Les idées de Robert de Melun sur le péché originel, Rémission du péché originel, dans Revue des sciences philos, et théol., t. xi, 1922, p. 403-406.

Sur quelques-uns des sacrements suivants, relevons encore quelques particularités : le traité du baptême et les notions qui regardent en général tous les sacrements, dist. IV, c. 1, p. 762, avec une description du charcuter, qu’il ne faudrait pas trop vite identifier avec le caractère de nos trois sacrements non réitérables ; voir Brommer, Die Lehre vom sakramentalen Charakter in der Scholastik, dans les Forschungen zur christ. Literatur-und Dogmengeschichle, t. viii, fasc. 2, Paderborn,

1908, p. 4-10. Pour la nécessité du baptême, voir ici, art. Baptême, t. ii, col. 250-251, 277, etc. ; sur la confirmation et le moment de son institution, voir ici, t. iii, col. 1070-1071. Sur l’eucharistie, la conversion (pour la transsubstantiation, le mot n’y est pas mais la chose s’y trouve), voir ici, t. v, col. 1259-1261, 1267, 1298, etc., où l’on verra comment se situe l’enseignement de Pierre Lombard au milieu de celui de ses contemporains..

A propos de la pénitence, on verra la reviviscence des péchés pardonnes, le rôle dévolu à l’absolution du prêtre avec la nécessité de la confession, la confession aux laïques, dist. XXII, cl, p. 885-888, et dist. XVIII, c. 1-8, p. 857-866. Voir La reviviscence des péchés pardonnés à l'époque de Pierre Lombard et de Gandulphc de Bologne, dans la Nouvelle revue théologique, t. xli,

1909, p. 400-408, et dans ce Dictionnaire, t. iii, col. 878, 881, etc., à compléter et modifier par A. Debil, La première distinction du « De pœnitentia » de Gratien, dans la Revue d’hist. ecclés., t. xv, 1914, p. 251-273, et 442455, cf. p. 255 et 453 ; H. Weisweiler, S. J., Die Busslehre Simons von Tournai, dans Zeitschrift fur katholische Théologie, t. lvi, 1932, p. 211-212, 227, etc. ; Teetært, La confession aux laïques dans l'Église latine, Bruges, Paris, 1926, p. 137-142 et passim, et l’art. Pénitence, t. xii, col. 915, 931 sq. Les chapitres sur l’extrême-onction, dist. XXIII, p. 889-892, avec les hésitations sur la réitération, sont une jolie mosaïque d’emprunts à Hugues et à la Summa Sententiarum. Noir aussi H. Weisweiler, S. J., Der Sakrament der letzten Œlung in den systemalischen Werken der ersten Fruhscholastik, dans Scholastik, t. vii, 1932, p. 321353, passim.

Tandis que le traité de la reviviscence des péchés plaçait en un jour lumineux les qualités du Magister comme rapporteur, instruit et vraiment judicieux, des avis en présence, celui des ordres ecclésiastiques, dist. XXIV, c. 1-13, p. 892-902, nous montre les procédés du copiste ou du plagiaire, qui recourt simultanément à trois ouvrages pour l'élaboration symétrique d’une longue dissertation, mais dont la régularité systématique ne connaît qu’une exception au cours des sept ordres ecclésiastiques, celle qui lui fait abandonner Gratien quand il s’agit de l’imposition des mains dans l’ordination sacerdotale : omission voulue ou fortuite, qui aura de grosses conséquences pour la théologie du sacrement de l’ordre. Voir Le traité de Pierre Lombard sur les sept ordres ecclésiastiques, ses sources, ses copistes, dans la Revue d’histoire ecclésiastique de Louvain, t. x, 1909, p. 290-302 et p. 720-7'2N ; t. xi, 1910, p. 28-46. Dans ses Colleclanea sur saint

Paul, I Tim., iv, 14, P. L., t. cxcii, col. 350 C, Pierre Lombard parle de l’imposition des mains au moins pour les évêques, mais dans une formule peu claire, précédée d’un vel ; voir aussi G.-M. van Rossum, De essentia sacramenti ordinis disquisilio hislorico-theotogica, Fribourg-en-Br., 1914, p. 140 et 141, n. 340, 343, etc.

Il y aurait lieu de signaler aussi son attitude hésitante à propos des ordinations hérétiques ou simoniaques, dist. XXV, p. 904-911, dont il faut rapprocher ce qu’il dit, avec plus de fermeté cette fois, contre la validité de la messe des hérétiques et des excommuniés, dist. XIII, c. 1-2, p. 815-818, avec, à l’appui, un texte d’un pseudo-Augustin inidentifiable, p. 816, n. 1. Mais l’on était à peine sorti alors de la grande controverse des investitures ; et cette circonstance doit faire pardonner à Pierre Lombard la réserve où il se tient : « question perplexe et presque insoluble, dit-il, à cause des avis opposés des docteurs », et de nouveau il s’acquitte avec conscience et exactitude de son rôle de rapporteur en énumérant les quatre théories des écoles du moment ; voir sur les solutions du Lombard, Saltet. Les réordinations, Paris, 1907, p. 342-344 ; les Sententiæ divinitatis, p. 141*-142*, pas bien nettes non plus, penchaient cependant vers l’affirmative.

Le très long Traité du mariage met principalement en relief la théorie consensuelle de l’essence du mariage, opposée à la théorie de Bologne ; Pierre Lombard y a un rôle important et les conséquences de la doctrine de Paris se font sentir en théologie comme en droit canon. Sur tout ceci, voir l’art. Mariage, t. ix, col. 2151, 2155, 2156, etc.

Le traité des fins dernières, dist. XLIII-L, p. 9941038, qui commence à prendre place partiellement dans la synthèse théologique de l'école d’Anselme de Laon, voir les Sententiæ Anselmi, édit. Bliemetzrieder, déjà citée, p. 152-153, mais qui n’a sa place ni dans l'école abélardienne, ni dans l'école porrétaine, est largement développé dans le De sacramentis d’Hugues de Saint-Victor, t. II, part. XVI sq., P. L., t. clxxvi, col. 584 sq., la Summa Sententiarum l’ignore encore, et Robert de Melun laissera sa Summa inachevée. Mais Pierre Lombard, qui suit l’exemple du Victorin, auquel, du reste, il emprunte beaucoup de passages, consacre définitivement l’entrée de ce traité dans l’exposé systématique. Hésitant pour toutes les questions que n’a pas tranchées Augustin, il transmet aussi les doutes du docteur d’Hippone sur les corps des âmes séparées, sur la mitigation des peines, etc. Voir ici, art. Enfer, t. iv, col. 83 ; Feu de l’enfer, col. 2209, etc. L’ordre suivi n’est pas bien ferme ; l’auteur se laisse trop facilement détourner des grandes lignes d’Hugues par des questions secondaires. C’est dans ces distinctions sur les fins dernières qu’entrent des extraits d’un ouvrage spécialement consacré à ces matières, le Prognosticon fuluri sieculi de Julien de Tolède, dist. XL IV, c. 7, p. 1003 ; voir Le mouvement théologique, p. 143-144, 25-26, etc. Le Spéculum universale de Raoul l’Ardent, malgré ses attaches porrétaines, fera une place, lui aussi, à l’eschatologie, fin du t. VIII, ms. 709 de la bibl. Mazarine, fol. 121 r° et 146 sq.

Mais l’on ne peut quitter ce IVe livre des Sentences sans mentionner une autre caractéristique qui s’y accuse fortement : la très fréquente utilisation de la Concordia ou Decretum de Gratien qui est pour les matières sacramentaires le grand arsenal des arguments patristiques ; par suite aussi se manifeste l’influence des collections canoniques pour Je libellé même des énoncés à propos de l’eucharistie et de la controverse sur la présence réelle ; voir Mouvement théologique, p. 301 sq. ; art. Eucharistie, t. v, col. 12631624 ; P. Fournier et G. Le Bras, Histoire des collée1

lions canoniques en Occident, t. ii, Paris, L931-1932, p. 317-326 et 350-361. Enfin, la juxtaposition ou par fois l’entremêlement de la théologie et du droit canon. très accusés dans le Truite lu mariage, donnent lieu à plusieurs constatations d’emprunts réciproques et d’applications de méthodes qu’il sutlit de rappeler ; voir ici l’art. Ghatikn, t. vi, surtout col. 1738-1751, et Mouvement théologique, p. 315, 338, etc.