Dictionnaire de théologie catholique/ORIGÈNE II. Oeuvres d'Origène

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 11.2 : ORDÉRIC VITAL - PAUL (Saint)p. 180-216).

pouvons malheureusement pas y avoir recours, car la vie de Pamphile est perdue. Mais, dans une lettre à Paula, Epist., xxxiii, saint Jérôme a recopie la liste dressée par Eusèbe : c’est là que nous trouvons aujourd’hui, malgré les défectuosités de la tradition textuelle, nos meilleurs renseignements sur l’activité littéraire d’Origène. Texte à chercher dans l’édit. Hilberg, t. i, p. 255.

Une œuvre aussi vaste était naturellement exposée aux injures du temps. Plusieurs de ses parties n’ont jamais dû être recopiées, du moins dans leur ensemble et ont ainsi disparu de très bonne heure. Aux motifs extrinsèques qui suffiraient à expliquer la perte de nombreux livres du maître, s’ajoutent des raisons d’ordre doctrinal. Dès la fin, du nie siècle, sinon auparavant, certains de ces ouvrages étaient suspectés d’hérésie. A plusieurs reprises, ils furent de nouveau attaqués, et finalement le concile de Constantinople de 553 anathématisa Origène ; cet anathème fut renouvelé à plusieurs reprises, en 680, en 787, en 869. Ces condamnations solennelles n’étaient pas faites pour assurer la survivance des traités d’Origène ; le texte original de plusieurs d’entre eux, spécialement celui du De principiis, ne tarda pas à disparaître de la circulation.

Du moins à défaut de l’original, avons-nous conservé la traduction latine d’une portion considérable de cette œuvre. A la fin du ive siècle, une vive curiosité orientait les chrétiens d’Occident vers les livres du grand docteur ; saint Jérôme et Rufin s’efforcèrent de satisfaire cette curiosité et publièrent en latin un nombre considérable de traités et d’homélies. Ces traductions ne sont pas toujours fidèles : celle que Rufin a donnée du livre Des principes est particulièrement défectueuse, et nous ne pouvons plus, sauf en quelques rares passages, en contrôler la valeur par la version, beaucoup plus littérale, de saint Jérôme, qui a, elle aussi, disparu.

Nous sommes encore aidés, dans notre connaissance du texte grec, par le recueil de morceaux choisis, la Philocalie, qui a été fait, peu après 360 par saint Basile et saint Grégoire de Nazianze. Sans doute, les passages reproduits dans la Philocalie ne sont pas toujours les plus intéressants du point de vue doctrinal ; ils n’en sont pas moins très précieux pour nous. Ajoutons que, de temps à autre, les bibliothèques mieux explorées, ou les papyrus récemment découverts nous rendent encore quelques fragments d’Origène ; mais on aurait tort, semble-t-il, de compter sur un hasard heureux qui nous remettrait en possession d’éléments essentiels. Les travailleurs de l’avenir n’auront probablement pas grand’chose à ajouter au catalogue que nous pouvons aujourd’hui dresser.

Il serait désirable de classer les œuvres d’Origène selon l’ordre chronologique : sans doute pourrait-on saisir, en procédant ainsi, les traces d’un développement, sinon d’une évolution, dans la pensée du docteur alexandrin. Mais, trop souvent, les renseignements indispensables nous font défaut pour procéder, avec sécurité à ce classement, et l’étude intrinsèque, des idées ne nous apporte aucune conclusion précise. Le plus simple et le plus sûr est, dès lors, de présenter un catalogue méthodique. Nous répartirons donc ici les ouvrages d’Origène entre cinq classes : 1° travaux scripturaires ; 2° livres d’apologie et de polémique ; 3° œuvres théologiques ; 4° livres ascétiques ; 5° lettres.

Travaux scripturaires.


Ceux-ci sont de deux sortes : les travaux critiques et les œuvres d’exégèse proprement dite.

1. Travaux critiques : les Hexaples. —

Après les Septante, plusieurs traducteurs s’étaient efforcés de rendre en grec les livres hébreux de l’Ancien Testament. La vénérable version des Septante elle-même, plusieurs fois recopiée, avait perdu sa primitive pureté. Il était cependant utile, sinon indispensable, aux maîtres chrétiens d’avoir à leur disposition un texte aussi assuré que possible de l’Ancien Testament : comment argumenter avec les Juifs et avec les hérétiques, comment établir le bien-fondé d’une preuve, sinon par le moyen d’un texte sur lequel tout le monde pût se mettre d’accord ? Formé dès sa jeunesse aux méthodes philologiques des Grecs, Origène se préoccupa d’une part de rétablir, dans la mesure du possible, le texte original des Septante, d’autre part de permettre la comparaison facile de ce texte avec l’hébreu et avec les autres versions grecques. En suivant cette préoccupation, il ne visait pas d’abord un but critique, mais on ne saurait dire qu’il s’en désintéressait : à ses frères dans la foi, il voulait avant tout procurer le bénéfice d’un texte indiscutable des Livres saints.

Pour réaliser son projet, il copia ou fit recopier sur six colonnes parallèles, d’où le nom d’Hcxaples : 1. le texte hébreu en lettres hébraïques ; 2. le texte hébreu transcrit en lettres grecques ; 3. la traduction d’Aquila ; 4. la traduction de Symmaque ; 5. la traduction des Septante ; 6. la traduction de Théodotion. Pour les Psaumes, Origène avait à sa disposition deux autres traductions anonymes, qu’il avait trouvées l’une à Nicopolis, l’autre à Jéricho : il les ajouta aux premières, de sorte que l’on eut, pour ce livre, des Oclaples. Une copie, à laquelle manquaient les deux premières colonnes consacrées à l’hébreu, prit naturellement le nom de Tétraples. Comme de juste, le texte des Septante, le plus important, avait été de la part de l’éditeur, l’objet de soins particuliers ; car il avait été muni, selon les cas, de signes critiques conformément aux règles usitées par les philologues profanes : un obèle -jservait à marquer les mots ou les passages qui manquent dans l’hébreu et étaient donc à supprimer ; un astérisque * désignait les mots ou les passages qui, figurant dans l’hébreu, manquaient dans les Septante et devaient y être rétablis, ce qu’Origène faisait d’ordinaire en empruntant les formules de Théodotion.

L’œuvre était colossale : elle occupa son auteur durant de longues années et ne fut terminée qu’entre 240 et 245. Le manuscrit original en fut déposé à la bibliothèque de Césarée où il demeura longtemps. Non seulement Pamphile et Eusèbe purent l’y consulter, mais, à la fin du ive siècle, saint Jérôme le vit encore et nous savons qu’il existait toujours au vie siècle. Il disparut en 638, lors de la prise de Césarée par les Arabes. Ce fut une perte irréparable, car jamais les Hexaples n’avaient été recopiées dans leur intégrité. On en avait parfois reproduit des fragments. On avait surtout copié isolément la cinquième colonne (texte des Septante) avec ou sans les signes critiques, auxquels Origène attachait tant d’importance. On avait même fait de cette cinquième colonne une traduction syriaque très littérale, qui, elle, avait conservé fidèlement obèles et astérisques : cette traduction, œuvre de Paul de Telia (616-617) a été en grande partie conservée.

La reconstitution des Hexaples, dans la mesure où elle est possible, n’a pas cessé depuis le xvie siècle, de préoccuper les érudits. De temps à autre quelques nouveaux fragments viennent s’ajouter à ceux que l’on connaissait depuis longtemps, et permettent de poursuivre la tâche. Il serait vain de croire qu’elle sera jamais achevée.

Un passage, un peu obscur, de saint Jérôme a longtemps fait croire à ses interprètes qu’Origène avait revu le texte du Nouveau Testament et qu’il en avait publié une édition. Quoique, dans ses travaux d’exégèse, Origène ait eu souvent l’occasion de discuter des variantes, rien ne permet de croire qu’il ait accompli sur le Nouveau Testament un travail analogue à celui qu’il a fait pour les Septante. On peut seulement aujourd’hui, en recueillant les fragments épars qu’il cite à droite et à gauche, reconstituer l'édition dont il se servait lui-même.

2. Travaux exégétiques. —

L'œuvre exégétique d’Origène est encore considérable. Elle l'était bien davantage lorsqu’on la possédait en entier, car, pendant toute sa longue carrière, le maître s’est préoccupé d'étudier et d’expliquer la Bible. Ses travaux, au dire de saint Jérôme, revêtaient trois formes principales : scolies, homélies, commentaires. Les scolies étaient d’assez courtes notes sur des passages détaches ; les homélies sont, comme le nom l’indique, des sermons adressés aux fidèles, et destinés à expliquer des fragments choisis ; les commentaires ou lomes sont au contraire des œuvres de longue haleine, où se développe, d’un bout à l’autre, l’explication de tel ou tel des livres saints. Nous ne connaissons presque rien des scolies ; nombreuses sont par contre les homélies dont nous avons soit la traduction latine soit le texte grec ; des commentaires, nous connaissons des parties très importantes de quelques uns.

a) Les scolies composées par Origène semblent avoir été très nombreuses. Saint Jérôme en mentionne, dans la lettre xxxiii, sur l’Exode, le Lévitique, Isaïe, les psaumes i-xv, l’Ecclésiaste, certaines parties de saint Jean, tout le psautier. Ailleurs, il en cite qui étaient relatives à l'évangile de saint Matthieu et à l'épître aux Galates. Rufin a utilisé des scolies sur les Nombres. Il semble que sur la Genèse aussi il y ait eu des scolies. Dans l’ensemble tout cela a disparu. La Philocalie et les Chaînes ont conservé un certain nombre de fragments qui peuvent provenir des scolies : on ne saurait apporter trop d’attention à examiner et à critiquer ces fragments. Beaucoup de ceux qui portent, ou auxquels on attribue le nom d’Origène sont certainement apocryphes.

b) Les homélies nous sont mieux connues, bien qu’un immense déchet puisse ici encore être constaté et que la plupart de celles qui nous sont parvenues nous soient arrivées en traductions latines. Origène avait prêché un nombre considérable de ces homélies : nous pouvons en identifier plus de cinq cents dont deux cents à peu près sont restées en notre possession ; mais il est assuré qu’il y en a eu beaucoup d’autres.

Saint Jérôme, Epist., xxxiii, 4, parle de deux livres d’homélies mélangées (mixtarum) ; ce dernier mot est peut-être corrompu, et nous ne savons rien du contenu de ces deux livres.

Nous avons en latin, dans une traduction de Rufin : seize homélies sur la Genèse (la xviie n’est pas authentique) ; treize homélies sur l’Exode ; seize homélies sur le Lévitique ; vingt-huit homélies sur les Nombres. Il a existé treize homélies sur le Deutéronome que Rufin n’a pas eu le temps de traduire et qui sont perdues.

Nous possédons, toujours dans une traduction de Rufin : vingt-huit homélies sur Josué, neuf sur les Juges, neuf sur les Psaumes ; ces dernières sont les restes d’une prédication très développée, car saint Jérôme connaissait 120 homélies relatives à 63 psaumes

Il a existé quatre homélies sur les livres des Rois : nous en connaissons deux, une traduite en latin par un inconnu, et une en grec sur la pythonissc d’Endor. Gassiodore parle d’une homélie sur le IIe livre des Chroniques et d’une homélie sur le livre d’Esdras. Saint Hilaire avait traduit ou adapté vingt-deuxhomélies sur Job qui ont disparu. Saint Jérôme signale encore sept homélies sur les Proverbes et huit sur l’Ecclésiaste.

En ce qui concerne les Prophètes, il a existé vingt cinq homélies sur Isaïe, dont neuf seulement, traduites par saint Jérôme, nous sont parvenues ; quarante-cinq homélies sur Jérémie dont nous connaissons vingt dans leur texte grec : douze de ces dernières existent aussi dans une traduction de saint Jérôme, et deux autres ne se trouvent que dans la version latine. Nous ignorons le nombre des homélies prêchées sur Ézéchiel : la traduction de saint Jérôme compte quatorze numéros.

Nous savons qu’Origène avait prêché sur les évangiles de saint Matthieu et de saint Luc. Les vingt-cinq homélies sur saint Matthieu sont perdues ; Jérôme en a traduit trente-neuf sur saint Luc. Des dix-sept homélies sur les Actes, il ne reste qu’un fragment dans la Philocalie. Il a existé également onze homélies sur la IIe lettre aux Corinthiens ; deux sur une des lettres aux Thessaloniciens, une sur l'épître à Tite, dix-huit sur l'épître aux Hébreux. Les chaînes contiennent de nombreux fragments des homélies sur la IIe aux Corinthiens et Eusèbe cite deux frag ments relatifs à la lettre aux Hébreux.

Les homélies d’Origène ont pour nous un intérêt d’autant plus considérable qu’elles sont parmi les témoins les plus anciens de l'éloquence chrétienne. Avant elles, nous ne voyons guère à citer que l'écrit faussement appelé la IIe lettre de Clément de Rome et le Quis clives salvetur ? de Clément d’Alexandrie, et ces deux pièces sont insuffisantes pour nous permettre un jugement assuré. Les sermons d’Origène, au contraire, nous mettent en présence d’un prêtre du me siècle, qui parle avec la plus grande familiarité, à un auditoire fidèle, qui enseigne la vertu et condamne le vice, qui explique, selon les circonstances, les passages les plus remarquables cle l'Écriture : grâce à eux, nous pouvons assez bien nous faire une idée de la mentalité d’une communauté chrétienne entre 230 et 240.

Toutes les homélies d’Origène ont été prêchées à Césarée de Palestine : elles sont donc postérieures à 232 et à l’exil du maître hors d’Alexandrie. Les dates exactes de chaque série sont parfois difficiles à établir, Nous savons seulement que les homélies sur saint Luc comptent parmi les plus anciennes et doivent remonter à 233 environ ; celles sur les Juges à cause des allusions à une persécution qui peut être celle de Maximin remonteraient à 235 ; celles sur Josué sont peut-être les plus récentes, et on les attribue à 250 environ. Au reste, le problème de la chronologie n’a ici qu’une importance secondaire, car on retrouve partout le même esprit, les mêmes tendances et on ne peut saisir aucun développement dans la méthode du prédicateur.

c) Les commentaires, à l’encontre des homélies, prêchées pour les simples fidèles, étaient des ouvrages savants, destinés à des lecteurs instruits, et faits pour expliquer en détail les difficultés des Livres Saints. Nulle part peut-être n'éclate mieux la complexité de l’esprit d’Origène, complexité que traduit son impuissance à retenir l'élan d’une pensée toujours en mouvement. Le moindre mot lui suggère des idées neuves, appelle des souvenirs lointains. L’exégète va et vient, multiplie les digressions interminables ; s’arrête lorsqu’il lui plaît, pour repartir ensuite de plus belle, voire pour revenir en arrière, sans se soucier du but dernier qu’il s'était d’abord proposé d’atteindre. Aussi ces commentaires atteignent-ils des dimensions impressionnantes ; mais, malgré la multiplicité des livres dont chacun d’eux est composé, ils s’arrêtent presque tous avant d’avoir achevé l’explication de l’ouvrage biblique qu’ils avaient promise.

Sous forme de commentaire, Origène avait ainsi interprété :

La Genèse, en 12 ou 13 livres : cet ouvrage commencé à Alexandrie, donc avant 230, fut terminé à Gésarée. Il ne comprenait que l’explication des quatre premiers chapitres de la Genèse. Saint Ambroise l’a eu devant les yeux pour rédiger le De Paradiso et VHexaméron. On en possède quelques fragments dans les Chaînes.

Un certain nombre de psaumes, 41, semble-t-il, commentés en 16 livres. De ce commentaire, nous sont parvenus seulement des fragments dans les Chaînes ; mais il a été très fortement utilisé par Eusèbe de Gésarée, de sorte que les exégèses principales nous en restent pratiquement accessibles. Voir R. Devreesse, art. Chaînes exégétiques, dans le Supplem. au Dict. de la Bible, t. i, col. 1120-1122.

Le livre des Proverbes, en trois tomes, disparus également, à l’exception d’un petit nombre de fragments. Devreesse, loc. cil., col. 1161-1162.

Le Cantique des Cantiques : de ce livre, Origène avait même rédigé deux commentaires ; le second, daté de 240-241, comprenait dix tomes, et était, au témoignage de saint Jérôme, le chef-d'œuvre de son auteur. Il nous en reste le prologue, les livres I à III et une partie du IVe, le tout dans une traduction de Ru fin.

Les trente premiers chapitres d’Isaïe : commentaire à peu près entièrement perdu.

La prophétie d'Ézéchiel, en vingt-cinq livres, rédigés partie à Gésarée, partie à Athènes vers 240 : nous n’avons de l’ouvrage qu’un fragment dans la Philocalie, et peut-être quelques citations dans les Chaînes. Devreesse, loc. cit., col. 1155.

Les Lamentations de Jérémie, en cinq livres, déjà terminés à Alexandrie, et dont seules les Chaînes conservent des fragments. Devreesse, loc. cil., col. 1154.

Les douze petits prophètes, dont Eusèbe connaissait un commentaire en vingt-cinq livres : peut-être l’ouvrage d’Origène avait-il été plus étendu et une partie en avait-elle déjà disparu à l'époque de l’historien.

L'évangile selon saint Matthieu. Le commentaire compren fit vingt-cinq livres, et nous avons encore dans l’original grec les livres X à XVIII. Dans une traduction latine anonyme, connue sous le nom de In Matlhvuin commentariorum séries, nous avons toute la partie qui commence au chapitre ix du livre XII et se poursuit jusqu'à l’exégèse de Matth., xxvii, 63. Cette traduction est peut-être un remaniement et ne doit pas nous amener nécessairement à penser avec Harnack qu’Origène lui-même avait donné deux éditions de son commentaire. Devreesse, loc. cit., col. 1169-1170.

L'évangile selon saint Luc a été l’objet d’un commentaire en quinze livres dont il ne reste rien. Devreesse, loc. cit., col. 1185-1186.

L'évangile selon saint Jean a servi de thème à l’un des commentaires les plus longs d’Origène. Cet ouvrage, commencé à Alexandrie avant 228, n'était pas encore achevé sous le règne de Maximin ; il ne le fut jaunis, puisque le dernier livre connu, le XXXIIe, s’achève sur l’exégèse de Joa., xiii, 33. Nous avons encore en grec les livres, I, II, VI, XIII, XIX (en partie), XX, XXVIII, XXXII, et, sans doute, un certain nombre de fragments tirés des Chaînes ; mais la critique de ceux-ci a été jusqu'à présent faite de façon déplorable, et nombreux sont les extraits attribués à Origène qui, en réalité, appartiennent à Théodore de Mopsueste, à Photius ou à d’autres. Devreesse, loc. cit., col. 1198-1199 et Revue biblique, 1927, p. 203207.

L'épître aux Romains avait été commentée par Origène en 15 tomes. Dès la fin du iv c siècle, le texte de ce commentaire était en mauvais état. Rufin, tout en se plaignant de cet état de choses en donna une traduction qui ressemble fort à un remaniement abrégé, et qui ne contient que dix livres. Quelques fragments, conservés dans la Philocalie et dans les Chaînes, permettent de se faire une idée approximative de la méthode employée par Rufin. Devreesse, op. cit., col. 1215.

L'épître aux Galates : Saint Jérôme connaissait un commentaire d’Origène en cinq livres sur cette épître, et il s’est fort inspiré de cet ouvrage dans son propre commentaire. Trois fragments du premier livre sont conservés par Pamphile, Apol. pro Orig., et peut-être trouvera-t-on d’autres extraits dans les Chaînes.

L'épître aux Éphésiens : Le commentaire d’Origène comprenait trois volumes et saint Jérôme lui doit beaucoup pour sa propre exégèse. Il en cite un fragment dans l’Apol. advers. Rufin., i, 28. Les Chaînes ont par ailleurs conservé d’assez longs extraits de cette œuvre, et il est intéressant de comparer ces passages aux explications données par saint Jérôme.

L'épître aux Philippiens : Origène avait écrit sur elle un commentaire en un livre qui n’allait pas au delà de la fin du c. m. Il n’en reste que le souvenir.

L'épître aux Colossiens : son commentaire comprenait au moins trois livres qui allaient jusqu’au c. iv, 12, de la lettre. L’ouvrage a entièrement disparu.

Les épîtres aux Thessaloniciens : trois livres de commentaires sur la l re lettre ; un livre sur la 2e. Saint Jérôme, Epist., cxix, 9, cite un passage emprunté au IIIe livre sur la I re épître ; c’est tout ce que nous possédons de l'œuvre d’Origène.

L'épître à Philémon : commentaire en un livre, disparu à l’exception d’un passage mentionné par VApologia pro Orig. de Pamphile.

L'épître à Tite : peut-être un seul livre de commentaires, dont nous connaissons cinq fragments grâce à VApologia de Pamphile ; une allusion est faite à cet ouvrage dans une question posée à l’abbé Rarsanuphius sur la préexistence des âmes. P. G., t. lxxxvi, col. 891.

L'épître aux Hébreux : Pamphile cite quatre extraits d’un commentaire de cette lettre, et la chaîne de Nicétas donne deux explications d’Origène relatives l’une au prologue, l’autre à Hebr., i, 8.

L’Apocalypse : Il n’est pas sûr qu’Origène ait jamais publié un commentaire sur l’Apocalypse, car les témoignages anciens sont muets à ce sujet. Les fragments attribués à Origène, qui ont été retrouvés dans un manuscrit du Météore, ne sont sans doute pas tous de lui ; et ceux qui peuvent l’avoir pour auteur ne proviennent peut-être pas d’un commentaire. On doit encore étudier de très près ces fragments.

Ce qui frappe au premier abord dans ces commentaires, c’est leur longueur démesurée. L T ne fois engagé, Origène ne sait plus s’arrêter. Il explique les moindres détails ; en philologue et en historien averti, il discute les variantes des textes, les problèmes de chronologie et de topographie ; et surtout il développe à perte de vue les interprétations allégoriques du texte sacré. Leur masse a contribué à faire périr ces immenses productions. Déjà à la fin du ive siècle, on se préoccupait de les abréger pour la plus grande commodité des lecteurs. On n’a pas dû les recopier très souvent ; et lorsque l'ère des caténistes s’est ouverte, ceux-ci se sont contentés de puiser dans le trésor que leur offraient les commentaires du maître ; encore beau coup d’entre eux ont-ils reculé devant l’exégèse allégorique qui lui était familière ; ils ont préféré les méthodes historiques de l'école d’Antioche, si bien qu’ils ont fait de saint Jean Chrysostome ou de Théodoret leurs chefs de file, et ils n’ont cité d’Origène que des morceaux épars, seuls témoins pour nous, en un grand nombre de cas, de cette énorme production.

2° Livres d’apologie et (le polémique. — La plus considérable des œuvres apologétiques d’Origène, la seule aussi qui nous soit parvenue est la Réfutation du discours véritable de Celse, en huit livres.

On a beaucoup discuté naguère sur la personnalité de Celse. Origène lui même n’a pas résolu l'énigme, et nous sommes encore moins bien renseignés que lui. Il est du m uns vraisemblable que le Discours véritable avait été écrit vers 178. Son auteur était un païen instruit, curieux des choses religieuses, fervent admirateur de la philosophie platonicienne, citoyen dévoué au bien de la chose publique. L’un des premiers, Celse avait été frappé de la vigueur étrange du christianisme, et il avait entrepris de donner de son enseignement une réfutation en règle. Sa tentative pourtant ne semble pas avoir rencontré très grand succès : ce fut seulement vers 248 que l’ami d’Origène, Ambroise, eut l’occasion de lire le Discours véritable ; il en fut assez ému pour demander aussitôt à Origène une réfutation en règle d’un ouvrage qu’il regardait comme un danger sérieux pour la foi des simples ; et le docteur alexandrin se mit à la besogne, sans beaucoup d’enthousiasme. Il se contenta d’abord d’une argumentation somm lire contre Celse. Puis, peu à peu, il s’aperçut que cette méthode serait insuffisante : et, à partir du c. xxvin de son livre I er, il s’appliqua à copier textuellement les arguments de Celse et à les réfuter l’un après l’autre. Il va sans dire que son ouvrage prit de la sorte des proportions considérables, d’autant plus qu’Origène n'était pas homme à épargner les digressions. Du moins le Contra Celsum est-il la plus complète et la plus puissante des apologies que nous ait transmises l’antiquité chrétienne. Tour à tour, Origène y déploie les qualités les plus belles du philosophe, de l’exégète. du chrétien. Il ne laisse sans réplique aucune des difficultésr soulevées par Celse. Celui-ci avait fait preuve d’une incontestable érudition. Origène le dépasse encore sur ce terrain. Qu’il s’agisse d’expliquer l’Ancien Testament et de légitimer la révélation dont les Juifs étaient les dépositaires, ou qu’il faille venger le Nouveau Testament des railleries ou des critiques d’un adversaire impitoyable, il a réponse à tout. Et son style, habituellement assez terne, s'élève à une vraie éloquence pour décrire la vie des chrétiens ou pour exposer leurs revendications en face de l'État romain.

Il est très probable qu'à côté du Contra Celsum, il a existé d’autres ouvrages apologétiques rédigés par Origène ou dictés par lui. Nous connaissons du moins avec certitude les nombreuses discussions que le maître a dû soutenir avec les Juifs, avec le valentinien Candidus, avec l'évêque de Bostra, Bérylle ; ces discussions ont dû être notées par des tachygraphes, et Origène se plaint quelque part des résumés tendancieux ou apocryphes qui en circulaient de son temps. Aucune trace de ces procès-verbaux n’a subsisté jusqu'à nous.

3° Œuvres théologiques. —

De tous les écrits d’Origène, le plus important, sinon le plus considérable par son étendue est celui qui porte le titre de Ilepl àpX<ôv, Sur les principes.

Cet ouvrage, dont la date est impossible à fixer avec certitude, doit être l’un des plus anciens parmi les travaux du grand docteur. Nous savons qu’il a été rédigé avant 230, et les raisons ne manquent pas pour croire que les années 212-215 ont été celles de sa composition. Origène se propose de fournir à ses lecteurs un exposé systématique de toute la doctrine chrétienne. Après un avant-propos, où l’auteur rappelle quels sont les dogmes enseignés par l'Église et quels sont, à côté d’eux, les problèmes librement discutés par les fidèles, viennent quatre livres qui traitent successivement de Dieu et des êtres célestes ; du monde matériel et de l’homme ; du libre arbitre et de ses conséquences ; de l'Écriture sainte. Ce sommaire suffit à montrer que l’ordre suivi par Origène est loin d'être rigoureux. De fait nous en comprenons mal aujourd’hui l'économie, et nous sommes plus sensibles que ses premiers lecteurs, à ses répétitions, à ses digressions perpétuelles, à ses retours en arrière. Ces défauts, sur lesquels il serait facile d’insister n’empêchent pas que le De principiis ne soit un très grand livre. Il ne constitue pas seulement le premier effort de la pensée théologique vers la constitution d’un exposé complet de l’enseignement chrétien ; il est encore remarquable par l’audace de ses hypothèses, par la fermeté de l’attachement à l'Église dont il témoigne, par la réfutation des hérésies auxquelles il s’attaque. Nulle part Origène ne déploie aussi brillamment ses qualités de penseur chrétien.

Le texte original du De principiis a presque entièrement disparu. Grâce à la Philccalie, nous possédons encore deux fragments importants, qui appartiennent, l’un au 1. III sur le libre arbitre, l’autre au 1. IV sur l’inspiration et l’interprétation des Livres saints. Ces fragments sont intéressants ; malheureusement, ils ne concernent ni l’un ni l’autre les doctrines propres à Origène. De celles-ci, nous sommes obligés de chercher l’expression authentique dsns les morceaux que cite l’empereur Justinien dans et à la suite de sa lettre à Menas : encore faut-il remarquer que cette lettre, destinée à dénoncer les abominables erreurs d’Origène, est un réquisitoire et que le dossier qui l’accompagne est fait de courtes citations, éloignées de leur contexte, et choisies à dessein pour rendre plus sensibles ces erreurs : on ne saurait donc avoir en un tel florilège qu’une confiance limitée. Voir ci-dessous l’art. Origknistes (Controverses).

Deux traductions latines ont existé de l’ouvrage : la première a Rufin pour auteur : nous avons souvent déjà rencontré le nom de cet infatigable travailleur à qui nous devons d’avoir conservé tant de travaux d’Origène. De fait, c’est encore sa traduction, qui nous permet, seule, de lire aujourd’hui le De principiis dans son intégrité. Malheureusement, nous ne pouvons pas être toujours assurés de la fidélité du traducteur. Rufin ne s’est pas contenté, selon la méthode alors en usage, de travailler vite, et de s’attacher plutôt au sens général du texte qu'à la teneur littérale des phrases ; il avoue lui-même, dans ses préfaces, qu’il s’est autorisé à ajouter, à retrancher, à interpréter, ce qui dans l'œuvre du vieux maître risquait c’e choquer l’orthodoxie de ses propres contemporains : il nous a donc donné un texte édulcoré du De principiis. et il n’est pas toujours possible de retrouver avec certitude les traces de l’activité personnelle c’e Rufin.

Beaucoup plus exacte a dû être la seconde traduction, qui avait été faite par saint Jérôme, comme une réponse à Rufin. Saint Jérôme, devenu à cette période de sa vie un fougueux adversaire d’Origène, voulfit. à l’inverse de Rufin, mettre en relief les erreurs d’Origène ; il était obligé pour cela de suivre de très près son texte, peut-être même d’appuyer à l’occasion sur tel ou tel point délicat, de transformer en affirmation une hypothèse de l’auteur. Nous rurions le plus vif intérêt à pouvoir comparer les deux versions. Mais celle de saint Jérôme a disparu à l’exception d’un certain nombre de fragments cités par la lettre cxxiv à Avitus, P. L., t. xxii, col. 1059 sq. Si importants que soient ces morceaux, il faut faire à leur sujet la même remarque qui a été faite à propos de ceux qui suivent la lettre à Menas. Ce sont des pièces à conviction, délibérément choisies pour entraîner une condamnation : entre Rufin qui est un avocat, el saint Jérôme qui tient la place du ministère public, le choix du lecteur contemporain est des plus difficiles,

Ce que nous venons de dire laisse entrevoir les besognes qui attendent le commentateur du De principiis. De très bonne heure, ce livre a été violemment attaqué : il est possible qu’il ait rencontré des contradicteurs avanl même la mort d’Origène. En tout cas, au début du iv c siècle, puis vers la fin de ce môme siècle, puis surtout au temps de l’empereur Justinien, il a été l’objet de critiques nombreuses et souvent justifiées. Sans doute, on ne saurait pas juger équitablement un tel ouvrage en se plaçant au point de vue de l’orthodoxie postérieure : Origène n’a pas pu, en parlant des grands mystères du christianisme, employer un langage aussi précis que celui des théologiens postérieurs aux conciles de Nicée, d'Éphèse et de Chalcédoine, et il a droit aux circonstances atténuantes. Mais on ne peut s’empêcher de signaler dès maintenant la témérité de certaines de ses hypothèses, sinon de plusieurs de ses affirmations : les théories qu’il propose sur les fins dernières en particulier sont loin de trouver appui dans la tradition. Il était dès lors naturel que l'Église ne reconnût pas là son enseignement et qu’elle fût amenée à mettre les fidèles en girde contre de telles doctrines.

Des autres ouvrages théologiques d’Origène, nous ne connaissons guère que les titres, et quelques fragments assez insignifiants.

Nous savons ainsi qu’Origène avait écrit, pendant qu’il était encore à Alexandrie, dix livres de Slromates. Le même titre avait été déjà employé par Clément et il désigne, semble-t-il, un ouvrage de composition assez lâche, dans lequel pouvaient se mélanger les exposés doctrinaux et les commentaires exégétiques. Peut-être ceux-ci y tenaient-ils la première place, s’il faut croire saint Jérôme, qui, dans la lettre à Læta, range cet ouvrage au nombre des écrits relatifs à l'Écriture. Par saint Jérôme et par Origène lui-même, qui y fait plusieurs allusions, nous savons que les Stromates expliquaient des passages du Deutéronome, de Daniel, des lettres de saint Paul.

Le traité Des principes renvoie, à propos de la résurrection, à d’autres livres où l’auteur a traité plus complètement le sujet, De princip., Il, x, 1. Des ouvrages sur la résurrection, qui ont été plusieurs fois combattus pendant l’antiquité, nous avons gardé quelques fragments. Saint Jérôme semble signaler un traité en deux livres sur la résurrection, et deux dialogues sur le même sujet ; mais il ne nous est pas possible de savoir en quoi les dialogues se distinguaient du traité, et nous sommes d’autant plus embarrassés que le même auteur cite quelque part le quatrième livre sur la résurrection.

4° Œuvres ascétiques. —

Origène a laissé deux ouvrages ascétiques : L’Exhortation au martyre, et le livre Sur la prière.

Le premier est un écrit de circonstance. On était en 235 ; la persécution de Maximin venait de commencer ; Origène et ses amis de Césarée, Ambroise et Protoctète, pouvaient à tout instant redouter d'être jetés en prison et conduits devant les tribunaux. De la même plume avec laquelle il avait naguère encouragé son père Léonide, Origène adressa à ceux qu’il aimait quelques pages ardentes pour les exhorter à rendre le bon témoignage au Seigneur. Ces pages évidemment improvisées, écrites tout d’un jet, sont peut-être les plus belles qu’ait jamais publiées le grand docteur, car on y sent vibrer son âme ardente et fière de chrétien authentique. Pas l’ombre d’une déclamation ; une parfaite miîtrise de soi ; une entière sérénité en face des supplices et de la mort elle-même. Origène s’y livre tout entier : à ceux qui seraient tentés de ne voir en lui qu’un philosophe égaré par erreur dans l'Église, il suffirait de lire V Exhortation au martyre pour comprendre leur illusion. Parmi les

Pères, aucun n’a su mieux parler qu’Origène de la grandeur du témoignage rendu par les martyrs.

Le Traité sur la prière, que ne mentionnent ni Eusèbe ni saint Jérôme, mais qui est cité par Pamphile, se divise assez nettement en deux parties : dans les dix-sept premiers chapitres, Origène traite de la prière en général, de sa nécessité et de son efficacité. Les chapitres suivants (xviii-xxx) sont un commentaire de l’oraison dominicale. L’auteur ne se contente pas d’expliquer le texte sacré selon les règles de l’exégèse la plus minutieuse ; il en tire des leçons de vie pratique et d’ascèse ; et celles-ci, vigoureusement tracées, ont contribué à faire de cet ouvrage un des plus fréquemment lus et cités dans l’antiquité chrétienne.

Correspondance.


A tous les écrits que nous venons de citer, il convient d’ajouter une correspondance qui a dû être extrêmement riche et variée. Origène était en relations avec un nombre considérable de ses contemporains ; et la réputation que lui avait value sa science, avait contribué à faire de lui une sorte d’oracle sans cesse et de partout consulté. De bonne heure, on constitua des recueils de ses lettres. Eusèbe pour sa part avait fait un de ces recueils qui ne contenait pas moins de cent lettres ; dans son catalogue, saint Jérôme ne signale pas moins de quatre collections, dont une en neuf livres. Nous connaissons les destinataires de quelques-unes de ces lettres : l’empereur Philippe l’Arabe, l’impératrice Sévéra, le pape Fabien et beaucoup d’autres évêques à qui il démontrait son orthodoxie ; mais nous n’avons plus, dans leur intégrité, que deux lettres d’Origène, adressées l’une à Jules Africain, l’autre à saint Grégoire le Thaumaturge.

La lettre à Jules Africain traite de l’histoire de Suzanne et des vieillards, et en démontre la canonicité : à son correspondant qui affirmait le caractère apocryphe de cette histoire, Origène rappelle que d’autres parties de Daniel, voire d’autres livres reçus par l'Église, dans le canon des Écritures ne figurent pas dans le texte hébreu : l’autorité de l'Église n’estelle pas en définitive supérieure à celle de la synagogue"? La lettre à Grégoire de Néocésarée étudie les relations entre le christianisme et la littérature ou la philosophie profane. Grave problème qui passionnait alors les esprits curieux et qui devait être maintes fois repris par la suite : Origène n’a aucune peine à en fournir la solution définitive : le chrétien peut étudier les sciences helléniques pourvu qu’il ne s’arrête pas à elles, mais qu’il les fasse servir à une intelligence de plus en plus complète de l'Écriture.

Aux ouvrages authentiques d’Origène, dont nous achevons ici la liste, on pourrait ajouter peut-être quelques autres titres : saint Jérôme semble attribuer a Origène un Onomasticon, c’est-à-dire une liste explicative de noms hébreux de personnes et de lieux contenus dans la Bible ; Victor de Capoue cite deux fragments d’un premier livre d’Origène Sur la Pûque et encore un ITspl çuasto :, qui comptait au moins trois livres. Nous n’oserions affirmer avec certitude l’existence de ces ouvrages. « Origène est l’un des trois ou quatre plus grands noms de l’ancienne littérature chrétienne. Pas plus qu’aucun de ses prédécesseurs, il n’a cherché à faire œuvre d’art ; il est indifférent à tout ce qui n’est pas la recherche de la vérité par l’intelligence de l'Écriture. Ses écrits sont issus directement de son enseignement ou de sa prédication ; la doctrine en a été préparée par de vastes lectures et de longues méditations ; la forme en est improvisée ; beaucoup ne sont que des leçons ou des sermons recueillis par les sténographes. La composition y est assez libre, sans toutefois jamais devenir confuse ; l’expression sans recherclie. mais nette et précise. Origène n’a nullement prétendu à l'éloquence ; il faut lui savoir gré de recourir aux procédés de la rhétorique seulement dans la mesure où aucun esprit cultivé, de son temps, ne pouvait s’en passer. Certaines parties de ses homélies nous ouvrent un jour sur l’histoire intérieure de l'Église au iiie siècle, et ne manquent pas de vie ni d’accent : dans quelques pages de ses traités dogmatiques, l'élévation <le la pensée communique au style même une fermeté et une grandeur qui ne sont pas sans beauté. » A. Puech, Hist. de la litlér. grecque chrétienne, t. ii, p. 437-438.

III. L'Écriture, la tradition et la philosophie dans la méthode d’Origène. — Lorsqu’on se trouve en présence d’une œuvre aussi considérable que celle d’Origène, la première question qui se pose est celle de la méthode selon laquelle il convient d’en aborder l'étude. Elle revient au fond à se demander ce qu’a prétendu faire l'écrivain dont on s’occupe, car il est évident qu’on ne comprendra bien ses ouvrages qu'à la condition de se placer au même point de vue qu’il a envisagé lui-même : et l’on ne traitera pas de la même manière un exégète qui cherche dans l'Écriture sainte la formule divinement inspirée de sa croyance ou un philosophe qui spécule librement sur les problèmes les plus complexes de la métaphysique.

Origène a été essentiellement un bibliste, et c’est là, semble-t-il, ce qui conditionne toute sa carrière scientifique. La Bible est au point de départ de sa pensée : tout enfant, il en lisait déjà les différents livres sous la conduite de son père ; jamais il n’a cessé de l'étudier et de l’expliquer. Il a passé de longues années à en établir le texte, à comparer entre elles les diverses traductions grecques et à noter leurs rapports avec l’original hébreu. Il s’est plu à chercher la signification des noms propres de l’Ancien et du Nouveau Testament et il a peut-être consigné le résultat de ses recherches dans un Onomaslicon. Lorsqu’il a prêché, et nous avons vu combien grand était le nombre de ses homélies, il a toujours expliqué la Bible à ses auditeurs de Césarée : nous ne connaissons pas un seul de ses sermons qui ne soit consacré à l’interprétation d’un passage de l'Écriture, et ce sont parfois des commentaires presque entiers des Livres saints qu’il a donnés sous forme de sermons. Lorsqu’il a écrit, il a le plus souvent commenté la Bible : deux seulement de ses grand ouvrages, le Contre Celse et le De principiis sont autre chose que des commentaires ; encore suffit-il d’ouvrir ces livres, tout de même que le De oratione ou l 'Exhortation au martyre, pour voir la place qu’y occupent les textes scripturaires ; certaines de leurs pages en sont complètement tissées.

On ne veut pas dire par là qu’Origène n’a pas fait preuve d’originalité, nous verrons au contraire qu’il a déployé, au service de l’exégèse, toutes les ressources d’un esprit extraordinairement prompt et audacieux. Mais il reste que sa pensée a été informée en quelque manière par les Écritures, qu’elle s’est toujours adaptée à elles, et que, jusque dans ses spéculations les plus aventureuses, elle a cherché à s’appuyer sur des autorités bibliques. On explique ainsi le caractère de ses raisonnements qui ne se développent pas à l’aise, s’ils ne sont pas consacrés à l’explication d’un texte, et même certaines de ses affirmations, ou tout au moins de ses recherches, qui trouvent leur point de départ en une citation mystérieuse et qui ne s’arrêtent pas avant d’en avoir proposé un commentaire.

L’n seul homme, dans l’antiquité chrétienne, pourrait être comparé à Origène pour l’ampleur de son érudition biblique : saint Jérôme. Encore saint Jérôme est-il inférieur à Origène qu’il traduit souvent, à qui il emprunte plus souvent encore, et dont il n’a jamais les splendides élans vers les cîmes.

1° Inspiration de l'Écriture. —

Ce qu’Origène respecte avant tout dans l'Écriture, c’est son origine divine. La Bible tout entière, Ancien et Nouveau Testament, vient de Dieu, et entre tous ses Livres éclate une merveilleuse harmonie : « Ceux qui ne savent pas reconnaître l’harmonie divine des Livres saints croient parfois sentir une dissonance entre l’Ancien Testament et le Nouveau, entre la Loi et les Prophètes, entre les Évangiles comparés les uns aux autres, entre Paul et ses collègues dans l’apostolat. Mais un homme exercé dans cette musique divine, sage en paroles et en œuvres, véritable David, aux mains habiles, selon l'étymologie de ce nom, saura exécuter cette symphonie, entendant à propos tantôt les cordes de la Loi, tantôt celles de l'Évangile qui résonnent à l’unisson, tantôt celles des prophètes ou celles des apôtres qui s’accordent également. Car toute l'Écriture est un divin instrument parfaitement réglé, dont les sons différents forment un merveilleux concert. » Philocalie, vi, 2, P. G., t. xiii, col. 832. Ceux contre lesquels lutte ici Origène sont les marcionites ; il n’est guère d’hérésie qu’il ait combattue avec plus d’acharnement que celle de Marcion ; et, nous le verrons, il s’agit beaucoup moins pour lui, lorsqu’il le fait, de prouver l’unité métaphysique de Dieu que de montrer l’harmonie des deux Testaments qui se réclament d’un seul et même auteur divin.

Que ces livres soient divins, en effet, voilà pour Origène une vérité à peu près évidente : du moins la démonstration de cette vérité se confond-elle avec la preuve de la divinité du christianisme : « En démontrant brièvement la divinité de Jésus par les prophéties qui le concernent, nous démontrons du même coup l’inspiration des Écritures contenant ces prophéties, comme aussi celle des écrits où sa vie terrestre et son enseignement sont rapportés avec tant de force et d’autorité qu’ils ont opéré la conversion des Gentils. L’inspiration des prophéties et le caractère spirituel de la Loi mosaïque ont éclaté à tous les regards à l’avènement de Jésus. Auparavant, il n'était guère possible de prouver avec évidence l’inspiration de l’Ancien Testament. Mais la venue du Messie a fait voir clairement à ceux qui pouvaient suspecter l’origine divine de la Loi et des Prophètes qu’ils ont été vraiment écrits sous l’influence de la grâce céleste. Bien plus, quiconque lira avec attention les paroles des prophètes se convaincra sans peine, à l’enthousiasme dont il sera rempli, que ces livres sont bien de Dieu et n’ont pas des hommes pour auteurs. La lumière dont resplendit la loi de Moïse était jadis couverte d’un voile ; à l’avènement de Jésus, le voile s’est écarté et les biens dont la lettre était la figure ont brillé à tous les regards. » De princ, IV, vi, P. G., t. xi, col. 352-363.

Origène ne s’intéresse guère à la psychologie du prophète ; tout au plus tient-il à faire remarquer que celui-ci n’est pas un de ces extatiques, semblables à ceux dont se glorifiait naguère le paganisme ou encore à ceux qu’exaltaient les adeptes de Montan. Depuis longtemps, l'Église admettait que le véritable prophète ne doit pas « parler en extase », selon la formule de Miltiade, et que l’inspiration est incompatible avec le désordre mental. Origène, lorsqu’il réfute les opinions de Celse, se trouve amené à insister sur ce point : « S’il est vraiment participant de l’Esprit de Dieu, il faut que l’homme inspiré tire de ses oracles plus de profit que ceux qui viennent le consulter… et qu’il ait toute sa lucidité d’intelligence précisément à l’heure où la divinité réside en lui. Les prophètes juifs, éclairés vraiment de l’Esprit de Dieu, comme nous le démontrons par les saintes Écritures, étaient les premiers à profiter de la présence d’un hôte aussi noble. Le contact avec l’Esprit-Saint, si j’ose parler ainsi, rendait leur entendement plus pénétrant et leur âme plus resplendissante. Leur corps même ne faisait plus obstacle à la vertu. » Contra Cels., VII, 7, P. G., t. xi, col. 1432.

L’essentiel, c’est que les écrivains sacrés soient, comme ils le sont, pénétrés de l’Esprit divin, qu’ils aient rédigé leurs livres sous son inspiration, De princ, IV, ix, P. G., t. xi, col. 360 ; qu’ils aient été illuminés par lui, De princ, IV, xiv ; Contra Cels., VII, 7, P. G., t. xi, col. 373, 1429. Il est dès lors assuré qu’un ouvrage écrit en de telles conditions sera plein d’enseignements bienfaisants, qu’aucun mot, qu’aucune lettre n’y sera inutile, que tout y aura une signification profonde et que le seul devoir de l’interprète sera de découvrir cette signification.

Méthode d’exégèse.


Gomment faire pour expliquer les livres de l'Écriture inspirée ? Nous touchons ici l’un des points fondamentaux de l’origénisme. Origène commence par rappeler que l’existence du sens mystique de l'Écriture est un dogme traditionnel dans l'Église : (Est illud in ecclesiastica prædicatione) quod per Spiritum Dei Scriptural conscriptæ sint et sensum habeant, non eum solnm qui in mani/esto est, sed et alium quemdam lalentem quamplurimos. Formée enim sunt hsec quee descripta sunt sacramentorum quorumdam et divinarum rerum imagines. De princ., i, prooem., 8, P. G., t. xi, col. 119.

D’une manière plus précise encore, Origène explique qu’il y a dans l'Écriture un triple sens : « Dans les Proverbes de Salomon, il est dit à propos des préceptes divins : Transcris-les trois fois dans ta volonté et ton intelligence, afin de répondre des paroles de vérité à ceux qui t’interrogeront. Il faut donc écrire trois fois en son âme les pensées des saintes Lettres. Les simples s'édifieront de ce que nous pourrons appeler la chair de l'Écriture, nous voulons dire le sens direct ; les plus avancés profiteront de ce qui en est comme l'âme ; les parfaits, selon le mot de l’Apôtre… jouiront de la loi spirituelle, qui contient l’ombre des biens à venir. L’homme se compose de trois parties : le corps, l'âme et l’esprit. De même l'Écriture octroyée par Dieu pour le salut des hommes. » De princ, IV, xi, P. G., t. xi, col. 364365. Cf. In Leuil., hom. v, 1 ; In Gènes., nom., ii, 6 ; nom., xi, 3 ; hom. xvii, 9 ; P. G., t.xii, col. 447, 173, 224, 262.

Le sens corporel est aussi le sens littéral ou historique : c’est le premier, le plus clair, le plus facile à découvrir. Origène assure cependant qu’il est des cas assez nombreux dans lesquels ce sens n’existe pas, que certaines parties de l'Écriture n’ont rien de corporel, qu’il n’y faut chercher que l'âme et l’esprit. De princ, IV, xii, P. G., t. xi, col. 365. P’ormule étrange, et qui a besoin d’explication : Origène veut dire par là que les écrivains sacrés usent de comparaisons, de métaphores, de paraboles, d’allégories et qu’ils ne sauraient être pris au mot, sans impossibilité ou contradiction. « Quel homme de bon sens pourrait se persuader que le premier, le second et le troisième jour de la création ont eu un soir et un matin, sans soleil, ni lune ni étoiles, ou même sans ciel s’il s’agit du premier jour ? qui est assez simple pour croire que Dieu planta le paradis d'Éden vers l’Orient à la façon d’un jardinier ?… il n’est personne, je pense, qui ne voie là des figures et ne cherche des sens cachés dans un récit d’apparence historique, mais qui ne s’est point passé à la lettre comme il est raconté. > De princ, IV, xvi, P. G., t. xi, col. 380 ; cf. In Joan., x, 4, P. G., t. xiv, col. 313. Ce n’est pas seulement dans l’Ancien Testament qu’il en va ainsi ; dans le Nouveau Testament lui-même, bien des passages ne peuvent pas raisonnablement être entendus à la lettre.

D’ailleurs, il reste que le plus souvent le sens littéral existe et doit être recherché avant tous les autres : « Il y a beaucoup plus de choses qui se sont vérifiées réellement au sens historique qu’il n’y en a d’ajoutées pour être comprises simplement au sens spirituel… Mais un lecteur diligent doutera quelquefois et ne découvrira pas sans un long examen si tel fait est historique ou non à la lettre. » De princ, IV, xix, P. G., t. xi, col. 385 ; cf. In Epist ad Philem., dans Apol., vi, P. G., t. xvii, col. 591-593. Cette dernière assertion doit être soigneusement relevée. Il serait profondément injuste de représenter Origène comme un allégoriste dédaigneux de l’histoire ; il regarde comme essentiel, aussi souvent que possible, le sens littéral de l'Écriture, et il commence par l’expliquer soigneusement. Il tient seulement à remarquer que ce sens n’est pas le seul et que, parfois même, il ne saurait être fourni de manière raisonnable.

Le sens psychique, qui se superpose au sens corporel, est assez difficile à définir ; et à vrai dire, Origène n’a essayé que rarement d’expliquer comment il fallait l’entendre. On croit entrevoir que ce sens a surtout pour objet la correction des mœurs et l'édification, In Gen., hom. xvii, 1, P. G., t.xii, col. 253 ; qu’il s’applique aux relations de l'âme individuelle et particulière avec Dieu et la loi morale. Mais cela est assez vague. En fait, il arrive très souvent qu’Origène se contente d’opposer l’un à l’autre l’esprit et la lettre ; et, après avoir marqué le sens littéral d’un texte, qu’il en étudie sans plus tarder le sens allégorique.

Celui-ci, à vrai dire, a toutes ses préférences. Origène n’est pas le créateur de l’exégèse allégorique : depuis longtemps cette méthode avait trouvé des partisans dévoués, et il n’est pas nécessaire d’insister sur les œuvres de Philon le Juif qui sont presque toutes des commentaires allégoriques des saintes Lettres. Au plus doit-on faire remarquer que ce n’est pas de Philon que se recommande Origène, mais de saint Paul lui-même, dont il cite volontiers les formules. De princ, IV, xiii ; Contra Cels., IV, 44. Ce qui, plus que tout, l’encourage dans la recherche du sens spirituel, c’est le danger que fait courir à la foi un littéralisme excessif : « Pour avoir ignoré la vraie méthode à suivre, beaucoup de gens ont fait fausse route. Les Juifs, au cœur dur et stupide, refusent de croire au Sauveur parce que, rivés à la lettre des prophéties, ils ne l’ont pas vu annoncer aux captifs la délivrance matérielle, ni rebâtir ce qu’ils appellent la véritable cité de Dieu, ni exterminer les chars d'Éphraïm et les cavaliers de Jérusalem… Ces diverses conceptions, ou erronées, ou impies, ou absurdes, viennent de ce qu’on néglige le sens spirituel pour ne s’attacher qu'à la lettre nue. » De princ, IV, viii, P. G., t. xi, col. 356361.

L’emploi de la méthode allégorique présente de nombreux avantages. Grâce à elle, toute l'Écriture peut être interprétée d’une façon digne de l’EspritSaint qui en est l’auteur principal, et Origène insiste sur ce point qu’on ne saurait prendre à la lettre un récit ou un précepte indigne de Dieu. De princ, IV, ix ; In Num., hom. xxvi, 3 ; In Jerem.. hom.xii, 1 ; P. G., t. xi, col. 361 ; t.xii, col. 774 ; t. xiii, col. 377. Mais à quel moment se trouve réalisée cette condition ? La question est difficile à résoudre, et l’on tombe facilement dans l’arbitraire en proclamant que Dieu n’a pas pu vouloir dire ceci ou cela au sens littéral.

Origène d’ailleurs justifie l’allégorie par une raison d’ordre plus général : pour lui, toute la nature visible n’est que le symbole du monde invisible ; et chaque individu a son correspondant, son type, son modèle dans l’idéal : on reconnaît ici la célèbre doctrine de Platon, plus ou moins remaniée. Il s’ensuit que toutes choses, et l'Écriture comme le reste, ont deux aspects : l’un corporel, sensible, accessible à la masse des simples ; l’autre spirituel, mystique, que seuls connaissent les initiés et les parfaits. Le sens corporel n’est pas faux, mais il est incomplet ; le sens spirituel révèle la pleine vérité à ceux qui sont capables de l’atteindre. Qu’il s’agisse de récits, de prescriptions, de noms, de chiffres, que sais-je encore, il n’est rien qui ne soit exprimé par figure le privilège des maîtres est d’interpréter correctement ces images et ces symboles. Nous reviendrons plus loin sur cette division de l’humanité en deux groupes, les simples et les parfaits ; il est dès maintenant assuré qu’elle s’impose à Origène dès lors qu’il a posé les principes de son exégèse.

3' La tradition. —

Origène est essentiellement un bibliste qui a consacré toute sa vie à l’interprétation des Livres saints. Il n’est pas moins essentiellement un homme d'Église, attaché par les liens les plus étroits à la doctrine traditionnelle. Lorsqu’on le regarde du dehors, une telle assertion peut sembler quelque peu surprenante ; elle s’impose à qui prend la peine d'étudier ses œuvres et son activité. Tout différent de lui avait été son maître Clément : ce dernier n’avait jamais été que professeur et écrivain. Il avait montré sans doute la sincérité de son attachement à la grande Église, mais c'était en toute liberté qu’il en avait commenté les enseignements, et jamais il ne s'était attaché à dresser le catalogue de ses doctrines. Origène, au contraire, possède une âme d’apôtre : tel nous le voyons aux jours de sa jeunesse lorsqu’il exhorte son père au martyre et qu’il refuse de prier avec l’hérétique Paul d’Antioche, tel il est encore à la fin de sa vie quand il écrit l’Exhortation au martyre et qu’il adresse ses homélies au peuple de Gésarée.

Sa première règle de conduite et de pensée, c’est de ne rien recevoir, de ne rien enseigner qui soit en dehors du « kérygme » ecclésiastique. Le début du De principiis est des plus clairs : « Puisque l’enseignement ecclésiastique transmis par les apôtres selon l’ordre de la succession légitime se conserve jusqu'à ce jour dans les Églises, on ne doit recevoir comme article de foi que ce qui ne s'éloigne en rien de la tradition ecclésiastique et apostolique. » De princ, I, proœm., 2, P. G., t. xi, col. 115.

Cette déclaration n’est pas isolée. On en trouve l'équivalent dans des œuvres qui appartiennent à toutes les périodes de la vie d’Origène et peu d’hommes ont été plus attachés que lui à la devise : sentire cum Ecclesia : « L'Église est en possession de la foi droite. Les hérétiques portent le non ; de chrétiens, ils se vantent de donner un enseignement qu’ignorent ceux qui sont d'Église, quæ lalere ab ecclesiasticis dicunt ; ils sont en réalité des voleurs et des adultères, des voleurs qui dérobent les vases du temple, des adultères qui souillent de leurs erreurs les chastes dogmes de l'Église, justa et honesta Ecclesiæ dogmata. In Rem. comment., ii, 11, P. G., t. xiv, col. 898. Nous nous appliquons à entendre l'Écriture, non pas comme Basilides, que nous abandonnons à son impiété, mais secundum pietatem ecclesiastici dogmatis. In Rom. comment., v, 1, P. G., t. xiv, col. 1015. Nous pratiquons la liturgie du baptême secundum typum Ecclesiis traditum, id., v, 8, P. G., t. xiv, col. 1038 ; cf. In Joan., xiii, 16, P. G., t. xiv, col. 421. Nous pensons secundum doctrinum ecclesiasticam. In Matth. comment, ser., 137, P. G., t. xiii, col. 1787. Les vrais prophètes du Christ sont les docteurs qui ecclesiastice docent verbum. Id., 47, col. 1669. Origène parle ailleurs du x^puy^a sxxXTjciacmxov. De princ, III, i, 1, P. G., t. xi, col. 249. Il dit au sujet d’articles de foi : Est et illud definitum in ecclesiaslica prædicatione. Id. I, i, 5, col. 118. Cette prædicatio, ce XTfjpuy[i.a, est l’enseignement qui, par la succession des évêques, qui le maintiennent, remonte aux apôtres. » P. Batiffol, L'Église naissante, p. 371-372.

La foi de l'Église est renfermée en abrégé dans le symbole baptismal. Origène ne nous a laissé nulle part le texte du symbole qu’il recevait et que recevait de son temps l'Église d’Alexandrie ; mais on ne saurait douter qu’il s’appuie souvent sur un texte fixé. Citons seulement ce passage du commentaire sur saint Jean : « Crois avant tout qu’il n’y a qu’un seul Dieu, qui a tout créé et affermi, qui a tout appelé du néant à l’existence. Il faut croire aussi que Jésus-Christ est Seigneur, et à toute la vérité relative à sa divinité et à son humanité. Il faut croire encore au Saint-Esprit, et que, étant libres, nous sommes châtiés parce que nous avons péché, nous sommes récompensés pour ce que nous avons fait de bien. Si quelqu’un semble croire en Jésus et ne croit pas qu’il n’y a qu’un seul Dieu de la Loi et de l'Évangile, dont les cieux, comme créés par Lui, racontent la gloire et dont le firmament annonce l'œuvre de ses mains, tomme étant son ouvrage, celui-là laisse de côté un très important chapitre de la foi. De même, si quelqu’un croit que celui qui a été crucifié sous Ponce-Pilate est un être saint et Sauveur, mais qu’il n’a pas pris naissance de la vierge Marie et du Saint-Esprit, mais de Joseph et de Marie, à celui-là aussi manquent des choses très nécessaires pour avoir la foi. » In Joan., xxxii, 9, édit. Preuschen, p. 451.

De même dans les Ccmmentariorum séries sur saint Matthieu : « Certains ne manifestent aucun dissentiment sur les points publics et clairs : à savoir le Dieu unique qui a donné la Loi et l'Évangile ; Jésus-Christ premier-né de toute créature, qui, à la fin des temps, selon les prédications des prophètes, est venu drns le monde et a pris la véritable nature de la chair humaine, étant né de la Vierge, qui a supporté la mort de la croix, est ressuscité des morts et a déifié la nature humaine qu’il avait prise ; et aussi le Saint-Esprit, le même qui a été dans les patriarches et les prophètes et qui a été ensuite donné aux apôtres, la résurrection des morts : ils croient tout cela comme l'Évangile l’enseigne avec certitude, et tout ce qui est transmis dans les Églises. » In Matth. cemment. ser., 33, P. G., t. xiii, col. 1643-1644. De tels passages, et sans peine on pourrait en citer beaucoup d’autres du même genre dtns l'œuvre d’Origène, ne sauraient remplacer un texte fixé du symbole. Ils témoignent du moins que leur auteur est profondément atteché à la règle ecclésiastique.

Avec la même ardeur, Origène condamne les hérétiques, ou, comme il aime à dire, les hétérodoxes. « Sous couleur de science, les hétérodoxes s’insurgent contre la sainte Église de Dieu, ils multiplient les livres où ils promettent d’expliquer les préceptes évangéliques et apostoliques : si nous gardons le silence, si nous ne leur opposons pas les dogmes salutaires et vrais, ils s’empareront des âmes qui ont faim de la nourriture qui sauve, et qui se jettent sur les viandes défendues, souillées vraiment et abominables. Voilà pourquoi il me paraît nécessaire que celui qui peut prendre la défense de l’enseignement ecclésiastique sans en rien altérer et qui peut réfuter celui qui se réclame de la fausse science, résiste en face aux hérétiques et à leurs mensonges, leur oppose la sublimité de l’enseignement évangélique et la plénitude harmonieuse des dogmes communs à l’Ancien et au Nouveau Testament. » In Joan.. ii, P. G., t. xiv, col. 196. Ceux qu’il combat avec le plus d’acharnement, sont ceux qui sont particulièrement dangereux pour la foi des simples dans le monde où il vit ; on n’en finirait pas, si l’on voulait citer tous les passages où il attaque Valentin, Basilides et Marcion, car ce sont ces trois hommes surtout et leurs doctrines néfastes qu’il s’attache à réfuter. Il les connaît bien pour avoir lu leurs œuvres ; il les connaît mieux encore pour avoir constaté les ravages qu’ils font dans les âmes, et il ne trouve pas de termes trop sévères pour les condamner : Hæretici œdificanl lupanar in omni via, ul puta magister de officina Valeniini, magister de cœlu Basilidis, magister de tabernaculo Marcionis. In Ezech., hom. viii, 2, P. G., t. xiii, col. 730 ; cf. De princ, II, ix, 6 ; x, 2, P. G., t. xi, col. 230, 234.

Sans doute, ou voudrait plus de précision dans l’ecclésiologie d’Origène. Trop habituellement, le grand docteur se contente de faire appel à la tradition, à la prédication ecclésiastique, sans préciser assez nettement quels en sont d’après lui les dépositaires. Il parle des évêques, des prêtres, des diacres : c’est plus souvent pour critiquer leurs mœurs, ou pour les inviter à la sainteté que pour indiquer leur rôle d’enseignement. Il insiste par contre sur les didascales qui paraissent, à ses yeux, avoir reçu grâce et mission pour prêcher la vérité et pour dénoncer l’hérésie : il témoigne à ce sujet d’une admirable candeur, car si les hérétiques aussi bien que les orthodoxes, se réclament de la tradition apostolique, des enseignements des prophètes et du Seigneur, qui montrera où est la vérité? Le maître fait ici appel au jugement de Dieu : Orale pro nobis ul sermones nostri non sinl falsi. Licel quidam homines ignoratione judieii eos asscrant falsos, Dominus non dicat, et recte nobiscum agetur. Si vero milia hominum eos dixerint veros, judieio porro Dci fuerinl falsi, quid milii proderit ? Dicunt et Marcionilse magistri sui veros esse sermones ; dicunt et Valentini robustissimam sectam, qui fabularum ejus commenta suscipiunl. Quie utilitas quia plurimx Ecclesise hxrelica pravilate deceptæ in eorum conspiravere sententiam ? Hoc est, quod quæritur, ut Dominus sermonum meorum lestis adsislal, ut ipse comprobet quæ dicantur sanctarum leslimonio scriplurarum. In Ezech., hom. ii, 5, P. G., t. xiii, col. 680. Des passages comme celui-là respirent un optimisme robuste. On n’est malheureusement pas assuré que l’expérience donne toujours raison aux principes posés par Origène, et l’on préférerait que le maître alexandrin donnât une assise plus stable à la foi des croyants.

Il reste que si, en fait, Origène ne définit pas assez clairement le magistère ecclésiastique, sa vie entière apparaît comme un témoignage de sa fidélité à l'Église. Cela est bien quelque chose. Un homme qui n’a pas cessé de combattre les hérétiques, qui a dépensé le meilleur de ses forces à prêcher et à expliquer l'Écriture sainte, qui, finalement, a souffert de la persécution, peut employer des formules incomplètes et insuffisantes, il n’en est pas pour cela hérétique. « Ce qui fait l’hérétique, c’est l’obstination et l’orgueil. Il est impossible de parcourir les ouvrages d’Origène sans être frappé de sa modestie, de sa réserve et de sa candeur. Personne n’a fait plus d’usage que lui des particules conditionnelles et des formules dubitatives… Il est et veut être jusqu’au bout enfant de l'Église, car c’est le signe du vrai chrétien… » F. Prat, Origène, p. xxxviii.

La philosophie.


Si attaché qu’il soit à la tradition ecclésiastique, Origène ne se contente pas de répéter ses enseignements. Il cherche à les approfondir et à les expliquer, et il utilise pour cela toutes les ressources que la philosophie hellénique met à sa disposition. Dès sa jeunesse, il a étudié les doctrines philosophiques, plus tard il a suivi les leçons d’Ammonius Saccas, et l’on retrouve sans peine dans ses ouvrages la trace des influences qu’il a subies de la sorte.

Ces influences sont en partie littéraires : nous sommes assurés, par exemple, qu’Origène avait lu l’Iliade et l’Odyssée, qu’il connaissait les poèmes d’Hésiode, les tragédies de Sophocle et d’Euripide, sans doute aussi quelques comédies d’Aristophane et de Ménandre. Lorsqu’on lit le Contra Celsum, on ne peut guère s’empêcher d’admirer la multitude des citations d'écrivains profanes qui y figurent. Un bon nombre de ces citations proviennent sans doute des florilèges, qui, au nie siècle et depuis longtemps déjà, fournissaient aux érudits les renseignements les plus variés sur les diverses questions d’histoire, de géographie, , de morale, de sciences naturelles, etc. Mais il en est d’autres que le maître lui-même a extraites de ses propres lectures et lorsqu’il signale parmi les auteurs qu’il a étudiés le IIspl ID-àxtovoç d’Aristandros, les IIspî 'IouSaîcov d’Hécatée et d’Hérennius Philon, les Xpovixâ de Phlégon, on peut mesurer par là l'étendue de son information. Il est juste d’ajouter au reste que la plupart des citations ou des allusions empruntées aux poètes ou aux historiens figurent dans le Contra Celsum : par sa destination, ce livre exigeait qu’une place importante fût faite aux maîtres de la littérature hellénique et que l’auteur se montrât capable de rivaliser par sa science avec son adversaire païen.

Dans ses autres ouvrages, l'érudition d’Origène est plus discrète ; on sent qu’il n’a pas de temps à perdre avec les poètes ou les rhéteurs. Par contre, les philosophes le retiennent et l’enchantent. Comme de juste, ses préférences le portent vers Platon. Il serait long d'énumérer ici toutes les citations qu’il fait des dialogues platoniciens et plus long encore de marquer tout ce qu’il doit à la doctrine de Platon : on a remarqué depuis longtemps, non sans exagération parfois, que son enseignement sur Dieu et sur le monde était pour l’essentiel emprunté à Platon. En fait, nous le verrons, cet enseignement est surtout chrétien, mais les termes dans lesquels il s’exprime sont, en bien des cas, ceux qu’avaient déjà employés les Dialogues.

Moins facilement discernable est l’influence d’Aristote. On ne saurait pourtant nier qu’elle soit réelle, et c’est un des mérites de M. de Faye de l’avoir mise en relief. Il arrive très souvent que, dans la position des grands problèmes de l’anthropologie et de la morale, Origène, même sans faire expressément appel à l’autorité d’Aristote, s’inspire du Stagirite et qu’il adopte les solutions déjà indiquées dans le De anima ou dans la Morale à Nicomaque.

Les stoïciens tiennent une grande place dans l'élaboration et l’exposé de la doctrine origéniste. Le maître alexandrin a sûrement lu et étudié les œuvres de Chrysippe et de Zenon ; il doit avoir eu également entre les mains des écrits plus récents où il trouvait marquées les transformations apportées aux théories primitives. Et surtout il a vécu dans un milieu tout pénétré d’influences stoïciennes : le vocabulaire philosophique du nie siècle est rempli d’expressions qui ont leur origine dans l’enseignement du Portique, et qui, même après avoir passé dans l’usage courant, gardent quelque chose de leur premier emploi. Ainsi, lorsque Origène confesse ses opinions sur l’origine et le renouvellement de choses, souvent aussi lorsqu’il traite des parties de l'âme et de la vie morale, on entend en lui l'écho du stoïcisme.

Les autres écoles ont moins fortement agi sur son esprit. On a cru retrouver ici ou là, dans ses œuvres, des citations plus ou moins expresses d'Épicure, de Sextus Empiricus, des allusions aux thèses de Carnéade et de Clitomaque, et rien de tout cela n’est invraisemblable, car sa curiosité était presque sans bornes. Mais nous savons aussi qu’il faisait profession de mépriser Épicure, en qui il voyait un maître d’impiété et d’immoralité, et que le scepticisme de la Nouvelle-Académie ne s’alliait pas avec son intelligence avide de certitude.

Nulle part Origène ne fait mystère de ses études philosophiques. Il va jusqu'à déclarer, ainsi que l’avait fait Clément avant lui, que les philosophes ont appris par révélation quelques-unes au moins des belles choses qu’ils ont dites et qu’ils sont souvent d’accord avec la loi de Dieu. Contra Cels., V, 3 ; In Gencs., nom. xiv, 3. Mais il ne partage pas, de très loin, l’enthousiasme de Clément pour la sagesse profane, et rien n’est plus curieux que la divergence des attitudes adoptées ici par les deux chefs du didascalée d’Alexandrie. Autant Clément était disposé à faire confiance à la philosophie, autant Origène insiste sur sa vanité et son insuffisance, lorsqu’on la compare à la foi : i Quand même, écrit-il, nous défendrions à nos malades d’appeler à leur aide la philosophie d'Épicure et les médecins épicuriens qui les ont séduits, n’aurions nous pas bien raison de le faire ? nous les délivrons ainsi de la maladie mortelle où les ont précipités les médecins de Celse, en leur dérobant la Providence et en faisant du plaisir le souverain Dieu. Je veux même que nous empêchions ceux que nous attirons à nos doctrines de recourir aux remèdes des autres philosophes : des péripatéticiens qui suppriment la Providence et nient les relations de l’homme avec Dieu…, des stoïciens qui, pensant et enseignant publiquement que Dieu est sujet à la corruption, que son essence est corporelle, changeante et susceptible de toutes les formes, croient de plus que tout périra excepté Dieu…, de ceux qui enseignent la folie de la métempsychose et dégradent une nature raisonnable, jusqu'à la faire passer dans la brute ou dans quelque substance insensible… » Contra Cels., III, 75 ; cf. IV. 14.

Un argument décisif empêche d’ailleurs Origène de placer toute sa confiance dans la philosophie : c’est son impuissance à corriger les mœurs de ses adeptes. Les meilleurs d’entre les païens, dit-il, les plus sages, enseignent de belles doctrines ; ils écrivent avec noblesse et élévation sur le souverain bien ; après quoi, ils se rendent au Pirée pour adresser des prières à Artémis comme à une divinité et pour assister aux fêtes que célèbre en son honneur une multitude ignorante. On les entend disserter admirablement sur l'âme et décrire la félicité qui l’attend si elle a vécu ici-bas dans la sagesse, puis oubliant bientôt les choses sublimes aue Dieu leur a manifestées, ils tombent dans des sentiments bas et grossiers et ils sacrifient un coq à Esculape. Contra Cels., VI, 3. A peine les défenseurs de la sagesse antique peuvent-ils citer deux convertis, Phédon et Polémon, que la philosophie ait retirés des mauvaises mœurs. Contra Cels., i, 64. Les autres, tous les autres, ont poursuivi leur existence impure et égoïste, sans se soucier d’autre chose que de leurs disputes d'écoles.

Il ne faut pas oublier, sans doute, que de tels passages figurent dans un écrit apologétique et qu’Origène doit ici répondre aux difficultés soulevées par Celse. Mais jamais Clément n’aurait écrit de la sorte. Son disciple n’a plus la même confiance dans les philosophes ; il les connaît trop pour les croire infaillibles, et surtout il est trop profondément attaché à la doctrine chrétienne pour essayer même de la comparer aux enseignements profanes.

On peut dire cependant qu’Origène, s’il critique en toute liberté les théories des philosophes, s’inspire de leur esprit et que, s’il s’apparente à eux, c’est par sa méthode plutôt que par ses opinions. Celles-ci, il

les veut orthodoxes, et il ne cesse jamais de les contrôler par le Kérygme ecclésiastique. Mais sa méthode est celle de la libre recherche. Il distingue fortement deux groupes de vérités : celles qui sont imposées par la tradition, et celles qui sont librement discutées parmi les fidèles. Fortement attaché aux premières, il multiplie hardiment les hypothèses au sujet des secondes. Et s’il critique les résultats obtenus par les philosophes, c’est parce qu’il est assuré de posséder une philosophie meilleure : entendons ici ce terme dans son sens propre. Le christianisme, à ses yeux, est une sagesse, il constitue un système cohérent. Il est vrai que tous les fidèles ne l’envisagent pas ainsi. Beaucoup d’entre eux, les simples, se contentent de la foi, seuls les parfaits sont capables de monter jusqu'à la gnose. Mais, si les simples sont déjà assurés du salut, ils sont loin de la perfection à laquelle prétendent les gnostiques. Cette division des croyants en deux classes est capitale dans l’enseignement d’Origène. Il faut tout de suite essayer d’en déterminer la portée.

Les simples et les parfaits.


Avant Origène, Clément d’Alexandrie avait déjà formulé une théorie très nette sur la distinction entre la foi et la gnose. Origène reprend la même distinction, et il l’appuie sur la dualité des significations qu’il découvre dans les Écritures inspirées. Aux simples croyants, le sens matériel suffit. Les parfaits devront aller plus loin et pénétrer jusque dans les mystères de l’allégorie. A tout instant, au cours de ses homélies, nous voyons le prédicateur revenir sur cette idée et nous constatons en même temps qu’elle n’est pas acceptée sans difficulté par ses auditeurs : « Que veut, se demandentils, ce chercheur de rébus ? A quoi bon rechercher partout des problèmes, afin d'éviter l’explication de la lecture ? Comment va-t-il nous montrer que, parmi nous, il y a des astres ? » InLeviL, nom. xvi, 4. « On me dit : N’allégorisez donc pas, n’expliquez pas au moyen de figures. » In Levit., nom. vi, 8.

L’orateur est souvent obligé de se défendre contre des attaques qui semblent avoir été assez violentes : « Si je commence à examiner les paroles des anciens et à y chercher un sens spirituel, si je m’elïorce de soulever le voile de la Loi et de montrer que ce qui est écrit est allégorique, je creuse des puits ; mais aussitôt les amis de la lettre lanceront la calomnie contre moi, ils me tendront des embûches ; ils me susciteront des inimitiés et des persécutions sous prétexte que la vérité ne peut tenir que sur la terre. » In Gènes., hom. xiii, 4 ; cf. In Num., hom.xii, 2 ; In Psalm. xxxvi, hom. v, 1 ; In Luc., hom. xxiii.

Ces contradictions n’empêchent pas Origène d’insister. Après avoir rappelé, dans le Contra Celsum, que les simples, gagnés au christianisme, dépassent de loin par leur pureté et leur courage les plus sages des païens, il tient à prouver que le christianisme tient en réserve pour les parfaits, des doctrines supérieures : « Même d’après notre enseignement, dit-il, il vaut beaucoup mieux adhérer aux dogmes avec raison et sagesse que par la simple foi. Si le Verbe a voulu dans certains cas la simple foi, c’est pour ne pas laisser entièrement les hommes sans secours. On le voit par les paroles de Paul, vrai disciple de Jésus : « parce que, dans la sagesse de Dieu, le monde n’a pas connu Dieu par la sagesse, il a plu à Dieu de sauver les croyantspar la folie de la prédication. » Il montre clairement par là qu’il faudrait connaître Dieu dans la sagesse de Dieu ; mais, puisque cela n’est pas arrivé, il a plu à Dieu en seconde ligne de sauver les croyants non pas simplement par la folie, mais par la folie, en tant qu’elle est dans la prédication. Et Paul le comprend bien quand il dit : « Nous prêchons JésusChrist crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations, niais pour les élus, Juifs et Hellènes, le Christ vertu de Dieu et sagesse de Dieu. » Contra Cels., I, 13, P. G., t. xi, col. 680.

Cette distinction pourrait être bien entendue : n’est-il pas vrai en effet que tous les croyants ne sont pas obligés d’approfondir l’enseignement que leur communique l'Église ? La plupart d’entre eux se contentent de croire, d’une manière générale. Quelques-uns seulement étudient, et la théologie est une science réservée, du moins en fait, à une élite. Mais il semble qu’Origène ait voulu signifier autre chose, de moins simple et de plus contestable.

En certains passages de ses commentaires et de ses homélies, Origène représente les chrétiens vulgaires comme pouvant tout au plus avancer un peu vers la gnose ou même ne rien rechercher en dehors de la vie pratique et se contenter de l’enseignement préparatoire et de quelques œuvres pauvres. Selecta in Ezech., vi, 6, P. G., t. xiii, col. 785. Par contre les parfaits sont admis à contempler des vérités supérieures ; si l’on ne peut prêcher aux charnels que Jésus-Christ crucifié, à ceux qui sont épris de la sagesse divine on enseigne le "Verbe qui est auprès du Père. Au premier rang, ceux qui participent au Verbe qui était dans le principe ; au second rang, ceux qui ne savent rien que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié, estimant que le Verbe incarné est le tout du Verbe et ne connaissant rien sinon le Christ selon la chair. In Joan., ii, 3, 27-31, P. G., t. xiv, col. 113. D’une part, les Corinthiens, qui ne peuvent supporter que le lait des enfants ; d’autre part, les Éphésiens, capables de recevoir la nourriture des forts. In Ezech., hom. vu, 10, P. G., t. xiii, col. 726-727.

La foi des simples s’appuie sur les miracles, celle des parfaits sur la contemplation de Dieu : « Il est vraisemblable que les Juifs croyaient en Jésus quant aux choses visibles, à cause des miracles, mais ils ne croyaient pas aux choses plus profondes qu’il disait… et on retrouverait les mêmes dispositions chez beaucoup de gens, ils admirent Jésus quand ils considèrent son histoire, mais ils ne croient plus quand on leur présente un discours qui est trop profond et trop haut pour leur portée ; ils le tiennent pour mensonger. » In Joan., xx, 30, 274-275, P. G., t. xiv, col. 644.

De la sorte, c’est parce qu’ils voient en quelque sorte Dieu, parce qu’ils sont illuminés par le Verbe, que les parfaits connaissent les réalités spirituelles : « Le Verbe, pour ceux qui en sont encore à l’enseignement préparatoire, a la forme d’esclave, de sorte qu’ils peuvent dire : Nous l’avons vu et il n’avait ni forme ni beauté ; et pour les parfaits, il vient dans la gloire de son Père, et ils peuvent dire : Nous avons vu sa gloire, gloire comme un fils unique en reçoit de son père, plein de grâce et de vérité. » In Matlh., xii, 30, P. G., t. xiii, col. 1049.

On pourrait multiplier les textes de cette nature ; et il est certain que, lorsqu’on les lit d’enfilée, on éprouve un sentiment assez pénible. Le P. Lebreton qui a consacré une remarquable étude aux Degrés de la connaissance religieuse d’après Origène, conclut ainsi : « Si l’on considère l'élite, le petit groupe des privilégiés que l’on convie à ces initiations, quelle tentation de leur représenter la perfection comme les classant à part dans l'Église : ils sont les vrais chrétiens, chrétiens cachés que la foule ignore ; ils condescendent à sa faiblesse, ils s’accommodent à ses rites ; ils semblent perdus dans son sein ; mais ils ont conscience d'être les dépositaires des secrets de Dieu, chargés de les communiquer aux quelques âmes d'élite qu’ils peuvent distinguer autour d’eux. Les autres sont les serviteurs de Dieu, eux sont ses amis ; les autres sont des enfants qui doivent être gardés par des anges, eux sont les égaux des anges ; aux autres, la folie de

la croix, à eux la sagesse de Dieu. Et quant à la foule, au peuple des simples, que lui donne-t-on ? Incapable de contempler les mystères, il doit se former laborieusement et imparfaitement par la pratique de la vie, par l’accomplissement des préceptes ; jamais ses regards ne pénétreront l’arche sainte, mais ses épaules en sentiront le poids ; à lui les rites, les symboles, la lettre de l'Écriture ; aux autres les significations mystiques, les révélations de l’Esprit. Les vérités élémentaires qu’on lui enseigne sont-elles du moins strictement et toujours des vérités ? Origène le dit le plus souvent, et par là, il s’oppose aux gnostiques ; mais on trouvera aussi chez lui telle page inquiétante où l’enseignement élémentaire apparaîtra comme un mensonge salutaire : Dieu trompe l'âme pour la former. » Recherches de science religieuse, 1922, t.xii, p. 294-295.

Avouons pourtant ici nos hésitations. Autant il est assuré qu’Origène insiste sur la distinction entre les simples croyants et les parfaits, ceux-là n'étant menés que par la foi, ceux-ci se laissant conduire par la gnose, autant il nous semble difficile de penser qu’il fait de ces dernier les seuls privilégiés de la vérité. Le sens littéral de l'Écriture n’est pas faux : il est incomplet. La folie de la croix n’est pas une erreur : elle n’est pas le tout du Verbe incarné. La présence réelle du Christ dans l’eucharistie n’est pas une tromperie : elle est le sacrement de son action spirituelle. Origène croit trop au charisme de l’intelligence et au rôle des didascales : soit ; mais il se garde de mépriser les faibles et les petits. Il exprime d’ailleurs ses idées en fonction des passages scripturaires qu’il doit interpréter, et dont il s’efforce de pénétrer tout fe sens : on doit expliquer par là bien des obscurités ou des confusions. Lorsque, par exemple, il lit dans Jérémie la phrase : « Tu m’as trompé, Jahvé, et j’ai été trompé », Jer., xx, 7, il est obligé de fournir une exégèse qui tienne compte de ce mot : tromper. Est-il légitime de lui attribuer à lui-même une théorie complète du mensonge pédagogique ? et ne retrouverait-on pas chez d’autres Pères, chez saint Augustin par exemple, des commentaires encore plus étranges de l'Écriture ?

IV. Les dogmes fondamentaux. Dieu ; la Trinité ; LES RELATIONS DES PERSONNES DIVINES.

Au début du De principiis, Origène donne un résumé aussi complet que possible des dogmes fondamentaux qu’enseigne la prédication ecclésiastique et des opinions sur lesquelles peuvent librement s’exercer les controverses. Il faut citer l’essentiel de cette préface :

On doit observer que les saints apôtres, en prêchant la foi du Christ, manifestèrent à tous, même aux moins avancés dans l’intelligence des choses de Dieu, les articles jugés nécessaires, réservant le soin d’en rechercher les causes profondes à ceux qui auraient reçu de l’Esprit-Saint les dons excellents de discours, de sagesse et de science. Ils se contentèrent d'énoncer le reste, sans en expliquer la cause ni le mode, pour laisser aux amis passionnés de l'étude et de la sagesse, dans les temps à venir, une matière où ils pourraient s’exercer avec fruit.

Les points clairement enseignés dans la prédication apostolique sont les suivants :

Premièrement, il n’y a qu’un seul Dieu, créateur et ordonnateur de toutes choses, qui a tiré i’univers du néant, Dieu de tous les justes, depuis l’origine du monde… qui, à la fin des temps, selon les prophéties, a envoyé NotreSeigneur Jésus-Christ pour appeler à lui Israël d’abord, et ensuite les Gentils à défaut d’fsraël rebelle, Dieu juste et bon, Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auteur de la Loi et des Prophètes, de l’Evangile et des Apôtres, de l’Ancien et du Nouveau Testament.

En second lieu, Jésus-Christ, le même qui est venu en ce monde, est né du Père avant toute créature. Après avoir été le ministre du Père dans la création des choses, — car tout a été fait par Lui, — il s’est anéanti à la fin des temps en s’incarnant, tout Dieu qu’il était, et il s’est fait homme tout en restant Dieu. II a pris un corps en tout semblable au nôtre, sauf qu’il est né del a Vierge et de l’Esprit Saint. Il est vraiment né et a vraiment souffert, il est vraiment mort et non en apparence, il est vraiment ressuscité des morts et, après avoir conversé avec ses disciples, il est monté au ciel.

Ensuite, la tradition apostolique associe au Père et au Fils, en honneur et en dignité le Saint-Esprit lui-même. Est-il engendré ou non, doit-il ou non être considéré comme Fils de Dieu, cela n’apparait pas clairement…

L'Église enseigne aussi que l'âme est une substance douée d’une vie propre qui, au sortir de ce monde, sera traitée suivant ses mérites, héritière de l'éternelle béatitude, si ses actions l’en ont rendue digne, asservie aux supplices et au feu éternel, si ses fautes l’y ont précipitée. Mais un jour viendra où les morts ressusciteront, lorsque le corps semé dans la corruption se lèvera incorruptible, et semé dans l’ignominie, se lèvera glorieux.

Un autre point incontesté de l’enseignement de l'Église, c’est le libre arbitre de l'âme raisonnable…

L'âme se transmet-elle par génération, en vertu des forces séminales des corps, ou a-t-elle une autre origine ? en ce cas, est-elle engendrée ou non ? est-elle infusée du dehors dans le corps humain ou non ? Autant de questions que l’enseignement de l'Église ne tranche pas d’une manière absolue.

Quant au diable et à ses anges et aux puissances ennemies, l’enseignement de l'Église nous en apprend l’existence, mais sans exprimer nettement quelle est leur nature et leur manière d'être. Cependant, la plupart sont d’avis que le diable fut jadis un ange et qu’il entraîna dans sa défection un grand nombre de ses compagnons appelés maintenant ses anges.

Un autre point de la doctrine ecclésiastique est que ce monde a été fait et qu’il a commencé à un certain moment et qu’il se dissoudra un jour en vertu de sa corruptibilité native. Mais on ne sait clairement ni ce qui existait avant ce monde, ni ce qui existera après lui…

L’Esprit-Saint, auteur des Écritures, leur donne, outre le sens qui est à la surface, un autre sens qui » échappe au plus grand nombre. Ses récits sacrés sont les types et les figures des mystères divins…

Le terme d’incorporel, presque inusité d’ailleurs, est absent de l'Écriture… Nous rechercherons cependant si la notion de l'être incorporel tel que l’entendent les philosophes, n’existe pas sous un autre nom dans l'Écriture…

Encore un article de l’enseignement de l'Église, l’existence des anges et des vertus célestes que Dieu emploie pour le salut des hommes. Quand furent-ils créés, et dans quel état, quelle est leur manière d'être, la foi ne nous l’apprend pas clairement.

Le soleil, la lune, les étoiles, sont-ils animés ou non, nous ne le savons pas avec certitude. De princ, I, procem., P. G., t. xi, col. 115-121.

Cet exposé est caractéristique. On regrette que le texte original en soit perdu, car nous ne pouvons pas vérifier si Rufin n’a pas, ici ou là, tranformé la pensée d’Origène. D’une manière générale, il semble pourtant assuré que la traduction est fidèle et rend d’une manière exacte les idées de l’auteur. Il s’agit maintenant de voir comment sont précisés et expliqués par le docteur alexandrin les dogmes traditionnels.

Dieu.


Dieu est unique. Tel est le point de départ de la foi, et Origène, qui rappelle souvent ce dogme, ne croit pas nécessaire d’en fournir une démonstration développée. Il insiste par contre sur la nature de Dieu, dans la mesure où celle-ci peut être connue par les forces de la raison.

Dieu est simple et incorporel. « Il n’est ni un corps, ni dans un corps, mais c’est une nature intelligible, d’une absolue simplicité, qui n’admet en soi rien d’emprunté et qui, n'étant susceptible ni de plus ni de moins, est absolument une monade ou plutôt une unité, entendement suprême, source et principe de toute nature intellectuelle ou de tout entendement. Or l’entendement, pour se mouvoir et pour opérer, n’a besoin ni du lieu, ni d’une grandeur sensible, ni d’une forme corporelle, ni de la couleur, ni d’aucune autre des choses qui sont propres au corps ou à la matière.

Nature simple qui est toute pensée, elle ne peut trouver d’obstacle qui retarde ou ralentisse son action : sans quoi sa simplicité serait altérée et le principe de toutes choses serait composé et non pas un. » De princ, I, i, 5-6. Cf. In Joan., xiii, 21 ; Contra Cels., VI, 71.

Dieu est au-dessus de toutes les catégories du créé. Vérité en soi, il est supérieur à la vérité, à la sagesse et aussi à la lumière véritable, In Joan., ii, 23 ; il est au-dessus de la vie, In Joan., xiii, 3 ; il est au-dessus de l’intelligence et de l'être, Contra Cels., VII, 38 ; il est supérieur à la substance en dignité et en puissance, Contra Cels., VI, 64 ; cf. In Joan., xix, 6.

Un Dieu, tellement transcendant, ne peut guère être connu par la raison, ou tout au moins par le raisonnement : Celse pense, dit-il, qu’on peut connaître Dieu, en composant sa notion de celle d’autres choses ou en la séparant de toutes les autres ou par analogie, et qu’ainsi l’on peut, jusqu'à un certain point, se frayer un chemin pour arriver au vestibule du Souverain Bien. Mais le Verbe de Dieu, en disant que personne ne connaît le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils l’a révélé, déclare que Dieu ne peut être connu que par une grâce divine innée à l'âme, non sans Dieu, mais avec un certain enthousiasme. Il est en effet vraisemblable que la connaissance de Dieu dépasse la nature humaine (c’est pourquoi les hommes commettent tant d’erreurs au sujet de Dieu), mais qu’elle est accordée à certains hommes par la bonté de Dieu et par son amour pour le genre humain, c’est-à-dire qu’elle est don merveilleux et divin. » Contra Cels., VI, 44. Encore faut-il bien remarquer qu’Origène ne prétend pas se réfugier dans l’agnosticisme. La foi traditionnelle suffirait à le retenir ici ; et, après avoir enseigné que Dieu est au-dessus de toute catégorie créée, il précise la nature ou la qualité de certains de ses attributs.

Avec toute l'Église, Origène affirme aussi que Dieu est le créateur, le créateur de l’univers, le créateur du ciel. Il déclare encore que Dieu est bon ; bien plus, qu’il est le bien en soi. De princ., i, ii, 13 ; In Matth., xv, 10 ; In Joan., xiii, 25. Il est la vie en soi et il est essentiellement actif : sans doute, Origène combat et condamne la notion stoïcienne de la Providence, Contra Cels., VI, 71 ; il n’en déclare pas moins que, conformément à sa bonté, Dieu condescend au secours des hommes, non pas dans l’espace, mais par sa Providence. Contra Cels., V, 12. Demeurant immuable en son être, il vient en aide aux affaires humaines par sa Providence et son gouvernement. Contra Cels., IV, 5.

Il est à peine besoin d’ajouter que, pour Origène, Dieu est absolument impassible : lors donc que l'Écriture lui attribue des passions, particulièrement la colère, elle emploie des images qui doivent être interprétées, de même lorsqu’elle parle de son repentir. In Jerem., hom. xviii, 6 ; De princ, II, iv, 4, etc.

Ajoutons enfin qu’Origène déclare limitée la puissance de Dieu : « Nous ne nous réfugions pas dans cette affirmation que tout est possible à Dieu, car nous savons fort bien qu’il ne faut pas entendre ce terme « tout » des objets qui n’existent pas ou que l’on ne peut concevoir. Nous disons aussi que Dieu ne peut commettre des actes mauvais. Autrement Dieu aurait le pouvoir de cesser d'être Dieu. En effet, si Dieu accomplit un acte vil, il n’est pas Dieu. » Contra Cels., V, 23 ; III, 70 ; De princ, II, ix, 1 ; IV, iv, 8.

La Trinité.


L’unité de Dieu n’exclut pas en lui la trinité des personnes ; et Origène enseigne avec beaucoup de précision : rju-etç [iiv-rot. ye Tpeîç Û7too-t<xctsiç 71re166(i, evoi TUYX<*vet.v, tàv LTarspa xal tôv Ttov xal tô aytov ITvsGjjia. In Joan.. n. 6, P. G., t. xiv, col. 128 ; cf. In Joan., vi, 17, col. 257 ; In Isai., honi. iv, 1 : Non iis sufflcit semel clamare sanctus neque bis ; sed perfeclum numcrum Trinilalis assumant, ut multitudinem sanctitalis manifestent Dei, quæ est trinse sanctilatis repetita communitas, sanctitas Palris, sanctitas unigeniti Filii et Spirilus Sancti. Cf. aussi De princ, I, iii, 2 ; vi, 2 ; IV, iv, 1 ete : Si plusieurs des textes où il est question de la Trinité ne sont conservés que dans la traduction latine et ont pu être retouchés ou même ajoutés par Ru fin, il reste assez de passages certainement authentiques dans lesquels Origène affirme sa foi à la Trinité pour que nous ne puissions en mettre en doute la réalité.

Les trois personnes divines sont réellement distinctes l’une de l’autre. Origène avait connu le monarchianisme sous ses différentes formes : il ne cessa jamais de le combattre. Il y a des gens, dit-il, qui regardent le Père et le Fils, comme n'étant pas distincts numériquement (àp10u.cp), mais comme étant un, è'v, où [xôvov oùaîa, àXXà xal ûîrox£iu, éva>, et comme différent seulement xarâ xivaç ÈTUvolaç, où xarà U7TÔoiotaw. In Joan., x, 21, P. G., t. xiv, col. 376. « Ils crient sans cesse : Mon cœur a proféré une bonne parole, comme si le Fils de Dieu était une simple manifestation du Père consistant en syllabes, ol6u.evoi Tcpotpopàv 7raTptXY)V olovei èv auXXaêaîç X£t, (j.év7)v. Si on les interrogeait exactement, on verrait qu’ils n’accordent pas au Fils d’hypostase, qu’ils n'éclairent en rien son essence ; je ne dis pas qu’ils n’expliquent pas qu’il est tel ou tel, qu’il a telle ou telle essence, mais ils n’expliquent pas son essence en quelque manière que ce soit. Il est facile, même au premier venu, d’entendre ce qu’est le Verbe proféré ; mais qu’ils nous disent donc si ce Verbe-là vit par lui-même, qu’ils nous disent ou bien qu’il n’est pas séparé de son Père et n’est point Fils, n’ayant pas d'être propre, ou bien qu’il est séparé, qu’il a une essence et qu’ainsi le Verbe est Dieu. » In Joan., i, 23, P. G., t. xiv, col. 65.

Ailleurs encore, Origène précise que Exspoç xaO' Ù7roxsî[i.evov eo-tiv ô Ylôç toù LTaTp6ç, De oral., 15 ; que le Père et le Fils ôvxa Sùo xfj ùnoaT&Gzi. 7rpày[i.aTcx, sv Se TÎj ôu, ovola xal Tyj au[i.<pwv[a xai iji toujtott]titou PouXr, u.a-roç. Contra Cels., VIII, 12. Il y a ici des expressions qui ne souffrent aucune équivoque, et nous aurons tout à l’heure l’occasion de relever d’autres formules encore, où Origène affirme nettement la distinction réelle du Père et du Fils.

Le Verbe, ainsi distinct du Père, n’est pas créé, mais engendré de toute éternité : « Au regard des hommes qui, avant la venue du Christ, n'étaient pas capables de recevoir le Fils de Dieu, le Verbe devient, ô Aôyoç ylyvExai ; mais, au regard de Dieu, il ne devient pas, comme si, auparavant, il n’avait pas été auprès de Dieu. Mais, parce qu’il a toujours été avec le Père, le texte de l’apôtre porte : « et le Verbe était auprès de Dieu ». Car il n’est pas devenu en Dieu, où yàp èyévsTO Trpoç tôv ©e6v : le mot rjv, était, marque qu’il existait dans le principe étant en Dieu, sans jamais être séparé du principe, sans jamais quitter le Père, oûte tyjç àp/^Ç xcopi^6[izvoç, oûte toû Ilarpôi ; à710), £iTr6|i.£voç. Le Fils n’a point p ; issé du non-être dans le principe à l'être dans le principe, du non-être en Dieu à l'être en Dieu, xal 7râXiv oûte inb toû u.7) Eivoa èv ipxjl yi.v6u.evoc Èv àpyfj, oûte ànb toû (X7) Tuy^âveiv repôç t6v Qeov èni t£> 7rp6ç tôv 0e6v elvai yw6|i.£voç. Mais, avant tous les temps et tous les siècles, le Verbe était dans le principe, et le Verbe était Dieu. » In Joan., ii, 1, P. G., t. xiv, col. 108-109.

De même, ailleurs, Origène dit encore : « Dieu n’a pas commencé d'être père à la façon des hommes, auxquels la nature interdit de devenir pères, avant un certain temps. Car si Dieu est parfait, s’il a le pouvoir d'être père et s’il lui est bon d'être appelé le Père d’un tel Fils, quel motif aurait-il de différer et de se priver de ce bien ? Pourquoi ne serait-il pas père aussitôt qu’il le peut ? » In Gen. fragm., dans Eusèbe, Contra Marcel., i, iv, 22 ; cf. Pamphile, Apol., 3.

Comment s’accomplit cette éternelle génération ? Origène déclare que le Fils n’est pas une partie de la substance du Père : celui-ci n’a pas détaché de lui son Fils en l’engendrant, car le Fils n’est pas une prolation. Il est une image, un reflet de sa lumière, et comme la lumière ne cesse pas de resplendir, Dieu ne cesse pas de produire son Verbe, si bien qu’il n’y a jamais eu de temps où celui-ci n’existait pas : Non enim dicimus, sicut hærelici putanl, parlent aliquam subslanliæ Dei in Filium versam aut ex nullis subslanlibus Filium procreatum a Paire, id est extra subslanliam suam, ut fuerit aliquando quando non fuerit ; sed, abscisso omni sensu corporeo, ex invisibili et incorporeo Deo Verbum et Sapienliam genilam dicimus absque ulla corporali passione, velut si voluntas procédaie mente… Sicut ergo nunquam lux sine splendore esse poluit ita nec Filius quidem sine Pâtre intelligi potest, qui et figura expressa subslanliæ ejus et Verbum et Sapientia dicitur. Quomodo ergo potes t dici quia fuit aliquando quando non fuerit filius ? Nihil enim aliud est nisi dicere quia fuit aliquando quando veritas non erat, quando sapientia non eral, quando vila non erat, cum in his omnibus perfecte Dei Palris subslanlia censeatur. De princ., IV, iv, i (28). Cf. De princ, I, ii, 6, P. G., t. xi, col. 135. Il est à remarquer que le texte du 1. IV que nous venons de citer nous est parvenu en partie dans le grec original, grâce à saint Athanase, De décret. Nicœnæ synodi, 27, P. G., t. xxv, col. 465 ; nous sommes assurés de la sorte que Rufln n’a pas trahi la pensée de l’auteur.

Faut-il alors déclarer que le Fils de Dieu, le Verbe, est consubstantiel au Père ? Origène déclare que le Fils est inséparable du Père, quoique distinct de lui, qu’il est Fils par participation à son essence, non par adoption et par grâce, où xocrà uxTOUstav, àXXà xa-r' oùalav Èaxl Qeôç. Selecla in Psalm., hom. xiii, 131. Le terme ô|i.ooûa'.oç lui-même ne figure pas dans les œuvres grecques d’Origène, du moins dans les textes certainement authentiques. On le rencontre dans une scholie sur saint Matthieu, xxviii, 18, P. G., t. xvii col. 309, et encore dans un fragment sur l'épître aux Hébreux que cite l’apologie de Pamphile : Sic et Sapientia a Deo procedens ex ipsa subslanlia Dei generatur. Sic nihilominus et secundum simililudinem corporalis aporrheea esse dicitur, aporrheea gloriæ omnipotentis pura et sincera. Quæ utrseque simililudincs manifeslissime ostendunt communionem subslanliæ esse Filio cum Paire. Aporrhœa enim ôu, ooùmoç videtur, id est unius subslanliæ cum illo corpore. ex quo est vel aporrhœa vel vapor. Apol. pro Orig., 5, P. G., t. xvii, col. 580-581. M. Tixeront écrit ici : « Origène exclut absolument l’anoméisme. Si l’on remarque qu’il exclut également plus haut tout partage de la substance du Père et toute TCpoêoXr), on en conclura qu’il admet le consubstantiel strict. » La théologie anlénicéenne, 9e édit., p. 306.

Le troisième terme de la Trinité divine est le Saint-Esprit. Origène affirme que les chrétiens ont été les seuls à le connaître : « Tous ceux, dit-il, qui pensent, de quelque manière que ce soit, qu’il y a une Providence, confessent qu’il y a un Dieu éternel qui a tout créé et ordonné et le reconnaissent pour le Père de l’univers. Nous ne sommes pas non plus les seuls à déclarer… que Dieu a un Fils, car cette opinion a été celle de quelques grands esprits lorsqu’ils ont confessé que tout a été créé et est gouverné par le Verbe de Dieu. Mais quant à l'être du Saint-Esprit, nul n’a pu le soupçonner, excepté ceux qui étudient la Loi et les Prophètes et ceux qui font profession de croire au Christ. » De princ, I, ni, 1.

Le Saint-Esprit est éternel : « Quelques-uns je le sais, déclare Origène, comprenant mal la nouveauté de l’Esprit, en ont conclu que le Saint-Esprit était nouveau, comme s’il n’avait pas existé auparavant et comme s’il n’avait pas été connu des anciens ; et ils ne s’aperçoivent pas qu’ils commettent un grave blasphème. Car le Saint-Esprit est dans la Loi comme il est dans l'Évangile. Il est avec le Père et le Fils, il est, il a été, il sera toujours avec le Père et le Fils. Il n’est donc pas nouveau, mais il renouvelle ceux qui viennent à la foi. » In Rom., vi, 7 ; cf. De princ, I, iii, 4.

Le Saint-Esprit ne passe pas de l’ignorance à la science ; il est associé aux honneurs et aux dignités du Père et du Fils. L’Esprit de Dieu et l’Esprit du Fils sont une seule et même chose. In Rom., vi, 13. L’Esprit du Père est le même que l’Esprit du Fils, le même que l’Esprit-Saint. In Rom., vii, 1. C’est de la seule science de la divinité paternelle que procèdent le Fils et le Saint-Esprit. Ibid., iv, 9. Il y a des hommes qui prêchent le Père, le Fils et le Saint-Esprit, mais non point sincèrement et intégralement ou bien ils séparent le Fils du Père, en disant que le Père est d’une nature et le Fils d’une autre, ou bien, ils les confondent comme si Dieu était un composé de trois dieux ou qu’il n’y eût là que la triple appellation d’une même essence. Mais celui qui annonce les biens donnera leurs propriétés au Père, au Fils et au Saint-Esprit, en confessant qu’il n’y a point de diversité dans leur nature ou substance. Ibid., viii, 5.

Il est regrettable que ces derniers textes ne soient conservés que dans la traduction latine de Rufln. Dans le De principiis, Origène se demande quel est le mode de procession du Saint-Esprit. In hoc non jam manifeste discernitur, utrum natus aul innalus vel fdius etiam ipse Dei habendus sit necne. De princ., i, proœm., 4. Telle est du moins la version de Rufln. Saint Jérôme, Episl. ad Avit., 2, P. L., t. xxii, col. 1060, reproche à Origène d’avoir écrit qu’il ignorait utrum faclus sil un infectas, c’est-à-dire que Rufin traduit les mots Yewt, t6ç et àyévvi, TOç ; et saint Jérôme yzvqiôç, et âybrqvoç. A vrai dire, saint Jérôme semble avoir abusé ici d’un avantage purement matériel, si vraiment, ce dont on peut encore douter, Origène avait employé les termes yevTjTÔç et àyévTjToç. Les recherches poursuivies chez les Pères antinicéens prouvent surabondamment que ces mots sont restés longtemps synonymes des premiers et qu’on les écrivait à leur place dans le même sens et sans penser à mal.

En fait, il paraît bien que la vraie question posée par Origène n’ait pas été celle de la création de l’Esprit, mais celle de sa filiation. Dans le commentaire sur saint Jean, figure un texte plus complet, mais qui, malheureusement, n’est pas d’une clarté absolue. « Il faut chercher, écrit Origène, puisque tout a été fait par le ministère du Verbe, si le Saint-Esprit n’a pas été aussi fait par lui. Et, à mon jugement, le Saint-Esprit a été fait et, si l’on admet que tout a été fait par le Verbe, on doit nécessairement avouer que le Saint-Esprit a été fait par lui et que le Verbe lui est antérieur quant à l’existence, ôxt. to ayiov IIve>ju.a Sià toû Aoyou èysvETO, TCpsaêurépo’j Trap’aÙTÔi toû Aôyou TuyxâvovToç. Si l’on ne veut pas dire que le Saint-Esprit a été fait par le Christ, il s’ensuit que l’on doit dire qu’il est inengendré, en se conformant à ce qui est écrit dans cet évangile de saint Jean. Outre ces deux hypothèses, celle qui veut qu’il ait été fait par le Verbe et celle qu’il est inengendré, on peut en

faire une troisième, celle que le Saint-Esprit n’a pas d’essence propre distincte de celle du Père et du Fils, |i.7 ; 8è oùatav riva ûcp^aTavai srépav toû àylou riveûP-octoç Ttapà tôv riocTspa xal tov T[6v. Mais, peut-être, en y faisant attention, pourrait-on penser que le Fils plutôt n’est pas distinct du Père, tandis que la distinction du Saint-Esprit est manifestement énoncée par ces paroles. Celui qui blasphème contre le Fils, sa malédiction lui sera remise, mais celui qui blasphème contre le Saint-Esprit n’aura de pardon ni dans ce siècle ni dans l’autre. » In Joan., ii, 6. P. G., t. xiv, col. 125.

On voit sans peine d’où vient ici l’embarras d’Origène. Il a lu dans l'évangile de saint Jean le passage où il est écrit : toxvtoc SV ocûtoû syéveTo ; et ce texte l’inquiète. Si tout est devenu par le moyen du Verbe, donc aussi le Saint-Esprit. Car on ne pourrait échapper à cette conclusion qu’en disant que l’Esprit est inengendré, hypothèse intenable, le Père seul étant àyévvy)toç ; ou bien en déclarant que l’Esprit n’a pas d’essence propre, ce qui n’est guère moins inadmissible puisque la Trinité comporte trois hypostases. Origène, s’efforce cependant de résoudre le problème : « Quant à nous, persuadés qu’il y a trois hypostases, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et croyant de foi qu’il n’y a d’inengendré que le Père, nous admettons et approuvons, comme une croyance vraie et plus pieuse, que, toutes choses ayant été faites par le ministère du Verbe, le Saint-Esprit a plus de dignité que le reste et est d’un rang supérieur à tout ce qui a été fait par Dieu par l’intermédiaire du Christ, tô aytov IIvsû[i.a roxvxcûv Tt[iiwT£pov xocl ràÇsi TOvrcov tov ùnb toû LTaTpôç Sià XptCTToù yeysv7)[Asvcûv. Et peut-être, s’il n’est pas appelé le Fils en soi, aù-roôioç, de Dieu, c’est que le Monogène est, dans le principe, le seul Fils de Dieu par nature, duquel il semble que le Saint-Esprit ait besoin, l’hypostase du Fils lui procurant, par participation, et l'être, et la sagesse, et la justice, et tout ce que l’on doit concevoir d’après les notions idéales du Christ plus haut énoncées. Je pense que le Saint Esprit est, pour ainsi dire, la matière des grâces que Dieu a accordées à ceux qui sont sanctifiés par lui et par ses communications, la matière des grâces étant opérée par le Père, administrée par le Christ et réalisée substantiellement dans le Saint-Esprit, rîjçe ! ps(iivT)ç tôv x a piau.âTa>v G^ç sv£pyou[xévY]ç ii, èv àv : 6 toû IlaTpôç, S(.axovoup.évY)ç 8k ûnô toû XptaTOÛ, ùçeo-xwarjç Se xonrà to âyiov IIv£Ûu.a. In Joan., ii, 6, P. G., t. xiv, col. 125-129.

Origène déclare donc, sans que l’on puisse savoir, s’il exprime une opinion strictement personnelle, ou s’il parle au nom d’un certain nombre de fidèles, que le Saint-Esprit est produit par le Père, par l’intermédiaire du Fils. « Mais, ajoute ici le P. Prat, il ne l’est pas à la manière des créatures, bien qu’on puisse comprendre, par analogie, la production du Saint-Esprit et la production des créatures, sous le même concept et le même nom… Le Saint-Esprit ayant besoin du Fils pour recevoir la nature divine, ou, comme parle Origène avec un grand nombre d’anciens, étant du Père par le Fils, s’il était Fils lui-même, il aurait le Fils pour père, ce qui est tout à fait inouï dans la tradition ecclésiastique. » F. Prat, Origène, p. 55-56.

Tout n’est pourtant pas clair, dans ce long morceau du commentaire sur saint Jean, et il semble qu’Origène ait été ici, comme parfois ailleurs, gêné dans l’expression de sa foi par sa philosophie. La croyance traditionnelle de l'Église l’obligeait à recevoir le Saint-Esprit, à parler de lui comme de la troisième personne de la Sainte Trinité. Mais ses opinions philosophiques ne lui permettaient pas de marquer avec précision la place du Saint-Esprit dans l'économie divine. Autant il était en quelque sorte naturel que le Père eût un Verbe pour accomplir l'œuvre de la création, autant le rôle du Saint-Esprit était difficile à tracer et à définir. Il n’est sans cloute pas exact d’affirmer que le Verbe a été imposé à Origène par ses opinions sur la transcendance de Dieu : c’est aussi dans l'Écriture et dans la tradition de l’glise qu’Origène a trouvé le Verbe, et nous aurons l’occasion de montrer que le Verbe dont il parle est bien celui qui s’est incarné en Jésus. Mais il reste que la philosophie s’accommode sans aucune peine du Verbe, instrument de la création et médiateur entre Dieu et le monde, tandis qu’elle n’a que faire de l’Esprit-Saint.

D’autre part, Origène s’efforce d’expliquer l'Écriture de son mieux, et il arrive que ses propres idées se sentent un peu à l'étroit dans les moules exégétiques où il doit les couler. Il n’y a donc pas à s'étonner des imprécisions qui se manifestent dans sa doctrine de la Trinité. De ces imprécisions, nous allons trouver de nouvelles preuves.

3° Le problème de la subordination des personnes divines.—

De très bonne heure, Origène a été accusé de subordonner le Fils au Père et le Saint-Esprit au Fils, de manière à établir entre les personnes divines une hiérarchie. Le reproche, formulé par saint Épiphane, Hæres., lxiv, 4, P. G., t. xli, coI. 1076, a été repris par saint Jérôme, Episl., cxxiv, ad Avil., 2, P. L., t. xxii, col. 1060, par Théophile d’Alexandrie, par Justinien, et, de nos jours, nombreux sont les historiens qui l’ont trouvé fondé.

Il faut, avant tout, citer un long passage du commentaire sur saint Jean qui est très caractéristique : Origène explique ici le premier verset de l'évangile, et il remarque que l'écrivain inspiré use d’une remarquable prudence en employant ou en omettant l’article devant le mot Dieu. « Il le place, déclare-t-il, lorsque le nom de Dieu est appliqué à l'être inengendré auteur de l’univers ; et le supprime lorsqu’il nomme le Verbe Dieu. Or, faites attention que, de même que, dans ce premier verset de l'évangéliste. Dieu, ô 0e6ç, diffère de un Dieu, 0e6ç, le Verbe, ô Aôyoç, diffère de un Verbe, Xôyoç ; car, de la même manière que le Dieu qui est au-dessus de tout est Dieu et non pas un Dieu, de même le Verbe, source de celui qui est dans toutes les natures raisonnables, est le Verbe absolument, tandis que le verbe particulier qui est en chacun de nous est improprement appelé du même nom que le Verbe premier. Par là on peut résoudre une difficulté troublante pour beaucoup de personnes qui se font honneur d’aimer Dieu et qui, craignant de proclamer deux dieux, et pour cette raison se jetant dans des opinions fausses et impies, ou bien nient que la personnalité, îS'.ÔTTjTa, du Fils soit autre que celle du Père, ou bien admettent sa personnalité distincte et rejettent sa divinité. Oui, doit-on leur répondre, Dieu est le Dieu en soi, otÙToŒoç ; c’est pourquoi le Seigneur dit dans la prière à son Père : afin qu’ils te connaissent, le seul vrai Dieu. Tout ce qui est au-delà de Dieu en soi a été fait Dieu par la participation de ce dernier, et serait plus exactement appelé un Dieu que Dieu :

7TÔCV Se TTOCpà TÔ (XÙtoOsOÇ, |ZETOJ(fj Tïjç êxsÈVOU GeOTTJTOÇ

6eo7roioi)(isvov, où^ ô 0e6ç, àXXà 6s6ç. « C’est à ce titre qu’est Dieu le premier-né de la création. Étant auprès de Dieu, il a le premier attiré à soi de la divinité ; c’est pourquoi il mérite plus d’honneur que les autres qui sont auprès de Dieu, et dont Dieu est le Dieu d’après ce mot : « Le Seigneur, Dieu des dieux, a parlé », puiqu’il leur a procuré d'être des dieux, en puisant abondamment en Dieu de quoi les déifier, et en leur communiquant cet avantage selon sa bonté. Le vrai Dieu c’est Dieu.

Mais ceux qui sont formés d’après lui ne sont que des dieux images d’un premier exemplaire. Or l’image archétype de ces images, c’est le Verbe qui est auprès de Dieu et qui, dans le principe, était un Dieu, parce qu’il était toujours demeurant auprès de Dieu et qu’il n’aurait pas eu ce privilège s’il n’avait pas été auprès de Dieu, ni ne serait resté un Dieu, s’il n’avait persisté dans la contemplation ininterrompue de la profondeur paternelle. » In Joan., ii, 2, P. (, ., t. xiv, col. 109.

Origène prévoit que ce langage rencontrera des contradicteurs, qu’il gênera en particulier tous ceux qui, entendant dire qu’il n’y a qu’un vrai Dieu, le Père, et qu’après lui il n’y a que des dieux, pouvaient craindre de voir le Verbe, le Monogène, rabaissé au niveau de tous ceux à qui l’on attribue, par appropriation, ce nom de dieux. Et il s’efforce de résoudre la difficulté : « Outre cette différence et cette supériorité, dit-il, que le Dieu Verbe est le principe d’où les autres dieux tirent leur divinité, il faut considérer que ce verbe, qui est en chacune des natures raison nables est dans le même rapport avec le Verbe qui était auprès de Dieu dès le principe, que le Dieu Verbe avec Dieu : ô yàp sv sxâarco X6yoç xcov Xoyixcov toùtov tôv Xôyov e)(ei 7tpoç -rôv èv àpxfj Aoyov Trpôç 0eôv, ôvra Aôyov 0e6v, ôv ô ©eôç Aôyoç rrpôç t6v 0zôv. Ce que le Père, qui est Dieu en soi ou vrai Dieu, est à l’image et aux images de l’image, le Verbe l’est aux verbes particuliers. L’un et l’autre ont le rang de principe ou de source : le Père, de source de la divinité, le Fils de source de la raison. » In Joan., ii, 3, P. G., t. xiv. col. 112.

Ces textes semblent très clairs. Ils ne sont pas les seuls. Sans doute, Origène attribue au Fils toutes les perfections concevables : vie, vérité, sagesse, mais au Père il reconnaît une perfection idéale supérieure à tout cela : « Le Christ est la vie, écrit-il, mais celui qui est plus grand que le Christ est plus grand que la vie. » In Joan., xiii, 3, 19. « Autant Dieu, le Père de la vérité, est plus grand et plus haut que la vérité, et étant Père de la sagesse, supérieur à la Sagesse et au-dessus d’elle, autant il dépasse la lumière véritable. » In Joan., ii, 23, 151. « Ne faut-il pas dire que le Monogène et le premier-né de toute créature est l’essence des essences et l’idée des idées et le principe, et que son Père est Dieu au-delà de tout cela ? » Contra Gels., VI, 64. « Ainsi le Père est transcendant par rapport à la vie, à la vérité, à l’essence, à la lumière, la seule appellation qui soit retenue comme convenant proprement au Père, c’est la bonté, mais aussi n’estelle pas attribuée proprement au Fils. » J. Lebreton, Le désaccord de la foi populaire et de la théologie savante, dans Rev. d’hist. ecclés., 1924, t. xx, p. 16. Ici encore les textes sont très clairs et très nombreux : « Le Père est bon, le Sauveur est l’image de sa bonté. » In Joan., vi, 57, 295. « Il est l’image de sa bonté et le reflet, non pas de Dieu, mais de sa gloire et de sa lumière éternelle, et la vapeur, non pas du Père, mais de sa puissance, et l'épanchement pur de sa gloire toute-puissante et le miroir de son énergie. » In Joan., xiii, 25, 151-153 ; cf. In Joan., xiii, 36, 234 ; xxviii, 6, 42 ; De princip., i, ii, 12.

Origène insiste sur ces idées qui lui sont chères, et le terme d’image qu’il emprunte à l'épître aux Colossiens est amplement commenté par lui. S’agit-il du titre de vérité, attribué au Verbe ? Rufln traduit ainsi le passage du De principiis, I, ii, 6, où est expliqué ce titre ; Imago ergo est invisibilis Dei PaIris salvator noster quantum ad ipsum quidem Palrem veritas. i/uantum autem ad nos quibus révélât Palrem imago est. Mais on peut douter de l’exactitude de cette traduction ; car, dans la lettre à Avitus, 2 saint Jérôme explique ainsi la pensée d’Origène : Filium qui sil imago invisibilis Palris comparalum Palri non esse veriiatem ; apud nos autem, qui Dei omnipotentis non possumus recipere verilalem, imaginariam verilalem videri, ut majestas ac magniludo majoris quodammodo circumscripla sentiatur in Filio. Il est probable que telle est la vraie formule : le Fils n’est vérité que par rapport à nous ; car par rapport à son Père, la vérité en soi, il ne saurait mériter ce titre d’une manière absolue. Théophile d’Alexandrie exagère du reste lorsqu’il prétend que pour Origène : Filius nobis comparatus sit veritas, Palri collatus mendacium. S. Jérôme, Epist., xcn. P. L., t. xxii, col. 762. Le terme de mensonge est assurément inexact et nous avons affaire ici à de basse polémique. Mais pourquoi ne reconnaîtrait-on pas qu’Origène ofîre de lui-même prise à ce reproche en déclarant que le Fils n’est pas la vérité vraie, la vérité en soi ?

De même, à propos de la lumière, saint Jérôme rapporte qu’Origène déclare : Deum Pal rem esse lumen incomprehensibile, Christum collalione Palris splendorem esse perparvum qui apud nos pro imbecillitate nostra magnus esse videatur. Epist., cxxiv, 2, P. L., t. xxii, col. 1060. Ici le passage correspondant de Rufin semble manquer dans la traduction du De principiis ; mais l’idée est bien origénienne, et la formule a de nouveau plus de chances d'être authentique que celle qui est rapportée par Théophile d’Alexandrie : Quantum difjerl Paulus et Petrus a Salvatore, lanlo Salvalor minor est Paire. Epist., xcii, P. L.. t. xxii, col. 762.

Il est vrai qu’Origène dit quelque part : revôfzevoi toîvjv T)ti.£Ïç xar' sbcôva, tov Ttôv ttpcût6tu7îov ùtç àXr)6si.av ë^ofxsv tùv èv "JjpLÏv xaXcôv tûttwv, aùxôç 8k ô ïlôç ÔTrep yj[i.£tç èafzev upôç ocÙtov, toioùtoç èazi 7rpôç tov IlaTspa, àXTJÔsiav Tuy^ivovra. Justinien, Epist. ad Men., Mansi, Concil., t. ix, col. 525. Il semble qu’il insiste surtout ici sur le rôle de médiateur que remplit le Fils entre le monde et Dieu. Entre le Père, qui seul vraiment est bon, et les créatures qui en quelque façon sont bonnes, le Sauveur est intermédiaire : comparé au Père, il est l’image de sa bonté ; comparé aux autres êtres, il est un exemplaire, un idéal. « Il l’emporte sur les trônes, sur les seigneuries sur les principautés, sur les puissances… sur les saints anges, sur les esprits et les âmes justes, et pourtant il n’est pas comparable au Père. » « Sur toutes les créatures, même les plus grandes, le Sauveur et TEsprit-Saint l’emportent sans comparaison et de beaucoup, mais le Père l’emporte autant et plus encore sur eux qu’eux-mêmes sur les créatures, a Jn Joan., xiii, 25, 151-153. Cf. De princ, I, ri, 12.

On pourrait multiplier les textes. Contentons-nous de remarquer que cette doctrine de la subordination du Fils au Père a sa répercussion dans l’usage liturgique que recommande Origène. Dans son traité Sur la prière, celui-ci explique longuement pourquoi nous devons prier le Père seul : « Il ne faut, dit-il, prier aucun être produit, et pas même le Christ, mais seulement le Dieu de l’univers et le Père que notre Sauveur lui-même priait et qu’il nous enseigne à prier… En effet, si, comme je l’ai montré ailleurs, le Fils est distinct du Père par l’essence et le suppôt, il faut prier ou bien le Fils et non le Père, ou bien tous les deux, ou bien le Père seul. Prier le Fils et non le Père, tout le monde conviendra que ce serait faire une chose absurde et aller contre l'évidence. Si nous prions les deux, il faudra dans nos prières, dire au pluriel : « donnez, faites, accordez, sauvez », et ainsi de suite : ce sont des formules choquantes et que nul ne pourrait trouver dans l'Écriture. Il reste donc qu’il ne faut prier que Dieu, le Père de l’univers, mais sans le séparer toutefois du grand-prêtre qui a été établi avec serment par le Père selon qu’il est écrit : « Il l’a juré et ne s’en repentira pas : Tu es prêtre pour 1 éternité selon l’ordre de Melchisédech. « Aussi lorsque les saints rendent grâces à Dieu dans leurs prières, ils le font par le Christ Jésus. Et de même que, si l’on veut bien prier, on ne doit point prier celui qui prie, mais celui à qui notre Seigneur Jésus nous fait adresser nos prières, c’est-à-dire le Père, de même, il ne faut pas présenter sans lui nos prières au Père… Peut-être quelqu’un persuadé qu’il faut prier le Christ lui-même, mais, troublé par les conséquences qu’entraîne l’adoration, nous objectera ce texte : « que tous les anges de Dieu l’adorent », et nous convenons que ce passage du Deutéronome est dit du Christ. Il faut lui répondre que l'Église, elle aussi, que le prophète appelle Jérusalem, est représentée comme adorée par les rois et les princesses, devenus ses pourvoyeurs et ses nourrices… et ne peut-on pas conformément à la pensée de celui qui a dit : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? nul n’est bon sinon Dieu seul, le Père », dire aussi : « Pourquoi me pries-tu ? tu dois prier le Père seul, que moi aussi je prie, » et c’est là renseignement que donnent les Saintes Ecritures. » De orat., 15.

Ce texte présente un intérêt particulier, du fait qu’on y voit clairement aux prises les deux aspects opposés de la pensée d’Origène. En tant que philosophe, Origène n'éprouve aucune hésitation : II ne faut pas prier celui qui prie ; tel est le principe. Dès lors, le chrétien adressera à Dieu seul, au Père, ses supplications, ses actions de grâces, ses demandes. Pourtant, l'Église associe le Fils au Père dans ses formules : elle prie par Notre-Seigneur : Origène ne peut encore qu’approuver cette manière de faire, car Jésus est le grand-prêtre, le médiateur et, par suite, il lui appartient de présenter à Dieu nos prières. Quelques fidèles, il faudrait même dire de nombreux fidèles, vont encore plus loin, ils prient le Fils lui-même, soit avec le Père, soit sans le Père. Origène voit ici une marque de simplicité condamnable, et il insiste pour que tous les croyants adoptent la même attitude. Seulement, lorsqu’il se trouve lui-même parmi les simples, lorsqu’il leur porte la parole de Dieu dans une homélie, il lui arrive de prier le Christ ; et c’est ici que le désaccord éclate davantage entre la théorie et la pratique.

Le Contra Celsum met en un particulier relief la difficulté. Adorer Jésus, n’est-ce pas exposer les chrétiens au reproche de polythéisme qu’eux-mêmes adressent si justement aux païens ? Origène multiplie les réponses : tantôt il affirme la préexistence du Fils de Dieu pour montrer qu’il n’y a pas, en son cas, apothéose comparable à celle des héros du paganisme, mais adoration d’une vraie personne divine ; tantôt, il soutient que toute la grandeur du Fils lui vient du Père et que c’est comme telle qu’on la vénère ; tantôt, enfin, il accentue la subordination du Fils à l'égard du Père et le présente comme notre grand-prêtre, chargé spécialement d’intercéder pour nous. Ces réponses ne sont pas très cohérentes. Du moins trahissent-elles un certain embarras.

Et l’on a remarqué que le même embarras se fait jour en des textes où Origène s’adresse à des croyants déjà avancés dans la science des Écritures, capables par conséquent de recevoir, sans atténuation, une doctrine philosophique. Tel est le caractère du commentaire sur saint Jean auquel nous avons fait souvent appel dans les pages qui précèdent. Même là, le docteur alexandrin n’est pas pleinement cohérent avec lui-même. Citons par exemple ce passage relatif à la science du Fils : « Le Fils unique est la vérité, écrit Origène, car il comprend en soi avec pleine clarté la raison de tout ce qui est selon la volonté du Père… Si quelqu’un demande si le Fils sait tout ce que le Père connaît, en raison de sa richesse, de sa sagesse et de sa science, et prétend, pour glorifier le Père, que le Fils ignore certaines choses que le Père seul connaît, parce que la science du Père égale les perceptions de l’inengendré, il faut savoir que notre Sauveur, par cela seul qu’il est la vérité, n’ignore rien de ce qui est vrai, et que, s’il est la vérité parfaite, il doit tout savoir : sans quoi la vérité serait défectueuse, puisqu’il serait privé de ces choses qu’il ne connaît pas, selon quelques-uns, parce qu’elles se trouvent dans le Père seul, ou bien qu’on nous montre qu’il y a des choses connues qui ne rentrent pas dans la vérité, mais qui soient au dessus d’elles. » In Joan., i, 27. Et cela est clair. Puisque le Verbe est la vérité, il doit connaître le Père comme il en est connu.

Mais nous nous rappelons qu’Origène a fait des distinctions entre la vérité absolue et la vérité relative. Si bien que nous n'éprouvons pas un très grand étonnement à lire dans le De principiis des formules qui s’accordent mal avec les précédentes. « Si le Père comprend en soi toutes choses et si le Fils fait partie de ce tout, il est évident que le Père le comprend aussi. Un autre demandera s’il est vrai que le Père n’est connu de lui-même que de la même manière qu’il est connu par le Fils et se rappelant ce qui est écrit : « Le Père qui m’a envoyé est plus grand que moi, » il soutiendra que cela est vrai en tout ; de sorte que, sous le rapport aussi du penser, le Père est connu par lui-même plus complètement, plus clairement, plus parfaitement que par le Fils. » De princ, IV, iv, 8 (35). Rufin abrège ce texte et en adoucit les formules, mais nous en avons encore l’original dans une citation de Justinien, et la traduction de saint Jérôme nous en a été conservée, de sorte que nous sommes assurés de sa signification. Origène ne dit évidemment pas qu’il adopte la solution proposée par le curiosus lector, et selon son habitude, il ne la propose qu'à titre d’hypothèse. On voit d’ailleurs que cette hypothèse a ses préférences, et l’on ne s'étonne pas que, dans le livre XXXII du commentaire sur saint Jean, il écrive : « Je demande si, outre la gloire qu’il a dans le Fils, le Père ne peut pas en posséder une plus grande, étant glorifié en lui-même, lorsqu’il se tient dans la haute pensée de soi, connaissance et contemplation plus grandes que celles qui sont dans le Fils. » In Joan., xxxii, 18, P. G., t. xiv, col. 821.

Il ne faut pas chercher à résoudre toutes les contradictions que pourraient nous offrir les textes d’Origène. Un aussi bon juge que J. Tixeront a écrit naguère : « On n’appuiera pas sur eux (les passages difficiles) un jugement trop sévère pour l’orthodoxie trinitaire d’Origène, si l’on remarque que plusieurs peuvent très bien s’expliquer, et sans beaucoup d’efforts, d’une façon acceptable, que l’incorrection des autres vient plutôt des termes employés qu’elle ne tient à la pensée de l’auteur, qu’il est juste enfin, dans le doute, de le faire bénéficier de ses déclarations fermes et précises formulées ailleurs. » La théologie antinicéenne, 9e édit., p. 309.

Je ne prendrais peut-être pas à mon compte ces explications ; mais j’insisterais plutôt sur la distinction que j’ai déjà rappelée entre Origène philosophe et Origène croyant. Le premier se laisse guider par la logique de son système et, pour sauvegarder pleinement le monothéisme, il subordonne le Verbe à Dieu. Le second insiste sur les attributs divins du Sauveur et se retrouve ainsi en communion avec les plus humbles de ses frères en même temps qu’avec les autorités légitimes de l'Église. C’est le premier qui écrit ces lignes : ô u.èv ©sôç xal IlaT/jp auvéjfwv Ta îràvra cpOàvei. eEç exaaTOv twv Ôvtcùv, uxtocSiSoùç ÉkccCTtp à.nb xoù tSîou tô eïvai ÔTtep èar'.v, èXaxTOVGjç 8è

71apà tôv LTaTÉpa ô Tîôç cpOâvcov ètuI ii, 6va Ta Xoyixà (SeuTE-poç yàp èazi toù LTaTpôç), éxi Se tjttovwç tô IIv£ij[J.a tô ayiov ènl u.6vouç toûç âyîooç Siïxvoûuxvov, coaxs xaTa toûto ii, sî£cùv ï) 8ùvau.iç toû IlaTpôç Trapà tôv Tlôv xai tô IIvcG[jt.a tô aytov, tcXsuov Se t) toù YioG noepà tô Tlvsû[i.a tô ayiov, xal 7râ>.t.v Siaçépouaa u.àXXov toû àyîou IIvspti.aTOç ?) 8ôvau, iç rcapà T à âXXa ayoa. » De princ, I, ni, 5. Impossible de méconnaître dans ce passage, où se pressent les termes philosophiques, les expressions techniques, une doctrine de la subordination. Au Père l’empire universel ; au Fils les êtres raisonnables ; à l’Esprit les saints. Origène admet sans doute que la puissance de l’Esprit reste incomparablement supérieure à celle des créatures saintes ; il reste que, dans la sphère de la divinité, elle est inférieure à celle du Père et du Fils. Il est vrai, comme le remarque J. Denis, que « cette formule, en apparence si précise, n’est même pas exacte au point de vue du système d’Origène. Si l’on fait réflexion qu’il n’y a en réalité que des natures rationnelles (car toutes les autres n’ont qu’une apparence d'être qui doit un jour s'évanouir) et que toutes les natures rationnelles sont destinées à la sainteté, tout cet échafaudage de paroles si industrieusement construit se détruit de lui-même et l’action du Père, du Fils et du Saint-Esprit relativement aux créatures, a juste la même extension. » De la philosophie d’Origène^. 121-122.

V. Cosmologie. —

Dieu seul est l'être parfait. Seul il existe par lui même. Mais il ne reste pas seul, car il crée le monde. Sur le fait de la création, Origène est extrêmement précis : « Si quelqu’un, écrivait-il dans son Commentaire sur la Genèse, comparant Dieu à des ouvriers humains, tombe dans cette erreur de croire qu’il ne peut pas faire le monde sans avoir sous la main une matière incréée (àyévvTjTov), parce que le statuaire ne peut accomplir son œuvre sans l’airain, ni le charpentier sans le bois, ni l’architecte sans la pierre, il faut lui demander si Dieu peut exécuter ce qu’il lui plaît, dès qu’il le veut, sans effort et sans que sa volonté trouve d’obstacle. Car, par la même raison, que, en vertu de sa puissance et de sa sagesse ineffables, il produit comme il le veut, pour l’ornement de l’univers, les qualités qui n’avaient aucun être auparavant — et c’est ce qu’admettent tous ceux qui croient à la Providence — sa volonté est capable d’amener à l’existence les êtres qu’il veut. Nous demanderons à ceux qui soutiennent qu’il n’en peut être ainsi, s’il n’est pas conséquent à leur opinion que Dieu ait eu vraiment une belle chance de trouver une matière éternelle, sans la rencontre de laquelle il n’eût pu faire aucun ouvrage et serait resté privé des titres de créateur, de père, de bienfaiteur, de bon, en un mot, de tous les titres qu’on a raison de lui attribuer. Comment donc aurait été exactement mesurée la quantité de cette matière pour suffire à la substance d’un tel monde ? Il faudrait supposer je ne sais quelle Providence plus ancienne que Dieu, qui lui aurait fourni la matière, pourvoyant à ce que l’art qu’il possédait ne demeurât pas inutile, faute de cette matière dont la rencontre lui a permis de taire la merveilleuse beauté de l’univers. D’où cette matière tenait-elle la capacité de recevoir les qualités que Dieu voudrait lui imprimer, s’il ne l’avait pas lui-même créée pour lui, en telle et telle quantité qu’il voulait l’avoir ? Mais, admettant, par impossible, que la matière soit incréée, nous demandons à ceux qui ont cette opinion : dans le cas où cette matière, sans avoir été mise sous la main de Dieu par je ne sais quelle Providence, aurait été par elle-même capable de ces qualités, qu’est-ce que la Providence, si elle l’avait créée, aurait fait de plus que le hasard ? Et si Dieu eût décidé de créer et de façonner cette matière qui n’avait pas d'être par elle-même, qu’est-ce que la sagesse et la divinité auraient fait de plus que ce qu’elles auraient fait d’une matière préexistante ? Si. par hasard, la Providence n’avait fait que ce qui serait sans la Providence, pourquoi ne pas supprimer le démiurge et l’artisan de l’univers ? II serait absurde sans doute de dire que ce monde, si artistement construit, est devenu tel par lui-même sans la main d’un sage ouvrier. Il ne l’est pas moins de dire que la matière, avec sa quantité réglée, avec ses qualités, avec sa souple obéissance à l’art du Verbe divin, existe sans avoir été créée. » In Gènes, comment., cité par Eusèbe, Præparatio evang., VII, 20, P. G., t.xii, col. 48-49. Cf. De princ., II, i, 5.

Ce texte est long, mais il convenait de le citer en entier à cause de son importance. Car la création du monde matériel n’y est pas seulement affirmée ; elle est encore démontrée par des arguments de l’ordre rationnel. Aux partisans de la matière incréée, Origène oppose deux objections : comment comprendre une matière indépendante de Dieu quant à son être, et dépendant de lui dans sa forme et dans ses attributs ? comment concevoir une matière qui existerait par elle-même et posséderait la faculté de recevoir certaines déterminations ou certains mouvements, sans avoir déjà ces déterminations et ces mouvements ? Objections qui semblent décisives à Origène, et qui le sont en effet, si l’on se représente la matière comme un pur principe de passivité.

Ajoutons d’ailleurs qu’il s’agit d’une véritable création. Dieu a fait ce qui est de ce qui n'était pas, InJoan., 1, 18, P. G., t. xiv, col.53. Le monde n’est pas une émanation de Dieu, et Dieu n’est pas, ainsi que le pensaient les stoïciens, l'âme du monde. A l’objection de Celse qui voyait dans l’Esprit-Saint un corps, un souffle pénétrant tout et comprenant tout en soi, Origène répond avec assurance : Dieu et le monde sont distincts l’un de l’autre, comme le créateur et la créature. Contra Cels., VI, 7.

Toutefois cette création est éternelle. Origène se refuse à admettre que Dieu ait pu et puisse rester oisif. « On nous objecte, écrit-il, cette difficulté : Si le monde a commencé dans le temps, que faisait Dieu avant que le monde commençât ? C’est une impiété à la fois et une absurdité de dire que la nature de Dieu reste oisive et inerte ou de penser que sa bonté n’a pas toujours fait le bien, que sa toute-puissance n’a pas toujours exercé le pouvoir. « De princ., III, v, 3. Cf. De princ, I, iv, 3 ; S. Jérôme, In Epist. ad Ephes., 1, P. L., t. xxvi, col. 548 ; Méthode, cité par Photius, Bibliolh., cod. 235. « Dieu, dit encore Origène, ne saurait être appelé tout-puissant, à moins d’avoir des sujets sur lesquels il exerce sa puissance et, par conséquent, pour qu’il manifeste son pouvoir suprême, il faut que toutes choses subsistent. Car, si l’on voulait prétendre, qu’il y ait eu, soit des espaces, soit des siècles, où ce qui a été fait n'était pas encore fait, on montrerait évidemment par là que Dieu n'était pas tout-puissant dans ces espaces ou dans ces siècles, qu’il ne l’est devenu que plus tard, à partir du moment qu’il y a eu des êtres, sur lesquels s’est déployée sa puissance. Il y aurait donc eu du progrès en Dieu ; il serait devenu meilleur, puisqu’on ne saurait douter qu’il vaille mieux être tout-puissant que de ne l'être pas. Or, n’est-il pas absurde de supposer que Dieu ne soit arrivé que plus tard et par voie de progrès, à posséder ce qui convient à sa nature ? Que s’il n’y a jamais eu de moment où Dieu n’ait été tout-puissant, nous devons nécessairement admettre qu’il y a toujours eu des êtres par lesquels cette puissance s’est manifestée, des sujets soumis à ce monarque suprême. » De princ, I, ri, 10.

La création éternelle est cependant finie, car Dieu, dit l'Écriture, a tout fait avec ordre et avec mesure : qu’il s’agisse du nombre des êtres raisonnables ou de l'étendue de la matière corporelle, tout ce qui est créé se renferme dans un nom lire et une mesure déterminés. De princip., IV, iv, 35. Origène, ici, se montre pleinement grec : il lui répugne d’admettre que Dieu soit infini : « Dans ce commencement, écrit-il, que notre esprit se représente, Dieu a produit par sa volonté autant de substances intellectuelles qu’il fallait et qu’il était suffisant. Car il ne faut pas, sous prétexte de le glorifier, ôter à la puissance divine sa limite. Nous devons affirmer au contraire qu’elle est finie. Si en effet elle était infinie, elle ne pourrait se penser. Car il est de la nature de l’infini de ne pouvoir être embrassé. Dieu a donc fait autant d'êtres qu’il pouvait en comprendre, en tenir sous sa main, en ramasser sous sa Providence. De même, il n’a préparé qu’autant de matière qu’il en pouvait ordonner. » De princ, II, ix, 1. Rufin a abrégé ce passage dans sa traduction, et nous le comprenons sans peine, car l’idée qui est ici exprimée a quelque chose d'étrange pour nos esprits latins ; mais nous avons encore le texte grec, et Théophile d’Alexandrie en confirme l’exactitude, S. Jérôme, Epist., cxviii, P. L., t. xxii, col. 805, de sorte que nous sommes assurés de son authenticité. Il ne s’agit pas, pour Origène, de limiter la toute-puissance de Dieu, mais de l’expliquer : c’est parce qu’il est toutpuissant que Dieu a fait tout ce qu’il a pu.

Faut-il ajouter que, - pour Origène, l'éternité du monde créé ne saurait en rien lui confier une sorte de nécessité qui ferait de lui un être divin ? Du Fils de Dieu aussi, Origène déclare qu’il est éternellement engendré par le Père, et il va jusqu'à écrire : « NotreSeigneur est la splendeur de la gloire de Dieu, or la splendeur ne naît pas une fois pour cesser ensuite de naître. Autant de fois se lève la lumière productrice de la splendeur, autant de fois est engendrée la splendeur de la gloire. Notre Sauveur est la sagesse de Dieu. Notre Sauveur est la splendeur de la lumière éternelle. Si donc le Sauveur est toujours enfanté, et c’est pour cela qu’il est écrit : « Avant les collines il m’enfante », et non : « il m’a enfanté », comme quelques-uns lisent à tort, de même toi, si tu as l’esprit d’adoption, Dieu t’enfante continuellement dans le Christ. » In Jerem., hom. ix, 4. Seulement cette éternelle génération du Verbe ne ressemble en rien à une création ; elle ne fait pas sortir le Verbe du néant ; elle est l’acte nécessaire par lequel Dieu s’affirme lui-même comme raison ; et, dans l’image scripturaire de la splendeur, on reconnaît l’origine des expressions que sanctionnera le concile de Nicée : « Lumière de lumière. »

A la doctrine de l'éternité de la création, qui est une théorie philosophique, semble s’opposer le récit de la Genèse, qui rapporte l’origine des choses. Origène ne l’ignore pas, mais il explique que les mots : « Au commencement » ne doivent pas être interprétés dans un sens temporel, car il n’y avait pas encore de temps avant que le monde fût, et ce n’est qu’après le premier jour du récit mosaïque que l’on peut parler du temps ; le principe dont il est ici question ne saurait donc être que le Verbe lui-même. In Gènes., hom. i, 1.

D’ailleurs, ce monde-ci a eu un commencement et il aura une fin ; mais il n’est pas le seul ; il doit au contraire être envisagé comme un des ternies d’une série illimitée. « Fidèles aux règles de la piété, écrit Origène, nous déclarons que Dieu n’a pas commencé d’opérer lorsqu’il a fait ce monde visible, mais, de même qu’il y aura un autre monde après la destruction de celui-ci, ainsi pensons-nous qu’il y en avait d’autres avant le commencement du monde actuel. » De. princ, III, v, 3. Saint Jérôme semble ici résumer exactement la pensée du maître lorsqu’il écrit : In secundo autem libro mundos asserit innumerabiles, non juxta Epicurum uno tempore plurimos et sui similes, sed posl allerius mundi fmem allerius esse principium. Et ante hune nostrum mundum alium fuisse mundum, et post hune alium rursum juturum, et posl illum alium rursumque ceteros post celeros ; et addubilat utrum fulurus sil mundus alleri mundo ita ex omni parte consimilis, ut nullo inler se distare videantur, an cerle nunquam mundus alleri mundo ex loto indiserelus et similis sit fulurus. Epist., cxxiv, 5, ad Avit., P. L., t. xxii, col. 1063 ; cf. De prine., II, ni, 1.

Qu'étaient donc les créatures de Dieu, j’entends les premières de toutes, celles qui sont sorties de ses mains aux jours d'éternité? que pouvons-nous en savoir ? C'étaient, semble-t-il, des créatures spirituelles, des voéç, car seuls des esprits peuvent être immédiatement produits par Dieu. Encore Origène se demande-t-il si ces esprits étaient incorporels au sens le plus strict du mot, ou s’ils avaient un corps éthéré, subtil, délicat, et il semble bien admettre cette seconde hypothèse, car la Trinité seule peut être dite réellement incorporelle. De prine., i, vii, 1 ; II. ii, 2 ; IV, vi, 27 ; In Joan., i, 27.

Tous les esprits ont été créés égaux par Dieu, car il répugne à l’idée que nous devons avoir de sa justice de penser que le Créateur a fait des créatures meilleures les unes que les autres. Telle n'était pas l’opinion des gnostiques, qui divisaient les esprits en pneumatiques, psychiques, et hyliques et dont Origène rapporte longuement les objections : « "Voyez, disaient-ils, combien la naissance de l’un est plus heureuse que celle de l’autre. Tel naît d’Abraham ; tel naît d’Isaac et de Rébecca ; encore dans le sein maternel, celui-ci supplante son frère, avant même que de naître, il est aimé de Dieu. L’un vient au monde parmi les Hébreux ; il a la ressource d'être instruit dans la loi divine ; l’autre voit le jour parmi les Grecs, homm, es sages et d’une condition non médiocre. Au contraire, voici un enfant qui naît parmi les Éthiopiens, lesquels ont coutume de se nourrir de chair humaine, ou chez les Scythes, pour qui le parricide est comme une chose légale ; soit enfin dans la Tauride, où l’on immole les étrangers. Eh bien ! d’où proviennent ces différences ? quelle peut être la cause des conditions si variées que la naissance nous assigne ? Assurément on ne saurait prétendre que le libre arbitre y ait quelque part. Car nul ne choisit son lieu de naissance, ni ses compatriotes, ni sa condition. Que si l’on n’admet pas que les âmes sont de différentes natures, que les unes, naturellement mauvaises, sont destinées à rejoindre une race mauvaise, les autres, naturellement bonnes, à faire partie d’une bonne race, il ne reste plus qu'à livrer au hasard tout le cours des choses humaines. Dès lors, il ne peut plus être question, ni d’un monde créé par Dieu et gouverné par sa Providence, ni d’un jugement de Dieu sur les actions de chacun. » De prine., II, ix, 5 ; cf. Contra Cels., V, 27, 34.

Origène ne dissimule pas la gravité de l’objection ; mais sa réponse est que tous les esprits, créés à l’origine libres et égaux, sont tombés par leur faute. De prine., II, 9, 6 ; Contra Cels, III, 69. On ne saurait trop insister sur la place qu’accorde Origène au libre arbitre. Nous y reviendrons en parlant de son anthropologie. Mais la liberté n’est pas une faculté propre à l’homme, elle appartient aussi bien à toutes les créatures, à tous les esprits ; elle fait partie de leur essence même : « En créant dans le principe ce qu’il a voulu créer, c’est-à-dire les natures raisonnables, Dieu n’a pas eu d’autre motif de créer, que lui-même, c’est-à-dire sa propre bonté. Puis donc que lui-même a été le motif de ce qui devait être créé, lui en qui il n’y avait ni variété, ni changement, ni impuissance, il a créé égaux et semblables tous ceux qu’il a créés, car il n’y avait pour lui aucune raison de les faire variés et divers. Seulement, comme les créatures raisonnables elles-mêmes étaient douées de la faculté du libre arbitre, la liberté a entraîné les unes au progrès par l’imitation de Dieu, les autres à la chute par la négligence. » De prine., II, ix, 6 ; cf. I, v, 3 ; vi, 3 ; viii, 3 ; II, i, 2 ; iii, 4 ; III, i.

Parmi les créatures, les unes se sont donc attachées avec plus ou moins de force au bien suprême, et, après avoir occupé la même place ou un rang égal dans le monde céleste, ont peu à peu formé une hiérarchie selon le degré de leur bonne volonté, depuis les archanges, les trônes et les dominations, qui résident dans les cieux des cieux, jusqu’aux anges inférieurs qui régissent les astres et qui sont attachés à des corps visibles, moins purs par conséquent que ceux des puissances supérieures. Les autres ont volontairement commis le mal ; elles se sont écartées de Dieu ; ce sont les démons et les hommes, et c’est leur chute, leur xaxaêoXY), qui est proprement la cause de l'état actuel de l’univers, celui-ci étant moins une création qu’une dégradation. De prine., i, vin ; II, ix, 6 ; III, v, 4 ; In Joan., xix, 22 ; In Mallh. comment ser., 71.

De tous ces esprits, celui qui nous intéresse le plus est évidemment l'âme, puisque c’est l'âme qui caractérise l’homme. Origène insiste longuement sur sa nature, bien qu’il semble parfois se perdre en des explications plus ou moins cohérentes. Après avoir défini l'âme : une substance douée d’imagination et de mouvement, çpavxaaxix ?] xal ôppnQxiXT), il déclare que les animaux eux-mêmes ont une âme, puis il se demande si les anges eux aussi ont des âmes et il conclut : « Bien que nous ne soyons autorisés par aucun texte des saintes Écritures à dire que les anges et les autres esprits qui servent Dieu soient des âmes ou aient des âmes, cependant la plupart pensent que ce sont des êtres animés. » De prine., II, viii, 1. Ces concessions faites à l’usage ou à la tradition, Origène semble ne plus envisager Pâme que chez l’homme, et c’est bien elle en effet qui sert à définir proprement la nature humaine. Celle-ci est un esprit refroidi, ainsi que le montre l'étymologie, mais elle n’en a pas perdu pour autant la faculté de reconquérir sa pureté primitive : tûv Se Xoyixcov rà àfxapTT ; aavxa xal 8 ta toùto èx7rsoôvTa xrç èv fj Tjaav xaxaaxàcjscjç xaxà TTjv àvaXoylav tûv otxeltov à[i.apxY]fj.d<.Ta>v -n.|i.cop[aç x a P tv a<*>u, aaiv èveêXyjOr), xal xaOaipôjxeva TràX'.v àvâyovxai èv ꝟ. 7rp6xepov vjaav xaxaaxâae !., roxvteXcoç Trjv y.axîav àTroTiGéjjieva xal xà ao)(i.axa" xal TràXiv sx Ssuxépou xal xptxou xal^Xeûvâxiç S'.açôpoiç è[i.6âXXovxai crwpiaai npbç xi.ji.wp [av. ( etxôç yàp)> Siaçôpouç xôcî[j.oijç auax7)val xs xal a’jvtaxaaOai, xoôxo (jlèv 7rapeXOôvxaç, xoùxo Se (iiXXovxaç… ratpà xt)v à7T07cxwaiv xal xy)v d>ûÇtv x ?)v àxô xoû Çîjv xtô 7tve0[xaxt. yéyovsv 7) vûv X£yo|j.£vr) ^X')' oùca xal Sexxtxr) tyjç È71av680u xîjç ècp’cmsp -/jv èv àpXYf ôrcep vojxlÇw XéyeaOai ùrco xoû irpoçyjxou èv xtô- èTÛaxpe^ov, ^X'Ô I^OU"e k ttjv àvàTwcualv aoucoaxe ôXov xoûxo eîvai voûç. De prine, II, viii, 3.

Nous voudrions en savoir davantage. En particulier le problème de l’origine de l'âme nous intéresse au plus haut point, et nous ne voyons pas comment Origène l’a au juste résolu. A première vue, on serait tenté de lui attribuer la théorie pythagoricienne de la métempsycose, et tel est, en effet, le grief que saint Jérôme articule contre lui, en résumant à grands traits la fin du premier livre du De principiis : Ad exlremum sermone lalissimo disputavit angelum sioe animam aut eerte dœmonem, quos unius asserit esse naturæ sed diversarum voluntatum, pro magniludine negligenliie et stultitiæ jumentum posse fieri, et pro dolore pcenarum et ignis ardore magis eligere ut brutum animal sit et in aquis habitet ac fluctibus et corpus adsumere hujus vel illius pecoris, ut nobis non solum quacirupedum, sed et piscium corporasinl limenda. Et ad extremum ne leneretur Pythagorici dogmatis reus, qui asserit | J i£T£ l u^i>x coaLV > P osl tam nefandam disputalionem qua lectoris animum uulneravit : Hsec, inquit, juxta nostram sententiam, non sint dogmata, sed quæsita lantum alque projecta, ne penilus intractata viderentur. Epist., cxxiv, 4, P. L., t. xxii, col. 1063. La traduction de Rufm semble ici très abrégée car nous n’y trouvons rien qui corresponde à ce sermo latissimus dont parle saint Jérôme ; mais il nous est difficile d’avoir pleine confiance dans les résumés de saint Jérôme. Celui-ci ne traduit pas textuellement ; il se contente de dire ce qu’il croit trouver dans le texte d’Origène, et il y trouve surtout une discussion, dispulalio, l’examen d’une hypothèse, dont Origène conclut qu’il ne saurait en affirmer la valeur. Telle semble en effet avoir été la position du docteur alexandrin. Son esprit aiguisé le portait naturellement à multiplier les hypothèses, à rappeler les essais qui avaient été faits avant lui, à proposer des thèmes de discussion : souvent, il terminait sans conclure et laissait à son lecteur de soin de décider. C’est ce qu’il faisait en ce passage du De principiis : nous trouvons dans ses œuvres assez de condamnations de la métempsycose pour être assurés qu’il n’a jamais dû en accepter l’idée. Contra Cels., V, 29 ; In Matth., XIII. 1.

Il est vrai que ces condamnations restent purement négatives. Comme le fait remarquer J. Denis, « Si les esprits peuvent tomber, de ce corps de lumière et de gloire qu’ils avaient reçu avec la perfection originelle, dans ce corps de péché et de mort, qui est celui des hommes, à cause de leurs fautes dans une vie antérieure, on ne voit pas pourquoi ils ne descendraient pas plus bas. Car plus d’un homme sort de cette vie pire qu’il n’y était entré. Pourquoi doncce qui est devenu le corps d’un homme, après avoir été celui d’un ange ou de quelque être supérieur aux anges, ne pourrait-il pas devenir celui d’un animal ou d’une plante ? » J. Denis, De la philosophie d’Origène, p. 195-196. Il y a là une véritable difficulté, à laquelle n’est apportée aucune solution satisfaisante.

A la création du monde et aux problèmes que pose la création ne se borne pas la cosmologie origéniste. Après avoir expliqué comment le monde est éternel, bien qu’il y ait eu, et qu’il doive y avoir, une infinité de mondes, Origène explique comment tous ces mondes se succèdent les uns aux autres. Nous retrouverons plus loin ses idées sur le renouvellement des choses en étudiant son eschatologie. Restons pour l’instant dans le monde actuel, et essayons de pénétrer les opinions du maître relativement à l’homme.

VI. Anthropologie. —

L’homme, nous venons de le voir, est essentiellement un esprit déchu de son ancienne splendeur. Les âmes ne sont que des esprits refroidis. Sans doute Origène se demande quelque part si l'âme naît ex traduce, ou si elle a une autre origine. In Tit. comment., dans Apol., ix, P. G., t. xvii, col. 604 ; et il écrit encore : « Quant à l'âme, si elle est transmise par le moyen de la semence, comme si sa substance était insérée dans la semence corporelle elle-même, ou si elle a une autre origine et si son principe est engendré ou inengendré, ou du moins si elle est introduite du dehors dans le corps, c’est ce que la prédication ecclésiastique ne définit pas nettement. » De princ, I, prooem., 5. En fait, il ne s’arrête pas à discuter cette question.

Et lorsqu’il dresse la liste des problèmes qui peuvent se poser au sujet de l'âme, on voit bien que la psychologie expérimentale, ainsi que nous dirions aujourd’hui, n’a pour lui aucun intérêt. « On doit se demander, écrit-il, quelle est la substance de l'âme. Est-elle corporelle ou incorporelle ? est-elle simple ou composée de deux, de trois parties ou davantage ? Sa substance, comme quelques-uns le veulent, estelle renfermée dans la semence corporelle, et son commencement est-il contemporain de celui du corps ? Ou bien, parfaite et venant du dehors, se revêt-elle du corps lorsqu’il est préparé et déjà tout formé dans les entrailles de la femme ? Et, dans ce cas, entret-elle dans le corps au moment où elle vient d'être créée, et ne l’a-t-elle été que lorsque le corps paraissait déjà formé, de sorte que la raison de sa création paraisse être la nécessité d’animer un corps ? Ou bien, créée auparavant et dès longtemps, doit-on penser qu’elle descende pour quelque raison dans le corps, et s’il y a une raison qui l’y fait descendre, quelle est-elle ? On cherche, de plus, si elle revêt le corps une seule fois et si elle n’en a plus besoin dès qu’elle l’a quitté, ou bien si, après l’avoir quitté, elle le reprend de nouveau, si ensuite elle le conserve toujours, ou si elle le quitte un jour derechef. Et puisque, selon l’autorité des Écritures, il doit y avoir une fin du monde et que cet état corruptible doit se changer en un état incorruptible, on ne peut mettre en question si l'âme peut reprendre un corps une seconde ou une troisième fois dans la condition de la vie présente. Car, si l’on admettait cette supposition, il suivrait nécessairement que, grâce à ces migrations successives de l'âme, le monde ne connaîtrait pas de fin. De plus la connaissance de l'âme demande que l’on s’enquière s’il y a quelques espèces d'êtres ou quelques esprits de même substance qu’elle et d’autres d’une substance différente, je veux dire s’il y a des esprits raisonnables comme elle et des esprits privés de raison ; si elle est de la même substance que les anges, puisqu’on croit que le rationnel ne diffère aucunement du rationnel, ou bien si elle n’est point telle substantiellement, mais doit le devenir par la grâce au cas qu’elle mérite, ou bien si il est absolument impossible qu’elle devienne semblable aux anges, à moins que la qualité de sa nature ne le comporte. Car il paraît que ce qu’elle a perdu peut lui être rendu, et non que ce que le Créateur ne lui avait pas donné dès le commencement puisse lui être conféré. L'âme doit encore, pour se connaître elle-même, rechercher si ce qui fait sa vertu peut s’ajouter à elle et s’en retirer, si cette vertu est immuable et non accidentelle, ou bien si une fois acquise elle ne peut plus se perdre. » In Cant. cantic. il, édit. Bærhens, p. 146-147 ; cf. In Joan., vi, 7.

Ce texte devait être cité en entier pour faire bien comprendre de quelle manière Origène envisage les problèmes relatifs à l'âme. Son esprit, porté aux spéculations métaphysiques, ne s’intéresse guère aux questions que pose la vie quotidienne ; il veut plutôt connaître l’origine et la destinée de l'âme que l’exercice de ses facultés. D’ailleurs, lorsqu’il n’envisage que l’homme, comme il le fait ici, il semble laisse 7 tomber un certain nombre des solutions audacieuses, auxquelles il s’arrêtait volontiers au cours de ses recherches sur l’univers. Son horizon est plus restreint, si bien que certaines de ses interrogations nous étonnent, celle par exemple qu’il pose sur l’origine de l'âme.

L’homme, suivant Origène, se compose d’un corps et d’une âme. De princ, I, i, 6 ; Contra Cels., VI, 63 ; VII, 24 ; VIII, 23. Sans doute, en quelques passages, Origène dit bien que l’homme est constitué d’un corps, d’une âme et d’un esprit. De princ, IV, ii, 4 (11) ; In Matth., xvii, 27 ; In Joan., xxxii, 2 ; In Levit., nom. ii, 2. Mais cette seconde division, qui lui est en quelque sorte imposée par quelques passages de l'Écriture, ne joue aucun rôle dans son enseignement, elle semble même contredire ce que nous avons appris touchant la chute des esprits et leur refroidissement, car l'âme nous est alors apparue comme un esprit déchu et alourdi.

L'âme est immatérielle, bien qu’elle ne puisse pas subsister indépendamment du corps. « S’il y a des gens qui pensent que l’intelligence ou que l'âme est un corps, je voudrais bien qu’ils me disent comment elle pourrait recevoir en soi les raisons et les preuves de tant de choses grandes, difficiles et subtiles. D’où lui viendrait la force de la mémoire ? d’où l’intuition des choses invisibles ? Un corps est-il en état de saisir ce qui est incorporel ? quel moyen de lui prêter la faculté de concevoir et de raisonner dans les sciences et dans les arts ? où lui trouver un sens pour atteindre les dogmes divins qui sont évidemment incorporels ? Suppose-t-on que, de même que la conformation de l'œil ou de l’oreille est appropriée à la vue ou à l’audition et qu’en général les membres formés par Dieu sont propres, en vertu de leur conformation particulière, aux fonctions qu’ils sont naturellement destinés à remplir, de même l'âme ou l’intelligence a reçu une conformation matérielle telle qu’elle puisse sentir et concevoir chaque chose en même temps qu’elle est animée du mouvement vital ? Mais je demande qu’on me décrive et me dise la couleur de la pensée prise en elle-même et dans son activité intime… Chaque sens corporel a son objet propre. A la vue répondent les couleurs, les formes, les grandeurs, à l’ouïe les paroles et les sons, à l’odorat les senteurs bonnes ou mauvaises ; au goût les saveurs, au toucher le chaud et le froid, la dureté et la mollesse, les aspérités et le poli. Or, il est clair pour tout le monde que le sens intellectuel est de beaucoup supérieur à tous ces sens-là. Et tandis que les sens inférieurs ont chacun pour objet une substance particulière, cette énergie qui est beaucoup plus excellente qu’eux, je veux dire le sens intellectuel, n’aurait point aussi son objet substantiel ? Et la nature de l’intelligence se réduirait à n'être qu’un accident ou une dépendance du corps ? N’est-ce pas absurde ? ceux qui avancent de pareilles propositions font injure à la meilleure partie de leur être ; et cette injure s'étend jusqu'à Dieu, qu’ils se figurent pouvoir être conçu par une substance corporelle. » De princ, I, i, 7 ; cf. I, vu, 1 ; II, ii, 1-2 ; x, 1-2 ; Exhort. ad martyr., 47 ; Contra Cels., VII, 32.

C’est à peine si Origène fait allusion à la théorie de la connaissance : il rejette le sensualisme stoïcien ; et il ajoute : « Quoique, dans cette vie, les hommes doivent commencer par les sens et par les objets sensibles, pour s'élever peu à peu à la notion des choses intelligibles, il ne faut pas s’arrêter à ce qui tombe sous les sens, ni dire que, sans la sensation, il est impossible de connaître les intelligibles. » Contra Cels., VII, 37. Il dit encore que l’esprit peut connaître Dieu, parce qu’il y a une parenté entre Dieu et lui, De princ., i, i, 7, Toutefois il est nécessaire que l’esprit se purifie s’il veut atteindre la divinité. Contra Cels., VI, 69 ;, VII, 33.

Sur cette connaissance de Dieu, qui est réservée aux cœurs purs, Origène revient à plusieurs reprises : « Il arrive, dit-il, que la lumière corporelle montre à ceux qui ont les yeux sains et sa propre présence et celle des objets qui tombent sous les sens. De même Dieu, pénétrant par une certaine vertu dans l’esprit, voûç, de chacun, pourvu que la pensée ne soit pas voilée et n'éprouve pas quelque empêchement de la part des passions, se révèle lui-même et révèle les autres objets intelligibles à la raison éclairée de sa lumière. Il ne faut pas s'étonner si quelques-uns, se montrant très perspicaces dans les arts et dans les sciences ou dans certaines questions dialectiques et morales, ignorent Dieu. Leur entendement est semblable à l'œil qui voit tout plutôt que le soleil, mais ne s'élève jamais à la contemplation de ses rayons. » In Psalm. iv, 7. On pourrait sans peine multiplier les textes. Nous trouvons ici l’esquisse d’une théorie de la connaissance mystique qui se rattache à celle que Clément d’Alexandrie avait déjà développée.

De tous les problèmes psychologiques, le seul qui intéresse réellement Origène, c’est celui de la liberté. Il n’y a pas à s’en étonner : la liberté est une pièce maîtresse dans son système. C’est parce que les esprits sont doués du libre arbitre, qu’ils peuvent faire le bien et le mal et ainsi modifier l'état dans lequel ils ont été primitivement créés. La chute des esprits, les révolutions du monde, les retours des âmes à une condition supérieure, sont le résultat d’actions volontaires et libres.

Ce n’est pas à dire qu’Origène fasse ici preuve de beaucoup d’originalité. Il emprunte l’essentiel de ses idées, et souvent même jusqu'à leur expression au stoïcisme. Mais il les développe inlassablement : « Parmi les êtres susceptibles de mouvement, les uns ont en eux-mêmes le principe de leur mouvement, les autres sont mus par une cause extérieure : tels sont le bois mort, les pierres, et, en général, la matière inerte, dont le principe d’unité est dans l'ëÇiç. Il est inutile de dire ici que la dissolution ou la corruption des corps est un mouvement, parce que cela ne touche pas à notre sujet. Ont en eux-mêmes la cause de leur mouvement les animaux et les plantes, c’est-à-dire les êtres dont le principe d’unité est dans une çùaiç ou dans une âme… Et les uns se meuvent d’eux-mêmes, èÇ èauTÛv, les autres par eux-mêmes, àcp'éauxGiv. Se meuvent d’eux-mêmes les êtres qui n’ont point d'âme, xà ol^w/o. ; sont mus par eux-mêmes les êtres animés, xà ep^o^a. Les êtres animés se mettent par eux-mêmes en mouvement, lorsqu’une image provoque en eux l’appétit et, chez quelques animaux, il y a des imaginations provoquant l’appétit dans un sens défini et limité : par exemple dans l’araignée se produit l’imagination de tisser, qui est suivie de l’appétit de tisser, et il n’y a, croit-on, dans l’animal, que la faculté imaginative le portant déterminément à telle œuvre, de sorte qu’on ne doit supposer rien de plus dans l’abeille pour la savante construction de ses rayons. « Outre l’imagination, l’animal raisonnable a en lui la raison, qui juge les données de l’imagination, rejetant les unes, acceptant les autres pour se conduire d’après elles. En conséquence, puisqu’il y a naturellement dans la raison certains principes pour distinguer ce qui est honnête de ce qui est honteux, nous pouvons, en suivant ces principes, choisir l’un et nous écarter de l’autre ex. : louables, si nous nous adonnons à la pratique du premier, blâmables, si nous faisons le contraire… Ce qui survient du dehors et provoque en nous telle ou telle imagination, incontestablement, n’est point du nombre des choses qui dépendent de nous. Mais décider d’user de cette imagination d’une manière ou d’une autre est l'œuvre de notre seule raison qui, à la suite des incitations du dehors, nous détermine à suivre les conseils de l’honnêteté ou nous porte à une conduite contraire… « Si quelqu’un soutient que ce qui nous vient du dehors est de telle nature que personne ne puisse y résister, qu’il fasse attention à ce qu’il éprouve et à ses mouvements intérieurs, et qu’il voie si le consentement, l’acquiescement, la détermination de la raison à ceci ou à cela ne viennent pas de certaines persuasions. Si l’on a résolu de vivre dans la continence, l’aspect d’une femme dont la beauté nous invite à agir contrairement à notre propos n’est pas une raison suffisante pour effacer cette décision. Si, se laissant aller aux excitations et à l’attrait de la volupté, on tombe dans l’intempérance, c’est qu’on n’a pas voulu résister et s’affermir dans sa volonté première. Car un autre, pour qui cet attrait et ces excitations sont les mêmes, sait par raison secouer ces amorces engageantes et dissiper la passion. » De princ, III, i, 2-4.

La preuve du libre arbitre doit être cherchée d’abord dans le témoignage de la conscience : « Observons donc ce qui se passe en nous, et voyons s’il n’y aurait pas de l’impudence à dire que ce n’est pas nous-mêmes qui voulons, nous-mêmes qui mangeons, nous-mêmes qui nous promenons, nous-mêmes qui donnons notre acquiescement et qui acceptons n’importe quelle opinion, nous-mêmes qui en repoussons d’autres comme fausses. Il y a des propositions auxquelles jamais homme ne parviendra à croire, en accumulant les paroles et les preuves en apparence les plus plausibles. Ainsi il est impossible de penser sérieusement au sujet des choses humaines qu’il n’y a pas de libre arbitre. » De oralione, 6.

A la preuve expérimentale, Origène ajoute naturellement l’argument scripturaire.et il multiplie les citations de textes favorables au libre arbitre. Il n’ignore d’ailleurs pas que certains passages semblent contredire sa thèse. Moïse n’a-t-il pas écrit que Dieu endurcit le cœur du pharaon ? L’apôtre n’a-t-il pas dit que le potier dispose à son gré de l’argile pour faire de la même masse soit un vase d’honneur soit un vase d’ignominie et que nous n’avons pas davantage à demander compte à Dieu s’il se sert de nous comme il l’entend ? A ces objections, il oppose divers arguments qui n’ont pas tous la même valeur. C’est ainsi que, dans son commentaire sur l'épître aux Romains, il suppose que les passages difficiles sont placés, par saint Paul, dans la bouche d’un contradicteur, que ce sont des objections, auxquelles l’apôtre répond. In Rom., vii, 16, P. G., t. xiv, col. 1144. Cette échappatoire ne le retient pas longuement. Il préfère dire que notre condition actuelle d’endurcissement, de honte est causée par des mérites ou des démérites antérieurs : si le Seigneur a aimé Jacob et haï Ésaii dès leur naissance, c’est parce que ces deux hommes s'étaient rendus dignes d’amour ou de haine en une vie précédente. De princ, III, i, 20 ; I, vii, 4 ; III, iv, 5. Ailleurs encore, il s’efforce de concilier la liberté et la science de Dieu : « Notre libre arbitre ne fait rien sans la science de Dieu, et la science de Dieu ne nous pousse pas de force au bien sans notre libre coopération. En d’autres termes, notre libre arbitre ne fait pas de nous des vases d’honneur ou des vases d’ignominie, sans la science de Dieu qui se sert de notre libre arbitre comme il convient à sa nature, et la préparation des vases d’honneur ou des vases d’ignominie ne dépend pas de Dieu seul : il lui faut une matière apte, je veux dire notre volonté qui se porte librement au bien ou au mal. » De princ, III, i, 22.

Ici, se trouve clairement posé le problème de la coopération de l’homme et de Dieu. Nous le retrouverons un peu plus loin. A nous en tenir à l’action du libre arbitre, remarquons encore qu’Origène la déclare indépendante de notre constitution physique, tout aussi bien que de l’influence des astres et de l’action des démons. De princip., III, i, 5. Il n’ignore pas que les démons agissent sur nous et cherchent à nous perdre. Il sait même que les simples attribuent tous les péchés que commettent les hommes à ces puissances contraires qui assiègent et accablent l’esprit des coupables parce qu’elles sont plus fortes que nous dans ces combats invisibles. Mais il ne saurait admettre une pareille excuse : si le diable n’existait pas, seraiton en droit de penser qu’il n’y aurait plus de fautes ni de délits parmi les hommes ? est-ce le diable qui est cause que nous éprouvons la faim, la soif, les sollicitations physiques de l’amour ? ou bien ces germes de passion ne proviennent-ils pas plutôt de notre nature corporelle ? De princ, III, n ; In Rom., iv.

VIL Le péché originel. L’incarnation. La rédemption. —

Le mal a été introduit dans le monde par le mauvais usage que.'es esprits créés ont fait de leur liberté. Dieu avait fait le monde bon, et même après la chute, il reste encore dans l’univers assez d’harmonie et de beauté pour que celui-ci ne soit pas indigne de son créateur. De princ, I, i, fi ; II, ix, 6. Le péché originel. — Malgré tout, le mal existe. Nous serions tentés de croire d’après ce que nous avons déjà vii, qu’Origène ne cherche pas à expliquer autrement que par cette chute primitive des esprits les faiblesses natives de l’homme. Lorsqu’il a à expliquer la formule de Job : « Qui donc est pur de toute faute ? personne, pas même celui qui n’a encore vécu qu’un seul jour sur la terre, » il doit, semble-t-il, lui suffire de rappeler que la descente de cette âme sur la terre et son » inhumanisation », son incarnation, est une conséquence fatale de la chute commise dans l’univers spirituel. Et dans son commentaire sur l'épître aux Romains, il écrit en effet : Ecclesia ab aposlolis traditionem suscepit, eliam parvulis baptismum dore ; sciebanl enim illi, quibus myslerionim sécréta commissa sunt divinorum, quod essent in omnibus genuinir sordes peccaii, quæ per aquam et spiritum abtui debercnl, propler quas eliam corpus ipsum corpus peccaii nominatur non — ut pu tant aliqui eorum qui animarum transmigralionem in varia corpora inlroducunt — pro his quæ in alio corpore posita anima deliquerit, sed pro hoc ipso quod in corpore peccaii et corpore mortis atque humililatis efjecta sil. In Rom., v, 9. Mais, si la traduction de Ru fin est exacte, Origène ne rappelle les descentes successives des esprits que pour les écarter, et il se contente de déclarer que la tache ou la souillure effacée par le baptême n’est autre que l’union de l'âme et d’un corps pécheur et mortel.

Sans aucun doute, Origène est guidé par l’usage liturgique de l'Église. On baptise les enfants, tel est le fait qu’il s’agit d’expliquer. L'Église agirait-elle de la sorte, s’il n’y avait rien dans les enfants qui dût se rapporter au rachat et au pardon. In Leuit., boni, vin, 3. Et comme les enfants n’ont pas encore commis de faute personnelle, il reste qu’ils n’ont à laver qu’une souillure : Parvuli baplizantur in remissionem peccaiorum : quorum peccatorum ? vel quo lempore peccaverunt aut quomodo potest ulla lewacri in parvulis ratio subsistere, nisi juxla illum sensum : Nullus mundus a sorde, nec si unius diei quidem fuerit vita ejus super terram ? et quia per baptisim sacramentum nalivilatis sordes deponuntur propterea baplizantur et parvuli. In Luc, hom. xiv, P. G., t. xiii, col. 1334. La sordes nadvitalis provient de la naissance même : « Toute âme qui naît dans la chair est souillée d’une tache de péché et d’iniquité. » In Levit., hom. viii, 3.

D’autre part, Origène ne peut pas négliger les données scripturaires qui mettent en relation la faute d’Adam avec l'état présent de l’humanité. Il est essentiellement un bibliste, il faut le répéter, et le texte des Livres saints fournit la matière inépuisable de ses réflexions. Aussi, lorsqu’il rencontre, dans l'épître aux Romains, la formule : « Comme la mort est entrée dans le monde par le premier Adam, de même la vie y est entrée par le second, » Rom., v, 1, il commente : « Tous les hommes étaient dans les reins d’Adam lorsqu’il habitait encore le Paradis et tous les hommes en furent chassés avec lui et en lui, quand il en fut chassé, et par lui, la mort qui est venue de la prévarication a passé sur tous ceux qui étaient dans ses reins. » In Rom., v, 1.

Nous sommes ici, comme le remarque J. Tixeront, en face d’une théorie du péché originel qui est bien près d'être suffisante. Pourquoi faut-il qu’Origène ajoute aussitôt, en revenant sur la théorie de la préexistence : « Cherche, puisque le péché et la mort sont entrés dans le monde par un seul homme, et que certainement par ce monde l’Apôtre entend le monde terrestre où nous vivons, si le péché n’avait pas déjà pénétré ailleurs, et ne se trouvait pas, par exemple, dans ces lieux du ciel où habitent les esprits de malice. Cherche, de plus, d’où le péché est entré dans ce mondeci, et où il était avant d’y entrer, et, à supposer qu’il existât déjà, s’il existait avant celui à qui il a été dit : Des iniquités ont été trouvées en toi, et c’est pourquoi je t’ai précipité sur la terre. » In Rom., v, 1. Et plus loin, avec une insistance renouvelée : « Tous les hommes ont été mis dans ce lieu d’humiliation, dans cette vallée de larmes, soit que tous aient été dans les reins d’Adam et se soient vus expulsés avec lui du Paradis, soit que chacun de nous en ait été banni personnellement et ait reçu sa condamnation d’une manière inénarrable et connue de Dieu seul. » In Rom., v, 4.

Il est difficile, semble-t-il, de voir plus clairement qu’en des textes tels que ceux-ci, les complications au milieu desquelles se débat Origène pour concilier ses opinions philosophiques avec la croyance de l'Église. L'Église ne s’intéresse qu'à la terre et aux hommes et rapporte à Adam l’origine du péché. Origène embrasse d’un seul coup d'œil tout l’univers et son histoire : comment un tel système s’accommoderat-il avec la règle de foi ?

En toute hypothèse, il reste que toute l’humanité est soumise à la loi du péché. Origène connaît cette loi par sa propre expérience, il a vu les fidèles euxmêmes, les chrétiens baptisés retomber fréquemment dans les fautes auxquelles ils avaient promis de renoncer ; ses homélies, qui décrivent l'état moral des communautés du iiie siècle, nous laissent entrevoir, à côté de nobles exemples, bien des faiblesses, et le clergé lui-même n’est pas exempt de reproche. La concupiscence, les mauvais exemples, les démons, voilà quelques-unes des influences qui favorisent le développement du mal : peut-on ignorer que, si l’on ne résiste pas aux premiers attraits du plaisir défendu, on devient incapable de lutter contre des sollicitations qui ont été fortifiées par l’habitude ? que, si l’on se laisse aller à l’amour de l’argent, on est la proie de l’avarice ? L’aveuglement de l’esprit succède à la passion ; et finalement la liberté n’est presque plus autre chose qu’un vain mot. De princ, III, v, 2.

Même les justes ne sont pas à l’abri du péché. Origène se plaît à rappeler les fautes ou les imperfections des saints de l’Ancienne Loi. « Pourquoi Abel n’a-t-il ollert ses sacrifices que plus tard, après Gain, et non immédiatement ? Pourquoi Énos a-t-il attendu pour invoquer le nom du Seigneur ? Pourquoi d’Enoch est-il écrit qu’il n’a plu au Seigneur qu’après avoir engendré Mathusalem ? De Noé, l'Écriture, dit en parlant de la cinq-centième année de son âge, qu’il trouva grâce devant le Seigneur : s’il l’avait mérité plus tôt, je pense que l'Écriture divine ne l’aurait pas passé sous silence… D’ailleurs il a bu du viii, il s’est enivré, il s’est mis à nu. A Abraham, il est dit : Sors de ton pays, et cet ordre ne lui aurait pas été donné s’il avait pu plaire à Dieu dans la maison de son père. » In Rom., v, 1. Il est nécessaire que les justes s'écartent en quelque point de la voie droite, qu’il est à peu près impossible à la nature humaine de suivre partout et toujours. In Rom., ii, 14.

2° L’incarnation. —

C’est avant tout, semble-t-il, pour racheter l’humanité que le Verbe de Dieu s’est incarné. Il est possible que l’incarnation reste en dehors du système philosophique d’Origène ; il faut même dire qu’elle n’est pas exigée par la logique de ce système. Mais c’est ici surtout que, pour comprendre le grand docteur d’Alexandrie, il faut se souvenir que l’on a affaire en lui à un chrétien passionnément attaché à l'Église et à la tradition.

On peut être surpris qu’en certains passages de ses œuvres, Origène, attentif à fortifier la distinction entre la foi et la gnose, entre les simples et les didascales, semble n’attribuer au mystère de Jésus qu’une importance secondaire. N'écrit-il pas par exemple : i II faut que le christianisme soit spirituel et corporel, et quand il faut annoncer l'Évangile corporel et dire que l’on ne sait rien parmi les charnels que JésusChrist, et Jésus-Christ crucifié, on doit le faire. Mais, quand on les trouve perfectionnés par l’Esprit et portant en lui du fruit et épris de la sagesse céleste, on doit leur communiquer le discours qui s'élève de l’incarnation jusqu'à ce qui était auprès de Dieu.. In Joan., i, 7, 43. Parmi les croyants, ne met-il pas au premier rang ceux qui participent au Verbe qui était dans le principe, qui était auprès de Dieu, au Verbe-Dieu ; et au second rang ceux qui ne savent rien que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié, estimant que le Verbe fait chair est le tout du Verbe et ne connaissant que le Christ selon la chair. » In Joan., ii, 3, 27-31.

De telles formules sont dures à la vérité, bien qu’elles puissent être entendues en un sens acceptable. Le Verbe est devenu par son incarnation le médiateur entre Dieu et l’homme : personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui il a plu au Fils de le manifester. Il s’est incarné afin de nous diviniser ; et dès lors les mystères de la croix eux-mêmes sont surtout des moyens, grâce auxquels l’humanité rachetée peut enfin connaître Dieu. Mais il faut ajouter qu’Origène ne s’y arrête pas. Sans doute les récits historiques de l'Évangile lui-même sont à ses yeux le symbole des vérités intelligibles. « Il ne faut pas penser que les choses historiques soient des figures des choses historiques, les choses corporelles, des figures des choses corporelles ; mais les choses corporelles sont les figures des choses spirituelles et les choses historiques le sont des choses intelligibles. » In Joan., *., 18, 111, P. G., t. xiv, col. 340. Sans doute encore, la foi aux miracles demeure insuffisante si elle ne prépare pas le chemin à la foi, à l’invisible : « Il est vraisemblable que les Juifs croyaient en Jésus quant aux choses visibles, à cause des miracles, mais ne croyaient pas aux choses profondes qu’il disait… et on retrouverait les mêmes dispositions chez beaucoup de gens : ils admirent Jésus quand ils considèrent son histoire, mais ils ne croient plus quand on leur présente un discours qui est trop profond et trop haut pour leur portée ; ils le tiennent pour mensonge. » In Joan., xx, 30, 274-275, P. G., t. xiv, col. 644.

Et après cela, il parle de Jésus comme d’un maître et d’un ami. Jésus, à ses yeux, est le maître compatissant, dont la tendresse l’amène à ne laisser de côté aucun village ; il n’est pas venu juger, mais enseigner. Contra Cels., 11, 38 ; IV, 9. Il est le prince de toute paix, le fondateur d’une paix établie sur l’amour. Contra Cels., VIII, 14. Il est impossible que ses disciples, s’ils restent fidèles à ses leçons, fassent la moindre tentative de révolution. Contra Cels., III, 28. Les païens eux-mêmes ne sont pas exclus de sa tendresse. Contra Cels., VII, 46 ; VIII, 66. II serait facile de multiplier ici les témoignages. Les homélies sur l'évangile de saint Luc en particulier contiennent des pages admirables sur le Sauveur, sur sa bonté, sa patience, sa douceur. Et lorsqu’on les lit, on se rend compte qu’Origène laisse passer ici le meilleur de son âme.

Qu’est donc au juste pour lui ce Jésus dont il parle avec des accents si profondément émus ? Il faut, pour le savoir, revenir aux exposés théologiques du De principiis. car ce qui nous intéresse d’abord ici, c’est la doctrine du théologien. Tout le chapitre vi du second livre est consacré à l’incarnation, et c’est là surtout que nous trouverons la synthèse de l’enseignement origéniste.

Comme tous les autres esprits, l'âme du Christ a été créée dès le principe : mais seule, parmi tant d’autres, elle est restée absolument fidèle à Dieu. Comme le dit ici la traduction de saint Jérôme, nulla alia anima, quæ ad corpus descendit humanum, puram et germanam similUudinem signi in se prioris expressil nisi illa, de qua Salvator loquitur : Nemo lollit animam meam a me, sed ego ponam a meipso. Epist., cxxiv, 6, P. L., t. xxii, col. 1064-1065.

Pour nous sauver, le Verbe s’unit plus intimement à cette âme, et, par son intermédiaire, à un corps parfait et beau, puisque chaque âme a le corps qu’elle a mérité et qui convient au rôle qu’elle doit remplir. Contra Cels., VI, 75-77. Jésus naît d’une vierge, sa naissance est réelle, comme le sont aussi ses inquié tudes, ses troubles, ses infirmités, ses souffrances. Les récits évangéliques doivent être pris au sens historique, et, même lorsque Origène leur découvre une signification allégorique, il n’entend pas pour autant mettre en doute la réalité des faits qu’ils racontent. Le docétisme par contre demeure une hérésie qu’Origène condamne avec force, bien qu’on puisse trouver encore chez lui, comme naguère chez Clément, quelques formules susceptibles d’une interprétation docète. Contra Cels., VI, 77 : II, 64-65. C’est surtout dans son apologie Contre Celse, qu’Origène se trouve amené à prendre la défense de l’histoire du Sauveur : aux objections du philosophe païen contre la véracité des évangiles, il répond en homme qui connaît tous les détails de l'Écriture et qui, pour avoir longuement vécu dans le pays de Jésus, est mieux que quiconque à même de comprendre la vie du Maître.

Jésus-Christ est donc véritablement un homme ; d’autre part, le Verbe qui est en lui ne perd rien de ce qu’il était dès le commencement : rjj oùoia [iivcov Xôyoç. Contra Cels., IV, 15 ; cf. In Joan., xxviii, 14, GP., t. xiv, col. 720. Par suite, il y a deux natures dans le Sauveur, car il est à la fois Dieu et homme : Alia est in Christo deitalis ejus natura, quod est unigenitus fllius Palris, et alia humana natura, quam in novissimis lemporibus, pro dispensatione suscepil. De princ, I, ii, 1. Cf. In Joan., xix, 2 : ôti ô ctorJ]p ôts ptèv Tcepi sauTOÛ wç Trepl àv0pw7rou SiaXéysTai, ôrè 8s wç Trspl Œtoxépaç <pôascoç xal Tjvwjjtévrçç -r/j <£ysvy ; t<jl> toû 7vxxpo< ; çûasi. Contra Cels., III, 28 ; VII, 17.

S’il y a dans le Christ deux natures, il n’y a pourtant qu’un seul être. Le Verbe de Dieu, après la dispensât ion, est devenu un avec l'âme et le corps de Jésus. Jésus est otjv6st6v ti ^p^oc. Contra Cels., II, 9. Pour se faire mieux entendre, Origène use d’une comparaison : « Le fer est un métal susceptible de froid et de chaleur. Supposez donc qu’une masse de fer reste continuellement dans le feu, de sorte qu’elle reçoive la chaleur par tous ses pores et par toutes ses veines ; elle deviendra tout feu. Direz-vous qu’elle peut se refroidir aussi longtemps qu’elle restera dans le feu ? Certes non. Au contraire, vous voyez par ce qui se passe dans les fournaises qu’elle n’est plus autre chose que le feu ; et si vous essayez de la toucher, c’est la force du feu que vous ressentez et non celle du fer. Ainsi en est-il de cette âme qui, semblable à du fer placé dans le feu, est toujours dans le Verbe, toujours dans la Sagesse, toujours en Dieu : tout ce qu’elle fait, tout ce qu’elle pense est Dieu ; voilà pourquoi elle n’est point sujette au changement, car elle participe à l’immutabilité du Verbe de Dieu, auquel elle reste unie dans le feu de l’amour. Nous admettons bien qu’une certaine chaleur du Verbe parvienne à tous les saints, mais, quant à cette âme, le feu divin y repose substantiellement. » De princ, II, vi, 6. Le corps et l'âme ne sont pas seulement associés au Verbe, ils lui sont joints par une union et par un mélange, êvwCTei xal àvaxpàaei, qui les a rendus participants de la divinité et les a transformés en Dieu, cîç 0sov (i.£Ta6e67)xsvoct.. Contra Cels., III, 41. Comme l'écrit J. Tixeront, La théologie anlénicéenne, p. 315, ce sont des « expressions trop fortes évidemment, et qui doivent se corriger par ce qui est dit plus haut, mais qui montrent l’idée que l’auteur se fait et qu’il essaie de traduire de l’unité de Jésus-Christ. Il la traduit encore par la communication des idiomes, dont il n’use pas seulement, mais dont il a été le premier à formuler la loi et à montrer, dans l’union hypostatique, la raison d'être. « Les formules qu’il emploie ici sont à rappeler : Unde et merilo pro eo quod vel lola essel (anima illa) in Filio Dei vel tolum in se caperet Filium Dei, etiam ipsa cum ea quam assumpseral carne Dei Filius et Dei virlus, Christus et Dei sapientia appellatur ; et rursum Dei Filius, per quem omnia creata sunt, Jésus Christus et Filius hominis nominatur. Nam et Filius Dei morluus esse dicitur pro ea scilicel natura, qute mortem utique recipere polerat ; et Filius hominis appellatur, qui venturus in Dei Palris gloria cum sanctis angelis prædicatur. Et hac de causa per omnem Scripluram tam divina natura humanis vocabulis appellatur, quam humana natura divinæ nuncupationis insignibus decoratur. De princ, II, vi, 3, cf. IV, iv, 31.

Inutile d’insister ici sur le détail de l'œuvre terrestre du Christ. Origène, dans ses commentaires sur saint Matthieu etsaint Jean, dans seshomélies sur saint Luc, dans son apologie contre Celse, il faudrait dire plus exactement dans tous ses ouvrages, trouve sans cesse l’occasion de parler du Sauveur. Il le fait avec un accent profondément chrétien ; et ceux-là se tromperaient qui croiraient voir dans l'œuvre d’Origène un système philosophique, où le Christ fait figure d’accessoire.

La rédemption.


Le Verbe de Dieu, nous l’avons déjà dit, s’est incarné en vue du salut de l’humanité. Qu’est-ce donc que le salut ?

Origène le conçoit d’abord comme une illumination. Il reprend sur ce point la doctrine de Clément, de Justin et de bien d’autres encore. Il n’y a, pour l’humanité, qu’un seul maître de vérité, le Verbe. C’est lui qui, déjà, a parlé aux hommes pieux qui ont précédé les patriarches ; c’est lui qui s’est manifesté aux ancêtres de la race élue, Abraham, Isaac et Jacob, lui qui a dicté les lois de Moïse et les oracles sacrés des prophètes. « Mais, imparfaites et obscures en partie parce qu’elles s’appropriaient à l'état spirituel des hommes, et parce que, d’un autre côté, elles n'étaient que les figures des mystères futurs de la vie du Christ, comme de son Église, ces révélations partielles ne s’adressaient qu'à un seul peuple. Le Verbe enfin, en se faisant homme, quand les temps furent venus, acheva ce qui était incomplet, éclaircit ce qui était obscur, et appela à lui tous les hommes de bonne volonté, à quelque race, à quelque nation qu’ils appartinssent. En outre cette dernière et parfaite révélation se distingue des précédentes en ce qu’elle nous apprend à reconnaître Dieu comme un Père, tandis que, jusqu’alors, il avait été annoncé surtout comme un maître. In Joan., xix, 1. Elle fait succéder la loi d’amour à la loi de crainte. C’est dans l’Homme-Dieu, dans le Verbe fait chair, que se consomme toute l'économie de l'éducation de l’humanité et même de toutes les substances raisonnables. » J. Denis. De la philosophie d’Origène, p. 287.

Mais le salut est autre chose qu’une illumination. Il est. selon la formule employée par le Sauveur luimême, un rachat. Comment faut-il entendre ce rachat ? Il semble qu’il y ait, dans les œuvres d’Origène, une double conception de la rédemption. En quelques passages, le maître d’Alexandrie a l’air de l’envisager comme un rachat au sens le plus strict du terme. Par le péché, nous avons été livrés au démon, nous sommes devenus ses esclaves, sa propriété. Il s’agit donc de lui payer notre rançon. C’est pour cela que Jésus-Christ donne au démon sa propre vie, son âme. Ainsi, il nous paie, il nous achète, il nous gagne : « A qui Jésus a-t-il donné son âme en rançon pour un grand nombre ? Pas à Dieu assurément. Ne serait-c.e donc pas au malin ? Car celui-ci était maître de nous, jusqu'à ce que, pour nous, la rançon lui fût livrée, à savoir l'âme de Jésus. » In Matth., xvi, 8, P. G., t. xiii, col. 1397. De même, Origène écrit ailleurs : Audi quid dicil propheta : peccatis vestris venumdati estis, et pro iniquilalibus veslris dimisi matrem vestram. Vides ergo quia Dei quidem crcalura omnes sumus, unusquisque vero peecalis suis venumdatur et pro iniquilalibus suis a proprio erealore diseedil. Dei igitur sumus, secundum qund ab eo ereali sumus ; efjecti vero sumus servi diaboli, secundum quod peccatis nostris venumdati sumus. Veniens autem Christus redemit nos, cum serviremus Mi domino, cui nosmetipsos peccando vendidimus. El ita videtur tanquam suos quidem récépissé, quos creaverat, lanquam alienos autem acquisisse, qui alienum sibi dominum peccando quæsiverant. In Exod., nom. vi, 9, P. G., t. xii, col. 336. Cf. In Rom., iii, 7 ; iv, 11, P. G., t. xiv, col. 945 et 1000. Cette « rançon », généralement prise à la lettre, n’est sans doute qu’une métaphore pour dire le caractère onéreux de notre salut. Voir J. Rivière, Le dogme de la Rédemption, études critiques et documents, p. 182-206. Cependant la théorie ainsi introduite par Origène dans la théologie patristique est loin d'être heureuse.

Elle se trouve d’ailleurs corrigée ou complétée par une autre explication, celle de la substitution et du sacrifice propitiatoire. Jésus est le chef de l'Église ; il est la tête d’un corps dont nous sommes les membres : il a pris sur lui nos péchés, il les a portés et, pour nous il a librement soutïert. In Levil., hom. i, 3. Prêtre véritable, il a offert à son Père un sacrifice véritable de propitiation, dont il est lui-même la victime. Ipse Dominus Jésus Christus non ideo minus dicitur, quasi qui mutatus sil et conversus in speciem agni. Dicitur tamen agnus, quia voluntas et bonilas ejus, qna Deum repropitiavit hominibus et peccatorum indulgenliam dédit, talis exstitit humano generi quasi agni hostia immaculata et innocens, qua placari hominibus diiuna credunlur… Doncc… sunt peceala, necesse est requiri hostias pro peccalo. Nam pone, verbi gratia, non fuisse peccalum. Si non fuisse ! peccalum, non necesse fueral Filiwn Dei agnum fteri, nec opus fueral eum in carne positum jugulari, sed mansisset hoc quod in principio erat, Deus Verbum ; verum quoniam inlroivit peccalum in hune mundum, peccati autem nécessitas propiliationem requirit et propiliatio non (il nisi per hosliam, necessarium fuit prouideri hosliam pro peecato. In Num., hom. xxiv, 1, P. G., t. xii, col. 756-757. Cf. In Rom., m, 8, P. G., t. xiv, col. 946 sq.

Le sacrifice offert par le Christ a une valeur universelle. II ne rachète pas seulement les hommes, mais les anges et toutes les créatures raisonnables : où u.6vov ûrcèp àvOptoTtwv àTréOavsv, à>.Xà xoù ûrcèp twv Xoltiwv Xoyixwv. In Joan., i, 40. P. G., t. xiv, col. 93. Cf. In Matth., xiii, 8, P. G., t. xiii, col. 1116. Telle est la signification du sacrifice céleste dont il est question dans l'épître aux Hébreux : Non solum pro terrestribus sed etiam pro cselestibus oblalus est hoslia Jésus, et hoc quidem pro hominibus ipsam corporalem materiam sanguinis sui fudit, in cselestibus vero, ministrantibus, si qui ilti inibi sunt. sacèrdolibus, vitalem corporis sui virtutem velut spirilale quoddam sacrificiiim immolavit. In Levit., hom. i, 3 ; cf. In Luc, hom. x.

Ajoutons que la rédemption, accomplie parle Christ, ne saurait avoir d’efficacité que si les hommes se l’approprient en quelque sorte. Nul, nous l’avons vii, n’a plus insisté qu’Origènc. sur le rôle de la liberté da.is la vie morale. Jésus, par sa passion et par sa mort, nous a rachetés : il faut encore que chacun d’entre nous opère son salut en s’associant librement à l’i passion de Jésus.

Toutefois, en cette œuvre, nous sommes aidés par la grâce divine. En quelques endroits de ses écrits, Origène insiste sur le rôle de la grâce en des ternies qui feraient songer à saint Augustin, si nous étions assurés qu’ils sont réellement de lui. Il écrit par exemple dans une homélie sur les Nombres : Ipse Unigenitus, ipse, inquam, F Mus Deiadesl, ipse défendit, ipse cuslodil, ipse nos ad se trahit… Sed nec sufjlcit eum esse nobiscum, sed quodammodo vim nobis facit ut nos prolrahat ad salulem. Sic ergo non solum invitamur a Deo sed et trahimur et cogimur ad salulem. In Num., hom. xx, 3, P. G., t. xii, col. 734.

De tels passages sont rares. Le plus souvent, Origène se contente d’affirmer la nécessité de la coopération de Dieu avec l’homme. « Le vrai bien de la nature raisonnable, écrit-il, est une résultante de la liberté de l’homme et de la puissance divine venant en aide à l’homme vertueux. Et ce n’est pas seulement pour devenir bons, que nous avons besoin du libre arbitre et du concours divin, qui, par rapport à nous, est indépendant de la liberté ; nous en avons aussi besoin pour persévérer dans la vertu, car le plus parfait tombera s’il s’enorgueillit du bien qui est en lui, s’il s’en attribue le mérite et néglige d’en rapporter la gloire à celui qui a de beaucoup la plus grande part dans l’acquisition et la conservation de ce bien. » In Psalm., iv, P. G. t. xiii, col. 1160. Et ailleurs : « Il ne suffit pas de vouloir pour atteindre le but, ni de courir pour gagner la couronne promise au triomphateur ; il y faut l’assistance de Dieu… Pareillement notre salut, tout en nécessitant notre coopération, n’est pas néanmoins notre œuvre, car Dieu y joue le principal rôle. » De princ, III, i, 18, P. G., t. xi, col. 289.

Origène précise encore que la grâce est un don purement gratuit, In Joan., vi, 20, et que la foi ellemême est une grâce : « De même que, si nous existons, ce n’est pas en récompense de nos œuvres, mais par un pur effet de la grâce du Créateur ; de même, si nous obtenons un jour l’héritage des promesses de Dieu, c’est un don de la grâce divine et non la récompense de quelque œuvre méritoire. Mais, dira-t-on, l’homme doit offrir sa foi, et par là mériter la grâce de Dieu. Non, car l’Apôtre nous enseigne que la foi est accordée par l’Esprit-Saint, et par conséquent est une grâce elle-même. » In Rom., iv, 6 ; In Num., hom. xiii, 3.

En d’autres textes cependant, Origène semble accorder à la liberté le pouvoir qu’il lui refuse dans les passages qui viennent d'être cités. C’est à nous de commencer, dit-il, et Dieu nous tendra la main. In psalm. vxx. Notre bien et notre mal sont entre nos mains : « Dieu a donné à l’homme toutes les inclinations et tous les mouvements avec le secours desquels il peut s’efforcer et avancer dans la vertu. Il lui a donné en outre la force de la raison pour reconnaître ce qu’il doit faire et ce qu’il doit éviter. Voilà ce que Dieu a donné à tous sans exception. Si, après avoir reçu ces choses, on néglige de marcher dans la route de la vertu, l’homme, à qui rien n’a manqué du côté de Dieu se trouve avoir manqué aux dons que Dieu lui a faits. » In Rom., iii, 0 ; cf. De princ, III. ii, 3 ; In Rom., vii, 16 ; In Num., hom. xi. 4 : In Matth., xvi, 5 ; In Malth. comment, ser., 69.

En insistant sur ces derniers textes, quelques commentateurs ont cru pouvoir accuser Origène de pélagianisine. ou tout au moins de semi-pélagianisme. Ainsi ont pensé Huet et. à sa suite, Mgr Freppel. De tels griefs sont loin d'être justifiés. Les adversaires contre lesquels doit lutter le maître d’Alexandrie ne sont autres que des fatalistes stoïciens ou des dualistes gnostiques : il importe donc de mettre en relief la réalité du libre arbitre, afin de détruire les conclusions de leurs thèses. D’autre part, le problème de la grâce est loin de se poser, au début du iiie siècle, avec la précision qu’il prendra deux siècles plus tard, et nul ne sait alors parler correctement de la grâce prévenante. Comme on l’a écrit : « Si l’on écarte les textes visiblement invoqués à faux, il en reste seulement quelques-uns, où s’affirme une tendance à mettre en avant le rôle de la liberté humaine, mais sans qu’il s’en dégage une doctrine formelle à cet égard. En somme. Origène n’a pas été amené à trancher une question qui ne se posait pas encore sous sa forme précise, ce qui fait comprendre que sa position manque de netteté au regard des exigences introduites par le développement ultérieur du dogme et de la théologie. Cependant, pour autant qu’on puisse saisir la direction générale de sa pensée, il est permis de dire que logiquement ses principes auraient dû l’amener à résoudre la question de Vinilium ftdei dans le sens opposé au semi-pélagianisme. Quelques passages sur le mode d’action de la grâce admettent positivement la grâce prévenante, et beaucoup d’autres dont on lui a fait grief, — à part ceux qui découlent de sa théorie de la préexistence, — sont susceptibles d’une interprétation favorable, quand on les remet dans leur contexte et dans leur milieu. » C. Verfaillie. La doctrine de la justification dans Origène, d’après son commentaire de l'Épitre aux Romains. Strasbourg, 1920, p. 106-107.

VIII. Eschatologie. —

Le problème des fins dernières est un de ceux qui préoccupent le plus vivement la pensée toujours en éveil d’Origène. Il est aussi l’un de ceux qu’elle a le plus de peine à résoudre de manière pleinement satisfaisante.

La résurrection.


Origène croit, avec toute l'Église, que l'âme, lorsqu’elle quittera ce monde, sera rétribuée en proportion de ses mérites, qu’elle sera éternellement récompensée, si elle a fait le bien, éternellement punie, si elle a fait le mal. Il croit en outre à la résurrection des morts. Ce sont là des dogmes définis par la prédication ecclésiastique, De princ, I, proœm. 5 ; le maître alexandrin est trop fermement attaché à cette prédication pour concevoir le moindre doute suides points aussi nettement établis. Cf. De oral., 29, 13 : fiyou^ai Sq tÔv ©sôv èxàaTTjv XoyiX7)v otxovofxeïv 'V r LV «  «  « popSvTa eîç TTjv àfôiov aÛTTJe ; Çcoyjv, àel êXO’Jiav tô aÛTeÇoôaiov xai, wxpà tyjv îSîav « EtÉocv Tyroi èv toïç xpstTTOCTi xaT'È7 : avâ6affi.v ëcoç t^ç àxpotyitoç twv àyaôcov yivofXÉvïjv [r, l xaxa6aîvouaav Staçôpioç èÇ à71 : poasÇîaç èm ttjv too _ /)vSs ttjç xaxîaç xûaiv.

L’immortalité de l'âme est en quelque sorte un postulat de la doctrine philosophique d’Origène. En cette vie, nous ne possédons que des vérités imparfaites, nous n’avons qu’une ébauche de la vérité achevée. Or, il résulte de là que ceux qui ont dans cette vie une certaine esquisse de la vérité et de la science, tracée par le burin du Christ, doivent avoir, dans le sièclefutur, l’image parfaite et définitive dans toute sa beauté. De princ, II, xi, 4. Et encore, les âmes humaines qui participent en quelque mesure à la lumière intelligible, doivent être, comme elle, immortelles et incorruptibles. De princ., IV, iv, 36.

Plus difficile, sinon à admettre, du moins à expliquer, est pour Origène la doctrine traditionnelle de la résurrection. Le docteur rappelle longuement les objections qu’on peut opposer à l’interprétation littérale de ce dogme : « Quoiqu’ils aient l’air de se prononcer catégoriquement sur ce sujet, il est évident, si l’on vient à les interroger, qu’ils ne savent ce qu’ils disent et qu’ils ne peuvent garderies conséquences qui résultent de leurs paroles. Leur demandez-vous de quoi il y a résurrection : du corps, répondent-ils ; de ce corps dont nous sommes actuellement revêtus. Pressezles, en leur demandant si c’est de toute la substance du corps ou non, ils vous répondront, avant de réfléchir, que c’est de toute la substance du corps. Si, vous prêtant à leur simplicité, vous ajoutez sous forme de question : Est-ce que nous reprendrons en même temps tout le sang que nous avons perdu de temps à autre par des saignées, et de plus toute la chair qui a pu être la nôtre, tous les poils qui ont pu pousser sur notre corps, ou seulement ceux qui nous restaient au moment de notre décès ? Ils auront recours à cette défaite qu’il faut laisser faire à Dieu ce qu’il veut. » In Psalm. 1.

Origène poursuit longuement cette critique de la foi des simples, et l’on s’en étonne d’abord. Ceux qu’il raille sont en effet ses frères, et les arguments qu’il emploie sont ceux que l’on retrouve chez les écrivains païens, chez Celse, chez Porphyre, chez d’autres encore. Il est manifeste que le dogme de la résurrection a besoin d'être expliqué : « Tous ceux, ajoute Origène, qui sont conduits par le zèle de la vérité, lorsqu’ils s’appliquent à cette question difficile, doivent, d’une part, s’efforcer de conserver les traditions transmises par les anciens et, de l’autre, prendre garde de tomber dans les inepties des sens les plus vains, en avançant des choses impossibles et indignes de la majesté de Dieu. » In Psalm. I, 5.

Quelle explication proposer du mystère ? On peut faire appel à la doctrine aristotélicienne de l’identité de la forme corporelle : « Bien que la matière première de nos corps ne reste pas deux jours la même, Pierre et Paul, par exemple, n’en conservent pas moins leur identité, non seulement au regard de l'âme, dont la substance ne s'écoule point et qui ne reçoit rien du dehors, mais aussi relativement au corps, dont la forme caractéristique subsiste dans le flux perpétuel auquel la nature l’a soumis. C’est par ce type, toujours le même, que le corps de Pierre et celui de Paul manifestent leur propriété distinctive : ce qui fait que nous gardons, depuis l’enfance, certaines cicatrices ou d’autres marques particulières, comme les lentilles. Si donc, il y a une forme spécifique propre à Pierre ou à Paul, c’est cette forme spécifique qui enveloppera de nouveau l'âme à la résurrection, mais changée en mieux, et non pas absolument la matière qui en était le substratum dans sa première vie. » In Psalm. I, 5, P. G., t. xii, col. 1089.

Tout cela n’est pas encore très clair ; et Origène cherche ailleurs un complément d’information. Il croit le trouver d’abord dans l’enseignement de.„saint Paul. L’apôtre ne dit-il pas, dans la première lettre aux Corinthiens, qu’il en est de la résurrection des morts comme de la germination du grain de froment ? Origène conclut de là qu’il y a en chacun de nous un Xôyoç ozzspiiy.zixoç, , qui est un principe immortel de vie : « Nos corps tombent dans la terre comme le grain de blé ; mais, ils ont en eux la raison destinée à maintenir en un seul tout la substance corporelle (quibus insita ratio ea quæ substantiam continet corporalem) ; et quoique nous soyons morts, corrumpus et dispersés, cependant, à la parole de Dieu, cette raison, qui subsiste toujours intacte dans le corps, le redressera du sein de la terre pour le rétablir et le réparer, comme la vertu intrinsèque du grain de blé survit à sa corruption et à sa mort, pour lui refaire un corps dans la tige surmontée de l'épi. > De princ. II, x, 3. Cf. Contra Cels., V, 19 ; VIII, 32 ; VIII, 49 ; In Matth.. xvii, 2<S ; S. Jérôme, Epist., Lxxxiv.ad PammarhiumetOceanum,

Deux points sont ici également importants. D’une part notre corps doit être, lors de la résurrection, véritablement le nôtre. D’autre part, il doit être trans formé en un corps spirituel, éthéré, qui ne tombe pas sous le toucher, qui n’est pas visible par les yeux, qui n’est point soumis à la pesanteur, et qui changera selon la variété des lieux qu’il doit habiter. Origène insiste beaucoup sur cette seconde thèse. Sans doute, il n’est pas, comme les gnostiques, un adversaire de la matière, mais il ne peut admettre que les corps ressuscites soient dans le même état de servitude à l'égard de la faim, de la soif et de tous les autres besoins physiques que les corps durant la vie présente. Il s’attache avec force à l’expression de l’Apôtre : un corps spirituel, si bien que plusieurs de ses adversaires lui ont reproché de nier purement et simplement la résurrection. Ce reproche n’est assurément pas fondé. Aux passages que nous avons signalés tout à l’heure, il serait facile d’en ajouter beaucoup d’autres, tels que le commentaire sur I Cor., xv, 23, dans Cramer, Catena in Epist. ad Cor., p. 294-296 ; et surtout de rappeler que le maître avait consacré tout un ouvrage à la résurrection. En dehors de quelques fragments, cet ouvrage est aujourd’hui perdu ; mais on sait qu’il contenait des affirmations très nettes de la croyance traditionnelle. Pamphile, Apolog., P. G., t. xi, col. 91-94. D’autres, Justinien en particulier, accusent Origène d’avoir enseigné que les corps ressuscites seraient sphériques. Episl. ad Menam, Mansi, Concil., t. ix, col. 516 D et 533 C. Il est difficile de savoir si cette accusation est réellement fondée.

Les peines des damnés.


Les justes ressusciteront pour la vie éternelle ; les méchants pour le supplice du feu. Ce feu n’est pas un feu matériel : « Chaque pécheur s’allume son propre feu, et nos vices en sont la matière et l’aliment. De même qu’une fièvre prolongée, entretenue sans cesse par l’intempérance, finit par embraser tout le corps et en faire un foyer d’inflammation ; ainsi en est-il de l'âme qui accumule les actions mauvaises et réunit en elle à la longue un amas de péchés. A l’heure marquée, toute cette masse fermente, s'échauffe, bouillonne, et l'âme, en proie à une llamme qu’elle a caressée sa vie durant, subit la plus cruelle des tortures… A ce genre de supplices viendra s’en ajouter un autre : lorsqu’on nous arrache un membre nous éprouvons de vives souffrances, mais l'âme, séparée de Dieu, à qui elle aurait dû être unie, souffrira bien davantage de ce déchirement. Tiraillée en mille sens divers, elle sera comme divisée d’avec elle-même, et en place de l’unité harmonique à laquelle Dieu la destinait, elle offrira le spectacle du désordre et de la confusion. » De princ, III, x, 4-5. Cf. S. Jérôme, In Epist. ad Ephes., iii, 5 ; Apol. advers. Ru fin., ii, 7 ; P. L., t. xxvi, col. 522 ; t. xxiii, col. 429.

Nous voilà loin des descriptions d’un feu matériel. Le feu dont parle Origène est purement spirituel, étant fait de la souffrance intérieure des damnés et de leur séparation d’avec Dieu. Ce feu sera-t-il éternel ? L'Écriture, qui emploie le terme d'éternité, semble l’indiquer. Toutefois, Origène sait, ou croit savoir, que le mot éternel peut se prendre au sens large et désigner seulement une très longue durée. In Exod., hom. vi, 43 ; et il paraît incontestable qu'à ses yeux les souffrances mêmes de l’enfer sont destinées à prendre fin. Il est vrai que quelques théologiens, comme F. Prat, Origène, p. 100-101, essaient d’interpréter les textes les plus difficiles et de montrer que, tout au plus, la pensée d’Origène sur ce point capital a manqué de précision. Leurs arguments ne sont pas décisifs. Le docteur alexandrin parle sans doute comme tout le monde, du feu éternel, des tourments sans fin, du châtiment sans retour, mais il n’y a pas lieu d’insister sur ces expressions courantes.

Il faut au contraire mettre en relief les raisons qui poussent Origène à enseigner le caractère temporaire des peines infligées aux damnés. A ses yeux, toute punition doit permettre l’amendement des coupables : « Si, pour recouvrer la santé du corps, dit-il, nous avons besoin de remèdes âpres et violents en raison des maladies que nous avons contractées par 1/intempérance de la nourriture et de la boisson ; si parfois la qualité de la maladie réclame l’emploi rigoureux du fer et du feu ; et si, le mal dépassant toute mesure, il faut enfin que le feu consume les germes profonds de la maladie contractée, à plus forte raison le médecin des âmes, Dieu, qui veut en effacer les vices invétérés et fortifiés par la multitude diverse de nos péchés et de nos crimes, doit-il employer des cures douloureuses de cette sorte, et, de plus, appliquer le supplice du feu à ceux qui ont perdu toute santé de l'âme… Ce qui peut nous faire comprendre que cette thérapeutique, que les médecins emploient pour venir au secours de nos langueurs et pour réparer la santé par des cures cruelles, Dieu l’emploie pour ceux qui sont tombés, c’est que le prophète Jérémie reçut l’ordre de présenter aux nations la coupe de la fureur de Dieu, afin qu’elles boivent, qu’elles deviennent comme folles, qu’elle vomissent ; c’est que Dieu ajoute cette menace : Quiconque ne boit pas ne sera pas purifié. Il sort de là que la fureur de Dieu profite à la purgation des âmes. De princ., II, x, 6.

Pourquoi alors parler de peines éternelles ? Pour effrayer les pécheurs : « Ce qu’on pourrait dire de la géhenne et des feux éternels, Dieu ne croit pas à propos de le révéler à tout le monde…, car, pour le plus grand nombre des hommes, il leur suffit de savoir que les pécheurs sont punis. Inutile de s’expliquer davantage, parce qu’il y a des gens que la crainte même du feu éternel retient à peine de se livrer tout entiers au vice et aux maux qui en résultent. » Contra Cels., VI, 26. Cf. In Jerem., hom. xix, 4, P. G., t. xiii, col. 509 : « Combien d’hommes réputés sages, ayant découvert la vérité sur les peines, et s'étant débarrassés de leur illusion, se sont conduits plus mal dans la suite ? Il leur eût été avantageux d’entendre, comme auparavant, le ver qui ne meurt pas et le feu qui ne s'éteint pas. » Contra Cels., III, 79. L'Écriture observe ainsi une manière d'économie, qui n’est pas sans efficacité pratique. Mais les doctes savent qu’en fait, les châtiments des damnés auront un terme et que le jour viendra où tout sera rétabli dans l’ordre primitif.

L’apocataslase et la consommation des choses.


Ce rétablissement sera-t-il définitif, ou sera-t-il suivi, sans fin, de nouvelles péripéties ? Nous abordons ici l’un des points les plus difficiles et les plus ardemment controversés de la doctrine d’Origène.

Si l’on tient compte de ce qu’enseigne le maître alexandrin sur la liberté, il semble logique de croire que, le libre arbitre ne cessant jamais de s’exercer, les créatures raisonnables poursuivront éternellement le cours de leurs évolutions : « Comme l'âme, écrit-il, est immortelle et éternelle, nous pensons qu'à travers les espaces immenses et les siècles sans fin, il lui sera toujours possible de descendre du faîte de la vertu dans l’abîme du vice ou de revenir des extrémités du mal jusqu’aux dernières limites du bien. » De princ., III, i, 21. De même, dans un passage conservé par la lettre de saint Jérôme à Avitus : Ipsosque dœmones « c redores tenebrarnm in aliquo mundo vel mundis, si voluerinl ad meliora converti, fteri homines et sic ad antiquum redire principium ; ita dumlaxat, ut per supplicia atque lormenta, quæ velmulto vel brevi tempore’sustinuerint, in liominum eruditi corporibus rursum veniant ad angelorum jastigia. Ex quo consequenti ratione monstrari omnes rationabiles creaturas ex omnibus posse fteri, non semel et subito sed fréquentais, nosque et angelot futuros et dœmones, si egerinuis neglegentius, et rursum dasmones, si voluerint capere viriules, pervenire ad angelicam dignilalem. De princ, I, vi, 3 ; cf. S. Jérôme, Contra Joan. llierosol., 19, P. L., t. xxiii, col. 370.

On voit dès lors comment Origène concevait l’histoire du monde. Créés libres par Dieu, tous les esprits conserveraient éternellement leur liberté ; ils resteraient sans cesse capables de choisir entre le bien et le mal : de telle sorte que jamais ne serait arrêtée leur évolution. Des anges aux démons, des démons aux anges, en passant par les hommes, se poursuivrait un mouvement ininterrompu de montées et de descentes : les anges ne finiraient pas de pouvoir se transformer en démons, ni les démons en anges ; et les hommes eux-mêmes, après leur vie mortelle, deviendraient anges ou démons, à moins qu’ils n’eussent simplement mérité de redevenir des hommes.

Au lieu de constituer un état définitif, le siècle futur dont parlent les Livres saints n’est dès lors qu’une phase de ce développement ininterrompu. Les mondes succèdent aux mondes, comme les épreuves aux épreuves. Citons encore le texte d 'Origène, dans la traduction de saint Jérôme :

Nec dubium est quin, post quædam intervalla temporum, rursum maleria subsistât et corpora liant et mundi diversitas construatur propter varias voluntates rationabilium creaturarum, quæ post perfectam beatitudinem usque ad finem omnium rerum paulatim ad inferiora delapsæ tantam malitiam receperunt, ut in contrarium verterentur, dum nolunt servare principium et incorruptam beatitudinem possidere. Nec hoc ignorandum, quod multæ rationabiles usque ad secundum et tertium et quartum mundum servent principium nec mutationi in se locum tribuant, aliæ vero tam parum de pristino statu amissuræ sint, vit pæne nihil perdidisse videantur et nonnullæ grandi ruina in ultimam præcipitandæ sint barathrum. Novitque dispensator omnium Deus in conditione inundorum slngulis abuti juxta meritum et opportunitates et causas, quibus mundi gnbernacula sustentantur et initiantur, ut qui omnes vicerit nequitia et penitus se terrse coæquaverit in alio mundo, qui postea fabricandus est, fiât diabolus principium plasmationis Domini, ut inludatur ei ab angelis qui exordii amisere virtutem. De prine., III, vi, 3 ; Episl. ad. Avit., 10, P. L., t. xxii, col. 1069.

On entrevoit ici tout un poème cosmologique. Les mondes se succédant indéfiniment les uns aux autres, le Christ recommençant à souffrir sans achever jamais le sacrifice de la Rédemption ; cf. S. Jérôme, Apol., i, 20, P. L., t. xxiii, col. 413 ; les esprits créés passant par toutes les alternatives du bien et du mal. Entre cette conception et la grande année stoïcienne, il y a d’ailleurs des différences marquées : pour les stoïciens, le même monde se renouvellera à l’infini, on reverra Socrate, accusé' par Mélitos, boire à nouveau la ciguë ; on retrouvera Phalaris et son taureau ; cf. Contra Cels., V, 20. Pour Origène, l’exercice du libre arbitre empêche une telle répétition : sans doute le nombre des créatures n’est pas illimité ; mais chacune d’elles peut toujours changer, si bien qu’une infinité de combinaisons demeurent possibles et deviendront réelles au cours des siècles à venir.

Peut-on s’arrêter ici, et croire que le dernier mot de l’eschatologie d’Origène soit dans cette théorie des mondes qui se succèdent sans fin ? Non assurément. Il faut que l'évolution finisse par trouver un terme définitif. Si éloigné qu’il puisse être, ce terme est cependant certain. Dieu veut le bien. Il a créé le monde bon. Si le péché libre des créatures a introduit le mal dans l’univers, la rédemption opérée par JésusChrist a eu pour effet de restaurer toutes choses. Sans doute, cette rédemption ne fait sentir que peu à peu son efficacité. Nul ne sera sauvé malgré lui. Mais finalement le salut de la création sera accompli. Dieu ne permet le mal qu’en vue du bien ; il ne châtie que pour instruire et pour guérir. Même les peines des damnés dans l’enfer, même les châtiments des démons sont destinés à trouver un terme. Lorsque la guérison de toutes les créatures sera achevée, le Christ, s'étant soumis toutes les créatures raisonnables, se soumettra lui-même avec elles et en elles à son Père.

Le texte fameux de la première épître aux Corinthiens, xv, 27, fournit ici un argument dont Origène ne craint pas de se servir à tout instant : « Si cette sujétion, écrit-il, par laquelle le Fils est soumis à son Père est bonne et salutaire, il suit nécessairement que la sujétion par laquelle les ennemis du Fils lui sont dits soumis est également salutaire et utile, de sorte que, de même que la sujétion du Fils au Père est le rétablissement final de toute la création, de même la soumission de ses ennemis au Fils doit être entendue comme le salut des sujets et comme la restitution de ce qui était perdu. Mais cette soumission s’accomplira par des mesures ou des disciplines déterminées, en des temps déterminés, chacun étant sauvé à son tour et à son rang, non par force et par nécessité, mais par les persuasions du Verbe, par la raison, par l’enseignement, par la provocation au mieux, par d’excellentes institutions, et, au besoin, par de justes et convenables menaces, dont l’effet frappe équitablement les rebelles ou ceux qui méprisent le soin de leur intérêt, de leur santé et de leur salut. » De princ, III, v, 7, 8 ; cf. III, vi, 6 ; I, vi, 4.

Il faut dès lors admettre que les mondes successifs iront en s’améliorant progressivement. Après la grande chute qui a suivi de près la création, s’opère un redressement, lent, pénible, douloureux. Les esprits ne suivent pas tous la même route, ne se corrigent pas avec la même rapidité ; quelques-uns même, après s'être redressés, tombent à nouveau. Mais, dans l’ensemble, le progrès s’accomplit. Petit à petit le domaine du bien s'élargit, et le jour vient où sera vaincue la dernière ennemie, la mort. Cela, Origène ne le dit pas avec toute la précision que nous voudrions, mais, comme le fait justement remarquer J. Denis, De la philosophie d’Origène, p. 359, « c’est avoir l’opinion la plus fausse et la plus incompréhensible de ses spéculations théologiques que de lui attribuer, sous prétexte que la volonté est toujours libre de se porter vers le bien ou vers le mal, la pensée que ces épreuves successives qu’il juge nécessaires n’ont pas un terme, vers lequel l'âme s’avance constr.mment, jusqu'à ce qu’enfin elle l’atteigne. » On a parlé de contradiction dans la pensée d’Origène. Le mot semble trop fort, et celui d’imprécision suffit d’autant plus qu’en ces questions difficiles nous ne sommes pas assurés d’avoir les expressions authentiques du maître. Il est probable que Ru fin a fortement retouché, tout au moins abrégé, plusieurs des passages du De princlpiis qui se rapportaient à la consommation des choses. Le traducteur lui-même nous avertit, dans la préface au IIIe livre, qu’il a raccourci ce qui était relatif aux créatures raisonnables ; et, selon saint Jérôme, il y avait, à la fin du premier livre une longue discussion, sermone lalissimo disputavit, sur le sort des esprits, discussion que Rufin a résumée en quelques lignes. Il faut donc faire effort pour retrouver ce que devait être la doctrine complète d’Origène. Mais il est assuré, semble-t-il, que, pour lui, toutes les créatures devaient finalement être confirmées dans le bien.

Toutes les créatures, disons-nous, même le démon. Origène aurait, paraît-il, nié cette conséquence de 6a doctrine en une lettre que cite Ru. fin dans le De adulteratione librorum Origenis, P. G., t. xvii, col. 624 : < Mes ennemis prétendent que je dis que le père de la malice et de la perdition et de tous ceux qui sont exclus du royaume de Dieu, je veux dire le diable, doit être sauvé, ce que n’oserait avancer même un homme sorti de son bon sens et manifestement fou. » Si, du vivant même d’Origène, ses ennemis trouvaient cet enseignement dans ses livres, ils n’avaient pas tort de l’y voir, car on l’y découvre encore aujourd’hui. Sans doute, Origène écrit parfois, selon le langage courant, que les démons sont ancrés dans le mal. De princ, I, viii, 4 ; que la malice leur est devenue naturelle, In Joan., xx, 19. Il pose encore, sans vouloir la résoudre, la question de la conversion des démons : « Quelques-uns de ces esprits, rangés sous le pouvoir du diable et complices de sa méchanceté, pourront-ils dans les siècles futurs se convertir en vertu de leur libre arbitre ; ou bien la malice invétérée par la force de l’habitude leur est-elle devenue comme naturelle'.' C’est à toi, lecteur, de juger si cette catégorie de créatures sera totalement exilée de l’unité et de l’harmonie finales, soit dans les siècles mesurés par le temps, soit dans les siècles coexistant à l'éternité. » De princ, I, vi, 3 ; cf. S.Jérôme, Contra Joann. Hierosol., 16, P. L., t. xxiii, col. 368 ; Rufin, Apol., i, 10, P. L., t. xxi. col. 517 sq. Mais on voit bien vers quelle réponse il tend, et que ses réticences n’ont d’autre cause que le souci de l’orthodoxie ou la crainte de scandaliser les simples fidèles. Si le démon est inconvertissable, l’empire de Dieu ne sera pas absolu et tout ne sera pas rétabli dans l’ordre primitif.

Car ce rétablissement, cette anox.xjct.rsTa.aic, doit être le but final et le terme dernier de l'évolution universelle. Lorsque tous les ennemis seront soumis au Ghrist, que le dernier ennemi, la mort, sera anéanti et que le Christ, à qui tout aura été soumis, remettra le royaume à son Père, ce sera la fin ; et cette fin nous permet de nous représenter le commencement. En effet, la fin est toujours semblable au commencement, et comme la fin de toutes choses est une, le commencement doit avoir été un. Tous les êtres, malgré leur diversité, ont une même fin : ainsi d’un commencement identique sont sorties les variétés et les différences actuelles qui, par la bonté de Dieu, dans la soumission au Christ et. l’unité du Saint-Esprit, seront ramenées à un même dénouement semblable à l’origine. » De princ., i, vi, 2 ; cf. Contra Cels., VIII, 72 ; In Joan., xiii, 37.

En quoi consistera le bonheur final ? Origène écarte, cela va sans dire, toutes les grossières conceptions du millénarisme. Il n’a pas assez de sarcasmes pour les simples qui rêvent de jouissances charnelles jusque dans l’autre monde. De princ., II, xi, 2 ; In Matth., xvii, 35 ; In Canl., prolog. ; Contra Cels., V, 14 ; VIII, 49. Les esprits, de plus en plus dégagés de la matière, traverseront, l’un après l’autre, tous les cieux. Origène se plaît à imaginer et à décrire ces stations successives des âmes. Arrivés aux cieux, explique-t-il, les saints connaîtront la nature des astres, s’ils sont des êtres animés, pourquoi telle étoile occupe telle position et est séparée de telle autre par une si grande distance… Puis, ils arriveront aux choses qu’on ne voit pas, à celles mêmes qui sont ineffables. Et, quand nous aurons fait de tels progrès que nous ne serons plus des chairs et des corps, peut être même des âmes, mais des intelligences pures, qui, arrivant à la perfection et n'étant plus offusqués par les nuages des passions, contempleront face à face les substances raisonnables et intellectuelles, l’esprit jouira alors de la perfection. De princ, II, xi, 7.

Il est vrai que le libre arbitre subsistera alors encore dans la nature raisonnable. « Mais nous affirmons que telle est l’efficacité de la croix et de la mort du Christ, qu’elle suffit à la guérison et au salut non seulement du siècle présent et du siècle passé, non seulement pour le genre humain, mais encore pour les vertus et les ordres célestes. Selon la pensée de Paul, le Christ a pacifié par le sang de la croix, non seulement ce qui est sur la terre, mais encore ce qui est dans les cieux.

Or, qui est-ce qui, dans les siècles futurs, peut empêcher la liberté de retomber dans le péché? c’est ce que nous enseigne l’Apôtre par une brève parole : » La charité ne déchoit pas. » C’est pour cela que la charité est dite plus grande que la foi et l’espérance ; seule elle sera ce qui rendra le péché désormais impossible. Car, si un être raisonnable s’est élevé à ce degré de perfection qu’il aime ce Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ses forces, et le prochain comme luimême, où y aura-t-il encore place pour le péché'?… La charité qui est plus grande que tout empêchera donc toute créature de tomber. Alors Dieu sera tout en tous. » In Rom., v, 10, P. G., t. xiv, col. 1053.

Le salut définitif ne sera achevé que lorsque la création entière sera délivrée de l’esclavage. Jusque-là la créature raisonnable est soumise à la vanité contre son gré pour obéir à celui qui l’y soumet. Elle gémit et elle souffre sans cesse. In Rom., vii, 4. Lorsque tous les péchés auront disparu du monde, alors seulement, les justes brilleront dans tout leur éclat. In Matth., x, 3 ; xviii, 19. Ils verront Dieu, sans aucun intermédiaire, semble-t-il ; car celui qui l’a vu dan^ l’image du Dieu invisible pourra voir directement le Père en luimême, qui est l’exemplaire de l’image. In Joan., xx, 7 ; xxxii, 18.

Mais il ne suit pas de là, évidemment, que lors de la restauration finale, quand Dieu sera tout en tous, les êtres créés perdront leur individualité et se confondront dans la substance divine. Notons d’abord qu’ils garderont leurs corps. Si Dieu seul est véritablement incorporel, les esprits qui possèdent, dès la création, des corps éthérés ne les perdront jamais. Notons surtout qu’ils conserveront leur individualité. Sans doute saint Jérôme écrit dans la lettre à Avitus, sous prétexte de résumer la pensée d’Origène : El ne pariun putaremus impietalem esse eornm quee præmiserat, in ejusdem voluminis fine conjungit omnes ralionabiles naturas, id est Patrem et Filium et Spiritum Sanctum, angelos, potestates, dominaliones ceterasque virtutes, ipsum quoque hominem secundum animm dignilalem nnius esse substantif. Episl.. cxxiv, 14, P. L., t. xxii, col. 1071 ; cf. De princ. IV, ix. 30. Et un peu plus haut, il résume ainsi la fin du second livre du De principiis : Et post dispulalionem longissimam, qua omnem naturam corpoream in spiritualia corpora et tenuia dicil esse mulandam, cunclamque substantiam in unum corpus mundissimum et omni splendore purius convertendam et talem, qualem mine humana mens non potest cogitare, ad extremum intulit : El erit Deus omnia in omnibus, ut uniuersa natura corporea redigatur in eam substantiam, quæ omnibus melior est, in divinam videlicet qua mulla est melior. Ibid., 10, col. 1069. Si saint Jérôme prétend exprimer ici la pensée d’Origène, il est permis de croire qu’il se trompe. Origène a pu sans doute parler d’une parenté entre l'âme et Dieu ; cf. Exhort., 47 ; et rien n’est plus traditionnel que cette idée d’une communauté de race, aoYYsvsi.a, qui fait des esprits les images de Dieu. Mais il faut s’entendre sur le sens de cette expression. Elle ne va pas à faire de Dieu l’unique substance du monde ; et Origène ne prétend en aucune manière que, lors de la consommation finale, Dieu seul rassemblera en son unique existence toutes les existences créées. Tous les esprits subsisteront, dans des corps éthérés, légers, splendides ; mais, par le seul fait qu’ils ne seront pas entièrement incorporels, ils se distingueront de Dieu. Comme l'écrit J. Denis, De la philosophie d’Origène, p. 386, % Les corps ne s'évanouissent pas plus en Dieu que les âmes, en perdant les qualités grossières qu’ils ont revêtues depuis le péché pour reprendre peu à peu leurs qualités originelles ; corps spirituels, selon le mot de saint Paul, ils distingueront les esprits les uns des autres, sans mettre obstacle à leur union, et ils les distingueront de Dieu, sans gêner la vision bienheureuse dont il illuminera ses créatures sanctifiées. »

On a souvent reproché à Origène cette théorie de l’universelle restauration ; et il faut bien reconnaître qu’elle ne s’accorde pas avec les données les plus certaines de la révélation. Il semble qu’Origène lui-même s’en soit rendu compte, et qu’il ne la présente guère que sous forme d’hypothèse, sans vouloir l’imposer à ses lecteurs. Du moins l’hypothèse lui plaît. Grâce à elle, s’achève harmonieusement un système qui développe l’histoire entière du monde. Dieu a fait des créatures bonnes et libres. Par un mauvais usage de leur liberté, les créatures, du moins un grand nombre d’entre elles, sont tombées dans le péché. Il a fallu que le Verbe de Dieu s’incarnât pour les sauver, et la rédemption, tout ensemble illumination et rachat, fait sentir dans l’univers entier ses effets bienfaisants. Longtemps, bien longtemps, se prolongeront les vicissitudes des esprits déchus, en route vers la pleine lumière. Un jour viendra pourtant où la mort sera vaincue, où Dieu sera tout en tous. Et ce sera la fin. On conçoit qu’une pareille doctrine ait eu de quoi enchanter un esprit tel que celui d’Origène. L'Église devait en condamner certains éléments, et l’on peut croire qu’Origène n’aurait pas hésité à accepter ses décisions s’il les avait connues. Pour nous la question n’est pas là. Il s’agit surtout de savoir ce qu’a enseigné le grand docteur, et nous croyons ne pas avoir trahi sa pensée dans le résumé que nous en avons fait.

IX. L'Église. Les sacrements. La vie chrétienne. —

Si l’on ne connaissait d’Origène que ses théories sur le monde et ses destinées, on croirait avoir affaire à un philosophe qui bâtit des systèmes. Mais nous savons qu’Origène est chrétien, et que sa vie entière a été un témoignage rendu à la vérité du christianisme.

1° L'Église. —

Que pense donc de l'Église à laquelle il appartient, et dont il se glorifie sans cesse d'être le membre, le grand docteur d’Alexandrie ? Nulle part, nous ne trouvons chez lui un exposé complet sur ce point ? Comme la plupart de ses contemporains ou de ses devanciers, Origène ne cherche pas à définir l'Église : il vit en elle et par elle ; et cela lui suffit.

Origène est profondément catholique. Il sait que l'Église est en possession de la foi droite. In Rom., i, 19. « Les hérétiques portent le nom de chrétiens ; ils se vantent de donner un enseignement qu’ignorent ceux qui sont d'Église ; ils sont en réalité des voleurs et des adultères, des voleurs qui dérobent les vases du temple, des^adultères qui souillent de leurs erreurs les chastes dogmes de l'Église. In Rom., ii, 11. » P. Batifîol, L'Église naissante et le catholicisme, Paris, 1909, p. 371.

La doctrine qu’il accepte pour véritable, à la défense de laquelle il consacre sa vie est celle qu’enseigne l'Église, suivant une tradition d’origine apostolique : Cum multi sint qui se pillant sentire qux Christi sunt et nonnulli eorum thversa a prioribus sentiant, servetur ecclesiastica prædicatio per successionis ordinem ab apostolis tradila et usque ad præsens in Ecclesiis permanens. Illa sola credenda est verilas quæ in nullo ab ecclesiastica et apostolica discordât traditione. De princ, I, i, 2. On a fait remarquer que cette formule rend un son irénéen, et cela est tout à fait vrai. On retrouve, sous la plume de l'évêque de Lyon, des expressions analogues, et les critiques qui, tout en accusant Irénée d’ecelésiasticisme, voudraient nous laisser croire qu’Origène est un des précurseurs du protestantisme libéral, devraient relire des passages comme celui-ci. Souvent d’ailleurs se rencontrent dans l'œuvre d’Origène des affirmations aussi caractéristiques sur l’importance de la tradition. Sans doute, le docteur alexandrin parle plus volontiers des Églises que de l'Église : il est sensible à ce fait que, de son temps, le christianisme prend la forme extérieure d’une fédération. Mais il sait que toutes les Églises dispersées dans le monde constituent un corps unique : elles sont le corps entier des synagogues de l'Église, In Matin., xiii, 24 ; il sait encore que l'Église est la maison unique hors de laquelle il ne faut jamais manger l’agneau pascal. In Gènes., nom.xii, 3 ; qu’elle est l’arche de Noé qu’il faut habiter pour être sauvé du déluge, In Gènes., hom. il, 3-6 ; l'épouse du Cantique, In Cant., hom. i, 7. Il ne dit pas expressément qu’elle est fondée sur Pierre, mais il ne dit pas davantage que les autres apôtres ont reçu les mêmes privilèges que Pierre, In Matth., s.u. 10 ; et il reconnaît à l'Église romaine une telle dignité qu’il va lui rendre visite au temps du pape Zéphyrin et que, plus tard, obligé de défendre son orthodoxie, il écrit en tout premier lieu au pape Fabien. Eusèbe, H. E., VI, viii, 4.

Les Églises sont dirigées par le clergé, qui comporte trois degrés, les diacres, les prêtres, l'évêque, De orat., 28. L'évêque est le chef de la communauté : à lui, appartient de la diriger, de la conduire, de la surveiller. Remettre et retenir les péchés, In Levit., hom. ii, 4 ; v, 4 ; xii, 6, réprimander les coupables et au besoin les chasser de l'Église, In Jesu Nave, hom. vii, 6, se faire le ministre de la charité, In Rom., ix, 31, tels sont quelques-uns des grands devoirs que remplit l'évêque dans son Église. Le peuple a le droit d'être présent à l'élection de son évêque, car il doit se convaincre ce jour-là que l’on choisit le plus docte et le plus saint, In Levit., hom. vi, 3. Entre Yordo composé de l'évêque, des prêtres et des diacres, et le peuple, composé des fidèles et des catéchumènes, Origène ne signale pas de clercs intermédiaires. In Jerem., hom. xiv, 4. Il parle de vierges et d’abstinents, In Rom., i, 2 ; il indique que les veuves et les vierges sont au service de l'Église, In Rom., viii, 10.

Il désire que les évêques soient saints, mais il sait que beaucoup ne remplissent pas, comme ils le devraient, leurs fonctions. « Origène est très dur, chaque fois qu’il est amené à se prononcer sur le clergé de son temps. Prédicateur pessimiste, il ne craint pas de dénoncer les défauts du clergé dans l’assemblée même des fidèles. Il les compare aux pharisiens qui aiment à être appelés rabbis et réclament les premiers sièges : des hommes avaricicux et hypocrites intriguent pour devenir diacres ; devenus diacres, ils se disputent les premiers sièges, ceux des prêtres ; devenus prêtres, ils calculent pour être faits évêques. Qu’ils sont loin des mœurs de l'Église primitive ! In Matth. comment, ser., 11. L’arrogance de leurs proches est intolérable, car l’orgueil est grand d’avoir pour père ou pour aïeul quelqu’un qui a été honoré dans l'Église de la préséance du trône épiscopal ou de l’honneur du presbytérat, du diaconat. In Matth., xv, 26. Dans le temple de Jérusalem, qui est aussi l'Église, on trouve toujours des vendeurs, q-ui auraient besoin que Jésus les frappe à coups de lanière et culbute leurs tables. In Joan. x, 16. Les pires vendeurs du temple sont les évêques et les prêtres qui, aux jours d'élection, donnent les Églises à ceux à qui ils ne devraient pas les donner. In Matth., xvi, 22. » P. Batifîol., op. cit., p. 366-367.

Peut-être Origène exagère-t-il un peu. En tout cas, il insiste sur les faiblesses des hommes ; mais il ne dit rien des évêques et des prêtres qui sont fidèles à leur devoir, parce qu’il s’exprime en moraliste, désireux de corriger tous les abus. Peut-être faut-il ajouter qu’il aime à mettre en relief, à côté des évêques, le rôle prépondérant des docteurs. Ceux-ci peuvent être les évêques eux-mêmes, mais ils sont aussi de simples prêtres, voire des fidèles. Leur rôle propre est d’instruire l'Église : ils doivent par conséquent démasquer les' hérétiques, combattre les erreurs, exposer aux fidèles la sublimité de l’enseignement évangélique et  ! a plénitude harmonieuse des dogmes communs à l’Ancien et au Nouveau Testament. In Joart., n.

Le baptême.


On entre dans l'Église par le baptême qui remet tous les péchés, In Joan., tr. xxxvi, éd. Preuschen, p. 5Il et, comme les petits enfants euxmêmes sont pécheurs, l'Église leur administre ce sacrement, selon qu’elle en a reçu la tradition des apôtres. In Rom., v, 9 ; In Luc, hom. xiv ; In Levit., hom. viii, 3. Le martyre est un baptême de sang, qui peut suppléer au baptême d’eau, qui même lui est supérieur, Exhort., 30, 34, 50, si bien que celui qui a rendu au Seigneur le témoignage suprême est digne d’entrer immédiatement dans le royaume des cieux.

La pénitence.


Il peut arriver cependant que le baptisé retombe dans le. péché. Lui reste-t-il, pour guérir, des remèdes efficaces, ou bien est-il conriamné sans rémission ? Origène sait que plusieurs moyens de salut sont à sa disposition : le martyre, l’aumône, le pardon des injures, le zèle pour la conversion des pécheurs, l’amour de Dieu et enfin la pénitence. In Levit., hom. ii, 4, P. G., t.xii, 417-419. Ce dernier mode de salut doit être étudié soigneusement.

Les chefs des Églises ont reçu de Dieu le pouvoir de lier et de délier, de remettre et de retenir les péchés. In Jud., hom. ii, 5, P. G., t.xii, col. 961 ; In Matth., xii, 14, P. G., t. xiii, col. 1012-1013. Les pécheurs doivent donc s’adresser à eux pour obtenir le pardon de leurs fautes : qu’ils ne rougissent pas de confesser leurs péchés aux prêtres du Seigneur et de chercher auprès d’eux la guérison. In Levit., hom. ii, 4. Ce n’est que lorsque les ministres et les prêtres de l'Église connaissent les péchés du peuple qu’ils peuvent, à l’exemple du Maître, accorder au peuple la rémission des péchés. In Levit., hom. v, 3, P. G., t.xii, col. 451.

La confession se fait d’abord en secret, et, semblet-il, ce n’est pas nécessairement l'évêque qui la reçoit ; dans une homélie sur le psaume xxxvii, Origène s’exprime ainsi :

Quoniam iniquitatem meam pronuntio. Pronuntiationem iniquitatis, id est confessionem peccati frequentius diximus. Vide ergo quid edocet nos Scriptura divina, quia oportet peccatum non celare intrinsecus…Tantumniodo circunispice diligentius cui debeas confiteri peccatum tuum. Proba prius niedicum, cui debeas causam languoris exponere, quia sciât infirmari cum infirmante, flerecum fiente, qui condolendi et compatiendi noverit disciplinam, ut ita demum, si quid ille dixerit, qui se prius et eruditum niedicum ostenderit et misericordem, si quid consilii dederit, facias et tequaris, si intellexerit et prarviderit taleni esse languorem cuum qui in conventu totius Ecclesiæ exponi debeat et jurari ex quo fortassis et ceteri sedificari poterunt et tu ipse sanari, multa hoc deliberatione, et satis perito medici llius consilio procurandum est. In Psalm. XXXV11, liom.n, 6, P. G., t.xii, col. 1386.

Il semble qu’il y ait ici l’indication d’un double aveu, l’un privé, que le pécheur fait à un prêtre de son choix, l’autre, public, qui est déterminé en vertu d’un accord entre le confesseur et son pénitent, et qui fait partie de l’administration de la pénitence.

La pénitence elle-même est dure et laborieuse :

Est adhuc et septima, licet dura et laboriosa per pasnitentiam remissio peccatorum, cum lavât peccator in Iacrimis stratum suum et fiunt ei lacrirna ; sua ? panes die ac nocte, cum non erubescit sacerdoti Domini indicare peccatum et quærere medicinam… Si autem in amaritudine fletus tui fueris luctu, lacrimis et lamentatione confectus, si carnem tuani maceraveris et jejuniis ac multa abstinentia aridam feceris et dixeris quia sicut frixorium confrixa sunt ossa mea, tune sacrificium similam a sartagine vel a craticula obtuleris. In Levit., hom. ii, 4.

Mais elle est toujours efficace. Origène distingue deux sortes de fautes. Les fautes, même graves, peuvent être pardonnées, semble-t-il, autant de fois que l’on recourt au ministère sacerdotal. Les crimes énormes, sans doute l’adultèie, l’homicide et l’idolâtrie, ne sont remis qu’une seule fois. Les textes d’ailleurs ne sont pas toujours aussi clairs qu’on pourrait le désirer ; nous lisons dans l’homélie xv, 2, sur le Lévitique :

Sed quoniam accidere solet ut etiam qui bene aadificaverit et domum sibi cælestem bene agendo et bene vivendo ac recte credendo construxerit, incurrat alicujus peccati debitum et hanc a crudelissimo fœneratore venumdare cogatur ac labores suos transfundere in alium, pietas et clementia Iegislatoris occurrit ut intra certum tempus redimi possit. Si tamen invenerit, inquit, manus tua pretium quod restituas. Quale pretium ? Pænitentiæ sine dubio lacrimis congregatum et manibus, id est labore boni operis inventum… Istas ergo donios, si forte aliquis… lapsus acciderit, semper est recuperandi facultas, ut verbi gratia dicamus, si nos aliqua culpa mortalis invenerit, quæ non in crimine mortali non in blasphemia fidei, quae muro ecclesiastici et apostolici dogmatis vincta est, sed vel in sermonis vel in morum vitio consistât, hoc est vendidisse domum, quæ in agro est, vel in vico cui murus non est. Hæc ergo venditio et hujusmodi culpa semper reparari potest, nec aliquando tibi interdicitur de commissis hujusmodi pænitudinem gerere. In gravioribus enim criminibus semel tantum pænitentiæ conceditur locus ; ista vero communia, quæ fréquenter incurrimus, semper pænitentiam recipiunt et sine intermissione redimuntur.

Est-ce absolument r la même doctrine qui est enseignée, In Levit., hom. xi, 2, col. 534 :

Quod et si aliquis est, qui forte præventus est in hujuscemodi peccatis, admonitus nunc verbo Dei ad auxilium confugiat pænitentiæ ut, si semel admisit, secundo non faciat, aut, si et secundo jam aut etiam tertio præventus est, ultra non addat. Est enim apud judicem justum peenae moderatio, non solum pro qualitate, verum etiam pro quantitate.

On peut se demander si, en ce dernier texte, la pénitence ne semble pas accordée deux ou trois fois pour les fautes, qui, d’après le passage précédemment cité, ne pouvaient être remises qu’une seule fois.

Dans la plupart des passages relatifs à la pénitence, Origène paraît déclarer que tous les péchés sont susceptibles de pardon : In Levit., hom. ix, 8 ; In Psalm. xxxvi, hom. i, 5 ; hom. ii, 1 ; In Jerem., hom. xxi, 12 ; In Exod., hom. vi, 9, etc. ; P. G., t.xii, col. 520-521, 1328, 1330 ; t. xiii, col. 541 ; t.xii, col. 338, etc. Notons seulement Contra Cels., III, 71 : « Ceux qui condamnent énergiquement leurs propres fautes, qui se désolent et gémissent en proie à une sorte de désespoir et se convertissent réellement, Dieu les admet en considération de leur pénitence, lors même qu’ils se convertissent de la vie la plus criminelle. »

N’y a-t-il pas cependant des péchés tellement graves qu’ils sont irrémissibles ? Dans les commentaires sur saint Mathieu, on lit au sujet du reniement de saint Pierre que cette faute était pardonnable, parce qu’elle a été commise avant le chant du coq, c’est-à-dire avant l’aurore du Nouveau Testament. Mais de la part du chrétien, pour qui s’est levé le soleil de justice, le reniement serait sans excuse, parce qu’il se produirait en pleine lumière. In Matth. comment, ser., 114, P. G., t. xiii, col. 1763. Dans le commentaire sur saint Jean, on lit également qu’il y a une grande différence entre les péchés commis avant l’effusion du Saint-Esprit et les péchés commis depuis cette effusion : aux premiers, Origène appliquerait volontiers la parole évangélique : Tout péché et tout blasphème sera remis aux fils des hommes, mais aux seconds il appliquerait la menace qui suit : quant au blasphème de l’Esprit, il ne lui sera pas remis, In Joan., xxviii, 15, P. G., t. xiv, col. 713. En de nombreux passages de ses œuvres, Origène parle de même de fautes incurables : De orat., 28 ; In Joan., xix, 13, etc.

Particulièrement controversé est un texte du De orat., 28, P. G., t. xi, col. 528-529 : * Celui qui est inspiré par Jésus, comme les apôtres, et qu’on peut reconnaître à ses fruits, parce que, ayant reçu l’EspritSaint et étant devenu spirituel., il obéit à l’impulsion le l’Esprit, comme un fils de Dieu, pour se conduire en tout selon la raison, celui-là remet ce que Dieu remet et retient les péchés inguérissables ; comme les prophètes employaient leur parole au service de Dieu pour exprimer non leurs propres pensées, mais les pensées suggérées par la volonté divine, de même il s’emploie au service de Dieu, à qui seul il appartient de remettre les péchés Je ne sais comment quelquesuns s’arrogeant une puissance plus que sacerdotale, encore qu’ils manquent peut-être de science sacerdotale, se vantent de pouvoir remettre les péchés d’idolâtrie, d’adultère et de fornication, comme si la prière qu’ils prononcent sur les coupables suffisait à remettre même le péché mortel. C’est qu’ils ne lisent pas ce qui est écrit : Il y a tel péché qui va jusqu'à la mort, pour celui-là, je ne dis pas de prier. »

On comprend sans peine que de pareilles formules appellent une explication, et que celle-ci est d’autant plus difficile à donner que nulle part Origène n’a synthétisé sa doctrine en termes précis. C’est toujours en passant, à l’occasion d’un texte scripturaire qu’il parle de la rémission des péchés et de la pénitence. Naturellement ses commentaires s’adaptent au texte qu’il doit interpréter. D’un autre côté, Origène est plutôt un moraliste austère. Il rêve pour l'Église et pour ses membres d’une sainteté parfaite, tout au moins d’une vertu que troubleraient seules les négligences quotidiennes ou les fautes de fragilité. Si grand lui paraît le don du baptême, si parfaite la rémission des péchés apportée par ce sacrement, que rien ne saurait lui être comparé. Seul le pardon obtenu lors du baptême est réellement une rémission gracieuse, une âûpeaiç ; le pardon qui succède à la pénitence laborieuse, n’a ni la même valeur ni la même vertu : c’est une conquête, le résultat chèrement acheté d’une victoire. Comment lui reconnaîtrait-on la même force joyeuse ?

Dans le De oratione, le prêtre alexandrin trouve une occasion pour adresser des reproches à certains membres du clergé de son temps ; et nous savons déjà qu’il n’a aucune indulgence pour les prêtres pécheurs, ou simplement pour les prêtres négligents. Ceux qu’il vise ici sont des orgueilleux ou des ignorants. Us se glorifient de remettre les péchés d’idolâtrie, d’adultère et de fornication, par le seul effet de leur prière. Et cela scandalise Origène, qui dénonce impitoyablement leur conduite comme un abus de pouvoir. Remarquons bien que lorsqu’Origène parle des fautes inguérissables, Ta àvtocTa TÔ » v àjj.apTy](i.âTcov, il ne veut pas dire que ces péchés échappent à jamais à la rémission ou au pardon. Ce sont des fautes graves, des fautes mortelles, sans aucun doute ; mais nombreux sont les textes où, nous l’avons dit, de telles fautes apparaissent comme soumises à la pénitence. Ce que blâmerait ici Origène, ce serait la conduite de ceux qui remettent de telles fautes par une seule prière. Telle est du moins l’interprétation que propose A. d’Alés, L'édit de Calliste, Paris, 1914, p. 285.

Que penser alors des péchés soi-disant irrémissibles ? Voici l’explication que propose le P. Galtier : « Il y a des péchés que l’on remet directement et d’emblée par la seule prière du prêtre ; mais il en est d’autres qui, à raison de leur nature propre, ne comportent point normalement cette rémission gracieuse et immédiate. Ce sont les péchés qu’Origène, conformément au langage de son temps, appelle incurables ou ad mortem. Ceux-là, on doit les retenir ; ce qui ne veut point dire qu’on les tienne pour soustraits à une pénitence capable d’en procurer ultérieurement le pardon ; les retenir, c’est, au contraire, les assujétir à cette pénitence ; mais ce qui signifie que le pardon ne saurait en être obtenu indépendamment de cette expiation solennelle. Il arrive cependant que certains prêtres, en certains cas, croient pouvoir passer outre à cette loi générale et qu’ils remettent ces péchés plus graves, comme ils feraient les moindres… Toute rémission gracieuse d’un péché « incurable », quel qu’en fût le motif, devait paraître (à Origène) une méconnaissance de la loi : plus probablement c’est là la vraie pensée qui lui a inspiré sa sortie contre les prêtres assez ignorants ou assez osés pour remettre par leur prières jusqu’au péché ad mortem. » P. Galtier, Les péchés incurables d’Origène, dans Gregorianum, t. x, 1929, p. 209. Avouons néanmoins que cette interprétation est fort loin de s’imposer. On a voulu parfois éclairer la doctrine pénitentielle d’Origène par ce que nous savons ou croyons savoir de l'édit de Calliste : rien ne nous permet de tenter un rapprochement entre les événements de Rome et l’enseignement du prêtre alexandrin, à plus forte raison d’identifier le pape à ces prêtres qui s’arrogent un pouvoir plus que sacerdotal pour remettre les péchés mortels. L'édit de Calliste a été un acte d’autorité, aussi précis dans sa forme que limité dans ses effets. Les plaintes d’Origène visent un ensemble de faits et se justifient par une doctrine qui n’est pas tout à fait celle des péchés irrémissibles, mais qui est celle d’une pénitence austère et douloureuse, préalable à toute intervention du prêtre.

L’eucharistie.


La doctrine eucharistique d’Origène mérite, elle aussi, de nous retenir. Ici, comme ailleurs, il faut distinguer les passages dans lesquels l’exégète se contente d’exposer la foi commune de l'Église, et ceux où il allégorise, à l’usage des parfaits. Les premiers sont de simples affirmations : on aime à y retrouver les expressions de la croyance traditionnelle ; les seconds sont des commentaires plus ou moins subtils, qui ne détruisent pas d’ailleurs le sens littéral des textes dont ils veulent apporter l’explication, mais qui se superposent à lui et semblent parfois l'étouffer.

Citons d’abord quelques-unes des formules à l’usage des simples croyants : Au chrétien qui monte ' ; au Cénacle avec Jésus afin de fêter la Pâque, le Seigneur a donne le calice de la nouvelle alliance ; il donne aussi le pain de la bénédiction ; il donne son corps et son sang, i In Jerem., hom. xix, 13, édit. Klostermann, p. 169. A Celse, Origène expose la vertu de la prière chrétienne : « Mais nous (par opposition aux païens), rendant grâces au démiurge de l’univers, nous’rnangeons les pains que nous lui offrons avec action de grâces et prières, pour tous ses dons ; nous mangeons ces pains devenus corps par la prière, quelque chose de saint et qui sanctifie ceux qui en usent avec un saint propos, o Contra Ce/s., VIII, 33. Ailleurs, Origène loue les fidèles qui, ayant reçu dans leurs mains le corps du Christ, multiplient les précautions et les marques de respect pour n’en laisser tomber à terre aucune parcelle, et il leur demande de montrer autant de fidélité à conserver la parole de Dieu que son corps. In Exod., hom. xiii, 3, P. G., t. xiii, col. 391.

Origène insiste encore sur la pureté intérieure que doivent posséder tous ceux qui viennent recevoir le corps du Christ. En commentant le récit de la trahison de Judas, il donne à entendre que celui-ci ne cesse pas d’avoir des imitateurs : Taies sunt omnes in Ecclesia qui insidiantur jratribus suis, quibuscum ad eamdem mensam corporis Christi et ad eumdem potum sanguinis ejus fréquenter simul fuerunt. In Matth. comment, ser., 82, P. G., t. xiii, col. 1732. Il rappelle à ses auditeurs les enseignements de saint Paul sur ceux qui reçoivent indignement le corps du Christ :

Judicium Dei parvipendis et commonentem te Ecclesiam despicis. Communicare non times corp i Christi accedens ad eucharistiam, quasi mundus et purus, quasi nihil in le sil indignum, et in his omnibus putas quod etfugias judicium Dei ? Non recordaris illud quod scriptum est : « Quia propterea in vobis infirmi et a ?gri etdormiunt multi ? » Quare multi infirmi ? Quoniam non seipsos dijudicant neque seipsos examinant, nec intellegunt quid est communicare Ecclesias, vel quid est accedere ad tanta et tam cximia særamenta. In Psalm. XXXVlf, hom. ii, P. G., t. xiii, col. 1386.

Ces textes sont clairs et n’ont pas besoin d’interprétation. Ils traduisent la foi commune de l'Église, la pensée des simples et Origène partage cette foi avec tous ses frères. Mais il ne s’en contente pas. Le corps du Christ, le sang du Christ, ce sont sans aucun doute les réalités contenues dans le sacrement de l’eucharistie ; ils sont aussi les enseignements du Sauveur :

Quis est iste populus qui in usu habet sanguinem bibere ?.. Bibere… dicimur sanguinem Cbristi, non solum sacramentorum ritu sed eu m sermones ejus recipimus, in quibus vita consistit, sicut et ipse dixit : « Verba quæ locutus sum spiritus et vita est. » Est ergo ipse vulneratus, cujus nos sanguinem bibimus, id est doctrinæ ejus verba suseipimus. Sed et il I î nihilominus vulnerati sunt, qui nobis verbuni ejus prædicarunt : ipsorum enim, id est apostolorum ejus, verba eu m legimus, et vitam ex eis consequimur, vulneratorum sanguinem bibimus. In Nnm., hom. xvii, 9, P. G., t. xii, col. 701.

Origène commente ici le texte des Nombres, xxiii, 24 : Populus… occisorum sanguinem bibet. Il est naturel qu’il lui découvre une signification allégorique. Celui qui a été blessé et mis à mort pour notre salut, c’est d’abord le Christ. Mais ce sont aussi les apôtres et les martyrs. On boit le sang du Christ dans l’eucharistie, on le boit encore en recevant son enseignement et ce n’est plus que dans ce dernier sens qu’on boit le sang des apôtres.

Nombreux sont les passages où les textes relatifs ' à l’eucharistie sont interprétés de la doctrine et considérés comme une allégorie. Nous savons déjà que le sens allégorique ne détruit pas le sens littéral. Comme le dit justement Tixeront : « Qu’Origène allégorise et présente le pain et le vin comme des figures de la doctrine de Jésus-Christ, In Malth. comment, ser., 85, P. G., t. xiii, col. 1734-1735 ; que les mots corps et sang du Sauveur désignent pour lui par métaphore la parole et l’enseignement du Sauveur, In Levii., boni, vii, 5 ; In Num., hom. xxiii, b, P. G., t. xii. col. 487 et 752 ; qu’il ajoute que, en un sens, nous buvons le sang du Christ quand nous recevons cet enseignement, de même que nous buvons, quand nous lisons leurs épîtres, le sang des apôtres, De orat., 27, toutes ces interprétations, fondées ou non et qui sont de la gnose chrétienne, n’intéressent pas le dogme eucharistique lui-même. » La théologie anténicéenne, p. 324.

Quelques passages cependant sont particulièrement difficiles à interpréter. Ainsi celui où Origène commente la parole du Seigneur : Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme : S’il s’agit du pain du Seigneur, explique l’exégète, l’efficacité en est (perçue) par qui en use, à condition qu’il participe à ce pain avec un esprit pur, avec une conscience pure. Donc, ne pas manger, le fait même de ne pas manger de ce pain sanctifié par la parole de Dieu et l’invocation, ne nous prive d’aucun bien, et manger ne nous fait abonder d’aucun bien ; et la cause de la privation est notre malice, nos péchés, et la cause de l’abondance est notre justice, nos bonnes actions… Que si tout ce qui entre par la bouche va dans le ventre et finit au fumier, l’aliment sanctifié par la parole de Dieu et l’invocation en tant que matière va dans le ventre et finit au fumier, mais en tant que la prière est survenue en lui, selon l’analogie de la foi, il devient efficace, il cause la perception de l’esprit dont le regard voit ce qui est efficace. Et non pas la matière du pain, mais la parole prononcée sur le pain est ce qui est efficace à qui le mange d’une manière non indigne du Seigneur. In Matth., xi, 14, P. G., t. xiii, col. 948-952. Ici, il ne s’agit que de l’eucharistie et Origène est visiblement embarrassé. Dans le pain consacré, il voit deux éléments, l’un matériel, qui selon la parole de Jésus, va dans le ventre et finit au fumier, nous parlerions ici des espèces sacramentelles, — mais le dogme de la transsubstantiation n’entre pas dans la perspective d’Origène ; — l’autre spirituel, qui est cause de sanctification. Cette sanctification n’est elle pas liée aux dispositions des communiants ? On peut se le demander, car, à plusieurs reprises, et non pas seulement à propos de l’eucharistie, Origène semble faire dépendre l’efficacité du sacrement des dispositions de celui qui le reçoit, et tout aussi bien des dispositions de celui qui l’administre. Toutefois, malgré l’imprécision des formules, il est plus vraisemblable que le pain sanctifié par la parole de Dieu et l’invocation, est réellement devenu une chose sainte, est objectivement corps du Seigneur. Alors, on ne voit plus très bien pourquoi les pécheurs qui ne mangent pas. les justes qui mangent sont dans la même situation, les premiers n'étant privés d’aucun bien et les seconds ne recevant aucun bien.

Dans le commentaire sur saint Jean, Origène explique le passage dans lequel est rapportée la parole du Sauveur à Judas : Ce que tu fais, fais-le promptement. « Le pain, écrit-il, avait une vertu profitable à qui en userait… de même que celui qui mange indignement le pain du Seigneur ou qui boit indignement la coupe, mange et boit pour sa condamnation, la vertu unique qui est dans la pain et dans la coupe opérant le bien pour celui qui a une disposition bonne et accomplissant la condamnation pour celui qui a une disposition mauvaise, ainsi la bouchée (^ « jiiov) donnée par Jésus était de même nature pour celui qui la recevait et pour les autres apôtres. » In Joan., xxxii, 24. Devons-nous croire que l’eucharistie n’est qu’une vertu sanctifiante et nier la présence réelle ? Ce texte a naguère été cité à maintes reprises dans les controverses calvinistes. Il ne faudrait pas en conclure que le pain eucharistique n’est que du pain ordinaire. Tout au plus devrait-on reconnaître que les expressions employées ici par Origène ne traduisent qu’incomplètement sa pensée et qu’elles doivent être commentées par d’autres passages.

On voit sans peine ce qui manque aux formules d’Origène poux être définitives. Le grand exégète, lorsqu’il traite de l’eucharistie, ne se soucie nulle part de faire la synthèse de ses croyances. Non seulement, il est toujours dominé par la pensée de l’interprétation allégorique, réservée aux parfaits, mais il s’arrête d’une manière exclusive aux textes scripturaires qu’il rencontre sur son chemin et dont il doit donner le commentaire. Ce sont les termes précis de ces textes qui orientent sa pensée et dominent son interprétation. Il est d’accord sans doute avec la foi commune ; mais il cherche à développer les données de cette foi, à les interpréter pour les gnostiques : et ce souci l’amène en bien des cas à des formules obscures, sinon, rie temps à autre, erronées.

X. L’apologiste. —

Il faudrait sans doute, pour être complet, parler encore de l'œuvre apologétique d’Origène. Cette œuvre se développe surtout dans les huit livres Contra Celse, qui sont un des derniers écrits du maître et constituent en quelque sorte son testament spirituel. Certes, Origène ne se découvre pas tout entier en ces huit livres. Ici encore, il est gène par la méthode qu’il a adoptée et par le but très spécial qu’il poursuit. Après avoir, dans les vingt-huit premiers chapitres du livre I, noté les points principaux de la polémique et y avoir opposé brièvement ses réponses, il s’est mis à citer textuellement le Discours véritable de Celse, de manière à réfuter chacun de ses arguments, et cette méthode plus simple, plus directe, qu’il suit désormais jusqu'à la fin du livre VIII l’enchaîne à une besogne de commentateur, et l’empêche de déployer ses qualités personnelles. Tel quel, le Contra Celse, n’en reste pas moins l’une des œuvres capitales d’Origène.

A son adversaire, l’apologiste oppose deux arguments principaux. Le premier est tiré des prophéties : c’est l’argument classique, déjà mis en avant par les apologistes du iie siècle. Origène doit l’utiliser d’autant plus que Celse a commencé par refuser aux chrétiens le droit de l’employer en les accusant d’adorer un Messie pauvre et humilié. A cette argumentation, il reproche son caractère général. Il demande un examen loyal de chacun des textes prophétiques ; et déclare que cette étude impartialement menée aboutit à une décision favorable au christianisme. Sur ce point, l’argumentation d’Origène est d’autant plus intéressante que Celse connaît bien l’Ancien Testament, et qu’il n’ignore pas l’attitude des marcionites qui en rejettent l’autorité. Il s’agit, tout en maintenant fortement le caractère inspiré des livres prophétiques, de mettre en valeur le témoignage qu’ils rendent au Christ.

Plus neuf est le second argument utilisé par Origène : il est tiré de la vie de l'Église elle-même et de son triomphe sur le paganisme. « Si tous les hommes, dit-il, pouvaient, délaissant les affaires de la vie, s’appliquer uniquement à la philosophie, ils ne devraient pas chercher d’autre voie que celle-là seule du christianisme. Aucune doctrine, disons-le sans orgueil, ne donne de meilleure explication des croyances humaines, des obscurités des prophéties, des paraboles évangéliques et de mille autres faits en préceptes symboliques. Cependant, comme les nécessités de la vie et la faiblesse des hommes interdisent la philosophie au plus grand nombre, quelle méthode mieux adaptée à la foule peut-on trouver que celle enseignée aux nations par Jésus lui-même ? « Qu’on demande à la multitude des croyants que la foi a purifiés de la fange des vices où ils se roulaient précédemment, lequel des deux systèmes est préférable, ou de corriger ses mœurs en croyant sans examen à la récompense qui attend la vertu et au châtiment qui menace les coupables ; ou bien de dédaigner la foi simple et de différer l’amendement de ses mœurs jusqu’au temps où, à force de recherches, on se sera enfin convaincu de la vérité. Sans doute tous ou presque tous ceux qui méprisent la foi simple restent dans la vie corrompue et sont bien inférieurs aux simples qu’ils dédaignent. Ceci n’est pas une des moindres preuves de la divinité d’une doctrine aussi indispensable aux hommes que l’est celle de notre Sauveur. Un simple médecin des corps qui guérit beaucoup de malades est déjà regardé par les peuples comme un don de la Providence, sans laquelle rien d’heureux n’arrive aux hommes. Si celui qui soigne les corps des hommes et améliore leur santé ne travaille pas en vain, à combien plus forte raison celui qui soigne les âmes, qui les convertit, qui les rend meilleures, qui les soumet à Dieu, qui leur apprend à conformer leur conduite à la bonté divine, à ne rien dire, ni faire, ni même penser qui ne soit selon le bon plaisir de Dieu. Nous confesserons donc qu’après avoir éprouvé sur la plupart des hommes l’utilité de la foi. même toute simple et sans examen, nous la recommanderons à ceux qui ne peuvent tout quitter pour se livrer uniquement à l’examen de la doctrine. » Contra Cels., I. 9.

Sans doute les apologistes anciens avaient déjà mis en relief la valeur morale du christianisme. Mais nul n’en avait tiré un argument aussi décisif Jusque dans l’exercice des devoirs sociaux, Origène se plaît à montrer que les chrétiens se conduisent en véritables disciples de l’esprit. Celse reprochait aux disciples du Christ d'être de mauvais citoyens, de s’abstenir en particulier du métier des armes et du serice militaire. Mais, lui répond Origène, « les prêtres de vos statues, les néocores de ceux que vous regardez comme des dieux, conservent leurs mains sans souillures à cause des sacrifices, afin de pouvoir offrir ce que vous croyez des sacrifices à ceux que vous appelez des dieux avec des mains pures de tout meurtre et non ensanglantées : si cette conduite est raisonnable, combien davantage celle des chrétiens, qui. prêtres et serviteurs du vrai Dieu, gardent leurs mains pures et combattent avec les prières qu’ils adressent à Dieu pour ceux qui font de justes guerres, pour celui qui règne avec justice, afin que le Seigneur écarte des justes toutes les adversités et toutes les haines.. Et si Celse veut que nous nous battions pour la patrie, qu’il sache que cela nous le faisons aussi, non pour être regardés des hommes et pour obtenir d’eux une vaine gloire, car c’est dans le secret que selon la raison, nous adressons à Dieu nos prières, prières vraiment sacerdotales pour nos compatriotes. Les chrétiens sont plus utiles à la patrie que le reste des hommes : ils forment des citoyens, ils enseignent la piété à l'égard de Dieu gardien des cités ; ils font monter jusqu'à une cité divine et céleste ceux qui vivent bien dans les petites cités de la terre. » Contra Cels., VIII, 73-74.

Plus encore, la splendeur de la propagande chrétienne paraît à Origène un décisif argument : tout en effet n’est-il pas l'œuvre manifeste de la Providence dans l'établissement et la croissance de l'Église ? Dès les origines, « Dieu, voulant préparer les nations à la doctrine de son Fils, les assujettit toutes à l’autorité romaine, de peur que des peuples divisés sous des princes différents, et sans liaison entre eux ne soient un obstacle à l’accomplissement de la mission que les apôtres avaient reçue de leur maître, quand il dit : Allez, enseignez toutes les nations. » Contra Cels., II, 30. Puis Jésus meurt, et les disciples s’en vont à travers le monde, faibles, peu nombreux, sans armes, sans ressources, voire sans instruction et sans sagesse humaine. Leur échec est certain et ils triomphent, les foules accourent à eux pour entendre leur parole et pour recevoir le baptême. Contra Cels., I, 29-30. Les années passent et s’ajoutent les unes aux autres. L'Église grandit toujours. « Il y a grande insuffisance d’ouvriers pour la moisson, et néanmoins les Églises, qui sont les aires de Dieu, se remplissent de gerbes innombrables. » Contra Cels., i, 63. Tous les hommes viennent au Christ, enthousiasmés par la sublimité de sa doctrine ; des pauvres et des ignorants surtout, qui y découvrent une sagesse appropriée à leurs conditions et à leurs besoins, mais aussi des philosophes, Contra Cels., VI, 1 ; VII, 60 ; des personnages opulents et élevés en dignité, des femmes distinguées par leur naissance et nourries dans les délices. Contra Cels., III, 9. En vain, les persécutions se sontelles déchaînées contre l'Église ; en vain, au moment même où Origène rédige son apologie, des calomniateurs acharnés s’en vont répétant que les grandes calamités qui pèsent sur l’empire ne proviennent que de l’accroissement du nombre des fidèles et de l’insouciance des magistrats qui ont négligé de les poursuivre comme par le passé. Contra Ois., III, 15. Si Dieu a permis que, de temps en temps, un certain nombre de fidèles donnent leur vie pour la religion chrétienne, afin que le souvenir de leur courage affermisse dans la foi et dans ! e mépris de la mort ceux qui survivaient, jamais il n’a laissé périr la nation entière, Contra Cels., III, 8 ; et le passé est un sûr garant de l’avenir. L'Église a des promesses de vie éternelle : elle ne cessera pas d’accroître son empire sur les âmes. Déjà Origène entrevoit le jour, où, selon l’annonce fait par le Christ, il n’y aura plus qu’un seul troupeau et un seul berger. « Que les Romains, s'écrie-t-il, embrassent la foi chrétienne : par leurs prières, ils triompheront de leurs ennemis ; ou plutôt ils n’auront plus d’ennemis à combattre, puisqu’ils seront sous la protection de cette même puissance divine, qui, pour l’amour de cinquante justes, promettait de sauver cinq villes entières… Non seulement il est possible, mais il arrivera un jour où tous les êtres raisonnables s’accorderont dans une seule et même loi. » Contra Cels., VIII, 70-72.

Sans doute, y a-t-il ici beaucoup d’optimisme, et l’on doit reconnaître que tous les arguments d’Origène n’ont pas une égale valeur. Dans l’ensemble, l’apologie Contra Celse reste étrangement actuelle. Les objections de Celse étaient en quelque sorte la synthèse de ce que les païens cultivés trouvaient à reprocher au christianisme vers la fin du iie siècle. Jl n’est pas bien assuré que l’on ait découvert depuis beaucoup de difficultés nouvelles à faire valoir contre l'Église. De même, l’ouvrage d’Origène est la somme des arguments chrétiens en faveur de l'Église ; et cette somme, rédigée par un apologiste de génie, n’a pas été sensiblement accrue au cours des siècles. Il manque sans doute à Origène un peu de chaleur et d'éclat : son style est habituellement terne ; ses développements restent souvent longs et traînants. Il y a néanmoins plus d’une page où cet intellectuel, ce savant laisse entendre l’accent ému d’une foi profonde et nous touche par l’intensité du sentiment et l'élévation de la pensée.

Il ne saurait être ici question de donner une bibliographie complète. On indiquera seulement, en suivant l’ordre des paragraphes de cet article, les ouvrages ou les travaux qui semblent essentiels.

1. Ouvrages d’ensemble et vie d’Origène. —

P. D. Huet (évêque d’Avranches), Origenis in S. Scripturas commentarla, t. i, Rouen, 1668, p. 1-278, Origeniana ; étude reproduite dans P. G., t. xvii, col. 633-1284 ; l’ouvrage de Huet, divisé en trois livres, la vie, l’enseignement, les écrits d’Origène, reste fondamental, malgré ses tendances apologétiques. II n’est pas seulement un monument de solide érudition, il dénote un sens critique souvent fort perspicace ; E. R. Redepenning, Origenes, Eine Darstellung seines Lebens und seiner Lettre, 2 vol. in-8o, Bonn, 18411846 ; E. Freppel, Origène, 2 vol. in-8o, Paris, 1868, 2 p édit., 1875 ; B. F. Westcott, Origenes, dans A dictionary of christ, biograpluj, t. iv, 1887, p. 196-242 ; Ch. Bigg, The Christian platonisls of Alexandria, Oxford, 1886, 2e édit., 1913 ; E. Preuschen, Zur Lebensgeschichte des Origenes, dans Theolog. Slud. und Krit., t. lxxviii, 1905, p. 359-394 ; J. Denis, De la philosophie d’Origène, Paris, 1884, cette étude très importante ne saurait être négligée, on pourra, en certains points, ne pas accepter les interprétations de l’auteur, mais il faudra toujours en tenir compte ; F. Prat, Origène, le théologien et l’exégèle, Paris, 1907, recueil d’extraits commentés, dont la tendance apologétique est quelquefois trop sensible ; E. de Faye, Esquisse de la pensée d’Origène, Paris, 1925 ; E. de Faye, Origène : sa vie, son œuvre, sa pensée, 3 vol., Paris, 1923-1929, t. I. Sa biographie et ses écrits ; t. ii, L’ambiance philosophique ; t. iii, La doctrine. Ce très important ouvrage, longuement attendu, est, somme toute, décevant ; voir sur lui l’appréciation sévère, mais solidement motivée de A. d’Alès, dans Recherches de science religieuse, mai-juillet 1930.

2° Les (euvres. —

La lettre xxxiii de saint Jérôme, qui contient la liste des ouvrages d’Origène a été étudiée et publiée par E. KIostermann, dans les Sitzungsberichte der kgl. preuss. Akad. der Wissensch. zu Berlin, 1897, p. 855870, elle figure également dans l'édition des lettres de saint Jérôme par S. Hilberg, Corpus de Vienne, t. liv, p. 253-259.

La plus récente édition de la Philoealie est celle de J. A. Robinson, dans les Cambridge palristic texts, Cambridge, 1893.

Les premières éditions d’Origène, celles de J. Merlin, Paris, 1512 et de G. Génébrard, Paris, 1574, ne contiennent que les traductions latines, même pour les ouvrages conservés en grec. La première édition d’ensemble qui renferme les textes grecs est celle des mauristes Charles et CharlesVincent De la Rue, 4 vol., Paris, 1733-1759. C’est cette édition, avec quelques compléments, que reproduit la P. G., t. xi-xvii. Dans la collection des Pères grecs de Berlin ont déjà paru les volumes suivants : i-n. Sur le martyre, Contre Celse. Sur la prière, par P. Koetschau, Leipzig, 1899 ; iii, Homélies sur Jérémie, Commentaires sur les lamentations, Samuel et les Rois, par E. KIostermann, Leipzig, 1901 ; iv. Commentaire sur l'évangile de saint Jean, Leipzig, 1903, par E. Preuschen ; v. Des principes, par P. Koetschau, Leipzig, 1913 ; vi-vn. Homélies sur l’IIexateuque, Leipzig, 1920-1921, parW. A. Bærhens ; vin. Homélies sur Samuel, le Cantique des Cantiques, les prophètes, commentaire du Cantique, par W. A. Bærhens, Leipzig, 1925 ; IX. Homélies et fragments sur saint Luc, par M. Rauer, Leipzig, 1930.

Pour les restes des Hexaples, on verra les éditions de B. de Montfaucon, Paris, 1913 (reproduite dans P. G., t. xv-xvil et de F. Field, Origenis Hexapla quee supersunt, 2 vol., in-4o, Oxford, 1867-1875. Il faudrait aujourd’hui une édition nouvelle de cet ouvrage.

Sur la valeur des traductions latines d’Origène, voir G. Bardy, Recherches sur l’histoire du texte et des versions latines du De principiis d’Origène, Paris, 1923 ; K. Millier, Krilische Beitràge zu den Ausziigen des Hieronymus ans des Origenes flspl àpywv, dans les Sitzungsberichte der Akad. der Wissensch. zu Berlin, 1919, p. 616-658.

Parmi les notices littéraires, signalons seulement celles de E. Preuschen, dans A. Harnack, Geschichte der allchristlichen Litcrutur, t. i, Die Ueberlie/erung, Leipzig, 1893, et de A. Puech, Histoire de la littérature grecque chrétienne t. ii, Paris, 1928, p. 357-439.

3° L'Écriture et la tradition. —

A. Zollig, Die Inspirationslehrc des Origenes, Fribourg-en B., 1902 ; E. Hautsch, Die Evangelienzilate des Origenes, Leipzig, 1909 ; G. Bardy, La règle de foi d’Origène, dans Recherches de science religieuse, t. ix, 1920, p. 162-196 ; J. Lebreton, Les degrés de la connaissance religieuse d’après Origène, dans Recherches de science religieuse, t.xii, 1922, p. 265-296 ; G. Bardy, Les traditions juives dans l'œuvre d’Origène, dans Revue biblique, 1925, p. 217-252.

La Trinité.


F. Harrer, Die Trinitiilslehre des Kirchenlehrers Origenes, Ratisbonne, 1868.

5° Cosmologie et anthropologie. —

H.Schultz, Die Christologiedes Origenes im Zusammenhange seiner Weltanschauung, dans Jahrb. fur protest. Theol., t. i, 1875, p. 193247, 369-424 ; M. Lang, Ueber die Leiblichkeil der Vernun/twesen bei Origenes, Leipzig, 1892 ; G. Capitaine, De Origenis ethica, Munich, 1898 ; Schiller, Die Vorstellungen von der Seele bei Plotin und Origenes, dans Zeitschr. fur Theol. und Kirche, t. x, 1900, p. 167-188 ; A. Miura-Stange, Celsus und Origenes, Giessen, 1926.

6° Péché originel. Incarnation, Rédemption. —

C. Klein, Die Freiheitslehre des Origenes, Strasbourg, 1894 ; G. Vinard, Étude historique de la doctrine de la liberté humaine chez Origène, Angers, 1911 ; Knittel.Des Origenes Lehre von der Menschwerdung des Sohnes Gotles, dans Theolog. Quartalschrifl, t. liv, 1892, p. 97-138 ; J. Rivière, Le dogme de la rédemption, Essai d'étude historique, Paris, 1905 ; du même. Le dogme de la Rédemption, Études critiques et documents, Louvain, 1931, p. 165-212 ; C. Verfaillie, La doctrine de la justification dans Origène, d’après son commentaire de l'éptlre aux Romains, Strasbourg, 1926 ; A. Slomkowski, L'étal primitif de l’homme, dans la tradition de l'Église avant saint Augustin, Paris-Strasbourg, 1928.

Eschatologie.


t.. Atzberger, Geschichte der christlichen Eschatologie innerhalb der vornicânisehen Zeit, Fribourg, 1896 ; G. Anrich, Klemens und Origenes als Bcgrùnder der Lehre vom Feg/euer, Tubingue, 1902 ; J. B. Kraus, Die Lehre des Origenes ùber die Au/erstehung der Tolen, Ratisbonne, 1859.

8° L'Église. —

P. Batiffol, L'Église naissante et le catholicisme, Paris, 1909 ; A. Harnack, Der kirchengeschichtliche Ertrag der exegetischen Arbeiten des Origenes, dans Texte und Ùnlers., t. xlii, fasc. 3 et 4, Leipzig, 1918-1919.

Anonyme, Die Lelire des Origenes ùber die Busse, dans Der Kalholik, t. i, 1865 ; Stufler, Die Siindenpergebung bei Origenes, dans Zeitschr. fur kath. Theol., t. xxxi, 1907, p. 193-228 ; Id., Œffentliche und geheime Busse bei Origenes, ibid.. t. xxxvii, 1913, p. 193, 201 ; B. Poschmann, Die Siin<teni<ergebiing bei Origenes, Braunsberg, 1912 ; A. d’AIès, L'êdit de Calliste, Paris, 1911 ; F. Cavallera, Origène, De oratinne 28, dans Bulletin de littérature ecclésiastique, 1923 ; P. Galtier, Les péchés incurables d’Origène, dans Gregorianum, t. x, 1929, p. 177-209.

(i. E. Stcitz, Die Abendmdhlslehre der gricchischen Kirche in ilirer geschiclillichen Entuncklung, dans Jahrbùcher fur deulsche Theol., t. ix-xui, 1864-1868 ; A. Struckmann, Die Gegenwarl Christi in der hl. Eucharistie nach den schriftlichen Quellen der vornizànisehen Zeit, Vienne, 1905 ; P.Battiftoi, L’eucharistie, la présence réelle et la transsubstantiation, 7° éd., Paris, 1920.

L’apologiste.


B. Aube, Histoire des persécutions de l'Église : la polémique païenne à la fin du second siècle, 2e édit., Paris, 1878 ; J. Patrik, The apology of Origen in reply to Celsus, a chapter in the history o/ apologetics, Edimbourg, 1892 ; G. Bordes, L’apologétique d’Origène d’après le Contra Celsum, Cahors, 1900.

G. Bardy.


ORIGÉNISME. — - Sous ce titre nous étudierons les controverses dites origénistes. —
I. Après un rapide aperçu des attaques formulées contre l’orthodoxie d’Origène durant le premier siècle qui suivit sa mort, nous étudierons :
II. La controverse origéniste de la fin du iv c siècle, qui aboutit à la condamnation du grand Alexandrin par le pape Anastase I er et à la prohibition de ses livres par l’autorité impériale ;
III. Les controverses origénistes du vie siècle qui se terminèrent par la double condamnation d’Origène au concile de Menas en 543 et au "Ve concile général en 553.

I. Les attaques formulées au ive siècle. —

Il faut descendre jusqu’aux environs de l’an 300 pour connaître d’une manière positive ce que certains hommes d'Église trouvaient de répréhensible dans l’enseignement d’Origène.

Méthode d’Olympe († 311) lui reproche d’avoir enseigné l'éternité de la création. De creatis, c. ii, édit. Bonwetsch, p. 494 ; il combat sa doctrine de la préexistence des âmes, enfermées dans les corps comme dans une geôle ou un tombeau, De resurrectione, t. I, c. xxix, xxxii, xxxiii, p. 258. 267 sq. ; il s'élève contre son interprétation de-Gen., iii, 21, où Origène voit, dans les peaux d’animaux dont Dieu revêtit Adam et Eve après leur chute, une allégorie de la création du corps, Dieu n’ayant pu, comme un vulgaire corroyeur, confectionner des vêtements de peaux d’animaux. De resurrectione, t. I, c. iv, xxxii, p. 224, 270 ; il critique l’opinion d’Origène localisant le paradis terrestre au troisième ciel et non sur cette terre, De resurrectione, t. I, c. lv, p. 313 ; enfin il essaie de démontrer que la conception origéniste de la résurrection, qui nie l’identité matérielle des corps ressuscites et des corps mortels, n’est pas recevable, De resurrectione, t. I, c. xx sq., p. 242 sq.

L’influence de Méthode dans les controverses origénistes a été considérable. Dans le Panarion, lorsqu’il traite des erreurs d’Origène, saint Épiphane a inséré une grande partie du De resurrectione de Méthode ; Hxr., lxiv, t. ïi, édit. Holl, p. 421-499, reproduisant De resurrectione, p. 242-345. Épiphane a aussi reproduit, en l’amplifiant, le mot sur Dieu qui, n'étant pas corroyeur, n’a pu confectionner des vêtements de peaux, et bien des antiorigénistes l’ont répété après lui. Sur Méthode, adversaire d’Origène, voir Méthode d’Olympe, t. x, col. 1610 ; Farges, Les idées morales et religieuses de Méthode d’Olympe, Paris, 1930, surtout p. 89 sq.

L’empereur Justinien nous apprend qu’un contemporain de Méthode, Pierre, évêque d’Alexandrie († 312), dans un livre sur l'âme, aujourd’hui perdu, combattit la conception origéniste de la préexistence des âmes, dans laquelle il ne voyait qu’une spéculation philosophique, et qu’il traitait de (xâ0r) ; jioc -r/jç 'EXXr r vixTJç cptvocroqHaç. Sur Pierre d’Alexandrie, adversaire d’Origène, voir Justinien, Epist. ad Menam, P. G. t. lxxxvi a, col. 961 ; Duchesne, Histoire ancienne de l'Église, t. i, p. 493 ;.Christ-Stàhlin, Griechische Litteraturgeschichte, t. n b, p. 1119. Méthode et Pierre d’Alexandrie jouissaient d’une grande autorité dans l'Église ; néanmoins il semble bien qu'à leur époque les partisans d’Origène étaient très nombreux. A en croire Photius, Piérius aurait enseigné la préexistence des âmes, tout comme Origène, et aurait mérité d'être appelé « le nouvel Origène ». Bibliothèque, cod. exix. P. G., t. ciii, col. 401.

Les apologies pour Origène, dues à la plume d’hommes de valeur, auraient été très nombreuses au début du ive siècle. Photius, cod. cxviii, P. G., t. ciii, col. 396. Photius a encore lu celle que le martyr Pamphile a composée avec la collaboration d’Eusèbe de Césarée. Des six livres dont elle se composait, un seul nous a été conservé dans la traduction de Ru fin, P. G., t. xvii, col. 543 sq. Nous y apprenons que les attaques des antiorigénistes de cette époque visaient surtout la doctrine trinitaire du Péri Archôn, col. 519. Pamphile nous donne ensuite les principaux griefs formulés alors contre le grand Alexandrin. On lui reprochait d’avoir enseigné que le Fils de Dieu est innatus et qu’il parvient à la subsistence par prolation et non par filiation. Nous avons là un exemple de la célèbre confusion entre àyévvrçroç et àylvYjxoç, innatus et increatus. D’autres faisaient de lui un sectateur d’Artémas et de Paul de Samosate, qui ne voit dans le Fils qu’un purus homo. D’autres voyaient en lui un adhérent du docétisme, ne concevant les actions du Sauveur que comme des allégories. On lui reprochait aussi d’avoir enseigné l’existence de deux Christs et d’avoir volatilisé en allégories les faits rapportés par la Sainte Écriture. On critiquait sa conception de la résurrection des morts et de la nature de l'âme ; enfin, on lui reprochait d’avoir nié le châtiment des pécheurs et d’avoir enseigné la métempsycose, le passage de l'âme de l’homme dans des corps d’animaux, col. 578 sq.

L’opuscule d’Eustathe d’Antioche, Ilepl vf]ç èyyaarp(.jj.ù60u, semble être, lui aussi, du commencement du ive siècle. Nous y lisons une vive critique de l’interprétation donnée par Origène de l'épisode de la pythonisse d’Endor au I er livre des Rois, xxviii, 12 sq. Pour Eustathe, l’interprétation réaliste de ce morceau telle qu’Origène la proposait, implique la réalité de la mantique et de la chiromancie du paganisme. Ilefl TÎjç èyyaaxpi[i.û60u, c. iii, vi, vii, P. G., t. xviii, col. 617 sq. ; édition de Klostermann, dans les petits textes de Lietzmann, p. 19, 23, 24. L'évêque d’Antioche rappelle aussi la polémique de Méthode contre la conception origéniste de la résurrection, c. xxii, p. 51, P. G., t. xviii, col. 657.

La controverse arienne semble avoir fait quelque peu oublier la question des erreurs d’Origène. Cependant, dans le De decretis Nicœnæ synodi, saint Athanase cite deux passages du Péri Archôn qui lui semblent militer en faveur de la consubstantialité des personnes divines ; dans la ive lettre à Sérapion, tout en combattant l’interprétation proposée par Origène de Heb., vi, 4-6, il n’hésite pas à nommer Origène « le savant et laborieux Origène : 7roÀ'j[xa0^ç xal çiaôttovoç ». Au même passage du De decretis, Athanase fait une recommandation, trop oubliée par les antiorigénistes de tout temps, qu’il ne faut pas confondre, dans les écrits d’Origène, l’opinion qu’il cite pour la réfuter avec la sienne propre. C. xxvii, P. G., t. xxv, col. 465 ; Epistola iv ad Serapionem, n. 9, P. G., t. xxvi, . col. 649.