Dictionnaire de théologie catholique/ORDRE. ORDINATION VII. La théologie moderne

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 11.2 : ORDÉRIC VITAL - PAUL (Saint)p. 116-129).

VII. La théologie moderne. —

Le concile de Trente a solidement établi les positions dogmatiques de la théologie du sacrement de l’ordre. Tout le progrès consistera désormais, dans le cadre tracé par le concile, à mieux préciser le sens et la valeur des preuves scripturaires et patristiques sur lesquelles on les appuie.

Dans cet ordre d’exposition théologique, une place à part doit être faite à Bellarmin dans ses Controverses sur l’ordre. Ce théologien est vraiment, à la fin du xvie siècle, l’initiateur du traité moderne du sacrement de l’ordre, où la théologie spéculative ne s’exerce qu’en se conformant aux exigences de la théologie positive. Toutefois, il restera encore, de ce chef, un grand progrès à accomplir, et ce sera la gloire de certains auteurs du xvir 3 siècle d’avoir su ramener l’esprit théologique à la considération des faits de l’histoire. Les travaux de Petau, de J. Morin, de Mabillon, de Martène, de Chardon, de Ménard permettront à la théologie de l’ordre de s’orienter, sur certains points, dans des voies nouvelles. Le beau traité de Hallier sera l’un des meilleurs fruits de ces efforts réunis. Et il n’est pas jusqu’aux sorbonistes du xviir 8 siècle, Tournély en tête, qui n’en ressentiront les effets.

Pour exposer avec ordre et synthèse à la fois la théologie moderne de l’ordre, nous esquisserons d’abord les grandes lignes du mouvement théologique, puis abordant la théologie proprement spéculative, nous en condenserons les conclusions autour de quelques chefs principaux.

I. LES GRANDES LIGNES OU MOUVEMENT THÉOLO01QUE. — 1° La théologie immédiatement postérieure au concile. — Il y a lieu de faire une place spéciale à Bellarmin, en face des autres théologiens ses contemporains.

1. Bellarmin (j 1621). — Nous nous inspirerons de J. de La Servière, La théologie de Bellarmin, Paris, 1908, p. 495-496. Le traité de l’ordre est condensé par Bellarmin en un seul livre, divisé en six chapitres, t. v, Paris, Vives, 1872, p. 21-35.

a) L’ordre est un vrai sacrement. — Contre Luther, Illyricus, Chemnitz, Calvin, Mélanchthon, dont il rappelle au c. i les erreurs, Bellarmin démontre, au c. ii, par l'Écriture, l’existence du sacrement de l’ordre. On trouve, en effet, dans l'Écriture le rite sensible de la consécration des ministres du culte, c’est-à-dire l’imposition des mains, Act., xiv, 23 ; I Tim., iv, 14 ; v, 22 ; II Tim., i, 6 ; la promesse de la grâce attachée à ce rite, I Tim., iv, 14 ; II Tim., i, 6 ; enfin l’institution divine. Pour prouver l’institution divine, Bellarmin admettrait volontiers que Jésus-Christ aurait employé le rite de l’imposition des mains pour

ordonner les apôtres (voir col. 1206). Mais cet argu ment est sans grande valeur. Il vaut mieux rappeler que c’est sur l’invitation même de Dieu que Saul et Barnabe sont « séparés » pour son service, Act, xui, 2 ; que les évêques, les pasteurs et docteurs sont « placés dans l'Église, pour la gouverner », « donnés à l'Église par l’Esprit-Saint », Act., xx, 23 ; Eph., iv, 11. Le seul fait que la grâce est attachée à l’imposition des mains montre l’institution divine de ce rite. La tradition (c. iii) est également claire sur le sacrement de l’ordre. Les Pères et les conciles comparent l’ordination avec des sacrements unanimement reconnus comme tels, par exemple le baptême ; ils lui donnent souvent le nom de sacrement ; ils en règlent les rites avec un soin que seul peut mériter un signe efficace de la grâce ; ils condamnent les simoniaques, parce que c’est vendre la grâce de Dieu. Les scolastiques enfin, à la suite du Maître des Sentences, voient unanimement dans l’ordination un sacrement proprement dit, et les conciles de Florence et de Trente ont consacré cette thèse. La raison elle-même (c. iv), nous persuade que l’ordre doit être un sacrement, puisqu’il donne le pouvoir de conférer d’autres sacrements, lesquels sont productifs de la grâce dans l'âme.

b) Quels ordres sont sacrements et conjèrent la grâce ? — Il n’est pas question du simple sacerdoce qui très certainement appartient au sacrement de l’ordre. Mais, contre Dominique Soto, In /Vum Sent., dist. XXIV, q. ii, a. 3, Bellarmin pose, comme plus probable, que la consécration épiscopale est un vrai sacrement (c. v). En effet, c’est de la consécration épiscopale qu’il est question dans presque tous les textes apportés pour prouver que l’ordre est un vrai sacrement. Cette consécration imprime un caractère, puisqu’on ne peut la réitérer, ou tout au moins une extension du caractère sacerdotal. Elle est également cause de la grâce qu’elle communique, sans aucun doute, à l'évêque, en même temps que le pouvoir de confirmer et d’ordonner. Mais Bellarmin adopte néanmoins l’opinion de saint Thomas, que l'épiscopat n’est pas un ordre distinct du sacerdoce, et pour les mêmes raisons que saint Thomas. Il y a seulement deux degrés dans le sacerdoce ; le prêtre, dans l’exercice de son pouvoir de consacrer, est soumis à l'évêque il ne peut, comme l'évêque, communiquer ce pouvoir.

Le diaconat (c. vi) est un sacrement ; sans être certaine de foi, cette thèse est très probable, pour ne pas dire certaine, à cause de l’enseignement unanime des théologiens. Elle se fonde sur le rite de l’imposition des mains qui, dès les temps apostoliques, est le rite de l’ordination du diacre et sur le grand rôle joué par les diacres dans l'Église primitive.

Le sous-diaconat (c. vu) ne peut pas être dit avec certitude un sacrement : car au sous-diacre, on n’impose pas les mains, et l'Écriture ne fait pas mention du sous-diaconat. Il est plus probable cependant, que le sous-diaconat est un sacrement, à cause du vœu solennel de chasteté qui lui est joint et du pouvoir qu’a le sous-diacre de toucher les vases sacrés. De plus, on ne peut réitérer le sous-diaconat ; il imprime donc un caractère ineffaçable.

Les ordres mineurs (c. vin) ne présentent pas les mêmes raisons d'être considérés comme des sacrements ; et pourtant, Bellarmin retient ici encore l’opinion de saint Thomas et considère comme plus probable que ces ordres soient sacrements. Le fait qu’on ne peut les réitérer semble indiquer qu’ils impriment un caractère, et les conciles de Florence et de Trente sont plus favorables à cette opinion. Toutefois, même en les considérant comme des sacrements, il faut n’admettre qu’un seul sacrement

de l’ordre, tous les ordres ayant une fin unique.

c) Madère et firme du sacrement de l’ordre. — Dans le c. 7X, Bellarmin établit contre Dominique Soto, que la porrection des instruments ne suffît pas ; pour les ordres supérieurs, il faut encore l’imposition des mains. L'Écriture, en effet, ne donne pas d’autre rite pour l’ordination. Pour les anciens conciles, les anciens Pères, encore actuellement pour les Grecs modernes, l’ordination n’est que l’imposition des mains. Il n’est pas croyable que tant de Pères, de conciles, ayant si fréquemment traité du sacerdoce, aient toujours omis le seul rite essentiel. Mais la porrection des instruments, indiquée au concile de Florence, est aussi un rite essentiel. Dans l’ordination, le prêtre reçoit donc en deux cérémonies ses pouvoirs : le pouvoir sur le corps réel du Seigneur est conféré lors de la porrection du calice et de l’hostie, le pouvoir sur le corps mystique du Christ est conféré lorsque les paroles relatives à la rémission des péchés sont prononcées par l'évêque. On peut donc admettre qu’il y a deux caractères, ou plutôt un seul, mais, dans la seconde cérémonie, il est étendu. Bellarmin, sans toucher à la délicate question de l’introduction, à une date relativement récente de la porrection des instruments, se contente, en fin du chapitre, de dire qu’il est croyable que le Seigneur n’a institué toutes ces cérémonies de l’ordre que d’une manière générale, en avertissant les apôtres de conférer les ordres par la cérémonie de la porrection des instruments qui signifie le pouvoir communiqué.

d) Effet du sacrement de l’ordre. — Les catholiques admettent un double effet : un pouvoir sacré, dont le caractère indélébile est le signe ; la grâce nécessaire pour accomplir les fonctions de ce pouvoir. Les hérétiques nient surtout le caractère. Bellarmin en démontre l’existence par l’impossibilité de réitérer le sacrement et par l’inamissibilité du pouvoir d’ordre (c. x).

Les deux derniers chapitres sont consacrés, le onzième, très bref, au ministre de l’ordre, le douzième aux cérémonies. Tout en reconnaissant la nature purement accessoire de l’onction, Bellarmin en défend la valeur contre Chemnitz, et réfute les arguments de cet hérétique.

Certes, le traité de Bellarmin n’est pas parfait : il lui manque encore bien des données positives qui ne seront acquises qu’après les grands travaux historiques et liturgiques du xviie siècle, mais une voie sûre est tracée. Désormais, la théologie catholique possède le cadre précis dans lequel devra s’enchâsser la partie dogmatique de l'étude du sacrement d’ordre.

2. Autres théologiens.

Grégoire de "Valencia († 1603), dans ses Commentarii theologici, Ingolstadt, 1597, consacre la disp. IX au sacrement de l’ordre. Il y traite brièvement des différents ordres, de la distinction de l'épiscopat et de la prêtrise, contre Chemnitz, des effets, du ministre et, dans la q. v, des cérémonies de l’ordination ainsi que des ornements sacrés.

"Vasquez († 1604) a étudié le sacrement de l’ordre dans ses Commentarii et disputaliones in D. Tlwmam, in IIl am part., disp. CCXXXIII sq., avec toute l’ampleur qu’il a coutume d’apporter dans ses expositions.

Estius († 1613) accommode son commentaire In ZVum Sent., Paris, 1696, dist. XXIV-XXV, à la fois au texte du Maître des Sentences et aux décisions du concile de Trente. Ce commentaire dépasse les limites du dogme et s'étend à quelques considérations morales et canoniques. Le problème de la simonie est particulièrement étudié.

Silvius († 1649), au contraire, donne de l’ordre, Comment, in Ill^ra part. Summæ, Anvers, 1619,

un exposé purement dogmatique et d’une brièveté remarquable.

Tanner († 1632) doit être également consulté, comme présentant un bon exposé de la théologie de l’ordre, dogme et morale, après le concile.de Trente. Universa theologia…, Ingolstadt, 1626-1627, tract, de ordine.

Citons encore, comme dignes de mention, Martin de Ledesma, O. P. († 1604), Summarium de septem sacramentis, Salamanque, 1585 ; Eecanus, S. J. († 1624), Summa theologiw scholasticw, Lyon, 1690 ; Kunez, O. P. († 1614), Comment, ac disput. in III*™ part. D. Thomw cum additionibus, Venise, 1612 ; J. Granado, S. J. († 1632), Comment, ac disp. in universam doctrinam S. Thomæ de sacramentis et censuris, Anvers, 1616, disp. XX ; Bernai († 1642), Dispuiationes de sacramentis in génère et de eucharistia et ordine in particulari, Lyon, 1651 ; Gravina († 1643), Pro sacrosancto ordinis sacramento vindiciw orthodoxe, Naples, 1634 ; Aversa († 1657), De ordinis et malrimonii sacramentis, Bologne, 1643 ; G. de Bhodes († 1661), Dispuiationes Iheologicw, Lyon, 1671 ; Arriaga († 1667), Dispuiationes iheologicw in Summam S. Thomæ, t. viii, Lyon, 1669, De sacramentis extr. unct. et crdinis, disp. LV-LVIII ; Bosco († 1684), Theologia sacramentalis… cd menlem Sccli, Louvain, 166578 ; Fr. de Lugo († 1652), Traclalus de septem sacramentis, Venise, 1652 ; Esparza († 1689), Cursus theologicus, Lyon, 1685, t. X, c. xcii-cix. Bien que postérieurs à Petau et à Morin, ces deux auteurs ne semblent pas avoir tenu suffisamment compte du progrès de la théologie positive et de l’histoire des liturgies. On peut en dire autant des scotistes Mastrius († 1673) dans son Commentaire In l' am Sent., Venise, 1719, et Pontius, Theologiw cursus ad mentem Scoti, Paris, 1652.

2° La théologie positive au service de l’apologie catholique. — 1. Défense du dogme par Denis Petau. — Dans le De ecclesiastica lærarchia, Petau, pour réfuter les assertions protestantes, et notamment celles de Claude de Saumaise (1588-1658), étudie les origines de l'épiscopat et ses rapports, dans la période apostolique, avec le simple sacerdoce. Les deux premiers livres sont consacrés à cette étude dans laquelle le docte jésuite s’efforce c’e démontrer que, si l'épiscopat et la simple prêtrise étaient primitivement conférés simultanément au même sujet, les deux pouvoirs n’en demeuraient pas moins distincts. Il le prouve en exposant, dans le t. I, la doctrine scripturaire, dans le t. II, la doctrine patristique, notamment celle de Théodoret, de Jean Chrysostome, de Jérôme. Dans les 1. III et IV, il attaque vivement les positions hérétiques et prend la défense du concile de Trente, à l’aide des conclusions auxquelles il est parvenu à la suite des études positives des livres I et IL Le livre V réfute l’opinion professée par David Blondel (1591-1655) sur les évêques et les prêtres de la primitive Église.

Voici les points erronés de la doctrine protestante, auxquels Petau s’est appliqué à opposer la vérité catbolique (c’est lui-même qui signale les buts apologétiques par lui poursuivis) : 1° l'épiscopat et le presbytérat ne sont qu’un seul et même ordre, de par l’institution du Christ : 2° le prêtre, en tant que prêtre, et non en tant qu'évêque, peut imposer les mains et ordonner et confirmer ; 3° il n’existe pas dans l'Église de sacrement d’ordre, parce que le Christ n’a institué aucun sacerdoce, n’a confié à aucun prêtre le gouvernement de son Église ; 4° c’est avec raison que les vaudois ont enlevé aux prêtres leur sacerdoce, ce sacerdoce qui n’existait pas et dont on ne parlait pas au temps des apôtres. Dans l'Évangile, il n’y a aucun vestige du sacer

doce ; le nom n’en est même pas prononcé et il n’y est pas question de sacrifiée à offrir ; 5° les laïques peuvent consacrer l’eucharistie ; au début de l'Église, la Cène était célébrée par les pères de famille ; plus tard, en l’absence de prêtre, il fut licite aux laïques de la consacrer et de la distribuer ; 6° au temps de Clément, les prêtres et les évêques étaient des laïques révérés comme la partie la plus honorable du peuple chrétien : 7° les vaudois et Luther ont eu raison de ne pas conserver le sacerdoce, et ont cru avec raison que les laïques justes et fidèles peuvent faire tout ce qu’il est nécessaire de. faire dans l'Église, ayant reçu pour cela la vraie imposition des mains, celle du presbytérium, c’est-à-dire du sénat laïque et non ecclésiastique ; 8° les laïques sont tous prêtres, comme l’enseigne saint Pierre, I Pet., it, 9, et, en enseignant ce point, Saumaise se prétend (avec raison) d’accord avec vérius, les vaudois et Wiclef ; 9° il n’y a pas de chef visible dans l'Église : la papauté est une tyrannie ; 10° l'évêque ne peut infliger aucune peine ou excommunication : l'Église seule a ce pouvoir ; l'évêque n’est le juge ni des bons ni des mauvais ; 11° si JésusChrist a donné aux apôtres le pouvoir de lier et de délier, là n’est pas la juridiction des évêques ; elle n’existe qu’au for interne ; 12° l'évêque a été institué pour gouverner l'Église en vue du bien commun, par une nécessité sociale ; mais aujourd’hui la tyrannie épiscopale est devenue telle que le mal qu’elle provoque est plus considérable que le bien qu’on attendait de l’institution de l'épiscopat. — 11 était bon de noter ici la portée apologétique de l'œuvre de Petau.

Dans les Dissertationum ecclesiasticarum libri duo, Petau aborde, au t. I, la question des évêques, de leur juridiction et dignité, et prouve contre les protestants, en interrogeant les documents de la tradition, que l'épiscopat n’est pas seulement une dignité, mais qu’il est un pouvoir véritable. Le c. i du 1. II traite des diacres et des degrés de la hiérarchie. Le reste du 1. II n’intéresse pas le sacrement de l’ordre.

2. Défense de la discipline par Thomassin : Vêtus et nova Ecclesiæ disciplina. — Nous ne pouvons que signaler la portée de cet ouvrage, quant à la défense de la discipline « nouvelle » de l'Église, par rapport à l’ancienne, relativement aux règles de vie et aux défenses comme aux obligations imposées au clercs, aux irrégularités, aux obligations des évêques et particulièrement à la résidence, aux élections épiscopales et aux consécrations. A noter tout particulièrement, t. II, part. I, c. xxix-xxxvi, les intéressantes considérations relatives aux sous-diacres et aux ordres mineurs.

L’histoire des liturgies anciennes et orientales.


1. Jean Morin.

Au premier rang des initiateurs,

il faut citer l’oratorien Jean Morin (+ 1659). Dans son ouvrage capital, Commentarius de sacris Ecclesix ordinalionibus, Paris, 1655, Morin expose les différentes formules d’ordinations dans les rites de l'Église universelle. Cette étude, où les rites orientaux sont mis nécessairement en parallèle avec le rite romain, fait ressortir les différences dans la matière et dans la forme du sacrement. Morin a le grand mérite d’avoir, le premier peut-être, esquissé la doctrine théologique seule capable de rendre compte des divergences qu’il signale. Voici comment il s’exprime : « Dans le rite de l’ordination, certaines choses sont d’institution divine, qui conviennent à tout ordre sacré et partout ; telle, par exemple, l’imposition des mains et l’oraison appropriée, que nous retrouvons dans la sainte Écriture et que la pratique de l'Église a toujours observée. D’autres choses sont d’institution ecclésiastique : elles peuvent sans doute être changées, et être observées diverse ment selon les divers temps et les divers lieux ; mais cependant, elles présentent une si grande importance que, tant que l'Église ne les a pas révoquées ou abrogées, leur omission rendrait l’ordination non seulement inconvenante et illicite, mais même invalide et nulle, ne produisant ni son effet, ni la grâce. Toutes ces choses et ces conditions affectent et déterminent la matière du sacrement, de telle sorte que leur défaut rend la matière inapte pour l’ordination. Or, ces conditions peuvent affecter aussi bien le prélat ordinand que le sujet ordonné. Ainsi donc, j’opinerais volontiers que l'Église peut définir dans quelles conditions l'évêque qui fait l’ordination doit user de son pouvoir, de quelles qualités doit être orné le candidat à l’ordination, pour pouvoir recevoir validement l’ordre sacié, de telle sorte que, si l'évêque ou l’ordinand négligent ces prescriptions de l'Église et agissent à leur encontre, l’ordination sera nulle et vaine et qu’elle devra être réitérée pour produire son effet. » A la lecture de cette déclaration, on saisit immédiatement que Morin entend justifier la réitération des ordinations faites jadis par certains hérétiques, et que l'Église a déclarées nulles. On traitera ce point à Rf.ordination. Mais, si, en ce qui concerne les réordinations de ministres hérétiques, la thèse de Morin ne peut êtreapprouvée, en ce qui concerne la détermination par l'Église d’une matière et d’une forme que Jésus-Christ n’aurait indiquée que d’une façon générale, sans descendre aux particularités, cette thèse a fait école et a recueilli le suffrage de nombreux théologiens. Aussi, toute la suite de la déclaration mérite-t-elle, d'être retenue. « De ce sacrement, il faut analogiquement dire ce qu’on dit de la pénitence et du mariage, dont les matières ont reçu fréquemment, de l’autorité de l’Eglise, certaines restrictions qui entraînent, en certaines circonstances, la nullité même du sacrement… D’où il suit qu’en des Églises différentes, les matières de ces sacrements peuvent être différentes et qu’ainsi le mariage célébré, l’absolution donnée, l’ordination conférée en certains lieux sont nuls et sans effet, alors qu’en d’autres lieux ces sacrements, donnés dans les mêmes conditions et les mêmes circonstances, seraient valides, si ces circonstances et conditions y sont considérées, par la pratique même de l'Église, comme substantiellement requises pour la validité. » Op. cit., part. II, exercit. v, c. ii, p. 82-84. La théorie n’est encore qu'ébauchée ; elle a fait fortune. Voir col. 1324, 1332.

2. Mabillon et les bénédictins.

Les travaux des mauristes sur les liturgies antiques ont contribué puissamment à préciser la théologie du sacrement de l’ordre, tout au moins quant à la connaissance des rites essentiels à ce sacrement.

Mabillon est un des grands initiateurs de ce mouvement, par la publication des Ordines romani et du commentaire qu’il y a joint. La série complète des Ordines publiés par Mabillon est de quinze, dans le t. n de son Muséum italicum, édité d’abord en deux vol. à Paris, 1687, puis inséré dans la P. L., t. lxxviii. Ceux qui intéressent le sacrement de l’ordre sont YOrdo viii, De ordinibus sacris ; YOrdo ix, De gradibus rornanæ Ecclesiæ.

De Mabillon, il faut rapprocher dom Martène, dont l’ouvrage capital, en matière liturgique, est le traité De antiquis Ecclesiæ ritibus, en quatre livres, Rouen, 1700, mine extrêmement riche de documents sur les rites anciens de la liturgie catholique. Du même, De antiquis monachorum ritibus, Lyon, 1690. Il faut citer également dom Hugues Ménard, l'éditeur et annotateur du sacramentaire grégorien, P. L., t. lxxviii. Toutefois, le texte grégorien, en cette édition, n’est peut être pas tel qu’on puisse s’y fier absolument. On préfère le texte antérieurement

édité par Pamélius († 1587) (Jacques de Joigny de Pamèle) Liturgicon latinorum, Cologne, 1571. L'œuvre de Ménard vaut surtout par ses annotations. — L’ouvrage de dom Chardon, Histoire des sacrements… de l’ordre, ne saurait être oublié : il est édité dans Migne, Cursus theologicus, t. xx. — On a aussi, au xviii c siècle, du P. Merlin, S. J. († 1747), un Traité historique et dogmatique sur les paroles ou les formes des sept sacrements de l'Église, dans Migne, Cursus theologicus, t. xxi.

3. Autres auteurs. - — D’autres noms méritent d'être cités. Renaudot a édité les rites orientaux dans sa Collectio lilurgiarum orientalium, Paris, 1715, et en a tiré de précieuses indications pour la continuité de la tradition catholique sur l’ordre dans là Perpétuité de la foi, édition Migne, t. in. Le dominicain Goar a étudié spécialement la liturgie grecque, Euchologion sive rituale Graxorum, Paris, 1647. Il faut également mentionner Isaac LIabert, Archieraticon, scu Liber pontificalis EcclesicT grevcx, Paris, 1643. On ne saurait passer sous silence les recueils si importants des Assémani, voir ce nom, t. i, col. 2119 sq., et l’ouvrage du grec Arcudius († 1634 ?), De concordia Ecclesiw occidentalis et orientalis in seplem sacramentorum administratione, Paris, 1626. Mais ce dernier ouvrage ne doit être utilisé qu’avec précaution. Voici ce qu’en dit Renaudot : « Son ouvrage est plutôt une controverse continuelle contre les grecs, qu’une exposition fidèle de leur doctrine et de leur discipline sur les sacrements. » Perpétuité de la foi, édit. Migne, t. iii, p. 24.

4° La théologie dogmatique de l’ordre à partir du xviie siècle. — Ces études sur les rites anciens de l'Église devaient amener un renouveau dans la théologie du sacrement de l’ordre. Nous parlerons ici exclusivement des théologiens qui se sont avant tout préoccupés du côté théorique par opposition aux moralistes qui forment un groupe nettement distinct. Nous disons bien : qui se sont préoccupés avant tout du côté dogmatique, car il est rare de trouver désormais un auteur qui se cantonne exclusivement dans le dogme. La liturgie et la discipline occupent souvent une grande place dans l’exposé de la doctrine catholique sur l’ordre. On sent toujours, chez la plupart des auteurs, le souci de rétorquer les thèses protestantes, en se basant sur les documents de l’histoire et en justifiant les prescriptions de l'Église au sujet des clercs.

1. Le traité type du xviie siècle sur le sacrement de l’ordre nous paraît être celui de François Hallier, mort évêque de Cavaillon († 1659), traité de grande valeur et que Migne a inséré dans son Theologiiv cursus complétas, t. xxiv. L’ouvrage est intitulé : De sacris electionibus et ordinutionibus, ex anliquo et novo Ecclesiee usu. Il se divise en deux parties : Des élections et de tout ce qui prépare l’ordination ; l’ordination elle même. On conçoit que la première partie touche beaucoup plus à la pastorale, à la morale et au droit canonique qu’au dogme. Mais nous retrouvons ici quantité de questions déjà abordées par les anciens auteurs et mises en rapport avec les décisions disciplinaires de Trente. Rien des chapitres seraient encore aujourd’hui à relire, sur les soins particuliers à donner à l'âme des aspirants au sacerdoce, alors qu’ils sont encore dans le monde, sur les témoignages à demander, sur l’examen à leur faire subir, sur la culture de la vocation divine, sur la liberté à laisser à leur consentement, sur les ordinations plus ou moins forcées (et nous touchons ici à une plaie du xviie siècle, ce qui amène l’auteur à parler des ordinations simoniaques), sur le consentement à obtenir des parents de l’ordinand.

La deuxième partie est proprement théologique,

mais non encore exclusivement dogmatique. L’auteur, en effet, y traite successivement de la distinction des ordres, de l’existence du sacrement de l’ordre ; de la matière et de la forme du sacrement, et ici l’attention de l’auteur est constamment attirée vers les formes et matières des rites orientaux ; des effets du sacrement, caractère et grâce ; du sujet de l’ordination et des qualités morales et physiques requises en lui ; du ministre de l’ordination, valide et licite ; des règles concernant l’ordination des étrangers ; des qualités du ministre de l’ordination ; du lieu de l’ordination ; du temps ; enfin, des rites de l’ordination, dont le symbolisme est longuement expliqué.

2. C’est dans ce cadre très vaste que désormais, jusqu’au milieu du xviiie siècle, se présenteront nos meilleurs traités du sacrement de l’ordre. Aux considérations exposées par Hallier, un certain nombre d’auteurs ajouteront la justification de la loi de la continence imposée par l'Église aux clercs engagés dans les ordres majeurs. Voici quelques-uns des meilleurs traités parus à cette époque : Noël Alexandre, Theologia dogmatica et moralis secundum ordinem concilii Tridentini, Paris, 1703, De sacramento ordinis, t. i ; Juenin, Commentarius historicus et dogmaticus de sacramentis, Lyon, 1767, diss. VIII, de ordine ; Spir. Rerioli, Disserlatio dogmalico-liturgica de sacramento ordinis, Castelli, 1787 ; Gotti, O. P., Theologia scolastica… De sacramento ordinis, Venise, 1750 ; Roucat, O. M., Theologia patrum scholastico-dogmalica, sed maxime positiva, Venise, 1736, est surtout remarquable par le souci d’embrasser toute les questions dogmatiques, morales, pastorales, canoniques ; Tournély, De ordine, dans les Prrelectiones théologien', Venise, 1739. Au xixe siècle, un traité mérite une mention très laudative, celui de Holzclau, dans la théologie des Wirceburgenses.

De moindre envergure, mais très dignes d'être consultés, sont les ouvrages de Fabri († 1630), De sacramento ordinis, de pœnis et censuris ecclesiasticis, Venise, 1628 ; d’Ysambert, Disput. in III*™ part. S. Thomæ, t. iii, Paris, 1643 : De sacramento ordinis (en appendice, les indulgences) ; de Witasse, De sacramento ordinis, Paris, 1717 ; de L. Habert, De ordine, dans sa Theologia dogmatica et moralis, Venise, 1747 ; d’Obernhofer, O. S. R. († 1765), De sacramento ordinis, Frisingen, 1752 ; de Viva, S. J., De sacram. ordinis dans Cursus theologicus, Padoue, 1726. L'école thomiste est brillamment représentée, au xviie siècle par Gonet, Clypeus theol. thomist. ; au xviii par Drouin, De re sacramentaria, Venise, 1756, et Lilluart, dans sa Summa S. Thomx, et l'école scotiste, non moins brillamment, par Frassen, Scotus academicus, Rome, 1726.

3. Aux xix c et xxe siècles, l'ère des manuels s’affirme, La plupart du temps, la théologie de l’ordre, au point de vue dogmatique, est enclavée dans le traité général De sacramentis. C’est là qu’on ira le chercher chez Perrone, Hurter, De Augustinis, Tepe, Jungmann, Hermann, Billot, Ch. Pesch, Gihr, Van Noort, Lercher, Sanda, Tanquerey, Hugon, Hervé, Otten, Prevel, Souben, Goupil, Horace Mazzella, etc. Le P. Huarte a un traité De ordine et matrimonio et le cardinal Lépicier, un traité De extrema unctione et ordine. Mais il faut citer également, au point de vue liturgique, pour la connaissance des rites orientaux, le recueil de Denzinger, liitus orientalium… in administrandis sacramentis, Wurzbourg, 1863, 1864.

Moralistes depuis le concile de Trente.

 L’influence des études positives du xviie siècle s’est

fait moins sentir sur les traités des moralistes touchant le sacrement de l’ordie. Les questions purement spéculatives, qui sont l’ornement du dogme, 13 73

ORDRE. LES THEOLOGIENS MORALISTES

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tenant peu de place en morale, c’est surtout sur la spéculation dogmatique que l'étude de l’antiquité chrétienne a eu sa répercussion. II est donc tout à fait conforme à la nature des choses de prendre en bloc la théologie morale de l’ordre depuis le concile de Trente jusqu'à nos jours. D’une manière générale, après avoir brièvement rappelé les solutions du dogme touchant l’existence, l’essence, la matière et la forme, le sujet et le ministre du sacrement de l’ordre, la théologie morale envisage minutieusement les cas pratiques soulevés par l’application des principes sur tous ces points. Elle est souvent de la casuistique. Très souvent aussi, elle déborde le cadre propre de la théologie pour faire de nombreuses incursions dans la discipline de l'Église et il est fort difficile, dans les traités De ordine, de faire le partage entre ce qui est proprement théologique et ce qui relève du droit canonique. Aussi, tout en réservant au Dictionnaire de Droit canonique sa matière et ses auteurs propres, devrons-nous ici faire mention de moralistes, parfois doublés de canonistes. Nous répartirons nos indications en deux séries, selon qu’elles concernent les auteurs ayant écrit avant saint Alphonse des Liguori, ou ceux qui ont écrit postérieurement.

1. Avant saint Alphonse de Liguori.

Bien que ce coup d’oeil rétrospectif sur les moralistes antérieurs à saint Alphonse ne présente presque aucun intérêt pratique pour la question qui nous occupe, il est néanmoins utile de savoir à quelles sources est allé puiser le fondateur de la théologie morale moderne. Il est facile de se reporter à l'édition Gaudé pour connaître les noms de ses principaux devanciers. Quelques-uns de ces devanciers pourraient même encore aujourd’hui être consultés avec profit.

La théologie morale de l’ordre est exposée par Henriquez († 1608), Summa theologise moralis, Venise, 1600 ; Azor († 1608), Institutiones morales, Lyon, 1625, t. XIII, part. I ; Sanchez († 1610), Consilia seu opuscula moralia, Parme, 1723, 1. VII ; Bonacina († 1631), Opéra de morali theologia, Venise, 1683, disp. VIII ; Castropalao († 1633), Opus morale, Venise, 1721, tract, xxvii ; Trullench († 1644), Opus morale, De sacramentis, Barcelone, 1701, 1. VI ; Coninck († 1633), Commentant ac disputationes in universam doctrinam S. Thomx de sacramentis et censuris, Anvers, 1616, disp. XX ; Laymann († 1635), Theologia moralis, Venise, 1630 ; Diana († 1663), Resolutiones morales, Lyon, 1645-1662 ; Gobât († 1679), Opéra moralia, Venise, 1749 ; Tamburini, S. J. († 1765), Theologia moralis, Venise, 1726 ; Wigandt († 1708), Tribunal con/essariorum et ordinandorum, Vienne, 1703, revu et augmenté par Fr. Vidal, Venise, 1754 ; Lacroix († 1714), Theologia moralis, Milan, 1724, 1. VI ; Sporer († 1714), Theologia moralis, Venise, 1731 ; Elbel († 1756), Theologia moralis sacramentalis, Venise, 1733 ; Gobât († 1679), Opéra moralia, Venise, 1749 ; Holzmann (| 1748), Theologia moralis, 1737-40 ; Antoine († 1743), Theologia moralis universalis, Rome, 1748 ; etc.

Tout en passant sous silence les canonistes proprement dits, il ne faut pas omettre un certain nombre de théologiens, dont l’exposé s’inspire assez fréquemment des dispositions du droit. Tels Filiucci († 1622), Quxstionum moralium, Lyon, 1634, tract, ix ; Réginald († 1623), Praxis fori pxiiitentialis, Cologne, 1633, 1. XXX ; Barbosa († 1649), De oflicio et potestate episcopi, dans Opéra omnia, Lyon, 1657-68 ; Rosati, Summa de sacris Ecclesiæ ordinibus, Rome, 1777 ; Dicastillo († 1653), De sacramentis disp. scholasticæ et morales, Anvers, 1646-52 ; Fagnano († 1678), dans son commentaire sur les Livres des Décrétales, Venise, 1764 ; et surtout Amort, théologien concis et exact, Theologia eclectica… Vienne et Wurzpourg,

1752, t. m ; et Pierhing († 1670), De ordinatione et ordinandis, Dilingen, 1659. On doit faire une place tout à fait à part à Benoît XIV, spécialement pour son ouvrage De sijnodo, et signaler les ouvrages de Caspar Biesman († 1714), Sacramentum ordinis, Cologne, 1694 ; Tractalus theologico-moralis de sacris ecclesiasticorum ordinibus, Cologne, 1695.

2. Saint Alphonse de Liguori. — Le mérite de saint Alphonse est d’avoir, pour ainsi dire, codifié dans un exposé très suivi toutes les données dogmatiques, mais surtout morales et canoniques relatives au sacrement de l’ordre. Son traité se divise en deux parties. La première se rapporte à l’ordre lui-même, sacrement, essence, matière et forme, conditions de validité dans la manière de l’administrer, ministre du sacrement et toutes questions dogmatiques, morales et canoniques se rappoitant au ministre. La deuxième partie est uniquement consacrée au sujet et de l’ordination : ordination des enfants, des irréguliers ; obligation d'être confirmé ; lettres dimissoriales ; examen de la science ; interstices et ordination par degrés ; lieu de l’ordination ; âge requis ; probité de la vie ; obligation du célibat ; obligation de posséder un titre ; obligation de porter l’habit ecclésiastique et la tonsure. Édition Gaudé, t. iii, p. 744 sq. Le traité de saint Alphonse, comme celui de Hallier et de Tournély, forme un tout théologique, embrassant pour ainsi dire toutes les questions relatives à l’ordre. Les écrivains postérieurs s’efforce ront, de plus en plus, de se spécialiser, les uns dans le dogme, les autres dans la morale ou le droit canonique ; toutefois, morale et droit voisineront toujours beaucoup par la force même des choses.

3. Après saint Alphonse de Liguori. — Il suffit ici de rappeler les noms des meilleurs auteurs récents de théologie morale. Tous, à la question des sacrements, exposent la doctrine et la discipline catholique sur l’ordre : Scavini, Ballerini-Palmieri, Berardi, Bucceroni, d’Annibale, Cl. Marc, Aertnys, Lehmkuhl v Millier, Génicot revu par Salsmans, Haine, Gury et ses nombreuses éditions, Noldin revu par Schmitt, plus récemment Prummer et Vermeersch, tels sont les auteurs dont les noms se présentent spontanément à l’esprit. Ajoutons quelques canonistes, dont il est impossible de ne pas faire mention à propos de l’ordre : Ojetti dans sa Sijnopsis ; Wernz et son com mentaire sur les Décrétales ; Gasparri, Tractatus canonicus de sacra ordinatione, Paris, 1894 ; S. Many, Pnrlecliones de sacra ordinatione, Paris, 1905 ; Vermeersch-Creusen, Epitome juris canonici, Malines, 1921 ; Cappello, De sacramentis, vol. iv.

6° Ouvrages ascétiques et mystiques sur le sacrement de l’ordre et l’ordination. — Cette partie de la théologie ne saurait être négligée. Dès le xve siècle, saint Bernardin de Sienne exaltait le sacerdoce, non sans quelque exagération dans la comparaison des pouvoirs du prêtre avec ceux du démon, des anges et de la B. V. Marie. Sermo XX, a. 9, c. vii, dans Opéra, Lyon, 1650, t. i, p. 98. Mais depuis le concile de Trente, en raison même de la fondation des séminaires et de la formation toute spéciale que l'Église entend donner à ses jeunes clercs et des soins dont elle entoure la persévérance et la sanctiflction de ses prêtres, toute une littérature s’est multipliée au sujet des saints ordres, de la préparation et des vertus qu’ils exigent. Nous nous contenterons de signaler ici les ouvrages plus importants et plus connus.

Nous devons, avant tout, signaler le très sûr interprète du concile de Trente, le catéchisme ad parochos, part. III, De ordinis sacramento, n. 30-33.

1. Fin du xvie et XVIIe siècle. — Dès le temps du concile de Trente, le cardinal Tolet écrit son Instructio sacerdotum ac de septem peccatis souvent

réédité avec des notes d’André Victorelli, Venise, 1604, ou avec le traité de l’ordre de Martin Fornari, S. J., Rome, 1608. — Presque au même moment, en Espagne, le bienheureux Jean d’Avila (j 1569) travaillait à la sanctification des prêtres. Les exhortations qu’il leur adressait sont résumées dans les discours qu’il a laissés sur le sacerdoce et la sainteté qu’il exige, dans Obras, Madrid, 1901, ou encore dans la traduction française d’Arnaud d’Andilly, éditée par Migne.

Saint Philippe de Néri, saint Gaétan, saint Charles Borromée se font remarquer par leur zèle pour la formation spirituelle du clergé. Voir Pourrat, La spiritualité chrétienne, t. iii, p. 381 sq.

Mais c’est surtout Antoine de Molina, chartreux († 1619), qui fut le docteur de la réforme des clercs par son célèbre ouvrage sur YInstruclion des prêtres d’après l'Écriture sainte, les saints Pères, tr. fr., Paris, 1699. « En sept traités, Molina met en relief l'éminente dignité des prêtres, leurs responsabilités, la perfection et la pureté qui leur sont nécessaires. Il expose une belle doctiine sur le saint sacrifice de la messe, sur les cérémonies que l’on doit faire quand on le célèbre. Il explique les règles de la pieuse récitation de l’office divin. Puis, passant dans une seconde partie aux questions tout à fait pratiques, il parle des dispositions intérieures requises pour célébrer la messe avec fruit, en particulier de l’attention et de l’application d’espiit nécessaires, et qu’assure l’exercice de l’oraison mentale. A propos de la préparation au saint sacrifice, Molina traite du sacrement de pénitence et du « fréquent usage » qu’il en faut faire. Enfin, il termine par une exhortation adressée aux prêtres et aux fidèles à s’approcher souvent « du saint sacrement de l’autel ». P. Pourrat, La spiritualité chrétienne, t. iv, p. 506. En Italie, nous citerons de la même époque que Molina, J.-M. Belletti († 1626), Disquisitio clericalis in qua clericorum dignitas, condiliones… elucidantur. — En France, les mêmes pieuses réflexions sont proposées par L. Abelly († 1691), dans Sacerdos christianus, seu manuduclio ad vitam sacerdotalem instilændam, Paris, 1656. Sur Abelly, voir t. i, col. 55. Cet ouvrage, adapté par l’abbé Gobaille, en 1863, parut encore une fois à Paris sous le titre : Le mois sacerdotal ou trente jours de méditations sur les principales vertus de Notre-Seigneur Jésus-Christ considéré comme le modèle du prêtre.

Les maîtres du début de la congrégation de l’Oratoire ont étudié avec amour le sacerdoce chrétien. Nous citerons particulièrement le P. Bourgoing, dans sa Préface aux Œuvres de Bérulle, édit. Migne, 1856. Il envisage le mystère du sacerdoce chrétien dans ses rapports avec le mystère de l’incarnation : le prêtre continue Jésus-Christ, prêtre éternel. On trouve la même idée fondamentale dans les Discours de controverse et le Discours de l'état et de la grandeur de Jésus du cardinal de Bérulle, et dans l’Idée du sacerdoce et du sacrifice de Jésus-Christ, Paris, 1677, du P. de Condren. M. Olier s’en inspire dans son Traité des saints ordres, IIIe partie. Saint Vincent de Paul en déduit l'éminente dignité de l'état ecclésiastique, Correspondance, entretiens, documents, éd. Coste, t. xi, passim. Et nous la retrouvons sous la plume de Bossuet, Élévations sur les mi/stères, xiii c semaine, 6e élév. ; cf. Sermon pour la fête de l’Ascension, dans Œuvres oratoires, éd. Lebarq, t. i, p. 523.

La fondation des séminaires fît éclore, au xviie siècle, toute une effloraison de traités et règlements sur la formation des clercs. Matthieu Beuvelet se fit remarquer à ce point de vue parmi ses confrères de Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Il fut l’un des premiers, dans cette période de réforme du clergé, à proposer, sous forme de méditations, les principes de la vie

ecclésiastique. Ses célèbres méditations furent publiées sous le titre : Méditations sur les principales vérités chrétiennes et ecclésiastiques pour tous les dimanches, /estes et autres jours de l’année, 3 vol., Paris, 1655. Il a publié également les Conduites pour les exercices principaux qui se font dans les séminaires ecclésiastiques, Paris, 1654. Les évêques eux-mêmes, lorsqu’ils fondaient un séminaire, ne manquaient pas de faire un règlement détaillé. Nous avons le Traité des séminaires, Aix, 1660, et les Conférences sur les saints ordres, de Godeau, évêque de Vence ; Massillon, dans ses discours synodaux, a inséré plusieurs Conférences sur les principaux devoirs des ecclésiastiques. Au séminaire de Saint-Sulpice se trouve un manuscrit, le Règlement épiscopal de Nicolas Pavillon, évêque d’Alet († 1677) et les Règlements de son séminaire d’Alet sous le titre de Résolutions arrêtées à Paris par Messeigneurs les évesques et quelques supérieurs de séminaires avec messieurs Ferret, de Poussé et le P. Vincent (de Paul), etc., louchant les séminaires ; cf. Pourrat, op. cit., p. 374, note.

La compagnie de Saint-Sulpice a apporté une contribution considérable à ce genre d'écrits. De M. Tronson († 1700) est connu l’ouvrage primitivement intitulé : Selectæ conciliorum et Palrum sententiic de sacratissimo clericorum ordine ac de eorum vila præcipuisque virtutibus, Paris, 1664, mais repris et développé sous le titre de Forma clen, ou recueil des passages de l'Écriture, des Pères et des conciles sur la vie et les mœurs des ecclésiastiques. Autres ouvrages : Examens particuliers sur divers sujets propres aux ecclésiastiques, Lyon, 1690 ; Manuel du séminariste, recueil d’entretiens adressés aux séminaristes sur la sanctification des actions ordinaires et sur les obligations des ecclésiastiques, Paris, 1823 ; Entretiens et méditations ecclésiastiques, Lyon-Paris, 1826 ; Traité de l’obéissance, aux supérieurs…, Lyon-Paris, 1824 ; Retraite ecclésiastique suivie de méditations sur l’humilité, Paris, 1 823. Avant ïronson, M. Olier, fondateur des sulpiciens, avait donné son Traité des saints ordres, et M. de Lantages, premier supérieur du séminaire du Puy, ses Instructions ecclésiastiques. C’est de cet esprit de Saint-Sulpice qu’est pénétré Charles Démia († 1639) dans son ouvrage Trésor clérical ou conduites pour acquérir et conserver la sainteté ecclésiastique, Lyon, 1682. Mais cet auteur avoue néanmoins beaucoup devoir à Godeau, évêque de Vence.

En Allemagne, il suffira de rappeler l’influence exercée par celui qu’on appelle le fondateur de l’Institut des clercs séculiers menant la vie commune, mais qui, en réalité, s'était donné pour but d’exhorter à la vie commune les prêtres séculiers. Il s’agit du vénérable Barthélémy Holzhauser († 1658), dont nous devons citer les Constitutiones clericorum siccularium, approuvées par Innocent XI en 1680. Holzhauser explique en détail dans ses Constitutions les diveises parties du programme qu’il propose. II formule le règlement du séminaire des jeunes clercs destinés à mener la vie en commun après leur ordination. Il indique les exercices de pitié que l’on doit faire chaque jour. Les clercs et les pasteurs qu’il veut former doivent unir la vie contemplative à la vie active.

En Italie, une place de choix doit être marquée au cardinal Jean Bona († 1674) lequel, principalement dans son Traclidus ascelicus de sacrificio missiv, Rome, 1653, veut enseigner, non seulement à ses religieux feuillants, mais aussi à tous les prêtres, l’excellence de la récitation de l’office divin et de la célébration de la sainte messe. Les enseignements spirituels qu’il donne, à l’occasion des différents rites sacrés, il les tire des écrits des Pères de l'Église et des auteurs ecclésiastiques autorisés. Vers la fin du xvire siècle, nous trouvons, également en Italie, un Dircctorium 1377

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ordinandorum in forma catechismi, de Cabrino, Venise, 1691.

2. Au x vu Ie siècle. — Nous relèverons à cette époque surtout le nom de saint Alphonse de Liguori. Dans son traité de l’ordre, divisé, nous l’avons vii, en deux parties (dub. i et u) il consacre toute la deuxième partie à exposer les qualités du sujet. Mais, du point de vue qui nous occupe, on s’arrêtera volontiers sur les n. 14. Probilas vitæ, et 15, Vocatio divina. L’auteur s'étend également sur les obligations des clercs, la récitation de l’office et la continence. Dans ses écrits purement spirituels, quelques-uns s’adressent plus spécialement aux prêtres : c’est le cas de Y Homo apostolicus, et de la Praxis confessariorum. Trois traités ascétiques sont écrits particulièrement pour promouvoir la perfection sacerdotale : Petit traité de l’amour divin et des moyens de l’acquérir ; Conformité à la volonté de Uicu ; Pratique de l’amour de Jésus-Christ.

En Allemagne, on peut citer Jean Lindner, Institutiones ad susceptionem ordinum, Breslau, 1777 ; Joseph Pleyer, S. J. († 17'J9), Lux legitimam ecclesiasticorum ordinum susceptionem… præmonstrans, Strasbourg, 1817.

En France, le chanoine Claude Arvisenet, de Langres, publia à Lucerne, en 1794, en exil, son Memoriale viîæ sacerdotalis, qui eut un vif succès et valut à son auteur les éloges du souverain pontife.

3. Au XIXe siècle. — Les prédicateurs de la chaire de Notre-Dame ne pouvaient manquer d’aborder le sujet de l’ordre, non seulement au point de vue dogmatique, mais encore au point de vue ascétique. Nous ne ferons que brièvement citer le P. Lacordaire, dans sa conférence sur la chasteté, Conférences de Notre-Dame, Œuvres, t. ii, Paris, 1914, p. 29, et Panégyrique du bienheureux Pierre Fourier, id., t. viii, p. 29 ;.Mgr d’Hulst, Mélanges oratoires, t. xi, Retraites ecclésiastiques ; pour nous arrêter plus complaisamment sur le P. Monsabré, Exposition du dogme catholique, carême 1886. Les six conférences de ce carême sont consacrées au sacrement de l’ordre. L’orateur traite successivement de la consécration sacerdotale, de la dignité du prêtre, des devoirs du prêtre, des droits du prêtre, de l'évêque, des ennemis du prêtre.

D’Angleterre, le cardinal Manning a fait rayonner sur le monde entier les magnifiques lumières de son livre. Le sacerdoce éternel, édit. anglaise, 1884 ; tr. fr. par Fiévet, 1889. Manning composa ce livre con amore dans un double but : remplir un devoir de sa charge épiscopale qui est de sanctifier son clergé et, ensuite, protester contre les prétentions de certains religieux qui exaltaient outre mesure la valeur des vœux de religion au détriment de la prêtrise, jusqu'à laisser croire aux prêtres séculiers qu’ils ne sont pas dans un état comportant la pratique de la perfection. Le cardinal Mercier, nous le savons, a fait entendre des protestations semblables dans son livre La vie intérieure, appel aux âmes sacerdotales. Comme Manning, il déplore l’emploi du mot séculier pour distinguer le clergé ordinaire des religieux. Dans son livre, Manning expose la nature et les pouvoirs du sacerdoce, les relations qu’il établit avec le Christ, l’eucharistie et les fidèles. Il en déduit l’obligation rigoureuse pour le prêtre d'être saint. Le reste du livre est un traité de pastorale sur les diverses fonctions du prêtre.

Le cardinal Gibbons, archevêque de Baltimore († 1921), a publié en 1896 The Ambassador of Christ, 1890, tr. fr. par G. André, S. S., Paris, 1897. C’est un traité tout pacifique sur le sacerdoce, la formation du prêtre et ses devoirs d’après le texte de saint Paul : < C’est pour le Christ que nous faisons les fonctions d’ambassadeurs », II Cor., v, 20 ; cf. Pourrat, op. cit., p. 580-581.

DICT. DE THÉOL. CATHOI..

Il faut citer aussi, parmi les bons livres du xixe siècle sur l’ordre, de l’abbé Perreyre, les Méditations sur les saints ordres (œuvre posthume) ; de M. Bacuez, S. S., Instructions et méditations à l’usage des ordinands ; Du saint office… au point de vue de la piété, 1861 ; Du divin sacrifice et du prêtre qui célèbre, 1888 ; de M. Icard, S. S., Traditions de la compagnie de SaintSulpice pour la direction des grands séminaires, 1886 ; de M. Lamothe-Tenet, S. S., Les saints ordres ; de M. Gontier, S. S., Explication du pontifical. Cette sollicitude des sulpiciens pour la dignité sacerdotale, nous la retrouvons chez les fils de saint Alphonse de Liguori. Dans son bel ouvrage, La charité sacerdotale ou leçons élémentaires de théologie pastorale, le P. Desurmont envisage les vertus chrétiennes, la prière, l’oraison et les autres moyens de sanctification du point de vue pastoral. Il parle longuement de la prédication, de la confession et de la direction. Du P. Bouchage, signalons aussi l’Introduction à la vie sacerdotale, 1897, et le Catéchisme ascétique et pastoral des jeunes clercs, 1919.

Nous passons rapidement sur les nombreux recueils de méditations à l’usage des prêtres ; les noms de Chevassut, Chaignon, Hamon, Branchereau, Beaudenom, J. Grimai, sont trop connus pour que nous devions insister. Mais il faut signaler l’heureuse compilation, toujours utile à consulter, de Raynaud, Le Prêtre d’après les Pères, 12 vol., Toulouse, 1843.

En terminant il suffira de rappeler les divers écrits de Mgr Dadolle († 1911) sur le sacerdoce ; le beau livre du P. Chevrier, Le prêtre selon l'Évangile, ou le véritable disciple de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, Lyon,

1922, et les publications du cardinal Mercier : A mes séminaristes, 1908 ; Retraite pastorale, 1910 ; La vie intérieure, appel aux âmes sacerdotales, 1918.

Enfin, deux très récents précis de théologie ascétique rédigés en vue de la sanctification des prêtres : A. de Denderwindeke, O. M. C, Compendium théologies asceticæ ad vilam sacerdotalem et religiosam rite instiluendam, Heren thaïs, 1921, et C. Lithard, S. Sp., Précis de théologie pastorale, Paris, 1930.

En ce qui concerne les traités ascétiques sur l’ordre, Tanquerey, dans son Précis de théologie ascétique et mystique, donne un embryon de bibliographie, p. 251, 252, 258. Indications plus abondantes dans Pourrat, La spiritualité chrétienne, t. iii, p. 381-386 ; 568-574 ; t. iv, p. 372IÎ79 ; 580-581. Voir surtout J. Delbrel, Bibliographie de la vocation, du recrutement sacerdotal et de la formation du clergé, Toulouse, 1925 ; et, pour les auteurs de langue allemande, Zimmermann, Lehrbuch der Aszetik, Fribourg-en-B.,

1923, p. 211-21°..

II. LES CONCLUSIONS DE LA THÉOLOGIE MODERNE.

— A part le progrès apporté par les résultats de l’histoire et de la théologie positive dans la façon de concevoir l’essence, c’est-à-dire la forme et la matière du sacrement de l’ordre, on peut dire que, depuis le concile de Trente, la théologie de l’ordre est sans histoire mouvementée. Les positions dogmatiques sont nettement établies et tout le progrès consiste à mieux préciser le sens et la valeur des preuves scripturaires et patristiques sur lesquelles on les appuie. Les opinions libres qu’a respectées le concile de Trente se partagent les théologiens, mais on peut dire que, de plus en plus, les questions controversées reçoivent des solutions en rapport avec les exigences de l’histoire et de la critique. Seule, dans la partie spéculative du traité, la question, particulièrement difficile de l’origine de la juridiction épiscopale a été laissée et est encore en suspens.

Rien ne serait fastidieux comme de parcourir tous les traités du sacrement de l’ordre. Dans nos manuels, on le retrouve partout à peu près le même, avec les mêmes formules, les mêmes arguments, souvent

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proposés dans le même cadre. Aussi, dans notre exposé, nous ne donnerons, avec quelques noms d’auteurs les plus connus, que les indications vraiment utiles. Et cet exposé se fera en groupant les conclusions de la théologie moderne autour de quelques points plus importants.

1° L’existence d’un sacrement de l’ordre institué par Jésus-Christ. — La thèse est présentée comme de foi, définie qu’elle est par le concile de Trente, sess. xxii, c. i et iii, can. 1 et 3. On se réfère aussi au décret d’Eugène IV. Les preuves scripturaires sont empruntées aux Actes, vi, 6 ; xiv, 22, et aux Pastorales, I Tim., v, 22 ; II Tim., i, 6 ; cf. I Tim., iv, 14. On montre que le sens de ces textes exige qu’il s’agisse ici d’un rite sensible, productif non seulement d’un pouvoir sacré, mais encore d’une grâce qui demeure dans l'âme (cf. IITim., i, G) c’est-à-dire de la grâce sanctifiante.

L’argument patristique est présenté sous plusieurs aspects, soit en tant qu’affirmation pure et simple de l’existence du sacrement de l’ordre, et alors on insiste sur les textes que nous avons signalés, col. 1 255, soit en tant qu’affirmation du rite sacramentel — imposition des mains — et on reprend les textes indiqués col. 1253 sq. Cet argument patristique est renforcé d’un argument traditionnel, l’existence dans l'Égàse, sans contestation, de la hiérarchie d’abord à trois degrés, puis étendue successivement aux huit degrés de l'Église d’Occident, aux cinq de l'Église d’Orient, fait cent fois attesté et corroboré par les canons disciplinaires des différents conciles, touchant les ordinations et les obligations cléricales.

A ces données positives, la théologie spéculative ajoute ses déductions tirées de l’existence avérée d’un sacerdoce visible dans l'Église, sacerdoce qui ne peut exister qu'à la condition de procéder d’un rite sacramentel conférant visiblement, avec le caractère et les grâces sacramentelles, les pouvoirs sacerdotaux. Il est d’ailleurs très convenable — et l’efficacité des autres sacrements le suggère — que le sacrement de l’ordre confira avec le pouvoir la grâce nécessaire au bon exercice de ce pouvoir. Cf. Hallier, De sacris elect. et ordin., part. II, sect. ii, c. i, a. 1, Migne, Cursus, t. xxiv, col. 689-710. Sur ce point spécial, les théologiens modernes n’ajoutent rien à la doctrine des scolastiques.

Telle est, en substance, la marche suivie et le cadre adopté par les théologies sacramentaires posttridentines, depuis les ouvrages considérables du xviie et xviiie siècles, jusqu’aux manuels si nombreux du xixe et du xxe siècle.

Au sujet de l'époque à laquelle Jésus-Christ aurait institué le sacerdoce, nos théologiens n’assignent aucun moment bien déterminé. Le concile de Trente, sess. xxii, c. i et canon 2, indique qu'à la Cène, les apôtres reçurent tout au moins le pouvoir sacerdotal de consacrer le corps et le sang du Sauveur ; de plus, sess. xxiii, c. i et canon 4, il suggère que le pouvoir de remettre les péchés, annexé au sacerdoce, est celui que <" font connaître les Saintes Écritures », donc le pouvoir donné par Jésus-Christ après sa résurrection, Joa., xx, 22-23. Enfin il convient aussi de retenir Matth., xxviii, 18-20, où Jésus confie aux apôtres leur ministère pastoral. Ainsi, les théologiens en arrivent à formuler l’opinion, émise ici dès le début de cette étude, que l’institution du sacerdoce est renfermée dans l’institution de l’Eglise môme. Mais personne ne s’attache plus aujourd’hui ! au sentiment selon lequel Jésus aurait lui même institué tous les ordres : Christus autem non stalim ordinavit omnium ordinum ministros, sed episcopos tantum, quia hic gradus reliquos in se continet, dit, fort pertinemment, Ch. Pesch., Prselect. theol., t. vii, n. 576.

Les divers ordres.

Les divers ordres, couramment énumérés au nombre de sept dans l'Église

latine, leur division en ordres majeurs et mineurs, sacrés et non sacrés, l’unité du sacrement, nonobstant cette diversité de degrés, telles sont les vérités catholiques (ou même, selon certains, de foi catholique), qui répondent, dans l’enseignement théologique, au c. ii et au can. 2 du concile de Trente.

Sur le nombre, tous les théologiens sont maintenant d’accord pour maintenir en fait le nombre sept dans l'Église latine : ce nombre s’explique aisément par le fait qu’on rattache l'épiscopat au sacerdoce, qui est ainsi subdivisé en simple prêtrise et en épiscopat. Il implique qu’aujourd’hui personne ne range plus la tonsure parmi les ordres. La division en ordres majeurs et mineurs, en ordres sacrés et non sacrés est empruntée aux auteurs et à la discipline déjà en vigueur au Moyen Age (voir col. 1308). La discipline orientale des cinq ordres (épiscopat, presbytérat, diaconat, sous-diaconat, lectorat) n’est pas atteinte par la nomenclature occidentale. Sur tous ces points, on consultera avec profit Hallier, De sacris elect. et ordin., part. II, sect. i, c. i, Migne, Cuisus, t. xxiv, col. 613-688. Les théologiens font d’ailleurs remarquer que le concile de Trente a simplement défini l’existence, en dehors du sacerdoce, d’autres ordres : formule qui proclame la foi de l'Église tout en laissant subsister les modalités légitimes et traditionnelles.

Le progrès théologique s’est affirmé ici surtout en deux points : les ordres sont-ils tous des sacrements ? L'épiscopat est-il un ordre à part du simple sacerdoce et, partant, comme sacrement, imprime-t-il un caractère différent du caractère sacerdotal ? La question des éléments constitutifs du sacrement de l’ordre a elle-même progressé ; mais, l’ayant étudiée à l’occasion du décret d’Eugène IV (col. 1315-1333) jusque dans ses conclusions les plus récentes, nous n’avons pas à y revenir.

1. Tous les ordres, même les ordres mineurs, sont-ils sacrements ? — La théologie enseigne que l’ordination sacramentelle imprime dans l'âme un caractère, ineffaçable. Cet enseignement, qui est de foi, s’appuie sur le concile de Trente, sess. vii, canon 9 ; sess. xxiii, canon 4. Mais, à l'époque moderne, beaucoup plus qu’au Moyen Age, elle agite la question de savoir en quels ordres se retrouve le sacrement. Il lui semble difficile de conserver la position presque unanime de l'École au xin° siècle. Et, pour préciser sa pensée, elle sépare la cause des ordres mineurs et du sousdiaconat de celle du diaconat, de la prêtrise et de l'épiscopat.

a) Les ordres inférieurs sont-ils sacrements ou sacramentaux ? — On a vu qu’au Moyen Age l’opinion qui considérait les ordres inférieurs comme sacrements était de beaucoup la plus répandue : c'était même, jusqu'à Durand de Saint-Pourçain, l’enseignement commun. L’opinion de Durand trouva, dans les recherches historiques du xviie siècle, un point d’appui solide, qui lui permit de se développer considérablement. Dès la fin du xvie siècle, Estius paraît l’adopter, quoique avec hésitation et sans formuler d’avis définitif. In lVum Sent., 'disp. XXIV, § 8. D. Soto la considère comme probable, dist. XXV, q. i, a. 4, ainsi que, plus tard, Vasquez, disp. CCXXXVII, c. ii, Michel Médina, De continentia clericorum, t. I, c. xlvi, les Salmentirenses, Cursus… moralis, tract. VIII, c. iv, n. 42. Après J. Morin, Commentarius…, part. III, exercit. xi, c. i, et Benoît XIV, De synod., t. VIII, c. ix, n. 3, l’opinion de Durand est devenue de beaucoup la plus commune. Parmi ses défenseurs, citons, au xviiie siècle, Tounely, Priel. de sacramento ordinis, q. vi, a. 2 sq ; Cabarssut, Theor. juris, t. III, c. xvi, n. 3 ; L. Habert, De ordine, part. I.

c. vi, init. et resp. 2 et 3 ; saint Alphonse de Liguori, Theol. mor., L VI, n. 737. Au xixe, il faudrait citer l’immense majorité des théologiens et canonistes : v. g. Perrone, De ordine, n. 81 ; Gury, Theol. mor., t. ii, n. 699 : Lehmkuhl, id., t. ii, n. 586 ; Wernz, Jus decretalium, t. ii, 2e éd., p. 39 ; Huarte, De ordine et matrimonio, Rome, 1913, n. 20 sq. Gaspard n’hésite pas à écrire : Longe probabilius ne dicamus certum et apud recentiores passim receptum est alias ordinationes in/ra diaconatum non esse verum sacramentum. De sacra ordinatione, t. i, n. 41.

Quelques rares auteurs assimilent le sous-diaconat au diaconat ; sur ce point, v. g. Aspilcueta (Navarrus), Manuale, c. xxii, n. 18 ; Vasquez, disp. CCXXXVII, c n ; CCXXXVIII, c. n ; CCXXXIX, c. i ; Sanchez, De m< trimonio, t. VII, disp. XXXI, n. 17. Mais on ne voit pas bien le pourquoi de cette assimilation. En effet, disent les théologiens partisans de l’opinion de Durand, si l’on se place sur le terrain de l’histoire, on constate que le sous-diaconat et les ordres mineurs n’apparaissent pas avant le iiie siècle ; qu’ils ne furent pas primitivement considérés comme des ordres, puisqu’il n'était pas nécessaire de les recevoir pour parvenir aux ordres supérieurs. L'Église grecque d’ailleurs n’a gardé que le sous-diaconat et le lectorat. En se plaçant sur le terrain théologique, ces auteurs font remarquer que la forme et la matière font défaut dans le sous-diaconat et les ordres mineurs, l’imposition 'des mains étant ici inexistante. Enfin, ils font observer que les offices de ces ordres n’exigent pas de grâce sacramentelle. Le célibat annexé au sous-diaçonat et l'élévation de cet ordre à la dignité d’ordre majeur n’apportent aucun argument sérieux en faveur de la thèse contraire ; cf. Ch. Pesch. op. cit., n. 593-596. Quant à l’argument tiré du concile de Trente affirmant (can. 2) qu’il existe dans l'Église d’autres ordres que le sacerdoce, que les ordres sont majeurs’ou mineurs (can. 3), que l’ordination (sans aucune restriction) est un sacrement dans le vrai sens du mot (can. 6), que » les ministres » dont il est question débordent nécessairement le cadre des diacres, il est difficile d’en tirer quoi que ce soit de positif en faveur de la thèse thomiste ; cf. M. Quera, El concilio de Trenlo y los ordenes in/eriores et diaconado, dans Estudios eclesiasticos, oct. 1925, p. 337-358. On a voulu également appuyer cette opinion sur la bulle d’Innocent VIII accordant aux abbés cisterciens le pouvoir de conférer le diaconat à leurs sujets (voir plus loin, col. 1385 ; P.Michel BâuerledeNeukirch : dans les Estudis jranciscans, Barcelone, 1930, i), mais à tort, semble-t-il, car même en admettant l’authenticité de la concession quant au diaconat (ce qui est bien contestable), il est impossible d’en déduire l’assimilation des ordres mineurs et du sous-diaconat, comme sacriments, au diaconat lui-même. Voir Ami du Clergé, 1930, p. 683.

Il faut reconnaître que la thèse contraire groupe encore autour de ses affirmations, même aujourd’hui, un nombre imposant d’auteurs : ce sont, pour la plupart, les fidèles interprètes de la pensée de saint Thomas. Ils présentent toujours leur thèse comme probabilior. Citons Themassin, Velus et nova disciplina, part. I, I. II, c. xl ; Hallier, op. cit., part. II, sect. ii, ci, § 7 ; la théologie de Wurzbourg, le ordine, n. 64 ; De Augustinis, De re sacramentaria, t. iv, p. 71 ; Billot, De sacramentis, t. ii, thèse xxix, § 2 ; Hugon, Traclalus dogmatici, t. v, p. 531 sq. ; Galtier, art. Imposition des mains, t. vii, col. 1418 sq. ; Hervé, Manuale, t. iv, p. 456.

b) Le diaconat est-il un sacrement ? — La réponse affirmative est donnée par tous les théologiens comme au moins théologiquement certaine, et par quelquesuns (Tanner, Le ordine, disp. VII, c. ii, dub. ii, n. 39 ;

Vasquez, disp. CCXXXVIII, c. ii, n. 13) comme de foi. Pour formuler cette note théologique, les auteurs raisonnent ainsi : le canon 6 de la sess. xxme du concile de Trente déclare de foi l’existence d’une hiérarchie divinement instituée, composée d'évêques, de prêtres et de ministres : donc, au moins le diaconat, implicitement nommé dans ces ministres, est, parmi les ordres inférieurs au sacerdoce, d’institution divine, ce qui ne signifie pas, quoi qu’en écrive Vasquez, disp. CCXXXI, c. iv, contre Salmeron, In Act., c. vi, que Jésus-Christ ait lui-même institué le diaconat. Il suffit qu’il ait laissé aux apôtres l’initiative nécessaire. On notera le progrès accompli, grâce au concile de Trente, sur les théologiens antérieurs, dont quelques-uns excluaient le diaconat du sacrement. Voir col. 1307.

La doctrine qui tient le diaconat pour un sacrement s’appuie : sur {'Écriture, Act. vi, 6, où les théologiens voient l’institution des premiers diacres, dont le ministère est d’ordre, non seulement temporel, mais spirituel, viii, 5, 12, 38-40 ; qui sont nommés avec les évêques, Phil., i, 1 ; dont la situation dans l'Église requiert des qualités éminentes, I Tim., iii, 8 ; et qui sont constitués tels par l’imposition des mains ; Act. vi, 6, leur conférant la grâce, vi, 8 ; cf. viii, 17, 19 ; xiii, 2, 3 ; xix, 6 ; — sur les Pères qui voient dans les diacres des ministres de l'Église de Dieu (saint Ignace, Trall., ii, 3 et saint Cyprien, Epist., iii, n. 3 ; v, n. 2 ; éd. Hartel, p. 471, 475) ; supérieurs aux laïcs (S. Clément de Rome, voir ici col. 1218) ; appartenant à la hiérarchie sacrée, d’institution du Christ (S. Ignace, 1226 ; Clément d’Alexandrie, 1228 ; Origène, ibid., Tertullien, ibid.) ; accomplissant des fonctions sacrées, surtout la distribution de l’eucharistie aux fidèles (S. Justin, col. 1227 ; S. Cyprien, col. 1230) ; sur l’ordination sacramentelle des diacres, 'es théoh giens citent également S. Jean Chrysostome, In Act., homil. xiv, n. 3, P. G., t. lx, col. 116 ; S. Jérôme, Ado. Vigilantium, n. 2, P. L., t. xxxiii, col. 88 ; S. Ambroise, De officiis, t. I, c. iv, P. L., t. xvi, col. 96, et le pseudo-Denys, De eccl. lùerarch., c. v, n. 23, P. G., t. iii, col. 511 ; — sur le rite de l’ordination, qui est l’imposition des mains conférant la grâce, Statuta antiquæ Ecclesiw, Denz.-Bannw., n. 52 ; Constitutions apostoliques, VIII, xvii, 18, P. G., 1. 1, col. 1115 ; Testament, t. I, c. xxxviii, éd. Rahmani, p. 91 ; Sacramentaire grégor’cn, P. L., t. lxxviii, col. 221 ; Pontifiarf romain, ete ; voir, pour les rituels latins, Martène, et pour les grecs : Goar, Denzinger, Rit. orient., t. ii, p. 8, 69, 133, 232, 264, 287.

c) Le presbytérat est-il sacrement ? — Sur ce point, il n’y a jamais eu d’hésitation. Les théologiens postérieurs au concile de Trente trouvent dans les textes conciliaires la définition de cette vérité. Personne ne nie l’existence du sacrement d’ordre ; or ce sacrement réside avant tout dans le rite qui confère le pouvoir de consacrer le corps et le sang du Sauveur et de remettre les péchés. Sess. xxiii, can. 1, 3.

Comme pour la question précédente, on recourt ici à l'Écriture, qui montre les prêtres coopérateurs des apôtres et pasteurs des âmes, I Pet., v, 1 ; leur pouvoir leur étant conféré par le rite de l’imposition des mains, I Tim., iv, 14 ; v, 22. Le raisonnement n’est pas infirmé, au contraire, du fait que dans la primitive Église « prêtres » et « évêques » étaient synonymes. La Tradition ne contient aucune note discordante ; aucune controverse chez les scolasliques : Quantum ad sacerdolium, est extra controversiam apud calholicos et plane de fide. Tanner, De ordine, disp. I, q. ii, dub. ii, n. 39. Le rite de l’ordination, soit qu’il s’agisse de l’imposition des mains, soit qu’on envisage, la tradition des instruments, est tout aussi expressif au point de vue du [pouvoir sacramentel conféré

Il faut donc admettre que le sacerdoce, connue le diaconat, imprime dans l'âme un caractère distinctif et ineffaçable. Sur ce point qui rallie les suffrages de tous les théologiens, on lira Caractère sackamentel, t. ii, col. 1698 sq. L’un et l’autre ont aussi une efficacité en vue d’assurer l’exercice des fonctions sacrées. Voir plus haut la définition du concile de Trente que les théologiens postérieurs ne font que reprendre et commenter. Cette conclusion immédiate de la doctrine générale du sacrement de l’ordre est considérée comme au moins théologiquement certaine. 2. L'épiscopat est-il un ordre à part du simple sacerdoce ? — Pour ne pas s'égarer dans les multiples spéculations émises par les théologiens à ce sujet, il importe de rappeler leurs principes généraux. Il est de foi, disent-ils, que l'épiscopat est de droit divin dans l'Église ; cf. conc. de Trente, sess. xxiii, can. 6. Il est également de foi que l'épiscopat, et quant au pouvoir d’ordre et quant au pouvoir de juridiction, est supérieur au simple presbytérat. Il ne saurait donc y avoir de controverse sur le point précis que l'épiscopat, envisagé comme plénitude du sacerdoce, est et demeure un sacrement. La question controversée entre théologiens^est de savoir si l'épiscopat est un sacrement adéquatement distinct du simple sacerdoce, et imprimant dans l'âme un nouveau caractère. Nous avons vu (col. 1311), que nombre d’anciens théologiens, tout en admettant que l’ordination cpiscopale étend et accroît le caractère sacerdotal en conférant à l'évêque des pouvoirs que n’a pas le prêtre, nient cependant que l'épiscopat soit un ordre distinct du sacerdoce. C'était l’opinion des grands scolastiques ; après le concile de Trente, l'école thomiste, dans son ensemble, y demeurera fidèle ; cf. Aversa, De ordinis et matrimnnii sacramentis, Gênes, 1642, q. i, sect. vu ; Gonet, Chjpeus, de ordine, disp. IV, a. 2 ; Billuart, dissert. IV, c. n ; Billot, thèse xxi ; Hugon, Tractatus, t. iv, p. 720.

Mais les théologiens et canonistes modernes, surtout après Bellarmin, ont pris une position nettement opposée. Hallier déclare l’opinion de Bellarmin, une doctrine certissima. De sacrament. elect. et ord., part. II, sect. ii, c. i, a. 2, § 2, dans Migne, Cursus theol., t. xxiv, col. 711. Pierre Soto va jusqu'à la considérer comme de foi, De institut, sacerd., de ordine, | sect. iv ; Michel de Médina estime périlleuse l’opinion contraire, De sacr. hom. cont., t. I, c. xv ; Vasquez, qu’elle doit être notée sévèrement, disp. CCX.L, c. xi ; cf. Tanner, loc. cit., dub. ii, n. 23. Perrone, tout en reconnaissant les graves autorités qui patronnent l’opinion thomiste, et la liberté avec laquelle elle est de fait enseignée, ne l’estime pas probable et rappelle que plusieurs lui indigent une censure, De ordine, n. 78, note ; cf. Hurter, t. iii, n. 61)8 ; Philipps, Kirchenrecht, 1, §36 ; Pirhing, Deordinationc et ordinandis, t. XI, n. 3 ; Ferraris, Prompta bibliotlieca, au mot Episcopalus.

Tout en laissant à chacun une liberté ici fort légitime, il est permis de remarquer la solidité des arguments apportés en faveur de l’opinion récente. Dans V Écriture, l’ordination épiscopale, I Tim., iv, 14 ; II Tim., i, 6, présente tous les caractères d’un sacrement, en raison de l’imposition des mains, de la grâce, et des pouvoirs conférés. La Tradition palristique ne parle pas de l’ordination des évoques en d’autres termes que de celle des simples prêtres. Un texte significatif de saint Augustin est celui où, parlant des évêques donatistes, il parle de leur ordination comme d’un véritable sacrement. Serm. ad Cœsariensis Ecclesiæ plebem, n. 2, P. L., t. xxiii, col. 691. Les.textes patristiques ont été rassemblés par Bellarmin, De ordine, c. ni, v. De plus, si l’on doit faire état du canon 6 de la sess. xxiii du c incite de Trente

pour prouver que le diaconat et le presbytérat sont des sacrements, il faut également l’accepter en faveur de la même thèse en ce qui concerne l'épiscopat. Du rite de l’ordination découle la même conclusion : car il renferme tous les éléments d’un rite sacramentel : imposition des mains, communication de la grâce et des pouvoirs. La raison théologique elle-même demande que l'épiscopat qui confère le pouvoir de confirmer et d’ordonner, confère en même temps le caractère correspondant et, avec le caractère, la grâce. Autrement, il faudrait dire que le pouvoir épiscopal est un pouvoir totalement extérieur, une députation externe, révocable au gré du souverain pontife. Voir, sur tous ces points, Ch. Pesch, op. cit., n. 615-618.

La thèse adverse repose sur deux considérations qu’il reste à examiner :

On dit d’abord que l'épiscopat n’ajoute aucun pouvoir au presbytérat, en ce qui concerne l’objet propre du sacerdoce, l’eucharistie ; donc il n’ajoute aucun caractère sacramentel nouveau ; cf. Antoine, Theol. moral, univ., De sacram. ordinis, q. iv. L’argument est faible, car il faut bien reconnaître dans l'épiscopat, tout au moins, une extension du caractère sacerdotal. De plus, l'épiscopat confère le pouvoir de communiquer aux autres le droit d’offrir le sacrifice eucharistique, ce qui est bien quelque chose à l'égard de l’eucharistie. Pourquoi ne pas affirmer un caractère spécial, tout comme on l’affirme dans le diaconat par rapport au presbytérat ?

On dit aussi que l'épiscopat présuppose « de necessitate sacramenti » le presbytérat ; l'épiscopat ne saurait avoir de consistance propre. Incluant nécessairement le simple sacerdoce, on ne doit le considérer que comme une extension de ce sacerdoce. L’argument n’est pas sans réplique, car il faudrait avant tout prouver la vérité de son point de départ, que certains faits contredisent. Voir plus loin. Mais, même s’il était absolument certain que le futur évêque dût être au préalable revêtu du simple sacerdoce, la conséquence ne serait pas encore inattaquable. On devrait simplement affirmer que le caractère de l'épiscopat dépend essentiellement de celui du presbytérat. C’est tout ce qu’en bonne logique il est possible de conclure. Il faut donc, dans cette controverse où les adversaires raisonnent un peu abstraitement, se défier des affirmations trop absolues. Au fond, peutêtre, n’existe-t-il ici qu’une querelle verbale : Nemo prohibeat disceptare num episcopatus sit ordo a presbyteratu distinct us, an character in episcopali consecralionc impressus différai, vel potius sit amplialio qua’dam characleris in collatione presbyteralis ordinis impressi, Benoit XIV, epist. In postremo, 20 oct. 1756, § 17.

Qu’on admette sept ou huit ordres, la chose au point de vue du dogme est sans importance. Pesch, op. cit., n. 620, écrit fort sensément que c’est là pure question de mots : en tous cas, ajoute-t-il, certe falsum est, quod quidam dicunt, esse communem et concordem omnium sententiam in Ecclesia septem esse ordines, nec plures nec pauciorcs, ce qui vise directement le principe émis par Billot, op. cit., thèse xxxi, § 2. Le titre » de septem ordinibus » du c. ii, dans la sess. xxiii du concile de Trente n’appartient pas, on le sait, au texte conciliaire ; cf. Tanner, disp. VII, q. ii, dub. ii, n. 37. Maldonat, que son époque rapproche du concile de Trente, est tout à fait partisan d'énumérer huit ordres et de compter l'épiscopat pour un ordre à part. De ordine, q. iv, initio. Voir sur cette question, E. Furtner, Das Verhàltnis der Bischofsiveihe zum heiligen Sacramente des Ordo, Munich, 1861 ; A. Kurz, Der Episcopat der hôchste vom Presbijterate verschiedene Ordo, Vienne, 1877 ; Schultz-Plassmann, Der Episcopat

oder die Bischofsweihe ein Sacrament, Paderborn, 1883 ; Zardetti, Die Bischofsweihe, Einsiedeln, 1889.

Le ministre de l’ordre.

La question du ministre

ordinaire du sacrement de l’ordre est résolue conformément à l’enseignement traditionnel, sanctionné par le concile de Trente, sess. xxiii. can. 7, et par la discipline de toutes les Églises orientales. Quod ministrum sacramenti çrdinis esse solum episcopum, ut in tota Dei Ecclesia, ita et apud Orientales pro irrefragabili fundamenlo semper habitum est. Denzinger, Rit. orient., t. i, p. 141. Voir sur cette question du ministre ordinaire, Yasquez, disp. CCXLIII, c. i, et Tanner, disp. VII, c. iii, dub. 2, lequel ajoute cette remarque opportune : « dans tout royaume, il appartient au prince seul de distribuer les emplois publics ; or, dans l'Église, les évêques sont comme les princes. » Au point de vue de la licéité, le ministre ordinaire de l’ordre est l'évêque propre (voir plus loin, col. 1400). Mais sur cette doctrine générale se greffent des questions secondaires relatives au ministre extraordinaire de l’ordre et au ministre de l'épiscopat.

1. Le ministre extraordinaire de l’ordre.

a) Ordres mineurs et sous-diaconat. — La question du ministre extraordinaire, en ce qui concerne les ordres mineurs et le sous-diaconat, est résolue conformément à la doctrine des scolastiques avant le concile de Trente. Autrefois, un évêque pouvait donner au simple prêtre la délégation nécessaire à cet effet. Voir les témoignages dans Hallier, op. cit., part. II, sect. v, c. i, a. 2, n. 9 sq. Mais ce pouvoir a été retiré aux évêques par Grégoire IX, Décrétai., t. III, tit. xl, c. ix. Aussi les théologiens enseignent-ils communément que seul le pape peut donner à ce sujet une délégation : Vasquez, disp. CCXLIII, c. iv, n. 73 ; Hallier, loc. cit., a. 3, n. 9 ; Tanner, disp. VII, q. ni, dub. 2 ; Wirceburgenses, De ordine, n. 145. Le concile de Trente est formel en ce qui concerne le pouvoir qu’ont les abbés de conférer à leurs sujets les ordres mineurs. Sess. xxiii, c. x, de reformat. S’il y a eu quelques hésitations pour l’assimilation du sous-diaconat aux ordres mineurs, elles sont aujourd’hui dissipées ; cf. Gasparri, De sacra ordinatione, t. ii, n. 941 sq.

b) Prêtrise. — On ne saurait s’arrêter à l’hypothèse émise par certains auteurs, très rares, d’une délégation pontificale accordant à un simple prêtre le pouvoir de conférer la prêtrise. L’argument des ordinations faites par les chorévêques n’a aucune valeur, beaucoup de chorévêques ayant possédé véritablement le caractère épiscopal ; voir Évêques, t. v, col. 1693. On prête cette opinion à Auriol ; il n’est pas certain que cet auteur l’ait tenue : il écrit simplement : Minister sacramenti ordinis est episcopus, licet ex dispensalione possit esse sacerdos. In IV" m Sent., dist. XXV, a. 1. Il ne dit pas, en effet, que le prêtre peut être par délégation ministre de tous les ordres. Vasquez s’appuie sur Auriol pour émettre l’hypothèse que nous avons soulignée, loc. cit., n. 39. Mais cet auteur se laisse guider par la considération d’un fait, dont nous allons parler.

c) Diaconat. — C’est la doctrine commune de tous les théologiens, après comme avant le concile de Trente, que le simple prêtre, même par délégation pontificale, ne peut administrer le diaconat. Mais, en fait, Vasquez et quelques autres soutiennent que pareille délégation a été donnée jadis en quelques cas. Il s’agit, en l’espèce, très particulièrement de la bulle d’Innocent VIII (1489) accordant aux abbés cisterciens le pouvoir de conférer le sous-diaconat et même le diaconat à leurs sujets. Bien plus, récemment, dom Fofi a publié, dans la Scuola cattolica de Milan (mars 1924), une bulle de Boniface IX (1400) accordant à l’abbé de Saint-Osithe, en Angleterre, et à ses successeurs le pouvoir d’ordonner leurs sujets sous diacres, diacres et même prêtres. L'évêque de Londres ayant réclamé, voyant en ce privilège un attentat à sa juridiction, le pouvoir fut retiré en 1403. Les textes sont aux archives vaticanes, Reg. lat. 81, fol. 264, pour la concession ; Reg. lat. 108, fol. 132, pour la révocation.

Sur la bulle d’Innocent VIII, on s’accorde généralement à en admettre l’authenticité ; mais il s’agit de savoir si la concession relative au diaconat s’y trouve. Le cardinal Gasparri déclare avoir inspecté le document aux archives vaticanes et n’avoir pas trouvé mention du diaconat. De sacra ordinatione, t. ii, n. 798. Voir sur cette bulle et sa portée Ch. Pesch, op. cit., n. 667-668 ; Tixeront, L’ordre et les ordinations, p. 192 sq., qui, tout en inclinant vers l’authenticité de la bulle, fait opportunément remarquer à la suite de L. Pastor, Hist. des papes, tr. fr., t. v, p. 330, 340, « qu’il existait à Borne, précisément en 1489, une officine fabriquant de fausses bulles pontificales et retirant de ce commerce des profits scandaleux. » Même en admettant et l’authenticité de la bulle’et la concession, la question dogmatique demeurerait entière, ce serait « une discipline momentanément autorisée par l'Église et qui ne préjuge pas la question de droit. » J. Bivière, art. Ordre, dans le Dictionnaire pratique des connaissances religieuses, t. v, col. 134. C’est d’ailleurs la solution donnée par tous les théologiens qui, depuis Vasquez, se sont occupés de cette bulle. Un de ceux qui ont le mieux discuté sur ce point la question de droit est Noël Alexandre, op. cit., De sacramento ordinis, p. 764.

Quant à la bulle de Boniface IX, si elle était authentique et comportait la concession exorbitante qu’on pense y trouver, la solution serait la même ; cf. Hugon, Revue thomiste, 1924, p. 490 sq. Mais la question serait de savoir s’il ne convient pas de donner un sens différent à la bulle. Dans les Esludios ecclesiasticos, avril 1925, le P. J. Puig de La Bellacasa pense qu’il s’agit, non pas du pouvoir physique qui serait donné à un simple prêtre de conférer le diaconat et le sacerdoce, mais d’une autorisation accordée à la communauté pour que les ordinations soient faites dans le monastère même, sans passer par la juridiction de l'évêque de Londres. On comprend alors plus facilement le sens de la réclamation de ce dernier. La bula « Sacræ religionis » de Bonifacio IX. Cf. Hugon, Ulruin possit summus pontifex delegare simplicem presbylerum ad conferendum diaconatum vel eliam presbyteralum, dans Divus Thomas, de Plaisance, janvier 1905, p. 100-104.

A propos des deux bulles, on trouvera un bon exposé de toute la question dans L’Ami du clergé, 1 926, p. 468469 ; 1928, p. 370-373.

2. Le ministre de l'épiscopat. — On a vii, col. 1248, que dès la plus haute antiquité, trois évêques furent requis pour la collation de l'épiscopat. Les théologiens modernes, recevant cette discipline traditionnelle, se demandent si la présence des trois évêques et leur participation au sacre sont nécessaires pour la validité du sacrement. Trois réponses ont été faites.

La première opinion est celle de J. Morin, De sacris ordinal., part. II, exerc. iv, c. n ; de Gonet, De ordine, disp. IV, a. 3 ; de Tournely, De ordine, q. vi, a. 1, § De ministro ordin. episcopalis, concl., qui déclarent la participation des trois évêques (Tournely dit : au moins de deux) tellement indispensable qu’il n’est pas probable même qu’une dispense du pape y puisse suppléer. Les faits qu’on oppose à cette thèse absolue sont purement et simplement révoqués en doute. — La deuxième opinion tient pour valide la consécration donnée par un seul évêque, lorsqu’elle se fait avec permission expresse du pape. Ainsi Cajétan. Opusc. de potestate papie. Bellarmin, De con

ciliis et Ecclesia, t. IV, c. viii, Arriaga, De ordine, disp. LVII, etc., Vasquez, disp. GCXLIII, c. vi, n. 63. — Une troisième opinion, la seule à retenir, puisque le Code l’a consacrée, can. 954, considère les deux évoques consécrateurs comme de simples assistants, un seul évêque pouvant assurer la validité du sacre, mais illicitement s’il n’a pas les deux assistants ou une dispense du Saint-Siège. C’est la solution de Benoît XIV, De sijnodo, I. XIII, c. xiii, n. 4, 5. Les raisons sont surtout d’ordre historique : ce qui s’est fait du consentement des papes est très certainement valide ; or, on cite plusieurs cas de consécrations épiscopales faites par un seul évêque. Voir, en particulier, sur ce point, les cas cités à propos de l’Irlande, dans l’art. Celtiques (Liturgies) du Dict. d’archéol. et de liturgie, t. ii, col. 3023-3024. De plus, la dispense accordée par le Saint-Siège, pour la licéité de cette ordination, n’ajoute rien au pouvoir d’ordre de l'évêque consécrateur. Voir aussi Hallier, op. cit., part. II. sect. v, c. ii, § 2, 3 ; Sardagna, De ordine, a. 6, n. 428 ; Gasparri, t. ii, n. 1087, etc. On sait d’ailleurs que, dans l'Église latine, la consécration d’un évêque est réservée en principe au souverain pontife : le prélat consécrateur agit par mandat du pape.

Le sujet de l’ordre.

Les positions doctrinales

traditionnelles se retrouvent dans l’enseignement des théologiens posttridentins. Nous noterons cependant, dans Hallier, De sacris elect. et ordin., part. I, sect. viii, c. ii, une intéressante dissertation sur les pouvoirs des parents, à l'égard de leurs enfants destinés à la cléricature. Migne, Cursus, t. xxiv, col. 586 sq. De son côté Benoît XIV tranche la question de la validité des ordinations conférées à des enfants encore privés de l’usage de la raison : Si contingeret ab episcopo non solum minores, sed etiam sacros ordines injanti conferri, concordi theologorum ac canonisiarum suffragio definitum est, validam sed illiciiam censeri hanc ordinalionem, non attenta contraria sententia, quæ raros habet asseclas et quæ supremis tribunalibus et congregationibus Urbis numquam arrisit. Bulle Eo quamvis, 4 mai 1745, § 20 ; cf. Esparza, op. cit., t. X, q. cvi. Il ne saurait être question ici de progrès que dans les dispositions disciplinaires conformément aux canons de l'Église. L’obligation faite par le concile de Trente aux candidats de la cléricature de ne recevoir la tonsure qu’après avoir été confirmés, voir ci-dessus, col. 1363, a soulevé entre théologiens la question de savoir si cette obligation était sub gravi ou non. On cite pour la solution négative Suarez, Valencia, Coninck, Navarrus, D. Soto, et quelques autres ; pour l’affirmative, Tolet, Bonæina, Hallier ; cf. Hallier, op. cit., part. II, sect. iv, c. m.

Mais la seule controverse intéressante parmi les théologiens modernes est celle qui regarde le sujet capable de recevoir la consécration épiscopale. Devant certains faits, vrais ou supposés, de l’histoire, plusieurs théologiens se demandent si le sa -erdoce simple est tellement nécessaire en celui qui doit être sacré évêque, que son absence causerait la nullité de la consécration épiscopale.

Il faut reconnaître que la réponse presque unanime des théologiens modernes est affirmative : omnes sentiunt ordinalionem episcopi esse invalidam nisi prtecesserit sacerdolium. Grégoire de Valen ; ia, disp. IX, q. i, punct. 4 ; cf. Vasquez, disp. CCXL, c. v, n. 54 ; S. Alphonse de Liguori.l. VI, n. 793, et les auteurs cités. — La raison théologique de cette solution est ainsi présentée en substance par Hallier, De sacr. elect. et ord., part. II, sect. i, c. i, n. 14 :  ! a consécration épiscopale ne confère pas le pouvoir de consacrer, qui est avant tout sacerdotal. Donc, à moins de supposer déjà existant ce pouvoir, personne ne peut

devenir évêque. Et, en effet, celui qui n’a pas pouvoir sur le corps réel de Jésus-Christ, comment, aurait-il pouvoir (d’ordre) sur le corps mystique ? C’est une des raisons, on l’a vii, qui font admettre à beaucoup de scolastiques une distinction simplement inadéquate entre le presbytérat et l'épiscopat (voir col. 1311). Aussi, parmi ceux qui admettent une distinction adéquate, quelques-uns poussent la logique jusqu'à admettre la validité de l'épiscopat reçu sans sacerdoce préalable. Ainsi Bosco : Cum nos teneamus episcopa’um esse ordinem proprie dictum, nullus débet mirari, si consequenter teneamus eum, qui sacerdos non sit, valide posse episcopum consecrari. Theologia sacramentalis, Louvainvnvers, 1665-1685, de sacramento ordinis, disp. X, sect. i, concl. 9, n. 200. Mais les partisans de la distinction adéquate n’acceptent pas tous cette conclusion. Dieu a pu poser comme condition préalable à l'épiscopat le caractère presbytéral, tout comme il exige le caractère baptismal avant l’ordination sacerdotale. Saint Alphonse de Liguori, t. VI, n. 738. Une question de fait doit dominer la discussion, l'Église a-t-elle jamais considéré comme valide la consécration épiscopale d’un simple diacre ? Nicolas I er a protesté contre une allégation de ce genre faite par les partisans de Photius. P. L., t. exix, col. 1155 D. Voir aussi Batramne, P. L., t. cxxi, col. 334, dans ses quatre livres Contra Grœcorum opposita romanam Ecclesiam infamantium, surtout t. IV, c. vin ; et les protestations des évêques du synode de Worms, en' 868 ; voir Hefele-Letlercq, t. îv a, p. 460 ; cf. Hergenrôther, Photius, Patriarch von Conslantinopel, t. i, Batisbonne, 1867, p. 682 sq. Les quelques faits vraisemblables qu’apporte Martène, De ant. eccl. rit., t. I, c. viii, a. 2, sont de peu d’importance, soit qu’ils n’aient aucune notoriété, soit qu’ils puissent s’expliquer par l’ignorance de quelques-uns ; cf. J. Morin, op. cit., part. III, exercit. xi, c. n. Ce seraient des abus qui n’engagent pas l’autorité de l'Église.

Il ne semble pas cependant qu’on doive se montrer aussi rigide. Benoît XIV dit expressément qu’on peut librement discuter an vetustioribus temporibus a diaconatu jactus sit transitus ad episcopatum, ordine presbylerali non antea suscepto. Epist. In postremo, 20 oct. 1756, § 17. Dès lors qu’on admet que l'épiscopat est un ordre distinct adéquatement du simple presbytérat, on peut le concevoir comme renfermant éminemment en lui-même tous les pouvoirs du sacerdoce. Les apôtres n’ont-ils pas été ordonnés évêques sans passer par le presbytérat ? Voir Act., xiii, 3. Dans l'Église apostolique on ne connaissait même que les évêques-presbytres et les diacres : voir surtout Phil., i, 1, et Clément de Borne, Cor., xlh. Tant de papes, dans les premiers siècles principalement, ont été élevés immédiatement du diaconat au souverain pontificat sans recevoir d’autre ordination que la consécration épiscopale ! On rappelle aussi l’ordination de l’antipape Constantin. Voir Liber pontificalis, n. 227, 257, 292, 427, 455, 579, 264-265. Telle est la thèse de Thomassin, op. cit., part. I, t. I, c. i, n. 5 ; de Philipps, Kirchenrecht, i, §36 ; de Mabillon, Comm. prsev. ad ordinem romanum, § 16, 18 ; de Martène, De antiquis Ecclesiie ritibus, t. I, c. viii, a. 3, n. 10 ; de Chardon, Hist. des sacrements, et d’autres cités par Gasparri, op. cit., t. i, n. 23-24. Voir aussi D. Parisot, Les ordinations per saltum, dans Revue de l’Orient chrétien, t. v, 1900, p. 335-369 ; Many, Prxlect. de sacra ordinatione, Paris, 1905, p. 16-24. Sans doute, on peut répondre en recourant à l’hypothèse jadis formulée par Bellarmin, que, dans une seule ordination, on pouvait communiquer à la fois le diaconat et la prêtrise, de ordine, c. v, et que les brèves indications du Liber pontificalis supposent plus qu’elles n’in

diquent l’ordination sacerdotale. Quoi qu’il en soit, la conclusion du cardinal Gasparri paraît ici devoir s’imposer : Argumenta peremptoria pro una aliave senientia non sunt. Nos igitur puiamus alleram sententiam (celle qui admet la validité de la consécration du simple diacre) esse vere probabilem tum intrinsece, lum extrinsece, propter tôt tantorumque doctorum auctoritalem. Op. cit., n. 26. Pratiquement, il faudrait aujourd’hui réitérer la consécration, mais sous condition. Quant aux i or.sécrations faites dans les premiers siècles, élevant un simple diacre à l'épiscopat, elles étaientcertainement valides : l’intention del'Église était de conférer la plénitude du sacerdoce et les formules employées n'étaient pas limitatives de l’intention comme le sont celles d’aujourd’hui.

L’origine de la juridiction épiscopale.

Cette

question n’appartient que fort indirectement au traité de l’ordre. Posée néanmoins dans la xxme session du concile de Trente, elle fait corps avec l’ensemble de la doctrine que nous avons exposée jusqu’ici. Il convient donc de s’y arrêter, tout au moins brièvement.

Les discussions passionnées qui se produisirent au concile, lors de la discussion des textes de la session xxiii, ne pouvaient laisser indifférents les théologiens postérieurs. La controverse, on le sait, voir col. 1354, n'était pas dirimée et chacune des parties adverses pouvait garder son opinion. Il s’agissait, on l’a vii, de savoir si la juridiction ordinaire est donnée aux évêques immédiatement par Dieu ou immédiatement par le souverain pontife. L’argumentation de Laynez, juste dans sa substance, avait néanmoins laissé plus d’un point dans l’obscurité. A la longue, les positions respectives des deux opinions ont été mieux précisées, et le débat plus exactement délimité.

Il serait totalement faux de croire que la thèse t immédiatiste » n’a trouvé de partisans que chez les gallicans, les jansénistes, les fébroniens : elle a eu des défenseurs d’une note catholique incontestable, tels que Vasquez, disp. CCXL, c. iv, n. 41 ; François de Vitoria, Rêlect. II, De potestate Ecclesiee, q. ii, les théologiens de Wurzbourg, De legibus, n. 104 (Neubauer) ; Colet ; Philipps, Kirchenrecht, i, n. 186 sq., etc. Mais ceux-ci ont précisé qu’ils n’entendaient nullement supprimer la dépendance des évêques à l'égard du souverain pontife. La controverse a été bien exposée par Muncunill, De Christi Ecclesia, Barcelone, 1914, p. 492.

La juridiction épiscopale procède immédiatement de Dieu en ce sens que, d’institution divine, il doit toujours exister dans l'Église des évêques, lesquels, sous l’autorité du pape, régissent, par un pouvoir ordinaire, le peuple fidèle qui leur est confié. Épiscopi sunt aposlolorum successores atque ex divina instilutione peculiaribus Ecclesiis præficiuntur quas cum potestate ordinaria regunt sub auctoritate romani pontiflcis. Code, can. 329, § 1. Sur ce point, tout le monde est d’accord.

Mais la question se pose de savoir si chaque évêque pris individuellement reçoit immédiatement de Dieu sa juridiction.

Sans contestation possible, aucun évêque ne peut recevoir, retenir, exercer une juridiction quelconque contre la volonté du souverain pontife. C’est-à-dire que personne ne peut être constitué évêque sans l’intervention du pape, soit que le pape le désigne personnellement, soit que le choix s’effectue par un délégué du pape et selon les règles posées par la loi de l'Église ou les conventions fixées par le Saint-Siège. Il serait en effet contraire à la constitution même de l'Église que les pasteurs des Églises particulières pussent être constitués sans l’assentiment de celui qui, comme pasteur suprême, gouverne l'Église universelle. Aujourd’hui encore, dans les Églises

orientales, les patriarches, autrefois, dans les Églises occidentales, les métropolitains confirmaient les nominations épiscopales, mais en vertu de l’autorité et de la délégation du souverain pontife, dont ils tenaient eux-mêmes leur autorité. Voir Élection des évêques, t. iv, col. 2250 sq. Aujourd’hui, le pouvoir de centralisation est plus accentué : Cuilibel ad episcopatum promovendo… necessaria est canonica provisio seu inslitutio qua episcopus uacantis diœcesis con$tiluitur, quicque ab uno romano pontifice datur. Canon 332, § 1.

Étant donnée la nécessité de cette institution canonique, faite par le souverain pontife seul — nécessité qui n’est contestée par personne — la question se pose de savoir si la juridiction est conférée à chaque évêque, immédiatement, par Dieu, à l’occasion de cette institution canonique, ou si elle est communiquée directement par le pape dans cette institution canonique.

Les immédiatistes dont nous avons cité tout à l’heure les principaux représentants estiment que la juridiction est conférée immédiatement par Dieu aux évêques, soit au moment de leur sacre, soit de tout autre façon, de telle manière que l’institution canonique ne fait que limiter cette juridiction à une portion déterminée du troupeau des fidèles, ou réaliser la condition sans laquelle le Christ n’accorderait pas la juridiction aux évêques. Voilà pourquoi, dans une formule brève, nous disions : juridiction accordée par Dieu à l’occasion de l’institution canonique.

Les théologiens médiatistes, soit dès le Moyen Age : (Albert le Grand, In IV am Sent., dist. XIX, q. xi ; S. Thomas, In 7Vum Sent., dist. XX, q. i, a. 4, sol. 2 ; dist. XXIV, q. ni, a. 2, sol. 3, ad lum ; In II am Sent., dist. ult., q. ii, a. 3, expositio textus ; Cont. Génies, t. IV, c. lxxii ; S. Bonaventure, Breviloquium, vi, 12 ; In 7Vum Sent., dist. XVIII, part, ii, q. iii, concl. ; Durand de Saint-Pourçain, InIVum Sent., dist. XXIV, q. v, a. 5), soit avant le concile, (saint Antonin, Cajétan), soit après le concile (Bellarmin, Suarez, Benoît XIV, et la plupart des théologiens modernes et contemporains), enseignent que la juridiction épiscopale dérive du Christ comme de sa cause première et principale, mais est conférée immédiatement par le souverain pontife, dans l’acte même qui institue les évêques pasteurs de leurs Églises. Aussi disions-nous que, selon cette opinion, la juridiction est accordée, dans l’institution canonique.

On peut ramener à cinq les arguments principaux en faveur de l’opinion médiatiste : 1° Le pape possède une juridiction pleine et entière sur l'Église universelle et sur chaque partie de l'Église : on ne voit pas le pourquoi d’une intervention spéciale de Dieu, alors que le pape peut très bien communiquer, de la plénitude de son pouvoir, la juridiction nécessaire pour le gouvernement d’une portion déterminée de l'Église. 2° Le pape est le pasteur suprême, ordinaire et immédiat, de toute l'Église : il semble donc nécessaire que toute autorité ecclésiastique inférieure descende de son propre pouvoir. 3° Il y a corrélation entre juridiction et sujets. Là où il n’y a pas encore de sujets, il ne peut encore exister de juridiction. Or, les fidèles deviennent les sujets de l'évêque par la désignation du souverain pontife. Donc, c’est par cette désignation même que les évêques acqu'èrent juridiction sur eux. 4° Il ne saurait être question, comme quelquesuns l’ont imaginé, d’une juridiction accordée par Dieu à l'évêque dans sa consécration. Le pouvoir de juridiction est distinct du pouvoir d’ordre, et les évêques, même non consacrés, peuvent exercer leur juridiction dès lors qu’ils ont pris possession cano niquement de leur siège (can. 334). 5° Enfin, la juridiction des évêques peut être modifiée, accrue, res

treinte et même totalement supprimée par le souverain pontife. Or, dit avec raison Bellarmin, « il serait tout à fait étrange que la Providence qui dispose toutes choses avec suavité, n’eût pas voulu que la juridiction fût accordée aux évêques par le même moyen qui, une fois cette juridiction accordée, peut l’augmenter, la restreindre, et même la supprimer totalement. » De romano pontifice, t. IV, c. xxix.

Ajoutons que la thèse médiatiste reçoit un singulier appoint d’autorité du fait de la déclaration de Pie VI : hominem esse (romanum pontificem)…, a quo ipsi episcopi auctoritatem suam recipiant, quern admodum ipse a Deo supremam suam potestatem accepit… Bref Super soliditate, 29 nov. 1786, Denz.-Bannw., n. 1500.

Le principal argument des immédiatistes est que les apôtres, dont les évêques sont les successeurs, ont reçu directement de Jésus-Christ leur juridiction. Mais cet argument a plus d’apparence que de solidité. En effet, la juridiction ordinaire que les apôtres possédaient sur les Églises fondées et administrées par eux (en quoi ils étaient à la lettre les prédécesseurs des évêques) ne doit pas être conçue indépendante de la juridiction de Pierre. Elle n'était en eux qu’une dérivation de l’autorité souveraine du chef de l'Église. Sans doute, le Christ avait donné aux apôtres cette juridiction ordinaire, mais il la leur avait donnée dépendante et dérivée de l’autorité de Pierre, tout comme si le pape nommait directement un curé dans un diocèse, la juridiction de ce curé serait néanmoins dérivée et dépendante de l’autorité de son évêque propre, lequel tient lui-même son pouvoir du pape ; cf. Billot, De Ecclesia, thèse xxvi ; et J. Bouché, art. Apostolat, dans le Dictionnaire de Droit canonique, t. i, col. 691. Cette explication semble bien, d’ailleurs, remonter à saint Thomas, In IV am Sent, dist. XXIV, q. iii, a. 2, sol. 3.

Pratiquement, la divergence des thèses immédiatiste et médiatiste est de peu d’importance : « On a beaucoup discuté, au concile de Trente, sur la question de savoir si la juridiction des évêques vient immédiatement de Dieu ou du souverain pontife. Rien n’a été défini. Au concile du Vatican, la question ne fut même pas proposée, principalement parce qu’en pratique, il est a peu près indifférent d’admettre l’une ou l’autre opinion. Car les théologiens qui enseignent que la juridiction épiscopale dérive immédiatement de Dieu admettent aussi sans contestation que cette juridiction est conférée avec une vraie et pleine dépendance du souverain pontife. » Billot, De Ecclesia, q. xv, De episcopis, § 1. cf. Colleclio Lacensis, t. vit, p. 472.0nvoit donc avec quelle réserveilfaut accueillir les réflexions tendancieuses de Schwane, Hist. des dogmes, tr. fr., t. v, p. 371-375, qui conclut assez légèrement que le concile du Vatican s’est prononcé contre la thèse médiatiste.