Dictionnaire de théologie catholique/ORDINATIONS ANGLICANES II. La controverse sur la validité des ordres

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 11.2 : ORDÉRIC VITAL - PAUL (Saint)p. 13-17).

II. La controverse sur la validité des ordinations ANGLICANES. —

I. AUX XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES. —

La discussion ne commença qu’au xvii c siècle : sous l’influence des doctrines calvinistes, les premiers anglicans n’attribuaient pas d’importance au caractère épiscopal ; ils ne voyaient guère dans l'épiseopat qu’une dignité utile pour le bon gouvernement de l'Église en Angleterre ; 1 évêque était un agent de la couronne. Pour les catholiques, la question avait été réglée par l’attitude de l'Église sous le gouvernement restaurateur de la reine Marie.

Il était inévitable cependant que la question fût posée. Kellison, An english survey of the new religion, Douai, 1603, et aussi. Examen novæ Rrformalionis, 1616, C. Ilolywood, De investiganda vera et visibili Christi Ecclesia, 1604, Fitzsimon, Britannomachia ministrorum, Douai, 1616, Champney, De vocatione miuislrorum, Douai, 1616, P. Talbot, The nullily of the prclalical clergꝟ. 1657, Erastus senior, 1662, sont les premiers qui réunissent les arguments que l’on invoquera dans la suite contre la validité des ordinations anglicanes. Ils font appel à la nullité de la consécration de Parker : inauthenticité du registre de Lambeth, historicité de la légende de l’auberge à la Tête de cheval, absence de consécration chez Barlow, insécurité du rite d’Edouard VI, en raison de ses nombreuses omissions, probabilité qu’il ne contient pas ce qui est nécessaire à une forme d’ordination valide, absence de toute croyance à la prêtrise et au sacrifice, défaut d’intention de faire ce que fait l'Église. Il convient de remarquer que la valeur du rite anglican était estimée d’après les idées de l'époque sur la matière et la forme du sacrement de l’ordre ; on regardait alors comme essentielle à la validité la porrection des instruments, accompagnée des paroles du Pontifical. Examiné à ce point de vue, le rite d’Edouard VI était certainement invalide. Ces attaques ne restèrent pas sans réponses : F. Mason, V indication of the ordinations of the Church of England, 1613, 2e éd., Paris, 1633 ; H. Prideaux, The validily of the orders of the Church of England, 1688 ; G. A. Burnet, Vindications of the ordinations of the Church of England, s’elTorcent de prouver que l'Église anglicane possède un véritable sacerdoce.

Au xviii siècle, la démonstration de la nullité des ordinations anglicane continue, avec R. de Vois, Justification de l'Église romaine sur la réordination des anglicans e’piscopaux, Paris, 1718 ; J. Constable, Clerophiles Alclhes, 1730. Mais déjà on voit paraître des justifications provenant, non seulement d’anglicans, mais de catholiques. Le Courayer publie, en 1723, à Bruxelles, une Dissertation sur la validité des ordinations des Anglais, puis, en 1726, une Défense de la Dissertation. Cet ouvrage est condamné par l'épiseopat français, puis par Benoît XIII, et réfuté par Lequien, Nullité des ordinations anglicanes, Paris, 1725, et par le P. Hardouin, La défense des ordinations anglicanes réfutée, Paris, 1727.

II. nu xixe siècle a nos. Jouas. — 1. Discussion de la question par les théologiens. 2. L’enquête à Rome. 3. La bulle Apostolicæ curæ. 4. Accueil fait à la bulle. 5. Les Conversations de Malines.

Discussion de la question par les théologiens.


Les conversions qui furent la conséquence du mouvement d’Oxford, le développement du ritualisme, devaient attirer de nouveau l’attention sur la question des ordinations anglicanes. Tout en discutant sur le fond, les partisans de la validité apportent le témoignage d'écrivains catholiques et même de papes en leur faveur. C’est ce que font T. G. Bailey, Défense of the holy Orders in the Church of England, Londres, 1870 ; F. G. Lee, The validily of the holy Orders in the Church of England, Londres, 1870 ; Butler, Rome’s tribule lo anglican Orders : a défense of the Church of England founded on the testimony of the roman authorities, Londres, 1893. Des réponses leur sont opposées par le P. Breen, Rome’s tribule to anglican Orders, dans la Dublin review, octobre 1893 ; par S. Smith, Rome’s wilness against anglican Orders, dans The Month, juillet 1893.

Ce n'était là qu’escarmouches. La controverse devait devenir très vive dans les années 1894-1896. Elle eut pour point de départ un sincère désir de réunion avec Rome chez certains membres importants de la communion anglicane, appartenant à la Haute-Église, union qui serait rendue plus facile, pensait-on, si le Saint-Siège pouvait revenir sur sa pratique antérieure et, sinon reconnaître la validité des ordinations anglicanes, du moins les considérer comme douteuses et n’imposer aux convertis qu’une ordination sub condilione.

Dès 1890, l’abbé F. Portai, lazariste, et Lord Halifax, anglican, qui s'étaient rencontrés à Madère, tombèrent d’accord pour attirer l’attention sur l’union de l'Église d’Angleterre à l'Église romaine, et choisirent comme premier point de discussion la question des ordinations. Ce fut l’abbé Portai qui se chargea de réaliser ce projet, en publiant dans la Science catholique, 15 décembre 1893, 15 janvier 1894 et 15 avril 1894, et en brochure, Les ordinations anglicanes. Le but poursuivi fut atteint : on discuta les arguments apportés. M. A. Boudinhon, Élude théologique sur les ordinations anglicanes, dans le Canoniste contemporain, juin et juillet 1894 ; De la validité des ordinations anglicanes, ibid., juillet et novembre 1895, et Mgr P.

Gasparri. De la valeur des ordinations anglicanes, dans la Revue anglo-romaine, t. 1, émettent des doutes sur la validité. Mgr L. Duchesne prend position pour la validité. Bulletin critique, 1894. Les anglicans Denny et Lacey publient, en latin, pour lui donner une plus grande diffusion, De hierarchia anglicana. Dissertalio apologetica, avec une préface de l'évêque de Salisbury, Londres, 1895. A Rome même, on s’intéressait à l’union des Églises : la Lettre encyclique de Léon XIII, Orientalium, 30 novembre 1894, sur l’union des Églises orientales, sa Lettre Pr.rclara, 20 juin 1894, avaient rendu plus vivant l’espoir de voir se rétablir l’unité cle l'Église.

En septembre 1894, l’abbé Portai était appelé à Rome. Il revint convaincu que Léon XIII était disposé à faire des ouvertures directes aux archevêques d’York et de Cantorbéry, s’il pouvait s’assurer des dispositions amicales des chefs de l'Église d’Angleterre. Une lettre du cardinal Vaughan, adressée à l’archevêque de Tolède et publiée dans le Times, où il affirmait la nullité des ordinations anglicanes et représentait l'Église d’Angleterre comme une secte protestante soumise au pouvoir civil, augmenta la méfiance de l’archevêque de Cantorbéry, qui doutait déjà de la réalité des dispositions favorables de Léon XIII. Cf. Vise. Halifax, Léo XIII and anglican Orders, p. 17.

Lord Halifax résolut alors de se rendre à Rome, mars 1895. Il fut reçu par Léon XIII, à qui il remit le De hierarchia anglicana et un mémorandum. Dans ce mémorandum, il rendait compte de l’entrevue que l’abbé Portai avait eue avec l’archevêque de Cantorbéry, donnait au pape l’assurance que toute proposition venant de Rome de faire discuter entre théologiens catholiques et anglicans la question des ordres serait bien accueillie, que l’envoi d’une lettre du SaintSiège aux archevêques d’York et de Cantorbéry produirait un effet excellent, que le moment de l’envoyer semblait venu, à cause de la réunion prochaine des évêques d’Angleterre, d’Amérique et des colonies, pour le treizième centenaire de la venue de saint Augustin. En fin d’audience, il fit allusion au bruit qui courait à Rome que le Saint-Office allait intervenir contre les ordinations anglicanes. Il s’agissait, en effet, des publications de l’abbé Portai et de Mgr Duchesne, que l’on disait déférées au Saint-Office. Cf. dom A. Gasquet, Leaves from my Dianj, p. 24-25. Léon XIII répondit qu’il n’en serait rien ; et. faisant allusion au De hierarchia anglicana, il dit qu’il étudierait lui-même la question. Une nouvelle audience était accordée à l’abbé Portai et à Lord Halifax, le 18 avril ; trois jours après, était publiée la Lettre Ad Anglos, 20 avril 1895, adressée, non pas aux archevêques d’York et de Cantorbéry, mais au peuple anglais. Le cardinal Vaughan avait réussi à détourner le pape de suivre le conseil que lui avait donné Lord Halifax. Cf. dom Gasquet, op. cit., p. 9 sq.

Son influence fut également prépondérante pour décider le pape à nommer une commission d’enquête, pour l'étude des ordinations anglicanes. Au mois de mai, Léon XIII était encore indécis ; il hésitait à faire examiner officiellement la question ; il était plutôt disposé à apporter, par bienveillance, un changegement à la pratique alors en usage. Mais le cardinal Vaughan pressa le souverain pontife de ne « rien changer à une pratique usitée dans l'Église depuis trois siècles, sans un examen approfondi et sans la coopération des représentants de l'Église catholique en Angleterre. » Dom Gasquet, op. cit., p. 35-37.

L’enquête à Rome.

A la fin de 1895, l’abbé

Portai que, sur le désir du pape et du cardinal Rampolla, ses supérieurs avaient fait venir à Paris, pour qu’il pût s’occuper plus facilement des questions an glicanes, commençait la publication de la Revue angloromaine, 15 décembre, qui devait donner un certain nombre d’articles sur les ordinations anglicanes. Enfin, au début de 1896, on apprit que Léon XIII avait décidé de nommer une commission pour enquêter sur la validité des ordres de l'Église anglicane. Le cardinal Vaughan avait envoyé à Rome le chanoine Moyses, dom Gasquet et le franciscain Flemming, chargés de défendre la position des catholiques anglais, opposés à la validité de ces ordres, comme à une réunion en corps de l'Église d’Angleterre à l'Église romaine ; cf. dom Gasquet, op. cit., p. 35. De l’autre côté, Rome désigna Mgr Gasparri, Mgr Duchesne et le P. de Augustinis, connus pour être favorables à leur validité. On leur adjoignit plus tard le P. Scannel et le P. J. Calasanzio de Llevaneras. Mgr Gasparri, afin de pouvoir se mieux documenter sur le côté historique de la question, demanda l’autorisation de communiquer par télégraphe avec Lacey, l’un des auteurs du De hierarchia. On jugea préférable de faire venir ce dernier à Rome, accompagné du P. Puller, de la Société de Saint-Jean l'Évangéliste de Cowley.

Ce n'était pas tout à fait ce qu’avaient espéré les promoteurs du mouvement qui auraient désiré l’institution d’une commission composée de catholiques et d’anglicans, ces derniers représentés par les évêques de Salisbury et de Peterborough ; cf. dom Gasquet, op. cit., p. 25. Néanmoins l'Église anglicane était représentée officieusement par Lacey et Puller. Sur la demande d’un des cardinaux qui devaient s’occuper de la question, Lacey composa un petit opuscule. De re anglicana, destiné à éclairer celui-ci sur l’histoire et la doctrine de l'Église anglicane qu’il ignorait. Dom Gasquet et le chanoine Moyses produisirent immédiatement, pour être distribué aux cardinaux, une Riposta ail' opuscolo De re anglicana ; cf. Lord Halifax, Léo XIII and anglican Orders, p. 360-367 ; Lacey, A roman Dianj, c. vii, The pamphlet De re anglicana and ils crilics. p. 195-249.

Les douze sessions de la commission eurent lieu du 24 mars au 7 mai 1896 ; cf. dom Gasquet, op. cit., p. 45-63. Il est difficile de dire ce qui s’est passé à la commission, le secret ayant été imposé aux consulteurs. On a certainement étudié de près le côté historique, puisqu’on a fait venir à Rome Lacey et Puller. Lord Halifax reproche à la commission d’avoir consacré la plus grande partie des séances à la discussion d’un point d’histoire, aujourd’hui incontestable, le sacre de Barlow, et de n’avoir examiné que superficiellement ce qui était essentiel et discutable, la validité des formules contenues dans l’Ordinal d’Edouard VI et l’intention des évêques consécrateurs, op. cit., p. 28-29 ; il s’en prend aux défenseurs de la validité des ordinations anglicanes, à qui aurait fait défaut « une information suffisamment pleine et exacte, sur l’histoire du xvi c siècle et les opinions théologiques en honneur à cette époque, information qui leur eût été nécessaire pour apprécier justement le rite anglican. » Op. cit., p. 29. L’ordre des discussions donné par dom Gasquet, op. cit., p. 45-63, et ce que l’on sait de la compétence historique et théologique de Mgr Gasparri, de Mgr Duchesne et du P. de Augustinis suffisent pour montrer combien ces allégations sont inexactes et injustes. Ces trois consulteurs inclinaient vers une réponse favorable aux ordres anglicans, et leurs mémoires furent rédigés dans ce sens. Les anglicans pouvaient croire la partie gagnée ; ils considéraient au moins comme impossible une déclaration de nullité absolue. Mais, « c’est quelquefois ce qui est impossible qui arrive », fit observer Scannel à l’abbé Portai. Lacey, op. cit., p. 70. Et. de fait, la thèse de la nullité, soutenue notamment par dom Gasquet. qu’inspirait le cardinal Vaughan. devait finir par triompher

Les conclusions et mémorandums de chacun des membres de la commission furent transmis, le 8 juin, à une commission de cardinaux. Ces derniers eurent un mois pour examiner la question. Le 6 juillet, ils furent convoqués à une séance solennelle ; ils furent unanimes à reconnaître que la question avait déjà été résolue par le Saint-Siège, et que les résultats de l’enquête montraient clairement avec quelle justice et quelle sagesse elle avait été réglée. Léon XIII avait longtemps espéré pouvoir donner à la question une réponse favorable, en considérant les ordres comme douteux, ce qui n’obligerait les convertis qu'à une ordination ad cautelam, ou pouvoir s’abstenir de prendre une décision nouvelle, laissant l’affaire dans le stalu quo. Mais elle avait trop agité les esprits ; il eût été dangereux de garder le silence. Léon XIII se réserva cependant encore trois mois de réflexion, après quoi il publia le 13 septembre 1896, la bulle Aposlolicæ curæ.

La bulle Aposlolicæ curæ.

Dans le préambule,

Léon XIII rappelle l’attention pleine de sympathie qu’il a accordée aux récents mouvements en faveur de l’union des Églises, ses efforts personnels pour réaliser cette unité, efforts qui ont trouvé leur expression dans la lettre qu’il a adressée « aux Anglais cherchant le royaume de Dieu dans l’unité de la foi », et dans la lettre destinée à tout l’univers sur les conditions de l’unité de l'Église. Touché du bon accueil que les anglicans ont fait à ses instances et à son indépendance de langage, il a apporté les mêmes dispositions bienveillantes à l'étude de la question présente. Malgré la pratique de l'Église, confirmant l’opinion commune que le sacerdoce avait cessé d’exister et que la succession apostolique avait disparu dans l'Église d’Angleterre, il lui a plu, en raison des controverses récentes, de prêter l’oreille à la voix de la charité apostolique et de remettre la cause en jugement, afin que « tout prétexte au moindre doute fut éloigné pour l’avenir ». Études, t. lxix, p. 290. (Les citations françaises de la bulle sont faites d’après la traduction donnée dans les Études reliyieuses, t. lxix, p. 289-302.)

C’est dans ce but qu’il a fait nommer une commission et qu’il a mis à la disposition des consulteurs les archives du Vatican et toutes les pièces se rapportant à la question.

Léon XIII expose ensuite les trois arguments qui l’ont amené à conclure à la non validité des ordinations anglicanes : la pratique de l'Église, l’insuffisance du rite et le défaut d’intention.

1. La pratique de l'Église. — Il examine en premier lieu les instructions données par Jules III et confirmées par Paul IV au cardinal Pôle, et l’usage que le légat a fait des pouvoirs qui lui avaient été concédés. C’est là l’origine de la discipline qui a été fidèlement observée pendant trois siècles, et que l’on peut regarder comme faisant loi : consuetudo oplima legum interpres.

Les décisions du Saint-Office de 1684 et de 1704 sont largement examinées. De cette étude il résulte que, dans l’affaire de 1704, l’ordination de Parker fut laissée de côté, que, après l’examen de l’Ordinal d’Edouard VI, on ne retint que le défaut de forme et d’intention, qu’on ne s’est pas appuyé sur l’absence de tradition des instruments ; dans ce cas, on aurait imposé la réordination sub conditione. Léon XIII fait remarquer que la sentence rendue s’appliaue à tous les cas, car elle avait pour fondement un vice de forme, vice de forme qui se retrouve dans toutes les ordinations anglicanes. La controverse avait donc déjà été l’objet d’une définition du Siège apostolique. Malgré cela, par indulgence et charité, on reprit l’examen de l’Ordinal.

2. L’insuffisance du rite — Dans les sacrements,

l'élément essentiel est constitué par ce qu’on a coutume d’appeler la matière et la forme. « Les sacrements de la nouvelle Loi étant les signes sensibles et efficaces d’une grâce invisible doivent signifier la grâce qu’ils produisent et produire la grâce qu’ils signifient. » Dans l’ordre, l'élément matériel est l’imposition des mains ; mais, trop vague par elle-même, elle doit être précisée par la forme. Or, chez les anglicans, la forme : Reçois le Saint-Esprit, ne désigne nullement, « de façon définie, le sacerdoce et ses grâces ou son pouvoir, pouvoir qui est surtout le pouvoir de consacrer et d’offrir le vrai corps et le vrai sang du Seigneur. Conc. Trid., sess. xxiii, de sacr. ord., can. 1, dans le sacrifice qui n’est pas une simple commémoration du sacrifice accompli sur la croix, Conc. Trid., sess. xxii, de sacr. miss., can. 3. » L’addition postérieure : Ad ofpcium et opus presbyteri, ne change rien ; elle montre l’insuffisance, reconnue par les anglicans eux-mêmes, de la première forme, et elle fut ajoutée un siècle trop tard. Les autres prières de l’Ordinal ne peuvent pas suppléer à cette insuffisance ; on y a retranché à dessein tout ce qui, dans le rite catholique, indique clairement la dignité et les fonctions du sacerdoce.

Le même raisonnement vaut pour la consécration épiscopale : les mots, Ad officium et opus episcopi. furent ajoutés trop tard à la formule Accipe Spirilum Sanctum. Ils n’ont d’ailleurs pas le même sens que dans la formule catholique, puisque, dans la prière du préambule, on a retranché les mots qui désignaient le sacerdoce suprême. Il est donc, inutile de rechercher si, en l’absence d’un véritable sacerdoce, l'épiscopat aurait pu être conféré validement, per saltum ; car, là où il n’y a pas de sacerdoce, il ne saurait être question de sacerdoce suprême, de plénitude du ministère sacré ; le rite de la consécration épiscopale n’est pas capable de conférer le sacerdoce.

Les circonstances dans lesquelles l’Ordinal a été établi et déclaré loi font encore mieux apprécier sa déficience. La liturgie a été défigurée par l’introduction des erreurs des novateurs ; il n’y est fait aucune mention du sacrifice, de la consécration, du sacerdoce, du pouvoir de consacrer et d’offrir le sacrifice ; on a supprimé dans les prières qui ont été conservées du rite romain tout ce qui y faisait allusion. C’est donc en vain qu’on s’efforce de donner à l’Ordinal un sens acceptable ; si quelques mots paraissent ambigus, ils ne peuvent recevoir la signification qu’ils ont dans le rite catholique. Si un rite nouveau dénature le sacrement de l’ordre, s’il répudie toute notion de consécration et de sacrifice, il n’y a plus de vérité dans la formule Accipe Spirilum Sanclum, et les mots ad officium et opus presbyteri ou episcopi perdent leur valeur. La plupart des anglicans rejettent d’ailleurs l’interprétation que certains leur donnent pour les mettre d’accord avec le rite catholique.

3. Le défaut d’intention.

« L'Église ne juge pas de la pensée ou de l’intention, en tant qu’elle est quelque chose d’intérieur ; mais elle doit en juger en tant qu’elle se manifeste extérieurement. Lorsque quelqu’un a employé sérieusement et comme il faut la matière et la forme nécessaires pour faire et conférer un sacrement, il est par là même censé avoir eu l’intention de faire ce que fait l'Église… Si le rite est modifié dans le dessein manifeste d’en introduire un autre, non admis par l'Église, et de rejeter ce que fait l'Église et ce qui par l’institution du Christ appartient à la nature du sacrement, il est alors évident que, non seulement l’intention nécessaire fait défaut, mais encore qu’il existe une intention contraire et opposée au sacrement. »

La sentence. — Toutes ces choses, Léon XIII les a examinées ; il les a étudiées avec les cardinaux de la Congrégation Suprema, réunis le 16 juillet. Tous ont

reconnu propnsitam causant jam pridem ub apostolica

Série pie ne fuisse et cognitam et juriieatam : ejus autem ilenuo inslituta actaque quæstionc, emersisse illustrius quunlo illa juslitiæ sapientiseque pondère, lotam rem absolvissel.

Cependant, après cette déclaration des cardinaux, Léon XIII hésitait encore et se demandait si une nouvelle intervention du Saint-Siège était utile. « Considérant ensuite que ce point de discipline, quoique déjà défini canonique ment (idem eaput disciplina', etsi jure jam definitum) est remis en question par quelques-uns, quel que soit leur motif, et qu’il en pourrait résulter une cause de pernicieuses erreurs pour plusieurs qui penseraient trouver le sacrement de l’ordre et ses fruits, là où ils ne sont aucunement, il nous a paru bon dans le Seigneur de publier Notre sentence :

Itaque omnibus pontifieum deeessorum in hac ipsa causa decretis' usquequaque assentientes caque plenissime confirmantes ac veluti rénovantes auctoritate noslra, motu proprio, eerta scientia, pronunciamus et declaramus, ordinaliones ritu anglicano actas, irritas prorsus fuisse et esse omninoque nullas.

L’encyclique se termine par une paternelle exhortation à ceux qui souhaitent et recherchent avec une volonté sincère les bienfaits des ordres et de la hiérarchie, les invitant à revenir au bercail du Bon Pasteur ; le souverain Pontife fait un pressant appel surtout aux membres de la hiérarchie anglicane, qui ont à cœur la gloire de Dieu et le salut des âmes.

4° Accueil fait à la bulle Aposlolicw curæ. - — Les anglicans furent déçus. Écrivant à l’abbé Portai, fin septembre 1896, Lord Halifax disait : « Toute la sympathie que l’on avait pour Léon XIII a disparu d’un coup. Il nous dirait à ce moment les choses les plus aimables, qu’on ne lui répondrait pas. Il faut bien le dire, nous avions, tout le monde en convient, réussi d’une manière vraiment merveilleuse, à créer un désir d’union. Le rapprochement vers Rome, même après l’encyclique, était très grand, tout était bien préparé. Le pape avait le jeu, pour ainsi dire, dans ses mains… Une démarche du pape, l’année prochaine, pouvait tout enlever, et. maintenant, c’est fini. » Op. cit., p. 369-370.

Le 19 février 1897, une réponse à la bulle Aposlolicæ curæ était envoyée à tous les évoques de l'Église catholique, au nom des archevêques d’Angleterre : Responsio archiepiscoporum Angliie ad litleras aposlolicus Leonis XIII de ordinibus anglicanis universis Ecclesim catholicæ episcopis inscripta. Cf. le texte dans Lacey, A roman Diary, p. 354-394. Le but de la lettre est indiqué au § n : Opus ergo quod nobis necessario incumbit « in spiritu lenitatis » agredimur ; et majoris momenli ducimus ut doctrina noslra de sacris ordinibus et ceteris ad eos perlinenlibus ad futuram rei memoriam palam fiai, quam ut victoriam ex alia Ecclesia Christi in controversia reportemus. Controversise tamen forma lus litleris dari necesse est, ne quis dical nos argumenlorum ex alia parte prolatorum aciem évitasse. Lacey, op. cit., p. 357. Ils reprennent, pour les discuter, les trois preuves invoquées par Léon XIII, insistant davantage sur le cas Gordon, dans l’appendice. La réponse envoyée à cette lettre par Léon XIII, le 20 juin 1897, cf. Lacey, op. cit., p. 395-397, montre le manque de fondement des plaintes de Lord Halifax et l’erreur des chefs de l'Église anglicane, qui n’ont pas considéré quel devait être le devoir du chef de la chrétienté. Le pape devait juger la question uniquement d’après les principes du dogme catholique. Nos quæstionem de veslris ordinationibus haud aliter potuisse aggredi dirimendam atquc ex præscriptis callwlici dogmalis. Enfin, vers la fin de 1897. le cardinal Vaughan et les évêques catholioues d’Angleterre publiaient, en réplique aux archevêques anglicans, une

défense de la bulle de Léon XIII : The vindication of the bull Aposlolicæ curæ, reprenant l’examen des motifs extrinsèques et intrinsèques sur lesquels s'était appuyé Léon XIII, pour porter sa sentence.

La décision pontificale a mis fin à l’espoir d’une réunion en corps de la Haute-Église à l'Église romaine. Elle « a contristé un bon nombre d’anglicans parmi les meilleurs ; mais beaucoup d’autres, et parmi eux de nombreux évêques, ont reconnu que Rome était fidèle à elle-même, et que la loyauté ne lui permettait pas d’agir autrement qu’elle l’a fait. » J. de la Servière, La controverse sur la validité des « ordinations anglicanes », dans les Éludes, t. cxxxii, p. 665.

Parmi les catholiques, les promoteurs de la controverse se soumirent à la décision pontificale. La Revue anglo-romaine fit précéder la publication de la bulle de cette déclaration : « Léon XIII, après une enquête dont il nous dit lui-même la longueur et l’impartialité, ferme la controverse et nous indique les conclusions que tout catholique doit admettre et défendre. La Revue anglo-romaine, dont l’attachement et la soumission au Saint-Siège n’ont jamais été suspects, défendra pour cette question, comme pour les autres, la sentence de l'Église catholique et romaine, mère et maîtresse de toutes les Églises. » T. ni, p. 337. Cependant des anglicans et quelques catholiques français avaient cru pouvoir émettre l’opinion que la décision pontificale n'était pas définitive et que, par le fait, elle pourrait un jour être modifiée. Dans une lettre, adressée le 5 novembre 1896 au cardinal Richard, Léon XIII affirme que son intention a été de juger absolument et de trancher définitivement le point en litige ; consilium fuit absolute judicare penitusque dirimere. Idque sane perficimus eo argumenlorum pondère eaque formularum lum perspicuitale tum auctoritate, ut sententiam Noslram nemo prudens recteque animatus compellere in dubitationem posset, catholici autem omnes omnino deberent obsequio amplecti, tanquam perpetuo firmetm, ratam, irrevocabilem. Canoniste contemporain, 1897, p. 380-381. La Revue anglo-romaine était directement blâmée dans cette lettre : sunt namque in ejus scriploribus qui cjusdem eonstitutionis virtutem non ut par est luentur alque illustrant, sed infirmant polius tergiversando et disceplando. Elle cessa aussitôt de paraître.

Le P. Sidney Smith, Ordinations anglicanes, dans le Dict. apol. de la foi cathol., t. iii, col. 1224, voit dans la décision de Léon XIII un jugement portant sur un fait dogmatique, et par conséquent infaillible : il appuie son affirmation sur une comparaison avec la distinction du droit et du fait admise par les jansénistes, à propos des cinq propositions de Jansénius, et condamnée par la bulle Vinea Domini de Clément XL Mais, dans ce dernier cas, il s’agit d’une question doctrinale ; ici, Léon XIII le dit nettement, est en jeu un point de discipline : idem capul disciplina', elsi jure jam definitum. Dans le prononcé de la sentence, il dit : auctoritate noslra, motu proprio, scientia cerla : la pleine connaissance de la cause, la certitude de la déficience de la forme et de l’intention, sont les motifs du jugement de condamnation qu’il a porté. Dans la lettre au cardinal Richard, il s’appuie encore, pour déclarer la sentence irréformable, sur « le poids des arguments, sur la pleine obéissance qui est due par les catholiques. » Cela suffit pour que la sentence soit considérée comme irréformable : les preuves sur lesquelles elle est fondée conserveront toujours leur valeur. Elle s’impose donc en elle-même et, de plus, en vertu de l’autorité qui l’a rendue : les décisions prises par le chef de l'Église sont obligatoires même si elles ne sont pas infaillibles.

5° Les Conversations de Malines. - — « Les archevêques, évêques de la métropole et autres évêques de

la sainte Église catholique, en pleine communion avec l'Église d’Angleterre », présents à la conférence de Lambeth, en 1920, au nombre de 252, adressèrent, sous la signature de l’archevêque de Cantorbéry, un Appel à tous les membres de la chrétienté. Il y est fait allusion, de façon vague et générale, à la question des ordinations. Les auteurs de l’Appel se déclarent persuadés que les évêques et le clergé de leur communion sont prêts, en vue de l’union, si toutes choses par ailleurs sont réglées relativement à la doctrine et si l’accord est conclu sur un régime de discipline, à accepter des autorités des autres Églises ce que cellesci jugeraient nécessaire pour que le ministère du clergé anglican fût reconnu par elles : We are persuaded that, terms of union having been otherwise satisfactorily ajusted, bishops and clergij of our Communion would willingly accept from thèse authorities a form of commission or récognition which would commend our ministry to their congrégations as having ils place in the one famihj lije. An appeal to ail Christian people, § 8, dans Lord Halifax, The Conversations at Matines, 1921-1925, Londres, 1930, p. 65-70.

Cette attitude nouvelle de l'épiscopat anglican retint l’attention des catholiques et des anglicans présents aux Conversations qui eurent lieu à Malines, les années suivantes. Amorcée à la Première conversation, 6-8 décembre 1921, la question des ordinations fut reprise à la Deuxième conversation, 14-15 mars 1923. Présidées par S. E. le cardinal Mercier, ces deux assemblées comprenaient, du côté catholique, Mgr Van Roey, vicaire général, et M. Portai, prêtre de la Mission, et, du côté anglican, Lord Halifax, le Tr. Rev. A. Robinson, doyen du chapitre de Wells et le Rev. Fr. W.-H. Frère, de la communauté de la Résurrection.

On établit d’abord la véritable portée de la phrase de V Appel traitant des ordinations. Le Rev. A. Robinson, à la suite du P. Frère, fit remarquer que ce à quoi « on a pensé d’abord, ce n’est pas aux Églises épiscopales, mais plutôt à d’autres, comme, par exemple, aux presbytériens d’Ecosse qui prétendent avoir un ministère presbytéral venant des Apôtres, ou encore aux méthodistes, qui se servent dans une large mesure du Prayer Book de l'Église d’Angleterre. Nous les avons invités à régulariser leur ministère par une ordination épiscopale, et nous avons offert de notre côté d’accepter notre ministère auprès de leurs fidèles. L’offre ainsi exprimée en termes généraux amena la conviction que nous devions être prêts à accepter une régularisation de notre position, si les autorités des Églises d’Orient ou de Rome le jugeaient nécessaire. » Réunion du 7 décembre 1921, Lord Halifax, op. cit., p. 23-24.

Ce qui serait jugé nécessaire par les autorités catholiques, Mgr van Roey l’expose dans un sens légèrement différent de celui de l’encyclique Apostolicæ curæ, qui exigeait une réordination absolue. Il indique que la « rectification admise par la conférence de Lambeth pourrait se faire par l’imposition des mains sous condition, d’abord pour l’archevêque de Cantorbéry par le pape ou par son légat et, ensuite, par l’archevêque pour ses suffragants ». Réunion du 14 mars 1923, Lord Halifax, op. cit., p. 32. Lord Halifax aurait voulu que l’on se contentât d’une rectification par la porrection des instruments, après quelque déclaration qui mettrait hors de doute l’intention de l'Église anglicane. Mais Mgr Van Roey fit remarquer que, les ordinations anglicanes étant au moins douteuses objectivement, l’imposition des mains, tout au moins sous condition, serait jugée nécessaire. Et, comme, au témoignage du Rev. Robinson, répondant à une question du cardinal Mercier, l’archevêque de Cantorbéry se résignerait à accepter de telles conditions, on conclut que c'était dans ce sens qu’il fallait diriger les

efforts de conciliation entre catholiques et anglicans, sans rouvrir cependant, comme le Rev. Robinson en exprimait le vœu, la discussion sur la validité de ces ordinations. Le point essentiel qui ressort de cet échange de vues, c’est que désormais « il n’y aurait pas de difficulté de la part des évêques anglicans à accepter tel élément d’ordination qui paraîtrait nécessaire à l'Église romaine pour mettre hors de doute, aux yeux de tous, la validité de leur ministère (ministry) », Mémoire présenté par les catholiques présents à la conférence de Malines des Il et 12 octobre 1926. Compte rendu des Conversations de Malines de 1921192 j, dans Lord Halifax, op. cit., p. 299. Ce mémoire était présenté par Mgr van Roey, archevêque de Malines, M. Portai, Mgr Batilïol et M. l’abbé Hemmer.