Dictionnaire de théologie catholique/OLIER Jean-Jacques III. Doctrine

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 11.1 : NAASSÉNIENS - ORDALIESp. 496-500).

III. Doctrine. — La doctrine de J. J. Olier est celle de l'école française dont, les premiers maîtres furent le P. de Bérulle et le P. de Condren. Voir cidessous l’art. Oratoire. Il a su en exprimer parfaitement les principes et en faire les applications les plus pratiques. Dirigé pendant plusieurs années par le P. de Condren, il se rattache plus étroitement à lui : il dit lui-même qu’il hérita de son esprit.

Le centre de cette spiritualité de l'école française est le Verbe incarné dont le P. de Bérulle mérita d'être appelé l’apôtre par le pape Urbain VIII. En entendant des auteurs graves, comme le P. Bourgoing ou le P. Amelote, affirmer dans ce même sens que le P. de Bérulle eut pour mission de » faire connaître Jésus-Christ au monde, qu’il a renouvelé l’application des esprits à Jésus-Christ » on n’est pas sans éprouver quelque étonnement. Toute spiritualité ne converge-t-elle pas vers Jésus-Christ, l’HommeDieu, vers le mystère de l’incarnation ? Les mystiques du Moyen Age ont aimé singulièrement JésusChrist, le Verbe incarné. L'étude et l’amour de JésusChrist se seraient-ils ensuite obnubilés parmi les chrétiens sous l’influence de la Benaissance païenne, ou les spéculations métaphysiques des docteurs catholiques des xv c et xvr siècles, auraient-elles lait trop oublier Jésus-Christ ? On l’a dit. Cependant le 9 73

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succès du mouvement déterminé par les enseignements du P. de Bérulle, du P. de Condren, de M. Olier, tient surtout au caractère même de cette doctrine spirituelle. Cf. H. Bremond, Hist. lilt. du sentiment religieux, t. iii, p. 46 sq.

Pour le mieux comprendre il nous faut remonter à la source de toute spiritualité, l’Évangile. Il apparaît à première vue que la doctrine spirituelle dans saint Jean et dans saint Paul présente un autre aspect que dans les synoptiques. Dans ces derniers elle paraît plus simple, plus élémentaire, comme un enseignement préparatoire par rapport à un enseignement supérieur. C’est « l’enseignement élémentaire sur le Christ », Hebr., vi, 1, qui le considère plus par le dehors et dans son action extérieure que dans sa nature et son action intime. Les synoptiques se tiennent pour ainsi dire au rez-de-chaussée et ne montent pas dans la chambre haute des mystères, des choses célestes. Ce sont les terrena par rapport aux cœlestia. Joa., iii, 12.

Dans les synoptiques, la vie chrétienne nous est présentée comme une imitation de la vie du Christ. Il faut marcher à sa suite, imiter ses exemples, l’humilité, l’obéissance, le sacrifice de soi, etc., qu’il a fait paraître dans les diverses actions de sa vie. Dans les épîtres de saint Paul surtout, et dans l’évangile de saint Jean, la vie chrétienne n’est pas seulement une imitation de Jésus-Christ, elle est une communion de vie avec lui. Toute la grâce est en Jésus-Christ dans sa plénitude ; c’est de lui que nous recevons tout ; et nous recevons cette grâce pour entrer dans les dispositions mêmes du Christ, y communier, pour participer à ses mystères et en reproduire en nous les états. C’est le Christ qui vit en nous. Dans un corps, c’est le même sang qui circule dans la tête et les membres, dit saint Paul. C’est la même sève, dit de son côté saint Jean, qui monte du cep dans les rameaux.

Les différentes écoles de spiritualité ont insisté de préférence sur l’un ou l’autre de ces aspects. Mais la recherche particulière d’un de ces aspects n’exclut pas l’autre. L’imitation aboutit à la communion ; la communion entraîne l’imitation ; seulement l’accent est mis soit sur l’imitation soit sur la communion. La première méthode met plus en relief l’effort de l’homme qui marche vers le Christ et tâche de reproduire le modèle. La deuxième fait ressortir davantage la part de la grâce. Les obstacles à cette grâce sont écartés par le renoncement ; et on y répond en communiant aux dispositions intérieures du Christ. Au lieu de marcher vers le Christ, nous l’attirons en nous.

La catéchèse élémentaire, conservée dans les synoptiques, ne parle guère que de suivre Jésus-Christ, au prix même de tous les sacrifices, et. d’imiter les vertus dont il nous a donné l’exemple. C’est un évangile de conquête et de première formation des fidèles. Saint Paul, après avoir prêché, comme les autres apôtres ou disciples du Christ, la première catéchèse dont on trouve des traces çà et là dans ses lettres, s’attache surtout à mettre en relief le second aspect de la vie chrétienne, plus profond, plus intime, plus mystique. Il en est de même de saint Jean.

Suivant que les Pères ou les auteurs spirituels s’attachent aux synoptiques ou à saint Paul, ils appuient sur l’un ou l’autre de ces deux aspects de la vie chrétienne. On peut dire qu’au xvie siècle les Exercices spirituels ont porté l’accent sur le premier aspect. Saint Ignace est un soldat qui conserve les images de la vie guerrière pour décrire la vie chrétienne. Le Christ est pour lui un chef, qui marche devant nous avec son étendard ; il faut le suivre, l’imiter. Las Exercices sont une œuvre de conquête, comme les synoptiques : il faut ramener à la pratique de la vie chrétienne les gens du monde, il faut les entraîner

à se convertir et à servir Dieu. Ce côté plus accessible de la vie chrétienne est mis surtout en lumière, l’autre restant à l’arrière-plan.

Cherchant plus directement à conduire à la perfection les âmes déjà données à Dieu, Bérulle, Condren, Olier ont mis l’accent sur la vie d’union, la communion aux dispositions du Verbe incarné. Ils se rattachent directement à saint Paul dont ils avaient fait une étude spéciale. Les ouvrages de M. Olier sont tout parsemés de textes de l’Apôtre. Ce n’est pas à dire qu’on ne puisse atteindre à la plus haute perfection avec la première méthode, qui s’éclaire plus ou moins consciemment des lumières de l’autre aspect plus profond de la vie chrétienne, de même que les synoptiques, qui furent écrits directement pour la première formation des fidèles, grâce à la lumière des enseignements de saint Paul et de saint Jean, laissaient entrevoir des profondeurs d’abord insoupçonnées.

Le principe fondamental de la doctrine du P. de Bérulle et de l’école française de spiritualité est tiré de l’intime même du mystère de l’incarnation. Cf. Pourrat, La spiritualité chrétienne, t. iii, p. 510. En Jésus-Christ la nature humaine ne s’appartient pas : privée de personnalité propre, elle est à la personne divine du Verbe. « L’humanité sainte de Notre-Seigneur, écrit M. Olier, Pensées choisies, p. 40, est anéantie comme personne ; elle n’a pas d’intérêts particuliers et ne peut agir pour soi. La personne du Verbe à laquelle elle appartient voit et recherche en tout les intérêts de son Père. Ainsi en est-il du vrai chrétien. » Cf. Catéchisme chrétien, part. I, leç. xx. Il ne peut être tout à Dieu qu’à la condition de renoncer à lui-même, cesser pour ainsi dire de s’appartenir. De là les deux aspects de la vie chrétienne : le renoncement et l’union ou adhérence à Jésus-Christ. « La vie chrétienne a deux parties, la mort et la vie. La première sert de fondement à la seconde. Cela est réitéré dans les écrits de saint Paul, particulièrement dans le 6e chapitre de l’Épître aux Bomains… et en mille autres endroits il répète ces deux membres de l’état chrétien, en sorte toutefois que la mort doit toujours précéder la vie. Et cette mort n’est autre que la ruine entière de tout nous-même, afin que, tout ce qu’il y a d’opposé à Dieu en nous étant détruit, son esprit s’y établisse dans la pureté et dans la sainteté de ses voies. » Introd. à la vie chrét., c. m.

Le renoncement s’impose donc. Il s’impose à l’homme à titre de créature et à titre de pécheur. La créature tirée du néant tend au néant par sa condition. C’est sur ce néant de nature en face de l’infinie grandeur de Dieu, que le P. de Condren insiste particulièrement. Dans son Catéchisme chrétien, part. I, leç. xi, et dans son Introduction à la vie et aux vertus, c. xi, sect. 8 et 9, en parlant de l’afnour-propre, de l’esprit de propriété, M. Olier touche ce motif. Mais il insiste plutôt sur le néant de grâce ou le péché, soit le péché originel, qui après le baptême laisse en nous des tendances au péché, soit le péché actuel.

Avant sa chute, Adam se trouvait établi par les dons de Dieu dans un état d’innocence et de rectitude, dans un parfait équilibre de sa nature : les sens obéissaient à la raison et la raison à Dieu. Le péché a rompu cet équilibre. De là l’opposition entre la chair et l’esprit, plus ou moins violente selon les tempéraments. Sur cette opposition, M. Olier, à la suite de saint Paul, insiste fortement. Catéchisme chrétien, leç. xvi-xviii. Le baptême sans doute a redressé l’âme qui n’est plus en opposition avec Dieu. Mais la vie de. l’esprit qu’il communique à l’âme est combattue par la vie de la chair. C’est le duel entre l’homme nouveau et le vieil homme lequel n’est jamais entièrement détruit. La lutte demeure plus ou moins vive 97 ;

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selon la fidélité aux inclinations de l’Esprit. De lu la nécessité de la mortification.

En parlant de la malignité de la chair, de la corruption de la nature déchue, M.. Olier emploie parfois des expressions qui, prises à la rigueur de la lettre, paraissent trop absolues, trop pessimistes. Il est vrai qu’elles sont dans le ton d’un bon nombre de saints auteurs de son temps, par réaction sans doute contre les excès de l’humanisme de la Renaissance. Le cardinal Bona, saint Vincent de Paul, saint Jean Eudes ont des expressions semblables. Il en est de même des auteurs mystiques des temps antérieurs. Cf. Icard, Doctrine de M. Olier, c. v, et P. Faber, Progrès de l'âme, c. xx, note. Les auteurs mystiques n’ont pas toujours sur cette question la rigueur et la précision de termes des théologiens : c’est que, se plaçant au point de vue, non uniquement du péché proprement dit, mais de la perfection, la simple imperfection leur paraît, comme aux saints, une énormité en face de la sainteté infinie de Dieu.

/ 'nion, adhérence à Jésus-Christ. — Le renoncement, la mortification ne sont pas le but : ce n’est guère qu’un moyen pour écarter les obstacles à la vraie vie. Il faut dépouiller le vieil homme pour revêtir le nouveau qui est Jésus-Christ. Cette doctrine de l’apôtre est fortement commentée dans le Catéchisme chrétien, V Introduction ù la vie et aux vertus etc., « Quand nous nous dépouillons de nous-mêmes, nous sommes revêtus de Jésus-Christ par une consécration totale à Dieu, car dans le moment où la sainte humanité était anéantie en sa propre personne, on lui donnait la plénitude de la divinité, et une capacité infinie pour recevoir les opérations de l’Esprit. » Pensées choisies, p. 40. Revêtir Jésus-Christ, c’est lui être conforme, c’est reproduire en nous les dispositions de Jésus-Christ, participer aux mystères de sa vie.

Participation aux mystères du Christ. — Ces mystères sont les événements principaux de la vie du Christ comme son incarnation, son enfance, sa passion, sa mort, sa sépulture, sa résurrection, son ascension. Toutes les actions principales de la vie de NotreSeigneur sont des mystères. Mais M. Olier, dans son Catéchisme pour la vie intérieure, s’arrête à ceux que nous venons d'énumérer, sauf l’enfance dont il parle dans ses lettres. Dans ses Mémoires, il mentionne le mystère de la présentation de Notre-Seigneur au temple, uni à celui de la purification de la sainte "Vierge. Ces mystères extérieurs sont « des symboles efficaces de la vie chrétienne », « comme des sacrements des mystères intérieurs qu’il opère dans les âmes ». « Comme Notre-Seigneur a été crucifié extérieurement, il faut que nous le soyons intérieurement. Comme il a été mort extérieurement, il faut que nous le soyons intérieurement, etc. » Et cette vie intérieure exprimée par les mystères extérieurs et les grâces acquises par ces mêmes mystères doivent être en tous, puisqu’elles ont été méritées pour tous.

Comme on le voit, c’est bien la doctrine même de saint Paul. Avec lui il va plus avant encore. Nous devons aussi être conformes à Vintérieur de JésusChrist en ses mystères, en sorte que nos âmes soient rendues conformes aux états, c’est-à-dire aux dispositions et sentiments intérieurs que Notre-Seigneur avait dans ces mêmes mystères. C’est là proprement la vie chrétienne. Le chrétien doit vivre intérieurement par l’opération de l’Esprit en la manière que JésusChrist vivait. Introduction à la vie et aux vertus, c. n et m.

Le serviteur de Dieu se plaît à exposer l’effet, la grâce de chacun de ces mystères. Dans le mystère de l’incarnation, mystère d’anéantissement de l’humanité en sa propre personne, appartenant à la

personne du Fils de Dieu, cette humanité est totalement consacrée à Dieu. Ainsi le mystère de l’incarnation doit opérer en nous un entier dépouillement et renoncement à tout nous-mênie, et de plus une consécration totale à Dieu. Par ce mystère d’anéantissement devant l’infinie majesté de Dieu, le Christ est le seul vrai et parfait adorateur de Dieu, le religieux de Dieu ; il nous fait participer à cet état d’adoration. L’adoration, la religion, étant le principal devoir du prêtre, c’est dans son Traité des saints ordres et dans l’Explication des cérémonies de la messe de paroisse que M. Olier se complaît à développer cette doctrine. Le même sentiment lui a inspiré l’admirable prière « pour le saint office » dans la l re partie de la Journée chrétienne et la merveilleuse lettre où il explique la signification du chant de l'Église. Lettres de J. J. Olier, t. ii, 1885, p. 587-589. Voir aussi la belle prière en l’honneur de la Sainte Trinité, qui est donnée comme prière du matin dans la Journée chrétienne.

Le second mystère est celui de Venfance du Christ, passé sous silence dans le Catéchisme chrétien, mais exposé dans les lettres exiv, cxv, ccclxxii (édit. 1885). Ces lettres ont été écrites à la suite de l’union spirituelle, formée par la dévotion à l’Enfant Jésus, entre Marguerite du Saint-Sacrement, carmélite de Beaune, et le serviteur de Dieu. C’est alors qu’il manifesta une plus grande application à ce mystère. Aussi dans son Pietas seminarii il en fait une des dévotions de son séminaire. Les grâces de ce mystère sont : l’innocence, la pureté, la simplicité, l’obéissance. Un des disciples de M. Olier, Jean Blanlo, a exposé la doctrine de l’enfance chrétienne dans un petit volume devenu classique sur la matière, intitulé : L’enfance chrétienne qui est une participation de l’esprit et de la grâce du divin Enfant Jésus, Verbe incarné, opuscule plein d’onction et d’un fort bon style, très fréquemment et actuellement encore réédité.

Les mystères de mort. — Les mystères du crucifiement de la mort et de la sépulture du Christ expriment les degrés de l’immolation totale par lequelle nous devons crucifier le vieil homme, nous efforcer de le faire mourir et de l’ensevelir. Le serviteur de Dieu n’eut qu'à suivre les enseignements et les expressions mêmes de saint Paul sur ces mystères de Jésus-Christ. Nous sommes crucifiés avec lui (confixus, Gal., ii, 19), morts avec lui (commortui, II Tim., ii, 11), ensevelis avec lui (consepulti, Rom., vi, 4 ; Col., ii, 12). Les mystères du crucifiement, de la mort, et de la sépulture du Christ, en nous donnant cet enseignement nous communiquent la grâce pour les réaliser en nous. Catéchisme chrétien, part. I, leçon xxi ; Pensées choisies, p. 47-48.

Mystères de vie. — Les mystères de la résurrection et de l’ascension expriment le détachement parfait des créatures dans la vie nouvelle et toute céleste que nous devons mener à la suite du Christ. Nous sommes vivifiés et ressuscites avec lui (convivificavit, conresuscitavit, Eph., ii, 5 ; Col., ii, 13), glorifiés avec lui, assis avec lui dans le ciel et régnant avec lui (conglorificemur, consedere fecit, conregnabimus, Rom., viii, 17 ; Eph., ii, 6 ; II Tim., ii, 12). L’ascension complète l'état de la résurrection et le fixe.

Pour honorer non seulement ces mystères du Christ mais aussi tous ses états et dispositions intérieures, le P. de Bérulle avait institué la fête de la Solennité de Jésus. A Saint-Sulpice cette fête fut appelée la fêle de la vie intérieure de Notre-Seigneur. « Cette vie intérieure de Jésus-Christ, dit M. Olier, consiste dans ses dispositions et sentiments intérieurs envers toutes choses, par exemple dans sa religion envers Dieu, dans son amour pour le prochain, dans son anéantissement par rapport à soi-même, dans son horreur pour le péché et dans sa condamnation du

monde et de ses maximes. Catéchisme chrétien, leçon i ; Introduction à la vie, e. n et m. Pour exprimer cette dévotion à la vie intérieure de Notre-Seigneur. M. Olier adopta la prière que lui avait apprise le P. de Condren et la compléta : O Jésus vivens in Maria. Paillon, Vie de M. Olier, 4e édit., t. i, p. 168. Pour faciliter la pratique ce l’union à Notre-Seigneur, non seulement dans ses mystères principaux, mais en toutes ses actions, il composa la Journée chrétienne que H. Bremond appelle le Génie du Bérullisme et dont il exalte le rythme mystique et lyrique. Hist. litt., t. iii, p. 462 sq. Qui agira et vivra ainsi en union journalière, constante avec Jésus-Christ, pourra dire avec saint Paul : « Le Christ est ma vie », et réalisera la maxime de la Pietas seminarii : Vivere somme Deo in Christo Jesu.

Le christianisme, dit M. Olier, consiste, en trois choses : avoir Notre-Seigneur devant les yeux, dans le cœur et dans les mains, ("/est là, en même temps qu’une règle de vie, une méthode d’oraison : « Regarder Jésus, s’unir à Jésus, et opérer en Jésus. Le premier porte au respect et à la religion ; le second à l’union ou à l’unité avec lui, le troisième à l’opération, non pas solitaire mais jointe à la vertu de Jésus-Christ que nous avons attiré en nous par la prière. Le premier s’appelle, adoration, le second, communion, le troisième, coopération. »

Mystère de l’eucharistie. — Le « mémorial de tous les mystères du Christ » c’est l’eucharistie. « L’esprit intérieur qui les vivifie y est présent. Là il nous donne en nourriture tous ses mystères et nous communique leur vie et leur vertu. » Pietas seminarii, iv, ix. Pour M. Olier, la véritable formation du prêtre s’opère surtout par une participation à l’état de Jésus-Christ au Très Saint-Sacrement. Sa vocation, étant de former des prêtres dans les séminaires, demandait qu’il eut une dévotion toute particulière au Saint-Sacrement et une grâce spéciale pour la communiquer. « Priant sur le Saint-Sacrement, il me fut montré qu’il fallait former des prêtres auxquels on devait inspirer la dévotion et le zèle de la gloire du Très SaintSacrement pour le porter partout. Il me fut mis devant les yeux xiii homme toujours priant et d’un autre côté des prêtres grimpant par les montagnes et portant avec zèle dans les lieux les plus pauvres la piété au très auguste Sacrement. » Mémoires, i, 75. Il était persuadé avoir reçu cette grâce de Notre-Seigneur. En 1642, après la fondation du Séminaire, il écrit dans ses Mémoires (ni, 72) : « Notre-Seigneur me faisait voir que deux personnes avaient déjà travaillé à le faire honorer dans ses mystères, à savoir : Mgr de Kérulle pour faire honorer son incarnation, le P. de Condren, sa résurrection, et qu’il voulait que je le fisse honorer en son Saint-Sacrement et pour cela qu’il me voulait donner la grâce et l’esprit de ce divin mystère, m’apprenant à vivre conformément à ce divin mystère et l’apprendre encore aux autres, à savoir comme hosties vivantes. »

Aussi le serviteur de Dieu s’étonne-t-il que Dieu ait voulu faire de lui une image de son Fils unique, de son Fils, hostie au Saint-Sacrement, en lui faisant éprouver les sentiments de ce divin intérieur pour les communiquer par lui insensibement aux âmes. Faillon, Vie de M. Olier, t. ii, p. 209.

Pour exprimer les devoirs que Notre-Seigneur au Saint-Sacrement rend à son père et auxquels nous devons communier, le serviteur de Dieu lit dessiner par Lebrun et graver par Claude Mellan, l’image d’un ostensoir au-dessus duquel on voit l’Ksprit-Saint planant sous la forme d’une colombe, et le Père étendant ses bras, et, de chaque côté, la sainte Vierge et saint Jean en adoration. Au centre, l’hostie sainte représentant un agneau immolé et consumé par les flammes.

et émettant quatorze rayons sur chacun desquels sont écrits des actes religieux comme adoration, amour, louanges, etc., et sur l’un d’eux devoirs inconnus : lesquels actes religieux sont :

Les saintes occupations

De Jésus-Christ dans ce mystère.

Qui veut vivre en ce sacrement

Comme l’unique supplément

De nos devoirs envers son Père.

ainsi qu’il est dit dans la légende imprimée au bas de l’estampe.

La dévotion au Saint-Sacrement de l’autel et pratiquée dans l’esprit qui vient d’être exposée est pour M. Olier la dévotion fondamentale du séminaire, comme on peut le voir dans les 12 premiers articles de la Pietas seminarii, et dans le Traité des saints ordres. C’est la même dévotion ainsi entendue qu’il propagea dans sa paroisse. (Cf. Explication des cérémonies de la grand’messe de paroisse). L’image du Saint-Sacrement dont nous venons de parler, a été faite originairement pour la confrérie du Saint-Sacrement à Saint-Sulpice.

A la dévotion au Très Saint-Sacrement se rattache étroitement la dévotion à l’état d’hostie du Verbe incarné. Mais, pour le P. de Condren et M. Olier, cet état d’hostie n’est pas considéré seulement dans le sacrifice de la croix ou dans celui de la messe. Pour eux cet état d’hostie résume toute la vie du Christ sur la terre et dans le ciel. C’est par l’incarnation même que le Verbe incarné a été constitué prêtre. Sa vie ne fut qu’un sacrifice unique dont les différentes parties sont composées de ses divers mystères. (Cf. Idée du sacerdoce et du sacrifice de Jésus-Christ du P. de Condren ; M. Lepin, L’idée du sacrifice dans la religion chrétienne, principalement d’après le P. de Condren et M. Olier, in-8°, Paris -Lyon, 1897). Jésus a été prêtre de son sacrifice et hostie de son sacerdoce. En lui, prêtre et hostie c’est tout un. Ainsi en doit-il être du prêtre. Cf. Olier, Traité des saints ordres, passim. P. Giraud, Prêtre et Hostie (2 vol. în-8°), regarde le Traité des ordres de M. Olier, « chef-d’œuvre de doctrine et de piété », comme la source principale de son travail.

La sainte Vierge et les saints. — Tout dans la Religion se rapporte à Jésus-Christ. Mais n’est-ce pas honorer Jésus que d’honorer la trèssainte Viergeetles saints. C’est la vie de Jésus qu’on contemple et honore en eux : c’est un aspect de cette dévotion sur lequel l’école française à la suite de Bérulle aime à attirer l’attention. Marie a droit à un culte spécial, unique, parce que Jésus a vécu en elle d’une manière unique. M. Olier a admirablement développé les motifs de cette dévotion dans plusieurs de ses ouvrages, surtout dans ses Mémoires. On peut en voir des extraits dans les Pensées choisies, 2e partie, c. i, ii, iii, à la fin de la dernière édition de la Journée chrétienne, l’opuscule La vie de Jésus en Marie. Voir aussi la Pietas semi~ narii, art. 10 et 1 1, et le dernier chapitre du Catéchisme chrétien de la vie intérieure (cf. l’ouvrage indiqué plus haut édité par M. Faillon, Vie intérieure de la très sainte Vierge, 2 vol. in-8°, dont M. Icard a donné une édition abrégée).

Toute sa vie le serviteur de Dieu eut une particulière dévotion envers la Vierge ; il cherche partout à la communiquer dans ses missions, à la paroisse, dans le séminaire. La fête de la Présentation fut choisie pour la fête patronale du séminaire : la Vierge se consacrant à Dieu était pour lui le modèle du clerc dans sa donation au Seigneur. Pour lui, il fit, à l’exemple de plusieurs saints, le vœu de servitude à Marie, qui contribua à l’unir plus étroitement à Jésus-Christ. < Je tiens le bonheur et la gloire d’une servitude à Jésus, de celle que j’avais vouée à la trèssainte Vierge, écrit il

dans ses Mémoires (i, ICI). De même que la sainte Vierge attire tout le monde d’abord à son amour et à son service pour les porter après à Jésus-Christ NotreSeigneur, la grande étude de cette divine Mère regarde la gloire et l’honneur de son cher Fils. Ce qui est exprimé par les paroles qu’elle dit au festin des noces sic C.ana. qui représente l’Église et le ciel même. Quidquid dixerit uobis, facile. »

C’est dans le même esprit qu’il honorait les anges et les saints. Dans ses Mémoires et son Traité des anges, il les montre remplis de l’Esprit de Jésus-Christ et communiant à sa religion envers Dieu. De même il honorait les saints comme membres vivants de Jésus-Christ, reproduisant chacun selon sa grâce les états et les vertus de Notre-Seigneur. Il fit honorer spécialement au séminaire ceux qui avaient eu le plus de rapports avec Jésus, comme saint Joseph, saint Jean-Baptiste, les saints apôtres, particulièrement saint Jean, saint Pierre et saint Paul ; et parmi les saints plus récents, il donnait comme patrons au Séminaire saint Martin, saint François de Sales. Voir dans les Pensées choisies ses vues générales sur les saints et celles qui concernent les saints que nous venons de citer ; Pielas seminarii, art. Il et 12. A la fin de la dernière édition (1928) de la Journée, chrétienne, Les Grandeurs de saint Joseph.

1° Manuscrits (les n°* 1, 2, 3 conservés au Séminaire) : les sources de la vie de M. Olier sont : 1° ses Mémoires autographes, dont il a été fait une copie ancienne en 3 vol., contenant même quelques cahiers perdus de l’original. — 2° La oie de M. Olier par M. de Bretonvilliers, son disciple et successeur immédiat, qui vécut quinze ans dans son intimité, 4 vol. in-4 c ; il en existe aussi une copie revue et corrigée par M. de Bretonvilliers lui-même. — 3° L’esprit de M. Olier, ouvrage dont le fond est de M. de Bretonvilliers (qui le tira des écrits et des conversations du serviteur de Dieu), mais a été mis en ordre et achevé par M. Tronson, 3 vol. in-4o. Il y a peu de faits, on traite surtout des vertus. — 4° Mémoires sur la oie de M. Olier et le séminaire de Saint-Sulpice, par M. Baudrand, curé de Saint-Sulpice. Une ancienne copie se trouve à la Bibliothèque nationale ; elle a été imprimée à la fin du t, m de la Bibliothèque sulpicienne de M. L. Bertrand. — 5° Mémoires de M. du Ferrier, un des premiers compagnons de M. Olier, qui les composa vers 1680. l’ne copie se trouve à la bibliothèque Sainte-Geneviève.

Imprimés.

La première vie fut composée par

M. Lesehassier, troisième successeur de M. Olier, d’après les mss. de M. de Bretonvilliers et les Mémoires de M. Olier. Composée vers 1682, elle a été insérée par le P. Giry dans Les oies des Saints… et grand nombre de oies nnuoelles, etc. Paris, Léonard, 1683-1685, 2 vol. in-fol., t. i, col. 11911718, et publiée à part : La oie de M. Jean-Jacques Olier, s. 1., 1687, petit in-12. La même notice est entrée en 1773 dans les Remarques historiques sur l’église et la paroisse Saint-Sulpice, par Simon de Doncourt, t. iii, p. 498-570. En 1702, le P. Charles de Saint-Vincent publia dans l’Année dominicaine, La vie de Messire Jean-Jacques Olier, prêtre du tiers-ordre de Saint-Dominique, fondateur et premier supérieur du séminaire de Saint-Sulpice, 20 p., in-4 #. Joseph Grandet, ami de M. Tronson et supérieur du grand séminaire d’Angers, a écrit une vie de M. Olier dans les Saints prêtres français, IIIe série, p. 279-395, imprimée par M. G. Letourneau en 1897. — Ch. Nagot, directeur au séminaire Saint-Sulpice, puis fondateur du séminaire de Sainte-Marie de Baltimore, composa en 1790 une Vie plus étendue, dont il fit plusieurs copies corrigées, complétées, imprimée à Versailles, Lebel. 1818, in-8o, sous le titre : Vie de M. Olier, curé de Saint-Sulpice à Paris, fondateur et premier supérieur du séminaire du même nom. — M. Faillon, Vie de M. Olier, fondateur du séminaire de Saint-Sidpice, accompagnée de notices sur un grand nombre de personnages contemporains, 2 vol. in-8o, Paris, Poussielgue, 1842 ; ouvrage que le cardinal Wiseman regardait comme » un très grand service rendu au clergé et à l’Église. En 1853, seconde édition. En 1843, il en parut un abrégé en 1 vol. in-12 ; Le pasteur modèle ou le salut des peuples, in-12, Aix, 1849, abrégé anonyme de l’ouvrage de M. Faillon, 1841 et 1843. Muni de documents nouveaux

M. Paillon donna une édition nouvelle en 3 gr. in-8o. M. l’ailion étant mort durant l’impression, M. Gamon continua de corriger les épreuves, d’ajouter des notes et rédigea la table. L’œuvre parut en 1873. — G. M. de Fruges, .L-.I. Olier, Essai d’histoire religieuse sur le XVII’siècle, in-8o, Paris ; G. Letourneau, l.ti mission de J.-.I. Olier et la fondation dis grands séminaires de France, 1906, Paris, LocolTre, in-12 ; F. Monier, Vie de Jean-Jacques (Hier. t. i", Paris, .1. de Gigord, 1914 ; l’auteur est mort pendant qui] corrigeait les épreuves du 1 er volume. - Sur les œuvres et leurs diverses éditions, cf. L. Bertrand, Bibliothèque sulpicienne ou Histoire littéraire de la compagnie de Saint-Sulpice, t. i, Paris, 1900, p. 1-40 et 523-524. - Sur la doctrine : H.-.I. Icard, supérieur de Saint-Sulpice, Doctrine de M. Olier expliquée par sa oie et pur ses écrits, Paris, 1889, in-8o, vn-418 p. ; deuxième édition, Paris, 1891, viii-601 p. ; H. Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, t. iii, Paris, 1921, in-8o, c. iv et v ; 1>. Pourrai, La spiritualité chrétienne, I. m. Les temps modernes, Paris, 1925, c. xiii et xiv.

E. Levesque.