Dictionnaire de théologie catholique/NESTORIENNE (Eglise) VII. Les papes et l'Eglise nestorienne au Moyen Age

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 11.1 : NAASSÉNIENS - ORDALIESp. 116-120).

VII. Les papes et l'Église nestorienne au Moyen Age. —

Le clergé franc était entré en relations, au cours du xiie siècle, avec les représentants de toutes les Églises orientales, résidents ou pèlerins de Palestine et Syrie. Dès les premiers contacts, sur une terre où les chrétiens avaient été si durement opprimés par l’Islam, on pensa de part et d’autre à 21 !)

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un rapprochement ; mais la prolongation de la vie commune, avec les petits conflits journaliers, empêcha un si beau dessein de se réaliser. I.'échec définitif des croisades à la fin du siècle, la soudaine invasion des Tartares en Asie occidentale et en Europe, dans les premières années du xiu » siècle, ramenèrent l’attention de Rome sur les possibilités d’union avec les Églises séparées d’Orient, et ce, précisément au moment où la naissance simultanée des deux grands ordres, franciscain et dominicain, dotait la papauté d’une nombreuse et ardente cohorte d’ouvriers évangéliques. En un clin d'œil, les missionnaires se portèrent dans toutes les directions : Maroc, Egypte, Palestine. Russie.

Le premier de ces religieux qui semble être entré en relations avec la hiérarchie nestorienne est le dominicain Guillaume de Montferrat. Nous ignorons à quel couvent d’Orient il appartenait, mais il dépendait du provincial Philippe, prior ultramarinus, qui résidait à Jérusalem et il lui avait communiqué à plusieurs reprises, dès avant la fin de 1236, que le catholicos, alors Sabriso' V, lui avait promis de réaliser l’union : … promiserit, quod velit obedire et redire ad gremium Ecclesiæ et veritatis. Lettre reproduite par Albéric de Trois-Fontaines, dans Monum. Germ. hist.. Script., t. xxiir, 1874, ' p. 964. L’apostolat de Guillaume avait donc atteint tout de suite un résultat important, puisqu’il avait dû partir pour l’Orient au « passage » du printemps 1235, comme chef d’un groupe envoyé par Grégoire IX, suivant une formule qui reviendra souvent dans les documents pontificaux du xine siècle : ad génies quæ Jesum Christum Dominum non agnoscunt, et ad subversionis filins, qui sacrosanctæ romanæ Ecclesiæ non obediunl. Bullarium ordinis prœdicalorum, t. I, Rome. 1729, p. 58. Le catholicos, — Iakelinus d’Albéric est une corruption de Ja/i/licus - Diatiliq, équivalent en arabe de Mésopotamie du titre syriaque qatûliqâ — ne se convertit pas, mais Philippe reçut à l’union un archevêque nestorien de Syrie, probablement le métropolite de Damas qui était venu en pèlerinage à Jérusalem, loc. cit. Le pape répondit au prélat réconcilié par une lettre du 29 juillet 1237, dans laquelle, après avoir rappelé la promesse du Christ à Pierre, il le félicite d’avoir retrouvé en l'Église romaine l’arche qui sauve, et l’encourage à ramener au bercail ses frères encore égarés. Ibid., p. 97.

Nonobstant les difficultés de la papauté engagée dans la lutte contre l’empire, l'œuvre des missions progressait : le 22 mars 1244, Innocent IV accordait aux missionnaires des privilèges très étendus, en particulier la faculté de communiquer avec les chrétiens orientaux, nonobstant l’excommunication latæ sententiiv encourue par eux du fait de l’hérésie : in rerbis, officio et cibo secure cam eis communicare valeant. Bullarium…, t. i, p. 136. La communicatio in mu-ris était ainsi autorisée, avec une restriction seulement pour les territoires soumis aux princes francs : (7a lamen quod ipsi jratres in ecclesiis illorum sitis in terra fideiium, divina non cclebrenl. Loc. cit. Les mêmes facultés étaient concédées le 21 mars 1245 aux mineurs envoyés comme missionnaires, dont certains aussi étaient destinés à travailler chez les nestoriens. J. H. Sbaralea, Bullarium franciscanum, t. i, Rome, 1759, p. 360.

Le pape, cependant, soucieux d’arrêter dans leur œuvre de dévastation les Tartares, qui occupaient alors la Hongrie, décida en ce même printemps 1245 d’envoyer en Orient quatre missions, dont deux à but politique confiées au franciscain Jean de Pian di Carpine, remplaçant, à ce qu’il semble, Laurent de Portugal et au dominicain lombard Ascelin ou Ezzelino. Os ambassadeurs revinrent après avoir

rencontré, l’un le grand khan Guyuk, l’autre le commandant des troupes mongoles de Perse, Baycunoyan. P. Pelliot, Les Mongols et ta papauté, dans Bévue de l’Orient chrétien, t. xxiii, 1923, p. 3-30 et t. xxiv, 1924, p. 262-335 ; extrait, p. 1-28 et 66-139. Les deux autres missions étaient plutôt de caractère ecclésiastique, le franciscain Dominique d’Aragon ayant été envoyé en Arménie et à l'Église de Byzance, E. Tisserant, La légation en Orient du franciscain Dominique d’Aragon (1245-1247) ; dans Bévue de l’Orient chrétien, t. xxiv, 1924, p. 336-355, tandis que le dominicain André de Longjumeau était envoyé aux prélats jacobites et nestoriens. A. Rastoul, dans Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, t. ii, col. 1677-1681. André rentra à Lyon sans avoir vu le catholicos, qui était toujours Sabriso' V, dont les bonnes dispositions étaient connues, en raison sans doute des difficultés qu’il aurait éprouvées pour passer du territoire soumis aux Mongols à celui du calife de Bagdad, où se trouvait le catholicos. Après avoir rempli sa mission auprès du patriarche jacobite à Mardin et du mafrien à Mossoul, il se rendit toutefois à Tauriz pour y rencontrer un haut personnage de l'Église nestorienne, qui, revêtu seulement du titre de périodeute, jouait un rôle considérable, parce qu’il était devenu le conseiller de Guyuk après avoir été celui de sa mère. P. Peliiot, loc. cit., p. 225-262, extrait, p. 29-66. Ce dignitaire s’appelait Rabban Simon, mais les Mongols le désignaient par le mot turc ata, qui signifie « père », d’où le nom de Rabban-ata, corrompu en Rabban-ara dans les registres pontificaux, nom sous lequel il a été connu jusqu'à ce que M. Pelliot lui ait pleinement rendu sa personnalité, loc. cit. Cet homme, que le grand khan avait envoyé avec l’armée opérant en Perse pour protéger les chrétiens contre les excès de la soldatesque, fut péniblement impressionné par l’excommunication qu’Innocent IV avait fulminée contre Frédéric II. En répondant au pape, Rahban Simon lui recommande l’indulgence et l’exhorte à l’union dans la prière ; il lui envoie en plus d’un bâton pastoral en ivoire, un livre apporté par lui d’Asie centrale ou de Chine, et transmet une profession de foi signée par le métropolite de Nisibe, lso’yahb bar Malkon. deux autres métropolites et trois évêques. Cette profession avait peut-être été dictée par André de Longjumeau, elle est parfaitement orthodoxe du point de vue christologique. La lettre de Rabban Simon contient aussi une prière en faveur du métropolite nestoriende Jérusalem et des nestoriens qui habitaient à Antioche, Tripoli et Acre ; ils avaient dû être molestés en quelque façon par le clergé latin ou les barons, et leur vieux compatriote demande au pape d’intervenir pour que cette fâcheuse situation prenne fin. Le patriarche jacobite avait fait une demande analogue en acceptant l’union de Rome, à savoir que la hiérarchie latine ne se superposât en aucune façon à la hiérarchie existante. André de Longjumeau, qui servit en Orient le pape et le roi de France avec une grande habileté, avait bien compris quel était le danger de conflit entre les deux hiérarchies et combien il risquait d’empêcher l’union : dès le 5 juin 1247, Innocent IV envoyait en Orient le franciscain Laurent d’Orte, avec la mission spéciale de soustraire les chrétiens orientaux, nestoriens compris, aux vexations des Latins. Bullarium franciscanum, 1. 1, p. 460 sq. On en vint cependant, peu d’années après, à envisager la création d’une hiérarchie latine dans des territoires qui n'étaient pas soumis à la domination franque, et ce, semble-t-il, sur le conseil du même André de Longjumeau. C’est lui, en effet, qui signala à saint Louis, lorsqu’il le retrouva à Césarée de Palestine, en revenant de Vordou du grand khan, 221

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la fâcheuse situation de nombreux chrétiens, hérétiques à ramener à la foi catholique, vivant chez les Mongols dans une pénurie à peu près complète de prêtres qui pussent leur administrer les sacrements. Guillaume de Rubrouck se laissa dire dans le même temps que les évêques nestoriens visitaient rarement la Mongolie, « peut-être une seule fois en cinquante ans ». o Alors, ajoute-t-il, on fait ordonner piètres tous les petits enfants mâles, même ceux qui sont encore au berceau, ce qui explique comment presque tous les hommes sont prêtres. » Éd. deBacker, p. 129. Quels prêtres ! André de Longjumcau, qui avait insisté en 1247, n'étant allé que jusqu'à Tauriz, sur le danger d’une double hiérarchie, pensa lorsqu’il eut été plus avant en Asie centrale, que la pénurie de prêtres était un mal plus considérable. Voilà pourquoi, à la suggestion du roi de France, le pape prescrivit le 29 février 1253, par une lettre au légat Odon de Tusculum, de consacrer évêque une certaine proportion des religieux, franciscains et dominicains, que l’on enverrait dorénavant en mission dans le domaine du calife de Bagdad et au delà, donc chez les nestoriens. Raynaldi, Annales ecclesiastici…, t. xiii, Rome, 1616, p. 702 ; cf. Pelliot, op. cit., p. 267 sq., extrait, p. 71 sq..

Il ne semble pas que cet ordre ait reçu même un commencement d’exécution. Les premiers évêques latins en Mésopotamie et Asie majeure, qui nous soient connus, appartiennent aux années 1307-1330. Les trente-trois années qui suivirent la mort d’Innocent IV (1251-1287) virent se succéder dix papes sur le trône de saint Pierre : la rapidité de cette succession ne se prêtait pas à l’accomplissement de grands desseins et les missions en souffrirent, bien que l’unité de l’empire mongol sous Mangou-khan et Koubilaï i ait été particulièrement favorable à la circulation des Occidentaux, commerçants ou missionnaires, comme on le voit, par exemple, par l’histoire des Polo, il ne faudrait pas croire d’ailleurs que rien ne fût fait : les couvents d’ancienne création, comme celui de Titlis, fondé au plus tard en 1210, continuaient d'être des centres de missionnaires itinérants, tandis que de nouveaux couvents se créaient en plein territoire nestorien, tels celui de Tauriz, avant 1280, et celui de Bagdad, avant 1290.

Les événements politiques amenèrent d’ailleurs, dans le dernier quart du siècle, un réveil de l’activité missionnaire. Les Mongols, après avoir porté au califat un coup définitif par la prise de Bagdad, se trouvaient en face de deux puissants royaumes musulmans, celui des Seldjoucides en Asie Mineure et celui des Mamelucks en Egypte. Pour les vaincre, ils songèrent à provoquer une intervention des Francs. L’alliance militaire que saint Louis avait tentée aux environs de 1250 fut désirée par Abagha d’abord, puis par son (ils et deuxième successeur, Arghoun. Or celui-ci, ayant envoyé comme ambassadeur auprès des cours européennes le périodeute Rabban Saumâ, ce dernier apporta à Rome, avec les lettres du monarque, une lettre du catholicos, Yahballâhâ III. Les cardinaux, qui reçurent Saumâ pendant la vacance du siège, dans l'été de 1287, après avoir manifesté leur étonnement de ce qu’un moine chrétien consentit à servir un prince mongol, procédèrent à un sérieux examen de la foi professée par cet ambassadeur d’une nation redoutée. Us ne firent pas d’objection à la formule christologique de Saumâ, qui était pourtant ambiguë, « deux natures, deux hypostases, une personne » (M. Chabot traduit : « deux natures et deux personnes, un personnage », Revue de l’Orient latin, t. ii, p. 94, extrait, p. 66). Mais, avertis qu’ils étaient sur la question de la procession du Saint-Esprit, à cause de la controverse avec les Grecs, ils le blâmèrent et le

réfutèrent sur ce point. Il ne semble pas que Saumâ ait été autorisé à célébrer les divins mystères pendant ce premier séjour à Rome, et il ne dit pas non plus qu’il ait célébré pendant son séjour en France, tandis qu’il dit la messe devant le roi d’Angleterre, et lui donna la sainte communion. lbid., p. 110, extrait, p. 82.

Mais lorsque l’envoyé d’Arghoun revint à Rome après l'élection de Nicolas IV, le pape l’autorisa à dire la messe en sa présence, et la curie s’intéressa à sa manière de célébrer. En outre, le dimanche des Rameaux, Saumâ fit sa communion pascale des mains du pape. Ibid., p. 115, extrait, p. 87. Il n’y a donc pas de doute qu’il fut regardé dès lors comme catholique, parce que l’on ne se rendait peut-être pas alors parfaitement compte à Rome de la foi des nestoriens, lesquels ne s’appelaient pas eux-mêmes de ce nom, préférant celui de « chrétiens orientaux ». Le symbole joint à la lettre du pape pour Yahballâhâ III est le symbole que Clément IV avait fait rédiger pour les Grecs, et que l’on appelle couramment la profession de foi de Michel Paléologue, il ne contient aucune addition relative à la doctrine christologique. Denzinger-Bannvart, Enchirid., n. 461.

Encouragé sans doute par la lettre pontificale et les présents que Saumā lui rapporta de la part du Souverain Pontife, Yahballāhā se montra plus que jamais bienveillant pour les missionnaires latins. C'étaient les mineurs que le pape lui recommandait dans la lettre du 13 avril 1288, mais il semble que le catholicos rencontra surtout des dominicains. Lorsqu’il descendit à Bagdad en 1290, il y trouva Ricoldo de Monte Croce, qui venait d’y arriver par le fleuve, venant de Mossoul. Ricoldo, suivant son usage, s'était mis aussitôt à prêcher dans les églises nestoriennes, et il avait été bien reçu jusqu’au moment où il avait appelé « Marie Mère de Dieu ». Ce seul mot l’avait fait expulser du temple qu’on avait aussitôt purifié par un lavage à l’eau de rose. Les nestoriens lui avaient cependant concédé de célébrer dans une de leurs églises, à condition qu’il ne prêchât pas. Mais Yahballāhā III, étant arrivé sur les entrefaites, l’invita à parler devant lui, en présence des prélats et du clergé et, lui donnant pleinement raison, déclara que personnellement il n'était pas nestorien et ne suivait pas la doctrine de Nestorius. Vainqueur des théologiens locaux dans une discussion publique à quelques jours de là, Ricoldo reçut du catholicos l’autorisation de prêcher librement. Mais, comme celui-ci ne résidait pas habituellement à Bagdad, le clergé nestorien tint bon contre le missionnaire, si bien que beaucoup lui disaient adhérer à sa foi, qui n’osaient pas la confesser publiquement par crainte de la persécution. Laurent, Peregrinationes…, p. 130 sq.

Aussi Ricoldo semble-t-il s'être tourné dès lors plutôt vers les musulmans ; pourtant, ce sont encore les chrétiens dissidents, qu’il avait en vue lorsqu'à la fin de son séjour en Mésopotamie il formulait des règles d’apostolat, dignes d'être prises pour directives, aujourd’hui encore : « 1° Il ne faut pas prêcher la foi ou discuter avec les étrangers par interprètes ; … ils ne savent pas exprimer les choses de la foi. Ils n’osent pas non plus avouer leur ignorance et commettent de grandes confusions… Il faut donc que les religieux sachent bien les langues… 2° Les frères doivent être solidement instruits sur le texte des Écritures… Les chrétiens orientaux connaissent le texte de l’Ancien et du Nouveau Testament… 3° Il faut bien connaître les doctrines et les arguments des différentes sectes, et distinguer si elles errent sur des points fondamentaux. Souvent des religieux discustent inutilement les questions de rites, alors qu’il s’agit de ramener les hérétiques à l’unité de la foi

et non à l’unité de la liturgie. La foi doit être catholique, c’est-à-dire de tous les chrétiens. et non la foi des Francs ou des Chaldéens. 4° Pour chaque secte il faut discuter avec les chefs. Les inférieurs et les simples se convertissent et ne persévèrent pas. Ils suivent au contraire facilement leurs évêques et les principaux d’entre eux. Dans l’exposition de la doctrine, il faut aussi commencer par les choses les plus faciles. Les Orientaux posent de préférence des questions sur les points ardus de notre foi. Il ne faut pas se hâter de leur répondre en ces matières. On doit aussi leur parler avec respect et humilité… Quand les nôtres s’enorgueillissent, ils nous méprisent, nous et notre doctrine. » Traduction du P. Mandonnet, Fra Ricodo de Monte-Croce, dans Revue biblique, t. ii, 1893, p. 602 sq.

Cependant les relations entre le pape et le catholicos continuaient : lorsque Jean de Montecorvino repartit pour l’Orient en 1289, il portait à Yahballâhâ, dont il avait fait l'éloge au pape, une lettre de Nicolas IV. Le catholicos ne manquait pas de son côté, chaque fois que l’ilkhan envoyait des ambassadeurs en Occident, de leur confier quelque missive pour le souverain pontife. Se trouvant auprès de Ghazan, en juillet 1302, Yahballâhâ remit au chrétien Sa’ad ad-din, le Sabadinus des documents latins, une lettre de créance, qui nous est parvenue en original. Académie des Inscription et Belles-Lettres, Comptes rendus, 1922, p. 235. Le catholicos, n’ayant pas d’affaires importantes à traiter, chargea l’ambassadeur de dire de vive voix au Saint-Père tout ce qui pourrait l’intéresser ; il n’y avait pas lieu dans une lettre de ce genre à grande profession de foi, mais on y voit clairement, sous l’hyperbole de mise dans le style des chancelleries orientales, crmbien sincèrement Yahballâhâ désirait l’union. Il appelle le pontife de Rome « celui en qui on a confiance au sujet des mystères théologiques » ; il souhaite « que Dieu étende sur toutes les créatures l’ombre de Sa Sainteté, et qu’il réunisse les baptisés par l’abondance de ses grâces. »

La lettre de Yahballâhâ III à Benoît XI, connue en traduction latine depuis Raynaldi, Annales ecclesiastici, t. xiii, Rome, 1646, an.' 1304, n. 23, et dont j’ai retrouvé l’original aux Archives du Vatican, manifeste encore mieux, par les circonstances dans lesquelles elle fut écrite, la cordialité des relations entretenues par le catholicos avec les missionnaires latins et le pontife romain. Cette lettre fut écrite le lundi de la Pentecôte, 18 mai 1304, de Maragha, où Yahballâhâ était rentré l’avant -veille. Le jour de la fête, il avait sans doute reçu après la messe, comme c’est l’usage dans toutes les églises d’Orient, ses amis empressés à le saluer. Parmi ceux-ci était venu un dominicain, peut-être le supérieur du couvent local, Jacques d’Arles-sur-Tech, qui lui avait annoncé l'élection du nouveau pape, le dominicain Nicolas Boccassini On comprend que Rabban Jacques, comme l’appelle Yahballâhâ, désirât porter à l’ancien maître général des frères prêcheurs une lettre et une profession de foi du catholicos nestorien. Il démontrerait ainsi au souverain pontife l’utilité des missions en Orient et pourrait peut-être obtenir de lui quelque nouveau privilège pour le « missionnaires.

Toutefois, cette bienveillance personnelle de Yahballâhâ ne doit point faire illusion sur les dispositions du clergé nestorien, qui ne cessa jamais de résister aux tentatives des missionnaires latins pour le gagner. Lorsque Jean de Montecorvino fut arrivé en Chine, c’est aux nestoriens qu’il s’adressa tout d’abord dans sa prédication, et il obtint quelque succès, puisqu’il convertit l’Ongtit Georges, Toi des Ouryanghéens, avec une partie de son peuple. Jean avait bien compris l’importance de la question linguistique, il prêchait

en mongol et avait traduit une partie de la sainte Écriture, tout le Nouveau Testament et le Psautier. Bien plus, il projetait d’accord avec le roi, de traduire le bréviaire afin que l’office pût être chanté dans toute l'étendue de son royaume, chose importante en face des lamaseries et bonzeries où il y avait des prières continuelles. Il célébrait déjà la messe en mongol, lorsqu’il se trouvait dans l'église que le roi converti avait fait construire : …eo invente in ecclesia celebrabatur missa secundum rilum latinum in liltera et lingua illa (lartarica) tam verba canonis quam prœfaliones. A. C. Moule, Documents relating to the mission of the Minor Friars to China in the thirleenth and fourleenth centuries, dans The journal of the royal asiatic societꝟ. 1914, p. 551. Cela ne fit sans doute que provoquer un redoublement d’opposition de la part des prêtres nestoriens, qui célébraient dans une langue incomprise des indigènes, et tenaient d’autant plus à leurs cérémonies traditionnelles qu’ils avaient eu plus de mal à les apprendre, et qu’elles représentaient à peu près tout ce qu’ils savaient de plus que leurs fidèles en fait de religion. Lorsque Georges mourut, ses frères eurent tôt fait de ramener ses anciens sujets au nestorianisme, en l’absence de Montecorvino, qui ne pouvait quitter la cour du grand khan. A Khanbaliq même, il semble qu’il ait eu bien peu de succès aussi auprès des chrétiens dissidents, sauf une colonie de marchands alains qui étaitencore fidèle à son souvenir en 1337 ; le fait que Jean de Montecorvino resta onze ans, sans pouvoir se confesser, prouve qu’il n’avait converti aucun prêtre. C’est auprès des païens surtout qu’il exerça son ministère ; c’est pourquoi l’envoi de sept évêques chargés de le sacrer archevêque de Khanbaliq, en devenant ses sufîragants, ne relève plus de l’histoire de l'Église nestorienne.

Yahballâhâ était mort lorsque Jean XXII, appliquant à la Perse la mesure prise en 1307 pour la Chine par Clément V, créa l’archevêché de Soultaniyeh, confié avec six sièges sufîragants à l’ordre dominicain par bulle du 1 er avril 1318. Texte publié par C. Eube, Die wahrend des 14. Jahrhunderls im Missiongebiet der Dominikaner und Franziskaner errichleten Bisthùmer, dans Festschrifl zum elfhundertjàhrigen Jubilàum des deutschen Campo Santo in Rom… hrsg. von. S. Elises, Fribourg-en-Brisgau, 1897, p. 191-195. Les évêchés en pays nestorien étaient Tauriz (évêque à partir de 1329), Maragha (1320), Diagorgana ou Djordjan (1327), Quilon, au sud de l’Inde (1329), Semiscanta, qui est Samarqand ou Meched(1329). Almaliq, au sud du lac Baïkal, eut de 1338 à 1342 un évêque franciscain, qui dépendait de Khanbaliq, Bassorah eut un évêque du même ordre en 1363. Plusieurs des titulaires de ces sièges ne prirent jamais possession : au commencement du xv siècle, il ne restait d'évêques latins qu'à Soultaniyeh et Tauriz ; un nouvel évêché fut créé à Salmas en 1402 ; les listes de ces sièges se terminent respectivement en 1425, 1450 et 1460.

L. Cahun a écrit : « L'Église latine contribua par son zèle à la ruine du christianisme chez les Turcs. Le nestorianisme, implanté depuis des siècles, avait eu le temps de prendre racine ; il tenait au sol comme une plante nationale, indigène ; le catholicisme romain n'était qu’une religion d'étrangers. Le Turc chrétien converti par un missionnaire latin entrait dans le giron de l'Église universelle, mais il sortait de l’union nationale ; c'était un déserteur… Le nestorianisme, abandonné à lui-même, aurait peut-être survécu ; l’immixtion d'étrangers lui fut également funeste auprès des Turcs et auprès des Chinois. » Introduction à l’histoire de l’Asie, Paris, 1896, p. 408 sq. Il ne semble pas que les missionnaires latins aient à porter une aussi lourde responsabilité. Le christianisme fut déraciné en Chine par haine de la dynastie des Yuan et non des Latins ; il disparu ! on Haute-Asie, lorsque « Timour supprimait les Mongols au nom de l’apôtre Mohammed », ibid., p. 479. Dans les régions montagneuses et pauvres où les chrétiens purent subsister sans trop attirer la cupidité des musulmans, l'Église nestorienne survécut et les missionnaires de l’Occident qui n’en disparurent guère que pendant un siècle, au moment où les Turcs prenaient Constant inople et menaçaient l’Kurope, y reparurent bientôt pour y rétablir de façon durable l’union à Rome.

Les sources de ce paragraphe se trouvent indiquées sous les différents noms de lieux et de personnes dans U. Chevalier, Répertoire des sources historiques du Moyen Age ; Topo-bibliographie, Montbéliard, 1894-1903 ; Biobibliographie, Paris, 1903-1907. Bibliographie des sources par ordre chronologique dans R. Slreit, Bibliolheea missionum, t. IV, Asiatische Missionsliteratur, 1245-1599, Aix-la-Chapelle, 1928 (ouvrage soigné, où manque cependant l’indication des articles de la Reuue de l’Orient chrétien, qui ont ajouté beaucoup de nouveau). La plupart des lettres pontificales ont été publiées par Raynaldi, reproduites dans les bullaires franciscain et dominicain, ainsi que dans l’appendice de M. Chabot à son Histoire du patriarche Mur Jabalaha III…, dans Revue de l’Orient latin, t. ii, p. 566-640, extrait p. 185-257. La première lettre de Yahballaha se trouve avec celle de Raban-ata dans S. Giamil, Genutnse relatianes inter Sedem apostolicam et - ssi/riorum orientalium seu Chaldicorum Ecclesiam, Rome, 1902, p. 1-8.

Parmi les travaux récents, on peut citer : G. Golubovich, Bibliotcca bio-bibliogra/ica délia Terra sanlae dell’Oriente francescano, t. i-iv, Quaracchi, 1900-1923 (les informations qui concernent la période 1215-1345, sont éparses, sous les noms des religieux employés comme missionnaires) ; San Domenico nell’appostolato de' suoi figli in Oriente (periodo de secoli XIIIe XIV), dans Miscellanea domenicana in memoriani ^'II antli sœcularis ab obilu sancti patris Dominici, Rome, 1923, p. 206-221 ; B. Altaner, Die Dominikanermissionen des 13. Jahrhunderts, dans Breslauer Studien zur historischen Théologie, Habelschwerdt, 1924 ; H. Cordier, Histoire générale de la Chine…, c. xxii, Les Mongols : Missionnaires et voyageurs étrangers, t. ii, Paris, 1920, p. 368-432 ; L. Bréhier, L'Église et l’Orient au Moyen Age, Paris, 1907, p. 219-221, 268-286, 311-3 ; P. Pelliot, Mongols et papes aux XIIIe et XIVe siècles, lu dans la séance publique annuellee ?es cinq académies du mercredi 25 octobre 1922 ; A. van den Wyngært, Jean de MontCorvin, O. F. M., premier évéque de Khanbuliq (Pe-King), Lille, 1924.