Dictionnaire de théologie catholique/NESTORIENNE (Eglise) V. Les établissements nestoriens dans l'Inde

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 11.1 : NAASSÉNIENS - ORDALIESp. 105-107).

V. Les établissements nestoriens dans l’Inde—

7 On a fait allusion ci-dessus, col. 161, à propos de la légende de saint Thomar, apôtre de la Perse et de l’Inde, aux relations politiques de ces deux pays sous les Part lies arsacides. Quelque difficile que soit la navigation dans le Golfe Persique, le trafic y a toujours été considérable, le long de l’une et de l’autre côte. Lorsqu’on arrive dans la mer libre, au delà du détroit d’Hormuz, l’alternance saisonnière des moussons permet de naviguer facilement et rapidement jusqu'à l’extrémité sud de l’Inde et à Ceylan. Dès avant l'ère chrétienne, il y avait un fort courant d'échanges par mer, entre Babylone et l’ExtrêmeOrient — produits énumérés par l’auteur du Périple de la mer Erythrée, voir notes de W. H. Sehoff, The Periplus of the Èrythrgean Sea, New-York, 1912, p. 150-288. Les Perses avaient maintenu la tradition commerciale des Babyloniens, reprise à partir du ixe siècle par les navigateurs arabes. G. Ferrand, Relations de voyages et textes géographiques arabes, persans et turks relatifs ù l’Extrême-Orient du viw au ai///e siècles, Paris, 1913, t. i, p. 2 sq.

Cette route commerciale devint, dès qu’il y eut des chrétiens en Perse, une voie d'évangélisation. La foi progressa d’abord, parmi les populations iraniennes à l’Est, sémites à l’Ouest, sur les deux côtes opposées du Golfe Persique. Si l’on en croyait la Chronique d’Arbèles, dans A. Mingana, Sources syriaques, l. i, p. 30, trad., p. 106 sq., il y aurait eu un évêque, dès 225, non seulement à Perat d’Maysan, près de l’embouchure de l’Euphrale, mais encore dans le Beil Qatarâyê, sur le littoral arabe au nord de

Bahrayn. Nous avons dit, col. 162, les raisons qu’il y a de suspecter ce témoignage. Vers 390, un monastère fut fondé dans une des îles du groupe de Bahrayn par un moine de Deir Qoni, originaire de Maysan. Chronique de Séert, dans P. O., t. v, p. 311 [199]. L'évêque des Iles, celles du groupe de Bahrayn tout au moins, est mentionné dans la liste du synode d’Isaac en 410, Synod, orient :, p. 34, trad., p. 273, et il y avait alors compétition pour le siège de Masmaliig, qui est au delà de Bahrayn. Ibid., p. 34, 36. trad., p. 273-275. Dans le même temps, le Fars était évangélisé : il avait déjà un évêque en 410, probablement à Bewardasir, qui fut élevée à la dignité de métropole, peut-être par Yahballâhâ I er (415-420), comme le prétend Ébedjésus, Collectio canonum, tr. VIII, c. xv, dans A. Mai, Scriptorum veterum nova collectio. Borne, 1838, t. x « . p. 304, trad., p. 141, en tout cas avant 486, Synod. orient., p. 53, trad., p. 300.

A quelle date y eut-il aux Indes des chrétientés originaires de Perse ? La réponse à celle question est rendue très difficile par le fait que le mot « Indes » a servi pour désigner des pays très différents : Arabie, Ethiopie. Hindoustan. C’est ainsi que David, le contemporain de Pâpâ, qui abandonna son siège de Peral d’Maysan pour aller aux Indes, où il opéra de nombreuses conversions, peut n'être allé que sur la côte méridionale de l’Arabie. Chronique de Séert, dans P. O., t. iv, ]). 230 [26]. M. Mingana a bien mis en évidence l’imprécision du lerme et le danger d’illusion qui en résulte, The early spread of christianity in India, dans Bulletin of Ihe John Rylands library, 1926, t. x. p. 443-446. C’est ainsi qu’il ramène sur la côte d’Oman, p. 450-454, un monastère, qui aurait été édifié à la fin du ive siècle en l’honneur de saint Thomas par le moine Jonas, dont la vie a été publiée par P. Bedjan, Acla martyrum et sanctorum, t. i, p. 466-525 (Bibl. hag. orient., n. 527. 528). Mais la date que M. Mingana attribue à cette vie est probablement trop ancienne, car Jonas appartient au cycle de Mar Eugène, voir ci-dessus, col. 184.

Le premier texte détaillé et certain reste celui de Cosmas Indicopleustes, qui, dans sa Topographia christiana, enregistre des constatations faites sur place entre 520 et 525. P. G., t. lxxxviii, col. 169, 445 : E. O. Winsledt, The Christian topography of Cosmas Indicopleustes ediled with geographical notes, Cambridge, 1909, p. 119, 321 sq., notes p. 344, 346, 352. Cosmas signale une chrétienté dans l'île de Socotra ou de Dioscuride, dont les habitants, dit-il, descendent des colons introduits par Plolémée et parlent grec ; étant passé en vue de l'île sans y descendre, il a obtenu ses informations de quelques habitants avec lesquels il a voyagé. Or, ceux-ci lui ont dit qu’il y a dans l'île une multitude de chrétiens, dont le clergé va recevoir l’ordination en Perse. Il serait étrange que ces descendants des colons de Ptolémée ne s’adressent lias à Alexandrie, si l'île n'était devenue une possession perse, où Khosrau, d’après les géographes arabes al-Hamdânî et Yâqût, avait déporté certaines populations des pays conquis sur Byzance. J. Tkatsch. s. v. Sokotra, dans Encyclopédie de l’Islam*. livraison i, Leyde, 1927, p. 499. Comme dans le Beit Qatarâyê et l’Oman, il y a donc eu une véritable évangélisalion de la population bigarrée de l'île, Grecs, Aiabes, Hindous, etc. Socolra resta longtemps chrétienne, elle reçut un évêque de Sabriso' III (1064-1072), Mari, p. 125, trad., p. 110, et les géographes arabes la donnent encore comme chrétienne au xiv c siècle. De même Marco Polo : « Et sachiés que celz de cest ysle sunt cristienz bateçés et ont arcevesque… Geste areevesque ne a que fer con le apostoille de Borne : mes vos di qu’el est sotpost a un arcevesque que demeure a Baudac (Bagdad). E cestui arcevesque de lis

Baudac mande ccste arcevesque de ceste ysle ; et encore mande en plosors parties dou monde aussi coin l’ait l’apostoille de Home. E tui cesli clereges et prêtais ne sunt obeisant a le yglise de Home, mes sunt tuit obeisanl a celz granl prelais de Uaudac, qu’il ont por leur pape. » II milione, édit. L. Foscolo Benedello. dans Comitato geografico nationale italiano, publicazione, n. 3, Florence, 1928, p. 203-205. Au xvii 1 e siècle, Socotra avait encore des chrétiens. .1. Tkatsch, op. cit., p. 502

I.a chrétienté de Ceylan paraît d’une autre nature. ('.usinas parle de Taprobane aux deux endroits cités plus haut : dans le premier il dit seulement qu’il s’y trouve une église, fidèles et clercs, mais au second il précise que c’est une église de résidents perses, avec un prêtre ordonné en Perse, un diacre et du bas clergé. Les indigènes et les rois, ajoute-t-il, sont d’une aulre religion. Il n’y avait donc pas à Ceylan un centre missionnaire, mais seulement un comptoir de négociants perses, établi naturellement au point où affluaient les marchandises de la Chine et de l’Insulinde. avec leur paroisse, telles aujourd’hui les colonies melkite, maronite ou syrienne dans un port comme Marseille. Cosmas ne sait pas s’il y a des chrétientés au delà de Ceylan, mais il y en a d’autres à Malë et à Quilon (KaXXtàva), où se trouve un évêque, lui aussi ordonné en Perse. Le site exact de Malë n’est pas identifié, mais c’est le centre du commerce du poivre, donc sur la côte du Malabar, ainsi que Quilon. E. O. Winstedt, op. cit., p. 354.

Les autres textes habituellement cités témoignent de l’existence de chrétientés aux Indes, mais ne contiennent pas de précisions sur le nombre, l’emplacement, l’organisation de ces colonies. Ma’nâ, dont l’activité littéraire se déploya pendant le dernier quart du ve siècle, envoyait ses traductions de Diodore, aux pays maritimes (Bahrayn) et aux Indes, Chronique de Séerl, dans P. O., t. vii, p. 117 [25], tandis que le catholicos Sabriso' I" donnait à Marouta, le futur mafricn de Takrit, des parfums et des présents qui lui venaient de l’Inde et de la Chine, offerts sans doute par des marchands chrétiens qui y étaient installés. P. O., t. xiii, p. 497 [177]. Les allusions contenues dans la correspondance d’Iso’yahb III se réfèrent au séparatisme des métropolites de Rewardasir, qui par leur attitude détournaient du catholicos les évêques de l’Inde. Isoy’ahb dit que le christianisme s’est étendu non seulement jusqu'à l’Inde, mais jusqu'à Qalah, ou Qillah, sans doute la Kalah des géographes arabes, au détroit de Malacca, M. Streck, s. v. dans Encyclopédie de l’Islam, t. ii, p. 710-712, nonobstant la répugnance de M. Mingana, op. cit., p. 465 ; cf. Iso’yahb III liber epistularum, édit. H. Duval, dans Corpus scriptorum christianorum orientalium, scriplores syri, ser. II, t. lxiv, p. 252. trad., p. 182.

Timothée déclare que, si longtemps que deux époux aient été séparés par l’absence de l’un d’eux, ils ne peuvent contracter un nouveau mariage sans s'être assurés de la mort du premier conjoint, ce qui est toujours possible, même si l’absent était aux Indes ou en Chine, par la voie ecclésiastique, catholicos, métropolites, évêques ; par où l’on voit que les colonies perses devaient avoir un liber status animarum bie-n tenu : question xxxi, dans J. Labourt, De Timotheo I, p. (53 sq. Timothée luttait lui aussi contre le séparatisme du Fars, qui entraînait le schisme de l’Inde, mais, dit Barhébræus, les évêques récalcitrants lui répondaient : « Nous sommes les disciples de l’apôtre Thomas, nous n’avons pas affaire avec le siège de Mari. Chronicon ecclesiasticum, t. iii, p. 171. Comme on l’a remarqué depuis longtemps, c’est la première allusion à cette expression « chrétiens de saint Tho mas », qui deviendra d’usage fréquent dans les siècles suivants.

L’Inde elle-même fournit peu de renseignements sur la fondation et l’histoire ancienne de ses chrétientés. Les monuments cependant apportent un précieux témoignage : deux croix identiques, l’une trouvée en 1547 à Meilapore, sur la côte de Coronumdel, près de Madras, au lieu où l’on vénère le tombeau de saint Thomas, l’autre conservée dans une ancienne église de Kottayam, au Travancore, portent toutes deux une même inscription pehlvie, dont le caractère permet de les attribuer au vr ou auvir siècle. L’inscription ne contient aucune donnée historique ; voici comment elle est interprétée par A. C. Bumell, Some Pahlavi inscriptions in south India, dans The indian antiquary, t. iii, 1874, p. 308-316, cité par G. M. Ræ The syrian Church in India, Edimbourg et Londres, 1892, p. 120 : « Par la croix, en châtiment, a souffert l’Unique, qui est le véritable Christ, Dieu supérieur et guide toujours pur. » L T ne troisième croix, qui se trouve à Kottayam, dans la même église que la deuxième, porte le deuxième stique de ladite inscription pehlvie, précédé de Gal., vi, 14, en syriaque, écrit dans un caractère estranghelo du xe siècle : « Puissè-je ne me glorifier que dans la croix de NotreSeigneur Jésus-Christ, qui est le véritable Messie, Dieu supérieur et Esprit-Saint. » Voir sur la saveur peu orthodoxe de ces inscriptions et le symbolisme de la dernière, G. M. Ræ op. cit., p. 124 sq.

La croix de Meilapore est le seul témoignage que nous ayons d’une chrétienté ancienne sur la côte du Coromandel, elle est si semblable à celle de Kottayam qu’on aurait pu être tenté de poser une question d’authenticité, si deux autres croix n’avaient été trouvées en 1921 et 1925, à Katalanam, dans le Travancore, et à Muttuchira, A. Mingana, op. cit., p. 506 ; rien d’ailleurs ne s’oppose à ce qu’il y ait eu de bonne heure une colonie de négociants perses chrétiens à Meilapore, car c'était un centre commercial important..1. Dahlmann, Die Thomas -Légende…, Fribourg-en-Brisgau, 1912, 107. Erganzungshejt zu den Slimmen ans Maria-Laach, p. 170 sq. G. M. Rae pense que, si la communauté du Malabar a vécu, tandis que celle de la côte orientale a disparu, cela tient à ce qu’elle a obtenu des souverains locaux un statut politique. On connaît, en effet, deux documents ou sasanam relatifs aux privilèges concédés aux chrétiens, par les rois Vira Raghava Chakravarti et Sthanu Ravi Gupta, analogues à ceux concédés aux Juifs vers l’année 700 par le roi Bhaskara Ravi Varma. La première de ces chartes, écrite sur une plaque de cuivre en caractères tamil anciens et grantha, serait de 774 d’après A. C. Burnell, tandis que la seconde formée de six plaques serait de 824 environ, écrite partie en tamil, partie en pehlvi et arabe coufique. avec quatre signatures hébraïques. Il apparaît par ces documents que les chrétiens de Cranganore furent élevés alors, dans la hiérarchie de groupements analogues aux castes, que les dominateurs de l'époque essayaient de former parmi les populations d’origine dravidienne refoulées au sud de l’Hindoustan. La concession de privilèges politiques aux chrétiens et aux Juifs fut faite pendant une période d’invasion, en vue d’un resserrement des habitants pour la défense du pays contre une armée étrangère. G. M. Rae. op. cit., p. 155-165. L T n fort groupe d'émigrants était arrivé de Perse sous la conduite d’un marchand nommé Thomas (Knaye Thomas = Thomas le Cananéen ou le marchand) quelques années avant la charte de 774, peut-être par analogie à la migration des Parsis qui avait eu lieu une cinquantaine d’années plus tôt. D. J. Karaka, History of the Parsis, t. i, Londres, 188-4, p. 26-35, de qui dépend D. Menant, Les Parsis, dans Annales du musée Guimet, Bibliothèque d'éludés, t. vii, Paris, 1898, p. 10-15. De même, la charte de 824 fut précédée de l’arrivée de deux évêques nestoriens, Mar Sabriso' (on a lu longtemps Mar Sapor) et Mar Peroz, qui se seraient établis près de Quilon. A. Mingana, op. cit., p. 508.

Il est certain d’autre part que les Persans installés au Malabar convertirent une partie de la population indigène : bien que le syriaque ait toujours été leur langue liturgique, les chrétiens du Malabar n’ont aucun caractère sémitique, l’analyse ethnologique montre que ce sont de purs dravidiens. G. M. Ræ op. cil., p. 166 sq. Le centre des chrétientés du Malabar semble avoir été d’abord Cranganore, où les Juifs aussi étaient nombreux ; de là le christianisme s’est répandu principalement dans l'état de Cochin et le nord du Travancore. L’histoire de ces communautés jusqu'à l’arrivée des Portugais dans l’Inde, les allusions de quelques voyageurs européens mises à part, nous échappe complètement.