Dictionnaire de théologie catholique/MYSTÈRE

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 10.2 : MESSE - MYSTIQUEp. 646-653).

MYSTERE. — On envisage ici le mystère uniquement au point de vue théologique. Les questions relatives à la comparaison des mystères chrétiens et des mystères religieux étrangers au christianisme ne seront pas traités ici. Du mystère, théc logiquement considéré, on étudiera successivement : I. La notion. II. L’existence (col. 2590). III. L’intelligence (col. 2594). Le mode par lequel le mystère est porté à notre connaissance, savoir, la révélation, sera exposé plus loin. Voir Révélation.

I. Notion.

D’une façon générale, le mot [i.u<rrr]piov désigne une chose secrète, toute réalité naturellement cachée à notre connaissance naturelle. C’est la notion profane du mystère. Transporté sur le terrain religieux, cette expression désignait, chez les Grecs, une réalité d’ordre religieux, doctrine ou rite, dont la connaissance devait être réservée à un petit nombre d’initiés. Ainsi l’on avait, à Athènes, les mystères d’Eleusis, les petits mystères en l’honneur de Perséphoné, et les grands mystères, en l’honneur de Déméter ; dans le monde gréco-romain les mystères d’Attis et de Cybèle, etc.

1° Dans l'Écriture, on retrouve ce double sens, profane et religieux. Le sens profane, chose secrète ; se lit dans Tobie, xxii, 7 ; Judith, ii, 2 ; Prov., xx, 19, Eccli., xxii, 27 : xvii, 17, 24 ; II Mach., xiii, 21, et peut être encore, mais avec une nuance religieuse, Apoc, xvii, 5.

Le sens religieux est plus fréquent. On parle des mystères divins. Dan., ii, 19-27 ; Sap., ii, 22 ; vi, 24, et c’est Dieu qui les fait connaître, Dan., ii, 28, 29, 47. Dans l'évangile, le Christ annonce les « mystères du Royaume », Matth., xiii, 11 ; Marc, iv, 11 ; Luc, vin, 10. Le mot jjiuo-TTjpiov est mis ici indifféremment au singulier (Marc) ou au pluriel (Matth., Luc). Dans les épîtres pauliniennes, le mot se lit 21 fois ; il est ordinairement au singulier et désigne le mystère de la révélation du Christ au monde qui doit être par lui sauvé ; cf. Rom., xvi, 25 ; Col., i, 26-27 ; iv, 3 ; Eph., i, 9 ; iii, 3-9 ; vi, 19 ; I Tira., iii, 9 ; sans que cependant on doive nécessairement et exclusivement attacher à cette signification une perspective exchatologique empruntée à Daniel, comme l’a prétendu Hans Von Soden, Muaxrjptov und Sacramentum in den ersten drei Jahrhunderten der Kirche, dans Zeitschrift fur die N. T. Wissenschaft, t.xii, 1911, p. 188 sq. On trouve également le mot |xu<rry)piov chez saint Paul avec un sens moins précis : l’ensemble de la foi, les mystères cachés en Dieu, I Cor., ii, 8 ; iv, 1 ; xiii, 2 ; cf. Col., ii, 2, mystères que fait connaître l’Esprit, I Cor., xiv, 2 ; la prophétie relative à l’aveuglement d’Israël et à sa conversion finale, Rom., xi, 25. Dans Apoc, x, 7, ce mot désigne toute l'économie providentielle.

Enseignements du Magistère.

C’est au xixe siècle que le magistère s’est prononcé explicitement touchant les rapports des mystères et de la raison humaine.

1. Enseignement général.

Nous le trouvons épars dans différents actes de Grégoire XVI et surtout de Pie IX. On proclame que les mystères sont absolument impénétrables à l’intelligence humaine, exsuperant omnem sensum, Grégoire XVI, encycl. Mirari vos, Denz.-Bannw., n. 1616 ; longissime vires excedunl noslri intellectus, Pie IX, alloc. Singulari quadam, id., n. 1642 ; cf. Syllabus, prop. 4, n. 1704. Même la révélation supposée, la raison humaine, relativement aux. mystères, ne peut parvenir par ses principes naturels et ses seules forces à en acquérir une science et une certitude : Pie IX, encycl. Gravissimas inter, n. 1669, cꝟ. 1671, et Léon XIII, prop. 25 de Rosmini, n. 1915. Donc, pas de démonstration possible, pas d’intelligence possible des mystères avec les seules ressources de la raison humaine, Pie IX, encycl. Tuas libenter, n. 1682 ; ci. Syllabus, prop. 9, n. 1709. Impénétrables à la raison humaine, ils le sont aussi à l’intelligence angélique, Pie IX, encycl. Gravissimas inter, n. 1673. Vouloir les pénétrer, c’est-à-dire, les comprendre, c’est donc, avec une arrogance coupable, exagérer les forces de la raison, Pie IX, alloc Singulari quadam,

n. 1642 ; cꝟ. 1645. Cependant les mystères ne sont pas des produits de l’imagination et des inventions humaines, Pie IX, encycl. Qui pluribus, n. 1634. Vérités révélées par Dieu, on ne peut découvrir en elles aucune contradiction véritable avec la raison, /<L, n. 1635 ; cf. prop. 1, souscrite par Bonnetty, n. 1649, et prop. 6 du Syllabus, n. 1706. Par l’analogie des choses créées et à la lumière de la foi, il est cependant possible d’en avoir une certaine intelligence, pleine de profit pour l’âme. Concile du Vatican, sess. iii, c. iv, n. 1796.

2. Enseignement du concile du Vatican.

Pour nous en tenir strictement à la question dogmatique du mystère, nous ne devons considérer, dans le c. iv De fide et ralione de la troisième session du concile du Vatican, que les paragraphes 1 et 2, le premier se rapportant à la nature et à l’existence du mystère dans la religion catholique, le second définissant la connaissance que l’intelligence humaine peut en avoir ici-bas.

Hoc quoque perpetuus Ecclesiae catholicæ consensus tenuit et tenet, duplicem esse ordinem cognilionis non solum principio, sed objecto etiam distinctum : principio quidem, quia in altero naturali ratione et altero fide divina cognoscimus ; objecto autem, quia præter ea, ad quæ naturalis ratio pertingere potest, credenda nobis proponuntur mysteria in Deo abscondita, quæ nisi revelata divinitus, innotescere .non possunt. Quocirca Apostolus, qui a gentibus Deum per ca quæ facta sunt (Rom., i, 20) cognitum esse testatur, disserens tamen de gralia et veritale, quæ per Jesum Christum /acta est (cf. Joa., i, 17) pronuntiat : Loquimur Dei sapientiam in mysterio quæ abscondita est, quam preedestinavit Deus ante seeculu in gloriam nostram, quam nemo principum hujus sœculi cognovit.. Nobis autem revelavil Deus per Spiritum suum : Spiritus enim omnia scrutatur, etiam profunda Dei (I Cor., ii, 7, 8, 10). Et ipse l’nigenitus confitetur Patri, quia abscondit hœc a sapientibus et prudentibus, et revelavit ea parvulis (cf. Matth., xi, 25).

At ratio quidem, fide illustrata, cuni sedulo, pic et sobrie quærit, aliquam Deo dante mysterlorum iniclligenliam eamque fructuosissimam assequitur tum ex eorum, quæ naturaliter cognoscil analogia, tume mysteriorum ipsorum nexii inter se et cum fine honiinis ultimo ; Dunquam tamen Idonea i t-f i 1 1 1 iii iid ea persplcienda Instar verltatum, quæ pro priuni ipsius objectum conslituunt. Divina cnini mysteria Buapte natura Intellec lum créai uni sic excedunt.

L’Église catholique s’est toujours accordée à admettre et elle tient qu’il y a deux ordres de connaissance distincts, non seulement par leur principe, mais encore par leur objet : par leur principe, parce que nous connaissons dans l’un au moyen de la raison naturelle, dans l’autre, au moyen de la foi divine ; par leur objet, parce que, outre les vérités auxquelles la raison naturelle peut atteindre, l’Église propose à notre foi des mystères cachés en Dieu, qui ne peuvent être connus que par la révélation divine. C’est pourquoi l’Apôtre qui rend témoignage à la connaissance que les nations ont eue de Dieu, au moyen des choses créées, dit néanmoins en parlant de la grâce et de la vérité données par Jésus-Christ : « Nous prêchons la sagesse de Dieu renfermée dans son mystère, cette sagesse cachée que Dieu a prédestinée avant tous les siècles pour notre gloire, qu’aucun des princes de ce siècle n’a connue ; — mais pour nous, Dieu nous l’a révélée par son Esprit ; car cet Esprit pénètre tout, jusqu’aux secrets les plus profonds de Dieu. » Et le Fils unique lui-même i rend gloire a son Père de ce qu’il a caché ces choses aux sages et aux prudents et les a révélées aux petits. »

Lorsque la raison éclairée par la foi cherche avec soin, piété et modération, elle acquiert, il est vrai, par le don de Dieu, quelque Intelligence très fructueuse des mystères, tant par l’analogie des choses qu’elle connaît naturellement, que par la liaison des mystères entre eux ei avec la fin dernière de [’homme ; cept ndanl jamais elle n’est rendue capable de les pénétrer comme les vérités qui constituent son objet propre, lui effet, par leur nature, les divins mystères

ut etiam revelatione tradita et fide suscepta ipsius tamen fidei velamine contecta et quadam quasi caligine obvoluta maneant, quamdiu in hac mortali vil a peregrinamur a Domina : ]>er fidem enim ambulamus et non per speciem (II Cor. v, 6 sq.)

Canon 1. — Si quis dixerit, in revelatione divina nulla vera et proprie dicta mysteria contineri, sed universa fidei dogmata posse per rationem rite excultame naturalibus principiis intelligi aut demonstrari, anathema sit.

Denz.-Kannw., n. 1795, 1796, 1816.

dépassent tellement l’entendement créé, qu’après avoir été communiqués par la révélation et. reçus par la foi, ils restent néanmoins couverts du voile de la foi elle-même et enveloppés comme d’une sorte de nuage, « tant que nous restons éloignés de Dieu par cette vie mortelle ; car nous marchons dans le chemin de la foi et non dans celui de la vision ».

Anathème à qui dirait que la révélation divine ne renferme à proprement parler aucun mystère véritable, mais qu’une raison convenablement cultivée peut par ses principes naturels comprendre et démontrer tous les dogmes de la foi.

De ces déclarations et définitions du concile, il appert que trois propriétés essentielles doivent être attribuées aux mystères : 1. Ils sont des vérités cachées en Dieu, in Deo abscondita, c’est-à-dire appartenant à l’incompréhensibilité divine, ou, d’une façon plus précise, des vérités proportionnées à l’intelligence divine, infiniment supérieure à toute intelligence créée, humaine et même angélique. Parce que les mystères sont aussi des secrets d’ordre divin, qui ne sauraient être atteints par les lumières finies d’une intelligence créée, ils sont dits des vérités surnaturelles. Dans la lettre Gravissimas inter, Pie IX fait observer que ces vérités sont au-dessus de la nature et, par conséquent, ne sauraient être atteintes par la raison naturelle ni par des principes naturels : Cum hase dogmata si ni supra naturam, ideirco naturali ralione ac naturalibus principiis attingi non possunt. Denz.-Bannw. , n. 1671. Résumant l’enseignement contenu dans cette lettre, le concile du Vatican affirme que ces divins mystères dépassent toute intelligence créée. 2. Ils sont des vérités dont la connaissance ne peut dès lors nous parvenir que par voie de révélation : nisi revelala divinitus, innotescere non possunt. Les mystères étant des vérités proportionnées à la seule intelligence divine ne peuvent être connus des intelligences inférieures que si Dieu les leur manifeste. Il est même impossible que Dieu crée aucune intelligence capable de les connaître sans révélation ; impossible aussi qu’il développe les lumières naturelles d’aucune intelligence créée, jusqu’à lui faire saisir en elle-même la vérité du mystère. Le seul moyen dont Dieu dispose pour manifester aux créatures ces mystères est la révélation de sa science infinie. Sur la possibilité et la réalité de cette révélation, voir ce mot. 3. Ils sont des vérités qui, même connues par voie de révélation divine, demeurent couvertes du voile sacré de la foi et enveloppées d’un obscur nuage, sacro ipsius fide vélo lecta et obscura caligine obvoluta. En dehors des principes évidents pour nous, nous n’avons en effet, une claire intelligence que des vérités que nous ramenons à ces principes. Or, les mystères de la foi ne sauraient être ramenés par une créature à des principes évidents pour elle. Autrement ils ne dépasseraient plus les lumières naturelles des créatures, et ils ne seraient plus des mystères.

3° Enseignement théologique : mystère proprement dit ou absolu et mystère improprement dit ou relatif. — On voit comment, au point de vue strictement dogmatique, la notion du mystère se restreint à une catégorie très déterminée de vérités inaccessibles à la raison humaine. Pour distinguer plus nettement ces vérités d’autres vérités qu’on peut dire aussi, sous certains

rapports, inaccessibles à la raison humaine, les théologiens établissent deux catégories de mystères, ceux de l’ordre naturel et ceux de l’ordre surnaturel.

1. Les mystères de l’ordre naturel : mystères relatifs. — Ce sont des vérités cachées actuellement à la raison humaine, mais que celle-ci pourrait découvrir par ses seules lumières, tout au moins quant à leur existence. On ne saurait les appeler mystères que dans un sens très large et relatif.

Ces mystères de la nature renferment deux catégories de vérités. — a) Les unes sont cachées à la raison humaine, uniquement quant à leur existence. Exemples : dans l’ordre physique, les êtres cachés au fond de la mer ou dans le sein de la terre ; dans l’ordre intellectuel et moral : les secrets des cœurs, d’une famille, d’une société. — b) Les autres sont cachées à la raison, non quant à leur existence, car elles sont objet de connaissance expérimentale, mais quant à leur nature intime que notre raison n’a encore pu atteindre. Exemples : dans l’ordre physique, ce qu’est l’énergie physique, l’essence de la matière, l’attraction universelle, l’électricité, etc. ; dans l’ordre biologique, l’assimilation nutritive, la désassimilation, la reproduction, la croissance, etc. ; dans l’ordre psychologique, la sensation, etc. Toutes ces vérités naturelles ne sont, au sens qu’on vient d’exposer, mystères qu’au regard de la raison humaine ; il est vraisemblable que l’intelligence angélique qui atteint l’essence des choses d’une manière intuitive, connaît ces vérités naturelles dans leur raison essentielle. Seule échapperait, même à l’intelligence angélique, la connaissance de l’intime conciliation que doivent avoir entre eux les attributs divins naturellement connaissables. Il n’est en effet possible de concevoir ces attributs divins que par l’analogie des choses créées, et leur conciliation en Dieu (par exemple, d’une part, de la multiplicité des perfections, et d’autre part, de la simplicité divine) échappe forcément à la connaissance naturelle de tout esprit créé, même de l’esprit angélique.

2. Les mystères de l’ordre surnaturel ou théologique : mystères absolus. — Ce sont les vérités que nous ne pouvons connaître sans la révélation divine, tout au moins quant à leur existence.

On les divise aussi en deux catégories. — a) Les mystères surnaturels en un sens large, ou préternaturels, et mieux, mystères de second ordre, sont des vérités dont l’existence seule est inaccessible à l’intelligence créée ; mais une fois cette existence connue par voie de révélation, l’intelligence créée, par ses seules lumières, peut facilement les comprendre. Il s’agit ici de faits dont l’existence dépend de la volonté libre de Dieu. Ainsi, l’existence d’esprits purs, la création du monde dans le temps, le jugement universel, l’institution du sabbat comme jour de repos, l’Église société parfaite et infaillible, son existence sur terre jusqu’à la fin du monde, le pontificat suprême attaché au Siège de Rome, etc. Le concile du Vatican fait allusion à ces mystères du second ordre, quand il déclare : Placuisse (Dei) sapientise et bonilati alia eaque supernaturali via seipsum ac œternæ voluntatis suée décréta humano generi revelars. Sess. iii, c. 2, De revelaiione, Denz.-Bannw., n. 1785. — b) Quant aux mystères surnaturels proprement dits, ce sont précisément ces vérités qui dépassent absolument l’intelligence créée, c’est-à-dire quant à leur existence et quant à leur nature intime. De ces seules vérités il est question dans les documents du magistère cités plus haut.

4° Définitions du mystère surnaturel proprement dit.

— En définissant le mystère surnaturel proprement dit, les auteurs insistent généralement sur ces deux points essentiels impossibilité pour l’intelligence créée d’en découvrir par ses seules lumières l’existence et même, après leur révélation, d’en pénétrer la nature,

verilas quam homo per se nec invenire nec acceptam intelligere unquam potest, dit Schouppe, en une formule qui serait parfaite, si au terme homo était substitué intelleclus creatus. Elem^nta theologise dogmalicse, Bruxelles, 1865, 1. 1, n. 85. C’est la formule qu’on retrouvs, avec des modifications de détails, dans la plupart des manuels de théologie. De forme plus scolastique est cette autre définition qu’on trouve chez Van Noort : Verilas humanam rationem absolule et per se exeedens. De vera religione, n. 14. Absolute indique ici que le mystère ne doit pas être confondu avec les vérités cachées d’ordre naturel, mystères tout relatifs ; per se exclut ici les vérités dont la connaissance ne peut nous parvenir en raison de circonstances accidentelles, éloignement, difficulté d’y atteindre, etc. La définition de Van Noort englobe tous les mystères d’ordre surnaturel, aussi bien ceux de second ordre (quoad exislentiam) que ceux du premier ordre (quoad essentiam). Aussi deimnda-t-elle à être ultérieurement complétée.

II. Existence des mystères proprement dits. —

L’enseignement de l’Église.

- L’existence de mystères

proprement dits est définie comme un dogme de foi par le concile du Vatican, constitution Dei Filius, can. 1 du c. iv. Voir col. 2588. Le premier paragraphe fait appel, pour démontrer l’existence de mystères proprement dits, à l’Écriture et à la Tradition.

1. Écriture.

Le premier texte invoqué est I Cor., ii, 7-8, lequel prépare le ꝟ. 9, cité précédemment par le concile, c. ii, § 2, Denz.-Bannw., n. 1786 : L’œil de l’homme n’a pas vii, ni son oreille entendu, ni son cœur compris les choses que Dieu a préparées à ceux qui l’aiment. Cf. Is., lxiv, 4.

Ces « choses » doivent s’entendre non seulement du bonheur du ciel, mais encore des vérités de l’Évangile objet de la prédication des apôtres et objet de notre foi. D’après les ꝟ. 7-8, invoqués au c. iv, ces vérités sont des mystères proprement dits. Saint Paul prêche la sagesse, la sagesse de Dieu, au sujet de laquelle il s’exprime en des termes qui supposent qu’il révèle à ses auditeurs de véritables mystères. « C’est la sagesse de Dieu même ; et, encore que saint Paul s’adresse aux parfaits, sapientiam loquimur inler perjectos, sa prédication la laisse dans le mystère, loquimur sapientiam Dei in mysterio. C’est la sagesse cachée : non seulement elle l’a été, comme le marque la Vulgate, quæ abscondita est, mais elle le sera toujours en raison de sa nature propre, suivant le texte original qui se sert du participa avec l’article, ttjv à7toxexpufi.[iiv7]v. Quelques interprètes ont considéré in mysterio, comme le régime de abscondita est ; ils traduisent : la sagesse cachée dans le mystère. Mais la plupart des exégètes font de ! /i mysterio et de quæ abscondita est, deux appositions indépendantes. Cf. Cornely, In I Cor., p. 60. Ils traduisent : Nous prêchons la sagesse de Dieu qui est dans le mystère, celle qui est cachée. Notre constitution a confirmé cette dernière lecture, en séparant in mysterio et quæ abscondita est par une virgule. C’est la sagesse que Dieu, de toute éternité, a destinée à faire notre gloire, quam prædeslinavit Deus ante sœcula in gloriam nostram. Ainsi s’explique qu’étant cachée et secrète de sa nature, elle nous soit néanmoins communiquée par Dieu, qui nous confie ses secrets, comme à des amis. C’est une résolution qu’il a prise de toute éternité, en décrétant notre appel à la gloire du ciel ; car c’est la vision intuitive de ces secrets de la foi qui fera notre bonheur éternel. C’est une sagesse qu’aucun prince de ce siècle n’a connue, et qui, par conséquent, est au-dessus des lumières naturelles de la raison, quam nemo principum hujus sseculi cognovil : ce que l’Apôtre démontre par l’ignorance de ceux qui ont crucifié le

Seigneur qui nous fait partager cette gloire, et par le témoignage d’Isaïe, transcrit au c. ii, de notre constitution : L’œil de l’homme n’a point vu ce que Dieu a prépare ù ceux qui l’aiment. Les princes de ce siècle dont il est parlé ici sont ceux qui ont contribué au crucifiement du Sauveur… Cette sagesse ignorée des princes du siècle, Dieu lui-même l’a révélée aux apôtres par son Esprit, à qui les œuvres de sanctification sont attribuées, et qui est descendu visiblement sur les fondateurs de l’Église, le jour de la Pentecote, nobis autem revelavit Deus per Spirilum suum. Il fallait, en effet, pour cette révélation, quelqu’un qui pénètre tout et jusqu’aux plus profonds secrets de Dieu, non pas à la manière de l’ignorant qui cherche, mais à la manière du savant qui jouit de sa science ; or, tel est l’Esprit de Dieu : Spirilus enim omnia scrutatur, TrâvToc êpeuvôc, etiam pro/unda Dei, xal Ta (3à6y) toC -’sou, v. 10. L’apôtre poursuit, en faisant remarquer que cet Esprit divin est seul à connaître ainsi ce qui est de Dieu, et que c’est cet Esprit, non l’esprit naturel du monde, qui a été donné aux Apôtres, afin qu’ils sachent les grâces que Dieu a faites à ses créatures. De tout ce passage, et tout particulièrement des paroles citées par notre constitution, il ressort que Dieu a confié aux apôtres et que les apôtres ont enseigné à l’Église, des mystères que Dieu seul connaît naturellement et qui ne pouvaient nous être manifestés que par une révélation divine. » A. Vacant, Études théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, t. ii, n. 747.

D’autres textes sont également apportés. Le concile fait allusion à Matth., xi, 25-27. « Je vous rends grâce, mon Père, dit le Sauveur, de ce que vous avez caché ces choses-là aux sages et aux prudents et de ce que vous les avez révélées aux petits » ; et le divin Maître montre qu’il s’agit de mystères connus seulement des personnes divines et de ceux à qui elles veulent bien les manifester, en ajoutant : « Il en est ainsi, mon Père, parce que tel a été votre bon plaisir. Mon Père m’a tout livré et personne ne connaît le Fils, sinon le Père, comme personne ne connaît le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils aura voulu le révéler. « 

Dans sa lettre Gravissimas inler contre les erreurs de Frohschammer, Pie IX avait invoqué l’autorité de I Cor., ii, 7-10, mais passé sous silence celle de Matth., xi, 25-27. Par contre, il fait appel à d’autres paroles de l’Écriture : « Les Lettres divines, écrit le pontife, prouvent que ces dogmes les plus secrets ont été manifestés par Dieu seul, lorsqu’il a voulu faire connaître le mystère qui était caché depuis les siècles et les générations (Col., i, 26), et de telle manière qu’après avoir autrefois parlé en plusieurs façons à nos pères dans les prophètes, il nous a parlé ù la fin en son l-’ils par qui il a fait aussi les siècles (Ileb., i, 1-2)… Personne n’a jamais vu Dieu. Le Fils unique qui est dans le sein du Père l’a lui-même raconté (Joa., i, 18).

2. Tradition.

La tradition catholique a toujours considéré les vérités de la foi comme dépassant l’intelligence humaine. I. expression ^mystère » (fvuaTT)piov, sacramentum) se trouve sous la plume « les anciens Pères pour désigner les vérités obscures par elles mêmes qui sont l’objet de noire croyance : [renée parle du « mystère » de la Trinité, Coid. hær., II, xxviii, 0, P. G., t. vii, col. 808. Pour Eusèbe de Césarée cette vérité est inexprimable, Inconcevable pour nous, ryppr, Twç 8è xal àv£7TiXoyôaT<o( ;, Demonst. evang., IV, xii, P. G., t. xxii, col. 257 ; devant elle, seul le silence nous sied, dit S. Hphrem, Advenus serutatorea (al. SOr.), serin, ii, éd. Assémani, t. iii, p. 101. Saint Ililaire dit expressément qne ce dogme est extra signiftcantiam sermonis, extra sensus intenlionem, extra intelligenties concepiionem. De Trinitate, II, 5, P. L., t. x, col. 54. Saint Grégoire de Nazianze l’appelle explicitement

un mystère, Oral., xxxi, 8, P. G., t. xxxvi, col. lit. Dans le Discours catéchétique, n. 3, saint Grégoire de Nysse insiste à plusieurs reprises sur « la profondeur du mystère », P. G., t. xliii, col. 17. « Nous ne pouvons le comprendre », déclare Didyme d’Alexandrie, De Trinitate, II, iv, P. G., t. xxxix, col. 481. Divinum admirandumque mysterium, dit saint Ambroise, De fide ad Gralianum, IV, viii, 91 ; cf. I, x, P. L., t. xvi, col. 034, 541-543. On trouve aussi l’équivalent latin de mysterium, « sacramentum », avec la même signification de vérité inaccessible à la raison. Voir, dans J. de Ghellinck, Pour l’histoire du mot « Sacramentum », Louvain, 1924 ; pour Tertullien, p. 130-134 ; pour S. Cyprien, p. 170-174 ; pour Arnobe, p. 234 ; pour v Lactance, p. 245-251. L’étude sur Commodien de Gaza fournira de nombreux exemples de la signification du mot mysterium ou sacramentum, désignant des vérités cachées à notre raison, de même la traduction latine des livres d’Irénée contre les hérésies, p. 277 sq. Les hérétiques des premiers siècles qui ont tenté « d’humaniser » les données de la révélation, n’ont jamais cependant poussé leur « rationalisme » jusqu’à nier les secrets impénétrables renfermés dans les vérités révélées. Aussi les Pères de l’Église se sont-ils contentés de commenter brièvement les textes de l’Écriture relatifs au caractère mystérieux de la révélation, soit dans leurs homélies, soit dans leurs œuvres de controverse. Voir, en particulier, S. Jean Chrysostome, In I Cor., homil. vii, P. G., t. lxi, col. 53 ; De incomprehensibili, homil. i, n. 3, 6, P. G., t. xlvhi, col. 704712 ; S. Augustin, De fide rerum quæ non videntur, i, 1, P. L., t. xl, col. 171 ; S. Léon le Grand, De nativitate Domini, serm. ix (xxix), P. L., t. liv, col. 220 ; S. Cyrille d’Alexandrie, In Joa., i, 9, P. G., t. lxxiii, col. 124 ; Contra Nestorium, 1. III (mit.), P. G., t. lxxvi, col. 111 ; S. Jean Damascène, De fide orthod., i, 2, P. G., t. xciv, col. 794 ; In I Cor., c. ii, t. xcv, col. 582-590 ; S. Jérôme, In Gal., iii, 2, P. L., t. xxvi, col. 348. C’est à la plupart de ces auteurs, cités en note avec les références susindiquées, que se réfère Pie IX lorsqu’il écrit, dans la lettre Gravissimas inler : Hisce aliisque fere innumeris divinis eloquiis inhærentes SS. Patres in Ecclesiæ doctrina tradenda continenter distinguere curarunt rerum divinarum nolionem, quæ naturalis intelligentiæ vi omnibus est communis, ab illarum rerum notitia, quæ per Spirilum Sanclum fide suscipitur, et constanter docuerunl, per hanc ea nobis in Christo revelari mysteria, quæ non solam humanam philosophiam, verum atiam angelicam naturalem intelliyentiam transcendant, quæque etiamsi divina revelalione innotuerinl et ipsa fide fuerint suscepta, tamen sacro adhuc ipsius fidei vélo lecla et obseura caliginc obvoluta permanent, quamdiu in hac morlali vila peregrinamur a Domino. Denz.-Bannw., n. 1073.

Mais la tradition s’affirme encore, dès le Moyen Age, dans certains actes du magistère de l’Église relativement aux premières tentatives de « rationalisation » des mystères.

En 1228, Grégoire IX avait dû rappeler aux théologiens de l’université de Paris, qu’il ne faut point rabaisser la foi au niveau de la raison ; qu’elle renferme des vérités qui doivent être crues par l’intelligence, et que celle-ci sérail coupable d’audace et d’improbité si elle tentait de pénétrer là où l’intelligence naturelle ne peut atteindre. Denzinger-Bannw., n. 442. Au siècle suivant, Raymond Lulle a été accusé d’avoir eu de la foi une conception rationaliste, accusation à coup sûr au moins exagérée. Voir Lulle, t. ix, col. 1122-1120. On a même prétendu que le pape Grégoire XI, en 1376, aurait réprouvé entre autres propositions condamnables les suivantes qui se rapportent à notre sujet.

Prop. 96. — Omnes artiTous les articles de foi,

culi fidei et Ecclesiæ sacrales sacrements de l'Église et

menta ac potestas papæ posle pouvoir du pape peuvent

sunt probari, et probantur être prouvés et sont prouvés

per rationes necessarias, depar des raisons nécessaires,

monstrativas, évidentes. démonstratives, évidentes.

Prop. 97. — Fides est neLa toi est nécessaire aux

cessaria hominibus rusticis, gens rustiques, ignorants,

insciis, ministralibus et non mercenaires, de basse intel habentibus intellectum eleligence, qui ne savent point

vatum, qui nesciunt cognosconnaître par la raison et

cere per rationem et diligunt aiment à connaître par la

cognoscere per fidem : sed foi. Mais un nomme subtil

homo subtilis facilius trahiest plus facilement attiré à

turad veritatemchristianam la vie chrétienne par la rai per rationem quam per fison que par la foi.

dem. (Noël Alexandre, Historiée ecclesiast., sæc. xiu et xiv, art. 20).

On a démontré, même article, col. 1135 sq., l’inauthenticité de ce document dont on a, à juste titre, fait disparaître les traces du nouveau Denzinger-Bannwart. Elles figuraient dans l’ancien Denzinger, au n. 474 sq.

Au xixe siècle, les systèmes semi-rationalistes d’Hermès, de Gunther, de Frohschammer, obligèrent le Saint-Siège à intervenir de nouveau. Les documents publiés à leur occasion par urégoire XVI et Pie IX préparèrent la définition du concile du Vatican. Nous avons indiqué, au début de cet article, les références à ces actes pontificaux. Nous n’avons pas, non plus, à exposer ici les erreurs visés par ces documents, puisqu’elles font l’objet d’articles spéciaux.

L’enseignement des théologiens.

Au point de

vue doctrinal, cet enseignement n’ajoute rien à la doctrine de l'Église. En règle générale, les théologiens suivent saint Thomas, exposant, notamment dans le préambule du IVe livre de la Summa cont. Génies, le triple mode de connaissance des vérités religieuses accordé à l’intelligence humaine : connaissance par les seules forces de la raison, en ce qui concerne les vérités qui nous sont naturellement accessibles ; connaissance des mystères ici-bas par la foi, dans le ciel par la vision béatifique.

La spéculation théologique s’enrichit toutefois d’un développement concernant la possibilité de démontrer a priori l’existence des mystères. On affirme généralement : 1. qu’il est impossible de démontrer l’inexistence des mystères ; 2. que, s’il s’agit de mystères entendus en un sens large, sans précision de mystères surnaturels proprement dits, il est évident qu’il existe des mystères, en raison même de l’infinie perfection de l’intelligence divine ; cf. S. Thomas, Sum. cont. Génies, t. I, c. iii, 3. qu’il semble toutefois impossible de démontrer a priori, c’est-à-dire avant toute révélation, l’existence de mystères surnaturels proprement dits, uniquement d’ailleurs parce que nous n’en pouvons avoir, avant leur révélation, aucune idée même simplement analogique ; 4. enfin, qu’en toute hypothèse, il n’est pas possible de démontrer a priori l’inexistence des mystères, même strictement surnaturels. Cf. Chr. Pesch, Prælectiones dogmaticæ, t. i, n. 164-165.

3° Précisions concrètes relatives ù l’existence des mystères. — On a déterminé la nature des mystères et leur existence. On cherche maintenant quels sont, concrètement, les dogmes de notre foi ayant le caractère de mystères.

Les principes posés dans la constitution Dei Filius sont ici heureusement complétés par différents documents pontificaux. La lettre Gravissimas inler signale comme ayant surtout et très manifestement le caractère de mystères « les dogmes qui regardent l'élévation surnaturelle de l’homme et son commerce surnaturel avec Dieu » ; en condamnant les erreurs de

Frohschammer, elle indique qu’on ne peut, avec lui, faire rentrer dans le domaine de la raison et de la philosophie « les choses qui constituent surtout et à proprement parler la religion chrétienne et la foi, c’està-dire la fin même surnaturelle de l’homme, tout ce qui s’y rapporte et le très saint mystère de l’incarnation du Seigneur. » Denz.-Bannw., n. 1671, 1669. En somme, on doit ranger parmi les mystères proprement dits, « toutes les vérités qui rentrent dans l’ordre surnaturel et regardent la fin surnaturelle ou les moyens d’y parvenir, pourvu que ces vérités n’appartiennent point en même temps à l’ordre naturel qui découle de la création. > Vacant, Études théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, n. 759. Et la raison en est que cet ordre surnaturel dépend de la libre volonté de Dieu, non seulement dans son exécution, comme l’ordre naturel, mais même dans sa détermination.

On aura remarqué que la Trinité n’est pas nommément indiquée dans les documents précités comme un mystère proprement dit. Et cependant c’est le mystère des mystères. Cette vérité est d’ailleurs affirmée dans le concile de Cologne de 1860, part. I, tit.il, c. i (ix), Mansi-Petit, Concil., t. xlviii, col. 84 ; dans le projet de constitution sur la doctrine catholique, élaboré par les théologiens du concile du Vatican, voir Mansi-Petit, t. un, col. 230 ; et dans la condamnation par Léon XIII de la prop. 25 de Rosmini, Denz.-Bannw., n. 1915.

III. Intelligence des mystères.

Le rôle de la raison humaine vis-à-vis des mystères n’est pas restreint à la production d’un acte de foi en ces vérités, telles qu’elles se présentent dans la révélation. Nous pouvons « en acquérir une certaine intelligence, par une étude attentive, pieuse et réservée ». Cette étude se fait au moyen des analogies que présentent les mystères avec l’ordre naturel, et qui résultent des connexions qu’ils ont entre eux et avec la fin dernière de l’homme. Enfin l’intelligence des mystères est un don de Dieu : Ratio quidem, fide illustrata, cum sedulo quærit, aliquam Deo dante mysteriorum intelligentiam assequitur, tum ex eorum qum naturaliter cognoscil analogia tume mysteriorum ipsorum nexii inter se et cum fine hominis ultimo. Toutefois, cette intelligence demeurera toujours obscure et imparfaite : nunquam tamen idonea redditur (ratio) ad ea perspicienda instar veritatum, quæ proprium ipsius objectum constituunt.

1° Une certaine intelligence des mystères est possible. — Elle résulte : 1. De l’analogie que les mystères présentent avec l’ordre naturel. — Les mystères, par euxmêmes, dépassent tout l’ordre créé et même créables Ils n’ont donc rien de commun avec les êtres créés naturels, mais ils peuvent avoir avec eux quelques points de ressemblance en ce qu’ils sont capables de produire des effets analogues, ou qu’ils ont des rapports avec les mêmes objets.

Plus les analogies seront rares et lointaines, et plus le mystère sera impénétrable à la raison. Quelques exemples illustreront cette vérité. La constitution de l'Église est un mystère, parce que le principe qui unit les fidèles dans l'Église est surnaturel comme l’autorité qui les dirige. Cependant on peut, dans une certaine mesure, avoir l’intelligence du mystère de l'Église par analogie avec l’organisation de la société civile. Les vertus surnaturelles, qui sont une participation à la vie divine, sont des mystères ; mais, par l’analogie de leurs effets avec l’effet des vertus naturelles, nous pouvons en saisir assez facilement les données. La comparaison de la fin surnaturelle avec la fin naturelle peut nous amener à saisir avec quelque justesse la notion de notre bonheur éternel. Plus difficilement peut-être se conçoit la vie surnaturelle de la grâce en elle-même, précisément parce qu’il est difficile de dire en quoi exactement consiste la vie

naturelle ; plus difficilement aussi l’efficacité de certains sacrements, comme le baptême, parce que très lointaine est l’analogie entre les effets physiques produits par l’eau qui lave et ce sacrement qui purifie l’âme ; plus difficilement encore l’incarnation du Verbe, parce qu’il y a plus de différences que de ressemblances entre ce mystère et les points de comparaison fournis par Pi idre naturel ; on notera cependant sur ce sujet la comparaison de l’union de l’âme et du corps, formulée dans le symbole de saint Athanase, "voir Hypostatk.u i (Union), t. vii, col. 539, mais qui, au moment de luîtes monopbysites, s’est révélée déficiente et dangereuse ; plus difficilement enfin le mystère de la Trinité, car très faibles et très obscures sont les ressemblances entre les personnes finies, qui toutes existent en soi et séparément des autres personnes, et les peronnes divines qui n’ont qu’une seule substance et une seule subsistence commune.

Plus les théologiens fouilleront ces analogies, plus même ils découvriront d’analogies nouvelles, et plus la notion des mystères deviendra accessible à la raison. Mais à ce travail, le concile du Vatican fixe une règle : on doit rechercher les analogies naturelles des mystères surnaturels, sedulo, pie et sobrie. Cette règle nous invite à ne chercher les analogies qu’avec précaution, nous référant surtout aux analogies fournies par la révélation et la tradition ; à ne voir que ce que comportent réellement ces analogies, sans rien exagérer, et à n’en point tirer des conclusions fausses relativement à la nature du mystère, qui, même éclairé par ces analogies, demeure mystère. « Les analogies tirées des créatures ne sauraient servira l’intelligence des mystères qu’autant qu’elles nous ont été indiquées au moins équivalemment par la révélation. La révélation est ici le seul guide qu’il soit permis de suivre sans témérité. Les analogies qu’elle indique ne sauraient même être développées que dans les limites tracées par elle. Ces limites pourront ordinairement se déterminer en comparant entre elles les diverses analogies révélées. C’est ainsi que les images où l’Église est comparée à un filet renfermant des poissons bons ou mauvais, celles où elle est appelée l’épouse sans tache achetée par le sang du Sauveur, et celles où elle est présentée comme l’édifice indestructible bâti sur les apôtres et sur saint Pierre, devront être rapprochées les unes des autres, pour éviter l’erreur qui n’admet que des justes dans son sein, ou celle qui laisse son organisation au libre choix des fidèles. C’est ainsi encore que la comparaison des textes qui présentent la seconde personne de la Trinité comme le Fils du Père, son Verbe, celui qui procède de lui, celui qui n’est qu’une chose avec lui, aidera à bien saisir en quoi consiste sa génération éternelle. Comme la tradition de l’Église garde fidèlement les vérités révélées, on devra aussi tenir compte des analogies proposées par les Pères, les conciles et les papes. Il faudra surtout éviter de développer aucune analogie dans un sens contraire à l’enseignement commun. Mais, lorsqu’on suit fidèlement cet enseignement, on peut chercher dans la nature de nouvelles analogies qui présentent d’une façon plus heureuse certains aspects des mystères sur lesquels l’attention est appelée par les attaques des hérésies ou le développement du dogme. C’est ainsi que le concile de Nicée a nommé le Verbe « lumière de lumière », pour exprimer qu’il possède toute la substance du Père. C’est ainsi qu’on a appliqué au souverain pontife, vicaire visible de Jésus-Christ, le titre de « tête » ou « chef » de l’Église, donné par saint Paul au Sauveur lui-même. » Vacant, op. cit., n. 771. C’est en procédant de la sorte que saint Augustin et saint Thomas, pour ne nommer qu’eux, ont éclairé le dogme et mieux approfondi les mystères en leur appliquant, d’une manière analogique, ce que

les philosophies rationnelles enseignent dans l’ordre naturel.

2. Des analogies qui résultent des connexions que les mystères ont entre eux et avec la fin dernière de l’homme.

— L’enchaînement des mystères existe dans la science infinie de Dieu où tout se coordonne dans une merveilleuse unité. Il est donc nécessaire que cet enchaînement se manifeste dans la révélation même que Dieu a faite des mystères et des autres dogmes révélés. Bien plus, l’enchaînement que ne manifeste pas, ou que ne manifeste pas suffisamment, la révélation pourra être mis en lumière par le travail de la théologie, qui fera ainsi pénétrer plus avant l’esprit humain dans l’intelligence des vérités révélées ou des vérités qui leur sont connexes. Enfin, dans le but de rendre l’enchaînement des mystères plus accessible à l’esprit humain, en général peu disposé pour les spéculations arides, Dieu, dans la révélation, a revêtu les mystères d’une forme plus concrète, les mêlant à des récits historiques et à des enseignements moraux qui accentuent encore l’analogie de leur enchaînement réciproque avec celui des lois de l’ordre naturel. Ainsi se présentent, reliés les uns aux autres : « la mort et l’enfer, comme la suite du péché ; la rédemption par Jésus-Christ, comme sa réparation ; le pardon de Dieu, la vie surnaturelle de la grâce, la résurrection de la chair et la vie éternelle, comme les effets de la rédemption ; le baptême, la foi, la charité, comme les moyens d’arriver à la vie et au salut : le Sauveur, comme le Verbe éternel qui s’est fait chair, comme le fils du Père qui est une même chose avec lui, qui, en raison de sa dignité infinie, a été exaucé dans sa prière pour nous, et a réparé le péché en subissant à notre place la mort à laquelle nous étions condamnés. » Vacant, op. cit., n. 773.

C’est la théologie, avons-nous dit, qui, parla recherche de leur ordre et de leur enchaînement, conduit l’esprit humain à une plus parfaite intelligence des mystères. Cette œuvre importante « est accomplie progressivement par trois facteurs, qui marchent de pair et se soutiennent constamment : le premier est une classification des données surnaturelles en familles, en genres et en espèces ; le second est la détermination des principes surnaturels qui s’appliquent à chaque espèce ; le troisième est la déduction des conséquences qui découlent de ces principes ». Vacant, op. cit., n. 776. En d’autres termes, la théologie distingue entre eux et classe les mystères ; elle en établit avec précision les caractères surnaturels ; elle en déduit avec certitude d’autres vérités inaccessibles à la raison, jusques et y compris les conclusions théologiques.

Sans doute, dans la science divine, l’enchaînement des mystères a pour point de départ le mystère des mystères, la Trinité divine ; et, dans la vision intuitive, tous les mystères nous apparaîtront comme essentiellement dépendants de ce mystère suprême. Tout, en elïet, procède de Dieu pour retourner à Dieu. Le Père se manifeste d’abord dans la création et dans l’élévation- à l’ordre surnaturel qui fait de nous ses enfants adoptifs ; ensuite le Fils se manifeste dans l’incarnation, la rédemption, l’Église, les sacrements et surtout l’eucharistie ; enfin se manifeste l’Esprit-Saint dans la sanctification progressive des âmes, se poursuivant jusqu’à la vie d’union à Dieu dans la ïsi<m bienheureuse. Cf. Garrigou-Lagrange, De revelatioiw, Paris, 1918, t. i, p. 183.

Mais, en considérant les choses par rapport à nous, les mystères nous apparaissent surtout en connexion avec notre fin dernière, et ce point de vue fournit les analogies les plus nombreuses, les plus frappantes et les plus justes avec l’ordre naturel, pour expliquer le sens des mystères. « Toute la révélation a pour but de nous faire atteindre la fin surnaturelle à laquelle Dieu a bien voulu nous appeler… Dieu… a révélé

les mystères, parce qu’ils ont tous pour objet soit la fin surnaturelle en elle-même, soit les moyens destinés à y conduire toute l’humanité, soit les moyens destinés à y conduire chaque enfant d’Adam…, soit les obstacles au salut… Une étude faite de ce point de vue a d’ailleurs l’avantage de garder aux enseignements de la révélation leur caractère salutaire : si la science sacrée se développait dans une autre direction, elle ne serait bientôt plus la science du salut et de la sanctification. » De plus, « c’est dans les rapports qui les rattachent à la fin dernière de l’homme que les mystères révélés nous offrent avec l’ordre naturel les analogies les plus nombreuses, les plus justes, les plus simples et les plus faciles à saisir… C’est grâce aux harmonies établies par Dieu même (avec l’ordre vers la fin naturelle), que, sans pénétrer avec notre raison dans le secret des mystères, nous nous en faisons néanmoins, par analogie, des conceptions fort nettement dessinées. Avec les réserves de droit, nous appliquons légitimement à la fin surnaturelle ce qu’une saine philosophie enseigne de la fin dernière ; à la grâce sanctifiante et aux vertus surnaturelles, ce qu’elle établit de notre vie, de nos facultés et de nos vertus naturelles ; à la grâce actuelle, ce qu’elle démontre du concours divin : nous comparons la manière dont les divers sacrements produisent et entretiennent la grâce en notre âme, à la manière dont nos corps reçoivent le jour, se fortifient et se nourrissent. La lumière divine de la révélation qui éclaire notre chemin, est rapprochée de la lumière du soleil et de celle de la raison. L’Église est une société véritable qui a son but, ses lois, son organisation, ses chefs, son indépendance, comme les sociétés civiles. Le péché est la mort de notre âme. Adam et Jésus-Christ ont été devant Dieu les représentants de l’humanité : celle-ci a été livrée à l’esclavage du démon par la faute du premier ; elle a recouvré sa liberté et ses droits par la rédemption du second. Ces images ne sont pas de simples comparaisons choisies arbitrairement par Dieu, pour nous expliquer les mystères ; ce sont des analogies qui s’imposent, lorsqu’on veut expliquer l’ordre de la grâce, parce que l’ordre de la grâce se superpose à l’ordre de la nature. » Vacant, op. cit., n. 782-785.

2° Cette intelligence des mystères est un don de Dieu. — L’intelligence des mystères suppose la foi en ces mystères, proposés à notre raison par la révélation. On peut sans doute, sans la foi, en avoir une intelligence toute matérielle et quant à la lettre. De cette connaissance il ne saurait être question quand on parle de « lintelligence » des mystères. Cette intelligence suppose, en effet, que nous les atteignons dans les rapports qu’ils présentent entre eux et surtout avec notre fin dernière. Or, une telle intelligence ne peut exister que sous l’influence de la lumière de la foi. Deo danle, dit le concile, faisant écho aux déclarations du IIe concile d’Orange, canon 7, rapportées au c. m : « Bien que l’assentiment de la foi ne soit point du tout un mouvement aveugle de l’esprit, personne ne peut adhérer à l’enseignement de l’Évangile comme il le faut, pour arriver au salut, sans une illumination et une inspiration de i Esprit-Saint, qui donne à tous la suavité de l’adhésion et de la croyance à la vérité. C’est pourquoi la foi en elle-même est un don de Dieu… » Denz.-Bannw., n. 1791 ; cꝟ. 180. Voir, relativement à cette vérité, le commentaire de saint Thomas, sur I Cor., ii, 14, et Sum. theol., II^-II^, q. vi, a. 3. Les analogies proposées par les théologiens eux-mêmes ne sauraient être un moyen de pénétration des mystères qu’autant qu’elles sont éclairées par la foi ; car elles n’ont de valeur certaine qu’en tant qu’elles sont des explications des analogies révélées. La raison seule ne peut découvrir les ana DICT. DE THÉOL. CATHOL.

logies favorisant l’intelligence du mystère comme tel, puisque laissée à ses seules lumières, la raison ne saurait atteindre Dieu que comme auteur de l’ordre naturel.

3° Même après la révélation que Dieu a faite des mystères, leur intelligence demeure obscure et imparfaite.

— 1. Doctrines visées par cette affirmation. — - Notre affirmation suppose que la révélation des mystères a été faite ; elle vise donc les semi-rationalistes qui soutiennent que, si la révélation est nécessaire pour nous manifester les mystères, nous pouvons néanmoins, par les lumières de la seule raison, acquérir une intelligence scientifique de ces mystères une fois qu’ils ont été manifestés par la révélation. C’est la thèse de Frohschammer, condamnée par la lettre Gravissimas inter. Denz.-Bannw., n. 1669. Elle vise aussi les auteurs qui, tenant à bon droit la trinité des personnes comme nécessaire en Dieu, refusaient de ranger le dogme de la Trinité parmi les mystères, erreur condamnée chez les gunthériens par Pie IX, bref Eximiam tuam, 15 juin 1857, Denz.-Bannw., n. 1665, et chez Rosmini, par Léon XIII, prop. 25, Denz.-Bannw., n. 1915. Le Syllabus condamne la proposition suivante qui englobe toutes les doctrines réprouvées :

Prop. 9. — Omnia indis criminatim dogmata reli Tous les dogmes de la reli gion chrétienne sans distinc gionis christianse sunt objection sont l’objet de la science

tum naturalis scientiæ seu

philosophiæ ; et humana ra naturelle ou philosophie ; et

avec une culture purement

tio historiée tantum exculta, historique, la raison humaine

potest, ex suis naturalibus peut, d’après ses principes et

viribus et principiis, ad veses forces naturelles, parve ram de omnibus etiam reconnir à une vraie connaissance

ditioribus dogmatibus scien tiam pervenire, modo hsec

de tous les dogmes, même

les plus cachés, pourvu que

dogmata tanquam objectum ces dogmes aient été propoproposita fuerunt. ses à la raison comme objet.

Denz.-Bannw., n. 1709.

En reprenant ces condamnations dans le second paragraphe du c. vi de notre constitution, le concile du Vatican entend englober dans la même réprobation toutes les formes d’erreurs qui introduisent le rationalisme dans l’intelligence des mystères après leur révélation, soit qu’il s’agisse sans aucune distinction de toute sorte de mystères, soit qu’on distingue entre mystères ayant leur fondement dans la libre volonté de Dieu ou dans la nécessité de la nature divine. Cf. note 12 sur le schéma prosynodal de la constitution De doctrina catholica, dans Vacant, op. cit., t. i, p. 589.

2. Doctrine de l’Eglise.

La note 13 sur le même schéma, voir Vacant, t. i, p. 590, rappelle opportunément qu’il existe une double science des mystères, fldes quærens intelleclum : < l’une prétendait arriver à en démontrer l’existence et à en comprendre l’essence intrinsèque par les principes perçus à la seule lumière de la raison, et elle les considérait ainsi comme des vérités qui sont, non pas au-dessus, mais à la portée de la raison. C’est cette science purement philosophique qui est condamnée… Il est une autre science des mystères, qui part des principes révélés et crus par la foi et s’appuie sur ces principes. Cette intelligence est bien loin d’être condamnée ; car elle constitue une portion de la théologie sacrée. » La science purement philosophique des mystères, condamnée par la lettre Gravissimas inter, par le second paragraphe du c. iv de la constitution Dz ftde catholica, et par le canon 1 qui y correspond, implique donc une impossibilité absolue de ramener les mystères à des principes de certitude naturelle. L’intelligence qu’on en aura ne sera jamais semblable à notre intelligence des vérités naturelles, que nous comprenons en les ramenant à des données d’expérience ou à des principes évidents pour la raison. La démonstra X. — 82 tion qu’on en pourra faire ne ressemblera en rien à la démonstration scientifique procédant soit par induction soit par déduction : ce sera une démonstration invoquant l’argument d’autorité qu’implique toujours la foi. L’intelligence des mystères sera donc, si l’on peut s’exprimer ainsi, « une intelligence de superficie. Elle expliquera leur liaison entre eux et avec les données de la raison, mais sans aller jusqu’à établir leur vérité en vertu des principes fournis par notre expérience ou par notre intelligence, et par conséquent sans les démontrer par des principes naturels. Les spéculations de la théologie relativement aux mystères forment donc comme un édifice, qui est construit, non sur le sol de la raison, mais sur le vaisseau de la foi, de telle sorte qu’il n’a d’autre fondement ou plutôt d’autre appui que l’océan de la vérité divine. Pour employer une autre comparaison que notre constitution nous suggère, les. mystères restent toujours ici-bas couverts comme d’un nuage et comme d’un voile, que la raison ne peut percer et qui l’empêchent de démontrer les affirmations de la foi. « Vacant, op. cit., t. ii, n. 791.

Cette impossibilité de comprendre et de démontrer par des principes naturels la vérité intrinsèque des mystères, même après leur révélation, repose, d’après le concile, sur la nature même des mystères, voir ci-dessus, col. 2587, et sur le témoignage de saint Paul dans la II Cor., v, 7 : Per fidem enim ambulamus et non per speciem. Ici-bas, c’est une connaissance qui ne peut s’appuyer que sur la foi ; au ciel, ce sera la vision, non par les lumières propres de notre intelligence, mais par une lumière toute surnaturelle qui, détruisant la foi, y substituera enfin la claire intuition de l’essence divine.

Ouvrages à consulter. — Tous les traités de théologie fondamentale, traité de la révélation. Voir spécialement Garrigou-Lagrange, De revelalione per Ecclesiam catholicam proposita, Paris, 1918, t. i, c. v ; Ottiger, Theologia fundamenlalis, t. i, Fribourg-en-B., 1897, p. 69-80 ; A. Vacant, Études ihéologiques sur les constitutions du concile du Vatican, Paris, 1895, t. ii, art. 120-127.

A. Michel.