Dictionnaire de théologie catholique/MIRACLE I. Notion

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 10.2 : MESSE - MYSTIQUEp. 252-259).

MIRACLE. — L’étude du miracle relève de la théologie, en tant que le miracle démontre la crédibilité de la révélation chrétienne. Cꝟ. 3- proposition souscrite par Bautain ; concile du Vatican, sess. m. c. m. De Fide, et can. 3. Denz.-Bannw., n. 1624, 1790, 1813. Ce canon nous intéresse immédiatement, car il trace au théologien la marche à suivre dans l’exposé de la doctrine catholique du miracle :

Si quis dixerit niiracula Si quelqu’un dit que les nulla fieri posse, proindeque miracles ne sauraient aucuomnes de iis narrationes, nement être possibles ; et etiam in sucra Scriptura conqu’en conséquence les récits tentas, iuter tabulas vel qu’on en fait, même s’ils sont mythos ablegandas esse ; aut consignés dans la sainte niiracula certo cognosci mm- Écriture, doivent être reléquam posse ; nec iis divinam gués parmi les fables et les religionis christianæ origimythes ; ou que les miracles nem rite probari posse, a. s. ne peuvent être connus avec Cf. Syllabus Pii IX.prop. 7 ; certitude, et que l’origine Denz.-Bannw., n. 1707. divine de la religion chré tienne peut trouver en eux

une démonstration probante,

qu’il soit anathème.

De cette déclaration, on doit rapprocher le passage suivant du serment antimoderniste de Pie X :

Externa revelationis arJ’admets et reconnais gumenta hoc est facta divina comme des signes très cerin primisque niiracula et tains de l’origine divine de la prophetias admitto et agnosreligion chrétienne les arguco tanquam signa certissima ments externes de la révédivinitus ortse christiana> lation, et principalement les religionis, eademque teneo miracles et les prophéties ; je aetatum omnium atque homiles considère comme étant num, etiam hujus temporis, très appropriés à l’intelliintelligentise esse maxime acgence des hommes de tous commodata. Denz.-Bannw., les temps, et même de l’épon. 2145. que actuelle.

D’où la division de cette étude : I. Notion. II. Possibilité (col. 1812). III. Constatation (col. 1838). IV. Valeur probante (col. 1850).

I. Notion.

Données du magistère.

On ne s’étonnera pas que nous demandions d’abord à l’argument d’autorité les premières précisions relatives à la notion catholique du miracle. La constitution Dei Filius n’a pas défini le miracle ; mais elle a indiqué quelques-uns des éléments qu’il suppose.]

ri fidei nostræ obsePour que l’hommage de

quium rationi consentaneum notre foi fût d’accord avec la

esset, voluit Deus cum interraison, Dieu a voulu ajouter

nis Spiritus sancti auxiliis aux secours intérieurs do

externa jungi revelationis l’Esprit-Saint des arguments

suæ argumenta, facta sciextérieurs de sa révélation,

sicet divina atque imprimis c’est-à-dire des faits divins,

niiracula et prophetias, quæ et notamment les miracles

cum Dei omnipotentiam et et les prophéties, qui, parce

infinitam scientiam Iuculenqu’ils manifestent excelle ter commonstrent, diviiuv ment la lou ! e-puissance de

revelationis signa sunt c’erDieu et sa science infinie,

lissimæt omnium intelligensont de la révélation divine

tise accommodata. des signes très certains et

C. III, De fide. Denz.- appropriés à l’intelligence de

Bannw., n. 17 !)i>. tous.

Dans ces textes le magistère propose quatre élé" mcuts du miracle : 1. Les miracles ont pour cause Dieu, car ils sont des facta divina, manifestant par leur origine la toute-puissance et l’infinie sagesse de Dieu : par là se trouvent éliminés tous les faits simplement merveilleux, angéliques ou diaboliques. — 2. Les miracles tranchent par leur caractère même sur les effets proport ion nés aux causes naturelles qui les produisent : « Pour être « les preuves extérieures et des signes certains de la révélation, il faut que leur caractère divin suit incontestable ; or, pour cela, il ne sullil pss qu’ils aient été produits par Dieu, il faut encore qu’ils se délacheiil comme des faits manifestement divins, dans la trame des phénomènes naturels, qui seuls

tombent sous notre expérience ordinaire ; et, pour se détacher dans cette trame comme des faits divins, il est nécessaire qu’ils se subst it uent à d’autres faits qui auraient dû naturellement se produire, et qu’ils manifestent ainsi 1 intervention de la toute-puissance de Dieu qui seule est supérieure à toutes les forces de la nature. Vacant, Eludes théologiques sur les Constitutions du concile du Vatican, Paris, 1895, t. ii, l>. 12. 3. Les miracles (entendus ici par le concile comme signes de la vérité de la révélation) sont un moyen dont Dieu se sert pour manifester la révélation : o Par le contraste qu’il y a entre ce fait divin et les faits naturels dans la trame desquels le miracle s’intercale, (le miracle) appelle notre attention, il devient aux mains de Dieu un signe pour nous manifester ce qu’il lui plaît, c’est-à-dire ce qu’il veut nous révéler, que ce soit une chose d’intérêt particulier, comme la sainteté d’un personnage ou une révélation privée, ou que ce soit une chose d’intérêt général, comme la révélation chrétienne. » Id., p. 43. — 4. Lue dernière condition du miracle, qui se rattache à son caractère de signe reconnaissable pour tous, c’est qu’il soit sensible sous quelque rapport. Externa argumenta, dit le concile. Cette condition est absolument requise pour que le miracle soit une preuve extérieure, certaine et appropriée à l’intelligence de tous.

Deux remarques s’imposent. 1. Le concile n’a en vue ici que les miracles destinés par Dieu à prouver la crédibilité de la révélation ; c’est pourquoi il ne s’occupe pas des faits divins, requérant la toute-puissance de Dieu, comme l’incarnation et la transsubstantiation, mais qui ne sont pas des moyens sensibles employés pour manifester la vérité révélée. — 2. Le concile distingue ici miracle et prophétie, marquant par là qu’il réserve le terme miracle pour désigner exclusivement les faits divins et préternaturels qui appartiennent à l’ordre physique ou matériel.

Données de l’Écriture sainte. En parlant des miracles accomplis en faveur de la révélation, le concile du Vatican relève les miracles de Moïse, des prophètes, mais surtout de Notre-Seigneur Jésus-Christ et des apôtres. Id., ibid., Denz.-Bannw., n. 1790. Il nous suffira de considérer ici les termes dont l’Écriture s’est servie pour désigner les miracles accomplis par le Christ et les apôtres. Nous pourrons en tirer quelques éléments destinés à fixer la notion du miracle.

Que Jésus ait accompli un très grand nombre de miracles, l’Évangile l’atteste sans qu’aucun doute demeure possible. Voir Jésus-Christ, t. vii, col. 1189. Les noms dont se servent les écrivains sacrés pour désigner ces miracles marquent bien leur caractère exceptionnel, surnaturel. Ce sont des prodiges, répara : encore que ce nom soit commun aux miracles de Jésus et aux prodiges des faux prophètes, Matth., xxiv, 24 ; Marc, xiii, 22 ; cependant, pour désigner spécialement les miracles du Sauveur, le mol est accompagné d’autres qualificatifs qui excluent l’idée d’un pur prodige, uniquement destiné à éblouir les foules : Matth., et Marc, toc. cit. ; cf. Joa., iv, 48. Ce sont des faits merveilleux, Oa>j(j.âo-’.a, Mal th.. xxi, 15 ; des faits étranges, 7rapâSo^a, Luc, v, 26. Les miracles reçoivent aussi le nom de 8jvô.[iziç. forces, parce qu’ils manifestent une puissance supérieure à la puissance des hommes ; Matth., xi. 20, 21, 23 ; xiii, 54, 58 ; xiv, 2 ; Marc, vi, 2, 5, 14 ; ix, 39 (Vulg.. 38) ; Luc, x, 13 ; xix, 37. Ce sont aussi des signes, arjizloi, à cause de leur relation avec la vocation messianique de Jésus, qui se trouve être par eux contresignée. C’est surtout en saint Jean qu’on trouve celle expression, il, 11, 18, 23 ; iii, 2 ; iv, 48, 54 ; vi. 2. 1 I, 26, 30 ; vu, 31 ; i, 11’. ; x, 41 ; xi, 17 ; xii, 18, 37 : xx, 30, bien qu’on la rencontre déjà assez fréquemment chez les Synoptiques : Matth., xii, 38, 39 ; xvi, l, l ; xxiv, 24 ; Marc, viii, 11. 12 ; xiii, 22 ; xvi, 17, 20 : I.uc, xi, 10, 20..’M ; iii, S. Saint Jean emploie aussi une autre expression, qui lui est propre, £pya, les œuvres. Joa., v, 20, 36 ; vii, 3, 21 ; ix, 3, 4 ; x, 25, 32, 37, 38 ; xi, 12 ; xv, 24, etc.

Après la Pentecôte, les apôtres, eux aussi, opèrent prodiges et miracles, -rspocTa 7rat cr/^etoc, Act., ii, 43 ; v, 12 ; vi, 8 ; viii, 6 ; xiv, 3, surtout des guérisons de malades et de possédés, v, 15 ; xiv, 7-9 ; xxviii, 8, 9. On oppose les csry.eïoi xal Suvâjjteiç [xsyâXaç des apôtres aux ^aytatç de Simon, viii, 13, cꝟ. 11, dans lesquelles cependant le peuple avait cru reconnaître

la grande puissance > de Dieu ». I.cs miracles. Suvâcisiç, de Paul sont également rapportés directement à Dieu, xix. 11.

On a déjà vii, cf. Jésus-Christ, col. 1191 sq., que les miracles accomplis par le Sauveur étaient en connexion implicite ou explicite avec la personne, l’enseignement et la mission du Christ. Les miracles accomplis par les apôtres sont présentés comme accomplis en vue d’attester la vérité de la prédication chrétienne. Marc, xyi, 20 ; Act., xiv, 3 ; cf. xix, 11. D’ailleurs, chaque fois que les Actes signalent les miracles et prodiges accomplis par les apôtres, ils affirment que ces prodiges alïermissaient les fidèles et facilitaient la prédication de l’Évangile. Act., ii, 43 ; v, 11, 13-14 ; vi, 7 ; viii, 6-12, 13.

Les livres inspirés rapportent à la puissance divine elle-même les miracles accomplis par le Christ et les apôtres. Le terme Sûvocluç est, à cet égard, caractéristique. En ce qui concerne les apôtres, c’est Dieu ou le Christ qui agit par eux. Marc, xvi, 20 ; Act., m, 6 ; ix, 34 ; xiv, 3 ; xix, 11. Quant aux miracles du Christ, nous avons fait observer ailleurs qu’il y a deux séries parallèles de textes, ceux où il apparaît que Jésus opère des miracles de sa propre autorité ; ceux où Jésus agit « par l’Esprit » ou « par le doigt de Dieu ». En ce qui concerne les guérisons de possédés, Jésus marque expressément qu’il agit, non par la vertu de Belzébub, mais par l’Esprit (de Dieu). Matth., xii, 25-28. Les deux points de vue s’harmonisent dans le dogme de l’union hypostatique : en Jésus, la divinité agit comme cause principale ; l’humanité comme cause instrumentale. Voir Jésus-Christ, col. 1195. En bref, les données de l’Écriture se résument en trois points : le miracle est un fait extraordinaire dépassant l’ordre habituel des phénomènes naturels ; il est en connexion avec un enseignement religieux dont il atteste la vérité ; il est l’œuvre de la toute-puissance divine, agissant soit immédiatement, soit médiatement.

Données de la Tradition.


1. Avant saint Augustin. —

Les écrivains ecclésiastiques des quatre premiers siècles, principalement les Pères apologistes, se contentent le plus souvent de rappeler que les miracles opérés par le Christ prouvent sa divinité. Quadratus, dans Eusèbe, H. E., t. IV, c. iii, P. G., t. xx, col. 308 ; Méliton, Fragm., vii, P. G., t. v, col. 1221 ; S. Éphrem, Hymni dispersi, xv, 1, éd. Lamy, t. iv, p. 730 ; S. Épiphane (à propos du miracle des noces de Cana), tJser., li, n. 30, P. G., t. xli, col. 941.

Parfois quelques précisions éclairent la notion du miracle. Origène considère les miracles du Christ comme un critère extérieur de la révélation, et, par le but religieux auquel ils tendent (salut des âmes, réforme des mœurs, culte divin), les différencie des prestiges magiques. Cont. Celsum, I, lxviii ; II, iv ; III, xxvii, P. G., t. xi, col. 788, 892, 953. Arnobe se contente de déclarer que les magiciens ne pourraient faire la millième partie de ce qu’a fait le Christ. Adv. nationes, I, xi.m, P. L., t. v, col. 779. Saint Grégoire de Nysse déclare que ces miracles portent la marque de la puissance divine. Oral, cal., n. 11-12, P. G., t. xlv, col. 44.

Saint Justin démontre l’origine divine des miracles de l’Évangile par les prophéties qu’ils accomplissent.

Apol., i, 30, P. G., t. vi, col. 376. Tirtullien rapproche pareillement les miracles des prophéties, opposant par là aux Juifs un argument ad hominem. Adu. Judo-os, c. ix, P. L., t. ii, col. 616. Dans ses controverses contre les païens, Tertullien recourt au témoignage des miracles, et prouve que les miracles de l’Évangile sont discernables des faux miracles, en raison de leur conformité avec les miracles de l’Ancien Testament, car Dieu a préludé par les prophéties aux œuvres merveilleuses de son Christ. Adv. Marcionem, III, m : IV, xxxix, P. L., t. ii, col.’.i’24, 455.

2. Saint Augustin. —

Saint Augustin paraît bien être le premier qui ait donné une définition expresse du miracle. Mais la notion qu’il se fait du miracle dépasse sa définition.

Le terme miracle est tout d’abord employé par Augustin dans un sens très large, et il s’applique tant aux miracles proprement dits, qu’aux prodiges réels ou apparents opérés par les anges, les démons, les magiciens ou attribués aux fausses divinités du paganisme ; bien plus on peut appeler miracles les phénomènes, naturels ou non, présentant quelque aspect merveilleux. Ce sont les miracula quotidiana du cours naturel des événements, et auxquels conviennent également quantité d’autres expressions, synonymes de miracle, et qu’emploie couramment Augustin : signa, prodigia, virtutes signorum, monstra, magnolia, mirabilia, ostenta, mira, portenta. Sur tous ces points, voir Van Hove, La doctrine du miracle chez saint Thomas, Paris, 1927, p. 27-28. Néanmoins, Augustin fait une place spéciale au miracle proprement dit. Sa définition : miraculum voco quidquid arduum est aut insolitum supra spem vel facultatem mirantis apparet, De utilitate credendi, xvi, 34, P. L., t. xlii, col. 90, paraît sans doute inclure les phénomènes simplement merveilleux ; mais le point de vue extérieur de l’étrangeté, seul signalé ici, se complète en réalité, dans la pensée d’Augustin, du point de vue objectif de l’intervention spéciale de Dieu. Cf. De Gen. ad lilteram, IX, xv ; xviii ; t. xxxiv, col. 403 ; Enar. in Jca., tract, vm, 1-3, 9 ; ix, 1 ; xvii, 1 ; xxiv, 1 ; xci, t. xxxv, col. 1450, 1456, 1458, 1527, 1592, 1860-1862 ; Enar. in ps., ps. xc, 6 ; xciii, 8 ; ex, 4 ; cxxx, 6, t. xxxvii, col. 1164, 1199, 1465, 1707 ; Serm., cxxvi, 3-4 ; cclxii, 1 ; ccxlvii, 2, t. xxxviii, col. 699, 1139, 1158 ; De cii : Dei, X, xii : XII, xxvii ; XXI, viii, 2-3 ; XXII, vin-x, t.xii, col. 291, £76, 721, 7C8-772 ; Contra Fauslum, XXVI, m ; XXIX, iv : De Trinitate, III, iv-vi, t. xlii, col. 481-490, 874-875.

Pour être fixé sur la pensée complète d’Augustin, il faut donc « tenir courte tant du point de vue objectif de l’intervention spéciale de Dieu que du point de vue plus extérieur de l’étrarjeté. La définition du miracle donnée par saint Augustin ne comjrerd doncpas tous les éléments qui font, chez le mime auteur, partie de la véritable notion du fait miraculeux. Il faut donc soigneusement distinguer ici notion et définition. » Van Hove, op. cit., p. 31. Trop d’auteurs en sont restés à la définition, par exemple : J. Martin, Saint Augustin, Paris, 1907, p. 326 ; R. Seeberg. art. Wunder, dans Prot. Realencyklopàdie, t. xxi, p. 560, et surtout A. Sabatier, Esquisse d’une philosophie de la religion, Paris, s. d., p. 75, et jadis Kout te ville, La religion chrétienne prouvée par les faits, Amsterdam, 1744, t. ii, 1, I, c. vi, p. 37-38. Cf. J. Grange, Le miracle d’après S. Augustin, Brignais, 1912.

Il reste néanmoins vrai que, pour Augustin, il n’est pas absolument nécessaire que le miracle soit un fait proprement divin : n’importe quel fait extraordinaire, en relation voulue par Dieu avec les circonstances religieuses, suffit à provoquer chez l’homme l’attention en faveur de la vérité. No.us retrouvons peut-être ici un vestige du point de vue d’Origène. Augustin prépare la notion catholique du miracle, mais ne la formule pas encore d’une manière précise et surtout exclusive.

3. L’influence augustinienne sur les écrivains postérieurs. —

Le haut Moyen Age a été sobre en fait de déclarations doctrinales touchant le miracle. L’inspiration augustinienne s’y reflète constamment, et la plupart des auteurs placent plus ou moins explicitement les miracles sur le même pied que les événements naturels : au fond, tous ne sont-ils pas également merveilleux et dus à la providence de Dieu ?

Saint Grégoire le Grand, par exemple, trouve les naissances quotidiennes d’hommes qui n’étaient pas, plus merveilleuses que la résurrection d’un mort qui a vécu ; la multiplication des pains moins merveilleuse que la génération des semences. Seule, leur fréquence a rendu viles et négligeables ces merveilles quotidiennes. Moral., IV, xv, 18, P. L., t. lxxv, col. 738-739 ; Ilomil. in evang., boni, xxvi, 12, t. lxxv], col. 1204. Plus tard, saint Pierre Damien rapprochera le miracle des merveilles de la nature. Dediuina omnipotentia, c. x-xi, P. L., t. cxlv, col. 011-614. « Sans aller jusqu’à affirmer que saint Augustin ait en la matière commandé tout ce que le haut Moyen Age a pensé au sujet du miracle, on ne peut s’empêcher de rapprocher des doctrines augustiniennes sur le caractère « miraculeux » des événements naturels et le caractère « naturel » du miracle, la crédulité médiévale qui a si fréquemment considéré comme faits historiques les faits les plus extraordinaires et les plus invraisemblables, sans ressentir le moindre besoin d’un examen critique. N’est-ce point en effet que l’on considérait le merveilleux comme un résultat normal et naturel de l’existence d’un Dieu toutpuissant qui gouverne le monde ?… Qu’on songe seulement un instant à l’abondante littérature des Vite, des Annales, des Chroniques, ou aux nombreux écrivains qui, comme saint Grégoire de Tours, saint Grégoire le Grand, et plus tard Pierre le Vénérable et Césaire d’Heisterbach, ont entrepris exprofesso la narration des faits merveilleux, capables d’édifier ou au moins d’intéresser les fidèles, qui étaient réputés s’être passés soit dans l’antiquité soit même à leur époque ! » Cf. Van Hove, op. cit., p. 34-35. On trouve aussi trace d’une mentalité semblable chez Raban Maur, Robert Pulleyn, Randinus, Roland Randinelli. Et cependant, même chez ces auteurs, il s’en trouve plus d’un qui sait mettre en même temps une opposition entre le fait naturel et le miracle proprement dit, le premier étant directement l’œuvre des forces créées, le second ayant pour cause unique et immédiate l’opération divine. Mais cette discrimination sera l’oeuvre du xiie siècle.

4. Première élaboration chez les scolastiques des XII* et XIIIe siècles. —

Saint Anselme, le premier, distingue un triple ordre de choses, d’après l’ordre des causes agissantes : nature, volonté de la créature, volonté de Dieu. Quand Dieu est seul à agir, son activité constitue le cursus mirabilis. Liber de conceptu virginali, c. xi, P. L., t. ci.vm, col. I l"> 146. Désormais, on caractérisera de plus en plus le miracle par son origine immédiatement divine.

Au Mi’siècle, on n’a encore sur ce point que des indications occasionnelles et peu explicites, qu’on trouve néanmoins déjà chez Alger de I.iége, Abélard, l’auteur des Scidenti.-r divinitatis, Alain de Lille, Pierre de Poitiers et même chez Robert Pulleyn et Roland l’andinelli. D’autre part, l’augustinisme se retrouve chez saint Bernard, qui note que les faits naturels diffèrent des miracles en ce que l’habitude les avilit. In vigilta Ndiivitatis Damini, sermo IV, n. 3, P. L., t. ci KXIII, col. PU. et à un degré moindre chez Rupert de Deutz, Pierre le Vénérable, Adam de Perseigne. Van Hove, op. cit.. p. 39.

Césaire d’Heisterbach, donne encore du miracle une définition augustinienne : Miraculum dicimus, quicquid /it contra solitum cursum natunr, unde miramur. Dialogus miraculorum, x. 1, édit. Strange, Bruxelles, 1851, t. ii, p. 217. D’après S. Thomas, De potentia, q. vi, a. 2, sed contra 2, Richard de Saint-Victor aurait ainsi défini le miracle : Opus Creatoris mani/cstativum divinse virtutis. Aux « Magistri », Albert le Grand rapporte une définition analogue : Opus divinse potentia" ostensiinim. In 1 Ium Sent., dist. XVIII, a. 3. Guillaume d’Auxerre, sans définir le miracle, le caractérise nettement. Les miracles sont supra naturam. en opposition aux faits naturels, qui sont secundum naturam, et la raison de cette opposition se trouve dans les causes efficientes des uns et des autres. Les faits naturels viennent de Dieu, sans doute, mais par le moyen des causes naturelles secondes. Summa aurea, t. I, c. xii ; t. IV, c. ii, iv. Guillaume d’Auvergne définit les miracles : Virtutis Dei admirandas operationes insolitas cursuique natures contrarias. De /ide, c. m. Alexandre de Halès développe longuement cette notion. Il explique la définition de saint Augustin dans le sens de la transcendance du miracle et de la causalité immédiatement divine. Ardiium dicitur supra potestatem naturæ, ou encore : Miracula ab alio principio fiunt quant sit naturel, scilicel a superiori, id est, prima natura. Sum. Iheol., II a, q. lxii, memb. 1, 3. Insolitum (non dicitur) tuntum quia raro evenit…, sed quia contra consuetum cursum naturæ, elsi fréquenter, eveniat. Id., ibid., les monstres sont eux aussi contra naturam ; mais parce qu’ils sont produits par la nature, ils ne sont pas des miracles. La signification large de miraculum, dans le sens de merveilleux naturel ou préternaturel, existe chez Alexandre, d’après la terminologie même de saint Augustin. Ibid., memb. 1 : cf. q. lxxxv, memb. 3, et S. Augustin, Liber de div. queest., q. i.xxix, n. 4, P. L., t. xx., col. 92. La signification du mot mirabile est encore plus vague, et désigne à la fois le vrai miracle, le simple merveilleux angélique ou diabolique, les mystères de l’ordre surnaturel et la conduite divine des choses naturelles. Van Hove, op. cit., p. 13.

Saint Bonavénture, à propos de la formation d’Eve, exige deux conditions pour qu’il y ait miracle : le fait miraculeux doit être causé à la fois immédiatement par Dieu et contre la nature ; la nature peut le produire, mais d’une autre manière. Les phénomènes que la nature ne peut d’aucune manière produire sont supra naturam ; ce sont les mirabilia, véritables miracles néanmoins, au sens où nous l’entendons aujourd’hui. In II"" 1 Sent., dist. XVIII, a. 1, q. H, ad 5’"" el 6um. D’ailleurs la terminologie de saint Bonavénture n’est pas constante.

On peut en dire autant de la terminologie d’Albert le Grand. Soit dans la Summa de creaturis, part. I. tr. i, q. i, a. 8, soit dans le Commentaire sur les Sentences, 1. H, disl. XVIII. a. 3, soit dans la Suntma theologim, part. II, tract, viii, q. xxxi, memb. 2, a. I, Albert reprend la définition augustinienne. Dans le Commentaire, chaque terme en est expliqué. Arduum exprime que la cause efficiente du fait miraculeux est supérieure à toutes les causes naturelles et volontaires, leic. cit., ad l 1 "", le miracle est donc une œuvre essentiellement divine ; cf. dist. I, a. 8 ; dist. XVIII, a. 2. Insolilum signifie plus que la simple rareté, notamment l’opposition au cours ordinaire des choses, el même l’absence d’une cause ordinaire et naturelle. L. ii, dist. XVIII, a. 3, ad 2° m et S » ; I. IV, dist. XVII, a. 12. Les deux autres éléments de la définition (supra spem aut facuttatem mirantis) expriment Albert le Grandie dit explicitementle rapport du miracle à nos facultés cognitives et opératives, t. II, dist. XVIII, a. 3, ad 4um, 5um, 6um. L’expression prœler spem est déterminée ultérieurement ; le miracle est prseter spem natura>, mais non prseter spem gratiæ, c’est-à-dire qu’on ne peut attendre le miracle de la seule opération des natures créées telle que l’ordre naturel nous la fait connaître, mais que la révélation peut nous apprendre à l’avance des interventions d’un autre ordre… En appliquant sa définition, Albert conclut que la création (y compris la dispositio et V ornât us), l’incarnation, la conception virginale, la résurrection finale, sont de véritables miracles. Van Hove, op. cit., p. 46. Dans la Summa theologiie, part. II, tract, viii, q. xxx, memb. 1, a. 1, Albert le Grand énumère quatre conditions du miracle : qu’il soit l’œuvre de la seule volonté de Uieu ; qu’il ne puisse être produit par les puissances naturelles ; que la production du miracle soit, contrairement au mode de production naturelle, subite et instantanée ; qu’enfin il soit accompli dans un but de justice publique, en vue d’édifier les croyants. Cf. sur ce dernier point S. Augustin, Liber de div. quæst., q. lxxix, n. 4, P. L., t. xl, col. 92. Le terme mirabile est plus général, et s’applique à des faits merveilleux qui ne sont pas à proprement parler miraculeux : la création, le gouvernement divin, la justification, l’incarnation, la résurrection finale, etc. On voit, par ces exemples, combien la terminologie et instable. Cf. part. II, tract, viii, q. xxxi, memb. 2, a. 3.

5. L’enseignement de saint Thomas. —

Saint Thomas accepte et explique la définition augustinienne, qu’il ne cite jamais textuellement, In /V am Sent., dist. XVII, q. i, a. 5, sol. 1 ; dist. XVIII, q. i, a. 3, obj. 2-4 ; De potentia, q. vi, a. 2, et obj. 1 ; a. 9, obj. Il ; Sum. theol., I a, q. cv, a. 7, obj. et ad 2um. Dans ses explications, le Docteur angélique accentue le caractère transcendant du miracle. Dans ces divers textes, on remarque… que le mot naturse, qui chez Albert le Grand ne servait qu’à préciser prseter spem dans l’explication de l’expression, se trouve maintenant introduit dans la définition elle-même, pour déterminer soit supra farultatem, soit prseter (supra) spem. La défi.iition n’en exprime que d’autant mieux le rapport du miracle aux facultés cognitives ou opératives de celui qui en est le témoin. Aussi le terme (ad)mirantis a-t-il une certaine tendance à disparaître. C’est ce qui arrive à l’endroit cité des Sentences où saint Thomas n’énumère que trois éléments de la définition, et à celui de la Somme, où les expressions supra facullatem et supra spem sont toutes deux déterminées par naturse. » Si l’on voulait synthétiser la pensée de saint Thomas, on pourrait, avec M. Van Hove, op. cit., la ramener à trois notions essentielles : 1° « Au point de vue du cours des événements, le miracle est un fait exceptionnel, en dehors du cours commun et normal des choses. » C’est l’explication de Vinsolitum de saint Augustin. 2° « Au point de vue du sujet du miracle : le miracle comporte que les puissances naturelles du sujet où il se produit n’en possède que la puissance obédientielle » ; c’est l’explication du supra ou prseter spem (ou facultatem) naturse. 3° « Au point de vue de sa cause efficiente, le miracle dépasse toutes les forces créées et ne peut être produit que par Dieu. » C’est l’explication de Varduum. Vouloir négliger l’un de ces éléments, c’est s’exposer à ne donner de la notion thomiste du miracle qu’un aperçu incomplet. On peut adresser ce reproche à E. Le Roy, qui n’a défini le miracle, d’après saint Thomas, que par le caractère exceptionnel. Annalesde philosophie chrétienne, décembre 1906, p. 228.

Par là nous aboutissons à une définition du miracle, propre à saint Thomas. Sum. theol., I a, q. cv, a. 7 : Miraculum dicitur quasi admiratione plénum (aspect subjectif, augustinien, expliqué et complété par ce qui suit) : quod scilicet habet causam simpliciter et omnibus occultam. H sec autem est Deus. Unde illa quæ a Deo fiunt prseter causas nobis notus, miracula dicuntur. Et pour bien préciser que le miracle relève de Dieu seul comme de sa cause efficiente, saint Thomas explique qu’il doit consister en un fait accompli prseter ordinem totius naturse creatse. Id., q. ex, a. 1.

En vertu de ces précisions, sauf de rares exceptions où l’on retrouve la terminologie antérieure, cf. De potentia, q. vi, a. 2, le mirum est nettement distingué du miraculum. Et la notion même du miracle devient ferme en raison de la rigueur du principe énoncé par saint Thomas. Le préternaturel angélique ou diabolique est nettement éliminé : quod habet causam simpliciter et omnibus occultam ; … quod sit prseter ordinem totius naturse creatse. Voir cependant quelques emplois du mot miraculum pour les prodiges préternaturels : De malo, q. xvi, a. 9, ad llum ; Di Joa., c. x, lect. 4 ; Comp. theol., i, c. cxxxvii. Les faits transcendants, mais conformes au cours naturel ou à la tendance des choses ne sont plus miracles : tels, la création du monde, la création des âmes, la justification du pécheur. Enfin, rien n’empêche que soient catalogués parmi les miracles des faits vraiment accomplis par Dieu, prseter causas nobis notas, tels que la résurrection générale. In IV’Am Sent., dist. XVIII, q. i, a. 3, ad 3um ; dist. XL. III, q. i, a. 1, sol. 3 ; De potentia, q. vi, a. 2, ad 4um ; la transsubstantiation, Sum. theol., III a, q. xxix, ad 2um ; la conception virginale, Id., q. xxxiii, a. 4 ; In IIIum Sent., dist. III, q. ii, a. 2 ; Quodlib., vi, a. 18 ; In epist. ad Heb., c. xi, lect. 3 ; Comp. theol. I, c. ccxxvi ; l’incarnation, Sum. theol., III a, q. xxxi, a. 1, ad 2° m ; In III* m Sent., dist. III, q. ii, a. 2 ; In 7Vum Sent, dist. XI, q. i, a. 3 ; De potentia, q. vi, a. 2, ad 3um et ad 9um ; a. 9, obj. 9.

Spéculations théologiques postérieures.


Les formules de saint Thomas ont fait loi dans la théologie catholique, qui se contente de préciser quelques points particuliers.

1. Classification des miracles. —

Saint Thomas a donné deux classifications principales du miracle.

Une première classification, communément admise, distingue les miracles en miracles supra, contra, præter naturam. De potentia, q. vi, a. 2, ad 3um. Cf. In II* m Sent. dist. XVIII, q. viii, a. 3 ; In epist. II am ad Cor., c.xii, lect. 4 ; In epist. ad Heb., c. ii, lect. 1 : — Supra : des faits ne pouvant d’aucune façon être produits par la nature, soit absolument (glorification des corps, incarnation), soit relativement au sujet (résurrection d’un mort). Contra : des faits supposant à une disposition que garde la nature (cf. A. de Poulpiquet, Le miracle et ses suppléances, p. 174), contrairement à l’effet produit par Dieu (jeunes gens dans la fournaise, enfantement virginal). Præter : des faits que peut produire la nature, mais que Dieu réalise d’une façon que la nature ne peut imiter (guérison instantanée, changement de l’eau en viii, multiplication des pains.)

Une deuxième classification est introduite à propos de la question si un miracle est plus grand qu’un autre, Sum. theol., I a, q. cv, a. 8, et distingue les miracles par rapport à la puissance de la nature créée, que dépasse l’effet miraculeux ; elle considère la substance du fait miraculeux, son sujet et la manière dont il est produit. C’est un miracle quoad substantiam facti, quand la nature créée ne peut le produire en aucune façon. C’est un miracle quoad subjectum in quo fit, quand il ne peut être produit par la nature dans le sujet même où il est réalisé : c’est le cas de la résurrection d’un mort, de la vue rendue à un aveugle.

C’est un miracle quoad modum quo fit, si ce miracle est un fait que peut produire la nature même dans le

sujet où il est réalise, mais non pas d ? la façon dont Dieu le produit : guérison subite d’un malade.

Les éclaircissements apportés par les théologiens postérieurs à saint Thomas concernent deux points :

a) Les deux classifications sont-elles réductibles l’une à l’autre ? —

On le pense ordinairement. Cf. Garrigou-Lagrange, De révélation’, t. ii, p. 47. En réalité les exemples que nous avons donnés montrent qu’il n’en est pas tout à fait ainsi : la première classification est plus complète, les miracles contra naturam n’ayant pas d’équivalent dans la deuxième. Il vaut donc mieux affirmer que les deux classifications se réduisent à p.-u près l’une à l’autre, mais que la coïncidence n’est pas universelle. Cf. card. Lépicier, Del miracolo, Rome, 1901, p. 98 ; G. Sichirello, Nomenclatura tomistica nella teoria del miracolo, Rovigo, 1909, p. 4244. D’ailleurs la chose est de peu d’importance. En se reportant aux endroits indiqués, ou constatera que saint Thomas lui-même ne s’est pas servi d’une terminologie bien fixe : on n’a ici que des divisions couramment acceptées dans l’École, comme aide-mémoire. Cf. Alexandre de Halès, Sum. theol., part. II, q. xlii, memb. 2 ; Albert le Grand, In I / : lm Sent., dist. XVI II, a. 7 ; Sum. theol., part. I, tract, xix, q. lxxviii, memb. 2 ; part. II, tract, viii, q. xxxi, memb. 2, a. 2 : q. xxxii, memb. 2, ad q. iv.

b) Faut-il admettre que la classification de la Somme théologique comporte un progrès et des corrections sur celle du De potentia ? —

Dans sa Logique surnaturelle objective, p. 137-138, note, J. Didiot le suggère en raison de la division contra naturam, qui aurait paru peu exacte à une réflexion plus mûre. Il est toutefois peu probable qu’il en soit ainsi, car on trouve indifféremment des allusions ou des emprunts aux deux classifications dans des œuvres de différentes époques. De veritale, q.xii, a. 14, ad 3um, et Sum. contra Génies, t. III, c. ci, qui se réfèrent à la Somme théologique sont antérieures au De potentia. Il sciait néanmoins hasardeux d’exclure tout changement dans la façon d î s’exprimer de saint Thomas, comme semble le supposer le P. Folghera, Le miracle d’après S. Thomas d’Aquin, dans la Revue thomiste, 1904, p. 321. Il faut reconnaître que le contra naturam a été employé par saint Thomas en divers sens. Cf. Garrigou-Lagrange, op. cit., p. 47. Saint Thomas lui-même avertit que le contra naturam ne pouvait être entendu au sens de contra raliones séminale*, Dieu ne faisant jamais qu’une cause naturelle active produise un effet essentiel opposé à celui qu’elle doit naturellement produire ; que, par exemple, le feu puisse Jamais refroidir. In /"" Sent., dist. XI, II, q. ii, a. 2, ad 4um. D’où il est possible qu’il ait été amené finalement à abandonner, eu partie du moins, une expression prêtant à confusion. De fait, on ne rencontre pas dans la Somme l’expression d" miracle contre la nature.

2. L’expression qui prête à confusion a été étudiée, approfondie, expliquée par la théologie postérieure.

Les adversaires du surnaturel se sont emparés de la formule contra naturam, pour représenter le miracle comme, une dérogation aux lois de la nature, el montrer ensuite l’absurdité d’une telle not ion. « 1)ieu peut-il faire des miracles ? se demande J.-.I. Rousseau. C’est-à-dire peut-il déroger aux lois qu’il a établies ? Cette question sérieusement traitée sciait impie, si « Ile n’était ahsurd’. i Lettres écrites de la Montagne, mlettre..Iules Simon, voyant lui aussi d ms les miracles « une volonté capricieuse, des mouvements désordonnés, dïs dirogations perpétuelles à la loi, déclarait dans ces conditions le miracle impossible. La religion naturelle, 8’éd., Paris, 18K3, II’partie, t. iv, p. 28 1. - Ci. Séailles présente les miracles comme de petits accrocs faits arbitrairement dans la trame des phénomènes », comme « des coups d’JÏtat minuscules en un point dî l’espace et du temps. comme « un procédé puéril, enfantin, indigne d’une haute intelligence à laquelle il ne saurait convenir de troubler le règne des lois qu’elle a établies », comme < une déchirure dans la trame dis phénomènes. » Les affirmations de la conscience moderne, 4e éd., Paris, 1909, p. 32-34. — Plus récemment, M. E. Le Roy déclare que, s’il faut entendre par miracle une dérogation aux lois de la nature, le miracle apparaît… comme une sorte de création ex nihilo survenant en plein milieu de la série phénoménale », et qu’ainsi on fait du miracle « une sorte de monstre impensable ». Essais sur la notion du miracle, i, dans Annales de philosophie chrétienne, oct. 1906, t. cliii, p. 7-8 ; cf. Le problème du miracle, dans le Bulletin de la Société française de philosophie, mars 1912, p. 98-99.

— - Pour T. H. Huxley, le concept de suspension de l’ordre ou de dérogation à l’ordre de la nature serait contradictoire, parce que tout ce que nous connaissons de cet ordre dérive de notre observation du cours d ! S événements dont le soi-disant miracle fait partie.

— Beaucoup de savants contemporains, considérant les lois de la nature, non comme des vérités expérimentalement découvertes, mais comme des principes plus ou moins hypothétiquement décrétés, sortes de définitions préalables, n’hésitent pas à affirmer que. dans ces conditions, l’expression « dérogation, exception aux lois » n’a plus la moindre signification.

Devant ces assertions, nombre d." théologiens catholiques rappellent fort sagement qu’il importe « de ne pas introduire djns la notion du miracle une idée qui semblerait impliquer le désordre, comme ces formules mises en vogue par l’apologétique du xviiie siècle : « violation des lois de la nature » ; « fait contraire aux lois naturelles ». Définitions imprudentes et qui compromettraient le miracle au regard d’une saine raison, sous prétexte d’en accentuer le caractère divin. J. Rivière, art. Miracle, dans le Dictionnaire pratique des connaissances religieuses, t. iv, col. 1015. Cf. Sortais, La Providence et le miracle devant la science moderne, Paris, 1905, p. 77 ; de Bonniot, Le miracle et ses contrefaçons, 5e éd., Paris, 1895, p. 23 ; J. Didiot, Logique surnaturelle objective, p. 125. Et pourtant, nombre de théologiens et d’apologistes catholiques considèrent encore le miracle comme une dérogation aux lois de la induré, el le considèrent comme un fait produit par Dieu contrairement à la nature, Billuarl définit le miracle : Effcclus omnipotentiiv divins contra leges communes et supra omnes vires totius naturte. Tract. De fuie. a. 2, § 1, D’après les Wirccburgenses, Dieu peut ordincm causarum secundarum immntare, suspendere. inlcrrumpere et effcclus ab eodem independentes prodUCere. Dr rcligione. Paris, 1852. p. 105. An mol Miracle, Bergier écrit dans son Dictionnaire que « le miracle est un événement contraire au. t lois dla nature et qui ne peut être L’effet d’une cause naturelle. » Le Cursus theologise d’Migne, t. xi, col. lo : >7. approuve la définition suivante qu’il attribue à des théologiens et philosophes sensés : Efjectus sensibilis, consueto nature corporciv ordini derogans. Au lieu de voir d ms le miracle un effet qui dépasse l’ordre de toute la nature créée, il le considère comme un elïel qui dépasse les forces d In nature corporelle. Dans son récent livre. Introduction à l’étude du merveilleux et du miracle, le P. de Tonquédec laisse passer et parfois même emploie les expressions d > « dérogation à la loi », d’ « exception à un ordre régulier ». Il déchire toutefois, appendice III, n’entendre par là quc l’inlcrven lion extraordinaire dla liberté divine dans le monde sensible i, el reconnaît que l’expression dérogation peut être critiquée comme prêtant à confusion.

Toutefois, il faut bien admettre un sens acceptable des formules : dérogation à la loi, violation de la loi. Chez saint Thomas, l’expression contra naturam est certainement employée ; elle ne signifie nullement une violence imposée à la nature ; car la nature des choses est essentiellement dépendante de leurs causes ; or, Dieu est la cause de tout être ; donc Dieu peut agir en lui selon sa libre volonté ; il ne lui fera aucune violence. Dieu ne change pas la nature des êtres : le miracle n’est pas contra rationes séminales rerum. Dieu ne pose, par rapport à lui, aucune dérogation aux lois qui régissent l’activité des êtres. Seulement, en vertu de l’intervention de Dieu, résultent dans la nature des elîets qui sont proportionnés à l’intervention divine et sont préternaturels comme elle. La nature constituée reste ce qu’elle est ; elle n’agit pas, si on la considère en elle-même, autrement que sa loi ne l’y porte ; mais l’intervention ûi Dieu superpose à la nature quelque chose qui, dépassant les forces de toute nature créée, est proprement préternaturel ou divin. Le miracle qualifié contra naturam est donc simplement celui qui rencontre dans la nature une disposition contraire à l’effet qu’il pose. Considéré du côté du sujet dans lequel il se réalise, ce miracle paraît contra naturam ; considéré du côté de l’agent qui le pose, il est, comme tout miracle, un simple prœter naturam. « En réalité le miracle comporte seulement la suspension de l’application d’une loi naturelle à un cas particulier par l’intervention de la cause qui est supérieure à toute la nature. » Van Hove, op. cit., p. 89. Mais, peut-on ajouter avec le même auteur, « comme l’exercice de l’activité est le terme normal d’une puissance opérative, on peut dire que son empêchement constitue une violation de la loi. » Cf. Cxarrigou-Lagrange, De revelatione, t. ii, p. 45 ; Ottiger, Theologia fundamenlalis, Fribourg-en-B., 1897, t.i, p. 179-180.

3. La finalité du miracle. —

Par définition, le miracle suppose une intervention spéciale de Dieu, modifiant dans un cas particulier le cours normal des choses ; on ne peut donc le concevoir, de potentia ordinala Dei, qu’en raison d’un motif proportionné à cette intervention spéciale. Loin donc de considérer le miracle comme ayant sa fin en lui-même, ou comme une correction apportée par Dieu à son œuvre première, la théologie catholique enseigne expressément que le miracle est ordonné à une fin particulière supérieure, principalement sinon exclusivement une fin religieuse. Ainsi saint Thomas nous le présente comme opéré en témoignage de la foi, Sum. the.ol., I a, q. cxii, a. 2 ; Ia-IIæ, q. exi, a. 4, ad3um ; II^-II 33, q. ii, a. 1, ad lum, a. 9, ad 3um ; q. clxxviii, a. 1, ad 5um ; III a, q. vii, a. 7 ; q. xxix, a. 1, ad 2um ; q. xxxi, a. 1, ad 2um ; q. xliii, a. 1 ; q. xliv, a. 1 ; q. lui, a. 1 et 2, et loc. parai. ; en témoignage de la divinité du Christ, III a, q. xl, a. 1, ad lum ; q. xliii, xliv, lui, a. 1 ; q. lv, a. 6 ; en témoignage de la sainteté du thaumaturge, IF-II 33, q. clxxviii, a. 2 ; III a, q. lxiii, a. 1 ; en vue du salut de l’humanité et de l’utilité de l’Église. Ia-IIæ, q. exi, a. 5 ; III a, q. xliv, a. 1, ad 3um et 4um ; a. 3, ad lum, a. 4. Et d’autre part, se fondant sur l’Évangile, Marc, vi, 5, saint Thomas admet que le miracle devient impossible de potentia ordinata, si, à cause par exemple de la prévision certaine de son mm jue d’efficacité, sa raison d’être n’existe pas. IÏI a, q. xliii, a. 2, ad 2um. Cf. Van Hove, op. cit., p. 126.

Cette finalité religieuse du miracle est, dans l’ordre présent, une finalité surnaturelle, puisque la religion que le miracle confirme est, en fait, surnaturelle. Les théologiens se demandent si le miracle est essentiellement ordonné à une finalité surnaturelle, de telle sorte que, dans un ordre hypothétique purement-naturel, il n’eût pu trouver place. Certains textes de saint Thomas semblent favoriser la réponse qui affirme la possibilité d’une finalité religieuse naturelle. Tels les textes où il est dit que le miracle doit servir à l’instruction des hommes, II a -II ie, q. xcvii, a. 2, ad 3um ; à la confirmation des prophéties, IIa-IIæ, q. v, a. 2 ; q. clxxi, a, 1 ; clxxiv, a. 3, ad 3um et a. 4 ; ou à celle de la doctrine du thaumaturge, IIa-IIæ, q. clxxviii, a. 2 ; III 1’, q. xxvii, a. 5, ad 3um ; q. xxxviii, a. 2, ad 2um ; q. xlii, a. 1, ad 2um ; q. xliii ; q. lv, a. 6, ad lum, quoiqu’il soit vraisemblable ici qu’il s’agisse de l’ordre surnaturel. Il faut endire autant des textes où, selon saint Thomas, le miracle est présenté comme un moyen par lequel les hommes parviennent à la connaissance de Dieu ou de la vérité en général, Il a -Il æ, q. clxxviii, a. 1, ad4um ; Cont. Gentes, t. III, c. xcix ; comme un moyen de manifester la puissance divine, I a -II 1E, q. li, a. 4 ; q. exi, a. 4 ; ou comme le moyen de procurer l’utilité des hommes, P-II 36, q. clxxviii, a. 1, ad 2um ; III a, q. xliv, a. 1. ad 3um et ad 4um. Ce qui semble rendre cette interprétation vraisemblable, c’est que saint Thomas, à propos des guérisons miraculeuses corporelles, déclare expressément que la guérison du corps est ordonné à celle de l’âme. III a, q. xliv, a. 3, ad 3um. Le seul texte qui soit vraiment e î faveur de l’hypothèse d’une finalité d’ordre naturel serait tiré du De potentia, q. vi, a. 5, ad 5um : ici, le miracle est présenté comme attestant la virginité d’une vestale, c’est-à-dire une vertu purement naturelle. Cf. Garrigou-Lagrange, La grâce de la foi et le miracle, dans la Revue thomiste, 1918, p. 310. Il semble toutefois à de bons auteurs que ce texte ne serait pas suffisant pour déclarer la possibilité du miracle dans l’ordre purement naturel. Cf. Van Hove, op. cit., p. 132. Et pourtant cette possibilité est admise assez communément. A. de Poulpiquet, L’objet intégral de l’apologétique, p. 62 ; Le miracle et ses suppléances. p. 236 et 302-306 ; J. D. Folghera, art. cit., p. 337, R. Garrigou-Lagrange, Le surnaturel essentiel et le surnaturel modal selon les thomistes, dans la Revue thomiste, 1913, p. 326 ; La surnaturalilé dans la foi, id., 1914, p. 29 ; La grâce de la foi et le miracle, id., 1918, p. 305, note 1 et p. 310 ; De.revelatione, t. i, p. 212-213 ; H. L. Janssens, De vi demonslrativa miraculorum, dans Ephemerides theologicw lovanienses, 1924, p. 26 ; A. Mercier, Le surnaturel, dans Revue thomiste, 1902, p. 552 ; A. Van Weddingen, De miraculo, deque ejus in christiana demonslratione usu et valore, Louvain, 1869, p. 210-212.

Quoi qu’il en soit de la controverse, deux points sont à retenir sur lesquels s’accordent tous les théologiens. Dans l’ordre présent, la finalité religieuse du miracle s’affirme incontestablement, et cette finalité est en fait d’ordre surnaturel, dès qu’il s’agit des miracles accomplis en faveur de la religion révélée. Ce nonobstant, le miracle n’est pas intrinsèquement une réalité surnaturelle. C’est le surnaturel quoad nodum seu effective des thomistes : car c’est uniquement en raison de sa finalité nécessaire que le miracle ne trouverait pas place dans un ordre purement naturel.

4. Le miracle est-il nécessairement un fait sensible ?

Les théologiens postérieurs au concile du Vatican, considérant dans le miracle le signe de la crédibilité de la révélation, font entrer dans sa notion le caractère de fait sensible. Cf. C. J. Callan, The nature and possibility of miracles, dans The irish theological Quarterlꝟ. 1910, p. 477, 481 ; L. de Grandmaison, Les signes divins et le miracle, dans Recherches de science religieuse, 1914, p. 115, et Dict. apologétique, art. Jésus-Christ, t. ii, col. 1412 ; A. de Poulpiquet, L’objet intégral de l’apologétique, p. 92 ; Le miracle st ses suppléances, p. 153 et 160 ; J. Didiot, Logique curnaturetle objective, p. 126 ; V. Frins, Zum Begriffe des Wunders, dans Philosophisches Jahrbuch, Fulda, 1897, p. 120 ; Van Weddingen, op. cit., p. 121, 140. Le fait sensible se retrouve dans la définition que, donnent du miracle la plupart des auteurs de manuels théologiques, Mazzella, Pesch, Tanquerey, Hervé, Hcrmann, Van Noort. etc. On comprend sans difficulté cette position doctrinale ; exposant le texte dogmatique du concile du Vatican, voir col. 1800, n’avons-nous pas expliqué nous-mêmes que la sensibilité du fait miraculeux était « une condition absolument requise pour que le miracle soit une preuve extérieure, certaine et appropriée à l’intelligence de tous ? >

Les théologiens anciens ne se plaçaient pas sur le même terrain pour définir le miracle. Saint Thomas, par exemple, ne considère pas le caractère sensible comme un élément nécessaire : il ne fait jamais mention de ce caractère. D’ailleurs, des faits qui ne sont rien moins que sensibles sont dits par lui miraculeux : la transsubstantiation, l’incarnation (qu’il appelle miraculum miraculorum, In /// am Sent., dist. III, q. ii, a. 2 ; In 7V am. dist. XI, q. i, a. 3, sol. 3 ; De potentia, q. vi, a. 2, ad 9um, obj. 9, etc.), la conception et l’enfantement virginal du Christ ; la création de l’âme humaine et la justification dans les cas où elles seraient produites hors des règles ordinaires. In II am Sent., dist. XVIII, q. i, a. 3, ad 2um.

C’est que saint Thomas reconnaît deux espèces de miracles : les uns, cachés, auxquels seule la foi peut atteindre, les autres, manifestes, qui peuvent faire partie d’une construction apologétique : Miraculorum Dei quwdam sunt de quibus est fûtes, sicut miraculnm virginei partus et resurrectionis Domini, et etiam sacramenti altaris… ; qumlam vero miracula sunt ad fulei comprobationem, et isla debent esse manifesta. Sum. theol., IIP, q. xxix, a. 1, ad 2um. « En d’autres termes, conclut M. Van Hove, op. cit., p. 25, les miracles peuvent être des faits sensibles et peuvent ne pas l’être. Autre chose est qu’un fait soit en lui-même un miracle, autre chose qu’il soit pour nous discernable soit comme fait, soit connue fait surnaturel. Qu’un fait puisse ou non être perçu par les sens, sa nature intime n’en est pas changée. » Cf. L. Bremond, La vraie notion du miracle, dans la Revue des sciences ecclésiastiques, Lille, 1901, p. 289 ; Van der Heeren, Mirakel of Providentieel jeil, dans Ons Geloof, Anvers, 1922, p. 446 ; J. V. Bainvel, Nature et surnaturel, 3° édit., Paris, 1905, p. 297 ; R. Garrigou-Lagrangc, op. cit., t. ii, p. 43-44. Les auteurs contemporains traitent du miracle dans la théologie fondamentale, comme preuve de la crédibilité de la révélation’. à ce titre, tout comme le concile du Vatican, ils ne peuvent qu’exiger le caractère sensible dans le miracle, signe de la vérité.

Il serait d’ailleurs exagéré de requérir le caractère sensible dans le miracle du seul fait que le miracle excite l’élomiement. C’est la thèse de A. de Poulpiquet, Le miracle et ses suppléances, p. 153 ; de V. Frins, art. cit., p. 389 ; de G. Mattiussi, Conoscibilità del miracolo, dans La Scuola cattolica, Milan, 1908. p. 436. L’étonnement, d’après saint Thomas, ne fait pas nécessairement suite à une perception sensible : il suppose une exception à une loi connue ou connaissable ; mais la connaissance de cette loi peut avoir lieu aussi bien par la foi que par l’expérience.

5. Toute intervention immédiate de Dieu dans l’ordre du monde est-elle un miracle ? —

C’est là une dernière précision apportée par les théologiens à la doctrine du miracle. Nous avons vii, en effet, d’anciens théologiens hésiter sur ce point et se demander si la créalion, la création des Ames en particulier, la justification du pécheur, et, en général, toutes les œuvres appartenant à l’économie de la vie surnaturelle de l’Ame, œuvres qui supposent une intervention immédiate de Dieu dans l’ordre du monde, ne constituent pas des miracles. Depuis saint Thomas, la controverse n’existe plus. Comme on l’a dit, le Docteur angélique élimine du catalogue des miracles ces faits transcendants conformes au cours habituel ou à la tendance des choses ; voir col. 1806. La raison dernière en est que l’intervention immédiate de Dieu, dans les faits transcendants qu’on vient d’énumérer, est postulée par une loi d’ordre naturel ou surnaturel, établie par Dieu comme constituant l’ordre de la nature créée. Par conséquent, postulés par l’ordre établi de Dieu et connu comme tel pour nous, ces faits ne sauraient constituer « le fait produit par Dieu en dehors de l’ordre habituel de toute la nature créée », lequel seul peut être appelé miracle. Cf. Salmaticenses, Cursus theologius, tract, xv, disp. IV, dub. iv, n. 54-55.

6. Conclusion. Définition du miracle. —

En tenant compte des données et des remarques qui précèdent, on peut définir le miracle : « un fait, produit par une intervention spéciale de Dieu dans le monde, pour une fin religieuse, en dehors de l’ordre habituel où se manifeste l’activité de toute la nature créée. »

C’est, disons-nous d’abord, un fait, et non une doctrine ; et, par là, nous distinguons le miracle d’ordre physique, le seul dont nous nous occupions présentement, du miracle d’ordre intellectuel ou moral. C’est un fait produit par une intervention immédiate de Dieu, Dieu agissant ici comme cause unique ou tout au moins comme cause principale : ce qui laisse la possibilité, dans la production du miracle, de l’intervention d’une cause instrumentale subordonnée à l’activité divine. C’est un fait produit dans le monde, c’est-à-dire dans telles circonstances de lieu et de temps qui mettent le miracle en rapport avec l’homme, en raison précisément de la fin religieuse à laquelle le miracle est ordonné. C’est un fait produit en dehors de l’ordre habituel où se mnnifesle l’activité de la nature : en dehors, non pas contre cet ordre, et non pas en dehors de l’ordre de la Providence, car le miracle dépend de la puissance divine qui, même lorsqu’elle agit d’une manière extraordinaire, est toujours réglée par la sagesse infinie ; cf. Sum. theol., L 1, q. xxv, a. 5, ad lum. Nous disons de plus : de toute la nature créée, non seulement en dehors de l’ordre d’une activité naturelle particulière. Il s’agit d’activité, et non d’être, car si l’effet miraculeux dépasse quant à sa cause efficiente toutes les forces créées, il ne dépasse pas nécessairement en son être les natures créées. Seul, l’ordre de la grâce, réalisé par le miracle, dépasse l’ordre de la nature créée ; la résurrection d’un mort, par exemple, restituant d’une manière surnaturelle la vie au corps, ne lui restitue cependant qu’une vie naturelle.

Ainsi, par cette notion du miracle, nous le distinguons :
1° des faits naturels même extraordinaire ; , événements fortuits relativement aux causes secondes, mais non par rapport à la Providence qui gouverne toutes choses ;
2° cDs prestiges diaboliques, qni ne so.il que d îs simulacres de miracles ;
3° des faits ou effets divins ordinaires de l’ordre naturel ou surnaturel, tels que la conservation des choses en leur être, le gouvernement divin, la création quotidienne des âmes, la justification ds l’impie, l’augmentation de. la grâce et des vertus dans l’âme ;
4° des faits OU effets ordinaires dits providentiels, par lesquels se manifeste la Providence, par exemple, quand Dieu exauce nos prières.