Dictionnaire de théologie catholique/MESSE VIII. La messe dans la liturgie 5. L'anaphore de Balizeh

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 10.2 : MESSE - MYSTIQUEp. 35-36).

V. L’anaphore de Balyzeh. —

On donne ce nom à des fragments d’une liturgie égyptienne sur papyrus trouvés dans les ruines d’un monastère copte détruit depuis plus de dix siècles, Dèr Balyzeh ou le couvent de Balyzeh, aux environs d’Assioût, dans la HauteEgypte.

Recueillis par les membres de la mission anglaise, The British School of Archæology in Egypt, sous la direction du professeur Flinders Pétrie, ces fragments furent confiés à M. Walter E. Crum qui reconnut dans ces débris épars de manuscrits liturgiques, « un document écrit sur papyrus en caractères élégants du vu* ou du vin 8 siècle, contenant des portions de la prière litanique, de l’action de grâces eucharistique, et du Credo en grec, dont le texte différait de celui des anaphores publiées jusqu’ici. » F. Pétrie, Gizeh and Rifeh, Londres, 1907, p. 40, dans le chapitre ajouté par M. W. S. Crum. Cf. aussi la note publiée par ce dernier dans le Journal of theological Studies, t. ix, p. 312-313. Dom P. de Puniet, à qui fut communiquée la copie du document, a été le premier à en tirer parti dans un mémoire intitulé : Fragments inédits d’une liturgie égyptienne écrits sur papyrus, qui a été publié dans le Report of the ninelecnlh Eucharistie Congress heldat Westminster, sept. 1908, Londres, 1909, p. 367-401 ; cf. aussi la Revue bénédictine, 1909, t. xxvi, p. 34 sq. Dans notre article Canon, du Diction, d’archéol., t. ii, col. 1881-1895, nous avons donné le texte de ce document avec tous les détails et notes qu’il comporte. Nous y renvoyons le lecteur, et nous nous contenterons de donner ici la restitution du texte d’après dom P. de Puniet avec la traduction latine,

et de faire remarquer que c’est le plus ancien fragment manuscrit d’une liturgie grecque, et si la date du papyrus est du vu » ou viiie siècle, celle du texte remonte beaucoup plus haut. Mgr Batiffol, L’eucharistie, 5e édit., p. 327 sq., donne le texte grec et la traduction d’une partie de ce document.

Les premiers fragments reproduisent une partie de l’ancienne Tzpoaz’jyJ) ou prière litanique, qui en Egypte comme ailleurs, se récitait au commencement de la messe des fidèles :

Qui [petentibus] dat petitionem cordis eorum, præstet nunc pacem suam qui est dominator sanctus et verus, Dominus nomen illi, qui in altis habitat et humilia respicit, qui est super ccelos ; ipsi gloria in sa : cula. Amen… [petimus] Domine et Dominator omnipotens, univers » carnis visitator magnifiée, … Deus et Pater Domini nostri Jesu Christi qui fecisti universa…

Tu es adjutor noster tu [fortitudo nostra], tu refugium nostrum [in die tribulationis], tu susceptor noster [in omnibus], ne derelinquas nos sed libéra nos ab omni periculo…

… iidem confitetur : Credo in Deum Patrem omnipotentem et in unigenitum Filium ejus Dominum nostrum Jesum Christum, et in Spiritum Sanctum et in carnis resurrectionem et sanctam catholicam Ecclesiam.

… [gratia] doni tui [fiât] in virtutem Spiritus Sancti, in confirmationem et augmentum fidei, in spem futur ; e vitæ aeternæ per Dominum nostrum Jesum Christum per quem tibi Patri gloria cum Sancto Spiritu in sæcula. Amen.

Ce qui est surtout à noter ici c’est la mention, à cette place, du symbole de foi. C’est l’antique symbole des Églises égyptiennes qui apparaît ici pour la première fois dans sa rédaction originale.

Il est curieux de trouver à une date aussi ancienne la présence d’un symbole de foi et d’une formule différente de celle de Nicée-Constantinople. Cette dernière a été admise dans le service eucharistique, le symbole des apôtres restant réservé au baptême. Le cas de l’anaphore de Balizeh reste donc, croyonsnous, unique en son genre.

Le fragment qui suit est la fin d’une formule, peutêtre d’une oraison d’offertoire.

Les fragments suivants reproduisent l’anaphore :

[Tibi assistunt mille millia et dena milia denum millium sanctorum angelorum et archangelorum ; tibi assistunt seraphim, sex alœ] uni et sex al » alteri, duabus alis velabant faciem, et duabus pedes, et duabus volabant. Omnes autem semper te sanctificant. Sed et cum omnibus te sancti ficantibus accipe et sanctificationem nostram dicentium tibi : Sanctus, sanctus, sanctus, Dominus sabaoth, plénum est cælum et terra gloria tua.

Reple et nos gloria tua quæ apud te est, et mittere dignare Spiritum Sanctum tuum in lias creaturas, et fac panem quidem corpus Domini et salvatoris nostri Jesu Christi, calicem autem sanguinem Novi [Testamenti quia ipse Dominus noster Jésus Christus in qua nocte tradebatur accepit panem eumque benedicens fregit deditque] discipulis [suis et apostolis] dicens : [accipite, manducate omnes] ex eo : Hoc est corpus meum, quod pro vobis datur in remissionem peccatorum. Similiter, postquam cœnavit, accipiens calicem benedixit et bibit et dédit eis dicens : accipite, bibite ex eo omnes : Hic est sanguis meus qui pro vobis ellunditur in remissionem peccatorum.

[Hoc facite in meam commemorationem.]

Quotiescumque manducabitis panem hune et calicem illum bibetis, mortem meam annunciate et resurrectionem meam confitemini. Mortem tuam annuntiamus et resurrectionem tuam confitemur et deprecamur…

Le reste de cette précieuse anaphore manque ; mais la partie que les papyrus de Balizeh nous ont conservée nous permet de faire plusieurs constatations. La préface, ici comme partout, à l’exception de l’anaphore de saint Hippolyte, aboutit a la mention des anges et au Sanctus. L’absence du Benedictus qui venit dans le Sanctus est un trait commun aux liturgies orientales. L’absence du Yerc sanctus qui, dans les liturgies

gallicanes et dans une partie des liturgies orientales, sert de transition entre le Sanctus et le récit de l’institution, indique aussi que notre anaphore appartient à la liturgie alexandrine qui présente, comme on le voit, de nombreuses et frappantes analogies avec la liturgie romaine.

Plus caractéristique encore est la suite de la prière. Elle s’appuie sur les derniers mots du trisagion pour introduire l'épiclèse Reple nos. Cette formule d'épiclèse, si intéressante déjà par ses termes mêmes, l’est peut-être encore davantage par la place qu’elle occupe avant la consécration. On sait en effet que dans les liturgies l'épiclèse vient après le récit de l’institution et elle est conçue en de tels termes, qu’il semble souvent que le mystère de la transsubstantiation n’a lieu qu'à ce moment. Ce fut là depuis des siècles, un sujet de controverse entre l'Église latine et l'Église grecque. Le canon romain en effet suppose que les paroles de l’institution ont produit tout leur effet. On est même de plus en plus disposé aujourd’hui à reconnaître qu’il n’y a pas d'épiclèse proprement dite dans le canon romain (voir plus loin messe bans la LITVRGIE romaine et art. Épiclèse). Or cette anaphore, témoin si précieux et si vénérable des liturgies égyptiennes, contient l'épiclèse avant la consécration. Ainsi se trouve confirmée, par un document d’une authenticité incontestable, l’hypothèse déjà émise par le D r Baumstark, que le rit alexandrin primitif devait posséder l'épiclèse avant la consécration. Lilurgia romanae liturgia del l’Esarchato, Rome, 1904, p. 46-47. C’est plus tard, et sans doute pour se conformer aux usages byzantin et syrien, que le rite alexandrin rejeta son épiclèse à la suite des paroles de l’institution. Ces fragments sont en tout cas une nouvelle preuve des relations étroites entre le canon romain et le canon alexandrin. Dom de Puniet en conclut que l'épiclèse romaine doit être cherchée plutôt dans la formule Quam oblationem que dans le Supplices. Fragments inédits d’une liturgie égyptienne, p. 389 sq.