Dictionnaire de théologie catholique/MAHOMET (VIE DE)

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 9.2 : MABILLON - MARLETTAp. 83-85).
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MAHOMET ET MAHOMÉTISME. — On étudiera en deux articles distincts : 1a viede Mahomet, et le développement général du mahométisme.

I. VIE DE MAHOMET.

I. Données traditionnelles et critique de ces données. II. Jugements sur Mahomet.

I Données traditionnelles et critique de ces données. — 1° Mahomet est lenom déformé de l’arabe Mohammed (Muhammad). Le fondateur du mahométisme, ou plus exactement de l’islamisme, naquit vers 570 à la Mecque, en Arabie. Fils de’Abd Allah, lui-même fils de’Abd al Motallib qui défendit la Mecque contre les entreprises d’Abraha. chef abyssin, il appartenait à la grande famille de Kureïs qui, depuis plusieurs générations, avait la garde du grand sanctuaire du paganisme arabe. Ayant déjà perdu son père, en naissant, élevé dans le désert, il fut successivement berger, conducteur de caravanes. Un riche mariage fit de lui un citoyen important. Vers l’âge de quarante ans, il eut des révélations de l’ange Gabriel et prêcha une doctrine nouvelle qui fit peu d’adeptes dans sa ville natale ; mais il ne ralentit pas sa prédication et en 621 !, il eut la joie d’être accueilli comme prophète par les habitants d’une ville voisine, Yathrib, qui fut plus tard dénommée « la ville du prophète » Madînat-an-nabî ou plus simplement Madîna, dont nous avons fait Médine. C’est ce qu’on a appelé l’Hégire. Il entreprit aussitôt de combattre ses compatriotes réfractaires à ses doctrines et de ramener par la force ceux qu’il n’avait pu conquérir par la persuasion. Il y réussit, et quand il mourut en 632, il était maître non seulement de la Mecque et de Médine, mais de toute l’Arabie, et méditait de nouvelles conquêtes que ses successeurs devaient réaliser.

2° Telles sont les données traditionnelles de la biographie de ce personnage. Mais les orientalistes modernes en ont fait une sévère critique. Le P. Lammens a montré comment la sîra ou biographie du Prophète avait été fabriquée avec les données, d’ailleurs fort restreintes, que fournit Je Coran, livre où sont consignées les révélations du dieu arabe Allah à son envoyé, laites par l’intermédiaire de Gabriel. Interprétées, développées et remaniées au gré de la fantaisie orientale, elles ont formé un ensemble imposant en apparence, mais qui s’effrite rapidement sous les coups de la critique. Ainsi, la date de la naissance de Mahomet est fort suspecte. I ! dit dans le Coran qu’au moment où il annonce sa doctrine, il a déjà un âge’lunur. expression bien vague que les commentateurs estiment a quarante années. Comme il est mort dix ans après l’hégire qui partage en deux sa mission, division qu’on retrouve dans ses révélations dont les unes sont dites de la Mecque, donc antérieures à l’hégire, les autres de 1 573

M.lloll I

Médine donc postérieures, on a été amené, par esprit de svmétrie mais fort arbitrairement, a lui donner 10 ins de mission avant comme après cette époque, ce qui le fait naître vers 570 ou 571. Telle est l’origine de cette date, comme l’a bien prouvé le I’. Laramerts. uterai quelle a trouvé plus tard une corrobo ration inattendue quand les astrologues persans se sont avisés d’voir une coïncidence providentielle une conjonction de Jupiter et de Saturne dans certains signes du Zodiaque qui annonçait que la domination (de l’Orient) devait passer des Perses aux D’après un astronome moderne, cet evéne ment stellaire a dû se produire le’2* août 571 ; d’après un autre, le 30 mars de cette même année. 1 n se servant des Indications des historiens arabes, on fait naître Mahomet en avril : >7l ou en août 570. En réalité, nous n’en savons lien.

Ie nom de Mohammed a été contesté. HirscMeld pense que c’est la traduction arabe du nom de Bahlra donne par les Aral.es à un prêtre nestorien qui aurait reconnu le premier la vocation du futur prophète. Pour lui. les versets du Coran où se trouve ce mot sont interpoles. Le véritable nom aurait été Kulàm. les traditions musulmanes prêtent au Prophète un grand nombre de noms : d’abord ceux qui se rattachent a la racine arabe hmd louer, glorifier, à savoir : Muhammad. Ahmad..Mahmoud, puis d’autres comme Mous lafa. et des surnoms comme al Maht, al l.làchir. Nain al malhama, Nabi ar rahma. etc. Tout cela est bien

Userait trop long de poursuivre ici cette critique, elle s’applique a tout ce qui précède l’hégire, seule donnée

qu’on doive accepter comme vraiment historique ; les tements qui suivent cette époque peuvent être également acceptes comme tels, sauf de légères restrictions pour quelques détails tendancieux.

Il JOOBMEKTS SUR MaROHBT. 1)ans ces condi tions, il est bien difficile de juger l’homme autrement que par son œuvre, c’est-à-dire l’islam tel qu’il 1 a conçu, fondé, et. sauf quelques réserves, tel qu il s est comporte immédiatement après lui. avant qu’il n ait lubi les altérations dont nous parlerons plus loin. "ne question se pose : Mahomet fut-il rincer* et surtout le fut-il toujours ? A la première partie de la question, on répond aujourd hui : oui et cela, je crois, ne peut faire l’ombre d’un doute. On ne peut, comme autrefois, traiter le prophète arabe d’imleur. A la seconde partie, il est plus malaise de repondre avec assurance. Il semble bien que, dans la seconde période de sa prédication, vainqueurdeses ennemis, sûr de la foi absolue de ses adhérent-, il ail pu être tenté d’abuser de leur crédulité. D’après les auteurs ilmans eux-mêmes, certains versets fuient des rélions de circonstance, en réponse ;. des questions qui lui furent faites, à des objections qui lui furent soumises. On s’étonne, en partieulier.de voir la parole divine intervenir dans ses querelles de ménage, etc. Je ne s pas cependant qu’Hait jamais, de propos délibère, inventé une révélation. Je suis convaincu qu il consi >t le fruit de ses méditations personnelles comme inspiration d’en haut, et qu’il n’y pouvait voir -e chose puisqu’il s, cro ait en communical ion avec i..le conclus a sa sincérité absolue et

nstante.

Équilibre intellectuel. Fut-il sain d esprit.

Comme nous l’apprend le Coran, ses contemporains

virent d’abord en lui un possède, madjnoûn. I es auteurs

intins en ont fait un épileptique sur le témoignage

musulmans eux non, es. qui parlent des crises qui

terrassaient le Prophète a l’approche de l’Aime. Mais

-t une interprétation forcée de deux passages du

in où Mahomet est interpellé par ces mots : « toi

qui es enveloppé d’un manteau. Bien, ailleurs, ne

rail la moindre allusion a des crises réelles SpivnUcr. médecin et orientaliste, a voulu voir en lui un hysle Houe et. à l’appui de cette opinion, il raconte I ton-e d’une Jeune fille qui fil un voyage extraordinaire

dans les montagnes du Tyrol. Malheureusement cette jeune fille n’a pas fonde de ici. -ion. tandis.pie ces !

I., la caractéristique de Mahomet et c’est même probablement la seule dont nous soyons vraiment sûrs.

Personnellement, et toujours en le Jugeant uniquement d’après son œuvre, je le tiens pour une très grande et liés forte Intelligence, pour un caractère exalté mais droit et ferme, sachant ailler, ce dont l’histoire nous présente plus d’un exemple, l’enthousiasme du mystique a la froide réflexion de l’homme d’action, maniant avec la même aisance les arguties de la controverse et le glaive de la bataille, grand séducteur d’hommes, convaincu de la grande mission du peuple arabe dont Dieu a voulu qu’il fui le chef, et faisant de cette poussière de tribus en guerre perpétuelle, grossières, pillardes, à peine teintées de civilisation, une magnifique nation qui a pesé longtemps d’un poids formidable sur les destinées de l’humanité. Tout cela n’a pu être l'œuvre d’un malade.

3° Sources de ses conceptions. Il est plus difficile de répondre a une autre question, fort intéressante cependant pour qui veut juger ce personnage. Comment est-il arrive à sa conception et en quoi celle-ci différait-elle des idées admises de son temps ? On nous représente généralement son peuple livré au paganisme et sa doctrine comme introduisant le monothéisme, inspiré du judaïsme et du christianisme, certes mais épuré et pour tout dire, remontant à la source primitive : Abraham, ancêtre commun des Hébreux et des Arabes. Telle est en effet, la thèse que le Coran soutient à certains moments, mais est-elle bien primitive ? J’en doute.

Quand on réunit, comme Wright, par exemple, les différents témoignages, on est frappé de l’extension qu’avait prise le christianisme dans toute l’Arabie peu avant l’arrivée de Mahomet sur la scène du monde. Quelques îlots de judaïsme comme a Yathnb, de paganisme comme à la Mecque, subsistaient encre, mais pour les seconds, je me demande si ce n était pas une régression relativement récente. « Si on leur demande, qui a créé le ciel et la terre, ils répondront que.’est vllah.. dit Mahomet de ses compatriotes, et d’après d’autres passages, il semble que leur croyance était qu’a cote d’Allah, Dieu principal, .1 y avait des divinités secondaires, des sortes de. démons avant un pouvoir particulier que leurs devins pouvaient utiliser. Mahomet lui-même reconnaît et explique ce pouvoir, mais, dit il, avec sa mission il disparaît, , est le seul pouvoir d’Allah qu’il proclame..1 1 exerce sans parlai, sans associe. De la la célèbre formule : il n’y a de divinité (ilâh) qu’Allah, le dieu principal de la Mecque, qui doit en être désormais l’unique

Mais quel est cet Allah ? C’est le 1)ieu des juifs et des chrétiens ; et Mahomet est venu pour donner aux siens une version arabe des saintes Écritures, « l I^’tab (qu’il est inexact de traduire par livre), dont on a déjà une version hébraïque, la Tora. el une version

grecque, l’Évangile.

Tel est le véritable point de vue de Mahomet qu. a d’abord cru avec une sincérité incontestable que juifs et chrétiens sempresserai.nl de le reconnaître Ce n’est qu’après avoir constate leur refus formel qu’ilasongéàAbrahametqu’ilaopposésonsanctuaire /la Ka’ba de la Mecque) au temple de Jérusalem, le mmdjid hardm au masdjid aqfâ, l’oratoire sacré.. l’oratoire éloigné, proclamant a la fin la déchéance de ce dernier, pour la plus grande gloire des Arabes, devenu désormais le peuple el…,

Mais, puisque l’Arabie étaii presque toute chretienne et que la Mecque païenne ne reconnut pas tout d’abord la doctrine de Mahomet, comment expliquer Kon triomphe final ? C’est que le christianisme oriental subissait alors une crise terrible : culychianisme et nestorianisme l’avaient profondément déchiré et ses dissensions devaient lui porter un coup fatal. Ce sont ces dissensions qui ont frappé Mahomet, et c’est dans ses méditations sur ces profondes discordes des sectes chrétiennes et juives qu’il eut le sentiment de sa mission. Il se crut désigné par Dieu pour mettre un terme à ces funestes divisions et dans une de ses premières révélations, peut-être la première, sa pensée apparaît tout entière. « Sur quoi s’interrogent-ils ? Sur la grande nouvelle, au sujet de laquelle ils disputent. Oui, ils sauront ; puis oui, ils sauront ! ».

Est-ce bien là l’origine et la signification du mouvement déclenché dans l'âme de cet Arabe du viie siècle ? C’est ce que va peut-être nous démontrer l’examen du Mahométisme.