Dictionnaire de théologie catholique/MAHOMÉTISME – Son développement général. II. L'histoire générale du développement théologique

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 9.2 : MABILLON - MARLETTAp. 88-115).

II. Histoire générale du développement théologiQUE.

Tels sont les éléments primitifs de la science religieuse des musulmans, du fiqh ; pratiques d’une façon plus ou moins régulière dans les premiers temps, ils n’ont été systématisés et consolidés que vers la fin du rr » siècle de l’hégire.

Cependant de graves dissensions déchiraient l’islam. Des écoles, à la fois politiques et religieuses, se dispuI aient le pouvoir. On en a compté un très grand nombre : quatre seulement ont survécu, en conservant des caractères distinctifs bien accusés ; deux surtout rognent actuellement et englobent aujourd’hui la presque totalité du monde musulman ; le Chiisme et le Sounnisme. Nous les étudierons d’abord — en nous réservant d'être plus bref sur les autres sectes.

I. I.r. CBII8MB. C’est le nom le plus générale ment répandu ; nous en avons dit la signification primitive : en réalité, c’est l’Imâmisme ou Mahdlsme.

L’idée essentielle est l’existence d’un inuim prenant la place du prophète mort ; jusqu’au moment de la 1583

    1. MAHOMÉTISME##


MAHOMÉTISME. LE CHIISME

! »,

fin du monde. Si l’imâm désigné vient à mourir, s ; i fonction sera dévolue à un autre. Mais de même qu'à la mort de Mahomet, certains crurent qu’il n’avait fait que disparaître provisoirement et qu’il allait revenir, de mime à la mort de chaque Imâm il y a un parti qui croit à son absence temporaire ghaï ba et attend patiemment son retour, radja'. Tout le mécanisme de l’imâmisme est dans celle formule quasi mathématique. L’imâm disparu est considéré comme le Malidî et son retour lié à la fin du monde. Si le procédé avait été constamment appliqué, il y aurait aujourd’hui une quantité prodigieuse de sectes imâmites ; mais, comme nous le verrons, il s’est arrêté avec le douzième imâm et personne n’a songé à aller au delà. Il n’y a donc, à tout prendre, qu’une douzaine de sectes imâmites ; encore quelques-unes sont-elles mort-nées, mais d’autres, ont donné naissance à des branches collatérales. Nous allons les étudier successivement.

1° Les 'Alides. — Le premier imâm est 'Alî, cousin et gendre de Mahomet. Les chiites affirment qu’il a été expressément désigné par le prophète arabe, et cette désignation expresse est de rigueur pour tout imâm. La nécessité d’un personnage désigné pour maintenir la continuité de la foi est également un dogme fondamental de l’imâmisme. Il a donc fallu que le prophète désignât le chef, ou imâm, digne de lui succéder à la tête de la communauté musulmane. Le sens du mot imâm, en arabe, n’est pas douteux ; il est tiré de la langue du désert : c’est celui qui marche en avant, le chef de file de la caravane, par extension, celui que tout le monde i uit, le modèle, mais, dans un sens général, le chef. Dans le Coran (xvii, 73), il est dit qu’au jugement dernier chaque peuple y sera avec son imâm : c’est donc à Mahomet lui-même que s’applique ce titre en ce qui concerne la communauté musulmane, et il contient la plénitude des pouvoirs temporel et spirituel exercés par Mahomet. L’imâm conduit dans la bonne voie, c’est-à-dire dans la voie de Dieu ; de là le titre complet, d’imâm al houdâ : le chef de la voie (religieuse). Mais s’il conduit, c’est à condition d'être lui-même dirigé par Dieu, mahdî. Le mot, de la même racine que houdâ, se retrouve encore sous une forme de même dérivation : mouhtadi « qui s’est donné un guide ». Il est aussi appelé hâdi « guide ». Le Mahdî est donc à la foi guidé, mouhtadi et guide, hâdi. Cette discussion de mots était nécessaire pour biens comprendre la valeur du terme : imâm mahdi, à la fois religieux et politique et sa liaison avec la fin du monde.

Le titre de mahdî paraît avoir été donné pour la première fois à un personnage fort obscur, mort en 104 de l’hégire « qu’on appelait en son temps le Mahdî ». C’est Mousà ibn Tahla que l’on compta aussi parmi les compagnons de Mahomet, et qui est inconnu en dehors de cette mention. Mais c’est à 'Alî qu’il a d’abord vraiment appartenu. Un nommé 'Abd Allah ibn Sabâ en a établi pour lui la théorie. C’est à cet 'Abd Allah qu’on attribue l’origine du chiïsme considéré par les sommités modernes comme une première atteinte à l’orthodoxie des compagnons de Mahomet, à laquelle ils se rattachent. Les chiites, de leur côté, reprochent à ces compagnons d’avoir méconnu les droits de 'Alî, le légataire de Mahomet, le wasi, comme ils l’appellent encore, en donnant le pouvoir à d’autres que lui, le seul digne. C’est seulement, en effet, comme quatrième successeur de Mahomet, après Aboù Bakr, 'Oumar, et 'Outhmàn que 'Alî fut proclamé chef de la communauté musulmane, non, d’ailleurs, sans soulever de violentes oppositions.

La parti de 'Alî, qui l’avait porté au pouvoir après l’assassinat de 'Outhmân se recrutait spécialement dans la ville de Médine, la seconde capitale de

l’islam et tendant à éclipser la Mecque, que Mahomet avait maintenue au premier rang à cause de son temple « la maison d’Allah ». Les 'alides se eonsidéraient comme les vrais Croya ts, moumintn : par opposition avec les Croyants de seconde catégorie, lis mouslimtn ordinaires. Cette classification, faite déjà par le Coran (xlix, 15), est probablement l’origine du titre connu : Amîr al-moumînîn, qui, pour les chiites n’appartient qu'à 'Alî. La tradition sounnite dit bien que 'Oumar l’avait déjà porté, mais nous verrons que, bien souvent, les sounnites n’ont fait que plagier leurs adversaires. Aux électeurs de 'Alî, aux mouminîn, s’opposa le gros des musulmans qui refusa d’accepter une élection aussi restreinte. La guerre éclata. Vainqueur, 'Alî se vit frustré de sa victoire par l’astuce de ses adversaires et sa propre faiblesse de caractère. Il leur accorda un arbitrage pour décider de la légitimité de son élection ; mais les arbitres l’ayant déposé, il refusa d’accepter leur sentence. D’autre part, des musulmans trop zélés lui reprochèrent d’avoir accepté cet arbitrage, comme contraire à la loi coranique, et prirent les armes contre lui. Il fut vainqueur une fois de plus ; mais un de ces fanatiques l’assassina (Hég. 40 = 661 ap..J.C.). 'Abd Allah ibn Sabâ, en apprenant cette mort, répondit comme 'Oumar pour Mahomet qu’il n’en était rien et que 'Alî allait revenir. La secte appelée de son nom Sabaïte considéra 'Alî comme toujours vivant. « Il est dans les nuages ; l'éclair est son fouet, le tonnerre est sa voix ; il reviendra à l’heure dite pour rétablir sur la terre la justice et le bonheur universel. » C’est donc bien le premier imâm mahdî.

Les deuxième et troisième imâms sont ses deux fils Hasan et Houseïn. Aucune secte spéciale ne paraît s'être rattachée à eux. Le premier s’effaça volontairement devant l’adversaire de son père ; le second, ayant voulu faire valoir ses droits, périt misérablement avec presque toute sa famille à Kerbéla (Hég. 60 = 680). C’est le martyr du chiïsme ; la littérature, surtout persane, s’est emparée de ce cruel épisode des guerres civiles. Le théâtre persan le reproduit au jour anniversaire avec une émotion toujours renouvelée. Mais au point de vue historique, le rôle de Houseïn ne paraît pas être plus important que celui de Hasan.

Les Keïsânites.

Sa mort devait poser un curieux problème. Qui devait lui succéder comme

imâm ? Ici apparaît une première scission. Il semblait que l’imamat devait passer à un fils de Hasan ou de Houseïn, les seuls descendants de Mahomet par leur mère Fâtima. Effectivement les 'alides, du moins ceux qui, ne partageant pas les espérances des sabaïtes, s’attachaient à un autre imâm, choisirent 'Alî, fils de Houseïn. Mais d’autres déclarèrent que ce n'était pas la descendance de Mahomet, mais celle de 'Alî qui conférait l’imamat. En effet, quelques partisans ultrazélés de 'Alî prétendaient que c'était à lui que Dieu avait envoyé l’ange Gabriel et que c'était indûment que Mahomet s'était substitué à lui, ne lui laissant que le rôle de lieutenant. C’est probablement à cette conception étrange que se rattachaient plus ou moins ceux qui décidèrent que l’imamat devait aller à un troisième fils de 'Alî, Mohuammad, né d’une autre épouse, Khaoula, esclave de la tribu des Banoû Hanîfa, d’où son surnom de la Hanafiya. Mouhammad est connu sous le nom de fils de la Ha na fij' a - A lui se rattache la seconde secte mahdiste, appelée Keïsânite, du nom d’un personnage assez obscur qui se nommait Keïsan. Mais le fauteur de la secte fut Moukhtâr, que nous connaissons seulement par la tradition sounnite et, par conséquent, sous les plus tristes couleurs. A leur dire, le troisième fils de 'Alî, n’aurait jamais accepté le rôle qu’on voulait lui faire jouer ; mais des témoignages anciens prêtent à ce quatrièmejmâm^un lan MAHOMÉTISME, CH1ISME MODÉRÉ

très caractéristique. Les partisans du quatrième

iin.'un faiimiiV, c’est.i dire descendant de làtima, affirment que le il ls de la iianatha entra en compétition avec cet Imam qui Invoqua le témoignage de i-i pierre noire, la pierre sacrée enfermée dans le mur de la Ka’aba de la Mecque. La pierre aurait alors déclaré que rim.iiii.it appartenait à 'Ali. Dis de i.lousem et non a Mouhammad tils de la Hanafiya. La personnalité de ce dernier est donc restée u-, peu douteuse. Ce qui nous intéresse surtout en lui. c’est qu’il est le premier qui réponde a un des éléments essentiels de la tradition attribuée au prophète Mahomet ! à savoir : le nom. Il est donc vraisemblable que cette tradition a été créée pour lui, de même qu’a été créée probablement contre lui l’addition postérieure sur le père du Mahdl, qui devait s’appeler 'Abd Allah comme le pire de Maho met. D’ailleurs, pour beaucoup de Malulis excentriques, si je puis dire, leurs partisans ne se sont pas arrêtes an nom, ne songeant en realite qu'à leur rôle messianique et ne se préoccupant pas davantage de leur descendance, également stipulée dans la tradition.

lui ce qui concerne le tils de la l.lanaiiya, on pourrait se demander s’il doit être considéré comme de la famille de Mahomet. Non. si dans la tradition relative au M.ihdi. il s’agit de famille directe ; mais si on prend le mot dans son acception la plus large, par son père 'Ali, cousin de Mahomet, il appartenait à la tribu des Koreiehites, branche de 'Abd al Moutallib. S’il répond ainsi a deux caractéristiques du Mahdl, il lui manque d’avoir gouverné les Arabes. C’est qu’en réalité, il ne fut vraiment mahdi qu’après sa mort.

La théorie est énoncée dans des vers fameux attribues au poète Kouthavvir († 105 =723).

Certes, les imams de Koreïch, les maîtres de la vérité, sont quatre ensemble : 'Alî et ses trois tils, les descendants incontestés. L’un tout de foi et de piété : l’autre disparu à Kerbela ; un autre que l'œil ne verra qu’au jour où il conduira ses cavaliers, drapeau en tête II est caché à tous les regards à Radivâ ; près de lui sont l’eau et le miel. »

lit, ailleurs il dit de lui : C’est le Mahdi, que nous a annoncé Ka’b, l’homme des traditions dans les temps passés. »

Dans cette conception du personnage caché en un lieu mystérieux et dont on attend la réapparition ; on a voulu voir une influence perse (Darmsteter). On n’a pas manqué non plus d'évoquer les légendes de Frédéric Barberousse, du roi Arthur et d’autres semblables. Mais, avec Friedlânder, il faut y reconnaître une influence purement messianique. L’islamisme primitif est un christianisme où Jésus et le I’araclet subsistent, mais dépouillés de leur divinité. » Puisque les Musulmans admettent le retour de Jésus, pourquoi n’admettent-ils pas celui de Mouhammad ? » Ainsi, parlait dit-on, -Abd Allah ibn Sabâ, et il y eut certainement pendant quelque temps d’assez nombreux musulmans confiants dans ce retour. Pourquoi cette croyance a-t-elle été abandonnée et ce même personnage a-t-il trouvé un remplaçant dans la personne de 'Ali, déclenchant ainsi le mécanisme que nous étudions, du mahdisme perpétuel ? C’est que le génie arabe, en général plus réaliste que mystique, et que la té musulmane fondée sur la propagande guerrière bien plus que sur le prosélytisme spirituel, exigeaient un chef plus militaire que dévot, un politique plutôt qu’un apôtre. C’est parce que Mahomet avait su déployer ces qualités qu’il avait imposé sa foi aux Arabes, et que sous des chefs aussi résolus que lui, ceux-ci commencèrent de l’imposer au monde. Les croyants aux rebours ne formèrent jamais qu’un minorité. A l’imamat, souveraineté plus spirituelle que temporelle s’opposa le moulk, souveraineté plus temporelle que spirituelle, ayant même une tendance

DICT. DE THKOI.. (AT H.

a redevenir exclusivement temporelle, connue du

temps îles anciens Arabes. Mais c’eût été la fin de

llslamisme ; la société musulmane réagit, grâce petit noyau d’imamistea auxquels le génie plus mys

tique des Persans apporta un précieux appoint et qui eurent la lionne fortune d’avoir à leur tête des chefs énergiques et îvsolus. Je veu parler des 'Ahbàssides

dont l’apparition et le triomphe transformèrent com plètement l’Islam.

3° Les 'Abbdasides. C’est une histoire fort singulière que celle de ce parti. De luènie que les Keïsànites

formaient une branche excentrique de l’imamat 'allde,

les 'abbftssldes lurent une dérivation du Ueïsaitisme. En effet, ceux des kelsanites qui, après la mort de Mouhammad lils de la l.lanaiiya, abandonnèrent l’es

poir de son retour, reconnurent pour Imftm son lils Abd Allah plus connu sous le nom d’Aboiï 1 lâchini d’où celui de hàchiinites qui leur lut donne. Ce nom. donnait lieu à une étrange confusion, car on désignait ainsi la famille du prophète Mouhammad, descendants de l.làchim, qu’on opposait à une autre branche de Korelchltes, les descendants d’Oumayya, maîtres toutpuissants de la Mecque et, comme tels, ennemis du prophète au début de sa mission. Mais, grâce à leur génie politique, ù la plus grande conformité de leur mentalité avec l'âme arabe, ils avaient su reprendre le pouvoir, et c’est eux qui furent accusés par les musulmans d’avoir rétabli le moulk et trahi la religion. On opposait les hftehimites aux oumayyades et, dans le monde musulman, les non-arabes qui devinrent très vite la majorité se rallièrent aux premiers. Ceux-ci se divisaient en deux familles principales ;  ! les Tàlibites descendants d’Aboû Tâlib, oncle de Mahomet et père de 'Alî, comprenant par conséquent les descendants de Mahomet par 'Alî ; 2° les 'Abbâssides descendants de 'Abbfts, également oncle de Mahomet. Mais les descendants de 'Ali en possession de l’imamat ne témoignaient d’aucune des qualités nécessaires pour arracher aux Oumayyades le pouvoir effectif. C’est la branche des 'Abbâssides qui leur subtilisa l’imamat Si je puis dire, en se déclarant les héritiers d’Aboû Hâchim, et détenteurs de l’imamat hàchimite. Il semble que ce soit de cette confusion de mots que les descendants de 'Abbâs se sont servis pour détourner sur eux la faveur populaire et entraîner ainsi la masse des musulmans non-arabes, tout en groupant, grâce à leur parenté avec le Prophète un fort parti arabe.

Aboû Hâchim ne nous est guère connu que par sa mort et le fait qu’il légua à un descendant de 'Abbâs tous ses pouvoirs d’imâm et qu’il lui révéla toute l’organisation secrète qu’il avait formée pour la destruction de la dynastie oumayyade, organisation que les '.abbâssides reprirent et perfectionnèrent. Mais il se forma un autre parti autour de son frère Ahmad, soit qu’il eût été reconnu antérieurement en concurrence de 'Abd Allah Aboû Hâchim, soit qu’il eût été désigné comme son sucesseur par ceux qui n’admettaient pas le legs fait à l’imam 'abbâsside. Ce parti que nous retrouverons plus tard serait celui qu’on a appelé carmathe. Celui-ci déclarait que Ahmad fils de Mouhammad fils de la Hanafiya n'était autre que le Messie, qui était Jésus, qui était le Mahdî. qui était l’ange Gabriel. Ce parti consistuerait donc la troisième secte mahdiste.

Mais revenons aux 'abbâssides. En l’an 97, Aboû Hâchim, empoisonné sur l’ordre du khalife oumayyade, fait appeler Mouhammad ibn 'Alî, arrière-petitfils de 'Abbâs, le constitue son héritier et lui donne ses instructions. II termine par cette recommandation : < Quand Vannée de l'âne sera passée, envoie tes émissaires avec tes dépêches. — Qu’est-ce que l’année de l'âne ? demande le descendant de 'Abbâs ? Cent ans de prophétie ne s'écouleront pas que la puissance de

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MAHOMÉTISME, CHIISME MODÉRÉ

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(eux-ci(les Oumayyades) ne soit détruite, à cause de cette parole de Dieu (Coran, ii, 2<>) : Dieu le lit

mourir pendanl cent ans, puis le ressuscita et lui

demanda : combien de temps es-1 a resté? Il répondit

i un jour ou une portion de jour. Non, dit Dieu, tu es « resté cent ans… ois ton âne. Nous taisons de toi un

si^ne pour les hommes. Donc, en la centième année, envoie tes émissaires et les missionnaires. Dieu te donnera un succès complet. »

Ce passage du Coran, au dire des commentaires musulmans, vise Esdras, mais on a reconnu qu’il était une réminiscence d’un livre apocryphe de Baruch et la véritable signification nous échappe. Son caractère énigmatique avait séduit les faiseurs de prédiction, et ils l’avaient expliqué à leur façon. Cette période de cent ans était considérée par beaucoup comme critique. On attribuait à Mahomet un propos disant que cent ans après lui, personne ne subsisterait. Un dicton populaire affirmait que la vie de la daula était de cent ans. Or, ce terme, qui signifie proprement révolution fut adopté pour désigner la nouvelle secte mahdiste, qui devient ainsi la daulat 'abbâsside. Avec le succès de la secte, le mot prit le sens de dynastie qui lui est resté.

A vrai dire, la prédiction ne se réalisa pas mathématiquement, et l’année de l'âne ne vit aucune révolution. Il fallut attendre une nouvelle génération, et c’est aux fils de Mouhammad ibn 'Alî qu'échut le soin d’achever l'œuvre. Le premier, l’imâm Ibrahim, fut pris et mis à mort par les Oumayyades, le second ' Abd Allah, désigné par lui pour lui succéder, triompha enfin en 132 (750). Il prit d’abord le titre de Mahdî ; puis, pour des raisons que nous ignorons, il le laissa pour prendre celui de Salïàh, sous lequel il est connu.

Parmi les traditions relatives au Mahdî, il en est un certain nombre qui affirment qu’il doit appartenir aux descendants de 'Abbâs. A la naissance du fils de ce dernier, Mahomet se le fit présenter, lui donna le nom de 'Abd Allah et dit à sa mère : « c’est l’ancêtre des khalifes, jusqu'à ce que l’un d’eux sera as Saffâh, jusqu'à ce que l’un d’eux sera celui qui priera avec Jésus, fils de Marie, et c’est le Mahdî qui viendra à la fin des temps et son nom sera Mouhammad ibn 'Abd Allah. » Ibn 'Abbâs aurait dit de son côté : « II y aura parmi nous trois des gens de la maison : as Salïàh, al Mansoùr, al Mahdî », et les traditionnistes sont incertains s’il faut entendre par là le Mahdî attendu (pour la fin du monde) ou le troisième souverain 'abbâsside qui effectivement porta ce surnom, comme nous le verrons. D’après une autre version plus répandue, il devrait y avoir, non pas trois, mais quatre personnages : as Saffàh, al Moundhir, al Mansoùr, al Mahdî. Ce serait alors une variante de la théorie keïsanite énoncée par le poète Kouthayyir, et on peut se demander s’il n’y a pas une réminiscence des quatre forgerons de Zacharie (n, 3) où la littérature rabbinique a voulu voir des personnages messianiques, dont le dernier serait le masoùh milhamah. Celui-ci, nous l’avons vii, identifié d’abord avec Mouhammad surnommé nabî-1 malhama, se serait plus tard identifié avec le Mahdî.

Ce qui est certain, c’est que les trois premiers souverains 'abbâssides ont pris successivement les titres respectifs d’as Saffâh, al Mansoùr, al Mahdî. Le deuxième titre n’a pas été porté ; peut-être devait-il répondre à 'Abdallah ibn 'Alî qui prétendit succéder à as Saffâh son neveu, parce que celui-ci avait promis sa succession à celui qui vaincrait le dernier khalife oumayyade. Al Mansoùr ne reconnut pas cette prétention et, l’ayant vaincu, le fit mettre à mort.

Mais ce n’est pas par hasard qu’ai Mahdî portait ce titre et il n'était pas purement honorifique. Un patrice byzantin, venu à sa cour, lui expliqua qu’il avait désiré

le voir « parce que nous trouvons dans nos livres que le troisième des gens de la maison du prophète de ce peuple remplira la terre de justice comme elle l’a été d’iniquité. » C’est la formule même du mahdisme et c’est une variante de la tradition des trois personnages, et il n’est pas indifférent qu’elle soit attribuée à un Grec, car les Grecs passaient pour être savants dans les malâ im et les livres dont parle le patrice traitaient sûrement de cette pseudo-science. D’ailleurs, il s’appelait Mouhammad ibn 'Abd Allah et il représentait le Mahdî 'abbâsside à rencontre du Mahdi fâtimide qui s'était révolté contre son père.

En effet, l’imamat fâtimide qui avait sommeillé entre les mains des aînés de la famille, successivement 'Alî, Mouhammad, Dja’far, s'était réveillé et, jaloux du triomphe des 'Abbâssides, s’y opposait violemment. Déjà, en 122 (740) Zeïd, frère de Mouhammad le cinquième imâm, n’ayant pu le décider à prendre les armes, avait pris l’initiative de la révolte. Il semble qu’il se soit présenté comme mahdî, car lorsqu’il eut été tué dans la bataille et son corps attaché à un gibet, un poète oumayyade s'étonna de voir un mahdî en croix. On rapporte qu’il avait été renié par un grand nombre de ses partisans parce qu’il avait témoigné de son respect pour les premiers khalifes. Il les appela » les déserteurs » ou ftdfîdis et ce nom resta aux chiites ennemis de ces khalifes, par opposition aux zeïdites, chiites modérés, dont un groupe important s’est maintenu jusqu'à nos jours dans le Yémen.

Les Bâkirites.

Après la mort de 'Alî, le quatrième imâm, en 95 (714) c’est son fils Mouhammad

surnommé al Bâkir qui lui succéda. A lui se rattache la secte des bâkirites qui voyaient en lui le Mahdl attendu. Mais nous avons vu qu’il ne voulut pas combattre pour le pouvoir.

En 177, son fils Dja’far, surnommé as Sâdik, devint le sixième imâm. Pas plus que les précédents, il ne voulut entrer dans l’arène et il laissa la place à un prétendant de la branche de Hasan qui fit un moment trembler les 'Abbâssides, le fameux Mahdî Mouhammad ibn 'Abd Allah, surnommé : « l'âme pure <. On rapporte que, peu avant la chute des Oumayyades, les principaux 'alides et 'abbâssides s'étaient réunis pour organiser la résistance et avaient choisi comme chef cet 'Abd Allah. Très déçu de voir les 'abbâssides le supplanter, il s'était d’abord tenu à l'écart, mais quand le deuxième souverain al Mansoùr, fort peu scrupuleux, semble-t-il, commença de persécuter les 'alides, il leva l'étendard de la révolte, mais il échoua et fut mis à mort (145 = 763). A lui se rattache la quatrième grande secte mahdiste, celle des mouhammadiens qui refusèrent de croire à sa mort et déclarèrent qu’il continuait à vivre dans la montagne de Hâdjir (dans le Nadjd) jusqu’au jour où Dieu le ferait surgir à nouveau. Ils sont aussi connus sous le nom de Moughîrites, du nom d’un nommé Moughîra qui mourut bien avant ce mahdî, mais qui avait constitué une doctrine très étrange, sorte de syncrétisme des anciennes croyances de la Babylonie et de la Perse, et annonçant déjà les conceptions de ce qu’on a appelé l’ismaïlisme.

L’ismaïlisme qu’on peut considérer comme la cinquième grande secte mahdiste a joué un rôle considérable dans l’islamisme, et son action a débordé jusqu’en Occident. Nous donnerons à l’exposé de sa doctrine et à l’histoire des mouvements politiques et religieux qui s’y rattachent tout le développement qu’il mérite. Mais il nous faut d’abord suivre T’abbâssisme dans son évolution. Le troisième souverain 'abbâsside malgré son surmon de Mahdî, étant mort et les 'alides ayant décidément rompu avec les 'abbâssides, ceux-ci abandonnèrent peu à peu les doctrines chiites et, tout en gardant plus fidèlement l'âme musulmane qu* MAHOMÊTISME, CH1ISME 01 fRÉ

1590

leurs prédécesseurs oumayyades, parurent décidés a suivre leurs errements el.1 s’occuper surtout de leur empire temporel. I ! y eut cependant une période de transition dans lequelle un nouvel élément s’efforça d’exercer une Influence prépondérante. Les Persans, qui avalent Joué un rôle capital dans le triomphe de la nouvelle dynastie, crurent le moment venu de pren ur revanche de la défaite que leur avalent Inl jadis les Arabes musulmans. Ils se berc< rent de l’espoir

que leur nation reprendrait la domination de l’Orient et rétablirait l’ancienne relimon de Zoroastre. On attribuait a ee dernier diverses prédictions astrologiques. On racontait, en effet, que m les Arabes axaient triomphe, eest que leur prophète était né a un moment horascopique particulièrement favorable pour son peuple. La conjonction des dcu planètes supérieures Saturne et Jupiter qui se maintient pendant 240 ans était passée en l’an 571 de notre ère dans la triplieité

OfOOfifUt, c’est-a-dire dans le groupe des trois signes

du Zodiaque affectés, au dire des astrologues, de ce

caractère : Scorpion. l'.erc i-.se et Poissons. Or. en 811 de notre ère. c’est a dire, rs 1 >.M de l’hégire, sous le deuxième successeur de i"a b basslde al Mahdi. la conjonction devait entrer dans la triplieité des signes piies. ce qui signifiait la restauration du culte du feu. donc de l’antique religion perse. Il semble que la célèbre famille des Harmecides (descendant d’un

in Bannak ?) qui fournit tant d’habiles vizirs à

la dynastie 'abbftsatde ait pensé a une restauration de ce genre et en ait favorise sous main les faut cuis.

mit l’explication de leur chute si brusque en donc peu d’années axant le terme prédit par les astrologues. 1., - khaliꝟ. 1 laroûn ar Kachid devait avoir de graves raisons, et les historiens n’ont pu encore les déterminer avec certitude. A sa cour. deux intluences contraires régnaient, celle de la race arabe a laquelle il appartenait et qui était représentée par sa femme Zoubeida. sa parente, et cille de la race perse à laquelle appartenaient les Barmécides. Partagé entre ces deux éléments constamment en lutte, llaroûn ar Rachtd avait hésité longtemps : il avait cru les concilier en proclamant héritiers de l’empire ses deux fils, l’un ne de Zoubeida, al Amm, l’autre al Ma’moûn né d’une esclave et tout acquis a lacause perse. Cette dernière semblait a peu près perdue après la chute des Harmecides et l’avènement d al Amm. Mais celui-ci lit la faute de provoquer son frère qui fut vainqueur. I. esprit perse reprenait son influence. On peut se demander si al Ma’moùn fut vraiment musulman. Le poète l’irdausi. le chantre national de la l’erse musulmane, dans son épopée du Chah nanieh. l’appelle avec éloge un mobnl.v est -a-dire un prêtre de /oroastre. Dans le débat qui S'était élevé entre le chrétien 'la’qoub al Kindi dont il a été question plus haut. col. 1580, et le musulman qui l’incitait a se convertir, al.Ma’moùn intervint et blâma le musulman, lui assurant qu’on était pour le moment dans la foi de /oroastre et qu’on serait prochainement dans celle de JésusChrist, l’ar ces paroles énigmatiques, il semblerait se rallier a la doctrine astrologique qui. depuis 194, mettait le monde sous l’influence de /oroastre, et annonçait probablement le retour de Jésus-Christ, donc la lin du monde. 2I<) ans après, c’est-a-dire a un nouveau ige de la conjontion. lui même temps qu’il était plus ou moins secrètement mazdéen. il se déclarait ouvertement pour les 'alides. Une partie de la l’erse, surtout celle qui avoisine la nier Caspienne, et qui conservait encore quelques restes d’indépendance lit déclarée pour eux. Le nationalisme persan Menait aux imàms 'alides parce qu’il les consi.it comme les descendants de leurs rois. Ilouseïn épousé une fille de Ya/dedjerd, le dernier roi

inide. I.e mazdéisme fraternisait avec le mahdisme.

avec qui il avait quelques points communs, l’eut 'in ai Ma’moûn obéissait Il encore a des influences mazdéennes, lorsque, par une décision inattendue, il déshé nia sa propre race et en renia toutes les traditions en proposant a l’Imvm 'alide « lu moment sa succession

a l’empire (201 817). Mais il se lit un tel mouvement a Baghdftd contre cet acte extraordinaire, qu’ai Ma’moûn dut y renoncer ; le malheureux Imam mourut

presque aussitôt, empoisonne ilil on, et la tentative île réconciliation n’eut pas de suites Au contraire, le losse s, - creusa de plus en plus entre 'alides et 'abbfis si. les ; ces derniers abandonnèrent d.- plus en plus l, s idées chutes et devinrent au contraire les champions du parti adverse : le sounnisme. Mais il ne tant pas oublier leur origine, et le caractère essentiellement messianique ou mahdiste de leur triomphe, si

bien mis en évidence par Vmi Vloten. Cet espril est

bien caractérisé dans la secte des rawendltes, parti

sans exaltes de l"abbàssisine, qui allèrent jusqu'à adorer al Mansoùr comme une divinité, même île son Vivant. Déjà, en effet, s'étaient glissées dans l’imàmisme des conceptions d’incarnations divines qui l'élolgnalent de plus en plus du véritable islam. Nous en avons vu un exemple : nous allons en retrouver d’autres, plus caractérisés, dans les doctrines isinn’iHennés, où les éléments musulmans finiront par lupins jouer qu’un rôle intime et plutôt d’apparence que de realité.

> Les Isma’iliens. Le lui, mis/ne. — Nous avons vu que le sixième iinàm 'alide était Dja’far surnommé as Sàdik. S’il s’est toujours refuse à revendiquer le pouvoir temporel, il n’en a pas moins conservé dans le domaine spirituel une Influence considérable. C’est après 'Ail, le personnage le plus vénéré des chiites. pour ses mérites exceptionnels et les grâces spéciales qu’il reçut. Il avait une connaissance profonde des choses et c’est à lui qu’on attribue le fameux livre des prédictions, appelé le dja’ft, qui, d’après d’autres, aurait été révélé à 'AH. Il en a circulé de tous temps des exemplaires plus ou moins authentiques ; il devait être à l’origine du type de ces malahim si en vogue pendant les premiers temps de l’islam. A ce livre on joignait la djâmïa ou somme, dont l’origine est inconnue et le texte perdu. Le malheureux imam choisi par al Ma’moùn comme héritier présomptif avait consulté ces livres avant d’accepter ; il n’avait pas. d’ailleurs, obéi à leurs conseils qui était de refuser et, comme ils l’avaient prévu, cette erreur lui fut fatale. De tous temps, d’ailleurs, les 'alides passaient pour avoirdes livres mystérieux, des instructions -ecrètes soit venues de Mahomet, soit même de la divinité, à laquelle leurs adhérents fanatiques avaient "de plus en plus tendance à les identifier. C’est ainsi qu’on attribuait à 'Ali un feuillet, $ahtfa, probablement du genre des feuillets, dont parle le Coran, révélés à Abraham et à d’autres prophètes. C’est sur l’imâm Dja’far et sa science mystérieuse que se concentrèrent les légendes. C’est autour de lui que se groupèrent les partisans d’une vaste organisation fondée sur la croyance en l’omniscience de l’imâm et sur un enseignement ésotérique des plus étranges, qu’on appela la science du caché : le bâlillisme.

Tel que nous le connaissons, sous une forme déjà tardive, le bàtinisme repose sur ce principe fond ; mental que toutes les religions sont de purs symboles dont la véritable signification échappe au vulgaire, et en particulier que l’Idée de la fin du monde, essence même de l’islam ne répond à rien de réel. Ce monde est éternel, donc il ne huit pas : mais il subit certaines révolutions qui marquent la fin de cycles cosmiques, auxquels

d’autres succèdent, et ainsi à l’infini. Il doit donc > avoir pour la masse un enseignement religieux, symbolique ou exotérique et, pour quelques initiés, une L59J

M HOMÉTISME, CHIISME 01 TRÉ

1 592

doctrine philosophique, abstraite, ésotérique. Comment se faisait l’initiation ? C’est ce que nous verrons en étudiant l’isina’ilisnie une fois constitué.

Les véritables origines en sont obscures. Il semble <[iie les premiers bàlinicns aient été les partisans d’Aboû Mouslim, ce Persan, qui avait créé la daula 'abbâsside ot qui fut mis à mort par al Mansoûr qui lui devait tout, mais redoutait son esprit d’indépendance et peut-être ses tentatives pour se rapprocher des 'alides. Lui aussi, d’ailleurs, eut des partisans exaltés qui le considérèrent comme malidî. Les rizâmites voyaient en lui le successeur légitime d’as Salïàh. donc ce second personnage annoncé dans la tradition dont nous avons déjà parlé sous le titre d’al Moundhir. Lui-même, en elîet, prétendait descendre de Abbàs. Suivant la formule ordinaire, il n’avait pas été tué, il vivait toujours, il reviendrait pour remplir la terre de justice. Ces sectaires portaient aussi le nom de mouslimites, et de khourramites. Ce dernier nom a été également donné aux isma’iliens, ce qui peut faire penser que ceux-ci leur avaient emprunté tout ou partie de leurs doctrines.

Dans l’entourage de l’imàm Dja’far, c’est un nommé Aboû-1 Khaltâb qui paraît avoir inauguré le bâtinisme. Ses partisans considéraient le dja’far comme leur livre personnel ; ils adoraient en Dja’far une incarnation de la divinité, mais, après sa mort, ils déclarèrent que l’imamat était passé à Aboû-1 Khattâb. Les nawousites, au contraire, déclarèrent qu’il n'était pas mort et qu’il reviendrait, toujours suivant la même formule. D’autres, au contraire, conféraient l’imamat à son fils Moûsa ; d’autres enfin, qui s'étaient attachés à son fils Isma’il, proclamèrent imâm Mou’iammad, fils d’Isma’il, et c’est de là que leur vint le nom d’isma’iliens. Isma’il avait été proclamé par son père comme héritier de l’imamat, mais il mourut avant lui ; d’autres disent qu’il commit une faute qui entraîna sa déchéance ; de toutes les façons à la mort de Dja’far, le schisme se produisit entre moùsawites, donnant à Moûsa et à sa descendance la qualité d’imâm, et isma’ilites ne la reconnaissant qu'à Isma’il ou plus exactement à Mouhammad qui, d’ailleurs, devait être le septième et dernier imâm. La valeur mystique du nombre sept était en elîet un des points principaux de la doctrine.

L’imamat 'alide se divise donc à ce moment en deux branches : l’isma’ilisme qui représentera pour nous la cinquième grande secte mahdiste et l’imâmisme duodéciman qui s’arrêtera au douzième imâm, comme l’autre s’est arrêté au septième.

L’isma’ilisme comporte deux éléments qui se sont étroitement associés plus tard, mais qu’il faut soigneusement distinguer. D’une part l'élément purement mahdiste, qui reste dans la tradition musulmane, d’autre part le bàtinisme qui est devenu une sorte de conglomérat de toute espèce de conceptions religieuses, magiques et philosophiques, quelque chose d’assez semblable à la Kabbale juive, qui en dérive probablement par certains côtés. Ce second élément est devenu la négation même de l’islam, et le chiïsme, ainsi altéré, a été vraiment une hétérodoxie.

Le mahdisme des isma’iliens ressemble braucoup à celui des 'abbâssides par son organisation secrète, mais il semble l’avoir renforcée par un système d’initiation fort curieux, sur lequel les auteurs arabes nous ont donné de nombreux détails que nous résumerons ici.

Nous parlerons d’abord d’un association spirituelle qui ne paraît pas avoir eu d’aspirations politiques, mais qui était certainement affiliée à l’organisation isma’ilite. C’est la Confrérie de la Pureté, Ikhwân </s safâ, dont le sens véritable est : les « Amis fidèles ». Nous en connaissons les écrits d’après une rédaction

très postérieure, mais l’esprit de la philosophie grecque qui les anime et divers autres indices paraissent leur assigner une origine plus lointaine, probablement dans le courant du iie siècle de l’hégire, époque où les livres grecs furent connus des Arabes et leur inspirèrent un vif enthousiasme. On les a définis comme des musulmans, convaincus qu’il fallait allier la philosophie et la religion pour obtenir la vérité parfaite. Leur science était carhée au vulgaire et réservée aux seuls dignes. Ils avaient, disent-ils, des livres accessibles a tous, traitant de tous sujets, mais aussi un autre livre qui leur appartenait en propre, intelligible à eux seuls, contenant la science des essences des âmes, leurs influences sur tous les corps : sphères célestes, astres, éléments, minéraux, végétaux, animaux, hommes de toute espèce, prophètes, savants, etc. Par ces lires accessibles à tous, il faut probablement entendre les cinquante traités qu’ils nous ont laissés et par leur livre spécial, le cinquante et unième, la djâmi’a, restée secrète et dont une partie n’a été retrouvée que dans un manuscrit de la célèbre secte isma’ilicnne, connue en Europe sous le nom d’Assassins. Cette circonstance prouve bien leur parenté avec la secte. Quel rôle ont-ils joué dans la propagation des doctrines ésotériques ? Ils se présentent à nous comme une vaste association de secours mutuel et leurs traités font grand étalage de piété. N’y a-t-il pas là le noyau de ces sociétés secrètes, qui cachent, sous des apparences humanitaires et plus ou moins religieuses, de tout autres visées, soit qu’elles aient été constituées ainsi dès l’origine, soit que sincères au début, elles aient été détournées de leur but primitif par des chefs audacieux pour servir d’instruments à leurs ambitions politiques. Peut-être est-ce le cas des < Amis fidèles » dont l'âme paraît assez ingénue si nous nous en rapportons à leurs seuls écrits. Cette innocente association aura été transformée par d’autres en un formidable agent de révolution et même de dissolution sociale. N’est-il pas étrange que d’elle se soient inspirés les impitoyables Assassins, qui se proposaient certainement bien autre chose que l’union de la religion de Mahomet à la philosophie d’Aristote pour obtenir la pure vérité.

L’isma’ilisme présente donc, dans ses débuts, une organisation probablement très voisine de celle des « Amis fidèles », peut-être identique, mais il dévie étrangement. Au lieu des candides appels, il étale un cynisme révoltant ; mais peut-être le jugeons-nous trop sévèrement, n’ayant sur ses adeptes que les témoignages de leurs ennemis déclarés. Leurs doctrines, qu’ils ont voulues mystérieuses et secrètes, n’ont-elles pas été déformées dans les descriptions qui nous sont parvenues ? Les textes, qui viennent d’eux, ne nous sont connus qu'à l'état de fragments et d'époque tardive. Avant de répéter ce que nous en savons, il convient de faire ces réserves.

Le plan fondamental était de réunir tous les mécontents du régime établi par les 'abbâssides, et il y en avait certainement beaucoup. En premier lieu, tous les non-musulmans plus ou moins humiliés et foulés par l’islam devenu, avec la nouvelle dynastie, moins tolérant et moins facile : juifs, chrétiens, zoroastriens, manichéens, sabéens, etc. Puis ceux qui avaient été évincés par l’audacieuse intrusion de la famille de 'Abbâs ; les 'Alides, descendants du Prophète, d’abord ; puis les 'Alides Keïsànites, devenus plus tard les Carmathes ; enfin, les Khourramites, attachés à la mémoire d’Aboû Mouslim si cruellement victime de l’ingratitude 'abbâsside. Utilisant, d’une part, les procédés de la propagande secrète que nous avons vus inaugurés par Aboû Hâchim et les associations intellectuelles qui s'étaient formées sur tout le territoire musulman, perfectionnant l’organisation et se donM IHOMÉ riSME, CHIISME ol TRÉ

nant comme les partisans d’une magnifique synthèse réconciliant toutes les religions connues dans une phi losophie éclectique et supérieure, Ils attiraient eux

tous les esprits élevés de leur temps par ces belles spéculations tout en tlattant les superstitions île la masse

et la séduisant par le mystère

leur enseignement était de sept degrés ; pins tard il fut porté, semble-t-il, à neuf. Du moins e’est -née Ce nombre qu’il nous est présente en détail dans les textes que nous possédons et que nous allons utiliser. tout en les soumettant aux réserves critiques néoes

Hans le premier degré, le missionnaire ou </<i i (lltte lalement : l’appelant « s’efforce.le gagner la confiance de celui qu’il veut enrôler en faisant parade de connaissances mystérieuses, qui piquent la curiosité. Ces

conni aiysterieures sont celles que possèdent

les imams, de par leur nature privilégiée, et qu’ils

transmettent a leurs inities. C’est faute d’en être instruits, que les hommes commettent tant d’erreurs. que tant de calamités fondent sur la société, que le véritable islam est si peu pratique.

Comme on le voit, ce premier degré s’adresse csscnlicitement aux musulmans et il en sera de même poulies suivants. Nous ignorons comment les missionnaires appliquaient, au moins dans le détail, leur système d’enseignement gradue.

Le texte que nous résumons dit que, pour ébranler son auditeur, le missionnaire lui pose des questions captieuses sur certains passages du Coran plus OU moins obscurs, sur certains phénomènes naturels, sur le caractère svmbolique des nombres 7 et 12 : bref, il lui niontreleinor.de tout entier comme rempli d'énigmes dont il a la clef. Si son auditeur alléché demande a connaître cette clef, le missionnaire pose ses condi lions. Cette science supérieure ne peut être cou lice SOUS le sceau du secret, et pour être initié il faut s’engager par les serments les plus solennels à n’en rien révéler, sans la permission des chefs. D’ailleurs, s adressant a un musulman, il lui déclare que cet agement est entièrement conforme à l’islam, que rosélyte doit continuer à pratiquer fidèlement. I.e deuxième degré ne paraît pas différer beaucoup du premier : une fois le serment prêté, le prosélyte n’apprend rien de nouveau si ce n’est que Dieu a confié la vérité aux imftms et qu’il faut s’en remettre aveuglément a eux. Mais cela était déjà compris dans le premier degré, et le prosélyte reste toujours ignorant de la doctrine.

t avec le troisième degré qu’apparaît l’enseignement de l’isma’ilisme proprement dit, a savoir que Dieu, avant créé les principales choses de ce inonde par sept, il est certain qu’il en est ainsi pour les imàms, qui « ont 'Ali. llasan. l.louseïn. '.Mi fils du précédent. Moubammad. Dja’far et enfin le Qfllm, le maître des derniers temps, en d’autres termes le Mahdî.

Quel est-il"? Notre texte dit que les sectaires hésitent entre Isma’il et son (ils Moubammad..Mais d’autres indices enlèvent tout doute : dans un écrit rédigé par un auteur isma’ilien. c’est Moubammad, qui est appelé le septième parfait. Son père n’a été en somme que le dépositaire provisoire de l’imamat, et c’est lui qui l’a exercé véritablement.

Heste a démontrer que Moubammad a vraiment les qualités requises, qu’il a la science des choses cachées « t que, seul, il peut pénétrer le sens ésotérique de ce dont le vulgaire ne connaît que l’apparence. C’est par lui que les initiés savent l’interprétation allégorique, ta’wil, des textes sacrés. Ici commence l’exposé du misme. qui traite le Coran, ainsi que nous lavons dit. à la façon dont la Kabbale traite la Bible. Si cette explication séduit le prosélyte, on lui fait franchir un de plus.

1594

Dans le quatrième, il apprend que le nombre 7 régit

mm seulement l’imamat musulman ou "allde, mais encore leprophétlsmeunlversel. M y a sept grands pi.'

phètes législateurs, créateurs de religions, les par leurs OU nd Un, qui sont doubles et ceci est un

élément essentiel de la doctrine, nous verrons pour quoi d’un second qui est appelé le sotis et Irausiiiel la doctrine par six personnages successifs qui foinienl avec lui les sept - silencieux ou uimils. I.e premier prophète parleur lut Adam, et Sel h son lils fut son sous. Le second est Noe qui promulgua, disent ils. une législation abrogeant celle d’Adam. Son soùs fut

Sem. Puis viennent successivement Abraham avec

Isma’il son tils : Moïse aec Araon : Jésus avec l’ierre ; Moubammad et 'Ali. Les sept -ainits de ce dernier cycle, le sixième, sont les six imams, et Isma’il en dernier lieu. Enfin, apparaît le septième et dernier parleur, qui est le Mahdî. c’est-à-dire Moubammad.

Au cinquième degré, c’est l’application du nombre

12 qui vient compléter le système. Outre le soùs, Chaque Imam doit avoir autour de lui douze auxiliaire s nommes Çoudfdjas, c’est-à-dire « preuves. les douze tils de Jacob, les douze apôtres de Jésus, les douze chefs ou naqtbs donnés par Mahomet à ses fidèles en sont des exemples. Le nombre 12 dont le missionnaire avait, dès le début, montré ce rôle dans le monde était le symbole des houdjdjas, comme le nombre 7 celui des imàms. et ainsi se trouvaient résolues les énigmes proposées à l’auditeur pour le séduire et le faire entrer dans la nouvelle secte.

Jusqu’ici, on n’a pas quitté le terrain a l’islam, l.a succession des prophètes devant aboutir à Mahomet est prolongée et systématisée pour aboutir au Mahdî. Cette succession est bien dans renseignement de Mahomet, son prolongement est la conséquence de sa disparition, et s’il n’appartient pas à cet enseignement, il n’en est pas moins, comme nous l’avons déjà dit, la doctrine de l’islam immédiatement après la mort de son fondateur. Au sixième degré apparaît un nouvel élément : la philosophie grecque.

En effet, le bâlinisme a déjà fait naître cet le conclusion que la religion musulmane, comme toute autre d’ailleurs, est purement symbolique, et que les pratiques en ont été instituées pour le vulgaire, afin d’y maintenir le bon ordre, refréner ses instincts et assurer la paix sociale. Voilà ce qu’enseigne la philosophie grecque, à laquelle il faut désormais s’attacher en ne croyant plus aux révélations bonnes pour la masse ignorante, mais en y découvrant, avec les esprits supérieurs, la sagesse cachée qui les a dictées aux savants législateurs.

Sous cette forme le sixième enseignement parait avoir été dénaturé par les adversaires de la secte. 11 est plus probable que celle-ci passait d’abord par un terme moyen, qui essayait de concilier la philosophie et la religion. Nous avons vu que tel était le but avoué des Ikhwan asafâ ; c'était aussi, nous le savons, celui des philosophes arabes, Avicenne, Averroès et les autres. Les ennemis de ceux-ci les ont accusés d’irréligion ; ils s’en sont toujours défendus énergiquement. Il est probable que ce sont leurs théories qui étaient défendues dans ce sixième stade, et qu’il n'était pas encore question de l’opposition violente entre la foi et la raison, mais seulement de leur accord.

Le septième degré nous est exposé d’une façon peu claire dans les deux textes que nous résumons ici et qui, d’ailleurs, ne sont plus d’accord. On y peut démêler la doctrine de l'émanation, empruntée cette fois au gnosticisme et adaptée a l’interprétation du Coran. doctrine a pour but de placer a côlé de l’Etre unique un autre qui le suppléera dans la direction du inonde, (.'est la généralisation de la théorie du Si us. 1595

    1. MAHOMÉTISME##


MAHOMÉTISME, CHIISME OUTRÉ

ir, :. « ;

que nous avons vu énoncée plus haut. Les adversaires de la secte ont affecté de voir dans cette conception un retour au dualisme zoroastrien, mais ce que nous connaissons des écrits de la secte nous permet d’affirmer que, s’il y a dualisme, il n’y a pas opposition de deux principes, bien au contraire. Le second est le reflet du premier, il lui est intimement uni. Il a été conçu pour expliquer la nécessité du soùs qui accompagnera le prophète parleur et du grand missionnaire, dâ'i des da’is qui sera l'émanation du Mahdl et transmettra ses ordres. Ce transmetteur ostensible des ordres du Mahdl est absolument nécessaire dans la doctrine, car il peut arriver que le Mahdî se cache ; c’est, nous l’avons vii, le sort de tous les Madhîs jusqu’ici, et la ghaïba ou absence en est arrivée à faire partie intégrante du Mahdisme. Dans ce cas, il faut un second, dont l’enseignement réponde exactement à celui du Mahdî absent et, si son absence se prolonge, il y aura une suite de grands dà'is qui parleront en son nom. Par une conséquence inévitable, le grand dâ'i sera tenté de se substituer au Mahdî et même, comme nous le verrons, de se présenter lui-même comme le Mahdî. Là est l’originalité de la secte, et il est évident qu’elle offrait une véritable prime à l’imposture. Cette conséquence était tellement fatale, qu’en fait l’isma’ilisme en vint à se détruire lui-même et aboutit à une forme toute nouvelle : le fâtimisme qui engendra luimême d’autres doctrines aberrantes, comme celles des Druzes et des Assassins.

Mais reprenons les textes qui nous exposent les divers degrés de l’enseignement ; déjà peu d’accord sur le septième, ils sont tout à fait opposés dans l 'exposé du huitième.

C’est dans ce dernier que figure nettement et sans contestation le rejet des révélations et par suite de l’islam tout entier et en particulier des doctrines eschatologiques, donc du mahdisme. Ici, il n’y a plus de succession de prophètes, partant plus d’imâms et d’isma’ilisme. C’est une doctrine toute nouvelle, qui a dû être ajoutée après coup. C’est, en effet, cefle que l’on doit probablement attribuer aux fauteurs de ce que nous avons appelé le fâtimisme, et voici pourquoi. Le huitième degré, après avoirrépété la doctrine de l'émanation contenue dans le septième, ce qui semble indiquer la nécessité d’un raccord entre l’un et l’autre déclare nettement qu’il n’y a ni résurrection, ni récompense, ni châtiment dans l’autre monde. Il y a seulement des cycles cosmiques, réglés par les mouvements des étoiles, et aboutissant à des révolutions, à des palingénésies, mais continues et sans terme.

Nous voici arrivés à une forme nouvelle, très systématisée, des prédictions astrologiques dont nous avons montré l’apparition à la fin du 11e siècle de l’hégire, pour soutenir les prétentions du rationalisme persan.

Le neuvième degré achève la ruine de l’isma’ilisme en affirmant que l’iinâm n’a aucune réalité, qu’il n’est que le symbole de la vérité suprême, à laquelle on arrive par la pratique des sciences. Quand on parle d’un imâm actuel, on veut dire simplement l'énoncé de la doctrine par la voix de ses lieutenants. Nous verrons ces idées prendre une forme plus arrêtée et plus précise dans les écrits qui nous sont parvenus des Assassins.

En réalité, cette doctrine que nous venons d’exposer, est celle du fâtimisme, et non de l’isma’ilisme primitif, ou plutôt, d’après les auteurs auxquels nous en avons emprunté l’exposé, c’est celle qui est commune au fâimisme et au carmathisme.

Nous avons déjà parlé du carmathisme comme ayant été, à son origine, au moins, une sorte de néokeïsanisme, se fondant sur l’imamat d’un fils de Mouhammad, fils de la Hanafiva, identifié lui-même au

Messie, a Jésus, au Logos et au Mahdî. Il semhle qu’il y ait là une esquisse du système isma’hien avec cinq personnages, au lieu de sept. Mais la charpente du système était moins symétrique, car ils admettaient la série des sept prophètes principaux, Adam, Nod, Abraham, Moïse. Jésus-Christ, Mahomet, et leur Imâm Ahmad. Il est certain que la conception du Mahdî apportant le dernier chaînon à la succession des grands prophètes proclamés par l’islam contenait en elle-même le principe septénaire. Mais, sous cette forme, elle était en opposition avec l’enseignement de Mahomet qui s'était déclaré formellement le sceau, donc le dernier, des prophètes. D’ailleurs, h choix des grands prophètes était certainement arbitraire. L’islam n’admet que trois livres révélés, celui de Moïse ou Tara, de Jésus-Christ ou Indjil, de Mahomet ou Coran ; celui-ci parle aussi des Psaumes, on aurait donc dû faire aussi une place à David, mais les Psaumes ne peuvent être considérés comme une législation. Or. c’est là le caractère évident de la Tora et du Coran, et Mahomet qui ne paraît pas avoir compris très exactement ce que représentaient les Évangiles (les authentiques et les apocryphes) a pu croire que c'était aussi le caractère de la doctrine enseignée par Jésus-Christ. Ce n’est donc pas dans le mahdisme qu’il faut voir l’origine du septénarisme, il y a été adapté par une véritable imposture. Le Mahdî n’es ; pas un prophète et il n’a pas de nouvelle loi à apporter : il doit seulement préparer les voies à Jésus-Christ, le défendre contre l’Antéchrist ; tout autre rôle à lui attribué constitue une hétérodoxie, et, s’il ne lui est attribué que pour être exercé en réalité par son lieutenant, c’est bien la négation de l’islam et une impiété d’où le nom justement mérité de malâl ida « impies i donné aux isma’iliens et aux carmathes.

Le fâtimisme.

La liaison de ces deux sectes a

été bien mise en évidence par les orientalistes modernes ; elle constitue ce que nous appellerons, faute d’un meilleur terme, le fâtimisme. Comment s’est faite cette liaison, c’est un point encore fort obscur. Au dire des historiens arabes, le carmathisme doit son nom à un initié de l’isma’ilisme appelé Hamdân Qarma', qui, le premier, fomenta des révoltes dans la Basse-Mésopotamie et dont les successeurs se rendirent redoutables aux khalifes de Baghdâd. Il reconnaissait le grand dâ'i, mais croyait véritablement à l’imâm. Mais nous avons vu que d’autres doctrines probablement plus anciennes, sont attribuées à des carmathes. Ce qu’il y a de certain, c’est que le carmathisme fut connu des historiens avant l’isma’ilisme, soit qu’il ait pris l’initiative de l’action (vers la fin du iiie siècle de l’hégire) et ainsi déclenché le mouvement, ce qui permit à la secte, jusque là confinée dans une propagande purement orale, d’agir au grand jour, soit qu’il ait obéi à un ordre du grand dâ'i au moment jugé propice pour l’explosion de la mine longtemps préparée dans le silence.

La question se complique si on cherche à savoir qui fut l’audacieux promoteur du fâtimisme. On l’attribue à 'Abd Allah ibn Maïmoûn, surnommé al Qaddâh (l’oculiste) qui aurait été grand dâ'i de l’isma’ilisme vers le milieu du iiie siècle, mais d’autres indices le font naître au début du iie siècle, c’est-à-dire au temps de l’imâm Dja’far dont son père Maïmoûn aurait été l’affranchi. D’autre part, un nommé Zeïdàn, Deïdân ou Dendân aurait, tout en professant des doctrines philosophiques très voisines de celles que nous retrouverons dans les écrits des Assassins, annoncé des révolutions cosmiques dues à ces conjonctions de Saturne et Jupiter qui jouent un si grand rôle dans les doctrines carmathes. Or, les uns le font vivre au milieu du me siècle de l’hégire, mais d’autres en font le contemporain de Maïmoûn. père de 'Abd Allah, et la con M IHOMÉTISME I II [ISME ( » l III Ê

1598

Jonction qu’il prédit est celle dont nom avons p-irKplus haut et qui devait survenir en 194 de l’hégire. Il paraît ptos rationnel, d’ailleurs, que, llsma’lllsme

primitif itant né a la mort de DJa’far, en i 18 (765),

le mouvement qui en dérive n’en ait pas été fort

ne dans le temps. Pouvait-on vraiment soulever

les mass. BU nom dlsin ' il OQ de son lils Mouliaminad

plus d’un siècle après ? Mais noua ne pouvons discu ter ici ee problème. Nous nous contenterons donc de nter les fait.s suivant le système généralement admis, d’après les historiens arabes.

La doctrine aurait été conçue par Maunoùn. qui porte aussi le surnom de (.add.'l.i. l’oculiste ; mais n lils que serait due l’organisation, l’initiation aux sept OU neuf degrés, etc.Maïmoùic faisait profession île elihsme zèle, mais en realité, il était BSOWfy, c’est-à-dire matérialiste. Il était le lils d’un certain Delsan, qui lui-même était un dualiste, c’est-àdire persan zoroastrien. comme il y en avait tant sous le premier régime 'abbasside II aurait vécu dans la région d’Ispaban OÙ il y avait un fort noyau de partisans 'attdes. Son Qls’Abd Allah devint, par sa protide et son influence, suspect aux autorités qui le pourchassèrent de la dans la Susiane, puis à Basse rah, d’où il dut enfin s’enfuir pour Salamiya en Syrie.

' là qu’il eut un tils. Ahniad qui devint, après lui. chef de la doctrine. Il avait avec lui son dà'i l.louscïn. surnomme al Ahvvàzf, qu’Alimad envoya pour faire la propagande dans la Basse-Mésopotamie. Le dà'i trouva dans la personne d’un simple paysan 1 lanidàn. surnomme <, armât, un partisan enthousiaste et, en mourant, le désigna pour son successeur dans les [onctions de ilà'i. A partir de ee moment, et probablement sous sa vive impulsion, la propagande se développa en l’erse et surtout dans le Bahreïn, où les cannât lies parvinrent à fonder un petit état indépendant qui devait durer près de deux siècles. Entre temps, le grand inaitre Ahniad mourait et ses deux lils héritaient de son pouvoir, toujours sous le nom du Mahdî ou imàm absent..Mais peu à peu, sans que nous puissions dire comment, le Maluli qui devait être le septième et dernier imàm du sixième cycle et le septième etj dernier grand prophète, sans successeur puisqu’il devait clore l’histoire du monde, se trouva n'être que le premier d’un nouveau cycle d’imams, qu’on appela les [mams cachés et dans lesquels se trouvèrent compris les grands martres de la doctrine. Il y a la un escamotage assez singulier qui souleva l’indignation de

beaucoup d’alides, mais que n’admettent pas un certain nombre d’historiens. I.a série « les Imflms cachés commençant par Monbammad ibn Jsina’il qui perd ainsi sa qualité de Mahdi comprend ensuite son lils Dja’far. se termine par le lils de celui-ci Moul.iammad. Après quoi apparaît un 'Oubeld Allah qui se donne pour le véritable Mahdi et Inaugure la dynastie dite ds ( latimides. Ktait-cc un descendant de Maïmoùn, d maître des Isma’iliens, qui jugea le moment venu de lever le masque et de réaliser le rêve ambitieux formé par ses ancêtres, ou était-ce vraiment un descendant authentique de làtima. la fille du Prophète, d’où le nom de I-'àtimide qui lui est donné'.' Auteurs arabes et orientalistes sont fort diisés sur ce point, et une pareille imposture paraît inexplicable. Mais n’avons pas les moyens de trancher le différend. Tout ce que nous pouvons affirmer c’est qu'à la On du 1Il e siècle de l’hégire une dynastie, dite fàtimide entre dans l’histoire et y tient une place importante pendant près de trois siècles. I. 'imamat fàtimide avait enfin trouvé les hommes d’action qui lui manquaient et il s’en fallut de bien peu qu’il ne supplantât rimaillât 'abbasside sur tous les points de l’empire musulman.

'Oubeld Allah, également appelé Sa’ld, aurait été

lils de lloiisein, lils (ou petit lilsl -le 'Abd Allah ibn

Maimoiin et serait devenu grand maître en 280 (.vj :  ; i i ii missionnaire habile et dévoué qu’il en

vov.i dans l’Afrique du Nord trouva, chez les peu plades berbères des Koulàma, un appui enthousiaste

et fomenta une révolte contre les gouverneurs 'abbas sides. Quand il se Jugea assez fort, il engagea 'Oubeld

Allah, alors a Salamiva, a Venir se mettre à la tête de

ses troupes. piès un voyage mouvementé, celui-ci

arriva a Sidjilmasa où il lui arrêté. Mais son dà'i le

délivra et le ramena en triomphateur dans les états conquis par sa vaillance. Aboû 'Abd Allah, tel était

le nom de ee hardi partisan devait avoir le sort d’Aboli Moiisliin. 'Oubeld Allah avait pris le titre « l’ai Mahdi, émir des Croyants : il paraît que le dà'i contesta sa légitimité à ee litre : il fut mis à mort. Ces événements se passèrent en J97 el en 21 ».S (911).

la dynastie fàtimide conservait ses relations se crêtes avec les cannât lus et se servait d’eux pour harceler les 'Abbâssides de Baghdâd. Les earmathes se rendirent les maîtres de la route des pèlerinages vers

la Mecque ; persécutèrent les pèlerins et même allèrent

jusqu'à profaner le sanctuaire révéré de l’islam. Non seulement la ville sainte fut mise à sac, mais les sectaires impies, raillant le culte des musulmans pour la pierre noire encastrée dans la Ka’ba, adorée par les Arabes depuis les temps les plus anciens, respectée par

Mahomet, l’enlevèrent pour la transporter dans la

capitale de leur principauté du Bahreïn. C'était un audacieux défi à l’islam tout entier, peut-être une maladresse, car il décelait trop l’impiété foncière de la secte. Aussi, quelques années plus tard, le grand maître fàtimide la lit restituer (339 = 951). Il importail qu’aux yeux de la masse, le fàtimisme restât musulman. D’ailleurs, le niahdisme de la dynastie ne dura l>as plus que n’avait duré celui de la dynastie 'abbasside ; les successeurs de 'Oubeïd Allah prirent bien les titres de Qftîm et de Mansoùr qui appartenaient aussi, d’après les traditions, au Alahdî, mais ils n’avaient plus qu’une valeur protocolaire et le nouvel État paraissait devoir être confiné dans des limites assez étroites, Iorsqu’avec le quatrième imàm fàtimide, ces limites furent franchies, l’Egypte et une partie de la Syrie furent conquises. En même temps ce quatrième imàm qui portait un titre nouveau : al Mou’izz lidîn Allah — c’est-à-dire « celui qui glorifie la religion d’Allah i semble avoir donné une impulsion nouvelle à la secte au point de vue doctrinal. Nous avons. en elTet. des écrits qui lui sont attribués et qui jettent une vive lumière sur les conceptions de ee personnage. S’il s’intéressait tant a la gloire d’Allah, ce n’est pas qu’il hit venu à résipiscence et fût rentré dans le gnon de l’islam, mais c’est qu’il se considérait luimême comme l'émanation, la forme visible d’Allah et, au lieu du matérialisme athée et philosophique que nous avons vu enseigné par les isma’iliens, nous trouvons en présence d’un mysticisme très particulier, que nous allons résumer. Voici, par exemple, ce que dit al Mou’izz dans un écrit qui lui est attribué par les Assassins, qui dérivent, comme nous l’avons dit, des Isma’iliens et ne sont pas suspecl i d’avoir altéré sa pensée. C’est un colloque entre l’imâm et Dieu. « Mon Dieu ! Je ne faisais qu’un avec toi avant que tu te manifestasses en moi par ta division. Tu as produit de moi des créatures, tu as fait émaner de moi ton monde, en essence, en noms et en attributs. Je ne suis pas réuni a toi et je ne suis pas séparé de toi, car je suis un aspect de ton être ; je rentrerai en toi lorsque tu feras passer à un autre la figure et le commandement… Mon Dieu '. Je suis comme toi, grand dans ton pouvoir suprême. Je suis ta puissance, ta démonstration, ta volonté et ton lieu… Je viens de toi,

puisque je tends vers toi et que tu es mon aspiration, et tu es mol, puisque j’ai la puissance et la grandeur, et puisque c’est moi qui ai créé par toi, tes saints, tes anges et tes prophètes… Tu as créé par moi toutes les créatures et tu as tiré de moi tous les envoyés et les prophètes. Je suis un fils pour toi et tu es mon père… » L'éditeur et traducteur de ce texte, Stanislas Canard, nous explique qu’ai Mou’izz se considérait comme une incarnation de la Raison universelle, première émanation de Dieu et sa manifestation extérieure, mais qui ne faisait qu’un avec lui avant qu’il la produisît au dehors par un acte de volonté appelé Arnr. Dieu a deux aspects, l’un invisible, incompréhensible, l’autre possédant tous les attributs divins et se manifestant au dehors : la Raison universelle.

Nous ajouterons que ce langage ressemble à celui qu’on pourrait mettre dans la bouche du Verbe, du Fils de Dieu lui-même ; dès lors, on comprend comment les carmathes identifiaient leur Mahdî, au Messie, à Jésus-Christ, au Verbe. Nous avons ici l’explication de ce dualisme que les adversaires voulaient confondre avec l’opposition zoroastrienne des principes du Rien et du Mal. Et il faut se demander si la conclusion essentiellement négative de toute religion que ces mêmes adversaires attribuent à l’enseignement carmathe n’est pas dérivée d’une fausse interprétation du même genre. Ici, nous sommes en présence de l’imâm lui-même : ce qu’il nous dit est une exaltation de l’orgueil humain, mais c’est une affirmation de Dieu et non une négation.

La conception de Dieu est celle-ci. Il est un, donc dépourvu de tout attribut, inaccessible à la pensée. Dieu est ineffable ; on ne peut disserter sur sa nature que par comparaison et par un artifice de langage qui ne l’atteint pas dans son essence. Ce n’est pas lui qui a créé l’univers, mais il a manifesté par sa volonté la Raison universelle qui se confond d’abord avec lui, en qui résident les attributs divins, qui est Dieu extériorisé. C’est donc cette Raison universelle, qui est la vraie divinité accessible à l’homme.

A son tour, elle crée l’Ame universelle qui est déjà plus imparfaite ; elle crée la Matière première. Ajoutez l’Espace et le Temps et le monde spirituel est constitué.

De même dans le monde matériel, il faut une Raison personnelle ou incarnée qui est le prophète « parlant » ou Kâtik et une Ame personnelle incarnée qui est l’Asds (ou le Soûs). Les trois principes supérieurs s’incarnent dans l’imâm, le Houdjdja ou preuve, enfin le Dâ'i.

Il y a, d’ailleurs, un mouvement d’aspiration en sens inverse de l'émanation. Celle-ci va du parfait à l’imparfait ; mais l’imparfait aspire à revenir au parfait. En se réalisant cette aspiration achève le cycle du monde ; la création entière et la Raison elle-même rentreront dans le sein de Dieu. Ces retours successifs de l’imparfait au parfait se font pour les hommes par une sorte de métempsycose qui rappelle les théories orphiques et bouddhiques. Le paradis équivalent au nirvana, c’est l'état de l'âme parvenue à la science parfaite et à la pleine intelligence de l’unité absolue de Dieu, le terme de l'évolution individuelle. L’enfer, c’est l'état inverse ; l'âme est enfermée dans l’ignorance et passe de corps en corps jusqu'à ce qu’elle atteigne en lin cette science parfaite qui ne peut lui être donnée que par l’imâm.

Cet exposé emprunte à un auteur musulman, remarquablement impartial, Chahrastanî, répond trop bien aux notions que les sources isma’iliennes, toutes fragmentaires et obscures qu’elles soient, nous présentent de leur côté, pour que nous n’y voyons point la véritable doctrine dans son ensemble. Pas de révélation à proprement parler, mais une doctrine professée par quelqu’un qui est une incarnation non pas

de la Divinité essentielle qui reste une et inaccessible, mais de l’Emanation. Cette incarnation est perpétuellement changeante à travers les âges. Maintenant c’est l’imâm fâtimide, successeur du Mahdî, auquel il s’identifie, comme à toutes les incarnations de l'Émanation. Le salut est donc non dans l’obéissance à une des doctrines antérieures considérée comme révélation, mais à l’enseignement du Fâtimide ; c’est par cette obéissance que l'âme se libérera des liens de la matière et retournera définitivement à Dieu.

Nous n’avons pas à juger cette doctrine, mais il nous faut bien reconnaître qu’elle était une puissante construction philosophique, où les idées de Plotin combinées avec un mahdisme systématisé, un christianisme réduit au Logos et une métempsycose bouddhique, essayaient de répondre à cet éternel besoin de l'âme humaine : l’aspiration vers Dieu. Même dans ses pires écarts, l’islam s’y efforce toujours et le matérialisme n’y pénètre jamais. Il faut donc rejeter décidément le reproche fait à l’isma’ilisme et n’y voir qu’un mysticisme audacieux, combiné il est vrai pour l’exaltation d’un surhomme, comme on dit aujourd’hui, mais parce que ce surhomme est l'Émanation incarnée, le seul Dieu accessible à l’humanité terrestre. Le danger était que le surhomme ne fût pas toujours à la hauteur de sa tâche.

Ce danger apparut lorsque le sixième fâtimide appelé al Hâkim biamr Allah, c’est-à-dire « celui qui décide par l’ordre de Dieu », commença de manifester des tendances indéniables à la folie. L’histoire de ce personnage, resté une divinité pour un groupement humain qui subsiste toujours, est singulière. Sa doctrine est restée obscure et, si nous la retrouvon> dans les livres des Druzes, ses partisans, c’est sous des formes tellement enveloppées, tellement allégoriques, qu’il a fallu toute la connaissance de ses origines fâlimides pour en soulever le voile. Encore bien des points restent-ils inexpliqués, malgré le beau travail de Silvestre de Sacy, dont nous présenterons ici un court résumé !

Al Hâkim, sixième fâtimide, résidait au Caire, cette capitale de l’Egypte que son grand-père al Mou’izz avait fondée en 359 (970). Les premiers temps de son règne de 386 à 395 (996-1005) n’offrent rien de particulier, mais vers la fin il devint redoutable à tous ses sujets par ses caprices et ses persécutions. Il poursuivit d’abord les juifs et chrétiens qui, jusqu’alors, grâce aux principes éclectiques des isma’iliens, avaient été fort bien traités et même favorisés au détriment des musulmans. Puis se fut le tour des sounnites, qu’on obligea à maudire les trois premiers khalifes ; après quoi al Hâkim les favorisa, puis les persécuta à nouveau. Enfin, il s’en prit aux femmes qu’il traita avec une étrange cruauté, leur interdisant toute sortie et faisant étouffer dans les bains les malheureuses qui contrevenaient à cette défense, etc.

Sur ces entrefaites vers 408 (1018) parut Mouhammad ibn Isma’il surnommé Darazî, qui s’attacha à al Hâkim et afficha une doctrine qui paraît nouvelle aux historiens chrétiens qui la rapportent, mais cependant est en rigoureuse conformité avec tout ce que nous savons du fâtimisme. Il fit valoir les prétentions d’al Hâkim à la divinité, enseignant publiquement qu’il était le dieu créateur de l’univers, que l'âme d’Adam était passée dans 'Alî, puis ses descendants jusqu'à lui. Mais les Égyptiens se révoltèrent contre ces théories, et Darazi fut massacré, selon les uns, ou seulement, d’après les autres, obligé de s’enfuir en Syrie. Là, il recruta des adhérents qui, de son nom, prirent celui de Druzes, qui leur est resté. Mais en réalité, ceux-ci reconnaissent comme le véritable fondateur de leur doctrine, Hamza, qui tout en proclamant le caractère divin d’al Hâkim se présentait lui-même comme le Iu< !

    1. AHOMETISMK##


AHOMETISMK, i. Il IIS Ml. OUTR Ê

IG02

chef réel. « Je suis disait-il, le maître du jour de la résurrection ; Je suis le Messie des nations ; relui qui communique l’enseignement aux ministres, qui montre l.i vote de la doctrine unitaire, etc. La mention du jour de la résurrection montre bien en quoi diffère le point de vue de i.iam/a du fa’iuuMiuprécédent. . qu’ai ! làkim est le denier imam du monde ; c’est la dernière Incarnation non pas de la Divinité pure, nais ac l'Émanation ou Raison Universelle, il doit donc présider a la fin du monde ; en un mot, c’esl une répétition du mahdisme que les l'àiimides semblaient avoir abandonné. Aussi l'élément essentiel du dru Ebme moderne réslde-t-U dans la formule déjà tant de . Doncée : al i làkim n’est pas mort. il re tendra, au jour dit. ramener le bonheur universel.

La mort mystérieuse d’al I. làkim dut contribuer beaucoup à accréditer cette nouvelle forme de mahdisme. D disparut brusquement en 411 (1021). Les uns disent, et c’est l’opinion la plus probable, qu’il fut assassiné, sur l’ordre de sa propre sœur « pii craignait pour sa vie, d’autres qu’il se convertit au christianisme et alla s’enfermer dana un couvent : ses partienfin déclarèrent que les promenades solitaires qu’il faisait dans le désert avaient une signification mystique et que la dernière, dont on ne l’a plus vu revenir, est le début de la ghaiba, la fameuse absence du Maluli perpétuel. C’est ce que liamLa écrivit aux adhérents de Syrie. En Egypte, OÙ l’on fut moins crédule, la doctrine disparut en même temps que l’imàm. Un autre lui succéda et le fàtimisinc suivit le cours ordinaire de ses destiné*

Al I.lakim ne doit plus reparaître jusqu’au jour de la résurrection, c’est-à-dire d’après les interprétations allégoriques chères aux Isma’iliens, au jour du triomphe de la religion unitaire, nom que prend la nouvelle doctrine. Notre Seigneur doit paraît re avec son humanité et exercer ses jugements sur les hommes par le glaive. Toujours cette Identification plus ou moins avouée avec Jésus-Christ.

Les Druzes sont organisés suivant une hiérarchie religieuse rigoureuse. D’abord, les ministres, véritable clergé. Le premier est l’Intelligence <>u Ilamza ; le second, l’Ame ; le troisième la l’a rôle, puis l’Aile droite, l’Aile gauche, chacun identifié avec quelque grand disciple. Luis, viennent les ministres inférieurs : dà'is et autres ; après eux les simples unitaires, les laïques. La nouvelle religion est proclamée supérieure a toutes les autres ; même a l’isma’ilisme primitif. sept prescriptions fondamentales de l’islam sont remplacées par sept autres : véracité, aide réciproque, renonciation à toute fausse doctrine, éloignement des démons, reconnaissance de l’unité de Notrc-Seigneur dans tous les temps, l’admiration de ses œuvres, la soumission absolue à ses ordres.

Ce qu’il y a de plus singulier dans cette religion supérieure, c’est que, par une exception unique dans les dérivations les plus lointaines de l’islam, réapparaît la^plus basse idolâtrie. Al 1. làkim v est adoré sous la forme d’animal, soit un mouflon, comme il en a été retrouvé un au Caire, portant son nom, soit un veau comme cela est attesté en Syrie. Peut-être est-ce aujmème culte qu’il faut attribuer les singulières idoles, en forme de statuettes humaines, plus ou moins barbares, que Hammer a identifiées, ce qui est fort douteux, aux fameux Baphomets des templiers. L’inscription arabe qu’elles portent est très déformée ; l’interprétation que ce savant leur a donné'- est très fantaisiste. Tout ce qu’on peut dire c’est que les exemplaires connus, en assez grand nombre, viennent de et paraissent datés du xme siècle. Elles semblent dériver, de certaines idoles ithyphalliqucs de l’ancienne Egypte, dérivées elles-mêmes du dieu panthee, dont la survivance s’adapterait fort bien au culte de

la perpétuelle incarnation et de l’unité dans la multiplicité.

Revenons au uHlmlsme ordinaire. Avec les septième

et huitième imàins, il étend de plus en plus sa pro

pagande. L'étal carmathe du Bahreln qui avait été

longtemps son auxiliaire, puis qui l’avait combattu en Syrie et menace gravement, disparaît de lui-même. Baghdad même es ! conquis ( 150 1058) : pendant près d’un an. l’imàm falimide fut proclamé à la place du khalife 'ahhàsside. mais ce triomphe n’cul pas de lendemain. Les Turcs Saldjoukides restaurent l’autorité, au moins nominale, de la dynastie 'abbàs side et refoulent peu à peu les fàt imides de leurs pos

sessions de Syrie, L’arrivée des Croisés, provoquée en

grande partie par la folie de l.lakim qui avait dure ment atteint les chrétiens de Jérusalem, acheva leur déroute. Amaury vint camper en 5 (il (llti !)) jusque sous les murs du Caire ; mais les Croisés Furent évhl ces par les armées sommités qui détruisirent enfin la dynastie fàtimide et sa secte en. r >l>7 (1172). Elle avait déjà perdu depuis longtemps ses provinces OCCidei) tales ; en perdant l’Egypte, elle cessait de vivre, mais elle laissa t un rejeton adventice qui devait se développer en l’erse et en Syrie et lui survivre près d’un siècle. C’est la célèbre dynastie des Assassins qui s’y rattache par une fiction semblable à celle qui rai tachait le fàtiniisme à l’isma’ilisme.

Les Assassins.

C’est sous le règne du huitième

imàm d’Egypte, al Moustansir billah, que le persan l.lasan ibn Çabbfih, s'étanl initié à la doctrine, alla se présenter au Caire pour conférer avec l’imàm. Celui-ci ne le reçut pas, niais cul cependant des relations très suivies avec lui et lui transmit ses instructions. Entre autres, il lui fit savoir qu’il avait désigné son fils Nizàr comme imàm après lui. Aussi, à la mort d’al Moustansir (187 = 1093), soutint-il les droits de Nizàr contre les prétentions d’un aulre imàm, qui cependant l’emporta en Egypte. Nizàr ayant succombé, Hasan continua à se présenter comme son dâ'i, probablement suivant l'éternelle fiction mahdiste et il se créa une petite principauté indépendante au nord de la Perse, avec Alamoût pour capitale. Ainsi naquit la dynastie nizàritc, plus connue sous le nom occidental d’Assassins, lequel est dérivé du pluriel arabe Hachichiyin, « les fervents du Hachîch. On [apportait, en effet, que, pour séduire les jeunes gens. Hasan les enivrait de ce stupéfiant (cannabis indica) et les transportait dans un jardin magnifique, leur offrant toutes les délices du paradis de Mahomet. A leur réveil, on leur persuadait qu’ils avaient vraiment pénétré dans le paradis, et que c'était l’avant-goût des joies promises à ceux qui se sacrifieraient aveuglément à l’imàm ou à son représentant Hasan. On appelait ces recrues enthousiastes les fidâwis, c’est-à-dire ceux qui offraient leur vie pour rançon, les dévoués dans le sens étymologique du mot. Sur un signe de leur chef, ils se ruaient à l’ennemi et le frappaient sans crainte, recherchant la mort, loin de la redouter et s’ils en réchappaient, c'était pour eux une tristesse, car une occasion était perdue d’aller au paradis. Ils étaient surtout employé pour les coups de main et pour les meurtres ; de là la signification du mot assassin, passe dans notre langue, par les Croisés qui furent longtemps en contact avec eux, et même, dit-on, les utilisèrent. Qu’y a-t-il de vrai dans ces procédés étranges ? Alamoût, vrai nid d’aigle dans une région rocheuse à peu près inaccessible possédai ! il vraiment de si beaux jardins et était-il si aisé d’y introduire sans qu’on s’en aperçut, les hou ris promises aux Croyants parle Coran, ("est bien invraisemblable. On admettra plutôt qu’avant de lancer les fidvwiS, on les enivrait « le hachîch. Ce que nous savons des conceptions allégoriques de la secte ne se prêt tguère à la comédie qu’on lui prête. 1003

    1. MAHOMÉTISME##


MAHOMÉTISME, CHIISME OUTRÉ

HiO’i

Nous savons pourquoi le salut est dans l’obéissance à l’imam : c’est l’affranchissement définitif du corps, l’obtention du nirvana et il n’y avait pas, dans la doctrine, d’autre paradis. Peut-être cependant via-à- vis

des initiés des premiers degrés recourrait-on à des moyens plus brutaux. Le fait certain, c’est que le grand-maître des Assassins, celui que les Croisés appelèrent le Vieux de la Montagne, obtenait de ses adhérents une obéissance aveugle, et sur un signe de lui le fidâwî se précipitait au bas de la forteresse.

Hasan et ses successeurs immédiats ne se présentaient pas comme imâms, mais comme mandataires de l’imâm toujours vivant, Nizàr, auquel ils donnaient le titre fàtimide d’al Moustafâ lidîn Allah « l'élu pour la religion de Dieu ». Mais le quatrième grand maître d’Alamoût, Hasan II, se déclara lui-même imâm, c’est-à-dire incarnation de la Divinité. Il alléguait une prétendue descendance de Nizàr comme le premier inahdi fàtimide à l'égard de Mouhammad ibn Isma’il.

Nous ne continuerons pas cette histoire de l’ordre des Assassins. Nous nous contenterons de dire que la dynastie fut détruite par le sultan mongol Houlagou 655 = 1257) et que la petite dynastie secondaire de Syrie le fut par le sultan d’Egypte, Beïbars (671 = 1 273). Quelques sectaires semblent avoir survécu en Syrie. On en signale de nos jours encore en Perse et aux Indes, qui vénèrent comme leur imâm Hasan II. Ils représentent, avec les Druzes, les derniers débris de risma’ilisme.

La secte des douze imâms.

Nous allons étudier

maintenant la dernière grande secte mahdiste, celle des douze imâms qui, ne reconnaissant pas l’imamat d’Isma’il, s’attacha à un autre fils du sixième imâm Dja’far, Moûsâ, qui devint ainsi le septième. Une secte secondaire appelée Moùsawite, Mamtoûrite ou Wâkifite, refusa, à sa mort, de lui reconnaître un successeur et attendit son retour ; elle ne paraît pas s'être maintenue. Le huitième imâm fut son fds 'Alî surnommé ar Rida, le malheureux choisi par al Ma’raoùn, le khalife "abbàsside, pour héritier présomptif et empoisonné par son ordre ; après lui vinrent successivement Mouhammad, 'Alî, Hasan et enfin Mouhammad douzième et dernier. A chacun de ces imâms se rattache, semble-t-il, une secte secondaire de Wàkifites, c’est-à-dire « maintenant » l’imamat en sa personne avec application de la théorie mahdiste, absence et retour ; mais une seule a survécu, celle qui s’applique au douzième reconnu le vrai et seul Mahdî. Aucune secte n’a prolongé la série. Donc, avec lui finit ou plutôt se cristallise le madhisme. Il est le « Fàtimide attendu » vraiment descendant de Fàtima et vraiment attendu depuis l’année de sa disparition (265 = 878). En 1502 de notre ère, les Safawides, descendants du septième imâm Moûsâ, introduisirent en Perse cette croyance, où elle est restée comme religion d'État. Nous en reparlerons quand, ayant achevé l’histoire du mahométisme, nous l'étudierons dans sa forme actuelle.

Les Mahdismes secondaires.

En dehors des

cinq grandes sectes mahdistes que nous venons de décrire, avec leur cortège de sectes secondaires dérivées et aberrantes, il y a eu un certain nombre de mahdismes excentriques, dont quelques-uns ont joué un rôle historique.

Le premier est le soufyânisme qui, tout en restant dans la tribu de Mahomet, s’oppose à la branche hâchimide et prétend établir le mahdisme dans la famille oumayyade. Un fils de Yazîd, le second khalife de cette famille, nommé Khâlid aurait, dit-on, altéré les hadîlhs attribuant à un descendant de 'Alî le caractère de Mahdî et déclaré que ce rôle appartiendrait à un descendant d’Aboû Soufyân, le grandpère de Yazîd. Un petit-fils de Yazîd, Aboû 'Abd

Allah qui tint tête a as Sallah T’abbâsside, mais fut vaincu et mis à mort, lut un moment considéré comme le Soufyânide attendu. En 195 (810), peut-être en relation avec la fameuse conjonction astronomique île 191, eut lieu la sédition d’un autre descendant de Khâlid, qui fut à nouveau considéré comme le Soufyânide : il échoua de même. D’autre part, les Oumayyades d’Espagne entretinrent ces espérances. Mais ce ne furent que des tentatives sporadiques.

Il convient de remarquer que certains partisans de cette famille prétendirent que les khalifes syriens avaient porté des titres semblables à ceux des imâms 'abbâssides et fâtimides et que l’un d’eux Souleïmân avait porté le titre d’al Mahdî. Enfin, le successeur de ce dernier, 'Oumar II, fils de 'Abd al' Azîz, révéré par tous les musulmans, même les plus hostiles aux Oumayyades, est représenté dans beaucoup de récils comme ayant été le Mahdî. Comme aucune doctrine particulière ne se rattache à cette forme du mahdisme. plus dynastique que religieuse, nous ne nous y arrêterons pas.

Nous ne ferons aussi que mentionner les croyances de certains Yéménites qui, ne pouvant supporter la domination que s’arrogeaient sur tous les Arabes les tribus descendues d’Abraham, proclamaient que les descendants de Kahtân (identifié avec le Yoctân de la Bible) reprendraient la suprématie à la fin du monde sous la bannière du Kahtànide. C’est encore une conception purement nationaliste, si l’on peut employer cette expression moderne ; elle n’a qu’un lien très lâche avec le mahométisme.

A ces Mahdîs nationalistes se rattache le berbère Sàlih dont la doctrine fut suivie pendant plusieurs siècles par la tribu des Berghouata, branche de la grande famille des Masmouda. En l’an 127 de l’hégire (745), il se proclama prophète et prêcha un nouveau Coran de sa composition. Il se considérait comme celui qui est désigné dans le Coran de Mahomet (lxvi, 6) sous le nom de : Sâlih al Mou’minîn. Après 47 ans de règne, il partit pour l’Orient déclarant à ses sectateurs qu’il reviendrait parmi eux au temps de leur septième roi. Il déclara qu’il était le Mahdî annoncé pour la fin du monde, qu’il combattrait l’Antéchrist, que JésusChrist lui-même serait de ses disciples, etc. Bekri qui nous apprend ces détails, nous renseigne aussi sur cette religion particulière qui, dans ses pratiques, prenait systématiquement, le contre-pied de l’islam mais ne paraît pas énoncer sur Dieu et les prophètes de vues originales. Ils donnaient à Dieu le nom de Yakoûch, qui n’est pas berbère et où on a voulu voir le Yacchos des Grecs ; leur jour férié était le jeudi ; ils s’interdisaient de manger des poules et des œufs, etc. Cette petite principauté indépendante défia ainsi l’islam jusqu’en 420 (1029), époque où elle fut détruite et englobée dans les États musulmans.

C’est dans cette même famille berbère des Masmouda qu’un peu plus tard s'éleva un autre Mahdî qui fonda une dynastie célèbre destinée à jouer un rôle historique presque aussi important que celle des Fâtimides et menaça un moment très gravement la chrétienté d’Occident. Il mérite d’attirer notre. attention.

C’est vers 514 de l’hégire (1120) que parut l’imâm des Masmouda, le savant Mouhammad ibn Tournait fondateur de la secte des Unitaires (Al Mouwahhidoùn, d’où l’on a fait Almohades). Né dans cette peuplade berbère, il était allé de bonne heure s’instruire dans les écoles d’Orient. Aux chiites il emprunta la doctrine de l’imâm ma’soûm « infaillible » et la croyance au Mahdî ; aux sommités il emprunta la doctrine rationaliste d’al Ach’arî que le célèbre Ghazâlî apappuyait de tout son génie. Même, on rapporte que celui-ci avait lu dans le dja’fr. le fameux livre des MAHOMBTISME, LE SOI NNISM1

IC06

'alides, 1rs hautes destinées du voyageur berbère ; mais c’est probablement une légende. Ce qui ! a de certain, c’est que Mouhamraad Ibn Toûmart revint des opinions arrêtées mit l’orthodoxie musulmane I laquelle il donna le nom de tauhtd unité qui est, en effet, le caractère particulier de l’Islam philoso phlque et fut revendiqué par plus d’une secte. Nous avons Il les Druzes se donner le nom d’Unitaires Nous en verrons d’autres prétendre. Moubammad, <le retour en Afrique, y rencontra un nommé' Abd al Mou’min dont il lit son disciple enthousiaste et qui fut le véritable fondateur de la dynastie. Il sul gagner le cceur de cous auxquels il s’adressa ; on l’a accusé d’employer les procédés les plus abominables ; il est certain qu’il était audacieux et énergique et ne reculait pas devant la violence contre ses ennemis, mais

on peut croire qu’il ne dut son empire réel mit les

âmes qu’a ses séductions personnelles, --a grande science, sa connaissance de la psychologie berbère.

peuple a ee moment subissait l’autorité de la dynastie almoravide, qu’on accusall de professer un islamisme très relâché et de pure forme. Il lui prêcha une foi plus rigoureuse et plus logique ; ses partisans virent en lui un renovateur et des astrologues prédirent qu’il était annoncé par une conjonction des deuX planètes supérieures (celle de 521 hég. 1127). qu’il serait l’homme au ilirhem (monnaie d’ar ent) carré, Enfin, il s annonça comme le Mahdi des traditions, et il se donna, ou on lui donna, une généalogie 'alide. Il mourut en."122 (1128) ; ses dix principaux disciples cachèrent prudemment sa mort pendant deux ou trois ans, puis décidèrent de choisir un souverain dans la personne de 'Abd al.Mou’min. Les tribus berbères mit longtemps gardé le culte de leur Mahdi ; elles sont convaincues que le pouvoir leur reviendra, et attendent pour cela l’arrivée du niait re de l’heure. qui n’est autre probablement que Mouliannnad ibn Toûmart. Mais ce ne sont que de vagues croyances qui n’ont pas le caractère systématique du druzisme. I.i s descendants de 'Abd.il Mou’min qui établirent la domination temporelle et spirituelle des Ahuohades en Afrique et en Espagne, ou ils livrèrent des lutte, Jantes aux chrétiens : de même les Hafsides, descendants d’un autre disciple du Mahdi berbère, conservèrent son souvenir sur leur monnaie : on y lit en tête le nom de Mahdi. vicaire de Dieu. De même la monnaie des Assassins porta longtemps le nom de leur Imam Nizar. Il est a présumer, bien que les auteurs n’en parlent pas. qu’Almohades et Hafsides ont considère leur Mahdi comme toujours vivant.

Nous terminerons cette longue revue des différents mahdl s par quelques mots sur celui qui parut récemment dans le Soudan égyptien et dont le pouvoir tint un moment en échec les armes britanniques. Son successeur a succombé, en sorte que sa dynastie n’a connu la persistance de celles que nous avons mentionnées. Peut-être sans l’intervention d’une armée européenne se serait-elle maintenue. L’aventure, pour courte qu’elle ait été. mérite cependant d'être mentionnée, car elle prouve que même dans un pays sounnite. la croyance au Mahd est profondément ancrée dans l’ame populaire parce qu’elle est nce même de l’Islam. Comme l’a dit Darmesteter : « On a attendu le Mahdi dès [es premiers jours de I islam, et il y aura des mahdls tant qu’il y aura un musulman. »

Donc c’est en 1881 de notre ère que Mohammed Ahmed, fils d’Abdallah, né a Dongola vers 1843, se révolte au Soudan contre les khédives d’Egypte, fait passer pour le Mahdi attendu, et, vainqueur en plusieurs combats, constitue une principauté indépendante et toute théocratique. Sa mort, en 1K8.'>. ne modifie pas la situation : Abdallah et Taïchi le

remplace avec le titre de khalife. Mais l’armée angl

occupait l’Egypte depuis 1883 ; clic al lendit Jusqu’en 1896 pour reconquérir le Soudan., -t ce ne fut qu’en 1898 que disparut ce dernier empire mahdiste.

On pourrait encore signaler a différentes époques l’apparition de inahdis isoh s. leurs tentatives avortées ne relèvent que de l’histoire anecdotique,

II. 1 Caractères généraux du

sounniame. La sounna du Prophète est. connue nous

le s.ions, le second élément du flqh ou science de l’islam. Elle appartient comme telle à tous les musulmans, chiites ou sommités.

1. Mais la prétention de ces derniers est de l’avoir suivie exactement, taudis que les chiites s’en seraient écartes. I ji realité, ils n’ont pris ce nom qu’assez, tard et après leurs longues controverses avec les chiites et d’autres sectes. Mais c’est surtout en s’opposanl. u chiisine sur deux points principaux, qu’ils se sont érigés en un parti distinct qui. sous sa forme religieuse, prit le nom de Mourdjisme. et, sous sa forme politique celui de 'Ont limànisme.

Le terme de mourdjisme a prêté à diverses Interprétations. Il dérive d’une racine qui a le sens d’esprrri et. par extension, d’ajourner. Il est employé dans le Coran tix, 107) dans un passage où sont énumérés les divers types de musulmans, bons, mauvais, repentants ou tièdes. C’est parmi les derniers qu’il faut sans doute ranger : « ceux qui ajournent l’ordre de Dieu, soit qu’il les punisse, soit qu’il leur pardonne. » Mais ce n’est pas cette interprétation (proposée par Van Vloten) que proposent les auteurs arabes. Les uns v voient l’ajournement des actes par rapport à la foi — ce qui est un sens forcé du mot ajournemenl, lequel signifierait ainsi : mise en arrière, au second plan. Les mourdjites seraient donc ceux qui croient que la foi est plus importante que les œuvres. Dans le même sens de ce mot, d’autres disent qu’ils renvoyaient 'Ali après les trois premiers khalifes, par opposition aux chiites partisans exclusifs de 'Alî. Une troisième opinion veut qu’ils espéraient que la foi les sauverait malgré les fautes commises, ce qui revient, sous une forme détournée, à la première opinion. Enfin, on explique le mot par « l’ajournement du jugement des grands pécheurs dans l’autre monde » c’est-a-dire l’indulgence dans celui-ci. A ce point de vue les mourdjites étaient les laxistes par opposition aux rigoristes qui, comme nous le verrons, s’appelaient les khâridjites. Sous ce rapport, beaucoup de musulmans étaient mourdjites, convaincus qu’il suffisait d’un minimum de foi pour 1 tre sauvé. Un poète célèbre suivait un enterrement : Qu’as-tu préparé pour un jour comme cela ? lui demanda un austère musulman - J’ai pendant vingt ans proclamé l’unité de Dieu. 1 Prétention que raillaient les khâridjites en faisant remarquer qu’Tblls ou Satan avait, lui aussi, reconnu cette unité. C'était, il faut le dire, le thème courant de la poésie arabe. « Fais ce qu’il te plaît, disait l’un, et aie confiance en la miséricorde divine, elle te pardonnera tout sauf de combattre l’unité de Dieu et de faire du mal à ton prochain. Adonne-toi à tous les plaisirs, disait l’autre, la miséricorde de Dieu est si grande que, lorsque tu seras dans l’autre monde, tu te repen tiras de l'être privé inutilement de bien des choses par crainte du châtiment. C’est à cette formule cynique qu’aurait abouti un mourdjisme exagéré, mais, en fait, le mourdjisme modéré prêchait la tolérance et la charité envers le prochain.

2. Une autre caractéristique du mourdjisme c’est son opposition à Ali. 1 Il poète keisvnide met ensemble les mourdjites et les douleurs ». On attribue a al Mâ'moùn, qui était chiite de cœur, des vers où il raillait son oncle Ibrahim, le traitant de mour1607

    1. MAHOMÉTISME##


MAHOMÉTISME, SOUNNISME, GÉNÉRALITÉS

l<10s

djite. « Veux-tu voir le mourdjite frappé d’un trépas prématuré, répète devant lui le nom de 'Ali et invoque les bénédictions de Dieu sur le prophète et sa famille. » A quoi Ibrahim répondait sur le même ton : « Veux-tu, quand le chiite blasphème, le faire mourir sur le coup, prie pour le Prophète et ses deux Compagnons (Aboû Bakr et 'Oumar), ses deux vizirs dont les tombes sont voisines de la sienne. » On pourrait reproduire exactement ce duel poétique aujourd’hui en changeant seulement mourdjite en sounnite. Sur ce point, au moins, on voit que l’assimilation entre le mourdjisme ancien et le sounnisme moderne est légitime. Mais quelle est la cause de cette opposition ? Il semble bien qu’elle doive être cherchée dans ce qui est la caractéristique du chiïsme : la croyance à l’imminence de la fin du monde. C’est cette croyance que le mourdjite devait rejeter et, par conséquent, c’est cette fin du monde qu’il ajournait. Il n’y avait, comme nous l’avons vii, depuis la mort du Prophète, que deux attitudes possibles à prendre pour les musulmans : ou bien attendre « l’heure » avec le retour d" Mahomet (ou avec l’arrivée du Mahdî son susbtitut). ou bien l’ajourner et se préoccuper davantage de la vie terrestre. Les partisans de cette seconde attitude se trouvaient mêlés tout naturellement aux incrédules et surtout à ceux des Arabes qui avaient une tendance naturelle à revenir aux pratiques d’autrefois et par suite classés parmi les tièdes. Chez ceux qui redoutaient l’approche du jugement, il y avait nécessairement crainte et ferveur, et chez beaucoup rigorisme farouche. C’est parmi les partisans les plus exaltés de 'Al ! que naquit la secte des khâridjites, dont nous parlerons plus tard.

Il n’y a plus aujourd’hui de mourdjisme parce qu’il s’est fondu dans le sounnisme. On a rangé dans cette secte primitive des hommes comme Aboû Hanîfa et comme al Ach’arî qui appartiennent sans conteste au sounnisme. Quant aux divisions que les auteurs arabes ont voulu y reconnaître, nous verrons combien le caractère en est factice.

Une autre forme du sounnisme primitif, d’origine plus politique que religieuse est celle qui, pendant très lontemps, a porté le nom de 'outhmanisme et qui est opposé à T’alisme. Tandis que ce dernier maintient les droits exclusifs de 'Ali et de ses descendants à la souveraineté parce qu’ils sont la famille du Prophète et à ce titre doivent en exercer le pouvoir à la fois temporel et spirituel, le parti opposé déclare que la succession de Mahomet appartient non à sa famille immédiate, mais à sa tribu, les Koreïchites et que le souverain y peut être pris à volonté par le libre choix des musulmans. L’opposition violente des deux partis se manifesta, comme nous l’avons déjà vii, à la mort du khalife 'Outhmân. Élu contre 'Alî dans des conditions peut-être peu régulières, il avait soulevé de grandes colères contre lui et finalement, il avait été assassiné par des fanatiques appartenant au parti de 'Alî. On accusa ce dernier d’avoir été leur complice, et il s’ensuivit des guerres civiles dont nous avons déjà parlé. Ce qui nous intéresse ici, c’est la théorie de la souveraineté musulmane mise en cause dans ces querelles et qui, tout en gardant un caractère spécialement politique, n’en a pas moins une origine religieuse. Le fondateur de l’islam ayant exercé à la fois les deux pouvoirs temporel et spirituel, ses successeurs les ont également exercés ensemble, avec des fortunes diverses. En fait, ils ont toujours conservé le second, plus ou moins effectivement, mais ont dû souvent, sous la pression des événements, abandonner le premier entièrement. En théorie, dans l’islam primitif, il ne pouvait y avoir séparation, et il n’y en eut pas. La question se posa sous une tout autre forme. Si la théorie 'alide a pour elle le mérite de la netteté et de la logique.

la théorie 'outhmânide, devenue la sounnite, est beaucoup plus contestable au point de vue musulman pur. Elle a été exposée par le grand historien arabe Ibn Khaldoûn et il convient de s’y arrêter. « L’erreur des imâmiens, dit-il, provient d’un principe qu’ils ont adopté comme vrai et qui ne l’est pas ; ils prétendent que l’imamat est une des colonnes de la religion, tandis que, en réalité, c’est un office institué pour l’avantage général et placé sous la surveillance du peuple. S’il était une des colonnes de la religion, le Prophète aurait eu soin d’en déléguer les fonctions à quelqu’un de même qu’il l’avait fait pour la prière publique, dont il confia la présidence à Aboû Bakr : el il aurait ordonné de publier le nom de son successeur désigné, ainsi qu’il l’avait déjà fait pour le chef de la prière. Le Prophète, dirent-ils, l’avait choisi pour veiller à nos intérêts spirituels ; pourquoi n’en voudrions-nous pas pour nos intérêts mondains Cela montre que le Prophète n’avait légué I’imâmal à personne et qu’on attachait à cet office et à sa transmission beaucoup moins d’importance que de nos jours. »

La conclusion de ce raisonnement est que les musulmans peuvent choisir un imâm quelconque, même en dehors des Arabes, même à tout prendre en dehors des musulmans. Quelques-uns allèrent jusqu'à la première partie de cette conclusion ; nul, à notre connaissance n’osa aller jusqu'à la seconde. Ibn Khaldoûn défend le point de vue de son temps, appuyé sur une tradition de Mahomet, que le pouvoir devait appartenir à la tribu de Koureïch ; un siècle après lui, c’est à la race turque qu'échut la souveraineté.

En fait, ni le Coran, ni le l 'ad Un, qui règlent par un détail souvent très minutieux, non seulement les croyances, mais les mœurs, le droit, le statut familial ne parlent de la succession. Si, dans les traditions chiites, il en est qui attribuent à Mahomet des paroles dans ce sens, d’ailleurs assez vagues, sur la prééminence de 'Alî, tout dans les traditions sounnites s’y oppose.

Il reste donc établi que Mahomet n’a attaché aucune importance à cette question, pas plus qu'à l’exercice de la souveraineté. On ne cite de lui que quelques paroles sur l’obéissance, venant corroborer le texte du Coran où il est parlé de l’obéissance due à Dieu, au Prophète et à ceux qui ont le commandement (iv, 62). Mais sounnites et chiites sont d’accord pour reconnaître que l’imamat supplée le prophétisme pour la sauvegarde de la religion et l’administration des intérêts terrestres (.Vawerdi). Voilà pourquoi il prend le nom de khalife, khali/a, qui signifie : suppléant, lieutenant ou vicaire. Les sounnites disent que le titre de khalija(l) Allah, proprement « vicaire de Dieu » fut offert à Aboû Bakr qui le rejeta et ne voulut être que le suppléant du Prophète, que 'Oumar, à son tour, se déclare le suppléant du suppléant du Prophète et qu’enfin par abréviation, on appela tous les souverains « suppléants ». Mais, il semble bien que le titre réel fut « vicaire de Dieu », titre qui est donné au Mahdî dans certaines traditions, qui convient fort bien à celui-ci et en général à l’imàm chiite, mais beaucoup moins bien au souverain sounnite. Il n’en est pas moins resté à ce dernier et renforcé d’une expression plus caractéristique « ombre de Dieu sur la terre <>. Donc par la force des choses, même chez les sounnites, l’idée de souveraineté est étroitement liée à celle de Dieu. Son rôle est d’abord de maintenir la religion selon ses principes et l’accord des premiers musulmans, de s’opposer à toute hérésie, d’appliquer les peines légales prévues par le code musulman, toutes les prescriptions juridiques qui sont dans l’islam d’obligation religieuse. Voilà pourquoi il n’y a pas de clergé à proprement parler dans l’islam, les affaires de la religion 1600

    1. MAHOMÉTISME##


MAHOMÉTISME, SOUN NISME, GÉ

i i ; i i rr.s

MilO

m confondant avec celles de l'État La véritable fonct ion « lu souverain ; i du être dans l’origine, celle de chef

de la prière : c’est pour cela, nous dit-on, que l’on choisit d’abord AboA Bakr ; c’est pour cela que les gouverneurs des pays conquia n’avaient an début pas « l’autre titre ; voilà pourquoi dans la prière publique

du vendredi, celui qui dirige la cérémonie est appelé l’imam. L**outhm&nlsme oppose à 1 "alisme B’eflorçalt de

rejeter ce caractère exclusif du souverain musulman et à faire passer au premier plan les intérêts temporels. I remplacer le propbétlsme par le moulk, c’est-à-dire la royauté, a la façon dont les Arabes l’avaient connue autrefois. 'Outhmàn appartenait à la famille ouin.iv yade ; celle-ci qui, avant l’islam, exerçait le pouvoir a la Mecque, le revendiqua sur tout l’empire musulman et y réussit. Mais nous avons VU que la théorie de plus en plus laïque.le la souveraiute fini ! par lui aliéner la majorité des musulmans et les 'Abb ssi.les rendirent à l’imamat son caractère piétlste primitif. Toutefois, ils n’allèrent pas jusqu'à le reconstituer entièrement sur le modèle chiite et, avec l'échec de la reconciliation tentée par la Ma’moiiii. commença le compromis qui fut adopté sur ce point par le sounnisme. Les quatre prelniers souverains sont appelés les khalifes râchidl (orthodoxes) et imànis mahdis ou înouhtadis. après eux viennent les rois et les tyrans, ption faite pour 'Oumar II. Le Prophète aurait lui-même prédit cette deçà lence. les 'Abbàssides sont des khalifes sans épilhète : les vertus des premiers leur venant surtout de leur qualité de compagnons du Prophète ne peuvent se ret ruiner avec le même éclat dans leurs successeurs.

, -) Un troisième clément du sounnisme est le respect « le tous les. ompagnons du Prophète qui, malgré les querelles ardentes, les guerres, les meurtres, les insultes et anathèmes réciproques sont considérés comme formant un ensemble intangible. Ici, les sommités ont pris visiblement le contrepied des doctrines chiites. Celles-ci ayant proclamé l’imàm Infaillible, ma’foûm, on leur opposa la communauté infaillible <// oummat al ma’soûma. Mon peuple ne sera jamais d’accord sur une erreur, aurait dit.Mahomet. Conclusion : l’accord du peuple musulman se fait sur la vérité » ! V a-t-il eu véritablement une doctrine quelconque avant été acceptée par tous, en dehors de « l’unité divine ? Cela est fort douteux pour qui étudie l’islam primitif, mais enfin la théorie est nette. Les anciens, .sa/a/, et leur accord, idjtna, voilà ce qui constituera la base de la doctrine sounnite ; tout ce qui s’en écartera sera nouveauté biefa, donc hérésie répréhensible. I.e rejet systématique de ces hérésies constituera l’orthodoxie à laquelle prétendent les sounnites.

Nous trouvons chez Ibn Khaldoiin un plaidoyer caractéristique en faveur du bloc ». Après avoir énuméré les principales discordes qui aboutirent à l’assassinat et au massacre d’un si grand nombre de personnages respectés, il veut qu’on juge avec la plus grande indulgence les auteurs des criuie-s. Et il termine ainsi : « Voila comment il faut envisager les actes des compagnons et de leurs disciples, les hommes les plus vertueux de la nation. Si leur bonne réputation était exposée aux traits du dénigrement, qui pourrait i onserver la sienne ? Au reste, le Prophète a dit : « Les hommes les plus vertueux sont ceux de la génération actuelle, puis ceux de la génération suivante ; alors la fausseté se répandra partout. Donc il attribua la vertu, c’est-à-dire l’intégrité a la première génération et à la suivante ; aussi, nous ne devons pas nous habituer à mal penser ou à mal parler des Compagnons. ni admettre dans nos ceurs le moindre doute au sujet de leur conduite. Cherchons, autant que possible, à trouver pour toutes leurs actions une interprétation

favorable ; tèchons de toutes les manières et par toutes

les voies de démontrer la rectitude de leurs intentions ; pei sonne ne le mérite plus qu’eux. Quand ils se furent mis en désaccord ils avaient de justes motifs pour s’excuser ; s’ils tuaient ou s’ils se faisaient tuer, ce fut pour la cause.le Dieu et de la vérité. Croyons.pie la miséricorde divine a VOUlU Offrir l’exemple de leurs dissensions aux général ions suivantes, alin que chaque individu puisse choisir parmi eux un modèle de conduite, un directeur et un guide. Quand ou comprend

.ela. on reconnaît avec quelle sagesse Dieu gouverne

toutes ses créatures. »

La vérité, comme le dit fort bien le traducteur, de

Slane. c’est « pie les docteurs sounnites dont lbn Khadoi.m reproduit ici renseignement i se voient obligés de Justifier, par tous les moyens, la conduite scandaleuse des Compagnons pendant ces guerres civiles. En effet, s’ils avaient refuse de les reconnaître pour bons musulmans et hommes de bien, ils se seraient vus dans la nécessité de rejeter les traditions que ces personnages leur avaient transmises. » Nous en conclurons.pie la théorie est tardive et qu’elle ne date probablement que de L'époque où la tradition fut écrite, et où l’on commença les discussions d’où devait sortir le l’iqh sounnite. C’est pour garantir la somma constituée par les traditionnistes, que fut énoncée cette doctrine, et c’est probablement pour cela que les adversaires des chiites se donnèrent le nom de « gens de la sounna. Les chiites ayant leurs raisons pour exécrer certains Compagnons n’acceptèrent pas le bloc ; ils rejetèrent les traditions formées par ceux-là et les remplacèrent par d’autres, reçues, soit des partisans de 'Ali, soit de leurs Imams.

On conçoit, dès lors, pourquoi, dans la constitution du l.adith, les sounnites ne s’inquiètent pas de savoir si la parole prêtée à Mahomet est vraisemblable ou authentique. Il suffit qu’elle ait été rapportée par un Compagnon pour qu’elle soit au-dessus de la critique. La seule question qui les intéresse est donc de savoir si elle a été réellement rapportée par un Compagnon, si l’isndd, comme nous l’avons vii, répond aux conditions exigées par leurs critiques.

Ils ont donc un fondement inébranlable à leur orthodoxie dans un l.adith célèbre que nous allons étudier avec quelque détail, parce que, d’une part, il est une partie essentielle du sounnisme et que, d’autre part, il nous permettra de voir comment ils utilisent le / adith.

Un auteur du début du v c siècle de l’hégire le présente sous les trois formes suivantes. Mahomet dit : i Les juifs se sont divisés en soixante et onze sectes ; les chrétiens se divisent en soixante-douze et mon peuple se divisera en soixante-treize. Il arrivera à mon peuple ce qui est arrivé aux Israélites : ils se sont divisés en soixante-douze confessions et mon peuple se divisera en soixante-treize, soit une de plus ; toutes seront dans l’enfer sauf une. Laquelle, lui demandât-an, y échappera ? Celle où je suis, ainsi que mes Compagnons — Les Israélites sont divisés en soixante et onze sectes et mon peuple se divisera en soixantedouze, toutes dans le feu, sauf une qui est celle de la djamâ'a. Ce mot qui signifie : assemblée, réunion a pris, dans le langage sounnite, le sens de « communauté primitive » donc d’orthodoxie.

Nous remarquerons d’abord qu’il y a une légère contradiction entre les trois formes. C’est la première qui est généralement adoptée. On la trouve pour la première fois dans les recueils de hadiths du iiie siècle de l’hégire qui ne sont pas les plus anciens.

L’n auteur de la fin du iv c siècle nous apprend qu’il y avait une tradition opposée, où il était question de soixante-treize sectes, toutes dans le paradis, sauf une ; il reconnaît que si c’est la première forme qui est 16ll

MAlKiMKTISME, SOUiNNIS.MK. DOCTEURS PRINCIPA1

1612

exacte, c’est la doctrine des docteurs sommités qui est désignée.

Mais il y a une autre tradition fort différente et qui es1 née d’une explication d’un passage ^u Coran i Lvn, 27), cequiesl la caractéristique des plus anciennes, et, dans le cas particulier, elle paraît fort admissible. La voici, telle qu’elle nous est donnée dans le grand Commentaire du Coran de Tabari (commencement du iv° siècle). C’esl à propos du monacliisme chrétien, ta rahbâniga, pour laquelle Mahomet a toujours professé le plus grand respect. J.e Prophète aurait dit : « Ceux qui furent avant nous se sont séparés en soixante et onze sectes, dont trois lurent sauvées, toutes les autres ont été damnées. Une de. ces trois sectes a fait lace aux rois et les a combattus pour défendre la religion d’Allah et de Jésus, fils de Marie, qu’Allah le bénisse 1 Les rois l’ont massacrée. Une deuxième secte ne pouvant faire face aux rois est restée au milieu des hommes, les exhortant à la religion d’Allah cl de Jésus, fils de Marie, que Dieu le bénisse 1 Les rois l’ont massacrée et livrée à d’affreux supplices. Une troisième ne pouvant ni faire face aux rois, ni rester au milieu des hommes en les exhortant à la religion d’Allah et de Jésus, que Dieu le bénisse 1 ont gagné les déserts et les montagnes et y ont pratiqué le monacliisme ; de là cette parole de Dieu dans le Coran : la rahbâniga. » Cette explication a été reproduite par un commentateur du viie siècle donc bien postérieur et il l’a légèrement altérée. Il y est question des juifs divisés en soixante-dix sectes dont trois sont sauvées ; la description des trois est un peu différente, mais le fond reste identique. Il n’est donc ici question que de juifs et de chrétiens, nullement de musulmans.

Pourquoi soixante-dix ou soixante et onze ? On pourrait penser qu’il y a là une vague réminiscence des Septante ; mais il est plus probable qu’il faut y voir une manière de parler pour indiquer un grand nombre non déterminé. Ibn Khaldoûn, à propos d’une tradition où il est parlé des 46, 43, 50 ou 70 parties de la prophétie, nous apprend que les Arabes emploient 70 pour dire beaucoup. Nous employons, nous, le nombre 36 en ce sens, dans le langage de la conversation.

Steinschneider étudiant cette tradition a recherché ce chiffre 70 dans la Bible hébraïque et dans d’autres textes arabes. Il lui assigne une origine astronomique : c’est le cinquième de l’année lunaire, comme 72 l’est de l’année solaire. C’est possible. Mais le caractère conventionnel du nombre nous paraît certain, quelle qu’en soit l’origine. Il en est de même d’une autre tradition qui se trouve dans les plus anciens recueils disant que la foi contient 71 ou 61 branches. Goldziher a proposé de voir dans ces derniers mots mal interprétés l’origine de la tradition des sectes. Mais la forme primitive paraît être celle du commentaire : elle contient l'élément essentiel : les sectes (ou la secte) sauvées, que ne contient pas la tradition sur la foi, où toutes les branches sont bonnes, quoique de valeur différente. Cette idée du privilège se retrouve sous une forme plus vague, il est vrai, dans un vers d’un poète de la fin du I er siècle de l’hégire. « Au jour de la Résurrection tu verras les hommes en cinq groupes dont quatre sont damnés. »

C’est une variante de l'Évangile : « il y aura beaucoup d’appelés et peu d'élus » et, en somme, dépouillée de son apparence mathématique, c’est à cela que revient la tradition. Telle qu’elle nous est présentée par le sounnisme, nous la jugeons incompatible avec la pensée de Mahomet. Elle semble marquer une hiérarchie des diverses religions et ce caractère est plus accentuée dans une variante qui donne la série complète : mages 70. juifs, 71, chrétiens 72, musulmans 73. Or nous avons vu que Mahomet reprochait

loul spécialement aux juifs et aux chrétiens leurs nombreuses divisions, et il n’aurait certes pas songé a y voir un signe de supériorité, à plus forte raison à la conférer, en L’augmentant, à son propre peuple. Il est vrai qu’on lui attribue encore cette parole : J.e désaccord de mon peuple est une bénédiction. >.Mais, s’il en est ainsi, la division en 73 sectes serait aussi une bénédiction et foutes, sans exception, devraient être sauvées.

On peut donc dire que l’argument sounnite manque de solidité et que la tradition paraît avoir été accommodée dans le courant du m c siècle avec la constitution du sounnisme.

Ajoutons en terminant qu’une autre secte dont nous parlerons après le sounnisme, s’est servi à son profit de la tradition, sans lui donner toutefois une forme aussi tranchante et aussi anathématiste. Cette secte se donne le nom de mou’tazilisme parce que, dit-elle, on attribue à Mahomet ces paroles : » Mon peuple se divisera en sectes dont la meilleure et la plus pieuse sera celle des mou’tazilites. » Il ne nous appartient pas de trancher le débat ; il nous suffit d’avoir mis en lumière la véritable physionomie de sounnisme. 2° Les docteurs principaux du sounnisme.

Par

quelles doctrines se distingue : t-il ? Le premier auteur cité plus haut nous dit qu’il accepte, comme vraies, malgré quelques divergences sur des points secondaires ne touchant point au dogme, celles des docteurs suivants : Mâlik, ach Châfi'î, al Aouzâ'î, ath Thaurî, Aboû Hanîfa, Ibn Abî Leîlâ, les disciples d’Ahmad ibn Hanbal, les partisans du dhâhir (sens extérieur). Nous allons résumer leurs doctrines en insistant sur celles qui ont subsisté jusqu'à nos jours.

1. Mâlik (94-179), le grand jurisconsulte de Médine, l’auteur du Mouwatiâ, fondateur du rite malékite suivi parles musulmans de l’Afrique du Nord(l'Égypte exceptée) fut l'élève d’az Zouhrî qui, le premier, fil un recueil écrit des hadîths, et qui fut son prédécesseur à Médine comme traditionniste et comme jurisconsulte. Le rôle de Mâlik à Médine fut surtout celui de moufti, c’est-à-dire juriste consultant. C’est une des caractéristiques de l’islam que cette fonction, bénévole au début, devenue plus tard une dignité officielle, au moins dans l’Empire ottoman. Elle consiste à se prononcer par sentence généralement écrite ou fatwd sur les questions de tout ordre, religieuses, juridiques politiques, etc. que lui posent des musulmans. Lorsque T’alide Mouhammad se révolta à Médine contre les ' Abbàssides en se déclarant le Mahdî, beaucoup, avant de le suivre, voulurent avoir l’opinion de Mâlik. a Pouvons-nous le suivre, demandèrent-ils, alors que nous avons prêté serment d’obéissance au khalife 'abbâsside ? » Mâlik leur répondit que le serment, leur ayant été imposé par la force, n'était pas valable. Les Médinois rassurés par ce fatwd participèrent à la révolte, dont l’issue, nous l’avons vii, fut malheureuse. Le gouverneur de Médine, oncle du khalife, fit saisir Mâlik et on lui appliqua soixante-dix coups de fouet. On rapporte que Mâlik, à son lit de mort, déclarait qu’on aurait dû lui infliger la peine du fouet, toutes les fois qu’il avait prononcé un fatwâ, en se fondant sur le jugement naturel, râi. Cette anecdote paraît suspecte ; elle a probablement été inventée par l'école mâlikite, lorsqu’elle se trouva en controverse avec l'école rivale d’Aboû Hanîfa, laquelle fut qualifiée d'école du râi, par opposition à celle du hadith, dont Mâlik est un des principaux représentants.

Si l’on étudie le livre appelé le Mouwalia « l’aplani ». œuvre de Mâlik, qui nous est parvenue sous la forme de recensions dues à ses disciples immédiats, il faut reconnaître, avec Goldziher, que le hadîth est loin d’y occuper toute la place. Bien souvent, ce qui est énoncé, c’est une opinion de Mâlik, fondée, soit sur un hadîth

véritable remontant régulièrement au Prophète, soit sur l’opinion de quelque jurisconsulte antérieur, que Màlik déclare être la meilleure a son sens, soll encore sur l’accord des jurisconsultes do Médlne. lui défi nltlve, ce sont des il s presque tous dus, directement ou Indirectement, au jugement personnel, étayés, d st vrai, sur une grande connaissance du droit, et il est peu probable que l’auteur s en soit si fortement repenti D’ailleurs, ne Un attribue t on pas une théorie fort iMsine du ni ;, celle qu’on appelle ou arabe . est-à-dire, l.i préoccupation, dans la solu lion dos quest ions, do {’intérêt de la communauté, théo rio commode qui peut permettre l’ion dos adoucisse séants a la rigueur dos principes. Enfin, on sa qualité d’Imam (le mot était pris dans un sens purement religieux ot excluant toute Idée de pouvoir politique), on lui reconnaît le droit à l’idjtthdd, c’est a dire, à

rcice du jugement personnel, lorsque les resso u rc es du Coran ot du hadtth sont épuisées, lois donc qu’on l’oppose a Abofl llanifa. comme partisan du huttith a l’exclusion du ni/, on exagère pour la nécessité des classifications, de la même manière qu’on exagère en attribuant la tounna uniquement a la secte qui ou a pris le nom. a l’exclusion du chiïsme ot dos autres sortes. En réalité, comme nous le venons c’est par réaction contre l’usage illimite du nii do l’école d’Aboli llanifa qu’on lui a oppose les partisans d’un usage plus modéré et. en quelque sorte, plus timide, dont quelques-uns sont ailes jusqu’à traiter Aboù llanifa de mourdjite, c’est à-dire d’hérétique.

2 l.o second docteur sounnite, ach Chdft’i est encore rattaché à l’école du hadtth. Il fut un disciple direct de Màlik. mais cependant son enseignement fut assez original pour constituer un rite nouveau encore observé presque exclusivement en Egypte ot dans l’archipel Indien.

en Palestine il"" 1 hég 767) dune famille apparentée à colle du Prophète, Mouhammad Ibn Idris ach Chafl’l nous est présenté comme un homme très remarquable par son intelligence ot sa science

re. Knfant. il s’était adonné a la connaissance de la langue et surtout des poésies arabes, mais on lui conseilla d’étudier le fiqh et, dès l’Age de 15 ans. son maître lui déclara qu’il pouvait omettre des fatiiuh. Cela se passait a la Mecque ou il était venu a l’âge de 2 ans. Bientôt il alla a Médlne ou il se mit à l’école de Mftlik qui apprécia vivement ses qualités. Il se transporta alors a Bagdhftd où il se rencontra

les partisans d’Aboù llanifa et, a en croire ses

aphes, les confondit. Cependant. il ne parvint pas à en triompher, car cet te école s’est toujours maintenue au centre de l’empire des khalifes, comme nous le verrons. Il quitta Bahgdàd pour Poust&t alors capitale de l’Egypte et. la. il fit triompher définitivement sa doctrine. Il y mourut en 2° I (819) et SOU tombeau pieusement entretenu et enrichi par la piété des musulmans est toujours un centre de pèlerinage, (/est, on peut le dire, le véritable apôtre de l’Egypte musulmane. De ses voyages, de ses contacts avec les deux grandes

s milikite et hanafite qui se disputaient l’influence, ach Chafl’l rapporta le désir de concilier les deux tendances opposées. Tandis qu Aboù llanîfa semblait ignorer la plupart des hadtth » et qui disciples les déclaraient obscurs et contradictoires, il en exaltait l’importance et grâce a sa science de la langue en faisait connaître le sens. Il semble, on un mot, qu’il ait réhabilite le hadtth. Il alla jusqu’à

rer qu’en certain cas le hadtth pouvait prendre le

(UT le Coran. C’est probablement a lui qu’il faut attribuer la théorie de I irljmù’. essence du sounnisme, comme nous l’avons vu et conséquence plus ou moins directe de la prépondérance accordée au hadtth. Màlik n’avait pensé qu’a VidfmtT de Médlne ; n

rapporte que le khalife Haroûn ai— Rachld hn ayant demandé de venir à Baghdvd et d’3 enseigner sa

trine. il répondit qu’il Valait mieux qu’il J ont une

certaine diversité d’opinions dans les différents lieux île l’islam. Ach Chafl’l, au contraire, chercha probablement a réaliser l’unité de doctrine et tut amené

ainsi a professer que cette unité avait été réalisée par

les premiers docteurs, c’est à dire les disciples directs do Mahomet. Cotait la une forte base pour une conci

liât ion générale. Ayant ainsi relevé le hadtth ci pose Vidjmâ’, il couronne son œuvre on acceptant le giyds raisonnement par analogie que patronnail l’école hanafite, mais en le limitant a la recherche de la cause’<//<i. c’est à dire do la signification originelle du

texte dont on invoque l’autorité pour juger les cas analogues. Il faut voir dans cette préoccupation le goût spécial d’ach (.hàli’î pour la philologie— et l’exacte appréciât ion dos mot s. Ainsi, furent énoncés et consi itues les quatre principes, ousoûl, du fiqh sounnite. Il y eut chez certains une forte résistance au quatrième, mais elle disparut peu à peu et. aujourd’hui, il n’en subsiste plus rien. C’est ach Chàli’î qui a donné au

sounnisme sa première forme dogmatique.

i. Il convient de s’arrêter sur la remarquable personnalité do Aboû lldiii/d, créateur de l’école rationaliste, fondateur du rile adopté par la dynastie’abbàsside et, plus tard, par les sultans ottomans, jusqu’à

nos jours. Bien que l’auteur sounnite que nous suivons ne l’ait nommé qu’en cinquième lieu, il est le premier en date des grands docteurs sounnites, et c’est lui qui a donné le branle à la doctrine.

An Nou’màn ibn Thàbit, connu sous le nom d’Aboù llanifa. naquit d’une famille non-arabe. Il semble s’être posé en champion de la résistance a l’hégémonie que les Arabes prétendaient exercer dans les choses do la religion comme de la politique. Los chiites lui ont amèrement reproché son origine : il est persan, disaient —ils, et il veut rétablir le magismo de ses ancêtres. Son but est de détruire l’islam, et c’est pour cela qu’il a inventé son système rationaliste, râi. Il aurait déclaré que la prière pouvait être dite en langue persane ou autre, ce qui scandalisa si fort les musulmans que son école dut abandonner cet le aventureuse théorie. Il savait mal la langue arabe, en quoi il différait de Chftfl’l comme nous l’avons vii, et même des sounnites le lui ont reproché. I.e fait qu’à son école, dite du râi, on oppose celle du hadtth, semble laisser entendre qu’il ignorait ou méprisait cette source du droit. A vrai dire, ses disciples ont réintégré le hadtth dans leur doctrine, et les sounnites modernes, résolus à le considérer comme un de leurs imâms cl même comme l’imâm supérieur (al a’dham ou al mou’adhdliam) affirment qu’il ne l’a pas négligé. Seulement, disent-ils. de son temps, on n’avait pas encore fait les recueils de hadtths et beaucoup étaient inconnus d’Aboù llanîfa. Prix c do leur secours, il recourut à l’interprétation personnelle dans beaucoup de cas où les autres docteurs se sont prononcés dans le sens de iadiths qui leur furent connus.

C’est ainsi qu’on l’excuse aujourd’hui ; mais il n’en fut pas de même au début. Il est peu probable qu’à cette époque on lui ait reproché de se servir (u râi. C’était trop légitime et tous les juristes d’alors j recouraient, même Màlik comme nous l’avons mi. Au IVe siècle, on comprenait parmi les partisans du râi, beaucoup de ceux qui leur ont été ensuite opposés comme partisans du hadtth, et on réservait ce dernier nom à des personnages entièrement oubliés aujourd’hui. Il est plus vraisemblable qu’on lui a reproché surtout d’avoir néglige le hadtth et do lui avoir substitué une méthode d’argumentation, qu’on a appelée le qh/iis, ou analogie.

Aboù llanifa fut célèbre par l’habileté et la subtilité

de son argumentation. Mâlik disait qu’il aurait pu démontre]’avee d’excellentes raisons que tel pilier de la mosquée était non en pierre, mais en or. On s’est beaucoup moqué de ses déductions analogiques ; on rapporte, entre autres, cette anecdote caractéristique. Ayant demandé à son coiffeur de lui enlever ses cheveux blancs, celui-ci allégua que cela aurait pour effet de blanchir ceux qui restaient. « Alors, dit Aboù Hanîfa, enlève les noirs, cela fera noircir les blancs. » Arbitraire et fantaisie, voilà où ce juriste se laissait entraîner, et si vraiment il était peu versé dans la langue arabe, il devait donner du texte du Coran, par lui-même très souvent obscur, de singulières interprétations. Il est probable que, sous la réprobation générale, son école ne lui aurait pas survécu, si son disciple Aboù Yoûsouf Ya’qoub, dont le nom est inséparable du sien, n’avait par la souplesse de son esprit, son caractère conciliant et son sens des réalités, corrigé ses défauts. Il rétablit le hadtth dans l’enseignement et c’est probablement lui qui donna au qiyas l’aspect plus sévère de Yislihsân ou « recherche du bien. » 4. Ibn Hanbal représente dans l’ensemble du sounnisme une position très éloignée de celle du précédent. C’est chez lui que l’orthodoxie prend son caractère le plus rigide. Il le doit à l’attitude qu’il dut prendre contre les prétentions émises de son temps par la secte mou’tazilite à une orthodoxie intolérante et despotique. Cette secte, en elïet, avait, comme nous le verrons, acquis une grande influence sur les khalifes’abbàssides et ceux-ci voulurent imposer par la force un de leurs dogmes. Ils affirmaient que le Coran, révélé par Dieu à son prophète, n’offrait par lui-même aucun caractère de perfection et qu’il avait été créé, c’est-à-dire qu’il ne pouvait être identifié à la parole de Dieu, éternelle comme lui. Le khalife al Ma’moùn, non content de se ranger à cette opinion exigea que tous les jurisconsultes de ses États en fissent profession et on procéda à une véritable inquisition, la mihna (219 hég. = 834).

Àhmad ibn Mouhammad ibn Hanbal (164-241 =781855) passa presque toute sa vie à Baghdâd. Il y connut ach Châfi’î dont il suivit la doctrine. Ferme partisan du hadîth, il ne fait au raisonnement que les concessions rigoureusement indispensables. Aussi, peut-on lui reprocher de n’être pas toujours assez sévère pour la validité des traditions qu’il utilise, Son recueil, le mousnad, en contient plus de 30 000 dont les deux tiers, au moins, sont suspects. Il est résolument opposé à toute innovaton, bid’a, à toute interprétation rarationaliste du texte coranique.

On comprend que, sommé de professer la doctrine offîcieUe sur la création du Coran, il s’y soit refusé. Conduit enchaîné vers le khalife al Ma’moûn à Tarse, il y arriva après la mort de celui-ci ; mais, sous son successeur al Mou’tasim, il fut ramené à Baghdâd, emprisonné, puis mis en présence d’un tribunal de jurisconsultes présidé par le nouveau khalife. Pendant trois jours, il fut soumis —à l’inquisition, il tint tête et fut condamné à la peine du fouet ; 300 coups lui furent infligés, qu’il subit stoïquement. Sa courageuse attitude le rendit fort populaire à Baghdâd, et le khalife n’osa le persécuter davantage. Son successeur, al Wàthiq, le troisième khalife mou’tazilite l’épargna également. Après lui vint al Moutawakkil qui rejeta la doctrine, et par ses attentions et sa bienveillance, s’elforça de réparer les injures faites au courageux théologien.

Un autre sujet de controverse où Ibn Hanbal tint tête aux mou’tazilites qui se contentèrent cette fois d’arguments philosophiques fut celui des attributs de Dieu. La secte, très friande, comme nous le verrons, de l’argumentation scolastique, le kalàm, dans le désir louable d’épurer l’idée de Dieu et de la dépouiller du

grossier anthropomorphisme où se complaît le vulgaire, était tombée) en raffinant à l’extrême dans la négation de tout attribut, le tu (il. Ibn Hanbal, sans se soucier d’être rangé par ses contradicteurs parmi les assimilateurs ou anthropomorphistes déclara que les attributs de Dieu, science, vue, ouïe, etc. tels qu’ils étaient énoncés dans le texte révélé, ne souffraient aucune discussion. Il ne voulut pas même imiter la sage réserve de Mâlik sur ces points fort délicats de théologie ; mais prit le contre-pied de la doctrine philosophique qui finissait par dépouiller Dieu de to réalité et qui le réduisait à une notion purement abstraite, à l’Unique inconcevable et ineflable que nous avons vu à la base de la doctrine isma’ilienne.

L’exagération d’Ibn Hanbal a nui au succès de sa doctrine. Ses partisans, assez nombreux dans les premiers temps à Baghdâd, en Syrie, en Perse, devinrent de plus en plus rares lorsque les Turcs ottomans, très attachés au hanifisme, dominèrent l’islam. Toutefois, le hanbalisme qu’on ne retrouve aujourd’hui qu’en quelques points du monde musulman a eu un regain de force avec la naissance du mouvement wahâbite qui en est une dérivation. Nous en parlerons plus tard, col. 1634.

Plus encore que l’école hanbalite, la dhâhirite se refusa à toute interprétation non littérale. Probablement par opposition à la doctrine du bâtin (intérieur) que nous avons vue naître dans les écoles’alides au milieu du iie siècle de l’hégire, elle s’attacha à celle du dhâhir (extérieur). Mais malgré le talent de ses jurisconsultes, comme Dâoûd ibn’Alî, le fondateur, et l’éminent polémiste espagnol Ibn Hazm, elle ne put se maintenir et fut assez vite abandonnée. Le qiyâs fut maintenu dans l’orhodoxie sounnite comme un élément fondamental, avec plus ou moins d’extension suivant qu’on passe d’Aboû Hanîfa qui l’a créé, à ach Châfi’î qui l’accepte, puis à Mâlik qui le pratique modérément, enfin à Ibn Hanbal qui ne l’emploie qu’au minimum.

5. Al Ach’ari.

Cette union des quatre grandes doctrines et d’un certain nombre de moins répandues paraîtra peut-être un peu artificielle. En réalité, elle fut créée après la victoire du hanbalisme sur le mou’tazilisme et en renforcement de cette victoire par le grand éclectique de l’islam : le fameux al Ach’arî. Élevé dans l’école mou’tazilite, il en avait détesté l’intolérance dogmatique et, frappé des anathèmes réciproques que se lançaient toutes les sectes et subdivisions de sectes qui se multipliaient bien au delà du chiffre traditionnel de 73, il porta sa sympathie vers le groupe des sounnites, qui, du moins, dans leurs divergences traitaient leurs adversaires en bons musulmans non en infidèles dignes des plus cruels châtiments. Il abandonna donc sa première doctrine, déclara se rallier à celle d’Ibn Hanbal, adopter particulièrement les vues de ce dernier sur les attributs de Dieu et reconnaître comme bases de la nouvelle orthodoxie celles que préconisaient tous les docteurs sounnites. Il apporta dans la discussion des différents points de sa dogmatique l’argumentation du kaldm, que ses maîtres lui avaient apprise et qui s’adjoignit au fiqh des orthodoxes pour compléter la doctrine. En somme, exaspéré par l’intolérance mou’tazilite, le sounnisme opposait orthodoxie à orthodoxie et, grâce à l’habile transfuge, l’emportait sur le domaine dogmatique comme sur le domaine juridique. Ainsi, s’achevait l’évolution dont nous avons essayé d’analyser les éléments successifs.’Alî ibn Isma’il al Ach’arî (260-324 = 874-936) est considéré par beaucoup comme le troisième rénovateur de l’islam. Bien qu’il se recommande d’Ibn Hanbal, il professe en général le châfî’isme. D’ailleurs, il ne se pose pas en fondateur d’une nouvelle école,


kab, mais bien en rostonnlsta d< exis tantes auxquelles il apporte seulement l’élément atlquc, qui Unir manquait, que quelques unes, repoussé. Longtemps contesté, l’ach arisme triompha vers la On du v siècle en Orient et nt iiuaiul l’appui « lu célèbre fîluu Il lui fit vaincre la routine des disciples attardés de Màilk. st le Mahdl alraohade, Mon ! ammad ibn Toûmart, dont nous avons parlé plus haut, qui l’v Implant aède.

Nous possédons la’akida ou catéchisme d’al Ach art. qui nous fora connaître exactement la doctrine désormais orthodoxe de l’Islam : isen Pion, ses’élés,

Dieu est unique et éternel ; il n’y a nul antre Dieu ; il n’a ni épouse, ni Bis. Mou ammad est irophète. Le paradis, l’enfer, la Hn du monde, la rection sont vérité. Dieu est sur son trône, il —’.nains, des yeux, science et pouvoir, vue et ouïe, dit le Coran. Nous l’attestons à (’encontre dos m.’.'t ointes et autres sectes. La parole de Dieu té créée ; il n’a rien créé que par le /hit. Rien bien et mal que par sa volonté. Rien

n’est Indépendant de lui : les actes des créatures sont Unes par lui : il guide les bons, égare les mauvais. « Le Coran est la parole de Dieu : est In Adèle qui le prétend créé. Au jour de la résurrection nous errons Dieu de nos veux, comme nous voyons la pleine lune au 14* jour, et les infidèles seront séparés de lui. Ne peut être considéré comme infidèle le musulman qui a commis un péché grave, ce qu’ense gnent les khàridjites. Il ne l’est que s’il nie que son acte soit illicite. L’islam contient plus que la foi (actes et connaissance). Dieu n’enverra pas en enfer celui qui conf, unité et maintient sa propre foi. Ceux

à qui le Prophète a promis le paradis y sont sûrement. Nous espérons le paradis pour le pécheur, mais redoutons pour lui la possibilité de l’enfer. Nous croyons que sur l’intercession de notre Prophète, Dieu en retirera quelques-uns. Nous croyons qu’il y a une punitloa dans le tombeau, qu’il y a réellement (dans l’autre monde) le Dessin, la Balance, le Pont (sur l’Enfer). « La foi consiste dans la pa oie et dans l’acte ; elle est susceptible d’augmentation et de diminution. Nous crovons à la vérité du hadtth transmis par des autorités "dignes de foi et régulièrement jusqu’à nous depuis le prophète. Nous aimons et respectons les anciens Crovants que Dieu a choisis, pour être les Compagnons du P ophète et c’est d’eux que nous nous réclamons. Le premier imâm fut Aboû Bakr ; après lu’Oumar.’Outhmâm dont nous flétrissons les assasins, et’Alt ; ce sont les quatre imâms et khalifes légitimés. Nous crovons tout ce qui nous est rapporté sur Dieu et sur divers points de la religion par la tradition. Nous prenons pour bases le Coran, la Sounna du Prophète, l’accord des musulmans et rejetons toute innovation non sanctionnée par Dieu, ne disant de Dieu rien qu’A ne nous ait lui-même enseigné.

Les vendredis et jours de fête, nous prions derrière tout chef de la prière, quel qu’il soit. Nous nous soumettons à nos imàms et réprouvons toute rébellion Nous croyons. : l’appar tion du Dal.djal (l’Antéchrist), aux ang s Mounkar et Naklr qui interrogent dans le tombeau le mort sur sa foi. No s déclarons vraie l’ascerrsion de Mahomet au ciel et que les visions de nos rêves peuvent être réelles. Nous crovons à l’etTicacité de nos aumônes et de nos prières auprès de Dieu pour le salut de^ —us tenons

pour obligation religieuse la prière sur les mo t qui ont été musulmans, quelles qu’aient été leurs opinions. Nous disons que le parad s et l’enfer ont été , , que la mort naturelle ou violente n’arrive qu’au

riCT. DE TIlbOL. C

jour fixé par Dieu : que des aliments que nous devons B s.i honte les uns sont licites, les aut es défendus, mie

Satan suggère.m hommes des doutes et de mauvaises

pensées, et qu’il peut les posséder. Nous croyons ce

que la tradition nous dit sur le sort des enfants des non-mUSUlmanS (morts en baS-ftge). Dieu sait tout ce que les hommes font et feront, ee qui est et ce qui

sera,

Nous répudions tout commerce avec les fauteurs

d’innovations et les partisans de l’erreur.

Gheaâlt.— Nous avons vu comment l’orthodoxie

musulmane s’était adjoint successivement qi luidih, Idjmâ*, kalâm. M lui restait à adopter le mysticisme, dont nous parlerons spécialement, et dont nous montrerons l’influence prépondérante sur l’islam moderne. Cette adjonction est due à Ghazfllt, le plus grand, sans conteste, des docteurs musulmans, celui qui a été appelé ave juste raison oudjdjai al islam l’argument de l’islam ». De même que l’orthodoxie sommité s’était constituée au point de vue politique et juridique a rencontre du chiïsme, au point de vue dogmatique à l’encontre du mou’ta/ilisnie, c’est à rencontre de la philosophie que Ghazàli a constitué la théologie proprement dite.

Mou ammad ibn Mou ammad al Ghazfill (450-505 = 1058-1112) est considéré, lui aussi, comme un des rénovateurs de l’islam, suivant la tradition des cent ans. Quelques-uns lui ont bien opposé un concurrent assez peu connu, d’ailleurs : mais la majorité des docteurs musulmans est pour lui, et quelques-uns ont même déclaré que, s’il était possible qu’il y eût un prophète après Mou ammad qui est le dernier nécessairement, ce titre reviendrait à al Ghazàli.

Il a été fort étudié par les savants modernes. En Allemagne, en France, i n Espagne, en Amérique, il a été le sujet de monographies excellentes de la part d’éminents orientalistes. Un d’eu, , l’américain Duncan Macdonald, n’a pas hésité à le comparer à saint Augustin. U serait trop long d’analyser ici son œuvre. Heureusement, il a pris soin lui-même de nous faire l’histoire de sa pensée et ; en la résumant, nous donnerons une idée suffisamment complète de ce grand esprit.

Vous me demandez comment j’ai pu dégager la vérité perdue dans la confusion des sectes et le désordre des doctrines ; comment j’ai pu atteindre au faîte de la certitude, passant tour à tour des méthodes du kalâm à celle du ta’lim enseignée par les isma’îliens qui s’appuient sur l’autorité d’un imâm infaillible pour atteindre la vérité, puis à la philosophie, et enfin au soufisme. Vous me demandez pourquoi, après avoir enseigné à Baghdàd avec un grand succès, j’ai abandonné ma chaire. C’est à quoi je vais répondre.

c Frappé de la multitude des opinions et sachant, par la tradition, que le peuple musulman se diviserait en plus de soixante-dk sectes, dont une seule serait sauvée, je voulus déterminer où était la vérité. Je nie suis donc acharné, depuis mon adolescence jusqu’à l’époque présente où j’ai dépassé 50 ans, à pénétrer le sens des diverses doctrines, à y reconnaître la part d’erreur et la part de vérité. Je recherchai d’abord les bases de la certitude. Je constatai qu’on ne pouvait accorder de confiance au témoignage des sens. Mais quand je voulus en appeler d’eux à la raison, ils me dirent : tu nous contrôles par la raison : par quoi contrôleras-tu la raison ? Ses conjectures ne sont que chimères ; la vie actuelle n’est peut-être qu’un songe et c’est dans la vie future seulement qu’apparaîtra le réel. Dans cette période de doute absolu, je tombai en une crise douloureuse qui dura deux mois Dieu voulut m’en guérir, non par un assemblage de preuves et d’arguments comme ce que je cherchais, mais par une lumière qu’il fit pénétrer en moi. Oui, faire reposer

IX. — 52 L619 MAIIOMÉTISME, SOUNNISME, DOCTEURS PRINCIPAL X

li.jn

la certitude sur des arguments, c’est amoindrir l’immense miséricorde de Dieu. Cette miséricorde se manifeste de temps à autre par des émissions de lumière ; il faut en épier s «  « ns cesse l’apparition. « Ainsi éclairé, je vis que tous ceux qui se livrent à la recherche de la vérité se divisent en quatre groupes : 1° Les scolastiques partisans de la discussion spéculative ; 2° Les bâtiniens qui mettent la source de toute science en leur imàm ; 3° Los philosophes qui arguent de la raison et de l’argumentation ; 4° Les oûfis qui se disent élus de Dieu et possesseurs de la vérité par l’extase. Convaincu que la vérité, si elle pouvait être trouvée, ne pouvait l'être en dehors de ces quatre groupes, je concentrai mes recherches sur eux en adoptant l’ordre suivant : scolastiques, philosophes, bâtiniens, soûfis. « Les scolastiques ne pouvaient me satisfaire : leur but est de maintenir l’orthodoxie et de la défendre par l’argumentation. Mais cette discussion s’appuie sur des bases une fois données ; elle ne remonte pas aux vérités primordiales, aux principes fondamentaux. Ce n’est pas que cette science soit à rejeter, mais elle reste dans un plan inférieur et je ne pouvais m’y arrêter. « Je mis deux ans à me pénétrer des doctrines des philosophes ; pendant un an encore, je les tournai et les retournai en tous sens pour en pénétrer les obscurités et les profondeurs. Je vis alors tout ce qu’elles contenaient de mensonges et de chimères. J’ai fait contre eux un traité intitulé : L'écroulement des philosophes. J’ai montré que la somme de leurs erreurs se ramenait à vingt propositions dont trois sont impies, contraires à l’islam et dix-sept hérétiques.

Je passai ensuite aux ta’lîmites. Ceux-là affirment qu’il faut, pour être guidé, un directeur infaillible. Soit, mais nous l’avons en la personne du Prophète. Son enseignement est parfait comme l’atteste le Coran : « Aujourd’hui j’ai mis le sceau à votre religion. » Peu importent quelques difficultés de détail que chacun peut résoudre par l’idjtihdd. Les croyances fondamentales sont toutes contenues dans le Coran et la tradition. Quant aux questions qui prêtent à la discussion, on y découvre la vérité en les pesant dans la Balance juste, c’est-à-dire par les règles d'équité dont parle le Coran. Je les ai établies dans mon traité intitulé la Balance juste. « Je passai enfin au soufisme. Je vis qu’il consiste en sentiments plutôt qu’en définitions ; ce que je devais lui demander était non du domaine de la science, mais de l’extase et de l’initiation. J’avais acquis une foi solide sur trois points : Dieu, la prophétie, le jugement ; j’y étais arrivé non pas seulement par raisonnements, mais encore par une suite de circonstances dont je ne parlerai pas. Je compris, par le ^oùfisme, qu’il fallait pour faire son salut, remporter la victoire sur ses mensonges pour se tourner vers l'éternité et la médii tation en Dieu. Je quittai subrepticement Baghdàd, je me retirai en Syrie, où je vécus deux ans dans la solitude, le recueillement et les exercices de piété ; j’allai ensuite à Jérusalem, à la Mecque, à Médine, partout où je pouvais vivre solitaire et me recueillir en Dieu. Dix années se passèrent ainsi, où j’eus la révélation que les ; où fis sont les vrais pionniers de la voie de Dieu, que rien n’est plus beau que leur vie, de plus louable que leur règle de conduite, de plus pur que leur morale. Au nombre des convictions que m’apporta la pratique du soufisme est la connaissance du véritable caractère du prophétisme. Pour la bien posséder, la raison ne suffit pas, il faut l’intuition et l’extase. Arrivé à cette connaissance, si l’on étudie sérieusement le Coran et la Tradition, on voit de toute certitude que Mahomet est le plus grand des prophètes. Je connus de même certitude bien d’autres vérités. « Voyant alors combien autour de moi les musulmans étaient ignorants, la pensée me vint d’abandonner ma retraite pour retourner au milieu d’eux et les enseigner. Puis j’y renonçai, désespérant de réussir dans une pareille tâche. Mais Dieu me ramena à ma première pensée : inspiré par lui, le souverain d’alors m’intima l’ordre de venir à Nichapoûr, afin de combattre l’affaiblissement des croyances. En conséquence, je m’y rendis en 499, après onze ans de retraite. »

Le traité de Ghazâlî se termine par une étude des causes de l’affaiblissement des croyances, et par une démonstration de l'éminence du prophète, fondée sur les mystères de l’astrologie et de la médecine. Qui croit à l’influence des astres et aux propriétés des médicaments ne doit pas s'étonner que le Prophète ait été doué de qualités supérieures. Sa pensée, dit-il, a pénétré dans une sphère inaccessible à l’intelligence, et il répète : « lisez attentivement le Coran, étudiez la Tradition, et la conviction se formera dans votre esprit. »

On a parlé du scepticisme de Ghazâlî. Il nous semble, par ce court exposé emprunté à lui-même, qu’il n’y a en lui rien de semblable. On peut y voir bien plutôt un véritable cercle vicieux dogmatique, qui consiste à considérer comme démontrée l’infaillibilité du Prophète, l’excellence de l’islam, de s’en servir pour réfuter les opinions qui y sont opposées, et de conclure par une démonstration de ce qui a été posé en principe. Son scepticisme s’arrête à l’islam et consiste simplement à déclarer que les choses de la religion sont au-dessus de la raison. Au fond, toute sa pensée est là. Ce qu’il reproche aux philosophes, c’est de n'être pas d’accord avec l’islam. Or les philosophes musulmans affirmaient résolument le contraire. Pour eux, la raison laissée à elle-même, à son évolution naturelle, aboutissait à Dieu et à une vue de la vérité identique à celle de la révélation. Celle-ci était le mouvement de Dieu vers la créature, la philosophie le mouvement de la créature vers Dieu ; le chemin était parcouru en deux sens différents mais restait identique. Un de ces philosophes n’avait-il pas émis l’hypothèse hardie d’un enfant né dans une île déserte, se développant sans parents, sans aucune influence humaine et arrivant, par degrés, en ses méditations aux vérités fondamentales de la foi, si bien qu’un solitaire musulman, débarquant un jour dans cette île, constate avec stupéfaction ce résultat. C’est ce que Ghazâlî n’a jamais voulu admettre, et c’est pourquoi, résolu à trouver la vérité, c’est-à-dire à démontrer l’excellence de sa foi musulmane, il déclara que cette démonstration n’appartient pas à la raison, mais au sentiment, c’est-à-dire à la foi elle-même. Seulement pour que le sentiment, qui a un caractère essentiellement personnel, ait la généralité d’une démonstration, il faut qu’il soit provoqué par une discipline spéciale, par une règle de vie. C’est donc en définitive le renoncement et la méditation en Dieu qui donnent la vérité. Appliqués suivant les préceptes de l’orthodoxie musulmane, ils donneront la foi musulmane.

On a mis en doute la sincérité de Ghazâlî parce que dans l’ensemble de ses écrits, il ne paraît pas avoir toujours la même fermeté de conviction et qu’il semble souvent adopter des opinions, qu’il combattra ensuite. C’est que, comme on l’a remarqué, il s’est toujours efforcé de s’assimiler la pensée de ses adversaires et de la présenter sous son jour le plus favorable pour mieux la combattre. Déjà ses contemporains lui avaient montré le danger de faire ainsi le jeu de ces adversaires et que le lecteur, séduit par sa trop habile argumentation, n’attendît pas la réfutation et adoptât tout d’abord la doctrine qu’il fallait détruire. MAH0MÊT18ME, SOUNNISME, DOCTEURS PRINCIPA1

1621

Nous uo discuterons pas cette question. Nons nous contenterons de remarquer que, dans les crises douloureuses de itouto ou plus exactement d’Inquiétude dogmatique (car il n’a Jamais douté de sa fol), U a dû Itre ballotté entre bien des opinions contraires, s'être arrête un moment a des solutions qu’il a rejetées ensuite, en un mot être victime lui-même des contradictions qu’il a si éloquemment dénoncées dans les raisonnements humains. Il avoue lui-même qu’il n’a pas trouvé la vérité du premier coup : il a donc passe par des périodes d’erreur et de palinodies. Ce n’est pas manque de sincérité, e’est faiblesse humaine. L’effort n’en est pas moins admirable, et cette magnifique aspiration vers Dieu <l’un puissant esprit est digne d’inspirer le respeet. N’y a t-il pas, d’ailleurs. une erite profonde dans eette conclusion que, pour atteindre Dieu.il faut renoncer au monde, et, pour recevoir sa lumière, se mettre en état île réceptivité? I. islamisme, jusqu'à Ghazall, semblait une religion en quelque sorte passive et indolente, il a seeoue son inertie, il l’a rapprochée de son Dieu, qui semblait s'éloigner de plus en plus dans l’abstraction. Nous verrons que tel fut le rôle du soufisme, une fois qu’il eut ete introduit par Ghazall au cœur même de l’islam, alors que, jusqu'à lui. il avait veeu un peu en marge et éveille ches les doeteurs de la loi plus de méfiance que de sympathies.

Après. l’argument de l’islam. le Bounnisme ne subit pour ainsi dire plus de fluctuations. Le soufisme qu’il a admis en son sein, le peintre progressivement, tns le modifier, l’imprègne et le colore profondément. D’autre part, les adversaires frappes par Ghazàli, disparaissent peu a peu. lui laissant le eliamp libre. Avec l’avènement de la dynastie ottomane, ferme appui de l’orthodoxie, il étend de plus en plus son rayon d’action.

La constitution du I adith selon le sounnisme.


Avant de terminer l’histoire du sounnisme, il importe de dire quelques mots sur la constitution du I adith tel que l’ont conçu les sounnites. L’importance qu’ils lui ont accordée dans leur doctrine les a amenés à l’organiser, à le systématiser, a lui donner le plus possible son caractère indispensable d’infaillibilité. C’est une œuvre capitale à laquelle beaucoup se sont attachés et qui n’a été parachevée qu’assez tard.

as avons dit, col. 1581, ce qu'était le I adith, comment il s'était formé peu a peu. d’abord oralement et, semble-t-il. un peu au hasard, puis vers la fin du ie siècle de l’hégire avait été écrit, compilé, puis . par matières. Mai-, dès qu’il devint une arme aux mains des théologiens dans les controverses qui èrent vers la même époque, la bonne foi qu’on peut présumer ehez les premiers disciples et même chez les premiers compilateurs, dut céder vite à la tentation de créer des arguments en attribuant au Prophète les propos conformes aux opinions qu’on soutenait. Par voie de conséquence, on suspecta ou on nia tout hadith allégué par l’adversaire, et. devant la multitude extraordinaire des traditions éeloses de toute part, il fallut bien faire une discrimination. De là la critique du I adith, science toute musulmane et particulièrement nécessaire au sounnisme qui y voit une base infaillible. Nous avons déjà expliqué pourquoi cette critique ne porte ni sur le texte puisque, venant du Prophète, il participe à son infaillibilité, ni sur l’autorité de celui qui le rapporte, le râwi, puisqu’en sa qualité de Compagnon il participe à l’infaillibilité de Vidjma, mais sur la transmission a partir du ràivi.

Dans les premiers recueils que nous possédons, comme le Mouwat d de Mâlik, ou le Djâmt de son disciple Ibn Wahb, cette question paraît n’avoir guère préoccupé leurs auteurs. Nous avons déjà

L622

remarque que ehez Màlik. la tradition ne remonte pas toujours au prophète, ni même a un de ses Coin pagnons, en sorte que la transmission ne vaut iei que pu l’autorité exeepl ionnelle de Màlik Mais

après lui, les musulmans deviennent plus sévères et, sous l’Influence d’ach Chafl’t, des règles rigoureuses sont Imposées aux auteurs de recueil de i adîths.

on reconnut trois sortes de hadlihs, le parfait.

. le bon et le faible, l.e premier est celui donl i’isndd, OU chaîne de ti aditionnistes, est continu et

ne renferme que des Individus probes, d’information sûre. Le premier ouvrage, consacré uniquement au

hnl.th parfait, est le recueil de Koukhari, intitule

précisément as $ahth. Ensuite vient Mouslim qui

adopta le même titre. Les ouvrages de ees deux auteurs sont considérés comme les plus parfaits de tous les livres après le Coran. Le plus parfait est. d’après l’opinion le plus répandue, celui de Houkhari. Ces deux maîtres n’ont pas épuisé la matière du I adith parfait et n’y ont jamais prétendu. En y ajoutant trois (ou quatre) autres recueils canoniques, Intitulés les sounnas (sounan) qui sont d’Aboû Daoûd, at Tarmîdhi, N’asàï (et Aboù.Màdja). on a, sauf une très faible quantité, la somme des parfaits.

Il y en a dans Houkhari 7275 ou 4000, si on défalque ceux qui y sont répètes, autant environ dans Mouslim. Le reste se trouve dans les autres recueils complémentaires (canoniques ou non). Nous allons donner quelques indications sommaires à ce sujet.

Mou ! ammad Ibn Isma’il al Houkhari (194-250 = 810 870) naquit à Houkharà, dune famille persane. Il lit de nombreux voyages pour recueillir des traditions, plus de G00 000 à ce qu’il rapporte. Son ouvrage dont le titre complet est al Djâmi' as Sahih est composé suivant les matières du droit et est remarquable par les introductions mises en tête de chaque livre et de chaque chapitre, où il expose la doctrine juridique, dont les I adîths seront l’illustration. Aussi cntre-t-il souvent dans la discussion des diverses thèses, et l’ensemble de ces rubriques formc-t-il un véritable compendium de droit musulman.

Mouslim ibn al Hadjdjâdj (202-261=817-875) était plus jeune que Houkhari de quelques années seulement. Il le connut, se lia avec lui et se brouilla à son sujet avec son maître qui prétendait que la prononciation du Coran avait le même caractère éternel que le texte et n'était pas créée. Sou livre, al Mousnad a- %ahth est conçu au même point de vue que celui de son contemporain, mais sur un autre plan. Pas de sommaire aux rubriques, mais une introduction à l’ouvrage, où il expose son but qui est de présenter le hadith dans toute sa pureté, dégagé de toutes les erreurs qu’y avaient accumulées l’ignorance et la mauvaise foi. Mais il ne fait qu’esquisser la critique proprement dite du hadith.

Aboù DâOÛd Soulcïmàn ibn al Ach’ath (202-275 = 817-889) tient la troisième place et son livre de sounnas a un moment balancé la vogue des deux grands recueils précédents, mais fut délaissé peu à peu. Il a présenté sa théorie du 1 adith dans un traité spécial ; elle est encore incomplète.

Mou ! ammed ibn’Isà at Tarmîdhi († 279) donne à son livre le titre de : al Djâmi' as Sahih et inaugure une nouvelle méthode. Il fait suivre chaque hadith d’une appréciation sur sa valeur intrinsèque et son utilisation juridique ; enfin, il donne à la fin sa propre théorie encore un peu rudimentaire.

NOUS ne ferons que mentionner les deux autres : V mad ibn 'Ali an Nasal (215-302 = 830-914) et Mou ! ammad ibn Yazid ibn Màdja<20'.)-273 = 824-886), dont les sounan n’offrent rien de bien remarquable, surtout celle du dernier qui n’est pas classée par tous les auteurs dans les livres canoniques. L623

    1. MAJIOMÉÏISMK##


MAJIOMÉÏISMK, LE MOU’TAZILISME

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C’est avec Mouhammad ibn 'Abd Allah al l.lâkim (321-405 = 933-1014) que la science du hadith se constitue. Il s’attache à mettre en lumière les conditions auxquelles, sans les formuler expressément, al Boukharî et Mouslim ont subordonné la validité des hadiths. Dans ses nombreux ouvrages, il fournit une étude du hàdith parfait, dont quelques points furent contestés dans la suite, mais qui ne fut dépassée ni en subtilité, ni en précision. Il aborda également nombre d’autres questions relatives à la critique, à la classification, à la terminologie des traditions, et y affirme sa compétence.

Enfin 'Outhmân ibn Salâ'.i (577-043 = 1182-1210) clôt le cycle par son traité, classique entre tous, 'Ouloâm al adtth « les sciences de la tradition ». Après lui, il n’y a ;. ; uère que des commentaires ou des remaniements de son œuvre. Ils sont, d’ailleurs, innombrables, la littérature arabe moderne ayant une tendance à multiplier les gloses, les résumés, les compléments, etc. Qu’il nous suffise d’avoir montré, en raccourci, l'évolution assez lente, comme on le voit, de cette science fondamentale pour les sounnites.

/II. LES M)U' TAZIhITBS. — 1° Caractéristique !  ; gin 'raies. — Leur nom qui signifie : partisans de l’i’tizàl « séparation » a été expliqué par les sounnites comme une sécession par rapport à l’ensemble de la communauté orthodoxe. Renan et quelques autres orientalistes ont voulu voir en eux des libéraux en lutte avec l’orthodoxie et se sont attristés de leur défaite finale ; mais les savants modernes, comme Goldziher, ont fait justice de ce point de vue erroné. Nous avons déjà vu à l'œuvre leur prétendu libéralisme à l'égard des malheureux théologiens qui s’obstinaient à voir dans le Coran la parole incréée de Dieu, col. 1615. Nous verrons que ce sont eux qui se sont attribué l’orthodoxie. Pou eux l’i’tizàl c’est la séparation du mal ; c’est la constitution d’une élite qui sera seule sauvée, en vertu de la tradition que nous avons longuement étudiée plus haut et que les sounnites ont repris à leur compte, mais uniquement par imitation.

Nous savons par des auteurs initiés à leurs doctrines, en particulier par le célèbre al Ach’arî qui fut longtemps des leurs, qu’ils professent cinq principes ou bases. Ce sont : 1° l’unité, tau id ; 2° la justice, 'adl ; 3° les récompenses et peines (de l’autre monde), iva’d et wa'îd ; 4° les noms et jugements, asmâ et a[kâm ou la position intermédiaire, manzala bain al manzalatain ; 5° l’injonction du bien et l’interdiction du mal, amr bi-l ma’roûf et naht 'an al mounkar.

Comme les auteurs auxquels nous empruntons cet exposé fondamental sont tardifs (fin du m siècle et début du iv « ), on peut se demander si les cinq éléments sont bien primitifs, et s’ils se sont agglomérés d’un seul coup et naturellement, ou successivement et artificiellement. Voici ce qu’on rapporte généralement. C’est Aboû Houdhaifa Wà il ibn 'A à (80-131 = 700-749) qui énonça le premier la doctrine de la position intermédiaire qui se définit ainsi : « lepécheur, fâsiq, qui fait partie de la religion musulmane n’est ni croyant, mnu’min, ni mécréant, kâftr. » C’est là l’i’tizàl primitif : une question de mots et les mou’tazilites ne démentiront pas leur origine, car ils multiplieront les querelles de mots et seront les initiateurs de la scolastique, dans le mauvais sens du terme.

A côté de la question verbale, celle du nom qu’il convient de donner au musulman qui a péché, il y a la question légale, celle du jugement à porter sur lui. Voyons d’abord à quoi répond la discussion verbale.

Nousavonsvu, col. 1583, comment, à lamort du khalife 'Outhmân, deux partis, à la fois politiques et religieux, s'étaient formés. Celui des parents et amis de 'Outhmân qui revendiquaient, suivant la coutum >

arabe, le droit de venger le khalife assassiné, s’appelèrent les 'outhmânides. Ils considéraient comme Illégitime la nomination de 'AH que les habitants de Médine ava ent proclamé comme successeur de 'Outhmân et s’opposaient ainsi aux 'alides. Hien que parmi ces derniers, beaucoup jugeassent leurs adversaires comme des ennemis de l’islam, 'Ali ne voulut encore voir en eux que des musulmans sincères quoique égarés. Du côté des 'outhmânides, on était assez indifférent à la question religieuse, et on était prêt a transiger. 'Alî ayant accepté les propositions de transaction qui lui furent faites, ce fut le signe d’une dissidence profonde dans son propre parti. Les intransigeants sortirent du parti, d’où leur nom de khàridjites, et déclarèrent que les 'outhmânides devaient être traités non comme musulmans, mais comme mécréants, et, par conséquent, subir les impitoyables prescriptions du djihâd (guerre sainte) contre cette espèce de combattants, et que 'Alî, en n’appliquant pas ces prescriptions, devenait luimême mécréant. Ces puritains extrêmes représentaient le fanatisme et l’intolérance. Il y eut ainsi trois groupes : 'outhmânides indifférents, 'alides tolérants, khàridjites fanatiques. L’indiflérencc et la tolérance des deux premiers s’opposaient à l’intransigeance des autres. Ainsi se définissaient les deux positions : al manzalatain. Au point de vue théologique, la première position ou thèse déclarait que la qualité de croyant ne se perdait pas pour un manquement à la religion (sauf apostasie), la seconde affirmait que tout manquement était incompatible avec le titre de croyant. C’est là que les mou' tazilites intervinrent ; en fait, ils étaient d’accord avec les khàridjites ; ils n’en différaient que par un mot. C’est pourquoi un auteur sounnite les traite dédaigneusement d’hermaphrodites du khâridjisme. En effet, ils traitaient légalement le fâsiq exactement comme le kâ/ir. La seule différence était que les khàridjites se faisaient héroïquement massacrer sur les champs de bataille, tandis que les mou’tazilites ergotaient dans les mosquées et attendaient pour se défaire de leurs adversaires que le bras séculier se mît bénévolement à leur service.

Laissant pour le moment les deux premiers prin cipes de l’unité et de la justice qui paraissent être nés de conceptions plus tardives que Vi’tizàl proprement dit, voyons ce que sont leurs théories sur les récompenses et les peines, sur le bien et le mal. Dieu, disentils, ne pardonne à celui qui est coupable de péchés mortels que par le repentir ; il est véridique dans ses promesses (récompenses ; et dans ses menaces (pênes), immuable en ses paroles. » Sur ce point cependant quelques notables mou’tazilites étaient moins rigoureux et admettaient que Dieu pouvait pardonner sans repentir.

Non moins inflexible est la théorie sur le bien et le mal. L’injonction au bien et l’interdiction du mal sont obligatoires à tous les musulmans par le glaive ou tout autre moyen : elles sont absolument assimilables au djihâd, aucune différence n'étant faite entre fâsiq et kâflr. C’est donc bien la même conclusion pratique que dans le khâridjisme. Ce n’est, d’ailleurs, que la conséquence extrême d’un principe parfaitement coranique. Le livre sacré dit, en effet (m, 106) « Vous êtes la meilleure des communautés qui ait été créée parmi les hommes ; vous ordonnez ce qui est reconnu bon, et vous emp chez ce qui est condamnable. » En vertu de cette qualité, tout musulman est tenu d’intervenir dès qu’il se trouve en présence de quelque chose qui est contraire à la loi religieuse et d'éloigner avec la main la pierre du scandale. Est-il trop faible, il doit employer la langue, prêcher, tonner, soulever l’agitation ; est-il encore trop faible pour M iu-ll flSME, l I MOI 'TAZIL18ME

agir ainsi, il doit protester Intérieurement contre le

mal triomphant et appeler sur les mauvaises pus tt les mauvaises nievurs la punition divine (Gold zihcrï.

On peut Juger comme on voudra ces principes, mau on ne peut certainement pas voir dans la secte qui les

n professes quoi que ee soit qui ressemble a Ce que nous appelons le libéralisme ou la tolérance. A une faible nuance près, et avec le courage en moins, la scission mou’taxilite était équivalente à la scission U.andjite Ie mot de inou’tazilisine n’est lui-même qu’un synonyme de khâridjlsme, et il n’est pas impossible que le premier soit au second comme le fdsiq du prunier au kâfir du second.

Jusqu’ici, nous remarquerons que les doctrines ont un caractère essentiellement musulman et une origine corai Ique, les deux autres principes sont inspires de la philosophie grecque et sont donc d'époque postérieure. Comment s’est faite la soudure ? Par une conception qui. sous sa forme primitive, a pris le nom de qadarisme et qui. plus tard. dans la langue des mou’tazilites, qui ont rejeté le nom de qadaristes que leur Infligeaient leurs adversaires, est devenu le principe de 'adl justice.

Il y a là une question de mots fort obscure, car le qadarisme est la doctrine de la prédestination et le mou’tazilisnie est résolument opposé à la prédestination. Kssaxons de voir clair dans cette confusion. L. mot qadar, dans le Coran, a le sens de convenance, de répartition conforme à l’ordre des clioses.de mesure. Par exemple (n, 237) : après le divorce, il est bon de constituer à la femme répudiée quelque pension, chacun suivant son qadar. c’est-à-dire suivant les convenances de son état. Tins souvent, il est dit que Dieu fait descendre l’eau sur la terre dans une proportion convenable, qadar. De même manière, il a crée toute chose. C’est que le plan de l’univers conçu par lui

id à un idéal d’harmonie et aussi de justice.

On comprend alors comment le principe du qadar coranique a pu évoluer vers le principe de justice. d’autant que le mot arabe, 'ode 1 invoque par le mou tazilisme postérieur signifie ordinairement : charge svn.ctrique et équilibrée des bêtes de sommes. De là l’idée de proportion et d'équilibre si voisine de celle du qadar coranique. Comment alors les adversaires ont-ils voulu voir dans ce dernier un synonyme de qadà, qui signifie décision » et a pris légitimement dans la langue théologique le sens de prédestination ? Et comment le < adarisme est-il devenu la négation du qadar pris dans ce second sens ? Lis mou’tazilites ont évidemment raison quand il renvoient ce nom à leurs adversaires partisans de la prédestination, donc du qadar tel qu ils l’entendent. On peut supposer que, quand ils combattirent lu prédestination, ils alléguèrent que le sens réel du qadar était non pas prédestination, mais ordre, c’est- ; -dire justice. Ils se posèrent donc en défenseurs de la véritable interprétation et leurs adversaires les traitèrent d’inventeurs d’un autre qadar, lequel conduisait, d’après eux, à un véritable dualisme. Le là cette parole qu’ils attribuaient au prophète : Les qadaristes sont les mages de cette ce n munauté. » En effet, la théorie mou’tazilite, refusant de croire que Lieu fût l’auteur du mal, voulait que l’homme eût une puissance spéciale, qoudra (mot de même racine que qadar) et, suite la faculté, de s’opposer à la volonté de Lieu, homme, en faisant le mal, se sert dune puissance Ile de Dieu, il y a donc deux puissances sées : c’est le dualisme des mages. A quoi les .'tazilites re pondent : si tous les actes des hon.mes I voulus par Dieu, il n’y a p : us de responsabilité, allant il v a injustice a les récompenser et à les punir. C’cst’donc en définitive le libre arbitre que

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proclament ces sectaires, et c’est ee qui leur a valu la tendresse de certains orientalistes modernes S’ils s’en étaient tenus là. ils auraient pu rallier

à eux les musulmans ; mais, probablement pour se

défendre du reproche île dualisme, ils créèrent leur

cinquième principe de l’unité absolue qui acheva

leur négation de toute réalité divine. Après avoir

refusé à Pieu la prédestination, ils en vinrent a lui

refuser toiil attribut Ils se heurtèrent, comme nous l’avons vii, à l’opposition absolue de l'école I anballtc

et finirent par avoir le dessous. Telle est, en bref, la doctrine des cinq principes. Nous

avons vu que trois dérivent de conceptions purement

musulmanes et apparentées sinon Identiques, à celles

des pl. listes les plus exallés. Les deux autres, en opposition avec l’esprit coranique et contenant des

spéculations philosophiques nouvelles, s’j rattachent cependant par une Interprétation spéciale du qadar

coranique.

' Histoire de la Stcte. — C’est, nous disent certains auteurs. 'Amrou ibn 'Oubaïd (80-144= 700-761) qui cria le qadarisme et qui, en se joignant à Wâsil partisan de la position intermédiaire, constitua le mou tazilisme. Mais il y a d’autres opinions, et il semble bien que, pendant un certain temps, on considéra comme distincts niou’tazililes et qadariles.

Au dire des docteurs de la secte, l’origine en remonterait à 'Ali, par Aboû Hâchim, le fils de ce Moulammad, que nous avons vu reconnu comme imâmmahdî par les keïsànites. Le mou’tazilisnie se concilie en cITet, fort bien avec le chiïsme. C’est par la secte ^eïditc, qui a encore des adhérents dans le sud de l’Arabie, que nous sont parvenus des écrits mou tazilites. Mais ceux-ci sont trop tardifs pour que nous puissions les opposer aux témoignages anciens. Nous en retenons seulement la prétention à l’orthodoxie que nous avons déjà plusieurs fois signalée et leur rattachement à l’islam primitif, vrai ou réel.

Après ces deux premiers fondateurs, il semble qu’il y ait une interruption et que la doctrine ait été reprise et renouvelée, probablement sur ses bases philosophiques, par Aboû Houdhaïl Mouhammad ibn Houdhaïl, surnommé al *Allâf. La date de sa naissance est inconnue ; sur sa mort il y a désaccord (entre 227 et 235 = 842 et 850). Les uns le font mourir à 150 ans, d’autres à 100 ou 105 ans. Il est sépare des deux fondateurs par plus d’un siècle, et si on lui a attribué un âge si extraordinaire, c’est probablement pour rapprocher plus étroitement 1'. ncienne et la nouvelle doctrine. Entre eux if y aurait eu un nommé Aboû 'Amrou 'Outhmân ibn KhâUd surnommé at Tavrtl, dont le rôle est obscur. Peut-être a-t-il été inventé pour constituer la chaîne orthodoxe ainsi énoncée dans un texte mou’tazilite très tardif : « Aboû Houdhaïl a reçu la doctrine de 'Outhmân al Tavil qui lavait reçue de Wi il et Aboû 'Amrou, lesquels la tenaient de 'Abd Allah (Aboû Hâchim) fils de Mouhammad de qui il l’avait reçue : Mou), ammad la tenait de son père 'Ali qui la tenait du prophète, qui ne professa point d’hérésie.

Ce néo-mou’tazilisme est souvent désigné par un nouveau nom : le kûlam ou parole, dont l’oiigine est assez controversée et qu’on pourrait traduire par : veri alisme. Le mou’tazilite devient alors, suivant la langue i ethnique un moutakallim « celui qui est versé dans l’art du kaldm. a-t-il entre ce mot kaldm et le raisonnement qu’il représente une parenté semblable a celle qui unit le J.ogos à la logique ? C’est possible. Ce qu’il y a de certain, c’est que les théologiens sommités empruntèrent plus tard, avec al A( h’arî, le mot et la chose. Mais à l'époque qui nous occupe et qui répond à la fin du règne de_ Ilaroûn achld, le nom ne convient qu’aux mou’tazililes. 1627

M A HOMÉTISME, LE MOU’TAZILISME

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Or ce klialifc, nous dil-on, persécuta les moutakallims, tandis que son fils al Ma’moûn devait, nous l’avons déjà vii, soutenir le mou’tazilisme. D’autre part, nous savons, que les barmécides qui, jusqu’en 187 (803) époque de leur chute, lurent tout-puissants à la cour de ce khalife et auxquels al Ma’moûn fut tout dévoué dans sa jeunesse, aimaient à tenir des conférences où prenaient part la plupart des moutakallims. Aboû Houdhaïl y jouait un rôle de premier plan ; il n’est pas impossible de voir en lui le créateur du kalàm. Ainsi le mou’tazilisme constitué à la fin du 11e siècle de l’hégire nous apparaît composé de trois éléments : Yi’tizàl ou mou’tazilisme primitif, dû à Wâsil ; le qadarisme dû à 'Amrou ; le kalàm dû probablement à Aboû Houdhaïl.

Une conception particulière à cet auteur est que, en admettant comme attribut de Dieu la puissance et la volonté, l’une et l’autre ne sont pa- ; distinctes de l’essence de Dieu, mais sont cette essence même. D’autre part, il énonce une théorie fort obscure que la volonté de Dieu n’est pas dans un substratum, là fi ma ail, ou encore qu’elle n’a pas de substratun ce qui paraît signifier qu’elle n’est pas déterminée en Dieu par un objet extérieur à Dieu. Semblablement il dit que la parole de Dieu est de deux sortes : avec ou sans substratum. La première édicté des ordre, , des défenses, des exhortations, etc., l’autre e, t le fiât qui a un caractère différent. On peut penser qu’il veut dire par là que le liât a son objet en soi-même et ne regarde que Dieu, tandis que l’autre forme de la parole divine regarde l’homme à qui elle s’adresse. Mais le terme arabe de mahall qu’on traduit par substratum, a-t-il vraiment ce sens ? Nous inclinerions plutôt à lui donner celui de : déterminant, origine. Dans le kalàm mou’tazilite, les discussions de mots sont très subtiles : nous ne pouvons nous y arrêter.

Voici encore d’autres théories qu’on lui prête. La prédestination qu’il nie dans la vie humaine, il l’admet dans l’autre monde. C’est évidemment la conséquence du raisonnement mou’tazilite sur la justice. Pour que peines et récompenses soient justes dans l’autre monde, il faut que sur cette terre, l’homme ait librement obéi ou désobéi ; quand peine ; et récompenses sont distribuées, cette nécessité disparaît. Par une conséquence extrême, il aboutit à croire que les actes, dans l’autre monde, n’ayant plus de mobiles, finissent par s’arrêter, qu'élus et damnés se figent dans un repos éternel, ce qui équivaut à l’anéantissement du paradis et de l’enfer.

Il estime qu’il y a une religion naturelle antérieure à la révélation, qui permet à l’intelligence de connaître toutes les vérités indépendamment de toute religion. Mais sa conception la plus curieuse, parce qu’elle paraît apparentée au soufisme, est celle-ci : « Pour toutes les traditions relatives aux mystères, ce n’es) pas une suite continue de témoignages qui constitue l’argument, mais c’est l’attestation de vingt personnages parmi lesquels il y en a au moins un qui sera élue. Il ne manquera jamais sur la terre d'êtres privilégiés qui seront les saints de Dieu (wâlis d’Allah), les parfaits qui ne mentent jamais, ne commettent aucune faute grave. » Pourquoi ce nombre de 20, qu’un auteur ramène à 5? Parce que dans le Coran (vin, 66) il est dit que « vingt des croyants vaincront deux cents des mécréants ». Nous voyons que les s où fis déclarent qu’il ne manquera jamais sur la terre de personnages privilégiés qu’ils appellent les Abdàl et dont le nombre est, suivant les opinions, de 7, de 40, de 70. Il y a une parenté évidente entre les deux conceptions, et, d’ailleurs, elles sont l’une et l’autre un reflet de la conception chiite. Il semble cependant que c’est chronologiquement la première forme de cette croyance aux saints, qui joue un rJle

si considérable dans le mahomi’tisme moderne. Ici, leur rôle est de fournir l’argument. ' oudjdja, sur ce qui est caché, mû ghdba, expressions assez obscures. Par la deuxième, il faut entendre, au dire de certains, tout ce qui échappe aux sens, comme les miracles des prophètes et autres merveilles. C’est la théorie chiite et particulièrement isma’ilite qu’il faut pour interpréter les mystères un personnage privilégié, l’imàm mahdi ( qui est aussi appelé le houdjdja), et, en son nom, les dâ'is. On ne voit pas le rapport entre cette doctrine et le mou’tazilisme proprement dit. Il conviendrait d’y revenir à propos du -oûfisme.

En même temps qu’Aboû Houdhaïl, un autre docteur mou’tazilite apparaît. I rahîm ibn Sayyâr surnommé an Xadhdhâm († 231=846) était par sa mère, neveu d’Aboû Houdhaïl ; il fut aussi son disciple, mais eut plus d’une controverse avec lui. Il eut surtout des vues assez fantaisistes sur des problèmes d’ordre plutôt physique que philosophique. Au point de vue religieux, il accentua le qadarisme en déclarant que non seulement Dieu n'était pas l’auteur du mal, mais qu’il ne pouvait l'être, et qu’il était astreint à ne rien faire qui ne fût conforme au bien de l’humanité. On voit que, si les mou’tazilites ont défendu la liberté de l’homme, c’est en limitant celle de Dieu. Il niait aussi que Dieu eût une volonté propre, parce qu’en lui la connaissance et l’exécution de l’acte sont simultanées et n’ont pas besoin d’intermédiaire. Il niait la valeur de Vidjmâ' sounnite, rejetait le qiyâs et n’admettait comme argument que la parole de l’imâm infaillible. Il professait donc le chiïsme.

A son école se rattache 'Amrou ibn Ba r surnommé al Djâhir, qui mourut en 255 (869), âgé d’environ 96 ans. Il est surtout connu comme un littérateur plein de verve, d’une langue souple et hardie. En théologie, on lui attribue une s ngulière opinion : le Coran, d’après lui, serait un corps qui peut devenir homme ou animal. Contrairement à son maître, il était anti-'alide et composa des livres en faveur de l’imamat des 'Oumayyades et des 'Abbassides. Il fut un des derniers 'outhmànides. On peut le considérer comme un écrivain fantaisiste de beaucoup de talent, mais bien qu’on donne son nom à une des subdivisions de la secte mou’tazilite, il ne paraît pas avoir eu grande influence sur le développement de la doctrine

Fixation définitive du mou’tazilisme.

 Nous ne

nous attarderons pas plus longtemps sur les diverses écoles mou’tazilites qui ne différent généralement que par des distinctions plus ou moins subtiles sur la manière de concevoir la liberté des actes et des pensées de l’homme par rapport à Dieu. La plupart des divergences cessent vers la fin du ine siècle de l’hégire et la doctrine paraît fixée avec la double école d’al Djoubbâï et de son fils Aboû Hàchim.

Le premier, Mou ammad ibn 'Abd al Wahhàb (235-303 = 849-916), surnommé al Doubbâï, est surtout célèbre pour avoir été le professeur d’al Ach'ârî, qui se détacha de lui, dit-on, dans les conditions suivantes. Il posa à son maître cette question : J’avais trois frères qui sont morts, le premier croyant, le second infidèle, le troisième en bas âge. Quelle est leur destinée ? — Le premier, répondit le maître, est sur les degrés du paradis ; le second sur ceux de l’enfer ; le troisième est sauvé. — N’arrivera-t-il pas aux degrés du para lis ? — Non, car il n’apporte pas les bonnes actions du premier. — Mais il dira à Dieu : « ce n’est pas ma faute, si, privé par votre volonté de la vie, je n’ai pu être apte aux bonnes actions. » — - Dieu lui répondrait : « Si je t’ai privé de la vie, c’est que je prévoyais que tu serais pécheur et damné ; je t’ai préservé du châtiment. » — Mais alors, .mon frère l’infidèle protestera. « Pourquoi m’avoir laissé vivre, dira-t-il, puisque je devais être pécheur ? » Le mou' M llul I riSME, LE Ml A Ull MIS Ml

L630

t.i/ihune Mit i|uo répondre et l'élève, désabusé)

abandonna l.i soolo.

il Hâchlm 'Abd as Salàin |bo Mou animad (247-321 B61-933) est considéré comme le dernier chef d'école Indépendante Il gagna à sa doctrine le célèbre vizir Ibn 'Abbad et, grâce à cette Influence, la sooto M maintint dans la l’orso septentrionale. Mais les rurcs Seldjoukldes rétablirent d os tout l’Orient l’orthodoxie sounnite et la sooto disparut. Kilo s’est conservée cependant jusqu'à nos jouis dans le sud de l’Arabie ou une petite dynastie, cbilti dite, so maintient àÇanat depuis le xie siècle de ootre ère. Quelques-uns dos livres de cette petite secte ont été récemment publiés et dous ont apporté de nouvelles lumières sur la doctrine

i.ilons enfin un mouvement tout moderne qui so rattache plus ou moins arbitrairement au mou’ta.'ilismo et qui représente le libéralisme musulman. La doctrine a été exposée aux Indes par le Seyyld Amir’Ali. dans dos ouvrages écrits en anglais, et qui paraissent avoir subi l’influence du protestantisme plutôt quo du véritable mou’tazilisme. Il no semble

de nature à gagner les masses, mais

oiio s’est répandue dans los classes instruites en contact VM los ouropoons.

IV. lus kiia Nous avons déjà ou l’oc n do parler de cette sooto. a laquelle le mou’tazi lisme so rattachait au début, non différant, comme

nous l’avons dit, que par une nuance de nom. ol. 162 l.

1° Caractéristique » générales. — Leur doctrine et

surtout l’exaltation passionnée avec laquelle ses

partisans l’ont défendue a profondément troublé les débuts de l’islam. Mais elle notait guère en harmonie avec une société organisée humainement, et n’a pu

subsister que dans quelques groupes isolés, épars dans l’ensemble du monde musulman. Comme elle n’a eu que fort peu d’influence sur la formation dogmatique, juridiqueou politique du mahométisme, nous en parlerons assez rapidement. Nous nous efforcerons surtout d’en démêler les divers éléments, qui nous paraissent avoir été confondus plus tard, et d’en éclaircir les obscurités.

Les kliiridjites ont été appelés à juste titre : « les puritains de l’islam. Pour eux, le Coran, le livre « le Dieu, doit être la seule source de la religion ; il doit être appliqué à la lettre, sans ménagements, sans interprétation arbitraire. Ce fut probablement la conception des premiers musulmans, mais elle ne pouvait tenir contre celle qu’imposaient à la société arabe les : s d’un vaste empire, et que la dy nastie oumayyade eut le mérite de voir clairement et la force de faire triompher, peut-être un peu trop brutalement.

Aboil liakr et 'Oumar, par leur vie austère, leurs sentiments pietistes, leur ferme attachement au i. répondaient à la première conception. Le conflit s'éleva avec 'Outhmàn qui, appartenant luimême a la famille oumayyade, jadis ennemie déclarée Mahomet, inaugurait la réaction contre l’esprit de l’islam, laissant peu à peu la place aux considérations purement temporelles. La richesse et le luxe succédaient à la pauvreté et à l’austérité ; bien des gouverneurs affichaient un profond mépris des pratiques religieuses. Les puritains se révoltèrent contre le khalife : celui-ci fut assassiné et remplacé par 'Ali en qui les fidèles musulmans mettaient toute leur confiance. Mais ils furent profondément déçus quand ils virent celui-ci pactiser avec l’ennemi et ils se déclarèrent contre lui. On les appela khàridjites, du mot arabe khàridj, « qui sort, qui se révolte, » et nous avons dit que le sens en est très voisin de celui d’i’tizal, qui a donné naissance au mou’tazilisme. C’est, en effet, ce dernier mot dont se sert l’historien Ta bari pour désigner la sécession dos khàridjites.

3° Diverses /ormes de la seele. La première forme

de la sooto est désignée sous le nom de ftoukmltt a cause de la formule qui fut leur devise : (d fioukma iii<i billah, « il ii A ado décision qu'à Dieu Or 'Ail, sur le point d'être vainqueur de ses adversaires du parti oumayyade avait consenti à suspendre la bataille, donc le jugement ^<.~ i Heu, et au lieu de poursuh re ses ennemis comme les ennemis de i Heu, sui ant les règles coraniques, a ait accepté de faire trancher le différend par un arbitrage. Comme le lui (liront los révoltés, vous avei confié la décision à dos hommes dans les affaires de Dion, c'était un crime, et 'Ail fut traite comme 'Outhmftn. Cotte première doctrine du houkra ne laisse pas

d'être assez, obscure Les autours nous ont rapporte la discussion qui s'éleva à ce sujet entre 'Ali toujours conciliant et les révoltés toujours Intransigeants, Les arguments présentes par les khàridjites sont tellement vagues et Insuffisants qu’on peut douter qu’ils aient

été rapportes d’une façon complète. D’abord la formule qu’on leur prête n’est pas rigoureusement coranique, ce qui est étrange puisqu’on nous les représente comme des lecteurs du Coran, le sachant par cour et l’invoquant sans cesse. Vous m’opposez le livre de Dieu, s'écrie "Ail, mais j’y Us que l’institution d’un arbitre est ordonnée dans certain cas ; elle n’est donc pas illicite. Nous saxons, d’autre paît, que le Prophète a conclu des traités et le Coran dit que les fidèles ont en lui un beau modèle. Au surplus, je vous envoie Ibn 'Abbfts pour discuter avec vous sur le Coran. » Après trois jours de discussion, la moitié fut convertie, l’autre moitié tint bon et il y eut bataille. Tel est le plus ancien récit connu, rapporté par Ibn l.lanhal. Il est surprenant que les khàridjites n’aient pas invoqué tel passage du Coran absolument formel, entre autres celui-ci (xlh), 8 : a En quoi que ce soit que vous soyez en désaccord, la décision en est vers Dieu, » ou encore (v, 48) : « quiconque ne décide pas d’après ce que Dieu a révélé (le Coran), est infidèle ». Ce verset est confirmé par les suivants (49 et 51) où les mêmes mots sont répétés avec les variantes : oppresseur ou prévaricateur au lieu d’infidèles. Il semble, d’ailleurs, que ces variantes se rattachent à la fameuse querelle soulevée par les mou’tazilites sur le cas de l’infidèle, kdflr, ou du prévaricateur, fûsiq. lui somme, celle question du houkm est fort obscure, et il semble bien que la pensée, nettement formulée par les khàridjites et plus ou moins atténuée par les récits sommités postérieurs, était que la loi du Coran vis-à-vis des infidèles était formelle et qu’en ne s’y conformant pas on était infidèle et, qui pis est, renégat.

Dès lors se posait la question théologique dont la discussion constitue vraiment la dissidence khàridjite, laquelle a survécu à l'épisode historique de l’arbitrage admis par 'Ail et rejeté comme hétérodoxe par les intransigeants. C’est à savoir : un croyant qui enfreint la loi du Coran devient-il infidèle, donc apostat et doit-il être traité comme tel, donc mis à mort ? Cela s’applique-t-il à toute infraction ou à quelques-unes seulement ? A quoi reconnait-on dans le second cas celles qui en traînent l’infidélité? A la première question les khàridjites répondent oui sans hésiter et s’opposent ainsi, comme nous l’avons vii, aux niourdjites plus accommodants. A la seconde ils répondent par la distinction coranique des péchés graves, kabâlr ni ilhm. A la troisième il ne semble pas qu’ils aient fait une réponse détaillée, mais on prête à certains d’entre eux cette formule brutale : quiconque n’est pas avec nous est un incroyant. C’est donc la formule la plus pure de l’orthodoxie la plus étroite

Nous dirons quelques mots dos deux principales écoles : azraqites et abftdites. La première, fondée par

Nâ fi' ibn al Azraq ( f G5 = 685), énonçait la doctrine dans toute sa rigueur. Ses partisans luttèrent avec une sombre énergie contre les oumayyades. Profitant des troubles suscités par la mort du dernier descendant de Mou’awiya, ils avaient espéré un moment se rendre maîtres de la Mecque, mais ils ne s’entendirent pas avec le maître de cette ville, Ibn Zoubeïr qui prétendait au khalifat, et ils se réfugièrent à Bassorah. Là encore, ils furent repoussés et leur fondateur fut tué dans une rude bataille. Il ne se découragèrent pas et transportèrent la lutte en quelques points de la Perse. Us tinrent longtemps en échec les troupes du fameux général des oumayyades, al i.Iadjdjâdj. Mais enfin ils furent dispersés en 77 (696).

Nàfi 'ibn al Azraq est célèbre par ce qu’on appelle les questions azraqites. On lui prête, en elïet, à tort ou à raison, une discussion avec Ibn ' Abbâs sur l’interprétation de certains passages du Coran. Les réponses de ce dernier, dont l’authenticité est douteuse, sont caractéristiques de la façon dont s’est formée l’explication orthodoxe du texte. Chez les anciens auteurs, questions et réponses sont au nombre de six, mais, avec le temps elles se sont multipliées et, au xve siècle, on en comptait près de deux cents 1

Le fondateur de la secte abâdite est un certain ' Abd Allah ibn Abâd (ou Ibâd) sur lequel nous n’avons aucun renseignement précis, mais qui paraît avoir été un contemporain de Nàfi'. Cette secte nous intéresse parce qu’elle a survécu. On la trouve dans le 'Oman (Arabie méridionale), à Zanzibar et sur quelques points de l’Algérie et de la Tunisie. Ses livres nous sont connus, surtout pour ceux de l’Afrique du Nord, par des savants français comme Masqueray, Basset, de Motylinski. Nous résumerons l’article de ce dernier dans l’Encyclopédie musulmane (1908). « Vers la fin du vii siècle de notre ère, le khâridjisme, sous la forme abâdite, pénétra dans le Maghrib. se développa chez les Berbères dont il devint la doctrine nationale. Il eut la plus grande influence sur le soulèvement qui faillit arracher l’Afrique aux Arabes. A Tahert, la petite dynastie khàridjite des Rostemides se maintint jusqu’au début du xe siècle de notre ère, où elle fut détruite par les premiers Fàtimides. On trouve de ces sectaires, aujourd’hui en groupes assez compacts, à Wargla, dans l’oasis du Mzâb (d’où le nom de Mzàbites ou Mozabites, bien connus en Algérie), au Djebel Nefousa, dans l'île de Djerba. Les communautés sont en rapport constant entre elles, et ont des relations fréquentes avec les abàdites du 'Oumân et de Zanzibar. « Les abàdites s'élèvent avec énergie contre le titre d’hérétiques que leur donnent les autres musulmans. Ils se disent les seuls conservateurs de la pure doctrine islamique et soutiennent que parmi les soixante-treize sectes nusulmanes la leur, seule, sera sauvée. « Comme tous les khâridjites, ils condamnent le khalife 'Outhmàn ; ils reconnaissent la nécessité d’un inâm qui peut être un musulman quelconque ; s’il ne se conforme pas aux prescriptions du Coran et de la s >unna, il doit être déposé. Le Coran est la parole de Dieu créée par lui ; Dieu pardonne les péchés véniels, mais les péchés graves ne peuvent être pardonnes qu’après résipiscence. Il y a entre tous les musulmans des devoirs étroits de solidarité ; mais qui enfreint les prescriptions de la loi religieuse est rigoureusement excommunié, et traité en ennemi jusqu'à ce qu’il fasse acte de repentir. « Les abàdites algériens affectent une grande austérité de mœurs, du moins dans les villages du Mzâb où ils sont sévèrement surveillés par leurs toulbâ (chefs religieux). Mais dans les villes de la côte, où ils aifluent pour faire du commerce, la pratique n’est pas

toujours d’accord avec la théorie. Ils n’en conservent pas moins jalousement leurs croyances, et se tiennent à l'écart des autres musulmans. Leur groupe homogène et compact se distingue très nettement par son allure, son caractère et ses tendances au milieu des Arabes ou des autres Berbères. »

Nous ajouterons que les abàdites modernes répondent bien a ce que nous savons des premiers khâridjites, sauf cependant sur un point : l’acceptation de la sounna. De par leur origine, ils devraient s’en tenir uniquement au Coran. Ils ont donc fait une importante concession à leurs adversaires sounnites.

v. autres SECTES. — Nous n'énumérerons pas les nombreuses sectes secondaires dont beaucoup ont été créées un peu artificiellement par les auteurs sounnites, comme les djabarîtes, opposés aux qadarites parce qu’ils nient absolument le libre arbitre, les sifâtites partisans des attributs de Dieu en opposition à l'école des mou’tazilites qui les supprime, etc. Nous dirons seulement quelques mots de certaines qui subsistent encore à l'état sporadique dans le monde musulman ou qui, étant nées à une époque rapprochée de nous, peuvent exercer une influence sur le développement actuel du mahométisme.

1° En Syrie, il existe un petit groupe, de doctrine assez énigmatique, appelé : les Nousaïris. Leur nom se trouve déjà dans Pline : Nazarcni. Leurs croyances, qu’ils s’efforcent de tenir secrètes, semblent contenir un bizarre syncrétisme d'éléments païens, chrétiens et musulmans. Ils ont certainement subi l’influence ismaïlienne probablement dès le temps, où 'Abd Allah ibn Maïmoûn s’installait en Syrie. Ils furent cependant combattus par les Druzes leurs voisins et par les Assassins quand ils vinrent s'établir dans cette région. Au point de vue musulman, ils appartenaient au chiïsme outré, celui qui tient 'Alî, pour une divinité, et lui subordonne Mahomet. En y ajoutant Salmân le persan, un des compagnons de Mahomet que la tradition chiite vénère le plus, ils ont constitué une véritable trinité, caricature de la trinité chrétienne. Ils y joignent encore cinq personnages qui paraissent répondre, de façon plus ou moins allégorique, aux cinq principes des ismaïliens. Mais ils se sont affranchis des principales pratiques de l’islam, comme la prière, le jeûne ou le pèlerinage, ou plutôt, suivant le système cher aux ismaïliens, Ils interprètent les prescriptions coraniques d’une façon toute allégorique. Comme ces derniers, ils ont une initiation à trois degrés.

Ils adorent le viii, où ils voient une émanation de la lumière qui est aussi la divinité — ce qui semble indiquer quelque influence manichéenne. Ils croient à la métempsycose, l'âme devant se purifier en revenant dans des corps de plus en plus parfaits pour revêtir enfin l’enveloppe lumineuse et demeurer parmi les étoiles. On les connaît encore sous le nom de 'Alaouites et, dans la Syrie libérée du joug turc, ce petit peuple paraît tout dévoué à la France.

2° Plus étranges encore sont les Yézidis ou Adorateurs du Diable, qui prétendent se rattacher à Yazîd, fils de Mou’awiya, le meurtrier de Houseïn fils de 'Alî, le personnage le plus exécré des chiites. Mais en réalité, cette secte paraît une dérivation, d’ailleurs aberrante, de celle des 'adawites, partisans du kurde 'Adî ibn Mousâfir qui mourut en 557 (1162), laissant une réputation exceptionnelle de sainteté. C’est à sa doctrine que se rallièrent les yézidis, mais celle qu’ils professent aujourd’hui est si peu musulmane qu’il est impossible de la rattacher à ce saint personnage, dont les biographes sounnites font un grand éloge. Peut-être faut-il voir dans les yézidis antérieurement à 'Adî une secte khàridjite appelée yazidite, du nom de leur fondateur Yazîd ibn Aboû Arîsa, MAH0MÊT18ME, LE BABISME

I

que incertaine, qui était primitivement abàdite

et dont l’enseignement peut être appelé antlmahonétan, car il annonçait un prophète persan qu abolirait la loi île Mahomet pour y substituer la sienne. .nsidérant 'Adl comme le prophète annoncé, en nélant ensuite à ce compromis musulman « I autres nts païens, comme les Nousnîris en Syrie, les Kurdes de lare-ion de Mossoul constituèrent ce groupe qui se déclare lui-même non musulman. Il a pour symbole un véritable fétiche : l’ange paon qui est titué par une sorte Je fût de chandelier surmonte d’un coq dore. Us ont l’horreur île la couleur lieue ; on Ignore pourquoi. Us ont une organisation qui rappelle celle îles confréries île où lis. leur khalife est le descendant de *Adt. Le tombeau de ce dernier est un but de pèlerinage : on entretient tout autour des feux perpétuels de naphte et de bitume. Leur culte se rattache très probablement au culte du feu de la Perse antique, avec survivar.ee de quelques souvenirs du polythéisme assyrien (Huart).

3° La Perse a vu naître au siècle dernier une re le Bâbisme, qui s’est de notre temps pro] jusqu’en Europe et en Amérique sous la forme nouvelle du Béhaîsme. Nous ne pouvons la passer sous silence.

.-.s avons vii, col. 1603. que le niahdisme s était en quelque sorte cristallise dans le douzième imam ru vers 265 de l’hégire t.S7'J). Or, il y avait en l’erse une sorte de millciiarisme qui annonçait le retour de cet imàni aux environs de l’an 1265 (1849). C’est sous la forme de Mirzà 'Ali Mohammed, ne en 1812, qui se donna le titre de BAb « porte » en vertu de cette parole de Mahomet : « Je suis la ville de la science et 'Ali en est la porte. Depuis, chaque imam avait été cette porte et ce nouveau personnage, incarnant le dernier, l'était à son tour. Sa doctrine, énoncée en termes assez obscurs dans son Bayûn (le Coran babi) est fortement teintée dismaïlisme : elle en dilïère en ce que le chiffre fatidique y est remplace par 10, c’est-à-dire par 12+7. Ceci semble bien indiquer que le Bàb se proposait de fondre ensemble les deux mahdismes, le septlman et le duodéciman. Far son austérité, ses allures étranges, il acquit une inlluence prodigieuse sur le peuple persan et, par ses propos séditieux, inquiéta le clergé chiite ainsi que le gouvernement. Emprisonné pendant de longues années, il fut exécuté en 1819 avec quelquesuns de ses disciples. Mais la secte était fondée et lui survécut. La doctrine, d’ailleurs, avait évolue et abouti à une sorte de syncrétisme humanitaire. Le disciple qu’il avait désigné pour son successeur, Mirzà Ya va surnommé Soub -i-Ézel Matin de l'Éternité ". était un contemplatif ; la direction effective passa a son frère Mirzà I.louscm 'Ali. surnomme Baha Allah, . splendeur de Dieu., et celui-ci transforma la bàbisme qui prit alors de son nom celui de I éhâïsme. -.' l’opposition des partisans de l’ancien Bàb, la doctrine nouvelle prévalut, et, après la mort de Baba Allah, se maintint sous la direction de son fils 'Abbàs, qui prit le titre de Abdoulbahà, « adorateur du Bâhâ ce qui semble indiquer que Baba Allah fut considéré comme une divinité. En effet, l’usage musulman est de réserver, dans les noms propres de ce type, la seconde place uniquement à une des désignations de Dieu soit Allah ('Abdallah), al Qàdir, le puissant idalqàdir) ; arRahman, « le miséricordieux -( Abd ar rahmàn) etc. Mais les béhalstes contemporains se défendent contre cette interprétation, et nous devons nous en rapporter à eux.

Voici comment M. Montet expose la doctrine. Le béhaîsme n’est pas mystique, et les problèmes métaphvsiques ne sont pas l’objet de sis principales préoccupations. C’est une tendance religieuse essen L634

tiellement pratique, et les questions morales sont celles auxquelles il porte le plus vil Intérêt. I D autre trait frappant est qu’il s’adiesse a tous les hommes Bah*

Oullah écrivit non seulement au chah de Perse, mais

i la reme Victoria, au c/ar. a Napoléon 111, au pa] e.

Il demandai ! aux puissants de ce monde de renoi cet à l’Injustice, d’abolir la guerre, d'établir l’arl Iti

international, de travailler a l’union <ie tous les peuples Il est un apôtre de la paix, de la fraternité, du

rapprochement de toutes les races Sa réforme qui

laisse loin derrière die le bâbisme avec son mystlcisme panthéiste et ses théories sur les nombres sacrés, est essentiellement une religion humanitaire et universelle Dans les déclarations et les écrits de son huilier spirituel, 'Abdoul Bahft, nous retrouvons les mêmes Idées, plus larges encore si possible (émancipation de la femme, monogamie, <i" surnaturel etc.). Dans ses Moufâwadhût, < entretiens intimes —, qui ont paru presque simultanément en persan, en anglais et en français, le béhaîsme se montre essentiellement éclectique. Sur le caractère de cet apôtre en particulier le charme de sa personne et de sa conversation, tous ceux qui le connaissent il ont eu des relations étroites avec lui, ne tarissent pas d éloges et d’admiration. L’est précisément ce caractère mondial et humanitaire du béhaîsme qui explique les succès étonnants de la propagande béhaïe en Europe et surtout aux États-Unis, succès qui constituent l’un des traits les plus frappants de cette religion…

Nous voilà certes bien loin de l’islamisme et de l’ismaïlisme qui en était lui-même déjà fort éloigne. Il est assez piquant de voir cette dernière secte qui a produit la féroce doctrine des Assassins s'édulc.orer en ce pacifisme éthéré. On a vu dans le bâbisme des influences chrétiennes ; on peut y retrouver, en effet. bien des idées du protestantisme dit libéral, mais aussi de la franc-maçonnerie anglaise, auquel le béhaîsme n’est peut-être pas étranger.

4 » Il en est tout autrement de la dernière secte dont nous allons parler et qui est un vigoureux effort pour revenir à l’islam primitif dans sa patrie d origine : 1' rabie Nous v avons fait allusion quand nous avons parlé de la secte hanbalite, col. 1616. C’est à cette secte que se rattache indirectement ce qu’on appelle le Wahhâbisme du nom de Mouhammad ibn Abd al Walihàb († 1787). Ce personnage s'était particulièrement adonné à la lecture des livres du fameux l.anEuite Ahmad ibn Taïmiya (661-728 = 1263-1328 lequel s'était fait remarquer par son attachement intransigeant à la plus stricte orthodoxie, ce qui lui atUra quelques persécutions. Sans aller jusqu au dhâhirisme, il réprouvait toutes les innovations et combattait l’influence grandissante du soufisme. Son disciple tardif poussa la néophobie à l’extrême et adopta le puritanisme des premiers khândjites. 11 rejeta tout ce qui n'était pas le Coran ; il s’insurgea contre les pratiques répandues de plus en plus dans l’islam comme le culte rendu à Mahomet et aux saints personnages. Ainsi que les khâridjites, il considérait comme idolâtre méritant la mort tout musulman qui n’abandonnait pas ces pratiques. Sont aussi interdits les cérémonies funéraires, le luxe des mosquées, des tombeaux, de l’habillement, le tabac (nouveauté inconnue du Coran), le jeu. La stricte observation du Jeûne, des cinq prières quotidiennes (qui ne sont cependant pas énoncées explicitement dans le Coi la communauté des biens, sont imposées. Ses pren iirts tentatives à la Mecque échouèrent ; mais il trouva un appui au centre de l’Arabie, dans la région du Nadjd ou. avec son disciple et successeur Mou ! ammad ibn Sa’oùd, la nouvelle puissance se constitua. La petite dvnaslie étendit bientôt ses conquêtes jusqu'à Médine,

à la Mecque et sur les bords du golfe Persique ; elle tint longtemps en échec les Turcs ottomans, mais enfin fut vaincue et détruite en 1818. Mais elle s’est reconstituée, et maintenant que l’Arabie est libérée, elle peut être appelée à jouer un rôle politique, déjà elle a tenu tête à la dynastie rivale du Ilidjàz et l’a vaincue. Ses adhérents se sont répandus dans l’Inde. Des idées analogues à celle des wahhàbites paraissent avoir gagné plusieurs-points du monde musulman en Afrique, en Afghanistan, en Chine, etc.

VI. le SOUFISME.

On désigne sous ce nom non pas une secte, mais une organisation particulière qui a peu à peu transformé l’islam et lui a donné un caractère si différent qu’on peut et qu’on doit, à notre avis, l'étudier comme une religion distincte. Il est, toutes proportions gardées, à l’islam ce que le bouddhisme est au brahmamisme. Il introduit des conceptions et des pratiques fort éloignées de l’islam : une mystique affective extraordinaire et une hiérarchie de saints thaumaturges d’une part, de l’autre, un réseau de confréries qui couvre tout le monde musulman moderne, toutes choses dont on ne trouve aucune trace dans l’islam primitif et qu’on pourrait même considérer comme lui étant profondément contraires, ainsi que le jugèrent les wahhàbites. On a déjà relevé en lui des influences isma’iliennes très nettes ; mais, sauf exception, il n’a aucune tendance politique et il n’est pas l’instrument de chefs audacieux comme les Grands Maîtres de l’isma'îlisme. Il suffirait cependant qu’il se levât quelque part un ambitieux du genre de 'Abd Allah ibn Maïmoûn pour que se fasse un groupement de toutes les confréries. Celles-ci, jusqu’ici, paraissent être peu ou point susceptibles de se prêter, du moins ouvertement, à un pareil mouvement, bien que, dans l’Afrique du Nord particulièrement, le chef des Sanoûsîs semble vouloir les diriger. Elles se sentent impuissantes à lutter militairement contre les forces de la chrétienté. On doit les surveiller attentivement, mais, pour le moment, on n’a pas à les craindre.

Comment, dans le cadre du mahométisme, s’est constituée cette nouvelle religion qui s’est trouvée répondre admirablement à l'àme orientale et lui donner un aliment plus substantiel que la sèche dogmatique du Coran, c’est ce qu’il conviendrait d'étudier dans un article spécial. On marquerait bien ainsi son originalité, et l’on mettrait en évidence ce fait encore peu connu, qu’aujourd’hui ce n’est pas le mahométisme lui-même, mais le soufisme qui est la religion de l’Orient. Encore enveloppé de ses langes musulmans, si je puis dire, celui-ci a une tendance à s’en dégager ; dans son évolution future peut-être flnira-t-il, comme le bâbisme, par briser les derniers liens qui l’y rattachent. De même que l’isma'îlisme, dont il est la forme mystique, il accueille volontiers des idées chrétiennes, bouddhiques et autres, anciennes, ou modernes. Certain 'ment, si Mahomet revenait au monde, il ne reconnaîtrait pas ses sectateurs dans les derviches de Perse et de Turquie, les faqirs de l’Inde, les khouàns de l’Afrique. Et cependant, presque tous les mahométans modernes appartiennent à quelqu’une de ses associations par affiliation ou initiation. C’est par elles et par leurs pratiques, bien plus que par les cérémonies rituelles du Coran ou de la Sounna, qu’ils connaissent la vie religieuse intense et profonde. Il est donc nécessaire de bien les comprendre.