Dictionnaire de théologie catholique/MAHOMÉTISME – Son développement général. I. Les sources de l'Islam

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 9.2 : MABILLON - MARLETTAp. 85-88).

II. LE MAHOMÉTISME ET SON DÉVELOPPEMENT GÉNÉRAL.

Le mahométisme est la doctrine de Mahomet. Mais ce terme est aujourd’hui peu employé. On dit plutôt islam pour désigner cette doctrine en elle-même et islamisme pour l’ensemble des institutions et des écoles théologiques qui s’y rattachent. Il est également plus correct d’appeler les adhérents à cette doctrine des musulmans et non des mahométans. Le mot musulman, à vrai dire, est une forme tardive, dérivée de l’arabe mouslim qui se rattache à la même racine, qu’islam. Les Persans ont ajouté à l’arabe une terminaison an qui est celle des adjectifs et non pas, comme on le croit, celle du pluriel et il nous a été transmis par les Turcs sous cette forme. — On étudiera successivement :
I. Les sources de la doctrine.
IL L’histoire générale du développement théologique (col. 1582).
III. L'état actuel de l’Islam (col. 1635).

I. Les sources de l’Islam. — La doctrine de l’islam est contenue dans le Coran. L’islamisme y ajoute la tradition hadîth et d’autres éléments variables suivant les écoles. Pour la première source nous renverrons à l’article Coran, t. iii, col. 1772-1835 ; nous nous contenterons d’y ajouter quelques précisions relatives à des points qui ont eu une influence capitale sur le développement de l’islamisme. Bien des manifestations de ce dernier, surtout au début, restent obscures quand on ne les éclaire pas à la lumière de ces points particulièrement importants.

1° Remarques préliminaires. — 1. Caractère eschatologique de la mission de Mahomet. — Mahomet a été profondément déçu et irrité de voir que les Gens de l'Écriture ne reconnaissaient pas sa mission, malgré son caractère évident, la bayuina comme il l’appelle. C’est de ce jour qu’ils sont devenus coupables et un commentateur explique que les Gens de l'Écriture croyaient à un prophète de la fin du monde et que c’est par mauvaise foi qu’ils ne l’ont pas reconnu en Mahomet. Pour les juifs, un tel prophète est le Messie, pour les chrétiens c’est Jésus-Christ, qui doit présider à fin du monde. Mais certains de ces derniers ont voulu voir dans le Paraclet annoncé par le Fils de Dieu un personnage humain, un véritable prophète qui vient achever sa doctrine. Telle fut peut-être l’hérésie de Montan. Or, si Mahomet ne paraît avoir que la plus vague idée du Messie juif, puisqu’il n’hésite pas à donner ce titre à Jésus, fils de Marie, sans d’ailleurs en soupçonner la valeur et, sans se douter seulement que les Juifs l’ont dénié à Jésus — en revanche, il connaît fort bien le Paraclet et déclare nettement que c’est lui-même qui a été désigné par ce nom. Le passasage du Coran doit être rappelé parce qu’il est la clef même du mahométisme (Sourate lxi, 6) « Quand Jésus fils de Marie dit : O fils d’Israël, je suis un Envoyé

de Dieu vers vous, confirmant ce que vous avez auparavant reçu de la Tôra et vous annonçant un Envoyé qui viendra après moi, dont le nom est Ahmad — et quand il leur est venu avec les évidences, bauuinât, ils ont dit : c’est une magie évidente. » Quel rapport y a-t-il entre Ahmad et Paraclet ? C’est que le grec IIap<4xAY]TO< ; doit être lu nspixÀOT6ç « illustre, glorieux », et que tel est le sens du mot Ahmad qui se rattache, comme nous l’avons dit, à la racine hmd « louer, glorifier ». Voilà ce qu’a dit Jésus et les adeptes de sa foi n’ont pas voulu reconnaître le Paraclet Ahmad ! C’est ainsi que j’interprète la fin du verset, bien que par « il » on entende généralement Jésus et non pas Ahmad. Il y a ambiguïté, mais ce n’est pas le lieu de discuter le texte. Ce qui est hors de doute, c’est que, au dire du Coran, Mohammed ou Ahmad a été prédit par Jésus. On comprend alors que son rôle est de mettre fin à toutes les discussions et d'être, suivant la parole de Daniel, le sceau de la prophétie. Dans le Coran il est appelé le sceau des prophètes, ce qui est peut-être une altération postérieure, mais la tradition a conservé le sceau de la prophétie et en a fait assez étrangement un signe physique, une caroncule que Mahomet portait sur l'épaule et que le moine Bahîra découvrit sur lui. Dans la tradition Mahomet répète que sa mission coïncide avec l’heure, c’est-à-dire la fin du monde, et c’est un article de foi qu’on retrouve jusque chez des auteurs du xiie siècle que Mahomet est « le Prophète de la fin du monde ».

La fin du monde, la Résurrection, le Jugement dernier, voilà ce que ne se lasse pas de répéter le Coran dans toutes les révélations antérieures à l’hégire et, dans les autres, il est rare que ces grandes vérités, empruntées au dogme chrétien, ne se retrouvent pas intercalées, quelquefois d’une manière assez inattendues, au milieu de prescriptions relatives à une foule de détails de la vie publique ou privée des musulmans. C’est, on peut le dire, une véritable obsession.

Mais si la tradition lie si étroitement la mission de Mahomet à la fin du monde, il s’en faut que le Coran soit si explicite, soit que ce livre ait été retouché, soit que Mahomet ait eu scrupule de rien affirmer à ce sujet. Dieu qui lui parle par Gabriel semble lui-même très hésitant sur ce point et s’exprime ainsi : « Ou bien nous te ferons voir ce dont nous les menaçons, ou nous te recueillerons, » c’est-à-dire, en somme, e ou tu assisteras à la fin du monde, ou nous te ferons mourir. » Ce qui est une naïveté, si cela ne signifie pas que Mahomet mourra comme tout le monde au moment de la grande catastrophe, ou y assistera vivant. Il est dit, en effet, qu’au jour où sonnera la trompette, ceux qui seront dans le ciel et ceux qui seront sur la terre seront foudroyés sauf qui Dieu voudra (excepter). Mahomet sera-t-il de ceux qui seront exemptés ? C’est sur ce point que Dieu laisse planer l’incertitude.

Mais quand viendra ce jour ? « Si on t’interroge à ce sujet, dit Allah à son prophète, réponds que la science n’en est qu'à Dieu. » Faut-il en conclure que Mahomet admettait que cette époque fût retardée indéfiniment ? Je ne crois pas. Il devait l’attendre, et ses fidèles comme lui, avec la plus grande impatience. Ses adversaires ne manquaient pas de le railler sur cette catastrophe tant annoncée et toujours inexistante. Et on lit dans Je Coran l’inquiétude, l’angoisse même du Prophète, presque le doute que Dieu lui reproche en lui rappelant ses bienfaits, en soutenant sa confiance, en l’exhortant à la patience jusqu'à ce que le Certain lui arrive. Qu’est-ce que le Certain, al-yaqîn, sinon l’heure « en laquelle il n’y a point de doute », comme il le répète souvent.

Tout cela reste vague assurément, mais si le Coran témoigne de quelque hésitation à cet égard, il semble que les musulmans avaient leur opinion faite. Aussi M IHOMÊTISME. SOI RCES DE LA DOCTRINE

Bande fut leur stupéfaction d’apprendre la mort* leur prophète. Us refusèrent d*j croire. n dol eue notre témoin au moment suprême ; Une peut avoir dis paru D’autres prétendirent qu’il av.nl été enlevé

U1 ciel un moment et qu’il reviendrait. Mata un des

principaux disciples de Mahomet.son beau-père Aboû Bakr, intervint et rappela aux musulmans en détresse que le Coran lui-même avait annoncé cette mort. Le fut une surprise ; personne ne se rappelai ! ce verset ; mais on no pouvail mettre en doute laparoled Aboû Bakr que le prophète lui-même avait appelé le vèrl dique. Tout le monde s’inclina.

1e fait a paru étrange a certains orientalistes qui ont conclu a une fraude pieuse et nié l’authenticité du verset Cette authenticité est niée, pour une autre rais.-n. par M. Hirschfeld ; il contient on effet le nom de Mohammed que et autour, nous lavons vu. con sidère comme apocryphe. Sans aller jusqu'à le condamner, Je crois que son interprétation n’est pas celle que lui a donnée Aboû Bakr, et. on tous ois. il est évident, par la lecture du Coran tout entier, que jamais Mahomet n’a pu affirmer qui' mourrait awmi la lin du monde, il no savait pas quand elle arriverait et, par suite, s’il a parlo do sa mort, c’est, soit sous une forme hypothétique, soit comme comprise dans la mort universelle au moment do la catastrophe suivie Immédiatemment do la résurrection universelle,

2 Conséquence. La doctrine du Mahdt. - Quoi qu’il en soit, lo fait olait la. ot les musulmans se diviseront on doux camps, ceux qui no purent se résigner à la disparition do leur prophète do la fin du monde et penseront qu’il allait revenir : ceux qui en prirent leur parti ot songèrent à organiser le monde puisqu’il continuait à vivre. Le prophète ne revenant pas, beaucoup des premiers durent renoncer a leur tour, mais les plus obstinés Imaginèrent de le remplacer. Mais cotait le dernier prophète, on ne pouvait lui trouver qu un succédané : ce fut le Mahdt.OV plus exactement imâm mahdi, celui dont l’apparition est liée à la fin du monde et qui viendra après Mahomet, comme celui-ci,

- le nom de Ahmad le l’araclot. était venu après Jésus-Christ. La conception du mahdisme n’est qu’une forme altérée du paraclétisme coranique, une paraphrase du verset cité plus haut. Voici les paroles que Ton prête a ce sujet a Mahomet dans lo hadith : « La lin du monde n’arrivera pas qu’un homme de ma famille, dont le nom sera comme le mien, ne règne sur les Arabes. » Dans quelques variantes, probablement tardives, on ajoute : « le nom do son pore sera comme le nom du mien. Dans d’autres, il est dit qu’il remplira la terre do justice, comme elle est remplie d’iniquité ; pour les diverses formes voir Bra Khaldûn, Prolégomènes (il, 258 et sq.). Nous avons vu que Mahomet, dans l’incertitude où il était s’il assisterait à Vheure, ne pouvait rien savoir d'événements postérieurs à sa mort : mais je ne crois pas que cette parole qui lui est attribuée soit fausse. Ce n’est que la paraphrase du verset paraclétique sous cette forme : il doit y avoir a la fin du monde un personnage de la famille arabe de… qui s’appellera Mu ! ammad (ou Ahmad) etc. » Ce personnage n’est autre que Mahomet luimême : après sa mort, on a voulu y voir un autre portant le même nom et jouant un rôle, d’abord un peu vague, puis de caractère messianique évident, au moment de la fin du monde. C’est ce personnage, reflet ou mieux doublet du prophète mort, qui s’est appelé le Mahdi. Pourquoi ce nom'.'

Il signifie « le conduit (par Dieu) et il s’est appliqué à l’origine comme épithète a Mahomet lui-même, puis à ses quatre premiers successeurs qu’on appelle les Khalifes râchids marchant droit » et les imâms mahdis. On ne trouve pas mahdi dans le Coran, mais seulement la forme correspondante mouhtadt. le

pense que e’est seulement après 'Ali. lo quatrième

Khalife, que le terme d’Imam mahdi ou mouhtad ! a pris sa valeur particulière pour indiquer le mu khalife par opposition a i.i dynastie omayyade, qui s’empara du pouvoir au dépens des descendants de Ail. Les partisans de ces derniers maintinrent que la souveraineté ne pouvait sortir de cette famille, et il s’ensuivit un schisme politique profond, qui se doublait d’un schisme religieux La*f a de 'Ail, c’est à dire le parti de 'Ail et de ses descendants, devint la Si a par excellence, don les noms de Chlïsme et Chiites passes dans notre langue. Le chlïsme est proprement la forme politique du Mahdisme : la doctrine d’ensemble à la fois politico-religieuse est celle de Vimûmisme, Actuellement le chilsme ne subsiste qu’en Perse et sur quelques points isoles du monde musulman. Partout ailleurs, règne la doctrine opposée dite sounnisme qui

prétend à l’oit hodoxic.

En Europe, on ne connaît guère l’islam que sous la

forme sommité et on considère le eliiïsine comme une hétérodoxie. C’est un point de vue exclusif qui ne parait pas répondre à la réalité historique.

La première préoccupation dos musulmans a été celle de la fin du monde que tout le monde considérait comme Imminente. On voulut en déterminer l'époque et on s’attacha passionnément à dos prodictions qu’on appelait malhama oumaldliim. Ce mot vient de l’hébreu milhamah et le sens particulier que lui donnèrent les musulmans vient d’un croyance rahbinique, adaptée à l’islam peut-être par Mahomet lui-même. Au Messie fils de David, les rabbins avaient ajouté un second Messie descendant de Joseph qui joue un rôle important dans les guerres qui précèdent l’arrivée du fils de David. De là. dans les Midrachim son nom de masoûh milhamah. « le messie do la bataille >. Or, nousavonsvu, d’une part, que Mahomet, en sa qualité do prophète de la tin du monde, s’identifiait à lafois au Messie juif et au l’araclot chrétien, et, d’autre part, qu’il se donnait, entre autres noms, celui de nabi-1 mail, ama « prophète de la malhama ». Il disparaît, mais la malhama musulmane se maintient ; elle a désormais le sens d’apocalypse ; elle est souvent attribuée à Daniel ; plus tard, elledégénère en prédications politiques ou même purement météorologiques, en vulgaires almanachs. Mais à l’origine, elle a un caractère eschatologique exclusif, et, à ce titre, elle préoccupe seule les musulmans. Ce n’est guère qu’une centaine d’années après l’hégire qu’on abandonne cette étude chimérique, pour s’adonner à la science 'ilm. Par ce mot, les musulmans entendent la connaissance de tout ce qui intéresse l’islam, et pour quoi ils ont manifesté dès le début une grande ardeur, ardeur qui s’est communiquée aux autres formes de la science. Lorsque Renan a voulu voir dans l’islamisme un ennemi de la science, il a commis la plus grossière erreur. C’est proprement le contraire. Seulement, ce qui est bien naturel, l’islam considère que la partie essentielle de la science, c’est la théologie, que Renan exclut.

Le 'ilm ou, dans un sens plus restreint, le fiqh, science du droit musulman, paraît avoir été recommandé tout particulièrement par Mahomet. On lui attribue des propos comme celui-ci : i le 'ilm l’emporte en mérite sur la 'ibâda (dévotion). On doit rechercher le 'ilm partout, même en Chine. Les savants, 'oulamû (d’où notre mot uléma par le turc), sont les héritiers .les prophètes, etc. Pourtant il semble bien que lo 'ilm n’ait guère été cultivé avant la fin du ie siècle de l’hégire C’est l'époque dune transformation importante de l’islam. Jusque-là, il a vécu dans une sorte de provisoire, négligeant de se donner un statut temporel, abandonnant a ses sujets non-musulmans les choses de ce monde. Dans leur vaste empire, les musulmans laissent les terres aux peuples conquis et

n’occupent que les postes militaires pour le service du djiliàd ou guerre religieuse. (Du nom de ces postes, les

ribùt, est dérivé le nom demordbit dont nous : ivons fait marabout.) La monnaie esi grecque, latine ou perse ; la comptabilité est entre les mains des Grecs, Coptes ou Perses. Bientôt tout change, tout s’organise. L’orthographe, sinon le texte du Coran, est fixée ; la monnaie devient arabe et musulmane : le hadtth ou tradition est recueilli par écrit, etc. Tout cela paraît s'être produit entre xii et 100 de l’hégire. L’islam s’organise. Ce n’est pas qu’on ait renoncé tout à fait aux idées apocalyptiques, car a ce moment mène circule une singulière prédiction. C’est qne. dit-on, dans le texte même du Coran, le terme de cent ans est i formellement indiqué pour le moment si attendu de la fin des temps, de la grande résolution : la (Initial. Nous en parlerons plus loin, car clic appartient à l’histoire du Mahdîsme.

2° Les sources de lu doctrine islamique. - Lu tous cas, à cette époque, le 'ilm ou fiqhest constitué. En quoi consiste-t-il ? — La science de l’islarifse propose de déterminer les lois religieuses, le licite et l’illicite, toute la législation sociale intimement reliée à la nouvelle religion. Les hases fondamentales en sont : 1. le Coran ; 2. le hadtth ; 3. l’idjtihâd.

1. Le Coran.

- Nous en connaissons déjà la doctrine ; il convient de dire ici comment le texte s’en est établi, car il semble bien que la forme définitive, telle qu’elle est reconnue aujourd’hui, au moins par les sommités, est assez tardive.

a) Voici d’abord ce qu’en disent les musulmans. Mahomet ne sachant pas écrire, dictait ses révélations au fur et à mesure à des secrétaires qui les transcrivirent sur les objets les plus disparates, feuilles de palmier, fragments de cuir ou de pierre, os de chameaux. Après sa mort, on ne songea pas à les réunir ; on s’en rapportait à la mémoire de quelques-uns, qu’on appelait les porteurs de Coran. Mais, dans les guerres qui suivirent, beaucoup d’entre eux ayant péri, 'Oiimar suggéra au premier successeur de Mahomet, Aboù Bakr d’en faire une recension écrite, et celui-ci en chargea Zeïd ibn Thàbit qui avait été, jeune encore, un des secrétaires de la révélation. Ce qu’il fit. A vrai dire, d’autres récits affirment que quatre des disciples de Mahomet avaient déjà fait cette compilation du temps inêmî de celui-ci — ce qui infirme beaucoup l’autorité de Zeïd ibn Thàbit seule source du premier récit ; d’autres indices y sont défavorables. Mais ce fut le plus généralement adopté. Le manuscrit de Zeïd resta entre les mains d’Aboû Bakr, puis, après sa mort, passa à son successeur 'Oumar, et enfin à Hafsa, fille de ce dernier. Sous 'Outhmân le successeur de 'Oumar, il y eut de nombreuses versions rédigées par d’autres musulmans et on craignit qu’il ne se produisit dans l’islam des divergences semblables à celles qu’on reprochait tant au christianisme et au judaïsme. 'Outhmân intervint et décida de confier à une commission de quatre personnages le soin d'établir un nouveau texte fondé sur la version d’Aboû Bakr, qu’il fit prendre chez Hafsa. Zeïd ibn Thàbit faisait partie de la commission ; le texte une fois établi, on rendit le manuscrit à Hafsa. Sur l’exemplaire type, des copies furent exécutées et ordre fut donné de détruire tout Coran, feuillet ou volume, en dehors de ses copies. On ne nous dit pas si cette destruction atteignit les fragments divers où les premiers secrétaires de Mahomet avaient.de sa bouche, recueilli les révélations, ni ce que devint le manuscrit de Hafsa. Tout fut-il impitoyablement brûlé? Il semble que non, les anciens commentateurs faisant allusion à des variantes de texte dues au manuscrit de Hafsa, ou à celui d’Ibn Mas’oûd, un des plus savants disciples de Mahomet, qui, dit-on, refusa de souscrire à

la recension de 'Outhmân. Il y avait aussi des divergences sur la lecture, les voyelles, qui jouent un rôle important dans la syntaxe arabe, n'étant pas représentées dans l’alphabet sémitique. Un certain Aboû-1 Aswad ad Dou’all (mort en <i ! t llég. ou, dit-on, vers 100) inventa les signes-voyelles adoptés depuis, avec quelques variantes, dans l'écriture arabe ; on ne nous dit pas comment ils furent appliqués au Coran. Mais les consonnes elles-mêmes pouvaient se confondre entre elles : il fallut inventer les points dits diacritiques pour fixer la prononciation dans beaucoup de cas douteux. Ce fut environ 40 ans après la recension de 'Outhmân qu’on procéda officiellement a ce nouveau travail. Ce lut sous le khalife 'Abd al Malik (Hég. 65-86) que le gouverneur de la ville de Koùla, le fameux I Iadjdjàdj y fil procéder. Le texte, ainsi composé est resté ne varietur. Les exemplaires les plus anciens que l’on connaisse ne remontent pu au delà de cette époque ; il n’est même pas certain qu’il en ait survécu d’antérieurs au iie siècle de l’hégire.

b) Telles sont les données traditionnelles acceptées par tous les musulmans sommités et que les orientalistes, comme Sale, Nôldeke, etc., ont reprises à leur compte. Nous avons déjà indiqué quelques points suspects ; il faut ajouter que certains musulmans ont jadis contesté l’authenticité du texte transmis aujourd’hui. Les uns ont déclaré que tel récit était indigne d’un livre sacré et devait en être retranché, d’autres qu’on avait interpolé des allusions favorables à Aboù Bakr, qu’en revanche, on avait supprimé tout un chapitre nettement favorable à 'Ali. On a rapporté aussi que tel des secrétaires de Mahomet avait trahi la pensée de son maître, et même que Satan avait introduit dans la révélation des versets scandaleux en l’honneur de divinités païennes de la Mecque, versets d’ailleurs enlevés (par qui ?) de la recension actuellement suivie. Mais, ce qui est plus grave, c’est que nous avons sur la façon dont s’est constitué le Coran, un véritable réquisitoire prononcé, il est vrai, par un Arabe chrétien, mais qui affirme ne parler que conformément aux dires des musulmans de son temps. Il s’agit de Ya’qoub al Kindî, qui écrivit, vers 204 de l’hégire, une réfutation en règle de la religion musulmane, à laquelle un mahométan de sesamisvoulaitleconvertir. Voicison récit :

Les musulmans, d’après lui, rapportent que le premier exemplaire était celui qui était chez les Koreïchites (tribu de Mahomet) et que 'Ali en ordonna la saisie pour le soustraire à toute addition et suppression. C'était la copie, conforme à l'Évangile, que Mahomet avait reçue de Nestorius (appelé aussi Sergius) appelé par les musulmans tantôt Gabriel et tantôt Esprit-Saint.fL’auteur avait dit plus haut que, après Sergius, deux docteurs juifs 'Abd Allah et Ka’b avaient exercé leur influence sur Mahomet, et qu’après sa mort, ils s'étaient entendus avec 'Ali pour falsifier le Coran. C’est une opinion qui lui est personnelle ; mais revenons à ce qu’il rapporte d’après les musulmans eux-mêmes). Il y eut, tout d’abord, des divergences de lectures : il y avait la version de 'Ali, d’Ibn Mas’oûd, d’Oubay et celle des Koreïchites (qui semble être celle de Zeïd ibn Thàbit). 'Outhmân intervint, mais ne put arriver à supprimer les versions de 'Alî et d’Ibn Mas’oûd. Puis, vint al Hadjdjâdj qui fit une nouvelle recension avec larges suppressions, en particulier celle des noms de contemporains de Mahomet qui étaient présentés dans le Coran sous de fâcheuses couleurs. Tous les exemplaires non conformes furent plongés dans l’huile bouillante. Ainsi la version courante serait, non pas celle du khalife 'Outhmân, mais celle, bien plus tardive, d’al Hadjdjâdj. MAHOMÊTISME. HISTOIRE DU DÉVELOPPEMENT

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Divers Indices semblent confirmer ce p » int de vus al donner a l'œuvre de ce dernier personnage une Importance capitale. Je ne puis les énumérer Ici ; Je me contenterai *t<.- remarquer que le nom de kouflque ., été donm a l'écriture des anciens Corans, ce qui semble bien indiquer la vlUe de Koûfa comme leur ne. Ajoutons que la lettre de Ya’qoub al Klnd ! hit connue des chrétiens d’Espagne et traduite en latin, qu’un résumé en a été donné par Vincent de Beauvais, dans son Spéculum historiale, . X.XIV. Par t-ll'. les auteurs du Moyen Vge lurent mieux instruits sur quelques p 'int> de l’Islamisme que nos orienta listes modernes

Quoi qu’il en soit de la façon dont fut établi le texte canonique, il est certain qu’il n’a prissa forme définitive, que vers 80 de l’hégire, à Koûfa, el que les remaniements qu’il a subis ont dû être très profonds Il ne reflète donc que très i m parfaitement la pensée du prophète arabe. Mais les musulmans l’acceptent comme parfaitement authentique dans toutes ses parties el co nme « .'tant la parole de Dieu, kalâm Allah, transmise i omet par l’ange Gabriel. C’est là qu’ils trouvent les principales règles de leur vie publique et privée, ime bien des points restent obscurs, comme bien des questions n’y sont qu’imparfaitement traitées ou même sont passées sous silence, ils onl recours a une autre source écrite, d’une valeur moindre, il est vrai, car elle est d’origine humaine et non divine, ce qu’ils appellent le hadtth.

Le hadtth. — La constitution de cette seconde source est a-.seI. obscure. Si on peut admettre qu’il y eut d’assez bonne heure, des versions écrites, au moins partielles, du Coran, il semble bien qu’il y a eu chez les premiers musulmans la plus grande réputée a constituer un second livre. On rapporte que, peu de temps avant sa mort, Mahomet voulait rédiger u i écrit qui mettrait les musulmans à l’abri de l’erreur. 'Oumar protesta en s'écriant : i La douleur notre prophète : nous avons le livre de Dieu de Coran), il nous sullit. < Les assistants se divisèrent en deux partis : les uns étaient de l’avis de 'Oumar mires au contraire, voulaient obéir à Mahomet. Celui-ci. ne voulant pas de dispute en sa présence renvoya tout le monde et le livre ne fut pas écrit. C’est la condamnation formelle du hadtth, non seulement écrit, mais même oral. Ce mot. en effet, désigne l’ensemble des propos attribués au prophète, et dont il a bien fallu s’autoriser pour combler les lacunes du « livre de Dieu », au fur et a mesure que ces lacunes devenaient de plus en plus sensibles. Ceux qu’on Interrogeait sur telle ou telle pratique recouraient d’abord au Coran pour répondre ou, tout naturellement, à ce qu’ils savaient ou ce qu’ils avaient entendu dire de la façon dont le prophète l’avait exercée : c'était ce qu’on appelait la sounna, la voie, c’est-à-dire la coutume suivie par Mahomet. On y ajoutait plus tard la sounna des compagnons de Mahomet, mais beaucoup lui contestaient toute autorité. De toute façon. pendant longtemps, ces enseignements n’eurent, semble-t-il. aucun caractère officiel et, comme l’avait prévu Aboù liakr, l’accord ne devait pas régner sur tous les points.

dément sur l’ordre du khalife 'Oumar II (Hég 18-101) qu’on se décida a recueillir, par écrit, tout ce qui se racontait entre 'oulamfl et qui servait de base aux consultations juridiques, ce qu’on appelle les fatwa. Le premier auteur de cette compilation fut Mouhammed ibn Chihâb, connu aussi sous le nom « taI. ZouhrL mort en 121 de l’hégire. Il semble que cette première compilation n’ait d’abord contenu que deux à trois cents traditions : mais le nombre ne devait pas tarder à s’en multiplier prodigieusement. Après lui. d’autres distribuèrent le hadtth en chapitres,

et c’est, sous cette foi nie..pie sont rédigés, pour la plupart, les recueils connus.

Voici les principales matières qui ysonl traitées, dans l’ordre généralement suivi : La religion ; la pureté ; la prière ; les funérailles ; la dtme ; le jeun.' : le pèlerinage ; le man. me : udivorce ; les ventes et différents contrats (louage, associations, dons, etc.) ; les testaments, tutelles et successions : lescrinics et délits, la guerre s. mite ; la nourriture ; les boissons : les vêtements ; les bonnes munis ; la science ; les mérites du Coran ; les mentes.lu Prophète et de ses disciples ; les signes.le la fin du monde : le paradis : l’enfer. Sur toutes ces questions, ont ete soigneusement recueillis

les propos de Mahomet, ses propres pratiques attestées par ses compagnons, le tout généralement présente sous la forme d’une suite de témoignages non interrompue. C’est Cette suite de témoignages (pu confère à la tradition son autorité : <"i l’appelle soutien, isndd.

Malgré tout, la réunion de tant de documents disparates ne suffisait pas a trancher toute question. On avait alors un troisième procède : l' idjtihdd.

A L’idjtthâd. - C’est le droit de suppléer par les lumières de la raison aux lacunes du Coran et du hadtth. Cette institution est fondée sur un hadtth célèbre. Mou'àdh ibn Djabal, un des compagnons de .Mahomet, v raconte que celui-ci le chargea d’une mission dans le Yénicn. i Comment agiras lu quand il se présentera une difficulté? lui dit le prophète. Je me prononcerai d’après ce qui est dans le livre de Dieu. Mais si la solution n’y est pas ? - Alors, par la sounna du prophète de Dieu. Mais si elle n’y est pas davantage ? -Alors, j’appliquerai mon jugement, ad/f ahidou râyga, et ne me déroberai pas. A ces paroles, ajoute le narrateur, le Prophète me frappa la poitrine en disant : « Louange a Dieu qui a donné à son envoyé un envoyé qui répond si bien a son désir. » Il paraît bien difficile d’admettre que Mahomet ait lui-même parlé de sa sounna : il est plus probable que si le hadtth n’est pas entièrement controuvé, les seules parties authentiques sont dans la première et la troisième solutions et que la seconde y a été insérée plus tard, quand la sounna de Mahomet a été officiellement constituée..Mais la théorie est exposée ici avec la plus grande netteté.

Il est clair que Vidjtihâd ne pouvant s’exercer qu’en l’absence de texte soit du Coran, soit du hadtth, nul ne peut v prétendre s’il ne possède à fond la connaissance de l’un et de l’autre. Mais sous quelle forme et dans quelles limites peut-il être exercé'.' Des règles sévères ont été posées plus tard comme pour la critique du hadtth ; mais, au début, on peut penser que Vidjtihâd fut exercé avec la plus grande liberté.