Dictionnaire de théologie catholique/MAGIE IV. Magie et religion

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 9.2 : MABILLON - MARLETTAp. 62-70).

I Magie et Religion.

Il nous faut enlin examiner ta problème des relations historiques entre la magie et la religion. Il se ne rapporte que partielle ment a la théologie, niais, nous î'aVOM remarqué an début, de nos jours il passionne tellement les esprits qu’on a juge indispensable de le traiter d’une façon sommaire.

I.a magie est un phénomène fréquent, on peut dire universel, i La magie, dit Hegel, on la rencontre clic/ t. ois les peuples et dans tous les temps, i Philosophie

de lu religion, trad. Véra, Paris, int.s, t. ii, p. i :.

Nous avons tait pareille constatation dans la 1 [ partie, fout au plus, convient-il, pour ne pas dépasser les prémisses fournies par l’histoire et les sciences auxiliaires, d’atténuer légèrement L’affirmation de Hegel, et de dire, pu exemple : « La magie semble avoir existé, plus ou moins développée, chez tons les peuples, dans tous les temps. > Avec un correctif semblable, on peut laisser passer cette assertion de M. Goblel d' Alviella : « Nous ne sommes pas embarrassés pour retrouver des traces d’animisme chez tous les peuples sans exception, du présent et du passé. » llei’ur d’histoire des religions, t. i.xi, p. 2.

Mais une question autrement importante que celle de la fréquence de la magie ou de l’animisme ou d’un alliage des deux dans des proportions indéfiniment variables, est cette question-ci : La magie est-elle à l’origine de toutes les religions'? Les religions sont-elles sorties de la mugie par voie d'évolution (magtsme), ou, religions et magie sont-elles sorties d’un stade antérieur d’indifïérenciation, que l’on a appelé le prémagisme ? Voir F. Bouvier, Magie et magisme, dans Diclionn. apolog., t. iii, col. t17 sq.

Ici, une remarque s’impose une fois pour toutes. Au magisme ou au prémagisme pur beaucoup d’auteurs préfèrent l’animisme ou le préanimisme, souvent mélangé de magie. C’est pourquoi, tout en nous occupant aussi exclusivement que possible de magie et de magisme, nous serons amenés plus d’une fois à parler d’animisme. L’animisme auquel nous avons affaire est, on le sait, une tendance et un système : tendance a peupler la nature d'êtres plus ou moins semblables à l’esprit de l’homme ; système qui explique tons les phénomènes par l’action de ces esprits. Cf. art. An « misme, dans Diclionn. apol., 1. 1, col. 128 sq.

Depuis cinquante ans et jusqu'à ces toutes dernières années, les théories qui voyaient dans la religion un phénomène dérivé, un produit de l'évolution, étaient les seules réputées scientifiques dans le monde savant. Magisme ou prémagisme. animisme ou préanimisme étaient respectés de tous, exaltés ou redoutés, suivant les préférences, les tendances profondes de chacun. Les partisans de l'école évolutionniste et déterministe considéraient ces systèmes comme établis, dans ce sens général que les religions devaient leur origine à l’une ou à l’autre : c'était là une vérité désormais acquise. inattaquable. Devant les affirmations tranchantes et bruyantes, bon nombre d’historiens ou de philosophes, sans conviction personnelle très arrêtée, étaient hypnotisés, suggestionnés, ou se tenaient cois. Il fallait du courage pour douter, pour attaquer ; le courage ne suffisait pas, il fallait des armes. Ces armes, un homme entre autres, plus que les autres, sut les forger et les manier avec compétence, avec dextérité, avec vaillance ; cet homme fut Andrew I.ang. o Ce fut un acte de bravoure, une hardiesse considérable, lorsque, en 1898, A. Lang s’opposa tout seul à cette phalange (des évolutloimistes) et l’arrêta par son livre célèbre, The. maklng of religion… Dis lors on put défendre des thèses anli évolutioiinistes sans perdre aux yeux des hommes de science, ses droits civiques. L535

MAGIE, RAPPORTS AVEC LA RELIGION

1536

W. Schmldt, Semaine d’Ethnol. religieuse 1922, p. 31. Une étude historique détaillée de la querelle demanderait de longs développements ; elle serait hors de propos et hors de proportion. Pour le but de cet article, il suffira sur le problème général : la magie est-elle à l’origine des religions ? de répondre à une triple question :

1. question de necessario : Est-ce nécessaire ?

2. question de possibili : Est-ce possible ?

3. question de facto : Est-ce un fait établi ?

1° Est-il nécessaire de mettre la magie à l’origine des religions. — La nécessité d’une évolution fixe et constante relève non de l’histoire, mais de la philosophie : elle est fonction d’une certaine philosophie. L'évolutionnisme rigide, déterministe, idéaliste ou matérialiste suivant les cas, englobe logiquement la morale et la religion. Les idées religieuses, tout comme les autres, se développent peu à peu, se différencient, se perfectionnent, du simple au complexe, de l’implicite à l’explicite, des conceptions grossières aux conceptions plus raffinées. Du commencement à la fin, nous assistons à un processus psychologique et logique, à un développement mental, à une série de représentations subjectives, relatives, dont l’objet, s’il existe, reste complètement inconnu ou peu s’en faut : il disparaîtrait que l'évolution mentale continuerait à progresser suivant sa formule. Il ne manque pas de croyants, de catholiques même, qui admettent une certaine évolution dans le monde visible, mais l'évolutionnisme qui nous occupe ici est l'évolutionnisme agnostique ou même franchement athée. Ses tenants doivent bien expliquer les idées religieuses par autre chose que par un objet pour eux pratiquement irréel.

Quelques citations sont indispensables pour préciser la position évolutionniste. La loi de H. Spencer est fameuse : « Ce qu’il y a de commun aux intelligences dans toutes les phases de la civilisation doit appartenir à une couche plus profonde que ce qui est spécial au niveau supérieur, et si ces dernières manifestations peuvent s’expliquer comme une modification et une expansion des autres, il est à présumer que telle est bien leur origine. » Sociology, 1. 1, § 146 ; cf. Recherches de science relig., t. ii, p. 66 ; Revue d’histoire des religions, t. lxi, p. 10.

Ainsi formulé, ce principe ne semble pas diamétralement opposé à la vérité, nous le dirons bientôt ; mais il est faux à cause du déterminisme strict, du subjectivisme et du relativisme qu’y mettent Spencer et beaucoup d’auteurs avec lui. Expression de ce déterminisme, par exemple chez Goblet d’Alviella : « Si on soutient qu’ils (les Primitifs) professaient le monothéisme, il reste à expliquer comment ce monothéisme s’est formé, et l’on n’aura ainsi que reculé le problème. D’ailleurs, il y a connexité entre les branches de la culture humaine : pour toutes les autres, on admet que l'évolution s’est opérée dans une direction progressive. Pourquoi la religion ferait-elle exception ? » Rev. d’hist. des relig., t. lxi, p. 16. Expression de ce relativisme, par exemple chez F.-B. Jevons. Pour cet auteur tout s’explique par l'évolution de l’idée de Dieu : « Si le monothéisme supplante le polythéisme, c’est parce que, à l’expérience, on trouve en lui une interprétation plus fidèle de l’idée de Dieu, que le polythéiste lui-même a dans son âme. » The idea of God in early religions, Cambridge, 1910, p. 155 fin. L’auteur est peut-être un croyant, pour son propre compte ; mais ici il semble ne pas même envisager la question de la valeur objective de l’idée de Dieu, et il prétend tout expliquer par une loi de développement intérieur. Plus récemment, et plus clairement, un ingénieur français, A. Longuet, affirme et suppose comme indiscutables ces deux caractères, déterminisme et relativisme : « Il faut commencer, dit-il, par se représenter

quelles ont dû être les conceptions divines de l’humanité primitive, d’après ce que l’on peut savoir de la nature de ses facultés intellectuelles. » L’origine commune des religions, Alcan, 1921, p. 3. « Or, poursuit l’auteur, le caractère propre de la pensée est la discrimination : penser, c’est distinguer. Et comme la distinction la plus simple est celle de deux notions, il faut nécessairement que les premiers hommes aient eu deux divinités, et deux seulement. » P. 4-37.

Enfin, un auteur américain, E. W. Hopkins, dans un livre paru en 1918 et réédité en 1923, Origin and évolution of religion, Yale University Press, rattache sans hésiter, l'évolution religieuse à l'évolution universelle. « Toute religion est le produit d’une évolution humaine et a été conditionnée par le milieu social. Dès lors que l’homme s’est développé en partant d’un état plus bas que l'état sauvage lui-même, et a été un temps, sous le rapport intellectuel, un simple animal, il est raisonnable de ne pas lui attribuer dans cet état plus de conscience religieuse que n’en possède l’animal. » P. 1.

Tous ces auteurs et bien d’autres ne s’entendent pas sur la nature des premières étapes de l'évolution religieuse, magisme ou prémagisme, animisme ou préanimisme ; et pour arriver à cette dernière précision, ils font appel en général à l’expérience et non au seul raisonnement : il faudra y revenir en traitant la me question. Mais ces mêmes auteurs semblent d’accord sur deux points : l'évolution est nécessaire en religion comme partout ailleurs ; la religion fondée sur la croyance à un ou à des dieux personnels dont l’homme dépend, n’est pas, ne peut pas être primitive.

Or, ces affirmations peuvent être impressionnantes, convaincantes même pour qui admet la philosophie avec laquelle elles font corps. Ébranlée cette philosophie, elles perdent elles-mêmes toute solidité, et, sous leur forme absolue, toute vraisemblance.

Le P. Lagrange, dans ses Études sur les religions sémitiques, 2e édit., Paris, 1905, recherche l’origine du sentiment religieux : « L'école évolutionniste ne sera pas embarrassée, dit-il ; sa formule explique tout. Toute forme supérieure sort nécessairement d’une forme inférieure : le monothéisme est sorti du polythéisme, comme le polythéisme est sorti du polydémonisme. Malheureusement pour la formule, s’il est impossible de montrer comment l’idée d’un dieu a évolué de l’idée d’un esprit, il est encore plus impossible de retrouver dans l’histoire un seul cas de monothéisme issu du polythéisme. » P. 24. L’auteur sent qu’on va lui opposer le cas de la religion hébraïque ; et il voit dans ce cas précisément une exception merveilleuse, qui se tournera en argument apologétique. Le P. Lagrange et les auteurs catholiques en général ne sont pas les seuls à protester contre le principe de Spencer. Voici Lévy-Briihl, qui, dans Les fondions mentales dans les sociétés inférieures, Paris, 1910, fait sur ce principe les plus expresses réserves : « Je doute qu’on puisse le démontrer en ce qui concerne la matière. En ce qui touche la pensée, ce que nous connaissons des faits tendrait plutôt à le contredire. » P. 11, 12. Et A. Loisy, dans sa Religion d’Israël, 2e édit., 1908, p. 64, reconnaît le caractère conjectural de toute la théorie : « Le concept d'évolution religieuse n’est, à le bien considérer qu’une hypothèse, une théorie propre à encadrer les données principales que fournit l'étude des religions. — Mais on doit se garder de prendre ce cadre abstrait pour la loi nécessaire et le programme infaillible de toute l’histoire religieuse, attendu que l’histoire ne montre pas une application constante de cette prétendue loi. »

Les vrais savants, dans l’ensemble, deviennent de plus en plus modestes dans leurs affirmations. Même ceux qui parlent plus ou moins en déterministes ou MAGIE. R APPORTS IVEI LA RELIGION

en relativistes, tentent de plus en plus vivement la témérité qu’il y aurait à vouloir applique ! aux phénomènes psychologiques des formules trop simples, trop uniformes, trop r i m « 1 1- s.

1922, un autour américain, A. Goldenweisar, dans un livre remarqué, Early civilisation, NewYork, après avoir admis que la notion d’un dieu Père de tous i {.ll Father) est. malgré son ancienneté, une notion d’emprunt, reconnaît bien vite que cotte ailiraaatlon est une hypothèse. < Après tout, psychologiqueincnt, il n’est pas impossible qu’une Idée plus on moins

ic d’un Être supérieur so soit développée parmi do-, tribus primitives, a la même époque à pou prêt nue l’animisme, la magie, et d’autres formes de

ance primitive. P. 211 En rendant compte de l’opuscule de A. Longuet, dont il a ouquestion plus haut. R. KregUnger mot

garde les savants contre le danger d’admettre a priori que révolution île tous les peuples a dû suivre les nu-nii I que les nations civilisées d’au jourd’hui ont dû passer par un état semblable a celui où continuent a végéter les non civilisées. > Hev.d’hist. des rtlig., 1. 1 xxxvi, p. 211. < En général, contlnue-t-11, l'évolution dos religions s’est faite d’une façon beaucoup moins logique que M. Longuet ne le suppose : - it moins des idées que des sentiments, dos aspirations, des désirs qui déterminent le mouvement religieux. » Évidemment, ces derniers mots sont cités non comme répondant à la réalité, mais pour montrer que le critique, en protestant contre les certitudes de certains évolutionnistes, n’obéit a aucune préoccupation dogmatique ou apologétique. Cf. une étude approfondie de la méthode anthropologique ancienne, a priori et systématique, et de la méthode anthropologique nouvelle, positive et historique dans l’ouvrage remarquable du P. Pinard de la Boullaye, L'élude comparée des religions, t. ii, c. v et

Ce n’est pas à dire qu’il ne puisse pas y avoir un mot de vrai dans la doctrine évolutionniste ; mais quand on aura enlevé a la loi de Spencer son déterminisme et son relativisme, on se trouvera eu face « le la loi générale du progrès. Or, pareille loi peut être admise, si l’on se borne à parler de la connaissance naturelle de Dieu. Le R. P. Schmidt reconnaît un fond de vérité au principe de Spencer ; seulement, dit-il, les notions primitives ne sont pas les plus basses, mais les plus simples : ainsi, il peut y avoir un théisme et même un monothéisme, très rudimentaire. W. Schmidt, L’origine de l’idée de Dieu, trad. française dans Anthropos., t. iii, et sq. Cf. Rech. de science relig., t. ii, p. 95, 97. Les exemples trouveront leur place dans la m* question, la question de fait.

Cette légère concession au principe de H. Spencer est une constatation de bon sens ; elle n’est nullement une concession faite à l'école évolutionniste et elle ne saurait la satisfaire. Car enfin, ce que veulent nos adversaires, les partisans de l'évolution intégrale, c’est établir un système d'évolution universelle, qui

; de jusqu'à la religion et à la morale, qui se

passe absolument d’un Dieu personnel, créateur, providence, et qui explique l’idée de ce Dieu par une évolution toute subjective, réaction psychologique, individuelle ou collective, devant les phénomènes de l’univers, réaction indépendante de tout objet extérieur, sauf peut-être cette légère excitation, cette relation de conséquent à antécédent ; et donc, interprétation humaine à laquelle ne répond aucun objet, aucun objet du moins dont on puisse affirmer quoi que ce soit avec certitude. Ainsi, ce qui rend le sy s tème évolutionniste absolument inacceptable pour la foi et même pour une saine philosophie, c’est son déterminisme strict, et, sur le problème de l’existence de

Dieu, son relativisme, son agnosticisme, voire son athéisme. Purifié do toutes cet tares, le principe de l'évolution peut avoir quelque utilité, quelque vérité, mais oo n’est plus du tout | « système évolutionniste

dont nous parlons.

on va se demander maintenant Jusqu'à quel point, ou matière religieuse, une certaine évolution est possible et si oiio est historique. Plus précisément, on so demande si une religion caractérisée par la croyance à la divinité et, secondairement, par le culte de cette divinité car le grand problème qui passionne et qui divise les historiens dos religions est celui de l’origine et do la valeur de la croyance à la divinité - - on se demande si une pareille religion a pu sortir d’un étal antérieur magique ou proinagique (W question), et si l’histoire des religions offre dos exemples d’une pareille transformation (nr" question).

2 " Est-il possible de mettre la manie à l’orii/inc des relit/ions ? — A cette deuxième question, ni la foi, ni la raison, semble-t-il, n’imposent péremptoirement une réponse négative.

Au préalable, néanmoins, il faut que l’on admette dans le passage d’une conception a l’autre, un progrès vers la vérité, vers la réalité, un progrès justifié et causé par la vérité, par la réalité : le monde conçu comme emprisonné dans un système de forces mystérieuses et aveugles (magisme ou prémagisme), ou bien de forces conscientes, mais amorales et dont l’homme ne dépend pas en droit (animisme ou préanimisme) est un monde irréel et faux ; tandis que le monde, conçu comme dépendant d’un être personnel et transcendant, est le vrai monde où la religion et la morale trouveront leur fondement et leur place.

On peut se représenter d’une façon vraisemblable par quelles démarches l’esprit humain s'élèverait des notions les plus grossières à celle d’une divinité transcendante. L’homme a l’expérience de forces extérieures qui le dominent, bienfaisantes parfois, parfois brutales et cruelles ; alors, il essaye de les dompter par des pratiques que, pour des raisons ordinairement futiles, pour une relation de ressemblance ou de contiguïté, il croit efficaces ; bientôt, par anthropomorphisme, il attribue ces forces à des esprits, qu’il essaie encore d’influencer, de séduire ; enfin, après avoir constaté trop souvent l’impuissance de ses formules, de ses recettes, il recourt à la prière, il implore : la religion est née ; au même stade de développement — et ce trait semble, plus fondamental, plus essentiel — il en arrive à la croyance en un être transcendant, créateur ou du moins organisateur, architecte du inonde, sans que sa croyance — c’est un fait — s'épanouisse toujours en religion, en culte, en prière. Telle est à peu près la suite imaginée par J.-G. Frazer : « Une tardive reconnaissance de la fausseté et de la stérilité de la magie porta les hommes les plus réfléchis à rechercher une théorie plus vraie de la nature et une méthode plus fructueuse pour utiliser ses ressources… Si le vaste monde allait son chemin sans le secours de l’homme, c'était sans doute qu’il existait d’autres êtres semblables à l’homme, mais beaucoup plus forts. C'étaient eux qui faisaient souiller îe vent, briller l'éclair, gronder le tonnerre. Vers ces êtres puissants, l’homme se tournait pour les implorer. » The magie art, 1. 1, p. 237-249.

La raison ne voit donc pas pourquoi un même esprit humain, un même groupe d’hommes ne s'élèverait pas par ces phases successives au monothéisme luimême. Mais c’est à l’histoire des religions à nous dire si, de fait, pareil progrès a jamais été constaté ou du inoins si l’on est conduit a l’admettre a posteriori, parce que les peuples les plus primitifs se présenteraienta nous, dénués de toute croyance en unedivinlté suprême. ir, 39

MAGIE, RAPPORTS AVEC I. RELIGION

1540

3° En fait la magie est-elle à l’origine des religions ? — 1. Remarques préliminaires. - La parole est à l’histoire. Or, l’histoire doit commencer par avouer son impuissance à apporter un seul exemple de pareille ascension, c’est-à-dire de passage spontané du magisme ou de l’animisme au polythéisme ou au monothéisme.

Cette constatation est faite par le R. P. Lagrange, Éludes sur les religions sémiligues. Voir col. 1536. Avant lui, Zockler, art. Magie, dans Protest. Rcalencyclopædic, t. xii, p. 57, n’hésitait pas à affirmer que pareille ascension, par exemple du fétichisme ou de l’animisme à un état religieux plus haut, n’a jamais été observée. Et Zôckler concluait généralement qu’au point de vue de la civilisation comme au point de vue de la religion, les peuples dont toute la religion consiste dans le fétichisme ou dans les superstitions polydémonistes, sont inaptes à se développer.

Il reste bien entendu que nous parlons de développement spontané, et non de brusque progrès, qui s’explique par un apport extérieur, par une révélation vraie ou supposée, comme c’est le cas des Israélites ou des musulmans. Mahomet prétendait faussement avoir reçu des révélations, mais il s’inspirait très réellement de la révélation juive et de la révélation chrétienne. Voir ci-dessous art. Mahomet col. 1574.

Mais si l’histoire est incapable de prendre sur le fait un peuple passant, grâce à une évolution interne, lente et continue, d’un état magique ou animiste au polythéisme ou au monothéisme, ne peut-elle pas du moins établir que les peuples primitifs sont tous plongés dans la magie ou dans l’animisme ? D’où il faudra conclure que, puisque certains peuples sont aujourd’hui polythéistes ou même monothéistes, il doit y avoir entre ces différentes étapes une route praticable, bien que le tracé nous en échappe.

Quand même l’histoire établirait que les peuples dits primitifs sont vraiment des primitifs et non des dégénérés, et que, totalement adonnés à la magie, à la sorcellerie, ils n’ont nulle connaissance d’une divinité personnelle, quand même tout cela serait prouvé, aucune thèse essentielle de la théologie ne croulerait : ni celle de la possibilité de la révélation ; ni celle de la révélation originelle, laquelle aurait pu, dans la suite des temps, subir une éclipse totale, au moins chez un très grand nombre de peuples ; ni celle de la possibilité de la connaissance naturelle de Dieu. Cette thèse, qui peut paraître menacée, parle non du fait, mais de la possibilité ; or, la possibilité de connaître et le fait de ne pas connaître ne sont pas contradictoires. Il est vrai que, d’après l'Écriture et la tradition, la connaissance naturelle de Dieu est non seulement possible mais facile ; donc, elle doit se rencontrer souvent. Oui, à la condition que soient vérifiées les conditions normales dans lesquelles l’intelligence humaine arrivera à un développement déterminé ; or, parmi ces conditions, il peut y avoir un certain degré de civilisation, que n’auraient pas encore atteint les Primitifs.

Avant d’entrer dans un exposé et un examen rapide de la condition des Primitifs au point de vue religieux, telle que peut la déterminer l’histoire, il convient de préciser, une fois pour toutes, qui sont ces « Primitifs ». Il ne saurait être question du premier, ni des premiers hommes absolument. De ceux-ci, l’histoire ne sait rien ; par la foi, nous croyons que le premier homme avait reçu la révélation du Dieu véritable ; et cette révélation n’a pu s’effacer de son esprit, ni, du jour au lendemain.de l’esprit de ses descendants. En ethnologie, en histoire des religions, on parle des « Primitifs », dans un sens tout relatif : on donne ce nom aux peuples les plus anciens dont on puisse relever la trace, aux peuples les plus anciens que l’on puisse connaître un peu. De ces peuples, les uns ont

disparu, ne laissant de leur civilisation, de leur religion que des vestiges, souvent rares et énigmatiques ; les autres se sont perpétués jusqu'à nos jours, et leurs descendants actuels semblent en être restés au degré de développement intellectuel et religieux de leurs lointains ancêtres. Mais au delà, plus haut que ces lointains ancêtres, que rencontrons-nous, que rencontrerions-nous si nous rencontrions quelque chose ? La réponse à pareille question n’est pas du domaine de l’histoire ; et les vrais historiens le savent bien. « Scientifiquement, nous ne connaissons rien des origines naturelles de l’homme. » J. de Morgan, Lespremières civilisations, p. 44. « Je n’affirme pas, je ne nie pas l’existence d’une race absolument sans religion ; mais, si nous la trouvons, serons-nous certains qu’elle n’a jamais eu de religion dans les temps antérieurs ? » A. Lang, The origins of religions and other essays, Londres, 1908, p. 111.

A propos des « Primitifs » ainsi entendus, la question se pose nette : A consulter non des systèmes, des hypothèses, mais les faits, établis comme s'établissent les faits, par les méthodes positives, par l’observation et l’histoire, doit-on dire que ces peuples, plus ils sont primitifs, plus ils croient à la magie, aux esprits, moins ils croient à une divinité personnelle ?

Si la réponse était affirmative, le système évolutionniste se trouverait non pas prouvé, sans doute, mais singulièrement encouragé par l’histoire des religions. Pour compléter la preuve, il faudrait établir encore deux propositions : 1° Les Primitifs sont vraiment des primitifs et non des dégénérés ; 2° Les Primitifs représentent le stade primordial par lequel tout le monde, même les peuples de la civilisation la plus haute, a dû passer. Or, de ces deux propositions, la seconde au moins n’est pas prouvée, et ne le sera jamais.

2. Exposé de l’hypothèse évolutionniste.

Mais pour en revenir aux Primitifs, la réponse des savants est loin d'être uniformément affirmative ; elle est souvent négative, plus souvent hésitante ; et elle renonce de plus en plus à la belle assurance des premiers jours. C’est ce qui reste à exposer brièvement.

On se rappelle que, en 1871, E.-B. Tylor, dans son traité Primitive culture faisait sortir toutes les religions de l’animisme. Dans un stade initial, les peuples n’avaient pas connu, en dehors du monde visible, d’autres êtres que des esprits, c’est-à-dire des êtres soustraits aux lois qui régissent les corps, âmes des vivants, âmes des choses, esprits indépendants.

Quarante ans plus tard, Goblet d’Alviella corrigeait ce système en imaginant un stade primitif où religion et animisme étaient encore, non pas mélangés, mais indistincts, indifférenciés. Ce stade est appelé de divers noms, suivant les auteurs : fétichisme, naturisme, naturalisme, animatisme, panenthélisme, préanimisme. Rev. d’hist. des relig., t. lxi, p. 13 sq. ; cf. Rech. de science relig., t. ii, p. 64.

Avec des nuances diverses, le préanimisme est soutenu par R. R. Marett, The Threshold of Religion, Londres, 1909, cf. Rech. de science relig., t. ii, p. 73 ; par Lévy-Brûhl, Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures, Paris, 1910, cf. Recherches, p. 75, par d’autres encore. Il est impossible en traitant de la magie et du magisme, de laisser absolument de côté l’animisme et le préanimisme, car souvent, on l’a dit, ces systèmes voisinent entre eux, s’allient et se mélangent. Pour certains, l’animisme serait un stade moins primitif que le magisme non animiste ; il pourrait s’appeler un magisme animiste, c’est-à-dire un magisme où les forces mises en action sont conçues comme des esprits. Telle est bien l’idée de Goblet d’Alviella quand il proclame que l’animisme « peut être regardé comme la forme de religion la plus répandue dans le monde. Aujourd’hui encore, s’il fallait 41

MAGIE, II M’I'.'i ; rS AVEI LA R I l IGION

I 542

confier au suffrage de l’humanité h solo de décide) quelle est la vérité religieuse, ce <im l’emporterait à une Immense majorité, ce serait la fol aux esprits de la nature, aux fantômes des morts, aux Interveo tions arbitraires île la puissance surhumaine, à l'éludes pratiques magiques. Revue d’hist. des reltg., t. i i, p. 10. Le principal défenseur <lu tnagisme pur r. Le volumineux travail çu’il a publie dus ce titre : The golden Bough ou Rameau d’or, est une vaste compilation où l’auteur a amassé quantité

ts qui justifient, croit-il, ses mus sur l'évolution de la religion et de la société primitive. La magie proprement dite remplit deux forts volumes : Magie art. 3* eilit.. 1911. L’idée fondamentale de Fraser

que les superstitions magiques sont a l’origine de

toutes les religions : Dans l'évolution île la pensée.

comme présentant un stade Inférieur, u

louvr stnitiim. d’intelligence, a probablement partout

précédé la religion, i.u.w.v.t.i.p. w. Malheureusement

pour sa thèse, l’auteur ramène à la magie une foule de

pratiques qui n’en sont pas. au moins neeessairement :

remèdes empiriques. Influences des étoiles, de la lune, « lu soleil. îles marées sur les événements humains, sur stfo.ee humaine, culte superstitieux du vrai Dieu. Hit-n plus, il donne de la magk une définition déjà matique, en la présentant comme « un système bâtard des lois de la nature… une fausse science et un art avorté. T. i. p. 53. D’un mot : la magie serait une science mal faite. Pareille définition, nous l’avons remarqué dans la 1° partie, tombe a taux Cf. col. 1514.

En partant d’une telle définition, Fraser conclut a une opposition entre magie et religion. Mais antérieurement a cette opposition, qui suppose l’existence de deux termes, l’auteur croit découvrir une période d’Indifférenciation : et. antérieurement encore, une période de magie pure P. 226-23 l. Ainsi, pour Fra/er, l’ordre de succession et de causalité serait le suivant : magie pure, magie animiste, religion. D’ailleurs, l’auteur ne craint pas d’affirmer eu général que les foules s'élèvent difficilement jusqu'à la vraie religion. T. i. p. 240. Ce serait toujours, dans l’Europe moderne, la même confusion d’idées, le même mélange de religion et de magie : et il paraîtrait qu’en France spécialement la majorité des paysans attribuent au prêtre un pouvoir secret et irrésistible sur les éléments ». T. I, p. 231.

Outrageante exagération. L’auteur semble confondre a plaisir deux états totalement disparates : celui qu’il appelle magie animiste, dans lequel religion et e seraient encore indistinctes, parce que la religion ne serait pas encore formée, et celui où la religion formée est entachée de quelque superstition. Or. dans il faut l’avouer, la superstition n’est pas rare ; mais, en général, elle voisine avec la religion l’altérer profondément. Ajoutons que toute snperstition n' « st pas magie : dans les campagnes chrétiennes la superstition est souvent religion mal éclairée, culte superflu ou vicieux du vrai Dieu ou nnts. Cela n’est pas de la magie.

Frazcr qui perce d’un regard si sur les profondeurs du passé, qui ne se laisse pas tromper sur la vraie nature du présent, n’hésite pas à se transformer en devin pour nous dévoiler les secrets de l’avenir.

l'âge de la religion, nous dit-il, en substance, succédera l'âge de la science : ce sera donc, puisque la magie n’est pas autre chose qu’une science mal faite. un retour, non pas a la magie, mais à l’esprit de la le. Science mil faite. Science bien faite, réunies par un pont fragile et éphémère qui s appelle la religion, telle est en deux mots l’histoire de la religion a travers les Ages. La religion a chassé la magie, science mal faite, ou l’a fait tomber en discrédit. Mais lorsque plus tard, la conception des forces élémentaires i

dereis comme des agents personnels, cède devant la

découverte des lois naturelles, alors la magie, basée Implicitement sur l’idée d’un enchatnement nécessaire et invariable entre les causes et 1rs effets, enchaînement indépendant d’une olonte personnelle, la magie soit de l’obSCUrité et du discrédit où elle était tombée, et par la recherche des relations de cause i effet dans la nature, elle prépaie directement la mute à la science. 1. 'alchimie conduit à la chimie, i P. i,

p., .71. l'.f. Rech. de science relig., t iii, p. 181. 3. Critique de l’hypothèse iootutionniste. - Pour nous

limiter strictement a notre nr question, nous nous demandons ce qu’il faut penser du système de l’r.i/er en tant qu’il concerne le passe

s’en tenir dans l’abstrait, et en faisant appel à la raison toute seule, on ne peut pas dire que ce système répugne, ni qu’il soit Illogique On peut en effet, comme nous l’avons indique en traitant la u" questio i, imaginer des transitions vraisemblables entre les dit ferents stades assignés par Frazer (col. 1538). Mais tout cela n’est pas encore de l’histoire.

Or. l’histoire est sévère, de plus en plus sévère, pour le système de Frazcr. « La thèse du magisme primitif n’a pas de fondement dans les faits », éc Ivait le 1'. Bouvier en 1913. Rech, de. sciences relui.. t. iv, p. 118. Les savants qui parlent après enquête jugent et condamnent sans tendresse le magisme pur et simple. Tel F.-B..levons, dans son livre An introduction to the study oj comparative religion, NewYork, 1908. « L’idée que la religion a été précédée par la magie et en est sortie, a pu être entretenue dans le passé par des hommes qui étudiaient la science de la religion, et peut n’avoir pas encore été rejetée de tous. Mais aujourd’hui elle n’a plus de place dans la science de la religion. Faire sortir la religion ou la science de la magie, laquelle n’existe qu’en Imitant l’une ou l’autre, est aussi absurde que d’imaginer que l’insecte, qui par mimétisme prend la couleur de la feuille sur laquelle il vit, précède et produit l’arbre destiné à le porter. » P. 101. H. R. Marctt non plus ne ménage pas les critiques au système de Frazer : « Frazer, dit-il, oppose trop magie et religion ; il plaide en divorce quand il suffirait de plaider en séparation, il identifie à tort la causalité magique et la causalité co.itumière… » Hastings, art. Magic, p. 250 ; cf. Rech. de science relig., t. iii, p. 182-181.

Mais quand il s’agit de remplacer le système de Frazer, ces auteurs et d’autres encore, lui opposent un autre système, prémagisme, animisme, préanimisme. Ils voient, ils entrevoient avant la magie pure, un état encore indistinct. Ainsi Marett, .levons, E.-S. Hartland, Loisy… Pour.levons, religion et magie dérivent d’une source commune, l'âme humaine et son idée de Dieu. The idea of God, p. 155, 156. Pour Loisy : Antérieurement à la magie et à la religion, nous p » uvons conjecturer un état social très imparfait ou magie et religion sont encore confondues dans quelque chose qui n’est, à proprement parler, ni la magie ni la religion. » A propos d’histoire des religions, Paris, 11)11, p. 183.

Le prémagisme mélangé d’animisme, en proportions variables, est un système plus habile et plus vraisemblable que le magisme pur. Cependant les considérations sur lesquelles on essaie de le fonder sont des assises fragiles et souvent ruineuses. II y a souvent, pour donner apparence de consistance et de solidité, des principes philosophiques reliant les observations et les faits, en particulier le grand principe de l'évolution. De ce principe nous avons assez parlé' pour notre but dans la i ro question. Restent les faits. On peut dire hardiment que ni l’histoire, ni l’ethnologie n’imposent le magisme ou le prémagisme, même renforcé d’animisme. Au contraire, aussi haut que nous

pouvons remonter dans le passé, nous trouvons ordinairement dans les races que l’on considère comme les plus primitives, les moins civilisées, des vestiges d’un véritable théisme, allant parfois jusqu'à l’hénothéisme ou même au monothéisme.

De l’aveu de tous les savants, c’est une tâche délicate de faire passer dans la tête et dans la langue d’un Européen, ce qu’il y a dans la tête et dans la langue d’un Primitif, et réciproquement. Il faut une absence totale de préjugés, une profonde connaissance de la langue et des coutumes des indigènes ; il faut des qualités morales de bonté, de patience, qui gagnent la confiance, il faut un séjour suffisamment prolongé dans une même tribu. « Les controverses qui ont fait rage à propos de la religion des races inférieures, remarque Frazer, sont venues pour la plupart d’un malentendu réciproque. Le sauvage ne saisit pas les pensées de l’homme civilisé, et bien peu de civilisés saisissent les pensées du sauvage. » Magic art, t. i, p. 375. Cela étant, on voit que les missionnaires non seulement ne doivent pas être disqualifiés, mais sont en fort bonne posture, comparés à des voyageurs qui souvent traversent hâtivement un pays en faisant poser par interprète des questions que les habitants ne se sont peut-être jamais posées sous cette forme et auxquelles ils répondent peut-être sans les bien comprendre ; sans compter que sur certains sujets, particulièrement sur sa croyance en des êtres supérieurs, l’indigène déroutera délibérément son interlocuteur non initié. Cela est certain : dans mainte tribu, la connaissance des êtres supérieurs n’est transmise ni aux femmes, ni aux enfants, ni aux jeunes gens avant leur initiation ; à plus forte raison ne sera-t-elle pas livrée à l'étranger de passage. Cf. A. Lang, art. God dans Hastings, Enc. of religion, t. i, p. 243-245. Les missionnaires ont sur d’autres témoins d’immenses avantages. Certains critiques disent que les missionnaires ont des préjugés, qu’ils trouvent facilement des croyances supérieures, des religions développées, parce qu’ils veulent en trouver. On ne voudrait pas nier que parfois, ils ne soient tentés de voir plus qu’il n’y a en réalité ; on ne voudrait pas affirmer qu’ils n’aient jamais cédé à la tentation. Mais quel est l’observateur qui aborde ces questions sans avoir sa propre mentalité, autrement dit sans idées préconçues ? L’essentiel est que les idées ainsi préconçues soient justes. Reprocherait-on encore aux missionnaires de n’avoir pas de formation scientifique qui les rende aptes à mener pareille enquête, à résister aux conclusions désirées et hâtives ? Le reproche demanderait à être rigoureusement précisé, sous peine de paraître contredire le précédent. Un système personnel a son utilité, mais il a sa rançon : ce sont précisément les systèmes qui entraînent facilement des idées préconçues, systématiques. Lévy-Briihl, un des chefs de l'école sociologique, ne reconnaît-il pas loyalement et finement aux observations des anciens missionnaires une grande autorité et une supériorité sur un point : ils « avaient l’avantage d’ignorer toute thèse sociale », dit-il, Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures, Paris, 1910, p. 23. Et quant à ajouter que les missionnaires actuels manquent de méthode, c’est généraliser injustement un déficit que l’on a pu constater parfois, mais auquel on a, ces dernières années, remédié avec succès. Ce progrès a été provoqué et procuré par les Semaines d’ethnologie religieuse, tout spécialement. Concluons au moins que les témoignages des missionnaires en valent d’autres.

Parlant d’abord des Primitifs, nous rapporterons quelques jugements d’ensemble, spécialement autorisés ; puis, nous traiterons de trois ou quatre cas particuliers qui font une certaine difficulté ; enfin, après avoir touché un mot des origines des peuples civilisés et

avoir marqué chez les purs savants une tendance croissante à une grande modestie, à une grande modération, et souvent à quelque chose de plus, en réaction contre le radicalisme de mode il y a encore vingtcinq ans, nous essaierons de dégager quelques conclusions générales.

Mgr Le Roy a écrit un livre parfaitement informé sur La religion des Primitifs, Paris, 1909. Consciencieusement, il avertit qu’il a étudié surtout, par luimême ou par ses missionnaires, les peuplades de l’Afrique. « Chez toutes, affirme-t-il, on retrouve la notion d'êtres supérieurs, bien plus d’un Être, d’un Dieu suprême : hénothéisme, allant parfois jusqu’au monothéisme, qu’obscurcit seulement, sans le nier, la multiplicité des noms. » Enfin, il y a des indices positifs que les notions les plus primitives sont aussi les plus pures. Plus récemment encore, Mgr Le Roy a donné le résultat de ses longues recherches dans Cliristus, c. ii. Les populations de culture inférieure, p. 48. « Les divers noms employés pour désigner Dieu, par les diverses tribus, n’impliquent pas du tout, comme on l’a dit quelquefois, des dieux différents les uns des autres. »

Les Bantous n’ont pas la moindre idée du polythéisme indou, grec ou romain. Ce qui est vrai, c’est qu’ils ne se préoccupent de Dieu que pour eux-mêmes et encore, dans une faible mesure, pour leur famille pour leur tribu. A chacun ses affaires 1 Rel. des Primitifs, p. 187. Cf. Revue de philosophie, 1 er oct. 1908, p. 416. Sur le nom de Dieu chez les Zoulous, discussion très intéressante du Rev. W. Wanger, dans Anthropos, t. xvin-xix, p. 656. « Si l’on compare l’extraordinaire précision des données linguistiques des Bantous avec leurs idées actuelles, on a l’impression que cette notion de la divinité a subi chez eux une régression évidente et qu’elle était beaucoup plus nette à l'époque de la formation de la langue. » Christus, p. 63.

Et Mgr Le Roy n’est pas seul de son avis. R.-H. Nassau, dont l’autorité est grande, écrit dans Fetichism in West Africa, Londres, 1904, p. 37 : « Après quarante ans de séjour parmi ces tribus…, je suis à même d’affirmer, sans hésitation, que, parmi toute la multitude des noirs dégradés que j’ai rencontrés, je n’ai vu ou entendu personne dont la pensée religieuse fût une pure superstition », et il cite un autre témoin de valeur, J.-L. Wilson, qui, dans son livre Western Africa, p. 209, ne craint pas d’affirmer qu’en Afrique « La croyance en un grand être suprême est universelle. Et cette idée, dans l’esprit des indigènes n’a rien d’imparfait ou d’obscur. L’impression en est si profondément gravée dans leur nature morale et intellectuelle, que tout système d’athéisme les frappe comme trop absurde ou déraisonnable pour mériter un démenti. »

Les expressions de Mgr Le Roy ne sont pas plus fortes quand il conclut : « La foi des sauvages en un Être suprême est désormais un fait acquis à la science. Si l’on ne peut prouver encore son universalité, on doit convenir qu’elle est, ou du moins qu’elle a été très générale. » Christus, p. 86. Tel est l’aboutissement de l’enquête menée par l’auteur à travers toutes les peuplades primitives.

L’origine de l’idée de Dieu, telle est bien, pour le redire, la question fondamentale dans cette querelle sur l’origine de la religion. Les évolutionnistes, les magistes ou prémagistes, animistes ou préanimistes, tiennent si fort à leurs théories, parce qu’il leur paraît impossible que l’idée de Dieu soit primitive, parce qu’ils croient découvrir de fait des Primitifs complètement athées.

Évidemment les notions des Primitifs sont encore bien embryonnaires, enfantines, mélangées d’erreurs, M V i, 1 1.. K Al’l’oi ; fS EC I. R ELIGION

L546

>sièretés. Ainsi il f.mt avouer que chei plusieurs la croyance.1 peu d’influence sur le coite et sur la morale, mais il serait faux de ilmqu’elle n’en a aucune. Par exemple, les Hottentots prient le père des pères ». Christus, p. 7r>. tin. La fol en an Être suprême, en un père de tous », AU Fathtr, suivant l’expression trouvée parHowitt, Natioetribetof S. ! '. Australie. Londres, 1904 et devenue classique grftce a .. art. Making et art. ihnl de l’Encyd. <>/ Religion expression qui traduit le nom donné souvent a l'Être suprême par les Australiens les plus primitifs : ils l’appellent Fathtr ours.. Père notre - eetle foi impagne d’un culte rudlmentalre, danses et Invocation par les médecins ou guérisseurs. Christus, p. 86, lin. Dans OS sens. <.m peut dire, sur l’autorité de Howitt et de Lang après lui. que les Primitifs d’Australie ont < une religion non empruntée maisspon tanee — et fort mal accueillie par les anthropologues en g én é ra l. A Lang, art. God, p. MS b. Lang n’ose rendre nettement parti sur eette question : Les Australiens ont-ils une religion, un culte, oui ou non ? mais sa façon de parler montre qu’il voit ici surtout une question de mots.

D’ailleurs Lang ne semble pas relever toutes les traces de culte, ni rattacher au culte des manifestations qu’il constate et qui sont vraiment sinon une pratique cultuelle, du moins une pratique religieuse : « C’est un fait positif, reconnaît Lang, que, parmi certains peuples sauvages des plus bas, il existe non un monothéisme doctrinal et abstrait, mais la croyance en un litre moral, puissant, bienveillant, créateur, croyance qui se trouve en juxtaposition avec celle à des esprits, totems, fétiches et autres qui ne reçoivent pas de culte. L'Être puissant et créateur de la croyance sauvage sanctionne la vérité, le désintéressement, la loyauté, la chasteté et d’autres vertus. » Making, c. xv, p. 254 : cf. Schmidt, dans Anthropos, t. iii, p. 601, 602 ; Bouvier, dans Rech. de science relig., t. ii, p. 102.

Sans doute, nos adversaires, contraints d’admettre la croyance à des êtres suprêmes, ou même à un seul, beaucoup plus fréquemment qu’ils ne désireraient, recourent encore à des hypothèss pour écarter une croyance primitive et spontanée : évolution, influence des missionnaires. Mais d’abord l’explication par l'évolution est tout à fait gratuite puisque nulle part, nous l’avons dit, on n’assiste à l’ascension spontanée des formes inférieures de la croyance à des formes supérieures. Bien plus, les faits nous fournissent contre de pareilles hypothèses des indices extrêmement forts, parfois même ils leur donnent un strict démenti.

L’effacement, la pâleur de l'Être suprême dans l’esprit de beaucoup de Primitifs, la pauvreté de son culte,

iquent assez naturellement par l’hypothèse

d’une dégénérescence dans les croyances : les notions plus grossières ont recouvert et terni les notions plus pures. Lang soutient au moins comme plus vraisemblable ce qu’il appelle « la vieille théorie de la dégénérescence ». Making, c. xv, p. 254, et il est tout disposé à expliquer la décadence par l’attraction que l’animisme, une fois développé, exerce sur i l’homme naturel et mauvais, le vieil Adam, p. 257, cf. p. xv, xvi et la remarque citée plus haut, de Mgr Le Roy sur les Bantous, col. loi L

Dans plusieurs cas, les premiers missionnaires, les premiers blancs, ont trouvé très nette chez de pauvres sauvages, la notion de l'Être suprême, Père, Ancien des cieux. Organisateur (Créateur) de l’univers. A. Lang, Making, p. Hi". lit cette idée, les anciens disaient la tenir de leurs ancêtres. D’ailleurs, si la croyance des Primitifs venait des missionnairse, comment se fait-il que l'Être suprême ne soit pas davantage centre de culte.de prière, de vie morale, conformément aux leçons des missionnaires'.' Comment expli quer l'ésotérisme qui n’admet pas a la connaissance du grand Être les femmes, les enfants, les non initiés ? Lang, Ortgins, p. 120, 121.

Bien plus, certains historiens se croient autorises à dire que eheI. les rais Primitifs, Pygmées. Austr.,

liens du sud est, Fuéglens et Californiens du centre, l'Être suprême a une physionomie beaucoup plus dis

tlncte que Chez les autres Primitifs, qu’il reçoit tout

le culte strictement religieux, l’animisme, le mà nisme a plus forte raison, le maglsme - n’ayant pas de caractère religieux. D’A.Gahs, Anthropos, t. xviwii, p. 548. A Lang. lui aussi, constate chez certains « peuples sauvages des plus bas cette absence de culte envers les esprits, totems, fétiches et autres ». Making, p. 25 1 : cf. ci-dessus, col. 15 15. Il faut cependant reconnaître que chez d’autres Primitifs on trouve le phénomène inverse : tout le culte est réservé aux esprits des ancêtres ou de la nature, que des rites appropriés peuvent rendre propices, alors que l'Être suprême n’a pas besoin de culte et qu’il est inaccessible. Tels, les Akamba, peuple Bantou de l’Afrique N.-E. Anthropos, t. xviii-xix, p. 1095, ou les Bakongo, au sud du fleuve Congo. Rei>. d’hist. des rclig., t. i.xxxvi, p. 222.

Dans l’impossibilité de descendre à des monographies même sommaires des peuples les plus primitifs, de ceux surtout qui ont été présentés comme privés de toute croyance supérieure et de toute religion, il faut nous contenter d’en appeler à des écrivains de grande autorité, pour affirmer la notion assez nette, parfois très pure, d’un Être suprême dans la grande race nègre. Lang, Making, c. an, p. 218 ; chez les Zoulous, Anthropos, t. xviii-xix, p. 656 ; chez les Pygmécs, au nombre desquels il faut compter les indigènes des îles Andaman, les Négritos des Philippines, les Pygmées de l’Afrique centrale, les Bochimans. V. Schmidt, Die Stellung der Pygmûenoôlkcr in der Entwicklungsgeschichte des Menschen, Stuttgart, 1910, cf. Rev. des sciences phil. et théol., 1910, p. 547, fin ; chez les Maïdu de la Californie centrale. Semaine d’Ethnologie religieuse, 1922, p. 32, al. 2.

Deux cas ont été discutés avec une particulière âpreté, celui des Aruntas et celui des Tasmaniens. Les Aruntas habitent actuellement l’Australie centrale, et jusqu'à ces dernières années, ils étaient regardés comme autochthones, comme primitifs, parmi les Primitifs. Or, les Aruntas n’ont pas trace de religion, ni de croyance à un ethical AU Falher (un Père de tous, protecteur de la loi morale). Ainsi parlaient B. Spencer et F. J. Gillen dans Native tribes of Central Australia, 1899 et Northern tribes of Central Atistralia, 1901 ; ainsi, Frazer dans Magic art, t. i, p. xxiii. Mais il semble maintenant établi et reconnu que les Aruntas sont originaires du Sud-Est, et sont la plus jeune parmi les six tribus d’un même groupe. Anthropos, t. viii, p. 1145 ; t. xvi-xvii, p. 1037.

Et quant a leur prétendu athéisme, à leur prétendue irréligion, il est au moins extrêmement probable qu’ils reconnaissent un Être suprême, très effacé d’ailleurs et sans caractère moral bien net. Tout se passe comme si cet être avait été peu à peu relégué à l’arrièreplan jusqu'à tomber dans l’insignifiance ; et Lang admet contre B. Spencer, Frazer, van Gennep, que nous sommes ici en face d’une divinité non en croissance, mais en décadence, A. Lang, Making, p. x ; The Alcheringa and the Alt Father, dans Reoue des études ethnographiques et sociologiques, juillct-aout 1909. Confirmation remarquable : les tribus du Sud-Est de l’Australie, appartenant au même groupe ethnique que les Aruntas, mais plus primitives qu’eux, ont la croyance a un Être suprême, doué d’attributs moraux. Schmidt, cf. Revue des Sciences phil. et théol., 1910, p. 551. Lang parle de leurs conceptions reli

gieuses « étonnamment élevées ». Making, p. 17"). Restent lus Tasmaniens. La lieu. d’Iiist. des relig., t. i. xxxyiii, ]). 21 X, not. 2, n’ose guère contredire le P. Scbinidt quand il trouve la croyance à l'Être suprême chez beaucoup des peuplades les plus primitives, les Australiens du Sud-Est, les Andamanais, les AInus, les Californiens du centre, les Gez du Brésil oriental, les Fuégiens ; mais la même revue élève un doute sur les Pygmées et pense pouvoir opposer victorieusement les Tasmaniens, les Kubus, les Weddahs. Les Tasmaniens n’existent plus : leur dernier représentant authentique est mort vers 1877. Il semble, quoi qu’en dise Frazer, Magic art, t. ii, p. 257, qu’ils reconnaissaient l’existence d’un être bon et d’un être mauvais, bien que le second fût beaucoup plus en vue que le premier. Anlliropos, t. iii, p. 825, 826, 828. Sur les Kubus, peuplade de Sumatra central, et les Weddahs ou Veddahs, qui habitent actuellement le sud-est de Ceylan, la question n’est pas élucidée. On a, dans les premières années du siècle, reconnu chez les Weddahs une certaine religion. Cf. W, Schmidt, Die Stellung der Pygmâenvôlker in der Entwicklungsgeschichtè des Mcnschen, Stuttgart, 1910, p. 292, n. 1. Quant aux indigènes de Sumatra, le P. Schmidt les a étudiés par exemple, dans Grundlinien einer Vergleichung der Religionen und Mythologie n der austronesischen Vclker, Vienne, 1910, et il relève chez ces peuples la connaissance de la divinité et un certain culte, p. 37, n. 165 ; p. 50, n. 200, et, d’après certains indices, il conclut à une évolution non par progrès mais par régression. Pour ce qui est des Pygmées, il ne semble plus que l’on puisse mettre en doute leur connaissance de Dieu. Cf. col. 1544.

Et puis, quand même les Kubus, les Weddahs et une demi-douzaine d’autres tribus seraient complètement athées et sans aucune religion, la seule conclusion légitime serait en faveur de la possibilité du fait exceptionnel, nullement de la loi universelle. Il resterait encore à prouver l’improuvable : que ces tribus représentent un stade universellement nécessaire et absolument premier ; il resterait à prendre sur le fait un peuple évoluant spontanément vers les formes supérieures de la croyance et de la religion, ce qui n’a jamais été fait.

D’une façon générale, les découvertes de l’ethnologie, en ces dernières années, vont toutes dans le même sens : des peuplades primitives qui passaient pour privées de croyance à des êtres supérieurs et dépourvues de religion, pour emprisonnées dans la magie ou l’animisme, se révèlent en possession de la croyance à la divinité, souvent à un Dieu unique et personnel, dont l’homme dépend physiquement et moralement ; et la plupart du temps on rencontre chez ces mêmes peuplades un culte de cette divinité, culte plus ou moins embryonnaire, ébauche peut-être, peut-être souvenir. Car — dernier trait frappant, constaté assez souvent pour pouvoir sans témérité être soupçonné partout — les savants, qui ont à leur service toutes les ressources de l’ethnologie et de la linguistique, toutes les lumières de l’histoire comparée, ont vu plus d’une fois les croyances et les pratiques religieuses d’un peuple devenir plus hautes et plus pures, à mesure qu’ils se rapprochaient des origines.

D’ailleurs, dans l’histoire des peuples civilisés — en particulier dans l’histoire des deux peuples classiques pour nous, les Grecs et les Romains — n’a-t-on^pas souvent fait pareille constatation ?

Le temps semble définitivement passé où E.-B. Tylor, J.-G. Frazer et d’autres, forts il est vrai d’une vaste érudition, enseignaient avec une belle assurance l’animisme ou le magisme, et communiquaient leurs convictions à leurs lecteurs et au monde savant lui-même. Actuellement, beaucoup d'écrivains pure ment rationalistes, libres en tout cas de préoccupations dogmatiques ou confessionnelles, reconnaissent les incertitudes, irrémédiables peut-être, de l’histoire sur les relations entre religion et magie ; certains vont même jusqu'à avouer la possibilité, la probabilité d’un déisme primitif, d’une religion primitive, probabilité égale ou supérieure à celle d’un animisme ou d’un magisme primitif. « Les cas de monothéisme primitif appartiennent avec la langue et la formation de la famille à ces énigmes des commencements de la culture humaine qu’il sera probablement à jamais impossible de résoudre. » Illustrierle Volkerkun.de du D r Buschan, Introduction générale à la 2e édition par R. Lasch, | Stuttgart, 1922 (l’ouvrage est considéré comme représentatif de la doctrine évolutionniste). Ainsi, conclut le R. P. Schmidt, après avoir cité ce passage, « les rôles paraissent donc complètement changés : ce n’est pas nous, c’est l'évolutionnisme, qui invoque le mystère de l’insondable, pour échapper aux conséquences que l’on pourrait déduire d’un monothéisme primitif ». Semaine d’Ethnologie religieuse, 1922, p. 40.

L’attitude de plus en plus fréquente des savants est celle d’une défiance positive pour une solution rigide et universelle, pour l'évolutionnisme absolu : « La science anthropologique, dit Marett, devient de plus en plus parcimonieuse de constructions sur un plan si simple et si drastique. L'évolution humaine est un tissu de plusieurs fils qui se croisent. » Art. Magic dans Hastings, Encijcl. of. relig., t. viii, p. 247 b. Et J. Réville croit avoir appris dans l’histoire des religions à se défier de ces gens « qui prétendent ouvrir toutes les portes avec une seule clé, parce qu’ils forcent les serrures, partout où leur clé ne fonctionne pas. » Les phases successives de l’histoire des religions, Paris, 1909, p. 25.

Chez les auteurs contemporains, il se manifeste en particulier une réaction très nette contre la tendance à méconnaître les influences individuelles dans l'évolution des doctrines religieuses, J. Réville, op. cit.. p. 222 ; R. Pettazoni, professeur d’histoire des religions à l’Université de Rome, Leçon inaugurale, 17 janvier 1924, cf. Rev. d’hist. des relig., t. lxxxix, p. 134, fin ; réaction aussi contre le magisme pur de Frazer, cf. Loisy, A propos d’histoire des religions, Paris, 1911, p. 179 ; réaction encore contre la tendance à dissocier complètement croyance en la divinité d’une part, et, de l’autre, morale, culte, prière. Semaine d’Ethnologie religieuse, 1913, p. 153, rapport du R. P. Lemonnyer, p. 6, 8.

Donc, si l’on demande sincèrement à l’histoire, et non à une théorie toute faite, la relation de nature qui unit religion et magie, trois réponses sont possibles, qui ont été faites : 1. Il y a eu un stade primitif d’indifférenciation, d’où sont sorties magie et religion ; 2. La magie est une religion dégradée ; 3. La religion est une magie perfectionnée. A. Loisy, qui présente ces trois hypothèses, A propos d’histoire des religions, p. 174, juge que la 2e, « n’a rien de vraisemblable » et opte pour la l re. Mais, quelques années plus tôt, un auteur protestant, Zockler, comparant la 2e et la 3e hypothèse, trouvait la 2e, plus conforme aux faits connus, art. Magie dans Protest. Realencgclopàdie. Et Zockler relève quatre indices en faveur de la 2e hypothèse : a) Les peuples actuellement les plus arriérés ont gardé, au milieu des absurdités et des récits merveilleux de leurs cultes traditionnels (Kultussitte), des traces de croyance à une haute puissance spirituelle. — b) Le passage du magisme ou d’une autre superstition originelle à une forme plus élevée de religion n’a jamais été constaté. — c) Si l’on considère en particulier les peuples civilisés i de l’ancien monde, les Égyptiens, par^exemple, ou les Babyloniens, leur bis1., '

MAGIE MAGNANIMITÉ

1550

toire la plus reculée ne inoutre pas que leurs religions

i sorties de lu magie ou du merveilleux U) L’apparition de la magie est en général ta symptôme d’un sentiment religieux non pas en train de mouir mais bien en train de vieillir et de disparaître. Quand la magie se rencontre à une époque relativement primitive, elle n’appartient pas à l'évolution propre du peuple considéré, mais elle s’explique par une pénétration et une contagion d’origine étran l'. ->7.

as la même encyclopédie, l’article Eauberei est

Orelli, auteur d’un Manuel d’histoire des

religions : celui-ci, sur la question présente, se range à l’avis île Zoekler et trouve Invraisemblable l’hypotbèse contraire, celle île la religion, sortant de la magie. Zauberei, t xi, p. 612, 61 I.

Tout récemment, J.-R. Swanton, ancien président île r Anthropologiciil Society de Washington, n’hésitait pas a proclamer, comme l’avait fait A. Lang trente ans plus tôt, que ses études l’avaient amené à des positions considérablement différentes île celles que patronnent la plupart des autorites reconnues ». Il admet spécialement que l’attitude religieuse est évidemment > un facteur humain primitif. Il trouve chez beaucoup de Primitifs, en Amérique, en Afrique, en Asie, un monothéisme plus ou moins mélange : au moins ces peuples croient-ils a un dieu supérieur aux autres. C’est la, dit Swanton un concept extraordinairetnent commun. Enfin, il n’a aucune difficulté à

îer un monothéisme, d’ailleurs assez pauvre, avec une mentalité primitive : exemple : les Australiens du Sud-Est. les Negrilles, les Bushmen, les Andamanais. American Anthropologist, New Séries, t. xxvi. 1924,

cf. Anthropos, t. xx. p. XïA.

Conclusion. — Il ne serait pas ditlicile de multiplier les citations. Semaine d’ethn. rellg., l922, compterendu du R. P. Schmidt. p..'îl-48 ; celles-là suffiront,

doute, pour nous permettre de conclure sans crainte avec des théologiens, qui sont aussi des autorites reconnues en histoire des religions, avec Mgr Le Roy, le R. P. Schmidt. le P. Bouvier. Nous emprunterons les termes mêmes dont se sert Mgr Le Roy dans la Religion des Primitifs, p. 484, et qu’il reproduit dans Christus, p. 101 : Tout se présente à nous comme si l’espèce humaine, irradiant d’un point commun sur lequel elle aurait apparu, à une époque que la science est impuissante a lixer d’une façon précise. avait été mise en possession d’un fonds de vérités relpes et morales, avec les éléments d’un culte, le tout prenant racine dans la nature même de l’homme,

inservant avec la famille, s’y développant avec la té, et donnant peu a peu — suivant les mentalités particulières a chaque race, sa portée intellectuelle, les conditions spéciales de sa vie — ces formes a surfaces variées, mais fondamentalement identiques, que nous appelons les religions, religions auxquelles partout et dès le principe, se seraient attachés les mythes, les superstitions et les magies, qui les vicient et les défigurent en les détournant de leur objet.

e décla ratio ii, si iii, us ne nous trompons, le

>uvier et le R. P. Schmidt la signeraient, le premier avec quelque hésitation peut-être — c'était un modeste, presque un timide, par excès de conscience, pourrait-on dire, et il écrivait entre 19Il et PU 1 — le deuxième r.ince. Cf. Itech. de sciences relitL,

t. iv. p. 109-134, art. de Bouvier ; art. Magie du Dictionn. apolog. ; Anthropt, ^. t. viii. p. 1111. Et des hommes dont ! < nombre augmente d’année en année, hommes profondément sincèrea et compétents, se rap prochent chaque jour des Wmes conclusions.

BiBuoon.wim : oêxérale. 1* Dictionnaires.

Diehonwure apfjlogétigue, art. : Magie et Maqi<, rnc, t. m. col. Dirtiannaire dr ta Bible, de Vigouroux, art

Magie, t. tv, ool 593-569 ; Bncgelopédtê Ladmtnult, art. Magie ; Bneuelopmd ta brttmntca, art. Magie ; Bncgclopmdta . Religion mi./ Bthtes de Haatinga, art. Magie, t. viii, p. 245 321, God, t. m. |>. 243-217 : Protest. Realencttclopêtdis de A.

1 laurk. art. Magter, Magtt, t. ii, ». 55-70 i ait. Zaubertt und Wahrsagrtt, t. xxi, p. 611-620 ; Daremberg et Sagllo, Dtettonnalrt un antiquités grecque » et romaines'. Magie, t. m I. p, t 194-1521,

'-' i ; Recherches de science religieuse, Paris,

articles très Infor m et et très touillés du P, F. Bouvier, t. h (1911), ». 63, t. m (1912), ». 169, 393, t. iv (1913), i>. 109 ; liatorapos. Revue internationale i’ethnologts et de

linguistique, fondée par le H. 1'. V. Schmidt, Vienne, Autriche ; Itevue d’histoire des religions. Paris ; Revue des

setences philosophiques et théotoglques, Paris, bulletins 1res

èrudits sur l’histoire îles religions.

3 « Histoire. — M..1 Lagrange, o. P., Études sur les religions sémitique », 2 édlt., Paris, r.io. r >. Sur l'épisode des

procès, 1c sorcellerie, il sullit de citer trois ouvrages classiques, le troisième beaucoup plus critique que les deux preniiei s : 1 1. Iuslitoris et.1. SprengQT, Maliens maleflcarum,

i r édition, probablement Strasbourg, 1487 ; M. de ! Rio, Dlsqulstttonum maglcarumllbrt vi, Louva ! ii, 1599 ; P. von

Spee, Cautio eriminalis, sen de processibus contra sagas liber, 1631(1" édlt. anonyme). — J.Janssen, l.n civilisation

en AUemit/ne, trad. E. Paris, Paris, 1902-1911 ; Collin de Plancy, Dictionnaire infernal, 3' édlt., Paris, 184 I, réédité avec additions par aligne, Dictionnaire îles sciences occultes

2 vol., 1846 (recueil considérable de renseignements, documents ; mais sources i contrôler).

Théologie.

S. Thomas, Siim. Iheol., IIMI*,

q. xcii sq. ; A. Tanner, Theologia scholaslica, t. i, diss., De angelis, q. v ; Laymann, Theologia moralis, t. IV, tr. X ; Suarez. De rettgtone, tr. III, I. II, Salmanticenses, Theologia moralis, tr. XXI, c. XX, punct. 11 ; S. Alphonse de Liguori, Theologia moralis, t. III, c. i ; Perraris, Bibliotheca canonica : Superstitio ; Wernz, Jus decretalium, VI, tit. un, n. 321 ; Ami du clergé, séries d’articles sur magie et sorcellerie, surtout en 1902.

II. Bibliographie SPÉCIALE : sur l’histoire des religions (simples indications ajoutées a la bibliographie générale) :

Manuels.

J. Bricout, Où en est l’histoire des religions,

2 vol., Paris, 1911 ; J. Huhy, Christus, 3e édit., Paris, 1921 ; P. D. Chantepie de la Saussaye, Manuel d’histoire des religions, traduction H. Hubert, Isidore Lévy, Paris, 1904 ; S. Keinach, Orpheus, 11e édit., Paris, 1909 ; Pinard de la Boullaye, Manuel d’histoire des religions, Paris.

2° Semaine d’ethnologie religieuse, comptes rendus : i" session (1912) : Paris, 1913 ; n « session (1913) : Paris, 1914 ; ni* session (1922), Enghien, Belgique, 1923.

Travaux spéciaux.

J.-G. Prazer, ÏVie golden

Bough : The magie Art, 3e édit., 2 vol., Londres, 1911 ; du môme, Psgche’s task, Londres, 1909 ; F.-B. Jevons, An introduction to the study o/ comparative religion, New-York, 19D8 ; du môme, The idea o/ God in earlg religions, Cambridge, 1910 ; R. R. Marett, The threshold of religion, Londres, s. d. (1909) ; E.-W. Hopkins, Origin and évolution of religion. New-] laven, Yale L’niversity l’ress, 1923 ; J. Réville, Iscs phases successives de l’histoire des religions, 1909 ; A. Loisy, A 'propos d’histoire des religions, Paris, 1911 ; A. Longuet, L’origine commune des religions, Paris, Paris, 1921.

A. Lang, The making o/ religion, Londres, 1900 ; du même, The origins of religion, Londres, 1908 (réimpression l ; Mgr le Roy, La religion des Primitifs, Paris, 1909 ; R. P. V. Schmidt, De l’origine de l’idée de Dieu, traduct. de Der Ursprung der Gollesidee, dans Anthropos, t. iii, iv, v (inachevé) ; Der Ursprung der Gollesidee, Anthropos, t. xvi-xvii (1921-1922), lait suite à la I" série, de 1908-1912, et expose le progrès fait en dix ans par la théorie de A. Lang ; du même, Die Sti llunn der l’gymænt>6lker in der lintivicldungs-geschichte des Menschen, Stuttgart, 1910.

L. Gabdei i i.