Dictionnaire de théologie catholique/JUGEMENT VII. Synthèse théologique : Le jugement général

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.2 : JOACHIM DE FLORE - LATRIEp. 201-209).

VII. Synthèse théologique : Le jugement général.

A la différence de la précédente, la doctrine du jugement général était déjà formellement constituée dans la théologie patristique. D ne restait guère qu’à en réunir les éléments épars, de manière à obtenir un ensemble systématique, et à résoudre quelques problèmes secondaires que devait forcément faire surgir le rapprochement avec le jugement particulier. C’est à cette œuvre de synthèse que les grands théologiens depuis le Moyen Age ont appliqué leur effort.

Existence du jugement général.

Dès les plus

anciens symboles, le jugement général figure dans la foi explicite de l’Église. La théologie a pour première tâche de montrer comment, en effet, il se rattache au fond le plus essentiel du dépôt.

1. Révélation du jugement général.

Il n’est peut-être pas de vérité qui s’affirme d’une manière plus ferme et plus certaine dans l’ensemble de l’Écriture, où la tradition chrétienne devait à son tour la recueillir. Aussi tous les croyants qui se placent sur le plan de la révélation positive ont-ils eu l’impression que la preuve était surabondante au point de paraître superflue.

Telle était déjà la conviction de saint Augustin. Nullus igitur vel negat vel dubitat per Jesum Christian taie quale in islis sacris litleris prsenunliatur futurum esse novissimum judicium, nisi qui eisdem litleris nescio qua incredibili animosilate seu cœcitate non crédit, quæ jam verilalem suam orbi demonslravere lerrarum. De civ. Dei, XX, xxx, 5, P. L., t. xxi, col. 708. Suarez fait écho à l’évêque d’Hippone. Hœc assertio est unus ex arliculis fidei… Quem ex Scripturæ testimoniis et ex sanctis Patribus probare fere est supervætneum, quia nihil est in Scriplura, præserlim in Novo Testamento, et in Patribus frequentius… Breviler, ubicumque in Scriptura fit mentio in singulari et quasi per antonomasiam de die judicii…, sermo manifestus est de universali judicio. Op. cit., disp. LUI, sect. i, n. 2, p. 1010. En dehors de la gnose, il faut arriver au rationalisme moderne pour trouver trace d’une opposition à cette vérité. Opposition d’ailleurs trop visiblement inspirée par des préjugés a priori contre le surnaturel pour cou l rebalancer efficacement une tradition de vingt siècles, qui n’a connu ni hésitation ni voix discordantes.

Aujourd’hui néanmoins les exigences de la méthode historique obligent à prendre en plus sérieuse considération les contingences qui président à la genèse de ce dogme. Il est certain que l’idée du jugement dernier n’est pas primitive en Israël, où on ne la voit se dégager qu’au terme d’une assez longue évolution. Au début, le jugement ne signifiait qu’une intervention historique de Dieu pour briser les ennemis de son peuple et n’apparaissail guère, on conséquence, que dans les perspectives immédiates du lieu et du moment. Même lorsque le jugement prend des couleurs d’apocalypse et s’accompagne de phénomènes voyants qui signifient la fin du monde, il ne perd pas encore son caractère temporel et son objectif principalement national.

Une grande idée vivait cependant sous cette enve1813 JUGEMENT, SYNTHÈSE THÉOLOGIQUE : JUGEMENT GÉNÉRAL 1814

loppe judaïque : celle du triomphe de Dieu sur le mal et les méchants pour sa gloire et le bonheur de ses élus. Affirmée déjà chez les grands prophètes, elle finit par devenir de plus en plus dominante — sans toutefois jamais exclure entièrement les rêves matériels qui flattaient l’appétit populaire — et le jugement apparaît alors comme l’exercice des suprêmes rétributions divines à l’égard de l’humanité. De messianique, national et collectif, il est devenu individuel moral et universel. Cette conception atteint son apogée avec Daniel, dont l’autorité en a implanté progressivement le règne dans le judaïsme postérieur. Mais il a fallu la révélation du Christ et l’enseignement des apôtres pour la fixer définitivement sur ces bases. Quoi qu’il en soit du judaïsme, le christianisme n’a retenu le jugement que pour sa signification spirituelle, comme manifestation éminente de la Providence divine sur ses créatures raisonnables et sur l’ensemble du genre humain.

Le fait que ce grand idéal est longtemps resté dans une sorte de gangue ne saurait surprendre, quand on sait que la communication et la conservation de la vérité divine a été soumise à la loi du développement. Ainsi donc la foi au jugement, pas plus que la foi messianique dont elle est une partie, ne perd rien de sa valeur religieuse pour avoir eu des débuts modestes et être restée longtemps encombrée d’éléments inférieurs. On ne juge pas de l’être vivant par les formes confuses de l’embryon, mais, au contraire, de celles-ci par l’être parfait dont elles portent le germe et qui étend déjà sur elle le prestige de sa dignité. Sans renier ses origines judaïques qui l’enracinent en pleine réalité humaine, l’Église ne se laisse pas ramener à leur mesure. C’est en elle qu’il faut chercher le sens exact et, par conséquent, la portée profonde de ce passé dont elle a recueilli l’héritage. Le jugement messianique n’appartient à la révélation divine que sous la forme où il a été consacré par elle à la lumière qu’elle a reçue du Christ.

Quel que soit donc l’intérêt qui s’attache, d’un point de vue spéculatif, à suivre les formes préparatoires de son enseignement, il serait contre toute méthode de faire peser sur celui-ci le poids des inévitables infirmités de celles-là. On ne peut raisonnablement demander à l’Église compte du judaïsme, mais seulement de l’interprétation qu’elle en a donnée.

2. Objections du symbolisme rationaliste.

Cependant la doctrine même dont elle accepte la responsabilité ne serait-elle pas entachée d’une bonne part de relativisme ?

D’un côté, dit-on, l’origine en serait mal garantie. Car elle plonge ses racines dans le judaïsme et l’on ne saurait disconvenir que le Christ, s’il a modifié les formes de l’espérance messianique, en a conservé le fond. Volontiers l’ancien rationalisme le soupçonnait de s’être accommodé aux conceptions religieuses de son temps. Aujourd’hui la critique pose plutôt en postulat qu’il en a subi l’empreinte. De toutes façons, il y aurait lieu de rechercher, sous la lettre de ses paroles, la vérité plus haute qu’elles recèlent. Élevé sur ces bases, comment l’enseignement de l’Église pourrait-il avoir une valeur plus absolue ? D’autant que ces grandes assises de l’humanité, auxquelles présiderait le Christ dans sa gloire, ne sont pas exemptes d’anthropomorphisme. Aussi bien les meilleurs théologiens s’estiment-ils en droit d’en spiritualiser tels ou tels traits. N’y a-t-il pas de quoi jeter un doute sur la solidité du reste ? A quoi s’ajoute le caractère transcendant de ce dogme pour inviter à n’y voir que le symbole d’un acte spirituel.

Telle est la tendance qui s’affirmait, à la fin du xviiie siècle, dans l’école rationaliste de Wegscheider et qui se répand de plus en plus aujourd’hui chez les

protestants soucieux de ne point perdre tout contact avec un christianisme positif. Voir L. Émery, L’espérance chrétienne de l’au-delà, p. 36-44.

La réponse à une question de ce genre, comme à toutes celles qui touchent les problèmes essentiels, ne dépend pas des seuls arguments critiques : elle est subordonnée à toutes les raisons qui fondent pour le croyant la foi en l’Église et en l’autorité de son enseignement. Dans la mesure où elle relève de la théologie, elle se résoud par les principes généraux exposés à l’art. Église, t. iv, col. 2175-2192 et à l’art. Dogme, ibid., col. 1579-1606. Il suffit de rappeler ici que le croyant est toujours dans la disposition d’incliner ses préférences ou ses difficultés personnelles devant l’enseignement certain de l’Église, parce qu’il la sait dépositaire infaillible de la vérité, et qu’il tient pour le vrai sens des dogmes celui qui résulte de ses déclarations authentiques, sans se reconnaître le droit de les volatiliser à sa guise sous prétexte d’une intelligence plus haute. Voir Constitution Dei ftlius, c. iv, Denzinger-Bannwart, n. 1800.

Dans l’espèce, autant l’Église est ferme sur l’existence du jugement général et de la parousie, autant elle est discrète sur les modalités de leur réalisation et son magistère jusqu’ici n’est nulle part autrement engagé que par l’approbation tacite qu’elle accorde à l’enseignement de ses théologiens. Or ceux-ci ont à cœur tout à la fois de sauvegarder la substance des données traditionnelles et d’obtenir une notion rationnellement acceptable du jugement dernier. La liberté même qu’ils revendiquent à cet égard aide à distinguer les points certains, où doit régner l’unité, des parties moins sûres qui autorisent de légitimes divergences. En suivant cette voie avec la prudence voulue, il n’est pas impossible de tenir un juste milieu entre le littéralisme strict qui sacrifierait l’idée aux images et le symbolisme radical qui évacuerait tout de celle-là pour n’être pas esclave de celles-ci. Voir Oswald, op. cit., p. 341-342.

Sans doute rien ne peut enlever au dogme du jugement dernier son caractère mystérieux, et tout système qui le ramènerait sur un plan purement rationnel trahirait par le fait même son intention de le détruire. Mais cet hommage rendu à la révélation divine, outre la garantie qu’il trouve dans la foi même qui l’inspire, est, d’un point de vue tout humain, un acte de suprême sagesse. N’est-ce pas en se maintenant dans le courant traditionnel que l’on a le plus de chance de rencontrer ce qu’il contient de profonde vérité ? Il peut sembler plus séduisant de se livrer aux initiatives du libre examen ; mais les satisfactions de l’individualisme ont une douloureuse contrepartie dans la fragilité de ses constructions. Car il n’est pas de système humain qu’un autre système ne contredise ou ne remplace, sans autre profit que de contenter momentanément son auteur, tandis que l’Église, comme le maître dont elle garde la doctrine, a les paroles de la vie éternelle et se montre capable d’être l’éducatrice efficace de l’humanité.

Voilà pourquoi la raison s’unit à la foi pour faire accepter, au sens où elle s’affirme dans la tradition catholique, la réalité du jugement général, quitte à utiliser ensuite toutes les ressources de la meilleure théologie pour en saisir moins inadéquatement la notion.

Raison d’être du jugement général.

Sous le

bénéfice de cet acte initial de toi, on peut d’ailleurs apercevoir des raisons qui suggèrent à tout le moins la convenance du jugement dernier. Insuffisantes à soutenir toutes seules le poids du dogme, elles peuvent, en tout cas, en montrer l’harmonie dans l’édifice de la révélation.

1. Affirmation de la Providence.

Pour saint Tho~ 181£

    1. JUGEMENT##


JUGEMENT, SYNTHÈSE THÉOLOGIQUE : JUGEMENT GÉNÉRAL

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mas, le jugement général est appelé par le dogme fondamental de la Providence, de manière à réaliser dans le monde l’ordre moral que Dieu y avait primitivement voulu, mais que les anomalies du péché ont, depuis, tant contribué à obscurcir.

Si, en effet, le jugement particulier a pour but de redresser les situations individuelles, n’en faut-il pas un autre pour rétablir comme il convient ce qu’on peut bien appeler la situation d’ensemble’? Unde necesse est ut sit aliud judicium universale correspondais ex adverso primée rerum production ! in esse, ut videlicet, sicut lune omnia processerunt immédiate a Deo, ita nunc ultima complelio mundo detur, unoquoque accipienle fmaliter quod ei debetur secundum seipsum. Unde et in illo judicio apparebit manifeste divina justifia quantum ad omnia quæ nunc ex hoc occultantur quod interdum de uno disponitur ad utilitatem aliorum aliter quam manifesta opéra exigere videantur. Unde eliam et tune erit universalis separatio bonorum a malis, quia ulterius non erit locus ut mali per bonos vel boni per malos proficianl. In IV Sent., dist. XLVII, q. i, a. 1, sol. 1, p. 415, et Sum. theol., Suppl., q. Lxxxviir, a. 1. La valeur de cet argument est proportionnée à celle du principe de finalité qui en est la base. Or qui voudrait douter que le règne intégral de la justice ne soit postulé par la notion chrétienne de Dieu ?

Il est d’ailleurs certain que cette justice idéale ne peut trouver son épanouissement complet avant la fin des temps. Jusque-là toutes sortes de raisons subsistent qui en entravent le cours et laissent en suspens le plus clair de nos responsabilités individuelles. Saint Thomas le fait observer très justement : Licel per mortem vita hominis temporalis terminetur secundum se, remanel lamen ex fuluris secundum quid dependens. Et le docteur angélique d’analyser avec une minutieuse précision ces diverses formes de « dépendance », où s’affirme en ce monde la répercussion indéfiniment complexe des actes humains. C’est la réputation, qui est si rarement conforme aux mérites de chacun ; la famille, qui ne répond pas toujours à la valeur morale du père ; la suite de nos œuvres qui se prolonge sans fin, de telle sorte que le monde souffre encore de l’hérésie d’Arius ou bénéficie de la foi des apôtres ; le corps, qui tantôt reçoit une sépulture honorable, tantôt gît dans l’abandon ; ce sont les objets divers de notre activité, dont les uns passent vite et les autres durent plus longtemps, alors qu’ils constituent devant Dieu une réalité perpétuelle qui attend son verdict. Et ideo de his omnibus perfeclum et manifestum judicium haberi non potest, quamdiu hujus lemporis cursus durât : et propler hoc oporlet esse finale judicium in novissimo die, in quu perfecte id quod ad unumquetnque hominem pertinet quoeumque modo perfecte et manifeste judicetur. Sum. theol., III 1, q. lix, a. 5. Texte longuement commenté dans Suarez, op. cit., n. 4, p. 1010-1012.

2. Applications diverses. — De cette raison fondamentale découlent des applications secondaires, faciles à comprendre et à diversifier, qui tiennent plus ou moins de place dans la théologie courante du sujet. Elles se ramènent a la glorification de Dieu, du Christ et des saints. Voir Bellarmin, op. cit., c. (>, p. 101 ; Katschlhaler, op. cit., p. 533-536 ; Oswald, op. cit., p. 344-315.

a) l’ai rapport à Dieu. — Assurément Dieu se sullit ; il convient cependant qu’il recueille, en fin de compte, la gloire extérieure qui lui revient du chef de ses œuvres et, en particulier, que la sagesse de son gouvernement providentiel éclate à tous les yeux. Or qui ne Sait que cette dernière semble mise en

défaut parles désordres apparents de ce monde, où les impies trouvent matière à blasphème et les justes eux-mêmes l’occasion d’un scandale trop fréquent ? Voilù pourquoi il convient que la justice de Dieu finisse par

éclater au grand jour, de manière à forcer l’adhésion de tous. Quiconque croit en Dieu ne peut pas ne pas admettre qu’il aura le dernier mot sur l’ignorance ou la malice humaine et que l’heure viendra où, bon gré mal gré, toutes les créatures raisonnables devront lui rendre hommage.

b) Par rapport au Christ. — Fils et envoyé de Dieu, le Christ participe aux injures qui atteignent le nom de son Père. Lui-même ne cesse, depuis les jours de son pèlerinage terrestre, d’être un signe de contradiction. Ne faut-il pas que ses bienfaits de Rédempteur et de Sauveur soient publiquement reconnus, que les avanies dont il est l’objet reçoivent une éclatante compensation ? S’il n’a pas recherché sa propre gloire ici-bas, il en a remis à Dieu le soin, Joa., viii, 50, 54 et xvii, 4-5, et cette confiance ne saurait être déçue. Voilà pourquoi avec saint Paul tous les croyants attendent son règne comme une dette, sinon comme une revanche, I Cor., xv, 25-26, et en placent l’inauguration au jour du jugement. Rom., xiv, 9-11.

c) Par rapport aux hommes. — A un degré moindre, mais pourtant réel, la Providence de Dieu est intéressée à la glorification de ses serviteurs et à l’humiliation de ses ennemis. Bien que le témoignage de la conscience doive suffire à chacun pour sa récompense ou son châtiment, n’est-il pas équitable que soient révélés les secrets des cœurs, I Cor., iv, 5, pour faire apparaître au monde le mérite des justes obscurs ou méconnus et démasquer dans l’ignominie l’injustice triomphante des méchants ? Il ne sagit pas ici d’un vain amour-propre ou de mesquines représailles, mais de rendre à chacun ce qui lui est dû.

Telles sont les principales considérations par lesquelles théologiens et prédicateurs s’appliquent à montrer la raison d’être du jugement général, même après le jugement particulier. Elles sont prises au cœur même du système chrétien : ce qui leur donne une force probante aux regards du croyant. Même s’il n’en réalisent pas toute la portée, les autres ne doivent-ils pas admettre tout au moins qu’elles expriment le noble idéal d’un monde organisé pour le triomphe définitif du bien ?

Auteur du jugement général.

D’après les données

fermes de la tradition chrétienne, le jugement dernier sera l’œuvre personnelle du Christ, avec une certaine participation des anges et des saints qui reste à déterminer.

1. Rôle principal du Christ.

Acte divin dans l’Ancien

Testament, le jugement est devenu, dans le Nouveau, l’acte messianique par excellence. De ce fait partout énoncé, le quatrième Évangile donne ainsi la raison : « Le Père lui a donné le pouvoir d’accomplir le jugement, parce que c’est le Fils de l’homme. » Joa., v, 27. Où tous les théologiens ont vu que le suprême pouvoir judiciaire doit être considéré comme un attribut du Christ en tant qu’homme. In hoc universali judicio futurum esse judicem Christum dominum, non solum per diuinilatem, sed eliam proxime per humanilalem suam : conclusio est defide. Suarez, op. cit.. n. 5, p. 1012. Ce qui s’entend d’un pouvoir délégué : car la primœva auctoritas judicandi appartient toujours et ne saurait appartenir qu’à Dieu. Voir saint Thomas, Sam. theol., III 1, q. lix, a. 2. Cf. Suarez, dis]). LU, sect. i, n. 4, p. 998 : Dicendum est hanc potestatem. .. non esse primariam, sed secundariamel quasi ex commissione Dei datant.

Le docteur angélique distingue divers titres qui Justifient ce privilège du Christ : Judiciaria potestas homini Christo competil et propler divinam personam, et propler capilis dignitatem, et propler plenitudineni gratise habilitons. C’est-à-dire que le Verbe incarné est juge d’abord par nature, à raison de l’excellence spiri1817 JUGEMENT, SYNTHÈSE THÉOLOGIQUE : JUGEMENT GÉNÉRAL 1818

tuelle, spécialement de l’incomparable sagesse, que lui confère l’union hypostatique, et aussi par fonction, en vertu de son rôle comme Rédempteur et chef du genre humain. Mais ceci n’empêche qu’il le soit également devenu par mérite personnel. Et (amen eliam ex merilo eam (potestatem) obtinuil, ut scilicet secundum Dei justitiam judex esset, qui pro Dei justitia pugnavit et vieil, et injuste judicalus est. Sum. theol., q. lix, a. 1-3. Cf. Suppl., q. xc, a. 1. Doctrine commentée par Suarez, op. cit., disp. LU, sect. i, p. 997-1002, qui précise la nature de ce pouvoir en ces termes : Hœc Christi potestas est inferior divina, et hoc sensu dici potest ministerialis ; tamen est suprema inter omnes quæ creaturis communicatæ sunt, et hoc modo vocari potest potestas judiciaria singularis excellentise. Ibid., 9, p. 1001.

Suarez se demande également à quel moment ce pouvoir a commencé et il conclut que c’est ab initio incarnalionis, encore que l’usage en dût être reculé jusqu’aux jours de sa gloire. Ibid., 11, p. 1001-1002. Voir également J. Bautz, Wellgericht und Wellende, Mayence, 1886, p. 191-199.

A ce même principe se rattache laparousie du Christ, c’est-à-dire son retour glorieux dans ce monde où il est d’abord venu souffrant et humilié. Car, en théorie, on pourrait concevoir que le Christ exerce son pouvoir judiciaire sans quitter le ciel. Mais la revanche ne serait pas complète si elle ne se produisait dans les mêmes conditions. Ainsi la raison réclame comme une suprême convenance ce second avènement que l’Écriture annonce partout comme un fait. Suarez, disp. LUI, sect. ii, p. 1013-1018.

2. Rôle auxiliaire des anges et des saints.

A plusieurs reprises, dans l’Ancien et le Nouveau Testament, on trouve mention de créatures associées au jugement divin. Les théologiens ont distingué à ce propos, après saint Thomas, diverses manières de juger.

Il en est de purement métaphoriques, comme celle qui résulte de la comparaison objective des actes : c’est ainsi que les Ninivites et la reine de Saba jugeront les Juifs au jour du jugement. Matth., xii, 41. D’autres fois il peut y avoir jugement interprétatif, dans le cas de quelqu’un qui s’associe par consentement à une sentence qu’il n’a pas été admis à porter : c’est ainsi que l’on entend d’ordinaire le jugement des saints sur le monde, énoncé dans Sap., iii, 8 et I Cor., vi, 2. Enfin il est parfois question d’une véritable participation au jugement, comme dans Matth., xix, 28 et Luc, xxii, 30. A ce propos tous les théologiens ont pensé aux assesseurs qui siègent à côté du juge et ont une certaine part à son verdict. Mais encore ce rôle peut-il être diversement compris.

Saint Thomas rapporte une opinion qui accorde seulement aux saints une place d’honneur au jugement : judicabunt scilicet per honorabilem assessionem, qui superiores cœteris apparebunt in judicio, obviantes Christo in aéra. C’est le sentiment adopté par saint Bonaventure. In IV Sent., dist. XLVII, a. 1, q. i, édition de Quaracchi, t. iv, p. 971. Le docteur angélique demande un peu plus, savoir une collaboration au jugement lui-même : hoc modo perfecti viri judicabunt, quia alios ducent in cognilionem divinæ sententiæ, ut sciant quid juste pro meritis eis debeatur, ut sic ipsa revelatio justitiæ dicatur judicium. In IV Sent., dist. XLVII, q.i, a. 2, sol. 1, p. 419, et Sum. theol., Supplem., q. lxxxix, art. 1. En quoi il est généralement suivi par la théologie postérieure. Voir S. Alphonse de Liguori, Dissert., VI, v, 4, p. 361 ; Katschthaler, op. cit., p. 543 et Bautz, op. cit., p. 209-215.

Ce privilège est réservé formellement par le Christ à ses apôtres ; mais, comme il est motivé par leur renoncement, beaucoup de théologiens retendent volontiers à tous ceux qui les ont suivis dans les voies de la pauvreté parfaite. Voir saint Thomas, loc. cit., sol. 2, i

p. 419, et Suppl., q. lxxxix, a. 2. D’autres cependant, comme Oswald, op. cit., p, 348-349, mettent davantage l’accent sur la fonction proprement apostolique et se représentent volontiers qu’à la suite des Douze les apôtres modernes conduiront au tribunal divin les peuples qu’ils ont convertis et se prononceront avec le Christ sur la manière dont ceux-ci ont utilisé le don de la foi.

On pourrait être tenté de croire, d’après Matth., xxv, 31, que les anges auront part au jugement comme les saints. Mais saint Thomas fait observer que, le juge étant le Christ dans son humanité, ses assesseurs doivent être de même nature. Tout au plus peut-on dire que les anges jugeront au sens impropre, scilicet per sententise approbationem, ou encore qu’ils joueront le rôle de témoins. Angeli cum Christo venient, non ut judices, sed ut sint lestes humanorum actuum. In IV Sent., loc. cit., sol. 3, p. 420, et Sum. theol., Supplem., q. lxxxix, a. 3. Rien ne s’oppose, bien entendu, à ce qu’ils soient préposés à la séparation des bons et des méchants, qui leur est expressément attribuée par l’Évangile. Matth., xiii, 39-41 et xxiv, 31.

Circonstances du jugement général.

Au lieu

d’être laissée dans l’Écriture à l’état de vérité abstraite, la doctrine du jugement s’y présente d’ordinaire sous forme de tableaux aux vives couleurs. La tentation devait venir de ramasser ces différents traits, de manière à reconstituer la scène entière.

Et ce ne sont pas seulement les artistes ou les prédicateurs qui y ont cédé. On peut retrouver jusque dans certains manuels de théologie qui furent longtemps classiques tout l’appareil populaire du jugement : rassemblement de l’humanité dans la vallée de Josaphat ; apparition du Christ sur un char de nuées, précédé de la croix et escorté d’anges innombrables revêtus pour la circonstance de corps brillants ; trônes élevés et visibles de loin pour le juge et sans doute aussi pour les assesseurs ; séparation des bons et des méchants en deux groupes opposés ; discussion des consciences et manifestation publique des résultats de l’enquête ; proclamation à haute et intelligible voix de la sentence dont l’Évangile rapporte la teneur. Voir la Theologia dogmatica et moralis connue sous le nom de théologie de Clermont, Paris, 7e édit., 1895, t. ii, p. 272-277.

Il n’est pourtant pas un seul de ces énoncés qui dépasse la valeur d’une pieuse opinion et, sur la plupart de ces points, la meilleure théologie catholique a fait depuis longtemps plus ou moins grande la part du symbole. Cette méthode, déjà suggérée par la seule critique rationnelle, s’impose de plus en plus à mesure que les exégètes réalisent mieux les habitudes littéraires des narrateurs bibliques. Dans ces conditions, le respect même de la tradition catholique oblige à ne sacrifier aucun de ses éléments constitutifs et le devoir du théologien est moins de prétendre trancher toutes les questions que d’accepter loyalement la divergence des réponses, avec la part de légitime liberté qui s’ensuit dans les limites autorisées par l’Église. Plus que jamais s’impose la remarque de saint Thomas : Qualiter illud judicium sit futurum et quo modo homines ad judicium convenient, non potest multum per certitudinem sciri. In IV Sent., dist. XLVIII, q. i, a. 4, sol. 4, p. 444, et Sum. theol., Supplem., q. lxxxvhi, a. 4.

1. Signes précurseurs du jugement.

Il est dans le style biblique que le jugement dernier soit annoncé par de grandes catastrophes, cosmiques et sociales, et leur explosion sera telle, à un moment donné, que les plus aveugles se rendront compte que l’avènement du Seigneur est proche. Matth., xxiv, 33. Pour le détail et la valeur de ces signes, voir Parousie. Mais on sait que la signification n’en est rien moins que précise et l’histoire est déjà longue des interprétations démentie » 1819 JUGEMENT, SYNTHÈSE THÉOLOGIQUE : JUGEMENT GÉNÉRAL

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par les événements. C’est pourquoi la théologie ne peut que se rallier, avec saint Thomas, à la sage réserve de saint Augustin : Non potest delerminari quantum tempus sit fulurum, nec de mense, nec de anno, nec de centum nec de mille annis. In IV Senk, dist. XLVII, q. i, a. 1, sol. 3, ad 2um, p. 416-417, et Sum. theol., Supplem., q. lxxxviii, a. 3, ad 2° m. Voir S. Augustin Lpisl., cxcvii, 2-3. P. L., t. xxxiii, col. 899-900, et c.xcix, 6-11, col. 910-918.

Aucun signe ne saurait faire que le grand jour ne soit inconnu, Marc, xiii, 32. et que le Fils de l’homme ne doive revenir à l’improviste, ibid., 35, comme un voleur. Matth.. xxiv, 43 et I Thess., v, 2.

2. Heure et jour du jugement.

Un mot de l’Évangile a paru propre à indiquer l’heure du jugement. Matth., xxv, 6, ne dit-il pas que l’époux arrivera « au milieu de la nuit » ? Saint Augustin cependant avait expliqué, Epist., cxl, c. 34, n. 78, P. L., t. xxxiii, col. 573, que ces paroles signifient seulement que son avènement sera imprévu et Pierre Lombard avait transmis cette explication au Moyen Age, Sent., IV, dist. XLIII, c. iii, sans que cette petite précision semble avoir autrement préoccupé les théologiens.

D’aucuns ont imaginé que le jugement général aurait lieu au mois de mars, parce que c’est le mois de la création, et un dimanche, parce que c’est le jour où le Christ est ressuscité. « Autant de conjectures, écrit saint Alphonse de Liguori, qui ne reposent sur aucun fondement solide. » Dissert., VI, ii, 1, p. 340.

3. Lieu du jugement.

Sur la foi de Joël, ni, 12, on a souvent voulu situer le jugement dans la vallée de Josaphat, tandis que d’autres, d’après Act., i, 11, estiment qu’il aura lieu dans les airs en face du mont des Oliviers. P. Lombard, Sent., IV, dist. XLVIII, c. iv. Cette dernière manière de voir sourit à saint Thomas : Probabiliter potest colligi ex Scripturis quod circa locum montis Oliveti descendet, sicut et inde aseendil. In IV Sent., dist. XLVIII, q. i, a. 4, p. 444, et Sum. theol., Supplem., q. Lxxxviii, a. 4. Suarez se montre plus résolu, malgré les oppositions dont il a connaissance, en faveur du vallon de Josaphat et de la région dont il est le centre : Mihi non videtur a communi et recepta sententia recedendum, quamquam non cerla sit, sed probabilis et pia. Disp. LUI, sect. iii, n. 2, p. 1019. Cf. Katschthaler, p. 383 et Bautz, p. 204-205. Comme pour tout concilier, saint Alphonse de Liguori se contente de désigner la ville de Jérusalem. Dissert., VI, ii, 2, p. 341.

Pourtant Suarez connaît une opinion aux termes de laquelle la « vallée de Josaphat » serait un terme allégorique pour désigner la « vallée du jugement ». Ibid., n. 1. Cette interprétation a gagné du terrain chez les exégèteset théologiens récents. De ce qui paraissait a Suarez la communis et recepta sententia, Cornely prononce tout uniment : Adverti débet eam sententiam, si eam accuratius inspexeris, non habere jtindamentum in s. lilteris. Corn, in Matth., xxv, 33-34, t. ii, p. 384-385. " Josaphat = Jahvé juge…, se vérifiant partout où Jahvé jugera, n’a aucune signification géographique précise. Ce n’est que plus tard qu’on a appliqué le nom de vallée de Josaphat au ravin du Cédron, qui sépare le mont des Oliviers de Jérusalem, et où, dès la plus haute antiquité, il y a eu beaucoup de sépultures. Cette localisation ne s’impose donc nullement à notre croyance, et on n’a pas à expliquer comment toute l’humanité peut se rassembler dans les limites étroites de ce ravin du Cédron. » Et. 1 lugueny, Critique et catholique, t. ii, 2’partie, Paris, 1914, p. 370-371. Voir également Oswald, op. cit., p. 355-357 ; F. Vigouroux, art. Josaphat, dans le Dict. de la Bible, t. iii, col. 1651-1655.

D’où l’on peut conclure avec le cardinal Billot, op. cit., p. 181 : Non est car in malcriali valle Josaphat… congregandos exislimemus omnes homincs judicandos.

4. Personne du juge.

Dès là que le jugement dernier a pour une de ses principales fins de faire éclater la revanche du Christ, celui-ci doit y figurer dans sa nature humaine, mais revêtue désormais de tous les attributs de la gloire. Ainsi l’enseigne P. Lombard d’après les Pères, Sent., IV, dist. XLVIII, i, 2, et sa doctrine, commentée par saint Thomas, In IV Sent., dist. XLVIII, q. i, a. 1-2, p. 437-439, est devenue celle de tous les croyants.

Par où beaucoup de théologiens entendent une apparition visible du Christ sur les nuées du ciel au milieu d’un cortège d’anges. Voir Suarez, disp. LVII, sect. iii, p. 1085-1086, qui admet pourtant que le trône puisse être pris au sens métaphorique, ibid., 4. Mais les exégètes, frappés de retrouver ici le matériel con venu des théophanies bibliques, ont aujourd’hui tendance à ne voir dans ces traits imagés que des expressions reçues pour désigner la manifestation de la gloire et de la puissance. Scdebit tamquam judex super thronum gloriosum, sese exhibe bit gloriosum judicem omnium et utetur judiciaria potestate. Cornely, op. cit., p. 383. Voir également Batiffol, L’enseignement de Jésus, p. 269-274, et F. Prat, La théologie de saint Paul, t. il, ]). 510-511.

Il est vrai que le même P. Cornely n’est pas hostile à l’idée d’un phénomène sensible : Non spernenda est opinatio apud Mald. Christum super nubem aliquam lucidam et illustrem esse sessurum. Cependant il se garde de l’imposer et fait bon accueil un peu plus loin, p. 385, à la théorie d’Origène, qui compare l’avènement du Christ à un éclair et lui attribue une sorte d’omniprésence, évidemment spirituelle, qui lui permet de s’offrir en même temps aux regards de tous. Voir Origène, In Matth., Com. séries, 70, P. G., t. xui, col. 1712, cité plus haut, col. 1777.

5. Comparution du genre humain.

A l’apparition glorieuse du juge correspond, selon le schème biblique, le rassemblement effectif de l’humanité tout entière, complété par le triage des bons et des méchants. Joël et, en général, les écrivains de l’Ancien Testament suggèrent une confrontation des peuples en tant que collectivités pour faire éclater l’injustice des nations à l’égard d’Israël. Il est admis que, dans l’Évangile, l’expression omnes gentes, Matth., xxv, 32, n’a plus ce sens national, mais signifie l’universalité des hommes classés d’après leurs mérites. Cornely, op. cit., p. 383384.

D’ordinaire, les méchants sont laissés sur la terre en signe de mépris, tandis que les bons sont enlevés obviam Christo in aéra. I Thess., iv, 17. La question surgit alors de savoir comment ceux-là pourront être placés à gauche et ceux-ci à droite. Sur quoi Suarez, après avoir proposé une séparation littérale, ne fait pas difficulté de reconnaître que mieux vaut ne voir là qu’un symbole : secundo vero et melius dicitur more Scripturæ dexteram et sinislram significare felicitalis et in/elicitalis, honoris vel abjectionis locum. Disp. LUI, sect. iii, n. 1, p. 1020. Voir également Oswald, op. cit., p. 353-351.

Cela étant, quelle importance faut-il encore attacher à la réunion physique du genre humain ? Autant elle était facile à concevoir dans la cadre restreint du inonde nébraïque, autant elle devient difficile pour plusieurs avec l’immense développement que nous connaissons à l’humanité. Non que rien soit impossible à la puissance de Dieu ; mais cette forme de son intervention est-elle absolument garantie ? On se souvient que, parmi les questions insolubles, saint Thomas, voir ci-dessus, col. 1818, place précisément celle de savoir, quo modo homines ad judicium contentent. Aussi, jusque dans des expositions destinées à la chaire, peut-on lire des esquisses du jugement où, sans disparaître tout à fait, le cadre matériel de la 1821 JUGEMENT, SYNTHÈSE THÉOLOGIQUE : JUGEMENT GÉNÉRAL

1822

scène s’efface, comme autrefois chez Origène, devant sa signification religieuse. « Si le plan divin, qui est l’ordre lui-même, a été obscurci dans le temps, il faudra que Dieu ait son heure pour le faire resplendir… Cette apparition du plan divin sortant tout à coup des ténèbres pour se dévoiler à tout regard intelligent, ce sera le jugement lui-même ; et quand cette lumière aura lui, tout sera jugé… Le jugement dernier, vu de haut et dans la grande lumière de la raison et de la foi, c’est cela même ; c’est le plan de la divine Sagesse se révélant tout à coup devant l’assemblée universelle de tous les êtres créés. Quelle que puisse être la forme extérieure que Dieu voudra donner à cette révélation suprême, quel que soit le drame plus ou moins saisissant par lequel se produira, devant l’humanité assemblée, la majesté de ces grandes assises, si, laissant un moment de côté l’encadrement solennel de ce drame suprême, vous cherchez" ce qui est au fond, voilà ce que vous trouverez infailliblement : la révélation éclatante, l’explosion fulgurante de tout l’ordre et de toutes les harmonies du plan divin, se dévoilant dans une clarté triomphante devant les intelligences évoquées pour le regarder et pour trouver, dans ce regard même, leur absolution ou leur condamnation, leur triomphe ou leur défaite, leur humiliation ou leur glorification. » R. P. Félix, S. J., Le châtiment. Quatrième retraite de Notre-Dame de Paris, 2e édition, Paris, 1898, p. 187-188.

Il faut, en tout cas, retenir comme essentielle au jugement dernier l’idée d’un acte spécial par lequel Dieu, sous une forme qui nous reste inconnue, fera rayonner d’une manière décisive sur toutes les consciences humaines la gloire de son nom et, ajoutons, pour que soit complète la notion de l’ordre chrétien, la gloire de son Fils.

6. Procédure du jugement.

On a depuis longtemps fait remarquer toutes les difficultés qu’il y aurait à imaginer, pour les innombrables milliards de créatures humaines, une série d’interrogations et de discussions telles qu’elles se passent devant nos tribunaux. Déjà Origène et saint Augustin avaient exposé que le jugement divin ne comportait pas autre chose qu’une illumination vengeresse de la conscience. P. Lombard a recueilli l’essentiel de cette doctrine. Sent., IV, dist. XLVII, c. i. D’où elle est passée dans saint Thomas, qui l’a formellement recueillie et méthodiquement généralisée. Quid circa hanc quæstionem sit verum pro certo definiri non potest ; tamen probabilius seslimatur quod totum illud judicium et quoad diseussionem, et quoad accusationem malorum et commendationem bonorum, et quoad sententiam de ulrisque, mentaliter perficietur. In IV Sent., dist. XLVII, q. i, a. 1, sol. 2, p. 416, etSum. theol., Supplem., q. Lxxxviii, a. 2. Pour le développement d’une conception du même genre, voir Richard de SaintVictor, De judiciaria potestate, P. L., t. exevi, col. 1181-1186. Il est vrai qu’ailleurs saint Thomas semblé se tenir plus près de la lettre des Écritures. Opusc., lxix, Opéra omnia, édition Vives, t. xxviii, p. 638-642.

Cette position si nette du docteur angélique n’a pas empêché une notable régression de la théologie postérieure. Le jugement ayant pour caractéristique de faire comparaître les hommes en corps et en âme devant le Christ siégeant dans sa forme humaine, la logique a paru exiger que la procédure comportât un élément sensible. D’autre part, ne fallait-il pas sauvegarder à la lettre la description du jugement donnée par le Christ lui-même au ch. xxv de saint Matthieu ? Les scrupules nouveaux de cette théologie et de cette exégèse ont trouvé leur pleine expression dans l’œuvre de Suarez.

Tout en reconnaissant qu’il n’y a rien de certain

en ces matières, il croit devoir redresser discrètement la doctrine reçue : Conjecturis utendo, verisimile est quod omnes theologi docent hujusmodi causæ manifeslationem non esse totam vocibus sensibilibus exprimendam. Pour apprécier toute la saveur de cette formule, il faut se rappeler que saint Thomas disait : totum illud judicium… mentaliter perficitur. Quant à lui, Suarez estime, non sans embarras, qu’il y aura quelque chose pour les sens, au moins dans les paroles du juge : Non est improbabile aliqua peccata hominum esse voce sensibili redarguenda et similiter aliqua bona opéra laudanda. Ceci s’appliquerait aux groupes, sinon aux individus : Verisimilius esse, si quid agendum est voce sensibili, id non esse futurum respeclu singularum personarum, sed in communi. De même, la sentence individuelle serait toute mentale, parce qu’une autre manière de faire prendrait trop de temps ; mais le jugement se terminerait par les deux sentences générales que rapporte l’Évangile, et celles-ci seraient prononcées à haute voix. Verisimile est, postquam de singulis in specie judicatum juerit…. proferendas esse ilhis duas générales sententias, quorum una reprobis, altéra electis communis est… At vero sententiæ illse générales, ut credi potest, voce sensibili proferentur. Disp. LVIII, sect. ix et x, p. 1097-1102.

L’autorité de Suarez a imposé cette conception à un assez grand nombre de théologiens modernes. Voir Bautz, op. cit., p. 239-241 et, au moins pour la dernière sentence, Katschthaler, p. 558-559 et Pesch, p. 372-373. Ce qui oblige à se demander en quelle langue cette sentence publique sera portée. « Une langue, répond Sylvius, qui sera comprise de chacun en particulier comme si c’était sa langue maternelle. » Dans S. Alphonse de Liguori, Disserl., Vl, vii, 4, p. 375. Mais il en est d’autres aussi, comme Tanquerey, p. 768 et Billot, p. 47 et 183, qui délaissent ce conr cordisme un peu chétif pour revenir à la doctrine pure et simple de saint Thomas. Elle offre d’incontestables avantages au point de vue logique sans avoir moins d’appuis dans la tradition.

Suivant la manière de se représenter la procédure du jugement varie la notion de sa durée. Pour Suarez et son école, il comporte un certain temps : fiet in mora aliqua. Disp. LVII, sect. ix, n. 5, p. 1100. Mais, si tout se passe dans l’esprit, le jugement peut et doit être instantané. Telle est la position admise par saint Thomas, In IV Sent., disp. XLVII, q.i, a. l.sol. 2, ad 1° "’. et Sum. theol., Supplem., q. lxxxviii, a. 2, ad l" iii, et aussi par saint Bonaventure, In IV Sent., dist. XLIII, a. iii, q. 3, p. 902.

Au total, au moins depuis Origène, deux tendances théologiques sont en présence, dont l’une s’attache à conserver le plus possible de la dramaturgie des Écritures, tandis que l’autre subordonne plus ou moins complètement ces aspects sensibles du jugement à son élément spirituel. En ne s’opposant pas à leur pacifique concurrence dans les écoles d’autrefois et d’aujourd’hui, l’Église indique suffisamment son intention de ne pas solidariser le dogme avec ses explications plus ou moins probables et de laisser aux théologiens, sous réserve des certitudes qu’impose la foi, le bénéfice de l’adage : In dubiis libertas. Tous gagneront à imiter l’attitude du vieux thomiste V. L. Gotti, Theotogia scholastico-dogmatica, Bologne, 1735, t. xvi, p. 330, qui, après avoir exposé ses convictions personnelles, ajoute avec une sage réserve : Quid autem futurum sit omnes videbimus. atque ulinam féliciter !

Objet du jugement général.

 Parce qu’il est le

règlement définitif des comptes humains, le jugement général doit avoir pour matière toutes les actions des hommes, grandes ou petites, bonnes ou mauvaises, secrètes ou cachées. « 1

1. Principe.

C’est ce que Jésus-Christ indique

équîvalemment, en disant qu’il nous sera demandé compte même dune parole oiseuse, Matth., xii, 36, mais aussi que le moindre verre d’eau donné en son nom ne restera pas sans récompense. Ibid., x, 42. Voilà pourquoi lorsque, à la grande scène du jugement, il n’est plus question que des œuvres de charité, Matth., xxv, 35-45, tous les théologiens entendent ces paroles comme signifiant, non pas une restriction absolue que rien ne justifierait, mais une simple indication. Ea quæ de opcribus misericordiæ ibi dicuntur tantum esse velut indicium quoddam judicii de omnibus operibus jaciendi. Suarez, disp. LVII, sect. ix, n. 5, p. 1100.

Saint Paul, qui insiste sur le fait que chacun devra porter au jugement tous les actes de sa vie terrestre, II Cor., v, 10, précise en particulier que le jour du Seigneur éclairera les plus profondes ténèbres et manifestera les secrets des cœurs. I Cor., iv, 5. Étant donné, en effet, que tout, dans la conception chrétienne de la vie, soit le mal, Matth., v, 28, soit le bien, ibid., vi, 1-5, dépend principalement des intentions, comment le jugement serait-il exact et complet s’il n’atteignait celles-ci ? Aussi, comme le jugement général a pour principal but d’afficher au grand jour en les justifiant les sanctions du jugement particulier, la révélation publique des consciences en fait-elle partie essentielle. Matth., x, 26. C’est ainsi que la tradition a compris ces « livres » dont il est question dans Apoc, xx, 12, après Daniel, vii, 10. Qui novit omnia nota faciet universis, dit saint Bernard, De conversione ad clericos, ix, 19, P. L., t. ci.xxxii, col. 844. Doctrine résumée dans ce vers expressif :

Cunclaque cunctorum cunclis urcana palebunt.

Il ne saurait être question d’expliquer ce fait par une sorte de loi naturelle : il demande une lumière divine spéciale. Elle agit tout d’abord de manière à faire apparaître irrésistiblement à la mémoire de chacun le souvenir de ses actes. Tous y ont laissé quelque trace, soit directe, soit indirecte par la répercussion de leurs effets : on conçoit que, sous le coup d’une excitation puissante, ces indices fugitifs puissent reprendre corps. La même action divine étendra notre regard au contenu des autres consciences, de manière à enlever tous les voiles et arracher tous les masques, ce qui peut se faire, soit par la révélation des consciences elles-mêmes réalisée par la toute-puissance de la cause première, soit par la perception nette de l’état de gloire ou d’humiliation dans lequel se traduira la somme de leurs mérites. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire de supposer que cette vision soit absolument instantanée. Pour les damnés, qui n’auront pas le privilège de la vision béatifique, saint Thomas admet qu’ils embrasseront toute l’étendue de leurs mérites ainsi que ceux des autres, non tamen in insianli sed in lempore brevissimo, divina virtute ad hoc adjuvante. Sur toute cette question, voir In IV Sent., dist. XLIII, q i, a. 5, p. 288-291, et Sum. theol., Supplem., q. i.xxxvii, a. 1-3.

2. Application au eus des péchés déjà remis.

On

s’est demandé si les péchés effacés par la pénitence reparaîtraient au dernier jugement. Pierre Lombard voulait épargner aux justes cette humiliation. Si quveritur utrum peccata quæ fecerunt elecli lune prodeant in noliliam omnium, sicut mala dumnandorum omnibus erunt nota, non legimus hoc expressum in Script lira. Unde non irrationaliter putari potest peccata hic per psenitenliam lecla et détela illic etiamtegialiis, ulia vero cunclis propalari. Sent., IV, dist. XLIII, c. v. Sain t Thomas défend le sentiment contraire comme la probabilior et communior opinio, d’abord au nom de la loi commune du jugement dernier, puis au nom même de la gloire des saints qui serait diminuée dans 1 hypothèse du Maître des Sentences. Ex hoc sequeretur quod

nec eliam pœnilentia de peccatis illis perjecte cognoscatur : in quo mullum detraheretur sunclorum gloriae et laudi divinæ quæ tam misericorditer sanctos liberavil. Il ajoute d’ailleurs que cette publication ne sera pas un sujet de honte pour les saints, pas plus que le rappel public qui se fait dans l’Église des péchés de Marie-Madeleine n’est pour elle une source de tristesse ou un affront. In IV Sent., dist. XLIII, q. i, a. 5, sol. 2, p. 291, et Sum. theol., Supplem., q. Lxxxvii, a. 2. De même saint Bonaventure. In IV Sent., dist. LVII, a. ni, q. 1-2, p. 899-901.

Approuvée par Suarez, disp. LVII, sect. vii, n. 6, p. 1094, cette doctrine est devenue celle de toute la théologie catholique. Voir Katschthaler, op. cit., p. 556-557, et Bautz, op. cit., p. 224-226. Parfois même l’opinion contraire est notée comme l’une des erreurs de Pierre Lombard. Voir Hurter, Theol. dogm., 10e édition, Inspruck, 1900, p. 650.

Sujets du jugement général.

Toutes les données

de la raison et de la foi s’accordent à réclamer que le jugement dernier soit absolument universel. Cette notion ne s’est-elle pas incorporée à son nom même ? Sur ce principe fondamental ne règne et ne peut régner aucun doute. Mais il y a discussion sur quelques cas spéciaux.

1. Application aux hommes.

D’après Joa., iii, 18, une tradition s’était formée qui excluait du jugement, soit les vrais fidèles du Christ parce qu’ils sont sauvés du fait de leur foi, soit les infidèles parce que leur infidélité même les condamne déjà. Spécialement adoptée par saint Grégoire le Grand, voir plus haut col. 1801, cette doctrine avait été transmise au Moyen Age sous son autorité par Pierre Lombard, Sent., IV, dist. XLVII, ciii, et formait, dès la fin du xue siècle, un’thème classique de discussions. Voir Richard de Saint-Victor, De judiciaria potestate, P. L., t. exevi, col. 11771181. Un des premiers, saint Thomas a mis toutes choses au point. Il rappelle tout d’abord le principe que le jugement est strictement universel comme la Rédemption. Quant aux bons, ils seront jugés en ce sens qu’ils recevront la récompense de leurs œuvres, mais sans que leurs mérites soient mis en discussion : Discussio meritorum non fit nisi ubi est quædam meritorum commixlio bonurum cum malis. De même en est-il pour les méchants : Judicium quod est pœnarum retributio pro peccatis omnibus malis competit ; judicium autem quod est discussio meritorum solis fidelibus, quia in in fidelibus non est fidei fundamentum. In IV Sent., dist. XLVII, q. i, art. 3, p. 421-424, et Sum. theol., Supplem., q. lxxxix, art. 5-7. Même position dans saint Bonaventure, In IV Sent., dist. XLVII, art. i, q. 3, p. 974 et dans un anonyme qui dépend de lui. Quidam non judicabuntur et damnabuntur. ut quorum mala mérita omnino impcrmi.rta sunt bonis… ; quidam vero non judicabunlur….et salrabuntur, ut quorum mérita bona impermixta sunt malis. Compendium theol., ver., vu, 19, imprimé parmi les œuvres d’Albert de Grand, t. xxxiv, Paris, 1895, p. 249.

C’est ainsi que les scolastiques s’efforçaient de concilier les exigences de la foi et les données patristiques par une distinction verbale entre le judicium discussionis et le judicium coiulamnationis vel remunerationis. Mais n’est-il pas difficile d’imaginer une vie tellement mauvaise qu’il ne s’y mêle pas le moindre bien ou tellement bonne qu’il ne s’y mêle pas le moindre mal ? Aussi cette distinction a-t-elle paru fragile à Suarez.

Tout en rendant hommage à l’effort fait par les théologiens ses prédécesseurs pour sauver en la modelant le théorie de saint Grégoire, hanc sententiam exponunl et moderantur scholasiici, il refuse de les suivre dans cette voie. Leur solution lui semble magis spectare ad mclaphoricum modum loquendi quam ad rei verita1825 JUGEMENT, SYNTHÈSE THÉOLOGIQUE : JUGEMENT GÉNÉRAL

1826

tem et proprietalem. Car, en réalité, il ne saurait y avoir de différence entre fidèles et infidèles, dont toute les actions seront pareillement pesées et publiées. Si l’infidélité coupable est un principe évident de damnation, de même en est-il pour une foi stérile que n’ont pas accompagné les œuvres. Il ne s’agit d’ailleurs pas uniquement de partager les hommes en fidèles et infidèles, mais d’apprécier dans le détail la responsabilité de chacun : ce qui exige une discussion pour les uns aussi bien que pour les autres. Pourquoi, du reste, la foi comporterait-elle un privilège plutôt, par exemple, que la charité ? Tout ce qu’on peut dire des grands coupables, ce n’est pas qu’ils ne sont pas soumis au jugement, mais qu’ils y sont d’avance condamnés. Non est ergo sensus hos non esse judicandos in judicio divino, scd solum habere in se ccrtam damnationis causam. Disp. LVII, sect. v, p. 1087-1089.

Application est faite un peu plus loin des mêmes principes au jugement des saints. Seules les âmes exemptes de tout péché actuel, comme celle de la vierge Marie, n’ont à atteridre que la louange divine. Pour toutes les autres, il y a lieu à une discussion comparative de leurs mérites ou démérites respectifs. Même les assesseurs du Christ seront d’abord jugés par lui avant de juger les autres. Mais il est bien évident que la discussion sera moindre pour ceux qui n’eurent à se reprocher que des péchés véniels ou de légères imperfections. Disp. LVII, sect. vii, p. 1092-1095.

Cette doctrine de Suarez est entrée communément dans la théologie récente sous la forme d’une distinction entre le « jugement de discussion » et le « jugement d’évidence », celui-cin’étant applicable qu’à certains cas exceptionnels tandis que celui-là demeure la loi commune. Voir Katschthaler, op. cit., p. 550-551, etBautz, op. cit., p. 215-226. D’autres ont fait observer cependant qu’il ne saurait y avoir pour personne de discussion proprement dite, du moment que le sort de chaque âme est réglé par le jugement particulier, mais qu’il y a lieu pour toutes à la manifestation publique de leur place relative dans l’échelle du bien ou du mal. Voir Oswald, op. cit., p. 350.

Le cas des enfants morts en bas âge a paru mériter un examen spécial. Du moment qu’ils n’ont pas pu acquérir de mérites personnels, saint Thomas les fait comparaître devant le tribunal divin, non ut judicentur sed ut videanl gloriam judicis. In IV Sent, dist. XLVII, q. i, a. 3, sol. 1, ad 3um, p. 423, et Su777.//ieoL, Supplem., q. lxxxix, a. 5, ad 3um. Mais saint Bonaventure croit devoir les soumettre au jugement. In IV Sent., dist. XLVII, a. i, q. iii, p. 974. Conformément à son système, Suarez soustrait au judicium discussionis ceux qui ont reçu le baptême, disp. LVII, sect. vii, n. 3, p. 1092 ; mais les autres devront être jugés. Ainsi l’exige la loi générale et c’est ce qu’indique positivement l’Apocalypse, xx, 12, quand elle place devant le trône de Dieu tous les morts sans exception, « les petits comme les grands ». Ibid., sect. vi, p. 1089-1091. Voir dans ce sens Katschthaler, p. 546-551, et Bautz, p. 226229.

2. Application aux anges.

Faut-il enfin mettre les anges parmi les sujets du jugement ? La question a été diversement résolue.

D’après l’ancienne doctrine de l’école, leur cas ne saurait comporter de discussion. Quant à la rétribution, saint Thomas estime qu’elle est déjà réalisée pour eux et que le dernier jugement leur vaudra seulement un supplément accidentel de joie ou de peine, d’après ce qu’ils auront fait de bien ou de mal pour les hommes. Unde directe loquendo, conclut-il, judicium neque ex parte judicantium neque ex parle judicandorum erit angelorum sed hominum ; sed indirecte quodammodo respiciel angelos, in quantum actibus hominum fuerunt commixti. In IV Sent., dist. XLVII, q. i, a. 3, sol. 4,

p. 424, et Su/77, theol., Supplem., q. lxxxix, a. 8. Au contraire, saint Bonaventure, sur la foi principalement de II Petr., ii, 4, tient que le jugement dernier comprendra les anges aussi bien que les hommes. In IV Sent., dist. XLVII, a. i, q. 4, p. 974-975.

Cette opinion est retenue par Suarez comme « plus probable », disp. LVII, sect. viii, p. 1095-1097, et généralement suivie avec la même note par la théologie moderne. Voir Katschthaler, p. 546-548 ; Oswald, p. 350-351 ; Bautz, p. 229-231 ; Tanquerey, p. 768. Quelques auteurs cependant, tels queChr.Pesch, p.372, rapportent côte à côte les deux conceptions sans exprimer leurs préférences. Il est certain que la seconde, outre ses attaches traditionnelles, correspond davantage au courant de la pensée religieuse actuelle, qui aime considérer le dernier jugement comme la suprême manifestation de la justice de Dieu et l’inauguration solennelle, pour toutes les créatures raisonnables, conformément à leurs mérites, de l’ère de l’éternité.

Conclusion générale. — A la prendre dans son ensemble, cette doctrine catholique du jugement, telle que la présente l’Église, rentre bien dans l’économie de la divine révélation, qui a pour but de nous fixer sur « l’unique nécessaire » plutôt que de satisfaire aux exigences d’une vaine curiosité. Bien inconsciente de ses moyens et de ses limites serait la théologie qui prétendrait en exclure toutes les ombres ou répondre d’une manière adéquate à toutes les questions qu’elle peut soulever. « Bespectons les mystères que Dieu n’a pas voulu nous révéler et n’essayons pas de suppléer à son silence par les constructions enfantines de notre imagination. » Et. Hugueny, op. cit., p. 372. Dans ces mystères eux-mêmes, l’enseignement divin, quand il est reçu avec une confiante fidélité, fait jaillir assez de lumières pour que l’âme religieuse y trouve de quoi guider sa marche à travers les ténèbres de la vie présente et s’exciter à un effort moral toujours plus intense, en vue de solliciter efficacement la miséricorde de Dieu avant que se révèle cette justice qui, pour chacun de nous et pour l’ensemble de l’humanité, ne saurait manquer d’avoir son jour.

Juste judex ultionis,

Donum fac remissionis

Ante diem rationis.

I. Croyances des religions non-chrétiennes. — 1° Outre les histoires générales ou spéciales des religions, on peut consulter les monographies suivantes : L. Marillier, La survivance de l’âme et l’idée de justice chez les peuples non civilisés, Paris, 1894, dans la Bibliothèque de l’École pratique des hautes études : Section des sciences religieuses ; N. Sôderblom, La vie juture d’après le Mazdéisme à la lumière des croyances parallèles dans les autres religions, Paris, 1901, dans les Annales du Musée Guimet : Bibliothèque d’études, t. ix ; H. Hubschmann, Die parsische Lehre von Jenseits und jungslem Gericht, dans Jahrbûcher fur protestantische Théologie, t. v, 1879, p. 203246 ; A. V. Williams Jackson, Weighing of the soûl in the balance ajter death an Indian as well as Iranian idea, dans les Actes du X’Congrès international des Orientalistes, tenu à Genève, 1894, 2e partie, p. 65-75 ; Edin. Spiess, Entuiickelungsgeschichte der Vorstellungen vom Zustande nach dem Tode auf Grund vergleichender Religionsforschung, Iéna, 1877.

2° En particulier pour l’antiquité classique, L. Ruhl, De mortuorum judicio, dans A. Dieterich et R. Wiinsch, Religionsgeschichtliche Versuche und Vorarbeiten, Giessen, 1905, t. ii, p. 33-105 ; G. Iwanowitch, Opiniones Homeri et tragicorum gréecorum de inferis, dans Berliner Studien fur klassische Philologie und Archàologie, t. xvi, 1894, p. 5-103 ; H. Meuss, Die Vorstellungen von Dasein nach dem Tode bei den altiken Rednern, dans JVeue Jahrbûcher fur classische Philologie und Pàdagogik, t. cxxxix, 1889, p. 801-815 ; E. Rohde, Psyché ; Seelenkult und Unsterblichkeitsglaube der Griechen, Tubingue, 1e édit., 1893-1895 ; 5e édit. 1910 ; A. Dieterich, Nekyia, 2e édit., Leipzig, 1913.

Bons résumés par H. Weil, dans le Journal des Savants , p. 633 sq., et 1895, p. 552-564 ; F. Durrbach, art. Inferi, dans Daremberg-Saglio, Dictionnaire des antiquités, t. iii, Paris, 1900, p. 493-515.

II. HlSTOlHE DE LA RÉVÉLATION CHRÉTIENNE. 1° Pé riode scripturaire. — 1. Éludes d’ensemble. — L. Atzberger, Die christliche Eschatologie in den Stadien ihrer Offenbarung im Allen imtl Neuen Testament, Fribourg-en-B., 1890 ; . Wahl, Unsterblichkeits-und Vergeltungslehre des alttestamentichen llebraismus, Iéna, 1871 ; A. F. Stewart Salmond, The Christian doctrine of immortalitg, Edimbourg, 2’édition, 1896 ; R. II. Charles, .1 critical historg o/ the doctrine o/ a future lifc, Londres, 1899.

2. Monographies : Ancien Testament. — J. Touzard, Le </( tnloppement de la doctrine de l’immortalité, dans Revue biblique, 1898, p. 207-242 ; critiqué par A. Durand, S. J., Les rétributions de la vie future dans les Psaumes, dans Études, t. i.xxxi, 1899, p. 328-349, et Les rétributions de la vie future ihms l’Ancien Testament, ibid., t. Lxxxin, 1900, p. 22-49 ; A. Kohut, Was hat die talmudische Eschatologie aus dem Parsismus aufgenommen, dans Zeitschrift der deutsclien morgent àndischen Gesellschaft, t. xxi, 1867, p. 552-592 ; E.Stave, L’eber den Einfluss des Parsismus auf dus Judentuin, Ilaarlem et Leipzig, 1898 ; E. Bôklen, Die Verwandtschafl’1er jûdisch-chrisUichen und der persischen Eschatologie, Gcettingue, 1902 ; P. Dhorme, Le séjour des morts chez les Babyloniens et hs Hébreux, dans Revue biblique, 1907, p. 57-78 ; P. Volz, Jiidische Eschatologie von Daniel bis Aquiba, Tubingue, 1903 ; F. Weber, Jiidische Théologie, Leipzig, 2e édition, 1897.

3. Monographies : Nouveau Testament : — P. BatiffoI, L’enseignement de Jésus, Paris, 2e édit., 1905 ; R. Kabisch, hic Eschatologie des Paulus, Gœttingue, 1893 ; E. Teichmann, Die ; >aulinische Vorstellungen von Auferstchung und Gericht und ihre Beziehung zur jùdischen Apocalyptik. Leipzig, 1896 ; R. Kennedy, St Paul’s conception of the last things, Londres, 1904 ; F. Prat, La théologie de saint Paul, t. il, Paris, 1912.

Période patristique.

Sacrifiée dans les histoires générales

du dogme, la doctrine du jugement tient sa petite place dans les rares monographies du dogme eschatologique ou sotériologique : L. Atzberger, Geschichte der christlichen Eschatologie innerhalb der vornicànischen Zeit, Fribourgen-B. , 1896 ; J. Turnicl, L’eschatologie à la fin du IV’siècle, dans Revue d’histoire et de littérature religieuses, t. v, 1900, p. 97-128, 200-233, 289-322 ; J. Niederhubcr, Die Eschatologie des heiligen Ambrosius, Paderborn, 1907 ; J.-B. Aulhauser, Die Heilslehre des hl. Gregor von Nyssa, Munich, 1910 ; E. Weigl, Die Heilslehre des hl. Cgrill von Alexandrien, Mayence, 1905 ; Osk. Braun, Moses bar Kcpha und sein Buch von der Seele, Fribourg-en-Brisgau, 1901.

Quelques indications dans Thomas Burnet, De statu mortuorum et resurgentium tractatus, Colonise Cheruscorum, 1729, 2e édit. 1733 ; critiqué par Lud. Ant. Muratori, De paradiso regnique ca^lestis gloria, Vérone, 1738.

Contributions partielles par Martin.Jugie, La doctrine des fins dernières dans l’Eglise gréco-russe, dans Échos d’Orient, t. vii, 1914-1915, p. ">-22, 209-228, 402-421 ; .1. Rivière, Rôle du démon au jugement iiarticulicr chez les Pérès, dans Revue des sciences religh usrs, . 1, 1 92 1, p. 1 3-6 I ; A. Bouillit, Le jugement dernier dans l’art des douze premiers siècles, Paris, 1894. Excellent résumé dans Labauche, Leçons de théologie dogmatique, t. u : L’homme, Paris, 4e édit., 1921.

III. Exposé DE LA RÉVÉLATION CHRÉTIENNE.

1° Chez les protestants. — 1. École orthodoxe. — Th. KliefDth, Christliche Eschatologie, Leipzig, 1886 ; Chr. E. Luthardt, Die Lehre non den letzten Dinqen, 2e’édit., Leipzig, 1870 ; H. W. Rinck, Vom Zustand nach dem Tode, 3’édit., Bâle, 1878 ; Fr. Splittgerber, Tod, Fortleben und Aiifcrstehung, 2’édit., Halle, 18<19. Bésumé dans A. Grétillat, Exposé de théologie systématique, Paris, 1890, t. iv, p. 515-624. — 2. École libérale. — Louis Emcry, L’espérance chrétienne, Lausanne, 1913 ; articles Eschatologie et Gericht Gotles, dans IL Gunkcl cl O. Schee !, Die Religion in Geschichte und Gegenwarl, t. ii, Tubingue, 1910, col. 598-623 et 1318-1321.

2° Chez les iiilholiques. — 1. Théologiens scolastiques : Sailli Thomas, In IV Sent., dist. XLIII-XLIX ; Somma theolagtca, Supplem., q. i.xix et lxxxvii-xc ; Opusc, i srx : De pr&ambuUs ad judiclum et de ipso judicio, dans opéra omnia, Paris, I. xxviii, p. 624-653 ; Saint Boiuivriittirc, In

i Sent., dist. XLIII-XLIX, édition de Quaracchi, 1889, i. iv, p. 880-997 ; Suarez, De mysteriis vttie Christi, disp.

I.II-LV1I1, dans Opéra omnia, t. xiv, Paris, 1860,

p.997-1102 ; Gotti. Theologia scholastico-dogmatica, ologne, 1735, t. vi. p. 305-354.

2. Parmi les innombrables manuels modernes, on consultera avec fruit : L. Billot, Quæstiones de novissimis, Rome, 5e édit., 1921 ; J. Katschthaler, Eschatologiu, Ratisbonne, 1888 ; Palmieri, De novissimis, Rome, 1908 ; C. Mazzella.De £>co créante, Rome, 4e édit., 1896. — Monographies, par J. Drexelius, Tribunal Christi, dans Opéra spiritualia, Douai, 1636, t. il, p. 451-546, traduit en français sous ce titre : Le tribunal de Jésus Christ ou le jugement d’un chascun à l’instant de son trespas, Rouen, 1650 ; saint Alphonse de Liguori, Dissertations dogmatiques et morales sur les fins dernières, I et VI, dans Œuvres dogmatiques, traduction J. Jacques, Tournai, 1874, t. v, ii, p. 217-230 et 334-391 ; J.-H. Oswald, Eschatologie, Paderborn, 1868 ; Bautz, Weltgericht und Weltende, Mayence, 1886.

J. Rivière.