Dictionnaire de théologie catholique/JUDAÏSME III. Institutions

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.2 : JOACHIM DE FLORE - LATRIEp. 98-102).

III. Institutions. —

L’histoire postexilienne du peuple juif se distingue de son histoire préexilienne surtout à deux points de vue : d’abord les Israélites ne sont plus autonomes, mais, à l’exception de l’époque asmonéenne, ils dépendent, sans espoir de pouvoir changer la situation, des empires qui dominent successivement l’Asie antérieure. Dès lors tous leurs intérêts se détournent de la politique et se concentrent sur la situation intérieure principalement sur la vie religieuse. Il en résulte que les institutions ecclésiastiques apparaissent au premier plan. Elles deviennent à ce point prédominantes que leurs principaux représentants sont en même temps les chefs politiques de la nation.

Il va de soi que dans ces conditions le sacerdoce, l’institution religieuse par excellence, joue le premier rôle dans toute l’histoire du judaïsme. Mais les préoccupations religieuses étaient si grandes après l’exil, que le sacerdoce seul ne suffisait pas à les satisfaire. Peu à peu une seconde institution se forma, celle des scribes : les ministres du culte furent secondés par les docteurs de la Loi.

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    1. JUDAÏSME##


JUDAÏSME, [NSI [TUTIONS

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Le prophétisme par contre, qui avait exercé une si .mande influence avant et même pendant l’exil, disparaît comme institution permanente. Il y a encore des prophètes, surtout dans la période qui suit le retour, des compositions prophétiques s’y rencontrent aussi, mais il n’y a aucune école prophétique ; aucun prophète n’émerge comme guide du peuple. Ce sont les prêtres et les scribes qui ont désormais la direction du judaïsme.

Le sacerdoce.

Son rôle prépondérant se montre

dès le retour. Les prêtres reviennent en beaucoup plus grand nombre que le reste des Juifs : ils forment le dixième des rapatriés. Le premier acte de la restauration est le rétablissement du culte, donc du service sacerdotal. Le grand prêtre se trouve avec un prince royal à la tête des rapatriés et est mis en évidence par Aggée et Zacharie. C’est un prêtre, Esdras, qui s’occupe le plus ardemment avec Néhémie de la situation spirituelle et matérielle du peuple.

D’après les critiques, cette position influente du sacerdoce serait d’autant plus caractéristique de l’époque postexilienne que la base juridique en aurait été créée seulement pendant l’exil par le Code sacerdotal. Dans leurs études sur le judaïsme, ils consacrent pour ce motif de longues pages à cette grande nouveauté postexilienne. Ils relèvent surtout comme tout à fait récente la dignité de grand prêtre, la distinction entre prêtres et lévites et même entre prêtres et laïques.

Ce problème est lié pour une bonne part à celui de l’origine du Code sacerdotal, voir plus bas, col. 1638. Cependant il y a des raisons spéciales qui obligent à reculer dans un passé fort éloigné les origines-du sacerdoce.

En effet la ligueur avec laquelle on exigeait après l’exil la légitimation généalogique de chaque membre du sacerdoce, Esdr., ii, Gl sq. ; Neh., vii, C3-64, ne permet pas de voir dans la descendance aaronique des prêtres ou dans la filiation lévitique des ministres des prêtres une fiction généalogique, inventée pendant l’exil dans le but d’établir différents grades dans la hiérarchie.

Cette prétendue fiction est en outre contredite par bien des témoignages qui attestent dès le temps préexilien l’existence de la dignité de grand prêtre, IV Reg., xii, 10 ; xxii, 1, 8 ; xxiii, 4 ; xxv, 18, le droit privilégié des membres de la tribu de Lévi au sacerdoce, Jud., xvii, 7 sq. ; xviii, 30 ; III Reg., ii, 27 ; III Reg., xii, 31, et la différence entre prêtres et lévites, I Par., xxiii sq. Bien que, abstraction faite des passages attribués au Code sacerdotal, il n’y ait pas de textes préexiliens qui distinguent nettement les deux o’rdres du sacerdoce, il n’en résulte pas qu’ils fussent primitivement confondus ; car la communauté d’origine et le caractère sacerdotal, commun aux prêtres et aux lévites, ont permis de nommer lévites au sens large du mot les prêtres et inversement de qualifier les lévites du titre de prêtres.

C’est à tort qu’on impute à Ézéchiel d’avoir introduit la classe des lévites en dégradant les prêtres qui avaient sacrifié sur les hauts lieux, et en les condamnant à devenir les ministres des prêtres qui étaient restés fidèles à Jahvé, car. d’après xliv, 10 sq. ; xl, 15 ; xun, 19, Ézéchiel ne décrète pas, mais il suppose déjà existante la distinction entre prêtres et lévites et la dégradation prévue par le prophète au chapitre xi.v pour les temps messianiques ne vise pas des prêtres, mais des lévites infidèles. Voir Kugler, op. cit., p. 110 sq.

Ces arguments, auxquels s’en pourraient joindre bien d’autres, permettent de maintenir l’origine antique de la triple hiérarchie du corps lévitique. Ce ne sont pas de nouvelles lois, mais de nouvelles

circonstances qui ont transformé la situation du sacerdoce à l’époque du judaïsme, comme nous allons l’indiquer à grands liait s.

1. Le (jrand prêtre. — Le grand prêtre réunissait dans ses mains la plénitude du pouvoir sacerdotal ; il était le chef des prêtres et des lévites, le représentant du peuple devant Dieu. Ces droits et cette autorité qui étaient à vie le prédestinaient à devenir, après la disparition de la royauté, le chef politique de la nation. Au commencement de l’époque perse, il y avait à Jérusalem des gouverneurs, institués par les rois perses..Mais ce poste semble avoir été bientôt supprimé et le grand prêlre devint l’administrateur suprême des affaires temporelles de l’État juif, d’ailleurs fort minuscule. Comme tel il était le président du sanhédrin et représentait le peuple à l’extérieur. Pour le temps de la domination égyptienne nous savons par.losèphe, AnL, XII, iv, 1 sq., que toute l’administration des finances lui fut confiée et que c’était lui qui était responsable de la livraison régulière des impôts.

La royauté sacerdotale des Asmonéens valut au pouvoir du grand prêtre un accroissement tout à fait exceptionnel. Cette dignité fut^ d’autant plus amoindrie à l’époque romaine. Le caractère perpétuel cl héréditaire n’en fut plus reconnu. Les procurateurs ainsi qu’Hérode et ses descendants instituèrent à leur gré les souverains pontifes. Ilérode extermina même la dynastie asmonéenne. Entre le dernier asmonéen, Aristobule († 37 avant J.-C), et la destruction de Jérusalem, on ne compte pas moins de vingt-huit grands prêtres.

Malgré ces nombreux changements, le pouvoir degrand prêtre resta le privilège de quelques familles nobles auxquelles il conférait des droits considérables.

Les fonctions religieuses du grand prêtre étaient restées les mêmes qu’avant l’exil ; il offrait surtout le sacrifice au jour de l’Expiation et portait le sang des victimes dans le Saint des Saints. D’après une coutume tardive, Mischna, Jonui, i. 2, il devait également officier pendant la semaine avant le jour de l’Expiation. D’après Josèphe, le grand prêtre sacrifiait ordinairement tous les samedis, les jours de néoménie et de grandes solennités nationales. Bell. Jud., v, 57.

2. Les prêtres.

En additionnant les chifïres fournis par Esdras, ii, 36-39. on trouve le total considérable de 4 289 prêtres revenus au premier voyage de Babylonie à Jérusalem : ils appartenaient à quatre classes et étaient groupés autour de vingt-deux chefs rie famille. Ces quatre classes représentent sans doute quatre des vingt-quatre sections en lesquelles David, selon I Par., xxiv, 3 sq., aurait partagé les prêtres et qui devaient alternativement faire le service hebdomadaire au temple ; car trois des quatre classes d’Esdr., il, 36-39, correspondent par leurs noms à trois de celles que signalent les Paralipomènes. Selon la tradition rabbinique (Talmud Jerus.. Taanith, iv, ꝟ. 68 « , d’après Schiïrer, op. cit., t. ii, p. 233) on aurait subdivisé par le sort chacune de ces quatre classes en six, pour obtenir de nouveau le nombre de vingt -quatre. Du temps de Jésus-Christ, ces vingt-quatre classes existaient encore : Josèphe, Ant., VII, xiv, 7, l’atteste expressément et saint Luc, i, 5, mentionne la classe d’Abia (la huitième selon I Par., xxiv, 10) comme celle à laquelle appartenait Zacharie.

Le nombre des prêtres devint encore plus considérable dans la suite. Josèphe indique même pour son époque vingt mille prêtres. Ce chiffre n’est pas surprenant, si on pense aux nombreux et multiples emplois qui étaient déjà prévus par les lois du l’cntateuque cl qui abondaient surtout dans le temple d’Hérode : les uns s’occupaient du culte proprement

dit, les autres administraient les biens du temple et faisaient le service de police et de surveillance.

Tout le personnel sacerdotal formait un ordre bien circonscrit auquel personne ne pouvait appartenir s’il n’était censé descendre d’Aaron. Après le retour, plusieurs familles qui ne purent pas se légitimer par les listes généalogiques en furent exclues, Esdr., ii, (51 sq., et Josèphe mentionne expressément que sa généalogie se trouve dans les actes publics. Vita, i. Parmi les descendants d’Aaron, ceux-là seulement étaient admis au service qui n’avaient pas de tare morale ou de défaut corporel. Les quelques cas d’irrégularité, prévus dans les lois mosaïques ne suffisaient pas au judaïsme : la littérature rabbinique en mentionne cent quarante-deux. Mischna, Bechoroth, vu : Ant., III, xii, 2.

L’influence que le sacerdoce exerçait dans le judaïsme n’était pas due seulement à la multitude de ses membres, mais surtout à ses fonctions religieuses. Le temple avec le culte formait le centre de toute la vie nationale des Juifs et les prêtres seuls avaient le droit de sacrifier. C’est par eux donc que les Israélites devaient faire accomplir le culte officiel, c’est-à-dire offrir les sacrifices qui étaient prévus par la Loi en si grand nombre.

Cette position privilégiée que le culte assurait aux prêtres fut encore rebaussée par l’aisance dans laquelle ils vivaient par suite de leurs riches revenus et par le rôle politique que jouaient les aristocrates du clergé juif. Ces derniers siégeaient dans le sanhédrin et se réservaient les postes les plus importants, surtout la dignité de grand prêtre.

Malheureusement les prêtres du judaïsme étaient, au point de vue moral et intellectuel, encore moins à la hauteur de leur tâche que leurs prédécesseurs préexiliens. Déjà tout de suite après le retour ils méritaient de graves reproches : ils contractaient comme les autres Juifs des mariages mixtes, Esdr., x, 18 ; ils négligeaient le culte et l’étude de la Loi. Malachie les réprimande de ce qu’au lieu de garder sur leurs lèvres la science, « ils en ont fait trébucher plusieurs contre la Loi. » ii, 7-8. Plus tard le sacerdoce oublia davantage encore ses devoirs en favorisant l’hellénisme de sorte qu’il perdit de plus en plus son prestige sur le peuple.

3. Les lévites.

Tandis que la situation des prêtres s’améliorait notablement après l’exil, celle des lévites allait empirer. Prévoyant, non sans raison, Neh., x, 37-39 ; xiii, 10 ; Mal., ni, 8, que les circonstances précaires rendraient la dîme, leur principal salaire, peu abondante, les lévites ne revinrent qu’en très petit nombre, Esdr., ii, 40 sq. ; viii, 15 sq., appartenant à trois catégories ; lévites proprement dits, c’est-à-dire aides des prêtres pour les sacrifices, chantres et portiers. Le quatrième emploi qui leur aurait été cou lié par David, celui de notaire et de juge, I Par., xxiii, 4 ; xxvi, 29-32, n’est plus mentionné pour le temps du judaïsme, ni celui de maître qu’ils avaient exercé sous le roi Josaphat. II Par., xvii, 7-9. Toute l’occupation des lévites se restreignait au service du temple. Ils ne jouaient aucun rôle dans la vie politique ou spirituelle du peuple. Même leur service liturgique semble avoir avec le temps perdu de son prestige ; car les deux livres des Macchabées qui citent très souvent les prêtres et qui auraient pu très facilement à maintes reprises mentionner aussi les lévites, lors de la dédicace du temple sous Judas, n’en souillent mot et les Évangiles ne les mettent en scène que deux fois. Luc, x, 32 ; Joa., i, 19. Josèphe non plus n’en fait pas grand cas. Une classe de lévites cependant, celle des chantres, obtint un rang très honorable. L’embellissement qu’ils donnaient au culte fut tellement apprécié que sous Agrippa II ils obtinrent le droit de porter le costume des prêtres. Ant., XX, ix, 6-7.

Les Seribes.

1. Leur histoire. — Puisque, après

l’exil, non seulement le culte prescrit par la Loi, mais toute la Thora attiraient bien plus qu’auparavant l’attention de tous les fidèles, on comprend qu’à côté du sacerdoce, un autre état se soit formé dont les membres s’occuperaient de la Loi comme les prêtres s’adonnaient au service du temple. Cela était d’autant plus nécessaire que ces derniers se souciaient peu en général de l’enseignement du Code mosaïque,

Les scribes n’étaient pas des hommes qui, semblables aux grands prophètes, communiquaient au peuple de nouvelles révélations ou l’entraînaient par leurs discours à l’enthousiasme religieux ; c’étaient des hommes doctes et calmes dont l’unique soin était de conserver et d’interpréter l’héritage spirituel du passé. Nul nom ne saurait mieux que celui qu’ils portent, caractériser leur œuvre : ils sont appelés soferim, c’est-à-dire biblistes. Ils sont donc ceux qui s’occupent d’une façon spéciale des Livres Saints. D’après la traduction des Septante qui les nomme ypa^aTetç, on les appelle aujourd’hui communément scribes. Puisque la Thora forma l’objet principal de leurs études, ils sont aussi, surtout dans le Nouveau Testament, nommés docteurs de la Loi, vo^ixoî, vo[j.o6’!.ââaxaXo’.. Matth., xxii, 35 ; Luc, v, 17..

Dès l’origine des livres sacrés, on devait commencer à s’occuper d’eux, en particulier de la Thora. Le précepte, Lev., x, 11 ; Deut., xxxiii, 10, d’enseigner la Loi le prouve et l’instruction que le roi Josaphat fit donner au peuple par les prêtres et les lévites, II Par., xvii, 7-9, l’atteste. Lorsque, après la destruction du temple et la cessation du culte, les Livres Saints devinrent les seuls restes visibles de la religion, il était tout naturel que l’intérêt se concentrât sur leur étude et qu’on se dédommageât par eux de la privation des sacrifices. Le premier en effet qui porte le titre de scribe dans le sens indiqué est Esdras. Esdr., vii, 6. Il est présenté comme le scribe par excellence qui ait étudié, observé, enseigné la Loi. Esdr., vii, 10.

II était prêtre et scribe en même temps et dans les premiers temps qui suivirent l’exil les scribes ne formèrent pas un état distinct de l’état sacerdotal. A côté d’Esdras, des lévites expliquaient la Loi. Neh, , vm, 7-13. Mais puisque la Thora ne réglait pas seulement les rites des prêtres, mais aussi la vie quotidienne de tous, et que les Juifs après le retour formaient bien plus une communauté religieuse qu’un état politique, les laïques s’intéressaient également beaucoup à la Loi et plus d’un parmi eux devint « biblisle ». Néhémie, xui, 13, mentionne déjà un scribe laïque. La négligence des prêtres par rapport à la Loi a nécessairement accru le nombre des scribes en dehors du sacerdoce. L’Ecclésiastique, xxxviii, 25 sq., mentionne les scribes comme une institution à part, formant l’état le plus notable de son temps. A l’époque maccliabéenne, les scribes se distinguent par leur zèle pour la Loi et la foi des pères, I Macch., vii, 12 sq. ; II Macch., vi, 18 sq., et entrent en opposition avec le sacerdoce en tant que ses représentants aristocrates préfèrent la culture hellénique aux coutumes juives. Tandis que ces derniers s’aliènent la foule, les scribes gagnent de plus en plus sa faveur. Par suite surtout du succès brillant des Macchabées, ils devinrent les véritables chefs du peuple juif. Sous la reine Aléxandra, les plus éminents des scribes obtiennent même des sièges dans le sanhédrin, à côté de l’aristocratie sacerdotale et prennent part dorénavant au gouvernement politique. Lorsque, après la ruine de Jérusalem (70 après J.-C.)> le sanhédrin et le sacerdoce disparurent, le pouvoir et l’iniluence des docteurs de la Loi devint absolu. Auparavant déjà des décisions des rabbins célèbres avaient force de loi. Dorénavant toute la direction de la nation reposa entre leurs mains. Malgré la débâcle foudroyante, ils réussirent à fonder à Jabné, à Lydda

et plus tard àTibériade de nouvelles écoles pour l’étude

de la Loi, et a composer plus tard comme fruits de leurs recherches séculaires l’immense littérature rabbi nique.

L’estime dont les scribes jouissaient chez leurs coreligionnaires s’exprimait dans les titres honorifiques qui leur furent donnés. A l’époque de Jésus-Christ et peut-être un peu auparavant, on les appelait rabbi ou rabboni = Monseigneur, mon maître. Matth., xxiii, 7 ; Mare., x. 51. La Mischna prescrivait aux disciples des rabbins de les honorer plus que leurs parents et de les estimer presque comme Dieu. Mischna. Kerithoth, xi, 9, Pirke Aboth, iv, 12.

Les plus célèbres docteurs de la Loi furent Hillel et Schammai, un peu plus âgés que le Christ, Gamaliel, le maître de saint Paul, Rabbi Akiba, Rabbi Meïr et Rabbi Juda ha-Nasi, rédacteurs de la Mischna.

2. Leur œuvre. — a) Pur rapport à la Loi — Toute l’activité des scribes tournait autour de la Thora : la connaître et l’observer, la faire connaître et la faire observer était leur principale préoccupation. Dans ce but ils fournissaient un triple travail.

u. Ils développaient la Loi. — Puisqu’elle se composait de beaucoup de prescriptions générales et présentait en lace des circonstances nouvelles bien des lacunes, il fallait pour en réaliser la stricte observation, la spécialiser et la compléter. C’est pourquoi les docteurs de la Loi élaboraient une casuistique très minutieuse, en l’étendant à tous les points que l’ancienne législation n’avait pas prévus. Ils créèrent ainsi à côté de la Thora un droit coutumier, nommé Halacha. Dans l’intention primitive des scribes, ce droit traditionnel devait former une haie protectrice autour de la Loi, la préserver de toute altération et en garantir la parfaite observation. Mais en réalité il en était la transformation et même en bien des endroits le remaniement arbitraire. Rien qu’en effet le suprême principe des scribes fût de donner à chaque décision une base scripturaire par un passage de la Thora. ils savaient par une exégèse subtile et despotique déduire du texte sacré tout ce qu’ils voulaient. La Halacha fut d’abord regardée comme inférieure à la Thora et longtemps on ne la fixa pas par écrit pour en marquer le caractère secondaire. Mais plus tard on la rai lâcha également à Moïse par une série ininterrompue d’intermédiaires qui auraient gardé les communications orales du premier législateur, de sorte que la Thora orale fut mise sur le même plan que la Thora écrite, Mischna, Pirke Aboth, ni, 11 ; v, 8. Finalement, par un comble d’audace, les rabbins placèrent la Halacha au-dessus de la Thora : on était plus coupable en méprisant les paroles de la Halacha qu’en n’observant pas la Thora, Mischna, Sanhédrin, xi, 3.

2. Ils enseignaient lu Loi.

Les scribes étaient des vop.o818âoxaXoi. Matth., xxii, 35. Ils voulaient répandre le plus possible la connaissance exacte de la Loi ; gagner beaucoup d’élèves » était le mot d’ordre des grands scribes. Mischnu, Pirke Aboth, i, 1 ; ils s’entouraient de nombreux jeunes gens studieux et formaient ainsi de hautes écoles de la Loi. Dans le même but ils dirigeaient l’office synagogal et se firent les conseillers de la foule.

{. Ils jugeaient <m nom de la Loi. — Parce qu’ils

Connaissaient le mieux les lois, les scribes devinrent nécessairement aussi des juges. Dans le judaïsme, quiconque y était appelé par la confiance de ses concitoyens pouvait exercer les fonctions de juge. Mais, puisque cette confiance était d’autant plus grande que hcandidat étail plus versé dans l’élude de la Thora, les scribes furent ainsi tous désignés pour rendre la justice. Ils forent surtout les assesseurs du tribunal suprême, le sanhédrin. Ad., v, 34 sq.

b) Pur rapport ù V exégèse et à la théologie. Les

scribes, tout en étant en premier lieu des juristes, étaient aussi des théologiens et s’intéressaient également au contenu historique et dogmatique du Pentateuque ainsi que des autres livres bibliques. Ils l’ont également soumis à une étude détaillée. Mais si leur exégèse était déjà pour la Loi une amplification autant et plus qu’une explication, elle l’est encore davantage pour les parties dogmatiques et historiques de la Rible. Au sujet des prescriptions mosaïques, ils se croyaient liés à la lettre et s’efforçaient de la garder au moins extérieurement par des ruses et des finesses exégétiques. Par contre, en face de la doctrine et de l’histoire, ils se sentaient tout à fait libres. Les cas sont assez rares où des docteurs déduisaient de nouvelles doctrines au moyen de conclusions logiques. Le plus souvent ils prenaient les récits et les enseignements bibliques uniquement comme un point de départ auquel ils rattachaient les contes les plus fantastiques et les spéculations les plus aventureuses. L’ensemble de ces productions fut appelé Haggadu. La Haggada dans le domaine historique a surtout trait aux patriarches, à Moïse et aux prophètes ; dans le domaine dogmatique, elle porte principalement sur l’avenir messianique et sur l’autre monde.

La Haggada n’est pas seulement conservée comme la Halacha dans la littérature rabbinique proprement dite, mais dans la plupart des apocryphes et même dans les écrits historiques et spéculatifs des Juifs hellénistes. Tandis que la Halacha est exclusivement l’œuvre des scribes palestiniens, la Haggada est autant l’œuvre des docteurs de la Diaspora.

c) Par rapport au texte de la Loi et au canon biblique.

— C’est aux scribes que remontent enfin deux autres entreprises : l’établissement du canon et la fixation du texte massorétique. La seconde œuvre n’appartient plus à notre époque, sauf tout au plus les premiers commencements. La formation du canon par contre est l’œuvre des rabbins du premier siècle de notre ère. Le recueil des livres saints s’était formé successivement à mesure qu’ils furent composés. La Rible des Septante prouve que primitivement les Juifs ont reconnu aussi comme divins les livres que nous appelons deutérocanoniques, car il n’est pas vraisemblable que la pratique des Juifs helléniques ait différé pour une matière aussi importante de celle de leurs frères palestiniens. Plus tard ces derniers ou plutôt leurs scribes ont dressé le canon étroit des vingt-quatre livres que nous rencontrons pour la première fois chez Flavius Josèphe, Contravpion., i, 8, à la fin du premier siècle après J.-C. Ils ont discuté surtout au synode de Jabné (90 après J.-C), la canonicité même de plusieurs livres protocanoniques, savoir les Proverbes, Ézéchiel, le Cantique, l’Ecclésiasle et Bsther, Mischna, Edujoth, v.."> ; Jadajim, iii, 5 ; Talmud Bub.. Met/Mu 7 (I. Ils appliquaient des principes tout à fait étroits : tous les livres devaient être rigoureusement conformes à la Thora, anciens, écrits en Palestine et en langue hébraïque. Ces mêmes principes au nom desquels quelques scribes mettaient en doute le caractère divin de quelques écrits protocanoniques, les ont sans doute conduits à exclure tous les deutérocanoniques. Cette exclusion fut dictée par le même esprit étroit du rabbinisme qui a causé le rejet de la Bible des Septante. Voir l’ôrtner. Die Autoritôt der deuterokanonischen Bûcher nachgewiesen mis den Anschauungen des palàslinensischen und hellenistisehen Judentums, Munster-en-W., 18(t, i : Van Kasteren, Le canon juif vers le commencement de notre ère, dans Revue biblique, 1896, p. 408-415, -17$1-$20 1.

Les vingt-quatre livres que les scribes ont conservés fuient regardés connue tout à fait divins : en premier lieu la Thora qu’on supposai ! dictée par.lahvé à Moïse. Mischnu. Sanhédrin, x. 1. el même remise à Moïse en volume achevé, Talmud. (iittin, (H) a, mais

aussi les prophètes et les hagiographes, Mischna, Schabbalh, xvi, 1 ; Erubin, x, 3.

Le sanhédrin.

Dès le retour, l’administration

intérieure du peuple juif fut confiée à un conseil d’anciens, Esdr., v, 5 ; vi, 7 ; x, 8 ; Neh., ii, 16 ; v, 7 ; vu, 5, qui se composait des principaux chefs de famille. Puisque le sacerdoce représentait la noblesse juive, ses membres y entrèrent en très grand nombre. Ceux des gouverneurs, nommés par les Perses, qui étaient juifs, comme Zorobabel, Néhémie, Esdras, se trouvaient sans doute à la tête de ce sénat. Plus tard, lorsque le grand prêtre fut aussi le représentant du peuple pour l’extérieur, il devint le chef du conseil.

Sous la suzeraineté hellénique le sénat juif jouit, conformément aux principes des rois grecs, d’une plus grande liberté encore dans le gouvernement. Josèphe mentionne ce conseil suprême expressément pour le règne d’Antiochus Épiphane, Ant, XII, iii, 3 et les livres des Macchabées parlent souvent de la yepooaîa ou « des anciens du peuple ». II Macch., i, 10 ; I Macch., xii, 6 ; xiii, 36.

Depuis le ue siècle le sénat juif portait le nom de sanhédrin et à partir de la reine Alexandra il ne se composa pas seulement de l’aristocratie sacerdotale et des autres anciens, mais aussi d’un certain nombre de docteurs de la Loi. Ses membres étaient avec le grand prêtre au nombre de soixante et onze. Le pouvoir du sanhédrin fut bien amoindri pendant le règne monarchique des Asmonéens, encore davantage sous Hérode. Par contre, sous les procurateurs romains, il devint de nouveau très puissant et jouissait d’une grande autonomie de sorte que Josèphe dit : i l’aristocratie administre et le gouvernement de la nation est confié aux pontifes, » Ant., XX, x. Le sanhédrin disparut avec la ruine de Jérusalem.

Le sanhédrin ne représentait pas seulement la première autorité administrative, mais aussi la haute cour de justice. En principe tous les Juifs de l’univers dépendaient du sénat de Jérusalem : mais de fait les frontières de l’État judéen étaient aussi les limites de sa compétence. Au temps de Jésus-Christ, la Galilée ne tombait pas sous sa juridiction, de sorte que Jésus ne put être saisi par lui qu’au moment où il mit le pied sur le sol de la Judée.

Le sanhédrin était surtout compétent dans l’ordre spirituel et religieux, mais aussi pour toutes les mesures administratives et toutes les décisions judiciaires qui n’étaient pas réservées au procurateur romain, ou attribuées aux tribunaux locaux. Mais il ne pouvait faire exécuter une condamnation à mort sans l’approbation des procurateurs. D’autre part il avait le droit de condamner à mort même un citoyen romain, s’il avait transgressé la barrière qui écartait un païen de la cour intérieure du temple.

Sacerdoce.

A. Van lloonacker, Le sacerdoce ïéuitique

dans la Loi et dans l’histoire des Hébreux, Louvain, 1890 ; du même, Les prêtres et les lévites dans le livre d’Êzécliiel, dans Revue biblique, 1899, p. 177-205 ; Touzard, L’âme juive au temps des Perses, Ibid., 1919, p. 74 sq. ; W.Baudissin, Die Gesehicbte des alltestamentlichen Prieslertums, Leipzig, 1889 ; du même, Priests and Lévites, dans Hastings, Dictionary of tbe Bible, 1923, t. iv, p. 67-97 ; Schùrer, Geschichle. .., t. il, p. 214-305 ; J. Felten, op. cit., Ratisbonnc, 1910, t. i, p. 301-336 ; F. X. Kortleitner, Archieologia biblica, 2e édit., InsprueK, 1917, p. 139-216 ; J. Benzinger, Ilebràischc Areheologie, 2 édit., Tubingue, 1907, p. 342-302 ; A. Bertholet, op. cit., p. 9-23, p. 323-335 ; F. X. Kugler, op. cit., p. 119-124 ; H. Lesètre, articles Prêtre, Grand prêtre, Lévite, dans Dictionnaire de la Bible, t. v, col. 640-662 ; t. iii, col. 295-308 ; t. iv, col. 200-212 ;

Scribes.

Scburer, Geschichte…, t. ii, p. 305-3J0 ;

Felten, op. cit., t. i, p. 337-355 ;.1. Derenbourg, op. cit., p. 29 sq., 95 sq. ; Lightley, Les scribes, thèse, Paris, 1905 ; M. Bâcher, op. cit., t. i-n, passim ; H. Strack, op. cit., p. 523 ; A. Bertholet, Die jiidiscbe Religion von der Zeit Esrus

bis zum Zeitalter Christi, Tubingue, 1911, p. 335-358 ; H. Lesètre, Scribes, dans Dictionnaire de la Bible, t. v, col. 1536-1542 ; 1). Katen, Scribes, dans Hastings, Dictionary of the Bible, t. ii, p. 420-423.

Sanhédrin.

Bluin, Le Sanhédrin ou Grand Conseil

de Jérusalem, Strasbourg, 1889 ; Scburer, Geschichte…, t. ii, p. 188-214 ; Felten, op. cit., t. i, p. 290-301 ; Derenbourg, op. cit., p. 83-94 ; II. Lesètre, Sanhédrin, dans Dict. de la Bible, t. v. col. 1459-1466 ; W. Bâcher, Sanhédrin, dans Hastings, Dict. of tbe Bible, t. iv, p. 397-402.