Dictionnaire de théologie catholique/JÉSUS-CHRIST V. Jésus-Christ et la critique 4. La conscience messianique du Christ

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.1 : ISAAC - JEUNEp. 702-708).

[V. LA CONSCIENCE MESSIANIQl l DE JÉSUS. Pour

la critique contemporaine, cette question est intimement unie a la question de la divinité’de Jésus-Christ. lie lois qu’on en vient a nier la divinité du Sauveur, la quesi ion de sa messjunii é se pose immédiatement. i ii Messie authentique, véritablement envoyédeDieu pour lui servir de représentant auprès des hommes el établir le royaume de Dieu sur terre représente une manifestation surnaturelle aussi difficile à accepter pour le critique que la manifestation du propre Fils di Dieu, El pourtant Jésus s’est proclamé le Messie, tout comme il s’esl dit le Fils de Dieu, si l’on peut discuter sur le sens du mol Fils de Dieu qui, pour les rationalistes, n’a pas et ne peut pas avoir le sens pro] que la théologie catholique, d’accord

n oi> hde texte. lui at t ribue, .m l’époque où 1387 JÉSUS-CHRIST ET LA CRITIQUE. LA CONSCIENCE MESSIANIQUE 1383

parut Jésus, les piophéties de l’Ancien Testament l’avait très nettement déterminé. Les critiques rationalistes et lihéiaux ne peuvent donc éviter le problème de la messianité de Jésus. Si Jésus s’est donné pour le Messie, l’envoyé de Dieu promis et annoncé, d’où lui vient la conviction, la conscience de sa messianité? Et puisqu’on repousse d priori le caractère iéel de cette messianité surnaturelle, le problème devient au plus haut point déconcertant pour la critique incroyante.

La thèse catholique.

, 1 est nécessaire, afin de poser un terme, certain de comparaison, de la rappeler en quelques mots, en la déduisant des vérités rappelées au cours de cet article. L’union bypostatique réclame, sinon comme absolument indispensable, du moins comme moralement nécessaire, en l’humanité du Christ la connaissance parfaite de son rapport avec Dieu — conscience filiale — et, de sa mission vis-à-vis des hommes — conscience messianique. — Aussi faut-il admettre que dès le début de son existence, Jésus a perçu nettement, en son âme humaine, et son union substantielle avec la divinité, et sa destinée de Messie et de rédempteur des hommes. Si donc, il y a eu progrès dans la conscience filiale et dans la conscience messianique de Jésus, ce ne peut être que du côté expérimental et inférieur de la connaissance. L’existence en Jésus d’une science proprement humaine et acquise, subordonnée à la science bienheureuse et infuse, mais gardant son exercice naturel, permet de supposer que, à mesure qu’il a grandi en âge, que ses organes se sont développés, que ses réflexions sont devenues plus profondes et plus étendues, voir col. 1144 sq., Jésus a pris une conscience humaine plus parfaite, plus complète, de l’union transcendante qu’il avait avec Dieu et de la mission unique qu’il devait remplir près des hommes. C’est dans ce sens seulement que peutêtre on pourrait dire que des événements comme le baptême, la tentation au désert, la persécution des pharisiens, ont influé sur la conscience du Sauveur relativement à sa mission messianique, ses souffrances futures, et la nature même de sa mission rédemptrice. Peut-être, dis-je, car il n’apparaît point, dans les textes sacrés, que ces événements avaient eu, en réalité, une influence quelconque sur la conscience filiale et messianique de Jésus. Le baptême, par exemple, nous est apparu dans les textes sacrés comme la consécration officielle de la mission messianique de Jésus, voir col. 1183, mais rien de plus. Au contraire « l’existence, en l’humanité sainte de Jésus, d’une conscience supérieure très parfaite, indépendante de ses connaissances acquises, est incontestable au point de vue de la critique évangélique, comme au point de vue de la théologie. C’est un fait que L'Évangile le montre longtemps à l’avance, et sans qu’on puisse attiibuer à cette connaissance une origine humaine, conscient de l'époque précise et des circonstances exactes de sa mise à mort, voir col. 1203. C’est encore un fait que, dès le début de son ministère, le Christ se présente avec pleine conscience de sa dignité messianique et du caractère spirituel de sa mission. Enfin, le Sauveur nous apparaît suniaturellement éclairé, dès l'âge de douze ans, sur sa filiation et sa vocation divines ; voir col. 1182. N’est-on pas dès lors logiquement amené à donner créance à l’auteur de l'Ëpitre aux Hébreux, lorsqu’il nous représente le Christ, dès son entrée en ce inonde, solfiant corps et âme à son Père (Ileb., x, 5-9), pour remplacer les hosties anciennes et racheter les hommes ? i M. I.epin. Jésus. Messie et Fils de Dieu, p. 121 122.

Ajoutons que la révélation progressive que l’on constate dans l'Évangile, relativement à la messianité elle même de Jésus, soir col. 1186 sq., n’est pas un indice d’un progrès intérieur # dans la conscience

que Jésus avait de cette messianité. Le progrès extérieur s’explique, nous l’avons constaté, par de tout autres raisons.

Les hypothèses rationalistes.

1. La messianité

simulée. — Cette solution est celle des critiques ultra-radicaux. Elle affecte deux formes, que nous avons déjà rencontrées dans l’exposé précédent des théories rationalistes concernant la personnalité divine de Jésus. — a) Les uns se contentent d' affirmer que Jésus n’a jamais cru qu’il était le Messie. La messianité de Jésus dérive de la croyance vraie ou simulée de ses disciples à la résurrection : ce sont en réalité les premiers chrétiens qui lui ont décerné le titre de Messie. Nous avons rencontré déjà cette thèse, qui est au fond de la distinction entre le Christ de la foi et le Jésus de l’histoire. On la trouve toutefois directement exposée par Colani, Jésus et les croyances messianiques de son temps, Strasbourg, 2e édit., 186 1 ; par M. Vernes, qui renchérit encore, en affirmant « qu’il n’est point sûr que Jésus ait cru à la venue d’un Messie personnel », Histoire des idées messianiques, depuis Alexandre le Grand jusqu'à l’empereur Hadrien, Paris, 1874, p. 174. C’est, plus récemment encore, la thèse défendue par Wellhausen, Einleitung in die drei erslen Evangelien, Berlin, 1905 ; J. Martineau. Seat of aulhorily in Religion, Londres, 1890 ; Volkmar, Jésus Nazarenus und die erste christliche Zeit, Zurich, 1882, p. 194 ; V. Wrede, Bas Mes&iasgeheimniss in den Evangelien, Gœttingue, 1901, p. 221, 222 ; 226-227 ; E. Havet, Le christianisme et ses origines, Paris, 1881, t. iv, p. 15-16, 75 ; R. Steck, dans les Protestantische Monatschriflen, 1903, p. 91 ; P. Wernle, Die Anjange unscrer Religion, 3e édit., p. 32, etc. — Cette thèse est tellement outrée, si visiblement fausse, que la plupart des théologiens libéraux l’ont îépudiée. On ne peut réussir à la démontrer « qu’en appliquant aux textes évangéliques une critique par trop subjective, o A. Sabatier, art. Jésus-Christ, dans l’Encyclopédie des sciences religieuses de Lichtenberger, t. vu. « Le baptême, l’histoire de la tentation, la confession de Pierre…, les prophéties relatives à la passion et à la résurrection, la demande des fils de Zébédée, l’entrée messianique (à Jérusalem), la parole des vignerons perfides, le procès devant le sanhédrin et devant Pilate, l'écriteau sur lequel était marqué le motif de la mort, tout cela, avec beaucoup d’autres détails encore, devrait être éliminé de la vie de Jésus, si l’on prétend qu’il n’avait pas la conscience d'être le Messie. » O. Holtzmann, Das Mcssiasbeivustein Jesu und seine neueste Bestreitung, Giessen, 1902, p. 11-12.

b) Les autres vont plus loin encore, et supposent que Jésus, sans se regarder comme le Christ, aurait cependant, sous la pression des circonstances, laissé faire ses adhérents qui croyaient voir en lui le Messie attendu. Il se serait accommode au rôle de Messie. Voir plus haut la théorie de Reiinarus, de Bahrdt, etc. Mais cette hypothèse se heurte au caractère noble et loyal du Sauveur, si opposé à tout ce qui peut paraître mensonge ou duplicité. Aussi celle hypothèse, fausse historiquement, louche, au point de vue moral, à l’absurde aillant qu’au sacrilège.

2. La messianité illusoire. - Jésus sans doute n'était pas plus Messie qu’il n'était Fils de Dieu ; mais il s’est fait, très sincèrement d’ailleurs, illusion à luimême. : sous la poussée d’une évolution lente et progressive qui s’est produite en ses pensées en raison du milieu où il vécut, des idées courantes à son époque, de son tempérament personnel, il a fini par acquérir la conviction qu’il était le Messie, Fils de Dieu. C’est l’hypothèse que Renan a mise en relief avec tout le talent littéraire qu’on lui sait, et avec l’apparence de critique dont il a su entourer sa Vie de Jésus. Le point de départ de loul le travail psychologique accompli JÉSUS-CHRIST ET LA CRITIQUE. LA CONSCIENCE MESSIANIQUE

en Jésus aurait été la conviction profonde de son union intime avec Dieu : cette pensée étail en Jésus si profonde et si intime qu’elle tenait aux racines mêmes de son être. C’est de cette conscience filiale i,

qu’est sortie la conscience messianique -.Convaincu qu’il était le lils de Dieu. Jésus voulut faire participer tous les hommes à sa filiation divine ; s’élevant hardiment au-dessus des préjugés de sa nation, il établira l’universelle paternité de Dieu… Il fonde la consolation suprême, le recours au Père que chacun a dans le ciel, le vrai royaume de Dieu que chacun porte en son cœur. Le nom de « royaume de Dieu » ou de « royaume du ciel » fut le terme favori de Jésus pour exprimer la révolution qu’il inaugurerait dans le monde. » Vie de Jésus, 13e édit.. 1867, p. 81. C’est parce qu’il est « obsédé i de cette - idée impérieuse » que Jésus j marchera désormais avec une sorte d’impassibilité fatale dans la voie que lui avaient tracée son étonnant génie et les circonstances extraordinaires où il vivait, i Id., p. 134. Il annonçait le royaume de Dieu, et c’était lui, Jésus, ce « Fils de l’homme » que Daniel en sa vision avait aperçu comme l’appariteur divin de la dernière et suprême révélation. « En s’appliquant à lui-même ce terme de c Fils de l’homme v, Jésus proclamait sa messianité et l’affirmation de la prochaine catastrophe où il devait figurer en juge, revêtu des pleins pouvoirs que lui aurait conféré l’Ancien des jours. » Id., p. 130. On voit par là, le sens de la thèse de Renan et la psychologie qu’il attribue au Christ. Un processus analogue se retrouve chez O. Schmiedel, Die Hauplprobleme der Leben-Jesu-Forschung, Tubingue, 2e édit., 1906, d’après lequel Jésus aurait commencé par se croire le prophète du royaume, puis aurait été amené à se croire le Messie.

L’ne telle illusion en Jésus est inconcevable : elle en fait une sorte d’halluciné et de dément partiel. Car enfin les affirmations de Jésus sont nettes il proteste, devant le grand prêtre, qu’il est le Messie, Fils de Dieu, qui reviendra à la fin des temps sur les nuées du ciel, escorté des saints anges, présider les assises solennelles du genre humain et prononcer sur les bons comme sur les méchants la sentence du jugement final. Ou bien il est vraiment le Messie, ou bien c’est un fou. Les procédés par lesquels Renan tente d’esquiver les assertions des textes sacrés n’infirment en rien cette conclusion qu’il ne peut éviter. D’ailleurs rien ne sert de faire de Jésus, au lieu d’un fou, un simple halluciné, un auto-suggestionné : folie ou simple exaltation d’halluciné, sont également en contradiction avec la physionomie morale que nous tracent de Jésus les évangiles, physionomie faite de sincérité, de loyauté, d’humilité, avec sa physionomie intellectuelle, où resplendit une profondeur et une lucidité de l’intelligence, une droiture de sens et une élévation d’esprit incomparables, avec les habitudes de sagesse, de pondération, de mesure qui apparaissent dans toutes les démarches et dans toute la conduite du Sauveur. Comment accorder 1’ « hallucination de Jésus avec l’influence qu’il a exercée sur la première génération chrétienne et qu’il exerce encore, en général, sur l’Église et l’avenir du inonde ? Renan lui-même est obligé de faire des aveux significatifs touchant l’influence du Chris ! sur le genre humain. Il faut donc conclure que l’hypol hèse émise par Renan est radicalement inconciliable avec les caractères les plus certains de la personne de Jésus et les plus incontestables réalités di toire. Noir, pour plus de développement, M. Lepin, Jésus, Messie et Fils ilr Dieu, >. 15 i

3. La messianité, /ondée en réalité, mais progressivement consciente. — Rationalistes et libéraux reo naissent assez volontiers le tempérament équilibré, t perspicace, la vertu in ble de

Jésus pour proclamer inadmissible la thèse de la

si. mite illusoire, Jésus était vrairænl un bomme < ordinaire, ei s ( s qualités mêmes lui conféraient pour ainsi dire une véritable mission parmi les ttommes.

C’est pourquoi il pouvait s’appeler en toute vérlt Messie, le Fils de Dieu, tout en gardant une profonde humilité devant Dieu. Cf. Uarnæk. Dos Wesen Christentums, p 82 ; Dos Christentum mut die (îeschichic. .")- édit., Tubingue, 1904, p. 10 ; Wernle, Die Anfânge unserer Religion, p, 25 ; Bruce, art. Jésus dans [’Encyclopédie, biblica île Cheyne, ? 33, col. 2151 ; ( i I toltzmann, Dos Le6en Jesu.p. 106, etc. — M.Stapfer pose nettement le problème au point de vue rationaliste ; Jésus s’est dit le Messie. Cela est prouvé, cela est certain. Comment en est-il arrivé la 7 Y a-t-il eu folie, oui ou non ? Telle est. semble-t-il, la seule alternative qui se pose désormais entre les croyants et les non croyants. » Jésus-Christ avant son ministère, > édit., 1896, p. xi. Ft M. Stapfer ne peut admettre la thèse de l’illusion, si contraire à la possession pleine que Jésus a de lui-même et à sa clairvoyance. Id., p. 207.

Mais si la messianité de Jésus doit être fondée en réalité, que sera cette réalité ? Pour qui nie la divinité du Sauveur, révoque en doute son rôle surnaturel parmi les hommes, que sera donc le Messie ? Comment justifiera-t-on la conscience que Jésus a de sa messianité ? Quel sera le point de départ, dans la vie de Jésus, de cette conscience messianique’.' A-t-elle. eu sa préparation dans la conscience filiale ? Faut-il la faire remonter à l’origine même de la vie de Jésus ? Autant de questions auxquelles se heurte l’hypothèse d’une conscience messianique purement humaine, telle que la conçoivent les rationalistes et dont les solutions, apportées en dehors des lumières de la foi, ne peuvent être qu’hésitantes, contradictoires et fausses. Nous allons donner un bref aperçu des réponses proposées :

a) Strauss, comme Renan, fait dériver la conscience messianique de Jésus de sa conscience filiale : « Le sentiment intime qu’il a Dieu pour père et qu’il est avec lui dans une communication intérieure d’esprit et de cœur est le germe le plus naturel d’où, plus tard et avec plus de développement devait sortir en Jésus la conscience de sa position messianique. » Vie de Jésus, h -. Littré, p. 403. L’origine de cette conscience ne peut être déterminée avec précision : déjà dans son développement « le récit de la première visite de Jésus au temple s’encadre merveilleusement ». Le baptême de Jean n’a été que l’onction que Jésus, en sa qualité de Messie, devait recevoir pour être introduit de cette façon au milieu de son peuple. Nouvelle vie de Jésus, tr. NelTIzer et Dollfus, t. i. p. 261. - M. Stapfer admet, lui aussi, que c’est le développement intime de sa conscience morale qui a amené Jésus à se déclarer le sauveur du monde ». Le passage de la conscience filiale à la conscience messianique dut se faire par mie évolution lente et progressive. Jusqu’au baptême de Jean, il n’y a encore qu’un pressentiment de plus en plus précis : n au baptême que la

(lise se dénoue et que, dans m -lire,

Jésus entend la voix de Dieu qui lui dit clairement : Tu es mon l-’iK bien-ahné partir de ce moment

onviction est inébranlable. Mais une deuxième question se pose < Jésus : quelle œuvre va i il accomplir ? I a tentation au d

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1. 91

    1. JESLS-CHRIST ET LA CRITIQUE##


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pharisiens qui l’amena à prendre conscience de cet le douloureuse destinée. Cf. Jésus-Christ avant son

ministère, p. 89-92 ; 152-153 ; 162-176 ; Jésus-Christ pendant son ministère, p. 222-223. — Cette dernière épuration dans la conscience messianique de Jésus, précédée de la o rupture de Jésus avec tout ce qu’il y a de fantastique et de dangereux, au point de vue politique, dans le concept du Messie, rupture figurée par l’histoire de la tentation, » c’est encore le développement progressif qu’admet, dans la conscience messianique de Jésus. M. p. Wernle, Die An/ange unserer Religion, p. 29-31. — M. H. Monnier reconnaît également que la conscience filiale de Jésus remonte certainement plus haut que sa conscience messianique. L’épisode de Jésus au milieu des docteurs du temple témoigne qu 1 < il se sent fils de la façon la plus immédiate ; mais il n’a pas encore conscience d’être Messie (. La mission historique de Jésus, Paris, 1906, p. 29. — M. Wendt fait également dériver la conscience messianique de la conscience filiale. Mais il trouve l’origine de cette conscience d’une filialité divine dans L’étude des Écritures, où Jésus apprit à connaître Dieu connue Père, dirigé en cela par la piété de ses parents et surtout « par le pouvoir spirituel particulier dont il se sentait miraculeusement investi par Dieu…, et par la vive impulsion intérieure qui le contraignait à une obéissance d’enfant envers la divine volonté. » Die I.ehre Jesu, 2e édit., p. 93. Il est impossible d’ailleurs d’assigner un commencement précis à cette conscience filiale, qui sans doute a grandi et s’est élargie graduellement en Jésus, mais a toujours existé en lui : en tout cas c’est au baptême que Jésus reçut la révélation qui éveilla en lui la conscience messianique. Id., p. 93-98. — M. Bernard Weiss admet, lui aussi que la conscience messianique a pour origine la conscience filiale antérieure ; il professe pleinement le développement progressif de cette conscience ; mais elle existait déjà, affirme-t-il, et dans sa plénitude au moment de la rencontre de Jésus avec le Précurseur. Le baptême ne fut que le signe par lequel le Père lui signifiait que le moment était venu d’entrer dans la carrière messianique ». — C’est également, à peu de choses près, l’opinion de M. Ilamack : « Jamais, dit-il, nous ne pénétrerons les phases intérieures que Jésus a traversées pour passer de la certitude qu’il était le

FïlS de Dieu à celle qu’il était le Messie annoncé… I.a plus ancienne tradition avait acquis la conviction, par une expérience intérieure que Jésus, à son baptême, savait qu’il était le Messie. Nous ne pouvons cont rôler cet te ci oyance et nous ne sommes pas davantage en étal de la nier, il est très vraisemblable qu’au début de sa vie publique, son opinion étail fixée en lui… Le récit ( de la tentation) suppose qu’il se regardait déjà comme le Fils de Dieu, comme celui à qui était confiée la mission d’accomplir ce que Mien avait promis ; i son peuple… i L’essence du christianisme p. 138.

On le voit par ces lapides aperçus : parmi les théologiens libéraux qui admettent en Jésus le développement progressif d’une conscience messianique issue de s ; i conscience filiale, beaucoup précisent que la conscience messianique daterait du baptême et de la révélation, piiiement subjective d’ailleurs, qui accompagna cel acte. C’est l’opinion de plusieurs parmi les auteurs déjà Cités, et de O. I loll /niann. I.eben Jesu, 1901, p. 106 107 ; cf. War Jésus Ekstatiker, p. 35 36 « le Th. Keini. Dus messianiselie BeWUSStsein.lésa.

I ; de Bousset, .lésas, p., s."> ; de von Soden, Die wichtigsten Fragen in Lettre.lésa.’! édit., p. T.". 7 l ; 99 100. D’autres, en plus petit nombre, reculent plus OU moins l’époque a laquelle Jésus eut eut ièrenieiil’"h cience <]< posséder la dignité messianique.

< I. Guignebért, Manuel d’histoire antienne du (lais

tianisme. Paris, 1907, p. 173 ; Jésus wer er geschichtlich war. p. 78 ; P.-YV. Schinidt. Dos I.eben Jesu ausgelegt, p. 165-166 ; A. Réville, Jésus de Nazareth, p. 188-190, 201, etc. Sur ce point, .1. Weiss a une théorie à part : pendant sa vie publique Jésus aurait seulement supposé qu’il était destiné à devenir plus tard le Messie, lorsque sa gloire éclaterait au grand jour, mais non qu’il l’était déjà.

Sur l’évolution que M. Stapfer marque de la conscience messianique de Jésus, au moment de la tentation au désert, et relativement au rôle spirituel du Messie, les critiques allemands, tout en admettant cpie la tentation a contribué, pour une certaine part, à former les idées du Sauveur concernant sa mission, n’osent cependant pas parler de rupture avec les conceptions erronées du milieu juif, que Jésus aurait partagées. Ce contre quoi Jésus se défend et lutte, ce sont bien plutôt des idées ou des images qui lui sont demeurées étrangères. B. Weiss, op. cit., p. 315-316 : cl. Wendt, op. cit., p. 98-102. O. Holtzmann affirme simplement, à l’occasion de la tentation, une plus grande pression » des réflexions du Christ relativement à son rôle. Op. cit., p. 107 note, 111-118. Harnack déclare plus simplement encore que le récit de la tentation suppose que Jésus se regarde déjà « comme le Fils de Dieu, comme celui à qui était confiée la mission d’accomplir ce que Dieu avait promis à son peuple. » Op. cit., p. 138.

Ils se montrent plus réservés encore à retracer la prétendue évolution qui se.serait produite dans les idées du Sauveur, au sujet de sa destinée souffrante et de sa mort. Leurs hypothèses se font plus circonspectes. H. Wendt suppose que Jésus a été. dès l’abord, convaincu, qu’il faudrait donner sa vie pour le royaume : mais il aurait appris des circonstances, au fur et à mesure des événements, quand et de quelle manière devait s’accomplir son sacrifice. Die Lehre .lésa. p. 189-491. Voir un avis analogue chez B. Weiss, Das I.eben Jesu. t. ii, p. 259-262 et, avec plus d’hésitation encore, chez O. Holtzmann, Lcben Jesu, p. 139. Hamack est nettement hostile à l’h pot hèse d’une vie de Jésus « passée au milieu de contrastes intérieurs, encore que les émotions, les tentations, les doutes mlui aient pas manqué. » Op. cit., p. 36.

b) La thèse de M. Loisy est presque complètement calquée sur celle des théologiens libéraux d’Allemagne. malgré certaines assertions qui semblent y apporter une noie contradictoire. M. Loisy a paru approuver, au nom de la critique, l’hypothèse (le la dérivation de la conscience messianique par rapport à la conscience filiale. « On pourrait dire, écrit il. que Jésus, dans l’humble maison de Nazareth, avait grandi en lils de Dieu, par la piété, par l’épanouissement de son âme pure sous le regard du Père céleste, sans que la préoccupation du grand rôle que Le Fils de Dieu, le Messie devait jouer dans le monde, entrai d’abord dans le commerce intime de cette âme avec Dieu : celle préoccupation se serait fait jour plus tard, soit par la seule Influence du messianisme commun, soit par le contre coup de la prédication de Jean annonçant. L’avènement prochain du royaume de Dieu : quoi qu’il en soit la rencontre avec Jean est une circonstance tout a lait appropriée a la révélai ion divine : c’est là, auprès du prophète qui se donnait lui-même comme le précurseur du Messie ou tout au moins comme le héraut (u royaume céleste, que Jésus, déjà fils de Dieu par la conscience intime de son union avec le Père

céleste, eu1 l’intuition suprême de sa mission providentielle cl qu’il se sentit le Lils de 1 Heu, le Messie promis a Israël.’Les évangiles synoptiques, t. i, p. L08, De plus, tout en se prononçant contre les exégètes qui pi étendent dater du baptême la conscience messianique de Jésus, Revue d’histoire et de littérature relii

gieuses, 1903, p. 301j M. Lois) estime que c’est à ce moment-là seulement que le Sauveur arriva à la plénitude de cette conscience : la circonstance du baptême i peut avoir eu une influence décisive Mille développement de sa conscience messianique ». Revue d’histoire et de littérature religieuses, 1904, p. 91, Il rejette d’ailleurs la réalité objective de la vision céleste i qui a été conçue d’abord comme le sacre du Messie. et dont le récit est déjà une interprétation théologique et apologétique du fait qui a pu se passer. /<L, ibid.

Eu troisième lieu, M. Loisy laisse entendre que. si le Sauveur a eu pleinement conscience de sa qualité de.Messie, dès le début de sa vie publique, cependant la forme spéciale de son rôle messianique ne s’est précisée dans sa pensée qu’au cours de son ministère : - I.a lecture îles synoptiques laisse entrevoir que Jésus ne s’est pas d’abord présenté ouvertement comme le Messie et qu’il ne s’est même pas déclaré tel à ses disciples : il a laissé leur foi se former lentement. On dirait même que la conscience qu’il a de sa mission s’est développée en lui et que sa conduite à l’égard de la foule et de son entourage a été en rapport avec le progrès intérieur de sa pensée et de ses desseins. » Le quatrième évangile, p, 252.

Avant la confession de Pierre. Jésus a eu. certes, conscience de sa vocation messianique : mais la forme spéciale de son rôle s’est précisée en ce temps-là. » /(L, p. G ; >. Enfin M. Loisy semble admettre que le Sauveur a pris, au cours de son ministère, et sous l’influence des événements, conscience de sa destinée souffrante : i il obéit |alors] à la loi de sa destinée ». Autour d’un petit livre. Aussi le critique doit-il éliminer les textes qui accusent de bonne heure, eu Jésus, la prescience de sa mort. Cf. Lepin, op. cit., p. 152-189.

c) Un aspect très particulier de la conscience messianique du Christ a été relevé par certains théologiens et critiques libéraux : c’est l’aspect eschatologique ». Jésus, conscient de sa messianilé, aurait partagé l’illusion de ses contemporains touchant les catastrophes pi oebaines, prélude du second avènement messianique. De là les « prophéties » de Jésus touchant la consommation des choses. Matth.. x, 21-24 ; xvi. 26-28, cf. Marc, viii, 38-42, Luc, i, 26-28 ; Matth., xxvi, 63-65, cf. Marc, xiv, 61-63 et Luc, xxii.66-71 ; et surtout Matth., xxiv, 1-43, cf. Marc, xiii et Luc, xxi, 5-7. En donnant à cette annonce d’un retour qu’on pourrait croire piochain une place < ; a elle n’a certainement, ni dans les récits de l’évangile, ni dans la pensée de Notre-Seigneur, certains critiques sont parvenus a élaborer une interprétation toute nouvelle des origines chrétiennes. L’Église n’aurait dû son existence, qu’à l’attente frustrée des premiers chrétiens : faute du retour du Messie, on aurait dû fonder le groupement religieux. Esquissée il y a plus d’un demisiècle par T. Colani, Jésus-Christ et les croyances messianiques de son temps. Strasbourg. 1864 ; ’.. Volkmar, Jésus Naztwenus und die erste christliche Zeil…, Zurich, 1884 : W. Wciffenbach, Die Wiederkunflsgedanke Jesu, Leipzig, 187.’î. cette thèse a été- mise en relief W. Baldensperger, lias Selbslbewusstsein Jesu im Lichte der messianischen Ilofjnungen seiner Zeil, Strasbourg, 1888, et surtout.1. Weiss. Die Predigi Jesu vom Reiche Gottes, Gœttingue, 1892. Cf. V Schwe) tzer. Eine Ski ::/ des Lebens Jesu, Tubingue, 1901 et surtout Von Reimarus zu Wrede, Tubingue, 1906, c. xv. xvi, xix. fin France, les ouvrages de M. Loisy grandement contribué a répandre cette doctrine ; les commentaires sur les synoptiques, publiés par cet auteur, sont un écho fidèle et amplifié de l’on de.]. Weiss. L’élément eschatologique obtient une part prépondérante dans la conscience et i nient du Christ, el l’Évangile n’est plus qu’on

enseignement essentiellement eschatologique, enthousiaste et mystique, i Jésus et la tradition évangélique, Paris, 1910, p, 144 ; 190.

3° Critique de ces hypothèses. Nous laisserons de

côté l’aspect eschatologique (comme nous l’avons fait déjà au cours de l’exposé théologique, la matière devant être traitée ailleurs, voir Scu nce di Christ),

et nous nous attacherons simplement a marquer les points par ou pèchent toutes les hypothèses rationalistes louchant la t conscience messianique du Christ ». Nous ne ferons, dans ce bref exposé, que résumer l’excellente mise au point de M. Lepin, Jésus, Messie et Fils de Dieu. p. 190-217.

1. i Tout d’abord, les déclarations de Jésus, telles qu’elles sirencontrent dans les Évangiles, ne paraissent présenter aucune trace d’une évolution qui se serait produite dans les idées du Sauveur, soil touchant sa qualité de Messie, soit concernant la destinée qui l’attendait comme Messie ►.

Dans la dernière année du ministère île Jésus, on ne constate aucune évolution dans sa pensée ; ses déclarations sont parfaitement uniformes. Dans les deux années antérieures, il est vrai, Jésus observe une discrétion, étonnante au premier abord ; discrétion qui impressionne certains critiques, au point qu’ils y découvrent un véritable « secret messianique ». Cf. Wrede. Das Messiusgclieimniss in den Lvangelien. Mais à sa réserve toute « économique » nous avons trouvé des motifs tout autres qu’une ignorance dans son esprit ou une incertitude dans ses pensées. Voir col. 1172 sq. Dès le début de son ministère, Jésus avait donc, une pleine conscience de sa dignité et de son rôle messianiques. Mais quelle idée se faisait-il de ce rôle ? Sa o conscience » a-t-clle été modifiée sous la pression des circonstances ? I.a < tentation » est-elle le symbole de cette lutte intérieure que M. Stapfer pense découvrir dans l’âme de Jésus contre les préjugés de son éducation touchant la royauté temporelle du Messie’? Mais tout d’abord, l’hypothèse d’une lutte intérieure dans l’âme de Jésus est une pure fantaisie. La tentation est décrite comme purement extérieure au Christ et son âme n’en est nullement troublée. Voir col. 1116. Wendt et H. Weiss le reconnaissent explicitement. Aucune ambition humaine ne tortura le cœur de Jésus. Cf. W. Sanday, art. Jésus-Christ, dans le Diclionary oj the Bible, de Hastings, p. 612. D’ailleurs l’hypothèse de Stapfer est en contradiction avec tout ce qui nous est rapporté de la prédication et du ministère de Jean-Baptiste, antérieurement à la tentation et au baptême. Le Messie annoncé n’est nullement un roi temporel : c’est avant tout le Messie, juge du monde i, O. IloltLmann, I.eben Jesu, p. 94. C’est aussi tout à fait gratuitement qu’on i apporte a l’hosi Hit é des pharisiens pour Jésus le sentiment que le Sauveur aurait eu de sa passion et de sa mort. Si Jésus ne parle de son supplice futur et des circonstances qui l’entoureront, qu’à partir de, la confession de saint Pierre, c’est que les apôtres n’étaient pas encore suffisamment préparés a cette perspective ; il fallait que leur loi fût affermie, il y a

d’ailleurs, même dans cette dernière période de la vie de Jésus, une gradation croissante dans la révélation de la passion lutine. Au début du ministère, Maie, u 2H. el pai ail., simple annonce de la dispai il ion ioli-nle ;

.née de Philippe ci en Galilée, annonce plus détaillée de la réprobation par les autorités religieuses,

de la illise a moi I et de la n’-Mii i cet ion au troisième

jour : an Ici me du suprcin prédiction 1res cir . de la i |USque dans se détails.

loui voulu par. lé-sus et proportionné à la

fol de apôl r< : toul c-ia Indiquerait plutôt en la conscience du sauveur une pleine connaissance de l’avenir, avec la volonté arrêtée de î t paraître 1395 JÉS1 S-CHRIST ET LA CRITIQUE. LA CONSCIENCE MESSIANIQUE

1396

à l’extérieur que dans la mesure où l’exige le bien <k’la mission rédemptrice. D’autre part, les synoptiques, dès le début du ministère de Jésus, placent une allusion discrète, mais suffisamment précise, à la passion future. Marc, ii, 19-20 ; cf. Matth., ix, 15 ; Luc. v. 34-35. Évidemment, les critiques tentent d’en modifier la signification, cf. Jiilicher, Die Gleichnisreden Jesu, t. ii, p. 188 ; Loisy, Revue d’histoire et de littérature religieuses, 1903, p. 519, ou en révoquent en doute l’authenticité, cf. N. Schmidt, art. Son of mari, §46, dans YEnajclopedia biblica de Cheyne, col. 4739. L’hypothèse d’une « interprétation théologique » postérieure aux discours de Jésus et introduite après coup dans les récits évangéliques, en tout ce qui concerne les prophéties de Jésus relatives à sa passion et à sa mort, sourit d’ailleurs beaucoup aux partisans de la thèse eschatologique. En vertu de cette hypothèse, M. Loisy conteste la pleine authenticité de ces passages évangéliques. Cf. Revue d’histoire et de littérature religieuses, 1903, p. 297. Mais cette hypothèse est fantaisiste et contredite par les observations prises sur le vif — intelligence incomplète de la part des apôtres, monitions réitérées du Christ, pressentiment du malheur futur — qui attestent dans les récits évangéliques, beaucoup plus l’état d’âme du Christ et des disciples, que les préoccupations subséquentes de la chrétienté primitive. Marc, viii, 31-33 ; cf. Matth., xvi, 23 ; Marc, ix, 9, 31 ; Matth., xvii, 22 ; Luc, ix, 45 ; xviii, 34. « En résumé, conclut M. Lepin, rien n’appuie sur le terrain de la critique exégétique, l’idée d’une évolution quelconque, produite dans la conscience messianique de Jésus, au cours de son ministère. Les hypothèses proposées relèvent de la philosophie, beaucoup plus que de l’exégèse. Mises en face des documents elles peuvent être regardées comme d’ingénieux essais de restitution psychologique, tendant à reproduire conjecturalement la manière dont le phénomène de conscience se serait passé, s’il s’était passé selon les lois ordinaires de la conscience humaine : elles ne sont pas autrement établies sur les faits. » Op cit., p. 199.

2. « Les hypothèses qui ont pour but d’expliquer les origines de cette conscience n’ont pas un plus solide fondement. » — Pourquoi préciser la date du baptême comme point de dépai t de la conscience messianique ?

u) Avant le baptême, Jésus se serait-il estimé au rang des autres hommes, simple pécheurs, ayant besoin eux-mêmes de pénitence’? Mais tout proteste contre cette hypothèse, mise en avant par O. Holtzmann : el l’union liés étroite que Jésus avait depuis toujours avec Dieu et qui est reconnue par la plupart des critiques eux-mêmes, cf. E. Stapfer, Jésus-Christ avant son ministère, p. 186, 189, 191 ; A. Harnack, Dos Wesen des Christentums, p. 21, tr.fr., p. 36 ; et l’idée rédemptrice qui a toujours dirigé Jésus, Marc, , 15 ; cf. Matth., xxvi, 28 ; Luc, xxii, 19-20, et qu’on ne coinprendrait pas si Jésus avait pu jamais se sentir dans l’obligation d’être lui-même racheté. Le baptême peut avoir une autre explication et marquer simplement i le commencement d’une vie nouvelle. » B. Weiss, up. cit., t. i, p. 298, « l’inauguration d’une phase nouvelle dans l’accomplissement de sa mission. » W. Sanday, art. cil., p. 611. Jésus se présente au baptême pour « accomplir toute justice, » c’est-â-dirc prépare]’pal là, clou la volonté de Dieu, la réalisai ion du royaume

messianique, l’.t Matthieu est ici en pleine concordance

avec Jean, car dans le quatrième évangile Jésus

ni au baptême, comme agneau de Dieu » qui

se eh péchés du monde, afin de les expier

pai i a pénitence et par sa mort.

b) Mais il ne faudrait poinl cependant considérer le

baptême comme ayant influé sur les idées de Jésus.

relativement à sa mission. La manifestation miraculeuse de la parole tombée du ciel sur Jésus, même dans le cas où il n’y aurait eu aucun témoin de l’événement, voir col. 1184, n’est pas moins utile pour marquer extérieurement la volonté du Père, invitant Jésus à entrer dans la carrière messianique. On peut y voir comme une consécration officielle, mais tout extérieure, du Sauveur pour son œuvre, son investissement solennel et tout particulier par l’Esprit de Dieu, en vue de la mission qu’il doit entreprendre. Nous avons reconnu une action spéciale de l’Esprit Saint dans l’humanité du Christ, voir col. 1287 sq. Le baptême est un de ces moments, où, dans la vie du Sauveur, cette action s’est fait sentir plus particulièrement. « Il est donc légitime de dire qu’une vie nouvelle commence pour le Christ, au point de vue de l’accomplissement de sa mission ; le baptême figure comme « le point de départ » du ministère public ; en ce sens, on peut l’appeler « un moment important », si l’on veut même « un moment décisif » dans la carrière de Jésus. Mais aller plus loin et supposer que la circonstance du baptême a marqué une date importante dans le « développement intérieur du Sauveur, qu’elle peut avoir eu une inlluence décisive sur « le développement messianique », cf. Loisy, Le quatrième évangile, p. 169233, c’est dépasser la portée de nos textes et sortir des données strictes de l’histoire. Dès avant le baptême, en effet, le Précurseur est conscient de la venue imminente du Messie, Marc, i, 7 ; cf. Matth., iii, 11 ; Luc, iii, 16 ; Joa., i, 26 et l’évangile de S. Matthieu atteste la réalité de cette conscience messianique chez le Sauveur, dès sa première entrevue avec Jean. Matth., iii, 15. « Il semble donc bien résulter, d’une critique attentive de nos documents synoptiques, qu’au baptême il se fit une déclaration solennelle de la filiation divine de Jésus, du même coup une manifestation publique de sa dignité messianique, sa consécration officielle, si l’on veut, comme Messie du Seigneur, et son investissement spécial par l’Esprit Saint, en vue de l’accomplissement de sa mission ; mais rien n’indique qu’il ne fût pas déjà auparavant, privément et dans le secret, le Messie, Fils de Dieu, et qu’il ne se connût pas déjà comme tel. Il y a tout lieu, au contraire, de s’en tenir au témoignage du premier évangile qui, d’accord avec le quatrième, nous présente Jésus en pleine connaissance de sa messianité, des sa rencontre avec le Précurseur. « I.epin, on. cit., p. 208.

3. « Si l’on n’est pas autorisé à dater du baptême l’épanouissement de la conscience messianique, fest-on encore à en placer la préparation dans la conscience filiale ? » — Au point de vue exégétique, rien, absolument rien, ne nous autorise à supposer que la conscience filiale ait précédé la conscience messianique. Jésus est proclamé tout d’abord Fils de Pieu » avant de se proclamer « Messie i. Mais le premier litre renferme le second. Jésus est proclamé, il se proclame lui-même, tout à la lois et dans une même vue le Fils de Dieu et le Messie. La conscience messianique est tout aussi ancienne que la conscience filiale. Or, touchant la conscience filiale, bon nombre de critiques estiment que Jésus croyait que dès sa naissance il étail Fils de Dieu ; il avait l’intime persuasion d’avoir été choisi de Dieu île toute éternité. Cf. Eiarnack, Dos Wesen tics Christentums, p. si. tr. Ir., p. 138, a propos de Joa., vii. 21 : I !. Weiss. op. cit., t. i. ]>. 281 : (’.. Dalman, Die Wotie Jesu, p. 234 ; II. YVendt, op. cit., p. 97. Pourquoi ne pas attribuer

la même ancienneté a la conscience messianique ?

I.a déclaration de Jésus à ses parents h : retrouvant dans le lemple : i Ne saviez-vous pas qu’il me faut Un aUX affaires (le mon l’ire ? » se rapporte tout JÉSUS-CHRIST ET LA CRITIQUE. LES MIRACLES

L398

autant à la conscience messianique qu’à la conscience

filiale. Ce fait est si important que nombre de critiques qui admettent l’authenticité du récit (Stapfer, 0. I loi t /manu. B. Weiss, II. W’endt. etc.) sont obligés,

pour en tenir eompte.de placer bien avant le baptême, et dès l’enfance du Sauveur, la première élaboration de la conscience messianique. Cꝟ. 0. Holtzmann, op. eiL, p. 104, note l : H. Wemlt, op. cit., p. 85. — B. Weiss se laisse toutefois arrêter par le préjugé rationaliste qu’une telle conscience ne saurait se trouver en un enfant de douze ans. op. cit.. t. i. p. 256. D’autres confessent leur ignorance en face du mystère. Cf. P. Wernle, op. cit., p. 27-28. Tous néanmoins sont obligés plus ou moins de reconnaître que la conscience messianique est comme innée en Jésus : propriété naturelle de sa personne (Dalman) ; résultat de l’impulsion d’une force intérieure (Wernle) ; simple et profonde (Loisy) ; tenant aux racines même de son être (Renan). En Jésus, écrit de son côté M. Harnæk, « tout se passe aussi naturellement que s’il ne pouvait pas en être autrement : la source jaillit des profondeurs de la terre, claire et ininterrompue. > Op cil., p. 21, tr. fr., p. 36. « En résumé, rien, dans nos récits évangéliques loyalement interprétés, ne permet de fixer le point de départ de la conscience messianique et fdiale à tel ou tel moment, au cours de la vie du Sauveur. D’autre part, tout semble bien attester que Jésus tient de son origine même, et de la transcendance de sa nature, sa qualité de Messie et de Fils de Dieu. » Lepin, op. cit., p. 216.

Conclusion.

Nous avons dit, en commençant,

quelles concessions la foi catholique pouvait faire à la thèse du développement progressif de la conscicence messianique en Jésus. Il semble bien d’ailleurs que les hypothèses rationalistes et critiques émises à ce sujet courent grand risque d’être abandonnées par les rationalistes et les libéraux eux-mêmes. M. W. Sanday, The Life of Christ in récent research, Oxford, 1909, p. 94, avec sa propre appréciation qui est sévère pour les excès commis par la critique outrancière rapporte, dans le même sens, les jugements de M. A. Schweitzer, Von Reimarus : u Wrede, p. 322-330 ; de Wellhausen lui-même, Einleilung in die drei ersten Evangelien. p. 94 ; de Burkitt, Gospel Historu, p. 77. Rappelant cette heureuse évolution de la critique contemporaine, M. J. Lebreton, s’exprime ainsi (et ses paroles nous serviront de conclusion) : « L’histoire de la révélation du Fils de Dieu a été étudiée d’un double point de vue. Un bon nombre d’exégètes libéraux ont prétendu retracer le développement psychologique du Christ, décrire l’éveil et l’épanouissement progressif de sa conscience messianique… [Cette] méthode, telle du moins qu’elle a été pratiquée, est clairement en contradiction avec les données du dogme ; on constate d’ailleurs qu’elle n’a pa* porté les fruits qu’elle promettait, et elle provoque aujourd’hui, dans les milieux les plus divers, la défiance et la satiété. Manifestement on est las de ces prétendues études psychologiques sur la « conscience de Jésus » qui n’aboutissent qu’à travestir l’Évangile et à en faire un roman. On reconnaît que l’histoirien du Nouveau Testament ne peut se désintéresser de la psychologie, et qu’il doit à sa lumière éclairer soit l’enseignement du Christ, soit même quelques de sa vie

intime ; mais on n’espère plus découvrir par ces observations tous les secrets dela cou Jésus iii, en particulier, le premier éveil et le progrès de la révélation divine en lui. Les Origines’lu Dogn la Trinité, Paris, i « édit., 191 >, p. 2°.’» -^ :, 1.

M. Lepin, Jésus, M< u de Dieu, p. 78, i 52 s’j ;

208-21.", ; 420-432 ; 461-464 ; Ide M. I

Paris, 1908, p. 168-176 ; 198-199 et surtout 283 sq. ; L.-Cl. Fil lion, Vie de N.-S. Jésus-Christ, t. ii, p. I 631 ;

Mgr Batlffol, L’enseignement de Jésus, Paris, 191

On trouvera une bonne thèse théologique dons Gan Lagrange, De révélation. Paris, 1918, t. n. p. 160 sq.