Dictionnaire de théologie catholique/JÉSUS-CHRIST IV. Jésus-Christ et la théologie 3. Le Christ considéré dans ses relations avec les hommes

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.1 : ISAAC - JEUNEp. 682-690).

III. Le Christ considéré dans ses relations kVBC lks hommks. Ces relations peuvent être considérées soit du côté du Christ, soit du côté des hommes. Du côté des hommes, il s’agit principalement et pour ainsi dire uniquement du culte dû a Xotre-Seigneur Jésus-Christ Verbe incarné et îles conséquences de ce culte par rapport à la croix et aux images représentant le Sauveur. Toutes ces questions ont déjà été traitées : Culte de Jésus-Christ, t. iii, col. 2415-2419 ; Cœur sacré de Jésus (Dévotion au), t. m. col. 271-351 ; Croix (Adoration de la), t. iii, col. 2339-2363 ; Images (Culte des), t. vii, principalement col. 807-824 ; 833-836. Voir aussi Constantinople (II’concile de), t. iii, col. 1243-1245 ; 1250-1251 ; 1252 ; Constantinople (IVe concile de), col. 12961299 ; et Cyrille d’Alexandrie (saint) (anath., viii), col. 2510.

Du côté de Jésus-Christ, ces relations ont leur point de départ dans la qualité de médiateur, inhérente au sacerdoce de Jésus-Christ. Constitué premier et souverain médiateur des hommes près de Dieu, le Sauveur devient, par l’enseignement de la vérité qu’il distribue aux hommes, le prophète par excellence et par l’action sanctifiante qu’il exerce comme souverain prêtre, le chef de tous ceux qui participent à la vie surnaturelle. De plus, par l’autorité souveraine que lui communique sur toutes choses l’union hypostatique, il est constitué roi de tout l’univers. C’est sous ces quatre aspects qu’il convient d’étudier les relations du Christ avec les hommes.

I. Jésus SOUVERAIN MÉDIATEUR.

La médiation du Christ, comme homme, entre Dieu et les hommes, est promulguée en toutes lettres dans l’Écriture : EIç .ai u.zo’.Tr, ç 6soj xai àv6pa>-cov_ av0pa>-oç Xjwjtôç’Iï)<to’ç. I. Tim., ii, 5. Voir ci-dessus, col. 1231. C’est donc une vérité de foi, rappelée d’ailleurs par saint Léon le Grand, dans sa lettre dogmatique à Flavien, Denzinger-Bannwart, n. 143 ; cf. Hypostatique (Union), t. vu. col. 479 ; par le concile de Florence, Decr. pro Jacobilis, Denzinger-Bannwart, n. 711 ; par le concile de Trente, sess. v, can. 3 : id., n. 790. La théologie catholique ne fait qu’apporter quelques explications concernant l’existence, la nature, le caractère unique et universel de cette médiation.

Existence de cette médiation.

Le médiateur n’est

pas nécessairement, entre deux êtres distants, un trait d’union physique ; il est avant tout un lien moral entre des êtres qui se trouvent en désaccord. Son rôle est de tenter la réconciliation des volontés adverses et de rétablir l’union et l’accord. Toutefois Jésus-Christ vérifie pleinement en lui ces caractères du médiateur. Dans l’ordre physique, il relie, par les deux natures unies hypostatiquement, la divinité à l’humanité ; mais cette union n’existe qu’en vue de réconcilier efficacement l’homme pécheur avec Dieu offensé. Cf. In rnation, t. vii, col. 1485-1488. Saint Léon a donc pu écrire en toute vérité : « Pour payer notre dette, la nature impassible s’est unie à la nature passible, pour qu’il y eût. suiuanl l’exigence de notre salut, entre Dieu et les hommes, un médiateur qui, d’une part, pût mourir, et, de l’autre, fût immortel. » loc. cil. L’existence de cette médiation dans le Christ comporte Jcs remarques suivantes : 1. C’est comme homme que le Christ est médiateur, car, dans l’ordre physique et dans l’ordre moral, le médiateur est un intermédiaire ; or Jésus-Christ comme Dieu, n’est pas un intermédiaire entre Dieu et les hommes. Comme homme, la plénitude de grâces qu’il a reçue en suite de l’union hypostatique le place bien au-dessus des hommes et des anges. S. Thomas, Sum. theol., III’. q. xxvi, a. 2. — 2. Lu vertu de la loi de la communie :.

DICT 1 DE I m I L. la rHOl.

tion des idiomes, on peut, on doit concéder Ja vérité de cette assertion : le Verbe, ou encore Dieu est médiateur entre Dieu et les hommes. SuareL, Comment, in luire L, n. 3 ; mais on ne saurait dire que le Verbe, comme Dieu, est médiateur. Id., ibid., n. 6. — 3. Dans les œuvres de médiation, le sujet qui opère (principium quod) est le Verbe incarne, Dieu et homme à la fois ; mais le principe prochain d’opération (principium quo) est l’humanité. Voir les commentateurs In IV Sent., l. Il l.dist. XIX, sub fine, et notamment S.Bonaventure,

' ; i luinc loc, a. 2, q. n et conclusion. C’est

appuyé sur ce principe que Bellarmin réfute les erreurs extrêmes des protestants relativement à la médiation du Christ. L’une, celle de François Stancaro, semble ne pas réclamer, pour l’œuvre médiatrice, la personne divine, même comme principe qui (principium quod) opère ; c’est la tendance nestorienne. L’autre est celle de Calvin et de plusieurs luthériens qui admettent « que l’office de rédempteur, propitiateur, médiateur, appartient à la personne du Christ selon les deux natures et non une seule, soit divine, soit humaine » ; c’est la tendance monophysite. De Christo, t. V, c. nvm. Voir J. de la Servière, La théologie de Bellarmin, Paris, 1908, p. 69-71 ; Suarez, loc. cit., n. 1.

Nature de celle médiation.

La médiation du

Christ est, comme toute médiation, d’ordre moral. Il s’agissait, en effet, de réconcilier Dieu et l’homme pécheur, et de rétablir entre eux les liens de l’amitié, * détruits par le péché. Ainsi l’office de médiateur se confond, en Jésus-Christ, selon la remarque de Suarez, avec l’office de rédempteur. Comment, in III* m p., q. xxvi, a. 1, n. 5. Et donc, tout ce qui se rapporte à l’œuvre de notre rédemption appartient à la médiation du Christ. On voit par là que la nature de la médiation de Jésus est extrêmement variée ; de cette médiation, en effet, relèvent non seulement la mort et les mérites du Sauveur, mais encore la prédication de la vérité révélée dans le Nouveau Testament (vérité que les apôtres ont reçu de Jésus ou de l’Esprit Saint envoyé par Jésus) ; mais encore la mission de l’Esprit Saint sur la terre, l’assistance accordée à l’Église jusqu’à la consommation des siècles ; mais encore la fondation de l’Église elle-même, l’institution des sacrements et surtout l’exercice du sacerdoce étemel du Christ. Cf. Franzelin, De Verbo incarnalo, th. xlvi ; Petau, De incarnalione, t. XII, c. vi-vm. Nous avons groupé ces fonctions médiatrices sous le triple rôle de prophète, de chef et de roi qui convient à Jésus. Voir plus loin.

Toutefois cet aspect « extensif » de la médiation du Christ n’épuise pas la question. Dans les autres médiateurs, la médiation — - parce qu’elle est formellement d’ordre moral — ne suppose pas nécessairement une union physique entre le médiateur et les extrêmes opposés qu’il rapproche..Mais ici, la médiation morale requérait dans la personne de Jésus l’union physique des deux extrêmes — Dieu et l’homme — qu’il s’agissait de réconcilier. La médiation apportée par le Christ, c’est, nous l’avons dit, la rédemption. Or, pour que la rédemption fut faite selon les lois de la justice, pour une léparation de con dignité, il fallait que Dieu s’incarnât, voir Incarnation, t. vii, col. 1478, et qu’ainsi le médiateur, en sa personne, réunit physiquement la divinité et l’humanité. Il est médiateur par son humanité ; mais, sans la divinité, il ne pourrait efficacement exercer sa médiation. Mediator Dei et hominum, quia Deus cum Paire, quia homo cum hominibus. S’on mediator homo præter deitatem, non mediator hais præter humanitatem. Ecce mediator : divinltai sine humant taie non est mediatrix ; humanitas sine divinitate non est mediatrix, sed inter divinilatrm solam et humanitatem solam mediatrix est humana /intitulas et dioina humanitas Christt. S. Augustin, Serm., xi.vu

v 1 1 1.

t ::

1347

JÉSUS-CHRIST SOUVERAIN MÉDIATEUR

1348

n. 21, P. L., t. xxxviii. col. 310. Voir d’autres citations patristlques dans Petau, De incarnations, t. XII, c. i-ii.

Caractère unique et universel de cette médiation.


La médiation du Christ est universelle, parce qu’ « en tout, il tient lui-même la primauté, parce qu’il a plu [au Père | de faire habiter en lui toute plénitude, et par lui de réconcilier en lui toutes choses, pacifiant par le sang de sa croix soit ce qui est sur terre, soit ce qui est dans les cicux. » Col., i, 15-20. Pour le développement scripluraire de cette idée d’une médiation universelle, coïncidant avec la primauté du Christ, voir Incaunation’, t. vii, col. 1483-1488. Sur les deux concepts théologiques, l’un scotiste l’autre thomiste, de la médiation universelle du Christ dans le plan de la rédemption, voir Incaunation, col. 1495-1506, et les auteurs cités dans la bibliographie.

Cette médiation est unique, tout d’abord parce qu’elle est universelle ; et ensuite, parce qu’elle est d’une efficacité si parfaite, en ce qui concerne la réconciliation de l’homme pécheur avec Dieu, qu’elle ne peut convenir qu’à l’Homme-Dieu, qui, lui-même, est unique. Toutefois cette médiation parfaite et unique, loin d’exclure, inclut, d ?ns le plan actuel de la Providence, des médiations imparfaites et multiples qui concourent à la réconciliation de l’homme avec Dieu, celle des prophètes et des prêtres de l’Ancien Testament qui annonçaient et préfiguraient le véritable et parfait médiateur de Dieu et des hommes ; celle des prêtres de la Nouvelle Alliance, ministres du médiateur véritable, et administrant aux hommes, en son nom et lieu, les sacrements qui sanctifient. Cf. S. Thomas, III’, q. xxvi, a. 1 et ad lu’», et les commentateurs.

II. JÉSU8, prophète. — Les évangiles nous attestent explicitement que Jésus, le prophète annoncé par Moïse, Deut., xviii, 18, fut vraiment favorisé du don de prophétie. Il prophétisa, en eflet, sa passion et sa mort, sa résurrection, et l’établissement sur la terre du royaume de Dieu, c’est-à-dire de l’Église catholique ; voir Église, t. iv, col. 2115-2117. D’ailleurs, il est appelé « prophète », et par les foules, Marc, vi, 15 ; Luc, vii, 16, 39 ; Joa., iv, 19 ; vi, 11 ; vii, 40, et par ses disciples, Luc, xxiv, 19, et par lui-même ; id., iv, 24. Sur la doctrine des Pères, voir Petau, De incarnatione, i. II, c. x. C’est donc a bon droit que nous avons i minière le don de prophétie parmi les grâces gratuitement accordées à l’âme du Christ. Voir plus haut, col. 1316. D’autre part, en prenant le mot « prophète » dans son sens le plus vrai on peut appeler Jésus le prophète par excellence, en tant qu’il nous a communiqué la doctrine surnaturelle qu’il enseigna soit par ses discours soit par les i ;  ; liti"iis « Il spnt Saint envoyé par lui. C’est sous ces deux aspects généraux que Ks théologiens étudient, en Jésus, la fonction prophétique.

1° Le don de prophétie ou de prédiction en Jésus-Christ. — Saint Thomas, Sum. theol., III’, q. vii, a. 8. Le problème théologique agité par les docteurs au sujet de la prophétie en Jésus-Christ roule tout entier sur la nature de ce don de prophétie. S’agil-il d’une prophétie véritable, telle qu’on a coutume de la définir : i une connaissance surnaturelle, possédée par inspiration divine, des choses distantes et ignorées » ? Ne serait-ce pas plutôt, eu égard â la science bienheureuse du Christ et à son oniniscience divine, une qualité supérieure à la prophétie proprement dite et qui n’aurait de la prophétie que l’apparence extérieure ? i -ite dernière opinion, proposée par Alphonse Tostat, dans son Commentaire sur le livre des Nombres, c i. « I i

, et c. w r, (|. iv. a fourni aux théologiens l’ocra sion de s’expliquer sur l’existence et la nature du don de prophétie en Jésus-Christ. Cf. Suarez, De incar nalione, disp. XXI, sect. i ; Salmanticenses, Cursus,

In III"" p., q. vu. a. 7. n. 3-7 : Gonet, Clypeus, De incarnatione, disp. Xll. a. 5, n. 121 sq. - 1. On ne peut arguer de I Cor., xui, 8-10, pour affirmer que le Christ, étant compréhenseur, ne saurait posséder le don de la véritable prophétie. A la fois compréhenseur et » voyageur « c’est en tant que voyageur que le Christ est prophète, et Jésus partageait pleinement les conditions de notre vie Intellectuelle dans sa science expérimentale. Quelque parfaite qu’aient donc été sa science infuse et sa science bienheureuse, il a pu être véritablement prophète par rapport aux hommes.

— 2. Rien ne sert d’insister en disant que la connaissance prophétique est de soi obscure et énigmatique ; l’obscurité et le caractère énigmatique n’est pas de l’essence de la connaissance prophétique ; c’est l’imperfection du sujet à qui est communiquée cette connaissance qui les cause accidentellement. En Jésus. dont l’intelligence était éclairée par les lumières des sciences surnaturelles, cette imperfection devait nécessairement disparaître. — 3. Enfin l’explication théologique communément donnée de l’illumination prophétique, motion actuelle et essentiellement transitoire, n’est pas en opposition avec la dignité du Christ ni avec le caractère permanent et habituel de la prophétie eu Jésus. On peut, en effet, affirmer simplement avec les théologiens de Salainanquc que le Christ eut à sa disposition, les lumières surnaturelles chaque fois qu’il voulut prophétiser, absolument comme i ! avait à sa disposition la puissance instrumentale d’accomplir des miracles, loc. cit., n. 6 ; voir col. 131 i. On peut encore avec Gonet, loc. cit., n. 129, et Suarez, toc. cit., n. 6, expliquer la permanence du don de prophétie en Jésus par la science bienheureuse et la science infuse, possédées par l’Homme-Dieu.

L’enseignement doctrinal de Jésus-Clirisl.

Les

théologiens en étudient l’excellence et le mode. — 1. Excellence.

Nous avons déjà reconnu, en parcourant les textes c angéliques, que « l’autorité des paroles et de la prédication du Christ décèlent un Dieu », voir col. 1200. Mais l’ensemble de ses enseignements sur Dieu, le monde, l’homme et nos destinées éternelles projette une lumière si vive que l’apologétique chrétienne en reçoit un argument singulièrement efficace et, comme le dit Bossuet, après saint Augustin, le Christ nous apparaît par là comme tenant « sur la terre la place de la vérité et nous la lait voir personnellement résidente au’milieu de nous. » Discours sur l’Histoire universelle, part. II, c. xix. Saint Thomas. Sum. theol., IIP, q. xlii, a. 1, ad 2° » ’, souligne la puissance de l’enseignement du Christ, et quantum ad miracula, per quæ doclrinam suam confirmai, et quantum ad efficaciam persuadendi, et quantum ad auctorilalem loquentis, … et eliam quantum ad virtutem rcclitudinis, quam in sua conversatione monslrabal. sine peccato vivendo. Cajétan, à ce propos, fait ressortir les propriétés de l’enseignement de Jésus, l’excellence de la doctrine, son utilité, sa rectitude, son intégrité, sa souveraine perfection en tout ce qui touche à la morale. Cf. Suarez, De mysteriis vitæ Christi, disp. XXX, sect. i, n. 4. C’est autour de ces deux points de vue que les apologistes groupent leurs arguments, tirés de la doctrine de Jésus, en vue de parfaire la « démonstration chic tienne ». Voir Apologétique, 1. 1, col. 15271528. On aboutit, en eiTet, à la conclusion déjà formulée par les serviteurs des pharisiens : « Jamais homme n’a parlé comme cet homme. » Joa., vii, 16. E1 il n’a qu’une manière d’expliquer ce fait unique, déclare le l’. Monsabré, c’est que cet homme est Dieu Voir Carême 1880, 45e conférence : le Docteur.

2. Mode. - Les modalités de l’enseignement du Christ sont exposées par saint Thomas, Sum. theol., IIP. q. mil Voir les commentateurs de celle question.

a) Il fut convenable que Jésus et ses apôtres coinJÉSUS-CRRIST CHEF DE SON CORPS MYSTIQUE

1350

agençassent la prédication de leur doctrine d’abord

cliez les Juifs seuls, cf. M.itth., xv, 24 ;. 5. Ne fallait-il pas montrer d’abord l’accomplissement des prophéties données autrefois auxVIuifs, non aux Gentils’.' Cf. Rom., xv. 8. Ne convenait-il pas que la doctrine du Christ, Fils de Dieu, fût proposée d’abord à ceux qui, par la foi et le culte monothéistes, étaient plus près de Dieu, et devaient être les intermédiaires naturels pour porter ensuite la révélation aux Gentils ? Cf. Is., lxvi, 19. Cependant l’exclusion des infidèles au début ne fut pas tellement absolue qu’elle ne souffrît aucune exception. Cf. Joa.. iv. 7 sq. ; Matth., xv. 22 sq., pour bien montrer que la voie du salut était ouverte à tous ; S. Thomas, loc. cit., a. 1, et ad 3um. — b)La prédication de la doctrine du Christ fut faite en toutes conve-Dances, nonobstant le scandale des Juifs. Ce scandale, provenant de leur malignité, devait concourir au bien général. Id., a. 2 ; Suarez, De mysteriis vilæ Christi, disp. XXX. sect. n ; cf. Billot, De Yerbo incarnalo, 1912, p. -157. —ci L’enseignement de Jésus dut être public, à cause du but de rédemption universelle poursuivi par le Christ ; mais dans la forme, il comportait des tempéraments et des figures, exigés par la prudence ou les exigences du milieu. S. Thomas, a. 3. Voir dans les opuscules attribués à saint Thomas, l’opuscule De humanilate C.hristi, a. 1 1 ; Suarez, Comment, in III* iii, q. xui, n. 3. — d) Enfin, Jésus, qui fit si souvent appel à la sainte Écriture en transmettant son enseignement à ses auditeurs, a proposé sa doctrine verbalement, sans nous laisser le moindre écrit, soit composé, soit dicté par lui-même. Il recommande ainsi la meilleure méthode d’évangélisation, qui use surtout de la prédication et subsidiairement des écrits : de plus, n’était-ce pas une sage précaution pour conserver au magistère vivant de l’Église toute son autorité’.' S. Thomas, a. 4 ; cf. Van Noort, Tractalus de Deo Redemplore. Amsterdam, 1910, n. 111 ; Ch. Pesch, De Verbo incarnalo, n. 557.

/II. JÉSUS CUEF DE SO.V COUPS MYSTIQUE. — Cette

propriété du Christ si fortement affirmée par saint Paul, voir col. 1233 et par saint Jean, voir col. 1242 est rattachée, par la nature même des choses, à l’exercice du sacerdoce de Jésus par rapport aux hommes. L’effet propre de ce sacerdoce est l’expiation de nos péchés et quant à la coulpe et quant à la peine ; quant à la coulpe, par l’infusion de la grâce ; quant à la peine. par la satisfaction. S. Thomas, III’, q. xxii, a. 3. Et cet effet, Jésus n’a pu le réaliser en lui-même, parce qu’il était la sainteté parfaite et substantielle, n’ayant rien de commun, avec le péché. /(L, a. 4. Or, précisément Jésus est le chef de l’Église, qui est son corps mystique, parce que, supérieur à tous par la grâce qu’il possède en toute plénitude, il communique cette vie de la grâce, à des degrés divers, à tous ceux qui font partie a un titre quelconque de ce corps mystique. Sur cette vérité de foi, la théologie catholique apporte nécessairement quelques éclaircissements et quelques précisions aux données de l’Écriture. 1° Comment Jésus est-il le chef de son corps mystique ?

— « En raison de sa proximité a l’égard de Diei

e est la plus élevée et elle est la première, bien qu’elle ne le soit pas dans l’ordre des temps : tous les autres hommes, en effet, ont reçu la grâce en raison de la sienne ; cf. Rom., viii, 29 ; de plus, Jésus possède la plénitude de toutes les grâces ; cf. Joa., i, 14, et il a la vertu de communiquer sa grâce a tous les membres « le l’Église, ainsi que l’affirme saint Jean : nous arons tous reçu de sa plénitude, i, 16, Il est donc évident que Jésus doit et re dit le chef de l’Église, v Thomas, III-, q. viii, a. 1. C’est a la fois comme Dieu et comme homme que Jésus est le chef du corps mystique : cette vérité, précision de la doctrine de loi. doit être tenue au moins comme théologtquement cer taine. Comme Dieu, il est cause principale de la grâce. Comme homme il produit physiquement en nous la grflee, comme cause efficiente Instrumentale ; mais comme cause méritoire, il intervient, dans la production de la grâce en nos âmes, à titre de cause principale. Voir ci-dessus, col. 1317, 1318, et Grâce, t. vi, col, 1633-1636. On voit par là que l’analogie de la tète, mieux que celle du cœur, convient au Christ, par rapport à l’Église : l’influence du cœur est simplement occulte ; il vaut mieux en réserver l’analogie à l’action du Saint-Esprit. S. Thomas, loc. cit.. ad 3’"". Toutefois, certains théologiens ne refusent pas d’appeler le Christ, cœur de l’Eglise. Suarez, disp. XXIII. sect. i ; Salmanticenscs, disp. XVI, dub. I, n. G.

2° Jésus, dans toute son humanité, âme et corps, es le chef des hommes, non seulement quant à l’âme, mais aussi quant au corps. — 1. L’analogie de la tête par rapport au corps vaut non seulement pour l’âme, mais encore pour le corps du Christ, qui est l’instrument de l’âme dans les actes méritoires de la grâce (influence morale), et qui est d’ailleurs nécessaire à l’âme du Christ pour constituer avec elle l’humanité du Sauveur. Voir les commentateurs de l’a. 2 de saint Thomas et notamment Suarez, in h. L, et les Salmanticenses, De Verbo incarnalo, disp. XVI, dub. i, n. 3, qui font à ce sujet deux remarques importantes relatives a l’influence physique du corps du Christ quant a la communication de, s grâces : premièrement, dans l’eucharistie, le corps du Christ est la cause instrumentale de la grâce ; deuxièmement, dans le ciel, il est pour les élus un principe de gloire accidentelle. Toutefois cette influence du corps ne peut s’exercer séparément de l’âme. — 2. L’action de la tête, dans le corps mystique du Christ, s’exerce sur les membres considérés dans leur intégrité. Par conséquent l’action du Christ s’exerce sur les hommes non seulement du côté de leurs âmes, mais encore du côté de leurs corps :

  • L’humanité entière du Christ influe sur les hommes…

principalement quant à l’âme, et secondairement quant au corps. Elle y influe premièrement en ce que les membres du corps sont les armes de la justice que le Christ a conférées à notre âme, Rom., vi, 13 ; secondement, en ce que la vie de la gloire rejailli ! de l’âme sur le corps ; cf. Rom., viii, 2. t> S. Thomas, loc. cit.. a. 2. Mais de là, il ne faudrait pas inférer, comme l’ont fait à tort Galatinus (Pierre (.(donna). De arçanis, t. II, c. n et Catharin, De eximia Christi prædeslinatione, que le Christ peut être dit le chef des corps purement animaux ou même inanimés. C’est à cause de l’âme, à laquelle il est substantiellement uni, que notre corps peut recevoir l’influence de la vie divine qui a son origine dans le Christ ; il n’y a donc pas parité. S. Thomas, loc. cit., ad 2° »  » ; Salmanticen es, n. ~>. Voir une thèse analogue à celle de Catharin, dans Suarez, disp. XXIII, sect. i. n. 10.

3° Jésus est, après la chute d’Adam, le chef de tous les hommes sans exception, mais à des degrés et des titres divers. — Cf. S. Thomas, III. q. viii, a..’! et les commentateurs. — 1. Deux remarques. — Le cardinal Billot, op. cit., p. 216, fait justement observer que l’appellation métaphysique de chef donnée au Christ nous laisse une assez grande latitude pour apprécier les rapports qui unissent le Christ aux hommes quant à l’influx de la vie surnaturelle : aussi nous ne devons pas nous étonner que les théologiens affirment que le Christ est le chef des hommes soit] en simple puissance, SOil en acte, mais a des degi i I’ne aut re observation concerne l’identification qu’on sérail par lois tente de faire entre la question des membres du

(.hrist et celle des meinbi es du corps de l’Église. NOUS

us, en effet, qui est le corps mystique de

deux éléments constitu irps mystique

l’âme, qui est la ie mii naturelle sanctifiant les 1351

M -US-CHRIST CHEF D h’SON CORPS MYSTIQUE

L352

hommes, laquelle nous vient fin Christ par l’Église et dans l’Église ; le corps, qui est l’organisme visible auquel nous appartenons par le baptême, tant que nous ne brisons pas les liens extérieurs de la foi et de la communion catholiques. Voir Église, t. iv, col. 2150 sq. Or, pour recevoir la vie de la grâce communiquée par Jésus-Christ, en d’autres termes, pour être membre vivifié par la tête dans le corps mystique du Christ, il suffit d’appartenir à l’âme de l’Église. Ces remarques faites, passons aux conclusions théologiques.

2. De quels hommes Jésus-Christ est-il le chef en acte, quant à la communication de la vie surnaturelle ? — Voici la réponse de saint Thomas : « Le Christ est le chef, d’abord et principalement de ceux qui lui sont unis en acte par la gloire ; deuxièmement de ceux qui lui sont unis en acte par la charité ; enfin de ceux qui lui sont unis en acte par la foi » (sans la charité), loc. cil. — a) La première considération se justifie pour un double motif : l’union des élus au Christ dans la gloire est immobile et définitive ; de plus, elle exclut l’influx extérieur qui existe ici-bas, dans le gouvernement de l’Église visible, de la part îles chefs établis par le Christ, pape et évêques, sur les simples fidèles : dans le ciel, l’Église triomphante sera régie par le seul Christ, son unique chef. Cf. S. Thomas, loc. cil., a. 6. — b) Si tous les hommes, unis au Christ par la charité, sont les membres du Christ, il s’ensuit immédiatement que tous les justes, sans exception, doivent être réputés tels. Cf. Conc. Trid., sess. vi, ean. 32, Denzinger-Bannwart, n. 842. Et, par conséquent, il faut compter dans ce nombre tous les hérétiques et schismatiques de bonne foi qui, vivant de la vie de la grâce, appartiennent à l’âme de l’Église. S’ils sont hérétiques notoires, ils ne font plus réellement partie du corps de l’Église ; mais ils appartiennent toujours au corps mystique du Christ, puisqu’ils sont de l’âme de l’Église et, par le fait même, ont le désir de faire partie de son corps. Bien plus, il faut, en vertu du même principe, considérer comme membres actuels du Christ tous les justes non baptisés, catéchumènes ou non. Cette dernière assertion n’est pas suffisamment mise en relief par les théologiens, qui ont tendance à confondre le corps du Christ et le corps de l’Église ; mais elle s’impose. Elle n’est point contredite par le concile de Florence, déclarant dans le décret pro Armenis que « par le baptême, nous devenons membres du Christ et cillions dans le corps de l’Église. L’affirmation, quant au premier elïet signalé, n’est pas exclusive. Dcnzingcr-Bannwarl. n. 696. Ces conclusions demeurent valables qu’il s’agisse des hommes qui oui vécu avanl le Christ depuis le commencement du monde ou des justes qui, actuellement placés sous l’influence vivifiante du Christ ne persévéreront pas, et seront finalement damnés. c) Bien que ne vivanl pas de la vie surnaturelle de la (/nier, tous ceux qui possèdent la vertu surnaturelle de /< ; i, sans la charité, participent déjà, d’une certaine manière, à la vie surnaturelle. Voir Foi, t. vi. col. 84-88. D’ailleurs les définitions du concile du Vatican ne nous laissent aucun doute à ce sujet. Sess. m. e. m. De fuie et ean.. r >, Denzinger.-Bannwart, n. 1791 ; 1814. Cf. Conc Trid., sess. vi, c.vifibid., n. 798. Ces i fidèles » sont donc déjà, en acte, quoiqu’en un degré inférieur (puisque pai hypothèse, ils ne vivent pas encore de la vie de la grâce) les membres du Christ. Ce principe nous pei met d’affirmer un certain nombre de déductions théologiques communément admises. ot.Le Christ est, en . le chef des fidèles catholiques pécheurs. I.’opinion conl raire a été attribuée, à tort semble-t-il au cardinal Torquémada, lequel, dans ta Summa de Ecclesia et de ejus auctorilate, I. 1, c. vui, n. 7 ; e. xi, n. (i, déclare simplement les pécheurs fidèles des membres Impai

faits du Christ : elle est plutôt de Melchior Cano, De locis, t. IV, cap. ultimo, ad 9’U", s’appuvant sur saint Thomas, In IV Sent., t. III, dist. XIII, q. ii, a. 2, qu. ii, pour distinguer entre « membres » et « parties » de l’Église : les fidèles pécheurs seraient des parties, non des membres de l’Église. Voir la discussion dans Gonet, disp. XIV, a. 2, §1 et dans les Salinanlicenses, disp. XVI, dub. iii, § 3. — b. Le Christ est le chef, en acte, des schismatiques formels non hérétiques (si tant est que cette hypothèse puisse se réaliser concrètement ) : bien que séparés de l’Église quant au lien de la charité, ces schismatiques gardent encore le lien de la foi. — c. Le Christ est le chef, en acte, des fidèles excommuniés qui, quoique pécheurs, gardent la foi théologique : a fortiori serait-il le chef, en acte, des fidèles excommuniés qui, dans leur for interne, vivent de la vie de la grâce et sont justes devant Dieu. — d. Le Christ est le chef, en acte, des hérétiques purement matériels, qui n’ayant jamais commis volontairement et sciemment de faute formelle contre la foi, peuvent retenir en leur âme la vertu surnaturelle de foi sans la charité… Voir Hérésie, Hérétique, t. vi, col. 2219-2220. — e. Il faut en dire autant à l’égard des catéchumènes qui ont pu, justifiés avant le baptême par la charité parfaite, posséder la vertu de foi et perdre ensuite par le péché mortel, la vie de la grâce. Faut-il affirmer que le Christ est, en acte, le chef des non-baplisés qui, tout en demeurant pécheurs, n’ont jamais possédé la vertu de foi mais produisent, sous l’influence de la grâce actuelle, des actes de véritable foi surnaturelle ? Bien cpie les théologiens n’aient pas envisagé spécialement ce cas particulier, nous n’hésitons pas, en vertu des principes posés par les conciles de Trente et du Vatican, à répondre affirmativement.

Mais par contre, faut-il refuser à tous les hommes vivant dans l’infidélité, le droit d’appartenir en acte, à un degré si infime que ce soit, au corps du Christ ? La réponse affirmative est donnée, sans aucun tempérament, par les théologiens qui, connue Gonet et les Salinanlicenses, admettent que tout péché formel d’infidélité, soit notoire, soit simplement occulte, retranche de l’âme et du corps de l’Église ceux qui s’en sont rendus coupables. Gonet, loc. cit., n. 14-17 ; Salmanticenses, loc. cit., n. 43 sq. Mais selon l’opinion plus probable de Bcllarmin, Controversiarum, De conciliis, t. III, De Ecclesia militante, c. x, les hérétiques occultes, quoique formels, demeurent encore membres du corps de l’Église. Voir Église, t. iv, col. 2102-2163. La conclusion semble donc s’imposer, pour eux du moins, que le Christ est encore, en acte, quoique dans un degré très infime, leur chef. Bellarmin, loc. cit., fait observer avec justesse que la forme du corps visible de L’Église n’est pas la foi théologique pure et simple, mais la profession extérieure de la foi reçue au baptême. Or, tant que les infidèles occultes gardent celle profession extérieure de la foi, on ne peut pas dire qu’ils sont totalement soustraits à l’action vivifiante du Christ. Quant aux autres hérétiques formels (et il faut en dire autant pratiquement fies schismatiques formels), aux apostats et aux infidèles proprement dit, ils ne peuvent, à aucun titre, revendiquer le titre de membres du Christ en acte.

.’t. De quels hommes Jésus-Christ est-il en puissance, /c chef, quant à lu communication de lu nie surnaturelle ? la réponse est simple, el n’est que la conclusion de ce qui précède. Jésus est, en puissance seulement, le chef de tous les hommes, encore dans l’état de voie, mais qui ne sont pas vivifiés.surnaturellenient tout au moins par la foi. connue il vient d’elle expliqué.

Et nous rejetons par là l’affirmation trop absolue de quelques théologiens et canonistes, qui, comme Castro Palao, De justa hæreticorum punitione, c. xxiv, soutiennent qu’il suffit d’avoir été baptisé pour demeurer. 1353

JÉSUS-CHRIST CHEF DE SON CORPS MYSTIQUE

i :  ;.v.

perpétuellement membre du corps de l’Église. Cf. Salmanticenses, loc. cit., a. 43 sq. : Gonet, loc. cit.. n. 14 sq. Toutefois, à la suite de saint Thomas, il convient de distinguer, parmi ceux dont Jésus-Christ n’est le chef qu’en puissance, deux catégories : il j a, en effet « ceux qui… doivent lui être unis en acte d’après la prédestination divine », et i ceux qui… ne doivent jamais lui être unis en acte ». Tant qu’ils sont en vie, ces derniers, quoique destines a la damnation éternelle, sont cependant encore, en puissance, sous l’influence bienfaisante du Christ : car la vertu rédemptrice de la mort du Sauveur est universelle, et la volonté de l’homme, toujours libre, peut se déterminer, sous l’influence de la grâce, dans les voies de la conversion. Mais, une fois la mort survenue, les réprouvés ne peuvent plus, même en puissance, être les membres du Christ. Sum. Iheol., III », q. viii, a. 3, et ad lom. Le Christ est simplement leur roi.

Un problème spécial se pose à l’égard des petits enfants non baptises et des adultes qu’il faut leur assimiler. Ceux qui meurent sans baptême et qui sont, par là même, destinés aux limbes, ne sont, une fois décèdes, membres du Christ ni en acte ni même en simple puissance. Ils ne peuvent, en effet, à aucun titre, recevoir l’influence bienfaisante de la vie surnaturelle. On ne saurait donc souscrire à l’opinion de Granado, In IID m p. Sum. S. Thomæ, tract, vii, disp. VI, affirmant que le Christ peut être dit le chef des enfants morts sans baptême, quatenus sunt sibi subditi, ila quod potest Mis vel inviiis aliquid præcipere, et eis dominaiur. Quant aux enfants non baptisés qui sont encore dans le sein de leur mère, on peut dire que le Christ est déjà leur chef en puissance, car ils sont appelés à la vie et, partant, au salut. Cf. Salmanticenses, loc. cit., n. 38, sub fine.

4° Jésus-Christ comme homme, est-il le chef de l’homme duns l’état d’innocence ? — Le motif de cette question particulière, se trouve en ce que l’influx vital que le Rédempteur exerce à l’endroit de. notre salut, est dans l’ordre présent réparateur du péché. Mais ava.it que l’homme eût péché, le Christ pouvait-il exercer, en raison de la foi en l’incarnation future, une véritable influence sur la vie surnaturelle d’Adam innocent. En d’autres termes, le Christ est-il le chef de l’homme innocent’? — Cette question pose avant tout sous un autre aspect, le problème, tant discuté entre théologiens, du motif de l’incarnation. Voir Incarnation, t. vii, col. 1495-1506. Elle doit donc être résolue, conformément aux principes posés par les deux écoles en présence, d’une façon négative pour les thomistes, tout au moins en ce qui concerne la substance même de la vie surnaturelle en Adam ; d’une façon affirmative et sans restriction, pour les scotistes et ceux qui suivent l’opinion, dite moyenne, de Suarez. Toutefois, parmi les thomistes, il faut noter des nuances. Alors que les plus absolus d’entre eux refusent au Christ toute influence d’ordre surnaturel sur l’homme dans l’état d’innocence, voir Salmanticenses, op. cit., dub.iv, n. 48 sq., d’autres — tels, Gonet, que suit de nos jours hP. Hugon, De Yerbo incarnalo, p. 189-190, — tout en admettant que le Christ-homme n’a pu exercer d’influence sur la grâce essentielle d’Adam innocent, déclarent que la foi à l’incarnation, foi possédée par Adam innocent, concourait accidentellement à la vie surnaturelle du premier homme et par là le reliait, autant que la condition d’innocence le comportait, comme membre à son chef, le Christ. Gonet, disp. XIV. a. 3, 5 3, n. 62. Il est difficile de dirimer la controverse d’aprts saint Thomas : si l’angélique docteur affirme, d’une part, qu « avant le péché, l’homme a eu la foi explicite en l’incarnation du Christ, et cela dans l’ordre de la consommation de sa gloire », Sum. Iheol., Il’II’. q. n. a. 7. il n’en est pas moins vrni. d’antre

part, qu’il déclare ailleurs expressément que < le

Christ, avant le péché, n’aurait été le chef de l’Église que selon sa divinité : après le péché, l’incarnation étant décrétée pour la réparation du genre humain, il devint le chef île l’Église, même dans sa nature humaine. » De veritate, q, xxix, a. 1, ad 3° » >.

5° Jésus-Christ, comme homme, est-il le chef des anges ? — Cette question présente une très grande affinité avec la précédente. Elle en est cependant distincte, tant a cause des affirmations plus explicites de la sainte Écriture qu’en raison des déclarations expresses et unanimes des théologiens. — 1. Tout d’abord les théologiens admettent unanimement que, comme Dieu, Jésus-Christ est le chef des anges. Ils s’appuient sur des textes comme Eph., i, 20-23 ; Col. ii, 9-10 ; cf. i, 16-20. Mais le sens littéral de ces textes n’implique pas, de la part du Christ, un influx vital de la grâce aux anges. Voir Incarnation, col. 1487-1488. — 2. Toutefois, la plupart des théologiens admettent que le Christ même comme homme, doit être dit le chef des anges quant à un certain influx de la grâce. L’opinion opposée qui fait du Christ, comme homme, le chef des anges d’une manière improprement dite, sans influx vital de la grâce, a été défendue par saint Bonaventure, In IV sent., t. III, dist. XIII, 1. 2, q. m ; par Gabriel Biel, ibid., q. unie, a. 3, *dub. n ; par Guillaume d’Auxerre, Summa, t. XIII, tract, i, c. iv, par Driedo, De captivate et redemptione generis humani, tract, ii, c. ii, part. III, a. 6, concl. 4. Mais saint Thomas, dans ses commentaires sur les épîtres de saint Paul, loc. cit., et dans le De veritate, q. xxix, a. 1. ad 5° " », déclare que le Christ est le chef des anges, non seulement en tant que Dieu, mais en tant qu’homme ; son humanité, en effet, illumine les esprits bienheureux… et c’est en ce sens que l’apôtre, Col., ii, déclare que Jésus-Christ est le chef de toute principauté et de toute puissance ». Cf. Sum. Iheol., III, q. viii, a. 1. Toute la question est donc d’expliquer l’influx vital de la grâce, du Christ sur les anges. — a) Dans l’opinion scotiste du motif de l’incarnation, nulle difficulté : la primauté absolue du Christ sur toutes créatures explique l’influence surnaturelle du Verbe incarné sur la grâce et la gloire essentielles des anges bienheureux. Le Christ est voulu pour lui-même et avant toute autre créature ; il est, de par le vouloir divin, lé* médiateur universel par lequel passe toute grâce avant de parvenir à la créature. Le Christ est constitué par Dieu fin de toute la création ; c’est pour glorifier son Fils fait homme que Dieu crée les anges et les hommes lesquels reçoivent la grâce et la gloire par les mérites du Christ. Sur le développement de ces doctrines, voir Frassen, Scolus academicus. De incarnatione, disp. I, a. 2, sect. iii, q. i, et le P. Chrysoslome, Le motif de l’incarnation, Tours, 1921, p. 56100. — b) Dans l’opinion thomiste, l’incarnation étant subordonnée a la rédemption des hommes, on ne voit pas comment la grâce et la gloire substantielles des anges dépendraient, à quelque titre que ce soit, du Verbe incarné. Cependant, un certain nombre d’auteurs ont tenté de démontrer cette dépendance, en s’appuyant sur l’Écriture, Rom., v, 15 : in plores abundavit ; Heb., ii, 10 : oui multos filios adduxcral ; Eph., i, 10 : inslaurare omnia in Christo quæ in colis… sunt., etc. ; sur les Pères, sur saint Thomas lui-même, De veritate, q. xxix, a. 1, ad 5°m et In Joannis evangelium, c. iv, lect. x. Voir Salmanticenses, De incarnatione, disp. XXVIII, dul). x, n. 136-112. Les principaux défenseuis de cette opinion sont Catharin, dans ses livres De eximia Christi prædeslinalione, et De gloriu angelorum ; Suarez, l><- incarnatione, disp. XI. IL sect. ii : Grégoire de Valencia, De incarnatione, q. viii, punct. 3, et, ce qui est plus étonnant, Godoi, Dr Incarnatione, disp. I.VII, § 2.

La plupart des thomistes, et. chez les jésuites, Vas135 :

JÉSUS-CHRIST SA ROYAUTÉ SPIRITUELLE

1356

quez, disp. XI. IX, c. n ; Molina, In lump. Sum. S. Thomas, q. i.xiii. a. 3, memb. v, 7° concl. ; Lessius, De prsedestinatione, sect. i, n. 4 ; Bec-anus, /> incarnations,

C. xiv, q. ix : Do Lugo, De mysterio incarnalionis, disp. XXVII, sect. iii, n. 25, sq., etc., enseignent, conforménieiil à leur opinion du motif de l’incarnation, que l’influence vitale du Christ sur les anges ne concerne que leur grâce et leur gloire accidentelles. Saint Thomas nie expressément que le Christ ait eu, à l’égard de la grâce substantielle des anges, une influence quelconque, 7/i I Y sent., t. III, dist. XIII. q. ii, a. 2, qu. 1 ; qu’il ait pu mériter pour eux la récompense essentielle, De veritate, q. x.xix, a. 7, ad 5um. Son mérite à l’égard des anges, ne dépasse pas la récompense accidentelle irf., ibid., et son pouvoir judiciaire n’atteindra les anges que relativement aux récompenses et aux punitions accidentelles. Sum. theol., III’, q. i.xi. a. 6. Cf. Salmanticenses, disp. XXVIII, dub. x, § 1 ; Gonet, dis], , xiv, a. 4, n. 73. A quoi donc se réduirait l’influence vitale surnaturelle du Christ sur les anges ? Saint Thomas nous le dit. In IY Sent., loc. cit., < le Christ, en tant qu’homme est le chef des anges, mais non d’une manière aussi stricte et de la même façon qu’il est le chef des hommes ; et cela, pour deux raisons. Tout d’abord, il manque au Christ, che des anges, la communauté de nature ; il est de la même espèce que les hommes ; mais avec les anges il n’a de commun que le genre par l’intelligence. En second lieu l’influence n’est pas la même ; le Christ n’agit pas sur les anges en éloignant l’obstacle du péché, ou en leur méritant la grâce, ou en priant pour eux. Ne sontils pus. m effet, déjà bienheureux ? son influence se réduit à tout ce qui touche les « actes hiérarchiques », par lesquels range supérieur éclaire l’inférieur, le corrige, lui donne plus de perfection. Cette influence, le Christ la possède d’une façon suréminente ». Le Christ, en effet, commande aux anges et les charge d’un véritable ministère de salut près de nous. Il doit donc les éclairer, les diriger ; il est donc cause, tout au moins morale, de cette illumination et de cette direction, de l’œuvre de coopération au salut des hommes qui en résulte, et de la récompense attachée a cette coopération. Il peut également satisfaire leurs désirs touchant la connaissance des mystères divins et concourir ainsi a un accroissement de grâce et de gloire accidentelles en ces esprits bienheureux. A tous ces titres, il est le chef des anges.

IV. la ROI m il m : JÉSV8-CSRTST. — Le pouvoir royal ajoute, en Jésus-Christ, quelque chose au pouvoir de chef qu’il suppose et qu’il inclut. Mais tandis que l’influence exercée par le chef est limitée à ses membres, le pouvoir exercé par le roi ne connaît pas les mêmes limites. Ce pouvoir, en effet, s’étend jusqu’aux sujets rebelles qui sont cependant soumis aux jugements prononcés et aux châtiments infligés par leur roi. De plus, l’influence du chef s’exerce sur les membres qui partagent avec lui la même nature, tout au moins générique, le pouvoir de roi s’étend sur tous le - rires qui lui sont soumis.

Que la royauté soit l’apanage de J< : sus-( ; iirisl, non seulement comme Dieu, mais encore comme homme, on n’en peut douter, car cette vérité est expressément affirmée dans les prophéties de l’Ancien Testament, relatives au règne et au roi messianique. Voir col. Il 13 sq. L’ange de l’incarnation l’affirme d’ailleurs : era grand et sei a appelé le Fils du Très-Haut, et hSeigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père, et il régnera éternellement sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. o Luc, i, 32-33. Lt Jésus lui même s’affirme roi, tout en expliquant la nature spirituelle de sa royauté. Joa., xviii, 36-37, Les théologiens, sur ces affirmations de l’Écriture, élaborent une doctrine de la royauté de Jésus-Christ, en

envisageant cette royauté au point de vue temporel, et au point de vue spirituel.

La royauté temporelle de Jésus-Christ.

1. Sur

lu nation juive. Jésus, bien que Fils de David et de race royale, n’a ieçu aucun droit héréditaire, ni aucun titre spécial ù régner sur le peuple juif. Sur ce point, on consultera Suarez. disp. XLY11I, sect. i et les Salmanticenses, disp. XXX II, dub. i. L’expression « roi des Juifs », que Jésus, répondant à Pilate, semble accepter pour lui ; cf. Matth., xxvii, 11 ; Marc, xv, 2 : Luc, xxiii, 3, ne prouve rien. Car Jésus explique suffisamment le caractère spirituel de son royaume, cf. Joa., xvii, 34-37, auxquels sont conviés, d’abord les Juifs, ensuite tous les hommes.

2. Sur l’univers entier, Jésus-Christ, homme, a reçu un véritable pouvoir royal, bien qu’il ne l’ait jamais exercé. Pour soutenir cette thèse, les thomistes s’appuient sur la Sum. theol.. III. q. iix. a. 3, ad a. I, ad loin, et surtout sur le De regimine principum. I. IILc.xm-xv.Ce pouvoir est donc resté d’ordre général et transcendant ; il ne pouvait en rien contrecarrer le pouvoir royal effectif, exercé par les monarques et les princes ; mais il explique bien certaines expressions scripturaires qui attribuent au Christ le pouvoir royal temporel, la suprématie universelle sur les rois, et le déclarent regem regum et dominum dominantium. L’opinion négative a eu ses défenseurs, François Vitoria, Médina. Bellarmin, Sylvius, Becanus, Tanner, et quelques autres, qui n’attribuent au Christ qu’une royauté purement spirituelle. CI. Gonet, disp. XXII, a. 4 ; Salmanticenses, disp. XXXII. du b. n : Suarez, disp. XLVIII, sect. ii, concl. 2 ; De Lugo, disp. XXX, sect. i, n. 4 ; Vasquez, disp. LXXXVII, c. ii, etc. cette royauté d’ordre temporel se rattache le domaine absolu et direct que possédait Jésus par rapport aux choses d’ici-bas, sans cependant en user toujours. Cette thèse théologique est défendue non seulement pour corroborer certaines assertions générales de l’Écriture, par exemple, lleb.. n. 8, ou encore le Data est mihi omnis potestas in cœlo et in terra, Matth., xxviii, 18 ; mais encore pour justifier certains actes de Jésus : cf. Matth.. mi, 1 ; xxi, 2-3, 19 et surtout viii, 31-32. Voir ci-dessus, col. 1196. Elle est contredite par tous ceux qui refusent au Christ une royauté temporelle sur l’univers entier, et par quelques autres, notamment Vasquez, dis]). t. XXXVI, v. vi. Pour la discussion. voir les Salmanticenses, loc. cil., dub. m.

2° l.a royauté spirituelle de Jésus-Christ. - La théologie de la royauté spirituelle du Christ a été mise en pleine lumière par Léon XI II, dans son encyclique Annurn sacrum, du 25 mai 1899. Mais on en trouve déjà de précieux éléments dans Bossuet, Premier et Deuxième sermon pour la circoncision, édit. Lebarcq, t. i, i). 250, t. ii, ]). 100. L’existence de cette royauté spirituelle est affirmée par l’Fcriture, attestant la royauté du Christ, voir col. 1122 ; carie royaume du Sauveur est avant tout spirituel. Voir col. 1199. Avec ces données de la révélation, la théologie étudiera la nal ure. l’origine, l’universalité, l’exercice de cette royauté, et les devoirs qu’elle nous impose,

1. Nature de la royauté spirituelle de Jésus.

C’est, dans son entretien avec Pilate, tel que le rapporte saint Jean, que Jésus nous dévoile le vraie, nature de sa royauté spirituelle : n Mon royaume n’est pas de ce inonde… ». Il ne nie point qu’il soit roi ; mais il ne veut pas régner ici-bas à la façon des monarques terrestres ; il ne veut ici-bas que régner sur les esprits et sur les cœurs, afin de les sanctifier et de les conduire au ciel, où sa royauté se manifestera éternellement. « Oui. je suis roi », ajoute Jésus et, caractérisant sa royauté il continue : > Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité ». — La diffusion de la vérité sous sa forme la plus relevée, la plus parJESUS-CHRIST SA KOÏW I I-. SPIRITUELLE

faite, spécialement sous la forme religieuse, tel est

donc le but de son règne, ou. comme il l’insinue, de son incarnation, désignée ici par les mots ; Je suis venu dansée monde ». Cl. Fillion, Vie de N.-S. Jésussl, t. m. p. 448.

On sait d’ailleurs que cet empire de la vérité sur les âmes. — qui est le règne de Jésus — doit y amener la foi et par la foi le salut qu’a mérité à tous Jésus par sa mort. Kn sorte que Jésus devient notre roi, par là même qu’il exerce effectivement en nos âmes son rôle de médiateur et de sauveur.

Bossuet arrive à eette conclusion en partant de la définition de la vraie royauté, qui est « la puissance universelle de faire le bien ». Et par là. c’est le propre des rois de sauver ! (’.'est pourquoi le prince Jésus, en venant au monde, considérant que les prophéties lui promettent l’empire de tout l’univers, il ne demande point à son Père une maison riche et magnifique, ni des armées grandes et victorieuses, ni enfin tout ce pompeux appareil dont la majesté royale est environrée. Ce n’est pas ce que je demande, ù mon l’ère ! Je demande la qualité de sauveur, et l’honneur de délivrer mes sujets de la misère, de la servitude, de la damnation éternelle. Que je sauve seulement, et je serai roi. O aimable royauté du Sauveur des âmes ! Édition Lebarcq, t. ii, p. 108.

2. Origine de cette royauté.

« L’autorité du Chiist ne vient pas seulement d’un droit de naissance, comme Fils unique de Dieu, mais encore en vertu d’un droit acquis. Lui-même, en effet, nous a arrachés à la puissance des ténèbres. Col. i, 13. Lui-même s’est livré pour la rédemption de tous, ITim.. n. 6. Léon XI II, encyclique citée, dans Lettres apostoliques, édit. de la Bonne Presse, t. vi. p. 29. Jésus aurait pu, exerçant sa royauté de Sauveur, nous racheter différemment ; mais il a voulu nous sauver en mourant pour nous et par là nous faire régner avec lui. Il est donc à la fois « notre roi par naissance, et… par amour et par bienfaits ». Bossuet, 1° sermon, édit. citée, 1. 1, p. 277-278. En d’autres termes, Jésus-Christ a deux royautés, dont l’une lui convient comme Dieu et l’autre lui appartient en qualité d’homme. Comme Dieu, il est le roi et le souverain de toutes les créatures qui ont été faites par lui : Omnia per ipsum fada sunt. Joa., i, 3, et outre cela, en qualité d’homme, il est roi en particulier de tout le peuple qu’il a racheté, sur lequel il s’est acquis un droit absolu par le prix qu’il a donné de sa délivrance. Voila donc deux.rox autés dans le Fils de Dieu : la première lui est naturelle, et lui appartient par sa naissance : la seconde est acquise, et il l’a méritée par ses travaux. Bossuet, Sermon pour une pro/ession, le jour de la Sainte-Croix, édition Lebarcq, t. iii, p. 531532.

3. Universalité de la royauté spirituelle du Christ. — Parce que sa royauté a les limites de la rédemption, elle est universelle, le Christ s’étant offerl pour tous. « Non seulement les catholiques, non seulement ceux qui ont reçu le baptême chrétien, mais tous les hommes sans exception deviennent pour lui, « un peuple conquis !

I Pet., ii, 9. Aussi., , ce sujet, saint Augustin dit

avec raison : « Vous cherchez ce qu’il a acheté ? Voyez le prix qu’il a donné et vous saurez ce qu’il a acheté. Le prix, c’est le sang du Christ. Qu’est-ce qui peut avoir pareille valeur ? Quoi ? si ce n’est le monde entier, si ce n’est tous les peuples ? C’est pour tout l’univers que le Christ donna une telle rançon. » Enarmt in Ps.. XCF, "j, P. L., t. xxxviii, col. 1231 Les infidèle mêmes tombent sous la puissance et la domination de Jésus-Christ. « Tout est soumis au Christ, quant a la puissance, bien que tout ne lui soit pas encore soumis, quant à l’exercice de cette puissance. » S. Thomas. Sum. theol., IIP q. l., a. 4.

La royauté du Christ atteint les hommes, non seule ment connue individus ; mais encore comme membres de la société familiale ou civile, L’homme doit opérer son salut dans la famille et dans la cité : famille et cité sont instituées par la nature. c’est a-dire par Dieu, cl puisque Jésus-Christ est venu tout récapituler en lui-même, la famille et la cité, comme telles, doivent reconnaître son pouvoir royal.

I. Exerctee de cette royauté.

La puissance, bien que marquant le règne de Dieu sur ses créatures, n’est point l’attribut particulier de la royauté spirituelle du Christ sur les hommes, car la puissance s’applique à toutes les créatures -.ans distinction et ne caractérise pas la domination plus particulière de Dieu sur les natures Intelligentes, Cf. Bossuet, 2’sermon, loc. cit.. p. 11>2-P>3. L’autorité du Christ sur les hommes s’exerce donc spécialement par la vérité, la justice et surtout la charité ». Léon XIII, op. cit., p. 29.

Le règne par la vérité, voir col. 1386, est le règne par la foi. Mais l’acte de foi est essentiellement libre. L’autorité du Christ s’exerçant par la vérité suppose donc déjà 1 1 volonté de l’homm i soumise à Jésus. Le règne par la justice n’est pas le règne de Jésus en ce monde, mais dans l’autre : il n’est pas venu i pour juger le monde ». Joa., xii, 47. C’est à ce règne par la justice que se rapportent les fonctions terribles de juge qu’exercera Jésus au dernier jour. Mais il ne les exercera qu’après avoir épuisé sur nous les ressources de son’amour. Ce règne par la justice s’exercera sur les ennemis de Jésus ; » car enfin, il est nécessaire qu’il règne sur nous. L’empire des nations lui est promis par les prophéties. S’il ne règne sur nos âmes par la miséricorde, il y régnera par la justice ; s’il n’y règne par amour et par grâce, il y rognera par la sévérité de ses jugements et par la rigueur de ses ordonnances. » Bossuet, 1 er sermon pour la circoncision, op. cit.. p. 280281. Jésus sera donc le roi des réprouvés qu’il atteindra par sa justice. Ici-bas, et pendant notre vie, c’est « surtout par la charité » que s’exerce l’autorité du Christ. Jésus, « combat par bie.ifaits, par des attraits tout-puissants, par des charmes invincibles. » Le Fils de Dieu « surmontant le monde, devait principalement surmonter les cœurs » ; « Nous sommes acquis au Sauveur des âmes par le sang qu’il a versé pour l’amour de nous. Nous ne sommes pas seulement au prince Jésus comme un peuple qu’il a gagné par amour, mais comme un peuple cpi’il a acheté d’un prix infini. » Bossuet, ’! Sermon, op. cit., p. 115.

Mais afin de pouvoir, jusqu’à la fin des siècles, atteindre le cœur des hommes, il a fallu que Jésus-Christ se perpétuât pour ainsi dire par une institution visible, continuatrice de son œuvre. Cette institution, c’est l’Église catholique, à laquelle il faut appartenir si l’on veut appartenir à Jésus-Christ et participer aux fruits de la rédemption. C’est par sa puissance royale que Jésus nous a délivrés de I ? loi mosaïque pour nous imposer le joug suave et léger de la loi de l’amour. Sur le Christ-Roi, législateur, voir Conc. Irid., sess. vi, can. 21, cꝟ. 19-20, Den/inger-Baniiwart, n. 829-831.

5. Devoirs que nous impose la royauté spirituelle de Jésus-Christ. — A l’amour de Jésus, il faut répondre par notre amour. Il nous a achetés par son sang, par sa chair, par sa vie. « Donc, conclut Bossuet, nous lui tenons lieu de sa vie ; nous ne sommes pas moins à lui que sou propre corps et que le sang qu’il a donné pour nous acheter ; et c’est pourquoi nous sommes ses membres. i On lira la belle péroraison du 2° sermon de Bossuet pour la circoncision, dans laquelle le grand orateur montre que la royauté du Christ nous impose le devoir de l’amour dont lu pénitence.

Par là, nous rejoignons exactement la fin qui se

propose le culte du u. Le Sacré-Cœur est le

bote le plus parfaii de la royauté spirituelle du

Christ, mi et centre de U n. La dévotion au 1350

IÉSUS-CHRIST CONTINUÉ PAR L’ÉGLISE

L360

Sacré-Cœur, par laquelle nous rendons au Christ un culte d’amour et de pénitence, est l’aspect moderne du culte qui a toujours été rendu à la royauté spirituelle de Jésus-Christ. Elle est donc dans un rapport très étroit avec le fond même du christianisme en tant que le christianisme est la religion de Jésus et la religion de l’amour. Pour le développement de cette pensée fondamentale, voir Cœur sacré de jésus (Dévotion au), t. iii, col. 301-303.

IV. Conclusion^ : l’Église, continuation visible di Verbe incarné. — Arrivés au terme de notre étude théologique sur Jésus-Christ, il convient de jeter un regard en arrière et de marquer en quelques mots l’unité profonde qui règne entre tous les points de la doctrine du Verbe incarné. Cette unité, le symbole l’exprime clairement, en nous donnant le sens exact des miséricordieuses voies de la Providence : Credo… in unum Dominum Jesum Christum, Filium Dei…. qui propler nos homines et salulem nostrum descendit de cœlis, et incarnatus est de Spiritu sancto ex Maria Virgine et humanalus est. Denzinger-Bannwart, n. « stj. En Jésus, nous reconnaissons le Fils de Dieu, Vei be selon sa divinité, égal au Père et au Saint-Esprit mais qui, pour nous et pour notre salut, est descendu des cieux et s’est fait homme par l’opération du Saint-Esprit dans le sein de la vierge Marie. L’étude du Verbe incarné n’est exacte, n’est complète que si elle est orientée vers l’œuvre pour laquelle précisément le Verbe s’est incarné : œuvre de rédemption et de salut du genre humain. Et c’est bien sous cet aspect que, la révélation nous a montré le Christ, prévu et annoncé par les prophètes, manifesté clairement par les écrivains du Nouveau Testament. C’est notre Christ, iXtilre-Seiyneur, qui nous est apparu sur terre, dans sa bonté et son humanité. L’humanité et les faiblesses qui lui sont inhérentes prises par le Verbe dans l’unité de sa personne divine, ne sont que le moyen nécessaire au Fils de Dieu pour parvenir efficacement jusqu’à nous, pour ofïrir au Père un sacrifice parfait de réconciliation pour nos âmes. Mais ce n’est pas encore suffisant : nous ayant rachetés, Jésus nous communique individuellement les fruits du salut. Lumière, il devient notre lumière ; Vie, il devient, notre vie ; Vérité, il devient notre vérité. Il est, par droit de naissance, l’héritier de Dieu ; il nous fera, par droit d’adoption, ses cohéritiers. Et de même qu’il est un avec son Père, il <>udra que nous ne fassions qu’un avec lui. Il faut donc que son esprit devienne notre esprit, et que nous grandissions tous les jours dans le Christ-Jésus. Nous ne le pourrons qu’à la condition de participer à la même vie divine que lui-même : aussi l’unité entre lui et nous ne se réalisera que dans un même corps mystique dont il est la tête et dont nous sommes les membres.

Il faut donc que Jésus-Christ, après son sacrilice el sa résurrection glorieuse, qui en est comme les contre partie nécessaire, remonte au ciel, préfigurant par là notre future résurrection et notre future gloire. Son corps naturel ne pourra plus demeurer parmi nous : et c’est nous qui devrons, en réalité, prendre sa place. Nous serons son corps mystique, et si Jésus nous laisse encore d’une façon miraculeuse, dans l’eucharistie, son coi ps naturel, ce ne sera que pour perpétuer son sacriflee jusqu’à la fin du monde et faire circuler dans les membres de son corps mystique la vie de la grâce dont Il acrificeesl la source Inépuisable.

loin donner à ce corps mystique sa consistance, lui assurer nue vie qu’aucun obstacle ne parvi < i drail a tarir, Jésus l’a doté d’un organisme extérieui qu’il soutient et vivifie d’une manière invisible ei qu’il dirige visiblement par les pasteurs établis à sa place. Ce corps mystique, <>n les hommes rachetés ne loiii qu’un avec lui dans la même vérité, dans in même

lumière, dans la même vie, c’est l’Église qui continue, non seulement l’œuvre de l’Incarnation, mais l’Incarnation elle-même.

1° L’Église continue l’incarnation dans sa constitution même. — Elle a été faite à l’image et à la ressemblance de Jésus. Il y a, dans le Verbe incarné, du visible et de l’invisible, la chair vivante qui se manifeste à nos sens et nous révèle, par ses actes, le principe qui l’anime. Ainsi dans l’Église : l’invisible, c’est son âme. l’esprit qui l’anime, l’esprit de Jésus ; le visible, c’est son corps, dont les membres sont les membres de Jésus. Il y a, dans le Verbe incarné, une magnifique ordonnance de tous les éléments qu’il renferme, une parfaite subordination du visible à l’invisible, du corps à l’âme, de l’âme à la divinité. Ainsi dans l’Église : société hiérarchique, « tout s’y tient dans une complète dépendance du Christ invisible, et cette dépendance se manifeste par l’harmonieux mouvement d’aller et de retour qui, du sommet de la hiérarchie, fait descendre le commandement jusqu’au dernier des fidèles et, du dernier des fidèles, fait monter l’obéissance jusqu’au sommet de la hiérarchie. » Monsabré, Exposition du dogme calliolique, 51e conférence. Il y a, dans le Verbe incarné, une pénétration constante de l’humain par le divin : son âme est inondée des splendeurs de la divinité, dont la plénitude habite en Jésus corporellement ; sa chair est l’instrument des opérations de la toute-puissance divine ; ses œuvres sont d’un mérite infini. Ainsi dans l’Église : corps mystique du Christ, humaine en ses éléments, elle est constamment pénétrée de la vertu divine qui l’anime. Le Christ lui reste uni connue la tête l’est au membre. Tête de l’Église, le Christ est le conservateur de son corps : Christus capul Ecclesiæ et ipse saluator corporis ejus. Eph., v, 23.

2° L’Église continue l’incarnation dans sa fécondité.

— Jésus, nouvel Adam, est venu sur terre pour engendrer les hommes à la vie, comme Adam le premier homme les avait entraînés à la mort. L’Église est le corps mystique de Jésus, mais en même temps, elle en est l’épouse féconde. « L’Église, comme corps, est subordonnée à son chef ; l’Église, comme épouse participe à sa majesté, exerce son autorité, honore sa fécondité. Ainsi le titre d’épouse était nécessaire pour faire regarder l’Église comme la compagne fidèle de Jésus-Christ, la dispensatrice de ses grâces, la directrice de sa famille, la mère toujours féconde et la nourrice toujours charitable de tous ses enfants. Mais comment est-elle mère des fidèles, si elle n’est que l’union de tous les fidèles ? Nous l’avons déjà dit : tout se fait par l’Église ; c’est-à-dire tout se fait par l’unité. L’Église, dans son unité, et par son esprit d’unité catholique et universelle, est la mère de tous les particuliers qui composent le corps de l’Église ; elle les engendre à Jésus-Christ, non en la façon des autres mères, en les produisant de ses entrailles, mais en les tirant du dehors pour les recevoir dans ses entrailles, en se les incorporant à elle-même, et en elle au Saint-Esprit qui l’anime et par le Saint-Esprit au Fils qui nous l’a donné par son souille, el par le Fils au Père qui l’a envoyé. Bossuet, Lettres de piété et de direction, lettre i, Œuvres. Besançon, 1886, t. nu. p. 9

, ’i° L’Église continue l’incarnation dans la prédication de la vérité. « Quand le Christ est venu en ce monde, le seul moyen d’aller au Père était de se soumettre tout entier à son Ris Jésus… Dans le début de la vie publique du Sauveur, le Père éternel présentait son Fils aux Juifs, et il leur disait : « Écoutez-le parce qu’il est mon Fils unique ; je vous l’envoie pour vous révéler les secrets de ma vie divine et mes volontés. » Mais depuis son ascension, le Christ a laissé sur la terre son Église, et cette ÉgUse est comme la continuation de

l’Incarnation parmi nous Elle nous parle, ce ! te Église,

c’est-à-dire, le souverain pontife et les évêques, avec

les pasteurs qui leur sont soumis, elle nous parle avec toute l’infaillible autorité du Christ Jésus lui-même.

Pendant qu’il était sur la terre, le Christ renfermait en lui l’infaillibilité : « Je suis la vérité, je suis la lumière celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais parvient à la lumière éternelle. » Joa., xiv, (5 ; cf. viii, 12. Avant de nous quitter, il a confié ses pouvoirs à son Église. Sicut misit me Pater, et ego millo vos : Comme mon Père m’a envoyé, ainsi je vous envoie, Joa., xx, 21 : qui vous écoute m’écoute ; qui vous méprise, me méprise, et méprise celui qui m’a envoyé. » Luc, x, 16. De même que je tiens ma doctrine de mon Père, ainsi la doctrine que vous distribuerez vous la tenez de moi ; qui reçoit cette doctrine, reçoit ma doctrine, qui est celle de mon Père ; qui la méprise, à quelque degré ou dans quelque mesure que ce soit, méprise ma doctrine, me méprise, méprise mon Père. »

— Voyez donc cette Église, possédant tout le pouvoir, toute l’autorité infaillible du Christ, et comprenez que la soumission absolue de tout votre être, intelligence, volonté, énergie, à cette Église, est le seul moyen d’aller au Père… Cette voie est sûre, car Notre-Seigneur est « avec les apôtres jusqu’à la consommation des siècles » et il a « prié pour Pierre et ses successeurs, afin que leur foi ne défaille point. Luc, xxii, 32. » Dom Columba Marmion, Le Christ vie de l’Ame, p. 106-107.

4° L’Église continue l’incarnation dans la communication de la vie. — Jésus est la vie, il est notre vie ; il est venu pour que nous ayons cette vie en abondance et en surabondance. Pour nous distribuer cette vie, il a laissé, en son lieu et place, l’Église par qui nous vient toute la grâce. Pour être sauvé, il faut être incorporé au Christ, c’est-à-dire à l’Église, par le baptême, porte des sacrements. A l’Église Jésus a dit, avant de remonter au ciel : « Allez, enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. » Matth., xxviii, 19. A l’Église, Jésus communique le pouvoir de remettre ou de retenir les péchés. Joa., xx, 23 ; Luc, xii, 39. Ce n’est pas ailleurs qu’il faut aller chercher la voie du salut : Hors de l’Église, il n’y a pas de salut possible. C’est, du reste, l’Église qui demeure chargée par Jésus d’oflrir le sacrifice de la nouvelle alliance, par lequel nous est perpétuée, sur terre, la possession du corps naturel du Sauveur dans l’eucharistie. Or, l’eucharistie est la source de vie par excellence, et l’Église est la régulatrice et la dispensatrice de cet aliment divin.

5° Enfin, l’Église continue l’incarnation dans la divine médiation de la prière et du sacrifice — La prière, l’adoration que Jésus adressait à son Père et qu’il renouvelle sans cesse dans le ciel, le sacrifice qu’il a une fois pour toutes consommé au Calvaire, mais qu’il perpétue dans sa gloire, l’Église en est l’héritière sur la terre. Au nom de Jésus-Christ, à qui elle est unie, elle prie, elle adore, elle offre le sacrifice agréable à la divine majesté.

Concluons donc : « Tous les fidèles (sont) un en Jésus-Christ, et par Jésus-Christ un entre eux ; et cette unité, c’est la gloire de Dieu par Jésus-Christ, et le fruit de son sacrifice. « Jésus-Christ est un avec l’Église, portant ses péchés, l’Église est une avec Jésus-Christ, portant sa croix. « Jésus-Christ est en son Église faisant tout par son Église : l’Église est en Jésus-Christ, faisant tout avec Jésus-Christ. « Vous me demandez ce que c’est que l’Église : l’Église, c’est Jésus-Christ répandu et communiqué ; c’est Jésus-Christ tout entier ; c’est Jésus-Christ homme parlait, Jésus-Christ dans su plénitude ». Bossuet, loc. cit.