Dictionnaire de théologie catholique/JÉSUS-CHRIST I. Jésus-Christ préparé et prédit . 3. La théologie juive

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.1 : ISAAC - JEUNEp. 572-575).

111. Jésus-Christ et n théologie juive. — les livres de l’Ancien Testament ont pour le théologien de Jésus-Christ une importance de premier ordre : nous y axons trouvé, en effet, déjà esquissé le portrait du futur.Messie et déjà préparée la notion du Verbe de Dieu. Si nous n’y rencontrions pas encore le dogme de l’incarnation, du moins nous y découvrions, comme dans leurs sources, bien des traits de la figure du Christ, bien des doctrines que l’incarnation mettra en pleine lumière. Les livres postérieurs de la théologie juive, palestinienne et alcxandrine, de l’époque immédiatement antérieure à notre ère ou contemporaine de ses débuts, ne peuvent être étudiés comme des sources de notre foi. On ne doit cependant pas les passer sous silence, car, d’une part, ils nous permettent de mieux saisir la vraie direction de la tradition juive, qui prend sa source dans la révélation mais s’en détourne sur plus d’un point ; d’autre part, ils nous font connaître les idées courantes du milieu dans lequel est apparu Jésus-Christ. L’étude de la théologie juive, dans ses affirmations relatives au Messie et au Verbe, doit nécessairement faire mieux saisir le caractère transcendant de la révélation chrétienne et la réalité même du mystère du Verbe incarné. Toutefois, il ne faut se servir de ces documents qu’avec une extrême circonspection, à cause des interpolations d’origine chrétienne qui, en un grand nombre d’entre eux, ont pu y être introduites à des dates diverses. Nous aurons même recours à certains documents, de date très postérieure à l’apparition de Jésus sur la terre (par exemple les targums), mais dont la doctrine reproduit bien la tradition juive contemporaine du Christ. D’ailleurs nous devrons nous en » tinir aux traits les plus caractéristiques, et relevés dans les textes d’une authenticité reconnue, les questions relatives à la théologie juive au temps de Jésus-Christ devant faire l’objet d’un article spécial dans le supplément du Dictionnaire de la Bible de M. Vigouroux.

I. le messie.

Le précurseur.

Au temps de

Jésus, l’avènement d’Élie, comme précurseur du Messie, était accepté par tous les esprits. Jésus dut expliquer que Jean Baptiste avait rempli le rôle d’Élie. Matth., xi, 14 ; xvii, 11-12. Ce rôle d’Élie précurseur avait été annoncé et décrit par Malachie ; voir col. 1123. Dans l’Ecclésiastique, xlviii, 10-11, inspiré de Malachie et d’Isaïe, xlix, 6, Élie devait avoir, le rôle non seulement de précurseur, mais encore de restaurateur d’Israël, qu’Isaïe attribue au serviteur de Jahvé, non moins qu’une fonction dans la résurrection future des corps. De ces textes, le rabbinisme déduit les trois rôles attribués à Élie, précurseur du Messie. — 1. Rôle de restaurateur d’Israël. Éliminer d’Israël ceux qui n’avaient lias droit au salut ; réintégrer dans leur droit les familles exclues à tort ; faire la paix dans le monde, tel apparaît le rôle d’Élie chez les rabbins de Judée. M. J. Lagrange, Le messianisme chez les Juifs, Paris, 1909, p. 211. Mais précisément, cette paix qu’il s’agit île restaurer suppose le I rouille et le bouleverNcnient dans le monde : Guerres entre les diverses nations, désordres dans la société, trouble dans Us familles, perturbations dans la nature, tremblement s de terre, phénomènes ((’lestes, incendies et famines : telles sont, d’après la doctrine des rabbins, comme les douleurs de l’enfantement » qui précéderont la révélation messianique, i Lepin, op. cit., p. 2 1. on réservait à Élie de donner la solution

a certains cas douteux et de résoudre les questions niantes par la disparition de l’esprit prophétique en Israël. On trouve un exemple « le cet état 112 : JÉSUS-CHRIST. LA THÉOLOGIE JUIVE 1128 d’esprit dans I Mach., iv, 46. — 2. Roi, - de précurseur du Messie. Le Messie devait être oint par Élie, chargé de le révéler au monde. Telle est la tradition juive dont Tryphon, s. Justin, Dialog., c. xi.ix. P. (L. t. vi, col. 581 sq., nous atteste encore l’existence au m siècle. Ce thème était fécond en développement : nous en rencontrerons plus loin quelques-uns. 3. Rôle par rapport ù la résurrection des morts. Dans certains textes de la Michna, on lit menuque la résurrection aura lieu par le ministère d’Élie, Michna, Solo. ix. 15 ; cf. Lagrange, op. cit., p. 182, 212. Mais il n’est plus alors question de messianisme. 2° Les noms tlu Messie.

Messie, oint. yziazôç,

s’entend, dans l’Ancien Testament, du prêtre, Lev., IV, : i. 5, et surtout du roi. 1° « oint de Jahvé ». Il est appliqué à Sud. 1 Reg., xii. 3, 5 ; xxiv, 7. Il : xxvi, 9, 11. lli.’2. !  ; II Reg., i. 11. 16 ; XIX, 21 : a David, II Reg., xxiii. 1. Mais toute personne, choisie par Dieu pour être l’instrument de ses œuvres, était aussi dite l’oint de Jahvé : Cyrus, Is.. xi.v, 1 ; les patriarches, IV-.. cv, l."> : I Par., xvi. 22 : et même, semble-t-il, le peuple entier d’Israël. Ilab.. iii, 13. I.e terme d’oint de Jahvé paraissait doue admirablement choisi pour désigner le libérateur futur, celui qui devait, par la vertu de Jahvé, sauver son peuple, et, de fait, il se trouve au moins dans deux passages parfaitement clairs. Ps., n. 2 : I Reg., ii, 10. Cf. Dhorme, Le cantique d’Anne, Revue biblique, 1907, p. 3<st ; -3<17. C’est de là que l’expression a passé aux écrits de l’école pharisalque, Hénoch, xi.vm, 1<> : iii, 1 : Psaumes île Salomon, xvin, 6 ; cf. xvii, 36 ; xviii, S et Apocalypse île Baruch, xxxix. 7 : xi., 1 : i. xxii. 2 : cl. xxix, 3 ; xxx. 1 ; xl, 9 ; cf. Berachoth, i, "> : Sota, ix, 15. Depuis Daniel surtout. ix, 25-2(1. pour désigner le Sauveur attendu, on emploiera le nom de Messie. Targ. Is.. iv, 2 : x.xviu. 5 ; Targ. ilab., m. IS : Targ. Zach., IV, 7 : x. 1. etc., avec une tendance à relever le caractère royal du Messie, qui devint ainsi, non plus I’i oint de Jahvé ►, mais 1’i oint d’Israël ». Targ. Is., xvi. 5 : Mich.. IV, N. et apparaît de plus en plus comme un sauveur puissant qui viendra restaurer le trône de David et rebâtir Jérusalem. Voir plus loin. I.e Messie est aussi r « oint de la justice, Targ..1er., xxiii, ."> : xxxiii. 15 ; Pesiqta rabbuthi, ICI/), H12 a. 162 b. 163 a. ICI a ; Dalman, Die Worte Jesu, Leipzig, 1898, p. 239-241. Parce que le Messie devait appartenir à la maison de David, il était aussi nommé fort communément Fils de David ». Les exemples sont trop nombreux pour être cités ; cf. Ps. Salom., xvii, 5, 23 ; Targ. Is.. xi, 1 :.1er., xxiii, 5 ; xxxiii. 1’< ; Shemonéh Esréh, 1.">" Berakdh. Les noms donnés par [saie au Messie futur, voir col. 1 1 iii, n’eurent pas beaucoup d’écho dans la tradition juive : après l’ère chrétienne, ou évita même de citer ce passage, a cause des chrétiens qui reconnaissaient dans l’Emmanuel le Fils de la ViergeA plus forte raison éVita-t-OH d’employer le terme l Fils de Dieu -.suggéré cependant par Ps., n. 7. terme qu’on trouve cependant dans IV Esd., vu. 28, 29 ; xiii. 32, 37. 52 cl peut-être dans Orac. sibyll, iii, 77"). mais que les chrétiens entendaient au sens propre. . Suture du Messie ; sa préexistence. Pour les pharisiens, le Messie est un roi, un descendant de David, l’s. Salom., xvii, 5, 2.’!  : Shemonéh Esréh, passim, distingué par « les dons extraordinaires « le Dieu : mais ce n’est ni Dieu, ni un ange : c’est un homme. En ei lu de celle tradition ferme, le judaïsme devait refuser de reconnaître la divinité de Jésus ; (j c’est parce qu’ils refusèrent de reconnaître la divinile de JéSUS, qui lis Juifs mecniiniir eut, pour la plupart, sa messianité. Nous attendons ions que le Chnst sera un homme, descendu des hommes. dit le juif Tryphon. Justin, Dialog., e. xi ix. P. (i.. t. vi. 581. Cf. v Hippoiyte, Philosophumena, ix, 30, P. G., t. xvi, col. 3416 ; Origène, Contra Celsum, I. I, 49 ; 1. IV. 2. P. r ;., t. xi, col. 7 :, :  ;. 1029. Le judaïsme admettait également une certaine préexistence du Messie. La préexistence réelle, suggérée par Michée. v. 2. cf. Dan., vii, 13. IL est tournée par le targum en préexistence purement nominale. On trouve la même déformation dans le targum de Zacharie, iv. 7. ci du l’s. i.xxii. 17. La préexistence du Messie ne supposerait ainsi qu’une prévoyance spéciale de Dieu par rapport â lui. Il faut donc, au point de vue de la tradition juive, n’accepter que sous réserve les affirmations de préexistence personnelle qu’on croit trouver dans Hénoch, xlviii, 3 ; xi.vi, 1.2 : î.xii, 7 : i.xviu, (i ; IV Esd., xii, 32 ; xiii, 24, 52 : xiv, 9, d’autant plus que la préexistence idéale est attribuée à tous les objets des grands desseins de Dieu, la Loi, Moïse, les patriarches, la Jérusalem messianique, etc. Voir Fils de Dieu, t. vi. col. 2377. Voir, sur le même sujet, avec une nuance d’interprétation en sens opposé. Lepin. Jésus. Messie et Fils de Dieu. Paris. 1910, p. 39-41. Toutefois, à l’époque où parut NotreSeigneur, l’attente du royaume messianique était telle qu’on se demandait si le Christ n’était pas déjà né. On réservait la possibilité de son existence, existence postérieure à sa naissance, mais préexisti par rapport à sa manifestation. Nous négligeons délibérément toutes les modalités qui entourent ce concept de préexistence, et quon trouvera exposées dans Lagrange, Le messianisme chez les Juifs, p. 222-22 1. Ce qu’on en a dit est suffisant pour faire comprendre le milieu dans lequel est paru le Sauveur. 1° Le l’ils de l’homme.

L’expression « Fils de

l’homme i esi une de celles qu’il faut étudier plus particulièrement pour bien comprendre l’emploi qu’en a pu faire, pour son propre compte, Jésus-Christ. La prophétie de Daniel, voir col. 1123. a eu une influence évidente, sur le livre des paraboles d’Hénoch, lien.. xxxvii-i.xxi. Dans Hénoch comme dansDaniel, le Messie paraît l comme un lils d’homme. Hénoch est plus expressif encore que Daniel. Le Messie y joue au complet le rôle que lui attribue toute la tradition juive : mais sa personne dépasse Imites les grandeurs d’ici-bas : il est supérieur aux anges : il est appelé le Fils de l’Homme » : il préexiste à la création du monde : il habile avec les justes glorifiés, près de Dieu, sous ses ailes. Les traits de ce personnage mystérieux sont encore mal assurés ; ce n’est proprement ni un homme, ni un Dieu. Même au cas où dans les Paraboles d’Hénoch, très vraisemblablement antérieures, dans leur substance, â l’ère chrétienne de trois quarts de siècles, l’expression i Fils de l’homme > serait une interpolation postérieure, voir Lagrange. Le messianisme (lie : les.lui/s, p. 89-98, il n’en reste pas moins vrai que cette expression était dans l’esprit des Juifs, sinon messianique, tout au moins susceptible d’un sens messianique, et d’un sens messianique d’autant plus vrai qu’à côté des hautes prérogatives de l’envoyé de Dieu, le nom de i Fils de l’homme » mettait en relief les caractères de faiblesse apparente, de condescendante paternité, de souffrance rédemptrice et. pour tout dire, d’humanité, qui devaient marquer la carrière du Maître, i De (iraiidniaison, dans Dictionnaire apologétique, art. Jésus-Christ, t. ii, col. 13 11. Ce nom, Jésus pouvait donc se l’approprier convenablement : d’une pari, à cause de sa signification Indéterminée, il évitait l’éveil brusque de l’enthousiasme aveugle d’un peuple rêvant l’avènement d’un messianisme grossier, ou encore il éloignait les susceptibilités de l’occupant étranger qui n’eût point compris le caractère « lu roi messianique, se révélant comme tel ; d’autre part, cependant, ce nom était suiiisani pour ni ienter les esprits bien disposes vers la vérité. Manifestation du Messie, Le Christ, quand il 1129 i I SUS-CH li [ST. LA THKOl.tx ; II’, .il IVK L130 viendra, personne ne saura d’où il est. Joa., vii, ’27. — Toutefois le précurseur et les bouleversements qui l’annoncent seront le prélude de sa manifestation. Cette manifestation s’opère surtout dans le jugement qui doit préludera la restauration du royaume d’Israël et préfigurer le jugement universel et dernier.de la fin des temps. L’idée de ce jugement messianique, si souvent rappelée dans les prophéties de l’Ancien Testament, était, dans la tradition juive au temps de Jésus-Christ, imprécise et matérielle. Le Messie devait, pour les uns, marcher les armes à la main contre les nations païennes, ennemies de Dieu et du peuple d’Israël. Orac. Sibyl.. iii, 663 sq. ; IV Ksd.. xiii. 33 sq. ; Hen., xc, 1 1>. Philon le représente i entrant en campagne, taisant la guerre et soumettant des nations nombreuses et puissantes, i De prsemiis et punis, § 16, Philonis Judsei opéra, édit. Mangey, Londres, 17 12. t. il. p. 122. Cf. les targums de pseudo-Jonathan et de Jérusalem. Gen., i tx. Il ; de Jonathan, Is.. x. 27 : Hen., xlvi. 4-6 ; i.u. 1-9 ; Apoet Bar., lxxii, G. Dans le livre d’Hénoch, les rois et les puissants de la terre seront jugés par le Messie. Fils de l’homme, venu sur les nuées, cf. IV Ksd.. xiii. li. et assis à côté du Seigneur des Esprits, sur son trône de gloire ; ils tomberont à genoux et solliciteront sa miséricorde, mais ils seront repoussés de sa face et livrés aux anges vengeurs, xlv. 3 ; lv, 4 ; lxi, 8, 9 ; lxii : lxix, 27. Dans les Psaumes de Salomon, xvii, 27, 37, 39, 41, 48 c’est par une sentence de sa bouche que le Messie doit abattre ses ennemis. Voir également Apoc. Bar., xl, 1, 2 ; IV Ksd.. xiii. 10, 27-28 ; 37-38. Le rôle du Messie-juge est également mis en relief dans le Livre des Jubilés et le Testament des douze Patriarches. Mais le Messie n’est pas seulement conçu par la tradition juive comme un roi conquérant ; c’est encore un prophète, un thaumaturge, un docteur et guide des peuples dans les voies de Dieu. Prophète, il devait posséder la connaissance des choses secrètes, présentes, passées ou à venir ; cf. Luc, vu. 39 : Joa., iv, 19. Le Messie est le Prophète annoncé, Joa.. vi. 14 ; voir col. 1116. C’est à la suite de révélations concernant des choses secrètes ou ignorées, que Xathanaél reconnaît Jésus comme le i Fils de Dieu i, le Roi d’Israël », Joa., i, 48 ; que la Samaritaine le proclame « Christ », Joa., iv, 25 ; c’est pour avoir une preuve de sa messianité que les soldats le frappent au prétoire, alors qu’il a les yeux bandés et lui demandent : Christ, qui t’a frappé. iMatth., xxvi, 67 ; Luc, xxii. 6 I. Thaumaturge, il devait accomplir des prodiges. Joa., vii, 31. En preuve de sa messianité, les Juifs ne demanderont-ils pas à Jésus « un signe dans le ciel. Marc. viii. 1 1 : cf. Marc. xv. 32 ; Matth., xxvii, 39 : Luc. xxiii, 35. Enfin, le Messie est un docteur et un guide des peuples dans les voies du Seigneur. Les psaumes de Salomon, xvii et xvin sont intéressants à cet égard ; car ils nous tracent un portrait saisissant du roi et du royaume messianique. Cf. Lagrange, op. cit., p. 230233. Le Messie est un roi - pur de tout péché, i - roi juste, instruit de Dieu, à qui le Seigneur a donné « la force de l’Esprit saint, la sagesse et la prudence, avec la justice ; » il doit « rassembler un peuple saint, >. au milieu duquel i il ne laissera pas habiter l’iniqu il détruira les pécheurs par la puissance de sa parole : le peuple saint qu’il se sera assemblé, « il le conduira selon la justice » et « dans la sainteté ; » il gouvernera Israël dans la crainte de Dieu, dans la c de l’Esprit, de la droiture et de la forée ; il dirigera les hommes i dans les voies de la justice, leur inspirant a tous la crainte de Dieu. » Et cette mission de justice et de sainteté sera universelle : » Il jugera les nations et les peuples dans la sagesse de son équité. Il aura sous son joug les peuples des nations pour le servir : et il glorifiera le Seigneur sur toute la surface de la terre, i l.epin, op. cit.. p. 21. C’est à celle mission doctrinale du Messie que l’ail allusion la Samaritaine, Joa., IV, 25, et la pensée de cette mission lait prendre a la l’ouïe, pour le Messie promis, Jean-Baptiste prêchant le baptême de pénitence dans le désert, i, I : cf. Luc, iii, l.">. Sur l’appellation < Fils de Dieu » donnée au Messie dans la théologie juive palestinienne, voir Fils de Dieu, t. vi. col. 2377. 6° Le royaume messianique.

Le roi-messie inaugurera le royaume de Dieu, le royaume des cieux. Sur

l’équivalence de ces deux termes, voir G. Dalman, Die Worie Jesu, Leipzig. 1898, p. 75 sq. Le royaume de Dieu est une notion traditionnelle ; voir col. 1113. Il convient ici de préciser cette notion en fonction de la théologie et de la tradition juive au temps de N’otreSeigneur. Cette précision permet, en effet, de mieux saisir les raisons de la prudence et de la réserve de Jésus-Christ dans sa prédication messianique. Sans doute, le règne intérieur et spirituel n’est pas complètement mis de côté : ce messianisme spirituel apparaît à plusieurs reprises dans le Ps. xvii du Psautier salomonien, et dans le Livre d’Hénoch. Mais ce messianisme spirituel est très national et terrestre : le règne de justice et île sainteté doit se réaliser, sur terre, au sein d’Israël ; et l’universalité du royaume messianique, ne sera, en définitive, que la domination d’Israël sur tous les peuples. Le centre devait en rester Jérusalem ; son territoire partirait de la Palestine : mais de Jérusalem et de la Terre Sainte, l’empire messianique devait rayonner par toute la terre. Les nations devaient être soumises à Israël et au roimessie, ou plus exactement à Jahvé dont le roimessie ne sera que l’instrument. Orac. sibyl., iii, 49 ; Psaumes de Salom., xvii, 32-35 ; Hen., xc, 30, 37 ; xlviii, 5 ; cf. F. Martin, Le livre d’Hénoch, Paris, 1906, introd., p. xxxviii ; lui, 1 ; Apoc. Bar., lxxii, 5 ; Targum Zach., iv, 7, etc. Sur cette donnée fondamentale, la seule qu’il nous soit utile ici de connaître, se greffaient bien des notions particulières touchant la Jérusalem nouvelle. Le règne messianique inaugurera une ère de paix, de justice et d’amour. Orac. sibyl., iii, 371-380 ; 751-760 ; Philon, De prsemiis et pœnis, § 16, p. 422 ; Apoc. Bar., lxxiii, 4-5 ; les bêtes féroces apprivoisées seront au service de l’homme. Orac. sibyll., iii, 620-623 ; 743-750 ; Apoc. Bar., xix, 5-8 ; ce sera partout la fertilité, l’abondance, la richesse, la santé, la force, l’absence de fatigue. Philon, De prsemiis et pœnis, § 17-18, 20, p. 425, 428 ; Apoc. Bar., lxxiii, 2-7 ; i.xxiv, 1. Par delà le royaume messianique inauguré ici-bas par le triomphe d’Israël sur toutes les nations, les prophètes de l’Ancien Testament, Dan., xii, 2-3 ; cf. Sap., ni, 5-9, avaient entrevu un royaume éternel inauguré par la résurrection et le jugement final. La théologie juive n’abandonne pas cet aspect de l’eschatologie messianique. La vie future lui apparaît comme une vie spirituelle dans la jouissance et l’intimité de Dieu, Apoc Bar., i.i, 3, 7-11 : IV Esd., vi, 1-3, 08-72 ; Assumptio Moi/sis, , 9, 10. Le royaume des cieux, destination dernière et lieu définitif du royaume inauguré sur la terre, c’est I’ « Éden », Testament des douze Patriarches, Test. Dan, "> ; c’est le paradis. Test. Levi, IS ; cf. Luc. wili. 13 ; Il Cor., xii, l : Apoc, ii, 7. Mais de toute manière, indépendamment même de cette conception plus élevée et plus spirituelle de l’Kilen. du paradis nll i a-terresl re, le royaume « les cieux. c’est à-dire le royaume mes Sianique, devait être un royaume éternel. Dan., vil, 27 ; cf. Orac. sibyl., a, 76 ; m. 19-50 ; Ps. Sal., xvii, 4 ; Hen., Lxii, 1 l. Kl c’est en ce sens que les Juifs répon daient a Jésus : Nous, nous avons appris de la 1131 JÉSl S-CHRIST ET LES D0C1 MENTS DE L’AGE APOSTOLIQ1 I 1132 loi que le Christ demeure éternellement, i Joa., xii, 34 ; cf. Targ. Jonath., 1s., ix, 6. Pour la bibliographie générale, se reporter à Fils de Debu, coi. 2 : i ? : i. II. LE VERBE OU 10008. — Nous avons fait observer plus haut, col. 1125, que ni la « Sagesse », ni la « Parole n’ont été. dans L’Ancien Testament, rapprochée* du Messie. Leur théologie marque une voie parallèle à la voie du messianisme, mais sans point de jonction. Cette assertion est peut-être plus vraie encore de la théologie du Verbe ou Logos dans le judaïsme alexandrin. Kl pourtant, à cause de l’influence qu’a pu exercer la philosophie alexandrine sur la rédaction de certains écrits du Nouveau Testament, et très particulière meut sur les concepts de Fils (Col., ileb., ) ou de Verbe (Joa.), il est indispensable, avant d’aborder l’étude de Jésus-Christ dans le Nouveau Testament, de connaître la pensée des Juifs alexandrins et notamment de l’hilon. L’étude a été faite à lus de Dieu, t. v, eol. 2373-2386. Nous ne devons ici qn’en résumer les conclusions. > Le logos philonien (le seul qui intéresse directement la théologie de Jésus-Christ), est conçu comme un intermédiaire entre la divinité transcendante et le monde, et plus particulièrement l’homme. Il est la première des puissances intermédiaires entre Dieu et le monde ; il est le premier des anges, que Philon identifie avec « l’ange du Seigneur » dont parle l’Ancien Testament. A la manière platonicienne, le Logos, par rapport au monde, est une idée ou plus exactement l’idée exemplaire du monde, la synthèse, l’ensemble et aussi la source de toutes les idées particulières, modèles des différents êtres. A la manière stoïcienne. le Logos, comme les puissances, n’est pas seulement une idée, mais il devient une force, une loi puissante qui régit le monde, non abstraitement, mais physiquement, donc le lien qui en enchaîne les éléments et la force, l’énergie qui, tout entière en chaque partie, remplit tout, pour être la cause de tout ce qui se produit de bien dans le monde et dans l’homme. Tel est son rôle, cosmologique et physique. Au point de vue religieux, le Logos devient révélateur, et intermédiaire de culte, d’ascension vers Dieu. C’est pal’lui que les sages rendent leur culte à Dieu et, personnifié, il devient le grand prêtre, le suppliant du monde, ixé-ur t ç, . Toutefois ce rôle religieux ne doit fias être exagérée. « De tous les passages où le terme bLè’zr l ç, est appliqué au Logos, on n’en trouve qu’un où soit exprimé une idée de médiation ; encore s’agit-il d’un être intermédiaire, remplissant une fonction cosmologique cuire Dieu et le monde, el non d’un médiateur, réconciliant Dieu et les hommes. » I.cbrclon. Les origines du doyme de lu Trinité, Paris, 1919, p. 578-57’J. I.e point le plus délicat a élucider dans la théologie de Philon est de savoir si le Logos est un intermédiaire réel ou une abstraction personnifiée ? Les auteurs sont en désaccord sur la réponse a faire à cette question. Le P. Lagrange tendrait plutôt a admettre le caractère réel de l’intermédiaire, a cause de son identification avec l’Ange de Jahvé. Revue biblique, 1910, p. 590 ; le I’. Lebreton, penche visiblement pour L’abstraction personnifiée, "P. « 7., p. 229-235 ; M. Tixeront reconnaît que la pensée <UPhilon est volontairement imprécise, et qu’on se tromperai ! en disant que le LogOS est une personne concrète, mais qu’on exagérerait en disant qu’il est une pure abstraction. Quoi qu’il en soit, la concep lion philonienne du Logos, ne saurait être assimilée a ta conception chrétienne du Verbe Incarné, dont la personnalité vivante unit réellement dans le même sujet les dru infiniment distants, Dieu et l’homme. Aussi bien, seule l’œuvre divine de l’incarnation pouvait-elle olïrir à l’intelligence humaine une solution nette et précise. La pensée chrétienne comme celle de Philon se propose un but identique : l’union à Dieu. Philon prétend y parvenir par le Logos, et pour cela, il le conçoit intermédiaire entre Dieu et l’homme, et il l’imagine si grand que le Logos puisse remplir la distance infinie qui sépare ces deux termes et les faire toucher l’un à l’autre, comme dit Philon lui-même, « par leurs extrémités ►. Mais ce n’est là qu’une imagination : si la distance est infinie, quel intermédiaire pourra la combler ? S’il est Dieu, il nous est inaccessible ; s’il est créature, Dieu demeure hors de son atteinte. Philon ne peut résoudre la difficulté : il l’esquive en disant que le Logos n’est « ni incréé, connue Dieu, ni créé comme nous ». Qu’est-il donc ? La révélation chrétienne nous apporte la réponse : elle va rassembler sur un seul et même être toutes les données éparses dans l’Ancien Testament et dans la théologie juive. L’intermédiaire entre Dieu et l’homme pour toucher à ces deux termes par leurs extrémités, sera Dieu et homme. Le Christ Jésus nous apparaîtra, réunissant dans l’unité de sa personne, la divinité et l’humanité. Au lieu d’un Logos qui ne peut se définir que par des abstractions et qui n’a aucun point de contact avec le’Messie promis par Dieu a Israël, Jésus-Christ, Verbe incarné. Fils éternel du Père, parlera dans l’Évangile comme Dieu et comme homme. Il manifestera, dans son unique personne, la vie du Verbe et la vie du Messie, réalisant ainsi en lui-même concrètement les deux notions que la révélation de l’Ancien Testament avait fait connaître aux hommes, sans néanmoins leur en dévoiler encore la mystérieuse affinité.