Dictionnaire de théologie catholique/ISAÏE

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.1 : ISAAC - JEUNEp. 14-48).

ISAIE Cette étude sur Isaïe comprendra trois parties. Dans la première (col. 14-17), nous recueillerons quelques renseignements sur la vie du prophète sur le milieu et l’époque de son ministère ; dans la seconde, (col. 17-16) nous indiquerons le contenu du livre et en examinerons l’authenticité ; dans la troisième, (col. 46-77) nous exposerons la doctrine théologique le du livre, en nous arrêtant spécialement aux importantes prophéties messianiques qu’il contient.

I. Le prophète Isaïe.

Isaïe est un des rares prophètes sur le compte desquels les livres historiques de l’Ancien Testament nous renseignent quelque peu. Le livre des Rois, IV Reg., xix-xx, raconte l’activité prophétique d’Isaïe, fils d’Amos, sous Ézéchias ; il nous dit comment le prophète releva le courage du roi et prédit l’échec de l’invasion assyrienne, comment il annonça sa guérison à Ézéchias malade et le réprimanda d’avoir reçu les envoyés du roi de Babylone. Le second livre des Paralipomènes, xxxii, passe presque sous silence cette intervention d’Isaïe sous le règne d’Ézéchias, et se contente de dire que le roi Ézéchias prophète Isaïe, fils d’Amos, prièrent Dieu avec iris tance d’écarter le péril assyrien, xxxii, 20. Par contre, d’après II Par., xxvi, 22, baie aurait écrit la vie d’Osias, et d’après xxxii, 32, le reste des actions d’Ézé

chias et ses œuvn s pieu : i s. ccltl est i crlt dans la vision du prophète Isaïe, fils d’Ainos. » Quelques exégètes croient aussi que la mention de Jérpmie dans II Par., xxxvi, 21 -22 et Ësd., I, 1, s’est substituée par erreur ou Inadvertance à celle d’baie, et qu’il faudrait lire : t pour l’accomplissement de la parole que Jahvé avait dite par la bouche d’Isaïe, Jahvé excita l’esprit de Cyrus, roi des Perses. » Enfin, l’Ecclésiastique, dans son éloge des grands hommes, associe la mémoire d’Isaïe à relie d’Ézéchias, xi.viii, 22-24 : Ezéchias fit ce qui est agréable au Seigneur, et se tint ferme dans les voies de David son père, que lui recommanda Isaïe le prophète, grand et véridique dans ses visions. Pendant ses jours, le sohil rétrograda, et Isaïe prolongea la vie du roi. Sous une puissante inspiration, il vit les temps à venir, et consola les affligés dans Sion. Il annonça ce qui doit arriver dans la suite des temps et les choses cachées avant leur accomplissement. »

Le nom d’Isaïe (salut da Jahvé) semble être prophétique, de même que les noms des fils qu’il eut de la prophétesse : un reste reviendra, — presse le butin, hâte le pillage, vii, 3 ; viii, 1, 3. Ainsi, Isaïe put dire en toute vérité, viii, 18 : Voici que moi et mes enfants que Dieu m’a donnés, nous sommes des signes et des présages en Israël. Le père d’Isaïe s’appelait Amos. Ce n’est que par ignorance, comme le remarquait déjà saint Jérôme, In Is, i, 1, PL., t. xxiv, col. 22, qu’on a pu le confondre avec le prophète Amos de Thécué. Une tradition rabbinique plus répandue, et également fondée sur la ressemblance des noms, fait d’Amos, père d’Isaïe, le frère du roi de Juda Amasia. On ajoute parfois que la fille d’Isaïe épousa Manassé. Isaïe n’est peut être pas de race royale, mais il est certainement issu d’une des grandes familles de Juda : ses relations sociales, le rôle qu’il joue à la cour dès le commencement, sa haute culture littéraire, l’horizon d’idées où il se meut ordinairement, tout révèle en lui un personnage de condition supérieure. Ce n’est pas un prophète Itinérant comme Élie et Elisée, ce n’est pas un pasteur comme Amos ; nous ne le rencontrons nulle part en dehors de Jérusalem ; c’est dans la capitale, au centre même de la vie politique et religieuse de Juda, qu’il exerce son ministère.

D’après le titre de son livre, Isaïe a prophétisé au temps d’Osias, Jolham, Achaz et Ezéchias, rois de Juda. Vivait-il encore sous le règne de l’impie Manassé ? Une ancienne tradition juive, acceptée par beaucoup d’écrivains chrétiens, rapporte qu* Isaïe aurait péri sur l’ordre de Manassé, par le supplice de la Bde.Au témoignage de saint Jérôme, In Is., i.vii, 2. P. L., t. xxiv, col. 568, beaucoup d’auteurs ecclésiastiques voulaient déjà retrouver cette tradition dans l’épître aux Hébreux, XI, 37. Elle a passe dans le martyrologe romain au 6 Juillet. Elle n’a rien d’invraisemblable. Joséphe dit explicitement que Manassé tua des prophètes, Anliq.j x, 3, 1, et le livi. rVReg., xxi, 16, atteste qu’il répandit beaucoup de sang Innocent Jusqu’à en remplir Jérusalem d’un bout à l’autre.

D’autre part, ce texte des Rois, paraît trop vague pour avoir pu déterminer la légende précise du supplice de la

scie, et son silence touchant la mort d’Isale ne constitue pas une objection percinpt oirc contre une tradition très répandue, et qui remonte tout au mo ns au n°

le « i. l’ère chrétienne. H faut accorde) beaucoup moins de créance aux récits concernant la sépulture d’Isaïe a Panéaa, près de la boutcc pi Incipale du Jourdain, et la translation de ses resta a Constantinople, en 1(2, sous le règne de Théodose II.

lut appelé par Dieu au ministère prophétique

l’année de la mort d’Osias, vi, l, probablement encore

du vivant de ce monarque, sinon la ision serait datée de la pr< mière année de Jolhain. l.e titre du livre Indique d’ailleurs qu’Isaïe prophétisa sous Osias. Nous le

trouvons encore en pleine activité lors de la grande invasion de Sennachérib en Judée. Ainsi, pendant au moins quarante ans, de 740 à 701, Isaïe occupe le poste glorieux mais difficile que lui assigna Jahvé. Il est toujours au premier plan, avertissant, encourageant, menaçant et rassurant tour à tour. Il s’intéresse de très près à toutes les fluctuations de la situation intérieure et extérieure de Juda. Son rôle à la fois politique et religieux fut considérable, son influence tantôt repoussée, tantôt joyeusement acceptée.

Isaïe entre en scène au moment où la grande puissance assyrienne paraît avoir atteint son apogée, et où sa domination s’étend et s’affermit sur les pays occidentaux. Téglath-Phalasar III monta sur le trône de Ninive en 745. Il réduisit en vassalité la Babylonie, se soumit assez facilement les petits États voisins, mais rencontra plus de difficultés en Syrie. En 738, le roi d’Hamatb et plusieurs autres roitelets de la côte formèrent une coalition contre l’Assyrie. Elle fut vaincue, Haniath succomba, et parmi les rois rendus tributaires de Téglath, nous trouvons Rasin de Damas et Manahem d’Israël. Vers 734, Rasin de Damas et Phacée d’Israël unirent leurs armes pour conquérir le royaume de Juda où régnait Achaz, et s’emparer de Jérusalem. Achaz, malgré les conseils d’Isaïe, appela à son secours le puissant souverain d’Assyrie, et celui-ci saisit avecempressement l’occasion d’intervenir dans les affaires intérieures de Juda. Téglath soumit d’abord la Phénicie, châtia ensuite la Philistie, mit fin au royaume de Damas, et amoindrit considérablement celui d’Israël. Quant à Achaz, au lieu d’un libérateur, il s’était donné un maître auquel il dut aller rendre hommage à Damas. Téglath-Pkalasar réprima encore un soulèvement de la Babylonie en 729 et mourut en 727.

Le règne de Salmanasar IV (727-722) nous intéresse surtout par le siège de Samarie provoqué en 724 par le refus d’obéissance d’Osée, et mené à bonne fin par Sargon en 722. Ezéchias dut se féliciter de n’aveir pas prit part au soulèvement d’Osée contre l’Assyrie ; le désastre de Samarie l’éloigna encore pendant quelque temps d’une politique hostile à Ninive. Sargon ne put empêcher, à son avènement, la Babylonie de se déclarer indépendante et Mérodach-Baladan figure comme roi de Babylone de 721 à 709. Celui-ci, afin de fortifier sa position, essaya de mettre sur pied une vaste coalition contre l’Assyrie. Vers 714-713, il envoya une ambassade à Ezéchias pour le gagner à sa cause, mais Isaïe parvint, scmble-t-il, à maintenir le roi de Juda dans la neutralité. Bien lui en prit, car encore une fois les coalises furent mis en déroute. Tandis que Sargon envoyait son tartan contre Azot en 711, il mettait fin lui-même à l’indépendance de la Babylonie en 710-709 ; il figure a partir de cette date comme roi de Babylone. L’assassinat de Sargon, en 705, fut le signal d’un nouveau soulève ment général contre l’Assyrie. La Phénicie et la Sy rie, excitées par l’Egypte, se révoltent ; Mérodach parvint à reconquérir le pouvoir pendant quelques mois (704-703) ; Ezéchias lui-même se laissa entraîner dans la rébellion par les sollicitations de l’Egypte. Senna chérib réduit d’abord la Babylonie (703), puis porte ses armes du côté du littoral méditerranéen dans le but de châtier Ezéchias et de terrasser i’Égypte (701). Tels sont les principaux faits contemporains du ministère d’Isaïe : il nous reste à dire un mot de la situation intérieure de Juda sous les règnes d’Osias, Jotham, Achaz et Ezéchias.

l.e long règne d’Osias (791-740) fut brillant. Le port Important d’Elatb lit retour à Juda ; les Philistins et les Arabes furent combattus avec succès ; les Ammonites furent rendus tributaires. Osias fortifia Jérusalem et d’autres places du pays ; il favorisa l’industrie, le commerce et surtout l’agriculture. La piété du roi, stimulée par les conseils du prophète Zacharie, tenta ISA II., LE UNI ! I

te

aussi un relèvement religieux et moral qui n’aboutit cependant pas. L’absence d’une réforme religieuse sérieuse, l’injustice et l’ambition des grands furent sans doute les principales causes de cet échec. Osias mourut de la lèpre. IV Reg., xiv, 21-22 ; xv, 2-7 ; II Par., xxvi, 16-23.

Jotham (740 735) marcha sur les traces de son père : il fut courageux, pieux et bon, mais se contenta aussi de demi-mesures. La situation matérielle restait brillante, mais le peuple, au témoignage du livre des l’aralipomènes se corrompait de plus en plus. IV Reg., xv, 32-38 ; II Par., xxvii, 2. Vers la fin du règne de Jotham, les Syriens, alliés aux Israélites, commencèrent contre Juda la campagne qui devint si menaçante sous Achaz. IV Reg., xv, 37. — Achaz (735-727) fut un prince superstitieux, faible et mou, à la merci d’intrigants égoïstes. Il résista aux conseils d’Isaïe et appela l’Assyrien à son secours au moment le plus critique de la guerre syroéphraïmite. Son impiété ne connaissait pas de bornes et sa superstition n’était jamais satisfaite : il pratiqua la nécromancie, introduisit dans le culte des changements sacrilèges et ferma même les portes du temple. Il abolit le culte de Jahvé, le remplaça par celui de Baal et alla même jusqu’à immoler son fils à Moloch. Sa mort ne laissa aucun regret. Is., viii, 19 ; IV Reg., xvi ; II Par., xxvin.

Le règne d’Ézéchias (727-698) fut une époque de rénovation religieuse, à laquelle Isaïe prit sans doute une grande part. Le nouveau roi témoignait au prophète autant de déférence et d’égards que son père avait montré de défiance et de mauvais vouloir. Il purifia le temple et le culte de toute infiltration païenne, abattit les idoles et brisa même le serpent d’airain devant lequel les enfants d’Israël brûlaient des parfums. Il fit aussi disparaître les hauts lieux. La suite de l’histoire nous montre cependant que la conversion du peuple fut plus extérieure que réelle : sous Manassé, la décadence fut rapide. Le livre des Proverbes, xxv, 1, parle de l’activité littéraire d’Ézéchias, et le livre d’Isaïe rapporte un psaume qui porte son nom. Is., xxxviii, 10 sq. Il est probable qu’Isaïe aura été du nombre de ces hommes d’Ézéchias qui composèrent un recueil des proverbes de Salomon. Sur le terrain politique, Isaïe eut encore, bien qu’avec plus de succès que sous Achaz, à soutenir les mêmes luttes et à combattre les mêmes dangers. Achaz s’était tourné vers l’Assyrie, Ézôchias, vassal de l’Assyrie, regardait avec espoir du côté de l’Egypte. Pour Isaïe, il n’y avait qu’une ligne de conduite à suivre : ne chercher aucune alliance au dehors, ne pactiser ni avec l’une ni avec l’autre des nations païennes, mais servir Jahvé et s’en remettre, au milieu des périls, à sa toute-puissante protection.

Les traits saillants de la situation de Juda à l’époque d’Isaïe sont donc les suivants : prospérité matérielle, perversion du peuple dans sa foi et dans ses mœurs, corruption plus foncière encore des grands, tendance chez les gouvernants à rechercher l’appui des nations idolâtres, de l’Assyrie et de l’Egypte. C’est sur ce théâtre que se déroulera l’activité du plus grand des prophètes. Le livre d’Isaïe ne contient qu’un résumé de ses prédications ; il nous permet cependant d’admirer avec quel zèle, quel courage, quelle dignité, quelle splendeur, le fils d’Amos remplit sa mission, releva la gloire de Jahvé, proclama bien haut sa sainteté et sa puissance, flétrit les abus et les péchés et annonça a tous les voies du salut.

1 1. Le livre d’Isaïe. — 1 ° Caractères généraux. — Le texte hébreu de-, oracles d’Isaïe nous est parvenu dans un état satisfaisant de conservation ; toutefois, la comparaison des versions fait constater un certain nombre d’altérations et suggère certaines corrections utiles. La langue dans laquelle le livre est écrit est, de

l’aveu de tous les critiques, généralement pure, correcte, élégante, c’est de l’hébreu classique. Au point de vue du style aussi, nous sommes en présence du chefd’œuvre de l’âge d’or de la littérature hébraïque. Isaïe nous frappe par la puissance, l’élévation, la profondeur de sa pensée, par la souplesse et la délicatesse de l’expression. Les images sont justes, variées, brillantes. La forme est châtiée, elle n’est jamais raide ni monotone, Isaïe possède toutes les ressources de l’art oratoire : il s’entend à ménager les surprises, à exciter l’attention, à mettre en relief les points saillants, à adapter son langage aux circonstances et au but à atteindre. Sa parole abonde en assonances, en similitudes, en antithèses. Beaucoup de ces beautés littéraires disparaissent dans les traductions : la fleur est fanée, dit saint Jérôme, elle a perdu la vivacité de son coloris, sa fraîcheur et son parfum. La perfection du style résulte finalement de l’union harmonieuse de la force et de la beauté.

Le livre d’Isaïe est un mélange de prose et de poésie, de morceaux narratifs et d’oracles prophétiques. Les récits sont d’ordinaire écrits en prose, les oracles sont pour la plupart des poèmes. Les principales caractéristiques de la forme poétique sont le rythme des sentences provenant de leur composition métrique, les différentes formes de parallélisme, les strophes. Il est à remarquer cependant que, toutes les lois et toutes les vaiiétés de la poésie hébraïque n’étant pas encore, connues avec certitude et précision, les spécialistes ne sont pas toujours d’accord pour déterminer strictement la part de la prose et de la poésie. Dans Isaïe, les récits en prose servent d’ordinaire d’introduction aux oracles, comme aux chapitres vi, vii, viii, xx, ou bien sont consacrés à des événements importants qui ont donné lieu à quelque prophitie particulière, comme la narration de l’invasion de Sennachérib, xxxvi, xxxvii, de la maladie d’Ézéchias, xxxviii, 1-8, de l’ambassade de Mérodach-Baladan, xxxix. Ces fragments narratifs ne se rencontrent que dans la première partie du livre, ixxxix. Dans certains d’entre eux, Isaïe parle lui-même, vt.viii ; dans d’antres, il est parlé d’Isaïe ; on dirait des extraits d’une biographie du prophète, et ceci nous amène à dire un mot de la formation de notre recueil des oracles d’Isaïe.

La question de l’origine du recueil ne se confond pas avec celle de l’origine des oracles. Elle se pose pour les défenseurs comme pour les adversaires de l’authenticité de certaines parties d’Isaïe. Si l’on parvenait à démontrer l’authenticité isaïenne de tous les oracles, on n’aurait pas encore prouvé que leur groupement et leur disposition dans l’ordre actuel sont également l’œuvre duprophètequi lésa prononcésou écrits. Il serait encore admissible qu’un disciple ait recueilli les productions de son maître ou que diverses collections partielles, publiées d’abord successivement par Isaïe, aient été plus tard fusionnées en un livre unique après avoir joui pendant longtemps d’une existence indépendante. Le problème de l’origine du recueil est difficile à résoudre dans tous les systèmes ; il demeurera probablement toujours enveloppé de mystères, et sa solution n’est d’ailleurs pas indispensable à l’intelligence du texte.

Analyse du livre.

On distingue immédiatement

deux parties dans le livre d’Isaïe. Les vingt-sept derniers chapitres se détachent très nettement des trente-neuf précédents.

1. Première partie.

Même dans celle-ci, l’œil discerne .facilement différents groupements, i-xii ; xmxxvii ; xxviiii-xxxv ; xxxvi-xxxix.

et) Le premier groupe, i-xii a son titre propre au chapitre i et son épilogue au chapitre xii. Il renferme uniquement des oracles relatifs à Juda et à leru fjui n’appartiennent pas tous à la oqi 1 1 ne

se suivent pas dans un ordre Strictem il < iologique : i : n - v ; vi ; vu- x, 4 ; x, 5- xii. On y découvre

cependant une certaine unité logique. La pensée maîtresse est celle du chapitre !  : le crime de-.luda et son châtiment, le relèvement de Juda et son triomphe à l’époque messianique ; c’est la marche habituelle des discours prophétiques.

L’acte d’accusal ion du chapitre i, grâce à son caractère général, pouvait facilement servir de discours d’introduction au premier recueil. On peut le dater du règne d’Achaz et de l’époque de la guerre syro-éphraïmlte.

Les chapitres n-v sort précédés d’un titre qui les concerne à l’exclusion des chapitres suivants. Ils forment un petit recueil de prophéties distinctes les unes des autres, mais se rapportant sensiblement à la môme époque, fin du régne de Jotham ou commencement du règne d’Achaz. Il faut d’abord considérer à part la promesse messianique des versets 2 à 5 du chapitre ii, sur l’exaltation future de la montagne de Sion, qui se retrouve presque textuellement dans Michce iv, 1-5. Les chapitres ii, C-iv, (j reflètent le même état moral et religieux. Il n’est cependant pas certain qu’il ne forinent qu’un seul discours suivi. Le sujet traite est celui du châtiment et de ses causes : orgueil, luxe, idolâtrie. En contraste avec cette peinture, le petit tableau messianique de iv, 2-6 représente la gloire du Reste de Sion échappé au jugement et dont le Germe de Jahvé sera l’ornement et l’honneur. Le chapitre v est parallèle pour le fond mais non pour la forme au discours de niv. La parabole de la vigne, 1-7, montre comment Juda a decu son Seigneur et Maître ; la complainte de 8 23 contient des malédictions contre les péchés capitaux du peuple ; enfin, les versets 2-1-30 décrivent le châtiment. Seulem nt, ces trois parties ne forment pas une unité, elles demandent à être examinées séparément. En particulier, les versets 24-30 ne paraissent pas occuper leur place primitive. Le P. Condamna, Le livre dCIsale, I aris, 1905, p. 83, 73-75, propose de lire les versets 2-1-25 après ix, 1C, tandis que les versets 26-30 viendraient après viii, 20 ».

Li chapitre vi contient le récit de la vocation d’Isaïe au ministère prophétique, l’année de la mort d’Osias.On s’est demandé pourquoi il ne figurait pas en tête du volume, comme c’est le cas pour la narrât ion de l’appel de Jérémie et d’Ézéchiel. Il a probablement été composé par Isaie pour servir de prologue aux prophéties relatives a la guerre syro-éphraïmite. Isaïe est char^< par Dieu « h porter au p. uple un message d’aveuglement et d’endi rcissement ; or, sa prédication eut ce résultat sous Achaz.

Les chapitres vii-x, 1 renferment des discours se rapportant sensible nient â la même époque, au règne d’Achaz, antérieurement a l’intervention de Téglath-Phalasardans les affaires de Juda (734-733).Dansvii-ix, 6, nous avons des discours du temps d’Achaz. pendant la guerre syro-éphraïmite ; Isaïe annonce la naissance d’Emmanuel, prédit réélue de la coalition qui s’est formée contre.luda, et en donne des signes, décrit les consolations qu’apportera la naissance de l’enfant me-rvei ili-u n et détaille ses noms.

Le poème contenu élans ix, 7-x, i est probablement

antérieur a la ^ue-rresym-e |ilirai, uilc. On y distingue

quatrestrophes symétriques et accompagnées du

infime refr..iu> En t ont cela sa eolerenes’est pas détournée et sa main reste étendue. !

Les chapitre ! x. f>-xii contiennent les derniers éléme-nts en « lai e-e le la première collecl Ion. On y distingue une prophétie relative a l’Assyrie, où l’on prédit la ruineele l’empire oppresseur et l’avènement du règne messianique, x, 5-xi, et un cantique d’action elegrâces, xii.

b) Le’iiilid groupe ele-s prophét i « -s el’Isaïe-, xm-xx vu

ne présente pas l’homogénéité qui caractérise lepremier. Celui ci était exclusivement consacré à la nation

israélite, l’autre renferme des oracles adressés pour la plupart aux nations étrangères. Il y a lieu de considérer séparément l’apocalypse des chapitres xxiv-xxvii. C’est comme un appendice et une conclusion aux oracles qui la précèdent. Après avoir annoncé aux divers peuples le jugement dont chacun d’eux est menacé, l’auteur résume ton es les menaces dans celle d’un jugement qui doit atteindre la terre entière. Autant les chapitres xiii-xxiii sont concrets et déterminés, autant les chapitres xxiv-xxvii sont généraux, vagues et abstraits.

Les chapitres xiii-xxiii re nferment quatorze oracles à l’adresse des peuples païens, à l’exception de deux, l’un contre Jérusalem, xxii, 1 sq., l’autre contre Sobna, xxii, 15 sq. La plupart d’entre eux portent le même titre massa, que nous traduisons habituellement par oracle, et le retour périodique de cette expression donne malgré tout un certain cachet d’unité à ce groupe de discours qui sont de dimensions, d’époques et d’objets différents. Comme nous aurons à discuter l’authenticité de plusieurs d’entre eux, nous nous contentons de donner ici la liste de ces oracles :

xiii-xiv, 23 : oracle contre Babylone : xiii, 2-13 : jour de Jahvé et jugement du monde ; XIII, 14-22 : ruine et dévastât ion de Babylone ; xp-, complainte satirique sur la chute du roi de Babylone.

xiv, 24-27 : oracle contre l’Assyrie ; il se rapporte à l’invasion de Sennachérib en 701 et présente d’étroites ressemblances, pour le fond et pour la forme, avec l’oracle contre Assur des chapitres x, 5-xi. C’est probablement un fragment déplacé de ces chapitres.

xiv. 28-32 : oracle contre les Philistins ; il date de l’année de la mert d’Achaz en 727. La verge et le serpent paraissent bien désigner Téglath-Phalasar ; le basilieet le dragon représentent ses successeurs.

xv-xvi : oracle contre Moab ; il contient dans xv-xvi, 12, une composition antérieure à Isaïe que Jérémie reprendra encore, J( r. nlviii, et qui paraît remonter à l’époque ele Jéroboam II.

xvii, 1-11 : oracle contre Damas, antérieur à la guerresyro-éphraïmite.

xvii, 12-xviii : oracle sur l’Ethiopie, datant de l’invasion de Sennachérib en 701

xix : oracle sur l’Egypte. Châtiment et conversion de l’Egypte. Probablement même date que l’oracle précédent.

xx : oracle sur l’Egypte et l’Ethiopie dont Juda ne peut attendre aucun secours efficace contre Assur. L’eiracle est daté eh 711. Au moyen d’une action symbolique, le prophèteprédit la conquête de l’Egypte et de l’Ethiopie par l’Assyrie.

xxi. 1-10 : oraclecontre Babylone qui succombe sous le-s coups ele-s Elainiles e-t ele’S Méele-s

xxi, 11-12 : petit oracle sur Édom dont il est impossible elelixe-r la elale-.

xxi, 13-17 : oracle des Steppes. On n’en connaît ni l’occasion, ni la date.

xxii, 1-11 : oracle contre Jérusalem, remontant probablement au début de la campagne de Sennachérib en Palestine, en 701. Jérusalem s’abandonne à la joie au lieu d’être affectée par les graves événements qui se préparent.

xxii, 15-25 : oracle contre Sobna, préfet élu palais d’Ézéchias, antérieur à l’invasion ehSennachérib. Si il m a sera destitué e-t remplacé par Éliacim, lilsd’Helcias.

xxui : oracle’contre Tyr. L’opulente cité commercialesera détruite, mais reconstruite après 70 ans. Aux temps messianiques, elle continuera son commerce au profit du peuple de Jahvé. Cet oracleremonte peutêtreau temps de Salmanasar IV qui poursuivit pendant cinq ans le siège de Tyr (727-722).

L’apocalypse des chapitres xxiv-xxvii comprend

trois scènes où reviennent les mêmes idées sous des aspects différents : dévasi at ion générale de la terre et gloire des élus, xxiv-xxv, S ; cantique des rachetés et résurrection des morts, xxv, 9-xxvi ; destruction des puissances terrestres et restauration finale d’Israël, xxvii.

c) Le troisième groupe des prophétns d’Isaïe se divise comme le précédent, en deux parties. La première, xxyhi-xxxiii, comprend une série d’oracles du temps d’Ézéchias ; la seconde, xxxiv-xxxv, contient deux chapitres eschatologiques. La première partie nous ramène sur le terrain des chapitres i-xii. Alors, sous le règne d’Achaz, Isaïe avait prédit les graves conséquences qu’aurait pour la maison de David le recours aux Assyriens ; maintenant, sous le règne d’Ézéchias, il combat la politique humaine du parti égyptophile à la cour de Juda, et excite la confiance en Jahvé, seul capable de délivrer le peuple du péril assyrien. Cette première partie a reçu le nom des « six malheurs » parce que la formule « malheur à y revient six fois : xxviii, 1 ; xxix, 1 ; xxix. 15 ; xxx, 1 ; xxxi, 1 ; xxxiii, 1.

Les chapitres xxxiv-xxxv forment une nouvelle apocalypse, servant de conclusion au troisième groupe, à peu près comme les chapitres xxiv-xxvii servent de conclusion à la série d’oracles contre les nations. Ils mettent sous nos yeux le double tableau du jugement de : « na t ions et en particulier d’Édom, et de latiélivrance du peuple d’Israël.

rf) Les chapitres historiques, xxxvi-xxxix, servent de conclusion à la première partie d’Isaïe. Ils se retrouvent presque textuellement dans IV Reg., xviii, 13. xx, 19. Les deux premiers racontent les tentatives de Sennachérib pour obtenir la reddition de Jérusalem, le rôle joué par Isaïe en ces circonstances tragiques et le désastre de l’armée assyrienne. Les deux derniers contiennent le récit de la maladie d’Ézéchias, de l’intervention d’Isaïe, de la guérison du roi, le cantique d’action de grâces d’Ézéchias, les menaces que lui adressa Isaïe lorsqu’il reçut les ambassadeurs de Mérodach-Baladan. L’expédition de Sennachérib contre Jérusalem est rapportée à la 14e année d’Ézéchias, Is., xxxvi, 1 ; IV Reg., xviii, 13. La maladie d’Ézéchias et l’arrivée des ambassadeurs de Mérodach sont placées après le récit de l’invasion assyrienne, et rattachées vaguement au même temps par les formules « en ces jours-là, en ce temps-là », aussi bien dans le livre des Rois que dans le livre d’Isaïe. Or, il est certain que les événements racontés dans les chapitres xxxviii-xxxix sont antérieurs à ceux des chapitres xxxvi-xxxvii ; il est certain que si la mention de la quatorzième année d’Ézéchias peut convenir à la date de sa maladie et de la démarche du roi de Babylone, elle ne convient nullement à l’expédition de Sennachérib.

2. La seconde partie du livre d’Isaïe se distingue nettement de la pr mière dont elle est d’ailleurs séparée par l’appendice narratif des chapitres xxxvi-xxxix. Elle se rapporte à un autre temps et à un autre objet. C’est essentiellement une parole de consolation adressée aux exilés de Babylone pour leur annoncer la délivrance de la captivité et la restauration de la théocratie. La n( ; te dominante de ces vingt-sept chapitres se fait entendre dès la première ligne du recueil, xl, 1 : « Consolez, consolez mon peuple. » Les critiques ne s’entendent pas touchant la division de ce recueil. On le partageait ordinairement en trois groupes qu’on appelait les trois ennéades de la seconde partie d’Isaïe, xl-xlviii ; xlix-lvii ; lviii-i.xvi. Le refrain : non est pax impiis, placé à la (in des chapitres xlviii et lvii et répété d’une façon plus énergique à la fin de tout le livre, marquait ces trois grandes divisions. Mais on objecte que ce refrain n’en est pas un, qu’il ne revient en réalité qu’une fois, et ne peut donc servir à indiquer les grandes divisions du recueil. Rien ne l’annonce dans xi.vm, 22 où il semble avoir été transporté de lvii, 21, sa place natu relle. En outre, la seconde division ne peut contenir les chapitres lvi-lvii, elle doit se clôturer par le chapitre lv : le chapitre lvi est manifestement postérieur en date au groupe xlix-lv, et il contient des menaces qui se continuent au chapitre lvii. En conséquence, plusieurs critiques partagent les chapitres xi.-lxvi en deux groupes : xl-lv et lvi-i.xvi, ou en trois groupes xl-xlviii ; xlix-lv ; lvi-i.xvi. Driver divise le livre de la façon suivante : xl-xlviii ; xi.ix-i.ix : i.x-i.xvi, et Wildeboer ne renferme dans la troisième subdivision que les chapitres lxiii-lxvi. En tenant compte des éléments de vérité que renferment ces différents essais d’analyse, on peut admettre dans la seconde partie d’Isaïe, les divisions générales suivantes : les chapitres xl-xlviii forment un groupe distinct ; le second groupe est constitué par les chapitres xlix-lv, auxquels il faut rattacher les chapitres lx-lxii qui ont le même objet ; enfin le troisième groupe comprend les oracles des chapitres lvi-lix et lxiii-lxvi.

a) Premier groupe, xl-xlviii. Les deux premiers versets du chapitre xl qui contiennent la note dominante de la seconde partie du livre d’Isaïe indiquent surtout bien l’objet principal de la première section : » Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu ; encouragez Jérusalem et criez-lui que ses corvées sont finies, que son péché est expié, qu’elle a reçu de la main de Jahvé double peine pour tous ses crimes. » La captivité de Babylone va prendre fin, Cyrus délivrera les exilés et ceux-ci retourneront dans leur patrie. Cette délivrance est l’æ.ivre de Jahvé, le Dieu d’Israël, le Tout-Puissant, le Créateur du ciel et de la terre, l’Éternel, l’Auteur des prophéties, qui se révèle ainsi comme le Dieu véritable en face des idoles des nations. Dans cette partie seulement Cyrus est appelé par son nom, xliv, 28 ; xlv, 1. Dans cette partie seulement se rencontrent des parallèles entre Jahvé et les idoles, xl, 18-20 ; xli, 7 ; xliv, 9-20 ; xlvi, 1-7 ; etc., et l’opposition entre les choses anciennes et les choses nouvelles que les faux dieux n’ont pu prédire et sont impuissants à prévoir, xli, 22-23 ; xlii, 8-9 ; xliii, 9, 18-19 ; xlv, 1 lsq. ; xlvi 9 sq. ; xlviii, 3-8. Ce n’est que dans ces chapitres que le peuple de Jahvé est apostrophé sous le nom d’IsraëlJacob, et que le serviteur de Jahvé désigne une collectivité, le peuple d’Israël. xli, 8 sq. ; xlii, 19 ; xliv, 1, 21 ; xlv, 4. Un passage cependant fait difficulté, c’est xlii, 1-7 qui introduit le serviteur individuel, mais ce passage n’occupe plus sa place primitive, il devrait se trouver dans la seconde section.

b) Deuxième groupe, xlix-lv et lx-lxii. La seconde section se rattache intimement à la première. Comme celle-ci, elle décrit le salut du peuple captif et unit la perspective de la restauration postexilienne à celle de l’avenir messianique. C’est un nouveau tableau, parallèle au premier, de l’œuvre de la délivrance. Le premh r présentait la mission et l’œuvre de Cyrus ; dans le second, ce n’est plus Cyrus qui apparaît, mais la merveilleuse figure du Serviteur. Ce titre n’est plus donné au peuple, il est réservé à son sauveur. Le discours ne s’adresse plus à Israël-Jacob, mais a Sion-Jérusalem. Le Serviteur sera l’auteur du salut de son peuple et l’instaurateur du règne de Dieu sur la terre, par ses souffrances et par sa mort qui lui mériteront le triomphe. La délivrance de l’exil et la restauration lui sont attribuées parce qu’elles constituent comme une première étape nécessaire dans l’ensemble de l’œuvre messianique. Nous croyons devoir admettre deux transpositions, celle de l, 4-9 après xi.ix, 7, el celle de xlii, 1-7 après lii, 12. Deux grandes idées dominent ce cycle de chapitres : l’œuvre du Serviteur de Jahvé, xli -lui ; la gloire de la nouvele Jérusalem, liv-lv, xl.v c) Troisième groupe, lvi-lix et lxiii-lxvi. La troisième section (litière beaucoup des deux précédentes, 23

[S II.. Il ll RE - AL THENTICITÉ

pour le fond et pour la forme. Le stvle y est beaucoup plus simple, moins brillant et moins abondant ; la note pratique y domine. Au peuple qui se plaint des retarda du salut, le prophète répond que les crimes de chacun

en sont la cause, que l’observation des lois, divines est la condition de l’intervention libératrice de Jahvé. Le premier morceau, î.vi, 1-8, règle les conditions moyennant lesquelles les eunuques et les étrangers seront agréées au peuple de Jahvé. Le second, i.m. 9-L.vn, est essentiellement polémique ; il est terrible et menaçant. Il s’adresse d’abord aux différentes catégories de coupables, et se termine par un appel aux humbles et aux pieux à qui l’on promet les consolations et la paix. Le troisième morceau, î.vni, est une attaque contre le formalisme juif, dans le genre d’Isale, i. et île Jérémie, vu. Le chapitre UX nous présente un tableau analogue, l.e chapitre i.xiii. 1-0 décrit le jour de la vengeance de Jahvé, et la belle prière de lxiii. 7-i.xiv est un appel à la miséricorde de Dieu en faveur d’Israël. Les chapitres i.xv-i.xvi, cpii servent de péroraison à cette troisième section, n’offrent pas un développement très logique. Les morceaux qui les composent sont assez mêles. Les deux idées principales sont : le châtiment des impies et le bonheur des fidèles. Le chapitre final présente des analogies frappantes avec le discours d’ouverture : il clôt dignement le livre d’Isale.

Telle est donc l’analyse sommaire du livre d’Isaïe. Les différents groupes et les éléments qui les composent ne sont pas disposés d’après leur succession chronologique. Quelques oracles sont dates, d’autres ne portent aucune Indication de temps. Parmi ces derniers, les uns trahissent leur époque par des allusions à des événements connus, d’autres ne peuvent être situés avec certitude. Il serait même possible que quelques-uns, ayant été retouchés par [sale lui-même, soient achevai ur deux époques. Un certain souci d’unité a cependant présidé à la formation des différents recueils. Dans la première partie, on a réuni les oracles relatifs à Juda, les prédictions concernant les nations, les prophéties eschatologiques, et dans la seconde partie, les tableaux de restauration. Y a-t-il aussi un plan d’ensemble ? De multiples tentatives ont ete faites pour le découvrir et le développer d’une façon logique à travers l*œuvre entière. Aucune n’apparaît satisfaisante. Saint Thomas a bien rendu l’idée dominante des deux grandes parties du livre d’Isaie en appelant la première, le livre des jugements divins et la seconde, le livre des consolations. 3° Authenticité.

Le travail d’analyse littéraire auquel on a soumis l’œuvre d’Isale lui un acheminement vers la négation de l’authenticité d’une grande partie du livre. En reconnaissant la diversil é de sujet, de but, de forme et de langage, on fui amené à révoquer eu

doute l’unité d’auteur. L’authenticité avait ete admise

sans contestation par la tradition Juiveet chrétienne

jusqu’au niov en âge, Pour la première lois, Ahcii-I’sra, mort en 1167, émit quelques doutes sur l’origine isaienne « les chapitres xl-lxvi. Du jene siècle à la fin du

xvim’, la question a sommeille. Mais depuis lois, (Ile a

éti très nettement poséeel très vivement discutée, on

a fait remarquer spirituellement que le livre avait eu a

subir, tout comme son auteur, le supplice de la scie, voir

même d’une scie de bois. Aujourd’hui, aux veux de

l’Immense majorité des critiques non catholiques, la

question de l’authenticité des chapitres xi i xvi ne.se

pose même plus. De même on écarte généralement de la première partie les oracles contre Babylone, xiii xiv, 23, xxi. 1 m ; les morceaux eschatologiques, xxiv xxvii ; xxxiv v ; les ehapit les hisl niques, xxwi xxxix. bref, les deux tiers du livre d’is.ue. Quelques

auteurs, plus radicaux, ne conservent guère à [sale que l.l il i lue pal I le de si s oracles, l’otir I llllllll et ses

partisan, ce n’est pas du livre d’Isale qu’il faut parler, mais plut" d’une bibliothèque Isalenne s’échelonnant

depuis le prophète du viue siècle jusqu’aux Asmonéens, et la rédaction définitive du recueil serait à placer dans les premières décades du dernier siècle avant notre ère.

Les exégètes catholiques reconnaissent volontiers, avec le cardinal Meignan, Les Prophètes d’Israël et le Messie, p. 259, qu’il n’est pas de foi que le fds d’Amos sait l’auteur de la deuxième partie d’Isaïe, et qu’on pourrait soutenir la thèse contraire sans encourir aucun reproche d’hétérodoxie, mais ils défendent encore, pour la plupart l’authenticité et l’unité d’auteur du livre d’Isaïe. Cependant, dans les dernières années, les solutions dites critiques avaient recruté un certain nombre d’adeptes parmi les catholiques. En 1908, la commission pontificale pour les études bibliques a rendu un décret favorable à l’authenticité et à l’unité d’auteur du livre d’Isaïe.

Il ne peut être question de discuter ici les diverses théories proposées par les critiques pour expliquer l’origine du livre d’Isaïe. Nous ne parlerons que des discussions qui présentent un certain caractère de sérieux ou de vraisemblance, et notre examen se bornera aux passages suivants : ii, 2-4 ; iv, 2-6 ; xi, 11-16 ; xii ; xm-xiv, 23 ; xv-xvi, 12 ; xix, 16-25 ; xx11 10 ; xxiii ; xxiv-xxvii ; xxxiii ; xxxiv-xxxv ; xxxvi, xxxixjxl-i.xvi. Nous étudierons sous deux rubriques différentes : 1. Les passages contestés de la première partie ; 2. La seconde partie du livre.

1. Passages contestés de la première partie.

a) ii, 24. — Dans cette brève prophétie messianique, le prophète annonce qu’aux derniers temps, le temple de Jahvé sera visible de loin, comme s’il était élevé sur une haute montagne. Toutes les nations se convertiront au culte du vrai Dieu. Jahvé leur dictera ses lois et les peuples ne se feront plus la guerre. De semblables perspectives se font jour en plusieurs autres passages d’Isaïe d’une authenticité incontestée, xi, 10 ; xviii, 7, etc. ; c’est bien à tort qu’on les déclarerait inauthentiques sous le prétexte gratuit que la conversion des nations n’apparaît chez les prophètes qu’après l’exil de Babylone. Mais ces versets d’Isaïe se retrouvent presque textuellement dans Michée IV, 1-5. La comparaison s’impose pour les versets 2-5 d’Isaïe et non seulement, comme on le dit d’ordinaire, pour 2-4 ; le ꝟ. 5 : « Maison de Jacob, venez, nous marcherons dans la lumière de Jahvé » fait pendant au f t 3 : « Les peuples diront : Venez, montons sur la montagne de Jahvé, vers la maison du Dieu de Jacob et il nous instruira dans ses voies et nous marcherons dans ses sentiers. » Il a aussi son correspondant dans Michée iv, 5 : « Et nous, nous marcherons au nom de Jahvé notre Dieu, toujours et à jamais. » On a fait remarquer que ces promesses messianiques étaient sans lien avec le contexte dans Isaïe, qu’elles occupaient une place plus satisfaisante dans Michée, que leur texte était en meilleur état dans Michée que dans Isaïe, que leur teneur était pluscomplète. Michée a un vers en plus qui appartient manifestement a ce morceau dans sa forme primitive : « Chacun habitera sous sa vigne et son figuier, sans qu’il y ait personne pour le troubler, car la bouche de Jahvé des armées a parle. » Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer la présence de cette prophétie dans Laie et dans Michée. La supposition d’un emprunt d’Isaïe a Miellée présente des difficultés chronologiques, (.elle d’un emprunt de Miellée à Isaïe paraît exclue par le fait que la teneur primitive du texte semble bien se rencontrer chez Michée. Nous avons déjà dit qu’il n’y avait aucun motif d’admettre une Interpolation postexilienne dans [sale et dans Michée. Le P. Condamin, Le livre (P/soie. p. 21. se rallie à l’hypothèse autrefois bien reçue : Lan et Michée ont adopté cet oracle existant déjà de leur temps, peut-être fragment d’une prophétie plus considérable. Pour faire disparaître l’incohérence du contexte dans Isaïe, il transpose ii, 2-5 après [SAIE, LE LIVRE - Al rHENTlCITE

ii, 19. Pour M. Van lloonacker. Les douze petits prophètes, p. 381, la prophétie vient de Miehée, elle aura été insérée dans [sale par on lecteur ou un collecteur postérieur.

b) iv, 2-C. — On a beaucoup contesté l’authenticité de ce petit tableau messianique. On y a relevé des expressions insolites chez Isaïe, mais la principale objection est tirée des perspectives eschatologiques qu’il contient. Nous avons déjà rencontré le même raisonnement à propos d’Isaïe, ii, 2-4. De quel droit formule-t-on ce canon que l’eschatologie prophétique n’est apparue qu’après l’exil ? Les critiques d’aujourd’hui ont un sens plus objectif de l’histoire lorsqu’ils affirment que l’eschatologie est aussi ancienne que les plus anciens prophètes. Nous rencontrons des passages semblables à ce morceau d’Isaïe dans les prophètes Amos et Osée. La mention des échappés et des survivants, iv, 2-3, rappelle le jug ment dont il a été question dans les versets précédents. Le salut d’un reste est caractéristique d’Isaïe, i, 26 sq. ; vi, 13b ; vii, 3 ; x, 21 ; xvii. 5-8 ; xxvrn, 5, xxxvii, 32, etc. La doctrine du germe de Jahvé, iv, 2, se rencontre, il est vrai, chez Jérémie, xxiii, 5 ; xxxiii, 15, et Zacharie, iii, 8 ; vi, 12, mais ne provient-elle pas d’Isaïe qui parle ailleurs du rejeton, xi, 1 ; cf. lui, 2. L’expression en ce jour-là, iv, 2, revient encore, iv, 1 ; m, 18 ; ii, 11. 12, 17, 20 : c’est le célèbre jour de Jahvé dont les prophètes postérieurs parleront si souvent et qu’Amos paraît avoir décrit le premier, v, 18, 20. Condamin op. cit., p. 32, et Bruston, La conclusion du premier discours du prophète Isaïe, Revue de théologie et des questions religieuses, t. xix, , 1911, p. 418-422, ont bien défendu l’authenticité d’Isaïe, iv, 2-6 contre les attaques de Duhm, Cheyne et Marti.

c) xi, 11-16. Les mêmes critiques ont attaqué l’authenticité de. certains fragments de la prophétie relative à Assur, x, 5-xi, 16. Sans doute, tout n’est pas parfait dans cet oracle ; il s’y est peut-être glissé quelques gloses, opéré quelques transpositions, mais aucun morceau ne répugne positivement à Isaïe. Les critiques prudents le reconnaissent. En résumé, dit Gautier, Introduction à l’Ancien Testament, Lausanne, 1906, t. i, p. 406. l’isaïcité, de tout ce morceau nous paraît pouvoir être maintenue. C.ondamin, op. cit., ne se prononce pas, p. 98 : faute de données suffisantes, mieux vaut ne trancher ni pour ni contre, que de faire intervenir des raisons de goût purement subjectives. Sellin, Elinleilung in das Acte Testament, Leipzig, 1914, p. 82, ne fait des réserves que pour xi, 11-16 où il voit un remaniement d’une prophétie d’Isaïe. La dispersion d’Israël et de Juda aux quatre coins du monde, y 11, apparaît assez surprenante à l’époque d’Isaïe, et la guerre contre les peuples voisins, 14, 15, semble en contradiction avec les promesses de paix universelle des versets 6-9.

d) xii. Les raisons apportées contre l’attribution à Isaïe de ce petit cantique de louange et d’action de grâces sont assez fortes. On comprendrait sans doute qu’Isaïe, ayant recueilli lui-même les oracles de n-xi ait donné comme conclusion à ce petit recueil le cantique du chapitre xii, de même qu’il lui avait donné comme introduction l’acte d’accusation du chapitre i. Mais on comprendrait aussi qu’un pieux lecteur d’Isaïe ait exprimé dans ce c ; mtique les sentiments de joie et de reconnaissance que lui inspiraient les promesses du livre de l’Emmanuel, vi-xi. Le chapitre xii ne renferme aucui.e allusion historique ou géographique ; il est convu en termes généraux et peut s’appliquer à beaucoup de sil uations. Il présente des particularités de langage inusitées chez Isaïe, trahit une parenté étroite avec le cantique de délivrance du chapitre xv de l’Exode et avec des psaumes d’origine récente (Condajnin, Stra k, Gautier, Driver, Skinner, etc.)

e) xin-xiv. 23. La plupart des critiques non catholiques nient l’origine isaïenne de ce magnifique poème,

l’un des plus beaux de l’Ancien Testament. Leur principal argiunent est emprunté à la situation historique que ces chapitres supposent. Voici les faits : Babylone y est à plusieurs reprises expressément nommée, xiii, 19 ; xiv, 1’, 22 ; elle apparaît comme la maîtresse du monde, xiii, 19 ; xi v, 4 >, 12-17, 21 ; sa chute prochaine est annoncée, xiii, 14-22 ; xiv, 4-21, 22-23 ; l’exécuteur du châtiment est décrit, il vient d’un pays lointain, c’est le peuple mède, xiii, 2, 5, 17 ; le peuple d’Israël est en captivité, mais Jahvé a décidé de le sauver, de le ramener dans sa terre ; la ruine de Babylone sera le point de départ de la délivrance d’Israël, xiv, 1-4. Voici maintenant les conclusions qu’on en tire : A l’époque d’Isaïe. Babylone n’était rien ; Ninive et le grand empire assyrien éclipsaient tout le reste ; le peuple d’Israël n’était pas en captivité. La grandeur de Babylone et sa ruine, la suprématie universelle de son roi et sa chute, la captivité et sa fin, telles qu’elles sont dépeintes ici, n’avaient aucun sens pour les contemporains d’Achaz ou d’Ézéchias. A la rigueur, on pourrait admettre qu’Isaïe ait prédit des événements postérieurs de deux siècles, mais ce n’est pas précisément ce qui se fait ici. La domination babylonienne n’est pas prédite, mais supposée, et le retour en est annoncé. Dès lors, n’est-on pas en droit de conclure que la situation historique existante qui sert de point de départ logique à la prophétie, lui sert aussi de terminus a quo historique et réel, et que par conséquent, cet oracle sur la fin de la tyrannie babylonienne n’a pas pour auteur un écrivain du vme siècle, mais un prophète vivant à l’époque où Babylone détenait l’empire du monde, un contemporain de la génération juive emmenée en exil au vie siècle, avant que Cyrus et ses Mèdes missent fin à la domination chaldéenne.

Les exégètes catholiques, qui défendent généralement l’authenticité de l’oracle contre Babylone, n’ont pas toujours répondu adéquatement à cette argumentation. Il ne suffit pas, en effet, pour lui enlever toute valeur probante, de faire remarquer qu’elle s’appuie sur le principe rationaliste d’après lequel toutes les prophéties qui prédisent des événements précis et lointains sont des valicinia posl eventum, ou d’en appeler à Isaïe xxxix, 5-7, qui montre que Babylone pouvait apparaître à l’horizon d’un prophète du vine siècle, ou de rappeler l’oracle de Jérémie sur Babylone, l-li, qui trahit manifestement l’influence d’Isaïe xm-xiv.

Les critiques qui nient l’authenticité de ces derniers chapitres ne les considèrent cependant pas comme des valicinia post eventum ; ils reconnaissent que la chute de Babylone et le retour de la captivité sont vraiment prédits. Le fait que Cyrus n’est pas nommé, que les Perses ne sont pas mentionnés à côté des Mèdes comme exécuteurs des vengeances divines, que Babylone et son dernier roi n’ont pas eu précisément le sort que leur annonçait l’oracle de xm-xiv, prouve suffisamment que celui-ci a été composé avant l’accomplissement des événements. Mais ces critiques disent qu’il faut bien distinguer dans cet oracle ce qui est supposé de ce qui est prédit, et ils prétendent avoir le droit de prendre comme point de départ l’époque des événements supposés, pour établir la date de la prédiction des autres. Les paroles d’Isaïe à Ézéchias qu’on lit dans xxxix, 5-7, sont d’une authenticité discutaille, pour d’autres raisons, et l’attitude du prophète s’y révèle d’ailleurs tout autre. Ce qui est dit de Babylone pourrait s’appliquera cette ville considérée comme seconde capital de l’empire assyrien ; le transfert des trésors d’Ézécl à Babylone peut s’entendre de l’énorme tri : >ut qu’il dut payer à Sennachérib, et la déportation des membres de la famille royale de Juda à i i ylone s’. >l ni fisammeiil vérifiée dans la captivité de Mari em mené a Babylone par Assarhaddon, roi jssyrie, ISAIE, LE LIVRE AUTHENTICITÉ

28

d’après II Par., xxxiii, 11. Quant à la longue prophétie contre Babylone des chapitres i.-i.i de Jéremie, on

reconnaît volontiers son étroite parenté avec l’oracle d’Isaïe, mais loin d’y voir un argument pour l’antériorité et l’authenticité de la prophétie d’Isaie.onen conclut au contraire que les deux oracles attribués à Isaïe et à Jéremie, trahissant les mêmes préoccupations, doivent se placei sensiblement a la même époque, c’est-a-dire vers la fin de l’exil babylonien.

On ne voit pas d’autre réponse efficace à cette objection contre l’authenticité de l’oracle sur Babylone, que celle suggérée par le décret de la commission bi blique De Ubn Isaise inrlole et auctore à propos de la seconde partie du livre d’Isaïe, dont l’authenticité se présente à peu pris dans les mêmes conditions que celle des chapitres xm-xiv : Voies non Juiiœos Isaiæ squales ut judseosjn exsilio babylonico lugentes veluli tnter ipsos vivent ulloquitur et solatur. Sous l’influence de la révélation divine, le prophète du vin » siècle se serait transporté en esprit au vie siècle, au temps de la captivité babylonienne, pour en prédire la fin. Dès lors, par suite de cette transposition idéale, la suprématie babylonienne et l’exil lui apparaissent comme des faits accomplis, et il pouvait en parler comme d’un étal de choses existant, mais dont le terme approche. A qui objectera que cette atti.ude du prophète, tout en étant possible et concevable, n’est cependant pas obvie, ne peut être supposee gratuitement, aurait été Inintelligible aux contemporains d’Isaïe, on pourra répondre que le litre de l’oracle, l’attribuant explieiiement à Isaïe, ne peut être rejeté sans preuve, et que la tradition juive et chrétienne ratifiant sans hésiter cette attribution, et maintenant cet oracle dans le livre d’Isaïe, semble une raison suffisante pour recourir à cette explication Les contemporains d’Isaïe n’ont pas dû nécessairement le comprendre dans son rôle de prophète d’événements aussi lointains Il est d’ailleurs admissible que cet oracle n’a pas été prononcé, mais seulement écrit, comme « un témoignage scellé et réservé aux générations futures.

Les autres difficultés contre l’authenticité de cet oracle sont moins pressantes, ou bien se résolvent par les mêmes considérations La grande haine contre Babylone qui transpire dans ces pages, l’exaltation du prophète et le ton de triomphe sur lequel il chante la ruine prochaine de la grande cité s’expliqueraient assez s’il se représi nte une époque où Juda a eu tant à SOUfMr de la part desChaldéens, où le peuple attend avec impatience la fin de ses épreuves. C’est pour le même motif que le prophète assume dans ces chapitres le rôle de consolateur, plutôt que celui de justicier, et de prédicateur de pénitence que nous lui voyons remplir quand il s’adresse à ses contemporains historiques. Toutefois, il est à peine utile d’ajouter que toutes ces particularités de l’oracle sur Babylone se comprendraient encore mieux dans l’hypothèse où il aurait été composé à l’époque de l’exil.

On B objecté aussi que la langue de cet oracle, au moins de x ni, 2-13, est celle des apocalypses : le jugement de Babylone devient celui de la terre entière ; c’est le jour de Jahvé avec ses épouvantes et ses terreurs, ses bouleversements des cieux et de la terre ; on « brait la fin du monde, et l’on croirait entendre Joël et

les autres prophètes postexillens, Mais de semblables

Image ! apocalyptiques se rencontrent ailleurs dans Isaïe, et leur seule présence n’est pas un critère suffisant d’iuaul lient icité : le genre apocalyptique a bien

dû commencer, et l’on ne voit pas pourquoi il faudrait en retarder les débuts Jusqu’après l’exil. Pareille mise

en BCéne se retrouve encore chez les prophètes du vue siècle, soit qu’ils décrivent le jugement de Jérusalem, soit qu’ils dépeignent celui des nations, Ji r., iv, 2, ’i-2ti ; Nahum, i ; Ilab., ni ; Soph., i-in. Elles s’expli quent chez Isaïe, en partie par l’exaltation poétique, i n partie par cette considération que Babylone se confond dans les perspectives prophétiques avec la puissance païenne hostile au peuple de Dieu, et dont l’anéantissement inaugurera pour Israël les temps messianiques. Enfin, l’objection tirée du langage apocalyptique a paru si peu convaincante à certains critiques qu’ils ne retiennent comme authentique dans l’oracle contre Babylone que le chapitre xiii ou même précisément xiii, 2-13. Cf. Strack, Einleilung indas Aile Testament, Munich, 1906, p. 91.

Dans les dernières années, plusieurs tentatives ont été faites en vue de sauver l’authenticité totale ou partielle de l’oracle contre Babylone d’une autre manière que celle exposée plus haut. Déjà en 1881, Bruston, Histoire critique de la littérature prophétique des Hébreux depuis les origines jusqu’à la mort d Isaïe, Paris, 1881, p. 212-224, a défendu l’origine isaïenne des deux oracles xm-xiv, 23 et xxi, 1-10, et soutenu la thèse qu’il s’agit dans ces deux prophéties de Babylone envisagée comme métropole non pas de la puissance chaldéenne de Nabuchodonosor, mais de l’empire assyrien des Téglath-Phalasar, des Sargon, des Sulmanasar et des Sennachérib, et remplaçant pour un temps Ninive dans son rôle de capitale. Cette interprétation fait disparaître certaines difficultés, mais elle en soulève d’autres. Elle rend compte facilement du fait que Babylone puisse apparaître à l’horizon d’un prophète du vin c siècle : puisqu’elle figure comme capitale de l’empire assyrien, c’est en réalité la chute de l’empire assyrien oppresseur d’Israël qu’Isaïe prédit. Mais de quelle destruction de Babylone s’agit-il ? de celle dont Sennachérib fut l’instrument impitoyable en 689 ? La description d’Isaïe lui conviendrait assez bien, seulement cette destruction de l’orgueilleuse cité rivale de Ninive marque plutôt le triomphe que le déclin de l’empire assyrien oppresseur d’Israël. Ensuite, comment cette ruine de Babylone peut-elle être envisagée comme la fin de l’exil et le commencement de la restauration d’Israël ? Enfin, le chapitre xiii d’Isaïe nomme les Mèdes et non Sennachér.b comme exécuteurs des vengeances divines contre Babylone. Il faudrait donc tout au moins admettre qu’un oracle primitif d’Isaïe concernant Babylone, capitale temporaire de l’empire assyrien, a été remanié plus tard dans le sens d’une prophétie sur la prise de Babylone, centre de la puissance chaldéenne, par Cyrus et ses Mèdes. Il est bien vrai que la conquête de Babylone par Cyrus en 538 n’a pas répondu non plus aux espérances qui se font jour dans notre oracle. Le rci des Perses ne fut pas le barbare attendu, et la grande cité ne fut pas réduite en désert. Mais nous expliquons autrement ce désaccord entre la prophétie et sa réalisation, tout d’abord en tenant compte de l’hyperbole poétique, en second lieu en insistant sur le caractère apocalyptique de l’oracle qui le transporte dans une certaine mesure en dehors « les contingences historiques. Babylone étant aux yeux du prophète le type de la puissance païenne ennemie du peuple de Dieu, la description de sa ruine s’étend au delà des circonstances concrètes qui caractérisèrent la prise de la métropole chaldéenne par Cyrus en 538.

Winckler, Allorientalische Forschungen, 1893, t. i, p. 193 et -41 1, attribue à Isaïe léchant du chapitre xiv, 4 h -21. Le tyran dont la chute y est célébrée ne serait pas un monarque chaldéen, mais un roi d’Assur, et l’on songe tout naturellement à Sennachérib assassiné pur ses lils en 681, et dont la mort est racontée aussi iv Reg., xix, 37 et Is., xxxvii, 38. Au jugement du 1’. I)horme, Les pays hi bliques et l’Assyrie, dans la Revue biblique, 1910, p. 389, la satire d’Isaïe viserait plulot Saigon qui mourut de mort violente en 705, et ne

put même être enterré « dans sa demeure », c’est-à-dire,

dans son propre tombeau. Is., xiv. 19. Le chant d’Isaïe s’adapterait beaucoup mieux au destin de conquérants comme Sargon ou Sennacherib qu’à celui du dernier roi de Babylone, le faible Nabonide, cqui ne fut d’ailleurs pas mis à mort par Cyrus. mais fait prisonnier, et préposé ensuite comme gouverneur à son ancien royaume Dans ces conditions, il faudrait admettre encore que la satire primitivement consacrée a un roi d’Assyrie aété reprise plus tard dans un oracle sur la ruine de l’empire ( haldéen, car c’est bien de la prise de Babylone par les Mèdes que traile la chapitre xiii, et le chant du chapitre xiv est lui-même encadre dans des versets qui se rapportent à la fin de la captivité, xiv, 14 », et à la destruction de Babylone. xiv. 22-23. Le P. Dhorme le reconnaît : « Il va sans dire que l’ancienne complainte sur la mort de Sargon a pu être recueillie dans un morceau plus récent. » Et alors la question de l’origine isaienne de l’oracle actuel contre Babylone des chapitres xiii-xiv se repose dans les mêmes termes qu’au début de cette étude. Beaucoup de critiques continu, nt d’ailleurs à croire que c’est bien la chute du monarque chaldéen qui est célébrée dans Isaïe xjv, 4'>-21, mais le prophète n’aurait pas précisément en vue Nabonide ni un autre roi babylonien déterminé ; le roi de Babylone lui apparaîtrait avant tout comme représentant du puissant empire chaldéen dont il décrirait la ruine dans la chute de son roi.

Nous avons examiné assez longuement le problème de l’authenticité des chapitres xiii-xiv, parce qu’il se reposera à peu près dans les mêmes termes à propos d’autres oracles du livre d’Isaïe.

/) xv-xvi, 12. — Les chapitres xv-xvi d’Isaïe contiennent, à proprement parler, deux oracles contre Moab, xv-xvi, 12 et xvi, 13-14. Le premier décrit l’attaque soudaine des forteresses de Moab, le deuil de ses habitants, leur détresse et leur fuite. xv.Sion est invitée à donner un abri aux fugitifs de Moab : cet acte de miséricorde affermira le trône de David, xvi, 1-5. La dévastation de Moab est le châtiment de son orgueil ; elle n’en excite pas moins la vive compassion du prophète, xvi, 6-12. Le second oracle reprend le premier pour son compte, et en fixe la réalisation à un délai de trois ans, xvi, 13-14. Cet épilogue peut très bien avoir pour auteur Isaïe qui l’aurait composé sous Sargon, peu de temps avant l’expédition contre Azot en 711, alors que les Moabites, les Philistins et les Égyptiens s’étaient ligués contre l’Assyrie. Quant au premier oracle, plusieurs indices permettent d’y voir une composition d’un prophète antérieur, reprise par Isaïe : l’épilogue constate lui-même que cette parole sur Moab a été prononcée autrefois, dans le passé ; le Ion, le style et le vocabulaire diffèrent assez de ceux d’Isaïe, il n’est pas rare de voir les prophètes adapter à leur époque des prophéties antérieures : un siècle après Isaïe, Jérémie, xlviii, reprendra à son tour l’oracle contre Moab pour annoncer à ce peuple sa ruine totale par les Chaldéens, comme Isaïe l’avait repris pour annoncer la dévastation par les Assyriens.

g) xix, 16-25. — L’oracle sur l’Egypte comprend deux parties. La première, 1-15, décrit les fléaux qui vont s’abattre sur l’Egypte et atteindre toutes les classes de la population. La seconde, 16-25, prédit le châtiment et la conversion de l’Egypte, le culte de Jahvé en Egypte, l’union de l’Egypte, de l’Assyrie et d’Israël aux temps messianiques. La première partie présente les meilleures garanties d’authenticité, il n’en est pas de même de la seconde. Non seulement le prophète proclame, comme dans la première partie, 1, 4, 12, 14, que Jahvé est l’auteur des désastres de l’Egypte, mais il suppose, 17, que les Égyptiens eux-mêmes connaissent ce dessein du Dieu de Juda, c’est pourquoi l’eflroi les saisit rien qu’au nom du pays de Juda.

D’autre part, le ton de sympathie à l’adresse de l’Egypte, l’annonce de sa conversion, et surtout les détails précis de la prédiction dans les versets 18-25 paraissent trahir un auteur de longtemps postérieur à Isaïe. L’Egypte connaîtra Jahvé et lui offrira des sacrifices, des offrandes et des vœux, 21 ; il y aura cinq villes sur la terre d’Egypte qui parleront la langue de Canaan et l’une d’elles s’appellera Léontopolis, 18 ; il y aura un autel pour Jahvé dans la terre d’Egypte, et à la frontière un obélisque lui sera consacré, 19. Ces prédictions détaillées d’événements lointains ne concordent guère avec la manière idéale dont les prophètes décrivent d’ordinaire l’avenir. On a même cru pouvoir identifier les cinq villes dont parle le verset 18 ; surtout la mention de Léontopolis semble bien contenir une allusion au temple construit en cette localité, vers 160 avant J.-C, par Onias iv, avec l’assentiment de Ptolémée Philométor Josèphe, Anliq., XIII, iii, 1. En conséquence, la composition de xix, 16-25 devrait se placer vers le milieu du iie siècle av. J.-C.

La force de cet argument dipend essentiellement de l’intirprétation du verset 18. Contient-il effectivement des détails si précis ? L’identification des cinq villes est purement fantaisiste ; le nombre cinq n’a que les apparences de la précision ; il signifie ici, comme en d’autres endroits de la Bible, un petit nombre, quelques villes, Lev., xxvi, 8 ; I Reg., xxi, 3 ; xvii, 40 ; IV Reg., vu, 13 ; Is., xxx, 17 ; xvii, 6, etc. La lecture Léontopolis n’est qu’une conjecture peu probable. Le texte massorétique actuel devrait se traduire : ville de destruction ; les LXX ont lu : ville de justice ; la Vulgate, Symmaque, un grand nombre d’exégètes (Houbigant, Knabenbauer, Crampon, Condamin, etc), lisent : ville du soleil, et cette leçon est la plus probable. « Le prophète ferait allusion à la ville de On, célèbre par un temple du dieu-soleil, d’où son nom grec’HXioujtoXiç. Jérémie parle des stèles ou obélisques de Beth-Sémès (maison du soleil : Héliopolis), xliii, 13. Parmi les ruines d’Héliopolis, à peu de distance du Caire, un obélisque est encore debout » (Condamin, op. cit., p 132). Dès lors, cette prédiction n’a plus rien d’insolite, et l’on ne voit pas pourquoi Isaïe n’aurait pu annoncer, vers l’an 700, la conversion des deux grandes puissances voisines de Juda, l’Egypte et l’Assyrie. Il prophétise entre autres la ditlusion de la langue de Canaan et du culte de Jahvé en Egypte et jusque dans les foyers de l’idôlatrie égyptienne. Cette prophétie se réalisa progressivement par les établissements successifs de colonies juives en Egypte et par la propagation du christianisme dans ces contrées. Il y a d’ailleurs des raisons positives qui militent en faveur de l’authenticité : les relations étroites qui existent entre 16-25 et 1-15 ; les expressions et les tours de phrase de 16-25 qui rappellent certainement Isaïe ; au verset 19, le symbole d’une ma<seb<ilt (sièle) élevée à la frontière d’Egypte, pour prédire le culte futur de Jahvé : après la promulgation du Deutéronome qui interdit si formellement toute ma>schâh comme idolatrique, le choix de cet emblème, dans ce but, serait tout à fait improbable.

h) xxi, 1-10. — A quel événement se rapporte cette prophétie sur la chute de Babylone ? Quelques critiques ont cru que* le prophète visait le siège de Babylone par Sargon en 710. A l’avènement de Sargon en 722, Mérodach-Baladan réussit à faire de la Babylonie un royaume indépendant. Le canon de Ptolémée le lait monter sur le trône de Babylone en 721. Pour affermir sa position, il chercha à gagner des alliés, tant à l’est, du côté d’Élam, qu’à l’ouest, du côté d la Syro-Phénicie, de la Palestine et de l’Egypte. C’est dans ce but qu’il envoya des ambassades aux différente, cours, entre autres à celle d’Ézéchias. Is., xkxix Sargon attaqua et défit le patriote babylonien en 710-7O&, et

ce serait cet événement que décrirait prophétiquement

Isaïe. Babylone, dit-on, n’apparaît pas encore ici comme la maîtresse des nations ; son sort excite une vive sympathie dans le coeur du prophète, et la nouvelle de sa chute lui arrache un cri de douleur : c’est que la prise de Babylone marque un nouveau triomphe pour l’Assyrie, dont la puissance grandissante est une menace perpétuelle pour le petit royaume de Juda.

S’il en est ainsi, il n’y a plus la moindre difficulté à admettre l’origine isaïenne de cet oracle. Mais la plupart des auteurs rejettent cette interprétation de PoracL sur Bahylone. Cheyne et Driver qui l’avaient d’abord adoptée, l’ont abandonnée. A l’époque de Sargon, Juda n’a pas encore été battu par l’Assyrie « comme le grain sur l’aire, » 10. Ce ne furent pas lesÉlamites et les Mèdes, j 2, qui attaquèrent alors Babylone, mais les Assyriens, Élam figurait au contraire parmi les alliés de Babylone. Il n’est pas vraisemblable qu’Isaïe, l’adversaire décidé de l’alliance entre Ézéchias et Mérodach, ait souffert de la prise de Babylone par Sargon ; il a dû plutôt s’en réjouir. Pour toutes ces raisons, il faut interpréter l’oracle contre Babylone de la prise de cette ville par Cyrus en 538. L’association des Élamites et des Medes nous transporte tout naturellement à cette époque. Le peuple « foulé, battu comme le grain, représente la communauté juive en exil, ou les débris du peuple de Juda restés en Palestine. C’est bien de la chue de la grande Babylone, la dominatrice des peuples, qu’il s’agit, et l’angoisse du prophète, 3-4, ne provient pas de la crainte de la voir s’accomplir, mais de l’impatience avec laquelle il l’attend. Dos lors, la question de l’authenticité de cet oracle se pose exactement dans les mômes conditions que celle des chapitres xiii-xiv, 23, et nous n’avons rien à ajouter à ce qui a été dit à ce propos.

i) xxiii. — L’authenticité et la date de l’oracle contre Tyr soulèvent des questions complexes. On s’est demandé si l’oracle actuel sur Tyr n’était pas un remaniement d’un oracle antérieur sur Sidon. Cette interprétation est fondée sur la mention de Sidon aux versets 2, 4, 12. Un auteur postérieur en aurait fait un oracle sur Tyr en ajoutant les versets 15-18 qui, sans doute aucun, traitent de Tyr, et en interpolant, dans la première partie, la mention de Tyr aux versets 5, 8, et dans le titre (Dulini, Marti, Cornill, Sellin). L’oracle primitif serait une élégie sur la destruction de Sidon par Artaxcrxès III Ochus en 348. La transformation en un oracle sur Tyr aurait été faite après la prise de Tyr par Alexandre le Grand en 333. Sellin, Einleitung, p. 83, admet en partie ces conclusions de Duhm. mais ne voit aucune difficulté contre l’authenticité isaïenne de l’oracle primitif sur Sidon. Ce ne serait pas une élégie sur le destruction de Sidon en 348, mais un oracle de menaces visant le prise de Sidon par Sennachérib en 701.

Toutes ces déductions sont prématurées. Il n’est nulléinent prouve que nous ayons affaire à un oracle se rapportant primitivement à Sidon. La conjecturé que lé nom de Tyr a été interpole aux versets 5, 8,

est gratuite, et la mention de Sidon aUX versets 2, 4, 12 se comprend aisi’ment dans un oracle sur Tyr. 1) est probable que Sidon est une appellation de l.i l’hénicie tout entière, Pli. breu n’ayant pas d’autre mot pour désigna r ce pays. La stupeur et la boute des Phéniciens a la nouvelle de la chute de Tyr, leur grande ville commerçante, s’expliquent très bien. Et si le mot Sidon désigne la ville de ce nom plutôt que la Phénicie, i i honte île Sidon a propos du désastre « le Tyr serait encore vraisemblable, Tyr étanl la voisine et probablement li tille de Sidon (Condamin). Liant admis que nous son, ; les ni présence d’un oracle sur Tyr, la question de i uthenticJté et la date du passage dépend beaucoup d l’Interprétation du verset L3 qui est

comme le pivot des difficultés. H nous semble que le texte massorétique pourrait se traduire de la façon suivante : « voici, — le pays des Chaldeens fut ce peuple, ce ne fui pas Assur, — il l’a livrée aux bêtes sauvages. Ils ont dressé leurs tours, abattu ses palais, ils en ont fait une ruine, a Nous considérons comme glose les mots : le pays des Chaldeens fut ce peuple, ce ne fut pas Assur. Il s’agit, dans ce verset, de la destruction de Tyr, et le sujet de la phrase, ici comme aux versets précédents est Jahvé. Mais un lecteur postérieur, probablement du temps de l’exil, croyant qu’il était question dans cet oracle du siège de Tyr par Nabuchodonosor (587-574), aura intercalé ce commentaire : la terre des Chaldeens fut ce peuple (qui détruisit Tyr), ce ne fut pas l’Assyrie. Il faudra attribuer au même commentateur de l’époque de la captivité l’addition des versets 15 à 18. Les soixante-dix ans d’oubli et d’humiliation de Tyr, 15, 17, représentent les soixante-dix années de domination chaldéenne prédite par Jérémie, xxix, 10. Il est de nouveau supposé, comme au verset 13, qu’il s’agit de la prise de Tyr par les Chaldeens. Au lieu des strophes lyriques de 1-14, nous tombons ici dans le style prosaïque. On signale dans les versets 1518 la présence d’expressions singulières, étrangères à Isaïe. Tyr y est comparée à une courtisane, tandis qu’au verset 12 elle est appelée une vierge. Le fait de s’adonner au commerce est appelé une prostitution : « Au bout de soixante-dix ans, Tyr se prostituera de nouveau à tous les royaumes du monde sur la face de la terre. » 17. Ce langage ne se comprend guère qu’après l’exil, dit Condamin ; les anciens prophètes appelaient prostitution le culte des idoles et l’infidélité d’Israël à Jahvé.

L’authenticité des versets 1-Il peut parfaitement se maintenir. Rien ne nous oblige à y voir une élégie sur un événement passé et à descendre en conséquence jusqu’après la destruction de Tyr par Alexandre le Grand pour trouver la vérification du tableau de la ruine de Tyr. Nous pouvons les considérer comme la prédiction d’un événement futur dont il ne faut pas attendre la réalisation jusque dans les moindres détails : la place réservée à l’hyperbole et à la mise en scène est plus grande dans un tableau prophétique que dans un récit historique. Il ne manque pas d’événements survenus pendant la carrière d’Isaïe, qui auraient pu lui fournir l’occasion d’une prophétie sur la ruine de Tyr : l’invasion de la Phénicie par Sennachérib en 701 ; le siège de Tyr poursuivi pendant cinq ans par Salmanasar (727722) et peut-être achevé par Sargon, comme celui de Samarie. Si l’on exige un accomplissement littéral de la prophétie d’Isaïe, il faudra le chercher au cours des différents sièges auxquels Tyr fut soumise, jusqu’à celui d’Alexandre le Grand en 333. Il faudra ainsi descendre plus bas que le commentateur qui a glosé le verset 13 et ajouté les versets 15 à 18, et qui a cru voir une réalisation suffisante de la menace d’Isaïe dans le siège long et épuisant que Nabuchodonosor fit subir à la célèbre métropole de Tyr (587-574).

/) xxiv-xxvii. — a. — L’unité littéraire de l’apocalypse d’Isaïe était généralement admise avant les attaques de Duhm, de Cheyne et de Marti, même par des critiques qui en présentaient des analyses différentes. La négation de l’unité littéraire a conduit à la négation de l’unité d’auteur Duhm enlève a l’auteur liai les cantiques qui, à son Jugement, interrompenl l’apocalypse : l’action de grâces, xv, 1-5 ; le chanl contre Mdab, xxv, 9-12 ; le cantique des rachetés, xxvi, l -lit ci la chanson de la vigne, xxvii, 2-ii. Le resté torme un poème continu, offre une suite de pen-il ni elles que viennent Indûment briser les chants. CeUX-ci se distinguent d’ailleurs de la poésie

principale aussi bien par la structure poétique et le

rythme que par le point de vue : xxv, l-. r > semblé [S Al i :

E LIVRE - A.UTHENTIC II I.

. ! ’,

rompre la liaison étroite des pensées ; xxvi. L-19 est écrit sur un ton de triomphe mole de découragement qui ne convient pas à la situation supposée, cf. Condamiu, op. cit., p. 177-178. Sellin admet aussi que les chants sont intercalés dans l’apocalypse et peuvent être plus récents ou plus anciens que celle-ci. Nous croyons cependant devoir maintenir l’unité littéraire du poéme et l’unité d’auteur.

On ne peut argumenter île la différence de structure et de rythme cidre les chants et le reste de l’apocalypse qu’a condition tic prouver que l’auteur a dû suivre partout le même rythme : or, au jugement de certains critiques, il ne serait même pas prouvé que l’auteur se soit interdit de passer du vers à la prose. Est-il vrai que ces cantiques rompent la suite des Idées ? On pourrait peut-être le soutenir pour xxv, 15 ; aussi Condamin transporte ces versets après xxvi, 0. On s’explique cependant leur présence après le chapitre xxi v : les exclamations du prophète seraient amenées par l’apparition de Jahvé ; elles célèbrent la chute d’une ville mystérieuse dont il a été question dans le chapitre précédent, xxiv, 10-12.

Le prétendu chant contre Moab, xxv, 9-12, n’est . pas un cantique ; il est écrit dans le même style que les versets précédents, 6-8 et y fait suite naturellement. Le châtiment de Moab fait contrepoids à la félicité des élus décrite dans ces versets. L’expression « sur cette montagne » qui revient au y 6 et au f 10 montre manifestement que les versets 9-12 ne sont pas une intircalation.

Le cantique des rachetés, xxvi, 1-19, nous paraît tout à fait en situation après la description de la gloire des élus, xxv, 6-8, et du châtiment des impies, xxv, 912. Mais comment expliquer alors le ton de triomphe mêlé de découragement qui est celui de ce cantique ? Condamin résout la difficulté par la transposition, justifiée d’ailleurs par d’autres raisons, de xxv, 1-5 après xxvi, 1-6. Il obtient ainsi deux morceaux distincts, xxvi, 1-6+ xxv, 1-5 d’une part, et xxvi, 7-1 9 de l’autre, et alors, dit-il, on ne peut plus objecter la différence de tons. Le premier morceau exprime la confiance des Juifs en Jahvé qui humilie les orgueilleux, ruine la forteresse des impies, protège les faibles contre les puissants. Le second morceau révèle les espérances du juste au milieu des épreuves, son désir de voir le peuple multiplié et agrandi, et formule la prom sse de Jahvé touchant la résurrection des morts. Dillmann admettait aussi qu’avec xxvi, 8 commençait la troisième partie de l’apocalpyse. Dans xxvi, 1-7, le cantique de reconnaissance de ceux qui seront en Juda ; après xxvi, 8, la prière de la communauté opprimée, mais fermem nt unie à Dieu, pour l’amélioration de sa pénible situation. Ces prières et ces plaintes seraient actuelles, présentes. Lagrange, L’apocalypse d’Isaïe, à propos des derniers commentaires, dans Revue biblique, 1894, p. 200-231 n’admet pas cette division du cantique ; d’après lui, il n’y a pas de changement de ton ; d’un bout à l’autre, c’est un cantique d’action de grâces. Les plaintes et les gémissements ne sont pas arrachés par les souffrances présentes : ce n’est que le souvenir que les élus possèdent du passé ; ils ne demandeni plus qu’une chose, c’est la résurrection des morts.

Reste le chant de la vigne, xxvii, 2-6, introduit assez brusquement entre le jugement des grandes puissances ennemies, xxvi, 20-xxvii, 1 et celui d’Israël, xxvii, 7 sq. Toutefois, si l’on admet que les épines et les ronces dont parle xxvii, 4, ne représentent pas les ennemis du peuple de Dieu, mais les impies d’Israël et leur châtiment, le cantique de la vigne établit la transition entre les deux jugements.

La discussion qui précède montre qu’on aurait tort d’abandonner trop site l’unité lit éraire de l’apocalypse d’Isaïe. Si ces (maire chapitres forment uni ;

DICT. DE TKÉOL. CATHOL.

unité, dit Duhm, on est presque obligé de prendre la

ville anonyme plusieurs fois mentionnée pour un seul et même fantôme. Pour notre part, nous n’y voyons pas d’inconvénient : ce fantôme d’une ville mystérieuse détruite convient très bien à une apocalypse, et la quadruple mention qui en est faite dans les différents morceaux, xxiv, 10 ; xxv, 2 ; xxvi, 5 ; xxvii 10, prouve plutôt en faveur de l’unité littéraire de l’ensemble.

b. — Isaïe est-il l’auteur de cette apocalypse ? Peut-on en déterminer le cadre historique, les événements auxquels elle fait allusion, les faits qui ont influencé la manière de voir et d’écrire de l’auteur ? Le genre même du poème, qui le transporte pour ainsi dire en dehors du temps, rend singulièrement difficile la solution de ces problèmes. Aussi, plus que tout autre, ce morceau a-t-il été promené à travers toutes les époques de l’histoire d’Israël, depuis le viiie siècle jusqu’au premier.Les critiques catholiques en défendent encore l’authenticité ; les autres l’abandonnent généralement. La ville ennemie détruite serait Ninive, et l’apocalypse serait à placer au viie siècle ; ou Babylone, et le morceau aurait été composé pendant l’exil, ou peu après l’exil, sous la domination perse ; ou encore Tyr, assiégée par Alexandre le Grand, et nous serions ranimés à l’époque grecque. Duhm, n’admettant pas l’unité du poème, lui assigne différentes dates. L’auteur de l’oracle principal a connu le pillage de Jérusalem par Antiochus Sidétès en 135 av. J.-C. et le commencement de la guerre contre les Parthes vers 129 av. J -C. Les cantiques aussi portent l’empreinte d’une époque déterminée. L’action de grâces de xxv, 1-5 et le cantique des sauvés se rapporteraient à la destruction de Samarie par Jean Hircan, entre 113 et 105 av. J.-C. Le passage contre Moab rappelle la campagne d’Alexandre Jannée vers 79 av. J. C. Le chant de la vigne est trop vague pour fournir un indice historique. L’opinion la plus répandue parmi les adversaires de l’authenticité est celle qui place l’apocalypse des chapitres xxivxxvii a l’époque perse, pendant les premières décades de la nouvelle Jérusalem, alors que le peuple, malgré sa situation précaire, est cependant plein d’espérance. C’est cette dernière hypothèse que nous examinerons. La langue et le style du morceau, dit-on, ne sont pas d’Isaïe. Les idées religieuses d’Isaïe et ses espérances messianiques sont tout autres. Certaines représentations apocalyptiques, comme le châtiment des puissances d’en-haut, xxiv, 21, le repas sur le mont Sion, xxv, 6, la résurrection des morts, xxvi, 19, la grandetrompette, xxvii, 13, les animaux symboliques, xxvii, 1, témoignent contre le temps d’Isaïe et en faveur d’une époque assez basse. Si Isaïe a écrit ce morceau, dit Duhm, il aurait pu tout aussi bien écrire le livre de Daniel. Isaïe n’avait pas de raison particulière d’en vouloir à Moab et de le représenter comme le type idéal des ennemis du peuple de Dieu, xxv, 10-12 ; il ne s’exprime pas en ces termes au sujet de Moab dans les chapitres xv-xvi. A l’époque d’Isaïe. le peuple n’avait pas encore été dominé par des maîtres étrangers, xxvi, 13, il n’avait pas passé par l’épreuve de l’exil, il n’y avait pas lieu d’espérer son retour, xxvi, 1 sq., xxvii, 12-13. La ville forte humiliée paraît être Babylone, conquise par les Perses mais non encore détruite. Le jugement de Dieu a commencé, mais il n’esl pas encore complet. Le peuple est revenu à Sion, il est rentré en grâce auprès de Dieu, tout danger d’apostasie est passe, Jérusalem est rebâtie, xxvi, l, l(i ; xxvii, i" mais la situation est encore précaire, il y a manqu d’hommes, on attend encore un retour de l’exil. 14-18 ; xxvii, 13. Cette situation est bien celle du temps des prophètes Aggée et Zacharie, celle des soixante premières années de lu restauration.

A l’encontre de ces arguments le P. i : igra ge, loc. ni., s’efforce d’établir : -/)< lue la pri mil re ps de la

VIII. — 2 prophétie, xxiv-xxvi, 19, est placée en dehors de l’histoire. Elle décrit ce qui se passera à la fin des temps. Il est Impossible de dire quelles sont les circonstances historiques qui l’ont influencée. La ville mystérieuse

détruite peut avoir plusieurs acceptions, aucune ne s’impose. Dans la seconde partie, xxvi, 20-xxvii, la ville détruite, xxvii. 10 pourrait bien être Samaric. Cette partie a beaucoup de ressemblances avec l’oracle du chapitre xvii contre Éphralm, qui est certainement d’Isaie, et avec les prophéties d’Osée contre Samarie. Les exiles dont on attend le retour sont ceux d’Éphraïm, et rien ne nous oblige à descendre plus bas que la première captivité assyrienne pour trouver les circonstances historiques qui ont se. ryi de point de départ aux prédictions d’avenir. — (3) Ni la langue, ni le style n’indiquent manifestement un auteur postérieur à la captivité assyrienne, et rien ne permet de conclure avec certitude qu’ils ne sont pas d’isaïe. — y) Quant au genre et à l’esprit du morceau, qui rappellent les apocalypses de Daniel, de Zacharie et de Joël, pourquoi Isaïc n’aurait-il pu les inaugurer ? Le genre apocalyptique a bien dû commencer… S’il est né pendant les persécutions, du besoin de consoler les âmes et de les fort i lier, la chute de Samarie et les menaces dont Jérusalem était l’objet ne suffisent-elles pas à en expliquer l’apparition ?

Voici, nous semble-t-il, ce que l’on peut admettre, avec les critiques qui rejettent l’authenticité des chapitres xxjv-xxvii : Les circonstances historiques qui ont inlluencé les descriptions eschatologiques de ces chapitres, les faits réels pris comme symboles de ce qui arrivera à la fin des temps, sont bien en réalité les suivants : la captivité de Juda, la chute de Babylone, le retour de l’exil, la reconstruction de Jérusalem, la situation de la communauté postexilienne. Mais, de ce chef, la question d’authenticité n’est pas encore tranchée. Le fait que les circonstances historiques que nous venons de rappeler servent de point de départ aux descriptions d’avenir, prouve-t-il que l’apocalypse a été composée à une époque où ces circonstances étaient réalisées" ? [sale n*a-t-il pu, sous l’influence de l’inspiration prophétique, se transporter en esprit à cette époque ? C’est toujours le problème suscité à propos des chapitres xm-xiv, xxi, qui revient. La critique interne nous paraît impuissante à fournir un témoignage définitif contre la tradition, favorable à l’authenticité, et déjà consacrée par l’Ecclésiastique, xlviii, 27, qui voit dans Isaïe un prophète cschatologique : Spiritu magna vidil ultima.

A) xxxiii. Dansée beau poème, le prophète chante la destruction du dévastateur qui a pillé Israël, 1-12, la terreur des impies, la confiance des justes, 13-16, la délivrance de Jérusalem, 17-21, le règne de Jahvé en Sion, 22-21. Cette prophétie a dû être prononcée pendant l’invasion assyrienne, un an après celle des chapitres xxix-xxxii, alors que l’angoisse du peuple était a sou comble. Sennachérib avait pris beaucoup de villes fortes, imposé un tribut à Ézéchias, puis, prétextant sans doute une trahison, il demande une seconde la capitulation de Jérusalem. XXXIII, 7-8. Isaïc s’applique a calmer et à rassurer le peuple. Cette situalion a du se vérifier peu de temps après les événements dans IV Reg., xviii, 13-16. La différence « le

ton entre cet oracle et ceux des chapitres pièce. lents

i par l’imminence du danger. Plusieurs criti dre aux conclusions extrêmes de

Duhm H’le Marti qui placent cet oracle en 163-162 av..1 —C, ad met tel il que si ce chapitre est i sa le n pour le

fond, il peut difficilement l’être pour la [orme et le style. I ! pourrait être d’un disciple d’Isaie qui aurait voulu in ter la manière du maître. Ces critiques doivent supposer que l’auteui du morceau se place par l’imaginai ion au temps de l’invasion de Sennachérib.

Dès lors, n’est-il pas plus simple de l’attribuer à Isaïe ? Les raisons qu’on fait valoir contre l’authenticité sont subjectives, dit Sellin, Einleilung, p. 83, sans aucun fondement historique.

I) xxxiv-xxxv. — L’authenticité de ces chapitres est généralement abandonnée par les critiques indépendants qui les placent au même rang que les chapitres xin-xiv, xxi, xxiv-xxvii. Les termes du problème sont, en effet, sensiblement les mêmes, et les défenseurs de l’authenticité donnent aux difficultés la même réponse. Les objections contre l’attribution de ces chapitres à Isaïe sont les suivantes : La langue et le style diffèrent de ceux d’isaïe. Les couleurs apocalyptiques du morceau plaident pour une date plus récente, surtout la présence de cette curieuse expression ^Cherchez dans le livre de Jahvé et lisez… », xxxiv, 16 ; de même, rénumération de tous les monstres nocturnes et de tous les mauvais génies qui hantent les ruines d’Edom. xx.mv, 11-15. L’imitation de Jéreinie, xlix, 722 ; l-li, de Sophonie et d’Ezéchiel, xxi, xxxv-xxxvi. Il n’est plus question ici de l’Assyrie, ni de l’Egypte ; -Babylone n’y figure pas non plus. Le peuple est supposé en captivité ; l’auteur lui-même paraît être parmi les exilés. La haine qui se fait jour contre Édom ; ce jour de vengeance dont il est parle, xxxiv, 7 ; cette armée de revanche pour la cause de Sion, tout cela nous transporte à la fin de l’exil. L’animosité de l’auteur s’explique par l’hostilité d’Édom. Or, la période de l’exil est précisément celle où Édom paraît s’être attiré la plus violente rancune de la part des Juifs Ce peuple manifesta une grande joie lors de la destruction de Jérusalem par les Chaldéens ; pendant la captivité, il empiéta sur le territoire de Juda et, au retour, les rapatriés eurent à lutter contre lui. Jer., xlix, 7-22 ; Ez., xxv, 12-14 ; xxxv ; Is., lxiii, 1-6 ; Abd., 1-16 ; Joël, iii, 19 ; Lam., iv, 21-22 ; Ps., cxxxvii, 7 ; Mal, i, 2-5. La situation supposée dans les chapitres xxxivxxxv d’isaïe nous invite à les placer dans la période qui va de 538 à 458. D’autres préfèrent ne pas leur assigner de date et se contentent d’observer que l’auteur écrit avant la soumission des Édomites par Jean Hircan. Les exégètes catholiques, qui attribuent encore ces chapitres à Isaïe, font remarquer qu’il n’est pas nécessaire de descendre jusqu’à la captivité pour justifier l’inimitié de Juda contre Édom et les menaces du prophète à son adresse. Cf. Num., xx, 14-21 ; Jud., xi, 17 ; III Reg., xi, 14 sq. ; IV Reg.. viii, 20, etc. Amos n’a-t-il pas déjà une strophe contre Édom, i, 11-12 ? Cette réponse n’est cependant pas adéquate : il ne s’agit pas précisément ici de la vieille inimitié qui existait entre Édom et Juda, mais de la revanche que les rapatriés de Sion prendront contre Édom ; il y a donc bien une allusion aux torts causés par les Édomites pendant l’exil. Aussi, vaudrait-il mieux en appeler a la révélation prophétique, qui a pu transporter, en esprit. un voyant du viiie siècle a l’époque où la situation supposée dans ces oracles était un fait historique.

m) xxxvi-xxxix. — Nous croyons que ces chapitres rapportent des paroles authentiques d’isaïe, comme celles de xxxvii, 6-7, 21-3."> ; xxxviii, 5 8 ; xxxix, 6-7. Nous nous demandons seulement s’ils ont été rédigés dans leur forme actuelle par Isaïe, ou s’ils ont été composés plus tard, à l’aide de documents plus anciens, et ajoutés comme conclusion historique à la première partie du livre d’isaïe. Les exégètes qui regardent Isaïe comme l’auteur unique et le rédacteur définitif de l’ouvrage qui porte son nom, se sentent enclins tout naturellement à attribuer aussi ces chapitres au grand prophète. Les critiques qui regardent le livre d’Isaie connue un recueil d’oracles de divers temps et de diverses provenances, sont unanimes à dire qu’Isaïe n’a pas composé ces chapitres. Mais entre ceux qui sou37

ISAIE, LE LIVRE - Al THENTICITÉ

tiennent’l’une manière absolue l’unité d’auteur du livre d’Isaîe, et ceux qui Is rejettent complètement, il

faut rangerai] certain nombre d’auteurs qui. persuades d’une manière générale de l’authenticité du livre d’Isaîe, font une exception pour les chapitres xxxvixxxix. Ils appuient leur sentiment sur les raisons suivant

a. — Ces chapitres mentionnent encore la mort de Sennachérib, xxxvii, 38 arrivée en 681. Or il est peu probable qu’Isale, ayant commencé son ministère en 74D, ait survécu à Sennachérib.

b. — Ces chapitres placent l’expédition de Sennachérib la quatorzième année d’Ézéchias, xxxvi, 1. Semblable erreur chronologique ne peut être attribuée à Isaîe.

c. — Dans tous ces chapitres. Isaïe est lui-même mis en scène : on parle de lui à la troisième personne, xxxvii, 2-5, 21 ; xxxviii ; xxxix, 3-5. Ce sont des épisodes de la vie d’Isaîe racontés par un narrateur autre que lui, comme nous en trouvons au chapitre vu et au chapitre xx. C’est un narrateur aussi qui a joint dans le même récit, xxxvii, la prédiction del’échec des Assyriens et de la mort de Sennachérib, et l’accomplissement de cette prédiction.

d. — On apporte souvent aussi contre l’authenticité de ces chapitres le fait de leur dépendance vis-àvis de IV Reg., xviii, 13-xx, 19 ; mais ce problème littéraire est très complexe et mérite un examen spécial. Voici les faits : le texte du livre des Rois est certainement parallèle à celui d’Isaîe qu’il reproduit presque textuellement. A côté de divergences de moindre importance, on note deux variantes principales : le livre d’Isaîe ne parie pas du tribut payé par Ézéchins, d’après IV Reg., xviii, 14-16 ; par contre, il insère le cantique d’Ézéchias dans xxxviii, 9 20. A part cela, le texte des Rois est plus circonstancié, il nous est parvenu, d’une façon générale, dans un meilleur état de conservation. Le livre des Rois, comme ce lui d’Isaîe, raconte la maladie d’Ézéchias et l’ambassade de Mérodach, après l’expédition de Sennachérib placée la quatorzième année d’Ézéchias.

Les anciens commentateurs d’Isaîe n’ont guère cherché à résoudre ce problème littéraire. Cf. Touzard, De la conservation du texte hébreu, Étude sur Isaïe, XXXVi-xxxix, dans Revue biblique, 1897, p. 188191. Cependant, Eusèbe de Césarée’Y710ji.vT)u.aTa etç’Haaiav, P. G., t. xxiv, col. 344, laisse entendre que le rédacteur du livre prophétique, qui est, à ses yeux, Isaïe lui-même, a emprunté ces récits au livre historique. Telle est aussi l’opinion de Procope de Gaza, ’Etu-ou./", tejv elç tov — poçT)T7)v’Haatav Siatp6pwv

r, -rpeojv, P. G., t. lxxxvii, col. 2309-2312. La plupart

des ex< gètes modernes se sont appliqués à résoudre la difficulté. Ils sont d’ailleurs loin de s’entendre sur la manière. Voici les principales solutions.

Le rédacteur du livre des Rois aurait emprunté ces chapitres au livre d’Isaîe, et les versets 14-16 proviendraient d’une autre source. Mais pourquoi aurait-il omis le psaume d’Ézéchias, lui qui se plaît à raconter les actions d’éclat de ce prince ? A moins de dire que ce psaume, provenant d’un recueil de morceaux liturgiques, a été inséré dans le livre d’Isaîe tardivement, après l’emprunt fait par le livre des Rois. Mais, si le texte d’Isaîe est primitif par rapport à celui fies Rois, comment se fait-il que celui-ci soit meilleur et plus complet ?

Le rédacteur du livre d’Isaîe aurait emprunté ces chapitres au livre des Rois, dont le texte aurait été, d’une façon générale, abrégé, et d’un autre côté, amplifié par l’insertion du cantique d’Ézéchias. Cette opinion a beaucoup de partisans parmi les critiques qui rejettent l’authenticité isaïenne des chapitres xxxvixxxix. Elle s’appuie sur le fait qu’on rencontre dans ces

chapitres d’Isaîe, les expressions lavorites du rédacteur final du livre des Rois. Is., xxxvii, 35 et III Reg., xi, 12 sq, 32, 34 ; Is., xxxviii, 3 et III Reg., viii, 61 ; xi 4, etc. Llle rend compte aussi de l’abréviation de IV Reg., xx, 1-Il dans Is., xxxviii. Mais comment expliquer alors que la même interversion chronologique qu’on trouve dans les chapitres d’Isaîe se rencontre aussi dans le livre des Rois ? On peut trouver une raison à cette interversion dans le livre d’Isaîe : les chapitres xxxvi-xxxvii peuvent servir de conclusion à la première partie du livre, et les chapitres xxxviiixxxix, d’introduction à la seconde ; mais la transposition ne se justifie pas dans le livre des Rois. Faut-il dire que le désordre existait déjà dans le document dont s’est servi le rédacteur du livre des Rois ? ou bien que le livre d’Isaïe a réagi à son tour sur le livre des Rois ?

Le rédacteur du livre d’Isaîe et le rédacteur du livre des Rois auraient emprunté ces récits à une même source, soit à une biographie du prophète Isaïe à laquelle se rattacheraient aussi les fragments biographiques des chapitres vu et xx, soit à un autre ouvrage d’Isaîe, peut-être cette vision du prophète Isaïe qui, au témoignage de II Par., xxxii, 32, contenait le récit des actions d’Ézéchias et de ses œuvres pieuses. Cet emprunt aurait été fait d’une façon indépendante par les deux rédacteurs et le livre des Rois aurait plus fidèlement conservé sa source que celui d’Isaîe ; ou bien le livre d’Isaîe dépendrait de cette source médiatement, par l’intermédiaire du livre des Rois. L’hypothèse qui rend le mieux compte de l’ensemble des faits paraît être la suivante : le rédacteur du livre des Rois a puisé les éléments de son récit dans une composition d’origine prophétique, biographie d’Isaîe ou vision du prophète Isaïe, fils d’Amos, laquelle n’a pas nécessairement Isaïe pour auteur. Il a emprunté la mention du tribut payé par Ézéchias à une autre source. Le récit du livre d’Isaîe dépend de celui du livre des Rois qu’il abrège. Le cantique d’Ézéchias a une autre provenance ; son insertion tardive au chapitre xxxviii d’Isaîe a bouleversé l’ordre logique des éléments de ce chapitre. L’interversion chronologique des événements dans les chapitres xxxvi-xxxix paraît être le fait du rédacteur final du livre d’Isaîe, et ce phénomène, par la faute des scribes et des copistes, a ensuite réagi sur la disposition des événements dans IV Reg, xviii, 13-xx, 19.

2. La seconde partie du livre d’Isaîe, xl-lxvi. — L’origine isaïenne de ces chapitres a été admise sans contestation jusqu’au moyen âge. Alors, Aben Esra, ( Abraham benMeïrben Esra.t 1167) émit le premier quelques doutes touchant l’attribution de ces chapitres au grand prophète du viiie siècle. Il conjectura qu’ils devaient avoir été composés pendant l’exil de Babylone, et, cherchant l’auteur auquel on pourrait les assigner, il avança la supposition que ce pourrait bien être le roi Jichonias. De la fin du xiie siècle à la fin du xviii*, la question n’a plus guère été discutée. En 1775, Doederlein, et en 1782, Eichhorn, rejetèrent l’authenticité de la seconde partie d’Isaîe, et en placèrent la composition vers la fin de l’exil babylonien. Ils furent suivis par Gesenius, Ewald et la grande majorité des critiques protestants ; ils furent combattus par Hengstenberg, Keil, Kleinert, Rutgers, etc. Franz Delilzsch, après avoir vigoureusement défendu le point de vue traditionnel, s’est finalement rallié à l’opinion dite critique. La plupart des exégétes catholiques ont, jusqu’à présent, maintenu l’unité et l’authenticité du livre d’Isaîe, et le décret de la Commission biblique du 29 juin 1908. De libri Isaite indoh et auctore, est venu apporter l’appui de son autorité arguments en faveur de la thèse traditionnelle. Nous nous elîorcerons d’exposer l’état de la question le plus clairement et le plus objectivement qu’il nous s ra possible de le faire.

[SAIE, LE LIVRE - W I HENTICITÉ

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l es raisons qu’on apporte pour et contre L’authenticité de la leeonde partie d’Isale peuvent se ranger en

deux classes, selon qu’elles s’appuient sur des considérations extrinsèques ou intrinsèques au livre même.

a) Arguments (Tordre externe. — a. — La tradition juive et chrétienne a attribué à Isaïe les vingt-sept derniers chapitres <lu livre qui porte son nom. L’Ecclésiastique, écrit au début du iie siècle avant notre ère, s’exprime, sur le compte d’Isale, de façon à montrer qu’il le reconnaît aussi pour l’auteur des chapitres xii. xvi : « Sous une puissante inspiration prophétique, il vit les temps à venir, et consola les affligé" ; dans Sion ; il annonça ce qui doit arriver dans toute la suite des temps, et 1rs choses cachées avant leur accomplissement. » Eccli., xi.vin, 23-24. Cet éloge contient des allusions manifestes a Is, XL, 1 ; xi.i, 22 23 ; xui, 9. Le Siracide connaît, sous le nom.d’Isaïe. le même recueil de prophéties que nous, la collection des l.xvi chapitres. Cet le conviction de l’auteur de l’Ecclésiastique ( si partagée par Flavius Joséphe, Anliq., XI, i.l-2 et par les écrivains du Nouveau Testament. Sur 37 citations empruntées aux chapitres xl-lxvi, il en est au moins Il qui sont explicitement attribuées à Isaïe : Is., xi.. 3 et Matth., iii, 3 ; Marc, i, 3 ; Luc, in, 4 ; Joa., i, 23. Is., xlii, 1-4 et Matth., xii, 17. Is., Lin, 1 et Matth., viii, 17. Is., lui, 7 et Act., viii, 28. Is., lui, 1 et Joa., xii, 38 ; Rom., x. 1(>. Is., lxi et Luc, iv, 17. Is., lxv, 1-2 et Rom., x 20-21. L’authenticité de ces chapitres est ainsi garantie par le témoignage des Évangiles et des Épîtres.

Les ad versa ires de l’authenticité s’efforcent d’énerver ce témoignage de la tradition. L’auteur de l’Ecclésiastique ne s’est pas livré à des recherches personnelles sur l’origine de la seconde partie d’Isaïe ; il accepte de confiance l’opinion courante de son temps. Cette opinion est née du fait que depuis longtemps déjà on possédait le livre d’Isaïe dans la teneur que nous lui connaissons aujourd’hui II est possihle d’expliquer, en dehors de l’hypothèse de l’authenticité, comment le recueil d’oracles des chapitres xl-lxvi a pu être joint aux prophéties authentiques d’Isaïe ; et cette juxtaposition aura, à son tour, crée la tradition de l’unité d’auteur du livre d’Isaïe. La réunion des deux recueils peut être l’effet du hasard. L’auteur du second a pu par une fiction littéraire le présenter comme l’œuvre d’Isale. les sopherim ont pu croire que les chapitres xl-lxvi qui présentent, dans la pensée et dans l’expression, d’incontestables affinités avec Isaïe, étaient vraiment sou œuvre. Le Talmud, iv-Mv Baba bailua, N’1 (le iixie dans Cornely, Iniroductio generalis. p. 17), affirme qu’à une certaine époque, sans doute ancienne, le livre d’Isaie se’trouvait placé après ceux de Jérémle et d’Ézéchiel ; comme c’était de beaucoup le moins étendu des trois, on y aura Joint noire écrit anonyme. On forma « le celle manière irois volumes à peu près égaux, auxquels vint se joindre comme quatrième, la collection des douze

petits prophètes, qui Ont toujours ete comptés pour un seul livre.

ie témoignage de Joséphe, qui vivait trois siêeles après l’auteur de l’Ecclésiastique, n’a rien d’étonnant. iie-i naturel que l’écrivain Juif ail partagé l’opinion

i et commune touchanl l’origine Isaïenne des

chap i i. Qfaul en dire autant des écrivains « in Nouveau Testament qui, en citanl le livre d’Isale, ie ii ion1 pas occupés de la question d’auteur, et n’onl pa n’i d’illumination spéciale pour la trancher. Le in lui in mi a pu, sur ce sujet, s’accommoder au lang ; "e coin an i. son in ii n’. i uni pas de nous enseigner l’Introduction a l’Ancien Testament. D’ailleurs, la grandi valeur religieuse que le Nouveau Test a me ni reconnaît i la seconde partie d’Isale, cel Évangile prophétlqui’est nullement diminuée par le fail que l’au teur en serait non pas Isaïe, mais le grand anonyme de la captivité.

b. — L’édit de Cyrus en faveur du retour des exilés de Babylone, tel qu’il est rapporté dans II Par., xxxvi, 23 et Esdr., i. 2-1, trahit dans son contenu el dans sa tonne une dépendance vis-à-vis d’Is., xli, 2-4. 25 ; xuv, 26-28 ; xlv, 1-6, 13 ; xlvi, 11 ; xlviii, 14-15. 11 en résulte que Cyrus a eu connaissance des prophéties de la seconde partie d’Isaïe où son avènement était prédit comme un fait lointain que Dieu seul peut prévoir. C’est aussi ce qu’atteste.losephe, Antiq., xi, 1, 2, au jugement duquel Cyrus, touché par la lecture des antiques oracles d’Isaïe qu’on lui présenta et qui prophétisaient son règne, accorda aux juifs le fameux édit de 538, autorisant la reconstruction du temple. La tradition juive n’a pas hésité à faire un pas de plus et à affirmer que Cyrus s’était converti à la religion de Jahvé.

Il est établi que Joséphe, pour l’histoire de la période perse, n’a pas eu d’autre source que l’Ancien Testament. Ce qu’il raconte de l’influence des prophéties sur Cyrus n’est qu’une amplification de la notice des Paralipomènes et d’Esdras. Si cette notice rapporte la lettre même de l’édit de Cyrus, on peut admettre que 1.’vainqueur de Bahylone a eu connaissance des prophéties qui le désignaient comme l’instrument de Jahvé pour la restauration juive. Mais peut-on en conclure que ces prophéties ont pour auteur le prophète Isaïe du vm c siècle ? Leur influence ne s’explique-t-elle pas aussi bien si elles émanent d’un prophète vivant quelque temps avant l’entrée en scène de Cyrus ? Beaucoup de critiques nient d’ailleurs l’authenticité littérale du décret rapporté par les Paralipomènes et Esdras : la forme du décret vient du chroniste lui-même qui a voulu présenter Cyrus comme l’instrument de Jahvé. En réalité, les mesures prises par Cyrus en faveur du judaïsme ont été dictées par des considérations d’ordre purement politique. On sait aujourd’hui que Cyrus. inaugurant une méthode nouvelle, entreprit de gagner la confiance et l’obéissance de ses sujets, grâce à dis procédés bienveillants et d’une habileté consommée (Gautier, Introduction, t. i, p. 437).

En donnant au décret de Cyrus cette forme spéciale, qui cadre si bien avec l’esprit juif, le chroniste at-il été influencé par la seconde partie d’Isaïe, qu’il aurait donc connue et attribuée au prophète du vin siècle ? Plusieurs le croient, et proposent même de lire dans II Par., xxxvi, 22 et Esdr., i, 1 : « pour l’accomplissement de la parole que Jahvé avait dite par la bouche d’Isaïe » (et non : de Jérémie). Beaucoup d’autres maintiennent en ces endroits la mention de Jérémie, et nient en conséquence que le chroniste ait attribué à Isaïe les chap. xl-lxvi, voire même qu’il ait eu connaissance de ce recueil de prophi tics. D’une part, il est peu probable, s’il s’en est servi, qu’il l’ail attribué à Jérémie ; d’autre part, il ne manque pas de textes, dans le livre authentique de Jérémie, qui pouvaient fournir au chroniste la Justification prophétique de l’acte accompli par Cyrus. Jer., xxv, 10-14 ; xxvii, 7 ; xxix, 10. On est d’autant plus porté à croire que c’est le livre de Jérémie (pli inspire le chroniste, qu’au verset immédiatement précédent, xxxvi, 21, les soixante-dix années de la captivité son] rappelées « afin que s’accomplit la parole que Jahvé avait dite par la bouche de Jérémie. »

C. — Le livre d’Isaïe, dans sa forme actuelle, est antérieur au livre des Rois. Celui-ci reproduit presque littéralement, el avec la même interversion des faits, les chapitres historiques xxxvi-xxxix d’Isaïe Or, si la transposition chronologique constatée dans ces chapi Ires peut s’expliquer (huis le livre d’Isaïe, on lis chapitres xxxvi-xxxvii servent de conclusion à la première partie, d les chapitres xxxviii-xxxix, d’intro

ducUon à la seconde, elle ne peut s’expliquer dans le livre des Rois, qu’en admettant un emprunt au livre d’Isale. A l’époque de la composition du quatrième livre des Rois, dans la première moitié de l’exil, les deux parties d’Isaïe ne formaient donc qu’un seul livre. Il en resuite que la seconde partie est antérieure à l’exil. Dès lors, il n’y a plus de raison de ne pas l’attribuer à Isaïe. La critique ne sépare d’ailleurs pas ces deux propositions : cette partie n’est pas antérieure a l’exil ; elle n’est pas il’Isaïe.

Nous avons vu que les chapitres xxxvi-xxxix n’avaient pas été rédigés, dans leur forme actuelle, par le prophète Isaïe, que leur place naturelle se trouvait dans le livre des Rois, où ils font partie intégrante de l’histoire, où ils sont conservés d’une façon plus complète et dans un meilleur texte. Ils auront été empruntés au second livre des Rois, pour servir de conclusion historique au livre d’Isaïe, comme c’est le cas pour le chapitre lu de Jérémie. La première partie d’Isaïe a donc joui pendant un certain temps d’une existence indépendante, elle a formé un livre complet, avec ou sans sa conclusion historique, et ce fait crée déjà une forte présomption contre l’authenticité de la seconde partie. L’interversion chronologique qu’on remarque dans les chapitres xxxvi-xxxix peut être attribuée au rédacteur final d’Isaïe qui, lors de l’adjonction de la seconde partie d’Isaïe, aura voulu mettre un certain plan d’ensemble dans le livre définitif. La transposition aura été effectuée ensuite dans le livre des Rois ; elle ne constitue donc aucun argument en faveur de l’existence préexilienne et de l’authenticité de la seconde partie d’Isaïe.

d. — Les défenseurs de l’authenticité de la seconde partie d’Isaïe empruntent un dernier argument extrinsèque à l’influence littéraire exercée par les chapitres xl-lxvt sur les prophètes du viie siècle, Jérémie, Nahum, Sophonie, Habacuc. Il en résulte que ces chapitres sont antérieurs au viie siècle et qu’il faut les attribuer, comme le veut la tradition et comme l’indique la composition actuelle du livre d’Isaïe, au grand prophète du ine siècle.

Dans bien des cas, répondent les adversaires de l’authenticité, la dépendance littéraire n’est pas prouvée. Delitzsch lui-même a reconnu, alors qu’il admettait encore l’authenticité, que les parallèles établis entre Is., xl-lxvi et Nahum n’étaient pas probants. Et lorsque la dépendance littéraire paraît établie, se pose la difficile question de priorité. C’est ainsi que Soph., ii, 15 semble antérieur à ls., xlvii, 8-10 ; et Soph., ni, 10 peut s’expliquer indépendamment d’Is., lxvi, 20. La comparaison de Jer., xxx, 10 sq. ; xlvt, 27 sq. avec Is., xun, 1-6 ; de Jer., vi, 15 avec Is., lvi, 11 ; de Jer., xxxiii, 3 avec Is., xlviii, 6 ; de Jer., x, 1-16 avec I ?., xi.iv, 12-15, etc., ne serait pas non plus favorable à l’intériorité d’Isaïe xl-lxvi.

On fait valoir encore d’autres considérations pour prouver, en particulier, que Jérémie doit occuper une position intermédiaire entre le prophète Isaïe du vine siècle et l’auteur des chapitres xl-lxvi. Ici, l’exil de Babylone est présupposé, il est actuel, partant inéluctable et fatal On ne se préoccupe plus de le prévenir, mais on en prédit brillamment la fin. Jérémie, au contraire, voudrait encore éviter l’exil, qui apparaît comme prochain, mais non fatal : c’est pourquoi il multiplie les appels au repentir et à la conversion. Si Jérémie a connu les oracles d’Is., xl-lxvi, son ministère marque un recul dans le développement de la prophétie ; et si ses contemporains avaient pu lui opposer les promesses magnifiques contenues dans ces chapitres, l’activité de lérémie aurait été paralysée, et son principal effort, frappé d’impuissance. Pour échapper à cette conséquence, quelques partisans de l’authenticité ont supposé que les prophéties de xl-lxvi n’avaient pas été

immédiatement publiées, qu’elles étaient restées Inconnues à plusieurs générations, pour n’être mises au jour qu’au moment voulu, dans le but de consoler les déportés. Cette hypothèse gratuite ruine par sa base l’argument de la dépendance littéraire apporté plus haut en faveur de l’authenticité d’Is., xl-lxvi.

b) Arguments d’ordre interne. — Us sont empruntés à l’horizon historique, aux tendances doctrinales, au vocabulaire et au style de ces chapitres.

a. Horizon historique de la seconde partie — Le prophète Isaïe exerce son ministère dans la seconde moitié du vin » siècle. A cette époque, l’Assyrie détient l’hégémonie dans le monde, Babylone est sa vassale. Aussi, dans les oracles authentiques d’Isaïe, c’est toujours l’Assyrie qui est au premier plan, c’est d’elle que vient le danger. Dans la seconde partie, au contraire, tout comme dans les chapitres interpolés de la première partie, xm-xiv, xxi, etc., il n’est plus question de Ninive et de l’Assyrie, mais de Babylone, et son hégémonie n’est pas prédite, mais supposée. Juda est soumis à une puissance étrangère, le peuple est en exil, Jérusalem est détruite et le temple est en ruines, et cette lamentable situation dure déjà depuis longtemps. xlii, 14, 22, 24, 25 ; xliii, 28 ; xliv, 26 ; xlvii, 6 ; li, 3 sq. ; lii, 5 ; lviii, 12 ; lxi, 4 ; lxiii, 18-19, lxiv, 10-12, etc. Aussi, ceux auxquels le prophète s’adresse, ceux qu’il veut gagner et consoler, au témoignage desquels il en appelle, ne sont pas les habitants de Jérusalem, les contemporains d’Achaz, d’Ézéchias ou de Manassé, mais les captifs, soupirant en exil à Babylone. xl, 21, 26, 28 ; xliii, 10 ; xlviii, 8 ; l, 10-11 ; li, 6, 12, sq. ; lviii, 3 sq., etc. Ils ont longtemps attendu le salut, mais maintenant il est proche ; on tourne les yeux vers Cyrus qui a déjà remporté de grandes victoires, qui abattra la puissance chaldéenne et libérera les exilés, xl, 2 ; xli, 2, sq., 25sq. ; xliv, 28 ; xlv, 1 ; xlvi, 13 ; xlviii, 20, etc. Cyrus est deux fois appelé par son nom, xliv, 2 et xlv, 1. Cette mention d’un nom propre, s’il faut l’attribuer au prophète Isaïe du viiie siècle, constitue un cas absolument exceptionnel dans l’histoire du prophétisme. On ne pourrait pas apporter comme exemple semblable l’oracle d’un prophète du temps de Jéroboam I, annonçant la venue de Josias, III Reg., xiii, 2, car le livre des Rois n’a été rédigé qu’après la réforme de Josias.

Le retour sera suivi d’une grande prospérité, xl, 9-11, etc. Les motifs de confiance sont empruntés à l’omniscience et à la toute-puissance de Jahvé, qui se manifestent déjà dans un commencement de réalisation des prophéties. Jahvé n’abandonnera pas son serviteur Israël : Il était irrité, mus il pardonne, autant pour sa propre gloire, que parce que l’expiation est complète. En un mot, la situation supposée dans ce recueil est celle de l’exil, et l’explication la plus simple de ce phénomène est à chercher dans le fait que son auteur vivait lui-même à cette époque et dans ces circonstances. Il faut d’ailleurs remarquer qu’en dehors de leur réunion accidentelle à la première partie d’Isaïe, ces xxvii chapitres ne contiennent pas une phrase, pas un mot, qui tende à les rattacher, directemment ou indirectement, au filsd’Amos, le prophète du vin » siècle. Les défenseurs de l’authenticité ne peuvent méconnaîtra cette situation, et ne la méconnaissent point. Pour ce qui est tout d’abord de la mention même de Cyrus, ils n’hésitent pas, en général à l’attribuera Isaïe lui-même. Quelques-uns pourtant croient que le nom de Cyrus est une glose marginale introduite plus tard dans le texte lui-même, tout comme le nom de Josias dans III Reg., xiii, 2 (Hanneberg). D’autres croient que Cyrus n’était qu’un titre donné, à une taine époque, à tous les rois de Perse (Jahn). l’cmgstenbergfait de Cyrus un nom honorifique que conquérant de Babylone auraitjpris en se fondan’sur les [SAIE, LE LIVRE -Al Tlll il CI TÉ

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prédictions d’Isaïe ; son véritable nom aurait été, d’après Strabon, Agradathes. Mais Dunckeret Herzog soutiennent que Cyrus était le nom propre et Agradatheslenomhonoriflque. Cf. Wildeboer, DieLileraturdes alten Testaments, p. 270-271, Gôttingen, 1905 ; Meignah, Les Prophètes d’Israël et le Messie, p. 252-253, Paris, 1893.

Quatit à l’impression générale qui se dégage à première lecture de cette partie du livre, les défenseurs de l’authenticité en rendent compte en disant qu’Isaïe n’écrit pas pour ses contemporains, mais pour un avenir très éloigné, et qu’il a été transporté par l’Esprit de Dieu au temps de l’exil pour en prédire la fin, Ils trouvent naturelle, chez un prophète, cette attitude que leurs contradicteurs estiment singulière, gratuitement affirmée, et sans aucun parallèle certain dans l’histoire du prophétisme. Ils relèvent aussi dans la seconde partie d’Isaïe certains faits, certaines manières de s’exprimer, qui tendraient à prouver que l’auteur ne vit pas constamment à Babylone, parmi les exilés, qu’il n’a pas perdu tout contact avec les réalités historiques du vine siècle. L’auteur parle de la fin de l’exil et de Cyrus, comme d’événements lointains que Dieu seul peut prévoir, xlii, 19 ; xlv, 21 ; XLvni, 5, 14, 16. Il fait à ses lecteurs des reproches qui n’auraient aucun sens, s’ils s’adressaient aux exilés de Babylone : le peuple est obstinément attaché à l’Idolâtrie, xlii, 17 ; LVn, 3-13 ; lix, 4 ; lxv, 3-5, 11 ; il est infidèle, apostat, meurtrier, il viole la sainteté du sabbat, LVni, 13 ; lix, 3, 13 ; ses chefs sont aveugles, cupides et débauchés, lvi, 10-12. Nous rencontrons presque à chaque page de la seconde partie d’Isaïe des satires contre les idoles, et des parallèles entre Jahvé et les faux dieux, xl, 18-26 ; xii, 6-7, 2129 ; xliii, 8-13 ; xi.iv, 6-20 ; xlv, 5-7 ; xlvi, 1-7 ; xlviii, 12-16, etc. D’autre part, plusieurs détails font voir que l’auteur ne vit pas en Chaldée, mais qu’il écrit en Palestine. Jérusalem est encore debout, le temple existe toujours et l’on y offre des sacrifices, lxvi, 3. Parlant d’Abraham, le prophète rappelle que Dieu l’a appelé des extrémités de la terre, xli, 8-9, expression qui ne se comprendrait pas, s’il écrivait en Chaldée, pays d’origine du grand patriarche. Exhortant les captifs à profiter de la faveur de Cyrus, et à quitter Babylone. il ne leur dit pas « sortez d’ici », mais » sortez de là » ; il n’habite donc pas Babylone. lii, 11.

Si ces constatations étaient exactes, elles seraient manifestement incompatibles avec celles que nous avons relevées plus haut, et qui occupent, de l’aveu de tous, une place prépondérante dans la seconde partie d’Isaïe. Ce recueil deviendrait une énigme indéchiffrable, tant pour les contemporains d’Isaïe que pour les exiles de Babylone. Ce serait une juxtaposition d’oracles disparates, sans aucun lien entre eux, où le prophète passerait brusquement, sans ménager aucune transition, des Israélites du huitième siècle à ceux du sixième. Quel serait le lil d’Ariane qui nous guiderait (laie, le labyrinthe de la seconde partie d’Isaïe ? Il faudrait se résoudre alors à y reconnaître de fréquentes et co Interpolations.

Mais les faits sont-ils bien interprétés ? Les choses anciennes prédites depuis longtemps, que Jahvé seul peut prévoir, c’esl entre autres l’exil annonce par les

prophètes antérieurs connue châtiment des péchés du peuple. Parmi ces péchés, la seconde partie d’Isaïe rappelle miMiil l’idolâtrie, l’infidélité, l’apostasie. I hoseï nouvelles, que le prophète annonce main te » l’avènement de Cyrus et la fin de la cap tivité. Les n prochl s <]uc le prophète adresse a ses lecteurs peuvent parfaitement se comprendre pendant l’exil, i’étude des prophéties d’Ézéchiel nous montre

que la In. il ion religieuse des déportes n’était pas brillant. |n’c ll(.iail ses uni. les et ses tache

cultes idolâtriques exerçaient une véritable fascination sur les Israélites captifs, et le danger d’apostasie était grand. De là ces avertissements, ces objurgations, ces satires contre les faux dieux, ces parallèles qui ont pour but de faire ressortir la transcendance, la toute-puissance, l’omnisciencc de Jahvé. — - Aucun passage de la seconde partie d’Isaïe ne suppose vraiment l’existence de Jérusalem et du temple de Salomon, mais peut-être la reconstruction de Jérusalem et le second temple. Le chapitre lxvi débute par un avertissement aux constructeurs de la Jérusalem nouvelle : Jahvé n’a pas besoin d’une demeure faite de main d’homme, le ciel est son trône. Le culte purement extérieur ne lui est pas agréable ; le vrai culte qui l’honore est de nature spirituelle comme lui : c’est l’humilité, l’obéissance, l’amour du prochain. — Enfin, quand le prophète dit que Dieu a appelé Abraham des extrémités de la terre, il songe au pays de Chanaan où Jahvé le conduisit au terme de son pèlerinage. Et quand, s’adressant aux exilés de Babylone, il leur crie « sortez de là », son langage suppose seulement qu’il n’habite pas Babylone ; il ne prouve pas qu’il habitait Jérusalem, au viiie siècle.

b. Tendances doctrinales. — La seconde partie d’Isaïe présente, de l’avenir messianique, une conception différente de celle de la première parlic. Le Roi-Messie décrit d’une façon si caractéristique, comme rejeton de la tige de Jessé, dans les chapitres vii, ix et xi, n’apparaît plus ici. Seul le chapitre lv, 3 parle des grâces assurées à David, et encore s’agit-il probablement d’une translation au peuple, des promesses faites à David. Au lieu de l’Emmanuel, du rejeton de David, du roi futur, c’est le serviteur de Jahvé, le médiateur du salut spirituel qui est au premier plan dans toute cette partie. La doctrine du « Reste qui se convertira » si fréquemment affirmée dans la première partie, ne revient que rarement et d’une manière implicite. Lix, 20 ; lxv, 8-9. Les espérances messianiques sont plus grandioses, plus universalistes, xlii, 6 ; xlix, 6, le monothéisme plus transcendant, xl, 18, sq. Par contre, les tendances légalistes sont plus accusées : l’importance accordée à la célébration du sabbat, lvi, 2 sq. : lviii, 13 ; comparer avec i, 11, 15, la nient ion des prêtres, lxi, 6 ; lxvi, 21, des prosélytes, lvi, 3, 6, la qualification de Jérusalem comme » sainte », etc. Ces conceptions et ces préoccupations sont celles d’un prophète de l’exil, comme le montre la comparaison avec Ézéchiel. Les défenseurs de l’authenticité les expliquent par la diversité de circonstances, de but, de temps, de destinataires, de sujets traités. Ils reconnaissent d’ailleurs, comme nous l’avons vii, que l’auteur de la seconde partie d’Isaïe vit en esprit au temps de l’exil, et écrit pour les exilés.

c. Style et vocabulaire. — Les différences de style entre les deux parties d’Isaïe se remarquent même dans une bonne traduction. D’une façon générale, le style de la seconde partie est plus simple, plus coulant, plus clair, mais moins puissant que celui de la première. Il se caractérise par un symbolisme spécial, l’introduction de morceaux hymniques, le retour fréquent suides sujets déjà abordés précédemment, certaines appositions constantes au nom de Jahvé, comme Jacob ou Israël, la répétition des mêmes paroles, par exemple, consolez, consolez mon peuple, etc.

On fait les mêmes constatations pour le vocabulaire, la terminologie et la langue. Une dizaine de tenues et de tournures de phrases, totalement étrangers à la première partie d’Isaïe, si l’on excepte les passages que d’autres raisons forcent à rapporter à une époque plus récente, se rencontrent souvent dans les 27 derniers chapitres : bâliar, choisir ; hillêl, louer ; hâfes, préférer ; pdsatl, exulter ; sâmah, pousser un rc jeton, au sens figure ; râsôn, se complaire ; S us, se rc [SAIE, DOCTRINE

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jouir ; etc. Une dizaine de locutions fréquentes dans la

seconde partie ne reviennent que rarement dans la première, ou chez les prophètes prèexiliens, et parfois avec un sens différent, comme’Ebéd Jahoé, sédéq, scddqâh, dans le sens de salut ; sâdaq, dans le sens d’être vrai, d’avoir raison, etc. Plus de trente-cinq expressions se rencontrent dans la première partie, qui ne reviennent jamais dans la seconde. D’autres, comme « en ce jour », reviennent plus de trente fois dans la première partie et une fois seulement dans la seconde, lii, 6. La tournure « il se fera, affectionnée par Isaïe, ne revient que deux fois dans la seconde partie. L’hébreu de cette seconde partie sans être aussi entaché d’aramaïsmes que celui de Jérémie et d’Ézéchiel, n’est cependant plus aussi pur que celui des écrivains du vme siècle, en particulier d’Isaïe. D’ailleurs, dit-on, la pureté relativement grande de la langue des 27 derniers chapitres ne prouve pas nécessairement en faveur de leur antiquité : certains psaumes récents, le livre des Paralipomènes lui-même, sont encore écrits dans un hébreu assez pur.

Au jugement des partisans de la tradition, ces différences de style et de vocabulaire ne permettent pas de conclure à la diversité d’auteurs. Ils les expliquent par la nature différente des sujets traités, par l’âge du prophète. Isaïe aurait composé la seconde partie de son livre vers la fin de son ministère prophétique, et au cours de sa longue carrière, son style, son vocabulaire et sa langue ont pu se modifier quelque peu. — Mais nous possédons aussi, dans la première partie d’Isaïe, des oracles datant de la fin de son ministère, alors que le prophète devait avoir plus de soixante ans, et ces oracles ne se distinguent pas, pour la forme, des prophéties antérieures. Isaïe a-t-il donc changé de manière dans son extrême vieillesse ? On a soutenu aussi que la première partie renfermait le résumé des prédications d’Isaïe, ce qui leur donnerait quelque chose de vivant, d’animé, tandis que les chapitres xl-lxvi auraient été écrits sans avoir jamais été prêches. Mais la différence que l’on constate entre les deux parties il’Isaïe n’est pas précisément celle qui existerait entre la parole vivante et chaleureuse d’un orateur populaire et l’œuvre mesurée d’un écrivain.

Après avoir expliqué les différences, les défenseurs de l’authenticité insistent sur les affinités littéraires incontestables qui existent entre les deux parties du livre d’Isaïe. Ils relèvent aussi un certain nombre d’expressions, caractéristiques d’Isaïe, qui se rencontrent indifféremment dans les deux parties, comme la dénomination de t Saint d’Israël » donnée à Dieu : elle revient dix-sept fois dans la première partie, maisaussi treize fois dans la seconde. Les critiques répondent que l’écrivain de xl-lxvi a connu les prophéties d’Isaïe, dont il a certainement été l’admirateur, le disciple et le continuateur, et qu’en tout cas, les ressemblances entre les deux parties ne prouveraient pas autant pour l’unité d’auteur, que les différences, pour la diversité.

En présence de la complexité du problème que soulève l’authenticité de la seconde partie d’Isaïe, on reconnaîtra que la Commission biblique agit sagement en maintenant, jusqu’à plus ample informé, la thèse traditionnelle de l’attribution à Isaïe. A cette question : Ulrum admilti possil… secundam parlem libri Isaise in qua vales non Judœos Isaiæ eequales, at Judœos in exsilio bnbylonico lugentes oeluli inler ipsos vivens alloquitur et solatur, non posse ipsum Isaiam jamdiu emortuum auctorem habere, sed oporlere eam ignolo cuidam vali inler exsuies viventi assignare ? elle a répondu par la négative. Et les deux réponses qui suivent précisent que les diverses raions, soit d’ordre philologique, soit d’ordre général) apportées en faveur de l’hypothèse critique, ne sont pas suffisantes pour emporter la conviction. Le texte de la Commission biblique dans

Denzinger-Bamrwart, Enchiridion, n. 2115-2119, et dans Cavallera, Thésaurus, n 108.

Pour l’immense majorité des critiques non catholiques, la question de l’authenticité isalenne des chapitres xl-lxvi ne se pose même plus a l’heure actuelle. Mais leur tâche n’est pas finie quand ils croient avoir démontré que ces chapitres ne sont pas d’Isaïe. D’autres problèmes se posent On parlait autrefois du Deutéro-Isaïe, du Grand Inconnu, de l’Anonyme de la captivité. Or, beaucoup de savants contemporains (Duhm, Cheyne, Marti, LIttmann, etc.) ont été amenés, par l’étude des caractères littéraires et religieux de cet ensemble de prophéties, à y distinguer deux groupes dus à des auteurs différents.

Le premier, comprenant xl-lv, appartient à la période exilique, antérieure à l’éditde Cyrus. C’est proprement le livre des consolations, ainsi qu’on l’a défini avec beaucoup de justesse. On donne à l’auteur qui l’a composé le nom de second Isaïe. Ce groupe n’a cependant pas été écrit d’un seul jet. Un examen attentif des circonstances historiques supposées prouve que les chapitres xl-xlviii doivent se placer en 547-546, à l’époque où Cyrus s’avançait triomphalement contre Crésus, tandis que les chapitres xlix-lv précéderaient de peu la chute de Babylone.

L’autre groupe, formé des chapitres lvi-lxvi est un morceau postexilique. Les pièces qui s’y trouvent rassemblées ont été composées après l’édit de restauration de 538. C’est ainsi que lvi, 5-8 suppose manifestement un état de choses postérieur à la captivité : Jérusalem est habitée, le temple existe avec son culte et ses sacrifices. Plusieurs cependant croient encore retrouver dans ce groupe des morceaux du temps de l’exil, lx-lxii, même des morceaux du temps de Jérémie, repris et modifiés par un auteur postérieur, lvt, 9-lvii, 11 » ; lix, 3-15. Dans quelle mesure les chapitres lvi-lxvi peuvent-ils encore être attribués au Deutéro-Isaïe ? Ne faut-il pas admettre un TritoIsaïe ? Plusieurs, à la suite de Kuenen, Kittel, Cheyne, Cramer, songent plutôt à une école influencée par le Deutéro-Isaïe. On le voit, pour la solution du problème de la composition des chapitres xl-lxvi, on est loin d’obtenir parmi les critiques l’unanimité qu’on rencontre dans la négation de l’authenticité isaïenne de ces mêmes chapitres.

III. Doctrine du livre d’Isaïe. — Nous exposerons séparément les enseignements des deux parties du livre d’Isaïe.

I. LA première PARTIE.

Nous étudierons succinctement

les attributs divins et les conceptions de la vie d’outre-tombe., puis nous consacrerons un développement plus considérable aux prophéties messianiques.

Les attributs divins.

 La doctrine de la première

partie du livre d’Isaïe touchant l’unité, la toute-puissance, la souveraineté absolue, la providence universelle de Jahvé, la nullité des idoles est trop claire pour que nous nous y arrêtions. Il faudrait en citer tous les chapitres. Toute l’activité prophétique d’Isaïe se reflète dans la vision inaugurale de son ministère et lui emprunte un cachet particulier : Isaïe est le prophète de la sainteté de Jahvé. L’expression qu’il emploie de préférence pour désigner Dieu, c’est le « Saint d’Israël ». Il s’efforce par tous les moyens de faire prévaloir la conception singulièrement élevée qu’il se fait de la sainteté de Jahvé. Essayer de préciser cette notion, c’est caractériser en même temps le contenu essentiel de la prophétie d’Isaïe.

Une créature est sainte quand elle est mise à part pour un but religieux, quand elle est consacrée à I)ieu. Saint est plutôt opposé a profane qu’a souillé, f l’idée primitive de séparation découle natur< llement celle de pureté, d’absence de souilllure. (tue n IS atta I- ||. PROPHÉTIE Dl. L’EMMANUEL

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(lions le plus souvent a ce mot. Cette double idée de séparation et de pureté se retrouve également dans la sainteté qu’Isaïe attribue à.lalivé. Elle comprend ce que nous appelons la sainteté morale, c’est-à-dire, la pureté parfaite, l’inaccessibilité au mal, l’horreur pour le péché. En présence de cette sainteté, Isaïe se déclare perdu, parce qu’il est un homme aux lèvres souillées, qu’il habite au milieu d’un peuple aux lèvres souillées, vi : l’impur ne peut subsister en face de l’Être très saint et très pur, l’homme ne peut voir Dieu sans mourir. Cf. Ex., xxxiii, 20. Mais la sainteté de Dieu, c’est aussi son absolue perfection qui le sépare et le met infiniment au-dessus de toute créature ; elle embrasse toutes les supériorités. Proclamer que.lahvéest saint, c’est reconnaître sa majesté suprême, son absolue transcendance, son universel domaine, sa toute-puissance, sa sagesse et sa miséricorde. Inculquer cette double notion de la sainteté et en déduire les conclusions pratiques qu’elle comporte, c’est tout le ministère d’Isaie.

Parmi tous les peuples, Dieu s’est librement et spécialement attaché Israël sur lequel sa Providence avait desdesseinsparticuliers. Is., 1, 2-4 ; ii, 5-G ; v, l-7 ; xix, 25 ; xxix, 22-21 ; xxxi, 5-6, etc. Dieu a donné à son peuple une loi, un enseignement, dont il exige la pratique, ri, 3 ; v, 21 ; xxx, 9. Israël doit servir Jahvé avec une piété sincère et profonde ; la fidélité routinière et orgueilleuse aux pratiques extérieures du culte est en abomination devant Jahvé. Ce ne sont pas les sacrifices qui l’honorent, mais l’accomplissement des lois .morales, i, 10-20. Ailleurs, xix, 21, Isaïe déclare que les sacrifices sont agréables à Jahvé. Isaïe ne connaît qu’un seul sanctuaire légitime, celui du temple de Jérusalem. Sion est la montagne de la maison de Jahvé. C’est de là que Jahvé manifeste ses volontés et exécute ses desseins. C’est là que les peuples viendront lui présenter leurs hommages ; c’est là quc se trouve la fournaise de sa colère, ii, 1- : î ; xvin. 1-7 ; xxxi. 9. Le temple de Jérusalem est le seul héritier légitime du tabernacle, les autels multiples sont condamnés, iv, 5 ; xvii, 8 ; xxxiii, 2 i si|.

Israël coupable, pécheur, incrédule, sera durement chat ié et expiera douloureusement. Cependant les desseins providentiels s’accompliront. Israël ne sera pas anéanti, mais purifie par le châtiment. Un reste survivra à l’épreuve, et deviendra le noyau d’un peuple nouveau. Isaïe est par excellence le prophète du Reste. i, 24-28 ; iv, 2-6 ; vi, 8-13 ; vii, 3 ; x, 20 ; xxvi ; xxxvii, 31.

La vie d’oulre-tombe.

On reconnaît généralement

l’importance du chapitre xiv d’Isaie, OÙ sont décrites la chute du roi de Habylone et sa descente au séjour des morts, pour l’étude des conceptions de la vie d’outre-tombe chez les anciens hébreux. Il ne faut cependant pas perdre de vue que nous sommes en présence d’un chanl poétique, non d’un exposé doctrinal, cl il y aurait sans doute quelque inconvénient à prendre a la lettre les h perboles du prophète et ses personnifications. Le Bchéôl esi une fosse creusée dans les profondeurs de la terre, distincte du sépulcre. Le roi de Habylone, sans sépulture, et les rois des nations, chacun dans sa demeure, se rejoignent cependant au BChéul, sorte de réceptacle commun, séjour peu enviable, où disparait toute majesté, OÙ règne le Silence, OÙ habitent les vers, où les hommes survivent dans un étal de grande faiblesse, comme

des ombres qui sommeillent mais qu’un grand événement peut cependant réveiller. On dirait que ces

ombres peuvent alors communiquer entre elles, a moins que ces détails ne dussent être mis au compte des prosopopées poétiques. <>n ne voii nulle différence

dans le loi’réserve a ces ombres. Il n’est pas dit que le roi de Babylone descende dans des régions plus profondes du Si béôl ; rien n’indique que la condition y soit

en rapport avec la moralité de la vie. Le châtiment spécial du roi de Babylone, qui a ruiné sa terre et tué son peuple, consiste plutôt dans le fait qu’il est jeté loin de son sépulcre, comme un vil rameau, tandis que les rois des nations reposent avec honneur, chacun dans son tombeau. Telles nous paraissent être les données du chapitre xiv d’Isaie sur le schéôl. On les retrouvera à peu près identiques chez Ezéchiel, lorsqu’il chante la descente de Pharaon aux enfers, xxxii 17-31.

Les prophéties messianiques.

1. Avènement d’uR

royaume nouveau : Isaïe est par-dessus tout le prophète messianique. Avec le reste sauvé, noyau d’un grand peuple, Jahvé conclura une alliance nouvelle dont les bienfaits s’étendront aussi aux nations. Il établira son royaume universel de paix, de sainteté, de justice. Isaïe décrit fréquemment les splendeurs de l’ère nouvelle. Il faut distinguer, dans ces descriptions messianiques, la substance des accidents, et parmi ceux-ci, l’on peut ranger la forme dans laquelle est représentée cette époque de bonheur, le temps qui lui est parfois assigne, ii, 2-4 ; iv, 2-6 ; viii, 23-ix, 6 ; xi-xii ; xvin, 7 ; xix, 16-25 ; xxiii, 15-18 ; xxiv-xxvii ; xxviii. 23-29 ; xxix, 17-24 ; xxx, 19-33 ; xxxii, 1-8 ; 15-20 ; xxxiii, 17-24 ; xxxv.

2. Le chef du royaume nouveau.

Isaïe ne se contente pas d’annoncer l’avènement d’un royaume nouveau, il en présente aussi le chef dans le rejeton de David, le roi Messie, le fils de la Vierge. Ces prédictions d’un caractère plus précis, par le fait même aussi plus importantes, et qui nous retiendrons plus longtemps sont contenues dans les chapitres vi à xii. Dans la première section du livre, ces chapitres vi à xii forment un groupe spécial, d’un genre plus narratif et plus personnel que les morceaux qui le précèdent. Ce petit recueil, qui a peut-être été publié d’abord séparément, et auquel le récit de la vocation au chapitre vi formerait une introduction appropriée, contient des discours se rapportant au début et à la fin du ministère d’Isaïe. Il nous montre le rôle politique joué par le grand prophète sous les règnes d’Achaz et d’Ézéchias, et nous fournit presque tous les renseignements biographiques que nous possédons sur la famille d’Isaïe. Mais d’autres particularités encore recommandent ces chapitres à notre attention. Au chapitre vii, verset 14, est annoncée la naissance d’un enfant qui sera appelé Emmanuel, et ce nom prophétique revient encore deux fois au chapitre viii, 8 et 10. Le chapitre ix, 5-6, chante la naissance d’un enfant qui porte des noms merveilleux et sur les épaules duquel repose l’empire..Enfin, le chapitre xi nous montre le rejeton sorti de la tige de Jessé, dans son rôle de juge parfait et de roi pacifique. Le retour périodique de cette allusion à un enfant mystérieux donne également à ces chapitres un cachet spécial qui les a fait nommer le livre de l’Emmanuel. Nous étudierons le caractère messianique de ces trois passages Voir ail. Emmanuel, t. iv, col. 2430-2140.

</) Contexte général des deux premiers j>assages. — Les deux premiers textes appartiennent au même contexte historique, celui des chapitres vii-ix, 6. Le chapitre vu nous transporte au début de la guerre syro éphraïmite, alors que l’armée d’Aram est campée en I’phraïm. que Rasinet Phacéc vont marcher contre Jérusalem pour détrôner Achazellui substituer le fils de Tabeel. A celle nom elle, le cœur du roi et le cœur de son peuple (remirent comme les arbres de la forêt fre missent sous le souille du vent. Achaz s’étant rendu à l’extrémité du canal de la piscine supérieure, sur le chemin du champ du foulon, sans doute pour surveiller les travaux de défense ou pour voir comment la ville pourrait s’approvisionner d’eau en cas de siège, Isaïe reçut l’ordre de Dieu de l’y rejoindre avec Sear r> I

nul’Il ET I E Dl. i : EMMANUEL

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J.ï-ûb son lils, et de lui parler au nom de Jahvé : « Cela ne tiendra pas, cela ne sera pas » dit le Seigneur Jahvé, après avoir rappelé le mauvais dessein des alliés ; et Achaz est solennellement invite par Isaïe à demander un signe, un prodige éclatant qui le convaincra de la ferme volonté qu’a Jahvé de sauver son peuple. Mais le roi incrédule se dérobe sous le prétexte hypocrite de ne pas vouloir tenter Dieu. Le véritable motif de son refus nous est connu par le livre des Rois, IV Reg., xvi, 7-8. Achaz a décidé d’envoyer à Téglath-Phalasar le message suivant : Viens et délivremoi des rois de Damas et d’Israël. Isaïe est au courant de cette résolution ; cette défiance vis-à-vis de Jahvé, et cette politique païenne funeste à Juda l’exaspèrent : il annonce à Achaz que Dieu lui-même donnera un signe a la maison de David, mais un signe d’une tout autre nature que celui que le roi aurait pu obtenir d’abord. Toutefois, ce nouveau signe, connu 1 le premier, devra démontrer à Achaz que Jahvé veut sauver ion peuple par lui-même, sans le secours des hommes ; et le prophète, avant d’apporter le signe, afïirme encore une fois solennellement cette volonté salvifique du Dieu d’Israël, en prédisant la naissance surnaturelle de l’Emmanuel, garantie du secours divin : « Voici que la Vierge a conçu et elle enfante un fils et elle l’appelle Emmanuel. >v 14. Quant au signe, c’est la dévastation prochaine du pays, le misérable état auquel Juda sera réduit par ceux-là même en qui Achaz avait placé ? toute sa confiance, qu’il appelait à son secours, dont il attendait la libération et le ^dut, 15 à 25.

Le morceau suivant, viii-ix, G développe le même thème, suit à peu près la même marche, et se rapporte aux mêmes circonstances historiques que le chapitre mi. Isaïe prédit d’abord l’échec de la coalition syroephraïmite, vni, 1-4 : dans un espace d’environ deux ans, les royaumes de Damas et d’Israël seront menacés de devenir victimes des Assyriens. Cette prédiction est faite d’une intéressante façon. A la naissance d’un de ses enfants, Isaïe reçut l’ordre de lui donner le nom de Mahèr-àlal-hâs-baz (Prompt-butin-Proche-pillag >) et la portée symbolique du nom est expliquée : avant que l’enfant sache dire : papa, maman, on portera les richesses de Damas et le butin de Samarie devant le roi d’Assur. Mais déjà avant la conception de l’enfant, le prophète avait dû graver le nom fatidique en gros caractères, sur une grande tablette, en présence de témoins dignes de foi. La ville de Damas est tombée en 732 ; la conception et la naissance du fils d’Isaïedont le nom présage la chute de cette ville doivent se placer vers 734.

Les ennemis d’Achaz ne l’emporteront pas, mais Juda lui-même sera dévasté par le torrent assyrien. Comme au chapitre vii, le prophète laisse clairement voir la répercussion qu’aura en Juda l’immixtion de l’Assyrie dans les affaires de Palestine, viii, 5-10 : Ce peuple a méprisé les eaux de Siloé qui coulent doucement ; voici que le Seigneur amène sur lui les eaux du fleuve, larges et puissantes, elles recouvrent toute l’étendue de ton pays, ô Emmanuel ! Mais les projets ennemis n’aboutiront pas, et cela précisément à cause d’Emmanuel.

Après un morceau d’ordre intime, 11-20, où Isaïe, fatigué de s’adresser à un peuple incrédule, déclare qu’il va confier ses instructions écrites à ses fidèles disciples, le discours revient à la description de l’invasion assyrienne, 21-22. On décrit l’angoisse, la famine, la détresse qu’amène cette invasion. Mais après l’humiliation viendra le gloire : viii, 23-ix, forment un contraste voulu avec le sombre tableau des versets précédents. L’angoisse et les ténèbres feront place à la lumière et à la joie, l’oppression a la délivrance, la guerre à la paix quand apparaîtra et régnera le Messie

libérateur, le Prince issu de David dont le quadruple nom est : Merveilleux conseiller, Dieu fort, Père à jamais. Prince de la paix.

Après avoir replacé dans leur cadre historique les deux prophéties messianiques de vii, 14 et de îx, 5-6, il nous reste à justifier l’interprétation sommaire que nous venons d’en donner.

b) La prophétie de la naissance d’Emmanuel, Is., vii, 14. — Nous aurons à rechercher qui est, dans l’esprit du prophète, cet Emmanuel dont la naissance est attendue ; ensuite, quel caractère particulier revêt sa conception et sa naissance ; enfin quelle est la place de cette prophétie dans le contexte du chapitre vu.

a. Qui est Emmanuel ? — Tout a été mis en œuvre pour reconnaître l’enfant annoncé par Isaïe et qui portera le nom d’Immanu-El, et les identifications les plus diverses ont été proposées.

a) Les anciens juifs, au témoignage de saint Jérôme, y voyaient Ezéchias : Hebrsei hoc de Ezechia, filio Achaz, prophetari arbitrantur, P. L., t. xxiv, col. 109. Cf. Justin, Dial, n. 66, 68, 71, 77. P. G, t. vi, col. 628, 633,. 644, 656. Quelques modernes, se rallient à cette opinion. Tout semble indiquer, disent-ils, qu’il s’agit d’Ézéchias. Il était fils de roi, de la race de David. Il a grandi sous les yeux d’Isaïe : enfant au début du règne d’Achaz, il était arrivé à l’âge d’homme au moment de la grande invasion assyrienne de Sennachérib. Ses voies n’étaient pas celles de son père : pieux, juste, confiant dans le secours de Dieu, il mérita d’être délivré par un éclatant miracle. La version des LXX favorise cette interprétation. D’après elle, en effet, le prophète s’adressant à Achaz, dirait : Tu l’appelleras, xaXécreiç, du nom d’Emmanuel. [Achaz donne à l’enfant le nom qu’il doit porter, c’est donc qu’il s’agit de son fils.

Emmanuel n’est pas Ezéchias. La leçon du texte grec ne l’emporte pas sur celle du texte massorétique : il est reconnu que la version des LXX du livre d’Isaïe est d’une manière générale assez défectueuse. D’ailleurs, Ezéchias devait être né au moment où Isaïe prononça cet oracle. Saint Jérôme le faisait remarquer déjà : Quomodo… de Ezechise conceptu dicitur et nativilale, cum eo lempore quo regnare cœpit Achaz, jam novem Ezéchias esset annorum ? (loc. cit.) Les difficultés chronologiques qui entourent l’avènement d’Ézéchias ne permettent plus aux exégètes modernes de proposer cet argument avec la même assurance que Jérôme. Il nous semble pourtant n’avoir pas perdu sa valeur. Trois passages bibliques sont en conflit pour la date de l’avènement d’Ézéchias. D’après IV Reg., XViïi, 9-10, Samarie a été prise la 6e année d’Ézéchias, ce qui nous conduit pour l’avènement de ce prince en 727. Il devait donc être né en 734 lors de la guerre syro-éphraïmite, d’autant plus que la Bible, IV Reg., xviii, 2. le fait monter sur le trône à l’âge de 25 ans. Mais, d’après IV Reg xviii, 13, l’invasion de Sennachérib en Juda eut lieu la quatorzième année d’Ézéchias. Or Sennachérib monta sur le trône en 705 et son expédition en Palestine eut lieu en sa troisième année, en 702 (cylindre de Taylor). Il faudrait donc dater l’avènement d’Ézéchias d’environ 715. S’il avait 25 ans à son avènement, Isaïe n’a pas pu prédire sa naissance en 734. Mais on ne peut dater le règne d’Ézéchias de 715 ; l’invasion assyrienne de 702 ne tombe pas la quatorzième année d’Ézéchias ; nous avons dit plus haut que cette indication chronologique convient à la maladie d’Ézéchias, mais ne peut d’aucune façon se rapporter a l’expédition de Sennachérib. Il faut donner la préférence à la notice de IV Reg., xviii, 9-10 sur celle de IV Reg., xviii, 13. On ne peut yuère tailler non plus sur les seize ans de iègn< que IV Reg., xvi, 2 assigne à Achaz, pour dater l’avènement d’Ézéchias de 719, son père n’ayant pas occupé le I rône avant 735. Cette date serait à la fois en outra

diction avec les deux autres passages des Rois. On obtient au contraire l’harmonie entre IV Reg., xvi, 2 et IV Reg., xviii, 9-10, en lisant six ans, au lieu de seize, dans le premier passage. Notons encore que la vraie Interprétation de l’oracle d’Isaïe contre les Philistins, ls., xiv, 28 m]., fait coïncider l’année de la mort d’Achaz avec celle de la mort de Téglath-Phalasar. Or le monarque assyrien disparut en 727, ce qui confirme la donnée de IV Reg., xviii, 9-10 pour l’avènement d’Ézéehias en 727. En tout état de cause, on voit que la naissance de ce monarque doit être antérieure à 734 et que le prophète n’a pu alors l’annoncer comme prochaine.

Le nom d’Emmanuel (Dieu avec nous) exprime tout au moins le souvenir ou l’espoir du salut. Il semble même qu’Emmanuel soit lui-même le roi-sauveur. Nous n’argumentons pas pour le moment du rôle réserve a l’enfanl du chapitre ix, ou au rejeton de David du chapitre xi, nous nous en tenons aux chapitres vil et vin qui seuls parlent strictement d’Emmanuel. Au chapitre vii, nous ne rencontrons que le nom avec sa portée figurative, mais au chapitre viii, S, Emmanuel apparaît comme roi de Juda, et au verset 10, comme garantie absolue du salut de la nation : « Armez-vous, tous serez consternés 1 Préparez un plan, il sera détruit I Formez un projet, il ne tiendra pas, à cause d’Emmanuel (kl’immânuEl). » Or, on ne voit pas très bien pourquoi Ézéchias recevrait un nom qui soit un souvenir ou un gage de salut, encore moins à quel titre Ézéchias serait présenté comme roi-sauveur. Isaïe voudrait-il dire qu’Achaz pourra appeler son fils Emmanuel en reconnaissance ou en espoir de la délivrance du péril syTO-éphralmite ? Mais au chapitre vii, après le refus d’Achaz, il n’est plus question de cette délivrance, niais au contraire des maux qui vont fondre sur Achaz, sa maison et son peuple. Il faudrait dire aussi qu’Ézéchias-Emmanuel fait double emploi avec le second lils d’[sale, dont le nom Prompt butin-Proche pillage symbolise le châtiment de Damas et de Samarie. Achaz devrait-il donnera son fils le nom d’Emmanuel, gage de la délivrance du péril assyrien ? Mais il n’est pas question de cette délivrance dans l’entretien du prophète et du mi, mais bien des ravages que l’Assyrien va exercer en Juda. Enfin, le titre de roi-sauveur ne convient d’aucune façon a Ézéchias. Au lieu d’être le salut d’Israël, il doit demander lui-même à Dieu sa délivrance, el en être averti par la bouche d’Isaïe ; il se compromet avec les ambassadeurs du patriote babylonien M » rodach-Baladan ; il s’effraie et pleure comme un enfant a la nouvelle de sa mort prochaine. Mais peut-être l’histoire n’a-t-elle pas répondu à l’attente prophétique, el Ézéchias ne fut-il pas l’homme qu’Isaïe espérait ? Dans ce cas. le prophète, conscient de sa déception, n’aurait pas laisse subsister ses oracles démentis Le Talmud, traité Sanhédrin, 94 », nous dit

que Dieu VOUlail fane d’ÉzéchlaS le Messie, mais que

ci n’en [ul pas trouvé digne. Cette interprétation a au moins le mérite de reconnaître que l’Emmanuel

promis n’est autre que le Messie

Si Emmanuel désigne Ézéchias, pourquoi Isaïe appelle-t il sa noir la’almdh ? Ce mot, comme nous le verrons, indique une jeune Bile nubile ; pourquoi nommer ainsi Abi, fille de /aeharias, IV Reg., XVIII, 2 ?

Pourquoi Isaïe ne dit Upa à Vchaz : ton épouse ou la relni’l’une jeune fille quelconque du ha rem d’Vchaz, pourquoi Isaïe l’appelle-t-il lu jeune fille "i donne-t-Il ce nom vulgaire à celle qu’il sait l’héritier du trône ? De plus,

somme nous le dirons plus loin aussi, le langage solennel du prophète : i voici que la jeun, fille est enceinte

et met au monde un fils semble bien oncer un

mystère i m. la conception et la naissance d’Emmanuel. Or, Il n’y eut sans aucun doute rien de particu lier ni d’extraordinaire dans la naissance d’Ézéchias.

3) Saint Jérôme rappelle une autre opinion ancienne, celle qui fait d’Emmanuel un fils d’Isaïe : Quidam de nostris Isaïam prophelam duos filios habuisse contendtt. Jasub et Emmanuel, et Emmanuel de prophetissa uxorc ejus generatum in typvan Domini Salvatoris, In ls., P.L., t. xxiv, col. 1(19-110. Cette opinion a été défendue par quelques docteurs juifs, comme Aben-Esra et Jarchi, par des protestants, comme Grotius, Gesenius, Hitzig. Meinhold, etc., et par quelques catholiques, disciples de ce quidam de nostris dont parle saint Jérôme. Elle s’appuie d’abord sur l’analogie qui existe entre vii, 14, d’une part, et de l’autre, vii, 3 et viii, 3 où deux autres enfants d’Isaïe reçoivent un nom symbolique et sont donnés comme signes. Isaïe ne dit-il pas, viii, 18 : Nous voici, moi et mes fils… signes et présages en Israël ? » L’exégèse en question allègue aussi, au moins pour se réfugier dans un sens messianique typique, les difficultés que suscite le contexte contre un sens messianique littéral. Elle nous paraît cependant inadmissible. D’aucune façon Emmanuel ne peut être un fils d’Isaïe. Plusieurs des raisons que nous avons apportées contre l’ident i fication Emmanuel-Ézéchias valent aussi contre le fils d’Isaïe. Le prophète n’appelle pas sa femme hâ’almâh, mais la prophétesse, viii, 3 ; la naissance d’un fils d’Isaïe ne présente rien d’extraordinaire ; comment le fils d’Isaïe serait-il appelé souverain du pays, viii, 8 ? Emmanuel ne serait qu’un double de Mahêr >âlâl-ha v baz. Lors de sa rencontre avec Achaz, le prophète est déjà accompagné d’un de ses fils au nom prophétique. Seâr-Ja§ûb ; il n’est guère vraisemblable qu’il ait annoncé à Achaz la naissance prochaine d’un autre, qui figurerait également le salut, et cela d’une manière certainement inintelligible pour le roi. Dira-t-on qu’Emmanuel, fils d’Isaïe, est un type du Messie ? Si Isaïe n’a pas eu conscience de sens typique, si en parlant de son enfant, il a annoncé le Messie sans le savoir, comme le fera plus tard Caïphe, Joa., xi, 51, les arguments de tantôt reviennent, et le prophète a donné à son fils des qualificatifs et des titres qui ne lui conviennent pas. Savait-il au contraire que son fils représentait le Messie, et parlait-il de lui en tant que figure du Messie ? Cela revient à dire que le sens messianique est le sens littéral des paroles d’Isaïe. Nous verrons d’ailleurs que les difficultés soulevées par le contexte contre le sens messianique littéral sont sérieuses, sans doute, mais non insurmontables.

y) Nous ne nous arrêtons pas à discuter l’explication allégorique de vii, 14, défendue par Hofman, d’après laquelle la’almdh serait une personnification de la maison de David, et l’Emmanuel représenterait l’Israël nouveau, ou symboliserait simplement la délivrance. Il est trop clair qu’il s’agit d’un individu déterminé et même d’un roi, fils de David.

8) L’explication la plus répandue dans les milieux non catholiques est celle qui voit dans la’almdh une femme quelconque, et dans l’Emmanuel, un enfant quelconque. La désignation de l’enfant qui doit naître n’est pas en question, disent les tenants de cette hypothèse, et le prophète ne pense à aucune personne en particulier ; il n’y a là pour lui qu’une façon de parler pour indiquer la proximité de la libération et du salut. Celle explication est proposée avec des variantes, par Lowth, Gratz, Michælis, Eichhorn. I’auliis, Reuss, Kuenen, Smith, Chcync, Marti, etc. Voici SOUS quelle forme Duhin la présente : Le signe qu’Isai a donner a Achaz a essentiellement le même but que celui que le roi vient de refuser, annoncer le prochain échec des ennemis. Le signe ou la preuve que nous serons sauvés, dira-t-il, c’est que les femmes qui. d’ici a quelques mois, donneront le jour à un fils, pourront l’appeler Emmanuel, Dieu avec nous ; la retraite des armées alliées leur en fournira l’oc53

[S Il :. l’UOI’ll ET II-. DE I. I.ll M EL

casion. Achaz pourra rencontrer de ces enfants portant le nom d’Emmanuel, et ce nom lui rappellera sa propre incrédulité en même temps que la vérité de la prèdic-. tlon d’Isaïe. L’assurance du salut concrétisée dans le nom d’enfants qui vont naître bientôt, c’est là tout le signe que donne Isaïe pour la délivrance prochaine et certaine de l’invasion syro-éphraïmite. Das Buch Jesaia. Gôttingen, 1902, p. 50-51. Pour rendre son explication plausible, pour pouvoir maintenir sa conception de la nature du signe au verset 14, et de l’indétermination de l’Emmanuel, Duhmest forcé de faire dans le contexte des mutilations importantes : le verset 15 doit disparaître, parce qu’il est messianique et brise le lien entre 14 et 16 ; les versets 18-25, contenant des menaces pour Achaz, sont séparés du reste du chapitre, et attribués à un rédacteur qui a également composé le verset 17 pour servir de lien entre les versets 1-16 et 18-25, et rattacher ainsi les menaces de 18-25 aux menaces de 9 b : « Si vous ne croyez, vous ne subsisterez pas. « Enfin, le verset 8 du chapitre viii, où Emmanuel apparaît comme souverain du pays, doit être corrigé. L’image de l’oiseau étendant ses ailes sur la terre, 8 b, serait un reste d’une strophe perdue ou d’une citation. Il ne faudrait pas lire « sur ta terre, Emmanuel », mais t sur la terre, car Dieu est avec nous, f’/mmanii-éOi, comme à la fin du verset 10. Les mots car Emmanuel, comme tout le verset 15 du chapitre vii, avant de pénétrer dans le texte, ont peut-être été écrits eh marge par un lecteur attentif, partisan du sens messianique. Ces corrections violentes sont admises par Cheyne et Marti ; nécessaires dans l’explication de Duhm, elles n’en sont pas moins arbitraires et injustifiées. Après l’incrédulité et le refus d’Achaz, il ne semble pas qu’il faille s’attendre eni or à un signe rassurant de la part d’Isaïe, et un contexte de menaces est au contraire, comme nous le verrons, tout à fait en situation. Il ne s’agit plus d’une délivrance de l’invasion syro-éphraïmite, mais d’une dévastation du pays de Juda par l’Assyrie. D’ailleurs, le signe du verset 14 compris dans le sens de Duhm fait de nouveau double emploi avec celui de Mahêr>âlalau chapitre viii. Et puis, pour signifier que les femmes qui enfanteront un fils pourront l’appeler Emmanuel, quelle façon bizarre de s’exprimer : Voici que la jeune femme est enceinte et enfante un fils 1 Pourquoi la jeune femme ? Est-ce une personne déterminée ? Est-ce un collectif pour désigner toute la catégorie des jeunes femmes ?

e) Emmanuel n’est pas un enfant quelconque, comme le prétendent les critiques indépendants, et en ce sens, les explications anciennes sont justes. C’est un enfant bien déterminé, mais ce n’est ni un fils d’Achaz, ni un fils d’Isaïe, c’est le Messie. L’exégèse messianique d’Is., vii, 14 est de plus en plus abandonnée par les exégôtes protestants, même par des théologiens positifs comme Seeberg et Kôberle. Kautzsch, Die heiligen Schriflen des Allen Blindes, t. i, 525 ne la mentionne même plusl Seuls quelques panbabylonistes essaient de la faire revivre. On sait que d’après eux, les prophètes n’ont pas créé l’espérance messianique qui n’est qu’une forme de l’attente d’un sauveur qui flottait avant eux dans tout l’ancien orient. En particulier la’Almâh d’Isaïe n’est autre que la Virgo cœlestis donnant naissance au sauveur. L’apologétique chrétienne n’a pas grand chose à attendre de cette volte-face au sein du camp rationaliste. Par contre tous les exégètes catholiques admettent le sens messianique et, sauf quelques exceptions, le sens messianique littéral. Celuii ». rencontre déjà dans l’Évangile, explicitement dans saint Matthieu qui, après avoir rapporté la conception surnaturelle du Christ, ajoute, i, 22-23 : c Or tout cela arriva afin que fût accompli ce qu’avait dit le Seigneur par le prophète : « La Vierge concevra et enfantera un fils et on le nommera Emmanuel, c’est-à-dire Dieu

avec nous ; » implicitement dans saint Luc qui semble bien faire allusion à Is., vii, 14 et ix, 5 lorsqu’il rapporte la parole de l’ange à Marie, i, 31-32 : « Voici que vous concevrez en votre sein, et vous enfanterez un fils et vous lui donnerez le nom de Jésus. Il sera grand ; on l’appellera le fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il régnera éternellement sur la maison de Jacob et son règne n’aura point de fin. » Il est défendu par les premiers apologistes chrétiens, saint Justin, Apol., i, 33 ; P. G., t. vi, col. 381, Di’flL, n. 43, 66, 68, 71, 84, Ibid., col. 568, 628, 633, 644, 673 ; saint Irénée, Hæres., t. III, c. xxi, 4 ; t. IV, c. xxxiii, 11, P. G., t, vii, col. 950, 1080 ; Tertullien, Adv. Jud., c. ix, P. L., t. i, col. 617 sq

Le sens messianique typique, déjà mentionné par saint Jérôme sans être censuré, a été défendu par Tirinus, Richard Simon, Bossuet, dom Calmet, Le Hir, Schegg, etc., Voir les textes dans Knabjnbauer, Commentarius in Isaïam prophelam, t. i, p. 183-185. Le langage de ces auteurs n’est cependant pas toujours très clair ; ils n’attachent pas tous la même signification aux mêmes termes et il y a peut-être quelque risque à les ranger dans une seule catégorie. Nous le faisons en tant qu’ils paraissent s’écarter du sens messianique littéral et unique. Voici le jugement de Calmet sur le célèbre passage d’Isaïe auquel il a consacré une dissertation spéciale Explication de la prophétie d’Isaïe VU, 14, Paris 1704, p. 52-56 : » On peut donc envisager ces paroles : Une Vierge concevra et enfantera un fils dont le nom sera Emmanuel, ou dans un sens absolu et détaché du reste du discours ; et alors il marquera évidemment la naissance du Messie d’une mère vierge ; ou dans un sens respectif, et comme lié, et enclavé avec la prophétie qui regarde le fils d’Isaïe ; et alors il n’y aura que l’autorité de Jésus-Christ, des apôtres, des Pères et de l’Église, qui nous déterminera à détacher cette proposition, et les autres des chapitres suivants lesquelles regardent le Messie, du reste de la prophétie qui regarde l’enfant de la Prophétesse épouse d’Isaïe. »

L’explication messianique dans le sens typique est orthodoxe, dit Condamin, op. cit., p. 65 : Isenbiehl a été condamné en 1779 par un bref de Pie VI, parce qu’il ne la conservait même pas. Il croyait qu’il s’agissait du fils d’Isaïe, ou plutôt, d’après Knabenbauer, op. cit., t.i, p. 182, de l’enfant d’une jeune femme de l’entourage d’Achaz ou qui se trouvait là par hasard et dont le prophète aurait signalé la grossesse présente ou prochaine. Le texte du bref de condamnation dans Cavallera, Thésaurus, n. 109. — Le sens messianique typique ne nous paraît cependant pas soutenable. Il faudrait pouvoir déterminer quel est le personnage qui sert de type au Messie ; il faudrait que le langage du prophète aux chapitres vu et viii pût s’appliquer à ce personnage datis le sens propre et littéral, car le sens typique, ignoré de l’auteur humain, mais voulu par l’Esprit Saint et révélé dans le Nouveau Testament, doit avoir son point de départ et d’attache dans le sens littéral qu’il élève et vérifie au delà des prévisions du prophète. Il est inadmissible qu’un sens typique déterminé puisse se greffer indifféremment sur n’importe quel texte ou n’importe quel personnage de l’AncienTestament.Or.quel que soit le personnage qu’on suppose. être le type’du Messie, fils d’Achaz, fils d’Isaïe, enfant quelconque, l’application du langage prophétique se heurte toujours à des difficultés insurmontables. En particulier, d’après la citation de saint Matthieu, la prophétie d’Isaïe porterait tout d’abord sur la conception virginale du Messie. Si cette prophétie n’est messianique quedans lr n que, elle doit avoir eu un autre objet Immédiat t historique vise par le prophète : quel est l’enfant dont la conception virginal ervir de I le du DO

18AIE, PROPHÉTIE DE L’EMMANUEL

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Messie futur ? Si l’on admet le sens messianique d’isaïe vu, 14, il faut l’admettre comme sens direct, littéral, unique. Cette exégèse se recommande a plusieurs litres. Nous n’argumentons pas de la signification du nom d’Emmanuel, Dieu avec nous, comme si ce nom impliquait nécessairement l’Incarnation de Dieu, était par conséquent réserve au.Messie et ne pouvait être donné à un autre personnage ; mais nous reconnaissons qu’en fait ce nom s’est vérifié pleinement dans le Christ Dieu et homme, et sans doute plus rigoureusement et plus parfaitement que ne l’avait pu soupçonner le prophète. Nous n’argumentons pas non plus du caractère mystérieux qu’Isaïe paraît bien attacher à la conception et à la naissance d’Emmanuel, mais nous reconnaissons encore une fois que ce caractère mystérieux se rencontre éminemment dans la conception surnaturelle de Jésus.

L’application messianique d’fs., vii, 14 nous semble la seule qui réponde à tous les desiderata, qui vérifie uflisamment tout ce que le prophète nous dit d’Emmanuel :

a. Emmanuel est roi de Juda. l.e pays de Juda est regardé comme sa terre, viii, 8. Marti lui-même reconnaît que dans le cas seulement où Emmanuel serait le Messie l’on pourrait appeler Juda ou la Palestine sa terre ; et ne pouvant se résigner à voir le Messie dans Emmanuel, il préfère admettre la correction proposée par Duhm pour viii, 8.

p. Emmanuel apparaît à Isaïe comme le futur sauveur du peuple et comme la garantie du salut présent, vin, 10 : tous les complots que les ennemis pourraient tramer contre le peuple de Dieu seront vains à cause d’Emmanuel. Ce rôle de sauveur de Juda convient parfaitement au Messie et ne convient qu’à lui.

y. On est autorisé à expliquer la prophétie du verset 14 par celle de viii, 23-ix, 6, comme le fait saint Luc, i, 31-32. Elles datent de la même époque, se rapportent aux mêmes circonstances. D’un côté, il est question « l’un enfant annoncé à la maison de David, vii, 13, d’Emmanuel, personnification du secours divin, roi et sauveur de Juda ; de l’autre, d’un enfant présenté comme déjà né, d’un roi de la maison de David, ix, 6, qui porte les noms merveilleux de conseiller prodige, Dieu fort, père à jamais, prince pacifique ; qui brisera la verge d’Assur et sera une lumière de salut pour les tribus de Zabulon et de Nephtali. viii, 23-ix, 5. On peut rapprocher encore des chapitres vii-vm-ix, l’oracle quelque peu poslcrieurdu chapitre xi, où le prophète se tourne de nouveau vers l’ère de triompbe qui se lèvera un jour pour Sion, et voit s’élever la lige sortie du tronc d’isaïe qui mettra fin aux épreuves des nations et établira le règne de la paix. « L’Immanu-El de vii, M. dit Van Hoonackcr est le même que l’Immanu-EI libérateur de viii, 8, que l’enfant ou le fils glorieux de i., . r > s(|., que la tige soit ie de la souche de I ki vid de xi, 1 sq. Revue biblique, 11)04, p. 220. Cf. aussi Davidson et Condamin, op. cit., p. 63, Or, si l’on peut rapprocher pour le sens et éclairer l’un par l’autre ces oracles rapprochés dans le temps, lis circonstances et le contexte du livre d’isaïe, il n’y a plus le moindre doute sur l’identification messianique d’Emmanuel dans R. vii, 14.

S. Enfin, le texte de Michée v, l-. r >, où le Messie est clairement désigne, et qui fait manifestement écho à vii, 14, nous confirme dans l’interprétation messianique de ce passage : De Bethléem, ville de David, lui qui doit dominer sur Israël. Jabvé livrera son peuple Jusqu’au temps où cille qui doit enfanter

ait enfanté ce fila prédestiné qui gouvernera par la

puissance de Jahvé, par kl majesté du nom de Jahvé

mi Di( i, t nous délivrera d’Assur quand celui-ci envahira notre pays et foulera notre territoire. Il y a de multiples ipprochements, entre l’oracle de Michée et

celui d’isaïe. L’Emmanuel d’isaïe c’est le Dominateur sorti de Bethléem dans Michée, et celle qui doit enfanter dont parle Micbee, c’est la’almâh qui conçoit et enfante dans Isaïe, c’est la mère du Messie.

b. Conception et naissance d’Emmanuel. La’Almâh.

— Saint Jérôme et probablement aussi les anciens juifs, font dériver le mot’almâh de la racine’âlam, cacher, qui ne se rencontre qu’en hébreu : Verbum aima habei etymologiam àTréxpuçoç, i. e. abscondita et Jérôme en concluait que le sens usuel de vierge était encore renforcé par la signification étymologique : aima èTzlTtxaiv (incrementum) virginitatis habet, ut et virgo sit et abscondita, tandis que belûlâh correspondrait simplement à virgo. Liber hebr. quæst. in Gen., xxiv, 43 ; In 7s., vii, 14 ; Adv. Jovin., i, 32, P. L., t. xxiii, col. 973 ; t. xxiv, col. 107 ; t. xxiii.col. 254. Lessémitisants modernes ont abandonné cette étymologie. Le mot’almâh est la forme féminine de’élém qui signifie jeune homme et la comparaison avec l’arabe, le syriaque et l’araméen semble indiquer qu’il dérive d’un radical’âlam avec le sens d’être fort, d’être viril, d’être à l’âge nubile. La’almâh serait donc la jeune fille nubile, puella nubilis.

Mais à côté de l’étymologie il faut tenir compte de l’usage. La signification étymologique n’est pas toujours rigoureusement respectée par l’usage. Ainsi le mot allemand Jungfrau qui signifie étymologiquement jeune femme, représente en fait dans l’usage courant une jeune fille non mariée. Il paraît en être de même pour le mot hébreu’almâh. Ce mot revient encore un certain nombre de fois dans la Bible en dehors d’Is., vu, 14 : Gen., xxiv, 43, où la’almâh qui sortira pour puiser de l’eau est Rébecca jeune fille très belle, dit le ? 16, qui était vierge belûlâh et que nul homme n’avait connue ; Ex., ii, 8 où la’almâh est Marie, sœur de Moïse, allant chercher sa mère comme nourrice à son frère sauvé des eaux ; Cnnt., i, 3 et vi, 8 où les’atâmôt sont les jeunes filles en opposition dans le second endroit aux épouses et aux concubines ; Fs. xlvi, titre (peut-être aussi Ps. ix, 1 et xlviii, 15 qui serait à transporter à xlix, 1) et I Par., xv, 20 ne fournissent pas de renseignements précis : ’al-’alâmôt est probablement une notation musicale. Le si’iis est obscur. On traduit par » en soprano » ou « en voix de fausset », vocevirginea ; Vs., lxviii, 26 où l’on voit figurer dans un cortège « en avant les chanteurs, en arrière les musiciens, au milieu des jeunes filles, ’alâmôt, avec des tambourins. »

Dans aucun de ces passages’almâh ne désigne une jeune femme mariée ; dans plusieurs d’entre eux, comme ceux de la Genèse, de l’Exode, du Cantique, et sans doute aussi du psaume lxviii, le mot représente manifestement une jeune fille non mariée. Mais il n’insiste pas formellement sur la virginité, (c’est le mot belûlâh qui sert à relever particulièrement ce caractère), mais sur l’adolescence ou la jeunesse. Toutefois, une jeune fille non mariée doit être supposée vierge jusqu’à preuve du contraire, elle est vierge de jure. Une jeune fille non mariée dont la perte de la virginité serait connue, pourrait-elle encore s’appeler’almâh ? Aucun texte ne permet de l’affirmer. On voit donc que beaucoup de lexiques dépassent la portée des textes, sinon la signification étymologique, en traduisant’almâh par jeune fille nubile, vierge ou non, mariée ou non. En sens contraire, certains commentateurs exagèrent certainement eu disant que dans l’un ou l’autre cas, en dehors du texte d’isaïe, le mot’almâh sert à désigner la jeune fille formellement comme vierge. H s’agit surtout d’un passage obscur des Proverbes, xxx, 19 sur l’interprétation duquel on a beaucoup discute. A notre avis, il ne dit ni plus ni moins que les autres passages de la Bible où il est question de la’almâh. L’étude de ce texte montre ..peut-être que le vocable’almâh n’impliquait pas né0/

[SAIE, PROPHÉTIE DE L’EMM.WI EL

eessairement, du moins a l’époque de l’auteur, la conservation matérielle de la virginité. Quoi qu’il eu soit d’ailleurs on peut dire que partout où il s’agit de’ « .’màh dans la Bible il est question d’une jeune tille nubile mais non mariée. Le prophète se représente donc une jeune tille non mariée, et donc iei une vierge, — car pourquoi la supposer violée, — concevant et enfantant Emmanuel. Dans quel but relève-t-il ce caractère de la mère du Messie ? Si eette jeune lille doit devenir mère à la façon des autres mères c’est une banalité sans Importance que de noter qu’elle était vierge jusqu’alors ; c’est le cas pour bien des jeunes tilles avant la conception île leur premier enfant. C’est donc qu’Isaïe ne se représente pas la conception du Messie s’opérant selon les lois ordinaires, mais d’une façon extraordinaire et mystérieuse.

Bien que ce mot’almâh ne rende pas rigoureusement et nécessairement le sens de vierge, bien qu’il ne soit pas dit textuellement que la’alincih restera vierge en concevant et en enfantant, par le fait même qu’Isaïe relève ce fait qu’une jeune fille non mariée deviendra mère du Messie, c’est qu’il voit dans cette maternité quelque chose de merveilleux, de surnaturel. Le mot betùlàti eût sans doute été plus clair, mais l’emploi de’almdh ne modifie pas le sens de la prophétie. Aquila, Symmaque, Théodotion l’ont traduit par veïv.ç qui ne compromet rien, mais les LXX, la Vulgate et le Syriaque ont certainement rendu la pensée d’Isaïe en se prononçant nettement pour l’enfantement virginal, -ac0£ ; o ;, l’irgo, belûlla Plusieurs passages des écrits rabbiniques et quelques allusions de Philon donnent à penser qu’une naissance miraculeuse du Messie était attendue par les juifs. Il est difficile de prouver qu’ils la concevaient comme une parthénogenèse. Mais toute la tradition chrétienne, à commencer par saint Matthieu, a vu dans le texte d’Isaïe une prophétie de la coneption surnaturelle du Messie. Longtemps les protestants ont été aux côtés des catholiques pour défendre cette exégèse. Driver, Isaiah, Londres 1893, p. -41, note, reconnaît encore que « de la prophétie prise dans son ensemble, on peut inférer qu’Isaïe voyait quelque chose de remarquable dans la naissance de l’enfant Emmanuel » et von Orelli Die Propheten Jesaia uni Jcremia, N’ôrdlingen, 1891, p. 38 : « Plustard on a vu dans la manière dont Isaïe vii, 14 annonce la naissance d’Emmanuel un miracle au sens deMatth., i, 22, sq. ; et de fait, ce n’est pas sans quelque juste motif txtrinsèque et intrinsèque. » Mais le langage de Calvin est particulièrement clair ; * Accordons aux juifs, dit-il, que’almâh signifie jeune fille et se rapporte surtout à l’âge, comme ils le veulent, bien que l’Écriture en use ordinairement en parlant d’une vierge, le texte réfute de lui-même leurs calomnies. Car qu’est-ce que le prophète eût dit de merveilleux s’il eût parlé d’une jeune fille devenue mère par le mariage ?… Posons le cas qu’il soit parlé d’une femme qui devait concevoir un fils à la manière ordinaire : tous voient que ce serait une chose froide et sans propos, que le prophète parlant aux juifs d’une chose nouvelle et merveilleuse, ajoutât qu’une jeune fille concevrait. Il est donc évident qu’il parle d’une vierge qui devait concevoir par la grâce du Saint-Esprit, et non point selon le commun ordre de nature. Et c’est ce mystère que saint Paul exalte si hautement quand il dit : « c’est quelque chose de grand que ce mystère d’amour qui s’est fait voir dans la chair, qui a été justifié par l’Esprit, manifesté aux anges, prêché aux nations, cru dans le monde, reçu dans la gloire. » Commentaires sur Isaïe, in hune locum. La conclusion du P. Condamin est même plus réservée et plus modérée que celle de Calvin : « Comme cela n’est pas certain (que’almdh ne peut se dire que d’une jeune lille non marier), il semble que le texte d’Isaïe, considéré en lu ; -mème, sans le témoignage de l’Évangile et de la tra dition, exprime seulement d’une façon plus probable l’idée d’une Vierge-Mère… La difficulté est toute dans la part d’obscurité qui reste au sens de’aima.’Op. cil., p. 09. L’on peut voir, en tout cas, que l’affirmation de certains critiq les modernes, d’après laquelle la toi de l’Église en la conception surnaturelle du Messie reposerait sur une erreur de traduction, est non seulement blasphématoire, mais inconsidérée et dénuée de toute valeur scientifique. La’almdh d’Isaïe, c’est historiquement Marie, Vierge et Mère de Jésus.

c. Rapport* de la prophétie messianique, avec le contexte. — Nous avons expliqué le verset 14 ; mais comment cette prophétie de la naissance miraculeuse du Messie s’accorde-t-elle avec le contexte ? C’est là le point le plus difficile à expliquer. Certains auteurs catholiques sont même portés à croire que nous n’avon> « plus l’oracle in extenso, avec toutes les circonstances de texte et de contexte, tel qu’il fut délivré aux auditeurs immédiats. > Calés, Recherches de science religieuse, t. ri 1910, p. 167. Recherchons d’abord la nature du contexte actuel et établissons que le verset 14 se trouve en clavé dans un discours de menaces à l’adresse d’Achaz.

Le discours d’Isaïe à Achaz a déjà fait entendre une note menaçante au f 9, mais d’une manière conditionnelle : « Si vous ne croyez pas, vous ne subsisterez pas i Il tourne définitivement à la menace au f 13, après le refus d’Achaz de demander un gage de salut : < Écoutez, maison de David : Est-ce trop peu pour vous de lasser la patience des hommes, que vous lassiez aussi celle de mon Dieu ! C’est pourquoi Dieu lui-même vous donnera un signe. » L’incrédulité du roi a provoqué l’indignation du prophète et modifié les dispositions bienveillantes de Jahvé. On ne s’attend plus désormais à voir accorder une faveur à Achaz. De fait, il est manifeste qu’à partir du verset 17, le prophète lui prédit de grandes calamités comme châtiment de son infidélité. Les Assyriens qu’il appelle à son secours viendront, ainsi que les Égyptiens, et ravageront son pays. Les vignobles seront détruits, les champs transformés en lieu de pacage pour le bétail ; les rares habitants devront se nourrir des produits spontanés du sol, 17-25. Le beurre et le miel seront l’aliment de tous ceux qui seront restés dans le pays, 22. Emmanuel lui-même devra s’en nourrir, 15, parce que la terre ne sera plus cultivée, parce que le pays sera abandonné par suite de l’invasion assyrienne. Emmanuel est ainsi associé aux privations et aux maux que Juda aura à supporter à cause de la défiance d’Achaz. On reconnaît assez généralement aujourd’hui que la locution du f 15 : manger du beurre et du miel, doit être considérée à cause du t 22 où elle revient, non comme un indice de temps d’abondance, mais d’une époque de dévastation où, faute de récoltes, les habitants n’ont plus pour se nourrir que le miel et les produits du lait. Pourtant cette explication n’est pas acceptée par tous les exégètes. Si on l’admet, on fera commencer au t 15 le tableau de la désolation qui se déroule de 17 à 25.

Dans ce contexte de menaces, le verset 16 fait difficulté, car il contient à première vue une promesse in directe de délivrance en faveur d’Achaz : « Car avant que l’enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, le pays dont les deux rois t’épouvantent sera dévasté, i Ces deux rois sont évidemment Rasin de Damas el Phacée d’Israël et leur pays doit être les deux royaumes de Syrie et de Samarie. Isaïe annoncerait donc la dévastation de ces régions avant l’époque où le Messii saura rejeter le mal et choisir le bien, c’est-à-dire près l’interprétation généralement reçue, ser i ai l’âge de raison, Deut., [, .il) ; on bien, d’après d’lires. sera arrivé à l’âge mûr où il pourra jug Q< ment pour lui-même. mai. encore pour l< ut r bien et le mal.

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[S II.. PR0PHÉ1 I I. DE L’EMMANI EL

w

Knabenbauer, op. cit., p. 187, entend ce t 16 de l’état de la Palestine à l’époque romaine : Avant l’époque où le Messie y mènera une vie humble et pauvre, la terre d’Israël aura ete dévastée, c’est-à-dire privée de son autonomie. Mais il est évident par tout le contexte et spécialement parles versets 17-20 qu’il s’agit .l’une dévastation prochaine dont Achaz sera encore témoin et dont lis Assyriens seront les auteurs. Il faillira résoudre autrement la difficulté créée par l’association d’Emmanuel à des événements qui paraissent contemporains d’isaïe. En partant du fait qu’il s’agit d’une dévastation prochaine de la terre d’Israël et de Damas par l’Assyrie, on explique d’ordinaire le t 10 et sa connexion avec les versets 17-20 de la façon suivante : [sale va annoncer au t 17 les maux qui fondront sur Achaz et sur son peuple en châtiment de l’incrédulité duroi, mais il prédit auparavant au f 16 la dévastation de la terre d’Israël et de Damas. Cette explication est la seule qui puisse convenir au texte actuel du V 10, et cependant elle est inacceptable. Il est impossible que les deux royaumes parfaitement distincts d’Israël et de Damas soient compris par Isaïe sous l’unique dénomination de « la terre dont tu crains les deux rois, comme s’il s’agissait d’un seul pays gouverné par deux rois. La dévastation de cette terre doit expliquer le fait qu’Emmanuel sera réduit à manger du beurre et du miel jusqu’à ce qu’il sache rejeter le mal et choisir le bien, comme l’indique la connexion entre le ? 16 et le ? 15. Or ce fait s’explique par la dévastation de la terre de Juda, non par celle d’Israël et de Damas. Enfin, le ? 17 est la continuation naturelle du f 16 et rien n’indique qu’il y ait transition de la terre d’Israël et de Damas à la terre de Juda dont on parle au > v 17. Il doit donc être question aussi de Juda au t 16, mais alors il faut modifier le texte.

Condamin, op. cit., p. 51, propose le texte suivant pour le ï 10 : « Car avant que l’enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, la terre pour laquelle tu redoutes les deux rois sera dévastée. Il adopte donc la leçon des I.XX : les deux rois, au lieu de celle du texte massori tique : ses deux rois, et il donne au relatif âsér non pas le sens de que mais celui de pour laquelle. C’était déjà, dit-il, la lecture de saint Ephrem, mais Lagrange fait observer, Rcinie biblique, 1905, p. 279 que âsér seul ne peut avoir le sens de pour laquelle. L’année précédente, dans la même revue, 1904, p. 217, Van Hoonacker avait proposé une autre modification du verset 16. Il adopte aussi la leçon desLXX : / « deux rois, donne à àiér le sens de parce que ou toi qui et coupe, autrement la phrase. « Avant que l’enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, le pays sera abandonné. Farce que tu es saisi de terreur, toi, devant les deux rois, Jahvé fera venir sur toi, etc. Mais encore une fois, Lagrange remarque qu’on ne peut alléguer aucun exemple de àiér, en tête d’une phrase, signifiant /xirceque ou toi qui.Loc. cit. Pour sa part, il préfère la solution plus radicale de Budde qui supprime le verset 10. Davidson et Kittel a aient ouvert la voie, en retranchant les mots : « dont tu redoutes les deux rois. » Ce simple retranchement supprime d’un coup les trois difficultés signalées plus haut contre le verset 10 OÙ le pays abandonné peut désormais s’entendre du pays de Juda. Lagrange fait valoir 1’Il rations suivantes en faveur de la suppression totale du verset 10 : a) il est impossible de maintenir ce Verset dans sa teneur actuelle, et d’autre

liai i Ii i modifications qu’on y apporte peuvent difiicilement se soutenir. — p) Ce verset fait l’effet d’un doubli’l avec viii, 4. — -y) " paraît être l’œuvre d’un glossati ur qui ne comprenant pas la menace d’isaïe accablant Achaz et réservant le salut à la maison de David, a voulu faire intervenir immédiatement Emmanuel connue sauveur du danger syro-cphraïiuite. — S) Dans un texte pur. il serait peut-être imprudent

de sacrifier un verset pour ces raisons, mais si l’on retranche comme gloses le y 1 ; au -f 4 les mots : « la fureur de Rasln et d’Aram et du fils de Romélie » ; au ? 8 les mots : « encore soixante-cinq ans el Éphraïm disparaîtra du rang des peuples » ; aux t ? 17 et 20, la mention du « roi d’Assur », on peut mettre sans hésiter le t 10 dans la même catégorie. Quoi qu’il en soit, qu’on supprime le verset 10 en tout ou en partie, ou qu’on le corrige dans le sens de Van Hoonacker ou de Condamin, il reste établi qu’il ne peut y être question d’une promesse de délivrance pour Achaz, d’une dévastation prochaine du pays d’Israël et de Damas. Le discours de menace commencé au f 13 n’est pas interrompu par le y 10, el alors se repose la question que nous soulevions d’abord : que vient faire, dans ce discours de menace, la prophétie de salut que contient certainement l’annonce de la naissance miraculeuse du Messie ?

On répond d’ordinaire que l’oracle du ? 14 est le signe donné par Dieu lui-même à Achaz qui refusait de demander un signe. L’apparition merveilleuse de l’Emmanuel serait le gage de la délivrance promise à Achaz au f 4 et sq. Mais après le refus du roi, il n’est plus question.au chapitre vii, de délivrer Juda des mains d’Israël et de Damas. La naissance d’Emmanuel scrait-elle un signe de la libération de la domination assyrienne dont Achaz est menacé dans les versets Il sq. ? Il est vrai qu’Emmanuel doit délivrer Juda du joug assyrien, Is., viii, 8-10 ; x, 24-31 ; Mieh., V, 3-5, mais sa naissance est-elle annoncée àAchaz comme un signe de cette délivrance au point que les auditeurs d’isaïe pourraient reconnaître dans l’accomplisement prochain de la prophétie, la garantie divine du salut promis ? Dans ce caB, Emmanuel devait naître dans le délai prévu par Isaïe, et l’événement ne s’étant pas accompli, il faudrait en conclure que le prophète s’est trompé, ou plutôt qu’on s’égare en voulant identifier Emmanuel et le Messie.

Beaucoup d’exégètes font remarquer que le signe divin annoncé au verset 14 ne doit pas nécessairement être pris dans le même sens rigoureux que celui qui avait élé offert à Achaz au verset 11. Il ne manque pas d’exemples dans la Bible où le signe est pris dans un sens plus large. De deux événements prédits, le plus proche peut servir de signe au plus éloigné, I Reg., ii, 31 ; Jer., xliv, 29 sq. Cette acception ne peut convenir ici : les deux événements prédits sont le salut messianique et les maux qui vont accabler Juda ; le premier ne peut servir de signe à l’autre ; nous verrons au contraire que le second doit servir de signe au premier, et même dans un sens strict. Dans un sens plus général encore, le signe peut être simplement un incident de la prédiction réalisée, en face duquel l’esprit se reportera au temps où la prophétie a eu lieu et où le signe a été donné. Ex., iii, 12 ; ls., xxxvii, 30. Mais dans les endroits cités, ce sont les h moins de la prédiction et du signe qui assistent à son accomplissement et peuvent ainsi se reporter au temps où la prophétie a été faite. Ici, au contraire, il s’agit d’une prophétie qui ne de ait s’accomplir qu’après plus de sept siècles, qui perd par conséquent absolument tout caractère de signe. A la naissance du Messie, on pourra se reporter au temps de la prédiction pour conclure qu’Isaïe était un véritable prophète, mais cetteconstatationaurait intéresséavanl tout les contemporains d’Achaz. Plus large encore est l’acception donnée au mot signe par ceux qui en font simplement un objet de foi. La naissance du Messie, donnée par Dieu comme signe au f 14, devait être crus d’abord, pour servir ensuite de garantie aux promesses de délivrance faites au ^ 4 et sq. Mais qui ne voit qu’un signe, objet de foi, el surtout un signe qui ne doit se réaliser qu’après l’événement qu’il garantit, n’est plus un signe d’aucune façon, n’est plus qu’une simple pro

messe tout aussi difficile à croire, sinon plus, que la solennelle promesse de délivrance déjà faite auparavant.

Cette dernière explication contient cependant

des éléments de vérité. Elle reconnaît que le salut messianique est effectivement la garantie du salut présent : un peuple qui doit donner le jour au Messie, qui doit être définitivement sauve par le Messie, ne peut disparaître totalement dans les tourmentes qui ravagent son histoire ; et la foi présupposée au Messie futur devait être pour les juifs pieux le plus ferme soutien de leurs espérances dans les calamités présentes. Elle reconnaît aussi, en fin de compte, qu’on ne peut aucunement trouver au t 14, dans la naissance d’Emmanuel, le signe donné par Dieu.

C’est ce qu’admettent Davidson, Huyghe, Durand, Condamin et d’autres. Le signe donné par Dieu est un >igne de menace, il consiste dans les châtiments qui vont fondre sur Achaz, et qui sont annoncés immédiatement après le v 14. Le vil oùlanaissanced’Emmanuel est proposée comme imminente, ne contient pas le signe de la délivrance prochaine. Pour Delattre, Huyghe et Durand (et Condamin se rallie timidement à leur interprétation), le verset 14 ne servirait qu’à montrer l’imminence des châtiments. Jahvé punira l’incrédulité d’Achaz. Cela est tellement sûr, que « si la vierge promise venait maintenant à concevoir et à enfanter, l’Emmanuel, son fils, en qui la famille de David place son espoir, n’aurait pas encore atteint l’âge de discrétion qu’on se verrait déjà en face des faits accomplis. Comme tous les autres il en serait roduit à se nourrir de lait et de miel sauvage, les seuls mets qu’on trouvera dans le pays, après que les ennemis auront passé. » Cf. Condamin, op. cit. p. 71-72. Cette explication nous rapproche de la véritable solution, en ce sens qu’elle détermine bien la nature du signe ; mais elle ne précise pas encore ce dont les châtiments imminents doivent être le signe. Or, un signe doit, de quelque façon, signifier quelque chose. L’interprétation hypothétique du ? 14 d’après laquelle la particule hébraïque hinnêh n’aurait pas le sens de ecce, mais de si, supposé que, est artificielle, dit Lagr.mge, Revue biblique, 1905, p. 280. Il faudra donc résoudre autrement la difficulté créée par l’annonce de la naissance imminente d’Emmanuel.

La solution proposée par Van Hoonacker, La prophétie de la naissance a" Immanu-El, dans la Revue biblique, 1904, p. 213-227, surtout p. 225-226, ressemble beaucoup à la précédente, mais évite le double inconvénient signalé. On reconnaît d’abord que le signe donné par Dieu à la maison de David n’est pas la naissance d’Emmanuel, mais le châtiment de l’invasion assyrienne. Les maux que le roi et le peuple de Juda auront bientôt à souffrir de la part de ces armées assyriennes en qui Achaz mettait tout son espoir et qu’il appelait à son secours, devront servir à prouver, tout comme le signe proposé d’abord à Achaz, la ferme volonté de Jahvé de sauver son peuple par lui-même, sans le secours d’armées étrangères. Aussi, avant d’apporter ce nouveau signe. Jahvé réitère encore une fois, par la bouche de son prophète, la solennelle affirmation du salut divin : t Voici que la vierge est enceinte et elle enfante un fils, et elle appellera son nom Dieu-avec-nous. Le f 14 exprime l’assurance du salut : le nom même de l’Emmanuel l’indique, et d’ailleurs dans tous ces chapitres Emmanuel apparaît réellement comra : le roi-sauveur ; il contient aussi l’affi.mation du salut par Dieu seul, non seulement sans le secours d’armées étrangères, mais encore sans le secours des forces de la maison de David, car Emmanuel naîtra d’une vierge sans le secours d’un homme.

Les désastres causés par l’Assyrie seront donc le signe de cette volonté salvifique de Jahvé. Malgré le refus d’Achaz, le dessein providentiel subsiste, mais la perspective du salut divin s’éloigne. Il ne s’agit plus

pour le moment d’une intervention divine délivrant Achaz du péril svro-éphraïmite ; Assur se chargera de cette besogne, conformément à la politique humaine d’Achaz, mais ce salut sera pour le roi infidèle un châtiment, et le sauveur sera en même temps un fléau, et la maison de David devra reconnaître alors que Jahvé seul peut sauver Juda, et le sauvera en effet par son Messie.

Nous avons vu quel était le signe donné par Isaïe au nom de Jahvé, et ce que ce signe devait signifier : le salut opéré par Dieu au moyen d’Emmanuel. Un point reste à expliquer : comment Isaïe peut-il présenter ce salut au terme de l’invasion assyrienne ?

Au chapitre viii, 8 sq., Emmanuel est salué comme le Sauveur qui repoussera les flots de l’invasion assyrienne. Au chapitre xi, le rameau sorti du tronc de Jessé, c’est le prince qui inaugurera le règne de la paix sur les ruines de l’invasion assyrienne décrite au chapitre x. Dans Michée aussi, v, 3-5, le (ils de « celle qui doit enfanter a pour mission de délivrer le peuple du joug d’Assur. La perspective est la même dans Isaïe, vii, 14 : la Vierge est enceinte, elle va mettre au jour l’enfant sauveur ; Emmanuel sera réduit à se nourrir de beurre et de miel. La chose est plus frappante encore si le verset 16 est authentique : avant qu’Emmanuel sache rejeter le mal et choisir le bien, le pays de Juda sera dévasté par les Assyriens ; mais la connexion entre Emmanuel et l’invasion assyrienne subsiste dans l’hypothèse de l’interpolation du verset 16.

Ce phénomène n’a rien d’extraordinaire ; il se présente peut-être avec une acuité spéciale dans Isaïe, mais il se rencontre chez tous les prophètes ; il est conforme à la loi qui préside à la conformation des visions et prophéties messianiques. Le salut messianique, à raison de la garantie qu’il offre du salut présent de la nation, se confond dans l’attente d’Israël et dans les oracles qui en sont l’écho, avec la victoire sur les ennemis du présent, avec la fin des épreuves sous lesquelles le peuple gémit actuellement. En particulier, dans la pensée d’Isaïe, les armées assyriennes représentent les ennemis du peuple de Dieu, la puissance païenne qu’Emmanuel devra combattre. Et comme le mal de la part de l’Assyrie est imminent, Isaïe est amené à présenter l’intervention du Messie comme se préparant aussi.

Telle est la solution que le P. Lagrange juge définitive. Elle pourra paraître subtile dans certains de ses éléments, entre autres, la détermination du signe et de sa nature, mais elle semble, la seule possible dans l’état actuel du texte et du contexte de la célèbre prophétie d’Isaïe, vii, 14.

c) La prophétie de la royauté et des noms merveilleux du Messie : Is., ix, 5-6. — Nous avons déjà montré comment cette prophétie se rattachait au même contexte historique que la précédente. A la sombre peinture des maux que les deux maisons d’Israël auront à subir de la part des Assyriens, le prophète oppose un brillant tableau des temps messianiques, viii, 23-ix, 6 ; dans la Vulgate, ix, 1-7. L’authenticité de ce tableau ne peut être sérieusement contestée, ainsi que le reconnaît Duhm. Il se rattache trop intimement au tableau précédent avec lequel il forme, dans les expressions, un contraste voulu. Tandis que Marti, Geschichte der Israzlitischen R : ligion, Strasbourg, 19)3, p. 190, en rejette l’origine isaïenne sous prétexte qu’il n’est pas question d’un Messie personnel chez les prophètes jusqu’au temps du second Isaïe, Skinner, The li of the Prophet Isa ah, t. i, p. VIII, Cambridg, 1 affirme que les deux idées maltresses de la prophétie messianique chez Isaïe sont précisément l’idée d’un Messie personnel et la foi en l’inviolabilité de

Le caractère messianique du passage est f nOralement reconnu, si l’on excepte l’exégèse juive qui ap-5

plique à Ézéchias ce gui est dit de l’enfant du verset 5. LeTargum de Jonathan lui-même, tout en interprétant ce verset 5 d’une façon singulière, reconnaît qu’il y est question du Messie : « Il sera appelé par l’Admirable en ses conseils, par Le Dieu fort qui subsiste éternellement : Messie sous qui nous jouirons d’une grande paix.

Les versets viii.23-ix. 1. sont appliqués fort à propos par saint Matthieu, iv, 13-16, à l’évangélisation des contrées du nord de la Galilée par la prédication de Jésus. Les tribus de Zabulan et de Nephtali qui occupai ! ni la partie septentrionale de la Palestine étaient plus exposées que les autres aux incursions des nations étrangères : elles furent probablement ravagées les premières par Téglath-Phalasar en 734 ; elles seront aussi les premières à être illuminées par la lumière messianique. C-’est d’après ce passage d’Isaïe que le Talmud dit que le Messie sera manifesté en Galilée. C’est tardivement que les commentateurs juifs ont abandonné l’interprétation messianique d’Isaïe viii, 23-ix.C.

Pour l’exégèse du verset 5 renfermant les noms du Messie, et auquel semble faire allusion saint Luc, i, 3133, il faut d’abord écarter la leçon du Codex Valicanus des LXX : Kal xaXeÏToa t6 Ôvop.a aÙTOùMeyâX-rççBou-X ? , ç SyyeXoç, âÇto yàp elprjvyjv è^l toùç ap^ovxaç xal ôy.eixv aù-y, et vocatur nomen ejus magni consilii angélus. Adducam enim pacem super principes, et sanitatem ei. Cette leçon obscure provient d’une lecture fautive du texte hébreu, comme le montre Knabenbauer. D’ailleurs, les versions d’Aquila, de Symmaque et de Théodotion donnent le même sens que le texte hébreu massorél ique, et le Codex Alexandrinus des LXX a senti lui-même le besoin d’une conciliation avec le texte hébreu, car il ajoute après les motsMeY<4Xr, çBov)XrjçaYYe-Xoç, les épithètes suivantes : Qy.uy.’x.atbc, aûu.601>Xoç, laX’Jpoç, ê^ouaiaoTr ( ç, 6cp^a>v etpy)vY ; ç, 7tax7)p toû (i£X-Xovtoç alûvoç, admirabilis, consiliarius, fortis, potens, princeps pacis, paler fuluri stevuti.

Il faut remarquer ensuite que les attributs du Messie sont au nombre de quatre, chacun étant exprimé par deux mots qui doivent être lus ensemble, contrairement à la ponctuation de la Vulgale clémentine et à l’opinion de saint Jérôme : Non enim ut plerique putant bina jungenda sunt nomina, ut legamus, admirabilis consiliarius, et rursum Deus fortis, sed admirabilis legendum est separalim… et consiliarius seorsum… et Deus separatim… In Is., ix, 1-f>, P. L., t. xxiv, col. 127. L’appellation Dieu-fort revient un peu plus loin, Is., x, 21, et se rencontre ailleurs, Deut., x, 17 ; 1er., xxxii, 18 ; Neh., ix, 32. Au chapitre xxviii, 29, Isaïe dit de Jahvé des armées : il a des conseils merveilleux, ce qui nous invite à lire ensemble : admirabilis consiliarius dans ix, 5. Il faut rejeter aussi l’opinion du juif Luzzatto, qui ne voit dans toutes ces appellations qu’un seul nom du Messie : Mirabilia staluil Drus /nrlis, [Hiter œlernus, princeps pacis. Ce nom dirait beaucoup de choses de Dieu, niais rien de l’enfant dont on attend cependant la description.

Cet noms du Messie ne sont pas à comparer aux exclamations pieuses par lesquelles les parents, à l’occasion de la naissance d’un enfant, expriment leur joie, leur toi, leur reconnaissance : ce sont des noms prophétiques annonçant les attributs du Messie.

Le Mesie’i sur son épaule lu souveraineté, La même image revient xxii, 22, pour décrire la charge d’Éliacini, préfel du palais. Caspari, Echthelt, Hauptbegrifl uiui t, dankengang der messianischen Weissagung .1rs. rx, i 6, p. 13, i.n ersloh, 191 8, en conclut que le

Messie n’est pas représente revêtu de la puissance suprèiie mail soumis a I >icu connue le préfet du palais est soumis au roi : il sérail vizir et non sultan. La plupart des commentateurs] voient cependant

les insignes de la puisssance royale. Il est un merveilleux conseiller, une merveille comme conseiller. Cette qualité est attribuée à Jahvé dans Is., xxviii, 29. D’après Caspari, le Messie aurait pour fonction de faire reconnaît re cette vérité : Dieu est merveilleux en conseil. Il devrait aussi proclamer ce dogme : Dieu est un héros. Jahvé est souvent appelé El gibbôr, Dieu-fort, mais ici cet attribut est transféré au Messie : dans cet enfant réside la plénitude des forces divines. Cet attribut s’cM vérifié dans le Messie Dieu-homme, d’une façon profonde et complète que ne pouvaient soupçonner les juifs. Le Messie est appelé Père à jamais pour signifier l’éternelle protection dont il entourera son peuple (Corlùy). La Yulgate traduit : Pater fuluri sœculi. Est-ce pour signifier que le Messie ouvre une ère nouvelle à l’humanité et qu’il dispose du siècle à venir ? La traduction de Abarbanel, Hitzig, Duhm : Père du butin, est étrange et improbable. Enfin, le Messie est appelé par Isaïe : Prince de la paix ou prince pacifique : Il rendra la paix à Israël et au monde et régnera à jamais sur le trône de David dans le droit et dans la justice. Isaïe décrira cette paix messianique au chapitre xi, et Miellée appelle le Messie lui-même du nom de Paix, V, à. La liturgie a inséré le verset 5 du chapitre ix d’isaie dans la troisième messe de Noël. Il est cité d’après l’ancienne version latine où, sous l’influence des LXX, on lit aussi le nom d’ange du grand conseil.

d) La prophétie du rejeton de Jessé, Isaïe, xi. — Cette prophétie fait partie d’un oracle contre Assur, x, 5-xi. où l’on reconnaît l’unité de composition, en même temps que la gradation dans le développement de la pensée. Tout au plus a-t-on émis quelques doutes touchant l’authenticité des versets 11 à lf> du chapitre xi. Cet oracle appartient au temps d’Ézéchias et des invasions assyriennes. Les allusions historiques qu’il contient permettent d’en placer la composition entre 717 et 701. Assur ne comprend pas son rôle d’instrument de Jahvé. Envoyé comme exécuteur des jugements divins, le roi d’Assyrie s’enorgueillit de sa puissance et abuse de ses conquêtes, x, 5-15. C’est pourquoi il sera brise à son tour et son joug cessera de peser sur le peuple de Jahvé, 16-27. Après une marche conquérante qui l’amène aux portes de Jérusalem, il est frappe, abattu par la main de Jahvé, telle une forêt dont les arbres géants tombent sous le fer, 28-34. Alors, connue un rejeton sur une humble tige, le Messie issu de la souche de Jessé, naîtra et grandira. L’esprit de Jah posera sur lui, Esprit de sagesse et d’intelligence, de conseil et de force, de connaissance et de crainte de Dieu. Animé de cet esprit, le Messie pratiquera la justice et jugera avec équité. Au lieu de la guerre sans trêve et sans merci, ce sera la paix universelle, xi, 1 10. Alors, les Israélites dispersés au loin seront rament s dans leur patrie. Les rivalités cesseront entre Éphraïm et Juda et ils marcheront ensemble a la conquête des peuples voisins, 11-16.

Tout le chapitre est donc consacré a la personne et a l’empire du Messie. Cette description se rattache étroitement aux pensées énoncées ix, 1-6, les développant et les complétant. Là, ce sont les noms du Messie, ici. VEspril divin dont il est rempli ; là, il est nommé princeps pacis, ici est décrit son règne pacifique ; là, ou dit de lui : mulliplicabitur ejus imperium, ici sont donnes les détails : la vocation des gentils, leur entrée dans le roj aunie de Dieu, la fin du schisme et la victoire sur tous les ennemis. Le caractère messianique du morceau est universellement admis. Un descendant de David, rem pli de l’Esprit de Jahvé, faisant régner sur la terre la justice et la paix, c’est la quintessence du messianisme’C’est le Messie qui est désigné xi, 1 par le rameau qui sortira de la tige de Jessé, et par le rejeton qui poussera <Uses racines. La Vulgate traduit : /-’/ cijredictur virya de radiée Jrsse et pas de radiée ejus ascendel, et saint Je65

[SA II., LE ROI MESS] UMIQ1 E

rôme interprète : Nos virgam de rqtfice Jesse sanctam Mariam virginem intelligamus…, et florem, Dominum

salvatorem. In Is.. xi. 1. P. /… t. xxiv, col. 144. Mais le parallélisme synonymique exige que le rameau et le rejeton désignent la même personne, comme le tronc et les racines désignent la même souche. Le Messie est appelé ici un ramena et un rejeton ; il est nommé ailleurs un germe. Is.. iv. 2 ; xlv. 8 ;.1er., xxui. wxiii. lô : Zach., m. S ; vi. 12. une pousse, Is., un, ’.. xvii. 22. une racine. Is.. un, 2. une végétation. Et, xxxiv, 29. C’est peut -être à tous ces textes, et spécialement, d’après saint Jérôme et beaucoup de commentateurs, au mot’w.sér d’Isaïe. xi, 1, que se réfère saint Matthieu, n. 23. quand il dit de Jésus : « Il vint habiter une ville nommée Nazareth, a fin que s’accomplit ce qu’avaient dit les prophètes : il sera appelé Nazaréen. LeTargum de Jonathan applique au Messie le premier verset : Egredietur uirga de radiée Jesse. II est suivi par la plupart des anciens commentateurs juifs, entre autres Abarbanel et Kimchi. Saint Paul, IIThess.. ii. S. applique à Jésus-Christ la parole d’Isaïe, y, 1 : Du souffle de sa bouche, il anéantira l’impie. Cf. Apoc., i. 16. L’Apocalypse, v, 5 ; xxii, 16, emprunte à Isaïe un des qualificatifs dont elle salue l’agneauxle la Jérusalem céleste : « Le voici le lion vainqueur de la tribu de Juda, le rejeton de David, a Cependant, quelques juifs, parmi lesquels Aben-Esra, et quelques commentateurs modernes à la suite de Grotius ont soutenu qu’Isaïe voyait Ézéchias dans le rejeton sorti du tronc de Jessé. On pourrait encore dans ce cas, admettre le messianique typique, mais il est certain qu’Isaïe n’a pu s’attendre à voir réaliser par Ézéchias le brillant avenir qu’il décrit au chapitre xi. Au témoignage de Théodoret certains juifs auraient appliqué cette prophétie d’Isaïe à Zorobabel : lacrymis digna est, dit-il. judxorum slupiditas. In Is., xi, 1, P. G., t. lxxxi. col. 318. Zorobabel ne vérifie pas le portrait d’Isaïe. D’ailleurs, le regard prophétique ne se porte pas sur un personnage historique déterminé, mais seulement sur le Messie, dont il annonce la naissance miraculeuse au chapitre vii, dont il a donné les noms au chapitre ix, dont il a décrit le rôle au chapitre XI.

Le rôle du Messie est d’abord de faire régner la justice : Il sera un juge parfait, aura une attention particulière pour les pauvres et les malheureux, exterminera l’impie et le méchant. La justice sera son vêtement et son armure, 3 b -5. Grâce à ces dispositions, il inaugurera ce règne de paix si brillamment décrit dans les versets < ; -9. Pour réaliser ce portrait du juge idéal, le nouveau David sera animé de l’Esprit de Jahvé qui reposera sur lui d’une façon permanente et lui communiquera la plénitude de ses dons. Dans une énumérat >on à sept termes, le prophète indique d’abord d’une façon générale l’Esprit de Jahvé, puis les six elTcts que sa présence produira dans le Messie.

Les dons du Saint-Esprit vont deux à deux. D’abord deux dons d’ordre spéculatif : la sagesse, en vertu de laquelle le juge saura saisir la vraie nature de la cause, et F intelligence, pour discerner les circonstances et les autres données qui peuvent influer sur la sentence. Puis deux dons se rapportant à l’ordre pratique : 1e conseil, ou l’art de prendre les résolutions et les moyens les plus propres à obtenir le résultat voulu ; la force, qui rendra le juge indépendant de toutes considérai ions de personnes et supérieur aux obstacles. Enfin, deux « Ions se rapportant à l’ordre religieux et mettant le juge de la terre en parfaite harmonie avec Dieu qu’il repré sente : la science, ou la connaissance parfaite de I >ieu et de sa loi ; la crainte de Dieu, ou l’obéissance respectueuse aux volontés divines.

Les dons du Saint-Esprit sont au nombre de six. Il ne saurait être question d’un septième don exprimé par

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

le y 3> : et replebil eum spititus timoris Domini. Ce n’est pas un don nouveau puisque la crainte de Dieu figure déjà à la fin du 2. D’ailleurs, les dons sont énumerés deux à deux, et le membre de phrase de 3 « est en dehors de l’énumération, comme l’indique sa construction même. D’où vient donc le septième don du Saint Esprit ? Les I XX et la Yulgale ont traduit le même mot hébreu de deux façons différentes dans 2A et 3°, une première l’ois par eùaéêeia, pietas, une seconde fois par cpôooç Œoù, limor Domini. sans doute pour éviter la répétition du même terme dans deux versets consécutifs. Il n’est pas prouvé que les 1. XX aient attaché un sens différent à eùasGeia et à-<p660ç Geoù. La piété et la crainte de Dieu sont synonymes et expriment simplement la religion. On en a la preuve dans la double traduction que les LXX donnent de Proverbes, i, 7 : ’Ap/r, goçîcx ; 9060c Gîoù et s)aéozix Se sic Œov àpyj’q awOrjascoç.’D’ailleurs, dans Is., xi, 2d et 3% le Targum et la Peschito traduisent la locution hébraïque deux fois de la même manière : on n’est pas fixé sur le sens exact de 3°. Dom Calmel traduit : Et sa respiration sera dans la crainte du Seigneur. Ce verset décrirait l’effet produit dans l’âme du Messie par les dons énumerés aux versets précédents, surtout par le dernier. Le rejeton de David sera tellement pénétré de la crainte de Dieu que ce sera sa vie, sa respiration. Mais plusieurs critiques (Bickell, Condamin, Duhm) considèrent 3 a comme une glose ou une variante qui vient rompre la régularité des versets 1-8 où tous les autres vers sont groupés deux par deux et soumis à un rigoureux parallélisme.

La conséquence de la justice dans le gouvernement des hommes, c’est la paix. Le prophète dessine un magnifique tableau de la tranquillité, de la douceur des mœurs, de l’harmonie universelle que le règne du Messie amènera dans le monde, xi, 6-9. Il ne faut voir dans cette description, ni un rêve purement idéal, ni une réalité destinée à s’accomplir un jour à la lettre. II faut faire la part du symbole et considérer que le prophète décrit avant tout les splendeurs du royaume messianique dans sa phase complète et définitive. La première partie du verset 10 : « En ce jour-là, c’est la racine de Jessé qui se lève comme un étendard pour les peuples, c’est lui que les nations chercheront, » est citée par saint Paul, Rom., xv, 12. C’est la personne même du Messie qui est présentée comme une bannière sous laquelle le monde entier viendra se ranger ; ce n’est pas précisément sa croix qui est l’étendard ; il n’y a pas ici de prophétie de la mort du Messie. La seconde partie du verset 10 : « Et sa demeure sera glorieuse » a été traduite par la Vulgate : Et erit scpulcrum cjus gloriosum. Saint Jérôme appliquait ce passage à la mort et à la résurrection du Sauveur, et il a traduit de la sorte pour expri mer plus clairement ce qu’il croyait être la pensée du prophète : Ut manifeslum legenti sensum faceremus.

In Is., XI, III. P. I… t. xxiv. COl. 1 19. Mais l’idée du sépulcre, même glorieux, s’accorde mal avec le contexte. Isaïe veut dire que la gloire du Messie. étendard pour les nations, resplendira dans tout l’univers, et illuminera en quelque sorte sa résidence.

II. la SECONDE PARTIE. Considérée au point, de vue messianique, la première partie du li re il’Isaïe fait surtout connaître la personne et les fondions royales du Messie. La seconde partie décrira principale ment son ministère de docteur qui s’étend au monde entier : » Il est envoyé pour être la lumière des nations et pour faire arriver le salut de Jalive jusqu’aux exlre mités de la terre i XXIX, il : et son œuvre rédemptrii i en tant que i serviteur de Jahvé > s’offrant lui m<" en sacrifice expiatoire pour nos péchés, i.m. 10. > avons dit que cette seconde partie pouvait se par en tiois sections qui nous parais en1 serai ach pectivement comme a des points cardinau. ai trois

VIII.

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[SAIE, LE SERVITEUR DE JAHVÉ

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vérités suivantes : la transcendance de Jahvé, le Dieu d’Israël ; le Médiateur du salut spirituel et son œuvre rédemptrice ; les conditions, les destinataires et la consommation du salut. La transcendance de Jahvé apparaît surtout dans la première section xl-xlviii, qui la met dans un contraste saisissant avec l’impuissance et le niant des dieux des nations. L’œuvre du Médiateur occupe le centre de la seconde section, xi-ix-lv, i.x-lxii : le fruit de ses souflrances, c’est la réconciliation du monde pécheur. Les conditions d’accès au salut : la conversion sincère, le repentir, la justice ; et les perspectives d’allégresse sans fin qu’ouvre la délivrance, font surtout l’objet des exhortations et des descriptions de la troisième section, lvi-lix, lxiii-lxvi. Le monothéisme, le messianisme et l’universalisme, ces trois dogmes fondamentaux de la religion juive, que la seconde partie d’Isaïe inculque avec tant d’insistance, mettent ce recueil au premier rang des compositions religieuses de l’Ancien Testament. Nous ne pouvons nous arrêter à l’examen de toutes ces doctrines, mais nous devons cependant étudier de plus près les passages relatifs au serviteur de Jahvé, qui constituent le point culminant de la seconde partie d’Isaïe.

Les chants du Serviteur de Jahvé. — 1. Applications diverses du titre de Serviteur de Jahvé. — Le titre de serviteur de Dieu ou de Jahvé revient très souvent dans l’Ancien Testament, abstraction faite du livre d’Isaïe. Il est d’ordinaire donné à des individus, parfois au peuple d’Israël. Abraham, Gen., xxvi, 24, Isaac et Jacob, Deut., ix, 27, Moïse, Ex., xiv, 31 ; Num., xii, 7 ; Deut., xxxiv, 5 ; Jos., i, 1 ; xiii, 8 ; Ps., cv, 2C, Caleb, Num., xiv, 21, Josué, Jos., xxiv, 29 ; Jud., ii, 8, David, II Reg., vii, 8 ; Is., xxxvii, 35, Isaïe, xx, 3, Eliacim, Is., xxii, 20, Job, i, 8, Daniel, vi, 20, les prophètes en général, Ain., iii, 7 ; Jer., vii, 25 ; xxv, 4 ; etc., Nabuchodonosor, Jer., xxv, 9 ; xliii, 10 ; xxvii, 6, les anges, Job., iv, 18, le roi messianique de l’avenir, Ez., xxxiv, 23-24 ; xxxvii, 24 ; Zach., iii, 8, le reçoivent tour à tour. ()n a soutenu qu’on ne trouvait aucun texte, en dehors d’Isaïe, oï) les termes « serviteur de Jahvé » soient appliqués au peuple d’Israël. C’est exagéré. Dans Jérémie xxx, 10 ; xlvi, 27 ; Ézéchiel, xxviii, 25 ; xxxvii, 25, où Jahvé parle de son serviteur Jacob qu’il va ramener de l’exil, il s’agit bien du peuple d’Israël.

Dans la seconde partie d’Isaïe, nous rencontrons certainement un texte, xliv, 20, où les prophètes sont appelés serviteurs de Jahvé : a J’accomplis la parole de mes serviteurs, et j’exécute le conseil de mes cnvoyés. > J.e texte massorétique devrait littéralement se traduire : « Je suis Jahvé… qui tiens la parole de son serviteur, » mais le parallélisme avec le membre suivant « qui exécute le conseil de ses messagers, » montre clairement qu’il faut lire aussi le pluriel dans le premier membre, comme l’ont fait lesLXXct leTargum. Quelques critiques croient aussi que le serviteur de Jahvé représente les prophètes dans xi.n, 19, et proposent de traduire : quia cæcus niai ad quem servum meum, et quis surdus nisi ad quem nuntium meum milto. La Vulgate a compris qu’il s’agissait des prophètes, dans le second membre, en traduisant : et surdus, uisi ad quem nuntios meos tntsi. Or, si le messager représente les prophètes, le serviteur doit les désigner aussi ; d’aul le part, il n’est pas i » >ssiiile qu’Isaïe appelle aveugles et sourds, des prophètes comme lui, et le contexte, 18, 20, prouve

d’ailleurs que c’est le peuple qui est aveugle et sourd.

Ainsi se Justifie la traduction proposée : Qui est aveuglt comme celui vers qui J’envoie mon serviteur, sourd comme celui er. (pu J’envoie mon messager ? Cette traduction serait légitime, s’il étall vraiment prouvé que le messager et le serviteur doivent désigner les prophètes Mais pourquoi le messager ne pourrait-il pas être le peuple d’Israël, destine par Dieu a une mission

spéciale ? Le messager et le serviteur désigneraient alors Israël à qui Ton reprocherait son aveuglement et sa surdité. Remarquons encore que le f 19b ne se prêle pas à la traduction proposée : « Qui est aveugle comme mon familier, aveugle (sourd ?) comme le serviteur de Jahvé ? » Aussi les partisans de l’interprétation que nous discutons proposent-ils de considérer 19b comme une glose, un doublet de 19 ». Les LXX entendent xlii, 19 du peuple et de ses chefs : « Qui est aveugle, si ce n’est mes serviteurs, qui sont les sourds, en dehors de ceux qui les dominent ? Et les serviteurs de Dieu ont été aveuglés. » Nous rangeons xlii, 19 parmi les passages où le serviteur de Jahvé représente le peuple d’Israël. Il en est de même de xliii, 10 : « Vous êtes mes témoins, déclare Jahvé, et mon serviteur que j’ai élu, où il n’y a pas lieu de voir dans le serviteur un personnage distinct des témoins : c’est le peuple d’Israël qui est témoin et serviteur de Jahvé.

Les Israélites sont nommés, au pluriel, les serviteurs de Jahvé, dans lxiii, 17 ; lxv, 8, 9, 13-15 ; lxvi, 14. Dans lvi, 6, ce sont les lils de l’étranger qui se sont attachés à Jahvé, qui seront aussi ses serviteurs. Le peuple Israël-Jacob est désigné par le titre de serviteur de Jahvé, au singulier, dans les passages suivants : xli, 8 ; xlii, 19 ; xliii, 10 ; xliv, 1, 2, 21 ; xlv, 4 ; xi.vm, 20. Il le serait aussi, d’après le texte actuel, dans xlix, 3 : « Il m’a dit : Tu es mon serviteur, Israël, en qui je me glorifierai. » Mais le mot Israël est considéré, avec raison, par beaucoup de critiques, Michælis, Gescnius, Klostermann, Duhm, Sellin, Ley, Condamin, et d’autres, comme une glose : a) Ce vocatif est peu vraisemblable dans la bouche du serviteur rapportant les paroles qui lui sont adressées, b) Il est très invraisemblable dans le contexte où l’œuvre du serviteur a pour objet Israël, c) Israël apparaît ici d’une façon tout à fait inattendue ; dès le commencement, le sujet est supposé parfaitement connu et déterminé, d) Il est souvent question d’Israël commescrvileur, un lecteur aura cru que c’était encore le cas ici. On cite d’ailleurs un manuscrit qui n’a pas ce mot. Les LXX oflrent un exemple semblable pour xlii, 1, où ils ont tout simplement ajouté : Jacob est Israël, e) Quand il est fait mention d’Israël comme serviteur, Jacob est toujours nommé dans le second membre, xli, 8, xliv, 1, 21, xlv, 1. /) La mention d’Israël rompt le parallélisme des deux membres. Il est possible que primitivement se soit trouvé, ù la place d’Israël, un autre mot se rapportant au second membre, par exemple « mon élu ». Nous ne comptons jias xlix, 3 parmi les passages où le serviteur désigne le peuple d’Israël.

2. Le Serviteur de Jahvé par excellence.

Après ce relevé, il ne reste plus que quatre morceaux, d’un caractère poétique et hymnique bien marqué, qu’on a appelé les chants du serviteur, et où il s’agit d’élucider le sens et la portée de l’expression « Serviteur de Jahvé n.Ce sont xlii, 1 sq., xlix, 1 sq., L, 4 sq., lii, 13liii. Nous ne pouvons faire ici l’histoire de l’exégèse de ces fameux passages. Nous ne pouvons même songer à un exposé complet « le l’état actuel des débats, mais nous empruntons ù M. Van Hoonacker, L’Ebed Jahve, dans la Revue biblique, 1909, p. 497-498, un résumé des principaux points en litige. « l.e serviteur visé dans ces passages est-il un personnage individuel, comme il parait au permier abord ; ou convient-il d’y voir plutôt

une Simple personnification d’Israël, considère à tel ou tel point de vue comme il plaît à plusieurs critiques, qui allèguent à l’appui de leur interprétation d’autres textes de la même section d’IsaleOÙ Israël est en effet appelé le Serviteur de.lulwe ? Ne serait il pas au moins dans l’un ou l’autre cas, préférable d’y reconnaître une personnification de l’ordre des prophètes) Dans l’hypothèse que l’on s’arrête à l’interprétation « individualiste c, le personnage en vue est-il le même dans les

quatre passages" ? Et si l’on suppose que ce soit le même, faut-il l’identifier avec une figure historique contemplée dans le passe, ou avec un contemporain de l’auteur ? Ne serait-ce pas au contraire le Messie de l’avenir ? Ou bien, comme on l’a également prétendu, une ligure mythique empruntée à la tradition et dans laquelle le prophète aurait reconnu et nous aurait présenté, non pas le Messie, mais une figure « parallèle , 1 celle du Messie ? — Puis nos quatre passages, que l’on a appelés en Allemagne les Ebed-Jahve Lieder, forment-ils, au point de vue de la composition littéraire, des éléments organiques de l’œuvre dont ils font actuellement partie, ou ne sont-ils que des hors-d’œuvre que l’on pourrait sans inconvénient enlever de leur contexte ? Furent-ils écrits par l’auteur même de l’œuvre principale ou par un autre ? Après l’œuvre principale ou avant ? Furent-ils insérés dans les discours qui les encadrent par leur propre auteur, ou par l’auteur de ces discours ou par un tiers ? Toutes ces questions et d’autres subsidiaires reçoivent des réponses diverses. »

Dans cette grande controverse sur le serviteur de Jahvé, dit Condamin, Le serviteur de Jahvé, dans la Revue biblique, 1908, p. 162, la plupart des critiques se partagent en deux camps opposés. Les uns tiennent pour le sens individuel et pour l’interpolation des quatre passages sur le serviteur, lesquels, à leur jugement, sont en opposition avec le contexte actuel. Les autres se prononcent pour l’authenticité des passages, et, à cause du contexte, pour le sens collectif. »

Nous essayerons de prouver que l’Ebed Jahvé, dans ces quatre passages, n’est pas un être collectif, mais un personnage individuel, le Messie, et que le contexte qui encadre les chants du Serviteur ne s’oppose pas à leur interprétation individualiste et messianique.

a). Le sens individuel est le sens naturel et obvie de ces quatre passages. — a. Preuve positive. Les exégètes sont a peu prés unanimes à reconnaître que les chants du serviteur, considérés en eux-mêmes, abstraction faite du contexte, tracent le portrait d’un individu. Relevons-en les principaux traits.

xlix, 1-9. Le serviteur prend la parole et invite les peuples à écouter sa voix. Jahvé l’a choisi pour rétablir | Us tribus de Jacob et ramener les préservés d’Israël, pour être l’alliance du peuple la lumière des nations, pour porter le salut jusqu’aux extrémités de la terre. L’œuvre du serviteur demandera des efforts et des peines, qui, à cause de leur stérilité apparente, seraient capables de décourager, mais Jahvé est sa force et sa récompense est auprès de Dieu. Les princes se prosterneront devant le méprisé, le détesté du peuple, l’esclave des tyrans.

l, 4-9. Quelques critiques (Ley, Laue) ne comptent pas ce passage parmi les chants du serviteur. Le serviteur serait ici le prophète ; mais la plupart estiment avec raison que c’est le même personnage que dans les trois autres morceaux. Le serviteur a encore la parole ; il affirme son obéissance, sa docilité, sa fidélité dans l’accomplissement de sa mission. Cette mission lui vaudra des humiliations et des outrages, mais le serviteur « a rendu sa face semblable à un caillou ; » il a confiance en Dieu, il ne sera pas confondu. La certitude du triomphe fait même qu’il brave et défie ses ennemis, car tous tomberont en lambeaux comme un vêtement, la teigne les dévorera. »

xlii, 1-7. Ici la parole est à Jahvé qui introduit le serviteur : f Voici mon serviteur…. » Le Seigneur est avec lui et met en lui sa complaisance. Son esprit sera en lui, voila pourquoi il accomplira parfaitement sa mission qui est d’exposer la Loi aux nations. Il évite le bruit et l’éclat, il est doux et modeste, son action est pacifique et persuasive : il ne brise pas le roseau cassé, il n’éteint pas la mèche fumante. Il sera le médiateur d’une nouvelle alliance, la lumière des nations, pour

éclairer les aveugles, libérer les captifs, ramener au jour ceux qui habitent dans les ténèbres des cachots. Sa mission sera pénible, mais il ne se lassera pas, ne se découragera pas jusqu’à ce qu’il ait établi la justice sur la terre.

lu, 13-liii. Ici encore, c’est Jahvé qui parle de son serviteur : ’< Voici que mon serviteur prospérera… ». L’exaltation du serviteur, la vénération dont les peuples et les rois l’entoureront, sont la récompense de ses humiliations et de ses souffrances, lii, 13-15. Déjà les chants précédents faisaient allusion au côté pénible et douloureux de l’œuvre du servi leur, mais avec le chapitre lui la description de ses souffrances et de leur rôle atteint son point culminant de développement et de clarté. Le prophète prenant la parole expose ce que souffre le serviteur, pourquoi et pour qui il souffre, comment il souffre et quels sont les fruits de sa passion. On ne peut résumer cette page émouvante, ce serait en diminuer l’effet ; il vaudrait mieux la transcrire intégralement.

Il est impossible de lire ces célèbres passages sans être vivement frappé par le caractère précis, concret, individuel des traits dont le prophète s’est servi pour dépeindre le serviteur. Le singulier est toujours employé quand on parle de lui. Il est appelé un homme, lu, 14 ; lui, 3 ; or fait mention de sa voix, de sa parole, de sa langue, désa bouche, de son oreille, de sa barbe, de son visage, de son dos, de sa main, xlii, 2, 6 ; xlix, 2 ; l, 4-9 ; un, 7. Il naît, il grandit, il souffre, il meurt, il a son tombeau. Il remplit une mission vis-à-vis du peuple d’Israël et des nations, il est le médiateur d’une nouvelle alliance, xlii, 6 ; xlix, 8.

b. Preuve négative. — Absolument rien, dans ces quatre passages, n’invite à voir, sous les traits du serviteur, une personne morale, une collectivité. Quelle serait d’ailleurs cette collectivité ? Ce ne peut être le peuple historique d’Israël, ni le noyau des Israélites fidèles, ni l’Israël idéal.

a) Le serviteur ne représente pas l’Israël historique. — Nous avons vu que le peuple d’Israël est lui-même appelé serviteur de Jahvé en plusieurs endroits des chapitres xl-xlviii d’Isaïe, mais ce serviteur est parfaitement distinct de celui de nos quatre passages, les deux portraits sont tout différents. Condamin, Revue biblique, 1908, p. 164-165 établit entre les deux le contraste suivant : « L’un est pécheur, coupable dès les temps anciens, xliii, 24-28 ; xlviii, 1, 4, 8, 10, 18 ; lui, 8 ; l’autre, parfaitement innocent : « Il n’y eut point d’injustice en ses œuvres, et point de mensonge en sa bouche, » un, 9 ; cf. xlii, 1-4 ; l, 4-6 ; il est < le Juste, » lui, 11. L’un est rebelle, sourd, xlii, 19, 20 ; xliii, 8 ; xlviii, 8 ; l’autre docile, à l’oreille ouverte et attentive, l, 4, 5.

Le premier méconnaît l’œuvre de Jahvé, xlii, 20 ; xlviii, 5 ; le second doit annoncer la Loi et l’œuvre de Jahvé aux peuples les plus lointains, xlii, 4 ; xlix, 6.

L’un est aveugle, xlii, 19 ; xliii, 8 ; l’autre « Lumière des nations », chargé « d’ouvrir les yeux des aveugles », xlii, 6, 7 ; xlix, 6.

L’un, exilé, captif, xlii, 24 ; xliii, 5, 6, etc. ; l’autre, libérateur des exilés et des captifs, xlii, 7 ; xlix, 6, 9.

L’un, craintif, alarmé, xli, 9, 10, 13, 14 ; xliii, 1, 5 ; xliv, 2 ; l’autre, plein de courage, de force et de confiance, xlix, 5 ; xlii, 4 ; l, 7-9.

Pour le premier, « des peuples » sont livrés c en échange de sa vie », xliii, 4 ; le second, au contraire, livre sa vie et, en échange, reçoit des multitudes, lui, 10-12.

L’un est évidemment le peuple élu, le pi ipli Jahvé, xr.i, 8, 9 etc. ; l’autre est appelé « Alliance du peuple », xiji, 6, ’xlix, 8, c’est-à-dire intermédia ou base d’une nouvelle alliance de Dieu av< » > il est, par conséquent, distinct du peupl et i 1, i n 71

[SAIE, LE SERVITEUR DE JAHVE

il

parlant de lui. le prophète ilii mis à mort pour le péché de mon peuple, lui. 8.

Donc, d’une part, le peuple d’Israël appelé « serviteur de Jahvé : d’autre part, sous cette même dénomination, un personnage « le caractère très différent, toujours représente sous des traits individuels, souvent opposé au premier serviteur, ou, au moins, distingué de lui.

Comment le serviteur pourrait-il donc être la personnification du peuple historique d* Israël’.' I 7. ! ’ce sens. que le peuple d’Israël est représenté comme portant el expiant les péchés des nations païennes : l’homme châtié et méprisé, méconnaissable, dont on détourne la face avec horreur, c’est le petit peuple d’Israël, réduit a un faible reste, dont la cépée sans cesse ravagée n’a plus qu’une tige, châtie et humilié, non pour ses propres fautes, mais pour celles des nations païennes, l.c prophète envisage les souffrances d’Israël comme rédemptrices, et il met sur les lèvres dos païens le cantique du chapitre tin, en l’honneur d’Israël juste et pur de tout pèche, l’achetant le monde par son martyre immérité.

Cette conception est inadmissible : oc. L’idée qu’Isiæl expie pour les nations est étrangère à l’Ancien

I ( i imeiil et au point de vue de la seconde partie d’Isaïe : ce sont plutôt les nations qui sont livrées eu échange d’Israël, xi.iii. I ; xi.v, 11-17 : M. vu ; xi.ix, 2226 ; li, 22-23. — (3. On ne voit pas à quel moment de son histoire le peuple d’Israël aurait pu expier pour les nations. Avant l’exil, il est lui-même coupable (tandis que le serviteur est innocent), et l’exil est toujours présenté comme le châtiment de ses propres iniquités. Apres l’exil, les prophètes ne lui prédisent plus des épreuves, mais la prospérité, le triomphe et la gloire.

-. Si le serviteur a un rôle â remplir vis a vis des nations, il exerce avant tout sa mission en faveur d’Israël.

II est établi « Alliance du peuple ». XLII, G ; xlix, 8 ; il a pour mission de rétablir les tribus de Jacob et de ramener les dispersés d’Israël, XLIX, 1-0 ; le prophète, s’adressanl au peuple, l’invite a écouter la voix du serviteur, i., Kl : le serviteur est mis â mort pour le péché de son peuple, lui. M. Aussi, les partisans du sens collectif sont-ils forcés de faire subir au texte des corrections violentes et arbitraires, uniquement nécessitées par un système préconçu.

P) L’serviteur n’est pas une personnification de l’Israël fidèle. - L’identification du serviteur avec le noyau resté lidèle. les justes du peuple, l’Israël xaxà

— vE’jp.a évite certains des inconvénients signalés dans la théorie précédente. Elle peut notamment soutenir les contrastes indiqués entre les deux serviteurs, celui des chapitres xl-xlvui et celui des i hauts ila Serviteur. En effet, si l’un représente la masse du peuple, l’autre, le noyau lidèle, on comprend que le premier soit qualifié « le coupable, de rebelle, de sourd et d’aveugle, el que le second soit loue pour son innocence, sa docilité, sa fidélité. Cependant, cette explication est insoutenable aussi : a. S’il s’agissait d’un noyau de fidèles, si restreinl fût il, le prophète devrait

in faire partir, au lieu de se classer lui même parmi

les réfractaires, un, 6, omnes nus </aqu m>cs erravimus…’, . Si la portion fidèle du peuple a soullerl. elle

n’a pas soutint plus que la masse du peuple. Comment

! il (Inné que le peuple dans son ensemble méprise

le ii il aide Israël a cause de ses Souffrances ? Comment

peut il dire, a a ni été châtié lui aussi : i Léchât tment

(pu nous apporte la paix est tombé sur lui’, ' y, Les

prophètes promettent d’ordinaire le salut au reste pu ri fié d’Israël, c’est adiré aux justes ; les fidèles seront donc loui premièrement les bénéficiaires de la délivrance, mais nulle pari ils ne sont présentés comme OUffranl et mourant au profil et a la place de leurs

frères coupable*.

-) Le serviteur de Jahvé ne représente pas l’Israël idéal. — Plusieurs critiques anglais (Davidson, Driver. Skinner), ont adopté la théorie d’Ewald et de Dillmann. d’après laquelle le serviteur de Jahvé serait une personnification d’Israël dans sa destination idéale, tel qu’il existe dans le plan divin, tel qu’il n’a jamais été réalisé dans l’histoire. Dire que Jahvé sauve son peuple par son serviteur, reviendrait à dire qu’il le sauve à cause de son élection et de sa mission providentielle, pour être lidèle a ses promesses et pour réaliser son plan. — Cette explication est juste en partie : il est vrai que Dieu sauve son peuple, pour lui permettre d’accomplir sa mission, conformément aux desseins providentiels ; mais nos textes ne disent pas seulement que Dieu sauve son peuple à cause du serviteur et en vue du serviteur, mais ils disent encore qu’il le rachète par son serviteur. D’autre part, cette explication soulève des difficultés insurmontables : y.. Elle est incompatible avec les traits individuels relevés dans le portrait du serviteur, (die ne s’allie pas avec le ton naturel et simple des chants. — p. Comment peut-on dire de l’Israël idéal, qu’il a été appelé des sa naissance, qu’il a grandi, qu’il a souffert, qu’il est mort pour les péchés du peuple ? La rédemption de l’Israël réel ne s’opère-t-elle donc que parle martyre de l’Israël idéal ? — y. Une conception aussi abstraite, qui ferait d’un exemplaire divin non seulement la cause finale, mais encore la cause instrumentale de la rédemption, est étrangère a l’Ancien Testament et à l’horizon de notre prophète ; elle n’a aucun fondement. historique ou psychologique, c’est une sorte d’idée platonicienne. — S. Si l’on veut donner â cette théorie une signification acceptable, il faut, dans un certain sens, la pousser jusqu’au bout et dire tout simplement que cet Israël idéal, serviteur de Jahvé et médiateur du salut, n’est pas une collectivité idéale, une représentation du peuple tel qu’il devrait être et tel qu’il existe dans le plan divin, niais un personnage individuel, le Messie, représentant d’Israël, à la fois idéal et réel, qui rachètera les tribus d’Israël el le monde par ses souffrances et par sa mort. Nous sommes ainsi ramenés au sens individuel et messianique.

L’opinion défendue par Gesenius qui voyait dans le serviteur de Jahvé une personnification de l’ordre des prophètes, ne compte plus d’adeptes. Les partisans actuels du sens collectif reviennent de plus en plus, comme à la solution la plus simple, à l’opinion qui identifie partout le serviteur de Jahvé avec le peuple d’Israël tout entier. Mais cette théorie elle-même, maigre les efforts énergiques de Giesebreeht et de Budde, est peu à peu délaissée, et le sens individuel des chants du serviteur revient en honneur.

b) Le sens individuel n’est pas en contradiction avec le contexte.

Nous avons vu que l’interprétation individualiste des quatre passages relatifs au serviteur de Jahvé est la seule qui réponde aux exigences du texte. Le sens collectif ne convient pas â la teneur de ces morceaux pris en eux-mêmes ; mais il ne s’harmonise pas davantage avec les autres endroits de la seconde partie

d’Isaïe où le peuple d’Israël est appelé serviteur de

Jahvé. Et cependant, l’argument emprunte au contexte qui encadre les chants du serviteur est le principal, voire même l’unique qu’apportent les défenseurs

du sens collectif : Dans beaucoup de passages de la seconde partie d’Isaïe. dit on. le serviteur représente Israël personni lie d’une façon vive, nette, audacieuse ; il doil en être de. même dans les soi-disant chants du Serviteur. Il est inadmissible que le prophète, qui, dans

plusieurs passages, applique explicitement la notion et

le titre de serviteur â Israël, ail fail. en d’autres endroits, sans avertissement aucun, un usage tout différent de ce litre. Au nom de l’harmonie qui doil régner entre les différentes parties de l’œuvre, il faut 73

ISA 11’LE SERVITEUR DE.1 ll É

dire que c’est partout le peuple d’Israël qui est visé.

I.a preuve tirée du contexte a paru si forte à de nombreux partisans du sens individuel qu’ils n’ont pas hésite à sacrifier l’authenticité des chants du serviteur, et à les considérer comme des interpolations dans les chapitres i.-i v d’Isaïe. Ewald avait ouvert la voie en 1841, en émettant l’idée que i.ii. 13-i.m célébrait primitivement la mort d’un martyr éminent de l’époque de Manassé. Le second [sale aurait inséré cette page dans son œuvre en l’appliquant à l’Israël spirituel. Duhm étendit cette thèse aux quatre chants du m r iteur. D’après lui, ces morceaux, qui tracent le portrait d’un personnage individuel, proviennent d’un écrit particulier, indépendant du second Isaïe. niais repris cl retravaillé par lui. Sellin défend une théorie semblable. mais plus favorable à l’authenticité, en ce sens qu’il admet l’unité d’auteur pour les chants du serviteur et les autres discours du DeutéroIsaïe. Dos Ilatsel des Deuterojesajanischen Bûches, Leipzig, 1908, p. 120. Einleïtang in du* Alte Testament, Leipzig, 1914. p. 88. A son jugement, les chants du serviteur faisaient primitivement partie d’un cycle de poésies composées par le DeutéroIsaïe en l’honneur de Joïakhin, déporté à Babylone en 597, mais réhabilité par Amel-Marduk (Evil-Merodach ) en 561. l’ius tard, en 539, le même prophète a compose de nouveaux discours pour chanter la délivrance, et il a reporté sur Israël les titres de gloire qu’il avait autrefois décernés à Joïakhin. Il emprunta aussi aux hymnes messianiques qu’il avait chantés naguère à la louange du roi. des fragments qu’il inséra en différents endroits de ses exhortations et félicitations à l’adresse d’Israël : ce sont les quatre morceaux actuels concernant le serviteur de Jahvé.

Nous croyons qu’il est possible de défendre l’interprétation individualiste des chants du serviteur dans le contexte actuel de la seconde partie d’Isaïe. Avec les partisans du sens collectif, nous admettons donc l’authenticité de ces chants, et avec les partisans du sens individuel, nous soutenons qu’ils visent un personnage concret, bien déterminé.

a. Des quatre chants du serviteur, trois se trouvent rassemblés dans la deuxième section, xlix-lv, de la seconde partie d’Isaïe. où jamais le peuple d’Israël n’est explicitement désigné sous le nom de serviteur ; un seul, xlii. 1-7, se rencontre dans la première section, xl-xi. viii, dans un contexte où Israël-Jacob est nommé serviteur, xi.i, 8-10 ; xlii, 19-20. Nous avons dit, col. 22, qu’il y avait de bonnes raisons pour justifier la transposition de xlii, 1-7 dans la deuxième section, et ce simple déplacement supprime la principale difficulté tirée du contexte contre l’interprétation individualiste du serviteur. En effet, la situation est alors la suivante : une première série de poèmes où le peuple d’Israël est appelé serviteur de Jahvé, décrit la vocation et l’œuvre de Lyrus ; une seconde série, étroitement apparentée à la première et cependant distincte, oii jamais le peuple n’est appelé serviteur, décrit la vocation et l’œuvre d’un personnage autre que Cyrus, désigné par le titre de serviteur de Jahvé, en faveur d’Israël et des nations. Quelle incohérence y at-il dans une semblable disposition ?

Il nous paraît, en tout cas, plus naturel et plus simple d’admettre que, dans deux séries de poèmes parallèles, le serviteur de Jahvé ait deux significations bien distinctes, dans la première celle d’une collectivité, dans la seconde celle d’un individu, que de soutenir que le titre est partout donné au peuple d’Israël, envisagé sous différents aspects qui ne s’harmonisent d’ailleurs pas avec le rôle assigné au serviteur. Il n’est pas étonnant que le serviteur ait deux ou trois acceptions différentes dans la seconde partie d’Isaïe. le passage de l’une à l’autre s’explique facilement. Israël et les Israélites sont toujours appelés serviteurs de Jahvé

parée que Jahvé est le maître, parce qu’il a droil service et au culte de son peuple. Les prophètes sont appelés serviteurs de Jahvé parce qu’ils servent sa cause en promouvant son culte. Qu’est-ce qui empêche de donner aussi le titre de serviteur, d’une façon éminente, à celui qui, dans les vues de l’écrivain, est des tiné à être le grand défenseur de la cause de Jahvé, a donner à son culte un éclat que le passé n’a jamais connu ?

b. Les chants du serviteur ne brisent pas le contexte de la seconde section. Rien ne prouve qu’ils aient été empruntés à une composition différente, et insérés dans un contexte qui ne les renfermait pas d’abord. D’après l’analyse que nous en avons donnée, la seconde section s’ouvre par deux morceaux concernant le serviteur, xlix. 1-7 L. 4-9 ; vient ensuite une description du salut, de la délivrance des captifs et du rétablissement de Sion, xlix, 8-lii, 12 ; puis les deux autres chants du serviteur, xlii, 1-7+lii 13-liij ; enfin le tableau de la gloire de la nouvelle Jérusalem — a) Les passages, où apparaît le serviteur constituent un élément important de cette section. Us forment deux groupes qui se répondent, le premier où le serviteur parle, le second où Jahvé parle du serviteur. Il n’est pas prouvé que ces quatre morceaux aient d’abord été réunis, puis disloqués pour être enchâssés dans le contexte actuel. — P) Les peintures du salut qui font suite à l’exposé de la mission du serviteur s’y rattachent comme le fruit à l’arbre qui le produit. — y) On y rencontre certaines expressions caractéristiques qui reviennent aussi dans les chants, et qui prouvent en faveur d’une composition unique. Qu’on compare xlix, 2 et li, 16. Le parallélisme est si frappant que Van Hoonacker rattache li, 16 aux passages concernant le serviteur, et le situe après xlix, 3. A comparer encore L, 9 et li, 6, 8 (les vêtements qui tombent en lambeaux, dévorés par la teigne) ; xlii, 1-4 et li, 4-5 ; les versets 8-9 du chapitre xlix ne se comprennent qu’après un morceau concernant le serviteur ; il en est de même de L, 10 : Qui de vous craint Jahvé, qu’il entende la voix de son serviteur. — S) Si l’on étend le premier chant du serviteur jusque xlix, 9, et le second jusque l, 10, on obtient un développement intercalaire, xlix, 10-lii, 12, entre les deux groupes de chants, qui forme un ensemble, un tableau de la délivrance, intelligible en lui-même, qu’on pourrait concevoir indépendamment des chants du serviteur, comme c’est le cas aussi pour les chapitres i.iv-lv, etc. Il serait donc possible que ces chants, composés d’abord, primitivement juxtaposés, aient été insérés dans le contexte actuel par l’auteur de ce contexte, qui serait d’ailleurs aussi l’auteur des chants. Mais en définitive, cette solution plus compliquée ne paraît ni imposée, ni nécessaire, et l’on ne voit pas pourquoi l’auteur de la seconde partie d’Isaïe n’aurait pu, pour décrire la mission du serviteur et ses résultats, composer d’une seule venue les morceaux nommes chants du serviteur, et les développements qui les accompagnent.

c) Le serviteur de Jahvé désigne le Messie. — Les exégètes catholiques ne sont pas seuls à reconnaître que le portrait du serviteur de Jahvé s’est trouvé reproduit dans la vie de Jésus de Nazareth, telle qu’elle nous est racontée par les Évangiles. Beaucoup de cri tiques, partisans du sens collectif, avouent aussi que la prophétie s’est, en fait, beaucoup mieux accomplie eu Jésus qu’en Israël ; seulement, d’après eux, l’écrivain n’aurait pas pense au Messie (Dillmann, Davidson, Driver, Adam Smith, Skinner, Kautzsch. Mena i, (’lier. Monnier, et d’autres). Le sens imlivid’I c prouvé, il n’est ]>as difficile d’établir qui l’éc sacre n’a pas eu en vue d’autre personnage que’sic futur, en d’autres ternies, que le 5ell’aeS ! est le sens littéral des passages relatif ! B StST 111 [SAIE, LE SERVITEUR DE JAHVÉ

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a. L’exégèse Juive n’abandonna le sens messianique qu’au moyen âge, par suite des controverses avec les chrétiens, comme le reconnaissent les plus célèbres rabbins, Kimchi, Abarlianel, etc. Les uns, marchant sur les traces de certains juifs du temps de saint Jérôme, maintinrent le sens individuel, mais l’appliquèrent à un personnage autre que Jésus, à Isaïe par exemple ; mais la plupart virent dans le serviteur une personnification du peuple d’Israël. Anciennement ils aimaient à voir le Messie dans le serviteur de Jahvé, au moins dans quelques passages. Le Targum interprète dans le sens messianique, xlii, 1 ; lii, 13 ; lui, 10. Il est à remarquer toutefois que ce qui est dit des souffrances du serviteur est appliqué au peuple.

Le Nouveau Testament identifie certainement le serviteur et le Messie, car il en applique les principaux traits à Xotre-Seigncur. Que l’on compare Is., xlii, 1-4 et Matth.,

. 18-21 ; Is., xlii, 6 et Luc, ii, 32 ; Is., xlii, 7 et Matth., xi, 5 ; Is., Xlix, 2 et Apoc, xix, 13, 15 ; Is., l, 6 et Matth., xxvi. (57 : Is., lui et Matth., viii, 17 ; Marc, xv, 28 ; Luc, xxii, 37 ; I Petr., ii, 21-25, etc. L’interprétation des Pères est unanime à reconnaître dans les chants du serviteur, surtout dans le chapitre lui, une prédiction de l’œuvre et de la passion de Jésus-Christ, et personne, dit Hengstenberg, à part Seidel et Grotius, dans l’Église chrétienne pendant dix-sept siècles n’a mis en question l’exégèse messianique de ces passages. On les célébrait comme le cinquième Évangile, comme l’Évangile de la Passion d’après Isaie. Il est vrai qu’on a parfois expliqué, dans le sens littéral, xui, 1-7 de Cyrus (encore Meignan), xlix, 1-6 du peuple (saint Thomas), l, 4-9 d’Isaïe (saint Jean Chrysostome, saint Thomas) mais on s’empressait d’ajouter que Cyrus, Isaïe et le peuple étaient des figures du Messie. Ce n’est que vers la fin du xviiie siècle que l’exégèse indépendante commença à abandonner le sens messianique qui impliquait une prophétie. On retourna au sens collectif, introduit par les juifs, ou bien, si l’on maintint encore le sens individuel, on en chercha l’explication dans quelque personnage du passé. On se préoccupa aussi de dissimuler le préjugé rationaliste qui servait de base à la nouvelle exégèse sous des considérations empruntées au texte et au contexte des chants du serviteur.

b. Le portrait du serviteur ne convient à aucun personnage différent du Messie. On a essayé en vain de le reconnaître dans Moïse, David, Osias, Ézéchias, Isaïe, Jérémie, Josias, Zorobabel, Jécbonias, etc. En désespoir de cause, Duhm a ressuscité l’hypothèse du martyr anonyme suggérée par Ewald. Pure conjecture aussi de supposer avec Sellin que le prophète voulait bien décrire la mission et l’œuvre du Messie, mais qu’il reportait en fait ses espérances messianiques sur un de ses contemporains, soit Zorobabel, soit Joiakhin. C’est tout simplement lerôledu Messie futur, sans autre détermination, que l’écrivain a contemplé et décrit dans ses tableaux prophétiques.

Les fonctions que les chants assignent au serviteur sont messianiques : Il sera le restaurateur de son peuple et inaugurera une ère de prospérité inouïe. Il ne se laissera pas abattre jusqu’à ce qu’il ail établi le droit

sur la terre. Il portera le salut de Jahvé Jusqu’aux connus du monde, il fera connaître la loi aux nations el Interprétera le droit selon la vérité, il sera la lumière

des nations et le fondement d’une alliance nouvelle 11 consolera toutes les peines, guérira toutes les in linn il es, rendra la vue aux aveugles, la libellé aux prisonniers la lumière a ceux qui sont dans lis ténèbres, etc. Ci’sont i’en là les notes dont les prophètes se servent pour Caractériser les temps messianiques ; ce sont celles que nous avons rencontrées dans un passage éminemment

messianique, le chapitre xi d’Isaïe.

Que l’œuvre du serviteur soit décrite comme pré sente, ou même comme passée, cela ne doit pas trop nous étonner ; le prophète agit ainsi pour la représenter et la dépeindre plus vivement. Ce n’est d’ailleurs pas le seul exemple que nous rencontrions dans les prophéties messianiques. L’enfant aux noms merveilleux, chanté par Isaïe au chapitre ix, est présenté de la même façon : « Un enfant nous est né, un fils nous a été donné, l’empire a été posé sur ses épaules, etc. C’est beaucoup moins encore un phénomène propre aux passages concernant le serviteur, que de représenter comme étroitement unies, dans l’œuvre du Messie, la délivrance de l’exil et la restauration messianique. L’ère messianique n’est-elle pas rattachée à la délivrance du péril assyrien dans la première partie d’Isaïe et dans la prophétie de Michée ? Ce phénomène se rencontre à chaque pas dans les oracles messianiques.

Il est plus étonnant à première vue, que le Messie, décrit sous les traits du serviteur, ne soit jamais présenté comme le fils de David, le roi des temps futurs. On s’est même demandé si, dans ces conditions, le serviteur était bien le Messie, s’il n’était pas plutôt une figure parallèle à celle du Messie. Nous croyons qu’il est plus exact de dire que le prophète nous décrit ici un aspect nouveau du rôle du Messie. Jusqu’ici, le Messie avait été présenté comme un roi davidique, procurant à son peuple le salut, la prospérité et la paix, inaugurant une alliance nouvelle, faisant régner sur la terre la justice et la vérité. Toutes ces notes se retrouvent dans la seconde partie d’Isaïe, mais en même temps, le prophète pénètre plus profondément le comment de l’œuvre du Messie, il nous en dévoile des aspects nouveaux, intimes, insoupçonnés. Le portrait du Messie ne s’élabora que lentement, tous les prophètes y ont apporté leur trait, il faut les rassembler pour l’avoir dans sa perfection. Ici donc, nous apprenons à connaître le côté douloureux de l’œuvre du Messie et le caractère rédempteur de ses souffrances. Ce salut, cette paix, cette justice, que le Messie doit procurer à son peuple et au monde, ne s’obtiendront que par la passion et par la mort du héros. Ce sont ces épreuves imméritées où le juste se substituera aux coupables, qui nous vaudront le pardon et la paix et toutes les bénédictions du ciel : Le Testament nouveau sera scellé dans le sang : Hic est sanguis meus Novi Testamenti… Dans ces conditions, on s’explique quelque peu que le prophète, voulant avant tout nous présenter le tableau des humiliations et des souffrances du Messie, ne se soit pas cru obligé d’insister particulièrement sur sa royauté et sa descendance davidique. Ces attributs nous étaient suffisamment connus. Us sont d’ailleurs implicitement rappelés dans la description de l’œuvre du serviteur : nous avons noté le parallélisme entre l’œuvre du serviteur et celle du Fils de David, du rejeton de Jessé, aux chapitres ix et xi d’Isaïe ; et au chapitre lv, 3-4, en décrivant la nouvelle Jérusalem, comblée de gloire par l’œuvre du serviteur, le prophète déclare que dans la nouvelle alliance, les promesses faites à David s’accompliront : « Et je conclurai avec vous un pacte éternel : c’est la faveur assurée à David. Voici j’ai fait de lui un témoin pour les peuples, un chef et un maître des peuples, u

c. Les chants du serviteur développent d’une façon émouvante la doctrine de la solidarité entre le Messie el ses frères, de la satisfaclio vicaritie ! de la substitution de l’innocent aux coupables. Par ses abaissements, ses souffrances et sa mort, le serviteur expie les crimes de ses frères ; il les conduit à la glorilical ion.qu’il s’est

acquise pour lui-même par ses humiliations, ("cite doctrine que les Évangiles n’ont pas dépassée, saint Paul l’exposera dans toute son ampleur, et en déduira toutes les conséquences pour la vie chrétienne. Mais

les théologiens, les prédicateurs, les auteurs mystiques, continueront à moissonner dans le champ d’Isaïe, dit ISAIE, LE SERVITEUR DE JAYIIÉ

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très bien le cardinal Meignan, et il restera toujours après eux des renseignements à glaner.

Nous n’avons pas à rechercher ici les origines de la doctrine du Messie soutirant chez Isaïe. Lui fut-elle révélée toute faite dans une vision prophétique ? Est-elle le couronnement d’une préparation historique providentielle ? La révélation se rattache-t-elle à certains faits passés ou contemporains du prophète, à certaines conceptions philosophico-religieuses ? Les souffrances de Jérémie ont-elles servi au voyant dans l’élaboration de son idéal de l’homme des douleurs, comme le sout tuait Renan ? Il ne serait pas inconcevable, dit à son son tour M. Van Hoonacker, Revue biblique. 1909, p. 503, à propos de Joïakhin, que la révélation du Messie souffrant, destinée au peuple captif à Babylone, se fût rattachée, comme point de repère, à un exemple fourni par l’histoire des grandes épreuves traversées par la nation, surtout si les circonstances olïraient cet exemple dans la personne d’un roi, rejeton de la dynastie de David. On a émis l’idée que l’origine de la conception d’un Messie soutirant pourrait bien se trouver dans les documents babyloniens. La source première en serait le célèbre poème du « Juste soutirant » que nous a conserve un texte de la bibliothèque d’Assurbanipal et que l’on trouvera dans P. Dhorme, Choix de textes religieux assyro-babyloniens, Paris, 1907, p. 372 sq. La lamentation qui, dans sa forme actuelle, remonterait à l’époque d’Hammurabi, met en scène l’homme abandonné des dieux et des hommes, en proie à toutes les adversités, et qui cependant a conscience de son innocence. Les plaintes du malheureux sont entremêlées de réflexions sur l’inconstance du sort et la versatilité des humains. Mais, nonobstant certaines ressemblances de détail, attribuables au sentiment de la douleur qui est partout le même, il y a de profondes différences entre le serviteur soutirant d’Isaïe et le prétendu Juste souffrant de la littérature cunéiforme : celui-ci ne souffre pas avec résignation ; surtout, il ne soulïre pas pour expier les crimes des autres, trait essentiel dans le portrait du serviteur de Jahvé.

Conclusion générale. — Isaïe éclipse tous les prophètes qui l’ont précédé. Amos avait prédit le redressement des tentes de David ; Osée avait annoncé qu’à la fin des jours, les enfants d’Israël se convertiraient à Jahvé, leur Dieu ; Michée avait célébré les triomphes du Dominateur sorti de Bethléem ; Isaïe reprend, perfectionne et rassemble tous ces traits. Les prophètes qui le suivent s’inspirent de lui. Le Nouveau Testament a utilisé Isaïe en plus de 85 passages. L’Église lui a emprunté les plus belles pages de sa liturgie. On comprend que l’Ecclésiastique parle de lui avec une sorte d’exaltation, que les Pères le considèrent comme le plus grand des prophètes, presque comme un apôtre et un évangéliste, que les modernes, enfin, envisagent son livre commele manuel du messianisme.

I. Travaux d’ordre générai.. — 1° Parmi les anciens, les commentaires d’Origène, d’Eusèbe, de saint Cyrille l’Alexandrie, de saint Éphrem, de saint Jérôme.

2° Parmi les modernes : 1. Catholiques : Calmet, Commentaire littéral sur tous les Hures de l’Ancien et du Nouveau Testament. I.e Prophète Isaïe, Paris, 1714 ; Houbigant, Biblia hebraica cum notis crilicis et versione latina, t. iv. Prophetæ l>osteriores, Paris, 1753 ; Schegg, Der Prophel Jesaja ùber-’elzt und erklurt, Munich, 1850 ; Le Hir, Les trois grands prophètes, Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, Paris, 1877 ; Trochon, Isaïe, introduction critique et commentaires, Paris, 1878 ; Knabenbauer, Commentarius in Isaïam prophetam, Paris, 1887 ; Condamin, Le livre a" Isaïe, traduction critique avec notes et commentaires, Paris, 1005 ; Schloegl, Die heiligen Schriften des alten Bundes, t. iv, Jesaja, 1915 ; Tobac, Les prophètes d’Israël, t. ii, Malines, 1921 ; Peters, Zu der Gotteserscheinung in Is. Kap. 16 dans Théologie und Glaube.i. m. 191 1, p. 188. Federlin, A propos d’Isaïe, X, 20-31, dans.Revue biblique, 1906, p. 266-273 ; Touzard, Isaïe, XI -’- ; » et les sept dons’lu Saint-Esprit, dans Revue biblique, 1899, p. 249-266 ;

Lagrange, L’apocalypse d’Isaïe XXIV-XXVII, à propos des derniers commentaires, dans Bévue biblique, 1894, p. 200231 ; Touzard, De la conservation du texte hébreu ; Etude sur Isaïe, XXXVI-XZXIX, dans Bévue biblique, 1897, p. 188191 ; Gigot, 771c autorship o/ Isaias XL-LX VI, dans The New-York Bevicw, aoùtnovembre, 1905 ; Pope, The integrily of the book of Isaias, dans The Irish theological Quarterly, 1. 1, 1907, p. 447-457.

2. Non catholiques.

Hitzig, Der Prophel Jesaja ùbersetzt und ausgelegt, lleidelberg, 1833 ; Luzzatto, Il Projeta Isaia volgarizzato ecommentalo, Padoue, 1855-1856 ; Brcdenkamp, Der Prophet Jesaja erlautert, Erlangen, 1886-1887 ; Dclitzsch, Biblischer Commentar iiber das A. T. : Jesaia, Leipzig, 1889 ; Giesebrecht, Beitràge zur Jesaia Kritil ;, Gôttingen, 1890 ; Dillmann, Der Prophel Jesaia, Leipzig, 1890 ; Driver. Isaiah, his li/e and times, Londres, 1893 ; Cheyne, Introduction to the Book oj Isaiah, Londres, 1895 ; Smith, Isaiah (The Expositor’s Bible), Londres, 1888-1894 ; Rawlinson, Isaiah (The Pulpil Commentary), Londres, 1897 ; Kittel, Jesaia (Kurzgefasstes exeget. Handbueh zum A. T.), Leipzig, 1898 ; Marti, Das Buch Jesaia (Kurzcr Hand-Commentar zum A. T.), Tubingue, 1900 ; Skinner, 7/ie Book of the Prophet Isaiali, Cambridge, 1900-1902 ; Duhm, Das Buch Jesaia (Handcommentar zum A. T.), Gôttingen, 1914 ; Von Orelli, Der Prophel Jesaja, Munich, 1904 ; Maclaren, The Book of Isaiah, ch. 1-4 S, Londres, 1905 ; Wilke, Jesaja und Assur, Leipzig, 1905 ; Leimbach, Das Buch des Prophcten Isaias, Fulda, 1907 ; llalévy, Recherches bibliques. Le livre d’Isaïc, dans, Revue sémitique, 1909-1914 ; Gray and Peake, A critical and exegetical commentary on the book oj Isaiah, Londres, 1912 ; Hitchcock, The higher criticism of Isaiah, Londres, 1910 ; Bruston, La conclusion du premier discours du prophète Isaïe, dans Revue de théologie et des questions religieuses, t. xix, p. 418-422 ; Caspari, Ec/if/ieiï, Hauptbegriff und Gedankengang der messianischen Weissagung Jes., 1-6, Gûtersloh, 1908 ; Kennet, The prophecy in Isaiah, IX, 1-7, dans The journal oj theological studies, 1906, t. vii, p. 321342 ; Boutflower, Isaiah XXI in light of Assyrian history, dans The journal of theological studies, 1913, t. xiv, p. 501515 ; t. xv, p. 1-13 ; Meinhold, Jesaia und seine Zeit, 1898 ; Die Jesajærzàhlungen, Jes., 36-39, 1898 ; Der heilige Best, Bonn, 1903 ; Kônig, The Exile’s Book of consolation, 1899 ; Liebmann, Der Texl zu Jes. 24-27, dans Zeitschrift fur die allesl. Wissenschaft, 1902-1905 ; Ottley, The book of Isaiah, according to the Septuagint (Cod. Alex.) Iranslated and ediled, Londres, 1904 ; Cramer, Der geschichtliche Hinlergrund der Kapitel 56-66 im Bûche Jesaja, Dorpat, 1905 ; Kuchler, Die Slellung des Propheten Jesaja zur Politik seiner Zeit, Tabingue, 1906 ; Zillessen, Tritojesaja und Deulero jesaja. Eine literarische Unlersuchung zu Jes. 56-66, dans Zeitschrift fur die iiltest. Wissenchaft, 1906, t. xxvi, p. 231-276.

IL Études spéciales sur l’Emmanuel. — 1° Catholiques. — Lagrange, La Vierge et l’Emmanuel, dans Bévue biblique, 1892, p. 481-497 ; Haghebært, La Vierge mère au chapitre VII d’Isaïe, Ibid., 1893, p. 381-383 ; Huighe, La Vierge mère, dans La science catholique, 1895, 15 février ; Durand, La Vierge et V Emmanuel, dans l’Université catholique, 1899, juin ; Van Hoonacker, La prophétie relative à la’naissance d’Immanuel, dans Bévue biblique, 1904, p. 213-227 ; Lémann, La Vierge et l’Emmanuel, Paris, 1904 ; De Moor, Le chapitre VII d’Isaie contenant la description prophétique de la naissance d’Immanuel ou de Dieu avec nous, dans La science catholique, 1904, décembre ; Denis, Isaie VII-VIII, 10. Essai d’explication, dans La science catholique, 1906, avril ; Ten Bokum, De Emmanuel bij Isaias, VII 14-16, dans Nederlandsche Katholicke Slemmem, 1907, p. 166176 ; Beauquier, Le signe de V Emmanuel, dans Bévue augustinienne, 1908, t. xi, p. 529-561 ; Perret, La prophétie d’Emmanuel. Isaïe VII, 13 sq., dans Bévue pratique à* apologétique, 1910, 15 octobre, p. 81 -99 ; Boylan, The sign in Isaias l //, 14, dans The Irish theological Quarterly, 1912, 1. ii, p. 203215 ; Calès, Le sens de « Almah » en hébreu d’après les données sémitiques et bibliques, dans Recherches de science religieuse, 1910, p. 161-168 ; Calés, Les trois discours prophétiques sur l’Emmanuel (Isaïe, >// ; VIII, 1-10 ; VIII, 11-I.X, 6)., Ibid.. 1922, p. 169-177.

Non catholiques.

Burncy, OUI Testament notes, I,

771e « sign » of Immanuel, dans The journal of theological studies, 1909, t. x, p. 580-584 ; Gray, The virgin birtli in relation to the interprétation 0/ Isaiah VII, ii, dans The Expositor, 1911, p. 289-308.

III. Etudes SPÉCIALES SUE LE si Rvm 1 1 DE JAHVÉ. — P Catholiques. — Feldniann, Der Knecht ( Iles

Kap. 4(i- ;  :, . Fribourg-en-B., 1907 ; Protin, Le Messie souffrant dans la pensée juive, dans Revue augustinienne, l’.utT, t.. p. ; >-2."> : Condamln, Le serviteur de Jahvé. Un nouvel argument pour le sens individuel messianique, dans Revue biblique. 1908, p. 102-181 ; Van Hoonacker, L’Bbed Jahoé et lu composition littéraire des chapitres XL sq. d’Haie, Ibid., 1909, p. 197-528 ; Jansen, Isaias in. i.-mi. 12, danStudUn, Utrecht, 1909, t.i.wi, p. 509-529.

2° Von catholiques. The flftg-lhird chapter « I Isaiah according (o the Jewish interpreters, Oxford, 1876, 1877 ; Urwick, The servant <>/ Jehovah, Edimbourg, 1877 ; Dalman, Jesaiah S ; mit besonderer Berûcksichtigung der sijnaijogalen Literatur, Leipzig, 1891 ; Ley, Historicité Erklàrung dis zwetten Teils <les Jesaia, Marbourg, 1893 ; Schwan, Die Ebed-Jahve-Lieder in.les. iO-66, 1895 ; Cobb, The servant of Jahweh, dan-. Journal <>/ Biblical Littérature, 1895 ; Sellin Serrubabel, Leipzig, IS’.is ; Studien zur Entstehungsgeschichte iler jùdischen Gemeinde. I Der Knecht dattes bei Deuterojesaja, Leipzig, 1901 ; Vas Ràtseï des Deuterojesajanischen Huches. Leipzig, ’1908 ; Laue, Die Ebed-Jahve-Lieder in II llicil des Jesaja, Wittenberg, 1898 ; Fultkrug, Der Gotteshnecht îles peuterojesaja, GOttingen, 1899 ; Budde, Die togenannlen Ebed-Jahve-Lieder und ilie Bedeutung des Knechtes Jahwes in.les.. 40-56, Gicsscn. 1900 ; Giesebrecht, lier Knecht Jahwes des Deuterojesaja, 1902 : Zillessen, Jesaiah m. 13-LIII, ij hebratsch nach i.x.x, dans Zeitschrift fur die uitest. Wissenschaft, 1905 ; Israël in Darstettung und lieurtellung Deuterojesajas (40-55) ; l’An Beitrag zum Ebed-Jahwe Problem. Ibid., 1904, 1. wiv, p. 251-295 ; Laue, Wochmals die Ebed-Jahwe-Lieder, dan-. Studien und Kritiken, 1904, p. 319-379 ; Workrnan, The Servant o/ Jehovah, Londres, 1907 ; Non Orclli, Der Knecht Jahve’s im Jcsajabuche, dans liiblische Zeil-und Streitfagen, Berlin, 1908 ; Margoliouth, Iiecent exposition o/ Isaiah lui, dans The Expositor, 1908, t. vi, p. 59-68 ; Kennet, linservant of the Lord, Londres. 1011 ; Stærk, Die Ebed-Jahwe-Lieder in Jesaja lu si/, liin Beitrag zur DeuterojejasaKrilik. Leipzig,

191 : } ; Dalman, Jesaja ;  ;, </(i.v Prophetenwort nom Sûhnleiden îles Gottes Knechtes. Leipzig, 1914 ; Mowinckel, Der Knecht Jahwàs, Giessen, l’.121.

E. Tobac.

2. ISAIE, moine et auteur ascétique, que l’on a longtemps identifié avec un célèbre anachorète deScété contemporain de saint Atlianase († 373), sur lequel on peut voir les renseignements groupés par Tïllemont, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique, t. vii, p. 430 ; t. m. p. 1 17. 789. Il esi aujourd’hui démontré que l’auteur ascétique, le seul, parmi les nombreux homonymes, qui doive trouver place dans ce dictionnaire, n’est autre que ce moine [sale, né en Egypte et mort aux environs de Gaza, dont Zacharie le Scolastique a écrit, vers l’an 518, une courte biographie, perdue en grec, mais conservée en syriaque et publiée en celle langue par J. l.and. Anecdota syriaca, Leyde, 1870, t. iii, p.’.', 1 1 ; - : ’, .")< ;. On en trouve une traduction allemande dans K. Ahrens et G. Krùger, Die sogenannte KirchengeschichtedesZacharias Rhetor, Leipzig, 1899, p. 263-274. D’après ce document. Isaïe, né en Egypte, embrassa, jeune encore, la vie monastique dans la solitude de

Scété ; plus tard, sans doute après le concile de C.halcédoine (451), il se relira en Palestine, d’abord dans le désert d’Kleuthéropolis, puis pies de (, a/a. au village

île Beth-1)aii ha, où il construisit un monastère, dont il abandonna ensuite la direction à son principal disci pie, Pierre l’Égyptien, pour mener lui-même la vie de réélus dans une étroite cellule. Il est plus d’une fois question de lui dans les Plérophories de Jean de Maïomiia, et deux récits de cette compilation qui le concernent se laissent aisément dater, l’un, de l’an 17 1, cl l’autre, de l’an 478. Plérophories, édit. F. Nau, Paris, 1899, n. I2, i ». il, et n. 22, p. 25. D’autre part, la prétendue Histoire ecclésiastique de Zacharie le Scolastique

nous montre Is.u vivant encore en Palestine en 182.

après’i promulgation de l’Hénotique de Zenon, en

relation-, fort intimes avec les chefs inonophsiles,

Pierre l’Ibérlen, évêque de Malouma, el Théodore, le futur évêque d’Arsinoé. Ahrens et Krtlger, op. cit.,

p. 79 : Nau, Plérophories, n. 65, p. 65 ; R. Raabe, Petrus der Iberer, Leipzig, 1895, p. 9C-99. 115-117, 132. Isaïe était donc, à n’en plus douter, monophysite avéré, mais sans intransigeance, et s’il ne se déroba pas, comme .ses amis nommés plus haut, à la visite des envoyés de l’empereur Zenon, c’est qu’il n’hésita pas à signer Il [énotique. Voir l’épisode de cette isite dans Ahrens et Krùger, op. cit., p. 90.272 ; Raabe. op. cit., p. 96-99. Il y a plus : un autre récit nous le montre conseillant à deux moines orthodoxes de rester fidèles au concile de Chalcédoine. F. Nau, Les récils inédits du moine Anasiase, Paris, 1902, p. 66 sq. Son monophysisme, on le voit, n’avait rien de farouche. Nous savons par sa Biographie qu’il vivait encore en l.S-1. lors de la révolte d’Illos, Léontios et Pamprépios, et Kugenera prouvé à l’aide de la Vie anonyme de Pierre libérien, que sa mort eut lieu le Il août -188. Byzantinische Zeitschrift, 1900, t. ix. p. 166.

Que l’anachorète dont nous venons de parler soit bien l’auteur des traités ascétiques publiés sous le nom du moine Isaïe. on n’en saurait douter. Outre le témoignage de son biographe, qui lui attribue un livre d’Exhortations sur la vie religieuse, deux de ses discours, le vingt-cinquième et le vingt-sixième, sont adressés à -son disciple I Mené. et l’on a vu plus haut que le principal disciple d’Isaïe portait précisément le nom de Pierre. D’après la Mosquensis 177 de Wladimir, c’est par ce même Pierre qu’Isaïe. suivant l’habitude reçue chez les reclus de son temps, fit parvenir à ses religieux dix-sept autres instructions ; précieux détail, non indiqué dans la traduction latine. Ces discours ont donc pour auteur un homme d’une foi suspecte, et cette circonstance n’avait pas échappé à saint Sophrone de Jérusalem, qui traite Isaïe d’acéphale, P. G., t. i.xxxvii, col. 3192, bien que saint Théodore Studite, par une distinction peu fondée, l’ait tenu pour orthodoxe, P. G., t. xux. col. 1028 et 1816, créant ainsi une tradition qu’enn gistrera bientôt l’éditeur studite des œuvres du moine Dorothée. P. G., t. i.xxxviu, col. 1613. Rien toutefois, dans ce qui nous reste des traités d’Isaïe, ne blesse la vraie doctrine. Le fait s’explique par la nature même de ces courts entretiens, qui n’ont pour objet que la perfection religieuse. Ce sont d’abord vingt-neuf discours sur les vertus et les pratiques monastiques, réédités par Migne, P. G., t. xi., col. 1105-1206, en une traduction latine due à Pierre-François Léno, de Vérone, et parue pour la première fois à Venise en 157 l. Le texle grec, resté longtemps inédit, a été publié récemment par le moine Augustin, de la laine de Saint-Gérasime, dans la vallée du Jourdain, sous le titre suivant : To’j ôatou TrocTpiç jju.ûv xfifiâ’Hooctou Xôyoi xO’. in-8°, Jérusalem, imprimerie du Saint-Sépulcre, 1911, xxv-251 j). Ces vingt-neuf discours forment à peu près tout l’héritage littéraire d’Isaïe. En effet, les Capi tnlu i de religiosa exerciiatione et quiète, publiés par Pierre Poussines dans son Thésaurus asecticus. Toulouse, 1683, p. 315-325, et reproduits par P. G., t. xj. col. 1205-1212, d’après l’édition de (iallandi, Velerum l’ali uni bibliothecoi t. vii, ne sont que des fragments empruntés aux vingt-neuf sermons. Il faut en dire au tant des Prsecepta seu honsilia i.xviii, posita tironibus in monachatu, que saint Benoit d’Aniane, au début du iv siècle, a introduits dans sa compilation de règles monastiques sous le nom d’Isaïe, P. 7… t. cm. col. -12713 I. Cette prétendue règle n’est qu’unesuite deeentons empruntés aux ouvrages de notre anachorète. Aussi est on surplis de voir le susdit moine Augustin retraduire en grec ces avis spirituels et les insérer dans son édition

p. 209-217. alors qu’avec un peu de peine il eût pu retrouver dans son recueil même le texte grec original Il ne faudrait pourtanl pas s’imaginer que l’œuvre

d’Isaïe est tout entière dans ces vingt neuf serinons.

Le moine Augustin a publié, op. cit., p. 218-235, des fragments d’un abbé baie, qui proviennent peut-être,

en grande partie du nioins.de notre anachorète. Il en est de même des extraits contenus dans la Philocalia, Venise, 1782, p. 33-37 ; Athènes. 1893, p. 17-21, et dans VEoergélinos, vaste recueil ascétique paru à Venise en 1783, à Constantinople en 1861, a Athènes, en 1900. -.ous le titre de Euvorfûrf}] tûv QE0960YYCOV pï ; u. : xtcùv. Le nom d’isaie y est cité soixante-seize fois, et l’on peut dire sans exagération que toutes les œuvres de cet ascète s’y trouvent rééditées. Il faut observer toutefois que l’auteur de ce recueil, Paul d’Aniorion, fondateur île l’Evergétis, ne cite pas toujours avec exactitude : il s’est permis plus d’une fois de retoucher le style des auteurs qu’il dépouillait, sans doute pour donnera son œuvre un caractère plus homogène.

Faut-il attribuer à notre Isaîe les divers apophtegmes qui portent le nom de l’abbé Isaîe dans les Apaphlegmata Patrum. I’. G. t. lxv, col. 180-184 ? Ni le contenu de ces sentences ni la chronologie ne s’y opposent, car notre Isaîe, on l’a vu. a vécu à Scété jusque vers l’an 451. Par contre, les Conseils de l’abbé Isaîe ù la religieuse Théodora et à ses sœurs, traduits en grec moderne par Nicéphore de Chios et publiés par l’archimandrite (.hristophore à Hermopolis, en 1885, appartiennent incontestablement à un autre Isaîe, peut-être au reclus de Niconiédie, dont il est question à l’article suivant. Un éditeur attentif ne manquerait pas d’enrichir considérablement l’œuvre d’Isaîe. A côté des morceaux recueillis par Gallandi parmi les Sacra Parallela de saint Jean Damascène, P. G., t. xl, col. 1212 sq, et t. xcvi.col. 326 et 419, on pourrait citer encore les scolies de plusieurs chapitres de saint Jean Climaque appartenant à Isaîe, P. G., t. lxxxviii, col. 645, n. 10, col. 788, n. 14, col. 792, n. 27, col. 836, n. 1, col. 849, n. 3, col. 873, n. 4, col. 908, n. 12, col. 1093, n. 10, col. 1101, n. 2, col. 1124, n. 30. Ces derniers fragments n’avaient pas encore, que je sache, été signalés.

Pour l’ancienne littérature, voir le Répertoire de U. Chevalier, qui a pourtant le tort très grave de ne pas distinguer entre les deux Isaîe. Les travaux récents sont indiqués plus haut, au cours de l’article. Voir, en particulier, Kugener, Observations sur la vie de Pascé/e/saïe, dansla Byzantinische Zeitschrift. 1900, t.ix. p. 404-470 ; Kruger, dans Ahrens et Kruger, op. cit., p. 385, et Byzant. Zeitschrift, 1899, t. viii, p. 303 ; S. Vailhé, L’n mystique monophysite : le moine Isaie, dans les Échos d’Orient, 1906, t. ix, p. 81-91.

L. Petit.