Dictionnaire de théologie catholique/FRANC-MAÇONNERIE

B. Dolhagaray
Letouzey et Ané (Tome 6.1 : FLACIUS ILLYRICUS - GEORGIEp. 370-375).

FRANC-MAÇONNERIE. — I. Caractère. II. Doctrines. III. Condamnations portées par l’Église. IV. Obligation de s’en éloigner.

I. Caractère.

But réel et secret, but apparent et avoué.

Dans sa mémorale encyclique Humanum genus, du 20 avril 1884, Léon XIII a nettement caractérisé la Franc-Maçonnerie. Depuis que la malice du démon a divisé le monde en deux camps, dit-il en résumé, la vérité possède ses défenseurs, mais aussi ses adversaires implacables. Ce sont les deux cités opposées : celle de Dieu, représentée par l’Église de Jésus-Christ, avec sa doctrine du salut éternel ; celle de Satan avec sa révolte continuelle contre l’enseignement révélé. La lutte est perpétuelle entre ces deux armées ; avec des alternatives de succès et de revers, d’accalmie et de reprises acharnées. Dans ces derniers temps, c’est-à-dire depuis la fin du xviie siècle, d’où datent les débuts historiques de la Franc-Maçonnerie, les sectes maçonniques ont organisé une guerre d’extermination contre Dieu et son Église, groupant en faisceau tous les éléments impies des diverses sociétés. Déjà, les souverains pontifes avaient précédemment dénoncé à la chrétienté les audaces criminelles de la secte. Léon XIII prit à tâche de démasquer encore plus vigoureusement les trames secrètes, les attentats audacieux, les projets sacrilèges de cette association clandestine.

Le génie malfaisant qui inspire les groupements maçonniques est désormais mis au grand jour. La secte s’est d’abord présentée au public sous les apparences d’une société philanthropique et philosophique. Mais dans l’impudence d’un triomphe obtenu par la complicité des pouvoirs publics, elle a jeté le masque. Elle se glorifie de toutes les révolutions qu’elle a provoquées dans l’univers entier. Comme pour braver l’opinion honnête, l’une de ses deux branches principales en France, le Grand-Orient, s’est constituée en société déclarée et légalement reconnue, sous les titres suivants : « 3 janvier 1913. Grand-Orient de France. Association ayant pour objet la recherche de la vérité, l’étude de la morale, la pratique de la solidarité, qui travaille à l’amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social de l’humanité. Siège social, rue Cadet, 10, Paris. »

En opposition à ces déclarations hypocrites, tous les documents qui éclairent la marche ténébreuse des loges, les aveux fréquents des complices, les actes de réprobation émanés du Siège apostolique démontrent à l’évidence que les sectes maçonniques sont les adversaires irréductibles de toute autorité divine et humaine, civile ou religieuse. Contre les condamnations qui les atteignaient, les sociétés secrètes ont pour tactique d’opposer l’outrage et la calomnie. A les entendre, ceux qui les dénoncent sont les ennemis du progrès de la civilisation, d’aveugles instruments de l’ignorance et de la tyrannie, ne rêvant que l’asservissement des consciences. Ces clameurs oui jeté la perturbation dans l’esprit des peuples. Les détenteurs de l’autorité publique, qui auraient dû se prémunir contre ces sociétés, à la suite des avertissements solennels de l’autorité ecclésiastique, semblent désarmés par tant d’audace. L’influence de l’Église furieusement battue en brèche par les menées de la Maçonnerie. Les dynasties régnantes ont été renversées en France, en Espagne, en Portugal, en Italie. Sous l’action envahissante des sociétés secrètes qui se ramifiaient dans toutes les directions, d’incessantes et effroyables révolutions ont bouleversé la face de l’Europe, anéanti des institutions séculaires.

C’est une association internationale et secrète. — La Franc-Maçonnerie tend à embrasser le monde entier ; tous ses membres se regardent comme des frères sur toute la surface du globe. D’autre part, le secret dont elle enveloppe ses desseins témoigne de la perversité de l’œuvre. Sans doute, sous la pression de l’opinion, la ténébreuse société a dû pratiquer quelques ouvertures sur ses repaires. On a organisé des congrès solennels des frères  ; des journaux à tirage périodique fournissent au public certains renseignements. Néanmoins, les principaux projets, discutés dans des comités mystérieux, sont absolument soustraits à la connaissance des profanes de l’extérieur et de nombre de sociétaires. Quant aux initiés, ils se trouvent liés par le redoutable serment qu’on les oblige à prêter, lors de la réception dans les grades supérieurs. Sous menace de mort, au milieu des glaives mis à nu par les assistants, ils jurent de ne jamais révéler les secrets, les signes, les attouchements, les paroles, les doctrines et les usages de la société. Les francs-maçons, qui se prétendent les paladins de la liberté de penser et d’agir, se livrent ainsi, pieds et poings liés, à une puissance occulte, qu’ils ne connaissent pas, et que probablement ils ne connaîtront jamais. L’assassinat, le vol, la violation de toutes les lois divines et humaines pourraient leur être imposés ; sous peine de mort, ils devraient exécuter ces ordres abominables. Ce secret cache les plus noirs desseins. Le bien ne se cache pas. Il agit discrètement, c’est vrai, mais il ne dérobe pas à tous les yeux son existence et son action. Le mal seul éprouve la nécessité de soustraire aux regards ses procédés et ses fins. Les caractères de la Franc-Maçonnerie, qui absorbe toutes les autres sociétés secrètes, peuvent donc se résumer en ces traits principaux : la haine de Dieu, la révolte contre les autorités divine et humaines, le secret criminel, imposé sous les menaces les plus graves, au besoin, sous peine de mort, à tous ses affiliés. Le droit naturel lui-même proteste contre un système supprimant l’usage de la liberté et rétablissant l’esclavage le plus odieux, le plus abrutissant. Sur les origines et l’histoire de la Franc-Maçonnerie, voir le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, Paris, 1911, t. ii, col. 95-126.

II. Doctrine. — Selon l’oracle évangélique, l’arbre mauvais ne saurait produire de bons fruits. La Maçonnerie est jugée par les fruits qu’elle produit, par l’enseignement qu’elle répand dans tous les pays où elle s’installe. Quoi qu’il en soit des opinions particulières des membres qui en font partie, elle a sa dogmatique religieuse, sa philosophie, son décalogue, son ritualisme, qui sont bien connus aujourd’hui.

Au point de vue religieux, la secte proclame, comme principe incontesté, l’indépendance absolue de la raison humaine. Le naturalisme, le rationalisme sont les bases de son système. Les devoirs envers Dieu n’existent pas. La révélation est une chimère. Les dogmes catholiques ne sont que des rêves d’idéologues, inventés dans les siècles d’ignorance pour asservir les esprits. L’intelligence humaine ne doit admettre rien qu’elle ne le comprenne. Les mystères, les miracles doivent être bannis du programme scientifique eul souscrit par le progrès moderne. Le péché originel et la déchéance de l’homme, qui en est la conséquence, sont absolument rejetés. La grâce, les sacrements, la prière, destinés à réhabiliter l’homme, leur paraissent des mythes. Si l’homme privé peut recourir à ces moyens, l’État et sa législation doivent proclamer et pratiquer l’athéisme. Leur autorité ne vient pas de Dieu, mais du peuple souverain.

La haine de Jésus-Christ règne dans la Maçonnerie. Le blasphème et l’imprécation sont réservés spécialement à son saint nom. L’apostasie est de rigueur, lors de la réception dans les grades élevés. Aux yeux des initiés, le Juif Jésus de Nazareth a été livré avec raison à l’autorité judiciaire. Sa condamnation est parfaitement justifiée, et la crucifixion, légitimée. L’Église catholique, qui se dit chargée de transmettre à l’humanité l’enseignement divin, doit être combattue comme ennemie. Enfin, la notion de Dieu lui-même, dont on a provisoirement toléré l’indication impersonnelle, problématique, sous le nom d’Architecte de l’univers, est rayée du vocabulaire maçonnique. C’est un vieux mot, disent les maçons, vénéré par les peuples enfants, mais répudié par les nations arrivées à maturité. Ces dernières ont adopté et promulgué le seul évangile qui pût leur convenir, la Science !

2° La morale adoptée par les sectes maçonniques est logiquement déduite de ces principes subversifs.

Le vol, le sacrilège, l’assassinat peuvent être imposés comme moyens de propagande par le fait, à l’ordre du jour des ventes. Toutes les lois de proscription contre les ordres religieux, les votes pour l’application aux clercs du service militaire, les décrets de confiscation des biens d’Église, la destruction du pouvoir temporel des papes, ont été préparés dans les ateliers des sociétés secrètes et appuyés dans les parlements par les affidés. Les frères maçons s’en vantent publiquement. Le compte rendu de la Loge-Union des peuples proclamait en décembre 1881 : toutes les grandes lois qui, depuis vingt ans, sont intervenues, et demain encore interviendront, furent élaborées dans nos ateliers et ont fait l’objet de nos travaux. La laïcisation des écoles, l’expulsion des instituteurs congréganistes, la fermeture des écoles catholiques ont été perpétrées par les sociétés secrètes. L’enlèvement des crucifix et de tout emblème chrétien des tribunaux, des hospices, des places publiques est l’application de leur programme. Les lois consacrant le divorce et le rendant chaque jour plus facile sont l’œuvre de la secte. Elle a pour objectif de briser tous les liens sociaux : de dissoudre la famille en séparant la femme du mari ; de jeter le trouble au foyer domestique en annihilant l’autorité du chef de famille, en légitimant les révoltes de l’enfant, méconnaissant le droit de propriété, de testament. Elle a transformé ce sanctuaire sacré en un champ de luttes, de méfiances réciproques, de haines sourdes. L’éloignement du prêtre du lit des moribonds, les engagements des solidaires se vouant à l’inhumation civile, l’adoption du baptême laïque, sont des dogmes athées de ceux qui frappent d’ostracisme les dogmes chrétiens. La Franc-Maçonnerie a ses organes propres : le Franc-Maçon, le Journal des initiés, la Renaissance, le Monde maçonnique, la Morale indépendante, la Libre pensée, la Libre conscience, la Solidarité, la République Maçonnique, le Bulletin du Grand Orient de France, l’Acacia, la Lumière maçonnique. L’Annuaire de la maçonnerie universelle, Berne, 1910, p. 39-47, donne la liste de 113 journaux et revues maçonniques, dont 3 pour l’Angleterre, 21 pour l’Allemagne et 64 pour l’Amérique. Ces publications disparaissent parfois, mais réapparaissent, sous une forme ou sous une autre, pour soutenir une lutte implacable contre les institutions chrétiennes.

3° La Franc-Maçonnerie a aussi son rituel (cérémonies, emblèmes, signes), emprunté soit aux cérémonies ecclésiastiques, soit aux mystères de l’antiquité, soit aux anciennes corporations de construction.

Ce rituel n’est qu’un moyen d’enseignement par des allégories et il est destiné à inculquer aux initiés et aux adeptes les principes et les aspirations de la secte. L’apprenti s’affranchit des servitudes et des aveuglements, philosophiques et religieux, du monde profane ; il reçoit la vraie lumière, celle de l’Étoile flamboyante. Il parvient ainsi à la vraie liberté, à la dignité des initiés. Quand il sera maçon, il sera un penseur et un sage. Quand il a passé entre les deux colonnes, quand il a étudié les arts libéraux, le compagnon prépare sa divinisation, ou son entrée dans l’humanité. Il est supérieur aux profanes et il arrive à la sérénité de l’état parfait. Le maître est complément transfiguré et divinisé. Il s’est dépouillé des anciens préjugés et des vices du monde profane, il est né à une vie toute nouvelle, la vie maçonnique. Quand il luttera contre les puissances ennemies, la superstition, le fanatisme et le despotisme, il devra être prêt à tout sacrifier, sa position et sa vie même. En traçant sa « planche » , il travaillera à l’édifice maçonnique, c’est-à-dire à l’édifice social de l’avenir, conforme aux idées de la secte et devant réaliser son idéal de l’humanité. Cet idéal comprend l’absence de tout dogme, le cosmopolitisme et la fraternité universelle. Le charme du mystère attire à la Franc-Maçonnerie les esprits à tendances mystiques, qui se laissent prendre à des dehors vides de sens profond.

Ajoutons que les systèmes occultistes, kabalistes, théosophiques, etc., se mêlent très souvent aux idées maçonniques, communes à toutes les associations de la secte. Le spiritisme, l’alchimie, la magie et la gnose sont cultivés dans certaines loges et y introduisent des doctrines particulières, des pratiques bizarres et des rites magiques. Toutes ces infiltrations tendent au but commun, la lutte contre l’Église et la religion.

Au point de vue philosophique, la Maçonnerie accepte et patronne toutes les théories, pourvu qu’elles n’accusent pas une nuance catholique. Elle se couvre du masque de la bienfaisance, afin de fasciner les masses crédules. Elle se déclare tolérante pour toutes les idées. Elle est une doctrine de libre examen ; elle ne rejette que le surnaturel et elle veut trouver dans la raison seule la vérité. Elle groupe tous les hommes émancipés. L’athéisme comme le panthéisme, l’illuminisme comme le spiritisme, les rêveries manichéennes. le polythéisme, constituent tour à tour les articles de son credo. La libre pensée dans toutes ses manifestations a droit de cité dans le pandemonium maçonnique.

L’existence de Dieu, la vie future, l’immortalité et la spiritualité de l’âme, les sanctions éternelles, la distinction du bien et du mal constituent dans la doctrine de la secte la superstition et le fanatisme. Les écrivains du parti proclament hautement que la philosophie du xviiie siècle représente leur propre enseignement et que la grande Révolution fut la conséquence de leurs doctrines. Le spiritualisme des francs-maçons de surface. Le Grand Architecte n’est plus pour eux qu’un mot vide de sens, auquel chacun donne le sens qui lui plaît. Leur religion n’est plus que la religion de l’Humanité qui est le centre d’union de tous les émancipés et qui aboutira à la réalisation de la devise anarchique : Ni Dieu ni maître.

III. Condamnation par l’Église. — La Franc-Maçonnerie étant ce que nous venons de dire, il n’est pas surprenant que le Saint-Siège soit fréquemment venu pour la condamner. Gardienne de la vérité révélée, chargée de la direction morale des peuples, arbitres des moyens de sanctification, l’Église avait son jugement à formuler sur les procédés d’une association aussi étendue que malfaisante. Elle n’y a pas failli. Les souverains pontifes n’avaient pas à aller au loin chercher les considérants de leur sentence. Si les sévérités de la législation canonique, au sujet des sociétés secrètes, ont semblé parfois exagérées à certains esprits, on ne saurait nier que les événements contemporains justifient amplement les rigueurs de la loi ecclésiastique. Ils achèvent de mettre au grand jour et la sagesse des souverains pontifes et la perfidie des projets conçus par les sectes condamnées.

Déjà, le 4 mai 1738, Clément XII avait dénoncé au monde catholique les dangers que faisaient courir à l’ordre social et religieux les doctrines et les agissements de ces sectes. Dans sa constitution In eminenti, il affirme que c’est avec raison que certains gouvernements ont cru de leur devoir de prendre des mesures de défense contre leur action envahissante. Pour lui, dit-il, préposé à la garde de l’Église du Christ, il recourt aux armes spirituelles. Avec une intrépidité apostolique, bravant toutes les menaces criminelles, il use de son pouvoir coercitif. Le premier, il frappe d’excommunication réservée au Saint-Siège tous les adhérents, sectateurs et protecteurs de la Maçonnerie. « Réfléchissant, dit le courageux pontife, aux très graves dommages provenant, du fait de ces hommes, à la société civile et à la société religieuse, ayant mission de sauver les âmes, nous enjoignons à tous les fidèles, au nom de la sainte obéissance, de ne pas s’agréger à ces sociétés de francs-maçons. Nous leur interdisons de les propager ou de les favoriser. Bien loin de là, tout chrétien doit s’abstenir de ces réunions, couvents, congrès, sous peine d’excommunication encourue immédiatement, et exclusivement réservée à notre personne. »

Sous le pontificat de Benoît XIV, une opinion hasardée commença à s’accréditer, au sujet du maintien des censures portées par Clément XII. Quelques auteurs voulaient considérer cette constitution comme tombée en désuétude. Afin de couper court à toutes ces témérités, Benoît XIV, le 18 mai 1751, publia la constitution Providas, dans laquelle il inséra la constitution In eminenti de Clément XII, en confirmant toutes et chacune des dispositions de son vénérable prédécesseur. Bullarium, t. xlvii.

La secte continuait à étendre ses ramifications dans l’Europe entière. Avec la dénomination nouvelle de Carbonari, elle infestait surtout l’Italie, sous le couvert des principes de libéralisme, proclamés imprudemment par la plupart des gouvernements de la péninsule. Pie VII publia la constitution Ecclesiam Christi, le 13 septembre 1821, pour rappeler et renouveler les sanctions déjà fulminées contre la Maçonnerie et les sectes similaires.

A son tour, le 13 mars 1826, Léon XII, épouvanté de l’audace croissante des sociétés secrètes, réitéra ses objurgations, frappa de nouveaux anathèmes les partisans des sectes et dénonça spécialement les adeptes de la société universitaire. C’était encore là une variété de la Franc-Maçonnerie. Avec une habileté sournoise, ses chefs avaient établi leurs centres d’action et de propagande dans les écoles et les universités. L’influence d’un maître affilié s’exerçait donc avec une puissance presque irrésistible sur l’esprit inexpérimenté et généralement sans défiance de la jeunesse.

Embrassant d’un coup d’œil apostolique les maux que les tentatives de ce genre allaient déchaîner dans le présent et dans l’avenir sur toute la société, le pontife étendit les sanctions ecclésiastiques aux sectes Clandestines de toute sorte, présentes et futures, si elles conspiraient contre l’Église et les premiers pouvoirs de l’État : societates occultas omnes, tam quæ nunc sunt, tam quæ fortasse deinceps erumpent, et quæ ea sibi adversus Ecclesiam et supremas civiles potestates proponunt, quæ superius commemoravimus, quocumque tandem nomine appellentur, nos perpetuo prohibemus, sub iisdem pœnis, quæ continentur, in prædecessorum nostrorum litteris. Bulle Quo graviora, du 13 mars 1826.

Grégoire XVI, dans sa célèbre encyclique Mirai vos, stigmatisa à son tour les sociétés secrètes. Il les flétrit comme des foyers d’infection, d’où rayonnaient sur le monde le mensonge doctrinal et la corruption morale. Tout ce que les hérésies anciennes ont accumulé d’erreurs et de blasphèmes se trouve concentré dans l’enseignement de ces hommes, écrit le pontife.

Durant son long et glorieux règne, Pie IX ne s’est montré ni moins énergique, ni moins vigilant que ses immortels prédécesseurs sur la chaire de saint Pierre. Dès son avènement, dans l’encyclique Qui pluribus, 9 novembre 1846, il anathématisa à son tour les sociétés secrètes, causes des perturbations dont souffraient l’Europe et principalement l’Italie.

Le 8 décembre 1864, dans l’encyclique Quanta cura, il stigmatise, entre autres, la théorie insensée de ceux qui prétendent que la sanction pontificale n’atteint pas les sociétés secrètes tolérées par les gouvernements civils : ipsos minime non pudet affirmare… constitutiones apostolicas, quibus danmantur clandeslinæ societates sive in eis exigatur sive non exigatur juramentum de secreto servando earumque asseclæ et auctores anathemate mulctantur, nullam habere vim in illis orbis regionibus, ubi ejusmodi aggregationes tolerantur a civili gubernio. Denzinger, Enchiridion, ii. 1697. On connaît aussi la lettre de Pie IX à Mgr Darboy, en date du 26 octobre 1865, au sujet des obsèques du maréchal Magnan, dans lesquelles les insignes maçonniques du défunt avaient été placés sur le catafalque. La condamnation des sociétés secrètes est rappelée dans le Syllabus. Ibid., n. 1718 a. Le 12 octobre 1869, résumant, dans l’art. 4 de la bulle Apostolicæ Sedis, toutes les dispositions antérieures des constitutions pontificales, Pie IX formule ainsi le texte qui, depuis lors, fait loi dans la matière : Nous déclarons soumis à l’excommunication latæ sententiæ, réservée au souverain pontife : Ceux qui donnent leur nom aux sectes des francs-maçons ou carbonari, ou bien, aux associations du même genre qui conspirent soit publiquement, soit en secret contre l’Église ou les pouvoirs légitimes : de même ceux qui favorisent ces sociétés de n’importe quelle façon : et aussi, ceux qui n’auront pas soin de dénoncer leurs chefs et les coryphées de la secte, tant qu’ils n’auront pas fait celle dénonciation.

Il résulte de ce texte : 1° que le seul fait de l’affiliation à la Franc-Maçonnerie, par l’inscription de son nom dans les rôles des sociétés de ce genre, par l’assistance aux réunions des carbonari, même avec l’intention de dénoncer leurs projets, rend passible de l’excommunication. Le dernier des apprentis, le philanthrope qui s’y enrôle sous prétexte de faire partie d’une société de bienfaisance et refuse de se rendre aux avertissements qui lui sont faits, sont également compris dans l’anathème qui frappe ces associations coupables : nomen dantes sectæ massonicæ.

2° Le législateur enveloppe dans la censure toutes les sociétés du même genre, c’est-à-dire les associations secrètes ayant pour but de conspirer contre l’Église et les autorités légitimes. Ce sont là les deux traits caractéristiques des sectes visées, et assimilées aux francs-maçons et aux carbonari.

Dans son instruction du 10 mai 1884, pour enlever tout doute au sujet des sociétés secrètes atteintes par les censures pontificales et des sociétés qui sont simplement prohibées sans censure, le Saint-Office a déclaré : Certum imprimis est, excommunicatione latæ sententiæ mulctari massonicam aliasque ejus generis sectas, quæ… contra Ecclesiam vel legitimas potestates machinantur, sive id clam sive palam fecerint, sive exegerint sive non a suis asseclis secreti servandi juramentum. Præter istas sunt et aliæ sectæ prohibitæ atque sub gravis culpæ reatu vitandæ, inter quas præcipue recensendæ illæ omnes quæ a sectatoribus secretum nemini pandendum et omnimodam obedientiam occullis ducibus præstandam jurejurando exigunt. Animadvertendum insuper est, adesse nonnullas societates, quæ, licet certo statui nequeat, pertineant necne ad lias, quas memoravimus, dubiæ tamen et periculi plenæ sunt tum ob doctrinas quas profitentur tum ob agendi rationem, quam sequuntur ii, quibus ducibus ipsæ coaluerunt et reguntur. Denzinger-Bannwart. Enchiridion, n. 1860, 1861.

3° Ceux qui, d’une manière quelconque, favorisent la Franc-Maçonnerie ou des sociétés congénères, sont également soumis à la censure pontificale. Se trouvent dans ce cas les personnes qui donnent aux sectaires l’hospitalité ou un abri qu’elles pourraient refuser sans grave inconvénient ; ceux qui acceptent en dépôt, impriment, vendent, propagent les livres, tracts, codes, catéchismes, statuts, revues, apologies, journaux de ces sectes ; ceux qui deviennent actionnaires de sociétés éditrices de ces publications, abonnés, correspondants, fauteurs actifs, par appui réel, ou négatifs, par refus de sévir, une fois mis en demeure d’agir, etc., iisdem seclis favorem qualemcumque præstantes.

4° Il y a enfin obligation de dénoncer, sous peine de censure, les coryphées et les chefs occultes de ces associations dangereuses. Il s’agit ici de la dénonciation judiciaire, qui a pour objet de sauvegarder le bien public, tandis que la dénonciation évangélique ou paternelle ne comporte qu’une réprimande ou une correction personnelle, pour ramener un coupable à résipiscence.

On a été assez embarrassé au début pour la portée à donner aux expressions : duces et coryphæos occultos soumis à la dénonciation. Le Saint-Office, dans la circulaire de février 1871 à l’épiscopat, semble avoir circonscrit la signification de ces mots : il les traduit par machinationum artifices et directores. Il s’agit de savoir si, de fait, tous les dignitaires et les gradés, depuis le 3e degré inclusivement, rentrent dans cette catégorie ? Au sommet de la Franc-Maçonnerie il y a le directoire supérieur, composé de neuf membres, très occultes, nommés à vie, dépositaires de tous les secrets. Ces chefs suprêmes forgent les complots et tiennent tous les fils des conspirations. Sans hésitation, ceux-là doivent être dénoncés. Peut-être, d’après certains auteurs, ne pourrait-on pas rigoureusement appliquer la même règle aux présidents des diverses branches qui travaillent sous la direction du conseil suprême et lui sont subordonnés. Ainsi en serait-il des chefs du Grand-Orient de France, des délégués du grand convent annuel formant le pouvoir exécutif, comme ceux de la Grande Loge symbolique écossaise. Les présidents de ces conseils ne peuvent guère être qualifiés de machinationum artifices et directores. Ils travaillent en sous-ordre.

Une fois l’obligation de dénoncer établie, le devoir doit être rempli exactement, dans le délai d’un mois. Le fils n’est pas dispensé de dénoncer son père, et réciproquement. L’époux doit agir de même à l’égard de son épouse, le frère à l’égard de sa sœur, etc. Le bien général de la société requiert cette sévérité. Il faudrait un très grave dommage à redouter pour exempter quelqu’un de la dénonciation de ces chefs occultes ; lors même que leurs noms seraient publiés dans les journaux. Le motif de cette décision du Saint-Office est fondé sur les supercheries auxquelles recourent les loges, en livrant au public des noms d’emprunt. La dénonciation, telle que nous l’avons caractérisée, doit être faite devant le tribunal de l’évêque. D’après une déclaration de la S. Pénitencerie, la censure, encourue, pour défaut de dénonciation, tombe ipso facto, aussitôt que ce devoir a été rempli.

Léon XIII a condamné directement la Franc-Maçonnerie, le 20 avril 1884, dans l’encyclique Humanum genus, ainsi que nous l’avons rappelé au début de cet article.

IV. Obligation absolue de s’éloigner des sociétés secrètes. — 1° Conduite des fidèles à l’égard de la Franc-Maçonnerie. — La conclusion qui ressort des considérations précédentes est que tout catholique doit éviter soigneusement de s’affilier à la Maçonnerie et à toute société secrète. La nature intrinsèquement mauvaise de la Franc-Maçonnerie, les sanctions réitérées, fulminées contre elle par les vicaires de Jésus-Christ, les actes contre la société religieuse et civile qu’on peut lui attribuer à bon droit ne laissent planer aucun doute sur un pareil devoir. C’est la conclusion formelle de Léon XIII dans son encyclique Humarum genus du 20 avril 1884. Denzinger, Enchiridion, n. 1859.

Pour lutter efficacement, contre ces sociétés perverses, il faut l’union des catholiques, sous l’obéissance à la hiérarchie sacrée. L’ennemi en donne l’exemple, par l’organisation de ce réseau de convents, placés sous la direction de chefs souvent occultes, mais toujours déterminés.

Aussi, à la fin de son encyclique Humanum genus, Léon XIII fait un appel émouvant aux évêques, aux rois et aux peuples. Il signale la manière dont ces sectes clandestines s’insinuent dans la confiance des princes, sous le prétexte fallacieux de protéger leur autorité contre la domination de l’Église. En réalité, c’est afin de saper tout pouvoir, comme le prouve l’expérience. Le pontife dénonce ensuite la façon dont ces hommes fourbes flattent les multitudes, faisant miroiter à leurs yeux une prospérité, dont les rois et l’Église seraient les seuls ennemis En définitive, ici aussi, ils précipitent les nations dans l’abîme de tous les maux, dans les agitations révolutionnaires et la ruine matérielle. A la suite de ce tableau, le pape conclut : les rois et les peuples devraient se coaliser avec l’Église pour briser les assauts des francs-maçons, et ne pas s’allier aux francs-maçons, pour paralyser l’action salutaire de l’Église : Quibus cognitis, hoc esset civili prudentiæ admodum congruens, et incolumitati communi neccssarium, principes et populos, non cum massonibus ad labefactandam Ecclesiam, sed cum Ecclesia ad frangendos massonum impetus conspirare.

Conduite du confesseur à l’égard des affiliés à la Franc-Maçonnerie. — En conséquence de la condamnation des sectes maçonniques sous peine d’excommunication, non seulement les théologiens moralistes, mais les Congrégations romaines, ont réglé en détail la manière dont les confesseurs devaient agir, au tribunal de la pénitence, à l’égard des francs-maçons.

Le premier devoir du confesseur, à l’égard d’un pénitent affilié à la Franc-Maçonnerie, est de s’informer si son pénitent connaît les prohibitions pontificales et les censures ecclésiastiques édictées contre les sociétés secrètes.

Si, par impossible, le confesseur jugeait que le pénitent se trouve dans la bonne foi, résultant de l’ignorance invincible, il lui resterait à examiner si, en l’instruisant de l’obligation de quitter la Franc-Maçonnerie, il l’amènera à obéir aux lois de l’Église. Si les dispositions du pénitent permettent d’espérer une solution favorable, le confesseur ne doit pas hésiter à exiger : 1. que le pénitent renonce définitivement à la secte ; 2. qu’il remette à l’évêque ou au confesseur les insignes, les livres, les manuscrits maçonniques ; 3. qu’il subisse une pénitence salutaire. Il lui recommande ensuite instamment de fréquenter le sacrement de pénitence. Ces conditions posées et acceptées, le simple confesseur peut donner l’absolution, le pénitent est censé, à raison de sa bonne foi, n’avoir pas encouru la censure.

Si le confesseur prévoit l’inutilité de la monition, selon la doctrine communément reçue, il absoudra le pénitent de bonne foi, sans lui faire de monition. L’intérêt spirituel du pénitent exige qu’on lui fasse éviter le péché formel, en tolérant le péché matériel.

Dans deux circonstances, néanmoins, le confesseur est absolument tenu à faire la monition requise : 1. si le pénitent l’interroge lui-même sur le caractère moral de son affiliation à la secte, car son interrogation est un indice qu’il se trouve dans un doute vincible, non invincible ; 2. dans le cas où le bien public exigerait que le pénitent fût instruit, par exemple, si la réception des sacrements, de sa part, devait provoquer un scandale dans la population, qui le sait affilié à la Franc-Maçonnerie. Les solutions que nous venons d’indiquer sont extraites de la réponse du Saint-Office, en date du 15 juin 1870.

Mais à la suite des actes multipliés du Saint-Siège, des avis si fréquents et si répandus de l’épiscopat catholique, le cas de l’ignorance invincible n’est pas ordinaire. Il s’agit bien plus fréquemment de savoir quelle doit être l’attitude du confesseur à l’égard du pénitent, ayant encouru l’anathème, pour participation consciente aux actes des associations clandestines. Si le confesseur n’a pas de pouvoirs spéciaux pour absoudre ces pénitents, il doit recourir à l’évêque. En vertu d’un induit triennal de la S. Pénitencerie, l’évêque peut absoudre les francs-maçons et même déléguer ce pouvoir, moyennant l’observation des clauses insérées dans la concession.

Si le confesseur est nanti du pouvoir d’absoudre il doit se conformer aux conditions générales de l’induit triennal concédé aux évêques : ut a respectiva secta omnino se separent, eamque abjurent : libros, manuscripta, ac signa sectam respicientia, in confessariorum manus tradant, ad ordinarium quamprimum caute transmittenda, si juslse gravesque causæ id postulent comburenda : injuncta pro modo culparum, gravi pænitentia salutari, cum frequentatione sacramentatis confessionis.

Au sujet de la première condition : se omnino separent, eamque abjurent, il suffisait autrefois que le pénitent s’engageât à ne plus assister aux conciliabules maçonniques et abjurât les doctrines de la secte. Mais comme, en ces derniers temps, une loi scélérate a donné valeur légale aux engagements souscrits pour le moment de la mort et les funérailles, la rétractation privée ne suffit pas. Le cas échéant, le confesseur doit exiger une pièce authentique, établissant la révocation des engagements antérieurs.

Le confesseur doit encore prévenir le pénitent, qui a déclaré connaître les noms des grands-maîtres de la Maçonnerie, qu’il est obligé de les dénoncer, sous peine d’excommunication.

Les règles sont obligatoires même pour l’heure de la mort. Ainsi, un membre de la Franc-Maçonnerie, connaissant les défenses de l’Église, doit se rétracter, s’il veut recevoir les sacrements. S’il est de bonne foi. la monition doit lui être faite eu ce moment. Le 8 juillet 1874, la S. C. de l’Inquisition a déclaré qu’en général il ne fallait pas absoudre dans ces cas. sans avoir fait la monition requise par les décrets. Lorsqu’il s’agit d’enfants ou de mourants matériellement enrôlés, il suffit d’une exhortation générale à se soumettre à l’autorité et aux décisions de la sainte Église. L’avertissement canonique doit être adressé, si on prévoit qu’il réussira.

En tout état de cause, l’instruction de la S. C. de l’Inquisition recommande de réparer le scandale qui pourrait survenir en accordant les honneurs de la sépulture à un affilié des loges qui ne s’est pas rétracté. D’autant que les solidaires voudraient manifester autour du cadavre. Pour obvier à ce double inconvénient, le confesseur doit se munir d’un écrit, ou convoquer des témoins qui certifieront la vérité de la rétractation. Enfin, la S. C. de l’Inquisition a déclaré que l’on ne pouvait absoudre les affiliés aux loges qui, regrettant en paroles leur agrégation, continueraient à fréquenter les réunions condamnées (5 juillet 1837). Un an plus tard, le Saint-Office interrogé répondit que l’absolution octroyée dans ces conditions était non seulement illicite, mais invalide (27 juin 1838).

Le nombre de ces décisions prouve que le Saint-Siège, parfaitement au courant du complot maçonnique, multiplie les moyens de défendre le peuple chrétien contre les assauts d’un ennemi qui sait allier la fourberie à la violence. La sévérité de ces décisions met au grand jour la grandeur et l’imminence du péril, que les sectes font actuellement courir à la société tout entière. Le salut du monde dépendra de la soumission dont les fidèles feront preuve, dans la lutte à mort engagée entre la Franc-Maçonnerie et l’Église catholique.

P. Deschamps, Les sociétés secrètes et la société, 3 in-8°, Avignon, 1871 ; 6e édit. par Cl. Jannet, Paris, 1882 ; Mgr de Ségur, La Franc-maçonnerie ; Revue des sciences ecclésiastiques, 1884-1885 ; Ami du clergé, 1896 ; Études religieuses, 1893 ; Paul Nourrisson, Études sur la Franc-maçonnerie, Paris ; Mgr Delassus, Le problème de l’heure présente, 2 in-8°, Paris, Lille, 1905, 1906 ; Paul Fesch, Dossiers maçonniques, 1905 ; Copin-Albancelli, Le pouvoir occulte contre la France. La conjuration juive contre le monde chrétien, Paris, 1909 ; P. Fesch, J. Denais et R. Lay, Bibliographie de la Franc-Maçonnerie et des sociétés secrètes, Paris, 1912 (en cours de publication). Mentionnons encore les revues antimaçonniques : La Franc-Maçonnerie démasquée (depuis 1884) ; La Revue antimaçonnique (depuis 1910) ; La Revue internationale des sociétés secrètes (depuis 1911).

B. Dolhagaray.