Dictionnaire de théologie catholique/Eucharistie

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 5.1 : ENCHANTEMENT - EUCHARISTIEp. 509-670).
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un clianger sont, en elïi-t. presque toujours situés hors de France, et, par conséquent, hors de la main de la justice française.

Au reste, le cautionnement prescrit par l’art. 16 peut être remplacé par des garanties équivalentes : un gage en nantissement suffisant, la consignation d’une somme égale à celle jusqu’à concurrence de laquelle le tribunal a ordonné que la caution serait fournie ; enfin, la justification faite par l’étranger qu’il possède en France des immeubles d’une valeur suffisante pour répondre du paiement de cette somme.

L’étranger était dispensé de fournir caution en matière commerciale (ancien art. 16). Cette exception était fondée sur ce triple motif : que les commerçants sont considérés comme citoyens de toutes les cités, que les affaires commerciales requièrent célérité et surtout que les frais auxquels ces affaires donnent lieu sont minimes. La pratique ayant révélé les inconvénients de cette exception, la loi du 3 mars 1895 l’a fait disparaître en supprimant dans l’art. 16 les mots qui l’établissaient.

La caution judicalum solvi est donc due aujourd’hui en toute matière (nouvel art. 16), non seulement en matière civile, mais aussi en matière administrative, en matière commerciale et en matière criminelle, au cas où un étranger se porte partie civile contre un Français.

Dictionnaire de la Bible de M. Vigoureux, art. Étranger, par Lesêtrc ; Noldin, De principiis Iheologiæ moralis, n. 148 sq. ; Biilot, Compendiiim Iheologiæ moralis, t. i, n. 91 sq. ; Ballerini, Opiis Iheologicum, t. i, n. 175sq. ; Lehmkuhl, Theologia moralis, t. i, n. 133 sq. ; S. Liguori, Theologia moralis, I. I, n. 156-162 ; Baudry-Lacantinerie, Précis de droit ciuil, t. iii, n. 1347 sq.

C. Antoine.

EUCHARISTIE. Sous ce titre, nous traiterons exclusivement de l’eucharistie envisagée comme sacrement, les questions relatives au sacrifice de l’eucharistie étant renvoyées au mot Messe. Nous étudierons le sacrement de l’eucharistie successivement :
1° dans l’Écriture ;
2° chez les Pères ;
3° d’après les monuments chrétiens ;
4° du IXe au XIIe siècle ;
5° au XIIe siècle, en Occident ;
6° du XIIIe au XVe siècle ;
7° au concile de Trente ;
8° du XVIe au XXe siècle.

I. EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ÉCRITURE.

I. Ce qu’a promis Jésus.

II. Ce qu’a donné Jésus et ce qu’ont cru recevoir les chrétiens.

I. Ce qu’a promis Jésus.
Histoire de la question.
Le c. vi de l’Évangile de saint Jean contient le récit de la multiplication des pains, 1-15, celui de la traversée miraculeuse du lac, 16-21, le discours de Jésus sur le pain de vie, 22-59, la description de l’état d’âme des disciples après les affirmations du Christ, 60-72. A toutes les époques, des catholiques ont cru que ce chapitre contenait des affirmations sur l’eucharistie et des preuves de la présence réelle.

Pour l’histoire de l’exégèse de ce morceau, voir.Maldonat, Commentarii in IV Evangelia, Lyon, 161.Ï, sur Joa., vi, n. 14-197, col. 1451-1514 ; Corluy, Sp<c17c(/ium dogmalicobiblicum, Gand, 1884, t. ii, p. 361-364 ; W. Schmidt, Die Verheissung der Eucharistie (Joh. S) bei den Vàtern, Wurzbourg, 1900-1903, t. i, n ; Cavallera, L’interprétation du chapitre vr de saint Jean, une controverse exigétique au concile de Trente, dans la Ttevue d’histoire ecclésiastique, Louvaln, octobre 1909, t. x, p. 687-709.

Dès l’antiquité, des écrivains ecclésiastiques ont entendu au sens littéral les affirmations du Christ : « .Je suis le pain de vie….Ma chair est une nourriture… Je suis le pain descendu du ciel… Le pain que je donnerai, c’est ma chair….Si vous ne mangez ma chair, vous n’aurez pas en vous la vie, etc. lis se servent de ces paroles pour exaller l’eucharistie, décrire ses effets, établir sa nécessité, recommander la communion, exiger de celui qui la reçoit de saintes dispositions. Plus de trente Pères ont pu être cités (Clément d’Alexandrie, Origène, saint Basile, saint Grégoire de Nysse, saint Cyrille d’Alexandrie, saint Cyrille de Jérusalem, le concile d’Éphèse, Théodoret, saint Jean Chrysostome, saint Épiphane, saint Jean Damascène, saint Cyprien, saint Hilaire, saint Ambroise, saint Jércme, saint Augustin, etc.). Mais on trouve aussi chez quelques Pères, par exemple. Clément d’Alexandrie, Origène, saint Augustin. des interprétations allégoriques de certaines affirmations du Christ.

Avant le concile de Trente, le plus grand nombre des théologiens estiment que le c. vi du quatrième Évangile contient la promesse de l’eucharistie. Plusieurs toutefois (Biel, Cajetan, etc.) soutiennent que, dans le discours sur le pain de vie, le Christ annonçait le don de sa personne sur la croix et exigeait la manducation spirituelle, l’union à lui par la foi.

Le concile de Trente ne voulut pas prendre parti. Depuis le xvi » siècle, les catholiques unanimement, un bon nombre de protestants et la plupart des critiques indépendants, cf. Goguel, L’eucharistie des origines à Justin martyr, Paris, 1910, p.204, notel, se prononcent pour l’interprétation eucharistique. A la suite de Zwingle et de la plupart des premiers réformateurs, les protestants conservateurs généralement la repoussent.

Les principales opinions émises ont été les suivantes : Tout le discours de Jésus-Christ est symbolique : le Sauveur ne parle que de l’immolation de sa chair et de la nécessité de la foi. Depuis longtemps, aucun catholique ne soutient cette thèse. Mgr lîatiffol. Études d’histoire et de théologie positive, 2^ série, 2e édit., Paris, 1905, p. 104 sq., ne voit l’eucharistie que dans quelques versets, 53-56, du discours de Jésus. Un grand nombre d’exégètes et de théologiens catholiques estiment que le discours du Christ porte sur deux objets distincts : après avoir enseigné qu’il faut vivre en lui et parlé de la foi à sa personne, le Maître, passant à un autre sujet, aurait enseigné la nécessité de le recevoir dans l’eucharistie (Bellarmin, Maldonat, Patrizi, Wiseman, Franzclin, Sasse, Knabenbauer, Calmes). Les partisans de cette interprétation font d’ailleurs remarquer que le discours n’est pas composé de deux parties disparates. Le Christ, après avoir exigé de ses disciples qu’ils crussent en lui, exige qu’ils croient en l’eucharistie, c’est-à-dire en sa personne devenue aliment de vie ; après avoir dem ; uidé qu’ils acceptassent ses dons, il demande qu’ils reçoivent son corps et son sang. L’union à Jésus par la foi est la condition d’une participation plus intime, le prélude de la communion sacramentelle. Quelques interprètes croient que dans le discours sur le pain de vie (22-59) tout se rapporte à l’eucharistie (Corneille de la Pierre, Tolet, Corluy, Perrone, Rosset). Sans doute, Jésus-Christ parle d’abord de la foi, de la nécessité de croire en lui, mais parce que l’eucharistie requiert cette vertu, et dès ses premières paroles, il prépare les esprits à accepter la doctrine du pain de vie qui doit être mangé. S’il insiste sur la nécessité de la foi, c’est à cause des interruptions des Juifs. Il est vrai qu’au début de l’entretien, le langage est moins clair. Le Christ se présente comme la nourriture de ses disciples sans montrer comment il le deviendra. Dans la seconde partie du I discours, il précise sa pensée, mais il ne la modifie pas. Des critiques protestants contemporains découvrent, j eux aussi, l’eucharistie dans le discours tout enti( r et même dans les récits qui le précèdent. H. J. Holtzmann, Seutestamentliche Théologie, Fribourg et Lei])7.ig, 1897, t. ii, p. 499 ; J. Héville, Les origines de l’eucharistie, Paris, 1908, p. 58 ; Goguel, op. cit., p. 204. Mais, au jugement de plusieurs de ces critiques, ce

n’est pas la présence réelle qui est annoncée ici par le Christ, c’est le don spirituel de sa chair. Personne n’a, avec plus d’ingéniosité que M. Loisy, découvert partout l’eucharistie. Le qualrième Évangile, Paris, 1903, p. 420 sq. « Tout le sixième chapitre du quatrième Évangile est dominé par l’idée du Christ, pain de vie. Le récit de la multiplication des pains en est le symbole ; le miracle de Jésus marchant sur les eaux aide à le comprendre ; les discours qui suivent tendent à l’expliquer et les impressions diverses que produisent ces discours représentent l’attitude des Juifs et celle des chrétiens devant le mystère du salut, en tant qu’il se résume dans la doctrine du pain de vie et vivifiant. « Mais pour M. Loisy, comme pour les autres critiques non catholiques, la pensée du quatrième Évangile n’est pas celle de Jésus. L’auteur qui le rédigea, les chrétiens auxquels il s’adressait croyaient que le Sauveur avait promis sa chair en nourriture : l’évangéliste atteste et justifie leur foi, il n’enseigne pas ce qu’en réalité fit et dit le Christ.

La promesse de Jésus d’après saint Jean.

1. Le

récit de la multiplication des pains, 1-15. — Avant les critiques non croyants, des écrivains chrétiens ont établi une relation entre ce miracle et l’eucharistie ; ils croyaient voir dans ce prodige, sans d’ailleurs nier pour ce motif sa réalité historique, une figure de la cène, une préparation de la promesse du pain de vie. Des critiques contemporains, J. Réville, Loisy, etc., convaincus que le quatrième Évangile n’est pas un livre d’histoire, mais un ouvrage didactique et symbolique, ont cru découvrir dans le récit johannique de la multiplication des pains « une méditation religieuse » sur l’eucharistie d’après un thème donné par les Synoptiques. Ils se sont efforcés d’assigner aux plus menus traits de la narration un sens spirituel et mystique. Nous verrons ce qu’il faut penser de cette tentative. Ici, nous devons seulement relever ce qui, dans le récit du miracle, très probablement, se rapporte d’une certaine manière à la promesse de la nourriture eucharistique.

C’est du pain qui est multiplié pour nourrir la foule : c’est sur du pain que s’opère le prodige de la cène et Jésus se multiplie, lui aussi ; son eucharistie est une production miraculeuse entre toutes. Le pain du prodige est offert à tous ceux qui suivent Jésus : le sacrement est à la disposition de tous les disciples. Le pain distribué à la foule rassasie tous les assistants et il y a du superflu qui est recueilli avec soin : de même, la communion nourrit tous les croyants, l’aliment spiritueln’est jamais épuisé, rien n’en estperdu. « Jésus, raconte l’évangéliste, prit (k’/.aêjv) les pains, et ayant rendu grâces(k’JyapefjTr, <7a ;), il les distribua (oisôor/.ôv) à ses disciples. "Les trois verbes employés correspondent à des mots dont se servent les Synoptiques pour raconter l’institution de l’eucharistie. Matth., XXVI, 26-27 ; Marc, XIV, 22-23 ; Luc, xxii, 19. Telles sont les principales analogies qu’ont relevées plus d’une fois des Pères, des exégètes et des théologiens catholiques.

Aussi, sans vouloir attribuer aux plus minuscules détails de l’événement une valeur symbolique, sans nier la réalité du miracle, nous croyons devoir admettre qu’il existe une connexion entre la multiplication des pains et la promesse du pain de vie. Le Sauveur, à l’occasion du prodine et de la recherche de la foule, recommande le pain de vie qui estlui-même. lia pu, lorsqu’il multipliait les pains, se proposer à l’avance cette instruction, préparer les esprits à accepter la promesse d’une nourriture réelle, merveilleuse, permanente, inépuisable, sa propre chair, véritable pain du ciel. Cf. Lepin, art. Évangiles canoniques, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, de d’Alès, Paris, 1911, t. i, col. 171 J.

2. La marche sur les eaux, 16-21. — Comme le mira cle de la multiplication des pains, le prodige de la traversée du lac doit, selon Loisy et plusieurs critiques, être le thème d’une nouvelle leçon sur l’eucharistie, un second prélude au discours sur le pain de vie. D’une part, Jésus marche sur les eaux et viole les lois de la pesanteur ; d’autre part, il arrive instantanément au but et pour lui l’étendue n’existe pas. Sa chair n’est pas soumise aux conditions de la matière, elle peut donc être la nourriture des croyants.

Nous montrerons que, comme on l’a justement observé, cette théorie est un « jeu » d’esprit. Batiffol, op. cit., p. 88. Pour que le fait ici raconté, et qui d’ailleurs est relaté par les Synoptiques, ait été placé en cet endroit, il suffit que l’auteur ait cru que l’événement avait eu lieu à ce moment. Mais il est bien permis de penser, bien plus, si on reconnaît que la multiplication préparait le discours sur le pain de vie, il faut avouer que Jésus-Christ, en opérant ce nouveau prodige, facilitait l’adhésion à ses enseignements sur une nourriture mystérieure que, seule, serait capable de produire la toute-puissance du maitre de la nature.

3. Le discours sur le pain de vie, 22-59. — Après une courte introduction sur les circonstances de temps et de lieu, 22-26, Jésus, questionné par la foule, rappellele miracle de la multiplication ; puis, de la nourriture matérielle, il passe au pain de vie. La marche de la pensée paraît être la suivante : Vous me cherchez, dit Jésus à ses auditeurs, à cause du pain que je vous ai donné, cherchez le pain de vie, pain du ciel, nourriture pour la vie éternelle, ce pain, c’est moi, 27-33. Car je suis venu du Père pour ressusciter ceux qui croient en moi, 33-40. A un murmure des auditeurs, Jésus répond en expliquant leur incrédulité et en répétant les mêmes affirmations, 41-47. Il dit ensuite comment il est pain de vie : celui qui le mange, celui qui mange sa chair, celui qui mange sa chair et qui boit son sang a la vie éternelle, 48-59. Par rapport à l’eucharistie, on peut donc distinguer deux parties dans ce discours ; la seconde, 48-59, contient des expressions très caractéristiques : manger Jésus, manger sa chair, boire son sang. Dans la première, 27-47, on ne relève pas ces termes, mais des paroles plus générales : le Clu-ist est le pain de vie, il faut aller à lui, croire en lui.

a) i" partie du discours, 27-47. — Pourtant, même dans cette première partie, des interprètes catholiques et autres ont cru voir des allusions claires, directes, certaines à l’eucharistie. Est-ce à bon droit ?

Ils ont signalé le verset 27 : « Travaillez afin d’obtenir non la nourriture qui périt, mais celle qui demeure pour la vie éternelle, celle que le Fils de l’homme vous donnera » (le Sinaiticus et la version italique ont le présent : « que le Fils de l’homme vous donne » ). L’aliment qui subsiste en la vie éternelle, observe Loisy, « ce n’est pas seulement la bonne nouvelle de l’Évangile, mais tous les biens spirituels que l’Évangile annonce et la foi, et la résurrection et Jésus lui-même. » Op. cit., p. 440. Ainsi, même d’après ce critique soucieux de trouver partout en ce chapitre l’eucharistie, ce sacrement, s’il est désigné ici, ne l’est que d’une manière très vague et très générale. Corluy a soutenu qu’il était expressément nommé : car, observet-il, il s’agit d’une nourriture « que le Fils de l’homme donnera. » Ce futur constitue une promesse ; or, la nourriture promise aux fidèles, et qui, en fait, leur a été donnée, c’est l’eucharistie. Loc. cit., p. 342. Cette argumentation n’est pas concluante, car aux versets 32, 33, 35, il est question du même aliment spirituel et cette fois le verbe est au présent -. « Mon Père vous donne le vrai pain céleste… ; le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et donne la vie au monde… ; c’est moi qui suis le pain de vie, celui qui vient à moi n’aura jamais faim. » Il ne faut pas oublier non plus la variante signalée plus hau. (oiStociv au lieu de ôti.ai :).

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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAKNTE ÉCRITURE

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Aussi, la plupart des interprètes entendent par cette nourriture autre chose que l’eucharistie, soit la foi (Patrizi), soit l’enseignement de Jésus (Wiseman), soit la grâce (Calmes), soit les dons apportés par le Sauveur. La pensée ne se précisera que plus tard.

Les versets 32, 33, 35 ne paraissent pas non plus, quoi qu’aient dit quelques auteurs, désigner l’eucharistie, si ce n’est d’une manière générale comme faisant partie des biens obtenus par Jésus et se rapportant à sa personne : « Ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain du ciel, mais mon Père vous donne le pain du ciel, le vrai. Car le pain de Dieu est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde… Je suis le pain de vie : celui qui vient à moi n’aura pas faim et celui qui croit en moi n’aura jamais soif. » Non content de voir dans la manne un symbole de Jésus, aliment venu du ciel, Loisy, op. cit., p. 443-444, croit que, comme les pains miraculeusement multipliés, elle est une figure de l’eucharistie. C’est dépasser le texte et anticiper sur les déclarations postérieures ; ici, il nous est dit seulement que, comme la nourriture du désert, Jésus est un pain du ciel.L’eucliaristie n’est pas exclue, mais elle n’est pas formellement présentée ; ridée de manger n’est pas encore exprimée. La fci, l’attachement à Jésus comme au Verbe envoyé du Père est ici l’acte proposé comme moyen de s’unir à lui : l’évangéliste ne se lasse pas de l’affirmer, 29, 35, 3C, 37, 40. Saint.ugustin, MaUlonat, aussi bien que les modernes (Batiflol, Calmes), ont observé que le langage de Jésus en cet endroit du discours est identique à celui de l’entretien avec la Samaritaine, dans lequel il n’est pas question de l’eucharistie : « Quiconque boit de cette eau, aura soif encore ; mais quiconque boit de l’eau que je lui donnerai n’aura plus soif pour l’éternité. » .Joa., iv, 13, 14. Loisy croit pourtant pouvoir dire que, si » la pensée de l’eucharistie n’est pas au premier plan, elle est présente ; l’esprit de l’évangéliste, étant comprise dans la communion divine qui se réalise par le Christ au sein de l’humanité. » Op. cit., p. 445. C’est avouer que, pour saisir cette idée, il ne sullit pas d’étudier le texte, mais qu’il faut lire entre les lignes et rechercher un sens sousjacent.

En réalité, dans cette première partie du discours, 26-47, Jésus part du pain matériel pour s’approcjher toujours plus de l’eucharistie : mais il ne l’annonce pas encore clairement et en termes exprès.

b) 2° partie du discours, 48-59 :

48..le suis le pain do ic. 49. Vos pères ont maillé la manne dans le descrl et ils sont morts..iO. Voici le pain « [ai desceiul du ciel afin qu’on en mange et qu’on ne meure pas. 51. Je suis le pain vivant, celui qui est descendu du ciel. Si quelqu’im mange de ce pain, il vivra éternellement ; et le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. 52. Les.tuifs donc discutaient entre eux, disant : Comment peut-il nous donner sa chair ù manger ? 5... Aussi Jésus leur dit : l.n vérité, en vérité, je vous le <lis : .Si vous ne mangez la chair du l’ils de l’honnuc et si vous ne buvez son sang, vous n’avez pas la vie en vous. 54. Celui qui mange ma chairet boit mon sanga la vieéternelle ; el je ressusciterai au dernierjour.55.Carma chair est une vériijible nourriture, et mon sang un véritable breuvage. « O. Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en" moi et moi en lui. 57. De même que le Père qui est vivant m’a envoyé et que je vis par le l’ère, amsi celui qui me mange vivra par moi..58. Voilà le pain descendu du ciel, non conmie celui que les pères ont mangé, ils sont morts : celui qui mange ce pain vivra éternellement. 50. Il dit cela, enseignant en synagogue à Capharnaum.

Spitta, Zur Gescliiclile and I.illeratur des Urchrisentums, Gœtllngue, 1893, p. 216 sq., et Axel Andersen, J)as Abendmahl in dm zwei crsten Jahrhunderlrn nach Christus, Giesscn, 1904, mettent en doute l’au-’thenticilc du passage, 51-59., u v., 59, observe Spitta, Jésus enseigne dans la synagogue de Capharnaum, au

Drr ; T. IiK TIIKOI.. (ATIIOI, .

y. 25 il parle au bord du lac. Mais les mots -ipa/ tîiç 6a>, 2a-(7r, ; peuvent signifier ici « de l’autre côté du lac 5 et non « au bord du lac » . Il est permis d’admettre d’ailleurs que le discours, commencé à un endroit, a été terminé ailleurs. Calmes, L’Évangile selon S. Jean, Paris, 1904, p. 243. Les versets 61, 62 : « Cela vous scandalise ? Et si vous voyez le Fils de l’homme remonter ou il était auparavant ? » font suite, d’après Spitta, au y. 50 : « Voici le pain qui descend du ciel » et non pas à la phrase qui énonce l’obligation de manger la chair du Christ. « A ce compte-là, dit J. Réville, o/).c//., p. 63, nous devrions remanier tous les écrits de l’antiquité où l’auteur revient à une idée exprimée antérieurement après en avoir développé une autre qui en est dérivée. » Et l’étonnement des Juifs, leurscandale se comprend mieux encore en face des assertions contenues dans le passage, 51-59 : "Il faut manger ma chair, » que devant cette alTirmation : « Je suis le pain du ciel. » Spitta observe qu’au ^’. 51, 1e pain est nommé ô a>To ; à r » .)-/, tandis qu’auparavant, ꝟ. 48, il était dit o apro ; tti ; Tfor, ;. De même aux versets 54 et 56, 1e verbe employé pour désigner l’action de manger est roùiydyi, tandis qu’ailleurs, l’auteur se sert de s<x- ; zyi. Cependant, au y. 51, nous retrouvons cpàyï). D’ailleurs, ces différences verbales sont insignifiantes.

Au contraire, comme le montre Calmes, op. cit., p. 251, ce morceau, 51-59, « tant par le vocabulaire que par la structure des phrases, reflète avec fidélité le style johannique. Il suflît de signaler au. 56, l’expression Mjve ;, auꝟ. 57 y.7.v : Eivoç et, surtout, en fait de syntaxe, l’allure rythmique des réponses aux versets 50 et 53. »

50 a. Voici le pain,

50 b. qui descend du ciel,

50c. afin qu’on en mange

et qu’on ne meure pas.

53 a. Si vous ne mangez

la chair du I-"ils de l’homme,

53 b. et si vous ne buvez

son sang,

53 c. vous n’avez pas la

vie en vous.

51 a. Je suis le pain vivant

51 b. celui qui est des.

cendu du ciel.

51 c. Si quelqu’im mange

de ce pain, il vivra éternelle ment.

54 a. Celui qui mange

ma chair

54 b. et boit mon sang

54 c. a la vie éternelle.

Nous remarquons dans cette partie du discours le procédé oratoire bien connu qui caractérise les discours du quatriéme Évangile. Il y a enchaînement de plusieurs développements progressifs de la même pensée, et chacun d’eux est précédé d’un résumé concis qui l’annonce. ^Viscman, De la présence récite, dans les Dcmonslraiions évangcliques de Migne, Paris. 1843, t. XV, col. 1179. Ici, le même objet est présenté sous trois points de vue, pain, iS-âld ; chair, ryld-âl ; nourriturc, 55-58. Et chaque développement est préparé par son titre : « Je suis le pain de vie, » 58 ; " le pain que je donnerai, c’est ma chair ; » « ma chair est une vraie nourriture. » Il y a une gradation continue et saisissante de la pensée. Tout d’ailleurs la met en lumière : au V. 26, il est recommandé de chercher non la nourriture périssable, mais l’aliment de la vie éternelle ; au V. 32, il est dit que cet aliment est un pain qui descend du ciel et est donné par le Père ; auꝟ. 35, c’est.lésus qui est présenté comme étant ce pain et, en raison de l’incrédulité des auditeurs, 36. 41, cette idée est de nouveau alllrmée, prouvée éncrgiqucment, 48. 51 a. Hieii plus, Jésus est/c pain dévie ; c : r. r>l d, ce pain, c’est sa chair ; car, 53-5 1, il faut manger cette chair et boire son sang ; car, 55, cette chair est une nourriture, ce sang un breuvage. Ainsi, supprimer les versets 51-59, c’est mutiler le discours, y faire un véritable trou, arrêter l’évolution de la pensée, .ucun manuscrit, aucun témoin ancien n’omet ce morceau. L’hypothèse de l’inlcrpolation est commandée d’ailleurs, chez A. Andersen du moins,

V. - 3-2

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pardesarj^uiiiiiits a priori. D’après lui, à l’époque où fui compoS6 le quatrième Évangile, l’eueliaristie est encore incoiuiue ; donc, elle ne peut pas être mentionnée ici. Recueillons en passant cet aveu : les versets 51-59 visent la chair et le sanj » du Christ. Mais rejetons la conclusion, car elle est en opposition avec les textes les plus décisifs : l’eucharistie est connue de saint Paul et des Synoptiques.

Cette signification eucharistique de la seconde partic du discours est communément admise. On a essayé pourtant de la nier, en raison du sens de la première partie : Si Jésus n’a auparavant parlé que de la foi, on ne peut admettre qu’il passe à un autre sujet tout différent ; rien d’ailleurs n’indique un changement d’idée.

Les exégètes ont bien montré le lien qui rattache étroitement entre eux le commencement et la fin du discours : Inter duas partes sermonis, non ulique inler se auulsas, sed connexas fit progressas a générait argumenta ad spéciale, a flde in ipsum iiniuersa ad fidem in unum mysterium, ad quod amplectendum quam maxime firmu esse débet fides illa generalis in ipsum ; a manducatione lypica spirituali ad manducationem quse simul sit vera et spiritualis ; ab uniane per fidem ad unioncm per sacramentum. Knabenbauer, Comment inJoannem, Paris, 1898, p. 233. En réalité, nous n’avons ici qu’un seul et même développement d’une même doctrine mystique. Le pain matériel sert de point de départ à cet enseignement, dans lequel, après avoir parlé de l’union à Jésus par la foi, on nous enseigne une participation plus intime à la vie surnaturelle, celle qui se fait par la communion eucharistique. » Calmes, op. cit., p. 243.

Le discours tout entier peut se résumer ainsi : « Ne cherchez pas le pain matériel, mais le pain de vie venu du ciel. Ce pain, c’est Jésus qui descend du Père et qui ressuscitera les croyants attirés à lui par le Père. Car il leur donnera sa chair : en ceux qui la mangeront, il demeurera pour leur infuser la vie éternelle comme le Père anime le Fils. » L’unité du thème est remarquable, la marche en avant de la pensée est indéniable. Les deux miracles du début préparent l’entretien. Tout s’éclaire réciproquement. Le commencement contient en germe la fin ; la fin indique la raison d’être du début.

FA s’il n’en était pas ainsi, si on ne pouvait découvrir l’eucharistie dans la seconde partie de l’entretien sans donner au discours deux objets distincts, il demeurerait impossible de voirici des recommandations sur la foi, pour ce seul motif. Non seulement les critiques protestants, mais les catholiques de toute école (Calmet, Cor]uy, Finion, Knabenbauer, BatilTol, Calmes, Mangonot, t’ouard, Lagrange, Nouvelle, Chauvin, Fcfntaine, Jacquier, Lepin, Brassac, Lebre ton, Venard), admettent que, si l’cvangéliste conserve avec fidélité la substance (le l’enseignement du Sauveur, il fait subir aux discours un certain travail de condensation et d’adaptation, il revêt les pensées du Verbe incarné d’une forme littéraire personnelle et bien caractérisée. Si donc saint Jean peut omettre des transitions, résumer certains développements, en négliger d’autres, grouper dans un même tout des affirmations détachées de plusieurs entretiens, nous n’aurions pas le droit de nous étonner si un même discours passait brusquement d’un sujet à un autre tout différent. Il nous serait permis d’affirmer sans invraisemblance que Jean a voulu grouper dans ce chapitre les enseignements de Jésus sur le pain, tout ce que le Christ a fait symboliser par cet élément. Ces explications seraient encore plus vraisemblables pour qui croirait que le discours, commencé à l’endroit et au moment où, après la traversée du lac, la foute, fiy’/oz, c’est-à-dire les Galiléens, rencontre Jésus, 24, 25, se termine devant les Juifs, 1, 52, dans la synagogue, à Capharnaiim, 59.

Au reste, contre les textes, aucune considération a priori ne peut prévaloir. Et il est impossible de ne pa& entendre les paroles de Jésus de l’eucharistie.

a. V développement : Jésus est le pain de vie qui doit être mangé, 48-51. — Nous arrivons certainement à une idée nouvelle : le cadre même de la pensée le prouve. Le >. 47 apparaît comme une conclusion de ce qui précède, 35-46 : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit a la vie éternelle. » Le)i. 48 : "Je suis le pain de vie, > paroles identiques au début du développement antérieur, 35, sont le titre d’un nouvel enseignement. Car, dans saint Jean, lorsque Jésus applique les mêmes images à différents sujets, d’ordinaire il répète au commencement de chaque développement les mêmes mots :, Je suis la porte des brebis, x, 7, 9 ; je suis le bon pasteur, x, IL 14 ; je suis la vraie vigne, . XV, 1, 5, et de plus, comme nous l’avons montré plushaut, un parallélisme s’établit aux versets 49, 50. Nous sommes donc prévenus qu’une idée nouvelle se présente.

Elle co’i’ncide avec l’apparition d’un terme jusqu’alors non employé, évité même, le verbe manger. Jusqu’au . 47, Jésus avait dit, répété, 32, 33, 35, 61, qu’il était le pain vivant et céleste. Ces mots peuvent parfaitement s’entendre en un sens spirituel et designer la parole et la doctrine du Sauveur, nourriture de l’âme croyante. Ce langage est conforme à l’usage. Is., lv, 1-2 ; Jer., xv, 16 : Amos, viii, 11 ; Prov., ix, 5 ; Eccli., . XV, 3 ; xxiv, 20. La métaphore est toute naturelle et on la relève dans Philon, dans le Talniud ; elle est en usage dans beaucoup de langues sémitiques et autres (même en français : boire la parole, se nourrir de la doctrine, rompre le pain de la parole). Mais nulle part dans l’Écriture quelqu’un ne dit : Je suis le pain qu’il faut manger, pour faire entendre qu’on doit recevoir ses enseignements. Un seul cas apparent a pu être relevé : la Sagesse, Eccli., xxiv, 18. tient ce langage ; « Venez à moi, vous tous qui me désirez, et rassasiez-vous de mes fruits ; » mais cette figure audacieuse s’explique par le contexte et ne choque pas. La Sagesse est un personnage abstrait qui ne saurait être dévoré au sens propre. Et elle parle d’elle comme d’une plante, , elle se compare au cèdre, au cyprès, au palmier, à la rose, à l’olivier, au platane ; elle parle de ses racines, de ses "branches, de ses rameaux, de ses pousses, de ses fleurs, de ses fruits, de son parfum, xxiv, 12-17 ; elle peut donc ajouter : « Rassasiez-vous de mes fruits. » ^ La parole est imposée, le sens est indiqué par le contexte. Ici, il n’en est pas de même.

Dans la première partie du discours, non seulement Jésus ne dit pas : » Je suis le pain qu’il faut manger, » mais il évite, semble-t-il, cette locution, là où il paraîtrait qu’elle doive être employée, là où les lois du langage l’appelleraient. Il parle ainsi : « Je suis le pain de vie, celui qui vient à moi n’aura plus faim, celui qui croit en moi n’aura plus soif, » 35. Entre les mots : pain de vie et les locutions : avoir faim, avoir soif, ce n’est ni le verbe venir, ni le verbe croire cju’attend l’esprit, mais les mots : manger et boire. Et non seulement dans la première partie du discours Jésus ne demande pas qu’on le mange, il n’invite pas davantage à manger le pain de vie. Et il prend la peine d’expliquer la métaphore dont il a usé : « Je suis le pain de vie… celui qui vient à moi… celui qui croit en moi… » Aucune équivoque n’est possible. Bien plus, une fois cette explication donnée, Jésus n’emploie plus aucune figure ; du v. 30 auꝟ. 47, il ne parle plus que de foi, de doctrine, d’enseignement ; il repousse tout recours aux termes d’alimentation ; il s’exprime d’une manièreclaire, simple et qui ne laisse aucune place à l’équivoque. Or voici qu’auꝟ. 48 nous retrouvons les mots : « Je suis le pain de vie ; » et, cette fois, il est parlé de sa manducation. Jésus demande qu’on le mange. Il ne

se serL pas de ce mot une fois eu passant et comme par inattention, mais à neuf reprises. Il assimile la manducation du pain de vie à celle de la manne qui ne fut pas métaphorique. Nous sommes donc bien en face d’une idée nouvelle et force nous est d’entendre les mots au sens propre. Si nous admettions qu’il s’agit ici comme précédemment de la foi, non seulement nous dirions que la pensée n’avance pas, mais nous affirmerions qu’elle recule ; nous croirions qu’après avoir employé treize versets pour dissiper ce qu’il y avait d’obscur dans les expressions métaphoriques dont il a usé, après avoir expliqué les figures, Jésus recourrait à des locutions plus équivoques que les précédentes ; qu’il exposerait sous une forme énigmatique et paradoxale les idées déjà présentées en termes très clairs ; qu’il se servirait de métaphores dont personne ne se serait servi n » avant ni après lui et qu’il le ferait sans en donner l’intelligence à ses auditeurs.

b. 2° développement : il faut manger la chair de Jésus et iMire son sang, 51 d-54. — La première proposition de ce nouveau développement fait apparaître le mot chair non employé auparavant.’O apTo ; Se riv ifi’o èiitiui T| trâf ; uo’j eiTiv ûitkp ttiÇ toO xôajiciy ï(i)f|Ç, ce qu’on traduit d’ordinaire : Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. B.’Weiss a proposé de lire : Le pain que je donnerai, ma chair, est pour la vie du monde, ce qui lui permet de conclure qu’il n’est pas question ici de l’eucharistie. Loisy, op.cil., p. 455, a bien jugé cette tentative : « Phrase entortillée, d’allure moderne, de signification indécise et llottante qu’on ne songerait pas sans doute à couper si ijizarrement, si le sens naturel cju’elle présente ne déconcertait quelque préjugé théologique. » On trouve d’autres leçons, mais qui ne paraissent pas modifier l’idée fondamentale. Les onciaux B, C, D, l’omettent 01 £, ’( » ) Sio-j’.) : « Le pain, c’est ma chair pour la vie du monde. » Le Sinailicus porte : « Le pain que je donnerai pour la vie du monde, c’est ma chair, » leçon adoptée par de Gebhardt et Calmes. Certains Pères grecs lisaient : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair que je donnerai pour la vie du monde. » La pensée, on le voit, reste la même.

Quelle est-elle’? De rares critiques ne veulent voir ici que la promesse de l’eucharistie et excluent toute allusion à la passion et à la mort de Jésus. Cf..1. Réville, op. cit., p. 65, 66. Ils rapprochent cette affirmation de celle duꝟ. 33 : » Le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et donne la vie au monde ; » ils estiment meilleure et ils considèrent comme leur étant favorable la leç » n du Sinaiticus citée plus haut ; ils observent que la chair du Christ est vivifiante non commit chair d’une victime morte, mais en qualité de chair du Logos. Ils relèvent l’emploi du mot Tcip ? (et non du mot iMuia) qui, chez les Hébreux, désigne la nature physique de l’homme et qui, pour ce motif, est choisi par saint Jean pour nommer l’incarnation (et le Verbe devint chair, i, 14). Certains Pères grecs, d’ailleurs, avaient déjà entendu ainsi ce passage.

.Mais cette interprétation ne paraît pas suffisante. Soutenir qu’il est fait allusion ici à l’incarnation seulement paraît impossible. Cet acte n’est pas la seule preuve que la chair de Jésus a été donnée pour la vie du monde. Les versets précédents, 36-40, contenaient toute une doctrine de l’incarnation. Or, ici, comme l’observe Hatiffol lui-même, op. cit., p. 93, malgré sa préoccupation de ne pas encore trouver l’eucharistie, « nous sommes à un tournant du discours du Sauveur, quelque chose de nouveau doit donc ni>p ; iraltrc. La conception de l’incarnation comme un sacrifice n’est d’ailleurs pas exprimée par saint Jean. Les mots « pour la vie <hi monde font beaucoup plus naturellement penser ù la passion et à

la mort du Sauveur. Ils rappellent ces autres affirmations : <i Le Père m’aime parce que je donne ma vie… Personne ne me l’ôte, mais je la donne moi-même. » Joa., X, 11, 17, 18. Ils semblent une anticipation de la déclaration du Christ à la cène : " Ceci est mon corps pour vous, » I Cor., xi, 24 ; « Ceci est mon corps qui est donné pour vous… Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang qui est versé pour vous. » Luc, XXII, 19, 20.

Mais doit-on dire que seule ici la passion de Jésus est annoncée, que « l’idée de l’eucharistie ne lui est pas encore associée ? » Batifïol, op. cit., p. 94. Cf. Cajetan, Jansénius de Gand et quelques catholiques ; parmi les protestants, la plupart des anciens et quelques conservateurs aujourd’hui. Si Jésus n’avait voulu ici qu’annoncer sa mort il « se serait grandement torturé l’esprit pour exprimer la chose la plus simple du monde. » Loisy, op. cit., p. 455. S’il avait eu seulement l’intention que lui prêtent certains protestants de promettre le salut par la foi à sa passion rédemptrice, il aurait oublié de le dire, car il ne parle pas ici de la foi à cette passion. Il annonce sa mort, dans une fin de phrase, sans en avoir parlé auparavant, sans en parler dans la suite : il semble donc bien qu’elle n’est pas seule l’objet de sa préoccupation en ce moment. Et si, comme Batiffol l’avoue, les mots « pour la vie du monde » correspondent aux mots » pour vous » de saint Paul et de saint Luc, ne faut-il pas conclure que, dans ce discours comme dans les paroles de la cène, il est question de l’eucharistie et de la passion ? Donnée sur la croix pour le salut des hommes, la chair de Jésus l’est aussi dans le sacrement. Au repas comme au calvaire, Jésus se livre. Et l’eucharistie apparaît déjà comme une communion au Sauveur dans le symbole de sa mort.

D’autres indices ont été relevés en ce verset. Jésus parle du pain (ou de la chair) qu’il donnera. L’emploi du futur n’est peut-être pas tout à fait nouveau (voir 27). Mais dans la première partie du discours, les verbes sont presque tous au présent ou au passé. S’il s’agit plus haut de la foi, de la doctrine du Sauveur, ici de sa passion et de son eucharistie, la différence s’explique aisément. Déjà Jésus a enseigné, a accordé le don de la croyance en lui ; il n’a pas encore livré sa chair.

On peut souligner enfin une autre différence entre le langage des deux parties. D’abord, c’est le Père qui donne, 32, 37, et dans les premiers développements son action sur les hommes est mise continuellcinent en relief. Le Fils intervient comme son envoyé, pour communiquer ce qui est du ciel : intelligence et volonté du Père, pour recevoir ce que le Père attire à lui. Ce langage se comprend très bien s’il s’agit de la doctrine : le Christ, dans le quatrième Évangile, est présenté avec insistance comme le Logos qui révèle le Père aux hommes. Maintenant, au contraire, il est parlé du pain que.lésus donnera et le travail du Père sur les hommes n’est plus mentionné une seule fois dans cette seconde partie. Si elle traite de l’eucharistie, tout s’explique : le sacrement est vraiment le don personnel, relui de la personne de Jésus.

A peine le Sauveur a-t-il prononcé le mot « chair que les discussions s’élèvent parmi ses auditeurs. « Comment peut-il nous donner sa chair à manger ? » 52. Ainsi les Juifs ont entendu an sens littéral les paroles de Jésus. Aupara : int. les interruptions avaient été tout autres : « (^ue devons-nous faire ? Quel signe accomplis-tu pour que nous croyions en toi… ? Donne-nous toujours de ce pain-là. N’est-ce pus Jésus, le fils (le.loseph ? » 28. 30. 34. 42. Ici, la question est tout autre. Les auditeurs ont compris que le sujet de la conversation n’est plus le même, que Jésus les in999

EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ECRITURE

KJÛO

vite i manger sa chair. Leur objectioii laisse entendre que le sens obvie de la parole du Christ est le sens littéral.

Coninient le Sauveur va-t-il répondre ? Viseinan a fait l’observation suivante qu’il appuie sur de nombreux exemples : Lorsque les auditeurs du Christ élèvent contre s.i parole des objections fondées sur une interprétation erronée, Jésus a l’habitude de faire savoir aussitôt qu’il parlait au sens figuré, même s’il ne doit résulter de la méprise aucune erreur fjrave. Joa., IV, 32-34 ; vi, 3’2-35 ; viii, 21-23, 32-34, 39-44. Cf. Matth., xvi, C-11 ; xix, ’24-26. Au contraire, quand les aftirmations du Christ ont été comprises dans leur véritable sens et provoquent des murmures, des objections, il répète les mots qui ont choqué, sans mitiger les termes. Joa., vi, 41-44, 46 ; viii, .56-.58. Cf. Malth., IX, 2, 5, 6. Or, après la réflexion des Juif : i, Jésus ne dit pas qu’ils l’ont mal compris, mais que ce qu’ils ont compris est la vérité. Il n’atténue pas les expressions, il les répète cinq fois en des termes plus énergiques. Il leur répond d’abord, 53 : « En vérité, en vérité, je vous le dis : Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’avez pas la vie en vous. » « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, » ce n’est pas : « Il faut croire à ma chair ; » les Juifs ne mettaient pas en doute sa réalité. Ce n’est pas davantage : Il Il est nécessaire de communier à ma mort par la foi en ma passion : » comment assigner un pareil sens aux paroles du Sauveur ? Jésus n’aurait pu moins clairement signifier cette pensée. Si quelqu’un d’ailleurs use au sens figuré d’un mot dont la signification métaphorique est consacrée par l’usage, il est obligé, sous peine de n’être pas compris, d’entendre ce terme comme le fait tout le monde. Or, l’expression : manger la chair de quelqu’un, dans les langues sémitiques, dans la sainte Écriture, ou s’entend littéralement ou signifie faire injure à quelqu’un, l’accuser, le calomnier. Il en est ainsi dans l’Ancien Testament. Job, XIX, 22 ; Ps. xxvii{heb.), 2 ; xxxi, 31 ; Mich., 111, 3 ; Eccle., IV, 5. Saint Paul à son tour use de l’expression : « Si vous vous mordez et vous vous mangez les uns les autres, prenez garde de vous détruire réciproquement. » Gal., v, 15. Voir aussi le livre d’Hénoch, VII, 5. En araméen, en syriaque, en arabe, « manger la chair de quelqu’un, > c’est médire de lui, le poursuivre d’injustes accusations. Wiseman accumule les exemples pour le démontrer. Si chez les Juifs, avant et après Jésus, donc aussi de son temps, cette locution a une signification métaphorique fixe, unique, c’est elle et elle seule qu’on peut donner à la parole du Sauveur, lorsqu’on ne l’entend pas au sens littéral. Le Christ enseigne ou bien qu’il faut réellement manger sa chair ou bien qu’il est nécessaire de le calomnier pour avoir la vie. Aucune hésitation n’est possible.

La suite le montre, car Jésus ajoute : « Et si vous ne buvez mon sang. » On ne saurait entendre au sens figuré cette locution. Boire du sang humain est un acte qui répugne matériellement. La loi défendait, sévèrement d’ailleurs, même l’usage du sang des animaux. Lev., III, 17 ; vii, 26 ; xvii, 10 ; xix, 26 ; Deut., XII, 16 ; XV, 23. Si Jésus ne parle pas au sens littéral, s’il veut dire qu’il faut accepter sa doctrine, croire à sa passion, comment admettre qu’il ait employé un langage énigmatiquc, paradoxal, horrible ; qu’il ait, pour présenter la vérité, choisi l’image la plus révoltante pour ses auditeurs, qu’il ait déguisé d’aimables désirs sous de répugnantes figures, qu’il n’ait pas pris la peine d’expliquer sa pensée et qu’il recoure quatre fois à cette même métaphore ? Il n’a pu vraiment inviter ses auditeurs à boire son sang que si telle est littéralement sa volonté.

Enfin, les mots qu’il emploie correspondent aux paroles de la cène : « Mangez, ceci est mon corps ; buvez, ceci est mon sang. » Nous avons ici une description anticipée du repas eucharistique. Cette ressemblance indéniable oblige ù conclure que, dans saint Jean comme dans les Synoptiques, il s’agit du sacrement. Si elle doit s’entendre de l’eucharistie, la double locution s’explique. Les deux éléments du repas sont nommés, le rite est clairement décrit. Au contraire, si Jésus parle en figure, les mots : baire le sang n’ajoutent rien à la première locution : nvingcr la chair ; ils sont superflus, inexplicables.

Et la fin de la phrase confirme cette interprétation. « Si vous ne mangez…, vous n’avez pas en vous la vie. » Jésus ne se contente donc pas de promettre un don il impose un précepte. Refuser de s’y soumettre, c’est se condamner à mort. On concevrait peut-être que le Sauveur ne présentât pas clairement les bienfaits qu’il se proposait d’accorder aux hommes : ils les connaîtront quand ils les recevront. Mais un ordre grave, sanctionné du plus terrible châtiment, doit être exprimé en termes précis. Pour établir que le baptême est indispensable, Jésus a dit à Xicodème : « Quiconque n’est pas né de l’eau et de l’esprit ne peut entrer dans le royaume de Dieu. » Joa., iii, 5. Aucune équivoque n’est possible : ce précepte doit s’entendre au sens littéral. Il en est de même ici.

Après la menace, la promesse : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour, » 54. La proposition précédente était sous forme négative ; celle-ci est positive. Mais les mots et l’ordre sont semblables. Et Jésus ne donne aucune nouvelle explication. Le Sauveur sent et laisse voir que son langage sera compris, ne laisse place à aucun doute. Il parle donc au sens littéral. Les mots : « je le ressusciterai au dernier jour » expliquent comment le communiant a la vie éternelle et préparent le prochain développement.

c. 3 développement : la chair du Christ est une vraie nourriture, son sang un vrai breuvage, 5557. — Dans cette dernière section, comme dans les précédentes, on retrouve les mêmes expressions : manger, boire, chair, sang, la même absence d’explications par Jésus, le même défaut d’indices favorables à une interprétation symbolique.

Le ». 55 : " Ma chair est une vraie nourriture, mon sang est un vrai breuvage, » est extrêmement énergique. La pensée est accentuée. L’adjectif « vrai » renforce l’affirmation. Car à/.r, 6r, ; « marque non pas l’excellence de la nourriture et du breuvage, mais leur réalité. » Calmes, op. cit., p. 255. La chair de Jésus est un réel aliment, quelque chose qui se mange vraiment et qui vraiment donne la vie. Jamais expressions semblables n’ont été employées pour signifier qu’une doctrine nourrit l’intelligence, que les souffrances et la mort de quelqu’un serviront à ses frères. Tout se justifie, au contraire, si la chair dont il s’agit est l’eucharislie, aliment qui est réellement mangé et qui réellement vivifie.

Et leꝟ. 56, loin de neutraliser cet argument, l’appuie à son tour : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. » J. Réville, op. cil., p. 64, 66, comprend ainsi cette affirmation : « Manger la chair et boire le sang du Christ, c’est demeurer en lui et l’avoir demeurant en soi ; c’est l’unité mystique dont il (Jésus) décrira si bien plus loin la nature toute morale (c. xv, xvii, 21 sq.). » Sans doute, il est dit ici que le pain et le vin de l’eucharistie « procurent la vie éternelle à ceux qui ont la foi, en scellant leur union mystique avec le Christ vivant. » Tel est bien l’effet de la communion, personne ne l’a plus fortement affirmé que saint Jean. Mais il ne faut pas supprimer la cause. Pourquoi l’eu

cliaristie est-elle le pain de vie, pourquoi unit-elle à Jésus ? L’évangéliste le répète, ne se lasse pas de l’affirmer : parce qu’elle est la chair du Christ. Et ici même, il le rappelle : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. » Cette locution : demeiiir en Jésus, vaut la peine d’être relevée. Quand, dans saint Jean, il est parlé de l’union au Christ par la foi. d’autres métaphores sont employées : on vient à lui, on est attiré à lui, v, 40 ; vii, 37, 39 ; vi, 35, 36, 44, 45, 05, 68 ; on le reçoit, i, 12. Au contraire, pour parler de l’union plus intime, plus personnelle, de l’habitation dans les hommes, il use du verbe demeurer, xiv, 23 ; XV, 4, 9 ; I Joa., ii, 6, 17. Or, l’eucliaristie a précisément pour effet d’introduire Jésus dans le fidèle. Peu acceptable s’il est destiné à signifier l’adhésion de l’esprit par la foi, le mot demeurer est très bien choisi pour exprimer la présence sacramentelle.

C’est encore la même conclusion qui se dégage de l’examen d’un terme nouveau employé au verset suivant : « Celui qui me mange…, dit Jésus, vivra par moi. » Il était déjà impossible de voir dans la locution « manger le pain de vie » l’équivalent de « se nourrir d’une doctrine ; » impossible de considérer les mots I. manger la chair du Christ » comme synonymes de (I croire à sa passion. » Mais ici, il n’est plus parlé de pain ni de cliair. « Celui qui me mange, » est-il dit. L’expression devient toujours plus choquante si elle est symbolique, plus facile à entendre s’il s’agit de l’eucharistie, aliment qui n’est pas du pain, chair qui n’est plus apparente, sacrement qui est la manducation de Jésus et de Jésus seulement.

Ji critique protestant a objecté l’emploi du participe présent Tpr/jvfov, 57. Celui qui vivra, dit Jésus, c’est littéralement « celui me mangeant » , donc, celui qui, d’une manière continuelle, ininterrompue, reçoit le Christ ; il ne s’agit pas de l’eucharistie, mais d’une communion spirituelle. B. Weiss, Das Johanncs Eunn<jelium, Gœttingue, 1893, p. 270. Cette subtilité est irrecevable. Conçoit-on un être qui mangerait toujours, fût-ce métaphoriquement ? Et si oui, est-ce à lui que pense Jésus ? Nullement, aucun autre passage ne le montre. Il parle ici de nourriture, de chair, de pain, parce que c’est la nourriture, la chair, le pain qui donnent la vie. Mais une manducation intermittente suflit à l’assurer. Le Sauveur prend l’opération de manger telle qu’elle se réalise : d’ordinaire, c’est ù des intervalles distincts qu’elle s’accomplit ; la vie qu’elle donne n’en est pas moins continue. Il en est de même du sacrement. L’objection de B. Weiss oblige à remar(i.icr le parfait parallélisme qui existe entre l’aliment matériel et l’eucharistie.

C’est l’idée que met pleinement en lumière le dernier développement du discours sur le pain de vie. Pour ceux qui y voient une promesse de la cène, le sens est clair. Précédemment, Jésus a affirmé qu’il fallait manger sa chair. Mainleminl, il rend raison de ce précepte : elle est une nourriture cl, en cette qualité, elle entretient la santé, (^eux qui la mangeront introduiront Jésus en eux, et inévitablement recevront de lui la vie, la vie éternelle, la garantie de la résurrection ; ils vivront par lui comme il vit par le Père, car il sera en eux, comme le Père est en lui, 57. Ainsi, l’interprétation littérale admise, tout s’cxplifiue, s’enchaîne, se comiilète. La pensée atteint ici son maximum de clarté, le développement s’achève de la manière attendue, le discours se termine dignement. Si, au contraire, on entend ces paroles de la foi ou de la passion seulement, le dernier mot est une dernière énigme : » De même que le Père qui est vivant m’a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mange vit par moi, » 57. Le l’ère n’est pas uni au F-’ik imifiuement parce que le I-’ils croit en lui, le Père n’est pas mort pour le l’ils..Mais, d’après

le quatrième Évangile, Jésus était dans le sein du Père, auprès de lui ; le Père est en lui ; il est dans le Père. S’il est impossible d’admettre que Jésus promet au communiant une circuminsession identique ; du moins, pour que les paroles ne soient pas vidées de tout leur contenu, est-on obligé de penser qu’il s’annonce comme devant demeurer dans ses fidèles pour leur donner la vie. Lorsqu’on veut tout entendre de la foi, nourriture de l’âme, on s’expose à accomplir de véritables tours de force pour maîtriser le texte et obliger chaque aspect de la métaphore à avoir un sens. Enfin, l’explication communément admise par les catholiques olïre un dernier avantage : elle relie à saint Jean la tradition d’Asie : saint Ignace d’Antioche et saint Justin insistent eux aussi sur l’idée de la chair du (Christ, gage de résurrection.

BatilTol, tout en appliquant à l’eucharistie ces dernières phrases du discours, les entend d’une manière particulière. La vie éternelle, la plénitude de vie sont les fruits de l’eucharistie, mais à titre d’cfl’et de la foi du communiant, foi qui a son « point culminant » dans ce sacrement. « La communion est considérée ici par saint Jean comme une manifestation de la foi du fidèle. « Voilà pourquoi il lui reconnaît une efficacité qui ne différe pas de l’eflicacité de la foi. Op. eit.. ]). 99. Cette interprétation un peu subtile, qui ne rend pas raison d’une partie du texte (la comparaison entre le Père et le Fils d’une part, enti’e Jésus et les communiants d’autre part) et qui, en reportant la pensée vers la foi dont il n’a plus été parlé depuis quelque temps, risque d’interrompre la marche progressive du discours, ne semble pas s’imposer. Sans doute, le Sauveur, dans le quatrième Évangile, i, 12, donne le pouvoir de devenir enfants de Dieu à tous ceux qui croient en son nom ; il affirme que « celui qui croit en lui a la vie éternelle, » vi, 40. Mais précisément il a institué des moyens pour la communiquer : l’eau du baptême et le sang de l’eucharistie découlent de lui pour faire passer dans le fidèle cette nouvelle génération et cette vie. De même que « renaître de l’eau et de l’esprit » , c’est « entrer dans le royaume de Dieu, » iii, 5 ; de même manger la chair de Jésus introduit dans l’âme une nourriture céleste et vivifiante, la personne même du Sauveur. Seule, cette interprétation nous paraît expliquer toute la pensée, toutes les cxpressions du Christ, s’accorder pleinement avec l’esprit du ({uatriéine Évangile et l’antique conception des Pères asiates. La conception de -Mgr BatilTol, d’ailleurs, fait place à l’eucharislie.

l’our ne pas être obligé de la reconnaître, en ce morceau, certains protestants faisaient autrefois ce raisonnement : D’après Jésus, celui qui mange sa chair et ((ui demeure en lui a la vie éternelle. Or, parmi les communiants, il en est qui jièchent et qui n’iront pas au ciel. Le discours du Sauveur ne s’applique donc pas à l’eucharistie. On a répondu qu’eiitendre ce morceau au sens figuré ne supprime pas la difficulté. Il y a des croyants chez qui Jésus ne demeure jias et qui n’obtiendront pas la résurrection glorieuse. Quand quelqu’un, homme ou Dieu, dans l’Écriture ou ailleurs, fait une promesse, il s’engage, mais il n’est tenu évidemment de respecter sa parole que si les conditions requises par lui ou de droit naturel sont remplies..lésus a dit : <i Quiconque demande, reçoit ; » « (^elui qui croira et qui aura été baptisé sera sauvé ; » il a annexé à l’aumône le pardon des péchés. Pourtant la prière. la foi, la charité ne iiroduisent pas nécessairement, infailliblement ces elTets ; elles peuvent toujours les produire, mais il faut que le sujet n’oppose pas d’obstacle à leur elTlcacité, prie, croie, donne comme Dieu le veut. Il en est ainsi de l’eucharistie, elle a la vertu de vivifier tout homme qui la reçoit ;

en fait, elle vivifie quiconque veut être ivifié et ne résiste pas à sa vertu.

Une autre objection semblable a été faite : Jésus déclare ici qu’il jmil manger sa chair et boire son sang sous peine de mort éternelle. Si on entend son discours de l’eucharistie, on doit conclure que pour être sauvé il faut avoir communié, que les plus petits enfants sont obligés de le faire, qu’enfin chaque fidèle est tenu de recevoir le sacrement sous l’espèce du pain et sous celle du vin. Ces conséquences étant inadmissibles, ce n’est pas du sacrement qu’il est parlé ici.

Des exégètes ont répondu qu’il y a une différence notable entre le langage de Jésus sur l’eucharistie et ses affirmations sur le baptême : « Si quelqu’un ne renaît de l’eau et de l’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume des cieux, » iii, 5. « Si tiuclqu’iin, » est-il dit, donc il s’agit des enfants aussi bien que des adultes. Ici, au contraire, les menaces s’adressent aux seuls auditeurs : « Si vous ne mangez…, » 53. Si vous, c’est-à-dire si les hommes faits… Calmes, op. cit., p. 257. Cet argument n’est peut-être pas très probant. La bonne réponse doit être cherchée dans un examen comparatif de deux figures dont Jésus se sert pour désigner le baptême et l’eucharistie. Le premier sacrement est une régénération, iii, 3-5 ; le second une nourriture. Pour vivre, tout le monde doit naître ; le baptême est donc indispensable. L’alimentation n’est requise que pour conserver l’existence ; si donc quelqu’un n’est pas exposé à perdre la vie spirituelle — et c’est le cas des petits enfants — il n’est pas obligé de manger : l’eucharistie n’est donc pas de nécessité de moyen et ceux qui sontincapables de pécher pourront ne pas communier.

De même, doit-on dire, l’aliment que propose Jésus ne consiste pas dans les espèces en tant qu’espèces. Son efficacité ne réside pas dans la manière dont est reçu le Sauveur, elle découle du Christ. Jésus est le pain de vie ; pourvu qu’il soit consommé sous une forme ou sous une autre, il agit. Et, comme l’observe finement le concile de Trente, sess. xxi, c. i, le même Jésus qui a nommé parfois les deux espèces dans son discours sur le pain de vie, parfois aussi, dans le même entretien, n’en nomme qu’une. Il a dit : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang…, » 53, mais il a fait aussi les affirmations suivantes : « Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement, s 51 ; « .Le pain que je donnerai, c’est ma chair, » 51 ; « celui qui mange ce pain vivra éternellement, a 58. L’idée fondamentale, c’est que Jésus est pain de vie, 48, 51 : ce qui suit n’est que le développement de ce thème, 49-57. Calmes, op. cit., p. 257. Ils se trompaient donc certainement, les catholiques qui refusaient d’entendre ce discours de l’eucharistie de peur d’être obligés de concéder à des hérétiques le droit pour les laïques de participer à la coupe.

Ici, Jésus ne se pose pas la question de la communion sous les deux espèces, de la distribution de l’eucharistie aux petits enfants ; il n’énonce pas un précepte de discipline, une règle de liturgie, obligatoire pour tous les pays et tous les lieux. Il affirme la nécessité du sacrement. Il dit : L’eucharistie, c’est l’aliment comme le baptême est la régénération. Vous devez renaître ; vous êtes tenus de vous nourrir si vous devez entretenir votre vie. Aujourd’hui encore un prédicateur catholique pourrait parler ainsi sans vouloir dire que l’eucharistie doit être reçue sous les deux espèces ou qu’elle est de nécessité de moyen.

4. Épilogue du discours sur le pain de vie, 60-71. — a) Jésus et les disciples, 60-67. — Des disciples, et ils sont nombreux, " l’ayant entendu, disent : Ce langage est dur, cjui peut l’écouter ? » Ils sont choqués. Ils trouvent les affirmations de Jésus étranges, dures (dures à avaler, dit encore le langage vulgaire). Et ils

se demandent, non s’ils les comprennent, mais s’ils peuvent écouter, subir un enseignement qui révolte le Sens commun et blesse le sens religieux. » Loisy, op. cit., p. 466. Si vraiment Jésus a promis sa chair à manger, cet étonnement n’est pas extraordinaire.

B. Weiss, op. cit., p. 273, croit que ce qui scandalise les disciples, c’est l’idée du supplice de la croix. Mais c’est à peine si dans tout le discours il y a été fait allusion une fois ; et encore est-ce en termes très voilés qui ne laissent nullement soupçonner les souffrances et les humiliations futures : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. » « C’est prêter aux Galiléens une perspicacité plus grande que celle dont l’évangéliste gratifie ordinairement les auditeurs du Christ que de les supposer rebutés par une pensée sous-entendue, non par une intelligence toute matérielle du discours qui leur a été adressé. » Loisy, op. cit., p. 467.

Selon Mgr Batiffol, « l’image du pain descendu du ciel, l’idée de Jésus venu du Père et vivant par le Père est, bien plutôt que le précepte de manger la chair du Fils de l’homme, ce qui constitue pour les disciples la parole dure. » 0p. cit., p. 101. Cette interprétation paraît moins naturelle : la réflexion des auditeurs n’est plus rattachée aussi étroitement à la deuxième partie du discours. L’objection contre Jésus, pain du ciel, a été faite plus haut, 41 ; pourquoi y revenir ? Et à l’assertion du Sauveur déclarant qu’il venait du Père, les auditeurs n’ont pas opposé l’impossibilité de la comprendre, mais ce qu’ils savaient du Nazaréen : « N’estce pas Jésus, le fils de Joseph ? » 42. Ici le murmure est tout différent.

Le Christ ne répond pas aux disciples : Vous vous êtes mépris, je parlais en figure, je voulais seulement désigner ici ma passion, ma doctrine, la foi. Il dit : « Cela vous choque ? Et si vous voyez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant ? » 62.

Les exégètes qui se refusent à trouver l’eucharistie dans le discours sur le pain de vie sont assez embarrassés pour rendre compte de cette réplique. B. Weiss, op. cit., p. 274, suppose qu’après avoir scandalisé les disciples par l’annonce de sa passion, Jésus, pour démentir leurs rêves terrestres et les mieux convaincre que le royaume de Dieu sera le don de l’Esprit, achève de les déconcerter en leur apprenant que le Messie disparaîtra. Mais, dans ce chapitre, il n’a été question ni des espérances des Juifs, ni de la communication de l’Esprit, ni même en termes clairs du royaume, ni de l’intention qu’a Jésus de combattre les conceptions grossières de ses contemporains sur l’âge messianique, et les disciples ont pu entendre avec attention tout le discours sans soupçonner un instant les humiliations de la croix. Cette explication n’est pas mieux liée à ce qui suit qu’à ce qui précède : elle ajoute d’ailleurs à la portée du texte. Enfin elle ne se rend pas compte des expressions employées : ici, l’accent est mis sur l’idée d’ascension, le concept d’absence n’est qu’implicitement indiqué. Quand Jésus-Christ voudra annoncer son départ, c’est de ce départ qu’il parlera clairement : " Je ne suis plus avec vous que pour un peu de temps, » XIII, 33 ; « Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, » XVI, 16.

De bien meilleures explications de cette parole ont été proposées par les exégètes et théologiens qui découvrent en ce chapitre l’eucharistie. Les uns estiment que les mots : « Cela vous choque ? Et si vous voyiez le Fils de l’homme remonter où il était auparavant » tendent à renforcer la difficulté. Vous vous étonnez, disait Jésus, vous verrez des faits plus inexplicables encore 1 L’ascension sera plus surprenante que l’eucharistie I Le mouvement général de la phrase favorise cette interprétation ; mais elle semble laisser un hiatus entre cette première parole de Jésus et l’affirmation qui suit ; iOOo

EUCHARISTIE D’APRKS LA SAINTE ECRITURE

1006 « C’est l’esprit qui vivifie, » 63. Aussi beaucoup d’interprètes catholiques préfèrent considérer la réponse du Sauveur comme une explication : « Cela vous choque ? Etsi vous voyez le Fils de l’homme remonter où il était auparavant, me serezvous pas pleinement rassurés ? Ils le seront, supposent certains exégètes anciens, parce que la chair de Jésus étant alors glorifiée pourra être mangée sans répugnance ; explication un peu subtile, qui s’écarte d’un texte où il n’est pas parlé de gloire, mais d’ascension. Les disciples ne devront plus être surpris, pensent Maldonat et Batiffol, op. cit., p. 101, car il leur sera facile de croire à l’origine céleste de celui qu’ils verront monter au ciel. De même, plus tard, Jésus dira aux Pharisiens : « Je sais d’où je suis venu et où je vais ; mais vous, vous ne savez ni d’où je viens ni où je vais : vous jugez selon la chair, > viii, 14, 15 ; interprétation qui n’est pas sans mérite, mais qui prête à la question des disciples un sens peut-être différent de celui qu’elleavait enréalité. Sil’on veutadmettre que Jésus donne ici une explication, on peut enfin soutenir que le miracle de l’ascension, preuve de la toute-puissance du Sauveur, garantit la réalité du miracle eucharistique.

Loisy essaie de montrer dans l’affirmation du Sauveur une phrase à double face qui renforce l’objection « t prépare la réponse ; si vous voyez le Fils de 1 homme remonter là où il était auparavant, cela vous paraîtra autrement étrange et pourtant ce retour au Père permettra à ma cliair spiritualisée de devenir la nourriture des âmes. Grâce à cette hypothèse, on rattache fort bien la phrase aux déclarations antérieures et à celles qui suivent immédiatement. Mais est-il possible d’admettre la théorie d’après laquelle le discours de Jésus aurait deux sens, l’un < extérieur, qui déroute les âmes vulgaires, > l’autre < intime, qui doit satisfaire les âmes religieuses ? > Et n’est-il pas difficile, sinon impossible, de prêter à la même phrase deux intentions presque contradictoires, de lui donner un contenu si surabondant ?


Le théologien n’est pas obligé de prendre parti entre les diverses interprétations : il en prend connaissance et il constate qu’aucune de celles qui ne sont pas absolument irrecevables ne favorise l’interprétation spiritualiste du discours sur le pain de vie.’.

Doit-il, au contraire, reconnaître, dans les paroles postérieures, un désaveu formel de l’exégèse qui entend au sens littéral le précepte de manger la chair du Christ, une véritable négation de la présence réelle : < C’est l’esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie ? » 63, La plupart des protestants et des critiques indépendants le soutiennent. Ceux d’entre eux qui appliquent A la foi exclusivement le discours sur le pain de vie triomphent bruyamment. La plupart de ceux d’entre eux qui voient dans cet entretien un enseignement sur l’eucharistie concluent qu’elle est une union mystique du Logos et du lidéle : « Supposer que l’auteur ait prétendu faire dire à Jésus que, pour avoir part à la vie, II fallait absorber de la véritable chair matérielle et du sang matériel du Christ et lui ait fait dire ensuite, comme conclusion : La chair ne sert à . rien, » c’est lui prêter gratuitement une absurdité et imputer à ce grand idéaliste une thèse matérialiste rontre laquelle tonte sa pensée proteste… V.n Christ, le Verbe, qui est Lumière et Vie, s’est manifesté M)us les espèces de la chair afin de permettre aux hommes de saisir, sous cette forme plus accessible ii leur faiblesse, la Lumière et la Vie ; de même les aliments de leurliaristic sont la manifestation du Verbe sous les espèces du pain et du vin ; ils sont, après qu’il est remonté dans la sphère fie l’esprit, sa chair et son sang, correspondant à la chair et au sang du corps dans If-quel il s’est incarné. Le Verbe s’y incarne en quelque

sorte à nouveau. Ils ne cessent pas pour cela d’être du pain et du viii, et cependant ils font office de chair et de sang. Durant l’incarnation, ce n’était pas la chair dans laquelle le Verbe avait vécu qui communiquait la Vie, c’était le Verbe lui-même, l’Esprit seul ; de même dans l’incarnation eucharistique, ce n’est pas le pain ou le vin qui donnent la vie, mais l’Esprit qui s’incarne en eux. » J. Réville, op. cit., p. 67. « L’évangéliste affirme que ce qu’il a dit de l’eucharistie ne doit pas être pris dans un sens littéral. Si on le prenait dans ce sens, comment concilier l’affirmation : < Celui qui mange ma chair aura la vie » avec le principe : « La chair ne sert de rien ? » Et comme si ce rapprochement ne suffisait pas à montrer au lecteur que les paroles de Jésus sont une allégorie, l’évangéliste ajoute cette déclaration de Jésus : >< Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. » La chair et le sang du Christ ne sont donc qu’une allégorie de l’esprit et le rite dans lequel les fidèles reçoivent le corps et le sang du Christ sous les espèces du pain et du vin n’est qu’un symbole, « qui exprime l’union étroite du fidèle avec le Christ. » Goguel, op. cit., p. 208.

Avant de discuter ces interprétations, il n’est pas inutile d’observer que le texte offre des variantes. La version syriaque sina’itiquea : "C’estl’espritquivivifie le corps, mais vous [dites] : le corps ne sert de rien ; » la curetonienne : « C’est l’esprit qui vivifie le corps. » Si la première de ces leçons était primitive, on ne pourrait même pas songer à élever une objection contre l’interprétation littérale : les mots : « le corps ne sert de rien » n’étant plus une parole de Jésus, mais une affirmation des auditeurs qu’il repousse. Seulement ce témoin isolé a l’air d’avoir ajouté au texte embarrassant et original une interprétation fort ingénieuse.

Les paroles à expliquer restent donc celles qu’on lit communément : « C’est l’esprit qui vivifie ; la chair ne sert de rien. » Beaucoup parmi les anciens protestants rapprochaient de cette afiirniation le mot de saint Paul sur la [dire qui tue et Vcsprit qui vivifie. II Cor., III, G. Ils prêtaient ainsi à Jésus ce langage : Vous avez tort de vous scandaliser : la signification litléralc ne sert de rien ; c’est au sens spirituel qu’il faut entendre mes paroles. Mais < le texte de Paul ne fait pas loi pour l’interprétation de Jean. Loisy, op. cit., p. 170 ; Baliffol, op. cit., p. 102. Le rapprochement n’est d’ailleurs pas justifié. L’apôtre oppose lettre et esprit ; l’évangéliste établit un contraste entre esprit et chair. Il n’est pas question ici de textes à interpréter, de paroles à entendre dans un sens ou dans im autre, mais seulement (l’esprit et de chair, d’esprit et de vie. « Loisy, loc. cil. Jamais, dans l’Écriture, chair n’a voulu dire ce qu’on essaie de lui faire signifier ici, sens littéral.

Plus communément, les partisans d’une manducation mystique de Jésus traduisent :. La chair, c’c stà-dire ma chair, mon corps, ne sert de rien ; seul mon esprit (par exemple, Goguel, B. Weiss) ; seule, ma chair devenue tout esprit après mon retour au Père (par exemple, Hoitzmann) ; seul, le Logos incarné en quelque sorte dans le pain et dans le vin (par exem|)Ie, J. Réville), peut donner la vie. > Ces explications ajoutent au texte. Jésus ne dit pas : jnu chair, mon esprit, mais la chair, l’esprit. Les termes de l’opposition sont pris dans le domaine des généralités, dans l’ordre métaphysique. Calmes, op. cit., p. 260. Le sens paraît donc être le suivant : dans un être vivant, c’est l’esprit qui donne la vie ; la chair, comme chair, n’est pas apte à ht communiquer, elle ne sert de rien. Le qu.atrièmc Évangile, l’Évangile de Logos incarné, ne peut, sans se contredire, soutenir que la chair de Jésus ne sert de rien. Et si les explications spiritualistes étaient admises, pourquoi, comme l’affirme le v. 66. « beaucoup de disciples > se retireraient-ils ? La difficulté s’évanouit, le mystère disparaît. Mais l’argument le -1007

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plus décisif contre toutes ces interprétations, ce sont les déclarations répétées du Sauveur sur la nécessité de manger sa chair. J. Réville reconnaît la difliculté : « Le célèbre morceau (le c. vi) renferme en apparence une conlradiclion si formidable entre les déclarations spiri-tu, (listes des versets 29, 36, 40, 47 (le salut par la foi), 35 (la vie promise à celui qui vient vers Jésus, non à celui qui mange le pain), 63 (l’esprit seul donnant la vie) et les déclarations matérialistes des versets 51 à 58 (il faut manger la chair et boire le sang du Christ pour avoir la vie éternelle), qu’il a été invoqué avec autant d’acharnement par les partisans du spiritualisme et par ceux du réalisme eucharistique, ’i Op. cit., p. 62-Goguel, op. cit., p. 206, imagine qu’il y a dans les paroles de Jésus, à côté de « formules matérialistes » qui ne sont pas nées spontanément dans la pensée de l’écrivain, mais lui sont imposées par le milieu, « des explications spiritualistes » tentées par l’idéaliste qui a rédigé le quatrième Évangile. Il ne pouvait pas admettre des formules si matérialistes sans essayer de les interpréter. » Op. cit., p. 207.

Si ou entend à la manière de ces critiques leꝟ. 63, en réalité on admet non seulement une contradiction apparente, non seulement une juxtaposition de formules et d’essais d’explication, mais à quelques mots de distance, dans le même discours, sur les lèvres d’un Être qui est représenté comme le Logos incarné, messager de toute vérité, l’affirmation : il faut manger ma chair, et la négation : ma chair ne sert de rien ; on interprète à l’aide d’uneseule phrase dont tous lesexégètes avouent l’obscurité sept aiïirmations identiques, très claires et incapables de recevoir un sens spirituel, 51, 53, 54, 55, 56, 57, 58. Il faut se souvenir enfin que les explications de J. Réville et de Goguel présupposent des théories fort discutables sur l’origine et le caractère du quatrième Évangile, qu’il n’est facile ni de se représenter ce qu’est une incarnation du Logos dans du pain et du vin qui restent du pain et du viii, mais font office de chair, ni de voir dans la chair et le sang une allégori’i de l’esprit ; qu’enfin ces formules ressemblent beaucoup plus à des essais de théologie symboliste co itemporaine qu’à la terminologie eucharistique de l’Écriture ou des premiers Pères.

Il n’est pas nécessaire de recourir à ces interprétations fantaisistes. Wiseman, op. cit., col. 1229, observe que le mot chair désigna souvent dans l’Écriture les sentiments de la nature humaine, et l’esprit, la grâce, le secours divin. Et il paraphrase ainsi le >.63 : l’intelligence humaine, seule, est incapable de croire à ma parole. Monenseignementest divin et exige l’esprit, c’est-à-dire le secours du Père, la foi. Sans doute, les textes sur lesquels Wiseman s’appuie pour justifier son explication des mots chair et esprit sont assez nombreux. Beaucoup, il est vrai, ne sont pas empiuntés à saint Jean. Le quatrième Évangile connaît pourtant cette signification. Jésus dira : « Vous ne savez d’où je viens ni où je vais, vous jugez selon la chair, » viii, 14, 15. L’opposition paulinienne entre la chair de l’homme naturel et l’esprit de l’homme régénéré n’est pas totalement inconnue de saint Jean. Cette explication n’est donc pas irrecevable.

Celle deBatifïol, loc. cit., p. 102-103, s’en rapproche. Jésus dirait : « Vous ne me comprenez pas, parce que vous raisonnez en hommes charnels sur des paroles qui sont esprit et vie. » Seulement, on se souvient que, pour lui, l’eucharistie n’est plus le sujet de l’entretien. Les disciples sont choqués parce que Jésus a affirmé son origine céleste. Il leur répond en annonçant qu’il retournera au ciel. Et il ajoute : « C’est l’esprit qui vivifie et cet esprit vous manque : vous êtes charnels comme les Juifs, vous ne pouvez donc comprendre mes paroles : la chair ne sert de rien, les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. » Procédé très élégant et sans

réplique pour écarter toute objection contre la concep-on catholique de l’eucharistie. Elle n’est pas en danger, puisqu’il n’est plus question du sacrement.

Certains exégètes estiment que ces explications ne se lient pas assez au contexte ; ils remarquent qu’il est difficile d’entendre en ce verset par le mot c71air la nature de l’homme, son esprit laissé à lui-même, quand dans le même chapitre, à plusieurs reprises, le même terme a désigné le corps et le sang de Jésus. Observation d’autant plus forte qu’en ce discours, pour distinguer ce dont l’individu est capable et ce qui est au-dessus de ses forces, une autre métaphore est employée : Jésus parle de ceux qui sont attirés à lui et de ceux qui ne sont pas attirés par le Père, vi, 37, 39, 44, 45. Ces interprètes croient donc qu’ici, comme plus haut, il est question de la chair du Christ. Jésus répond à cette objection : « Vous êtes choqués parce que vous croyez que je vous invite à nourrir votre corps de ma chair mangée matériellement. » Il pose d’abord un principe qui est évident pour ses auditeurs eux-mêmes : La chair, ce qu’on voit dans l’homme, n’est pas principe de vie, surtout de vie spirituelle, éternelle ; c’est l’esprit caché dans cette chair qui seul peut donner la vie. Cette constatation faite, Jésus conclut : « Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. » Ces paroles — il y aurait ici un hébraïsme dont on trouve beaucoup d’exemples — c’est-à-dire « les choses dites » , les objets dont je vous ai entretenus, la nourriture et le breuvage promis sont non la chair en tant que chair, mais l’esprit dont elle est le véhicule, la divinité qui est en elle ; cette nourriture et ce breuvage sont des réalités spirituelles et vivifiantes. L’avenir dira seulement aux fidèles comment il y aura manducation spirituelle d’une réalité physique et concrète. Mais déjà la parole de Jésus avertit les disciples qu’ils se trompent en s’imaginant que le Sauveur promet sa chair comme aliment naturel destiné à être consommé matériellement pour nourrir leur corps. Jésus ne retire rien de ce qu’il a dit, il n’enseigne pas qu’il ne faut pas manger sa chair ; mais il annonce que, d’une certaine manière sur laquelle il ne s’explique pas encore avec précision, cette communion à son corps réel sera spirituelle ; la véritable nourriture reçue dans la participation réelle à son propre corps sera esprit et vie. Calmes, op. cit., p. 261.

Cette exégèse relie le verset à ce qui leprécède, laisse au mot chair la signification qu’il a eue dans tout le discours, apporte une idée neuve, une dernière explication qui s’harmonise avec le thème généralde l’Évan^ gile : le Verbe s’est fait chair pour donner la vie.

Après avoir prononcé ces paroles dont l’interprétation a été si vivement discutée, Jésus ajoute : « Mais il y en a parmi vous qui ne croient pas. » Et l’évangéliste fait alors cette remarque : « Car Jésus savait dès le principe quels étaient ceux qui ne croyaient pas et quel était celui qui le trahirait, » 64. Pourquoi cette allusion à Judas que rien, semble-t-il, ne prépare ? De nombreux essais d’explications ont été tentés. La meilleure hypothèse ne serait-elle pas celle-ci : le discours sur le pain de vie correspond au récit de la cène où est prédite la défection du traître ? Et s’il en est ainsi, nous serions en face d’une nouvelle preuve de la valeur de l’interprétation qui montre ici l’eucharistie.

Un dernier trait la confirme : « Dès ce moment, beaucoup de disciples se retirèrent et n’allèrent plus avec lui, » 66. Jésus aurait-il laissé beaucoup de ses premiers fidèles s’écarter lorsque deux motsd’explication auraient suffi à les retenir, s’il avait parlé de la foi ou de sa doctrine ? Ils abandonnent Jésus, prétendent certains allégorisants, parce qu’il leur est impossible de croire à un Messie souffrant. Cette explication n’est pas satisfaisante. D’abord, on peut se demander si l’idée des humiliations, des douleurs et de la mort du serviteur de Jahvé était perdue de vue par les contempo

rains de Jésus. Mais surtout, il faut avouer que, nulle part dans ce discours du Sauveur, la passion n’est prédite en termes clairs : un seul mot y fait allusion ; et il est, avant l’événement, presque inintelligible pour les auditeurs : <i Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde, » 51.

b) Jésus et les apôtres, 67-72. — Si Jésus a parlé à la foule, aux Juifs, à ses disciples même un langage figuré, énigmatique, on peut espérer qu’iU’expliquera à ceux pour lesquels il n’a pas de secret et à qui il est donné de connaître les mystères du royaume de Dieu. Or, il ne revient pas, devant les Douze, sur ce qu’il a enseigné auparavant ; il ne retire, il n’interprète, il n’ajoute rien devant eux. Il leur parle, mais pour leur laisser entendre dès la première phrase qu’il ne changera rien à sa parole afin de les retenir, et que, s’ils ne veulent pas l’accepter, ils peuvent à leur tour le quitter. Il leur dit : « Ne voulez-vous point vous retirer vous aussi ? » 67.

Et dans la réponse qu’il lui fait, sans doute au nom de tous, Simon Pierre ne dit pas que lui et les autres apôtres ont compris que la doctrine de Jésus n’offre pour eux, en elle-même, aucune difficulté. Il fait pour tous un acte de foi : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as des paroles de vie éternelle. » Cette confession de la véracité et de la science du Verbe s’explique fort bien si on admet que le Sauveur a vraiment annoncé le don de sa chair et de son sang. Sans la foi, il est impossible d’accepter une pareille promesse.

5. Considérations générales qui confirment la conclusion tirée de l’examendétaillé des faits et des paroles rapportés au c. i. — a) La plupart des Pères et des écrivains chrétiens, tous les catholiques aujourd’hui croient que, dans les versets de ce chapitre, il est question de l’eucharistie et de la présence réelle. Les docteurs chrétiens qui ont parlé d’une communion mystique, spirituelle, n’ont pas repoussé l’idée d’une promesse du vrai corps et du vrai sang de Jésus. Ils rejettent les conceptions grossières et charnelles. Ils exigent du communiant la foi et la piété. Sans doute, les exégètes cathollqucs ne sont pas d’accord sur le sens non seulement de chaque verset, mais d’une partie notable du discours. Mais presque tous autrefois, tous aujourd’hui découvrent en quelques paroles au moins des affirniations du don de la chair et du sang du Christ.

b) On a dit : Le sacrement de l’eucharistie n’était pas institué. Si Jésus-Christ l’avait promis ici, il n’aurait pas été compris. Userait facile de répondre que, si le Sauveur a parlé au sens figuré, son langage n’a pas été mieux entendu : les Juifs, les apôtres probablement ayant cru qu’il promettait vraiment sa chair et son sang comme nourriture et breuvage. Tout homme a le droit d’annoncer qu’il donnera quelque chose ; pourquoi Jésus n’aurait-il pas pu en user ? Il a promis l’institution du baptême, sa passion, sa résurrection, son ascension, l’envoi du Paraclet, etc. Sans doute, en certaines phrases il emploie le présent, il dit : celui qui mange ma chair, , 56 ; mais ailleurs, le verbe est au futur : le pain que je donnerai, c’est ma chair, 51. Le présent, d’ailleurs, peut s’cxpliqucr fort bien par le caractère sentencieux des affirniations. Enfin, quand l’évangéliste rapporte les paroles de Jésus, la cène étant une institution établie, un acte qui s’accomplit sous ses yeux, il a pu être tenté de mettre le présent, dans la bouche du Sauveur, lorsqu il reproduit ses paroles.

c) Souvent des protestants ont affirmé que la conception catholique de l’eucharistie est trop grossière, trop matérielle pour pouvoir se trouver dans l’Évangile pneumatique. Il serait facile de répondre et de démontrer que cette appréciation du sacrement et inexacte, injuste. II faut observer aussi <|ue le concept de commujiion à la chair du Christ s’accorde avec les afllrmations du quatrième Évangile : Icau du baptême et

le pain eucharistique « ne sont pas plus en contradiction avec la religion de l’esprit que l’humanité du Christ avec la notion du Verbe, » a dit un critique qui fait profession d’oublier, lorsqu’il interprète l’Écriture, les définitions ecclésiastiques. Loisy, op. cit. « Il ne s’agit aucunement pour l’évangéliste de rejeter tout élément visible, mais de soumettre le sensible au spirituel. Sa conception du baptême et de l’eucharistie est enharmonie parfaite avec sa doctrine de l’incarnation. La notion du Verbe n’exclut pas l’humanité qui est l’instrument de la révélation ; » de même, elle n’exclut pas les éléments sacramentels dont elle use pour accomplir son œuvre. Le Logos s’est fait chair pour devenir la voie, la vérité et la vie : par l’eau du baptême et l’Esprit, il donne une existence nouvelle ; par la chair de l’eucharistie et toute sa personne devenue nourriture des fidèles, il augmente et développe la vie surnaturelle. Le Logos — c’est encore une thèse du quatrième Évangile — vient unir Dieu et l’humanité ; déjà la foi, l’amour, l’observation des commandements sont requis pour que Jésus demeure dans les disciples et qu’ils dcTneurent en lui : l’eucharistie est une autre communion, la plus intime et la plus réelle : celui qui me mange, demeure en moi et je demeure en lui, les paroles sont vraies à la lettre. Le Logos confère la vie éternelle, saint Jean le rappelle à maintes reprises. Or l’eucharistie est présentée comme un gage de résurrection et on comprend qu’une chair qui a été en contact intime avec la chair du Logos participe aux qua » lités glorieuses de l’humanité du Verbe. Sans doute, ce n’est pas le corps matériel du Sauveur qui vivifie par la seule manducation matérielle, c’est ce corps animé par le Fils de l’homme ; de même, ce n’est pas l’eau matérielle du baptême qui régénère par la seule ablution matérielle, c’est l’eau et l’Esprit qui donnent la naissance nouvelle ; de même, ce n’est pas la chair de Jésus qui, par elle-même, sauve l’humanité, c’est le Verbe fait chair. Ces considérations démontrent que l’eucharistie n’est nullement déplacée dans la tliéologie johannique ; qu’au contraire su présence s’explique, se justifie à merveille ; c’est une pièce indispensable d’un tout très harmonieux.

Et le mystère de la passion n’est pas davantage en opposition avec le mystère de l’eucharistie. Au Calvaire, Jésus livre sa chair pour la vie du monde, afin de lui assurer la résurrection et la vie éternelle : mais sa mort ne met pas fin à son œuvre ; de son côté ouvert s’écliai)pent l’eau et le sang : dans les temps nouveaux que caractérise la venue du Paraclet, la chair du Sauveur sera sans cesse et jiartout donnée aux fidèles afin d’entretenir en eux, par une coiinniniion réelle à Jésus glorifié, la vie qui coule de la croix et commence au baptême. A sa mort, le Verbe olîrc le don ; à la communion, les hommes le reçoivent. La passion accorde droit à la vie, les sacrements la communiquent..Sans do.ilc, la foi est nécessaire : sans elle, le (lis(iple ne peut rien obtenir ; mais de même que la foi prescrile à la mort de Jésus ne supprime pas cette mort, de même la foi exigée dans la communion ne supprime pas cette communion. Ainsi, le dogme catliolique de l’eucharistie se concilie fort bien avec les enseignements du quatrième Évangile sur la foi et sur la passion.

G. Conclusions. — Les enseignements du c. vi sur l’eucharistie. — Comme l’a justement observé Wiseman, op. cit., col. 1221-1223, si Jésus a voulu parler métaphoriquement, il ne pouvait plus mal le faire, choisirdes mots plus inintelligibles, plusimpies même ; il ne pouvait jias mieux entretenir rc(|nivoque, se composer davantage une attitude capable d’cnlrelenir l’erreur. oir col..’{S ?. Si Jésus a voulu enseigner qu’il donnait vraiment sa chair en nourrilure, il ne pouvait pas choisir de termes plus simples, plns clairs, , plus expressifs, mieux affirmer par ses actes que son.

langage devait être entendu au sens propre. S’il a usé de figures pour recommander la foi ; il a, le sachant et le voulant, adopté un langage qui devait induire en erreur beaucoup de disciples, presque tous les chrétiens ])cndant quinze siècles, tous les catholiques ; il a permis que des millions d’hommes adorassent un pain et un vin qui n’ont rien de Dieu. Donc, ici, Jésus promet de donner sa chair et son sang ; et s’il a pris cet engagement, il l’a tenu ; et s’il n’y avait pas été fidèle, le quatrième Evangile se garderait de rappeler la parole donnée du Sauveur. Donc, le c. VI du quatrième Évangile enseigne la présence réelle. Il met aussi en pleine lumière l’efficacité de la nourriture eucharistique. Tout ce qu’on dira plus tard est en germe dans ces mots : Ma chair est une vraie nour.riture et mon sang est un vrai breuvage. » Les affirmations des conciles de Florence et de Trente, des Pères et des théologiens ne seront que le commentaire de cette parole. Déjà, dans TÉvangile, certains corollaires de cette proposition sont ènumérés : l’eucharistie donne la vie, vi, 51, 53, 54. 58, la vie par le Fils, 57, la vie éternelle et la résurrection, 51, 54, 58, la vie dans l’union intime à Jésus, 56. Voir Communion

    1. EUCHARISTIQUE##


EUCHARISTIQUE, t. III, COl. 507 Sq.

Les enseignements de ce chapitre sur la nécessité de recevoir l’eucharistie ne sont pas moins précis. Il y a obligation de manger la chair et de boire le sang de Jésus. C’est une nécessité. Ne pas obéir, c’est se priver de la vie, 53. Aucune formule ne pourrait être plus énergique. Voir Communion eucharistique, t. m. col. 481, 482, 483.

L’Évangile ne dit rien des dispositions requises, du moins d’une manière explicite. Mais la métaphore employée suppose que, pour communier, il est nécessaire de satisfaire à certaines conditions : on ne peut manger, soutenir sa vie, si on n’existe pas auparavant. Il faut se souvenir aussi que la nécessité de la loi en Jésus a été fortement inculquée dans une grande partie du discours, 35, 36, 45, 47. Enfin, comme nous l’avons observé, selon beaucoup de commentateurs, les mots : « C’est l’esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien, » enseignent que la vraie communion à la chair réelle de Jésus n’est pas la manducation matérielle, mais une manducation spirituelle faite avec foi et amour.

Sur la matière de l’eucharistie, nous sommes peu renseignés. Le pain est nommé : " Le pain que je donnerai, c’est ma chair, » 51. Et cette indication est confirmée par le récit de la multiplication des pains, si ce prodige est vraiment une figure de la communion.

Les mêmes mots : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair, » rappellent-ils les paroles consécratoires, ce que les théologiens appelleront plus tard la forme’l Peut-être. Il est certain qu’ils ressemblent à la phrase : « Ceci est mon corps… donné pour vous. »

Sur la manière dont le corps de Jésus apparaît et réside dans l’eucharistie, le discours est muet. J. Réville, op. cit., p. 67, suppose que le quatrième Évangile croit à une « incarnation eucharistique » . Le Verbe « s’incarne » dans les éléments eucharistiques « en quelque sorte à nouveau. Ils ne cessent pas pour cela d’être pain et viii, et cependant ils font office de chair et de sang. » C’est en vain qu’on chercherait dans les paroles du Sauveur la preuve de cette hjpothèse. Jésus offre sa chair, il dit qu’on doit la manger, il la présente comme le pain qu’il donnera. C’est tout. Et l’oeil le plus exercé ne peut rien découvrir qui fasse connaître les relations du corps eucharistique avec le pain et le vin. Ce dernier élément n’est même pas nommé, et le premier est à peine indiqué.

3 » Cette promesse remonte à.Jésus. — - Non seulement pour le théologien catholique, mais pour l’histo rien incroyant il est absolument certain qu’au moment et dans les milieux où le quatrième Évangile fut composé et reçu, l’eucharistie était une institution établie et qu’on voyait dans la cène une participation promise et voulue par Jésus lui-même à son corps et à son sang, nourriture indispensable au chrétien, pain de vie spirituelle et éternelle.

Peut-on, doit-on remonter plus haut, aller de l’auteur de cet écrit à Jésus ? Doit-on nier toute contradiction entre la pensée de l’évangéliste et celle du Sauveur ?

Le théologien catholique n’hésite pas. Le quatrième Évangile est canonique, inspiré, c’est un organe de la révélation ; et si l’on a pu discuter sur l’étendue de l’inerrance à certains domaines, on a toujours cru qu’en matière doctrinale, la Bible ne nous trompe pas. Aucun catholique ne peut donc opposer sur l’eucharistie l’enseignement de Jean à celui de Jésus, croire que les affirmations de l’évangéliste ne correspondent pas à un enseignement du Maître.

De très bons exégètes, d’ailleurs (les catholiques et des protestants), en usant des seules méthodes qui leur sont propres, aboutissent à la même conclusion. Ils soutiennent et établissent que les discours du quatrième Évangile ne sont pas « une création de l’écrivain qui utiliserait l’expérience de faits postérieurs à Jésus et traduirait les préoccupations du monde chrétien à la fin du i’^'e siècle. » Ils montrent que « ces discours olïrent des marques notables d’authenticité, » < ne trahissent pas la main d’un théologien qui composerait de son propre fond, » mais « accusent plutôt un écrivain en possession d’une tradition ou de souvenirs » très sûrs. Ils reconnaissent seulement « que l’auteur avait son but, sa méthode, son tour d’esprit personnel, » « qu’on en trouve la marque dans ses récits, » « que sa mémoire pouvait avoir oublié une partie des paroles de Jésus, » qu’il rapporte les discours tels qu’il les a entendus, tels qu’il les a saisis, tels qu’il les a retenus, tels que son divin ami les lui a fait comprendre dans les confidences intimes, dans ses longues méditations, tels enfin que le requièrent la fm poursuivie par lui et l’obligation qui s’impose à tout témoin de condenser ou d’abréger, « de sorte que la doctrine est la doctrine du Maître reproduite fidèlement par le disciple sous l’action de l’Esprit-Saint. » Lepin, La valeur historique du quatrième Évangile, t. II, p. 398 sq. ; Mangenot, art. Jean (Évanf/ile de saint), dans le Dictionnaire de la Bible, t. iii, col. 1189. Tel est le sentiment de la plupart des catholiques : Calmet, Corluy, Fillion, Knabenbauer, Fouard, Nouvelle, Fontaine, Chauvin, Jacquier, Brassac, Lebreton, Venard, et d’un certain nombre de protestants : Westcott, Godet, Reynolds, Sanday, Zahn. Si quelques catholiques croient pouvoir élargir la part faite à l’auteur du quatrième Évangile (Batiffol, Calmes, Lagrange), ils ne déclarent pas moins fermement que les discours conservent avec fidélité la substance de l’enseignement de Jésus. Voir aussiB. Weiss.

Mais les critiques aux yeux desquels les discours, attribués par Jean au Sauveur sont inventés de toutes pièces ou complètement remaniés concluent que Jésus n’a pas en réalité promis l’eucharistie. Beaucoup ne posent même pas la question : ils croiraient faire preuve d’excessive na’iveté en la soulevant. Il n’y a pas lieu de discuter ici leur théorie de la valeur historique du quatrième Évangile. Voir Jean (Évangile de saint). Mais il est nécessaire de montrer que rien dans le c. vi ne prouve le caractère fictif des faits, la non-authenticité des paroles.

Les principaux arguments mis en avant sont les suivants : le cadre du discours, les faits racontés, du moins les détails du récit ont une valeur symbolique et obligent à conclure que nous ne sommes pas

en face d’une page d’histoire, mais d’une méditation religieuse sur l’eucharistie. C’est ce que confirment les heurts et les incohérences de la narration, les différences qui séparent la version johannique et la tradition synoptique. Quant au discours de Jésus, il n’a pu avoir de sens pour l’auditoire, et, par contre, il fait allusion à des événements postérieurs, il parle de l’eucharistie comme d’une institution établie, il essaie de donner une solution à des problèmes et à des objections que ne connaissaient pas les contemporains du Sauveur, mais ceux de l’Évangile. Un examen minutieux et loyal du c. vi permet au lecteur impartial de réduire à néant ces objections.

D’après J. Réville, Le quatrième Évangile, son origine et sa valeur historique, 2e édit., Paris, 1902, p. 176sq., et Loisy, op. cit., p. 420, le récit de la multiplication des pains est choisi, présenté, arrangé librement par l’auteur qui veut symboliser l’idée du Christ pain de vie. La scène se passe « de l’autre côté de la mer de Galilée, » c’est-à-dire sur la rive orientale. Loisy est obligé de convenir que le miracle est « maintenu dans son cadre primitif, y op. cit., p. 421, celui qu’indiquent les Synoptiques. Matth., xiv, 13-21 ; Marc, vi, 32-44 ; Luc, ix, 10-17. Si l’évangéliste n’entendait pas faire œuvre d’historien, pourquoi a-t-il conservé cette donnée topographique, qui l’oblige à introduire un épisode galiléen entre deux événements accomplis à Jérusalem (v, le paralytique de Bethesda ; vii, la fête des Tabernacles) ; pourquoi n’a-t-il pas choisi le récit de la seconde multiplication des pains rapportée par Matthieu, xv, 32, 39, et Marc, viii, 1-10, sans localisation précise ? Et ici en saint Jean, vi, 2, comme en plusieurs endroits des Synoptiques, les mêmes phénomènes sont reliés : à cause des miracles, la foule afflue et Jésus cherche la retraite. Le quatrième Évangile dit qu’il la trouva dans la montagne : d’après les autres évangélistes, les massifs accidentés que le Christ choisit pour s’y retirer, Matth., xiv, 23 ; Marc, vi, 46, semblent indiquer que la multiplication des pains eut lieu dans une région montagneuse. Loisy croit que. d’après saint.Jean, le miracle n’est pas placé là où l’ont mis les Synoptiques, mais sur le sommet même de la montagne, « endroit convenable au symbolisme de la multiplication des pains, » et il découvre une « parente mystique » entre la montagne de la tentation, la montagne du discours, la montagne de la résurrection. Op. cit., p. -131. Ces relations n’apparaissent guère. Et d’ailleurs, le quatrième Évangile en réalité suppose, comme les Synoptiques, que le prodige fut opéré, non sur la cime, mais auprès de la montagne : « Jésus, après avoir multiplié les pains, se retira de nouveau seul sur la montagne, » 15.. l’endroit du miracle, ’il y avait beaucoup d’herbe, » les gens « s’assirent au nombre d’environ cinq mille, » 10.

Saint Jean n’a donc pas abstrait l’épisode des circonstances de lieu, comme aurait pu être tenté de le faire un théologien symboliste. Il a aussi signalé une donnée chronologique : " On approchait de la Pàque, fête des Juifs.. Cette mention rappelle-t-elle la Pâque future, la cène eucharistique ? Des commentateurs catholiques et des protestants conservateurs l’ont admis, sans, pour ce motif, contester l’histoire du récit. Fillion, fù’angile selon.S. Jean, Paris, 1887, p. 118. Voir aussi Schanz, Goguel, Zahn, Westcolt. Doit-on dire, au contraire, que le quatrième Évangile signale cette date sans souci de la réalité, uniquement pour suggérer un rapport entre la promesse et le don du pain de vit ? Loisy, op. cit., p. 423. Rien ne le démontre. L’indication fournie ici ressemble à plusieurs autres du même auteur : On approchait de la Pàque des Juifs, » ii, 13 ; xi, .55 ; « la fête des Juifs, celle des labernacles était proche, > vii, 2. Ce renseignement s’accorde avec la donnée des Synoptiques :

la foule s’assit sur l’herbe, Matth., xiv, 19, sur l’herbe verte, Marc, vi, 39 ; le miracle a donc lieu au printemps. Enfin cette préoccupation de faire connaître le temps et le lieu atteste chez l’écrivain le souci de montrer qu’il entend bien raconter un fait réel. Sans doute, Matthieu, Marc et Luc font connaître d’autres détails omis par Jean : l’heure est avancée et Jésus pendant le jour a guéri des malades, prêché le royaume. Mais précisément si le quatrième Évangile ne retenait du récit des Synoptiques que ce qui prépare le discours sur le pain de vie, que n’a-t-il exploité ces traits : leChrist institua la cène dans la nuit, sa journée finie, après avoir enseigné, guéri les hommes, et comme pour leur donner une suprême leçon, un remède unique et merveilleux ?

Le dialogue ne prouve pas mieux que le cadre l’intention exclusivement symbolique de l’auteur. Jésus s’adresse à Philippe, 5..

dré a aussi un rôle parti culier : il fait connaître le jeune homme qui possède les pains d’orge et les poissons, 8. Les Synoptiques parlaient de disciples sans en désigner aucun. André, frère de Simon, aurait donc arbitrairement été choisi par saint Jean « à cause de l’importance de l’incident. » Loisy, op. cit., p. 427. S’il en était ainsi, pourquoi Pierre lui-même n’aurait-il pas été désigné ? Philippe comme André pouvait, a-t-on supposé encore, être particulièrement connu dans le milieu où le quatrième Évangile fut écrit. Loisy, op. cit., p. 246, 425. Il ne s’agit ici que d’une hypothèse, hypothèse gratuite et à laquelle il n’est pas nécessaire de recourir : Philippe et.

dré sont de Bethsaide, xii, 21 ; i, 44, c’est-à-dire du pays même : on comprend que le premier soit interrogé sur l’endroit où il faudra chercher du pain et que le second connaisse le jeune homme qui possède quelques vivres.

A Philippe, Jésus dit : « Où achèterons-nous des pains pour que ces gens mangent ? » 5. La question est-elle « moins bien amenée que dans les Synoptiques, où le peuple, ayant passé la journée près du Sauveur, se trouve le soir au dépourvu, » Lois>', op. cit., p. 425, et montrc-t-clie que Jean se préoccujje moins de ce qui s’est jiassé que de son discours sur le pain de vie ? Aucun indice ne permet de le dire ; la foule dont parle saint Jean peut avoir faim, aussi bien que celle des Synoptiques : « elle a suivi Jésus, » 2. Elle a d’ailleurs été très satisfaite d’être rassasiée, 26 ; elle est préoccupée de la nourriture matérielle, 27.

Philippe répond : < Deux cents deniers de juiin ne suffiraient pas pour que chacun d’eux pût en avoir un peu, n 8. Le « nombre imparfait » aurait été choisi, selon Loisy, p. 426, note 1, pour figurer l’impuissance de l’homme à mériter le pain de vie. Qui le prouve ? Philippe indique une somme qui lui paraît considérable : telle est la meilleure explication de son langage. D’ailleurs, Marc parle lui aussi de deux cents deniers, VI, 37. Le quatrième Évangile conserve de même les chiffres de cinq pains et de deux poissons qui se trouvent dans les trois récits synoptiques et derrière lesquels Loisy lui-même ne peut découvrir aucune intention symbolique, alors que sept, nombre par/oit d’après ce critique, eût clairement manifesté l’excellence de l’eucharistie.

Ces cinq pains d’orge et la réflexion : " Qu’est-ce que cela pour tant de monde ? « prouveraient que l’évangéliste introduit les particularités du récit, sans aucun souci de faire œuvre d’historien, par imitation littéraire : « Dans le récit des Rois, IV Reg., iv, 12-44, où l’on voit Elisée nourrir cent hommes avec ingt pains d’orge, le serviteur du prophète dit : Qu’est-ce que cela pour cent hommes ? Loisy, op. cit., p. 427. r.es rcssemhlanccs ne doivent pas surpren<lre : dans l’un et l’autre cas, il s’agit d’une multiplication des pains.. côté des similitudes, que d’ailleurs on

force légèrement pour les besoins de la cause, il y a des différences notables. Dans l’un et l’autre cas, il est question de pain d’orge ; rien d’étonnant : ce pain est la nourriture ordinaire. Et si l’cvangéliste avait composé son récit, sans souci des faits, uniquement de traits symboliques, il aurait plutôt dû choisir le froment pour marquer la valeur de la nourriture eucharistique. Il est vrai que le pain d’orge aurait été appelé par une intention symbolique ; il rappellerait le pain des prémices (celui dont parle le récit des Rois), la fête de Pâque en laquelle le Christ fit la cène eucharistique. Loisy, op. cit., p. 427. Il est plus naturel de croire que le trait indiqué est historique : le jeune homme a apporté le pain qui est d’usage courant. Le rapprochement essayé est d’ailleurs sujet à caution. Nous ne sommes qu’à proximité de la Pâque ; or, c’est seulement le 16 nisan, second jour de cette fête, que s’offrait la gerbe des prémices.

Le jeune homme (jtatSipiov) semble-t-il « représenter les ministres auxiliaires de la cène eucharistique chez les premiers chrétiens ? » Loisy, lac. cit. Son rôle ne rappelle que bien imparfaitement les fonctions des diacres ; son nom n’évoque pas leur souvenir.

La foule, cinq mille hommes, s’asseoit sur le gazon. Ce détail et ce chiffre sont dans les Synoptiques aussi bien que dans saint Jean. Et les symbolistes les plus convaincus ne peuvent donner une explication mystique de leur présence. Alors a lieu la bénédiction des pains. D’après saint Jean, Jésus rend grâces (s-Jyapc(7Tr|(Taç), 11, ’-3. Les Synoptiques disaient qu’il avait béni les pains (îù/oYOTev). Le quatrième Évangile, conclut-on, « préfère le terme sacramentel par lequel on désignait de son temps l’eucharistie et qui est déjà employé par Marc et Matthieu dans le récit de la seconde multiplication des pains. » Loisy, op. cit., p. 428 ; J. Réville, op. cit., p. 184. Même s’il en était ainsi, on ne pourrait conclure de ce fait que l’auteur a conçu artificiellement son écrit en vue de l’idée théologique à exprimer. Deux autres évangélistes emploient ce même verbe eJyâpcciTE’v, à propos de la seconde multiplication des pains. D’ailleurs, Matthieu et Marc, dans le récit de la cène, usent à la fois de ce mot et de l’autre terme £J), oYciv ; le dernier, verbe actif, montre mieux l’opération exercée sur l’objet. Et si l’auteur du quatrième Évangile substitue à l’histoire l’allégorie, pourquoi n’a-t-il pas gardé un autre mot qui figure dans les récits des trois Synoptiques, Matth., XIV, 19 ; xv, 36 ; Marc, vi, 41 ; viii, 6 ; Luc, IX, 16, mot qui, d’autre part, se retrouve dans les narrations de la cène et devint un des termes techniques par lesquels on désigna dans la haute antiquité l’eucharistie ? Voir Matth., xxvi, 26 ; Marc, XIV, 22 ; Luc, xxii, 19 ; I Cor., xi, 24. Pourquoi n’a-t-il pas observé que Jésus « rompit » les pains après les avoir bénis ? Il aurait ainsi annoncé la nourriture eucharistique et son rapport avec la passion du Sauveur.

Pourquoi encore, s’il veut uniquement faire penser à la communion, saint Jean écrit-il que les pains furent distribués par Jésus lui-même, 11, et non par les apôtres ? On lit dans les Synoptiques : le Christ, « rompant les pains, les donna à ses disciples, et les disciples les donnèrent au peuple. » Matth., xiv, 19. Ce sont donc eux, et non le quatrième Évangile, qui pourraient être accusés de vouloir présenter « les Douze comme distributeurs de pain de vie. »

Et que viennent faire les poissons dans le récit de saint Jean, s’il est purement symbolique ? Le quatrième Évangile n’aurait dû mentionner que le pain, seul nommé dans le discours suivant, ou lui adjoindre le vin. Le poisson serait un symbole complémentaire de la vie. Loisy, op. cit., p. 428. Qui le prouve ? Pour quoi serait-il clioisi de préférence à d’autres mets accessoires ? Quelle raison de désigner un sij/nbolecomlilémenlaire’.’Et pourquoi saint Jean insisterait-il plus que ses devanciers sur ces poissons, sur leur distribution à la foule, sur ce qu’en reçut chacun ? Le poisson serait une figure de Jésus, a-t-on sui)posé encore. Sans doute il en fut ainsi plus tard, mais rien ne montre que ce symbolisme soit aussi ancien que le quatrième Évangile. Le poisson est nommé dans les récits des Synoptiques. Et on s’explique à merveille cette donnée : n’est-on pas sur les bords du lac ?

La foule est rassasiée et il y a surabondance. Jean dit qu’il reste du pain, est-ce pour montrer <" le caractère permanent, inépuisable du pain de vie ? » Loisy, op. cit., p. 428. Même si l’auteur avait cette pensée, le récit pourrait être historique, le sens littéral recouvrirait une figure. Mais le trait semble plutôt être consigné afin d’accentuer le caractère merveilleux de la multiplication des pains. Jésus ordonne, il est vrai, au. disciples de recueillir le superflu « pour que rien ne soit perdu, » 12. Cet ordre rappelleraitil l’usage liturgique de ne rien laisser à l’abandon des éléments eucharistiques ? Il peut fort bien se justifier sans qu’on recoure à cette hypothèse : ce pain servira dans la suite. Si c’est aux Douze que cette invitation est adressée, est-ce pour signifier que le pain de vie est confié aux apôtres, ce qu’achèverait de prouver le nombre des douze corbeilles remplies de débris ? Loisy, op. ciV., p. 428. Inutile de le croire. On comprend fort bien que Jésus fasse exécuter ses volontés par ses disciples, et puisqu’ils sont douze, qu’ils recueillent douze corbeilles de morceaux. Était-il « plus conforme au sTnbolisme » que seuls les débris de pain et non ceux des poissons fussent recueillis ? Op. f (7., p. 429. Si oui, c’est que le poisson n’est pas une figure de la nourriture eucharistique, et il aurait donc dû disparaître du récit tout entier.

Après le miracle, raconte saint Jean, 14, 15, 1a foule croit que Jésus est le prophète, veut lui donner la royauté et le Sauveur se retire. Il n’y aurait pas là une afiirmation d’un fait réel, mais la description, sous forme d’incident concret, des sentiments desGaliléens et la transposition de la relation relatée par les Synoptiques. Loisy, op. cit., p. 431, 432 ; J. Réville, op. cit., p. 187. Ce sont là des hypothèses gratuites. Il est, au contraire, très vraisemblable qu’à la suite de ce miracle, la foule ait vu en Jésus un prophète, le Messie national, roi des Juifs. Les premiers Évangiles affirment, eux aussi, que les témoins des prodiges du Christ se demandaient ce qu’il était, qu’avant le jour de l’entrée triomphale à Jérusalem, ils avaient acclamé en lui le « Fils de David » .

Les essais tentés pour transformer le second miracle raconté au c vi, la traversée du lac, en épisode symbolique dépourvu de valeur historique, sont encore moins heureux. L’évangéliste voudrait préparer les lecteurs à admettre « que le corps du Christ n’est pas soumis aux conditions ordinaires des corps humains ; » les inviter ainsi « à ne pas s’étonner que sa chair puisse être un aliment surnaturel. » J. Réville, op. cit., p. 176. Loisy écrit de même que Jean k transforme » un épisode des Synoptiques « dans une intention didactique, » pour « faire entendre que le Verbe incarné, qui tout à l’heure parlera de donner sa chair en nourriture et son sang en breuvage, n’est pas soumis aux lois de la matière, pas plus à la loi de l’étendue qu’à celle de la pesanteur. » Op. cit., p. 436.

D’abord, le fait n’est pas raconté par le quatrième Évangile seul ; les Synoptiques le relatent. Et d’autre part, cette idée de l’immatérialité du corps de Jésus n’est pas relevée dans le discours sur le pain de vie.

Si saint Jean ne se soucie que de la partie allégorique du miracle, pourquoi est-il plus précis que les Synop

tiques sur les circonstances de lieu, plus attentif aux conditions historiques du fait" ? C’est lui qui nous apprend que les apôtres se rendent vers Capharnaum, 17 ; qu’ils avaient fait environ vingt-cinq ou trente stades, au moment où ils virent Jésus, 19. « L’inquiétude des disciples abandonnés sur le lac au milieu de la nuit » figurerait " leur angoisse au temps de la passion et la situation de l’Église au milieu du monde : en dépit des apparences, le Christ ne délaisse pas les siens. » Loisy, op. cit., p. 437. S’il en est ainsi, comment expliquer que les Synoptiques soulignent plus fortement la durée des ténèbres, la rage de la tempête, la peur des apôtres, l’action miraculeuse de Jésus ; comment comprendre que Jean représente les disciples effrayés, non de l’absence, mais de l’apparition du Maître, qu’il ne raconte ni le demi-naufrage de Pierre ni son relèvement par le Sauveur ? Que vient faire, d’ailleurs, ce symbolisme accessoire dans le chapitre qui serait consacré exclusivement au pain de vie, dans un épisode destine à prouver que Jésus peut donner une chair qui n’est soumise ni à la loi de la pesanteur ni à celle de l’étendue ?

Que la marche sur les eaux prouve la toute-puissance du Sauveur et facilite l’acceptation de la promesse du pain de vie, rien n’est plus vrai. Mais il faudrait démontrer que le fait a été inventé de toutes pièces pour établir la thèse. C’est’ce qu’on ne fait pas. Et il faut convenir que le miracle se trouve dans les Synoptiques, que la toute-puissance de Jésus marchant sur les flots y est mise en meilleur relief.

L’indépendance du Sauveur à l’égard des lois de l’étendue n’est d’ailleurs guère apparente en cet endroit. Loisy prétend que, contrairement au récit des Synoptiques, la narration de Jean fait atterrir la barque aussitôt que Jésus paraît, sans pourtant qu’il soit entré dedans. Op. cit., p. 436. C’est ainsi que ce critique interprète le v. 21 : « Ils (les disciples) voulaient donc le prendre dans la barque et aussitôt (ilhiia :) la barque aborda au lieu où ils allaient. » Cette traduction donne à l’adverbe t-yiio) : le sens de aussitôt ; ce mot peut signifier ici directement. Le contexte permet de lui attribuer ce sens. Jusqu’à l’arrivée de Jésus, en raison de la tempête, la barque était ballottée, n’avançait point. Le Sauveur paraît : le vent devient favorable et lembarcation va en droite ligne, mais non subitement au but. Le quatrième Évangile ne dit pas que.Jésus n’entre v.is dans la barque, mais que les apôtres, voyant qu’il n’était pas un fantôme, consentirent à le prendre. II n’y est donc pas clairement question d’un triomphe du corps du Christ sur l’étendue. Fùt-il affirmé, le fait ne pourrait être récusé que pour de bonnes raisons. « Le miracle de la marche sur les eaux » a-t-il encore été inséré pour montrer dans ce retour de Jésus à son pays terrestre le symbole de la rentrée du Fils de l’homme dans sa gloire éternelle et des conditions de son immortalité ? » Loisy, op. cit., p. 437. Pourquoi ce nouveau symbolisme ? D’ailleurs, ce n’est pas à -Nazareth, mais à Capharnaum, que va Jésus. Et le retour en sa patrie terrestre a-t-il quelque rapport avec la rentrée dans la gloire ? Ici le rapprochement n’est pas seulement gratuit, il est inexplicable et prescjue imperceptible.

La foule, elle aussi, traverse le lac pour rejoindre Jésus, 2’2-2.5. Cet épisode que ne mentionnent pas les Synoptiques serait invraisemblable ; Jean l’aurait imaginé pour renfire plus éclatant le prodige en laissant croire qu’il a été constaté par la foule. Loisy, op. cit., p. 438. Cette supposition n’est pas facile à comprendre. Ce que dit.lean n’est ni impossible à admettre ni en contradiction avec les afiirmations des autres évangélistes : une partie de la foule a pu revenir par la voie de terre, une autre par le lac, El

le quatrième évangéliste paraît vouloir faire œuvre d’historien : il mentionne Tibériade, connaît son emplacement précis, sait que dans ce port se trouvaient des barques.

Après cet examen minutieux des deux miracles, nous avons le droit de conclure que, si la multiplication des pains et la traversée du lac sont reliées au discours sur le pain de vie, le préparent, ces épisodes ne sont pas des créations de l’écrivain. Ces deux prodiges peuvent préparer l’esprit à accepter plus facilement l’idée d’un Dieu -homme qui commande à la nature et promet un pain merveilleux. On comprend que l’évangôliste ait rapproché ces épisodes du discours. Rien n’empêche mêmei que la connexion ait été établie par Jésus : le Sauveur a pu partir du fait de la multiplication des pains et du voyage de la foule à sa recherche pour en tirer une leçon sur l’empressement qu’il faut avoir pour le pain de vie qu’il est lui-même. » Lepin, La valeur historique du quafrième Évangile, Paris, 1910, 1. 1, p. 69.

Suit le discours sur Jésus nourriture céleste. Il faut noter que l’entretien est séparé du récit de la multiplication des pains par celui de la traversée du lac : ce qui donne à entendre que les choses se sont passées comme elles sont racontées : un symboliste aurait été tenté de supprimer toute interruption entre la production du pain miraculeux et celle du pain eucharistique.

Sur le lieu où fut prononcé le discours, Loisy croit trouver des indications contradictoires : « Le Christ, au début de l’entretien, était près de la nwr, comment le discours a-t-il pu être prononcé en si/nagoguo à Capharnaiiml Les versets 25 et 59 sont en désaccord. « L’évangéliste n’a aucun souci de l’incohérence introduite dans son récit par les indications contradictoires qu’il a données ; » « il n’a visé qu’à une certaine vérité générale de représentation. » Op. cit., p. 464-465.

Mais l’opposition existe-t-elle véritablement ? Sans doute, à la fin du discours, on lit ces mots : « Jésus dit cela en synagogue à Capharnaum, » 59. Mais est-il affirmé au début que l’entretien est commencé.sur le bord du lac, 25 ? Nullement, il est dit que la foule trouve Jésus « de l’autre côté de la mer. » L’évangéliste n’ajoute pas que c’est sur la rive même. Puis, si c’est en cet endroit que la rencontre eut lieu, le discours fut-il commencé aussitôt ? S’il le fut, ne put-il pas être terminé à l’intérieur de la synagogue ? L’entretien d’ailleurs a pu être très long ; saint Jean ne prétend pas en donner un compte rendu textuel, il rapporte ce qu’il a retenu et qui va à son but.

Le dialogue du Sauveur avec la foule paraît très naturel, très vivant et très vraisemblable, l-^lle trouve .Iésus, hii demande comment il est passé d’une rive à l’autre du lac. ICIie semble attendre un nouveau miracle. Jésus lui répond : Vous me cherchez jjarce que vous avez clé rassasiés. Travaillez en vue de la nourriture éternelle. — Que faut-il faire ? — Croire en celui que Dieu a envoyé. — - Quel miracle accomplis-tu ? Moïse donnait la manne à nos pères. — La manne n’était pas le vrai pain du ciel. Le pain de Dieu est celui qui descend du ciel et accorde la vie au monde. — Donne-nous toujours de ce pain. — Je suis le pain de vie. Croyez en moi et je vous ressusciterai. — N’est-ce pas là.Jésus, le fils de Josej) !  ! ? — Ne murmurez jias. Celui qui croit en moi a la vie éternelle. Je suis le pain de vie. Et le pain que je donnerai c’est ma chair. — -Comment peut-il nous donner sa chair ? — Si vous ne la mangez, vous n’aurez »as la vie. - — Olte jiarole est dure ; qui iieut l’écouter ? - Cela vous scandalise ? Et quand vous verrez le I-’ils de l’homme monter où il était auparavant ? II y en a qui ne croient point. Nul ne lient venir à moi si cela ne lui a été donné par le

Père. Et vous, les Douze, voulez-vous aussi me quitter ? — Vous avez les paroles de la vie éternelle, répond Pierre.

Tout se tient, s’enchaîne ; le développement n’a rien de fictif, d’artificiel. Et on sent que les faits ont fort bien pu se passer ainsi : rien ne s’y oppose. Le Sauveur greffe habilement son enseignement sur le miracle ; il révèle peu à peu sa pensée ; il recourt à la comparaison de la manne pour mieux faire accepter ce que son langage a d’insolite ; il parle d’abord de la foi, ensuite seulement de l’eucharistie. Et parce que l’idée est neuve, parce que ses auditeurs ne peuvent facilement comprendre que la chair de Jésus sera une nourriture, le Sauveur se répète, insiste, emploie des expressions toujours plus fortes. Aussi un certain nombre de disciples scandalisés l’abandonnent. Le Maître n’en est pas surpris, il sait et reconnaît que sans la foi on ne peut adhérer à son enseignement, et qu’il annonce un mystère. Les Douze ne disent pas qu’ils ont compris, mais qu’ils croient. La défection des disciples n’est pas dissimulée, aucune préoccupation apologétique n’apparaît. Tout est mystérieux, tout est vraisemblable.

Sans doute, les métaphores sont nombreuses ; mais elles le sont moins qu’on le prétend. Jésus, d’ailleurs, sans faire disparaître tout ? énigme, prend la peine d’expliquer comment il est la manne, le pain du ciel, ce que signifient les mots venir à lui. Le Christ des Synoptiques se sert, lui aussi, de comparaisons, d’allégories, et propose des paraboles. Et si, dans la dernière partie du discours, le Sauveur n’explique pas en quel sens on doit le manger, c’est que le mot doit s’entendre au sens littéral.

Ainsi encore, le Verbe johannique rejoint Jésus des Synoptiques. On a vivement soutenu le contraire. On a essayé d’établir une opposition entre le concept de l’eucharistie du quatrième Évangile et celui de ses devanciers. On a cru découvrir maintes allusions à la liturgie de l’époque et du pays où fut rédigé l’écrit johannique ; on a dit que Jésus parlait de l’eucharistie comme « d’une institution actuellement en vigueur. » Déjà nous avons noté que pour Loisy la présence des restes après la distribution des aliments multipliés fait allusion à la permanence du sacrement ; que l’ordre de ne rien perdre donné après ce miracle rappelle le soin des premiers chrétiens pour ne laisser tomber aucune parcelle consacrée ; que le possesseur des pains d’orge est le type des diacres ; que le mot £J/apiTTT, Ta ; employé dans le récit du prodige est le terme technique qui désigne la cène. D’autre part, « la substitution de (jipç, chair, à Tfuaa, corps, dans le discours sur le pain de vie est aussi à expliquer par le langage liturgique et dogmatique de temps. « Loisy, op. cit., p. 458. L’apparition de Jésus ressuscité dans les réunions des disciples, XX, 26 ; XXI, 1, figure les assemblées dominicales des chrétiens, sous la présidence mystique du Seigneur. Le pain trempé que Jean fait offrir par Jésus à Judas est le rite antique de la communion sous l’espèce du vin ; la mention de l’arrivée de Satan dans l’âme du traître montre l’effet de la mauvaise communion. « L’allégorie de la vigne est une allusion assez directe au cérémonial eucharistique et le chapitre xvi est une prière d’actions de grâces, prototype des prières analogues qui se faisaient dans les communautés après les repas sacrés. » Le récit johannique de la dernière cène insiste sur l’amour, c’est-à-dire sur l’agape, parce que, dans les milieux où vit l’évangéliste, eucharistie et agape sont unies. Les effets du pain de vie sont d’ailleurs exprimés en une théologie tardive, bien postérieure à celle des Synoptiques. La chair du Sauveur est nécessaire au fidèle, pour établir une circuminsession entre Jésus et les fidèles et,

par cette relation, une participation à la vie divine que le Verbe reçoit du Père ; elle dépose pour la Iransformalion finale de l’être des forces que la résurrection mettra en actiuité, et ainsi elle confère la vie éternelle : elle purifie l’âme puisque le lavement des pieds a été substitué à la cène. Loisv, op. cit., p. 428, 458, 708, 710, 714, 729, 918, 919, 936. Voir aussi H. J. Holtzmann, Neulestamentliche Théologie, Leipzig, 1897, t. II, p. 497 sq. ; J. Réville, op. c(7., p. 148, 182.

Si nous discutons chacune de ces affirmations, nous sommes obligés de constater d’abord que les emprunts à la liturgie eucharistique de la fin du i « ’siècle, dans ce qu’elle offrait de spécifiquement distinct du rite primitif, ne sont pas démontrés. Déjà nous avons établi qu’il est impossible d’admettre le caractère symbolique de la plupart des détails du récit de la multiplication des pains. L’emploi du mot 7-/ç* de préférence à Ti : >p.a. s’explique très bien : il est parlé du corps de Jésus comme d’une nourriture, d’une viande céleste, d’une chair qui donne la vie. D’ailleurs, les deux termes sont usités également dans les documentsliturgiques. L’allusion au rite de la communion sous l’espèce du vin est affirmée par les critiques en raison d’une vague ressemblance qu’il est permis de discuter ; d’ailleurs à l’époque où fut rédigé le quatrième Évangile, le ministre de l’eucharistie distribuait-il du vin ou du pain trempé dans la coupe ? Il y a une similitude entre les assemblées des premiers chrétiens et les réunions des disciples honorées de la présence du Seigneur ressuscité : prouve-t-elle que l’évangéliste invente ce qu’il dit de l’eucharistie ? L’allégorie de la vigne est destinée à faire comprendre que les fidèles doivent être unis à Jésus pour porter du fruit ; où est le sacrement ? Les prières eucharistiques de l’ancienne liturgie rappellent l’oraison sacerdotale de Jésus à la cène ; soit, mais est-ce parce que le quatrième Évangile met sur les lèvres du Sauveur les formules en usage de son temps ? N’est-il pas plus naturel de penser que les premiers chrétiens se sont inspirés des paroles du Maître ? Le rapprochement entre l’agape et la cène laisse encore plus rêveur ; l’agape était-elle célébrée là où écrivait saint Jean, et si oui, était-elle unie à l’eucharistie ? Et s’il en était ainsi, faut-il conclure qu’il n’en était pas de même à la première cène, que l’institution de l’eucharistie ne devait pas être liée à un repas, que dans ce repas il ne pouvait pas être question de la charité ? Le recours à la liturgie de la fin du i’"e siècle pour expliquer la juxtaposition des idées de banquet, de sacrement et d’agape n’est nullement nécessaire.

Pas plus que les rites, la théologie johannique de l’eucharistie n’est différente de celle de ce sacrement d’après les autres écrivains. Jésus annonce qu’il donnera sa chair à manger, son sang à boire. Les Synoptiques et saint Paul lui font dire : Prenez, mangez, ceci est mon corps ; buvez, ceci est mon sang, la nouvelle alliance dans mon sang. Le Verbe johannique rappelle que sa chair est livrée pour la vie du monde. A la cène, le Christ des Synoptiques et de saint Paul dit : Ceci" est mon sang versé pour beaucoup, versé pour beaucoup en rémission des péchés ; ceci est mon corps donné pour vous ; ceci est mon corps pour vous, la nouvelle alliance est dans mon sang versé pour vous. Le quatrième Évangile montre dans le sacrement un moyen d’union à Jésus et par lui au Père ; les Synoptiques et l’apôtre disent du sang eucharistique qu’il est celui de l’alliance ; saint Paul prouve que le communiant participe au Seigneur. Faut-il, en raison de l’épisode du lavement des pieds, que Jean place à la cène, attribuer à celle-ci la vertu de remettre les péchés ? Cette conclusion est loin d’être démontrée ; si elle l’était, on devrait se rappeler qu’en saint Matthieu la rémission des péchés est mentionnée dans les 4021

EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ÉCRITURE

Î022

paroles prononcées par Jésus sur la coupe. Le quatrième Évangile insiste sur la communication de la vie, tie la vie éternelle aux fidèles qui mangeront la chair du Sauveur : (7 les ressuscitera an dernier jour. Si les formules de l’institution conservées par les Synoptiques nesignalent pasen termes exprèscetefïet. il faut pourtant se souvenirque la perspective eschatologiquc apparaît aussi chez eux : après avoir présenté le pain et la coupe, Jésus ajoute : Je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai nouveau dans le royaume de mon Père, et il y a lieu de ne pas oublier qu"après avoir dénoncé la faute des mauvais communiants, saint Paul ajoute : « C’est pour cela qu’il y a parmi vous beaucoup de débiles et de malades et qu’un grand nombre sont morts. L’idée de la vie éternelle communiquée par Jésus n’est pas étrangère aux Synoptiques. Matth., VII, 14 : xviii, 8 ; xix, 16, 29 ; xxv, 46 : Marc, ix, 42 ; X. 30 : Luc, x, 25, 28 ; xviii. 18, 30. De même il est affirmé par eux que c’est le Clirist qui introduit dans le rovaume. Matth., xiii, 41 ; xix. "28 : xxv, 19. 23, 32, 46 ; Luc. xix, 12 ; xxii, 29, 30. et que ce royaume est inauguré ici-bas. Les conceptions sont pour le fond identiques chez.lean et chez ses devanciers : dans le quatrième Évangile aussi bien que dans les autres, ce qui est 1res fortement accusé, c’est l’eUct eschatologiquc : cinq fois il est parlé de la vie éternelle opposée à la mort, vi, 40, 47,.50. 51.54. 58. et quatre fois en termes formels de la résurrection au dernier jour, VI, 39, 40, 44, 54 ; mais, d’autre part, cette vie est présentée comme étant, dès l’existence présente, assurée au communiant. Enfin, si saint Jean insiste davantage sur l’obligation, la nécessité de recevoir la chair et le sang du Sauveur, on relève pourtant dans les Synoptiques l’ordre de s’approcher ilu sacrement : « Prenez, ceci est mon corps, » est-il dit en saint Marc ; « Prenez, mangez, buvez. -> écrit saint Matthieu ; Faites ceci en mémoire de moi, » lit-on dans saint Paul.

J. Réville, Les origines de l’eucliurislie, p. 68, croit découvrir une autre différence entre l’eucharistie johannique et la cène des premiers évangélistes et de saint Paul. « I..’idée retrouvée partout ailleurs que la participation au même pain et à la même coupe sont le symbole et le gage de l’union ou de la solidarité entre chrétiens, ne paraît pas davantage chez lui (chez Jean). Le pain de vie assure l’union des fidèles et du Christ, mais il ne représente pas l’union des fidèles entre eux pour ne former qu’un seul corps. Pour résoudre cette difficulté, il suffit d’analyser ces deux affirmations et de leur juxtaposer la conclusion de l’auteur. L’idée d’union parla charité n’est pas exprimée, objecte-t-il ; donc elle est exclue, conclut-il. Celte conséquence ne découle nullement de la prémisse. Saint Jean ne parle pas de ce qui ne va pas nécessairement à son but. Au reste, les Synoptiques n’insistent pas plus que lui sur cet efl’et et ce symbolisme de la communion. ICt si saint Paul le met en relief, c’est qu’un motif particulier le décide à le faire.

Ainsi il est impossible d’établir que la théologie eucharistique de saint.lean est lro|) différenle de celle des premiers évangélistes pour pouvoir être considérée comme l’expression de la jjensée de Jésus. M. Lepin a aussi fort bien montré que, dans le discours sur le pain de vie. Jésus manifeste son origine divine comme il le fait dans les Synoplif(ues avec tous les caractères d’opportunité. d’iLibllelé. de mesure qui con lennent h um’révélation authentique et vivante, non à une thèse théologique. » Il commence par se comparer à la manne que les Israélites regardaient comme un aliment envoyé de Dieu ; et c’est après avoir fi.Kc l’attention de ses auditeurs sur cette com paraison que lui-même se déclare le vrai pain de vie descendu du ciel et envoyé par Dieu au monde. Ce rapprochement qui donne à son langage une certaine apparence de métaphore : d’autre part, le caractère nettement allégorique de la formule : <> Je suis le pain de vie ; » enfin. l’emploi du titre impersonnel de « Fils de l’homme » . tout contribue à répandre sur son discours une teinte mystérieuse. Les Juifs en perçoivent bien le vrai sens, puisque, à ce qu’il prétend de la descente du ciel, ils objectent ce qu’ils savent de son origine terrestre ; néanmoins, dans son ensemble, la révélation reste fort discrète. Ce qu’elle olTre de clarté est d’ailleurs grandement atténué par ce qu’il y a de déconcertant pour l’esprit juif dans cette perspective d’un Messie qui livre sa vie en sacrifice et donne sa chair à manger, son sang à boire, pour le salut du monde. » Ainsi le Sauveur ne proclame pas de but en blanc et avec une évidence immédiate qu’il est le Fils de Dieu descendu du ciel où il préexistait éternellement auprès du Père. » Comme dans les trois autres Évangiles, sa manifestation est discrète, ménage à la fois l’ombre et la lumière. Ce n’est pas ainsi qu’un théologien de la fin du i"’siècle eût construit une thèse de la divinité de Jésus. Lepin, op. cil., t. II, p. 388.

Et pourtant. Loisy croit voir dans ces déclarations du Verbe sur lui-même, sur la foi à laquelle il a droit et sur l’incrédulité à laquelle il se heurte, une réponse à des questions qui hantaient la pensée des contemporains de l’èvangéliste : Pourquoi la prédication du Sauveur a-t-elle été infructueuse ? Pourquoi les Juifs ne se convertissent-ils pas ? Il s’agirait, selon lui, d’expliquer le peu de succès que Jésus a obtenu dans sa patrie et l’échec du ministère galiléen. » Saint Jean montre « l’aveuglement de la masse qui ne trouvait pas que les œuvres de Jésus fussent celles du libérateur attendu. « Il veut enseigner deux idées très simples : « Le peuple juif aurait cru volontiers à ce que Jésus n’était pas et ne voulait pas être ; il refusait de croire à ce que Jésus était, bien que.Jésus dît et fît tout ce qu’il fallait pour être reconnu des âmes de bonne volonté… ces vues correspondent à la situation générale du Sauveur à l’égard de ses compatriotes, en tant que cette situation avait besoin d’être définie pour les chrétiens, dans leurs controverses avec les Juifs, à l’époque où l’Évangile fut écrit. » Et si le Sauveur déclare que ses auditeurs ne croient pas parce que seuls ont la foi ceux que le Père lui a donnés, c cette explication transcendante de l’incrédulité judaïque » n’a pu < être proposée dans une conversation réelle entre Jésus et ses auditeurs ; » l’èvangéliste éclaire ses contemporains. Op. cit., p. 442, 443, 448, 449. 4.50, 451, 459. 474.

Ces affirmations appellent toutes des points d’interrogation. Les lecteurs du quatrième Évangile avaient-ils un " besoin » particulier de savoir les motifs humains de l’échec de Jésus auprès de ses compatriotes ? Nous l’ignorons. Saint Jean a-t-il voulu spécialement les renseigner sur ce sujet ? Il ne le dit pas. Le premier motif de l’incrédulité judaïque, les conceptions grossières qu’avaient du Messie les contemporains du Sauveur sont-elles mises en jibis grand relief dans ce discours que dans d’autres passages du quatrième Evangile, mieux marquées que dans les Synoiitiques ? Nullement. La seconde raison, le défaut de prédestination divine vaut-il pour les Cialilèens seulement ? Pas du tout ; seul croit, parmi les gentils comme parmi les Juifs, celui qui est attiré par le Père. Ces deux considérations épuisent-elles tout ce qui pouvait être dit sur ce problème de l’endurcissement d’Israël ? Certes non. il suffit de se rappeler le discours du diacre Etienne ou les développements de saint Paul sur ce sujet pour s’en convaincre ; ici’, nous ne trouvons rien

sur les prophéties ou figures qui annoncent la réprobation des Juifs, rien sur leurs anciennes infidélités, rien sur la vocation des nations, rien sur les espérances de conversion future d’une partie du peuple élu, rien sur l’incompréhensibilité du mystère de la prédestination.

Plus insoutenable encore est la prétention de ceux qui croient apercevoir dans le discours sur le pain de vie un désir de venger les fidèles des accusations d’anthropophagie portées contre eux, « une triomphante apologie contre les fausses idées et les grossières objections des Juifs ou des païens » sur l’eucharistie. Holtzniann, op. cit., t. ii, p. 502 ; Loisy, cp. cit., p. 465. D’abord, les calomnies sont constatées pour la première fois par saint Justin, donc bien après l’apparition du quatrième Évangile : nous ignorons si elles avaient cours dans le milieu où vivait saint Jean. L’intention apologétique ne se montre pas d’ailleurs : l’auteur serait très maladroit, s’il voulait détruire ce grief, caries expressions très dures dont il se sert, qu’il répète avec insistance sans les expliquer, sans les atténuer si ce n’est par une déclaration presque énigmatique (les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie), n’auraient pu qu’accréditer les soupçons et donner prise à la malignité publique. Nombreux sont les écrivains chrétiens qui ont dû combattre l’accusation des païens : leur langage est tout différent de celui du quatrième Évangile.

J. Réville suppose que c’est contre des objections d’une autre nature que lutterait saint Jean, mais toujours contre des objections de son milieu et non des contemporains de Jésus. « Dans les groupes chrétiens d’Asie, » « l’équation pain = chair, vin = sang du Christ » aurait existé, mais le sens et la valeur en auraient été « flottants » . Dans « ce milieu saturé d’idéalisme alexandrin et de docétisme, » certains disciples du Christ n’auraient pas admis cette doctrine, auraient protesté contre elle. Op. cit., p. 64. Le quatrième Évangile combattrait ces négations. C’est là une hypothèse gratuite. L’existence de ces adversaires de la présence réelle n’est pas prouvée, l’absence d’une doctrine certaine sur l’eucharistie dans ! le milieu où vivait l’auteur est ignorée de l’historien. Le lecteur du c. vi sait que Jésus parle à des Juifs, à I la foule galiléenne et que les objections ne sont pas t celles que pourraient faire des idéalistes docètes, mais 1 celles auxquelles pouvaient penser des Galiléens et i des Juifs. Aucun indice ne permet de croire que, derrière les Galiléens et les Juifs, l’évangéliste vise ses | contemporains. Et s’il le fait, pourquoi ne serait-ce pas avec des paroles qu’aurait réellement prononcées, dans son entretien avec des Juifs en chair et en os, le Christ historique ?

Si donc toute allusion à des faits, à des institutions, à des doctrines, à des erreurs qu’aurait ignorés Jésus et qui lui seraient postérieurs de cinquante ans et plus, ne peut être découverte dans le discours, on a tort de soutenir que ses afiirmations auraient été inintelligibles pour des paysans de Galilée, que l’entretien sur le pain de vie ne pouvait être compris de la foule à laquelle parle le Sauveur. J. Réville, op. cit., p. 05 ; Loisy, op. cit., p. 444, 447, 450, 469, etc. D’ailleurs, les catholiques ne prétendent pas que le langage de Jésus soit littéralement reproduit. L’auteur devait se borner, il avait pu oublier, il n’était obligé de dire que ce qui allait à son but. Écrivant pour des lecteurs qui connaissaient l’eucharistie et que les formules liturgiques avaient familiarisés de longue date avec les affirmations chrétiennes, l’évangéliste pouvait abréger, omettre des explications qui avaient été données aux Juifs, présenter les paroles de Jésus sous une forme qui ne compromettait pas l’exactitude de la pensée, mais qui n’était pas littéralement celle dont le Verbe

avait revêtu ses idées pour les exposer à la foule de Gapharnaiim. Le Seigneur pouvait aussi proposer sa doctrine en termes voilés et quelque peu énigmatiqucs ; ici, il se contente de promettre, l’avenir devra montrer avec une plus grande précision ce qu’il a voulu donner. Juifs et Galiléens, d’ailleurs, semblent avoir quelque peu compris les paroles de Jésus. Ils le prouvent par leurs objections et par leur défection ; objections qui ne sont pas invraisemblables sur leurs lèvres ; défection que l’Évangile n’avait aucun intérêt à inventer.

Arrivé au terme de cette discussion, nous avons le droit de conclure qu’aucun argument mis en avant par les critiques n’oblige à voir dans l’enseignement du c. VI des doctrines différentes de l’enseignement de Jésus. Et si, d’autre part, nous admettons ce que non seulement le théologien catholique admet, mais ce qui est historiquement démontré, l’origine johannique du quatrième Évangile, nous devons croire que saint Jean n’aurait pas osé prêter à son divin Maître des révélations aussi étranges, aussi graves, s’il n’avait pas été convaincu qu’elles émanaient de lui et si elles n’émanaient pas de lui, en réalité. Il n’aurait pu le faire sans être un imposteur.

II. Ce qu’a donné Jésus ; ce qu’ont cru recevoir LES premiers chrétiens. — 1° Histoirc du problème. — Dans l’antiquité, au moyen âge et jusqu’au xvie siècle, presque tous les catholiqHes croient que Jésus-Christ a institué l’eucharistie et entendent au sens littéral les paroles de la cène : quelques individus seuls font exception. Les Églises séparées d’Orient, toutes les confessions qui se disent chrétiennes — en dehors de quelques sectes — professent la même foi.

Ceux des protestants qui nièrent la présence réelle essayèrent de donner un sens figuré aux mots : Ceci est mon corps, ceci est mon sang. Déjà, Bellarmin comptait plus de cent systèmes d’interprétation : Ceci, aurait dit Jésus en se montrant, est mon corps. Ceci, le collège apostolique, est mon corps ; ceci est l’image de mon corps, l’image de ma passion, l’image des grâces que mérite ma mort, l’image de la nouvelle alliance, l’image de ma doctrine, l’image des bienfaits qu’on recevrait en mangeant ce pain s’il était mon corps, l’image de la société clwétienne, etc. De nos jours encore, certains protestants croient que l’eucharistie remonte à Jésus-Christ, mais qu’elle ne contient pas la chair du Sauveur.

Jusqu’au xixe siècle, l’institution du sacrement par Notre-Seigneur n’a guère été attaquée. Paulus la mit en doute, Gfriiser la nia, Strauss la déclara possible, mais affirma que les faits ne s’étaient pas passés comme les évangélistes les racontaient. Renan soumit les récits à un véritable travail d’escamotage. Pour enseigner qu’il était le pain nouveau dont l’humanité allait vivre — idée qui lui était chère — « Jésus disait à ses disciples : Je suis votre nourriture, phrase qui, tournée en style figuré, devenait : Ma chair est votre pain… Puis, à table, montrant l’aliment, il disait : Me voici ; tenant le pain : Ceci est mon corps ; tenant le vin : Ceci est mon sang ; toutes manières déparier qui étaient l’équivalent de : Je suis votre nourriture… Dans le dernier repas ainsi que dans beaucoup d’autres, Jésus pratiqua son rite mystérieux de la fraction du pain. » Vie de Jésus, 13^ édit., Paris, 1875, p. 312, 316-317, 399.

En 1891, un travail de Harnack, Brot und Wasser, die eucharistischen Elemenle bel Justin, dans Texte und Untersuchungen, nouvelle série, Leipzig, 1891, l. vii, 2, p. 115-144, marqua le début d’une nouvelle période de recherches. Depuis ce moment, « aucun problème d’histoire religieuse n’a suscité autant de li^Tes, de brochures, d’articles que celui-là. » Goguel, op. cit., p. 1. Ya-t-il eu un dernier repas solennel de Jésus et

des disciples ? Avait-il le caractère de festin pascal ou celui d’une autre cérémonie juive, le kiddûs, par exemple ? Était-ce un banquet d’adieu ? Une anticipation du repas eschatologique ? La cène était-elle liée il la mort du Christ et comment ? La figurait-elle, de quelle manière ? Quelles paroles prononça Jésus et quel était leur sens ? Instituait-il quelque chose, professait-il un acte dont il désirait la réitération ? L’ordounait-il ? Les récits de la cène sont-ils authentiques ? Représentent-ils une tradition primitive ? Quelles sont leurs sources ? Ont-ils été remanies ? Dans quel rapport sont-ils entre eux ? Peut-on distinguer diverses conceptions progressives de ce que devint l’eucharistie ? Sous quelles influences se sont-elles formées ou ont-elles pu être acceptées ? Tels sont les principaux problèmes soulevés. On peut dire que toutes les solutions imaginables ont été proposées, discutées et rejetées.

Vouloir établir une bibliographie complète est inutile : un grand nombre d’écrits parus n’ayant, de l’aveu même des critiques non catholiques, aucune valeur. Pour faire connaître l’état de la question et les principales hypothèses émises, il faut signaler seulement les travaux les plus importants, ceux qui ont attiré davantage l’attention, ceux qui ont émis quelque idée nouvelle. Le lecteur français désire aussi prendre contact intime avec les ouvrages écrits en sa langue, capables plus que d’autres de former l’opinion en son pays. Il voudrait, afin de trouver un peu d’ordre dans cet exposé, pouvoir distinguer logiquement divers systèmes : eucharistieparabole, eucharistie escliatologique, eucharistie-alliance, eucharistie d’origine juive, eucharistie mythique, eucharistie agape ou festin fraternel. Mais beaucoup de critiques non catholiques croient retrouver dans la cène primitive ou dans les évolutions de l’eucharistie plusieurs de ces conceptions. Force est donc de suivre, à peu près, l’ordre chronologique. L’énumération pourra paraître fastidieuse. Mais elle prépare les discussions nécessaires. Déjà elle montre combien fragiles sont des hypothèses qui s’entrechoquent et se détruisent ; puis il n’est pas inutile de constater à quels hardis procédés recourent et à quelles excentriques conclusions aboutissent parfois certains Interprètes ; il n’est pas désagréable d’observer que, malgré leur talent, leur ingéniosité, leurs efforts, les critiques non catholiques n’ont rien pu construire de solide et de définitif, qu’après vingt ans de travail ininterrompu, ils ne sont pas mieux renseignés qu’au premier jour.

liarnack, dans l’ouvrage cité plus haut, soutint que les éléments primitifs de l’eucharistie avaient été le pain et l’eau. Si donc un changement de matière avait pu s’opérer aisément, c’est qu’à l’origine l’attention portail non sur les objets consommés, mais sur les actions accomplies. On voulait sanctifier l’opération la plus importante de la vie, la nutrition. Jésus vait lui-même rattaché l’idée de sa mort conçue comme un sacrifice aux éléments ordinaires de l’alimentation, appelés à nourrir par le pardon des péchés l’âme qui les reçoit en rendant grâce pour la passion du Sauveur.

Weiszàcker, Das aposlolische Zeitallcr der christlichen Kirchr, l-ribourg-en-Brisgau, 181>2, admit que Jésus, la veille de sa mort, dans un repas pascal, avait distribué à ses disciples le pain et le viii, prononcé des paroles mystérieuses, invité les Douze à répéter son geste. Ce faisant, le Seigneur n’instituait rien, mais proposait une parabole qu’il n’expliquait pas. Saint Paul interpréta le symbole : le pain est l’image du corps qui est l’Église dont Jésus est la tête, dont les fidèles sont les membres. Le vin représente le sang et par conséquent la mort du Christ. La pensée de l’apôtre correspond à celle ((u’avall Jésus, mais qu’il n’a pas exprimée.

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I Jûliclier, Zur Geschichte der Abendniahlsfcicr in der iillesten Kirche, Fribourg-en-Brisgau, 1892, écrit, lui aussi, que la dernière cène fut un enseignement symbolique. Des quatre témoins, seuls Matthieu et Marc représentent la vérité historique sans addition postérieure. Ils ne mentionnent pas l’ordre de réitérer le dernier repas. Donc, ce banquet n’était pas une institution, mais un festin d’adieu. La pensée de Jésus était tout entière fixée sur sa mort qu’il savait imminente et dont il voulait annoncer le caractère douloureux et fécond. Aimant les paraboles, profitant comme toujours des circonstances, recourant comme d’ordinaire à deux figures pour exprimer une vérité unique, il comparait à son corps qui devait être broyé le pain rompu, à son sang qui devait être répandu le vin versé. La bénédiction de la coupe présageait les bienfaits ! dont la mort serait la source. L’usage de réitérer la j cène, la croyance à un ordre donné par Jésus de la rcj produire naquirent de l’impression profonde que dut j laisser dans l’âme des disciples le repas suprême et du 1 travail spontané des intelligences chrétiennes, en un j temps où la religion très ardente fut plus que jamais I apte à idéaliser et à créer. Sous l’influence de saint ] Paul, la communion fut considérée moins comme une’commémoraison de la mort du Christ que comme un souvenir des bénédictions obtenues par son sacrifice. ! Spitta, -D/e î ; rc/iris// ; ’c/ ! e/i Traditionen iiber Ursprung’und Sinn desvbendmahIs, Gœttingue, 1893, exclut, au contraire, toute allusion à la passion de Jésus. Persuadé que le dernier repas du Christ n’eut pas lieu le 14 nisan, mais le 13, il dénia à la cène le caractère de repas pascal, fit tl’elle un banquet, précurseur du festin des derniers jours où, selon des traditions juives, le Messie lui-même devait être la nourriture des élus. A ce moment de son existence, Jésus n’est préoccupé que de l’achèvement de son œuvre et du triomphe prochain. Il se met par anticipation dans la posture de président du repas messianique, voitd’avance ses disciples mangeant et buvant avec lui dans le royaume futur, les invite à recevoir l’aliment qu’il leur servira plus tard, sa propre personne. Il n’ordomic donc pas de réitérer la cène. Sa mort et sa résurrection obligèrent à modifier le sens primitif de l’acte accompli. Dans des repas collectifs semblables à ceux des Juifs, on se remémora les paroles du ( ! hrist et l’institution naquit.

Brandt, la même année, ne fut pas moins hardi dans ses conclusions négatives. Les quatre récils de la cène sont plus ou moins altérés. Au repas d’adieu, Jésus a rompu le pain avec les siens pour exprimer l’idée de la connnuuion qui devait rapprocher les âmes dans les autres banquets de ses disciples. C’est Paul qui introduisit la coupe et conçut l’eucharistie en fonction de sa théorie de la valeur salutaire de la mort du Christ. Sa version influença les autres récils. La cène, institution et fête commémorative de la mort du Seigneur, est donc d’origine paulinicnne. Die cvangelische Geschichte und der i’rsprnng des Christentunis, Leipzig, 1893, p. 283 sq.

Percy Gardner, Tlic oiigin of Ihe Lord’s supper, Londres, 1893, s’écarta plus radicalement encore des données tr.Klilionnelles. Non seulement il refusa de faire remonter au Christ l’cucharislie chrélienne. mais il détacha la cône primitive du repas d’adieu de Jésus et la dériva, par l’intermédiaire de saint Paul, de rites païens. C’est l’apôtre qui aurait institué l’eucharistie, sans doute à Corinthe : il aurait christia-Tiisé ainsi les festins sacrés en usage dans les mj’stères d’ÉIeusis. Ileilmiiller, Taufe und Abrndmahl bci Paulus, Gœttingue, 1903, proposa une thèse semblable. I)’après saint Paul, la cène unit au Christ Sauveur et ressuscité ; le pain et le vin nourrissant ainsi le fidèle , surnaturelleinent parune efficacilé sacramentelle qui

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déjà présage Vex opère operato. Une conception aussi grossière ne s’harmonise pas avec la piété et la pensée de l’apôtre. Elle est donc antérieure à lui, vient du paganisme, est inspirée de rites dont ne pouvaient se passer les nouveaux convertis de la gentilité. Heitmuller essaie d’appuyer sa thèse sur des analogies : il cite, entre autres exemples d’eucharistie païenne, des rites empruntés au culte de Dionysos Sabazios et à celui de Mithra. Voir aussi Kalthoff, Das ChristusproUem, Grundlimen zu dner Sozialtheologie, ’Leipzig, 1903, p. 48. Sur ce thème de l’origine mythique de la cène, les variations les plus inattendues ont été exécutées. Winsch, Die Lôsung der Abendmahlsjrage, Berlin, 1903, montre dans la communion un sacrifice végétarien ; P. Jensen, Das Gilgamesch-Epos in der WelUilteratur. I. Die Urspriinge der allestamenttichen Palriarchen-Prophelen und Befreier-Sage und der neulesiamentlichen Jcsus -Sage, Strasbourg, 1906, p. 900, croit que la cène constitue un repas d’alliance entre Jésus-Gilgamesch et Dieu et la rapproche du sacrifice offert par Xisuthros sur la montagne du déluge aux dieux qu’il va rejoindre. Eisler, The origins oj the eucharist, dans Transactions of the tliird international congrcss forthe history of religions, Oxford, 1908, t. ii, p. 352, cherche dans l’eucharistie des traces d’un rite essénien non sanglant et du culte syriaque du poisson. Salomon Reinach a évidemment tenté une explication de l’eucharistie par les survivances du totémisme. Dans les religions primitives, le clan sacrifiait son animal sacré, le totem, et le mangeait pour s’unir avec son dieu. Ces idées de communion théophagique et de sacrifice d’un être divin passèrent dans les mystères païens et de là s’introduisirent dans le christianisme : elles sont la source des dogmes de la mort expiatoire, de la résurrection et de l’eucharistie de Jésus. Le récit de la cène est une « traduction anthropomorphique du sacrifice périodique du totem. » Cultes, mythes et religions, Paris, 1905-1908, passim ; Orpheus, liistoire générale des religions, Paris, 1909, p. 334 sq. Non moins audacieux est le défi queBinet-Sanglé jette à l’Évangile, La folie de Jésus, Paris, 1909, t. I : le Christ aurait eu peur d’être empoisonné. De là ses idées de mort, de chair sanglante. Il aurait invité ses disciples à manger le pain et à boire la coupe pour voir si l’empoisonnement se réaliserait.

Des systèmes à tendance plus conservatrice ont été proposés. Haupt, Ucber die urspriingliche Form und Bedeutung der Abendmahlsworte, Halle, 1894, attribua aux paroles de Jésus cette signification qui semble bien moderne : « Ma personne contient les énergies d’une vie plus haute qui voudrait s’unir à la vôtre comme le pain s’unit au corps. C’est surtout grâce à ma mort que s’opérera ce don de vie et de salut. » Jésus, selon toute vraisemblance, désirait que la répétition de la cène fût, après son départ, le moyen et la manière de garder son souvenir ; il en recommanda donc la réitération.

F. Schultzen, Das Abendmahl im neuen Testament, Gœttingue, 1895, se rapprocha davantage encore des interprétations traditionnelles. Les disciples n’ont rien surajouté à l’idée de Jésus ; ils s’en sont tenus à la volonté du Maître. D’après les Synoptiques et saint Paul, le Chrjst avait voulu ménager dans le pain et le vin une communion à son corps et à son sang. La cène était un repas sacrificiel intimement lié à sa mort ; et à ce titre, elle devait être renouvelée.

C’est encore à des conclusions relativement modérées qu’aboutit Schæfer, Das Herrenmahl nach Ursprung und Bedeutung mit Riicksiclit auf die neuesten Forschungen, Gutersloh, 1897. Paul surtout nous fait connaître le dessein du Seigneur. La cène fut un repas pascal, repas d’alliance et de sacrifice dont Jésus a voulu la réitération ; le Christ désirait offrir à ceux qui

s’approcheraient avec foi du pain et du vin le pardon des péchés obtenus par sa mort.

H. J. Holtzmann, Lehrbuch der neutestamentlichen Théologie, Fribourg et Leipzig, 1897, t. i, p. 296 sq., admet, lui aussi, que Jésus présenta à ses disciples le pain et le viii, qu’il établit un rapport entre le pain et son corps, le vin et son sang. D’après lui, le Christ insista sur ce second élément d’une manière spéciale pour indiquer qu’il allait fonder une nouvelle alliance. Le Christ voulut, par son dernier acte, s’unir pour toujours à ses disciples. Moïse, au Sinaï, avait répandu le sang d’un animal et dit : Voici le sang de l’alliance, De même, Jésus proclama que la future alliance se scellerait en son sang, qui devait être répandu comme son corps devait être brisé. Peut-être n’a-t-il pas dit : Faites ceci en mémoire de moi. Mais l’idée de réitérer la cène était la conséquence de son acte. Les disciples ont tout naturellement reproduit le geste du Christ. Ce faisant, d’ailleurs, ils pensaient autant à la multiplication des pains qu’à la cène ; ils voulaient commémorer les deux épisodes qui attestaient le mieux la charité du Christ.

Quelque insuffisante que puisse paraître à un catholique cette explication, elle l’est moins encore que la plupart de celles qui furent proposées depuis. Hoffmann, Das Abendmahl im Urclirislentum, Berlin, 1903, considère comme n’ayant, en fait, aucun rapport réel la cène et l’eucharistie primitive. Et il se demande comment on a pu être amené à rattacher l’une à l’autre. Il distingue différents stades dans la formation du concept qui devait prévaloir. Dans un dernier repas que n’assombrit pas l’idée de sa mort prochaine, Jésus avait distribué le pain et le vin par un acte symbolique destiné à montrer en sa personne le centre d’un groupe de frères. D’autre part, il y eut à l’origine, dans la communauté chrétienne, des repas à caractère religieux ouverts par la prière, dominés par la pensée de la venue prochaine du Sauveur, pensée si forte qu’on avait le sentiment de la présence invisible du Christ. Bientôt, la fin du monde ne se produisant pas, l’attention se porta sur la mort du Christ qu’il fallait expliquer ; on découvrit qu’elle était annoncée par les prophètes ; on supposa qu’il l’avait prédite lui-même, en particulier dans le repas d’adieu. On en vint, par un involontaire besoin, tout naturellement à rapprocher de la dernière cène les banquets fraternels de la communauté. Ce fut le second stade. Puis la foi grandit toujours davantage la personne de Jésus ; on vit en lui le serviteur de Jahvé ; on attribua à sa mort une valeur rédemptrice. Les repas de la communauté devinrent des eucharisties, des actions de grâces pour le bienfait du salut. Et on crut que Jésus avait lui-même à la cène inauguré cet enseignement, institué, en donnant l’ordre de le réitérer, un rite commémoratif de sa mort expiatoire. Telle fut la troisième étape. Saint Paul mit le couronnement à l’œuvre, d’abord en faisant des repas de la communauté une fête de confession et de commémoraison voulue par Jésus à son dernier repas ; puis en comparant la communion aux sacrifices païens, ce qui l’amena à voir dans les aliments eucharistiques non seulement le symbole de la mort du Christ, mais un mystère, un sacrement qui établit une communauté de vie entre lui et les fidèles.

C’est aussi l’idée d’un repas fraternel que Wellhausen, Das Evangelium Marci, Berlin, 1903, p. 125 ; Das Evangelium Matlhœi, Berlin, 1903, p. 136-137 ; Das Evangelium Lucæ, BeTin, 1904, p. 121-122, déclare être primitive. Les mots : Ceci est mon corps, ceci est mon sang, sont des formules destinées à marquer fortement la fraternité qui existe entre commensaux ; la seconde fait allusion à la mort de Jésus. Par son acte et ses paroles, le Christ recommandait à ses disciples l’union entre eux. La participation en commun à la table du

Seigneur se réitéra d’elle-même, sans qu’un précepte positif l’imposât.

A. Andersen renchérit encore sur ces thèses et essaya de soutenir que l’idée de sacrement est introuvable dans la tradition des deux premiers siècles. Das Abendmahl in den zwei ersten Jahrhunderten nach Christus, Berlin, 1904 ; 2e édit., Giessen, 1906. Le texte primitif qu’on peut dégager des Synoptiques ne permet de voir dans la cène qu’un repas d’adieu et le souhait exprimé par le Christ de retrouver ses disciples dans le royaume ; rien ne fut institué par Jésus. Dans les premières communautés, il y avait une simple fraction du pain. Paul recommanda, en raison d’une vision, le i< repas du Seigneur » , repas cultuel, mais qui n’avait rien d’un sacrement : le pain représentait le corps du Christ, c’est-à-dire la société des fidèles. En le recevant, on s’unissait à la communauté ; en prenant le viii, le chrétien participait à la nouvelle alliance. Saint Jean, comme les Synoptiques, ne vit dans la cène qu’un repas d’adieu. De même, dans la Didaché, saint Ignace et saint Justin, il n’est parlé que de la fraction du pain et non d’un sacrement.

Goetz, Die heulige Abendmahlsfrage in ihrer geschichllichen Eniwickelung, Leipzig, 1904, après avoir exposé et classé toutes les théories des critiques, dresse le bilan des conclusions qui d’après lui s’en dégagent. La veille de sa mort, Jésus a dû faire quelque chose qui ressemblait d’une certaine manière à la cène. Au commencement du dernier repas, il aurait parlé de sa fin prochaine et du rendez-vous ultérieur. Puis, il aurait présenté aux disciples le pain et la coupe en disant : Voici ma chair et mon sang pour signifier qu’il voulait exercer sur leur vie spirituelle l’influence qu’exerce la nourriture sur la vie corporelle. Il n’a rien institué, il n’a pas donné l’ordre de répéter son geste symbolique. C’est Paul qui, dans une vision, a cru recevoir cette recommandation du Christ glorifié. C’est lui et saint Luc qui montrèrent dans l’eucharistie une représentation de la mort de Jésus considérée comme un sacrifice. C’est encore l’apôtre qui est responsable du rapprochement entre le rite chrétien et la fondation de l’alliance sinaïtique. Les usages et les vieilles idées juives facilitèrent la transformation du geste testamentaire de Jésus en une Pâque nouvelle abrogeant l’ancienne.

J. Réville, Les origines de l’eucharistie, Paris, 1908, remonte de saint Justin aux Synoptiques et cherche dans les données communes à tous les écrivains chrétiens la conception originelle de l’eucharistie. A la lumière de ces idées, il interprète les récits de l’institution et finalement extrait des Synoptiques ainsi étudiés le résidu qui représenterait la réalité historique. La cène a été le dernier repas que Jésus ait pris avec ses disciples, mais ni eux ni lui ne le savaient. Le Christ n’a donc pu ordonner qu’on la réitérât, il n’en a pas fait un mémorial de sa mort. Elle a été un repas pascal : il est donc vraisemblable qu’il y fût parlé dune alliance entre le Christ et ses disciples ainsi que de l’avènement prochain du royaume. Nous ignorons les paroles exactes prononcées par Jésus. Le pain devait être primitivement le corps de l’alliance, c’est-à<lire l’image sensible et matérielle de l’union du Sauveur et des disciples ; le sang faisait allusion soit à celui de l’agneau pascal, soit à celui du sacrifice du Sinaï. Dans les communautés primitives, la cône fut d’abord la continuation naturelle des repas que les disciples avaient l’habitude de prendre avec Jésus ; on remerciait Dieu des bienfaits reçus par le Sauveur, on romliait le pain en signe d’union et de communion, on afïlrniait la foi à l’avènement du royaume ; saint Paul, s’appuyant sur une tradition et.sur une révélation reçue du Seigneur, fil de ce repas un rite inslilué et ordonné par Jésus, destiné à commémorer sa mort

rédemptrice. L’apôtre reconnut dans le pain le symbole du corps mystique du Christ céleste ; dans le viii, celui du sang de l’alliance nouvelle qui se substitue à l’ancienne.

Loisy, Autour d’un petit livre, Paris, 1903, p. 236 sq. ; Les Évangiles synoptiques, Cefionds, 1907, t. ii, p.534 sq., croit que la dernière cène fut un repas ordinaire ou pascal au cours duquel Jésus distribua à ses disciples, comme il l’avait fait souvent pendant sa vie, le pain et le vin ; il n’y parla ni de son corps ni de son sang, mais, sentant que le dénouement était proche, il déclara qu’il ne mangerait et ne boirait plus avec les siens que dans le royaume où il leur donnait ainsi rendez-vous. Comment des paroles du Christ dériva le sacrement chrétien ? On ne le voit pas très clairement. On constate « par l’examen des récits de la résurrection que la foi au Christ ressuscité est intimement liée à la conception primitive de l’eucharistie. Jésus était déjà le Christ dans la gloire du royaume et en même temps il était avec les siens ; il y était surtout dans le repas commun qui rassemblait ses fidèles… C'était bien avec lui et en mémoire de lui que se tenait la réunion. Saint Paul n’a fait qu’interpréter le souvenir apostolique selon sa propre conception du Christ et du salut, de façon à voir dans le repas eucharistique, symbole effectif de l’union des fidèles dans le Christ toujours vivant, le mémorial du crucifié, de celui qui avait livré son corps, versé son sang pour le salut du monde. Ce doit être lui qui, le premier, a conçu et présenté la coutume chrétienne comme une institution fondée sur une volonté que Jésus aurait exprimée et figurée dans la dernière cène. » Paul attribuait sa conception à une révélation du Seigneur. Le quatrième Évangile ne veut rien savoir de cette institution et ne dit rien de cette volonté. L’eucharistie ne se remonte donc pas à une institution formelle de Jésus ; elle est née dans la communauté chrétienne, mais fut rattachie à un souvenir précis de la vie du Christ, celui du dernier repas qu’il prit avec ses disciples. Les Évangiles synoptiques, t. ii, p. 541.

M. Goguel, L’eucharistie, des origines à Justin Martyr, Paris, 1910, propose les conclusions suivantes, p. 282-291. Quand Jésus prévit l’imminence de la crise, il se mit à table avec ses disciples selon sa coutume. Comme d’habitude, il rompit le pain et bénit la coupe. « Voulant donner à ses amis un dernier enseignement, il se servit de ce qu’il avait devant lui pour leur faire comprendre par une image concrète et saisissante qu’il allait être séparé d’eux et que, quel que fût le sort qui l’attendait, il l’accepterait… comme voulu de Dieu. En disant : Ceci est mon corps, .Jésus dit à ses disciples : Je suis prêt à mourir pour vous comme j’ai vécu pour vous, afin de faire de vous des hommes qui se préparent à entrer dans le royaume. » Par la distribution de la coupe, il donnait aux siens rendezvous dans le royaume. Le Christ ne semble pas avoir pensé que son acte devait être répété. Dans la première communauté de Jérusalem, les disciples ont l’habitude de vivre en commun et de prendre ensemble leurs repas ; mais, au début, la mort de Jésus est un trop grand scandale pour qu’ils la méditent à cette occasion. Peu à peu, ils s’imaginent que la passion du Christ a été prédite par les prophètes, nécessaire pour le salut du monde. « Alors, il était naturel que, dans les repas communs des fidèles, on commémorât ce que Jésus avait fait et dit la dernière fois qu’il avait été à table avec ses disciples. De là on en vint tout naturellement à l’idée que le repas des fidèles était la commémoraison et la répétition de celui du Maître et qu’il en était ainsi en vertu d’un ordre exprès de Jésus. C’est sans^oute vers cette époque que la coupe fut introduite comme équivalent et doublet clu pain par suite d’une transformation de la coupe eschatologiquc priiW

EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ECRITURE

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mitive. » Arrive saint Paul. « Son rôle a été double. » Il donne de l’eucharistie une interprétation théologique. « Prenant les formules dans un sens réaliste, » il montre dans la cène « un moyen de s’unir au Christ souffrant et mourant, et, subsidiairement, un moyen pour le ; chrétiens de s’unir entre eux. » D’autre part, il hellénise l’institution. Transportée dans le monde grec, l’eucharistie est rapprochée par les nouveaux chrétiens des banquets d’associations, des mets sacrés offerts aux dieux et qui unissent à eux. Paul devait avoir subi l’influence de ces idées. Ainsi, l’eucharistie devint « d’une manière toute spontanée… un de ces repas qui suivaient les sacrifices et dans lesquels l’absorption d’aliments consacrés à la divinité mettait l’homme en un contact presque physique avec elle. "

Cet exposé montre quel est le devoir de l’apologiste ou du théologien catholique.

Il doit d’abord essayer de dégager des textes du Nouveau Testament, tels que nous les possédons, leur véritable contenu. Ce travail est nécessaire, d’abord, pour permettre aux catholiques de découvrir la vérité révélée. Il l’est, de plus, parce que les interprétations symbolistes des paroles de Jésus, très souvent proposées jadis, le sont aujourd’hui encore par certains protestants conservateurs et par des critiques. Enfin, reste à l’historien une dernière tâche à accomplir. Quand il a étudié les récits des Synoptiques, de l’apôtre saint Paul et du livre des Actes, les enseignements de l’apôtre sur l’eucharistie, il sait ce que pensaient ces divers écrivains, les chrétiens près desquels ils vivaient et les fidèles auxquels leur œuvre s’adressait. Il peut et doit ensuite se poser cette question : les émoignages des Évangiles, des Épîtrcs etdes Actes nous permettent-ils de connaître la pensée de Jésus ?

Le catholique répond aisément à cette question, elle ne se dislingue pas pour lui de la précédente. S’il a établi que les dogmes de la présence réelle et de l’institution de l’eucharistie par Jésus sont affirmés dans les Livres saints, il sait que le Christ a réellement donné, sous les apparences du pain et du viii, son corps et son sang ; il saitqueleSeigneuraprcscritauxapôtres de réitérer l’acte de la cène. Mais le controversiste a d’autres obligations. l’armi ses adversaires il en est qui ne croient ni à la valeur surnaturelle ni à l’inspiration de l’Écriture. Ces critiques ne voient dans les livres du Nouveau Testament que des documents d’histoire qui doivent être interpréts uniquement d’après la méthode historique. Quelques-uns d’entre eux admettent parfois que, tels qu’ils sont, certai’s textes du Nouveau Testament ont un sens catholique, enseignent la présence réelle et l’instituti n par le Christ de l’eucharistie (Eichhorn, Peine, Hoffmann, Loisy, etc.). Mais aucun de ces critiquesne reçoit comme historiques, dans leur intégrité, les témoignages de l’Évangile et de saint Paul ; ils estiment c.u’il y a eu évolution de la doctrine entre Jésus et les auteurs du Nouveau Testament, et ils essaient d’attribuer au Christ, par reconstitution, des intentions, es paroles (les actes tout différents de ceux que ! ui pr.tent les Livres saints. L’apologiste est donc tenu de suivre l’adversaire sur son terrain, de démontrer par la méthode de l’histoire que les arguments de ces critiques sont sans valeur, que les sources bibliques méritent créance et reproduisent la physionomie des faits, le sens et la teneur des paroles de Jésus.

2° Ce que les premiers chrétiens croyaient recevoir dans l’eucharistie. — 1. Saint Matthieu, xxvi, 17-29, et saint Marc, xiv, 12-25.

Matth., XXVI, 17. Le premier jour des azymes, les disciples s’approchèrent de Jésus, disant : Où voulez-vous que nous vous préparions [ce qu’il faut pour] manger la Pâque ? 18. Et

il leur dit : Allez à la ville chez un tel et dites-lui : Le Maître te tait dire : Mon temps est proche, je fais chez toi la Pâque avec mes disciples, li). Les disciples firent comme Jésus leur avait ordonné et ils préparèrent la Pâque. 20. Le soir venu, il se mit ù table avec les Douze. (21-25. Il prédit la trahison.) 20. Pendant qu’ils mangeaient, Jésus, ayant pris le pain et prononcé une bénédiction, le rompit et le donna aux discipies et dit : Prenez, mangez, ceci est mon corps. 27. Ayant pris la coupe et ayant rendu grâces, il la leur donna, disant : Buvez-en tous, 28. Car ceci est mon sang, celui de falliance, celui qui est répandu pour un grand nombre en rémission des péchés. 29. Et je vous le dis : je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne jusqu’à ce jour où je le boirai nouveau a^ec vous, dans le royaume de mon Pérc. 30. Et après avoir dit des cantiques, ils sortirent.

Marc, xiv, 12. Et le premier jour des azymes, où l’on immolait la Pâque, ses disciples lui dirent : Où voulez-vous que nous allions faire les préparatifs pour que vous mangiez la Pâque ? 13. Et il envoya deux de ses disciples et il leur dit : Allez à la ville, vous rencontrerez un homme portant une cruche d’eau, suivez-le. 14. Et quelque part qu’il entre, dites au propriétaire de la maison : Le Maître dit : Où est l’appartement où je mangerai la Pâque avec mes disciples ? 15. Et il vous montrera une grande salle haute, meublée, toute prête. Là vous ferez les préparatifs. 16. Et ses disciples s’en allèrent et vinrent dans la ville et trouvèrent les choses comme il les leur avait dites et ils préparèrent la Pâque. (17-21. Sur le soir, Jésus vint avec les Douze, se mit à table avec eux, annonça qu’il serait trahi par un des disciples.) 22. Et pendant qu’ils mangeaient, Jésus, ayant pris du pain et prononcé une bénédiction, le rompit et le leur donna et dit : Prenez, ceci est mon corps. 23. Et ayant pris une coupe, ayant rendu grâces, il la leur donna et ils en burent tous. 24. Et il leur dit : Ceci est mon sang, celui de l’alliance ; celui qui est répandu pour un grand nombre. 25. En vérité, je vous le dis : je ne boirai plus jamais du fruit de la igne jusqu’à ce jour où je le boirai nouveau dans le royaume de Dieu. 26. Et après avoir dit des cantiques, ils sortirent.

Nous croyons qu’en raison de leur similitude évidente et reconnue de tous, ces deux textes peuvent être étudiés ensemble.

Les variantes relevées dans les divers manuscrits sont insignifiantes et ne valent pas la peine d’être retenues. Voir Berning, Die Einselzung der heiligen Eucharistie in ihrer urspriinglichen Form, Munster, 1901, p. 23-24 ; Goguel, op. cit., p. 106-108. Les particularités les plus saillantes s’expliquent par le désir qu’eurent des copistes d’harmoniser les récits de Matthieu et de Marc entre eux ou avec celui des deux autres témoins, Luc et Paul. Les éditeurs modernes, Tischendorf, Westcott et Hort, B. Weiss, Swete, adoptent pour les narrations des deux premiers évangélistes un texte à peu près identique.

Tous les interprètes catholiques et la plupart des critiques admettent que, selon Marc et Matthieu, la cène fut un repas pascal. Ces deux évangélistes racontent que l’on se trouvait au premier jour des azymes où l’on immolait la Pâque, que les disciples demandèrent à Jésus où devaient se faire les préparatifs de la Pâque, que deux d’entre eux furent envoyés à Jérusalem tout disposer pour la Pâque, que, le soir venu, Jésus se mit à table avec les Douze, apparemment pour manger ce qui avait été préparé, c’est-à-dire la Pâque. Nous ne possédons pas une description minutieuse de la cène, mais ce que nous savons n’est pas en contradiction avec ce que nous connaissons du rituel de la Pâque (distribution de coupes de vin appelé fruit de la vigne et sur lesquelles ont été prononcées des bénédictions ou actions de grâces ; fraction et présentation de pains azymes sur lesquels ont été prononcées des bénédictions ou actions de grâces ; chants du Hallel, à trois reprises, la dernière clôturant le repas) ; Jésus — beaucoup de critiques incroyants admettent que tel est le sens des deux récits sous leur forme actuelle — serait donc présenté par saint Matthieu et saint Marc comme la victime pascale mangée à la cène. Si, d’autre part, son corps et son sang ne sont ici

LES QUATRE RÉCITS DE L’INSTITUTION

il ATT m EU, XXVI

Marc, xi v.

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Voir les 4 derniers mots

de ce verset.

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ToO 0EOC.

Luc, XX II.

15. Kai £iTt£-/ Tipb ; a-jTOÙ ; "’EthO’j(xix èTTîÔûfj.riO’a TOÛTO tô iti(j-/a çayEiv (iEÔ’-Jaàiv Ttpô Toû |jie TTaŒÎV 16. XÉyu yap ûixtv OTt o^j [i-r, çâvto a-JTÔ, Êto ; otou K).rp (o9-/, Èv T- ?i patriÀEt’a to-j ©eo^j. 17. Kai 6£ ?â( ;.£vo ; TroTripiov, £Ù’^a plT-’z-lTa ; ElTtEV AiocTô TO’JTO xai

C’.aaEpedaiE eîç iauto^jç" 18. Xiyo)

" ; ap ij[jiîv, OTi o’j u.-/)7rtu) aTTOToO vjv

a-ô TO^j Y£vr|(xaTo ; t ?, ; à(j.7tlXo’j,

Efoç o^j !) pau’./.Ei’a to^j ©îo^j D.G/-, . »  »

19. Kal Àaêc’ov »

apTOv

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ToOtO TtOlcÏTE

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Voir plus haut le verset 18.

Paul, I Cor., xi.

23 b. "O xûpto ; ’Tz-iCTo’j ;

£-.1 TÎi VJXtI  ? ! TtapESîŒTO

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TO’JTO TTOIEÏTE, Ôaâxi ; Èàv JTIV/ITE, Et ; TT)V ètrJiv 7.vi|AVÏ, (ItV.

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donnés qu’en figure, le festin nouveau se fait à une ! table vide, il est une ombre, et la Pâque ancienne serait la réalité. Loisy, Les Èva giles synoptiques, , Geffonds, 1908, t. ii, p. 507, prétend sans doute que c’est en vertu d’une conception doctrinale que la cène a été transformée en repas pascal ; mais il reconj naît que, dans un banquet ainsi compris, le Christ est « l’agneau pascal mangé par les fidèles » et que les Évangiles faisaient allusion à cette croyance.

Au cours du repas, Jésus prit du pain. Normalement, le mot grec ap-roç désigne le pain fermenté, et pour parler des azymes, les évangélistes ont recouru à un autre terme, a^jp-a. Si Jésus a célébré le repas pascal au soir du 14 nisan, c’est-à-dire le 15 commencé, il a dû se sei’vir d’azyme, les pains fermentes devant disparaître dans l’après-midi du 14. Mais o’.i sait qu’un bon nombre de Pères, d’exé^ètes catholiques et de critiques non croyants placent la cène à une date antérieure (itp’ÔTï) pourrait avoir le sens de r.ç, 6 ; il faudrait traduire : avant le jour des azymes et non pas : le premier jour des azymes). L’expression araméenne que remplace Tipiôtr, pourrait encore plus aisément avoir le double sens, Lagrange, Évangile selon saint Marc, Paris, 1911, p. 349 ; et si on admet cette hypothèse, Jésus aurait pu employer du pain fermenté.

Il prononce sur le pain une formule de bénédiction, le rompt et le donne aux disciples eu disant : Prenez. Saint Matthieu ajoute : Mangez. La fraction n’est donc pas tout, elle n’est nijme pas l’acte essentiel. Il faut bien que le pain, s’il doit être partagé, soit rompu. Et il l’était dans le repas pascal, en même temps qu’était prononcée une formule d’action de grâces dont le premier mot est précisément le verbe bénir : « Béni soit celui qui fait produire le pain à la terre. » Jésus ne veut pas seulement attirer l’attention sur la fraction, la présenter comme une image de son corps immolé (Jiilicher). Ce qui est important, c’est la manducation ; et si la fraction — Matthieu et Marc d’ailleurs ne le disent pas — représente la mort violente de Jésus, la participation au pain rompu a un autre sens connexe, consécutif, celui d’une communion au corps immolé du Sauveur.

Les paroles de Jésus ne laissent aucun doute sur ce point : « Ceci est mon corps, » dit le Christ. Le mot ccfz a été invoqué par les adversaires de la présence réelle. Ils raisonnent ainsi : Ce pronom ne désigne pas le corps de Jésus. Il y aurait tautologie. Le Christ dirait : Mon corps est mon corps. D’autre part, il ne peut désigner ni le pain ni ce que les théologiens catholiques appellent les espèces ou apparences du pain : car ni l’un ni les autres ne sont le corps du Christ : donc le mot ceci prouve que Jésus présente une figure de sa personne et non cette personne.

Cette argumentation ne porte pas. D’après la plupart des exégètes chrétiens ou incroyants, ceci désigne « ce que Jésus tient dans les mains… l’objet visible que l’on présente rompu et partagé. » Loisy, op. cit., t. II, p. 520. La phrase est donc la suivante : Ceci, ce que vous voyez, ce que je vous montre est mon corps. Et les partisans de la présence réelle l’expliquent aisément de deux manières. Ou Ijîen au début, quand Jésus commence la phrase, le sens est indéterminé, il sera précisé à la fin, ou bien il y a progrès de la pensée : au moment où le Christ prononce le premier mot, ceci désigne le pain ; quand il a fini la proposition, ceci se rapporte au corps du Christ. Quelques exégètes ont voulu voir dans toOto, hoc, un adjectif ; et puisqu’il est au neutre, il déterminerait le mot corps. Le sens serait : ce corps est mon corps. Et cette phrase n’embarrasse pas davantage les partisans de la présence réelle ; car la proposition opérant, d’après eux, ce qu’elle signifie, toOto, hoc, indiquerait non ce qui est, mais

ce qui sera. Ce corps qui sera présent est mon corps. Et, si les mots toOto IitI, hoc est, sont considérés comme une locution sj’nonyme de lôo-j, ecce, voici (cf. Exod., xxiv, 8 : ’Iôo-j tô a ! |j.a Tr, ; SiaOr, y.r, ;  ; Heb., IX, 20 : Tojto to al|j.a tt, ’SiïOv.zr, ;), aucune objection n’est plus possible. Dans la phrase : voici mon corps, le terme voici indique ce qui sera.

Sur la signification du mot suivant est, « des batailles théologiques » se sont livrées et se livrent encore. Ce verbe semble clair ; nul ne peut l’être davantage. Il est d’une telle simplicité qu’on ne peut le définir. Et pourtant, on a voulu, on veut encore faire de ce mot le synonyme de « signifier » , « figurer » . A priori, l’issue de la controverse ne paraît pas douteuse. Ceci est mon corps, » ainsi parle Jésus. Je crois que c’est votre corps, répondent les partisans de la présence réelle. Je crois que c’est la figure de votre corps, répliquent les adversaires de ce dogme. Il est facile de constater qui reste fidèle au sens manifeste des termes employés.

Wiseman, op. cit., a prouvé de la manière la plus saisissante que le langage de Jésus devait s’entendre au sens littéral. Certains objets, observe-t-il, sont symboliques par nature ; un portrait, un buste n’existent que pour représenter un homme. Si donc, montrant une statue de Platon, une pièce de monnaie frappée à l’effigie de Louis-Philippe, on dit : Ceci est Platon, ceci est Louis-Philippe, tout le monde coinprend que le verbe être signifie être l’image de. D’autres objets ne sont pas essentiellement et par eux-mêmes des symboles, mais le sont en vertu de l’usage : voilà pourquoi l’on peut dire, sans qu’aucune méprise soit possible : ce drapeau, c’est la France qui passe. Cette fois encore, le verbe être est évidemment synonyme de représenter. Enfin, certains objets ne sont des figures ni par définition ni en vertu d’une convention communément admise, mais en raison d’un choix spécial de l’écrivain qui avertit alors le lecteur de son intention. Ainsi Jésus raconte la parabole du semeur et la termine par ces mots : « Le champ, c’est le monde ; la semence, c’est la parole de Dieu. » La pensée n’est pas douteuse. Nous savons que nous sommes en face d’une allégorie. Le contexte nous oblige à donner au verbe être le sens de figurer.

Si, au contraire, un écrivain nomme un objet qui n’est pas, de par sa définition, un symbole ; si cet objet n’a jamais, en vertu de l’usage, servi à représenter une autre chose ; et si l’auteur ne dit pas qu’il hasarde une comparaiso : i, une image, une métaphore, si rien dans son langage ne permet de le supposer, on est obligé de conclure qu’il parle au sens propre, et s’il voulait employer une figure, il ne serait pas compris. Si quelqu’un dit, par exemple, en montrant une maison : Ceci est le citoyen, l’auditeur se demandera ce que signifie cette affirmation. Et lui répondra-t-on : Vous compreniez qu’une statue était Platon ou Louis-Philippe ; que le drapeau était la patrie, que la semence était la parole de Dieu, admettez aussi qu’une maison peut représenter un citoyen ? Mais depuisquand en est-il ainsi ? répondra cet interlocuteur surpris. Et si on lui dit : Il en a été ainsi pour la première fois quand j’ai parlé et en vertu de mes paroles, il répliquera : Il fallait alors m’avertir.

Or le pain et le vin ne sont pas essentiellement, par nature, des symboles du corps et du sang d’un homme, du corps et du sang de Jésus. Aucune convention, aucun usage antérieur ne les a désignés comme images de ce corps et de ce sang. Jamais le Christ n’a recouru à ces deux éléments pour représenter son corps et son sang. Et ici, il ne dit pas, il ne laisse pas entendre qu’il emploie une image, qu’il recourt à une comparaison. Donc, il est impossible d’interpréter au sens figuré les mots : Ceci est mon corps.

Les adversaires de la présence réelle depuis le xiv »

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siècle jusqu’au xix" (voir, par exemple, A. Réville, Manuel d’inslniction religieuse, Paris, 1863, p. 250), ont recueilli dans l’Écriture un assez grand nombre de phrases dans lesquelles le verbe être signitte représenter. Wiseman, op. cit., les a fort longuement et très bien discutées. Il distingue trois classes de textes.

Dans le plus grand nombre des passages o’jjectés, être a pour sujet et pour attribut un substantif. Les sept vaches sont sept années. Gen., xli, 26, 27. Les dix cornes sont dix royaumes. Dan., vii, 24. Le champ, c’est le monde. Matth., xiii, 38, 39. La pierre était Jésus. I Cor., x, 4. Ce sont les deux alliances. Gal., iv, 24. Les sept étoiles sont les sept anges. Apoc, i, 20. n faut observer que toutes ces phrases diffèrent matériellement de celle que prononce Jésus à la cène. Dans toutes (sauf en apparence dans celle qui est tirée de l’Épître aux Galates), il y a un sujet déterminé et ce sujet est très différent de l’attribut, qui est très déterminé lui aussi. Un roi n’est pas une corne, une vache n’est pas une année. Deux objets matériels ne pouvant être identiques, le verbe être signifie ici représenter. Mais il n’en est pas nécessairement ainsi lorsque le sujet vague et indéterminé (ceci) tire de l’attribut sa signification : Ceci est mon corps. Le texte de l’Épître aux Galates ne fait pas exception. Nous lisons parfois en français : « Ce sont les deux alliances ; » le grec porte : « elles » , c’est-à-dire « Agar et Sara, sont les deux alliances. » Or, il est évident que ces deux femmes ne sont pas à la lettre deux alliances. Au reste, il faut examiner le contexte. Et nous savons par lui que, dans chacune des phrases citées plus haut, le verbe être a le sens de représenter. Joseph et Daniel interprètent un songe ; Jésus explique une parabole ; saint Paul, après avoir dit que la pierre était le Christ, ajoute : Tout cela était figure, et il déclare qu’il parle d’un rocher pneumatique, c’est-à-dire miraculeux ou prophétique. De même, on lit dans l’Apocalypse : Écris le mystère des sept étoiles. A la cène, rien n’autorise à penser que Jésus présente ou déchiffre une allégorie. Ni avant ni après les mots : Ceci est mon corps, ne figure un indice qui met sur la voie d’une interprétation au sens figuré.’Dans d’autres phrases invoquées pour les partisans du sens spirituel, le verbe èlre a par sujet le pronom / ?, pour attribut un substantif : je. suis la i orte, Joa., x, 7 ; je suis la vraie vigne. Joa., xv, 1. Mais cette fois eacore, le lecteur est éclairé par le contexte. Des séries d’explications montrent comment Jésus est une porte ou une vigne ; au contraire, à la cène, pas un mot pour expliquer comment du pain est son corps, et l’argument invoqué contre l’emploi abusif des textes précédemment cités revient à l’esprit : il est évident que Jtsus ne peut pas être au sens littéral une porte, une vigne. Le Christ dit donc en réalité : je ressemble à une porte. De même il s’est proclamé le pain de vie, Joa., vi ; et comme évidemment il n’est pas un morceau de pain, le lecteur de l’Évangile n’hésite pas à conclure qu’en cet endroit le Sauveur se compare à du pain ; il expliqnd’ailleurs le sens de son affirma tion. Mais les mois : Ceci est mon corps sont bien différents, et rien ne permet de voir en eux une figure.

Des rapprochements moins contestables ont été tentés entre les formules de la cène et deux phrases dans lesquelles le verbe être a pour sujet le pronom ceci, pour attribut un substantif : « Ceci est mon alliance entre moi et vous, » il s’agit de la circoncision, Gen., xvii, 10 ; Ceci est la Pâque de Jahvé. » Exod., XII, 11. Si l’on suppose que la première de ces phrases lignifie : Ceci, la circoncision, représente l’alliance, on ne peut s’en étonner, car le conlcxlo jiermct cette interprétation, cette affirmation étant suivie des mois : Vous vous circoncirez dans votre chair ri ce sera le signe de l’alliance entre moi et vous. Les récils de la

cène ne contiennent rien de semblable. Mais il est même permis de se demander si le verbe être a dan s ce passage le sens de figurer. La circoncision n’était pas seulement une image de l’alliance entre les enfants d’Abraham et leur Dieu, elle était le moyen par lequel elle s’effectuait et un monument qui en rappelait le souvenir ; en un certain sens, elle était l’alliance. Probablement enfin, le vrai sens du t. 10 du c. xvii de la Genèse est le suivant : « Voici l’alliance entre moi et vous : tout mâle parmi vous sera circoncis. » Et s’il en est ainsi, le verbe êlrc doit s’entendre au sens littéral.

L’affirmation de l’Exode, xii, 11, dont Zwingle faisait si grand cas pour combattre la doctrine de la présence réelle, ne peut en réalité rendre aucun service pour l’intelligence des paroles de la cène. Après avoir minutieusement décrit le rite de la manducation de l’agneau pascal, le texte conclut : « Ceci est la Pâque de Jahvé. » On pourrait admettre sans difficulté que, 1a phrase signifie : ceci représente la Pâque de Jahvé ; les cérémoiiies qu’il fallait observer en participant à l’agneau pascal disposaient les Juifs à voir dans ce rite une figure ; on lit même dans ce chapitre de l’Exode, un peu plus loin, 13 : « Le sang [de l’agneau] sera un signe en votre faveur. » Et nous savons que les Hébreux donnaient aux sacrifices le nom de la chose pour laquelle ils étaient offerts (le péché, le délit). Mais le sens de l’affirmation rapprochée par certains exégètes de la parole de Jésus peut être aussi : « Ceci, c’est-à-dire, ce rite ou ce jour est la fête de Pâque consacrée à Jahvé. » Le verbe être serait pris alors dans son sens littéral. On lit, en effet : « Le septième jour est le sabbat consacré à Jahvé. » Exod., XX, 10. « Demain sera fête en l’honneur de Jahvé. » Exod., XXXII, 5. « Quand vos enfants vous diront : Que signifie ce rite ? vous répondrez : C’est un sacrifice de Pâque en l’honneur de Jahvé. » Exod., xii, 26, 27.

Ce n’est pas seulement à l’aide de ces textes bibliques que les négateurs de la présence réelle ont essayé de soutenir leur sentiment. Ils ont observé que les Juifs, en mangeant les azymes, disaient : « C’est comme le pain misérable ; » et ils ont conclu que des personnes accoutumées à user de ces paroles devaient être portées à donner un sens figuré aux mots : Ceci est mon corps. Il faut se souvenir que de telles formules sont relativement récentes. Wûnsche, Neue Beilrâge zur Erlàuterung der Evangelien ans Talmud und Midrascli, Gœltingue, 1898, p. 232. Le traité Pesacliini du Talmud, qui décrit minutieusement les rites de la Pâque, ne laisse pas entendre que ces expressions étaient en usage. Mainionide est peut-être le premier témoin qui les signale. Ces mots d’ailleurs ne signifient pas nécessairement : « Ceci représente le pain mangé par nos pères au temps de l’alffiction ; » mais : « Ces azymes sont l’espèce de pain qu’ont mangé nos pères. »

Pour établir que le verbe êlrc a ici le sens de figurer, on a souvent soutenu que le syriaque et l’aramécn ne possédaient aucun mot qui signifiât représenter. Wiseman a définitivement établi le contraire. Horie syriacæ, dans Migne, Démonstrations évangéliqucs, t. xvi ; La présence réelle, diss. VU", ibid., t. xv, col. 1274 sq. Cf. Lainy, Disserlatio de Syrorum flde et disciplina in re eucharistica, Louvain, 1859. S’il y avait eu quelque équivoque dans l’original, le texte grec des Évangiles aurait dû la faire disparaître. D’ailleurs, dans le syriaque, l’araméen, il est très facile d’exprimer l’idée de « signifier » , « représenter » Wisem : in comiite en syriaque quarante-cinq termes capables de rendre celle pensée. Iinfin, il observe que les écrivains qui usent de celle langue donnent rarement au mot élre la signification de figurer, qu’ils le font seulement dans descas où une équivoque n’est 1030

EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ÉCRITURE

lOiO

pas possible, qu’ils entendent au sens littéral les mots : Ceci est mon corps.

Toutes ces explications seraient superflues, disent plusieurs critiques (Schœfer, Schmiedel) ; le mot est ne prouve rien, car Jésus qui parlait araméen n’a pas dû l’employer. Il a dit : Voici mon corps. Loisy, op. cit., t. II, p. 520. Si le fait était exact, avant d’avoir le droit d’en tirer une conclusion contre la présence réelle, il faudrait démontrer que les mots : Voici mon corps doivent s’entendre au sens figuré. Or cette locution, aussi bien que la phrase grecque : Ceci est mon corps, et pour les mêmes raisons, ne paraît pas pouvoir être entendue autrement qu’au sens littéral. Il faut aussi noter qu’en araméen la copule est peut très bien s’exprimer. En fait, la Peschito, la version syriaque sinaïtique et la curetonienne l’expriment (voir en particulier Peschito, Marc, xiv, 22, où l’idée est fortement marquée). Enfin le texte grec des Évangiles émane d’auteurs qui connaissaient l’araméen. Pour remonter à l’original et essayer de le reconstituer, le lecteur moderne est obligé de prendre pour point de départ de son travail la transposition qu’ils ont faite des mots prononcés par Jésus et il ne peut la rejeter que s’il démontre que la traduction a été un contresens : toute autre méthode serait arbitraire. Berning, op. cit., p. 99, 204-205.

La même expression, qu’il faut interpréter de la même manière, a été prononcée sur le vin. « Jésus prit une coupe, » disent les deux évangélistes. Elle contenait du viii, puisque, après l’avoir distribuée, le Christ affirme qu’il ne boira plus du jruil de la vigne. Landauer a démontré que les Juifs, avant le ixi’sièclene se servaient pas dans les repas religieux d’une coupe unique, mais que chacun avait la sienne. Monatsclirifl fiir Gottesdienst und kirchliche Kunsl, t. ix, p. 363. Cf. E. Mangenot, Les Évangiles synoptiques, Paris, 1911, p. 466-468. L’acte qu’accomplit ici Jésus se distinguait donc déjà d’une manière toute spéciale des rites d.’la Pâque et du kiddûs.

Saint Marc et saint Matthieu ajoutent que Jésus rendit grâces. Prononça-t-il une formule de remerciement semblable à celle qu’à la Pâque le père de famille récitait sur la première coupe : « Béni soit Dieu qui a créé le fruit de la vigne ? a Fit-il un appel spécial à la toute-puissance divine ? Lagrange, op. cit., p. 355. Prise en son sens propre, l’expression favorise plutôt le premier sentiment. Jésus donna la coupe et ils en burent tous, dit saint Marc. Le Maître les y avait positivement invités, selon saint Matthieu, en disant : Buvez-en tous. Ce dernier mot s’explique, « parce que d’ordinaire chacun avait sa coupe ou qu’on aurait pu la remplir dans l’intervalle. » Lagrange, op. cit., p. 355. Voir aussi Knabenbauer. Les théologiens catholiques ont conclu que le morcellement de ce qui était dans la coupe, c’est-à-dire du don divin, le partage du sang du Christ n’entraîne pas une diminution de ce don, une moindre participation pour chacun au sang de Jésus. Les deux évangélistes ne se préoccupaient pas du problème du mode de présence sacramentelle ; mais ils laissent entendre clairement que chacun des disciples reçut ce que Jésus voulait donner à tous, c’est-à-dire son sang. Et ainsi leur langage peut servir à démontrer que le partage du contenu de la coupe n’altère pas la réalité, l’intégrité du sang consommé.

Jésus dit d’après les deux premiers Synoptiques : Ceci est mon sang. Comme l’affirmation prononcée sur le pain, et pour les mêmes raisons, ces mots ne peuvent s’entendre qu’au sens littéral. Le contexte achève de le démontrer : Ceci est mon sang, celui de l’alliance, lit-on dans saint Matthieu et saint Marc. Beaucoup de manuscrits précisent et portent : de la nouvelle alliance. On peut admettre que cette épithète a été introduite sous l’influence des textes de saint Paul et de saint

Luc. « Ce n’est qu’une question de nuance et le texte de Marc et de Matthieu n’est jias moins expressif. Si le sang de Jésus est le sang de l’alliance, il va de soi qu’il s’agit d’une nouvelle alliance. » Lagrange, lac. cit. Cf. Batiffol, op. cit., p. 47, 55. ►* Loisy, op. cit., t. ii, p. 523, suppose qu’il est fait allusion ici à l’immolation de l’agneau jiascal ; les Israélites qui le mangèrent et marquèrent leurs portes de son sang échappèrent au fléau de la mort, « les fidèles qui communient au corps et au sang de Jésus dans l’eucharistie reçoivent le gage de la vie éternelle. » Cette allusion n’est peut-être pas étrangère à la pensée ici exprimée ; mais elle ne semble pas au premier plan : le sang de l’agneau pascal ne scellait aucune alliance. L’affirmation conservée par saint Matthieu et saint Marc rappelle d’une manière plus saisissante le récit de l’Exode, xxiv. Moïse fait immoler des taureaux en sacrifices d’actions de grâces, répand une moitié du sang ^ur l’autel, asperge de l’autre le peuple en disant : Voici le sang de l’alliance, ’lîo’j TÔ aili.7. TY) ; Siaf)r ; xr, ;, paroles qui coïncident avec l’affirmation : Ceci est mon sang, celui de l’alliance, Toùto £(jTiv TÔ aij.a ij.o-j TÔ xr.ç ôia6v/.o ;. Lorsqu’on admet la présence réelle, tout s’explique à merveille. Jésus verse son sang sur la croix et le communique aux Douze pour s’unir à eux désormais. Et si on donne au mot Sia6f|/.^ le sens de testament (voir Heb., ix, 16), Jésus, en disant : Ceci est mon sang, celui du testament, annoncerait sans doute sa mort, mais aussi l’effusion de son sang. Heb., ix, 18, 22. Il est facile d’ailleurs de passer d’une idée à l’autre. Voir Gal., m. 15, 18. Que l’on voie dans les mots rapportés par les deux évangélistes une allusion à l’agneau, la fondation d’une alliance, la rédaction d’un testament, il s’agit ici de sang, de vrai sang, du sang de Jisus auquel participe le peuple. Telle est non seulement l’opinion des interprètes catholiques, mais celle d’un grand nombre de critiques indépendants. Or, Jésus a invité à boire ce qu’il offrait, les disciples ont bu ce qu’il leur présentait. C’est donc bien son sang que, d’après saint Matthieu et saint Marc, il leur a donné.

Le mot qui suit oblige encore davantage à admettre cette idée. Ce que présente Jésus, c’est son sang répandu, ce n’est donc pas l’image, la figure de ce sang. J. Réville a repris une vieille objection tirée de ce terme. Le mot èy.yjwôaevov est un participe présent. « Jésus ne parle pas « de son sang qui va être répandu, » mais n de son sang qui est répandu. » Or à ce moment son sang coulait encore dans son corps ; il ne peut donc pas s’agir de ce sang. » Op. cit., p. 110-111. « Ce sang est répandu, au présent, représentant le futur, quant à la réalité des faits, » répond Lagrange. Op. ci/., p. 355. Il observe aussi que dès la cène >< cette effusion est envisagée comme un sacrifice, et c’est en qualité de sang versé que le sang de Jésus figure dans la coupe. » Dès cet instant, le sacrifice est consommé, l’alliance scellée, les paroles de Jésus constituent une anticipation mystique du sacrifice de la croix. Des théologiens ont même essayé de démontrer par cet emploi du présent que la cène était un sacrifice. Peut-être faut-il dire aussi que la proximité de ce repas et de la mort de Jésus autorise l’emploi du présent, qu’â/.yjvvoij.svov représente l’imparfait sémitique et peut se traduire par le futur, que les rédacteurs des deux premiers Évangiles, écrivant à une époque où la cène était en usage, ont été tentés de mettre au présent le verbe qu’employa le Christ.

Enfin pour réfuter J. Ré ville, il suffit de lire les deux mots qui suivent : Ceci est mon sang, celui de l’alliance répandu pour beaucoup. Si on les rapproche de ces affirmations des mêmes évangélistes : « Le Fils de l’homme est venu… donner sa vie pour la rédemption de beaucoup, Matth., xx, 28 ; le Fils de l’homme est

venu… donner sa vie pour la rançon de beaucoup, » Marc., X, 45 ; si on se souvient de la mention de l’alliance, on doit conclure que le sang de Jésus est offert en sacrifice. Ce mot n’est pas prononcé, il est vrai ; mais comme le remarque un critique non suspect d’être influencé par la théologie catholique : « Les paroles évangéliques prises dans leur sens nature renferment ce que la tradition chrétienne n’a pas cessé d’y trouver : la notion de sacrifice attachée à la mort de Jésus et la commémoraison de ce sacrifice dans l’eucharistie. » Loisy, op. cit., t. ii, p. 522. Or, « dans un sacrifice, la victime, après avoir été offerte à Dieu, est l’aliment du fidèle qui participe au sacrifice. » Batiffol, op. cit., p. 56. Le Sauveur n’a pris du via que pour le distribuer, le faire boire par les convives ; ce viii, c’est son sang versé sur la croix ; donc c’est ce sang versé sur la croix que reçoivent les disciples.

Il l’a été pour beaucoup et non pas seulement pour vous. Ce mot montre que l’immolation de la croix ne doit pas profiter aux Douze, exclusivement. Il insinue donc qu’ils ne doivent pas seuls participer à la victime du Calvaire. Beaucoup n’est pas opposé à tous : il y a antithèse entre la mort d’un seul et le salut du grand nombre. Lagrange, op. cit., p. 256.

Saint Matthieu précise encore davantage la pensée : le sang est répandu pour beaucoup en rémission des péchés. Dans la loi antique, il y avait un sacrifice pour le péché et, affirme l’Épître aux Hébreux, ix, 22, sans effusion de sang, il n’y a pas de pardon. Cette expression favorise donc encore le sentiment de ceux qui voient dans la cène une participation véritable au véritable sang de Jésus immolé pour la rémission des péchés.

Après avoir ainsi donné le viii, Jésus ajouta, affirment les deux évangélistes : Je ne boirai plus du fruit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai nouveau dans le royaume de Dieu. Les préoccupations d’adieu, d’avenir brillant, ne sont donc pas absentes, mais elles sont à l’arrière-plan, et ce n’est pas par elles qu’on doit interpréter toutes les paroles et tous les gestes de Jésus à ce moment. Ainsi rapprochés du don de l’eucharistie, ces mots laissent entendre que la cène est le mémorial de sa mort, que le pain et le vin sont le gage du futur rendezvous et comme une promesse des bienfaits réservés aux disciples dans le royaume à venir.

On a essayé de voir dans cette déclaration un argument contre la présence réelle. Jésus dit qu’il ne boira plus du fruit de la vigne. Donc, après les mots : Ceci est mon sang, c’est encore du vin qui est dans la coupe. Il est aisé de répondre. Pour que.lésus à ce mome : il ait |)U dire : Je ne boirai plu-, du fruit de la vigne, il suffit que le contenu de la coupe soit en ai)parence du vin ; c’était du viii, d’ailleurs, une demi-minute auparavant. Li parole du Christ s’explique donc très aisément. Au reste, saint I.uc place cette déclaration du Seigneur avant les mots : Ceci est mon sang. On peut se demander si ce n’est pas lui qui a r.iison. Dans cette hypothèse, l’objection ne pourrait même pas être prési-iilée.

Les adversaires de la présence réelle ont souvent fait val’)ir un autre argtiment tiré de celle même paDie de.Jésus..1. Ré.ille 1 1 présente encore, op. cit., p. 111 : 1 Toute la description implique que.Jésus ma ige et boit avec ses disciples ; au ^. 29 de Matthieu, 25 de Marc, il dit : Je ne boirai plus désormais de ce prxluit de la vi.4 le jusqu’à l’avènement du royaume de Dieu. Si « i ce produit de la vigne, » c’est-à-dire le vin, est au ꝟ. 28 le sang de Jésus, il doit l’être aussi au t. 2’J. 0.1 abo.itirail ainsi à cette monstruosité que, d’après nos deux évangélistes, Jésus aurait mangé son propre corps et bu son))ropre sang. » lit J. Hévillc ajoute une objecti’in du même ordre. « Il est inadmi sible que Jésus, attablé avec ses disciples juifs, les ait invités à bDire du sang véritable, puisque rien n’était plus formellement interdit aux Juifs, et nous savons que les premiers chrétiens de Jérusak’m, y compris les apôtres, restèrent à cet é^ard soumis aux prescriptions de la loi juive. Les évangélistes, en tout cas l’auteur du premier Évangile, connaissaient parfaitement les prescriptions de la loi à cet égard. »

J. Réville suppose que Jésus a réellement bu à la coupe sur laquelle il avait prononcé les mots : Ceci est mon corps. Or, parmi les catholiques, comme parmi les critiques incroyants, la question est controversée. Goguel, op. cit., p. 81, se rencontre avec le R. P. I>agrange, op. cit., p. 356, pour afiirmer qu’on ne peut rien conclure du texte évangélique. Sans doute, au repas pascal, le maître de maison g tûtait au pain et au vin avant de les distribuer : mais saint Matthieu et saint Marc montrent dans les deux rites accomplis par Jésus des actes d’un caractère nouveau, dans les aliments distribués des mets qui ne sont plus seulement ceux de la Pâque antique : nous ignorons donc si Jésus y a participé. La réflexion eschatologique ne doit pas davantage être invoquée : peut-être sa vraie place estelie avant l’institution de l’eucharistie. Et pour que Jésus dise : Je ne boirai plus du fruit de la vigne, il n’est pas nécessaire qu’il porte au même moment la coupe à ses lèvres. S’il était établi qu’il a pris du pain et du viii, on ne pourrait rien en conclure. Saint Jean Chrysostome, saint Thomas d’Aquin et beaucoup d’autres grands chrétiens ont admis que Jésus avait mangé son corps, bu son sang. Le fait est mystérieux comme la présence réelle et ses conséquences, il ne l’est pas davantage. Et on ne saurait le taxer de monstruosité.

Inviter les disciples à boire du sang n’est pas davantage invraisemblable. C’était du vin qui, en apparence, leur était présenté. Ainsi, le préjugé du juif était ménagé. Toute répulsion lui était évitée. C’est sous une forme accessible, agréable, que le corps et le sang de Jésus étaient distribués. La chair ne devant pas être broyée, toute crainte d’antliropoph ; igie disparaissait. Les disciples se savænt auprès d’un Maître qui les avait maintes fois émerveillés, ils étaient habitués à le croire sur parole et à considérer comme licite ce qu’il leur conimandiit de faire. On comprend que saint Matthieu et saint Marc n’accusent chez les Douze aucun trouble, aucune hésitation, aucune répugnance. Quand, après de nombreuses années de fidélité à la loi, un.Juif se convertit au catholicisnu-, il n’éprouve aucune peine à communier.

En dehors du récit de la cène, on ne trouve chez saint Matthieu et chez saint Marc aucun enseignement précis sur l’eucharistie. Beaucoup de Pères, d’exégètes, d’écrivains catholiques ont vu dans les multiplications des pains par Jésus, Marc, vi, 3’) 14 ; VII, 1-10 ; Matth., xiv, 13-24 ; xv, 32-39, des figures du don de son corps et de son sang. C’est aussi la pensée de plusieurs critiques non croyants. Loisy, op. cit., 1. 1, 1). 937 ; Goguel, op. cit., p. 190. Il est permis de rapprocher cet épisode de la célébration de l’eucharistie, sans nier d’ailleurs la réalité hislorique du miracle. Jésus voulut-il, en accomplissant ce prodige, préparer les disciples à l’acceptation du pain de la cène ? Peut-être. Mais, comme le théologien ne sait pas d’une manière indiscutable à quelles circonstances précises de ce fait doit ître attribué un sens spirituel, la lecture de ces récits ne le renseigne)ias ou le renseigne peu sur l’eurharistie.

L’étude des textes de saint Matthieu et de saint Marc aboutit aux conclusions suivantes. Au cours de son dernier rejias avec ses disciples, dans lui festin probablement jiascal, mais par un geste tout particulier, Jésus donna aux disciples son corps à manger, sous les

apparences de pain (azyme ou fcrnieiité, nous l’ignorons), son sang à boire sous les apparences du vin. Il annonçait sa prochaine immolation et la valeur rédemptrice de ce sacrifice, ilinvitait les apôtres à participer à son corps et à son sang répandus pour beaucoup, il établissait entre eux et lui une alliance, alliance qui ne sera suivie d’aucune autre avant le banquet du royaume. Cette nourriture ne semble donc pas destinée à eux seuls, c’est d’ailleurs pour beaucoup qu’est versé le sang de Jésus. Et si l’on veut résumer d’un mot les effets attribués aux mets de la cène, on devra dire que les disciples furent conviés à une communion. Le rite nouveau est destiné à rapprocher aussi intimement que possible Jésus des siens, à faire passer en leur personne avec les bienfaits obtenus par la mort du Sauveur, son corps et son sang.

Comment le corps et le sang sont-ils présents ? Saint Matthieu et saint Marc ne le disent pas. Mais ils montrent qu’on peut diviser le vin entre plusieurs communiants sans priver l’un d’eux d’une partie du don. De quelle manière Jésus met-il sous le pain ce qu’il offre aux disciples ? La question n’est pas posée. Pourtant, pris dans leur sens obvie, les mots : Ceci est mon corps, ceci est mon sang laissent entendre que ceci n’est plus du pain, que ceci n’est plus du viii, que de ces deux substances restent seulement les apparences. Et si l’on cherche une formule pour exprimer la transsubstantiation, dans le langage courant, ordinaire, ces mots sont peut-être ceux qui le plus simplement et le plus clairement énoncent cette notion. Les protestants, qui ont enseigné que le pain et le corps de Jésus coexistent ou que le Christ s’incarne en quelque manière dans le pain, sont obligés de modifier ces paroles ou d’ajouter à leur contenu. Et l’on peut même dire que, parmi les théologiens catholiques, ceux qui, comme saint Thomas ou le P. Billot, repoussant toute autre idée, veulent expliquer la transsubstantiation uniquement par le changement du pain au corps de Jésus, paraissent être ceux qui conforment le mieux leur langage à rafHrmation évangélique : Ceci est mon corps. Entre ces mots et leur concept se place le travail de plusieurs siècles et se mesure la distance qui sépare une parole d’une théorie, mais l’équivalence est manifeste.

2. Saint Paul.

Le récit de l’institution laissé par saint Luc et celui de saint Paul sont apparentés. D’autre part, celui de l’apôtre est encadré dans des commentaires qui permettent d’en mieux saisir le sens. C’est pourquoi nous croyons devoir commencer par l’examen des Épîtres.

a) La manne et l’eau du rocher. I Cor., x, 1-4. — L’apôtre dit : Israël dans le désert reçut des dons magnifiques, néanmoins, parce qu’elle pécha, la génération sortie d’Egypte mourut sans avoir atteint la terre promise. C’est une figure, c’est-à-dire une leçon pour les chrétiens. Que celui qui est debout prenne garde de tomber, x, 1-14. C’est au cours de ce développement que saint Paul écrit : « 1. Je ne veux pas que vous ignoriez que nos pères ont tous été sous la nuée, ont tous traversé la mer, 2. et qu’ils ont tous été baptisés, ÈgaTtx’rravTo, en Moïse dans la nuée et dans la mer ; 3. qu’ils ont tous mangé le même aliment spirituel, TivEuij.aTizriv, et qu’ils ont tous b.i le même breuvage spirituel, car ils buvaient à un rocher spirituel qui les accompagnait et ce rocher était le Christ. » ’'si

Batiffol conclut qu’en cet endroit la nuée et la mer sont la figure du baptême, la manne et l’eau du rocher, celle de l’eucharistie. L’apôtre enseignerait qu*il ne suffit pas d’avoir reçu ces deux sacrements pour être sauvé. Op. cit., p. 4. Batiffol justifie son sentiment par les remarques suivantes : « Le mot de baptême est prononcé, l’eucharistie est désignée

clairement ; » l’adj’ctif s/)(r/7(/e/ a le sens de figuralil prophétique. Cette interprétation est admise par plusieurs critiques. De l’examen de ce texte ainsi entendu, on dégage plusieurs conclusions : l’eucharistie « réalise un type prophétiquement décrit dans l’Ancien Testament. » « Les éléments de la communion viennent… du Christ comme l’eau du désert coulait du rocher. » « Tous les clu-étiens prennent part à la communion. » Mais le pain et le vin ne préservent ni de la tentation, ni de la chute, ni de la perte du salut. Goguel, op. cit., p. 164, 166. Le baptême et l’eucharistie sont posés par saint Paul « systématiquement, sur le même plan, comme deux institutions essentielles de la communauté chrétienne, > Batiffol, /oc.c(7., institutions bien connues, et qu’il est possible, dans une lettre à des chrétiens, de désigner par simple allusion, en langage figuré. ! Mais plusieurs interprètes ont mis en doute cette [ interprétation. M. Mangenot, L’eucharistie dans saint Paul, dans la Revue pratique d’apologétique, 1911, I t. XIII, p. 35, observe que l’adjectif 71v£uaaii/.ôv, spirituel, n’a nulle part dans l’Écriture le sens de figuratif. (On trouve dans l’Apocalypse, xi, 8, l’adverbe iTVEU[jiaTixùiç, employé pour signifier prop/ié/igue/ncn<.) Ce mot veut dire en réalité miraculeux et désigne le caractère merveilleux de la manne et de l’eau du rocher. De plus, ce qui est présenté comme figure par saint Paul, ce n’est pas cet aliment, ce breuvage, c’est l’histoire des Israélites dans le désert : elle est la prophétie de ce qui arrivera aux chrétiens, s’ils tombent dans l’idolâtrie.

L’indéîision qui plane sur le sens de ce morceau ne permet donc pas d’en tirer avec certitude un enseignement sur l’eucharistie.

b) La communion au corps et au sang du Christ. I Cor., X, 15-22. — Saint Paul veut inculqær fortement aux Corinthiens la défense de participer aux banquets où l’on mange des mets sacrifiés aux idoles, il leur écrit :

15. Je vous parle comme à des hommes sensés : jugez vous-mêmes de ce que je dis. 16. La coupe de bénédiction que nous bénissons (to zot/vov t ? ;  : e :).-, -, ; » . ; ô £ :).oy’, ^ ;  ; jLEv) n’est-elle pas une communion au sang du Christ (.<c. ! vuv ; ii ; Tt.3 « ."j.v-To ; ) ? Le pain que nous rompons n’est-il pas une communion (xotvuvia) au corps du Christ ? 17. Puisqu’il y a un seul pain, nous sommes, étant plusieurs, un seul corps, car nous participons tous à un pain unique. 18. Voyez Israël selon la chair, ceux qui mangent les victimes (5 J ! j ; a ;) ne sont-ils pas participants à l’autel (xo.vuvoî t.j Ojjiccrcr.oi’oj) ? 19. Que dis-je donc ? Que l’idole est quelque chose ou que la viande immolée aux idoles est quelque chose ? 20. Non ; mais que les païens immolent à des démons et non à Dieu ce qu’ils ofîrent en sacrifice. 21. Or, je ne veux pas que vous soyez en communion avec les dénions (< : > vio/oj ; t.î-Saiiiovio )/). 22. Vous ne pouvez pas boire la coupe du Sei gneur et la coupe des démons ; vous ne pouvez pas prendre part à la table du Seigneur et à la table des démons. 23. Ou bien provoquons-nous la jalousie du Seigneur ? Sommes-nous plus torts que lui ?

Ainsi, saint Paul, pour exhorter à fuir l’idolâtrie, fait appel à la croyance des Corinthiens à l’eucharistie. Les affirmations qu’il avancj sur le corps et le sang du Christ lui paraissent si sûres, si évidentes, si bien connues de ses lecteurs, qu’il s’en sert pour prouver d’autres propositions. Ce qu’il leur dit du sacremeit, ils le savent donc déjà ; car il les invite à juger de la justesse de son raisonnement, 15 ; et il procède non par affirmation comme dans un exposé, mais par interrogatiojis, 16. Il ne rappelle sur l’eucharistie que ce qui est utile à sa démonstration ; en lait, il nous renseigne sur les éléments et sur l’effet principal du repas chrétien.

a. Les éléments : pain et coupe. — Saint Paul nomme d’abord « la coupe de bénédiction que nous bénissons. 1041 :

EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ÉCRITURE

1046

On ne peut en conclure qu’à Corinthe le repas commençait par la bénédiction et la distribution du vin. C ; ir le récit que saint Paul donne de la cône un peu plus loin indique d’abord le pain. Pourquoi la coupe est-elle donc ici mentionnée en premier lieu ? Est-ce parce qu’il y a un rapport plus saisissant entre les libations païennes et la distribution de vin eucharistique qu’entre la consommation de la viande des sacrifices et la participation du pain de la cène (Goguel, Heinrici ) ? Cette raison ne semble pas bien forte. Et il est plus naturel d’admettre que ce dernier élément a été nommé en second lieu, parce que saint Paul se proposait d’amener, 17, à son occasion une réflexion complémentaire (Bachmann, Mangenot).

Que signifient les mots : « la coupe de bénédiction que nous bénissons ? » Les avis sont partagés. Selon les uns, cette locution rappelle un rite de la Pâque juive ; une coupe, la troisième, était dite : Kos habberakia, coupe de bénédiction, et était accompagnée de la formule : Béni soit Dieu, créateur de la vigne. L’eucharistie ayant été instituée au cours du repas pascal, ce terme aurait désigné la coupe chrétienne (Godet, Scliœfer, J. Weiss). Mais, dit-on, saint Paul ne fait pas allusion au caractère pascal de la cène (affirmation contestable d’ailleurs), et le nom de la troisième coupe était « coupe de la bénédiction des viandes » . Puis, les mots que nous bénissons seraient un pléonasme. D’autres exégètes croient donc qu’ici euîogie signifie l’appel des bénédictions de Dieu sur le vin. Un assez grand nombre de passages de l’Écriture justifierait ce sens. Voir Goguel, op. cit., p. 145. La coupe de bénédiction que nous bénissons, c’est donc la coupe consacrée, celle à laquelle une prière liturgique solennelle a donné une valeur particulière en attirant sur elle la bénédiction de Dieu (Schnedermann, Goguel, Mangenot). Cette explication paraît meilleure, mais ne rend pas raison des deux mots : bénédiction que nous bénissons. Ne devrait-on pas l’unir à la précédente ? a La coupe de bénédiction » , ces mots seraient comme un nom propre tiré du rituel de la Pâque ; la suite « que nous bénissons » signifierait l’acte liturgique chrétien auquel le vin est soumis.

Par qui s’opère ce geste ? Saint Paul ne le dit pas ici. L’emploi de la première personne du pluriel ne permet pas de conclure que tous les chrétiens prononçaient sur la coupe la bénédiction. L’apôtre montrera plus loin dans la cène la répétition de l’acte du Seigneur : or, c’est Jésus seul qui distribua le pain et le vin après avoir dit : Ceci est mon corps, ceci est la nouvelle alliance dans mon sang. Ou bien le pluriel rappelle que l’acte est accompli au nom de l’assemblée chrétienne (Godet, Toussaint, Goguel), ou bien il fait allusion à la participation de tous au vin consacré (Schæfer, Mangenot) ; ou bien il signifie la coupe que nous, chrétiens, nous possédons par opposition aux idoiothytes des païens, aux victimes des sacrifices juifs.

L’apôtre parle ensuite du pain que nous rompons ; ce pain est unique, le même pour tous ; il est sur la table du Seigneur. La fraction est à la fois un geste caractéristique et une appellation technique de la cène chrétienne. En ce passage, saint Paul se contente de rappeler cet acte, il ne dit pas s’il lui attribue ou non un caractère symbolique.

b. Les efjels de la communion chrétienne, ] » /oiviDvfa.

— Dans un festin religieux, d’ordinaire il y a l’union naturelle entre convives, l’union vraie ou supposée avec le dieu cen.é présent au milieu de ses adorateurs, l’union avec la victime elle-même, véhicule de bénédictions. » F. Pral, Lu théologie de saint Paul, Paris, 1908, t. I, p. Ifil. C’est pour ces motifs que saint Paul défend aux Corinthiens de manger des viandes immolées aux idoles. Et il leur prouve que tel est l’effet

des banquets païens en leur rappelant ce que produisent les sacrifices juifs et ce qu’opère l’eucharistie. Renversant la comparaison de Paul, l’exégète peut à bon droit déterminer ce qu’est le repas chrétien en examinant ce qu’étaient les rites d’Israël et les festins religieux des gentils.

Le verset 17 : « Puisqu’il y a un seul pain, nous sommes, étant plusieurs, un seul corps, car nous participons à un pain unique » , semble étranger à l’argumentation. Pour ce motif, Schmiedel en a nié l’authenticité : opération injustifiée, nul n’a le droit de supprimer ce qu’il ne s’explique pas. J. Weiss supprime les premiers mots : « puiqu’il y a un seul pain, i M. Mangenot, loc. cit., p. 45-46, a fort bien montré que cette mutilation du texte n’est pas motivée. Ce verset doit être laissé tel qu’il est. On a dit qu’il était une parenthèse. Goguel, op. cit., p. 191. M. Mangenot y voit une explication complémentaire qui « n’était pas nécessaire sans doute à l’argumentation générale. .. Les personnes qui sont au courant de la manière d’écrire de saint Paul ne s’étonneront pas de cette addition. Sa pensée, riche en idées sur la communion eucharistique, se manifeste plus qu’il n’est rigoureusement requis pour la démonstration. Ne peut-on pas dire même qu’il y a là un considérant à l’appui de la défense de manger des idoiothytes ? Les chrétiens, parce qu’ils usent d’un même pain, forment un même corps religieux, l’Église. Saint Paul n’achève pas la comparaison, mais les lecteurs comprennent la conclusion : ceux qui mangent les mêmes viandes consacrées aux idoles constituent un même corps païen. Quoi qu’il en soit, ce verset indique un effet de l’eucharistie : les communiants, si nombreux qu’ils soient, appartiennent « à un corps spirituel unique, parce qu’ils communient tous à un même pain. » Mangenot, loc. cit., p. 47. La cène chrétienne est bien le sacrement de l’unité, le lien de la paix ; non seulement elle symbolise, mais elle produit la fusion des esprits et des cœurs ; elle fait des fidèles un seul organisme.

Et ce corps participe au corps du Christ. Il ne fait qu’un avec lui. C’est la conclusion qui se dégage de tout le passage, 16-22. Trois termes sont comparés. La coupe, le pain, la table des chrétiens produisent xoivrovi’a, communion au corps et au sang du Seigneur ; l’idolothyte, la coupe, la table des démons produisent vtoivwvîx, communion aux démons ; les victimes juives produisent xocvdivt’a, communion au OurnairTript’ov, à l’autel de Jahvé. Pour savoir ce qu’est l’eucharistie d’après saint Paul, il suffit donc de déterminer ce que sont pour lui les sacrifices des païens et des Juifs.

Il faut au moins admettre que la cène chrétienne met le fidèle en relation intime avec Dieu comme les victimes juives mettaient Israël en relation avec Jahvé et le sacrifice païen, les gentils avec les dénions. Saint Paul dit lui-même ce qui se passe chez les Grecs : ceux qui mangent les viandes immolées aux idoles « entrent en communion avec les démons. > Telle était, d’ailleurs, la pensée des païens. Les dévols serviteurs d’un dieu croyaient que les repas sacrificiels créaient une communion entre la divinité et ceux qui y particii )aient. Un lien de solidarité, de parenté s’établissait ou se fortifiait de la sorte entre le fidèle et le dieu.

Chez les.luifs, concept semblable. Paul l’affirme d’ailleurs et il le savait mieux que nous. Les Israélites qui mangent les victimes sont en communion avec l’autel. Sans doute, cette expression, la suite l’élahlira, prouve qu’lsmél participe à ce qui est offert dans le temple. Néanmoins, la phrase ne contient pas ce sens seulement, car, s’il en était ainsi, elle signifierait : ceux qui mangent les victimes I mangent les victimes. Saint Paul veut dire ici que le 4 on

EUCHARISTIE D’APRKS LA SAINTE ÉCRITURE

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Juif, eu orfrant un sacrifice, se rapproche de Jahvé, puisqu’il met quelque chose sur son autel. Une partie de la victime appartient à Dieu, une partie revient à ceux qui l’offrent, ils ont contracté alliance avec le Seigneur, ils se sont approchés de la table de Jahvé. Tous les historiens d’Israël admettent cette conception.

Il est facile de conclure : le chrétien qui mange le pain, qui boit la coupe du Seigneur, entre en rapport avec le Christ, est en communion avec lui. La cène ne symbolise pas seulement le repas d’adieu et la présence d’hier, le repas d’espérance eschatologique et la présence de demain. Elle est le mystère d’aujourd’hui. La coupe met en contact avec le sang du Christ, le pain unit au corps du Seigneur. L’eucharistie est une alliance, elle fait entrer en possession de la grâce obtenue par l’immolation de Jésus. C’est dans les banquets des sacrifices païens que les démons opèrent leur œuvre, c’est à la cène que le Clirist accomplit la sienne. Et c’est pourquoi, comme il est dit au y. 17, les fidèles forment un même corps : la vie coule de la tête aux membres et par là même, elle unit les rnsnibres entre eux. Cette conception de l’eucharistie s’harmonise avec l’ecclésiologie de l’apôtre. Rom., xii, 5 ; Eph., IV, 45 ; I Cor., xii, 12-30. Le baptême était la circoncision nouvelle, l’eucharistie est l’alliance nouvelle.

Mais cette première conclusion n’épuise pas la pensée de l’apôtre. Quoi qu’aient soutenu certains interprètes catholiq’es, Batiffol, op. cit., p. 18-19 ; Lemonnyer, Les Épîlres de saint Faut, Paris, 1909, t. I, p. 141-142, le texte de l’Épître oblige à conclure que le fidèle mange le corps du Seigneur et boit son sang. Mgr Batiflol l’a reconnu plus tard. Ibid., 30 édit., 1907, p. 16.

Siint Paul compare ce qui est mangé par les Juifs, par les païens, par les chrétiens. "Or les Israélites et les gentils consommaient ce qui était sacrifié, les premiers les victimes mosaïques, les seconds les idolothytes. C’est ainsi qu’ils entraient en rapport soit avec l’autel de Jahvé, soit avec les démons. Comment les chrétiens seront-ils en contact avec le Christ ? Par la manducation d’une victime. Et, saint___Paul l’enseigne, c’est le Christ qui s’est immolé pour le fidèle. Le sacrifice des chrétiens est celui du Calvaire, la chair et le sang qui mettent les Corinthiens en communication avec Dieu, c’est la chair et le sang de Jésus offerts en sacrifice. Le pain que nous rompons, la coupe que nous bénissons nous permettent donc de manger cette chair et de boire ce sang. Ainsi le veut l’analogie qui est l’objet de tout ce développement.

Et les mots qu’emploie saint Paul confirment cette argumentation. Le pain est une y.oivwvca, une participation au corps du Christ ; la coupe est une /.otviovtoc, une participation au sang du Christ. Ainsi, l’élément lui-même est l’union, la constitue : on ne dit pas qu’il la symbolise ni même qu’il la produit, il l’est. Et ce qui ajoute à la force de cette remarque, c’est le soin avec lequel saint Paul semble ici avoir choisi ses mots, nuancé sa pensée. Il montre sans doute une analogie entre les trois rites, juif, païen, chrétien, entre les trois y.orji.rr.a ou communions qu’ils opèrent. Et cette comparaison est assez bien marquée pour que l’apôtre puisse construire son argument et déduire sa conclusion. Mais il se garde bien de parler dans les mêmes termes des effets produits. La manducation des viandes sacrifiées auxidoles fait entrer en communion avec les démons, prendre part à leur table. C’est encore ce langage qu’emploient les historiens de la religion grecque pour décrire l’action des mystères : la divinité est d’une certaine manière présente. Holtzmann, op. cit., t. ii, p. 184 ; Anrich, Das antike Mysterienwesen in seinemEinjluss auj das Clu-islentum, Gœttingue, p. 60 ; Chantepie de la Saussaye, Manuel

de l’insloire des religions, trad. franc., Paris, 1901. p. 565. Deux papyrus d’Oxyrhinque, qui eontieimenl des invitations à des festins religieux païens, sont un excellent commentaire de la parole de l’apôtre sur la lable des démons. « Charémon te prie de venir dîner demain à la table, si ; -/./.ei’vi, /, de Sérapis dans le Sérapeion ; » « Antonios, fils de Ptolemaios, te prie de venir dîner à la table, sî ; xlei/r, -/, du seigneur Sera pis, chez Claude, fils de Sérapion… » Grenfell etHunt, Tlie Oxyrinchus Papyri, Londres, 18911, t.i, n.llO ; t. iii, n. 523. La conception des Sémites est la même : pour s’unir au dieu, on verse le sang d’une victime qui sert de moyen terme et dont le sang remplace celui de l’homme et du dieu ; on est à la table de la divinité, on partage avec elle les mêmes mets. Lagrange, Études sur les religions sémitiques, 2e édit, Paris, 1905, p. 261. Quant à la manducation des victimes juives elle fait entrer, dit saint Paul, en communion avec l’autel. R’u-u n’est plus exact. Les chairs qu’on brûle sont la pari de Jahvé. Mais quelque chose de ce qui a été sur l’autel est remis aux fidèles, ils communient à l’autel. La transcendance de Jahvé est telle qu’on ne peut lui appliquer le concept païen : le juif ne manche pas avec lui, ne devient pas son convive, il reçoit quelque chose de ce qui lui a été offert, quelque chose qui vient de sa table.

Que dit l’apôtre au sujet des chrétiens ? Que l’eucharistie fait entrer en rapport avec Dieu, sa table, l’autel ? Pas précisément. Il écrit : Le pain n’est-il pas une participation au corps, la coupe une participation au sang du Christ ? Des nuances si bien caractérisées et si justifiées n’ont-elles pas leur raison d’être ?Un langage si précis ne doit-il pas être entendu au sens littéral ?

Cornely, Commentariiim in /a™ ad Cor., Paris, 1890, p. 293, propose un dernier argument. Pourquoi les fidèles forment-ils un seul corps ? Parce qu’ils mangent un même pain. Or, il n’en est ATaiment ainsi que si cet aliment est le corps du Christ. Est-ce vrai ? Sans doute, lorsqu’on admet la présence réelle, on comprend mieux comment la manducation de l’eucharistie réalise l’unité entre la tête et les membres du corps dont Jésus est le chef. Voir plus haut. Mais, comme l’observe Batiffol, op. cit., p. 19, 1a parole de saint Paul pourrait s’expliquer même si l’eucharistie mettait seulement d’une manière morale en rapport avec le Christ qui est le même pour tous, partout et toujours. L’apôtre n’a-t-il pas dit ailleurs : il y a un seul corps et un seul esprit, un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, Epli., IV, 4-5 ; nous avons été baptisés en un seul corps, I Cor., xii, 13 ?

Contre l’interprétation littérale de nombreuses objections ont été faites. La chair et le sang n’ont pas de part au royaume. I Cor., xv, 50. Le Christ ressuscité est donc un esprit. Impossible d’admettre que saint Paul parle de la manducation de son corps. J. Weiss, Der ersle Korintherbrief, Gœttingue, 1910, p. 257-258. Il faut répondre que le mot de l’apôtre ici invoqué est emprunté à un long développement, xv, 35-57, destiné à établir avec force explications, preuves, comparaisons, non pas qu’après la résurrection, il n’y aura plus de corps, mais que notre chair sera incorruptible, glorieuse, pleine de force, spirituelle. Jésus est l’exemplaire, le type des ressuscites, il a donc un corps, mais pourvu de ces qualités et glorifié. Voir E. Mangenot, La résurrection de Jésus, Paris, 1910, p. 154-166. Et c’est cette chair à laquelle fait participer l’eucharistie.

L’union par la cène, dit encore M. J. Weiss, est superflue. Déjà, d’après saint Paul, le baptême incorpore au Christ. Les partisans de la présence réelle ne le nient pas, ils constatent seulement que le langage de l’apôtre sur ces deux sacrements est diffé

rcut : l’un unit étroitement à Jésus ; l’autre, et c’est à lui seul que cet effet est attribue, fait communier au corps et au sang du Seigneur.

Ces mots n’impliqueraient-ils qu’un simple rapprochement, une juxtaposition du fidèle avec le Christ semblable à celle dont parle ailleurs l’apôtre ? I Thess., IV, 17 ; Phil., I, 23. J. Weiss, loc. cit., l’affirme, car, icrit-il, tel est souvent dans le Nouveau Testament le sens du mot /.oi^jonioi. : il désigne la cohabitation, la collaboration. Act., ii, 42 ; Gal., ii, 9 ; Rom., xv, 26 ; Phil., I, 5. Saint Paul voudrait dire que le communiant est à la table da Seigneur, à ses côtés, comme le païen est à la table des démons, auprès d’eux. Mais [irécisément, ces remarques ne font que souligner la valeur de l’argumentation des partisans de la présence réelle. Dans tous les passages cités par J. Weiss, il n’est question que d’être avec Jésus ; dans aucun, il n’est parlé de communion à son corps, à son sang. L’expression ici rencontrée est toute particulière, le sensest donc aussi tout particulier. Et des observations de J. Weiss, il faut conclure ce qui suit. Si y.oi/wvia signifie collaboration, cohabitation, le corps et le sang du Christ sont présents dans le communiant, agissent avec lui. Si la -/oivaivca aux démons est une juxtaposition entre les païens et eux, la /.oivwvia au corps et au sang de Jésus, c’est ce corps et ce sang mis à la portée du chrétien. Ailleurs, saint Paul parle de la y.oi/wvîa ToO TivEj^aToç, II Cor., XIII, 13 ; Phil., II, 1, de la xotva)v£a Tri ; ^it-eii) ;. Philem., 6. Et dans ces textes, il s’agit bien d’un don de l’esprit, d’une possession de la foi. Ici aussi, il faut admettre qu’il est question d’un don et d’une possession du corps et du sang de Jésus.

J. Weiss semble d’ailleurs avoir compris toute la force de ces arguments et saisi le sens complet de la locution qu’emploie l’apôtre, car il a éprouvé le besoin (le se débarrasser de ce texte gênant. Die Aufgaben der neulestamentlichen Wissenschaft in der Gcgenwart, (iœtlingue, 1908, p. 14. Il remarque avec raison le parallélisme des deux phrases :

Tô TioTïjpiov xf, ; e’J).OYia ; o vj).oyo)ii.V)

oCy xo : v(i>v£a toO a^iiaTo ; toC Xpiatov Ècttiv ;

Tov aptov ôv /.), (ù(j, ev

o-jyt y.rjtvojvî’a toû <7a>[j.aTo ;-o-j XoittoO in-vi :

Mais il a conclu à tort que la préoccupation du rythme a amené Paul à donner à la phrase une précision que n’avait pas sa pensée et à ajouter les mots corps et sang, alors qu’il songeait seulement à la communion du croyant au Christ. Cette affirmation est gratuite. L’emploi de ce procédé permettrait de retoucher tous les développements où l’on constate un parallélisme. Peut-on admettre que le souci du rythme ait pu décider saint Paul à modifier notablement sa pensée ou plutôt à dire ce qu’il ne croyait pas ? Et s’il avait spontanément créé la formule, ii’aurait-il pas opposé chair à sang, cette antithèse appartenant à son vocabulaire ? D’ailleurs, on peut supprimer les deux mots que J. Weiss croit surajoutes, et le parallélisme demeure. Enfin si saint Paul avait été préoccupé à ce point de la symétrie verbale, à la roupe de bénédiction que nous bénissons, il aurait dû opposer le pain de la fraction que nous rompons, (^f. Goguel, op. cit., p. 169 ; Ileitmullcr, op. cit., p. 26.

Le sens littéral doit donc être maintenu, la participation au corps et au sang, c’est la présence réelle. Et pourtant.cctte thèse semble entraîner une conséquence inadmissible, la présence réelle et matérielle de la divinité païenne, des dénions dans les viandes consacrées aux idoles. Plusieurs critiques ont fait aIoir cette objection. Sans doute, disent-ils, les faibles de (^orinlhe croyaient que les dieux étaient dans les idolothyles et qu’on les consommait en mangeant les

chairs immolées. Mais saint Paul condamnait cette interprétation puisqu’il autorisait les fidèles à acheter de la viande chez des bouchers païens suspects de débiter les chairs sacrifiées dans les temples ou de faire des invocations superstitieuses sur les animaux qu’ils abattaient. Le rite grec n’unit pas aux démons, mais à la coupe qui leur est offerte, à la table dressée en leur honneur ; en y participant, on professe qu’on croit aux divinités païennes, on fait un acte de foi idolâtrique. De même, par la communion, les chrétiens prennent part à une fête en l’honneur du corps et du scuig du Christ, participent non à ce corps et à ce sang, mais à la coupe et à la table du Seigneur, attestent leur attachement à Jésus mort pour eux. Clemen, Religionsgeschichtliche Erkldrung des ncuen Testaments, Giessen, 1909, p. 193-194. L’expl cation serait confirmée par le t- 22. Vous ne pouvez, dit saint Paul aux Corinthiens, boire la coupe du Seigneur et la coupe des démons, prendre part à la table du Seigneuretàla table des démons. Ce serait professer deux religions, servir Dieu et Bélial. Et c’est pourquoi, dit Goguel, op. cit., p. 172-173, le chrétien éclaire peut sans danger, lorsqu’il ne scandalise pas les faibles, manger, hors d’un repas sacré, des viandes consacrées aux idoles. Il ne croit pas à leur puissance, donc il est plus fort qu’eux, capable de les braver et d’exciter leur jalousie : au contraire, personne n’étant plus puissant que Dieu, conclut saint Paul, personne ne peut prendre part aux banquets sacrés des Grecs sans provoquer sa colère, 23.

Il faut noter d’abord que cette dernière explication est entièrement étrangère au texte. L’apôtre, pour détourner les Corinthiens des festins religieux des païens, leur écrit : « Allons-nous provoquer la jalousie du Seigneur ? Sommes-nous plus forts que lui ? » Mais il ne dit pas, il ne laisse pas entendre que si le chrétien a le droit de consommer en particulier, dans les repas ordinaires des idololhytes, c’est parce que, ne croyant pas à la puissance des démons, il est en étal de les défier impunément. Quant à l’objection assez spécieuse de Clemen, elle s’est attiré une double réponse.

Comme l’observe Lebreton, art. Eucharistie, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, Paris, 1910, t. I, col. 1566, « ce qui est comparé directement au sang du Christ, c’est l’idoloth.Nte. « Qu’on relise avec attention tout le passage ici étudié, il est évident que saint Paul oppose des rites et leurs eflets. Il établit une analogie ou plutôt une antithèse entre la table du Seigneur et la table des démons ; entre la coupe du Seigneur et la coupe des démons, 22, entre les victimes offertes à Jahvé, 18, les viandes immolées aux idoles, 19, le pain et le vin des chrétiens, 15. Quant aux effets, il les met aussi en parallèle, mais il désigne chacun d’un mot particulier, il ne prétend pas du tout que les conséquences des banquets païens, des sacrifices juifs, de la communion soient de tout point identiques, les premiers mettent en rapport avec les démons, les seconds avec l’autel, les troisièmes ai’cc le corps et le sang de.Jésus.

M. Mangenot, loc. cit., p. 206, observe aussi que dans le monde païen, « à l’idée d’un repas apprêté pour les dieux, se joint celle d’un repas où on mange le dieu. » Cf. Lictzmann, An die Korinther I, dans Handbuch zum neuen Testament, Tubingue, 1907, t. iii, p. 124125. « Dans un très grand nombre de religions, dit Goguel, on trouve… l’idée de la manducation du dieu, ou du moins, du divin, de quelque chose qui lui est consacré, dont il a pris possession et qui le représente. » Op. cit., p. 305. Beaucoup de critiques d’ailleurs sont si pleinement convaincus de l’existence et de l’universalité de cette croyance qu’ilsexpllqucnt par elle l’origine ou la dlffiision du rite chrétitn de la communion. Saint Paul ne discute pas l’idée que se

font les Corinthiens du sacrifice païen, mais il pari de cette notion pour les détourner de l’acte idolâtrique Il raisoinie ainsi : la communion chrétienne vous fait participer au corps et au sang du Seigneur et vous prendriez part à une cérémonie que vous considérez comme vous mettant en rapport avec la divinité, la faisant passer, ou plutôt, puisque l’idole n’est rien, faisant passer en vous les démons ? Vous ne pouvez pas, que vous soyez forts ou faibles, vous asseoir à la table du Christ et à la table païenne. Vous piqueriez la jalousie du Seigneur et vous vous exposeriez à de terribles châtiments. Mais, peut ajouter saint Paul sans inconséquence, « mangez de tout ce qui se vend au marché, sans faire aucune question de conscience, car la terre est au Seigneur et tout ce qu’elle renferme. Si un infidèle vous invite et que vous vouliez y aller, mangez de tout ce qu’on vous présentera sans faire aucune question de conscience. Si quelqu’un vous dit : ceci a été offert en sacrifice aux idoles, n’en mangez pas, à cause de celui qui vous a donné ce renseignement et à cause de la conscience. Je dis la conscience, non pas la vôtre, mais celle d’autrui. » I Cor., X, 25, 29. Ces autorisations s’expliquent sans qu’on nie la présence réelle : c’est dans les banquets religieux que l’homme croit s’unir à la divinité et s’unit, en effet, aux démons. Dans les repas ordinaires, rien n’est à craindre si ce n’est le scandale du prochain. La terre, tout ce qu’elle renferme, donc les aliments, sont à Dieu et non aux démons. Ceux-ci ne prennent pas possession à perpétuité de la viande qui a été sacrifiée aux dieux.

Toutes les objections déjà examinées portent sur le sens de la xoivwvi’a. A. Andersen, op. cit., -p. 8-12, 108-109 ; J. Réville, op. cit., p. 85, ne discutent pas la signification de ce terme, mais celle du mot corps. Au ; (’. 17, saint Paul dit des chrétiens qu’ils sont un seul corps ; ici, à n’en pas douter, l’apôtre parle du corps mystique du Sauveur, de son Église. Voir aussi Rom., xii, 5 ; I Cor., XII, 13, 27, etc. Donc au ꝟ. 16, le mot doit être entendu de la même manière. Le pain que nous rompons n’est-il pas une communion au corps du Christ, c’est-à-dire n’est-il pas une initiation à l’Église ? Si d’ailleurs saint Paul avait voulu enseigner autre chose, il aurait choisi le mot chair, ay.ç^l, qui seul s’oppose à sang.

Cette argumentation ne peut être admise. D’abord, le mot (7(.i[xa, corps, n’a pas partout dans les Épîtres le sens d’Église, il signifie parfois le corps historique. Rom., VII, 4 ; I Cor., xi, 24. Et si l’on accepte l’hypothèse d’Andersen et de J. Réville, que vient faire ici « la communion au sang du Christ ? » Ce dernier croit que le sang est conçu comme ce qui réalise l’unité du corps. Mais nulle part saint Paul ne dit de Jésus qu’il est le sang de l’Église ; il en est la tête. Le calice, suppose Andersen, serait le symbole de la nouvelle alliance et c’est à ce titre qu’il serait mentionné. Sans doute, saint Paul voit dans le sang versé sur la croix la conclusion d’une nouvelle alliance, mais il ne le présente pas comme le moyen d’initiation à l’Église : c’est au baptême qu’il réserve cette efficacité. Ici, saint Paul présente un argument à l’appui de sa thèse : le pain eucharistique fait de ceux qui le reçoivent un même corps chrétien, donc — et c’était la pensée des Grecs — -le festin religieux païen établit un lien religieux entre ceux qui s’y associent ; c’est une ! profession de foi païenne. EL c’est pourquoi saint Paul interdit toute participation des chrétiens au rite idolâtrique : il unit aux démons, 21 -22 ; il fait de ceux qui se la permettent un peuple païen, 17.

c) Le repas du Seigneur et sa reproduction dans les ssemblées chrétiennes. I Cor., xi, 17-34. — Saint Paul se propose de corriger les abus qui, depuis son départ, se sont glissés dans les assemblées chrétiennes à Corinthe. Il donne d’abord des règles sur la tenue des femmes à l’église, xi, 3-16 ; puis il réprime les dé sordres qui dénaturent le repas du Seigneur. Pour les combattre, il rappelle ses enseignements sur la dernière cène. Ainsi c’est occasionnellement, cette fois encore, qu’il parle de l’eucharistie. Il n’est donc obligé de dire que ce qui va à son but, il rappelle son enseignement antérieur.

17. En réglant cet autre point (la tenue des femmes), je ne vous loue point de ce que vous vous réunissez, non pour votre avantage, mais pour votre préjudice. 18. Et d’abord, j’apprends qu’il y a des scissions parmi vous quand vous vous réunissez en assemblée et je le crois en partie. 19. Car il est nécessaire qu’il y ait même parmi vous des sectes afin que les frères d’une vertu éprouvée soient connus parmi vous. 20. Lors donc que vous vous réunissez au même lieu, ce n’est plus le repas du Seigneur que vous mangez. 21. Car chacun, en se mettant à table, prend à part son propre repas et l’un a faim tandis que l’autre est iTe. 22. N’avez-vous donc pas des maisons pour y manger et y boire ? Ou méprisez-vous l’assemblée de Dieu et voulez-vous faire honte à ceux qui n’ont rien ? Que vous dirai-je ? Dois-je vous louer ? En cela je ne vous loue point. 23. Car j’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis à mon tour : que le Seigneur Jésus, la nuit où il fut livré, prit du pain, 24. Et ayant rendu grâces, le rompit et dit : Ceci est mon corps qui [est] pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. 25. Et de même [il prit] la coupe après avoir soupe, disant : Cette coupe est la nouvelle alliance dans mon sang, faites ceci toutes les fois que vous boirez, en mémoire de moi. 26. Car chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez ce calice, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il viemre. 27. Aussi celui qui mangerait le pain ou boirait la coupe du Seigneur indignement serait coupable du corps et du sang du Seigneur. 28. Mais que chacun s’éprouve lui-même et qu’ainsi il mange de ce pain et qu’il boive de cette coupe ; 29. car celui qui mange et boit sans discerner le corps mange et boit son jugement. 30. C’est pourquoi plusieurs parmi vous sont malades et infirmes, et un grand nombre sont morts. 31. Si nous nous examinions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés. 32. Mais jugés par le Seigneur, nous sommes châtiés afin de n’être pas condamnés avec ce monde. 33. Ainsi, mes frères, lorsque vous vous assemblez pour le repas, attendez-vous les uns les autres. 34. Si quelqu’un a faim, qu’il mange à la maison afin que vous ne vous réunissiez pas pour votre condamnation.

a. Les abus c Corinthe, 17-22. — Ce paragraphe donne déjà quelques renseignements sur la manière dont les Corinthiens croyaient pouvoir célébrer le repas du Seigneur. C’était dans une « assemblée chrétienne » , 17, 18, 22. Les frères riches et pauvres, 22, se réunissaient en un même lieu, 20. Mais de nombreux abus s’étaient glissés. Les habitudes des confréries païennes avaient envahi la communauté. On se partageait en groupes distincts, il y avait des scissions, 18, 19. Les fidèles se mettaient à table, sans s’attendre, 21, 23. Chacun prenait à part son propre repas, sans doute les chrétiens mangeaient à des tables séparées, 21. De la sorte, les riches ne partageaient pas avec les pauvres, 21. Les indigents étaient humiliés, ils avaient faim, 21. D’autres s’abandonnaient à des excès et s’enivraient, 21. Le repas chrétien devenait donc un repas banal qu’on aurait dû prendre dans sa maison, 22. Ces désordres sont graves. De telles réunions nuisent aux fidèles plus qu’elles ne leur font de bien, 17, elles sont un motif de condamnation, 34. Ce n’est plus le repas du Seigneur, 20, l’assemblée de Dieu est méprisée, 22. Cf. Toussaint, Les Épîtres de saint Paul, Paris, 1910, 1. 1, p. 367 ; Prat, op. cit., 1. 1, p. 167. Déjà, de ce simple exposé des abus, nous pouvons conclure que l’efficacité de la cène n’est pas indépendante des dispositions des fidèles, que l’eucharistie peut être utile ou nuisible selon les sentiments de ceux qui y prennent part et que sa célébration est, au sens le plus vrai du mot, un acte ecclésiastique.

b. L’eucharistie, 23-25. — A ces abus, l’apôtre oppose le repas du Seigneur tel qu’il fut institué et il

rappelle aux Corinthiens la narration de la cène qu’il leur a « transmise » , c’est-à-dire enseignée en les convertissant au christianisme.,

Et pour établir l’autorité inébranlable de ce récit, saint Paul déclare qu’il l’a reçu du Seigneur. Un grand nombre d’interprètes ont conclu qu’il croyait avoir eu connaissance des circonstances de l’institution de la cène, au cours d’une vision proprement dite (la plupart des anciens commentateurs, saint Thomas, Nicolas de Lyre, Cajetan, Estius, Corneille de la Pierre, des modernes catholiques, Bisping, Rambaud, Cornely, Le Camus, Toussaint, Jacquier, Prat, des protestants et des critiques non croyants, Bengel, Tholuck, B. Weiss, Godet, Lichtenstein, Wattench, Frankland, Seeberg, Goetz, Andersen, Percy Gardner, Bousset, Loisy, Lietzmann, Reitzenstein, etc.). Un grand nombre d’interprètes de toute école pensent, au contraire, que l’apôtre parle seulement d’une tradition qui remonte au Seigneur et dont il a été instruit par les communautés où il a vécu (Maier, Hehn, Batifîol, A. Schaîfer, Van Cronibrugghe, Berning, Mangenot ; Schnedermann, Goebel, Neander, Nôsgen, Schmiedel, Heinrici, Hoffmann, Clemen, Schultzen, Zahn, Bachmann, J. Weiss, Goguel, etc.). Certains commentateurs croient que saint Paul a été renseigné par la tradition sur l’ensemble des faits, mais qu’il attribue à une vision la connaissance de quelques détails, du caractère sacramentaire de la cène (Pfleiderer), de son sens profond (Haupt), de sa portée mystérieuse (Lebreton).

Pour déterminer la valeur du récit et rechercher si l’eucharistie remonte à l’apôtre ou à Jésus, il sera utile d’étudier plus loin les arguments mis en avant de part et d’autre. Ici, il sufRt à l’excgète de constater que saint Paul considère comme venant de Dieu, comme révélée d’une manière médiate ou immédiate sa doctrine sur l’institution de la cène.

C’est « dans la nuit où Jésus fut livré » que le Christ la célébra. Dans les trois Synoptiques, la prophétie de la trahison précède immédiatement le récit de la bénédiction du pain et du viii, et, dans le c. vi de saint Jean, la silhouette du traître est entrevue. Le . Seigneur Jésus » , en d’autres termes, Jésus, notre Dieu, < prit » d’abord du pain ; il « rendit grâces » , c’est-à-dire ou bien il prononça la prière en usage au début de tous les repas (mais alors pourquoi la mentionner spécialement), ou bien il récita la formule prescrite par le rituel pascal. Puis il rompit le pain. Cet acte lie prouve pas que Jésus ait employé des azymes. Le pain ne peut être distribué que s’il est partagé. Et le Seigneur dit : Ceci est mon corps. Sur le sens de ces mots, identiques à ceux que citent saint Matthieu et saint Marc, voir ce quia été écrit, col. 1935-1039. Et ce corps est « pour vous » . Cette phrase abrupte a été complétée dans certains manuscrits : ils portent rompu pour vous (sCDFGKLP, etc.). Certains Pères ou certaines versions ont lu : qui sera rompu ; qui sera livré pour vous. Communément, on tient aujourd’hui ces participes pour des gloses explicatives ajoutées à un texte primitif trop elliptique. Exprimée formellement ou non, l’idée est la suivante : le corps de Jésus est livre à la mort pour le salut de ses disciples. Si l’on rapproche ces mots de plusieurs passages du Nouveau Testament, si on les explique par ceux qui furent prononcés sur la coupe de l’alliance, on est oMigé de conclure qu’ils mettent davantage en relief la fonction rédemptrice du corps du Christ. On peut même se demander et on s’est demandé si, selon saint Paul, cette fonclion ridemplrice s’exerçait déjà en un véritable sacrilicc quand le Seigneur prononçait les paroles de la cène ou si la distribution du pain est seulement présentée ici comme une particip.’ilion anticipée à rimmolalion du Calvaire. Prat,

op. cil., t. I, p. 171. Le texte de saint Paul ne permet pas de résoudre la question. Mais ce qui est certainement affirmé, c’est que le corps du Christ sera sacrifié. Donc, il n’est pas question ici, comme l’a cru J. Réville, op. cit., p. 87, du corps mystique de Jésus. Le sang ne devrait pas être mentionné, s’il n’était parlé ici que de l’union morale des fidèles dans l’Église. Ce qui est mangé, c’est la victime immolée, c’est donc le corps matériel, l’organisme humain du Christ historique.

Après la distribution du pain, Jésus ajoute icFaites ceci en mémoire de moi. » Le repas du Seigneur est commémoratif, de par la volonté du Maître qui en a prescrit la répétition et fixé le caractère : telle est la pensée de saint Paul sur laquelle il reviendra deux fois encore. Certains protestants ont dit : Si l’eucharistie est un mémorial, elle ne contient pas le Christ ; on ne fait mémoire que des absents. Il est facile de répondre : La passion a eu lieu une fois pour toutes, l’eucharistie en perpétue le souvenir. Voir plus loin. La cène primitive est’passée ; on la commémore en la répétant. On fait mémoire de Jésus en l’invitant à être présent.

Bratke a proposé une traduction de ces mots qui en affaiblirait notablement le sens. Saint Paul prêterait à Jésus l’ordre de « faire ce pain en mémoire de lui, » c’est-à-dire d’en faire un mémorial de la personne du Christ. L’eucharistie ne serait qu’un symbole commémoratif. Si, à la rigueur, on peut entendre ainsi le verset 26 : Faites cette coupe en mémoire de moi, il n’en est pas de même des mots prononcés sur le pain. Le verset 24 porte : Faites ceci (neutre) ; or le mot pain est masculin et il n’a pas été prononcé par Jésus.’Av(iiJ.vi, (Ttv signifie d’ordinaire souvenir et non mémorial : c’est [j.vyi|j.ô<7Jvov qui d’ordinaire exprime cette dernière idée. La vraie traduction paraît donc être : Faites ce que je viens de faire et faites-le en mémoire de moi. Berning, op. cit., p. 110.

Sans heurter la grammaire, on a pu cependant proposer d’autres interprétations plus favorables encore à la présence réelle : Faites ceci, c’est-à-dire faites, produisez ce corps en mémoire de moi. Néanmoins, cette interprétation paraît moins naturelle. < Offrez ceci » en mémoire de moi, ont compris Andersen, op. cit., p. 13, 19 ; Gore, Tlie Ixdyof Christ, Londres, 1902, p. 315-318. Et cette explication affirmerait plus fortement encore le sacrifice et la manducation de la victime. Mais si ttoie’- a parfois ce sens dans les Septante, par exemple, Exod., xxix, 38, il ne l’a pas dans le Nouveau Testament et la tradition ne le lui a pas reconnu. Lebreton, toc. cit., col. 1565.

Saint Paul passe à la coupe. Jésus la distribue < après le souper » . Que contenait-elle ? De l’eau, suppose Harnack, op. cit., p. 137. Car saint Paul a écrit : « On fait bien… de ne pas boire de vin et de ne rien faire qui puisse être une occasion de duite pour un frère. » Rom., XIV, 21. Mais il nous apprend aussi qu’au repas du Seigneur, certains s’enivraient. I Cor., xi, 21. Le vin de la communion n’est pas impur : il devient le sang du Christ. Et son usage ne peut scandaliser personne : c’est à l’assemblée chrétienne qu’on le consonmic. Il n’y a donc aucun motif de croire que l’apôtre subslitucau vin mentionné par les Synoptiques un autre breuvage.

Jésus pril la coupe, rendit grâces et la distribua, en disant : « Cette coupe est la nouvelle alliance dans mon sang. « De l’aveu des interprètes, catholiques ou non, cette formule est en étroit rapport avec le récit de l’Exode, xxiv, 8, cité plus haut. Mo’ise asperge le peuple avec le sang des victimes offertes en sacrifice et dit : Voici le sang de l’alliance que le Seigneur a faite avec vous. La parole rapportée par saint Paul signifie donc d’abord qu’une nouvelle alliance sera scellée parle sang du Christ offert en sacrifice. Ô6

Donc, à tout le moins, d’après saint Paul, la coupe représente et rappelle cette immolation. « Quiconque était familier avec l’Ancien Testament pouvait-il comprendre l’alliance dans le sang du Christ, sinon en l’entendant d’une mort offerte en sacrifice ? » Stevens, The iheology of Ihe New Testament, ÉdimLourg, 1901, p. 132.

Mais là ne s’arrête pas la pensée de saint Paul. Il sait que la coupe de bénédiction est une participation réelle au sang du Christ, qu’au moment de l’institution de l’alliance mosaïque, le peuple fut arrosé réellement par le propre sang des victimes, il croit donc que la coupe de la dernière cène fut » une anticipation du sang répandu sur la croix, » Batiffol, op. cit., p. 8 ; que l’institution chrétienne n’ayant pas été scellée (lans du viii, la coupe n’aurait pas été cette nouvelle alliance si elle n’avait pas contenu le sang du Seigneur. Mangenot, loc.cil., p. 260. « Si l’on tient compte du parallélisme avec la première consécration : « Ceci Il est mon corps » qui semble exiger comme pendant : « Ceci est mon sang ; » si l’on se reporte aux paroles de l’Exode rappelées dans la formule ; si enfin l’on réfléchit que, dans tout ce contexte, saint Paul emploie indifféremment les locutions « boire le calice » et « boire le sang du Segneur » comme absolument synonymes, on n’hésitera pas à conclure que la nouvelle alliance dans le sanj équivaut au sang de la nouvelle alliance. » L’elTet est nommé pour la cause. Prat, op. cil., t. I, p. 170-171. Si le sang des taureaux du sacrifice mosaïque ne fut pas consommé par les fidèles, mais seulement versé sur le peuple, du moins y eut-il contact physique, union dans un véritable sang entre Jahvé et Israël. Et si, en raison de la loi mosaïque, le sang d’un animal ne devait pas être consommé sans sacrilège parles Israélites, au contraire, on ne pouvait, sans commettre un sacrilège plus épouvantable encore, jeter sur les disciples le sang du Christ. Les modes divers de participation à la victime s’expliquent précisément par ce fait que, dans l’un et dans l’autre cas, il s’agit d’un véritable sang : on ne traite pas de la même manière celui des animaux et celui de Dieu.

Peut-on aller plus loin et penser que la communion à la coupe sacrée était non seulement une participation au sacrifice de la croix, mais déjà un sacrifice ? La formule est trop concise pour qu’il soit possible d’en dégager avec certitude cette conclusion.

Après avoir distribué son sang, Jésus ajoute : « Faites cela, toutes les fois que vous boirez, en mémoire de moi. » C’est de nouveau l’ordre de réitérer la cène. Le Christ le répète, comme pour mieux affirmer que chacun des actes accomplis par lui doit être renouvelé, que la succession sera la même et que les rites auront une signification et une valeur identiques. Les mots « toutes les fois que vous boirez » ne prouvent pas qu’à chacun de ses repas le chrétien doit faire mémoire du Sauveur, car aussitôt après avoir rapporté ces paroles du Seigneur, saint Paul les commente ainsi : toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez celle coupe, vous annoncez la mort du Seigneur.D’ailleurs, le ^^ 25 pourrait se traduire ainsi : Faites ceci, c’est-à-dire ce que j’ai fait, chaque fois que vous buvez en mémoire de moi. Cette interprétation a pourtant le tort de porter atteinte au parallélisme qui doit rapprocher cette formule de celle qui fut prononcée après la consécration du pain. M. Goguel, op. cit., p. 153, a supposé que les mots : « chaque fois que vous buvez » s’expliquent par le fait que les Corinthiens ne prenaient du vin qu’au repas eucharistique, ce qui n’est ni nécessaire ni démontré. La recommandation de l’apôtre, qui paraît trop concise, s’explique fort bien : prononcée en ce moment, elle ne peut s’appliquer qu’à un repas semblable à celui qui se célèbre. Batiffol, op. cit., p. 10 ;

Mangenot, loc. cil., p. 261. La pensée est claire : la Pâque se célébrait une fois par an, la répétition de la cène pourra, devra avoir lieu beaucoup plus souvent, un nombre de fois indéterminé.

c. Recommandalions de saint Paul sur la célébration du repas du Seigneur, 26-34. — L’apôtre a maintenant le droit de conclure et de rappeler aux Corinthiens leurs devoirs. Sa pensée s’unit étroitement à celle du Maître dont il reprend et paraphrase la dernière parole : Le repas du Seigneur n’est pas un banquet vulgaire : chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez (ou annoncez, impératif) la mort du Seigneur. Saint Paul rappelle donc l’institution de l’eucharistie par le Christ et son caractère de commémoraison de la passion du Sauveur. Inutile de supposer, comme l’a fait Weizsacker, op. cit., p. 575, qu’un récit ou qu’un discours rappelait expressément à la cène chrétienne la mort de Jésus. C’est la répétition de l’acte accompli par le Christ la veille de sa mort, acte par lequel il faisait participer les siens à son immolation sanglante, qui est la vivante prédication du Calvaire. Et ce rappel se fera jusqu’à la parousie, jusqu’à ce que le Christ vienne. La perspeclive eschatologique est discrètement entrevue. Se souvenir des bienfaits de Jésus, communier à son corps et à son sang permettra d’attendre son retour.

Si tels sont le contenu et le sens du repas du Seigneur, sa profanation ne peut être qu’un crime très grave. Avec la plus grande énergie saint Paul blâme les abus commis à Corinthe dans la célébration du repas du Seigneur et indirectement, car sa phrase a une portée universelle, toute réception « indigne » de l’eucharistie.

Son langage paraît onfirmer la doctrine de la présence réelle. La plupart des catholiques, Viseman surtout, op. cil., col. 1286 sq., l’ont fort bien démontré ; plusieurs critiques non croyants le reconnaissent. « Celui qui mangerait le pain ou boirait le calice du Seigneur d’une manière indigne serait coupable du corps et du sang du Seigneur. » Le mot « coupable » , àvo’/oç, reus, a été rapproché par Batiffol, op. cit., p. 11-13, et Toussaint, op. cit., 1. 1, p. 373, d’une parole de Jahvé à Ezéchiel, iii, 18 : « Quand je dirai au méchant : « Tu mourras, » si tu ne l’avertis pas… pour lui sauver la vie, … je redemanderai son sang de ta main. » De même l’indigne communiant sera responsable du corps et du sang du Seigneur. Pour rejeter cette explication, il suffit de remarquer que le mot svo/o ; n’est pas dans le prophète et que l’idée rendue par lui n’a aucun rapport avec celle qu’enseigne l’apôtre. Celui qui j ar son silence laisse son frère mourir est responsable, telle est la pensée exprimée par Ézéc-hiel ; saint Paul ne dit pas que par sa négligence l’indigne communiant fait mourir Jésus.

En réalité, le mot v/oyo ;, littéralement lié à, est employé par le Nouveau Testament dans le sens de passible de, Matth., xxvi, 66 ; Marc, xiv, 64 (passible de la mort) ; Marc, iii, ’-9 (passible pour un délit). Et da ;.s saint Jacques, ii, 10, on lit : celui qui a péché contre un seul commandement est Ëvoy..-. responsable de tous, coupable envers tous. L’indigne communiant est donc lié au corps et au sang du Christ, coupable envers eux, passible du châtiment que mérilent ceux qui offensent ce corps et ce sang. C’est une expression semblable à celle qu’emploie le droit pour désigner le crime de lèse-majesté, reus majestatis, c’est-à-dire majestatis Isesse. Si l’eucharistie est une simple figure, un mémorial vide, l’expression s’explique beaucoup moins bien. Un crucifix est une image de Jésus ; celui qui le foule aux pieds commet une faute contre le Christ, mais dira-t-on qu’il insulte sa chair ? Un attentat à ce corps et au sang de Jésus

est un crime épouvantable, est-ce le mot qui convient pour dési’^ner la profanation d’un pain et d’un vin qui seraient seulement des symboles du Christ ? Go^îiiel, op. cit., p. 178, l’avoue : iBachmann observe avec raison que si l’apôtre dit coupable envers le corps et le sa ; < ? du Seigienr et non pas seulement coupable envers le Seigneur, c’est que pour lui le pain-corps et la coupe-sang sont réellement le Seigneur et non seulement des symboles. »

D’autres expressions de saint Paul appellent la même conclusion. L’indigne communiant, écrit-il, ne discerne pas le corps. S’appuyant sur la version éthiopienne, Spitta complète la pensée et croit pouvoir traduire : il ne discerne pas son propre corps, ne s’examine pas. Op. cit., p. 303, note 2. Mais, dans tout le morceau, il a été question du corps de Jésus et non de celui du fidèle ; saint Paul ne s’occupe pas ici des souillures qui’pourraient rendre mauvaise la célcliration de la réception du pain et du vin ; conçoit-on d’ailleurs qu’il ressuscite les impuretés légales de la loi mosaïque ?

Andersen, op. cit., p. 3-4, 47-52, admet que le corps dont il s’agit est bien celui de Jésus, mais il veut que ce soit le corps mystique. L’indigne communiant, c’est le Corinthien qui méconnaît l’unité de cet organisme, celui qui " méprise l’Église de Dieu » , comme le dit le y. -2. Ce sentiment se heurte à un fait ; partout, dans ce passage, Toiaa est opposé à a^V-a et désigne le corps matériel du Sauveur. Le v. 29, où se trouve l’expression discerner le corps, est parallèle au ♦. 27, dans lequel il est vraiment parlé de la chair et du sang réels de Jésus ; c’est donc à eux encore que s’applique la nouvelle recommandation. Force est de compléter mentalement du moins la parole de l’apôtre comme l’ont fait plusieurs manuscrits (>{, C, D, F, G, K, L, P, etc.) et versions par l’adjonction des mots ToC Kjp ; oJ : « celui qui ne discerne pas le corps du Seigneur. »

Selon Bitifîol, op. cit., p. 12, cette expression désigne « celui qui ne reconnaît pas ce qu’est l’eucharistie par rapport à la croix. » Assurément, puisque saint Paul montre dans le repas du Seigneur le mémorial de la passion, puisqu’il reproche aux Corinthiens de le dé igurcr tellement que ce caractère commémoratif disparaît, il présente l’indigne communion comme un oubli de la mort du Sauveur.."Mais cette idée n’est pas la seule qui soit présente à son esprit. L’eucharistie n’est pas pour lui qu’un rappel de la passion, elle est avant tout la participation au corps et au sang du Christ. Donc, ne pas discerner le corps, ce n’est pas seulement perdre de vue le rapport de l’eucharistie et de la croix, c’est aussi i.c jias traiter le pain comme le corps du Christ. Une formule très simple exprimera ces deux faces d’un même concept : ne pas discerner le corps du Seigneur, c’est ne pas apercevoir dans l’eucharistie le vrai corps immolé pour nous. Telle est, senible-t-il, la seule interprétation du mot de saint Paul qui rende plcinement compte de l’énergique flétrissure que l’apôtre inflige à la mauvaise communion. Mangenot, toc. cit., p. 265.

El il faut avouer aussi qu’une fols admise la présence réelle, le c lâtiment dont sont menacés les coupables se vériiie d’une manière plus littérale. Celui qui ne discerne pas le corj)S du Seigneur mange et boit son propre jugement. Il en est ainsi, dit IJatifloI, loc. cit., parce que ce chrétien indigne qui croit manger un aliminl commu i « va être responsable » du corps du Seigneur. Sans doute, mais comme la singulière locution (le l’apôtre s’iîxpliquc mieux encore si oi admet qu’elle signifle : le mauvais communiant mange et boit.Jésus, Juge des vivants et des morts.

Pour. : fTaiblir cette argumentation, des critiques ont souvent rapproché de ces menaces et de ces sévè DrCT. r » F. TllftOI, . CATIIOL.

rcs appréciations un texte de l’Épître aux Hébreux, X, 29, sur le péché d’apostasie : < De quel pire châtiment, lit-on, sera jugé digne celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, tenu pour profane le sang de l’alliance, … et qui aura outragé l’Esprit de grâce ? » Agir ainsi, c’est « crucifier de nouveau le Fils de Dieu et le livrer à l’ignominie, » vi, 6. C’est au sens métaphorique qu’il faut entendre toutes ces locutions. Il en irait de même des afilrmations de la P « Épitre aux Corinthiens sur l’indigne communiant.

Mais on doit se souvenir d’abord que la lettre aux Hébreux est une suite ininterrompue d’allégories et de comparaisons. Tout prépare à entendre au sens figuré les mots cités plus haut. Et les expressions choisies, bien que métaphoriques, désignent fort bien le crime du transfuge. Après avoir adoré Jésus, il le foule aux pieds comme auparavant il avait brisé les idoles, il tient pour profane et impuissant à se venger le sang dans lequel a été scellée son alliance avec Dieu, il outrage l’Esprit de grâce reçu dans l’initiation chrétienne. Au contraire, les mots « être coupable du corps et du sang du Seigneur « désignent assez peu clairement le mépris d’une figure de la passion ou de la personne du Sauveur. Et le langage de la lettre aux Corinthiens a quelque chose de particulier, c’est la mention du corps de Jésus. Sans doute, il est dit dans l’Épître aux Hébreux que l’apostat « foule aux pieds » le Fils de Dieu, qu’il le « crucifie » . Mais évidemment ces expressions ne peuvent s’entendre à la lettre. Le crime flétri est semblable à celui qu’on commettrait si on foulait aux pieds Jésus, à l’attentat dont furent coupables ses bourreaux. Ici, au contraire, les mots <i responsable du corps et du sa ; ig du Seigneur » ne s’expliquent pas iileinement si m ne les entend au sens littéral et rien n’empêche de le faire. Enfin, il est permis de se demander si l’Épître aux Hébreux eu ces passages ne désigne pas entre autres crimes la mauvaise communion ; et, s’il eu était ainsi, on s’expliquerait à merveille la similitude du langage. Le c. vi, ꝟ. 4, définit le coupable : « celui qui ayant été éclairé (initiation au baptême), ayant goûté le don céleste (eucharistie), étant devenu participant de l’Esprit (imposition des mains) est pourtant tombé. » Et la définition du c. X, V. 29, ne correspond-elle pas à la précédente ? Il s’agit de celui q.ii aura foulé aux pieds le Fils de Dieu (le baptême incorpore A Jésus), tenu pour profane le sang de l’alliance (eucharistie), outragé l’Esprit (imposition des mains). Ces rapprochements ne peuvent être tentés que timidement. Ils ne sont pas nécessaires d’ailleurs et les considérations iirésentées auparavant suffisent à montrer qu’il est impossible d’en a-^peler à l’Épître aux Hébreux pour justifier une explication au sens figuré du langage de la lettre aux Corinthiens sur les châtiments de la m.uivaisc communion.

Les destinataires auxquels saint Paul écrit avaient dû constater les suites terribles de leurs fautes. Heaucoup parmi les Corintliiens étaient malades et étaient morts, ce que la suite oblige à interpréter et ce que bon nombre de commentateurs entendent au sens littéral. Une punition salutaire avait atteint ceux qui, ne s’étant pas jugés eux-mêmes, c’est-à-dire n’ayant pas examiné avec quelles dispositions ils prenaient part au repas du Seigneur, avaient été châtiés par lui pour n’être pas condamnés avec le monde.

Saint Paul exige donc qu’avant de recevoir le corps de Jésus, cliacun <i’éproiive, %’examinc, se juge, 28, 31, et par conséquent se corrige, si c’est nécessaire, rectifie ses intentions et s i conduite, réprime ses fautes afin qu’elles ne soient pas réprimées par Dieu. Et précisant sa pensée afin d’att iquer plus (iir.ctement les abus constatés â Corinthe, l’apôtre ajoute : « Altendez-vous les uns les autres pour fireadrc le repas du

V. - 31

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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ECRITURE

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Seigneur. » Cette prescription affinne une fois encore le caractère ecclésiastique et fraternel de la cène chrétienne. Et la recommandation qui suit atteste que ce repas doit êlre religieux et sacré : « Si quelqu’un a faim, qu’il mangechez lui. « Ainsi seront évités les inégalités choquantes et les désordres plus déplacés en pareille circonstance qu’en toute autre. Saint Paul réglera les autres points quand il se rendra à Corlnthe. Il ne condamne donc pas l’habitude de célébrer l’eucharistie au cours d’un repas religieux pendant lequel a lieu la fraction et à la fin duquel se distribue la coupe (Batiffol, La leuze). Au contraire, il veut restaurer la cène chrétienne selon le type de celle que célébra Jésus la veille de sa mort, en faire disparaître tout ce qui aurait permis de la confondre avec les festins de sacrifices païens, les banquets religieux des confréries grecques. S’il avait voulu ne plus laisser subsister que les deux actes strictement eucharistiques, il n’aurait pas écrit aux Corinthiens : « Attendez-vous les uns les autres. » Tel était le sentiment général autrefois et encore très commun aujourd’hui. Toussaint, op. cit., t. i, p. 361-364 ; Mangenot, Zoc. cit., p. 268-269 ; Leclcrcq, art. Agape, dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, Paris, 1903, t. i, col. 784-785, et dans le Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, Paris, 1911, 1. 1, col. 880.

L’étude de ce qui est essentiel dans les recommandations de saint Paul ne doit pas faire négliger quelques expressions dites en passant, mais où se trahit sans doute sa pensée sur des problèmes qui sont alors à l’arrière-plan et ne seront expressément posés que plus tard. Il écrit : « Celui qui mangera le pain ou boira le calice du Seigneur indignement sera coupable envers le corps et le sang du Seigneur. » Des théologiens catholiques ont conclu que participer à un seul des deux éléments, c’est recevoir le Christ tout entier. S’approcher indignement du pain seulement, c’est profaner et le corps et le sang ; donc a pari la communion sous une seule espèce est efficace, suffisante. Saint Paul n’étudiait pas ces questions ; mais son langage pris à la lettre permet de les résoudre de cette manière. De même, pour décrire la communion, l’apôtre se contente de dire : on n’y discerne pas le corps du Seigneur, il ne parle pas ici du sang, parce que, semble-t-il, recevoir un des deux aliments, c’est participer pleinement à Jésus, d’une manière bonne ou mauvaise, selon les dispositions avec lesquelles on s’approche de lui.

rf) Les repas chrétiens d’Antioche. Gal., ii, 11-14.

Lorsque Céphas vint à Antioche, je lui résistai en face, parce qu’il était digne de blâme. En effet, avant l’arrivée de certaines gens de l’entourage de Jacques, il mangeait avec les païens ; mais après leur arrivée, il s’esquiva et se tint à l’écart par crainte des circoncis. Avec lui, les autres .Juifs usèrent aussi de dissimulation, en sorte que Barnabe lui-même se laissa entraîner. Alors quand je vis qu’ils ne marchaient pas dans le droit chemin de la vérité de l’Évangile, je dis à Céphas devant tout le monde…

Certains interprètes croient que ce texte parle d’un repas commun des fidèles, auquel pouvaient être admis des étrangers qui par là s’unissaient à la communauté, et que l’assistance des chrétiens d’origine juive à ce repas célébré par des païens d’origine n’allait pas de soi. Goguel, op. cit., p. 140. Il semble difficile de l’admettre, car il faudrait croire qu’il y avait alors, dans la même ville, deux célébrations du repas du Seigneur, l’une pour les Israélites convertis, l’autre pour les Grecs gagnés à l’Évangile. Impossible donc d’user de ce texte en faveur de l’eucharistie.

e) La cène à Troas. Act., xx, 7 sq. — Cet épisode appartient à la partie du livre des Actes où l’auteur dit « nous » et se donne ainsi comme un compagnon de saint Paul rapportant ce qu’il a vu et entendu.

C’était probablement en l’an 58. Allant d’Éphèse à Jérusalem, saint Paul s’arrête à Troas et y reste sept jours. « Le premier jour de la semaine, disent les Actes, nous nous assemblâmes pour rompre le pain. Paul, qui le lendemain devait s’en aller, entretint les disciples et son discours dura jusqu’à minuit. Il y avait plusieurs lampes dans la chambre haute où nous étions réunis… Paul rompit le pain et mangea, puis il reprit longuement la parole jusqu’au point du jour et il partit. » Ainsi, c’est un dimanche, le soir. La I" Épître aux Corinthiens demande aussi que les collectes pour les saints se fassent le dimanche. I Cor., xvi, 2. Les disciples de Troas sont réunis, il y a synaxe, ci-jr.- ; [i.i’itii-/ t(ôv | ;.aÛv-, Twv, 7, et c’est « pour rompre le pain » . L’assemblée se tient dans une chambre /faute ; Paul, qui doit partir le lendemain dès l’aurore, s’y est rendu avec ses compagnons. Il préside la réunion sans doute en sa qualité de fondateur de l’Église ou d’apôtre. Il parle, fait un discours. Vers le milieu de la nuit a lieu la fraction du pain. Saint Paul seul est cité comme l’ayant faite et « ayant mangé » . Le narrateur met en relief son acte de président de la cérémonie. Mais s’il a rompu le pain, il l’a distribué et les assistants l’ont goûté. La fraction du pain était-elle encadrée comme à Corlnthe dans un repas religieux ? Le texte ne nous l’apprend pas. Mais cette description trop courte suffit à montrer qu’il n’est pas question d’un festin pascal, des réunions pour prières et lectures auxquelles se rendaient les Juifs de la Diaspora et leurs prosélytes, mais de l’assemblée chrétienne telle qu’elle apparaît à Jérusalem au début du christianisme, aveclesquatreactes caractéristiques de la viedes premiers disciples ; l’enseignement d’un apôtre, ôt£a/T, , la communauté, /.ocvwvc’a, la fraction du pain, -/./.àdi ; ToO àpro-j, et sans doute les prières, Ttoorrs-jyT, . Cf. Leclercq, op. cit., col. 784 ; Batiffol. op. cit., p. 34-36 ; Goguel, op. cit., p. 142. L’assemblée « n’a pas encore de nom qui la nomme mieux que celui de fraction du pain, parce que ce geste essentiel est, sinon le tout, du moins le centre de la réunion. » Batiffol, loc. cit. « La coupe est sous-entendue. » Goguel, loc. cit. Voir cependant Th. Schermann, Das Brotbrcchen im Urctnistentum, dans Biblische Zeilschrifl, 1010, t. viii, p. 170-172. /) La fraction du pain sur le bateau. Act., xxvii, 35. — Pendant la tempête qui assaillit le navire sur lequel saint Paul prisonnier est conduit en Italie, l’apôtre exhorta ses compagnons à ne pas perdre courage et à manger. Il donna l’exemple. « Il prit du pain et après avoir rendu grâces devant tous, le rompit et se mit à manger. » Quelques témoins ajoutent : « et il nous en donna à nous aussi. » Berning, op. cit., . p. 162 ; Harnack, op. cit., p. 135, croient voir ici autre chose qu’un simple repas. Cette opinion n’est pas suffisamment motivée. Les mots devant tous ne suffisent pas à la prouver. Il est plus prudent d’admettre ce que suggère le contexte : saint Paul veut réparer ses forces et inviter ses compagnons de route à l’imiter. S’il prie avant de manger, rien n’est plus naturel : tout Juif pieux avait coutume de le faire. Voir Th. Schermann, loc. cit., p. 172-174.

g) L’Épttre aux Hébreux. — Récemment, un critique, O. Holtzmann, Der Hebrderbrief und das Abendmahl, dans Zeilschrifl fiir die neutestamentliclic Wissenschaft und die Kunde des Urchristentums, 1909, p. 251-260, a osé soutenir que l’Épître aux Hébreux combattait la pratique de l’eucharistie lorsqu’elle recommande aux chrétiens d’affermir leur cœur par la grâce plutôt que par des cdiments qui n’ont servi de rien à ceux qui s’y attachent, xiii, 9. Cette affirmation est irrecevable ; la fin de la phrase montre que les mets dont il est parlé ici sont ceux dont usaient les Juifs. I’s’agit des aliments purs ou des viandes des sacri

fices mosaïques. Cf. BatifEol, Revue du clergé français, 1° décembre 1909, p. 514-515.

Au contraire, le développement dans lequel se trouve ce verset a pu être invoqué en faveur de l’eucharistie ; car à la phrase exploitée par O. Holtzmann fait suite cette déclaration : « Nous avons un autel dont ceux-là n’ont pas le droit de manger qui restent au service du tabernacle. Car pour les animaux dont le sang, expiation du péché, est porté dans le sanctuaire par le grand-prêtre, leurs corps sont brûlés hors du camp. C’est pour cela que Jésus aussi, devant sanctifier le peuple par son sang, a souffert, hors de la porte, » XIII, 10-12. Ainsi le Christ a été offert en sacrifice expiatoire, sa mort salutaire est expressément rappelée ; mais n’est-il question que d’elle, /’awW est-il seulement la croix, manger n’est-ce que participer aux fruits de la passion ? Plusieurs catholiques n’ont proposé que cette interprétation. S. Thomas, Rstius, Stentrup, Oswald, Pohle, Renz. Voir t. i, col. 2576. Et il faut avouer que c’est celle qui s’accorde le mieux avec la doctrine générale de l’Épître sur le sacerdoce et l’offrande de Jésus, vii, 1 - x. 8. Pourtant les mots autel et manger appellent invinciblement l’attention du lecteur sur l’eucharistie, coupe de la nouvelle alliance qui fait participer au sang de la croix, et cette explication s’accorde fort bien avec l’enseignement de la l"’Épître aux Corinthiens. Aussi un bon nombre de catholiques et des protestants (Goetz, Rûckert, Westcott, Spitta) croient que, d’après l’Épître aux Hébreux, nous mangeons à la table du Seigneur la victime immolée au Calvaire, cf. Lebreton, (oc. cit., col. 1566, ou du moins que les mots très caracléristiques ici employés impliquent une allusion indirecte à l’eucharistie. Au contraire, J. Réville, op. cit., p. 70, et Goguel, op. cit., p. 218, croient reconnaître les chrétiens dans ceux qui restent au service du tabernacle et qui n’ont pas le droit de manger à l’autel nouveau ; ils concluent que, d’après l’Épître aux Hébreux, " les fidèles ne recueillent pas le Ijenéfice du sacrifice de la croix en prenant part à un repas. » Mais il est impossible de désigner ainsi les disciples de Jésus. Les chrétiens sont ceux qui sortent hors du comp.xiii, 13 ; qui n’ont pas ici-bas de cité permanente, xiii, 14, qui n’affermissent pas leur cœur p ; ir des mets inutiles, XIII, 9 ; ce ne sont donc pas ceux qui restent au service du tabernacle. J. Réville et Goguel sentent d’ailleurs combien leur sentiment est difilcile à soutenir : ils devraient logiquement conclure que l’auteur ignore ou combat l’eucharistie, l’existence d’un repas où les fidèles participeraient aux fruits de la passion. Or, ils reculent devant cette cosnéquencc et ils disent seulement qu’une pareille communion « n’est pas au centre des préoccupations de l’auteur, qu’elle n’a pas à ses yeux l’importance qu’elle a prise dans la suite. » Mais, ou l’argument qu’ils ont invoqué est bon, et alors, d’après l’Épître aux Hébreux, il n’y a pas de repas religieux associant les chrétiens à la victime du Calvaire, l’idée n’est pas seulement omise, elle est exclue, condamnée ; nubien l’objection de Réville et de Goguel est sans valeur, et la lettre oblige à voir dans la cène, sinon un sacrifice, distinct de l’immolation douloureuse, du moins, selon la conception paulinienne, une communion au sang de l’alliance versé en expiation sur la croix. Voir plus haut ce qui a été dit de Hcl)., x, 20( : o aî^a tr, ;, '>.a’)v/.r, :), et de Hcb., vi, 4.

Il) Conclusion. — La cène chrétienne d’après saint Paul n’est pas un repas ordinaire, même précédé de la prière : elle est un acte essentiellement religieux. Elle n’a riendccominun avec ksalfominabics banquets idolâtriques, et les festins en usage dans les confréries « rccques, éranes et thiases ; elle ne doit même pas être défigurée par l’introduction d’habitudes empruntées aux réunions profanes. Elle n’est ni la

Pâque dont elle diffère et par le menu et par la date de célébration, ni le kiddûs juif du vendredi dont elle se distingue par des rites particuliers, ni la réunion pieuse avec lectures et prières telle qu’on la constate chez les communautés juives de la Diaspora. Elle est un rite chrétien, exclusivement chrétien, bien connu, très important, une institution fondamentale, un geste fréquemment renouvelé, une action auguste et qui requiert de dignes dispositions. Elle peut être rattachée à un repas fraternel, mais ne se confond pas avec lui. Elle appartient au culte public, ecclésiastique.

C’est le renouvellement de la mort du Seigneur. Le soir, pendant la nuit, sans doute le dimanche, tous les fidèles du lieu ou de passage se réunissent ; peut-être choisissent-ils de préférence une chambre haute. Il y a un repas commun, et fraternel. On n’y vient ni pour apaiser sa faim, ni pour commettre des excès. Riches et pauvres mettent en commun leurs provisions, tous doivent former un seul groupe, les fidèles sont tenus de s’attendre les uns les autres. Il y a un président, c’est l’apôtre lorsqu’il est présent. Pendant le repas a lieu la fraction du pain. Le soin avec lequel les chrétiens reproduisent les circonstances les moins importantes du repas d’adieu, l’ordre donné par Jésus de réitérer les deux consécrations, obligent k penser que tout se passe comme l’a demandé et indiqué le Christ. Au cours du repas donc, celui qui tient la place du Maître bénit le pain, le rompt, le distribue après avoir dit sur lui les mots : Ceci est mon corps. A la fin du souper, il prend une coupe de viii, rend grâces, la fait circuler après avoir dit sur elle : Ceci est la nouvelle alliance dans mon sang.

C’est Jésus qui a institué cette eucharistie, ordonné formellement de la célébrer. Ce que saint Paul enseigne, ce qu’il dit sur ce sujet, il le tient du Maître hii-mêmc.ussi la cène chrétienne est-elle le repas du Seigneur qui se célèbre à la table du Seigneur avec la coupe du Seigneur.

Le dernier repas de Jésus avait été un banquet d’adieu, un festin funéraire où avait été annoncée sa mort et figurée l’effusion de son sang. La cène chrétienne commémore par ses rites et ses formules la fin bienfaisante du Sauveur.

La première cène indiquait, les cènes chrétiennes rappellent que par le sang de Jésus est scellée une alliance entre Dieu et son nouveau peuple, que le Christ fut une victime et sa mort un sacrifice.

Au repas que célèbre le Christ et dans tous ceux qui le reproduisent, les assistants sont invités ù participer à la victime, à s’approprier l’alliance et à entrer ainsi d’une certaine manière en rapport intime avec la divinité. Bien plus, le pain de la fraction, c’est le vrai corps, le vin de la coupe eucharistique, c’est le vrai sang de Jésus.

Et c’est jusqu’à ce que le Christ vienne que le rite annonce sa mort. Il fait oublier en quelque sorte son absence et permet de trouver moins long le temps qui sépare de son avènement.

Aussi est-ce un crime de prendre part à la Ci-nc comm : - à un repas ordinaire sans les dispositions requi’-cs. L’indigne communiant est coupable du corps et (lu sang du Seigneur, m : nme et boit sa condamnation, s’attire de redoutables châtiments. Avant de recevoir l’eucharistie, que chacun s’examine, se juge et se corrige. Après avoir goûté à la table et à la coupe du Seigneur, que nul n’excite sa jalousie, que tous renoncent à la table et à la coupe des démons.

3. Saint Luc.

a) L’institution de l’eucharistie. xxii, 1-20.

1. I, a ff’lo (les azymes qu’on appelle la I’îkiup approchait. (2-0. l’réliminaircs de la trahison.) 7. Arriva le

jour des azymes où l’on devait immoler la Pâque. 8. Jésus envoya Pierre et Jean : Allez, leur dit-il, nous préparer la Pâque afin que nous la mangions. 9. Ils lui dirent : Où voulez-vous que nous la préparions ? 10. II leur dit : Voici, à votre entrée dans la ville, viendra à votre rencontre un homine portant une cruche d’eau ; suivez-le, dans la maison où il entrera, 11. et vous direz au chef de la maison : Le Maître te dit : Où est la salle où je mangerai la Pâque avec mes disciples ? 12. Et celui-ci vous montrera une grande salle haute meublée, là faites les préparatifs. 13. Ils par. tirent et trouvèrent les choses comme il le leur avait dit et préparèrent la Pâque. 14. Et lorsque arriva l’heure, il se mit à table et les douze apôtres avec lui.

Pour les versets 15-20, à côté du texte courant, il existe d’autres types plus courts, qu’il sera nécessaire d’examiner, certains critiques se servant d’eux pour attribuer à la cène primitive un sens tout à fait différent

de celui que lui reconnaissent les récits des Synoptiques, sous la forme actuelle. Ce travail sera fait plus loin. Ici, puisque nous cherchons seulement quel est pour un catholique le contenu des Livres saints, quels arguments il peut employer lorsqu’il défend le dogme de la présence réelle contre des protestants conservateurs, nous devons examiner le texte courant connu sous le nom de texte long ou de texte alexandrin. Car il a droit à une très grande autorité non seulement parce que l’Église l’a adopté, mais aussi parce qu’il est attesté par tous les manuscrits majuscules, en dehors de D, par la plupart des autres et par des versions. Néanmoins, comme il sera bientôt nécessaire de comparer les divers textes, afin de ne pas citer deux fois la leçon longue, dès maintenant nous juxtaposons les diverses recensions :

1° TEXTE LONG

b’TEXTE

{Tous les majuscuîes, tous

2’TEXTE COURT

4’TEXTE

DE LA

les autres manuscrits et versions, à l’exception

D (codex Bezse) ;

.3 » TEXTE DE LA PESCHITO.

DE LA CURETONIENNE

VERSION SYRLQUE

de ceux qui sont citt’s

a. d, fr^ i, 1.

de b et de e.

    1. DITE DU##


DITE DU.SINA’l

dans les autres colonnes)

ou LUDOVISIE.NNE.

15. Et il leur dil : J’ai

15. Et il leur dit : J’ai

15. Et il leur dit : J’ai

15. Il leur dit : J’ai dé 15. Il leur dit : J’ai dé désiré d’un vif désir

désiré d’un vif désir

désiré d’un vif désir

siré d’un vif désir

siré d’un vif désir

manger cette Pâque

manger cette Pâque

manger cette Pâque

manger la Pâque avec

manger avec vous la

avec vous avant de

avec vous avant de

avec vous avant de

vous avant de souffrir.

Pâque avant de souf souffrir.

souffrir.

suuff’rir.

frir.

16. Carje vousdisqueje

16. Car je vous dis : je

10. Carje vous dis que

16. Car je vous dis que

16. Car je vous dis que

ne la mangerai plus

ne la mangerai plus

désormais je ne la

désormais je ne la

désormaisje ne la man jusqu’à ce qu’elle soit

jusqu’à ce qu’elle soit

mangerai plus jus mangerai plus avant

gerai plus jusqu’à ce

accomplie dans le

mangée nouvelle dans

qu’à ce quelle soit

qu’elle soit accomplie

que le royaume de Dieu

royaume de Dieu.

le royaume de Dieu.

accomplie dans le royaume de Dieu.

dans le royaume de Dieu.

soit accompli.

17. Et ayant pris une

17. Etayant prislacou »  »

Il

coupe, fait l’action de

pe, fait l’action de

grâces, il dit : Prenez

grâces, il dit : Prenez

ceci et partagez-le ceci, partagez-le-vous.

vous.

18. Car je vous dis que

18. Car je vous dis : dé »

A

i

je ne boirai plus désor sormais je ne boirai

mais du fruit de la

plus du fruit de la

vigne jusqu’à ce que le

vigne jusqu’à ce que

royaume de Dieu soit

le royaume de Dieu

venu.

soit venu.

19. Etayantprisdupain,

19. Et ayant pris du

17. Et ayant pris du

17. Et ayant pris du

17. Etayantprisdupain,

fait l’action de grâces,

pain, fait l’action de

pain, fait l’action de

pain, fait l’action de

fait l’action de grâces

il le rompit et le leur

grâces, il le rompit et

grâces, il le rompit et

grâces sur lui, il le

sur lui, il le rompit et

donna, disant : Ceci est

le leur donna, disant :

le leur donna, disant :

rompit et le leur don le leur donna, disant :

mon corps qui a été

Ceci est mon corps.

Ceci est mon corps

na, disant : Ceci est

Ceci est mon corps que

donné pour vous. Fai qui’est donné pour

mon corps [qui est]

je donne pour vous.

tes ceci en ma mé vous Faites ceci en

pourvous. Faites ceci

Faites ainsi en ma mé moire.

ma mémoire.

en ma mémoire.

moire.

20. Et [il fit] de même

18. Et [il fit] pareille 18. Et ayant pris une

18". Et après le souper.

[pour la coupe], après

ment aussi sur la

coupe, fait l’action de

ayant pris une coupe,

le souper, disant ; Cette

coupe après lesouper,

grâces sur elle, il dit :

fait l’action de grâces

coupe [est] la nouvelle

il dit : cette coupe [est

Prenez ceci, partagez sur elle, il dit ; Prenez

alliancedans mon sang

la] nouvelle alliance

le-vous.

ceci, partagezlevous.

qui est répandu pour

dans mon sang versé

18’. Ceci est mon sang,

vous.

Nota : Les manuscrits latins présentent entre eux de légères variantes.

pour vous.

19. Je vous dis que désormais je ne boirai plus du fruit de la vigne jusqu’à ce que le royaume de Dieu soit venu.

Nota. b ete omettent après la consécration du pain, les mots : Faites ceci en ma mémoire.

alliance nouvelle.

19. Car je vous dis que désormais je ne boirai plus de ce fruit jusqu’à ce que soit venu le royaume de Dieu.

1065

EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ÉCRITURE

1066

Dans le récit de Luc, le caractère pascal de la cène est fortement marqué. Il est expressément affirmé à six reprises (1, 7, 8, 11, 13, 15). Le repas que prend Jésus a une importance exceptionnelle : « J’ai désire d’un vif désir manger cette Pâque avec vous, » c’est un terme longtemps et très attendu. La cène est en rapport avec la passion : Jésus déclare qu’il prend ce repas avant de souffrir ; en rapport avec le royaume futur : la Pâque qui se célèbre est une figure de celle qui, plus tard, se réalisera pleinement ; deux fois cette perspective eschatologique est présentée (non seulement dans la leçon, courante mais dans toutes les autresrecensions, àl’exception de celle de laPeschito).

D’après le texte prédominant (et aussi d’après D, donc d’après tous les majuscules), Jésus prit d’abord une coupe, fit l’action de grâces et la distribua, disant : Je ne boirai plus du fruit de la vigne jusqu’à ce que le royaume de Dieu soit venu. Puis il prit du pain, fit l’action de grâces, le rompit et le donna à ses disciples, en disant ces mots (que contiennent toutes les recensions) : Ceci est mon corps, mots qui ont ici évidemment le même sens que dans saint Matthieu, saint Marc et saint Paul. Le texte courant ajoute : qui est donné pour vous ; nous avons signalé plus haut l’importance et la signification de formules semblables. Le sens est clair : « le corps de Jésus est livré à la mort pour le salut de ses disciples. » Loisy, op. cit., t. ii, p. 532. C’est la formule équivalente de celle que saint Luc emploie pour le sang : j7 est versé pour vous. L’idée de sacrifice est donc accusée à deux reprises. Par ces paroles, « Jésus s’assimile à une victime immolée, » avouent les critiques non croyants. Goguel, op. cit., p. 192 ; Loisy, op. cit., t. II, p. 522. Or, il n’a pas institué un sacrifice de pain et de viii, c’est donc son corps et son sang véritables qui constituent la victime ; et s’il en est ainsi, c’est son corps et son sang qu’il offre en nourriture et en breuvage aux disciples. Le sacrifice mentionné est-il celui de la croix ? Les participes présents (5 ; ôou.£vov, È/.yjvvo|x-vov), employés par saint Luc, attestent-ils qu’à la cène même, d’après lui, le geste de la consécration du pain et du vin constituent un sacrifice ? Beaucoup de théologiens catholiques et certains commentateurs ont choisi la seconde alternative. Rauschen, L’eucharistie et la pénitence, trad. franc., Paris, 1910, p. 34, note 1. Voirplushaut et art. AIesse. Après avoir consacré le pain, Jésus dit : « Faites ceci en mémoire de moi. » Puis il prononça sur la coupe des mots que déjà nous avons trouvés : les uns (cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang) dans saint Paul, les autres (qui est versé pour vous) dans saint Matthieu et saint Marc ; il est inutile de les expliquer de nouveau : ils attestent la présence i*éelle, l’institution de l’eucharistie par le Christ.

b) Multiplie ilion des pains, ix, 10-17. — Le récit de i-e miracle où les Pères et les écrivains chrétiens, sans mettre en doute la réalité du fait, ont souvent vu soit une figure de l’eucharistie, soit un prodige destiné à faciliter l’adhésion : iu dogme de la présence réelle, se trouve dans saint Luc comme dans les trois autres Évangiles. Voir plus haut. A noter l’identité absolue, dans les récits des trois Synoptiques, des mois (le la narration qui rappellent le mieux la cène :

Ayant pris les cinq pains et les deux poissons, et lyant levé les yeux au ciel, il prononça la bénédiction ri rompit les pains et il les donna aux disciples… Et tous mangèrent et furent rassasiés.

c) Les disciples d’Lmmaiis, xxiv, 13-35. — < Deux disciples étaient en route vers Kmmaiis… Jésus les joignit, mais… ils ne le reconnaissaient pas. > Ils rinvitèrent à rester avec eux. « Et il entra… Or, pendant fju’il était à table avec eux, il prit le pain, prononça une bénédiction, puis le rompit et le leur

donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent ; mais lui devint invisible à leurs yeux. »

Des exégètes catholiques anciens et modernes ont supposé que Jésus avait donné à ses hôtes le pain eucharistique. Certains critiques non croyants partagent ce sentiment. Goguel, par exemple, qui conclut que « la fraction du pain… apparaît » dans cet épisode « comme un signe de ralliement pour les chrétiens, » que « l’eucharistie était célébrée à chaque repas, » enfin qu’elle explique la nécessité de la mort du Christ et sa valeur. Op. cit., p. 193-194. Sans croire que Jésus ait « renouvelé » pour les disciples d’Emmaiis « le moment tragique de la dernière cène, » Loisy, op. cit., t. ii, p. 763, estime « que le souvenir de l’eucharistie » était « présent à l’esprit du narrateur. » Il tire même de ce fait des conclusions sur la manière dont se forma le concept de la cène. Voir plus loin.

En réalité, la narration ne dit pas si la fraction du pain à Emmaiis fut eucharistique. Loisy allègue « la solennité de la formule. » Elle n’offre rien d’extraordinaire. Elle ressemble un peu à celle de la cène, mais elle omet ce qui est essentiel, les paroles de Jésus. Le récit dit qu’il rompit le pain : sans doute ce mot désigna chez les premiers chrétiens le geste eucharistique ; mais il continua aussi à signifier l’acte vulgaire de quelqu’un qui brise un aliment pour le partager. Le Christ bénit, i-y/.6-(r, ’j-, le pain, à la vérité ; mais cet acte n’est pas nécessairement sacramentel, les Juifs et Jésus l’accomplissaient toujours avant de prendre leur nourriture. Et l’ensemble du récit tend plutôt à démontrer qu’il ne s’agit pas ici de l’eucharistie. Jésus était présent, avait parlé, expliqué les Écritures, réchauffé le cœur des deux disciples dans le chemin, avant la fraction du pain ; ce n’est pas elle qui le rend présent. Sans doute, c’est au moment où le Christ fait ce geste qu’il est reconnu ; mais à cet instant même il devient invisible. La fraction cul pour effet non de donner le corps et le sang de Jésus, mais de les faire disparaître. C’est le contraire de l’eucharistie.

d) La fraction du pain à Jérusalem dans la communauté primitive. Act., ii, 42-47. — Saint [Lue décrit les mœurs^des premiers chrétiens de Jérusalem :

42. Ils.persévéraient dans la doctrine des apôtres, et dans l’union, et dans la fraction du pain, et dans les prières. 13. La crainte était en toute âme et il se faisait beaucoup de prodiges et de miracles par les apôtres. 44. Tous ceux qui croyaient vivaient ensemble et ils avaient tout on commun. 4.5. Et ils vendaient leurs propriétés et leurs biens et ils en partageaient le produit entre tous, selon les besoins de chacun. 46. Chaque jour ils étaient fidèles A aller en union d’esprit (ou ensemble) dans le temple et rompant le pain à la maison (ou de maison en maison), ils prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de cœur, louant Dieu.

Le V. 42 nous apprend que les convertis de saint Pierre persévéraient d’abord dans la doctrine des a]K*)trcs, c’est-à-dire sans doute coniiilétaient leur instruction en recevant l’enseignement des Douze. Est ensuite nommée la xotvojvi’a, c’est-à-dire les réunions (Lcclcrcq, art. Agape, dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne, t. i, col. 783) ; ou plutôt le fait de former un groupe religieux, une communauté unie par les liens d’une vive charité. Batiffol. op. cit., p. 35 ; Felten, Die Apostclgeschichte, Fribourg-en-Brisgau, 1892, p. 93 ; Fillion, La sainte liible, Paris, 1901, t. vii, p. 626 : Rose, Les Actes des apôtres, Paris, 1905, p. 27. Le contexte (44 et 45) oblige, en effet, à entendre en ce sens le mot « communion » . Les premiers chrétiens persévéraient aussi « dans la fraction du pain, >< c’est-à-dire dans l’eucharisLie, selon l’opinion de presque tous les exégètes catholiques et d’un

grand nombre de critiques non croyants (ces derniers font le plus grand cas de cette alTirmation ainsi entendue, lorsqu’ils essaient de distinguer les étapes d’une évolution de la cène). La Vulgate a même accusé davantage ce sens, en traduisant ainsi le grec : in communicatione fraclionis panis. « Les disciples persévéraient dans la participation à la fraction du pain. » (L’expression rappelle les mots -/.oivù)v ! a -coC (T(ô[xaTo ; ToO XptTToj la communion au corps du Christ.) Voir aussi la Peschito et la version saliidiquc. Enfin, les premiers chrétiens s’attachaient avec constance aux prières. L’article Taïç semble faire allusion à des prières spéciales qu’on associait à la célébration des saints mystères. Fillion, loc. cit. ; Leclercq, op. cit. On a observé que les divers actes mentionnés sont ceux qui étaient en usage dans les offices chrétiens : prédication apostolique, vie en commun, fraction du pain, prières. F. Probst, Liturgie der ersten Jahrhunderte, "Tubingue, 1870, p. 23, voit même dans la xotvMvia le repas fraternel ; et selon lui, la phrase du livre des Actes énumérait les quatre opérations de l’assemblée chrétienne, tels qu’on les retrouve à Troas. Voir aussi Batiffol, op. cit., p. 36. Le texte est-il aussi précis ? Il semble téméraire de l’affirmer. En tout cas, la fraction du pain semble bien désigner ici l’eucharistie.

La fraction du pain est encore mentionnée un peu plus loin, 46 : « Chaque jour, les disciples étaient fidèles à aller en union d’esprit (ou mieux ensemble) dans le temple et rompant le pain à la maison (ou de maison en maison), ils prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de cœur, louant Dieu. » Beelen, Fillion et plusieurs exégètes pensent qu’il ne s’agit pas ici de l’eucharistie, mais des repas ordinaires que les chrétiens pouvaient faire dans leur maison. Ces commentateurs s’appuient sur l’absence d’article devant le mot à’prov, pain, et sur le contexte : les fidèles prenaient leur nourriture avec joie. Pourtant il est difficile d’admettre qu’à un si court intervalle, la même manière de parler ait deux sens différents, et un bon nombre d’exégètes de toute école voient ici encore la fraction eucharistique. Batiffol, op. cit., p. 36, 37, pense que les versets 44-46 émanent d’une source judéo-chrétienne et présentent, sous une forme plus concrète, les données que le verset 42, de source paulinienne, aurait abrégées et rendues abstraites. Il voit dans cette phrase l’indication des deux habitudes qui caractérisent la vie religieuse des premiers chrétiens : la fréquentation du temple et la célébration de l’eucharistie. Ces deux actes leur donnent un bonheur paisible, que Luc décrit à l’aide d’une expression biblique connue : ils prenaient leur nourriture en joie et simplicité de cœur. Cette explication se heurte à une difficulté. La phrase grecque permet-elle de séparer ainsi les mots : « rompant du pain à la maison » de ceux qui suivent : « ils prenaient leur nourriture avec joie… » ? Goguel, op. cit., p. 129 ; J. Réville, op. cit., p. 95, et plusieurs commentateurs catholiques, Felten, op. cit., p. 98 ; Leclercq, op. cit., col. 783, croient, et à bon droit, ce semble, qu’il faut les rapprocher. Ce passage attesterait donc l’existence dans la communauté primitive d’une fraction du pain eucharistique faite au cours d’un repas simple et joyeux, accompagnée de louanges adressées à Dieu. Si la grammaire n’oblige pas absolument à préférer cette interprétation, le sens connexe des deux verbes voisins rompre le pain et prendre la nourriture porte à les réunir. Le texte du Cantabrigiensis favorise ce sentiment.

De ces deux versets, on peut conclure que la fraction ou l’eucharistie était célébrée dans la première communauté de Jérusalem ; que ce rite avait une très grande importance, puisqu’il est mentionné deux

fois dans une brève description de la vie chrétienne, qu’il n’était pas un geste profane et vulgaire identique à un usage d’un repas ordinaire, et sans doute qu’il était célébré comme il l’avait été par le Christ, au cours d’un repas simple et joyeux, terminé par des prières. C’est dans les maisons privées par opposition au temple qu’il s’accomplissait. Rien ne prouve que l’eucharistie ne comprenait pas la distribution d’une coupe. Jadis Corneille de la Pierre voulait conclure, de l’emploi des mots fraction du pain, que les laïques communiaient alors seulement sous l’espèce du pain ; aujourd’hui certains critiques non croyants estiment pouvoir se servir de cette locution pour affirmer que, primitivement, la coupe n’avait aucune place dans le rituel de la cène. Brandt, op. cit., p. 292 sq. Voir aussi Goguel, op. cit., p. 86, 130. C’est abuser du silence du livre des Actes. L’eucharistie est mentionnée ici comme appartenant au culte chrétien : le mot fraction la fait assez connaître au lecteur. Aujourd’hui nous disons : « Je me suis confessé, » ce qui signifie : « j’ai eu la contrition » et « j’ai reçu l’absolution. »

Cependant M. Schermann ne veut voir dans ces deux passages des Actes que l’habitude qu’avaient les premiers chrétiens de Jérusalem de prendre en commun leurs repas ordinaires. Das Brotbrechen im Urchristentum, dans la Biblische Zeitschrifl, 1910, t. viii, p. 162-170. Il me semble qu’il a raison pour le second cas (E..Mangenot).

4. Saint Jean.

Le quatrième Évangile, dans son récit de la dernière cène, ne rapporte pas l’institution de l’eucharistie. Ce silence a été exploite à tort par certains critiques désireux d’établir que le sacrement ne remonte pas à Jésus. Saint Jean n’a pas l’intention d’écrire une biographie du Sauveur. Il ne semble même pas que cet évangéliste se propose de compléter les Synoptiques, bien qu’en réalité il l’ait fait dans une certaine mesure. Son principal but est didactique et dogmatique : il écrit pour que ses lecteurs « croient que Jésus est le Christ, le Fils de Dieui et que, croyant, ils aient « la vie en son nom » , xx, 30, 31. Sa thèse est établie sans qu’il ait besoin de raconter l’institution de l’eucharistie. Au reste, cette narration était connue, ce sacrement était en usage, à l’époque où il rédigeait son œuvre. Enfin, au c. vi de son Évangile, il avait exposé la doctrine sur la communion, son contenu, ses effets, sa nécessité, il n’avait rien à ajouter. Puisque Jésus a promis de donner son corps et son sang, il a tenu parole. Saint Jean n’aurait pas raconté que le Sauveur s’était engagé à offrir sa chair en nourriture si, en fait, les chrétiens, ses contemporains et lui-même n’étaient pas persuadés qu’ils avaient reçu du Christ cet inestimable don. Cf. Lebreton, toc. cit., col. 1554 ; Calmes, op. cit., p. 375. Le quatrième Évangile atteste donc, à sa manière, l’institution de l’eucharistie par Jésus.

Les critiques non catholiques eux-mêmes n’attachent plus d’importance à ce silence de l’évangéliste. Quelques-uns d’entre eux, au contraire, croient apercevoir dans le récit johannique de la cène et dans les discours d’adieu des allusions à l’eucharistie. Loisy, Le quatrième Évangile, p. 704, affirme qu’o elle tient plus de place dans le quatrième Évangile que dans les Évangiles antérieurs où elle est expressément signalée ; » « son souvenir remplit tous les récits et discours de la dernière journée. » Ainsi, l’épisode du lavement des pieds est une allégorie qui « montre dans l’eucharistie un acte nécessaire de la vie chrétienne sans lequel on ne peut avoir part avec le Christ, c’est-à-dire sans lequel on ne peut être sauvé, un bain destiné à effacer les souillures contractées après le baptême. Goguel, op. cit.. p. 195-196. » Jésus, dans sa mort, s’est fait par amour le serviteur de l’homme ; l’eucharistie est le mémorial permanent de

ce service unique ; le lavement des pieds représente… et le service essentiel de Jésus et son mémorial. » Loisy, op. cit., p. 702-722. Lu bouchée de pain trempe ollerte à Judas et qui fait entrer en lui Satan, xiii, 26-27, est une allusion à la parole de Paul sur le communiant qui mange et boit sa condamnation. Loisy, op. cit., p. 728. L’ordre intimé au traitre de faire vite ce qu’il a à faire est une invitation à distribuer des aumônes et rappelle les actes de charité qui, chez les premiers chrétiens, suivirent la cène. Loisy, op. cit., p. 731. Le nouveau commandement d’amour plusieurs fois inculqué par Jésus au cours du dernier entretien, c’est, avec la recommandation de la charité, le précepte de l’ai/apé, c’est-à-dire de l’agape eucharistique, Loisy, op. cit., p. 736 ; le Paraclet promis, c’est l’Esprit de Jésus qui agit dans le baptême et l’eucharistie, par l’eau et par le sang. Loisy, op. cit., p. 753. « Je suis la vraie vigne, » dit le Sauveur ; cette allégorie correspond à la doctrine de Paul sur le sang du Christ ; l’eucharistie unit à celui sans lequel on ne peut rien, grâce à la présence duquel on peut tout. Loisy, op. cit., p. 762-764 ; Gogucl, op. cit., p. 197. La prière faite au nom du Seigneur et qui sera infaillible, XIV, 12-14, c’est surtout celle qui accompagne la cène, et qui est d’une manière spéciale prononcée en union avec Jésus. Loisy, op. cit., p. 750. L’oraison sacerdotale, xvii, 1-26, que le Sauveur adresse à son Père, en levant les yeux vers le ciel, est euchiu^istique, car elle ressemble étrangement aux prières de la Didaché : « Je me consacre moi-même pour eux, » affirme Jésus, xvii, 19, c’est-à-dire je me voue à la mort en victime expiatoire, « afin qu’ils soient eux aussi consacrés dans la vérité, » ajoutc-t-il, en d’autres termes, afin que le sang du Calvaire et de l’eucharistie les purifie de leurs péchés. Et à la fin de sa prière, le Christ demande à son Père la conservation de l’unité chrétienne, dans l’amour et par le sacrement de la charité. » Loisy, op. cit., p. 815.

Toutes ces conjectures paraissent hardies, la plupart de ces rapprochements ne sont guère justifiés. Quoi qu’il en soit, il est impossible de dégager de ces divers passages un enseignement précis et certain sur l’eucharistie. Nous n’oserions, de l’examen des c. xiii-XVII, tirer qu’une seule conclusion. Les paroles de Jésus à la cène, qui déjà répondent fort bien à la situation et au moment, se comprennent encore mieux si, au cours du dernier repas, lia institué leucharistie, présenté réellement aux siens son corps et son sang. Il donne un suprême témoignage d’amour. Illeur montre qu’une dernière purification est nécessaire. La trahison de Judas et le reniement de Pierre revêtent un caractère de gravité exceptionnelle. Le commandement de la charité ne pouvait être mieux placé : « Aimez-vous comme je vous ai aimés. > Jésus ne laisse pas les disciples orphelins ; lorsque le monde ne le verra plus, ils le verront. Ils connaîtront qu’il est en eux et eux en lui. Il est le cep, ils sont les rameaux, qu’ils lui restent unis. Grâce à lui, ils auront paix, calme du cœur et joie. Ils ne sont plus des serviteurs, mais des amis. Et la magnifique prière du Christ pour son œuvre, ses disciples et son Église acquiert une signification plus haute, se réalise avec une vérité plus saisissante si elle accompagne le don eucharistique. Aussi, les liturgies, ancienne et actuelle, ont-elles cherché dans ce discours d’adieu de Jésus des formules pour encadrer l’acte de la communion.

Les autres textes de l’Évangile de saint Jean, des Épîtrcs, de l’Apocalypse, où on a encore parfois voulu voir des allusions à l’eucharistie, suggèrent des rapprochements qui n’ont pas une grande importance. Il n’est facile ni de prouver ni de déterminer avec précision la portée symbolique que certains critiques attribuent à l’épisode des noces de Cana ; et si l’on cherche

une relation entre ce prodige et la cène, on ne peut dire avec certitude que ce que disaient déjà des Pères de l’Église : la transformation de l’eau aide à comprendre le changement du pain et du vin. L’eau et le sang qui coulent du côté de Jésus crucifié s’expliquent par sa mort et sont présentés avant tout comme un certificat de décès, une réalisation des prophéties, xix, 32-37 ; ceci admis, on peut croire aussi que l’eau et le sang sont des figures ; encore est-il difficile de pénétrer l’intention theologique ou mystique de l’auteur, en cet endroit, comme l’a bien montré Calmes. Op. cit., p. 445. Si toutefois on pense qu’il y a en cet épisode un symbole, on peut rapprocher le sang qui coule du côté de Jésus de celui que le fidèle est invité à recevoir comme un breuvage, vi, 53-56. S. Thomas, In Joa., c. xix, lect. v, n. 4, Opéra, Paris, 1876, t. xx, p. 340.

Du verset de l’Évangile on a rapproché l’aflirmation de la P’-' Épître, v, 6 sq. : « Ils sont trois qui rendent témoignage : l’esprit, l’eau et le sang et ces trois ne font qu’un, » car Jésus « est venu dans l’eau et le sang. » Encore qu’on puisse entendre ce passage du baptême de Jésus, de sa mort et de l’action qu’opéra en lui ou par lui l’Esprit, il n’est pas téméraire de penser qu’il est fait allusion ici aux deux sacrements dont saint Jean a raconté la promesse. Mais vouloir découvrir ici la preuve qu’il y avait en Asie-Mineure, à Éphèse, des chrétiens qui, acceptant le baptême d’eau, ne communiaient pas et ne croyaient pas au Saint-Esprit (ce seraient les disciples d’Apollo dont parlent les Actes, xix, 1 sq.) ; supposer que l’auteur, par son appel au témoignage del’Esprit, montre dans l’eucharistie un rite qui n’a pas été institué par Jésus, mais qui est " né dans l’Église sous l’influence de l’esprit, » Goguel, op. cit., p. 211, c’est mettre dans les textes ce qu’on veut y trouver. L’exégèse fait place à la divination. Voir dans la communion avec Dieu, i, 6, dont parle l’Épître, la participation au sang de Jésus, i, 7, dans la charité ou àyâirr, que recommande continuellement cet écrit la cène chrétienne, et transformer ainsi ce que tout lecteur non prévenu prendrait pour des conseils de morale en « instructions pour l’agape ou repas de communion, » Goguel, loc. cit., c’est jouer sur les mots, sans même respecter leur teneur, car il est parlé d’une manière constante dans l’Épître non seulement de l’agapé ou de l’amour de Jésus pour l’homme, mais de la charité du Père et de Dieu, pour nous et de l’affection que les chrétiens doivent se témoigner les uns aux autres. Enfin, les paroles de l’Apocalypse, iii, 20 : « Voici que je me tiens à la porte et je frappe : si quelqu’un entend ma voix et ouvre j’entrerai chez lui, je soupcrai avec lui et lui avec moi » ont pu être appliquées sans doute à l’eucharistie, mais s’expliquent aussi sans qu’on recoure à cette interprétation.

En résumé, les écrits johanniqucs ne nient pas l’institution par Jésus de l’eucharistie. L’Évangile l’affirme indirectement en rapportant la promesse et, s’il ne relate pas les paroles de la consécration, il présente un contexte qui s’harmonise avec elle.

5. Confirmation de l’interprétation catholique des paroles de la consécration. — Après avoir examiné les formules : Ceci est mon corps, ceci est mon sang, les partisans de la présence réelle présentent d’ordinaire l’argument suivant : Les enseignements que donnent les Évangiles sur la personne de Jésus, sur l’état d’esprit des apôtres, sur les circonstances de la cène, obligent à entendre au sens littéral les afiirmations du Christ. Cette preuve est évidemment de valeur nulle ou peu considérable aux yeux des critiques qui n’admettent ni la divinité de Jésus ni la véracité historique ni le caractère surnaturel des récils évangéliques. Mais le catholique qui ciierche dans l’Écriture 1U71

EUCHARISTIE D’APRES LA SAINTE ECRITURE

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la révélation, le controversisle qui démontre la présence réelle ù des protestants conservateurs peuvent user de ces considérations dont la force n’est nullement négligeable. Wiseman, op. cit., dans les Démonstrations évangcliqucs de Migne, t. xv, p. 1260 scj., les a fait valoir de la manière la plus saisissante.

Celui qui parle est Jésus arrivé à la veille de sa mort, à une des heures les plus solennelles de sa vie. Les dernières reconunaiulations d’un homme qui n’a pas perdu connaissance doivent être très intelligibles : car il se rend compte que bientôt il ne sera plus là pour les expliquer. Et Jésus n’est pas pour les Douze un étranger, ses disciples ont été traités par lui avec une extrême bonté. Le suprême adieu qu’il leur a adressé ne devait pas être une indéchifïrable énigme sur le sens de laquelle vingt siècles plus tard on discuterait encore. Comme le dit Julicher, ce qui vient d’une âme remplie d’émotion, de compassion et d’amour doit être clair et simple ; les énigmes sortent de la tête et non du cœur. Plus une explication des paroles de la cène est ingénieuse, subtile, compliquée, plus elle est suspecte de n’être pas la bonne. La plus haute sublimité et la plus grande simplicité ne s’excluant pas, les expressions si solennelles de Jésus à son dernier repas ont dû être immédiatement intelligibles pour les assistants. Et s’il en est ainsi, l’exégèse catholique, littérale est celle qui oflre les meilleures garanties, car elle aboutit au sens le plus sublime et le plus simple ; impossible de moins torturer les mots.

La solennité extraordinaire dont le Christ s’entoure insinue aussi que quelque chose de grand et d’inoui va avoir lieu. Pierre et Jean, les apôtres privilégiés, préparent le repas ; Jésus attend impatiemment cette Pâque. A la rigueur, ces détails peuvent être expliqués par les commentateurs qui n’acceptent pas le sens littéral, mais, à coup sûr, tout se justifie davantage si Jésus va se donner lui-même comme agneau pascal.

Il scelle de son sang une alliance, un testament. Ces actes ne peuvent être rédigés qu’en termes non équivoques. Le testateur, surtout s’il laisse quelque chose dont oa ignorait l’existence, indique sans figure ni ambiguïté ce qu’il lègue. S’il demande qu’en mémoire de lui on accomplisse un acte, il détermine avec soin son intention. L’ancienne alliance avait été conclue en des termes très clairs, Exod., xxiv : les conditions, les engagements, les avantages étaient bien stipulés. Et le legs qu’offre Jésus n’est pas facultatif : les disciples sont tenus de le recevoir ; l’union qu’il offre de sceller ne doit pas être repoussée. « Prenez, mangez, faites ceci en mémoire de moi, » telles sont les paroles du Christ. Elles commandent. Dieu ne donne pas des ordres dont on ignore le sens, son code n’est pas un recueil de métaphores. De même, lorsqu’il impose un dogme, il manifeste d’une manière suffisante quel assentiment il demande. Si les disciples sont tenus de croire à ce qu’affirme Jésus, il faut qu’ils sachent ce qu’il leur dit. Et si c’est un symbole que leur présente le Christ, il doit le leur faire savoir. Lorsque les Évangiles montrent le Sauveur instituant le baptême, donnant le pouvoir de remettre les péchés, conférant une autorité à ses disciples, ils emploient des expressions sur le sens général desquelles on ne se méprend pas.

Le quatrième Évangile atteste d’une manière spéciale que Jésus à la cène ne veut pas user d’images incompréhensibles. Interrompu maintes fois par ses disciples, il s’explique devant eux avec une extrême douceur. Il déclare qu’il ne veut plus user de paraboles, qu’il n’a plus de secrets pour eux, qu’ils sont ses plus intimes confidents. Les Douze eux-mêmes le remarquent : « Voilà que vous parlez ouvertement et sans vous servir d’aucune figure, » xvi, 29. Sans doute,

dans ce discours d’adieu, plusieurs allégories sont proposées, xiv, 2, 4, 6, 7 ; xv, 1 sq. ; mais elles sont données comme telles ou expliquées.

Les paroles de la cène, au contraire, ne sont précédées, accompagnées, suivies d’aucun éclaircissement. Dans un entretien inoubliable, le Christ avait promis de donner sa chair en nourriture, son sang en breuvage. S’il voulait instituer une simple figure, un mémorial de sa charité, de sa passion, de sa personne, de son Église, il devait bien se garder de dire aux Douze en leur montrant du pain : « Ceci est mon corps. » Car évidemment il leur laissait croire que son ancienne promesse se réalisait alors à la lettre d’autant plus qu’au même moment, il leur prodiguait les marques d’amour les plus étonnantes : consolation, promesse du Paraclet, don de paix, soin de leur corps, assurance de l’infaillibilité de leurs prières, garantie d’un prochain retour et pour chacun d’eux d’une place au ciel. Prendre un morceau de pain et dire : « Ceci est l’image de ma personne, mangez-le, » ce serait couronner d’une manière bien insignifiante une œuvre magnifique.

Encore, pour être ainsi compris, Jésus aurait-il dû parler autrement. Les apôtres ne sont pas des théologiens symbolistes du xxe siècle, pas même des philosophes. Ils appartiennent au menu peuple. Ils n’ont pas une notion précise de ce qui, pour être contradictoire, est impossible à Dieu. Le vulgaire et par conséquent les Douze considèrent le tout-puissant comme un être qui ne se heurte à aucun obstacle et dont l’action ne rencontre aucune résist ; uice. Pour l’oriental, le despote est celui dont la volonté n’est pas contrariée. Pour le Juif, surtout à l’époque du Christ, Dieu, c’est l’Être dont la puissance ne connaît pas de bornes, le maître de la vie et de la mort, celui qui dit et tout a été- fait, le seul qui opère des merveilles, qui accomplit tout ce qui lui plaît, dont la parole ne remonte jamais vide, car toujours elle exécute son mandat et remplit sa mission. Or, les apôtres avaient vu Jésus guérir des malades, chasser les démons, rendre les sens aux infirmes, ressusciter les morts, commander à la tempête, multiplier les pains. Ils avaient entendu le Christ leur dire que tout est possible à Dieu, Matth., xix, 26 ; les reprendre quand leur confiance semblait chanceler. Matth., XIV, 31 ; xvi, 8 ; xvii, 17 sq. Ils avaient fait acte de foi quand Jésus leur avait promis sa chair à manger. Joa., VI, 68, 69. Comment admettre qu’à la cène, ils aient été tentés de se dire : Il est vrai que le Christ a accompli tous ces prodiges, mais la transformation dont il est ici question de son corps et de son sang est tellement différente de ses autres miracles, qu’à ce moment, pour la première fois, il nous faut douter que son pouvoir s’étende aussi loin ? Et peut-on supposer que ces hommes, qui si souvent ont entendu au sens littéral les paraboles et les allégories, aient conclu : Prises à la lettre, les déclarations de Jésus à la cène entraînent non seulement une dérogation aux lois de la nature, mais une contradiction ; donc il faut les entendre au sens figuré ? Wiseman, loc. cit.

Et si, avec les apôtres, nous crojons, nous aussi, que Jésus est Dieu qu’il sait l’avenir, comme le croient beaucoup de protestants hostiles pourtant au dogme de la présence réelle, est-il facile d’admettre que k Christ ait employé un langage qui devait induire en erreur et porter à l’idolâtrie presque tous les fidèles pendant plusieurs siècles et depuis le xvi « la majorité deschrétiens, langage sur le sens duquel le reste des hommes hésite et ne peut encore aujourd’hui se prononcer, langage qu’il suffisait de remplacer par quelques mots : Ceci est la figure de mon corps, de la passion, de l’Église, ete ?

Ce qu’a dit et fait Jésus.

Les textes qui attri

huent à Jésus lui-même l’institulion de l’eucharistie et l’ordre de renouveler la cène sont-ils authentiques ? Sont-ils concordants ou, au contraire, par leurs divergences, ne permettent-ils pas de découvrir sous leur forme actuelle une source primitive muette sur ces importantes actions" ? Émanent-ils de témoins sûrs, l)ien informés ? Le catholique doit le démontrer aujourd’hui, car la controverse sur l’eucharistie porte surtout sur ces questions. Quand il a établi ces conclusions, il peut donner la contre-épreuve, prouver que si on ne fait pas remonter au Christ l’institution (l’un tel rite, on aboutit à d’irrecevables hypothèses.

1. Jésus a fait et dit ce qu’affirment les Évangiles et saint Paul. — a) Les témoignages des écrivains du Nouveau Testament sur la cène sont authentiques. — C’est à peine si un ou deux critiques non croyants mettent en doute l’origine paulinienne de la I"^* Épître aux Corinthiens (Bruno Bauer, Stcck, ^an IVlanen) et il est aujourd’hui d’usage, même dans les milieux non catholiques, de ne faire aucun cas de leur sentiment. Volter, Paulus und seine Briejc, Strasbourg, 1905, p. 32 sq., a cru découvrir dans cette lettre plusieurs interpolations : ce n’est pas saint Paul qui aurait rédigé le c. x où se trouve, 17-22, la comparaison entre les sacrifices pa’iens, les sacrifices juifs et le rite chrétien. Et dans les recommandations de l’apôtre sur le repas du Seigneur, le récit de la cène accomplie par Jésus, xi, 23-28, serait une interpolation. Volter, pour démontrer cette affirmation s’appuie sur des contradictions qu’il prétend apercevoir entre ce qu’il attribue à saint Paul et ce dont il lui refuse la composition. Mais il est le seul qui les observe et tout, au contraire, dans les ch. x et xi, semble accuser un même auteur. Les critiques non croyants sont jMcsque tous d’accord sur ce point avec les catlioli ques et les protestants conservateurs. Inutile donc de prouver plus longuement que saint Paul a raconte l’institution de l’eucharistie.

Plus difficile est la question soulevée par l’existence des diverses recensions du texte de Luc. Quelle est la leçon primitive ? Zahn s’est prononcé en faveur de la version attestée par la curctonienne, Einleitung in das Neue Testament, Leipzig, 1900, t. ii, p. 360 ; personne ne l’a suivi et il est difficile de comprendre comment ce texte aurait pu donner naissance aux autres. CL Gogucl, op. cit., p. 113.. la suite de Westcotl et de Mort, un grand nombre de critiques croient que la reccnsion courte émane de Luc : telle est, en particulier, l’opinion d’Andersen, op. cit., p. 20, et de Loisy, op. cit., t. I, p. IGO ; t. II, p. 528. Le troisième Évangile n’aurait donc mentionné ni le récit de la consécration de la coupe, ni l’ordre de réitérer la cène. Blass, Evangelium secundum Lucam, Leipzig, 1897, supposant que Luc a donné deux éditions de son ouvrage, soutient même que la première ne contenait pas les versets 19 et 20 ; dans la seconde il aurait inséré le V. 19 a, qu’un copiste aurait complété par l’addition (les versets 19 b et 20.

L’authenticité du texte long a été défendue non seulement par les catholiques (Berning, Batiffol), mais encore par beaucoup de critiques protestants et incroyants (Tischendorf, Merx, Spitta, Julichcr, Schmiedcl, W. Schmidl, Schultzen, H. A. Hoffinann, Crcnier, Resrh, Lichlenstein, l’eine, O. Holtzmann, Clemen, V. Bauer, (iogucl, etc.). D’excellents arguments ont été invoqués en faveur de cette thèse. Sans doute, la reccnsion courte est très ancienne, attestée par deux traditions (non concordantes), l’une occidentale, l’autre syriaque..Mais le texte long a pour lui tous les manuscril.s grecs sauf D, la plupart des minuscules et des versions : c’est le seul r|ue connaissent les anciens écrivains ecclésiastiques.

L’examen critique des textes est favorable à la

leçon longue. Si les versets 196-20 avaient étésurajoutés, pourquoi l’interpolateur n’aurait-il pas aussi emprunté à Paul l’ordre de réitérer la consécration du vin ? Si, primitivement, l’Évangile de saint Luc ne parlait que d’une coupe, comment un chrétien aurait-il pu le modifier assez maladroitement pour qu’il soit permis de se demander si, dans la leçon longue, il n’est pas question de deux coupes distinctes, alors que l’usage liturgique n’en admettait qu’une ? D’autre part, tous les éléments contenus soit dans le texte court, soit dans les versions syriaques se retrouvent dans la leçon longue ; au contraire, ni D, ni la Pcschito, ni la curctonienne, ni la ludovisicnne ne contiennent tout ce qui est dans les autres recensions. Ainsi, toutes les formes autres que la longue ne mentionnent qu’un calice, et dans cliacune d’elles la réduction des deux coupes est opérée d’une manière particulière. Cette diversité s’explique fort bien si chacun des rédacteurs a voulu remanier ; irbitrairement un texte où il était parlé de deux coupes, ne se comprend guère si primitivement il n’y en avait qu’une. Comment expliquer que Luc se soit arrêté après avoir raconté la consécration du pain ? Il veut évidemment décrire l’institution de l’eucharistie, puisqu’il commence ce récit. Aurait-il eu un oubli ? C’est invraisemblable. Désirait-il rectifier les narrations des autres témoins ? Rien ne trahit cette intention. La tradition tout entière, les liturgies sont en opposition avec le récit du texte court. Et les omissions de cette reccnsion ne peuvent s’expliquer par des conceptions doctrinales, soit juda’isantes, soit pagano-chrétiennes, soit hérétiques ; la consécration du pain n’est-elle pas relatée dans des termes semblables à ceux qu’emploient les deux autres Synoptiques ?

On peut deviner d’ailleurs pourquoi, si le texte long était primitif, des copistes l’ont raccourci. Il y était parlé deux fois d’une coupe. 17-18, 20. Or, il n’en était ainsi ni dans les trois autres récits, ni dans les liturgies. Des rédacteurs se sont crus en face de doublets, aussi ont-ils voulu harmoniser la narration de Luc avec celles des deux autres Synoptiques et avec l’usage. Dire que la méprise est impossible est une affirmation gratuite. Beaucoup de variantes du manuscrit D accusent un transcripteur négligent. Mais, objecte-t-on, il aurait dû supprimer la coupe des versets 17 et 18 plutôt que celle du verset 20. C’est évidemment ce qu’il aurait dû faire s’il avait été adroit, rien ne prouve qu’il l’était. Et, précisément, c’est ce qu’ont réalisé la Pcschito et la ludovisicnne.

Les partisans de D font observer qu’ils rendent très bien compte du motif de l’addition des versets 19 b et 20 par un copiste. Le texte court de Luc paraissait étrange. A l’aide de ses souvenirs, ou de traditions orales ou d’emprunts auprès de saint Marc et de l’ÉjJÎtre aux (Corinthiens, le transcripteur l’aura complété. La première moitié du. 20 est prise dans la lettre de saint Paul, la seconde moitié dans le deuxième Évangile. Or saint Luc, pour rédiger les Actes, n’a jamais utilisé les Épitres ; donc il ne s’en est pas servi non plus ()our composer son Évangile. Enfin, l’omission de l’ordre de réitérer la consécration de la coupe, l’insertion peu correcte du dernier iiarticipe, V. 20, il T(f) auaT : po’j TÔ ÛTièp’., )uyi i/./y1161.i’iv, semblent être des maladresses et, comme ielles, elles paraissent plutôt imputables ; ’i un scribe inexpérimenté qu’à l’évangéliste.

Mais il est facile de répondre que les versets 19 &-20 ne correspondent littéralement à aucun autre des trois récits de la cène ; le texte long ne reproduit servilement ni le récit de saint Marc ni même celui dr saint Paul. Il omet, ajoute, niodilic. Et même si 19 /) 2(1 étaient identiques au passage concspondant de l’apôtre, on ne devrait pas conclure immédiatement

que saint Luc a utilisé l’Épître aux Corinthiens ; l’cvangéliste et Paul pourraient se servir d’une source commune, écrite ou orale. Quant aux deux prétendues maladresses qu’il est plus facile, dit-on, d’attribuer ù un copiste qu’à Luc, sont-ce vraiment des maladresses, n’ont-clles pu être voulues par l’évangéliste lui-même ? Bcrning, op. cit., p. 41.

L’étude exégétique du texte de D confirme les conclusions auxquelles aboutissent l’examen des témoignages et les recherches de critique textuelle. Sous la forme qu’elle a dans le codex Bczec, la recension courte ne peut s’expliquer. Personne n’a pu découvrir pourquoi, si la coupe du ; î. 17 est eucharistique, elle est mentionnée avant le pain, contrairement à l’ordre attesté par les autres témoins, les Pères et la pratique universelle. Soutenir qu’elle est une coupe pascale seulement aggrave la difficulté : pourquoi n’est-il pas question de la consécration du vin ? La tradition lui attribue pourtant une grande importance. Saint Luc, dira-t-on, ne voulait que marquer le lien entre la Pâque et la fête chrétienne et il suffisait à son but de mentionner la consécration du pain. Qui le prouve ? Et s’il en est ainsi, pourquoi s’est-il étendu plus longuement sur le rite mosaïque que sur la cérémonie nouvelle. Si telle était son intention, il dit trop ou trop peu. Puis on a le droit de se demander pourquoi le parallélisme des premiers versets s’arrête brusquement : 15 (manducation de la Pâque) s’opposait fort bien à 17 (présentation de la coupe) ; 16 (parole eschatologique sur la Pâque) correspondait à 18 (parole eschatologique sur la coupe). On attend donc après le récit de la consécration du pain celui de la consécration du vin. Enfin, leꝟ. 21 se rattache mal auꝟ. 19 a.

Pour résoudre ces difficultés et celles que lui paraît soulever le texte long, M. "Viteau, L’Évangile de l’eucharistie, dans la Revue du clergé français, 1904, t. xxxix, p. 8 sq., propose un remaniement complet du texte de la recension courte. L’ordre primitif serait le suivant : 14, 15, 16, 19 a, 17 (tel qu’on le lit aujourd’hui plus les paroles perdues de la consécration de la coupe), 18, 21, 22, 23. Le récit qu’on obtient est alors très cohérent, conforme aux souvenirs traditionnels. Mais comment expliquer le texte long ? Un copiste qui aurait connu ce passage — il l’aurait emprunté à un Évangile primitif — l’aurait inséré dans son manuscrit après leꝟ. 19 a. Comme il y avait alors deux consécrations de la coupe, cefie duꝟ. 17 fut supprimée et ce verset ainsi que le suivant furent placés après le il. 16. La supposition est ingénieuse. Mais elle est en réalité une suite d’hypothèses. Et si des difficultés disparaissent, d’autres surgissent : pourquoi un copiste a-t-il surchargé un texte déjà complet ? Pourquoi son addition commence-t-elle aux mots « donné pour vous » ? Comment attribuer le parallélisme si régulier de 15-18 à une série de bouleversements ? Quoi qu’il en soit d’ailleurs, il faut noter que, selon M. Viteau, si saint Luc n’avait pas écrit le récit de la consécration du vin dans les termes où elle est rapportée par le texte long, il avait du moins primitivement cité les paroles prononcées par Jésus sur la coupe eucharistique. Ce qui est authentique, ce n’est donc pas la recension de D, c’est une forme un peu moins courte et perdue aujourd’hui.

Au lieu d’imaginer cette explication qui manque de base, il est plus sage et il n’est pas impossible de faire l’exégèse du texte long. Les particularités dont il faut rendre compte sont les suivantes : pourquoi est-il question à deux reprises de la coupe, 17, 20 ? Pourquoi Jésus fait-il sur elle deux fois l’action de grâces, 17, 20 ? Pourquoi, dit encore Viteau, loc. cit., p. 8 sq., la manducation de la Pâque, dont parlent les versets 15 et 16, n’est-elle pas immédiatement suivie de la manducation du corps du Christ ? Pourquoi

l’action de grâces est-elle faite d’abord sur le vin ? Pourquoi, après avoir parlé de la coupe, Jésus s’interrompt-il afin de présenter le pain et de revenir ensuite à elle ? Pourquoi le vin est-il consacré le premier, distribué le second ? Pourquoi le donner une première fois pendant le repas, une seconde fois après ? Enfin, ajoute Viteau, pour échapper à ces difficultés, il ne suffit pas de dire qu’il s’agit des deux coupes différentes, l’une pascale, 17-18, l’autre eucharistique, 20, car, auꝟ. 17, il est parlé d’une coupe (le grec n’a pas l’article), au verset 20 de la (-6) coupe, c’est-à-dire de celle dont l’auteur a déjà parlé, il n’y en a donc qu’une. Si d’ailleurs on soutient le contraire, on se condamne à donner au même mot, rendre grâces, deux sens différents, et cela, à très petite distance. Car, au 1. 17, saint Luc écrit : « Jésus ayant pris la coupe et fait l’action de grâces, etc. » ; puisqu’il s’agit de la coupe pascale, le verbe a ici le sens de bénir. Auꝟ. 20, il est affirmé que le Christ traita le vin comme il avait traité le pain (voirꝟ. 19), donc qu’il fit l’action de grâces ; mais puisqu’il s’agit de l’eucharistie, cette fois le verbe signifie consacrer. Au reste, si la première coupe n’était que pascale, pourquoi Jésus la bénirait-il ; pourquoi l’évangéliste estimerait-il ce menu détail digne d’être relaté ; pourquoi entourerait-il d’une telle solennité un acte si ordinaire ?

I On pourrait d’abord être tenté de répondre avec saint Augustin, De consensu evangelistarum, 1. III, c. I, n. 2, P. L., t. XXXIV, col. 1157, plusieurs commentateurs anciens et quelques modernes, qu’il n’y a eu en réalité qu’une coupe, celle de l’eucharistie ; que les détails des versets 17 et 18 sont donnés d’une manière anticipée, les mots : « Je ne boirai plus du fruit de la vigne, » étant appelés en quelque sorte par ce que Jésus dit de la Pâque dont il ne mangera plus. L’hypothèse pourtant ne va pas sans difficulté et ne rend pas compte complètement de la double action de grâces ; elle ne correspond pas à l’idée que se ferait de la cène un lecteur non prévenu qui la connaîtrait seulement par le texte de Luc.

La plupart, sinon toutes les objections peuvent être fort bien résolues parles exégètes qui voient dans le texte long le récit de deux actions distinctes, la Pâque et la cène (Berning, Rose, van Crombrugghe, Schanz). L’évangéliste raconte d’abord la fête juive que Jésus a vivement désiré manger avec ses disciples. Il y fait circuler une des coupes prévues par le rituel et l’accompagne des mots : « Je ne boirai plus du fruit de la vigne. » Cette Pâque est décomposée en deux actes, pour pouvoir être mieux opposée à la cène qui comprend deux consécrations : le parallélisme est remarquable : 15 et 16, 17 et 18, 19 a et 19 b, 20 a et 20 6 se correspondent : chaque fois, il y a le récit de l’acte et l’indication du sens du rite. Toutes les difficultés disparaissent. Il est parlé deux fois de coupe, parce qu’il est question de deux calices distincts. La manducation de l’agneau pascal est suivie de la présentation d’une coupe pascale, la réception du pain eucharistique accompagnée de celle du vin eucliaristique. Ce n’est donc pas la coupe qui est consacrée en premier lieu. Jésus, après avoir présenté le viii, n’attend pas avant de le distribuer, il le donne une première fois et les disciples boivent ; puis de nouveau il le distribuera, mais cette fois il sera consacré. Le langage solennel du Christ sur la première coupe n’est pas inexplicable, même si elle est seulement pascale ; il a pu parler d’elle comme il a parlé de la Pâque, dans les mêmes termes. « L’article duꝟ. 20 pourrait bien n’être pas intentionnel : s’il se rencontre chez saint Paul, il fait défaut chez saint Marc et chez saint Matthieu ; et, le fût-il, il serait très bien à sa place au verset 20 pour désigner le calice xai’è ?o/.r, v, le calice eucharistique, tandis que, d’autre part, il ne convenait guère pour désigner

l’un des trois ou quatre calices du repas pascal. » Van Crombrugghe, dans la Revue d’histoire ecclésiastique, Louvain, 1908, p. 333. Le verbe « rendre grâces » employé au > 17, sous-entendu auy. 20, a le même sens dans les deux cas. Il correspond au mot « bénir » qu’emploient à propos du pain saint Marc et saint Matthieu. Donc, il peut ne pas signifier consacrer, mais prononcer une prière d’actions de grâces ou d’offrande à Dieu. Cette explication « se recommande de la forme aoriste du^verbe, employée pour exprimer une consécution entre les divers actes décrits et le caractère secondaire de la bénédiction ; …elle se trouve confirmée par le sens primitif de £Jyapi<7T£ ; v qui ne comporte en aucune façon l’idée de consécration. » Les mots " ayant rendu grâces » peuvent donc avoir le même sens dans les deux présentations de la coupe. « Et ainsi se trouvent infirmées l’hypothèse d’une double consécration et celle d’une inversion de l’ordre habituel dans la présentation du pain et du vin consacrés. » Van Crombrugghe, loc. cit., p. 33. M. Mangenot. Les Évangiles synoptiques, p. 463, présente cette explication sous une forme qui la rend encore plus probable. II propose de voir, dans la coupe mentionnée par saint Luc, la première du repas pascal, la coupe du kiddûs sur laquelle était prononcée la parole : « Sois loué. Éternel, notre Dieu, roi de l’univers qui as créé le fruit de la vigne. » Ces derniers mots préparaient très bien l’aflirniation : « Je ne boirai plus du fruit de la vigne… »

A cette interprétation, des critiques ont opposé une objection assez spécieuse. L’équivalent duꝟ. 18 : « Je ne boirai plus du fruit de la vigne » se retrouve dans les récits de Matthieu et de Marc ; et, cette fois, la parole est rattachée à la consécration de la coupe eucharistique. C’est donc encore de cette coupe que parle saint Luc au V. 18. Cette observation suppose que les Synop)tiques se sont astreints à reproduire selon un ordre chronologique très rigoureux les paroles de la cène. Même, s’il en est ainsi, d’ailleurs, on peut résoudre la difficulté. Les deux premiers évangélistes qui ne « lécrivent pas le festin pascal et qui voulaient cependant garder le souvenir de la parole : « Je ne boirai plus… » ont dû la rattacher à la distribution de la seule coupe qu’ils mentionnent.

Ceux qui ne trouveraient pas cette réponse satisfaisante pourraient se souvenir de l’hypothèse de .Mgr Batiffol. Cp. cil., p. 32 33. Voir aussi Feinc, Eine vorkanonische Ucbcrliefcrung des I.ukas, p. 62. Saint Luc « aurait donné, 19-20, le récit de la cène conforme à la tradition de saint Paul… « D’autre part, il aurait -connu une autre tradition du même événement « où des traits accessoires étaient notés qu’(il] n’a pas voulu omettre et qu’il a placés comme à la marge du premier texte ; » ce sont les versets Ifi-lS. Il est vrai que cette hypothèse ne s’accorde pas très bien avec ce que nous savons des habitudes de saint Luc, écrivain qui d’ordinaire utilise mieux ses sources ; ici, il se contenterait de mettre bout à bout des récits au risque de tromper le lecteur et de paraître contredire les récils parallèles.

Le théologien n’est pas obligé de choisir : il cons tale que les explications satisfaisantes du texte long ne manquent pas. Cette étude lui permet de dégager les conclusions suivantes : Les témoins de la leçon longue sont les plus nombreux ; la critique textuelle favorise cette rccension et, tandis qu’il est impossiblc de faire l’exégèse du texte court, on rend raison de la forme commune.

Les dépositions de saint Paul et de saint Luc <lemcurent <lonc entières, elles émanent d’eux.

b) Les ténwignagrs sont concordants et ne permettent pas de découvrir une source primitive qui 1rs contredirait.

— Tout n’est pas dit quand on a démonlré l’authen ticité des divers témoignages. Il reste à établir que l’historien peut les utiliser pour reconstituer les actes et fixer les intentions de Jésus-Christ lui-même. Des critiques ont cru découvrir entre les divers récits une opposition qui infirmerait leur autorité. Ils se sont demandé si on ne pouvait pas surprendre à travers et derrière eux une source primitive perdue aujourd’hui, différente de la tradition écrite et qui, seule, se rapprocherait du fait accompli. C’est ce travail qui doit être vérifié.

La cène, telle que nous la connaissons, se compose de la déclaration eschatologique, de la consécration et de la distribution du pain et du viii, des paroles de l’institution. Qu’a fait et dit Jésus ?

a. Jésus a prononcé le logion eschatologique. — On ne conteste pas l’historicité de l’affirmation : « Je ne boirai plus désormais du fruit de la vigne. » Sans doute, saint Paul ne rapporte pas ce logion ; mais il écrit pour prouver plutôt que pour raconter : aussi va-t-il droit à son but, négligeant tout ce qui ne peut lui servir d’argument et n’est pas nécessaire pour la cohésion et l’intégrité substantielledu récit. D’ailleurs, si cette parole — et c’est une opinion assez répandue

— a été prononcée sur une coupe pascale et non sur le vin eucharistique, l’apôtre n’avait pas à la reproduire. Enfin, sa narration n’exclut pas ce mot. On a pensé ausssi que saint Matthieu et saint, Marc ne parlent pas tout à fait comme saint Luc qusqu’à ce que je le boive nouveau dans le royaume de mon Père, Matth., Marc ; jusqu’à ce que le royaume de Dieu soit venu, Luc). Il ne faut pas s’en étonner ; l’auteur du troisième Évangile, plus préoccupé que les deux autres des païens, atténue ce que les images empruntées à l’eschatologie juive pouvaient avoir de choquant pour certains lecteurs. Au reste, l’authenticité de la déclaration du Christ est garantie par son propre contenu : l’idée du banquet messianique est familière à Jésus ; la pensée émise est à sa place, en ce moment : c’est un mot d’adieu et une allusion au prochain rendez-vous.

b. Jésus a présenté le pain comme son corps, le vin comme son sang. — La consécration et la distribution de la coupe eucharistique ont été niées ou mises en doute par plusieurs critiques. Gogucl, op. cit., p. 84 sq. ; Brandt, op. cit., p. 290 sq. ; Pfieiderer, Bas Urchristentum, seine Schriftenund Lchren, Berlin, 1902, t. i, p. 387 ; J. Weiss, Die Predigt Jesu vom Ueiclie Gottes, Gœttingue, 1900, p. 198. Sans aller aussi loin, d’autres soutiennent du moins que l’insertion de l’idée d’alliance dans les paroles prêtées à.lésus est une interpolation paulinisante. Ils observent que la formule prononcée sur la coupe est citée sous une forme spéciale, par chacun des quatre témoins, et que si on peut, à la rigueur, rapprocher celle de Matthieu de celle de Marc, celle de Luc de celle de Paul, les deux formes auxquelles on aboutit ainsi sont tout à fait dilTérentes l’une de l’autre. ^Vredc, dans Zeitschrift fiir dir neulestamentliche Wissenschaft und die Kunde des l’rchristentums, 1900, p. 69 sq.. a même cru découvrir la trace du remaniement qui a introduit dans la formule primitive des deux premiers Synoptiques : Ceci est mon sang, la mention de l’alliance. Les expressions de Matthieu et de Marc, to aîtxa ; j.ov triC &iaOT, xr, :, qui lui semblent lourdes et incorrectes, lui prouvent que primitivement on lisait : to a’|ia iot comme on lit encore au sujet du pain : tô T’.iiot i/ou et que, sous l’influence de la tradition pauliniennc, on a cousu tant bien que mal à une phrase déjà faite la mention de ralliance. V.l Bousset. Die Evangcliencitate Justins des Mnrtyrers, Gœttingue, 1891, p. 112 sq., remarque, à l’apjjui de ce sentiment, que la relation de la cène conservée par saint.Uisi’in. A pot., I.i.xvi, /’. G., t. VI, col. 128, fai t prononcer par.Jésus sur la coupe ces

seuls mois : Ceci est mon sang. D’ailleurs, l’idée d’une alliance qui scellerait l’absorption du sang par les fidèles est une pensée d’origine pagano-chrétienne : un juif aurait considéré cet acte comme.’!. une impiété, l’antique alliance avait été établie par une aspersion et non par une consommation du sang des victimes. Ce n’est pas Jésus, ce ne sont pas ses premiers disciples qui ont pu imaginer pareil concept. Goguel, op. cit., p. 84. Ce ne sont pas eux non plus qui considéraient le judaïsme comme une forme religieuse abolie et remplacée par un pacte nouveau : les premiers chrétiens sont de corrects et zélés observateurs de la Loi. Brandt, loc. cit. Non seulement la formule semble étrange, le rite ne le paraît pas moins : « Le corps et le sang ne s’opposent pas comme distincts l’un de l’autre et cependant, formant un tout par leur réunion, le second est une des parties constitutives du premier ; » donc, ils « n’appartiennent pas à la même couche de la tradition… ; si l’on avait voulu donner un parallèle au sang, on n’aurait pas ajouté le corps, mais la chair. » Goguel, loc. cit. On croit même que primitivement le rituel de la cène ne comprenait pas le vin : l’acte était connu sous le nom de fraction du pain, Act., ii, 42 ; pendant longtemps, il y eut incertitude sur le contenu de la coupe ; les récits de la multiplication des pains ne parlent pas du vin. Brandt et Goguel, loc. cit.

Ces arguments peuvent être réfutés. Il est inexact que pendant longtemps les fidèles aient hésité sur la liqueur à consacrer : le vin est mentionné par des témoins les plus anciens ; la thèse de Harnack sur l’eau, élément eucharistique, a été rejetée par les savants de toute école et son inventeur semble plus prudent. Les aquariens connus de l’histoire apparaissent soit comme des hérétiques manichéens ou gnostiques, soit comme des simples et des ignorants ; ils n’invoquent pas la tradition, mais des arguments philosophiques ou théologiques, leur théorie a toujours été rejetée par l’Église. Voir t. i, col. 1724-1725. Si le vin n’apparaît pas dans les récits de la multiplication des pains, on ne peut en être surpris, cet épisode est seulement une figure de l’eucharistie. A Cana, le vin seul est mentionné, faut-il conclure que primitivement le pain n’était pas en usage à la cène ? Quant au choix des mots fraction du pain pour désigner la communion, il est impossible d’en tirer la conséquence que dégage Brandt. Quelqu’un veut nommer l’eucharistie, il pense d’abord au pain qui est consacré en premier lieu. Cela fait, comme il se rend compte qu’il a été compris, il ne juge pas à propos de parler du vin. Si le livre des Actes faisait une description complète du rite, on devrait trouver étrange qu’il parlât seulement d’un élément ; mais il se contente de désigner la cène en deux mots ; cette locution doit être bien choisie, mais elle ne peut tout dire. Si on voulait la prendre d’ailleurs à la lettre, on devrait conclure que les premiers chrétiens rompaient le pain, mais ne le mangeaient pas. Aujourd’hui, les catholiques se servent du mot communion pour désigner l’eucharistie ; ils n’excluent par ce terme ni la fraction, ni la consécration.

Le corps et le sang se repousseraient-ils ? D’abord, il faut noter que le pain et le vin se complètent fort bien. Et on doit ajouter que si Jésus a voulu instituer un festin spirituel, il est fort convenable qu’il y ait placé les deux composants de tout repas, l’aliment et la boisson, par conséquent son corps et son sang. Mais il aurait dû parler de chair et de sang, objecte-t-on, s’il avait vraiment voulu présenter deux mets ; car, seuls, ces mots s’opposent. Au contraire, le sang fait partie du corps. Il faut observer d’abord que Jésus parlait araméen et que si nous croyons qu’il a présenté son corps et son sang, nous ignorons quel mot il a

employé pour désigner le premier. Voir lîerning, op. cit., p. 201-204. La chair, rsj.ul, désigne au sens propre ce qui n’est ni os ni sang ; et ce terme a le tort, lorsqu’il est pris dans une acception plus large, de signifier plusieurs choses : l’humanité ( « toute chair >), la parenté (deux en une seule chair), l’homme considéré au point de vue de sa faiblesse, la personne humaine. Parfois même, il est synonyme du mot " corps « . Ainsi, pour relater la promesse de l’eucharistie, saint Jean qui écrit à une époque où la formule « Ceci est mon corps » est connue, parle de la chair et du sang du Fils de l’homme, vi, 52-57. Il est donc impossible de tirer de l’emploi du mot corps un argument contre l’originalité de la formule : « Ceci est mon sang ; » et l’on comprend pourquoi le terme de chair n’est pas choisi. Au reste, il a quelque chose de plus grossier et de plus répugnant. Si l’eucharistie, ce qui est l’idée non seulement de Paul, mais des Synoptiques, est en rapport avec la passion, il faut conclure que les formules : Ceci est mon corps, ceci est mon sang, font image et montrent la mort même du Sauveur, le sa/ijr qui s’échappe de son corps. Enfin, s’il était vrai que le sang appelât par opposition la chair et non le corps, la présence de ce dernier mot prouverait que le’récit primitif n’a pas été modifié, un interpolateur ayant dû éviter toute gaucherie d’expression ; et ainsi le terme corps, dans un endroit où on ne l’attend pas, s’expliquerait seulement parce que le Christ l’aurait choisi et que nul n’aurait osé modifier sa parole.

Les arguments tirés de la présence du mot « alliance » ne sont pas plus concluants. Plusieurs critiques non catholiques admettent l’authenticité de cette mention (Spitta, Haupt, H. J. Ho]lzmann, R. A. Hoffmann, etc.). Saint Justin ne parle pas d’alhance, il est vrai. Mais son récit ne dérive pas d’une source spéciale, il vient des Évangiles et de Paul, il leur est postérieur, certainement incomplet ou plutôt abrégé : on n’y trouve ni la fraction, ni la déclaration eschatologique dont personne ne soupçonne pourtant l’authenticité. L’apologiste écrit pour démontrer à des païens qu’il n’y a rien de subversif dans la communion chrétienne ; la parole sur l’alliance eût été incompréhensible pour ses lecteurs. L’étaitelle aussi pour les disciples de Jésus ? L’idée d’alliance familière à saint Paul était-elle étrangère à l’enseignement du Christ, comme le ! soutient Loisy ? Op. cit., t. ii, p. 533, 538. D’abord, la notion d’un pacte scellé par le sang était connue des Juifs, le récit de l’Exode n’a pas été inventé par saint Paul ; les sacrifices rapprochaient de l’autel de Jalivé, faisaient entrer en communion avec lui, étaient propitiatoires. Il n’était pas nécessaire d’être un disciple de l’apôtre ni même de Jésus pour le savoir. Et si, comme le veut Loisy, loc. cit., p. 533, note 2, il n’est nulle part dans l’Évangile question de nouvelle alliance, les Douze pou aient, en raison de leur éducation première et de leur vieille foi, comprendre la formule de la cène. L’histoire de l’Ancien Testament est le récit des diverses alliances de Dieu avec les hommes (Noé, Abraham, les patriarches, les descendants de Jacob, les prêtres et les lévites, David, etc.), et les livres prophétiques annonçaient le futur pacte éternel, Is., lv, 3 ; lix, 21 ; lxi, 8 ; alliance nouvelle et sans fin, Jer., xxxi, 31 ; xxxii, 40 ; union de sainteté

et de paix, Ezech., xvi, 60, 62 ; xxxiv, 25 ; fiançailles

j irrévocables dans la justice, la grâce et la tendresse. Ose., II, 18 sq. Sans doute, les premiers chrétiens ne , rompirent pas avec la vie juive, n’émigrèrent i ; as hors 1 du temple. Néanmoins, ils pouvaient fort bien comprendre que l’alliance proposée par Jésus était non une destruction, mais un renouvellement, une conti^ nuation, un perfectionnement opéré par celui qui, loin de venir abolir la loi, voulait l’amener à sa plénitude. Si le Christ n’avait jamais expressément parlé

de l’alliance nouvelle, prononcé le mot, il ne s’ensuivrait pas qu’il lui était impossible de le faire à la cène. On ne peut poser en principe qu’il n’a pas pu parler d’un sujet sans en avoir parlé auparavant. Poussée à bout, cette affirmation prouverait qu’il n’a jamais parlé de rien.

Aurait-il dû s’exprimer autrement sur l’alliance ; la présentation du sang à boire offre-t-elle quelque chose d’invraisemblable ? Sans doute, si ce liquide avait été présenté tel qu’il s’échappa du côté de Jésus ouvert par la lance, les disciples, des Juifs, auraient hésité à le boire. Mais il leur apparaissait sous la forme du vin et les Douze étaient si peu habitués à douter de la parole du Maître que l’ordre du Christ devait forcer toutes leurs répugnances. Ainsi, plus tard Pierre, qui n’avait jamais rien mangé de profane ni d’impur, Act., x, 14, se sentit rassuré par l’affirmation d’un ange, x, 28. Et si le sang des victimes qui scella la première alliance fut répandu sur le peuple et non consommé par lui, car c’était celui d’animaux, il pouvait en être autrement de celui de Jésus. Un faussaire aurait été tenté de suivre à la lettre le récit de l’Exode pour ne pas effaroucher les préjugés de ses compatriotes ; au contraire, si les récits des quatre témoins osent faire boire le sang par les Douze, c’est que, d’après la tradition, il leur a été vraiment présenté : c’est qu’ils l’ont réellement bu. Le moment de contracter l’alliance est fort bien choisi : Jésus va quitter les siens, il éprouve le besoin de s’associer plus étroitement à eux, de les unir plus fortement à lui. Que si l’on donne au mot îiaOv/r, , voir Dibelius, Das Abendmahl, Eine Unlersuchunq iibcr die Anfânge der chrisilichen Religion, Leipzig, 1911, p. 76-89, le sens de testament, on comprend encore mieux que l’heure était venue de le formuler. Il n’y avait plus un instant à perdre. La cène se lie étroitement à l’épisode de la trahison, la mort arrive.

Enfin, il n’est pas vrai que les paroles employées par les quatre témoins pour exprimer cette notion d’alliance ou de testament trahissent un remaniement de la source primitive, une déviation de la pensée de Jésus. Les diverses formes ne sont pas contradictoires. Luc parle comme Paul : ce dernier omet le verbe êlre, mais le sens est identique ; l’évangéliste ajoute les mots versé pour vous, mais l’apôtre avait fait suivre la formule de la consécration du pain d’une addition semblable : ceci est mon corps, te pour vous. Si le corps est pour les disciples, le sang l’est aussi ; d’ailleurs, il ne scelle l’alliance que s’il est versé. Paul et Luc expriment donc la même pensée. De même, Matthieu et Marc sont d’accord : Car ceci est nwn sang, celui de l’allianee, versé pour hediiroup. écrivent-ils tous deux. Et si le premier Évangile complèle la formule du second par les mots c/i rémission des péchés, il ne modilie pas l’idée exprimée par Marc. « Les mots, ditLoisy, op. cit., t. ii, p..522, ne font que rendre plus sensible l’idée du sacrifice expiatoire contenue déjà dans la formule plus courte de Marc. » Le second évangéliste est porté à abréger, il a suffisamment affirmé l’efficacité du sang rédempteur (voir aussi x, ’1.5), cette notion est d’ailleurs admise de ses contemporains, aussi ne jugc-t-il pas à propos de l’énoncer. Matthieu, soucieux de prouver aux judéochrétiens la réalisation des figures de l’Ancien Testament, ne devait pas omettre ce trait. D’autre part, les deux types de formules coïncident : les « juatre récits parlent et de sang et d’alliance, mettent un rapport entre ces deux éléments. Celui de Paul-Luc atteste clairement que l’alliance s’opère dans le sang de Jésus. Celui de Matthieu Marc montre c|uc ce sang établit l’alliance. Dans l’un et l’autre cas, la liqueur eucharistique est la cause instrumentale du pacte ; dans l’un et l’autre cas, il est fait allusion au rite

rappelé par l’Exode, xxiv, 8 ; seulement dans le premier, l’accent est mis sur l’alliance, dans l’autre il l’est sur le sang. Paul et Luc songent surtout à l’institution nouvelle ; Matthieu et Marc insistent sur la nature des dons offerts aux Douze. Les deux premiers Évangiles ne disent pas que ralliance est nouvelle (voir pourtant certains manuscrits), le troisième et l’apôtre l’affirment ; mais la pensée est semblable : puisqu’il y a dans les quatre récits allusion à l’alliance antique, dans les quatre, c’est d’une nouvelle alliance qu’il s’agit. Matthieu et Marc, écrivant surtout pour des judéo-chrétiens, montrent que Jésus est venu réaliser les figures, accomplir la loi, ils parlent donc de l’alliance par excellence, l’alliance sans épithète, celle qu’attendait tout bon Juif de l’époque ; Luc et Paul ont présente à l’esprit une autre conception qui n’est pas moins exacte : le pacte conclu avec Israël est remplacé par un nouveau traité auquel Jsont admis les gentils. Les deux idées ne’s’excluent pas ; il n’y a aucune contradiction.

Quant à la lourdeur et à l’incorrection prétendues du double génitif qu’on rencontre dans les deux premiers Évangiles : Ceci est le sang de moi de l’alliance, elles n’autorisent pas à soutenir que la formule de Matthieu et de Marc se décompose en deux éléments, l’un : Ceci est mon sang, extrait d’une source primitive, l’autre : de l’alliance, emprunté à la tradition de Paul. Nous ignorons quel a été l’original araméen. Nous ne savons même pas laquelle des deux formules, celle de Paul-Luc, ou celle de Matthieu-Marc, formules équivalentes par le fond, mais différentes d’aspect, a été dite par Jésus. Nous ignorerons toujours lequel des deux types mérite la préférence. Il est donc possible que les deux premiers Évangiles aient modifié la forme extérieure de la parole et qu’elle ait été, sous les traits que lui attribuent Paul et Luc, prononcée par Jésus. Les mots : Ceci est mon sang ont l’avantage d’être plus semblables à ceux de la consécration du pain et à la déclaration de Moïse sur le sang de l’antique alliance ; ils constituent une formule plus simple, ils ressemblent davantage aux prières liturgiques, ils conviennent mieux à un repas ; on boit du sang et non une alliance. Paul d’ailleurs veut avant tout prouver quelque chose, rappeler aux Corinthiens que l’eucharistie est un festin d’amour. Mais la singularité même de la parole de l’apôtre plaide aussi en faveur de son authenticité : l’aurait-il imaginée si elle n’était pas primitive ; et, au contraire, les parallélismes que suggère le type adopté par Matthieu et Marc ne permettent-ils pas de sujijjoser qu’il y a eu changement d’aspect extérieur de la |)cnsée primitive, le fond restant d’ailleurs identitjuc : ces deux évangéllstes se seraient efforcés de mieux adapter la parole récllenu’iit prononcée par.lésus à son cadre historique ? Le problfine est insoluble. IMais à coup sfir, le seul énoncé des mots employés par les divers témoins ne démontre pas l’inauthenticité des fonnules.

Reste une dernière différence. Selon Luc, Jésus dit du sang qu’il est versé pour les disciples (pour vous ; et saint Paul avait ainsi parlé du corps). D’après Matthieu et Marc, il est répandu pour beaucoup. Les deux expressions ne se contredisent pas et émanent d’écrivains qui ont un même concept. Pour beaucoup, affirment les premiers évangélistes, donc au moins pour les disciples qui, d’ailleurs, boivent le breuvage eucharistique. Pour vous, disent Paul et Luc, qui dans leurs écrits insistent plus que personne sur le caractère universaliste de la rédenqition et qui enseignent de la cène qu’elle doit être renouvelée par beaucoup et pour beaucoup. Les deux locutions s’emboîtent l’une dans l’autre. Paul et Luc, pas plus que Marc, n’emploient les mots : « pour la rémission des péchés ; » mais l’idée est’exprimée par eux quand ils disent : ceci

est mon corps pour vous ; cette coupe est la nouvelle alliance dans mon sang versé pour vous. Personne plus que l’apôtre n’a insisté sur la valeur expiatoire du sang du Christ.

Ainsi, ni les paroles attriljuées à Jésus par les quatre récits, ni l’idée de la nouvelle alliance, ni le rite ne paraissent invraisemblables ; les divers témoins sont d’accord pour affirmcr ce que rien ne permet de nier. Jésus a prononcé sur le vin les mots : Ceci est mon sang.

Il y a pourtant une théorie plus radicale ; pour quelques-uns des motifs déjà indiqués et pour d’autres encore, Andersen, op. cit., et Loisy, op. cit., nient l’historicité de la consécration du pain et du vin. Ils croient pouvoir affirmer l’existence d’un Évangile primitif de l’eucharistie dans lequel ne se trouverait que la déclaration cschatologique. Paul aurait modifié ce récit pour l’accommoder à sa conception de la mort du Christ. C’est ainsi qu’il aurait imaginé, croyant la tenir d’une vision, la narration contenue dans la première Épître aux Corinthiens avec ses deux formules eucharistiques et l’ordre de réitérer la cène. De la tradition de l’apôtre et de la source primitive dériveraient la narration de Marc, puis, par elle, celle de Matthieu, et le texte court de Luc. La recension longue, attribuée à cet évangéliste, serait le dernier témoin de la tradition écrite.

L’antique source perdue est ainsi reconstituée par Andersen : « Jésus prit du pain, prononça la bénédiction, le rompit et le donna aux disciples et dit : Prenez, mangez, car je vous dis que je n’en mangerai plus jusqu’à ce que je le mange nouveau dans le royaume de Dieu. Et ayant pris une coupe, il prononça la bénédiction et dit : Prenez-la et partagez-la entre vous. En vérité, je vous dis que je ne boirai plus du produit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai nouveau dans le royaume de Dieu. » Aucun témoin n’atteste cette forme. Le texte qui s’en rapproche le plus, la recension courte de Luc, en difTèVe essentiellement, puisqu’elle contient le récit de la consécration du pain. L’existence de cet Évangile perdu se justifierait par la critique que font Loisy et Andersen de tous les récits que nous possédons, mais critique dont a été et dont sera constatée l’insuffisancc. Cette source primitive aurait, disent ses inventeurs, le mérite de ne contenir que des idées intelligibles pour les Douze. Il faudrait aussi démontrer que tout ce qui ne s’y trouve pas ne pouvait être saisi par les apôtres. Et puis, il est nécessaire de donner un sens à cette version, de laisser un contenu à ce récit ; à force de vouloir simplifier le dernier repas, ne lui enlève-t-on pas non seulement toute grandeur et toute importance, mais même toute signification ? Il n’est pas invraisemblable que Jésus ait dit aux apôtres : Je ne man(jcrui plus, je ne boirai plus avec vous, mais pourquoi prononcer ces paroles en distribuant du pain et du vin ? Pourquoi la bénédiction toute spéciale, puisqu’elle est mentionnée ? Pourquoi donner ces éléments ? Gestes et paroles ne se correspondent pas. Et si la tradition la plus ancienne ne possédait que ces données sur la cène, il y a un abîme entre elle et la plus ancienne attestation écrite, abîme infranchissable, car on ne comprendra jamais comment les mots : Je ne mangerai plus, je ne boirai plus, ont pu devenir : Ceci est mon corps, ceci est la nouvelle alliance dans mon scmg. Il n’y a pas eu évolution, maïs transformation et même création. En réalité, le principal motif pour lequel Loisy adopte comme primitive cette narration inventée par lui, c’est, il l’avoue, l’accord de la cène ainsi obtenue avec l’idée qu’il se fait de Jésus préoccupé seulement du festin messianique, de l’eschatologie juive, et incapable d’annoncer sa mort, de prévoir sa résurrection, de songer à la

fondation de l’Église. Op. cit., t. ii, p. 540. On sait ce que vaut cette christologie ; et par conséquent, on peut conclure à l’irrecevabilité des conclusions qu’elle commande a priori, par manière de préjugé et malgré les textes.

Ce qui est surtout inadmissible, c’est le rôle prêté à saint Paul. La tradition antique lui a donné l’idée primitive de la cène. Mais « il interprète le souvenir apostolique selon sa propre conception du Christ et du salut de façon à voir, dans le repas eucharistique, symbole effectif de l’union des fidèles dans le Christ toujours vivant, le mémorial du crucifié, de celui qui avait livré son corps, versé son sang pour le salut du monde. » Loisy, op. cit., t. ii, p. 541. La cène est pour l’apôtre une figure et une continuation de la croix r la mort de Jésus a une valeur expiatrice et l’eucharistie commémore ce sacrifice, met en communion avec lui et devient ainsi le pacte d’une nouvelle alliance. C’est sous l’influence de ces idées que se forma le récit de la lettre aux Corinthiens. Aussi le corps et le sang, ce dernier surtout, devront-ils être mis en relief. Saint Paul a conscience de ne pas reproduire la tradition reçue jusqu’alors, ill’écrit : c’est rfu Seigneur qu’il tient ce qu’il enseigne, il l’attribue donc à une vision, c’est-à-dire à une autosuggestion. Il remplace les mots : Je ne mangerai plus, qui n’auraient pas servi à son but, par Ceci est mon corps pour vous. Il hésite à dire de la coupe : C’est le sang. Mais, se rappelant le récit de l’Exode, l’esprit hanté par la conception des deux alliances qui lui est si familière, il substitue aux mots : Je ne boirai plus, la phrase : Ceci est la nouvelle alliance dans mon scmg, formule qu’il n’aurait sans doute pas imaginée si la tradition lui avait fourni une phrase plus claire et plus expressive comme : Ceci est mon sang. Puis, afin de bien marquer que la cène, telle qu’il la conçoit, remonte au Seigneur, il accentue l’idée de son institution et au lieu de la recommandation : Prenez, mangez, buvez, il insère à deux reprises l’ordre : Faites ceci en mémoire de moi. Loisy, op. cit., t. ii, p. 520, 531-533, 538-541.

Cette conception suppose que saint Paul le premier attribue une valeur expiatoire à la mort de Jésus, qu’il a le premier vu en elle un sacrifice d’alliance et de rédemption. Ce n’est pas ici le lieu de montrer que cette hypothèse est erronée ; mais il faut du moins le rappeler afin d’infirmer la conséquence que l’auteur en tire. Le rôle prêté à l’apôtre est plus qu’invraisemblable, saint Paul recourrait à une prétendue révélation pour réformer totalement la catéchèse antique ! Et il le laisserait entendre lui-même en disant qu’il tient son récit du Seigneur et non des apôtres !

D’abord, le préambule : Car pour moi j’ai reçu du (ir.6) Seigneur ce que je vous ai transmis, prouve-t-il que saint Paul invoque une révélation personnelle, une vision spéciale ? Pour justifier ce sentiment, on a invoqué le sens de la préposition à-ù choisie ici de préférence à uapi et qui désignerait l’origine immédiate, sans intermédiaire : cette affirmation a été contestée, des érudits, Moulton, Broesc, etc., ont établi que les deux mots sont employés indifféremment dans le Nouveau Testament, qu’àTrô indique d’une manière indéterminée l’origine quelle qu’elle soit et que Ttapi, au contraire, signifierait plutôt un doH directement reçu ; il faut observer, de plus, que l’apôtre a pu intentionnellement éviter cette préposition parce qu’elle était contenue dans les deux verbes dont il se sert en cet endroit, Traf.sXaêov.’jtapÉotov. a. La présence de cette péposition -apâ n’est pasplussuggestive : le verbe 7rapa), â|jLêiv61v étant appelé ici comme ailleurs par le verbe Trapaôtôcivai. I Cor., xv, 3 ; I Thess., II, 13 ; IIThess., ii, 15 ; iii, 6 ; Rom., vi, 17 ; Gal., i, 9, 12 ; Phil., iv, 9 ; Col., ii, 6. Impossible donc

de tirer un argument décisif de la présence du mot

Sans doute, les partisans — et il } a parmi eux des catlioliques — d’une révélation immédiate font valoir d’autres preuves. L’apôtre parle souvent des révélations privées qui lui ont été faites. Gal., i, 11, 12 ; Act., XXIII, 11 ; II Cor., xii, 1-4. Il déclare tenir de communications immédiates et non d’une source humaine son Évangile. Gal., i, 12. Le texte suggère d’abord cette pensée ; c’est à une apocalypse que les Corintlûens et les lecteurs modernes non prévenus sont amenés naturellement à songer. Si Paul ne parlait que de connaissance due à la tradition apostolique, l’emploi emphatique du pronom lyto ne se justifierait pas. Il aurait dû écrire : « nous avons appris « ; tous les prédicateurs et tous les fidèles se seraient trouvés dans le même cas que lui.

Ces arguments ne sont pas péremptoires. Les mots : J’ai reçu du Seigneur signifient que ce n’est ni saint Paul ni aucun apôtre qui a formulé le précepte de la cène violé par les Corinthiens, ils sont l’équivalent des formules bien connues : « J’ordonne, non pas moi, mais le Seigneur, " I Cor., vii, 10 ; « En recevant la parole que nous vous avons fait entendre, vous l’avez reçue non comme la parole des hommes, mais comme une parole de Dieu. » I Tliess., ii, 13. Le moi emphatique « n’implique donc pas une révélation personnelle ; il met fortement en opposition la pratique blâmable des Corinthiens avec celle que saint Paul sait être conforme à l’institution même du Sauveur Jésus. Si l’apôtre avait écrit « nous avons reçu » , il aurait singulièrement énerve la force de sa preuve. » Mangenot, loc. cit., p. 255. Le « moi » signifie que le fondateur de l’Église de Corinlhe, celui qui a prêché à cette communauté la cène, peut moins que tout autre approuver ses disciples lorsqu’ils transforment le repas du Seigneur en un banquet vulgaire. Les verbes Tiapa"/aij.oàv-iiv et 773 ; ^ lôiSovai indiquent bien la transmission faite à Paul et par lui à d’autres. Le mot /.ai, ’j’ai reçu ce que j’ai transmis moi aussi, » semble souligner la similitude des deux opérations. Les analogies du langage de l’apôtre viennent confirmer celle conclusion. Dans cette même Épître aux Corinlliiens, énumérant les principaux chefs île la doctrine, saint Paul reprend l’expression : TtapsSo/.a -j-àp {i|j. ; v £v TTOdjToi ; ’j /.ï’i Kxoù.y.ôrfI. xv, 3. La similitude des deux passages est vraiment frappante : les formules se rencontrent ; de plus, elles introduisent le même enseignement sur la valeur rédemptrice de la mort (lu Christ, cet enseignement qu’.Vndeisen et Loisy déclarent étranger à la pensée de.lésus, inconnu dans la théologie de la communauté primitive. Or incontestablement, dans ce dernier passage, l’apôtre se réclame non pas d’une révélation personnelle, mais de la tradition officielle de l’Église. C’est cette tradition qui a appris à Paul que le Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Écritures, comme elle lui a apprls le fait historique de la résurrection et les apparilionsdu ressuscité. » Van Crombrugghe. loc. cit., p..’{.’{II.

Si donc l’auteur invoque la tradition apostollque, la théorie de l’autosuggestion n’a plus de base. Mais même si on admet, avec certains catlioli(|iies d’ailleurs, que saint Paul ici s’ajjpuie sur une vision ixrsoinielle, on ne peut accepter le système de M. Loisy. Celle révélation n’a-t-elle pas coïncidé avec la tradition primitive, na-t-elle pas eu pour objet non les faits, mais leur sens intime, leur portée mystérieuse ? N’alelle pas été réelle ? Trois questions qu’.Xndersen cl Loisy ne prennent même pas la peine de poser et qu’ils sont pourtant obligés de résoudre avant d’avoir le droit de tirer leurs conclusions. Or saint Paul ne laisse pas entendre qu’il croit ajouter quelque chose à

la doctrine apostolique. Il la connaissait certainement, il avait participé aux assemblées où l’on rompait le pain, il avait entendu les apôtres Pierre et Jacques, les premiers disciples. Comment concevoir qu’il ait osé, non pas modifier un léger détail du récit antique et sans doute reçu partout, mais le transformer entièrement, le rendre méconnaissable ? En vain, Loisy écrit-il, op. cit., t. ii, p. 532, note 1, que « le mélange » de ce qui était traditionnel avec la propre doctrine de l’apôtre « s’est fait dans la région subconsciente de l’âme où se préparent les visions et les songes. » Saint Paul est donc un halluciné : il prend pour réellement accompli ce qu’il imagine afin d’adapter la cène à sa théorie de la rédemption. Line aussi forte affirmation ne se présume pas, elle se prouve : on ne fait pas de quelqu’un un fou sans justifier une si grave accusation.

Non seulement Paul eût été un visionnaire, mais puisque, comme le suppose Loisy, loc. cit.. « il n’a pas pris pour traditionnel un récit où il avait mêlé sa propre doctrine, » il s’est donc rendu compte de l’opposition qui existait entre son rêve et les plus anciens souvenirs chrétiens. Et cette pierre de touche, qui aurait dû lui prouver jusqu’à l’évidence la fausseté d’une conception qui non seulement modifiait, mais supprimait et contredisait tout ce qu’avaient affirmé les propres témoins du fait, ne lui fit pas discerner la valeur de sa prétendue révélation. Paul était un inguérissable halluciné. Il l’était par plaisir, sans nécessité. Car, pour démontrer aux Corinthiens sa thèse, pour les porter à la charité fraternelle, au respect du rite, il n’avait pas besoin de bouleverser de fond en comble toutes les traditions : il lui sufiisait d’insister sur la valeur religieuse de l’acte, sur son origine, sur son caractère de repas fraternel. Il aurait voulu, dit-on, mettre en relation la cène dirétiennc avec l’immolation de la croix ; or, il ne montre pas le sens de la fraction, symbole de la mort, il ne parle même pas du sang versé, figure de celui qui fut répandu au Calvaire, il remplace les paroles traditionnelles par quatre mots dont on n’avait pas l’idée et qui, si on les entend comme le font les catholiques et d’autres, rappellent sans doute le sacrifice de la passion, mais font penser d’abord, surtout, à la présence réelle, et, si on leur cherche un autre sens, deviennent presque inintelligibles, peuvent être intcrjjrétés de telle manière que la notion de l’expiation soit même exclue. Si Paul invente de toutes pièces, pour accommoder le récit de la cène à sa sotériologie, pouiquoi ne met il pas seulement sur les lèvres du Christ sa formule si claire : « Chaque fois que vous mangez ce pain et buvez ce calice, vous annoncez ma mort ? » Pourquoi, au contraire, invente-t-il de toutes pièces un dogme incompréhensible entre tous, une promesse qui dépassc tout ce que l’homme peut rêver, un don qui, sans doute, ne se détache pas de celui de la croix, mais qui a une telle valeur intrinsèque qu’il accapare une notable partie de l’attention, de la reconnaissance et de la piété du fidèle ? L’apôtre est le plus maladroit des hallucinés.

Sa maladie est contagieuse. Les premiers chrétiens ont des souvenirs ]irécis, une narration aux traits bien nets du dernier repas de.lésus. ils savent qu’ils la tiennent des témoins authentic|ues du fait. VA ils l’abandonnent tous sans discussion, pour adopter le roman fantaisiste créé par l’imagination d’un homme qui n’a pas vi l’événement. Ils sont plus fous que saint Paul. Ils le sont surtout, les Douze. Pierre en tête, qui ne contrôlent pas, ne protestent pas, acceptent comme authentique ce qu’ils savent contraire à la vérité. I-Ji vain Loisy écrit il, loc. cil. : « Ce serait méconnaître entièrement l’état desiirit des premiers croyants que de voir dans cette circonstance une im

possibilité… comme si le récit do Paul, supposé qu’il soit venu à la connaissance de Pierre ou de quelque autre témoin, avait dû provoqucr un démenti formel, qu’on se serait fait une obligation de répandrc dans toutes les communautés. Nul ne songeait à tenir deux registres d’enseignement chrétien, l’un pour les souvenirs évangéliques, l’autre pour les révélations de l’esprit. » La remarque aurait quelque valeur si la découverte de l’apôtre complétait seulement le récit traditionnel ; ou si elle fixait le sens des diverses circonstances historiques de la cène ; on aurait pu l’accepter. Ainsi des catholiques, sans abandonner les Évangiles canoniques, admettent à leurs risques et périls les révélations complémentaires de Catlierine Emmerich. Mais l’apocalypse de Paul dément tout ce qu’on croit, supprime tout ce qu’on sait, dénature tout ce qu’on pense de la cène. Or, c’est elle qui deviendra la version reçue et qui décidera les auditeurs des premiers témoins, Marc, par exemple, à oublier les dépositions précises et déjà répandues dans le public de ceux qui ont mangé et bu avec le Christ 1 Les apôtres n’ont pas besoin de tenir un registre pour se rappeler ce qu’ils ont vu. Il n’est pas nécessaire qu’ils en aient deux pour découvrir une différence entre des récits qui se contredisent.

Le travail accompli par Alarc, selon Loisy, n’est pas moins difficile à comprendre. Marc connaissait le récit traditionnel et s’en servit, mais le modifia pour lui souder maladroitement des données empruntées à la tradition des Églises pauliniennes. Des traces de cette élaboration existeraient encore. « Vu le caractère général du second Évangile, on est d’avance autorisé à présumer que l’influence de Paul se sera exercée sur l’interprétation de la dernière cène dans Marc. Et cette inlluencc peut être vérifiée presque matériellement. » Il garde les mots : « Je ne boirai plus du fruit de la vigne…, » mais il ajoute : « Ceci est mon sang ; celui de l’alliance… Ceci est mon corps. » Les deux notions sont incohérentes, disparates, » appartiennent à deux courants d’idées très différents ; elles n’ont pu être exprimées toutes deux au même moment par la même personne. » Bien plus, la phrase : Ceci est mon sang de l’alliance n’aurait jias été comprise des disciples. « Il n’était d’ailleurs plus temps de prononcer ces paroles après que les disciples ont déjà bu ; or, Marc écrit : il leur donna la coupe et ils en burent tous et il leur dit : Ceci est mon sang de l’alliance répandu pour plusieurs. » On touche du doigt sa gaucherie : les premiers mots sont empruntés à la source antique, la suite est une addition paulinienne mal placée. Matthieu a corrigé la faute et écrit : Il donna la coupe en disant : Buvez-en tous, car ceci est mon sang. Le rédacteur du second Évangile disposait donc d’un récit où il n’était pas question du sang répandu. Cet amalgame mal réussi se laisse encore soupçonner, en raison de la place qu’occupe dans les deux premiers Synoptiques lu déclaration escliatologique. D’après eux, Jésus aurait d’abord dit ; « Ceci est mon sang » et c’est seulement après qu’il aurait ajouté : « Je ne boirai plus du fruit de la vigne. > IMais il ne devait plus appeler du vin ce qu’il venait d’identifier à son sang. Le logion escliatologique venait mieux après qu’avant la distribution du calice. Marc]et Matthieu n’ont pas su comment concilier la parole empruntée à la tradition des Églises de Paul et celle dont les premiers chrétiens avaient conservé le souvenir. Loisy, op. cit., t. II, p. 524, 533, 536-539.

Les anomalies que signale Loisy ne justifient pas la conclusion qu’il en tire. La petite phrase de Marc : « Et ils en burent tous et il leur dit : Ceci est mon sang » paraît évidemment moins bonne que le passage correspondant de Matthieu : Buvezen tous, car ceci est mon sang. Car l’ordre mentionné par le premier évan géliste correspond à celui qui, d’après lui et d’après Marc, a été donné, au moment de la distribution du pain : « Prenez [mangez], ceci est mon corps. » Mais ces deux leçons s’expliquent peut-être par l’emploi d’un même original araméen in-iqui pouvait être traduit à la deuxième personne du pluriel de l’inipéralif ou la troisième personne du pluriel de l’indicatif parfait. Berning, op. cit., p. 117. Les mots : et ils en burent tous ne sont qu’une parenthèse « amenée par le rapproclicment naturel des idées entre la présentation de la coupe et le fait de Ijoire.une anticipation glissée rapidement et qui ne prétend pas inlcrrompre la trame du récit, d’autant quecette phrase d’un grec hébraïsant peut signifier aussi bien la simultanéité que la succession des actes. » Rivière, Le dogme de la rédemption, Paris, 1905, p. 82-83, 331 ; Mangenot, Les Évangiles sijnopti(/iirs, p. 432-433.

u Quant au logion escliatologique, il est présente comme un asyndeton, sans lien organique avec le contexte immédiatement précédent : un simple /.ai zi~i-i aÙToT ; qui l’introduit peut parfaitement indiquer un complément étranger par son origine aux formules de consécration auxquelles il fait suite. » Van Crombrugghe, loc. cit., p. 331. Si ces mots, comme le texte long de Luc permet de le penser, ont été réellement prononcés par Jésus sur la coupe pascale, toute difficulté s’évanouit. Les deux premiers Synoptiques n’ont pas jugé utile de parler du rite juif, ils ont voulu cependant conserver le souvenir de la déclaration eschatologique : ils étaient donc obligés, parce qu’il y est question de viii, de la rattacher an récit de la consécration de la seule coupe dont ils parlent. « La réflexion de Marc… peut s’appliquer à ce qui a précédé l’institution de l’eucharistie. » Lagrange, op. cit., p. 356. Le Christ a eu le droit de la prononcer à ce moment, même s’il avait dit auparavant : « Ceci est mon sang, » car nous ignorons s’il a bu à la coupe eucharistique. L’eût-il fait, sa parole garde un sens : Je ne boirai plus de ce qui paraît du viii, de ce qui était du vin.

Quant à r ; /î(o/if/r ;)rf qui existerait entre la formule « Ceci est mon sang » et la déclaration eschatologique, elle doit être niée. Les deux idées ne sont pas identiques, évidemment. Et nous ne devons pas nous étonner que Jésus, prononçant deux phrases, ne répète pas dans la seconde ce qu’il a dit dans la première ; le contraire serait étrange. Mais les deux pensées ne sont pas contradictoires. Et l’on ne peut établir que le Christ, s’il a énoncé rune, n’a pu exprimer l’autre. Un critique non catholique, Goguel, l’observe justement, op. cit., p. 87 : « Rien ne permet d’affirmer que, dans son dernier repas, Jésus n’ait pu s’inspirer que d’une seule et même pensée ; tout au plus pourrait-on considérer qu’il y a des chances pour qu’une des deux déclarations soit inauthentique, s’il était prouvé qu’entre elles aucun lien organique ne peut être conçu. Or, il n’en est pas ainsi : il est naturel, au contraire, de penser que c’est parce qu’il a conscience de prendre son dernier repas avec les siens que Jésus éprouve le besoin d’accomplir un acte particuUèrement solennel en distribuant du pain comme symbole, » un catholique dirait comme enveloppe apparente « de son corps » . Le plus récent commentateur catholique de Marc le dit aussi fort bien : on a raison de voir dans r institution deux aspects, celui d’une communion avec le Christ et celui du souvenir de sa mort, on a tort de les opposer l’un à l’autre, d’opter entre eux. « Quoi de plus simple que de reconnaître une harmonie que saint Paul constatait déjà ? C’est parce que le Christ va mourir qu’il institue un mode de présence réelle parmi les siens qui leur permettra de s’unir à lui et cette communion leur sera d’autant plus précieuse qu’elle commémore son sacrifice et qu’elle en contient le prix. » Lagrange, op. cit., p. 357-358.

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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ÉCRITURE

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Enfin, on sait que la thèse du paulinisme de Marc ne peut être admise telle que M. Loisy l’a exposée et soutenue. Sous cette forme excessive, elle n’est « ni démontrée ni vraisemblable. « Mangenot, op. cit., p. 413-434 ; Lagrange, op. cit., p. cxl-cxlix. Et ici même, il faut noter que les paroles du second Évangile : Ceci est mon sang, celui de l’alliance, ne sont pas le simple décalque de celles de l’apôtre : « Ceci est la nouvelle alliance dans mon sang. » Pour expliquer la différence, Loisy est obligé d’avouer que Marc n’a pas reproduit lÉpître aux Corinthiens, mais qu’il a conformé l’ancien récit à la doctrine et à la pratique des communautés fondées par saint Paul. Or, tout à l’iieurc, au contraire, I^oisj’discutait manifestement l’influence d’une parole proprement dite sur une parole : c’est par elle qu’il expliquait les prétendues anomalies de Marc. Et s’il faut écarter l’argument de dépendance textuelle, il ne reste plus pour appuyer la thèse qu’une supposition gratuite, « l’idée préconçue de sj"stème. » Rivière, lac. cit. Tout, d’ailleurs, n’est pas justifié par M. Loisy. Pourquoi le second Évangile a-t-il supprimé les mots : « Je ne mangerai plus de ce pain, » s’ils se trouvaient dans la source primitive ?

La manière dont s’explique, d’après lui, la formation du récit de I^uc n’est pas plus acceptable. I>e Iroisièmc évangéliste connaissait la source primitive. Il l’a seulement « corrigée, en substituant la Pâquc au pain, pour se conformer au cadre synoptique du dernier repas ; puis il a pris à Marc la formule : Ceci est mon corps pour faire droit à la tradition de Paul et de Marc qui devait être déjà celle du plus grand nombre des communautés chrétiennes. « Ueime de l’histoire des religions, 1906, t. iii, p. 23.5. Cette fois encore, il y a tout un échafaudage d’hypothèses dont la charpente est bien fragile. Le texte primitif aurait porté : « Je ne mangerai plus de ce pain » et Luc aurait écrit : « Je ne la mangerai plus [cette Pâque]. » Or, la source antique, reconstituée hardiment par Andersen et Loisy, ne nous a été transmise par aucun témoin, elle est dégagée du texte du troisième Évangile. S’il en est ainsi, n’est-il pas plus naturel d’admettre que la déclaration de Jésus a toujours été telle qu’on la lit dans saint Luc" ? Le récit de cet évangéliste a annoncé la préparation de la l’âquc, et fait dire par le Christ : » J’ai désiré d’un vif désir manger cette Pâque… » ; il est donc juste d’admettre que la parole qui suit est : « (^ar je vous dis que je ne la mangerai plus… « ’Vouloir, derrière cette leçon, découvrir un original qui portait le mot pain, c’est préférer ce qui est gratuit à<-e qui est aUiriué, ce que commande un système à ce qu’exige un texte. Loisy suppose encore que Luc, ayant sous l’es yeux le texte de Marc, connaissant la tradition de Paul, voulant y faire droit, s’est contenté d’ajouter à la narration traditionnelle l’alTirmation de la consécration du pain. L’évangèlisle n’a donc rien mentionné de ce qui, au jugement même de ce critique, tient la première place dans l’esprit de l’apôtre, les paroles eucharistiques prononcées sur la coupe d’alliance et 1 ordre d’institution. Luc connaît Marc, il sait donc la tentative de cet auteur pour souder au logion eschatologique primitif la déclaration sur le sang de lalliance cl il n’a pas l’idée de s’en servir, de la’reproduire, du moins de la retoucher comme, d’après Loisy, Matthieu la fait… Puis, après avoir reproduit, sans rien lui enlever de sa saveur primitive, l’affirmation : j « .Je" ne boirai plus… » , Luc se contente de juxtaposer ces mot~s : 1.1 ayant pris du pain, fait l’action de grvccs, il le rompit et le leur donna, disant : Ceci est mon corps. » Ici, il était facile irinsérer l’ordre de réitérer. On ne le trouve pas. La phrase est en l’air, dans une » espèce d’isolement » , avoue Loisy, op. ri^, p..'>31), sans rapport avec ce qui précède ni avec ce qui suit. Pourquoi n at-cllc pas été rapprochée de la parole sur la PAquc que

DICI. DE THiOL. i ; *THOL.

Jésus ne mangera plus ? L’ordre des actes accomplis d’après le récit primitif et d’après Paul, donc d’après les deux sources de Luc, place le pain avant le vin. Ici, au contraire, le vin est distribué avant le pain. L’évangéliste s’écarte de ses deux guides, .

dersen, pour se dé barrasser de ces difficultés, supprime avec Blass et Wellhausen, du récit court de Luc, le commencement du verset 19. M. Loisy recule devant ce procédé qu’il est obligé de trouver arbitraire, mais il est condamné à avouer qu’il y a, dans le récit court du troisième Évangile, une phrase qui n’a pas de signification : « La formule : Ceci est mon corps, n’a de sens que dans la conception de Paul. » Op. cit., p. 539, n. 3.

L’existence de la recension longue prouve-t-elle la thèse de M. Loisy ? Dans ce texte, on rencontrerait, selon lui, deux récits distincts, mais concentriques, delà même cène. Les versets 15-18 rapportent, d’après l’antique source, déjà mise à profit par Matthieu, Marc et Luc court, la célébration d’un repas d’adieu. Ceux qui suivent, 19-20, racontent, surtout selon saint Paul, l’institution de l’eucharistie en ce même moment. Le texte prouverait donc l’existence des deux sources. l’Évangile primitif et la tradition paulinienne. Il en serait ainsi, si cette explication était la seule qui puisse rendre compte du récit long. Or, il en est trois autres qui sont au moins aussi bonnes. Ou bien Luc parle d’abord de la coupe pascale, puis de l’eucharistie ; ou bien Luc a inséré, avant de raconter la cène d’après la tradition comnuine, deux paroles connues par ailleurs et dont il ne voulait pas perdre le souvenir : ou encore Luc a décomposé ce qui concerne le vin eucharistique, il a dit en deux fois ce qu’il en savait-Ces explications, à coup sûr, ne sont pas données comme parfaites, les deux dernières surtout ne suppriment pas toute difficulté, mais la première semble résoudre les énigmes du texte long. Et cette interprétation qu’adoptent aujourd’hui la plupart des catholiques, comme aussi l’hypothèse de MgrBatiffol, valent mieux que la théorie de M. Loisy. Car elles indiquent d’une manière satisfaisante pourquoi, à deux re|irises, il est parle de la présentation de la coupe et de l’action de grâces faite sur elle. Pour rendre compte de ces faits, au contraire, M. Loisy ne peut oITrir qu’une explication : la combinaison des deux sources est médiocrement réussie, elle est trop défectueuse pour être de Luc. Op. cit., t. II, p. 531. Ne vaut-il pas mieux conclure qu’elle serait trop maladroite pour être vraisemblable ? Et si celui qui l’a faite était scrupuleux à tel point qu’il n’a pas ose supprimer dans la reproduction d’une source ce qui constituait un doublet du contenu de l’autre (action de grâces, présentât ion du vin), comment admettre qu’il n’ait pas craint d’ajouter aux paroles de la consécration du pain un mot qu’il ne trouvait nulle part ailleurs (donné) et de retrancher du récit emprunté à la I" aux Corinthiens l’ordre de réitérer la présentation de la coupe de l’alliance ? Ou il croyait que Paul avait eu raison de substituer au logion eschatologique les mots : « Ceci est mon corps, ceci est la nouvelle alliance, » et alors pourquoi u’a-t il pas fait comme lui ? Ou il pensait le contraire ; et alors pourquoi a-t-il reproduit les formules de l’apôtre qu’il considérait comme des déformations de la vérité ? Ou enfin, il a supposé que l’Épitre aux Corinthiens relatait des actes et des paroles que la source primitive avait négligé de donner ; et alors puisqu’il ne disposait que de ces deux documents, puisque rien n’y laisse entendre qu’il y a eu deux cènes, il ne devait certainement pas juxtaposer, mais amalgamer ; et il aurait été d’autant plus porté à le faire <jue.Matthieu et Marc l’avaient essayé avant lui et que <léjà, dit Loisy, leurs récits étant connus, il importail à un nouveau venu de ne pas paraître contredire tout ce qui avait été soutenu avant lui.

V. -- ; i ; -i

Tous les arguments accumulés pour établir que Jésus n’a pas consacré le pain et le vin se heurtent donc inutilement aux paroles : « Ceci est mon corps » textuellement répétées par les quatre témoins, et à la formule qui se retrouve équivalemment chez tous : « Ceci est le sang de l’alliance. » Vouloir leur opposer un Évangile aujourd’hui perdu et dont on ne peut prouver l’existence, c’est récuser des témoignages réels à cause d’une déposition dont on ne sait si elle a jamais eu lieu.

c. Jésus a donné l’ordre de réitérer la cène, c’est lui qui a institué l’eucharistie. — Paul et Luc rapportent seuls les mots : « Faites ceci en mémoire de moi ; » encore ce dernier ne les insère-t-il qu’une fois dans son récit ; beaucoup de critiques concluent que Jésus ne les a pas prononcés : « S’il est facile de comprendre comment cet ordre a pu être introduit dans un texte qui iie le contenait pas primitivement, on ne pourrait pas s’expliquer, s’il avait fait partie de la tradition primitive, comment il aurait pu disparaître dans les textes de Matthieu et de Marc, » écrit Goguel, op. cit., p. 82, qui cite comme tenants de cette opinion B. Weiss, Brandt, Spitta, Grafe, Joachim, A. Réville, Barth, Wellhausen, J. Hoffmann, W. Schmidt, Andersen, Soltau, J. Réville, Lietzmann. Voir aussi Julicher, Gardner, Titius. Et Berning, op. cit., p. 137, remarque à bon droit que, dès l’origine de la Réforme, on constate une tendance à contester ou à nier l’institution de l’eucharistie par le Christ.

Au contraire, non seulement les catholiques, mais beaucoup de protestants et de critiques n’appartenant à aucune confession affirment l’authenticité de l’ordre de réitérer (Goguel nomme : Keim, Beyschlag, Weizsâcker, 2e édit., Harnack, R. A. Hoffmann, Stapfer, Schæfer, O. Holtzmann, Feine, Zahn). Plusieurs critiques croient que si la parole citée par saint Paul et saint Luc n’est pas authentique, la répétition de l’acte répondait à la pensée de Jésus. H. J. Holtzmann, op. cit., t. i, p. 304." Cf. A. Robertson et A. Plummer, A critical and excgetical commentary on the first Epistle of St. Paul to the Corinthians, Edimbourg, 1911, p. 245.

Un des arguments invoqués par les négateurs de l’historicité est d’ailleurs sans portée contre les catholiques. L’eucharistie est un symbole, donc il n’y a pas lieu de la recommencer : ainsi raisonne J. Hoffmann, op. cit., p. 4. Cette remarque est sans valeur : « La répétition d’un acte symbohque se justifie chaque fois qu’il y a intérêt à rappeler l’idée exprimée une première fois. » Goguel, op. cit., p. 101. D’ailleurs, l’eucharistie n’est pas une simple figure, elle est le don du corps et du sang du Christ, don qupest utile aux fidèles du xxe siècle, autant, sinon plus, qu’aux Douze ; c’est une nourriture, un breuvage : le choix de cette figure semble indiquer qu’on doit la recevoir plusieurs fois.

Une autre preuve mise en avant par certains critiques ne touche pas les exégètes catholiques ou conservateurs. Ceux qui prétendent que le Christ ne s’est jamais préoccupé de ce que deviendraient ses disciples après sa mort, concluent qu’il n’a pu songer à la reproduction de la cène. Mais nous savons que Jésus a voulu étabhr l’Éghse ; et aux critiques qui rejettent ce sentiment, on peut encore faire observer que si, d’après eux, la pensée de la séparation et de l’avenir ne s’est pas présentée à l’esprit du Christ avant la cène, à ce moment la perspective de sa mort prochaine a été entrevue par lui et qu’il a pu songer à ce qui devait s’accomplir après sa vie.

Pour nier l’authenticité des mots : « Faites ceci en mémoire de moi, » il faut abandonner les affirmations de Paul et de Luc. Pourtant, les textes sont authentiques ; ils sont clairs ; rien nepermet de supposer qu’ils

ont été inventés par l’apôtre ou par l’évangéliste. On croit certainement que Jésus a ordonné de réitérer la cène. La meilleure preuve, c’est qu’on la renouvelle à Jérusalem, à Troas, à Corinthe, dans toutes les communautés fondées par saint Paul. L’apôtre ne se contente pas de citer la recommandation du Maître. Il insiste sur l’origine du rite chrétien : ce qu’il a enseigné, il le tenait du.Seigneur, .ussi parle-t-il de la table du Seigneur, de la coupe du Seigneur, du repas du Seigneur. Dans la I" Épitre aux Corinthiens, il se réfère à la doctrine que déjà il a répandue. S’il imaginait à ce moment les mots : « Faites ceci en mémoire de moi, en réprimandant et pour avoir mieux le droit de réprimander les destinataires de la lettre, ils auraient pu l’accuser de modifier sa catéchèse. C’est donc au plus tard quand il entra pour la première fois en contact avec eux qu’il aurait créé cette recommandation. Mais il n’aurait pu le faire sans être sûr de ne pas être démenti par les apôtres, par leurs disciples immédiats, par ceux dont il subissait les attaques. Si l’ordre de réitérer est aussi ancien, il devient impossible de ne pas attribuer au Christ l’institution de l’eucharistie. Car très rapidement, la cène s’introduisit et se répandit dans les communautés les plus diverses : aucune église ne fit opposition, n’hésita à imiter le geste de Jésus. Tout s’explique si les apôtres attribuaient au Christ l’ordre de le réitérer ; or s’ils l’ont fait, comment admettre et démontrer qu’ils l’ont inventé ?

Schmiedel, Die neuesten Ansichten iiber den Ursprung des Abendmahls, dans Protestantisehe Monatshefte, Berlin, 1899, p. 136, a essayé de résoudre ainsi ce problème. On renouvela le repas d’adieu. Un jour peut-être, le président du banquet dit, mais en son nom : « Prenez, mangez. » Quelqu’un s’imagina que ces mots avaient été prononcés par Jésus. Ils passèrent dans Matthieu et Marc. Un autre s’avisa de dire : « Faites ceci en mémoire du Maître » ou d’employer une formule semblable qui fut ensuite placée tout naturellement sur les lèvres du Christ. Voilà quelles hypothèses gratuites on accumule pour éluder un texte ! On sait pourtant le respect que dès la plus haute antiquité les chrétiens professèrent pour les paroles de Jésus. Si, au cours d’une cène, les assistants avaient osé confondre le langage de l’un d’eux avec celui du Seigneur, les absents auraient-ils accepté sans protester cette transposition ? Les communautés voisines et éloignées l’auraient-elles admise ? Pourquoi d’autres additions et modifications ne nous sont-elles pas parvenues ? Pourquoi les paroles qui précèdent nous sont-elles arrivées dans tous les récits sous une forme si arrêtée et si hiératique ? Comment expliquer que Luc, Paul, les liturgies primitives aient canonisé ces gloses purement accidentelles et celles-là seulement et sous une forme identique, et enfin en les attribuant au Christ ? « Le croie qui peut 1° dit Berning, op. C17., p. 142, note 2.

Mais Matthieu et Marc ne disent pas que Jésus ait prononcé ces mots. Et s’il les avait dits, leur silence ne s’expliquerait pas. D’abord, comme le remarque fort bien Mgr Batiffol, op. cit., p. 64, < nous ne pouvons vraiment pas ne pas souligner ce qu’a d’arbitraire le procédé par lequel on fait taire les témoins qui affirment pour n’écouter que ceux qui ne disent rien. Au surplus, il ne faut rien exagérer ; si les deux premiers évangélistes n’affirment pas expressément, ils ne nient pas non plus. Leur récit n’exclut pas l’ordre de réitérer. Si toujours les Synoptiques rapportaient les mêmes faits, les mêmes paroles, les mêmes détails sans que chacun d’eux omît jamais rien de ce que disent les autres, l’addition de saint Paul et de saint Luc pourrait surprendre le lecteur. Mais il en va tout autrement. A peu près jamais, les biographes de Jésus ne

tiennent à la lettre le même langage. S’il était établi que Matthieu et Marc, en toute circonstance, ont voulu dire tout ce qu’ils savaient, leur silence, si silence il y a, serait inquiétant. Mais cette thèse n’est rien moins que démontrée. Impossible donc de crier au désaccord proprement dit des quatre sources.

D’ailleurs, les deux premiers Évangiles indiquent peut-être à leur manière que la cène devait être réitérée ; ce point est admis même par des protestants et des incroyants. Si saint Matthieu et saint Marc, comme beaucoup de critiques et la plupart des catholiques le pensent, mettent un rapport entre la Pâque antique et la cène, ils laissent entendre que, comme la fête juive, le repas d’adieu pouvait et devait être renouvelé. Puisque ces deux évangélistes croient que Jésus a présenté le pain comme son corps et le vin comme son sang, corps qu’il faut manger et sang qu’il faut boire ; puisque, d’après eux, les actes et la mort du Christ ne doivent pas seulement servir aux Douze, ces écrivains insinuent que l’aliment devra être reproduit pour être de nouveau consommé. Les mots : « Prenez, mangez, buvez, » que seuls ils mettent sur les lèvres de Jésus, n’indiquent-ils pas au lecteur que, lui aussi, il doit prendre, manger, boirel Si on ne peut voir dans ces trois verbes et dans les mots : « il donna » , omis par l’apôtre, des synonymes exacts, une traduction littérale de l’ordre rapporté par Paul, du moins, n’est-il pas permis de conclure des verbes XiôsTï, csâ-j’ete, Tti’ctque, pour participer au corps du Christ et aux bienfaits de l’alliance, les fidèles doivent recommencer ce qu’ont fait les Douze ? Car pour Matthieu et Marc, aussi bien que pour Paul et Luc, le sang de la cène accomplie par Jésus est celui de l’alliance. Or, si un pacte, pour être conclu, n’exige qu’un instant, il est utile d’en commémorer parfois le souvenir. La cérémonie de Sinaï avait étéunique et valait pour l’avenir : Israël en célébrait pourtant la mémoire bien souvent. Le rapprochement visible dans Matthieu et Marc entre cette institution antique et l’alliance nouvelle, ne donnait-il pas à penser que, pour se consoler, se fortifier, oublier les fautes capables de rompre l’union avec Dieu, les contractants de l’union chrétienne étaient autorisés, invités à se rapproclier maintes fois du sang de Jésus, à rappeler l’acte qui avait scellé le traité ? Les mots des deux premiers évangélistes : « le sang est versé pour beaucoup » (en rémission des péchés, ajoute Matthieu) confirment ce sentiment. S’il en est ainsi, ftr « /jfO(ip doivent y participer. Paul et Luc disaient jwur vous : n’est-ce pas intentionnellement, parce qu’ils ne reproduisent pas le " Faites ceci… » , que les deux premiers Synoptiques ont préféré écTire " pour beaucoup » . Herning a essayé de montrer encore l’équivalent de l’ordre de réitérer la cène dans la déclaration eschatologiquc : « Je ne boirai plus. » A l’avenir, on ne consommera plus le fruit de la vigne parce que ce lireuvage de la fête mosaïque est remplacé chez les chrétiens par mon sang. Tel serait le sens de cette parole. Berning, op. cit., p. 153. La tentative est audacieuse ; ce qu’on peut retenir, c’est que, comme la coupe du rituel pascal, celle de l’eucharistie fait partie d’une institution permanente et caractéristique de la religion à laquelle elle appartient.

Mais enfin, pourquoi Matthieu et Marc, si la parole a été prononcée par Jésus, ne la rapportent-ils pas ? Hcsch, Ausscrkanonixche l’nrallcllrxle zu den EvanqcUen, Aan% Texte und L’/i/ff.suc/iu/i<7cn, Leipzig, 189.5, t. x, fasc. 3, p. 63.5, supjjose que les phrases de Paul ont été supprimées par un judéa chrétien. I>'hypothèse est gratuite : que de mots et de faits ce hardi correcteur aurait dû retrancher de Marc ? D’ailleurs, les fidèles de.Jérusalem, alors même qu’ils n’avaient pas pleinement rompu avec le judaïsme, alors qu’ils fréfjuentaient le teniplc, rompaient le pain, réité raient la cène. L’explication de Haupt, op. cit., p. 6, n’est guère meilleure : les événements de la dernière nuit, du dernier jour ont été si nombreux, si tragiques, si imprévus que les apôtres ont pu ne pas souligner telle ou telle parole, ne pas en conserver le souvenir. Certains n’auraient pas retenu l’ordre de réitérer, ce sont ceux qu’a connus Marc. D’autres l’auraient noté, ce sont eux qui ont renseigné saint Paul. Schæfer, op. cit., p. 222. Mais rien ne prouve que les Douze aient, dès le commencement du repas, perdu la capacité d’apprécier les faits et la faculté de se les rappeler. Si, comme l’admet Haupt, Jésus a prononcé les paroles « Faites ceci… » , les apôtres ont dû faire attention à ce qui s’accomplissait. Et si, par hasard, l’un d’eux avait oublié teldétail, tel mot, les conversations postérieures à la passion le lui aurait réappris ou remémoré. Le recours à la discipline du secret n’est pas possible : rien ne prouve qu’elle existait, elle n’avait alors aucune raison d’être.

L’explication la plus simple semble être la suivante. Sur ce qui s’est passé à la dernière cène, c’est Luc et Jean qui nous renseignent le plus longuement. Matthieu et Marc se contentent de raconter deux épisodes : le signalement du traître et la double consécration. On ne doit donc pas chercher chez eux une description complète de tous les incidents du repas, une reproduction de toutes les paroles qui furent prononcées. Ils veulent mentionner dans leur Évangile cet important événement, cette dernière preuve d’amour donnée par Jésus, cette réalisation du festin pascal de la nouvelle alliance ; mais ils disent seulement ce qui est essentiel. Le Christ présenta à ses apôtres son corps et son sang, sang dans lequel était scellé le nouveau pacte. lit c’était la dernière fois qu’il mangeait sur cette terre. On sait, d’autre part, qu’on trouve chez ces deux Synoptiques, chez Marc surtout, des abréviations de la matière dont ils disposent. Berning, op. cit., p. 147. Les évangélistes étaient, au reste, d’autant plus autorisés à omettre les mots’: « Faites ceci… » que les chrétiens des premiers temps étaient mieux renseignés sur les événements de la dernière cène par la prédication orale et par la liturgie. Puisqu’à l’époque ou étaient composés les deux premiers Évangiles, partout on réitérait la cène, puisqu’en le faisant, on croyait obéir à un précepte du Christ, saint Matthieu et saint Marc pouvaient juger inutile de reproduire l’ordre de renouveler le dernier repas. Knixhenbuucr, Evangeliuni srcundum Lucani, Paris, 18()G, p. 576 ; llehn. Die Einsetzung des liciligen Abendmalils als Beweis fiir die Golthcil Cliristi, Wurzbourg, 1900, p. 79 ; Berning, op. cit., p. 148. A plus forte raison, ne faut-il pas s’étonner que Luc ne cite qu’une fois l’ordre de.lésus. Fst-ce pour se rapprocher de Matthieu ou de Marc ? list-ce parce que la formule « l-’aites ceci… » placée par lui après la consécration du pain lui paraissait suffire : mise entre les deux actes, ne semble-t-elle pas les dominer ? Est-ce parce que le sang ayant été présenté comme celui de l’alliance, il devenait inutile d’ajouter qu’il fallait rappeler souvent la pensée de cette union durable et universelle ? Ces hypothèses ont été émises. De Luc nous dirons ce que nous avons afiimié des deux premiers Évangiles. Il ne se croit pas obligé de faire connaître tout ce qui s’est passé. Ayant cité une fois la parole, il estime avoir assez fait.

(I. Sur les autres détails, les récits des quatre témoins concordent pleinement. — Les recherches qui ont été faitessur la déclaration eschatologique, les paroles <le la consécration et de l’institution, ont mis en relief les seules variantes iniporlanles. lit leur minutieux examen a démontré qu’il est impossible de trouver dans une source la contradiction de ce qu’on relève ailleurs. Les autres divergences sont insignifiantes et sans portée. Dans les paroles prononcées, si on laisse de -1095

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côté les variantes de pure forme, il ne reste qu’une difTércnce dij^ne d’être signalée. Matthieu dit : « Prenez, mangez, …buvez-en tous. >- Marc écrit : « Prenez i et ajoute : « Ils en burent tous. » Luc et Paul omettent cetteinvitation. L’idée exprimée dans les deux premiers Synoptiques à propos de la consécration du paln est la même ; pour le viii, on est tenté de donner la jjrétérence à saint Matthieu, son texte semble plus satisfaisant. Mais il n’y a aucune contradiction entre Marc et Matthieu. L’omission de l’invitation par Paul et Luc semble sans importance. Sjntta, np. cit., p. 304, prétend que, pour le troisième évangéliste et l’apôtre, le pain et le vin sont tout le symbole, que, pour les deux autres témoins, l’action de manger et de boire est au premier plan. Mais il se trouve précisément que Luc et Paul ajoutent aux mots : « Ceci est mon corps » une finale : « pour vous » , « donné pour vous » . Si ce corps a été offert pour les Douze, il faut qu’ils y participent. D’ailleurs, selon le troisième évangéliste et l’apôtre, Jésus rompit le pain ; c’était évidemment pour qu’il fût mangé. L’ordre de réitérer la cène montre encore que ce qui est essentiel, ce n’est pas l’aliment isolé de l’action, c’est l’action portant sur l’aliment : « Faites ceci. » Il ne faut pas s’étonner si les mots : « Mangez, buvez » sont passés sous silence en deux sources : ils sont sous-entendus. L’apôtre d’ailleurs a moins l’intention de décrire par le détail la cène que d’en montrer la signification.

Le récit qui encadre les formules de la consécration est le même dans saint Matthieu et saint Marc, le même dans saint Luc et saint Paul : les nuances sont sans intérêt et presque imperceptibles. Berning, op. cit., p. 65 sq. ; Goguel, op. cit., p. 120. Que si l’on compare ensuite les deux types (Paul et Luc d’une part, Matthieu et Marc d’autre part), on nerelève quedes différences légères. Les deux premiers Synoptiques portent : « Pendant qu’ils mangeaient, » Jésus prit du pain, etc. ; l’apôtre et le troisième évangéliste écrivent : « Après le souper, » le Clu-ist consacra la coupe. Ces affirmations ne se contredisent pas ; sur la manière dont on les a harmonisées, voir Berning, op. cit., p. 76 sq. Dans le récit de la consécration du pain, Paul et Luc remplacent par les mots : « ayant fait l’action de grâces » l’expression dont se servent Marc et Matthieu : « ayant opéré la bénédiction. » La différence est purement verbale. Les deux termes sont pris indifféremment par les auteurs du Nouveau Testament. I Cor., xiv, 16. Aussi Matthieu et Marc eux-mêmes emploient, pour décrire le rite accompli sur le viii, le verbe « faire l’action de grâces » . Les deux mots paraissent correspondre à un même terme araméen iiz. Bénir Dieu, rendre grâces à Dieu, ce sont deux actes qui se confondent.

c) Les dépositions en faveur de l’institution de l’eucluirisiie par Jésus émanent de témoins irrécusables. — Paul écrit aux Corinthiens, en 55-58. Ce qu’il leur dit, il le leur avait déjà enseigné auparavant vers 50-52. Et à coup sûr, il l’avait prêché dans les autres villes où il était passé ; donc, depuis l’an 45 probablement, cette doctrine était adoptée dans toutes les communautés qu’il avait évangéÛsées. Elle lui semble indiscutable, liée au dogme fondamental de la passion, apte à diriger la vie morale, assez communément reçue pour servir de preuve à l’appui d’autres vérités, assez chère à Dieu pour que la providence punisse d’une manière terrible le mépris qu’on en fait. L’apôtre parle comme si personne ne pouvait la rejeter. D’où la tenait-il ? De ses visions, selon plusieurs interprètes, ce qui n’infirmerait nullement la valeur de son enseignement : le Seigneur aurait pris la peine de lui révéler le fait ou du moins le sens de la cène. D’intermédiaires sûrs qui lui avaient transmis la pensée de Jésus, d’après de nombreux exégètes. Ce qui est cer tain, c’est que Paul avait reçu les leçons d’Ananic, avait été en rapport avec les chrétiens de Damas, jugé capable par eux de parler aux Juifs ; c’est qui) s’était rendu à Jérusalem voir Pierre et que, grâce à l’intervention de Barnabe, il avait été admis dans l’intimité des disciples de la ville sainte ; c’est qu’il avait fréquenté les chrétientés de Césarée et de Tarse, avait fait un long séjour dans la communauté d’Antioche : que de fois, il avait été admis à la fraction du pain I Dans cette dernière ville, il avait été choisi sans doute en raison non seulement de son éducation, de ses talents, de son zèle et de ses vertus, mais aussi de sa doctrine et de sa connaissance de l’Évangile, pour être spécialement affecté le premier, avec Barnabe, à une grande tentative de propagande dans le monde païen. Alors avait commencé sa vie de missionnaire. Il aait pour compagnon Barnabe, pour aide Jean surnommé Marc. Le premier, « homme bon, plein de foi et du Saint-Esprit, « avait été un des plus anciens etdes plus notables disciples de la communauté naissante de Jérusalem ; le jugement porté sur son orthodoxie était tel qu’il avait été choisi pour décider de l’opportunité de l’admission des gentils, investi plus tard d’un apostolat illimité. Jean Marc était le fils de cette Marie dans la maison de laquelle se réunissaient bon nombre de chrétiens de Jérusalem. Sa mère était une chrétienne dévouée à Pierre qui peut-être avait lui-même converti et baptisé son fils. Et les adversaires acharnés que Paul rencontrait partout à Antioche, en Galatie, à Éphèse, à Corinthe, à Jérusalem, ne garantissent pas moins la pureté de son enseignement au sujet de la cène. On lui repiochait tout ce qui paraissait s’écarter de la doctrine des apôtres. Paul s’était justifié d’ailleurs, à la conférence de Jérusalem où se trouvaient Pierre et Jacques ; son apostolat avait été confirme, son orthodoxie reconnue, son œuvre approuvée. S’il est une doctrine qu’il ne pouvait dissimuler, c’est celle de l’eucharistie, puisqu’elle était liée à l’usage de la fraction du pain, et qu’elle est de celles sur lesquelles Pierre et Jacques n’auraient pu admettre aucune innovation : un changement essentiel dans les paroles ou les rites eût déconcerté les fidèles, transformé le dogme de la rédemption et démenti les souvenirs qui devaient être les plus chers aux témoins de la cène. On peut donc affirmer que le témoignage de Paul est hors de pair, qu’il est celui de toute l’Église, des chrétiens venus du judaïsme ou convertis de la gentilité, qu’il se confond avec les dépositions des premiers disciples et des Douze ; qu’enfin un intervalle de temps trop peu considérable sépare l’Épître aux Corinthiens de la mort de Jésus pour laisser place à une évolution qui entraînerait l’oubli définitif de la pensée du Christ et la création d’un rite auquel il n’aurait pas pensé.

Quant au témoignage desSynoptiques, même si l’on se place dans l’hypothèse des critiques qui s’écartent des conclusions traditionnelles, on est obligé de leur reconnaître une très grande valeur. Les trois premiers Évangiles auraient été composés entre 76-94 (Renan), 70-100 (H. J. Holtzmann), 60-85 (Harnack), 70-120 (Julichcr), 80-110 (Schmiedel), 70-110 (von Soden), 75-100 (Loisy), 60-100 (S. Reinach). Donc, à cette époque, les fidèles croj^aient que Jésus avait institué l’eucharistie, donné son corps et son sang aux Douze. Et ces critiques reconnaissent qu’il faut remonter plus haut, puisqu’ils croient à l’existence d’une catéclièse orale ou écrite antérieure aux Synoptiques. Ils avouent même qu’il y a dans les trois Évangiles un indice d’une très haute antiquité, la déclaration eschatologique d’une saveur très antique et d’une authenticité incontestée. Ainsi, on ne peut le nier, avant le dernier quart du iie siècle, les communautés chrétiennes con

naissaient ce que nous lisons sur le dernier repas ; et puisque, de l’aveu même d’un bon nombre de critiques non croyants, ces écrits, sous leur forme actuelle, prouvent la présence réelle : ce dogme était donc reçu à cette époque.

Mais des arguments historiques — et non seulement des motifs d’ordre religieux — démontrent qu’il faut reconnaître aux Synoptiques une plus grande valeur.

L’authenticité substantielle du premier Évangile est admise par la plupart des critiques catholiques tt par quelques protestant s conservateurs ; l’ouvrage n’est pas jiostérieurà 70. Or Matthieu était un des Douze et assistait à la cène. Le second Évangile est reconnu comme l’œuvre de Marc par tous lescatholiques.par la plupart des protestants conservateurs et par beaucoup de critiques libéraux ; les dates d’apparition proposées se placent entre 40 et 70. Marc est né à Jérusalem, a vécu avec les premiers disciples que recevait sa mère Marie. Il fut le compagnon de Paul, de Barnabe et de Pierre, le disciple de ce dernier, il écrit d’après sa catéchèse : il est donc le porte-parole d’un autre témoin de la cène. Le troisième Évangile a pour auteur Luc : tel est le sentiment des catholiques, des protestants conservateurs et de plusieurs critiques libéraux ; son œuvre fut publiée entre 60 et 70. Païen de naissance, il n’avait pas vu le Seigneur dans la chair ; mais il avait reçu les leçons de saint Paul, il avait consulté ceux qui, dès le commencement, avaient été les témoins oculaires de Jésus et qui furent les ministres de la parole. Il est instruit, diligent à s’informer, attentif aux petits faits, soucieux de faire œuvre de biographe et de laisser au lecteur l’impression de la certitude des vérités chrétiennes. Les critiques catholiques et nombre d’auteurs protestants attribuent le quatrième Évangile à Jean, l’apôtre, c’est-à-dire à un troisième témoin du dernier repas de Jésus. Ces conclusions acceptées, il faut admettre cju’aucun fait n’est mieux garanti dans le passé primitif chrétien, que l’institution par Jésus de la cène où il donna son corps en ]irésentant du pain, son sang en offrant du vin.

2. Si on n’attribue pas à Jésus l’institution de l’rncharistie, on aboutit à des hypothèses irrecevables. — Il ne suffit pas de nier : les critiques qui contestent les affirmations des catholiques sont obligés de rendre compte des textes et des faits. Si l’eucharistie ne remonte pas à Jésus, qui l’a imaginée, et quelle a été la conception du Christ ? Le rechercher et examiner les hypothèses émises, c’est constater la supériorité, le bien-fondé de la solution traditionnelle : toutes les autres sont inacceptables.

a) L’essai de reconstitution de la pensée de Jésus par les critiques non crot/ants n’est pas heureux. — Les opinions émises sont très divergentes ; pour pouvoir les passer en revue, il est nécessaire de les grouper sous quelques chefs ; l’eucharistie, sanctification de l’acte de boire et de manger ; l’eucharistie, repas fraternel ; l’eucharistie eschatologique ; l’euciiaristic, parabole et figure de la passion ; l’eucharistie, alliance ; l’eucharistie, don de la personne de Jésus.

a. Selon Harnack, Jésus, en présentant les aliments comme son corps et son sang, s’est placé pour les siens au centre de leur vie naturelle ; il leur a promis d’être là avec la puissance du pardon des péchés chaque fois qu’ils prendraient leur repas en souvenir de lui. Op. cit., j). 1.39. On peut rajjprocher de cette interprétation toutes celles qui volent dans la cène de Jésus un simple repas religieux et dans la fraction chrétienne un moyen de sanctification. Celte explication ne fait aucun cas de la déclaration eschatologique. IJIe transforme complètement le sens <les mots : Ceci est mon corps, ceci est mon sang. f’.eci n’est plus seulement le pain et le viii, ce que tient Jésus, c’est n’imporle quel aliment pris par

n’importe qui. Ceci est mon corps, mon sang, devient : Ceci vous sanctifie, nourrit votre âme par le pardon des péchés, l’aide à rendre grâce pour la passion du Sauveur. On voit immédiatement l’infranchissable abîme qui sépare les deux conceptions, celle du Nouveau Testament et celle que l’on propose. Où donc a-t-on trouvé dans les paroles de Jésus la promesse que cette sanctification serait produite chaque fois que le disciple mangerait et boirait ? On lit, mais seulement dans le commentaire de saint Paul, cette phrase : « Toutes 1rs fois que vous mangez ce pain et que vous buvez ce calice, vous annoncez la mort du Seigneur ; » et il faut bien observer que le contexte précise le sens de cette affirmation, que, d’ailleurs, elle ne prête à aucune équivoque, c’est ce pain et non n’importe quel pain qui commémore la passion. Ou la sanctification dont parle Harnack est ordinaire et alors pas n’était besoin d’une intervention spéciale de Jésus, d’une solennité si exceptionnelle, de fonnules si étranges : le Christ aurait dû parler comme le fait saint Paul : « Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, faites tout pour la gloire de Dieu, » I Cor., x, 31 ; « …aliments que Dieu a créés afm que les fidèles et ceux qui connaissent la vérité en usent avec action de grâces. Car tout ce que Dieu a créé est bon et l’on ne doit rien rejeter de ce qui se prend avec action de grâces, parce que tout est sanctifié par la parole de Dieu et par la prière. » I Tim., iv, 4, 5. Ou bien, comme obligent à le penser les expressions mises par les quatre témoins sur les lèvres de Jésus, il s’agit d’une sanctification nouvelle, exceptionnelle ; et alors, ce n’est pas tout aliment qui la produit à tout moment. La preuve qu’invoque Harnack à l’appui de son hypothèse est ilé[iourvue de valeur ; il n’est pas vrai que les premiers clirétiens employaient indifféremment pour l’eucharistie n’importe quel aliment ; ils se servaient depain, et de pain seulement : cet usage exclusif n’est même pas con l esté ; ils consacraient du vin et non de l’eau cette pratique est démontrée par tous les documents. En liii, si tout repas chrétien avait eu cette efficacité singulière, pourquoi les premiers fidèles ne l’auraient-ils pas su ; comment expliquer que cette idée ait été perdue au lendemain de la mort de Jésus et qu’il ait fallu, pour la retrouver après dix-neuf siècles, l’intervention de.M. Harnack ? b. L’eucharistie, repas d’adirn et qar/c du roijaume. — Tout le monde admet qu’à la cène, .Jésus prend congé de ses disciples et qu’il leur rappelle le rendez-vous prochain. Mais est-ce l’unique enseignement du dernier repas ? C’est ce qu’affirment Andersen et Loisy. On sait à <|uelles conditions ils acquièrent la possibilité de soutenir cette tlièse. Ils sont obligés de rejeter les récits de saint Paul et des trois Synoptiques, d’adopter un texte qui n’existe nulle part et qui ferait l)rononcer par Jésus ces seuls mots : « Je ne mangerai plus… je ne boirai plus… » Peu d’opérations furent plus audacieuses et moins justifiées. De jilus, il faut avouer que la conception eschatologique n’est pas seule présentée, même dans l’Évangile réduit qu’ils reconstituent. Ailleurs, on lit : « Je dispose pour vous comme mon Père a disposé jiour moi du royaume : vous mangerez, vous boirez à ma lable. dans mon royaume. » Luc, xxii, 29,.’! ii. l’ien n’est plus clair. A la cène, au contraire, l’idée du rendez-vous n’est indiquée que d’une manière incidente, elle passe presque inaperçue, la phrase serait complète sans elle. « .le ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai nouveau avec vous dans le royaume de mon Père. » Pourquoi l’emploi du pain I et du vin ? Pourquoi la formule d’adieu csl-clle prononcée en ces termes et n’cst-elle pas simplement : ! « .le ne vous verrai plus ? Cette insistance sur l’acte I de manger et de boire n’a-t-elle pas une raison d’être ?

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EUCHARISTIE D’APRES LA SAINTE ECRITURE

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Et d’une pareille parole qui signifierait en définitive : Je vous quitte, comment a-t-on pu tirer ces mots Je suis avec vous. D’une scène de congé, acte qui par hypothèse s’accompUt une fois, comment a-t-on fait un rite sans cesse répété ? C’est dans le royaume seulement que Jésus devait manger et boire avec ses disciples ; et c’est sur cette terre, que les premiers chrétiens placèrent la table du Seigneur 1 Ils ont commis un flagrant contresens et une audacieuse désobéissance. Ils n’ont retenu l’aflirmation de Jésus que pour croire le contraire de ce qu’il leur avait dit.

Spitta, op. cit., p. 282 sq., avaiL déjà proposé l’interprétation eschatologique. Mais comme il consentait à maintenir une plus grande partie des paroles rapportées par l’apôtre et les Synoptiques, son explication était un divertissement d’esprit. Le dernier repas fut, selon lui, une anticipation du festin messianique. Pour aboutir à cette conclusion, Spitta opère, lui aussi, une sélection. Il prend pour base le texte de Marc ; il omet, néglige tout ce qui rappelle la passion et la mort prochaine, par exemple, la mention de l’alliance, de l’effusion du sang pour beaucoup, de la trahison de Pierre et du reniement de Judas, de la manducation de la Pâque. Grâce à ce procédé, il peut soutenir qu’au moment de la cène, l’esprit de Jésus est hanté par la pensée du royaume, qu’il ne se porte sur aucun autre objet. Il conclut que la déclaration eschatologique est la parole importante, la clef de l’énigme. Or, au contraire, tout lecteur qui aborde les récits sans aucun préjugé est tenté de voir en elle une affirmation secondaire, accessoire. Expliquées à l’aide des mots : « Je ne boirai plus… » , les formules : « Ceci est mon corps… Ceci est mon sang « deviennent : « Dans le royaume, moi Messie, je serai l’aliment des élus, vous me mangerez, vous me boirez. » Op. cit., p. 276-277. Ainsi, l’affirmation « Ceci est » devient « Ceci sera » . Rien de plus naturel, explique Spitta. Jésus se voit déjà faisant fonction de Messie dans le royaume. Est-ce le Christ, n’est-ce pas plutôt l’auteur qui se l’imagine ? Une pareille exégèse viendrait à bout des textes les plus résistants. Et si l’on objecte à Spitta que la figure est bien insolite, qu’elle ne devait pas être comprise des disciples, que rien ne les préparait à admettre que le pain était l’image du corps, présageait la nourriture eschatologique qui serait Jésus lui-même, il répond en invoquant des textes bibliques où l’alliance nouvelle est présentée sous les traits d’un banquet. Op. cit., p. 270 sq. Mais nulle part il n’y est dit que le Messie y servira d’aliment aux fidèles. Spitta, op. cit., p. 274, ne découvre cette idée que chez les rabbins ; ils identifieraient le Messie à la manne, feraient de la gloire de la Schechina l’aliment lumineux des anges, de Moïse, des élus. De pareils textes, qui d’ailleurs doivent peut-être s’entendre au sens figuré et qui sont postérieurs aux récits évangéliques et pauliniens de la cène, ne peuvent qu’égarer le jugement de celui qui les consulte. Personne n’a suivi Spitta. Cf. Batifîol, op. cit., p. 59-63.

c. L’eucharistie, banquet fraternel et symbole de charité. — Beaucoup plus commune est la conception soutenue d’ailleurs depuis longtemps par certains protestants selon laquelle la cène fut une figure de communion fraternelle (Brandt) ; une alliance entre compagnons de table (Wellhausen) ; un acte destiné à associer en un groupe intime lié à la personne de Jésus tous ses amis (J. Hoffmann) ; l’attestation que le Christ et les disciples appartiennent à un même corps (J. Révifie). Assurément, et les Pères, les docteurs du moyen âge, l’Église catholique, ne l’ont jamais nié, l’eucharistie est un mystère de charité, un lien de paix, un sacrement qui signifie et accroît l’amour des fidèles pour Jésus et des chrétiens entre

eux. Mais, elle l’est, d’après eux, parce que précisément elle contient le corps et le sang du Christ. Sa personneet sa grâce deviennent la nourriture des âmes, noului sommes donc intimement unis et nous communions tous en lui, il verse dans les cœurs ou plutôt il augmente la charité envers Dieu et envers les hommes. Au contraire, pour les critiques cités plus haut et plusieurs autres, l’eucharistie ne donne pas le corps et le sang de Jésus ; elle n’est que la figure ou tout au plus l’établissement d’une alhance fraternelle autour du Sauveur et avec lui.

Pour soutenir cette thèse, il faut négliger tout ce qui se trouve dans les Synoptiques et saint Paul, le remplacer par ce qui ne s’y trouve pas expressément affirmé. Aucun des quatre récits ne signale en termes explicites cet effet spécial de l’eucharistie : l’apôtre le mentionne, il est vrai, mais ailleurs que dans la narration de la cène et comme en passant, par manière de parenthèse : « Puisqu’il y a un seul pain, nous formons un seul corps. » I Cor., x, 17. Sans doute, un repas est un moyen efficace de lier ou d’entretenir l’amitié, de sceller une alliance, d’affirmer ou de symboliser la communion des esprits et des cœurs. S’appuyant donc sur le choix fait par Jésus d’un banquet pour cadre de l’institution eucharistique, l’exégète et le théologien pourront conclure que le Christ donne une marque, un symbole, un sacrement d’amour. Mais il y a pourtant quelque chose de spécial dans ce dernier repas. Cent fois et plus Jésus avait mangé avec les disciples ; jamais il n’avait distribué de pain en prononçant les mots : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang. » Pourquoi cette formule ? Que signifie la consommation du pain par les Douze ? Il faut ou supprimer les textes ou les expliquer.

Le dernier partisan de cette interprétation, J. Réville, op. cit., p. 143 sq., a essayé un véritable tour de force. Il rapproche la théorie de saint Paul sur le corps mystique et la coupe de l’alliance, l’affirmation de la Didaché sur les fidèles de toute la terre qui doivent être réunis dans le royaume de la même manière que les grains de blé du pain eucharistique sont devenus un seul tout, enfin le témoignage des Actes sur les repas fraternels des premiers chrétiens. On peut donc supposer, conclut-il, « qu’en parlant à ses apôtres de la grande délivrance prochaine, à l’avènement du roj^aume de Dieu, il [Jésus] leur dit, en leur distribuant le pain, des paroles telles que celles-ci : « Voici le corps de notre alliance, » « Voici « notre corps ; » et en leur passant la coupe : « Voici la « coupe de l’alhance. » La valeur de l’opération exécutée par J. Réville apparaît au premier regard : il met dans le texte le mot qu’il désire y trouver et il l’y découvre. A l’aide d’un pareil procédé, on peut faire dire tout ce qu’on veut par qui on veut. Une parole de la Didaché, qui d’ailleurs ne synthétise pas toutes les affirmations de cet écrit sur l’eucharistie, est arbitrairement consultée sur le sens du texte évangéhque. Les affirmations de Paul sur le corps mystique du Christ sont bien connues, elles sont particulièrement chères à l’apôtre, il les rappelle à propos de l’unité de foi, de baptême, de Seigneur, I Cor., xii, 13 ; il enseigne que les chrétiens sont un même organisme parce qu’ils mangent un même pain eucharistique. I Cor., x, 17. Pourquoi donc, lorsqu’il rapporte les paroles de Jésus à la cène, reproduit-il seulement les mots : Ceci est mon corpsl Si Jésus a dit : Ceci est le corps de l’alliance, la formule n’a pas dû être oubliée. Si elle l’a été, quelle est la valeur de la restitution tentée par M. Réville ? Si elle ne l’a pas été, le silence de Paul est inexpUcable. Au reste, que signifient ces mots : « Voici le corps de l’alliance ? » La parole correspondante prononcée sur la coupe se

justifie fort bien ; comme le dit J. Réville, elle fait allusion au sacrifice de l’alliance du Sinaï : « Voici le sang de l’alliance, » Exod., xxiv, 8, ou, ajoute-t-il, au sang de l’agneau pascal. Mais le pain n’est ni la figure ni la condition d’une alliance. Le corps du Christ, s’il n’est pas présent, s’il n’est pas réellement donné aux disciples ne l’est pas davantage. Au reste, corps ici s’oppose à sang ; et le sang dont il s’agit n’est pas un sang mystique ; c’est celui qui est versé pour beaucoup, c’est le sang réel de la passion. Le corps dont parle Jésus est donc bien un vrai corps humain et non l’Église. Brandt, Wellliausen, J. Hoffmann négligent les données essentielles des quatre narrations, J. Réville les transforme et les rend méconnaissables.

La première condition pour que l’eucharistie soit d’une manière spéciale, plus que les autres repas de Jésus et de ses disciples, un banquet fraternel, c’est que le Christ y ait parlé de la charité, ou qu’il y ait communiqué un moyen de développer l’amour pour Dieu et les hommes. Or, d’après ces critiques, il n’a pas donné à la cène sa personne, son corps et son sang ; et les quatre récits ne gardent pas le souvenud’une recommandation sur l’affection mutuelle qui aurait accompagné la présentation du pain et du vin.

d. L’eucharistie, parabole qui annonce la passion et la mort prochaine. — Weizsacker avait soutenu qu’à la cène, Jésus avait posé une énigme, énoncé une parabole sans en donner le sens. Jiilicher, op. cit., p. 235245, démontra que cette hypothèse était inconciliable avec l’attitude du Christ, en ses derniers jours. Le geste et les paroles du Seigneur annoncent, sous forme de parabole, que son corps sera violemment mis à mort, que son sang sera répandu sur la croix. « Par la fraction de pain, le Christ représentait le sort semblable qui attendait son corps… ; il pouvait dire à ses disciples, en regardant le x/wasvc-v : C’est là mon corps, le même traitement va lui être bientôt réservé… Jésus fait circuler sur la table le calice contenant du vin rouge mêlé d’eau. Comme ce vin va bientôt être épuisé, ainsi bientôt mon sang sera entièrement répandu…, il est vrai qu’il ne le sera pas inutilement, mais JjiÈp TtoXXôjv et comme le sang de l’alliance. » Telle est, avec des nuances, l’opinion de plusieurs critiques.

Il est d’abord permis de se demander si la fraction symbolise, dans les Synoptiques et saint Paul, la mort violente du Sauveur. Seul le texte reçu de l’apôtre atteste que le corps est brisé pour les Douze, encore ce participe est-il considéré comme une glose explicative ajoutée après coup, croit-on communément, parce que la formule de saint Paul (mon corps pour vous) semblait trop elliptique et parce que le texte de Luc (ceci est mon corps donné pour vous), ou la déclaration prononcée sur le vin (ceci est mon sang versé pour beaucoup) la suggéraient naturellement. La fraction est mentionnée, il est vrai, par les quatre témoins. Mais puisqu’il y avait douze convives, il était nécessaire que le pain fnt rompu. Le geste a donc pu être accompli sans être une figure. Le verbe s/./aa ; n’est employé ailleurs que pour désigner un acte opéré sur un aliment. D’autre part, le corps de Jésus n’a pas été rompu sur la croix. Aussi plusieurs critiques de toute école, catholiques, protestants conservateurs et autres, se refusent-ils à voir dans la fraction un symbole. Goguel, op. cit., p. 96, qui cite Wellhausen, Zahn, R. A. Hoffmann, Ileitmiillcr, Clemen, Spitta, J. Hoffmann, J. Réville. Jiilicher semble même avoir renoncé à attribuer ce sens à cet acte. Kt O. Hollzmann, Das Abendmahl in Urchrisicntum, dans Zeittchrijt jiir die neutestamentliche Wissenchaft und die Kunde des Urchristentums, 1901, p. 89-120, pour maintenir ce symbolisme, éprouve le besoin d’ima giner que, le pain s’étant rompu fortuitement dans la main de Jésus, celui-ci y a vu un présage de sa mort violente. De même, il suppose que le Christ, avant de distribuer la coupe, a fait une libation avec son contenu, annonçant ainsi son sacrifice et ordonnant de réitérer le geste en son honneur. Mais le texte qu’on obtient après avoir fait ces additions n’est plus celui du Nouveau Testament. A la Bible, on substitue un récit fantaisiste qui n’atteste plus que l’idée de son inventeur.

On peut admettre, au reste, avec beaucoup d’écrivains des camps les plus opposés, le symbolisme de la fraction du pain. Il est certain, du moins, que le vin versé signifie l’effusion du sang. La séparation du pain et du viii, du corps et du sang peut aussi représenter la mort du Sauveur : c’est dans le sang que les Juifs étaient portés à placer la vie, il est l’âme de la chair. Gen., ix, 4-6 ; Lev., xvii, 10-14 ; Deut., xii, 23, etc. Et l’effusion du sang, sa sortie hors du corps de l’animal immolé constituait une partie essentielle du sacrifice. Mais ce qu’on ne peut accorder, c’est que ce symbolisme explique tout le récit, soit le seul but de la cène et que Jésus n’ait rien voulu instituer. Pour le soutenir, Jiilicher néglige tout ce qu’offrent de spécial les narrations de Paul, Luc, Matthieu, par exemple, l’ordre de réitérer le dernier repas ; il s’en tient à Marc et il laisse sans explication ce qui, dans la déposition de cet évangéliste.ne peut être entendu au sens figuré, par exemple, le mot : « Prenez » , le fait de la consommation par les disciples du pain et du vin. Jésus aurait dû se contenter de dire : « Ce pain brisé représente ma mort ; ce vin est l’image de mon sang. » Il n’avait nul besoin d’inviter les Douze à manger et à boire. Mais, si le Christ n’a rien institué, pourquoi les premiers chrétiens ont-ils cru le contraire ? Julicher est condamné à faire naître l’eucharistie d’un contresens, d’un quiproquo. Batiffol, op. cit., p. 63-68. Autant avouer l’insuffisance de l’hypothèse : elle n’est pas bonne, puisqu’elle ne rend pas compte de tous les faits constatés. Comme l’observe Loisy, op. cit., t.ii, p. 540, les paroles : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang » ne sont pas des comparaisons ; elles « n’ont aucune affmité avec les paraboles authentiques. » Les apôtres n’auraient pu comprendre ces figures, avant l’événement. Et le fait accompli, ils n’auraient pas éprouvé le besoin de reproduire les gestes symboliques de Jésus, s’ils avaient été seulement une prophétie en action, une consolation destinée à les préparer aux événements et à les soutenir au moment de la passion. e. L’eucharistie institue l’alliance nouvelle. — Déjà plus voisine de la vérité, mais toujours incomplète est l’hj’pothèse d’après laquelle la cène fut seulement le banquet de l’alliance qui devait être scellée dans le sang de.lésus. H. J. Moltzmann et plusieurs critiques. Voir Goguel, op. cit., p. 89-90. Il ne semble pas qu’il soit ()uestion d’une contre-partie de la Pâque juive, le sang de l’agneau ne scellait pas une alliance à proprement parler. La similitude complète de la formule qui, d’après saint Matthieu et saint Marc, fut dite sur le sang avec la parole que, d’après l’Exode, xxiv, 8, prononça Moïse, oblige à « ne pas écarter tout à fait l’idée d’une alliance. » Lagrange, Évangile selon saint Marc, Paris, 1911, p. 355. Mais le sens de testament. « fortement indiqué par Heb., ix, 15, et les traductions latines, » sens que seul les inscriptions et les papyrus attribuent au mot SiafJTi/.r, , ncdoit pasêtre négligé. Il est donc peut-être dangereux de vouloir interpréter toutes les paroles de la cène à l’aide de ce seul terme entendu dans le sens d’alliance.

Si le rapprochement du récit de l’Exode peut être utile, il convient de ne pas le forcer : dans la conclusion du nouveau pacte, on ne trouve ni discours de Jahvé, ni promesse du peuple, ni partage du sang en

deux parts ;. dans le rite mosaïque, on n’aperçoit pas )a fraction du pain, la nianducation des victimes, on ne découvre pas les mots : « Ceci est mon corps. » (".liaquc institution a donc son caractère propre, et doit être expliquée, avant tout, par le contexte qui l’encadre et les affirmations qui la rapportent. Il faut rendre compte de la formule : « Ceci est mon corps, » lui découvrir un sens acceptable : or Holtzmann est réduit à accepter l’hypothèse inacceptable d’une parabole. Il est nécessaire de relever le caractère expiatoire attribué au sang de Jésus. Nous voulons savoir pourquoi les apôtres ont été invités et ont consenti à manger et à boire les aliments sur lesquels une formule avait été prononcée. Enfin on ne peut supprimer l’ordre de réitérer la cène ; au contraire, une alliance qui n’est qu’une alliance ne se scelle qu’une fois. Si Jésus avait voulu seulement imiter Moïse, les Douze auraient à leur tour imité les Juifs qui n’avaient pas cru devoir accomplir de nouveau, à plus forte raison souvent, le rite de l’Exode. Dire que ce qui fut réitéré, ce ne fut pas la cène, mais la multiplication du pain, c’est exagérer l’importance de ce dernier épisode, situer dans la première moitié du i’^"’siècle un symbolisme qui est attesté seulement au II"* et surtout au iiii", reculer la difficulté puisque nulle part n’apparait l’ordre de renouveler cet acte, aller au-devant de nouvelles objections, car on ne découvre ni la raison spéciale de cette réitération ni une complète similitude entre le miracle évangélique et la cène chrétienne.

Oui, le sang versé sur la croix scelle un pacte nouveau, mais c’est parce qu’il est le sang d’une victime expiatoire : les trois Synoptiques l’affirment en tenues exprès et nous savons que telle est la pensée de Paul. Il faut donc pousser à bout la comparaison. La mort de Jésus est le sacrifice par lequel l’alliance nouvelle est conclue, puisque toute alliance, selon les Juifs, exigeait un sacrifice. A la cène, cette idée se présentait naturellement à l’esprit du Christ : les prières du Hallcl rappelaient les bienfaits et les promesses de Dieu ; la nianducation de l’agneau pascal commémorait le souvenir des préliminaires de l’antique alliance. Jésus se savait près de sa mort qu’il envisageait comme un bienfait pour l’humanité. Mais Israël avait dû être aspergé par le sang des victimes ; celui de l’agneau marquait les portes de chaque maison pour que les premiers-nés fussent épargnés. Donc, pour profiter de l’alliance nouvelle, les disciples du Christ devaient participer d’une certaine manière à la victime ; manger le pain, c’était communier à son corps immolé ; boire le viii, c’était entrer en contact avec le sang de l’alliance. Enfin, si le rite est expiatoire, il peut être individuel, il doit être renouvelé ; si la cène met en relation intime avec le corps et le sang de Jésus, on conçoit qu’un si grand bienfait ne soit pas réservé aux Douze seuls. C’est ainsi qu’on peut expliquer le dernier repas de Jésus à l’aide des souvenirs mosaïques ; on trouve alors dans cet acte une alliance, mais alliance qui requiert la présence réelle et entraîne la réitération du rite. Holtzmann et les critiques qui rapprochent les récits évangéliques de la narration de l’Exode n’ont en réalité qu’un tort : ils s’arrêtent en chemin et ne cherchent pas à comprendre, à l’aide des traditions juives, toutes les données du Nouveau Testament. Batiffol, op. cit., p. 69-96.

I. L eucharistie, don de Jésus. — C’est encore le même grief qu’on est obligé de faire à des critiques qui se rapprochent davantage de la conception traditionnelle, semblent l’entrevoir, mais ne croient pas pouvoir l’adopter. Le mot corps désignerait la « personnalité morale » de Jésus. Par la communion, les disciples se l’approprient (R. A. Hoffmann) ; Jésus se donne pour nourrir les siens (Haupt) ; il distribue le

pain pour exprimer d’une manière concrète ce bienfait (Wendt) ; il accorde à celui qui le reçoit avec foi la rémission des péchés opérée par sa mort (Schæfer). « Ce que Jésus donne aux siens, c’est lui-même, c’est-à-dire l’essence même de sa pensée, de sa foi, de son cœur ; il se dépense sans compter pour allumer en eux la fiamme qui le dévore, pour faire naître et entretenir en chacun d’eux les aspirations, les énergies, les certitudes qui l’animent. Il se donne, c’est-à-dire il se communique lui-même à eux, il veut les associer à son œuvre et pour cela, rien ne lui coûte, il ne recule ni devant les fatigues, ni devant les souffrances, il ne reculera pas même devant la mort s’il arrive que Dieu dresse la croix sur son chemin. Ainsi compris le don de Jésus ne peut être enfermé ni dans le présent, ni dans le passé, ni dans l’avenir… La compréhension de cet acte… enferme le ministère de Jésus tout entier et ces heures de suprême réunion qu’il passe avec ses disciples dans la chambre haute, les souffrances, la mort, la crise quelle qu’elle soit qui est imminente, mais aussi le triomphe qui est certain, le retour glorieux, la réunion dans le rovaume de Dieu. » Goguel, op. cit., p. 101.

C’est beaucoup ; le lecteur non prévenu serait même tenté d’estimer que c’est trop, qu’il n’a pas vu tout cela dans la cène. Que ce soit sous-entendu dans la formule : « Ceci est mon corps, » on peut l’admettre. A coup sûr, ce n’est pas exprimé. Et ce qu’il faut savoir d’abord, c’est ce qui est formellement dit par Jésus, ce que signifie en premier lieu, au sens propre, ce que proclame à haute voix la formule « Ceci est mon corps. » Sur ce sujet, on est porté à soutenir que tous ces critiques minimisent, découvrent trop peu dans la cène ou plutôt ne sont pas assez précis. Ceci est mon corps n’a jamais signifié : ceci est ma personne morale ; je suis votre pain, votre nourriture ; cet aliment est le symbole de mes bienfaits ; c’est le pardon des péchés ; c’est le rappel de tous mes dons passés, l’image de tous mes dons présents, la prophétie de tous mes dons futurs. Le mot corps n’a plus aucune raison d’être si on lui donne ce sens. La parole de Jésus perd son caractère exceptionnel, unique, car le Christ a souvent parlé de l’union morale qu’il veut établir entre les hommes et lui, union de pensée et des cœurs ; souvent il a souligné, annoncé ses bienfaits. Il tient un tout autre langage. Saint Paul exprime d’une manière différente cette générosité du Christ : « Dieu a livré à la mort son Fils pour nous tous, » Rom., VIII, 32 ; « Jésus-Christ notre Seigneur a été livré pour nos offenses, » Rom., iv, 25 ; « le Fils de Dieu n’a aimé et s’est livré lui-même pour moi, » Gal., II, 20 ; « le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même à Dieu pour nous comme une oblation et un sacrifice d’agréable odeur, » Eph., v, 2 ; « le Christ a aimé l’Église et s’est livré lui-même pour elle. » Eph., v, 25. Le langage des Synoptiques n’est pas moins clair : « Le Fils de l’homme est venu… afin de servir et de donner sa vie pour la rédemption d’un grand nombre, » Matth., XX, 28 ; « le Fils de l’homme est venu afin de servir et de donner sa vie pour la rançon d’un grand nombre. » Marc, x, 45. Personne ne peut se méprendre sur le sens de ces expressions, elles sont très intelligibles et très générales. Aussi saint Paul a-t-il pu écrire : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Lui qui n’a pas épargné son Fils… comment avec lui ne nous donnera-t-il pas toutes choses ? » Rom., VIII, 32. Les théories de Goguel et des autres critiques cités plus haut pourraient commenter toutes ces déclarations.

Mais ici, deux mots nouveaux interviennent : le corps de Jésus, le pain. Dire que l’aliment donné est la figure des bienfaits du Sauveur, que le mets consommé représente la nourriture spirituelle des âmes.

c’est énoncer des propositions qu’on peut soutenir (encore faut-il avouer que ce sens n’apparaît pas clairement) ; mais ne pas découvrir autre chose dans le texte, c’est en affaiblir le sens et nous avons le droit de rappeler ce qui a été plus haut démontré longuement : est n’est pas ici synonyme de signifier ; le pain n’est, ni en vertu de l’usage, ni en raison d’une volonté positive de Jésus clairement exprimée, un symbole de sa personne ; enfin le corps, c’est quelque chose de très précis, de bien connu. Au surplus, si le Christ ne promettait que sa présence morale, l’eucharistie n’ajouterait rien aux preuves déjà données de son amour : celui qui pense à Jésus et qui croit, celui qui l’aime et le sert, lui est uni ; tout l’Évangile l’atteste. Inutile de recourir à l’eucharistie, de la réitérer. Quelle est donc la raison particulière de l’institution de la cène ? Quel est l’objet précis du don fait à ce moment même ? Ce n’est pas celui que.Jésus accorde quand il vient au monde, quand il multiplie les miracles, les discours, les bons exemples, les témoignages de dévouement, quand il meurt sur la croix. C’est quelque chose qui n’a jamais été accordé qu’à ce moment, dans ces termes. Et pourquoi donc modifier les mots ? Pourquoi ne pas dire ce que Jésus a dit : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang ? » Pourquoi lui faire prononcer des paroles qu’aucun témoin ne lui fait prononcer et qui rappellent trop bien la terminologie de théologiens contemporains : « Ma personne contient les énergies d’une vie plus haute et veut devenir partie substantielle de vos personnes comme la nourriture le devient, dans la nutrition ordinaire, » Haupt, op. cit., p. 24, ou encore : " Je suis prêt à mourir pour vous comme j’ai vécu pour vous afin de faire de vous des hommes qui se préparent à entrer dans le royaume quand il viendra ? » Goguel, op. cit., p. 287.

6) // est impossible de déterminer qui a inventé Veuctuiristie. — Les critiques, d’après lesquels l’institution d’un sacrement qui donne le corps et le sang du Clirist ne remonte pas à Jésus, sont obligés non seulement de cliercher quelle fut la conception du Christ., mais d’expliquer aussi comment à cette idée primitive se substitua celle qui devait prévaloir. Qui imagina, sous quelles inducnces se forma la doctrine du sacrement de l’cucliarislie ? Celle institution est-elle un produit de la pensée chrétienne, un dérivé d’antécédents juifs, un emprunt fait au paganisme ? Les trois hypothèses peuvent être envisagées ; toutes trois doivent être repoussées.

a. La cène primitive n’a pas été transformée par les chrétiens. — Un très grand nombre de critiques soutiennent qu’il y a eu évolution au sein des premières communautés. Tous ceux d’ailleurs qui n’attribuent pas à Jésus l’institution, qu’ils admettent ou non des infiuences soit juives soit païennes, sont contraints d’avouer qu’à un moment donné les chrétiens ont pensé ce que le Clirist ne leur avait pas enseigné, fait ce qu’il ne leur avait pas ordonné. Julicher expli((ue le fait parles besoins religieux de l’époque. Prcscjuc tous les critiques prêtent à saint Paul un rôle important, Loisy et Andersen supposent qu’il a consciemment innové ; d’autres croient qu’il a consigné par écrit une tradition déjà formée, en la marquant seulement de son empreinte ; plusieurs essaient (Loisy, Hoffmann, Coguel) de fixer les étapes de l’évolution que suivit la pensée chrétienne.

Tous ces essais sont malheureux. Aucun ne peut réussir. Car I ! est un fait indéniable. Saint Paul enseigne, de l’aveu même des critiques, la doctrine nouvelle, vers.’).5-.58 ; déjà il l’a fait connaître, vers.’iO-.’3'2. Le travail de transformation est donc accompli en 50, c’est-à-dire moins de vingt ans après la mort du Christ. I£t dans l’hypothèse des critiques, c’est une éri tahle révolution. Jésus n’avait rien institué : vingt ans après on se persuade le contraire ; Jésus avait annoncé sa passion, ou scellé une alliance, ou présidé un repas fraternel, ou symbolisé le don de sa personne ; et vingt ans plus tard, les chrétiens croient qu’il a distribué à la cène son corps et son sang, qu’il les donne chaque fois que ce rite est répété. Une religion qui contient l’eucharistie n’est plus la même que celle qui ne la contient pas : les deux crerfo sont singulièrement dissemblables ; la vie morale dispose d’après l’une, ne dispose pas d’après l’autre d’un mobile et d’un moyen uniques de préservation et d’amendement spirituels ; le culte est aussi différent que peut l’être celui des catholiques et celui des quakers. Ce sont les premiers disciples du Maître, ceux qui devaient être les plus fidèles à sa pensée qui l’ont ainsi trahie. C’est à une époque où l’on constate chez eux une extrême timidité, la peur même d’abandonner totalement le judaïsme, l’absence d’écoles théologiques, de systèmes métaphysiques, d’études spéculatives, de hardis penseurs (en dehors de saint Paul) que l’opération aurait été exécutée. Et commencée nous ne savons où, par nous ne savons qui, nous ne savons quand, elle aurait parfaitement réussi. L’idée de Jésus aurait été complètement supplantée, délogée de toutes ses positions ; aucun des douze témoins de la cène n’aurait fait opposition, ils auraient été acteurs ou complices de la substitution. La notion antique aurait même si bien disparu que sa trace eût été perdue et qu’avant le xix"e siècle, nul n’eût soupçonné, quelque intérêt qu’il ait eu à le faire, l’existence d’une opposition entre la pensée de Jésus et celle de Paul. Pendant les ciiupiante premières années, les missionnaires commencent à évangéliser le monde : or, toutes les r ; glises, celles de Paul et les autres, adopteront ou ont adopté la conception de l’apôtre. Le phénomène constituerait un miracle historique plus étrange en son genre que ne l’est la transsubstantiation.

On a prêté un très grand rôle à l’apôtre. Mais, déjà nous l’avons montré, il est impossible de prétendre qu’il a sciemment, sur la foi d’une vision ou plutôt d’une autosuggestion, abandonné la conception primitive, répandu un nouveau récit de la cène totalement dissemblable de la narration reçue, version qui aurait envahi tous les milieux, influé sur les trois Synoptiques, commandé toutes les évolutions futures : cette audacieuse hypothèse oblige à rejeter des textes aulhenti<|ues et à inventer des textes inexistants, elle repose sur des arguments fragiles et se heurte à de très fortes objections tirées du caractère et de la vie de l’apôtre, de rallilude de ses contemporains et de toutes les circonstances du temps. Comme le dit Goguel, op. cit., p. 1X7, > eu matière eucharistique, Paul n’a pas eu le sentiment d’innover. » Mais le même auteur ajoute que l’apôtre a été probabfement l’agent inconscient de la transformation qui fil de la cène primitive le sacrement de reucharistie. La supposition est encore plus paradoxale. Paul est inventeur sans le savoir. Et le changenient n’est pourtant pas de mince importance. Goguel reconnaît que c’est une révolution. En effet, le rcpas du Clirist avait été en réalité, d’après lui, un baïupiet d’adieu accompagné du don de sa personne ; la cène des premiers chrétiens en avait été une « commémoraisonct répétition > ; quant à l’eucharislie de Paul, c’est le moyen pour tes fidèles de s’unir au Clirist et dr s’unir entre eux, l’absorption d’aliments consacrés ù lu divinité et qui mettent l’homme en contact physique avec elle. Nous comprenons tous, un enfant comprend qu’il y a une différence entre recevoir Jésus et ne pas le recevoir. Paul ne s’en serait pas doulé. Les premiers cliréllciis qui apandonnent leurs souvenirs traditionnels pour adopter sa pensée ne s’en seraient pas doulé davan

tage. Il y aurait donc eu liallucinalion collective des communautés chrétiennes. Révotulionnaire sans le remarquer, Paul, à son insu, aurait, à leur insu, trompé pour toujours les Églises alors que circulaient pourtant des dépositions écrites ou orales émanant soit des témoins de l’événement soit de leurs disciples immédiats. A cette objection s’ajoutent plusieurs de celles que soulève la thèse d’Andersen et de Loisy.

Pour essayer de rendre moins invraisemblable la supposition, les critiques s’efïorcent de saisir avant saint Paul lui-même une ou plusieurs transformations. J. Hofîmann, op. c17., p. 104 sq., distingue avant saint Paul trois stades : encore discerne-t-il en eux, dans le second par exemple, des étapes successives. Il y eut d’abord des repas eschatologiques remplis par l’attente du retour de Jésus. Suivirent des banquets commémoratifs de la mort du Sauveur. Plus tard, apparurent des festins d’action de grâces pour les bienfaits de la passion. Alors seulement arriva Paul. Goguel, op. cit., p. 288, croit pouvoir faire l’énumération suivante : au début, les disciples prirent leur repas en commun ; plus tard, ils contractèrent l’habitude d’y commémorer ce qu’avait dit et fait Jésus ; de là ils en vinrent à l’idée que leur acte était la répétition de celui du Maître, répétition voulue par lui. Le travail de saint Paul s’opéra alors ; et on peut constater que la tâche à accomplir était immense : l’idée de la présence du corps et du sang de Jésus n’était pas encore exprimée.

Sur quoi donc s’appuient ces minutieux constructeurs pour justifier leurs descriptions si minutieuses ? Sur un mot du livre des Actes, ii, 42, 46 : « Rompant le pain dans leurs maisons, [les premiers chrétiens] prenaient leur nourriture avec joie et simplicité. » Certes, l’historien de l’eucharistie n’a pas le droit de négliger cette donnée, encore que certains exégètes n’aient pas cru apercevoir en cet endroit le rite chrétien. Mais il est impossible d’élever, sur ce seul mot bien vague de fraction du pain, tout un système, d’interpréter ou plutôt de récuser à l’aide de ce seul mot les autres dépositions complètes et claires sur ce que firent Jésus et les premiers disciples. Le texte du troisième Évangile vaut celui des Actes ; la narration de la cène par Luc est aussi importante que la brève indication donnée par lui d’un usage primitif. Le mot qui ne se suffit pas par lui-même devrait, ainsi le veut la méthode historique, être expliqué d’après les récits parallèles non moins anciens et plus précis : c’est le contraire que proposent les critiques. Si pour s’éclairer sur les croyances des catholiques du xx’e siècle, l’historien de l’avenir possédait d’une part cette courte affirmation : « Ils recevaient une hostie, » d’autre part, trois descriptions de la messe et deux développements sur la communion, il n’aurait certes pas le droit de se contenter du premier témoignage et de dire que notre culte consistait dans la simple manducation d’un morceau de pain azyme.

M. Loisy rappeUe aussi l’épisode d’Emmaiis, les apparitions du Christ ressuscité, les repas qu’il prend avec ses disciples et où il mangeait du pain et des poissons. Il conclut, op. cit., t. ii, p. 767 : « La fraction du pain et la disparition subite du Sauveur témoignent du rapport qui existe originairement entre la foi en la résurrection et la cène eucharistique. Le Christ est ressuscité : les Écritures l’avaient annoncé. Il est vraiment vivant : on le retrouve dans la fraction du pain. La foi à la résurrection de Jésus et la foi à la présence du Christ au milieu des siens dans le repas de communauté se sont affermies en même temps. » « Le pain et le poisson de Jean établissent un rapport entre la scène de la pêche miraculeuse et celle de la multiplication des pains et l’on sait d’autre part le rapport qui existe entre la multiplication des pains et l’eucha I ristic. » Op. cit., t. ii, p. 771. La subtilité du critique a seule pu découvrir les fils ténus qui relieraient la cène à la résurrection et permettraient d’cxpUquer la croyance à l’une par la croyance à l’autre. La fraction de pain d’Emmaûs est-elle eucharistique ? Il est permis d’en douter. Les mets consommés par le Christ ressuscité rappellent-ils l’eucharistie et la multiplication des pains ? On peut lire mille fois le récit sans faire cette supposition. Il est plus naturel d’admettre que ces faits sont destinés à prouver, comme l’affirme la narration elle-même, la réalité de la résurrection. En vérité, on ne peut invoquer aucune preuve positive et proprement dite pour démontrer que la foi à la présence réelle du Christ dans la fraction du pain est née en même temps et des mêmes causes que la foi à la résurrection, que ces deux croyances au fond n’en forment qu’une. Les deux concepts sont très différents. Jésus pouvait ressusciter et ne pas imaginer la présence réelle : des millions de protestants ont adopté ce sentiment. Le Christ aurait pu de même instituer l’eucharistie et ne pas ressusciter. De son vivant, à la cène, d’après Paul, il a donné son corps et son sang. Après sa mort et sa sortie du tombeau, il n’était pas obligé de les offrir encore. L’eucharistie est liée à la mort de Jésus ; elle suppose sa divinité et exige la présence de son corps à la cène chrétienne. La résurrection, telle que la rapportent les Évangiles, est tout autre chose : le Christ s’échappe du tombeau, apparaît aux apôtres et aux disciples pendant un temps limité, se montre à eux montant au ciel ; ils le voient de leurs yeux, ils palpent sa chair, ses os, ses plaies, entendent sa voix, observent ses gestes, lui donnent de la nourriture. La présence eucharistique est conçue sur un type bien différent : elle est mystérieuse, invisible, muette et, d’une certaine manière, spirituelle. La bonne volonté la plus complaisante ne peut découvrir dans la vie évangélique du Christ glorieux que des indices douteux de la croyance à la cène ; on ne saurait donc s’appuyer sur ces allusions vagues et problématiques pour rejeter les dépositions fermes, précises et complètes. Ce qu’il faut retenir de l’essai de démonstration tenté par M. Loisy, c’est que sa conception de l’eucharistie est dominée par son système christologique. Le même fait d’ailleurs se constate chez la plupart des critiques. Jésus, n’étant pas Dieu, n’a pu instituer l’eucharistie-sacrement ; et à chacune des conceptions des premiers chrétiens sur la personne du Seigneur correspond une conception sur le contenu de la cène. Or, les développements christologiques présupposés par les critiques non croyants, et en fonction desquels l’histoire de la cène est créée de toutes pièces par eux, ne sont pas historiquement démontrés.

Aussi, est-ce le même caractère fantaisiste qu’on est obligé de relever dans leur histoire de la fraction du pain. Les premiers chrétiens, disent plusieurs critiques, auraient d’abord accompU ce rite, dans des repas pris en commun et ayant tout au plus un vague caractère religieux. Aucun texte ne l’affirme, le récit des Actes n’autorise pas cette conclusion, les témoignages sur la cène du Christ la démentent. — Au début, ajoutent les mêmes historiens, les fidèles n’osaient penser à la mort de Jésus, aux événements qui l’avaient accompagnée, ils se contentaient d’attendre le retour du Maître. Rien ne le démontre. Nul texte ne permet d’affirmer l’existence de banquets eschatologiques, « quel rapport voit-on entre le fait de manger ensemble et le fait d’attendre le retour du Christ ? » Batiftol, op. cit., p. 79. Ne pouvait-on alors « ni manger ni boire sinon eschatologiquement ? » Ibid., p. 81. Qui donc aurait défendu aux premiers disciples de parler de la mort du Seigneur ? N’est-il pas naturel au contraire qu’ils l’aient fait : quiconque pleure un être aimé se rappelle ses derniers moments. — Plus tard, pensent les mêmes

critiques, on cul l’idée de rcflécliir sur la passion, on contracta l’haliitude de raconter les scènes des derniers jours, d’en réitérer les divers épisodes, Jésus passant pour le Messie et le Seigneur, le souvenir des prophéties fît comprendre que sa mort était nécessaire, utile pour le salut du monde ; le repas chrétien fut lié à la passion, conçu comme une institution voulue par le Christ pour la commémorer, comme une eucharistie destinée à en rendre grâces. A quel moment, où, sous quelle influence apparurent ces concepts ? Comment connaissons-nous les diverses étapes de cette évolution ? Où sont les textes dans lesquels on surprend sa réalisation ? Ne possédait-on pas dès l’origine les prophéties ? N'éprouva-t-on pas le besoin, dès les premiers jours, d’expliquer l'énigme et de faire disparaître le scandale de la croix ? Est-ce à table qu’on eut cette idée ? Pourquoi alors ne se contenta-t-on pas d’y raconter les faits, d’y Ure un récit des derniers jours et voulut-on réitérer les événements ? Quel motif poussa à renouveler la cène plutôt que tant d’autres épisodes non moins touchants de la passion ? Comment osa-t-on transformer un acte spontané de commemoraison en institution voulue par Jésus lui-même ? Les critiques qui cherchent des origines humaines à l’eucharistie multiphent les problèmes, n’en solutionnent aucun. Le travail de transformation qu’ils imaginent requiert des causes suffisantes, des facteurs habiles, des circonstances favorables, un temps assez long : ces causes n’apparaissent pas, ces facteurs sont inconnus, les circonstances étaient contraires, le temps a fait défaut ; ce n’est pas en vingt ans que ces évolutions ont pu s’accomplir et que la conception primitive a pu disparaître sans laisser aucune trace.

Hoffmann invoque pour expliquer les métamorphoses « un involontaire besoin de la communauté, » op. cit., p. 116 ; elles se font tout naturellement, dit Goguel, op. cit., p. 288 ; et déjàJûlicher faisait appel aux tendances religieuses de l'âme humaine au Ie siècle, p. 245-246. Il y a là de véritables aveux d’ignorance. Ce besoin inconscient, imprécis', est un « grand inconnu » dont on ne peut mesurer la force ni saisir l’action. « L’historien n’aime pas que l’on fasse ainsi appel aux puissances occultes de l’histoire. » Batiffol, op. cit., p. 68. Si ce procédé n’est pas illicite, lorsqu’on l’absence de documents on ne veut pas garder le silence, il l’est ; 1 coup sur quand sur les faits à expliquer les témoignages certains et clairs ne font pas défaut : sacrifier les récits des témoins ou de leurs disciples à des intuitions suggérées par des préjugés d'école et par une théologie postérieure de vingt siècles, c’est vraiment lâcher la proie pour l’ombre.

b. L’eucharistie ne dérive pas d’antécédents juifs. — Il est certain que l’Ancien Testament annonce parfois les bienfaits de Dieu sous la forme d’un repas, Is., XXV, 6 ; Lv, 1-2, Lxv, 13 ; l’s. c.xxxii, 15 ; Prov., ix, 5 ; Jahvé est aussi présenté comme un berger qui mènera ses brebis dans de gras pâturages. l’s. xxiii ; Ezech., xxxiv, 13-19. D’autre part, Jésus a comparé le royaume à un festin nuptial. Matth., viir, 11-12 ; xxii, 1 sq. ; XXV, 1 sq. ; Luc, xiv, 16 sq. Nous savons aussi que le Christ et ses disciples prirent leur nourriture en commun et nous sommes certains que ces repas devaient avoir un caractère religieux : les Juifs pieux ne mangeaient pas sans avoir prié : le Christ a dû les imiler. Dans les récits de hi multiplication des pains, Marc, VI, 41, etc., et de la rencontre d’Iimmaùs, figure la bénédiction. On peut admettre que l’eucliarislic est un banquet messianique (elle n’est pourtant pas tout le royaume), mais il faut ajouter qu’il s’y trouve un élément dont les prophéties de l’Ancien Testament et dont les paraboles de l'Évangile ne permettent pas à elles seules de soupçonner l’existence, la réalité du corps et du sang de Jésus. Les rationalistes

même, qui voient dans les faits de l’hisLoire évangélique des événements inventés ou modifiés pour que les prophéties soient réalisées, n’auraient pas le clroit de dire que l’eucharisie a été imaginée pour ce motif : tant est grande, ici, la distance qui sépare les figures et les promesses de la réahté. Les repas du Seigneur étaient tous précédés de la prière, on ne saurait conclure avec Renan que Jésus fit à la cène ce qu’il avait toujours fait et pas davantage : il a pu accomplir un jour ce qu’il n’avait jamais accompU auparavant et des documents indéniables attestent qu’il l’a fait.

C’est encore la même observation qu’appelle l’examen des repas funéraires juifs : l’eucharistie peut être considérée comme un festin commémoratif de la mort du Seigneur, mais elle est autre chose. En payant sa dîme, risraéUte devait déclarer qu’il n’en avait rien soustrait pour le manger pendant son deuil, rien donné à l’occasion d’un mort. Deut., xxvi, 14. La multitude qui entend l'élégie de David sur Abner est peutêtre réunie pour le repas funèbre, II Reg., iii, 32, 35 ; Jérémie, xvi, 7, décrit les rites de cet acte : il y a fraction du pain et présentation d’une coupe. Le prophète dit de ses compatriotes châtiés :

On ne leur rompra point le pain du deuil Pour les consoler au sujet d’un mort ;

Et on ne leur offrira pas la coupe de consolation Pour un père et pour une mère.

Ézéchiel parle aussi de pain de consolation, xxiv, 17, 22, et Osée, ix, 4, du pain de deuil. Le vieux Tobie recommande à son fils de répandre ses pains sur la sépulture des justes. Tob., iv, 17, Le rite n’avait d’ailleurs aucun caractère sacrificiel. Lagrange, Études sur les religions sémitiques, Paris, 1903, p. 287289. Il est permis de penser que l’usage du banquet funéraire chez les Juifs facilita la réitération de la cène, d’admettre que Jésus, en instituant l’eucharistie, l’accréditait à l’aide d’une institution reçue, enfin que plusieurs chrétiens en la célébrant fêtaient le souvenir de la mort du Seigneur et se consolaient de son absence. Mais l’originalité du nouveau festin reste tout entière ; le rite antique n’explique pas pourquoi Jésus prononça les mots : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang. »

Il faut en dire autant des repas qui suivaient certains sacrifices et faisaient participer à la victime. Le témoignage de Paul oblige à les rapprocher de la cène chrétienne. Mais pour expliquer l’origine du rite qui met le fidèle en communion avec le corps de Jésus immolé sur la croix, deux hypothèses sont possibles. Ou bien des fidèles ont voulu christianiser l’usage juif et, pour cette raison, ils ont inventé l’eucharistie ; ou bien, c’est le Christ lui-même qui, réalisant les figures, s’est présenté comme la victime et a offert aux hommes sa chair et son sang sacrifiés. La première supposition ne repose sur aucune preuve. La seconde s’appuie sur des documents irnfutables. Le choix ne saurait être douteux.

Il est un autre rite mosaïque qui est en relation plus étroite encore avec la cène, c’est la Pâque. La plupart des exégètes et des critiques de toute école croient que Jésus a institué la cène au cours d’un véritable repas pascal : il faut reconnaître pourtant que cette thèse est contestée par certains érudils. Cf. lîerning, op. cit., p. 207, 222. L’apôtre montre dans la victime de la croix l’agneau immolé pour nous. 1 Cor., v, 7. Cette analogie a pu aider les chrétiens d’origine Juive à bien accueillir l’eucharistie, leur suggérer l’idée qu’elle instituait une Pâque nouvelle. Hickcll, Messe und Pasrha, Mayence, 1872, a essayé de démontrer que la plus ancienne liturgie est celle des Constitutions apostoliques, I. 11, VIII. et que dans cet ouvrage Vordo missw est calqué sur celui du rituel de la Pâque. m

EUCHARISTIE D’APRES LA SAINTE ÉCRITURE

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Plusieurs savants ont adopté cette opinion. Dom Leclercq est disposé à croire que, si les actes de la cérénTonie juive ont été délaissés, des formules ont été recueillies et ont formé la trame primitive du sacrifice eucharistique. Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, art. Agapes, t. i, col. 780. Cf. Cabrol, Les origines liturgiques, Paris, 1906, p. 328. Si on accepte ces conclusions, on fait la part aussi large que possible, plus large même que ne l’admettent beaucoup de critiques, à rinfiuence du rite juif sur la cène clirétienne. Aller plus loin est impossible. Si l’eucharislie n’était qu’une contrefaçon chrétienne de la Pàquc, clle n’aurait été célébrée qu’une fois l’an. Dans les jours qui suivirent la Pentecôte, moins de deux mois après l’institution, la fraction du pain n’aurait pas été fréquemment accomplie. D’ailleurs, « en dehors du jour qui lui était attribué, le souper pascal perdait toute signification et la manducation de l’agneau, du charoseth et des herbes amères eût été quelque chose d’analogue tout au plus à une messe blanche ; « un Juif ne se la fût pas permise et des milliers de convertis n’auraient pas eu assez de liberté d’esprit pour consentir à une cérémonie si étrangement contraire aux idées recuis. Leclercq, loc. cit. Les mets de la Pâque n’apparaissent plus sur la table chrétienne ; et les fidèles de la religion nouvelle entendent des paroles ignorées des Juifs, paroles qui semblent essentielles puisque seules elles sont rapportées par les écrivains du Nouveau Testament. Enfin, si on a cru découvrir les premiers linéaments de la messe dans les formes rituelles juives, « il n’en est pas moins vrai, dit dom Cabrol, que ces éléments anciens sont revêtus d’un sens si nouveau, qu’on peut ies considérer vraiment comme une création. » Les origines liturgiques, p. 139. De même, M. Duchesne, Origines du culte chrétien, 4e édit., Paris, 1908, p. 48, voit dans la cène ou repas sacré un des deux éléments nouveaux dans lesquels réside l’originalité de la liturgie chrétienne. Plusieurs érudits contestent même énergiquement la thèse de Bickell, par exemple, Drews, art. Eucharistie, dans Realeneyklopâdie fiir protestantische Théologie und Kirche, 3e édit., t. v, p. 563, et les liturgistes qui, comme dom Cabrol, op. cit., p. 330, ne la rejettent pas complètement, adressent à ce système de nombreuses critiques et croient constater même dans les formules et les rites secondaires empruntés une telle différence avec les usages juifs qu’ils l’attribuent à une réaction contre la cérémonie mosaïque, à un désir de faire entendre aux fidèles que l’ancienne loi avait disparu et de les empêcher de prendre le change, de se tromper sur le sens véritable de la cène chrétienne.

Si la Pâque juive n’a qu’un rapport lointain avec l’eucharistie, ne doit-on pas attribuer une influence plus grande à un autre rite, le kiddûsl Avant de répondre à la question, il faut rappeler exactement ce qu’était cette cérémonie, beaucoup moins connue. Elle a lieu au commencement du sabbat ou des jours de fête, pour les sanctifier. Le soir, donc, après le coucher du soleil, soit à la synagogue, soit plus régulièrement à la maison, le père de famiile prend en main une coupe remplie de vin. Après avoir récité d’ordinaire les versets 1-3 du ch. ii de la Genèse, il la bénit, en disant : « Sois loué. Éternel, notre Dieu, roi de l’univers, qui as créé le fruit de la vigne. » Puis il bénit la fête : « Sois loué, Éternel, notre Dieu qui nous as sanctifiés par tes préceptes, qui nous as agréés pour ton peuple et qui, dans ton amour, nous as donné le saint jour du sabbat, en commémoraison de la création. Ce jour est la première des solennités ; elle nous rappelle que tu nous as fait sortir del’Égypte, que c’est nous que tu as choisis et sanctifiés au milieu de tous les peuples et dans ton amour tu nous as donné en héritage le saint jour du sabbat. Sois loué. Éternel,

qui as sanctifié le sabbat. » Puis le maître de la maison boit à la coupe, la fait passer à sa femme et à ses enfants. Telle est la cérémonie, comme l’a bien montré M. Mangenot, Les Évangiles synoptiques, Paris, 1911, p. 435-111, d’après les témoignages tajmudiques et les explications des rabbins ; son opinion concorde avec celle de M. Moïse Schwab et du rédacteur de l’article Kiddûsch, dans The Jevish encyclopedia, t. vii, p. 482-484. Voir aussi Klein, dans la Zeilschrift fiir die neulestamenlliche Wissenscha/t, 1908 ; Lagrange, Évangile selon saint Marc, p. 335-336.

Un certain nombre de critiques de diverses écoles, pensant qu’il est impossible de faire de la cène du Christ un festin pascal, ont conclu qu’elle avait été célébrée au cours d’un kiddûs, c’est encore une transposition chrétienne de ce repas qu’ils croient découvrir dans la Didaché, ix, x (Spitta, Drews, Foxley, Funk, Box, Batiffol, Rauschen, Sanday, Drummond, Loisy, Dufourcq, J. Weiss). Voir Mangenot, op. cit., p. 442-461. Mais d’une part, il n’est pas démontré que le dernier repas de Jésus n’a pas été un festin pascal ; d’autre part, les érudits qui reconnaissent dans la cène un simple kiddûs, supposent à tort qu’au cours de cette cérémonie juive, il y avait une bénédiction du pain et le lavement des mains. Comme le montre M. Mangenot, op. cit., p. 464, on pourrait admettre que la première coupe du récit de Luc était celle de kiddûs, autrement dit la première du repas pascal qui aurait ensuite continué. Ce qui est incontestable, c’est que les paroles de Jésus sur le pain : « Ceci est mon corps, » sur le vin : « Ceci est mon sang 1) n’ont rien de commun avec les prières du kiddûs. La célébration hebdomadaire de cette cérémonie a-t-elle influé sur celle de l’eucharistie ? C’est possible, il faut noter pourtant que le rite juif était accompli au début du sabbat, nous dirions le vendredi soir, et que la fête chrétienne se célébrait le jour du Seigneur, ou dans la nuit du samedi au dimanche. Les prières du kiddûs ressemblent-elles à celle de la Didachél Qu’on l’admette si on le croit démontré. Mais cette action du rituel juif sur le formulaire chrétien serait postérieure à la formation des récits évangéliques et de la narration de saint Paul sur l’institution de l’eucharistie. L’originalité de l’acte de Jésus demeure entière.

Inutile d’insister sur les autres usages qui ont été rapprochés de la cène : banquets sacrés des esséniens, festins, d’ailleurs sans caractère religieux spécial, des pèlerins juifs pendant leur séjour à Jérusalem, réunions de lectures et de prières, avec banquets collectifs, des colonies juives de la Diaspora. Dans aucune de ces fêtes, on ne découvre ce qui caractérise le dernier repas de Jésus, les mots : « Ceci est mon corps ; ceci est mon sang ; » dans toutes, on aperçoit des éléments qui n’apparaissent pas à la dernière cène. Ce plus et ce moins inexpliqués constituent son caractère unique et sont précisément l’eucharistie.

Tout ce qu’on peut accorder, c’est que les institutions juives ont pu préparer ou faciliter l’acceptation en certains milieux de la cérémonie chrétienne, exercer quelque influence sur les rites et formules secondaires dans lesquelles on encadra avec le rite les formules caractéristiques et essentielles. Encore, cette action, qui paraît vraisemblable, ne peut-elle en fait qu’être soupçonnée : les preuves, les documents qui la démontreraient d’une manière péremptoire font défaut.

c. L’eucharistie n’est pas un emprunt fait au paganisme. — Pour le démontrer, il est nécessaire de bien déterminer la question. Nous ne nous demandons pas si certains convertis du paganisme étaient portés à voir dans la cène l’équivalent de mystères auxquels ils avaient déjà pris part, avant leur passage à la

vraie foi et si cette circonstance ne leur rendit pas plus aisée l’acceptation du banquet chrétien. Quelques communautés, plusieurs fidèles ne tentèrent-ils pas de surcharger de compléments profanes et empruntés à d’autres religions le rite eucharistique ? Le vocabulaire religieux, le rituel des Grecs et des Orientaux ne déteignirent-ils pas sur le vocabulaire, le rituel des chrétiens sans modifier les doctrines ? Autant de questions que nous n’avons pas le droit de poser ici. Nous cherchons si la cène chrétienne est une reproduction d’une cérémonie païenne, si les mots : " Ceci est mon corps, ceci est mon sang » sont empruntés à une autre religion, si l’idée de la communion à la personne du Christ ne remonte pas à Jésus, mais à la fable.

Aussi le catholique ne doit-il pas s’inquiéter si on lui démontre que certains repas rehgieux antiques doivent être rapprochés des assemblées chrétiennes. Les sociétaires des confréries grecques se réunissaient et, à certains jours de fête, prenaient en commun un repas amical empreint d’une grande cordialité, l’égalité y régnait, les femmes étaient admises, chacun apportait sa quote-part. Leclercq, Dictionnaire d’archéologie chrétienne, art. Agapes, t. i, col. 790. Bien que proscrits par Auguste, à moins qu’ils ne soient exclusivement funéraires, les collegia subsistaient dans les premiers siècles chrétiens, soit secrètement, soit en vertu de tolérances administratives, tacites ou expresses. On a le droit de penser que ces réunions favorisèrent l’institution des assemblées chrétiennes ; mais ce qui leur fut redevable, sinon de son origine, du moins de son développement, ce fut surtout l’agape où les fidèles pouvaient converser, manger, prier ensemble ; où ils trouvaient « un objet de tendresse et un sujet de consolation, des frères et des réunions, » l’élan, la vie commune et l’enthousiasme. Leclercq, lac. cit., col. 791. La consécration du pain et du vin n’a aucun équivalent dans ces banquets des éranes et des thiases, dans lesquels le sentiment religieux n’apparaît guère ou du moins n’est pas profond.

Au contraire, l’eucharistie proprement dite peut être rapprochée du repas funéraire en usage chez la plupart des peuples anciens, dès la plus haute antiquité. 11 était en vigueur au début de notre ère dans un grand nombre de pays méditerranéens où furent établies des colonies chrétiennes, en Italie, Grèce, Asie Mineure, Palestine, Afrique, Egypte. Les Juifs, nous l’avons vii, avaient une coutume semblable. Jésus prescrivit qu’on n’omît pas de lui accorder un souvenir postimme. Dans le dernier repas qu’il prit avec sa vraie famille, il dit : « Faites ceci, c’est-à-dire renouvelez ce repas en mémoire de moi. Toutes les fois que vous boirez cette coupe, faites-le en mon souvenir. » Dans saint Paul, le caractère funéraire de la cène est fortement accusé : « Toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez ce calice, vous annoncez (ou annoncez ) la mort du Scignenr, jusqu’à ce qu’il vienne. » Le banquet funèbre, banquet non seulement pieux mais joyeux, car il rappelle la résurrection, est choisi pour grouper ceux qui sont fidèles au (>hrist. Là se borne l’analogie. Dans le monde païcn, à l’origine les survivants offraient au défunt des vivres pour son usage personnel et exclusif ; filus tard, ils prirent un copieux repas sur son tombeau ; enfin, le rite se confondit parfois avec les ban((uets célébrés en l’honneur des dieux. Ici, rien de tel ; pas plus que celui des.Juifs, le festin funèbre des païens n’explique l’absorption du corps et du sang de Jésus. A la cène chrétienne « se passèrent des choses d’une nouveauté vraiment divine et qui ne ressemblent à aucun des rites de l’antique banquet funèbre. - Leclercq, lor. cit., col. 77.’)-7 « l, 843-844.

Certains critiques n’ont pas reculé devant la tentation de découvrir l’origine de la communion chré tienne elle-même dans des cérémonies païennes. Ils ont observé que, toujours, partout l’homme éprouve le besoin d’entrer en relation avec les dieux. Ils rappellent que le repas est l’acte religieux par excellence, partagé entre l’homme et les êtres supérieurs, présidé par la divinité. Ils insistent en particulier sur certains banquets, ceux des mystères qui introduisent dans une sphère supraterrestre, ceux des sacrifices qui scellent une alliance avec la divinité. L’homme, dans beaucoup de religions, n’est pas seulement le convive des dieux, il reçoit d’eux les mets du repas. On constate l’existence d’aliments surnaturels capables d’opérer des effets merveilleux, de conférer l’immortalité. Enfin, le croyant consomme la divinité elle-même ; il se nourrit de son totem ; il mange un objet, parfois un être vivant, un homme consacré aux Immortels et qui est ainsi leur substitut, une offrande tout imprégnée de la substance même du dieu.

Ces constatations faites, certains critiques essaient d’exphquer l’origine de l’eucharistie par une loi générale du développement des religions. Il y a, disent-ils, quelque chose de semblable dans l’évolution de tous les cultes. Si, en dehors de tout contact, on peut constater entre deux usages religieux une véritable analogie, on doit conclure qu’il y a là deux applications d’une même loi, deux cas où elle se vérifie. Il en serait ainsi dans l’espèce. Tout culte suppose un besoin d’entrer en rapport avec la divinité. Dans toute religion, cette relation s’étabht par le repas ; dans toutes, à un moment déterminé, l’idée de la manducation du dieu apparaît. La communion chrétienne devait fatalement être imaginée, elle correspond aux communions païennes.

Comme l’observe un critique non catholique, <c s’il est vrai qu’il y a quelque chose de commun dans le développement des diverses religions, il ne faut pas méconnaître ce qu’il y a d’original dans chacune d’elles, et, d’une manière plus particulière, dans la religion chrétienne. Le développement du christianisme a eu quelque chose de spontané et d’individuel, il a été spécifiquement différent du développement des autres religions et c’est se condamner à no pas pouvoir saisir ce qu’il y a de plus caractéristique en lui que de vouloir l’expliquer par les lois générales du développement de la religion. » Goguel, op. cit., j). 28. Le même auteur ajoute : « Le moment où l’on pourra » appliquer cette méthode « n’est pas encore arrivé, sitant est qu’il doit jamais venir. L’état actuel de la science des religions n’est pas tel qu’on puisse songer à établir une théorie de la communion par le repas. » Op. cit., p. 294.

Tout culte met en contact avec la divinité : on ne peut en être surpris, tel est, en effet, le but de la religion. Est-ce un pur hasard qui fait apparaître dans divers pays, à des époques éloignées, le repas de communion plus ou moins lié au sacrifice, ou est-ce " une force interne qui pousse la religion à s’exprimer dans un repas ? » On peut admettre cette dernière hypothèse. L’homme essaie de prendre contact avec la divinité comme il prend contact avec ses semblables, en lui parlant, en lui offrant des dons, en lui demandant des faveurs, en s’asseyant à la même table. Hicn d’étonnant s’il a voulu faire plus, s’il a désiré s’i lever au-dessus de lui-même, et si, pour atteindre ce but, il a cru devoir consommer quel<iue chose de divin. Que doit-on conclure ? Qu’il y a une lui contraignant toute religion à posséder une communion, et que l’eucharistie est un phénomène naturel ? C’est une hypothèse, celle de certaines criliqucs. Que Jésus-Christ, connaissant à merveille les besoins impérieux de l’âme humaine, a voulu, dans sa miséricordieuse tendresse, lui offrir la plus inconcevable et la plus précieuse satisfaction, que la communion au corps et au sang d’un Ilonmic

Dieu est en harmonie avec nos plus audacieuses aspi rations et nos plus pressants besoins ? C’est une autre hypothèse, celle des catholiques. Quelle est la bonne ? Tout historien impartial répondra : celle qui est d’accord avec les documents. Or le Nouveau Testament fait instituer par Jésus l’eucharistie ; et au contraire, aucun témoignage ne permet d’attribuer à ce rite une origine naturelle. Vouloir, malgré cette constatation, expliquer la cène par l’histoire des religions, ce serait étudier la législation d’Athènes d’après le code d’Hammourabi, les conquêtes de Rome d’après celles d’Alexandre, la civilisation égyptienne d’après celle des Aztèques ou des Incas. Il n’y a aucun motif de traiter les religions autrement que les diverses institutions sociales. L’historien se défie des lois générales, il n’en connaît guère, il ne leur sacrifie jamais les textes ou les faits.

Encore faut-il, s’il croit pouvoir ériger un principe universel et l’appliquer à divers cas, que ces cas soient vraiment semblables. Or, que peut-on comparer à la communion chrétienne ? La consommation d’un mets ou d’un élixir qui rajeunit l’homme et lui confère la vie éternelle, l’absorption de lait d’une déesse, de l’esprit du blé ou du viii, la manducation d’un animal totem, ici kangourou, ailleurs poisson, ours, bélier, bœuf, bouc ; un horrible festin de victimes humaines, la participation au nectar divin et déifiant, soma hindou, haoma mazdéen. Peut-on assimiler tous ces rites entre eux pour dégager de leur étude une loi générale ? A-t-on surtout le droit de mettre en parallèle avec eux l’eucharistie, sacrement qui est présenté comme le corps et le sang d’un Homme-Dieu sous les apparences du pain et du viii, repas appelé à produire des effets spirituels en ceux qui dans de saintes dispositions le reçoivent, cérémonie destinée à rappeler et à réitérer le sacrifice offert au Dieu unique pour la salut du monde par son propre Fils ? L’historien qui ne croit pas à la divinité du christianisme est obUgé de reconnaître la singularité unique du rite chrétien, sa transcendance et sa puissante action. Pour lui, fût-il incroyant, il y a donc des différences capitales, essentielles, entre l’eucharistie et les communions païennes, différences qu’il n’a pas le droit de néghger. Pour déterminer la composition d’un remède proposé par un savant médecin qui en offre lui-même la formule, on ne sera pas tenté de rechercher quelles sont les drogues utiUsées par les sorciers d’une vingtaine de pays sauvages et de déclarer, à cause d’une loi générale, qu’en dépit des apparences et malgré le témoignage de l’inventeur, malgré les faits, tous ces médicaments ont même origine, même vertu.

Une autre hypothèse doit être envisagée : le christianisme naissant n’a-t-il pas emprunté la communion à une des religions du monde antique ? Comme l’observe Goguel, la ressemblance des rites ne suffit pas à prouver l’influence d’une religion sur une autre. On trouve des usages identiques dans des cultes qui n’ont pas été en contact. Des analogies internes ne suffisent pas à démontrer un emprunt. Cette règle de critique historique obhge déjà à repousser diverses hypothèses qui ont été proposées. Leur seul énoncé d’ailleurs met en lumière leur insuffisance.

Selon Percy Gardner, op. cit., p. 18 sq. (voir aussi Pfleiderer, Das Urchristentum, seine Schriften und Lehren, BerUn, 1902, p. 259 sq.), pendant que Paul était à Corinthe, on dut célébrer non loin de là, à Eleusis, les mystères de Déméter. La partie principale était probablement un repas sacré qui mettait en communion avec les dieux. L’apôtre ne put entendre parler de ces fêtes sans être ému. Il se persuada à lui-même qu’il avait reçu du Seigneur, dans une vision, l’ordre d’introduire dans les communautés chrétiennes des mystères semblables à ceux d’Eleusis. Et c’est

ainsi qu’il imagina son récit de la cène ; la narration passa dans les trois Synoptiques, le rite dans toutes les églises. Il y a là un tissu serré d’hypotlièses gratuites et invraisemblables. « Du repas sacré d’Eleusis, dans lequel les initiés participaient et au moyen duquel ils entraient en communion avec les dieux, nous ne savons rien. » Anricli, Das antike Mysterienwesen in seineni Einfluss auf das Christentun, Gœttingue, 1894, p. 111. Voir, sur les mystères d’Eleusis, Chantepie de la Saussaye, Manuel d’histoire des religions, trad. franc., Paris, 1904, p. 558 sq. ; Foucart, Recherches sur l’origine et la nature des mystères d’Eleusis, Paris, 1895. Et il a été démontré que la narration de saint Paul n’a rien d’une hallucination ; il est certain que les témoignages des Synoptiques ne sont pas des décalques de l’Épître aux Corinthiens. Aussi Percy Gardner a-t-il dû abandonner sa propre théorie qu’il déclare intenable. Voir la réfutation dans Frankland, The early cucharist, Londres, 1902, p. 120-124.

L’aventure profita quelque peu. Dans la suite, des critiques osèrent encore parler d’une action de la pensée grecque, mais ils se gardèrent ou de préciser ou de présenter des affirmations absolues. Heitmûller, op. cit., fit des rapprochements entre la communion chrétienne d’une part, et des traits de la religion des Aztèques, de celle des Bédouins qui vivaient au Sinaï vers l’an 400, du culte rendu en Thrace à Dionysios Sabazios, et du mithriacisme. Seule, cette dernière comparaison mérite quelque attention. Gunkel, Zur religionsgeschichtlichen Verstàndniss des neuen Testaments, Gœttingue, 1903, p. 83 sq., pense à une influence égyptienne. Loisy, op. cit., t. ii, p. 541, croit pouvoir dire que Paul avait ébauché sa synthèse sous l’influence des idées connexes de sacrifice et de communion qui régnaient dans le monde ancien. O. Holtzmann, op. cit., p. 107, soutint que l’apôtre, par sa conception de l’eucharistie, avait introduit dans le christianisme « une tranche de paganisme. » Reitzenstein, Die hellenistichen Mysterienreligionen, Leipzig et Berlin, 1910, p. 50-51, qui pense que saint Paul a connu les reUgions hellénistiques et leur a emprunté différents points de sa doctrine, prétend bien que l’apôtre a transformé le récit primitif de l’institution eucharistique, transformant la cène en un mystère par l’ordre de réitérer le repas et indiquant que cette réitération doit se faire en souvenir du Seigneur. Toutefois, il n’admet pas que Paul ait donné à ce banquet la signification d’un simple festin commémoratif, pareil aux repas que les Grecs célébraient en souvenir de leurs morts. L’apôtre en fait un sacrement, une communion mystique avec le Seigneur. Reitzenstein compare cette pensée à celle que présente un texte magique à peu près contemporain de Paul : Osiris y donne son sang à boire dans une coupe à Isis et à Horus, pour qu’ils ne l’oublient pas après sa mort, mais qu’ils le cherchent en se lamentant et dans une grande impatience de le retrouver jusqu’à ce que, revenu à la vie, il se réunisse de nouveau à eux. Boire le sang, dans la magie amoureuse et dans les contrats d’alhance de beaucoup de peuples, crée un lien magique inviolable entre l’âme de ceux qui font cet acte. Les chrétiens, en buvant le sang du Seigneur, ne pouvaient oublier sa mort, devaient parler de lui, non pas sans doute pour le pleurer jusqu’à ce qu’il revienne et se réunisse à eux. Mais aux yeux de Reitzenstein, ce rapport est accidentel et ne peut fournir aucun renseignement sur le caractère mystérieux de l’eucharistie chrétienne. Il n’y a entre elle et les mystères païens qu’une simple allusion, qu’un rapprochement possible. Goguel, op. cit., p. 188, admet, lui aussi, une influence païenne, mais reste dans le vague. » On vou

drait, ajoute-t-il, préciser davantage, dire où et quand et dans quelles circonstances la conception religieuse grecque a agi sur Paul. Nous connaissons trop mal l’histoire des contacts de Paul avec l’hellénisme pour qu’il soit possible de le faire. Il n’est d’ailleurs pas certain que l’influence que nous soupçonnons ait agi à un moment bien défini et ait une origine précise. L’apôtre Paul est bien trop hostile au paganisme en général pour qu’on puisse admettre qu’il ait subi l’influence d’un culte païen particulier, tandis que rien n’empêche de penser qu’il se soit assimilé d’une manière toute spontanée l’idée de sacrement qui faisait partie de l’atmosphère intellectuelle de l’hellénisme. »

De telles affirmations portent en elles-mêmes les traces de leur faiblesse : l’influence s’exerce on ne sait quand, où, par qui, comment : aucune preuve positive n’est apportée. Il s’agit d’une action latente et inaperçue. Ce n’est pas une conception déterminée qui a agi, c’est une atmosphère ; ce sont les idées régnantes ; on peut essayer un rapprochement, on ne découvre pas une cause proprement dite. Il y a tendance du rite chrétien à des assimilations païennes. Des assertions aussi vagues ne peuvent être discutées : elles sont trop imprécises pour qu’on puisse les saisir. Mais elles ne reposent, par hypothèse, sur aucun argument positif, elles sont gratuites. Aussi les deux spécialistes peut-être les plus autorisés parmi les critiques indépendants, Clemen, Religionsgeschichlliche Erklârung des Neuen Testaments, Giessen, 1909, p. 185-207, et Anrich, op. cit., p. 110 sq., se refusent à admettre cette prétendue influence de l’hellénisme. Le dernier écrit : « La conception de Paul et celle de Jean (à plus forte raison celle des Synoptiques ; l’auteur ne juge pas même à propos de les défendre du soupçon) dans ce qu’elles ont d’essentiel ne peuvent être regardées que | comme des créations originales du génie chrétien sur le fond du judaïsme authentique. » L’auteur accorde tout au plus que ces deux premières ont subi l’influence de la pensée grecque « d’une manière secondaire. » La théorie qui expliquerait par une action de ce genre leurs vues sur le baptême et l’eucharistie « manque de base. » L’idée de saint Paul s’harmonise avec sa synthèse religieuse.

Mais, objecte Goguel, op. cit., p. 187-188, l’apôtre établit un parallèle entre la cène cliréticnne et les sacrifices païens, il y a donc entre les deux rites « une affinité profonde. » S’il n’en était pas ainsi, l’argument que saint Paul tire de cette analogie « n’aurait pas de base. » Il est facile de répondre que l’Épîlre aux Corinthiens distingue avec soin les deux institutions. De même, elle compare la communion aux sacrifices juifs : est-ce à dire qu’ils sont identiques ou qu’ils aient même origine, d’après saint Paul ? Pour lui, la table du Seigneur n’est pas la table des démons chargée d’un mets nouveau. Il a en abomination l’idolâtrie. Il s’élève avec la plus grande vigueur contre la tentation d’unir au repas du (Christ des habitudes qui rappelaient trop bien les usages des banquets païens. Dans tout le développement, il n’instruit, ne proteste, ne blâme que pour mettre en garde contre les dangers que courait sur le sol grec le mystère chrétien. Il parle avec une extrême sévérité, il veut empêcher la profanation du rite et l’altération des souvenirs traditionnels. Pourtant, l’abus qu’il co’mbat n’atteint pas l’eucharistie proprement dite, mais le repas qui l’accompagne ; la cérémonie religieuse elle-même n’est pas en péril d’être complétée ou supplantée par une cérémonie païenne ; mais les convenances, la modération sont violées. Si ces fautes indignent l’apôtre, est-il possible d’admettre qu’il ait emprunté à des mythes abhorrés ses théories du sacrement, de l’eucharistie,

du sacrifice, de la rédemption, c’est-à-dire quelques-unes des conceptions fondamentales de sa doctrine ?

C’était d’ailleurs inutile et impossible. Ce recours au paganisme était superflu. La notion de sacrifice est une idée juive. L’idée de l’expiation n’est pas ignorée d’Israël. La promesse d’un banquet messianique avait été faite et retenue. Le concept d’alliance entre les fidèles et Dieu était le fond même de l’antique religion de Paul. Le sacrifice, croyait-on, faisait participer à l’autel de Jahvé, permettait de manger et de boire avec joie devant lui, créait une union par le sang. Continuellement, dans tous ses écrits, l’apôtre fait allusion ou appel aux rites mosaïques, aux événements, aux personnes de l’histoire juive. Il met en rapport l’immolation de Jésus avec les sacrifices d’Israël, avec l’antique alliance, avec la manducation de l’agneau pascal. Mais, dit Goguel, loc. cit., « si [dans l’Ancien Testament] les victimes sont des objets sacrés, elles ne sont pas comme le corps et le sang du Christ, des objets divins. » Peu importe. Si Paul admet que Jésus s’est immolé pour nous, ses conceptions juives l’autorisent à penser que nous participons à la chair du Christ comme à celle de notre victime expiatoire. Pourquoi veut-on d’ailleurs qu’il n’y ait rien de nouveau dans le christianisme ? Tout ce qui s’y trouve doit-il être legs du judaïsme ou emprunt au paganisme ? La religion de Paul serait-elle la seule qui ne pourrait être originale ? Jésus, l’apôtre, n’ont-ils pas pu émettre quelque idée neuve ; lorsqu’on croit en apercevoir une, doit-on récuser immédiatement les témoignages qui la leur attribuent expressément et conclure qu’elle dérive d’une autre religion ? Les critiques qui raisonnent ainsi devraient démontrer qu’il était interdit au Christ et ; ses disciples d’avoir des pensées personneUes.

Ils sont obligés d’indiquer aussi où fut prise la doctrine qu’ils se refusent à faire remonter aux chrétiens. La tâche est impossible. Les ressemblances que l’on constate n’aflectent que l’extérieur des rites, elles sont superficielles. Nous sommes loin d’Osiris, d’Horus et d’Isis : personne ne le niera. Dans les Synoptiques et en saint Paul, la cène a pour cause l’amour de Jésus, pour effet la sainteté du fidèle : le rite n’a rien de magique. Pour y participer, il faut être pur, et si on s’en approche, on le devient davantage. La " catliarique » grecque se proposait de délivrer le fidèle moins du mal moral que des puissances mauvaises dont il était entouré. L’orphisme veut purifier l’homme, mais en l’alïranchissant du corps. Les initiations saintes et les prescriptions morales tendent à libérer l’âme des influences titaniques qu’elle subit en raison de son union au corps et à l’unir à Dionysos d’où elle vient et vers qui elle retourne ; ces cérémonies d’une religion panthéiste et dualiste ressemblent aussi peu que possible aux sacrements chrétiens.

L’n seul rapprochement peut attirer un instant l’attention. Il a déjà été fait par saint Justin et parTertullicn. « Dans l’office mazdéen, dit Franz Cumonl, Les mystères de Mithra, Paris, 1902, p. 13 : 5. le célébrant consacrait des pains et de l’eau qu’il mêlait au jus capiteux du liaonuj préj^aré par lui et il consommait ces nliiuents au cours de son sacrilice. Ces antiques usages s’étaient conservés dans les initiations mithriaques ; seulement au haoma, plante inconnue en Occident, on avait substitué le jus de la vigne. On plaçait devant le myslc un pain et une coupe remplie d’eau sur latjuelle le prêtre prononçait les formules sacrées. Cette oblation du pain et de l’eau à laquelle on mêlait sans doute ensuite du vin… n’était accordée qu’après un long noviciat. II est probable que seuls les initiés qui avaient atteint le grade de « lions » y étaient admis… Ces agapes sont évidemment la commémoration rituelle du festin que

Mithra avait céK-bré avec Sol avant son ascension. On attendait de ce banquet mystique, surtout de l’absorption du vin consacré, des effets surnaturels : la liqueur enivrante ne donnait pas seulement la vigueur du corps et la prospérité matérielle, mais la sagesse de l’esprit ; elle communiquait au néopliyte la force de combattre les esprits malfaisants ; bien plus, elle lui conférait, comme à son dieu, une immortalité glorieuse. »

Après avoir, sous une forme générale, posé la question : le christianisme a-t-il imité le mithriacisme ou vice versai Franz Cumont répond, op. cit., p. 163 : « Nous ne pouvons nous flatter de trancher une question qui divisait les contemporains et qui restera sans doute toujours insoluble. Des ressemblances ne supposent point nécessairement une imitation. » Et essayant d’établir une liste d’emprunts, il n’y porte pas l’eucharistie. Si d’ailleurs il y a quelques similitudes apparentes, il ne faut pas se faire illusion. Les deux traits essentiels de la doctrine eucharistique : présence réelle du corps et du sang du Christ, lien du repas à la passion et à la mort sur la croix n’ont aucun équivalent dans la conception mithriaque. Les rites ne sont pas identiques. Où est l’équivalent de ce que nous constatons, dans les plus anciennes liturgies, dans la Didachc, ou même dans la fraction des pains à Troas. Les ressemblances peuvent s’expliquer : dans les deux cas, il y a un de ces banquets funéraires en usage chez les anciens et où figuraient souvent du pain et du viii, ce sont d’ailleurs les éléments essentiels de tout repas. S’il y a quelque analogie entre les effets de la communion mithriaque et ceux de l’eucharistie, c’est que toutes les religions promettent des avantages pour le corps ou pour l’âme, sinon pour les deux. Mais le don du corps et du sang du Dieu n’est pas accordé par le rite païen. Au contraire, les premiers témoins de la cène ne disent pas qu’elle assure « la vigueur du corps, la prospérité matérielle ; » ils ne parlent pas du don de sagesse intellectuelle, de la puissance contre les esprits malfaisants. Saint Jean enregistre la promesse de l’immortalité, mais sous une forme judéo-chrétienne : le communiant ressuscitera. Sur les dispositions morales du communiant, sur le mode d’efficacité du rite, sur la forme de la consécration, on relève la plus radicale opposition.

Ainsi s’évanouit le seul espoir que pouvait avoir l’historien de découvrir un prototype païen de l’eucliaristie : ce prototype n’existe pas.

Conclusion.

Jésus a institué l’eucharistie. 11

a prononcé les mots : « Ceci est mon corps » sur du pain. Il a dit sur du vin des paroles attestant que la coupe contenait son sang et que ce sang était celui de l’alliance. Il a ordonné de réitérer ce rite en mémoire de lui.

La cène chrétienne contient donc et confère sous les dehors du pain et du vin le corps et le sang du Christ. S’il est une vérité dûment établie par l’Écriture, c’est celle-là.

L’exactitude de cette interprétation est enseignée par le concile de Trente, sess. xiir, c. i, ii, par le magistère ordinaire de l’Église et par le décret Lamentabili, dont la proposition 45= condamne l’erreur suivante : « Tout n’est pas à entendre historiquement dans le récit de l’institution de l’eucliaristie de Paul. I Cor., XI, 23-25. »

Prises à la lettre, les paroles de Jésus fournissent la doctrine de la transsubstantiation : ce qu’il présente est son corps, son sang ; ce n’est donc plus du pain, ni du vin. Si la formule produit la présence réelle, elle opère ce qu’elle signifie, et s’il en est ainsi, le pain est changé au corps du Ciirist. Le concept de transsubstantiation n’est que la trans cription pliilosophique de la phrase du Christ : Cec’est mon corps 1 Lebreton, op. cit., col. l.")()3.

I. OivnAGES CATHOLIQLKS.

Kn dc’liors des commentaires de saint Paul ou des Ivvangilos, dos manuels ou traités sur reucharislic, des monographies sur l’agape, l’épiclèse, la communion, la mossc, des éludes de théologie historique (Simar, Die Tlieoloijie dex lieiligen Paiilus, 2’édit., Fribourg-cn-Brisgau, 188 : 5, p. 240-248 ; Prat, 7, o théologie de .saint Paul, Paris, 1898, t.i, p. 102-172 ; 1912, t. ii, p. 379."585 ; Hauschen, etc.), et de courts articles ou comptes rendus publiés dans des revues catholiques, on doit citer surtout : Wiseman, La présence réelle du corps et du.sang de Xotre.Seigneur Jésus - Clirisl dans la divine euclmristie, prouvée par l’Écriture, trad. franc., dans Aligne, Démonstrations évangéliques, Paris, 184.’5, l. xv, col. 1159-1296 ; J. Corluy, Spicilegium dogmatico-biblicum, Gand, 1884, t. ii, p. 330397 ; J. Hehn, Di> Einsel : ung des Ixeiligen Abendmahls als Beweis fur die Gottheit Christi. Wurzbourg, 1900 ; W. Berning. Die Einsetzung der heiligen Eucharistie in ihrer urspriXnglichen Form nach den Berichten des h’euen Testamentes krilisch untersucht. Munster, 1901 ; P. Batiffol, Études d’histoire et de tliéologie positive, 2° série. L’eucharistie, la présence réelle et la transsubstantiation, 2’édit., Paris, 1905 ; 3’édit., 1906 ; J. Lebreton, art. Euclmristie, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, Paris,

1910, t. I, col. 1548-1567 ; Mangenot, L’eucharistie dans saint Paul, dans la Revue pratique d’apologétique, Paris,

1911, 1. xiii, p. 33-48, 203-216, 253-270 ; W. Kcch, Das Abendmalil im Neuen Testament, Munter, 1912.

II. Ouvrages non c.tholiques. — Pour les renseignements bibliographiques, voir E. Grale, Die neuesten Forschungen iiber die urchristliche Abendmahlsfeier, dans Zeitschrift fiir Théologie und Kirche, Fribourg-cn-Brisgau et Leipzig, 1895, t. v, p. 101-138 ; P. W. Schmiedel, Die neuesten Ansichten iiber den Ursprung des Abendmahls, dans Protestantische Monatshefte, Berlin, 1899, t. iii, 4, p. 125-153 ; A. Schweitzer, Das Abendmahl im Zusammenhang mit deni Lcben Jesu und der Geschichte des Urehristentums. I. Das Abendmahlsproblem auf Grund der ivissenschaftliclien For.schung des.y ;.v Jahrhunderts und der historischen Berichte, Tubingue, Leipzig, 1901 ; Goetz, Die lieutige Abendmahlsfrage in ihrer geschichtlichen Entwiclœlung, Leipzig, 1904 ; 2’édit., 1907. On trouvera des résumés utiles dans Berning, op. cit., p. 4-17 ; Goguel, op. cit., p. 2-15.

En dehors des commentaires de la sainte Écriture, des manuels et traites de théologie dogmatique ou biblique, des études de liturgie ou d’histoire ecclésiastique, on compte un très grand nombre de monographies ; il est impossible de les nommer toutes, citons seulement les plus importantes parues depuis 1890 :

A. Harnack, Brot und Wasser, die eueharistischen Elemente bel Justin, dans Texte und Untersuchungen, 2° série, Leipzig, 1891, t. VII, 2, p. 115-144 ; Th. Zahn, Brot und Wcin im Abendmahl der alten Kirche, Erlangen, Leipzig, 1892 ; A. Julicher, Zur Geschichte der Abendmahlsfeier in der dllesten Kirche, dans Theologische Studien C. von tV’eizsàcker zu seinem siebzigsten Gebursttage Il December 1892 gewidmet, Fribourg-en-Brisgau, 1892. p. 215-250 ; P. Gardner, The origin of the Lord’s supper, Londres, 1893 ; Spitta, Die urchristlichen Traditionem iiber Ursprung und Sinn des Abendmahls. Zur Geschichte und Literatur des Urcliristentums. 1. Gœttingue, 1893, p. 205-237 ; E. Haupt, Ueber die ursprùngliche Form und Bcdeutung der Abendmahlsworte. Halle, 1894 (Universitàtsprogramm) ; F. Schultzen Das Abendmahl im neuen Testament, Gœttingue, 1895 ; E. Grafe, op. cit. ; F. Kattenbusch, Das heilige Abendmahl, dans Christliche ^Velt, Leipzig, 1895, t. ix, n. 13-15 : R. A. Hoffmann, Die Abendmahlsgedanken Jesu Christi, Kœnigsberg, 1896 ; R. Schœfer, Df/.s Ilcrrcnmahl nach Ursprung und Bedeulung mit RiicksichI auf die neuesten Forschungen. Gutcrsloh, 1897 ; A. Eichhorn, Das Abendmahl im neuen Testament, dans Hefte zur chri.ttlichen Welt, Leipzig, 1898, n. 30 ; C. Clemen, Der Ursprung des heiligen Abendmahls. dans Ilefte zur christlichen Welt. Leipzig, 1898, n. 37 : A. Lichtenstcin, Des Apo.stels Paulus Ueberlieferung von der Einsetzung des heiligen AbendmaJds nach ihrem littercu-ischen und biblischen theologischenVerhaltnis zur den synoptischeii Berichten, Berlin, 1899 ; Schmiedel, op. cit. (1899) ; J. Wattcrich (vieux-catholique). Die Gegenwart des Herrn im heiligen Abendmahl, Heidelberg, 1900 ; A. Schweitzer, op. cit. (1901) ; M. Gore, The body of Christ, Londres, 1902 ; W. B. Frank land, The early eucharist, Londres, 1902 ; _ ; J. HofI

maiin, Das AbciiJmahl im Urchristentum, Berlin, 1903 ; W. Heitmuller, Tau/e und Abendmahl bei l’milus, Darslellung und reU<jionsgeschichlliche Beleiichtnuri, Gœltingue, 1903 ; art. Abendmahl, dans Die Rcliyion in Gescliielile und Gegenwart, de I". M. Scliiele, Tubingue, 1908 ; O. Holtzniann, Das Abendmahl im Vrchristentum, dans Zeiisehrifl fiir die nentestamentliche Wissenschaft und die Ktinde des Vrehristentams, Giessen, 1904 ; R. Seeberg, Das Abendmahl im Seuen l’estament, Berlin, 1905 ; 2^ édit., 1907 ; A. Andersen, Das Abendmahl in den zwei erslen Jahrhundevlen nacli Christus, 2e édit., Giessen, 1906 ; Goetz, op. cit., 1907 ; J. Rcville, Les origines de l’euchwislie (messe, sainte cène), Paris, 1908 ; M. Goguel, L’eucharistie des origines à Juslin martyr, Paris, 1910 ; F. Dibclius, Das Abendmahl. Eine Vntersuchung iiber die Anfànge der christlichen Religion, Leipzig, 1911. Voir aussi Herzog-Hauck, Realencijclopddie fiir protestant ische Théologie und Kirclie, 3e édit., Leipzig, 1896 sq., les art..Afcendma/iZ, de Cremer, t. i, p. 31 sq. ; Eucharistie, de Drews, t. v, p. 560 sq.

C. RucH.

II. EUCHARISTIE, D’APRÈS LES PÈRES. — l. Observations préliminaires. II. Témoignage des Pères pendant les trois premiers siècles. III. Pendant le IVe siècle, en Orient. IV. Pendant le ive siècle, en Occident. V. A partir du ve siècle, dans l’Église grecque. VI. A partir du ve siècle, dans l’Église latine.

I. Observations préliminaires.

1° Objet précis de cet article. — L’eucharistie est un sacrement et un sacrifice ; il ne sera question ici que du sacrement. Mais le sacrement lui-même peut être envisage à bien des points de vue : quel est son auteur ? Quels sont ses éléments constitutifs, sa matière et sa forme ? Quels sont ses effets ? Contient-il réellement le corps et le sang de.lésus-Christ ? Comment Jésus-Christ devient-il présent ? Quel est son mode d’être dans l’eucharistie ? Le pain et le vin subsistenl-ils malgré la présence réelle de Jésus-Christ ? Si leurs propriétés naturelles et toutes leurs apparences sensibles persistent, que devient leur substance ? Subit-elle un changement, et quelle est la nature de ce changement ? .utant de questions et de problèmes, dont l’énuméralion n’est pas close, qui ne se sont pas posés de prime abord, et dont on n’a pu chercher la solution qu’au fur et à mesure de leur apparition. Au temps des Pères, du moins, une affirmation capitale se produit et se répète incessamment, celle du dogme de la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, ou du réalisme eucharistique, qui répond, dans la foi des fidèles, aux données de l’Écriture, de la tradition et de la liturgie. Ce dogme est le point central de l’enseignement eucharistique des Pères ; c’est la donnée première et fondamentale, qui implique et engage toutes les questions, tous les problèmes subséquents ; c’est de lui qu’il sera principalement question ici. Mais, comme, en en parlant, les Pères n’ont pas manqué, une fois ou l’autre, d’aborder, sans jamais la traiter à fond, la notion de la conversion ; comme ils ont aussi indiqué parfois ce ù quoi ils attribuent la présence du Christ dans l’eucharistie ; et comme enfin ils ont signalé fquelqucs effets de la communion qui requiert la présence réelle, leur témoignage sera recueilli tel quel, c’est-à-dire à l’état d’enseignement diffus. Car ce n’est que longtemps après eux, lorsque la période d’élaboration progressive et de polémique précise sera passée, <juc les scolastiques pourront organiser systématiciueinent la théologie didactique de l’eucharistie, où toutes les faces du dogme eucharistique seront examinées à fond. La pensée des Pères, quelque apparence fragmentaire qu’elle offre, n’en est pas moins précieuse à recueillir : à côté de qucUpics expressions, qui pourraient prêter à l’équivoque et dont le sens s’est éclaire ! et précisé peu à peu, elle contient des affirmations catégoriques qui sont i » retenir, comme le témoignage de la croyance des premiers siècles au réalisme eucharistique, et des prin DICT. iJi ; TIIKOI.. CATIIOL.

cipes de solution dont la controverse et l’apologétique sauront faire leur profit. Mais avant d’aller plus loin, il convient d’expliquer le silence relatif des Pères relativement à l’eucharistie.

2° Point de controverse sur reiicharislie pendant la période patrisliqiie. — C’est surtout en vue des nécessités du moment, pour résoudre les difiicultés qui surgissaient ou pour combattre des erreurs qui menaçaient l’intégrité ou la pureté de la foi chrétienne, que les Pères ont employé leur activité intellectuelle : leur enseignement oral comme leur polémique écrite avait un caractère pratique, immédiat et urgent, commandé par des circonstances dont ils n’étaient pas les maîtres. Or, tandis que d’autres sujets sollicitaient leur attention et réclamaient leur intervention, le dogme eucharistique, à part l’erreur des aquariens relative à la matière du sacrifice, combattue notamment par Clément d’Alexandrie et saint Cyprien, ne fut l’objet d’aucune attaque spéciale pendant toute l’ère patristique. Il n’est donc pas étonnant dès lors qu’ils n’en aient pas fait un objet particulier de leurs travaux : l’absence de tout danger et de toute attaque explique pour une part leur silence. Mais ce silence n’est pas absolu. Car ils parlent de l’eucharistie, tantôt en passant ou par simple allusion, plutôt pour en instruire sommairement les nouveaux baptisés ; et ils le font d’ordinaire en procédant plutôt par des allirmations que par une étude approfondie, qui chercherait à rendre compte de tout et ù cclaircir autant que possible l’obscurité du mj’stère. Les questions et les problèmes, auxquels donne lieu le dogme eucharistique, ne s’étant point posés et n’étant nullement en discussion à leur époque, ils se sont contentés de proclamer ce qu’il faut croire, à savoir que le corps et le sang du Christ sont présents dans l’eucharistie, en dépit du témoignage des sens. A cette première raison s’en ajoute une autre, qui est que la doctrine christologique, dont dépend la doctrine eucharistique, ne fut élucidée, précisée et définie qu’après les longs débats du iv* et du ve siècle. Il faut tenir compte enfin de cette discipline caractéristique, où l’on a voulu voir une loi du secret, grâce à laquelle, à partir du ni<e siècle, les Pères ont usé, quand ils parlent des mystères chrétiens et notamment de l’eucharistie, de tant de réserves, de réticences ou d’obscurités voulues que leur enseignement ressemble à de l’ésotcrisme.

Caractère de la doctrine eucharistique des Pères.


On ne doit donc pas s’attendre à trouver chez les Pères un exposé complet de la doctrine eucharistique, et moins encore un traité didactique. Une terminologie appropriée au sujet leur fait même défaut ; de là, l’emploi de termes mal définis, qui prêtent à la confusion, et d’expressions qui, prises dans le sens précis qu’on leur donne aujourd’hui, seraient fâcheuses. Ils parlent de nature, de substance, d’essence, là où il faudrait simplement parler de propriétés naturelles. Un rapprochement trop accentué entre le dogme eucharistique et celui de l’incarnation en amène quelques-uns, pendant le ve siècle, à introduire, contrairement à toute la tradition, le dyophysisme dans l’eucharistie ; mais leur conception erronée n’aura aucun effet sur l’enseignement traditionnel ; clic retardera simplement le développement du dogme et sera éliminée. Plusieurs se servent des mots symbole, figure, image, type, et autres semblables. Mais, outre que de leur temps ces mots ne désignent pas des signes absolument vides de toute réalité, leur sens ne se pn-cisc et ne se justifie que peu à peu. Il est certain, en elîet, qu’on peut dire des espèces eucharistiques, considérées en tant t|uc signe, qu’elles sont le symbole du corps et du sang du Christ. I"t si l’on compare l’eucharistie à ce qui aura lieu dans la vision béalifiquc, il

V. — :  ! G

est clair qu’on peut dire d’elle qu’elle est le symbole de ce qui sera. Mais conclure de ce que certains Pères ont nommé l’eucharistie, sans autrement spécifier, le symbole ou l’image du corps et du sang du Sauveur, à une croyance et à une théorie symboliste contraire au réalisme, c’est, comme on le verra, ce qui ne peut se justifier. De même, l’allégorisme de quelques-uns, d’après lequel le corps du Christ est son corps mystique ou l’Église, ou bien encore sa doctrine, son enseignement, n’autorise pas à fairedeceux qui l’enseignent des partisans du symbolisme eucharistique ; car c’est, chez eux, une doctrine qui ne nie point la présence réelle, mais la suppose et se surajoute à l’enseignement ordinaire. Ce qu’il importe d’observer, c’est que, malgré le défaut de clarté suffisante dans l’expression de quelques-unes de leurs pensées, ou de précision dans l’emploi de certains termes, les Pères permettent de retrouver dans ce qu’ils ont dit, à l’état plus ou moins explicite, les données fondamentales et les éléments essentiels de la doctrine catholique sur l’eucharistie. Et l’on est en droit de conclure qu’entre leur enseignement, quelque rudimentaire et imparfait qu’il paraisse, et l’enseignement actuel, s’il y a un progrès et un développement incontestable, ce progrès et ce développement sont la suite logique, cohérente et justifiée de leur propre doctrine.

Doctrine des Pères sur la présence réelle.

Le

point central de la doctrine eucharistique des Pères est la présence réelle du corps et du sang du Christ, du Christ lui-même dans l’eucharistie. C’est, en effet, littéralement et non métaphoriquement qu’ils entendent soit les paroles de la promesse, soit celles de l’institution. Des paroles de la promesse ils écartent seulement l’idée d’une manducation charnelle au sens grossier des capharnaïtes, mais ils maintiennent le sens d’une vraie manducation par la bouche et non en esprit, et ils font remarquer comment Notre-Seigneur, par l’institution de l’eucharistie, avait admirablement réalisé son mystérieux dessein, en donnant vraiment sa chair à manger et son sang à boire sans exciter la moindre répugnance. Quant aux paroles de l’institution : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang, » ils ont estimé qu’elles s’entendent si bien par elles-mêmes qu’une explication était inutile. Loin donc de faire observer, comme pour tant d’autres passages de l’Écriture, qu’elles ne sont pas à prendre dans leur sens littéral, ils appuient au contraire sur ce sens littéral. Que si la chose signifiée, à savoir la présence réelle du corps et du sang de Jésus-Christ, paraît contraire au témoignage des sens et déconcertante pour la raison, ils en appellent simplement à la véracité, à l’autorité et à la toute-puissance de Dieu, et ils réclament un acte de foi ; car c’est Dieu lui-même qui a dit : « Ceci est mon corps ; » or, Dieu ne ment pas et il fait ce qu’il dit. Pour que le pain soit ou devienne le corps du Sauveur, il faut donc l’intervention divine ; et celle-ci a lieu par la prière de l’action de grâces en général, ou par les paroles mêmes du Sauveur à la dernière cène que le prêtre répète, ou par un appel à Dieu pour qu’il envoie le Saint-Esprit sur le pain et le vin afin d’en faire le corps et le sang du Christ. Voir ÉpiCLÊsE, t. v, col. 194. Une fois la bénédiction, sanctification ou consécration faite, car les Pères emploient indistinctement ces expressions, il ne faut plus s’arrêter au témoignage des sens ni aux difficultés soulevées par la raison, mais formuler un acte de foi sans aucune hésitation et sans le moindre doute. Et les Pères de répéter sous des formes variées que l’eucharistie est indubitablement, certainement, véritablement, réellement, proprement le corps même du Christ ; et quelques-uns de spécifier que c’est le corps même dans lequel il s’est incarné et qu’il a pris de la Vierge Marie.

C’est ce corps ainsi rendu présent que le communiant doit recevoir et manger pour en recueillir les plus admirables fruits tant pour son âme que pour son corps. Car l’âme n’est pas seule à tirer profit de la communion, le corps en profite aussi, l’âme spirituellement, le corps corporellement. Et c’est pourquoi, parmi les effets attribués à l’eucharistie, les Pères insistent sur ceux qui sont propres au corps, entre autres, l’incorruptibilité ou l’immortafité. Ils appellent la communion un antidote de la mort, un remède d’immortalité, un principe de la vie éternelle, une source vivifiante, précisément parce qu’elle donne la chair du Christ. Tous ces effets de la communion, signalés par les Pères, impliquent nécessairement la présence réelle du Christ dans sa double nature d’homme et de Dieu. Et « quand nous n’aurions, dit Arnauld, Pe/-/>é/uz7érfe /a /o/, Paris, 1669-1674, t. II, 1. V, c. II, p. 498, que les seules expressions par lesquelles les Pères marquent cette union de Jésus-Christ, comme d’entrer dans nos corps, de s’introduire dans nos corps, d’être reçu dans nos entrailles, d’être en nous, d’être dans nos corps, d’être mêlé ù nous, d’être joint à nous corporellement, d’être en nous conune un médicament avalé, comme un plomb qui purifie un métal avec lequel on le fond, conune un feu qui agit sur de l’eau, comme un morceau de cire mêlé avec un autre, comme une étincelle qui se conserve dans de la paille, comme un levain mêlé dans de la pâte, toutes ces expressions, dis-je, qui n’ont jamais été employées pour marquer une union de signe et de figure, ou une participation de vertu, seraient encore plus que suffisantes pour prouver cette présence. Mais l’union de ces deux preuves ensemble, l’une que les Pères ont regardé la chair de Jésus-Christ comme une cause opérante qui demande d’elle-même une présence réelle, l’autre cet amas d’expressions qui la signifient, prouve d’une manière si convaincante que les Pères ont cru une présence réelle, qu’il n’y a que des esprits extraordinairement préoccupés et que la passion a rendus incapables de se rendre à la raison qui y puissent résister. »

Mais pour que la chair du Christ opère ces effets, pour qu’elle vivifie immédiatement par elle-même et sans autre intermédiaire, elle doit être mangée, non en signe mais en réalité, non pas seulement par la foi mais encore de bouche. Par là s’opère une union corporelle du communiant avec le Christ ; de telle sorte qu’il y a une double union avec le Christ, l’une spirituelle avec son esprit par la grâce, et l’autre corporelle avec son corps par la communion ; la première pouvant s’obtenir par bien des moyens différents de la communion, tandis que la seconde ne se réalise que par la seule réception de la communion. Or, cette dernière suppose nécessairement la présence réelle.

Doctrine des Pères sur la transsubstantiation.


Ainsi donc le dogme de la présence réelle a d’indéniables témoins dans les Pères des cinq premiers siècles ; il est formellement attesté, et aucun témoignage, absolument, ne favorise la présence en figure ou, comme disait Arnauld, l’absence réelle. En est-il de même du dogme de la transsubstantiation ? Celui-ci est sans doute intimement lié au premier, mais il n’a pas toujours été l’objet d’un examen spécial. Ce n’est point qu’il ait passé complètement inaperçu, mais il s’est explicité peu à peu ; et sans que les Pères aient songé, pour la plupart, à pousser à fond la théorie du changement qui s’opère dans l’eucharistie, ils n’ont pas laissé de signaler l’existence d’un tel changement et même de le qualifier. Pour que le pain soit ou devienne le corps du Sauveur, il faut, affirment-ils, qu’il se produise quelque chose de nouveau qui n’était pas auparavant ; car le pain par lui-même n’est pas le corps du Christ. Si donc le Christ a dit en prenant du pain : « Ceci est mon corps, » le pain doit être devenu le corps du Christ. Il y a là, comme disent certains Pères latins, une mu/a/(0, une transflguratio, ^ ou, comme disent certains Pères grecs, une iJ.sTaoo), ?], une ys-zanoir^ai. ;, une [jLETaTXîuti, une ixcTâjp-J9 ! J.cTi ;, une conversion ; autant de mots qui signifient d’ordinaire un changement quelconque, mais qui, appliqués à ce qui se passe dans l’eucharistie, loin de signifier un changement de fig.re.de signe ou designification, commele prétendent les calvinistes, évoquent plutôt un vrai changement de substance, réel et positif. Les Pères qui en parlent le regardent comme la conséquence naturelle et nécessaire de ces paroles : « Ceci est mon corps ; » conséquence si claire et si obvie qu’ils n’ont pas senti le besoin d’expliquer ou de prouver la liaison qui la rattache à son principe et de dire : C’est le corps de Jésus-Christ, donc le pain est changé au corps de Jésus-Christ. Toutefois, sans instituer une analj’se approfondie de la nature de ce changement ou de cette conversion, et sans rechercher comment le pain n’est plus pain, en dépit du témoignage des sens, comment le corps du Christ est présent bien qu’il ne tombe sous aucun de nos sens, et comment ce corps invisible se trouve présent sous ce qui n’a plus que les apparences du pain, ils n’ont pas laissé d’affirmer et de répéter, au nom de la foi, que le pain n’est plus du pain, quoiqu’il paraisse être encore du pain, que c’est le corps réel du Christ qu’il faut croire réellement présent, réellement donné par le prêtre et réellement reçu par le communiant. Bien plus, quelques-uns ont eu soin de faire remarquer qu’il ne faut pas s’en tenir à ce qui paraît mais à ce qui est, ce qui paraît pouvant donner le chan, L ; e et suggérer autre chose que ce qui est, ce qui est n’étant en toute vérité que le corps invisible du Christ. Ce n’est assurément pas là le dogme de la transsubstantiation, tel qu’il s’est peu à peu explicité et tel que l’ÉgHse a fini par le définir ; mais qui pourrait nier que ce n’en soit pas une expression implicite et suffisante pour justifier le développement subséquent ? La conversion dont parlent saint Ambroise et l’auteur du De sacrameniis parmi les latins, saint Cyrille de Jérusalem, saint Grégoire de Nyssc, saint Jean Chrysostome et saint Cyrille d’Alexandrie parmi les grecs, c’est déjà, de leur temps et dans le langage de leur époque, ce que l’on appellera plus tard, d’un terme mieux approprié, la transsubstantiation. Si Théodoret, au ve siècle, et quelques autres écrivains ecclésiastiques à sa suite ou comme lui, qui ne sont que l’écho d’une école et d’une époque, à savoir de l’école anliochienne du v<e siècle, préoccupés de combattre l’erreur du monophysisme, en sont venus à imaginer ou à supposer une sorte de dyophysisme eucharistique, qui serait la négation de la conversion substantielle, il est à remarquer que leur tentative isolée n’a pu nullement interrompre le courant traditionnel et que, loin de faire échec à l’enseignement de l’Église, elle a complélement échoué et a été éliminée de la pensée grecque, ainsi qu’en témoigne saint Jean Dainascènc, en qui l’on entend toute la tradition orthodoxe des Pères grecs.

Cette question de la transsubstantiation ne sera traitée ici qu’incidemment, car l’objet du présent article est surtout le dogme de la présence réelle d’après les Pères. Il faut en dire autant de l’épiclèse. Quant aux usages de certains hérétiques, tels que le valenliiiicn Marc, dont parle saint Irénée, et aux rites gnostiques décrits dans les Acla Tliomic, qui confirment à leur manière la foi de l’Église et la présence réelle, nous les passerons sous silence. D’autre part, les inscriptions clirélienncs, comme celle d’Abcrcius à Uieropolis, voir t. i. col. C3 6J, Gô, de Pectorius à Autun, ou comme celle que fit graver le pape saint Damasc en l’honneur de Tarsicius, martyr de l’eucha ristie, quelque contribution qu’elles apportent aux témoignages patristiques, réunies aux autres monuments chrétiens relatifs à l’eucharistie, auront leur article spécial.

Les témoignages empruntés aux diverses liturgies, depuis VEuchologe de Sérapion de Thmuis et le Testamentum Domini nostri Jesu Christi, édit. Rahmani, Mayence, 1899, jusqu’aux textes réunis parBrigthman, Liturgies easlern and western, Oxford, 1896, trouveront mieux leur place dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, de dom Cabrol.

jll. Pendant les trois premiers siècles. — 1° La Didaché. — Le premier document qui s’offre à nous, c’est la Didaché ou Doctrine des douze apôtres : il est intéressant à consulter, malgré la pénurie des renseignements, mais ce sont des renseignements précieux. On y trouve, en effet, deux formules d’action de grâces à prononcer, soit sur le calice, soit sur le pain rompu, t.i^A to-j 7TOT/-, pioi), 7tîp toO x.Iolt^i.xto ;, Funk, Doclrina duodecim apostolorum, ix, 2, 3, Tubingue, 1887, p. 26 ; puis ce précepte, dûment appuyé sur une parole du Sauveur : « Que personne ne mange ni ne boive de votre eucharistie, à l’exception de ceux qui ont été baptisés au nom du Seigneur ; car c’est de cela que le Seigneur a dit : « Ne donnez pas ce « qui est saint aux chiens. » Ibid., ïx, 5, p. 28. Manifestement, il s’agit ici d’un repas ; est-ce d’un repas ordinaire, comme le prétend Andersen, Dos Abendmahl in den zwci ersten J ahrhunderlen nach Christus, Giessen, 1904 ? Nous ne le pensons pas. Est-ce à la fois de l’agape et de l’eucharistie, d’après Zahn, Forschungen, t. iii, p. 293-298 ; Mgr Duchesne, Bu/W/n cr17/(/He, 1884, t. V, p. 385-386 ; Funk, op. cit., note, p. 28 ; Ladeuze, L’eucharistie et les repas communs des fidèles dans la Didaché, dans la Revue de l’Orient chrétien, Paris, 1902, p. 339-399 ? La question importe peu, s’il est vrai qu’il s’agisse ici tout au moins de l’eucharistie. Or, sans aller jusqu’à affirmer avec Hehn, Die Einsetzung des heiligen Abendmahls, 1900, p. 172, que la Didaché nous offre d’une façon incontestable la foi en la présence réelle, nous ne dirons pas avec Rauschen, L’eucharistie et la pénitence, trad. Decker, Paris, 1910, p. 2, que c’est à peine si on peut faire appel à la Z)(V/rtf/7c en faveur de la présence réelle. Car le -oTT, ptov et le xJ.àCTixa, sur lesquels on rend grâces, sont désignés par le mot ej/apiTit’a, qui a déjà un sens liturgique caractérisé. Sans doute, les paroles de l’institution et les formules consécratoires sont passées sous silence ; et il n’est pas dit formellement que le pain et le vin soient le corps et le sang du Christ, comme cela sera spécifié dans la paraphrase de ce passage par l’auteur des Constitutions apostoliques, VII, XXV, P. G., 1. 1, col. 1017 ; mais il est question de tout autre chose que du pain et du vin ordinaires, à savoir d’un pain et d’un vin eucharisties et devenus eucharistie. Or, cette eucharistie est chose sainte : elle requiert, de la part de ceux qui veulent la recevoir, la réception préalable du baptême et une préparation morale, car on rappelle qu’il ne faut pas donner ce qui est saint aux chiens ; d’autre part, comparée à la nourriture et à la boisson ordinaires, pour lesquelles on doit assurément rendre grâces à Dieu, mais qui ne requièrent pas les conditions précitées, elle est qualifiée de nourriture spirituelle, et d’admirables elTets lui sont attribués, notamment la vie éternelle. « Seigneur tout-puissant, tu as donné aux hommes l’aliment et le breuvage pour qu’ils te rendent grâces ; quant à nous, tu nous as procuré une nourriture spiri tuelle, et une boisson, et la vie éternelle, » ibid., x, 3, p. 28, c’cst-à dire un aliment spirituel qui nous assure la vie éternelle. Saint Ignace l’appellera un remède’d’immortalité.

Saint Ignace.

Le célèbre évêque d’Anlioch e 

(† 107) est un témoin certain du dogme de la présence réelle.’Son langage est assurément très symbolique et mêle beaucoup d’images à l’idée de l’eucharistie ; mais il ne parle pas qu’en métaphores, sa pensée s’exprime parfois en des termes qui échappent à toute interprétation symbolique et doivent s’entendre au sens littéral et obvie, quoi qu’en aient pensé von der Goltz, Jgnalius von Anliochien, 1894, p. 71-74, et Stahl, Palristische Untersiichungen, 1901, p. 121 sq. Malgré quelques restrictions, Loofs avoue que « la conception de l’eucharistie, chez Ignace, n’est pas purement symbolique. » Art. Abendmahl, dans la Realencyklopudie fiir protestantische Théologie, t. i, p. 40. Saint Ignace parle, en effet, du pain de Dieu, et il veut le pain de Dieu, mais c’est celui qui est la chair de Jésus-Christ, né de la semence de David, et, pour breuvage, il veut son sang. Ad Rom., vii, 3, Funk, Opcra Patriim apostolicorum, Tubingue, 1881, t. I, p. 200. C’est là, dit-on, la désignation de l’union avec le Christ et de la possession de Dieu dans le ciel ; soit. Ailleurs, Ad Eph., iv, ibid., p. 176, ce pain désignerait l’union du fidèle avec le Christ, non pas dans le ciel, mais dans l’Église ; soit encore. Mais lorsque, parlant des docètes qui s’abstiennent de l’eucharistie et de la prière commune, i ! dit qu’ils » ne reconnaissent pas que l’eucharistie est la chair de notre Sauveur Jésus-Christ, celle qui a souffert pour nos péchés, celle que le Père a ressuscitée, » Ad Smyrn., vii, 1, ibid., p. 240, il semble bien difficile de ne pas voir là une affirmation nette de la présence réelle du corps du Christ dans l’eucharistie. Mgr Batifîol, il est vrai, a des scrupules sur ce texte et des difiicultés sur son sens obvie. Éludes de théologie positive, 2 « série. L’eucharistie, 3e édit., Paris, 1906, p. 124-125. Rauschen s’en étonne, op. cit., p. 5, car, dit-il, « si Ignace avait voulu dire que l’assemblée des fidèles était le corps du Christ, il aurait sans doute pu employer l’expression de chair du Christ aussi bien que celle de corps du Christ, mais il n’aurait pu ajouter : « qui a « souffert pour nos péchés et que le Père dans sa bonté « a daigné ressusciter. » Dira-t-on que saint Ignace a donné aussi le nom de corps et de sang à la foi et à la charité ? Ad TralL, viii, 1, op. cit., p. 208. Il n’y a point parité. Ici le langage est manifestement symbolique ; car on ne peut dire ni de la foi, ni de la charité, ni de l’Évangile, ni de l’Église, qu’ils soient, comme il le disait tout à l’heure de l’eucharistie, la chair du Christ qui a souffert et qui est ressuscitée. Après avoir affirmé. L’eucharistie, p. 188, que « saint Ignace n’a jamais parlé directement de l’eucharistie, mais seulement par allusion, par métaphore, » Mgr Batiffol est obligé de reconnaître que, « dans ce qui nous reste de saint Ignace, il y a un texte dont on peut dire que l’eucharistie y est affirmée directement, » j6 ! d., p. 123 ; c’est le texte de l’cpître aux Éphésiens, où il est question de l’union dans « l’obéissance à l’évêque et au presbyterium par une pensée indivise, rompant un pain unique, qui est le remède de l’immortalité, l’antidote pour ne pas mourir, mais pour vivre en Jésus-Christ toujours. » Ad Eph., xx, 2, op. cit., p. 190. Voir encore dans la Revue du clergé français, du l^ septembre 1908, p. 519-520. De son côté, Harnack reconnaît aussi, po(7men(7esc/i/c/ ! /e, 3e édit., t. i, p. 202, que saint Ignace s’est exprimé d’une manière strictement réaliste. C’est, du reste, l’impression produite sur tout lecteur non prévenu, comme le note Hoffmann, Das Abendmahl in Urchristentum, Berlin, 1903, p. 164 ; et Rauschen a raison, op. cit., p. 4, de qualifier saint Ignace d’excellent témoin de la présence réelle. Ajoutons seulement qu’en parlant de l’eucharistie comme d’un remède d’immortalité, saint Ignace se fait l’écho de l’Évangile de saint Jean et annonce la doctrine de saint Irénce.

Saint Justin.

L’apologiste martyr du iie siècle

est un témoin des usages liturgiques et de la foi de l’Église romaine. Dans sa I Apologie, il décrit deux fois la liturgie eucharistique, celle de la messe baptismale et celle de la messe dominicale, et il affirme formellement le dogme de la présence réelle. « Ceux que nous appelons diacres, dit-il, distribuent aux assistants et vont porter aux absents le pain et le vin mêlé d’eau qui ont été eucharisties. » Apol., I, 05, P. G., t. VI, col. 428. a Nous appelons cet aliment eucharistie. Nul ne peut y participer s’il ne croit à la vérité de nos doctrines, s’il n’a été auparavant purifié et régénéré par l’eau du baptême, s’il ne vit selon les préceptes de Jésus-Christ. Car nous ne regardons pas cette nourriture comme un pain et un breuvage ordinaires. Mais de même que, par la parole de Dieu, Jésus-Christ notre Sauveur s’est fait chair, a véritablement pris chair et sang pour notre salut, de même, d’après l’enseignement que nous avons reçu, cet aliment eucharistie par la parole du Christ est sa chair et son sang, qui nourrit notre chair et notre sang ; «  ApoL, 1, 66, col. 429 : o’jtw ; xa’t Tr, -/ 61’ey/r, ;).dyo’j ToC uap’a-jTov e-jy_ap’.'7rr, 6£Ï<îav Tpo5r, v… âxEivou tov TxpxoTTO’.oOovTi ; ’ItiHoO "/.al nj.y/.a. y.a’i a’i|j.a èôiSiy/JriiJ.Ev elvat. Saint Justin, on le voit, rapproche l’eucharistie de l’incarnation : l’incarnation a pour objet réel la chair et le sang du Christ, pour cause efficiente la parole de Dieu, pour cause finale le salut de l’homme ; l’eucharistie contient la même réalité de la chair et du sang, elle a pour cause efficiente la parole de Jésus, et pour cause finale l’alimentation du chrétien. Impossible d’affirmer plus catégoriquement le réalisme eucharistique. Pour saint Justin, le pain et le vin sur lesquels est prononcée l’action de grâces, ou plus spécialement la prière de la parole de Jésus, deviennent ce qu’ils n’étaient pas ; il n’est pas dit que le Verbe soit uni au pain et au viii, mais il est dit que cette nourriture eucharistiée est la chair et le sang de Jésus incarné, et qu’elle sert à nourrir notre chair et notre sang. Or c’est là, notc-t-il, un enseignement de tradition. Point de théorie, mais des affirmations : affirmations de réalités incompréhensibles pour la raison et inaccessibles aux sens, très acceptables pour la foi, puisque, dans l’eucharistie comme dans l’incarnation, le prodige opéré est dû à l’intervention toute-puissante de Dieu. Ci. Revue du clergé français, du 1°"^ septembre 1908, p. 520-521. Semisch avait déjà remarqué, Jus/ ! /j der A/a/ ; yrt’/-, Brestau, 1840, t.ii, p. 438, que « l’Église réformée n’est nullement autorisée à faire appel au témoignage de Justin pour soutenir son interprétation de la cène. » « On ne peut nier, dit Harnack, Dogmengeschichle, loc. cit., que Justin proclame la merveilleuse identité, réalisée par le Logos, du pain consacré et du corps que le Logos avait pris. » « On voit clairement ici, avoue à son tour Loofs, Abendmahl, loc. cit., p. 41, que Justin regarde comme une doctrine commune à tous les chrétiens de tenir Ve’jyaçiityTrfizl’ja Tpoyri pour le corps et le sang du Christ. » Rien donc de plus opposé à la thèse du symbolisme des calvinistes que le réalisme absolument certain de saint Justin. Sur la matière de l’eucharistie d’après Justin, voir A. Harnack, Brot und Wasser, die eucharistiche Elemente bei Justin, dans Texte und Unlersuchungen, nouv. série, Leipzig, 1891, t. vii, fasc. 2 ; M. Goguel, L’eucharistie des origines ù Justin martyr, Pari ?, 1910, p. 275-277.

4 » A Lyon. — Saint Irénée n’est ni moins formel ni moins catégorique que saint Justin. Sans chercher à faire de la spéculation, et à s’en tenir rigoureusement à la doctrine des Églises apostoliques, l’évêque deLj’on est un témoin qui, par saint Polycarpe, son maître, se rattache à saint Jean, et connaît tout ce qui se passe dans l’Église ; il fait appel, lui aussi, à la liturgie, et il

affînne le même rcnlisnic, la même cause efficientc, la même cause finale, sauf à insister cnergiquement sur l’immortalité du corps humain due à la réception du corps du Christ. Les gnostiques docètes, quoique niant que le Christ eût pris une chair véritable, célébraient la liturgie eucharistique tout comme les catholiques ; c’était une inconséquence, dont saint Irénée se fait un argument ad hominem. « Comment peuvent-ils prétendre, demande-t-iL Conl. hirr., iv, 18, P. G., t. VII, col. 1027, que le pain sur lequel on a rendu grâces est le corps de leur Sauveur, et que le calice est le calice de son sang, s’ils ne le reconnaissent pas comme le Fils du créateur du monde ? » « Si le Seigneur ne nous a pas rachetés par son sang, il n’est pas vrai de dire que le calice de l’eucharistie est la communion de son sang et que le pain que nous rompons est la communion de son corps. Car le sang suppose des veines, des chairs et tout ce qui fait partie de la substance humaine, par laquelle le Verbe de Dieu est véritablement devenu homme. Comment peuvent-ils soutenir que le pain sur lequel on a rendu grâces est le corps de leur Sauveur et que le calice contient son sang s’ils ne voient pas en lui le Fils de celui qui a créé le monde ? » Cont. hier., v, 2, col. 1124-1125. Un tel argument suppose la foi en la présence réelle, sans quoi la réplique était facile : « De même que pour vous, catholiques, l’eucharistie n’a que la valeur d’un symbole, de même, pour nous, l’incarnation se réduit à une apparence : il n’y a pas plus de chair véritable d’un côté que de l’autre. L’incarnation, telle que nous l’entendons, ne différe pas de l’eucharistie, telle que vous l’entendez. » D’autre part, saint Irénée se sert encore du dogme de la présence réelle pour prouver la résurrection de la chair, que niaient les adversaires qu’il combat. « Le Verbe de Dieu, dit-il, a déclaré que le Calice contient son propre sang, a’jja ïîiov, par lequel il pénètre le nôtre, et il nous a garantis que le pain est son propre corps, iSiov aoij/.a, par lequel il fortifie le nôtre. Lors donc que la parole de Dieu est descendue sur le calice renfermant du vin mêlé d’eau et sur le pain, quand ces deux éléments sont devenus l’eucharistie, corps du Christ, la substance de notre chair est raffermie et fortifiée par là. Comment donc peuvent-ils nier que la chair soit susceptible de prendre part au don de Dieu, qui est la vie de l’éternité, elle qui se nourrit du corps et du sang du Seigneur, et qui forme un de ses membres, tT|V Tâpxx… àno toO a(.’)(iaTo ; /.3. ai’u.ato ; zn-’j K-jp ; ou T ; >c : pofj.£vi, v -/ai ii, É)o ; avToO (cnip/o-, 7av ? Cont. hœ’r., v, 2, 3, col. 1126. « Quand saint Paul dit que nous sommes les membres du corps du Christ, formés de sa chair et de ses os, il ne veut point parler d’un homme purement spirituel et invisible, car l’esprit n’a ni os ni chair. Il désigne par ces mots la véritable substance de l’homme, faite de chair, de nerfs et d’os, pour laquelle le calice, qui est le sang du Christ, et le pain, qui est son corps, deviennent une nourriture. l-’A de même que le cep de vigne caché en terre fructifie en son temps, que le grain de blé confié au sol se dissout pour reparaître et se multiplie par l’esinit de Dieu qui contient toutes choses, et qu’enfin ces éléments, destinés à l’usage des hommes dans les desseins de la sagesse divine, devi, nnenl, par la vertu de la parole de Dieu, l’eucharistie, c’est-à-dire le corps et le sang du Christ, ainsi nos corps, nourris par l’eucharistie, sont placés dans le sein de la terre, où ils se décomposent, pour ressusciter dans le temps. - C.nnt. hær., v. 2, 3, col. 1126. « Nous offrons il Dieu ses propres dons, en ; ifflrniant d’un côté l’union intime ilii Verbe avec la nature humaine, et, de l’autre, la résurrection de la chair qui sera réunie â l’âme. Car de même quc le pain : q> vient de la terre, recevant l’invocation divine, cesse d’être un pain ordinaire pour devenir l’eucharistie composée

de deux éléments, l’un céleste, l’autre terrestre, ainsi nos corps, en recevant l’eucharistie, ne sont plus corruptibles sans retour, mais ils ont l’espoir de ressusciter pour l’éternité. » Cont. har., iv, 18, 5, col. 10281029. Luther, Kahnis, Fuse}’et Goie reconnaissent ici deux éléments de nature distincte : l’un terrestre, le pain, l’autre céleste, le corps c’u Christ. Bellarmin, Schwane et Stiuc^mann veulent voir dans le premier l’espèce ou l’apparence du pain. Massuef, Dccllinger, Mcchler et Mgr Bitiffol reconnaissent dans ce que sair.t Irénée nomme « eucharistie » le corps du Christ, et les deux éléments qui le composent sont le terrestre, la chair, et le céIc^lc, le Verbe.

Ces affirmations de saint Irénée ressemblent à celles de saint Justin : même réalisme d’abord : c’est la présenceréelledu corps et du sang du Christ ; mais saint Irénée note la présence d’un double élément, l’un matériel et terrestre, la chair, l’autre spirituel et céleste, l’esprit ; même intervention divine : saint Justin parlait d’un tùyf, i Àôyo : ô irap’a-JTo-J, c’est-à-dire d’une prière venant de Jésus, saint Irénée parle d’un)6yoç Toù 0EO-J, qui n’est pas le Logos de Dieu, mais une parole de Dieu, sans spécifier laquelle : même effet : l’alimentation du fidèle. En termes d’un réalisme singulièrement expressif, saint Irénée parle de notre chair nourrie du corps et du sang du Seigneur, iy. toO 7 : oTrip ; ou S i<y-i tô alfi-a aCroO xpéçEtai, y.cd ex toCj i’pTOu 5 âdTi tô (jcôu.a otvToO aiJitiai, — àizd toû « rwjjaTo ; y.at a"u.aTo ; -où Kupiou TpêçofiévriV. Et c’est là qu’il voit un argument en faveur de la résurrection, argument qui sera repris par Tertullien, saint Grégoire de Nysse, saint Jean Chrysostome, saint Cyrille d’Alexandrie. Mais pas plus que saint Justin, saint Irénée n’aborde ni ne traite les problèmes que soulève le dogme de la présence réelle : celui-ci est mis hors de doute sans contestation possible, et l’on se demande comment Steitz, encore au dernier sècc. Die Ahendmal.lslchrc der gricschiehen Kirche in ihrcr geschichtiichen Entwickelung, dans Jahrbiichcr fiir dcutsche’1 heologie, 1864, t. IX, p. 465 sq., a pu en appeler à saint Irénée’en faveur de la théorie symboliste. Loofs, du moins, Abendmahl, lac. cit., p. 48, reconnaît que l’évêque de Lyon a pensé et parlé comme saint Justin.

5 » A Cartilage. — Ici, deux témoins s’offrent à nous à quelques années d’intervalle, Tertullien et saint Cyprien, attestant l’un et l’autre la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, mais employant l’un’et l’autre des expressions ou des formules qui évoquent l’idée d’un certain symbolisme, et qu’en n’a fiis manqué d’exploiter pour infirmer bien à tort la valeur de leur témoignage positif en faveur du dogme de la présence réelle.

1. Tertullien, tout d’abord, traite l’eucharistie de chose sacrée, de sacramentum, comme le baptême, Adv. Mareion., iv, 34, P. L., t. ii, col. 442 ; on a soin, dit-il, de n’en rien laisser tomber à terre. De coiona, 3, ibid., col. 80. Or, l’eucharistie c’est le corps du Christ, De oralionr, 19 ; De idololalria, 7, P.I…I. i, col. 1183, 669, auquel l’homme prend part, dès qu’il est baptisé, pour s’en nourrir : opiwate dominici corporis vescitur, eucharistia scilicel. De pudicitia, 9, /’. L., t. ii, col. 998. L’homme étant un composé d’âme et de corps, c’est par le corps que les sacrements atteignent l’âme, cl c’est pourejuoi caro corpore et sanguine Chrisii vescitur ut anima Deo saginctur. De rcsur. (cirnis, 8. P. J… t. ii, col. 806. L’usage voulait alors que le fidèle ne communiât pas seulement à la réunion liturgique, mais encore qu’il emportât chez lui des esjiéccs consacrées pour se communier lui-même, accepta corpore Domini et rrsetvato. De nmlione. 10. P.I.., t. r, col. 1183 ; mais cela pouvait oflrir des inconvénients, surtout dans les familles dont tous les membres ne H31

EUCHARISTIE D’APRÈS LES PÈRES

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partageaient pas la même foi clirétienne ; et c’est pourquoi Tertullien signale ce danger pour s’opposer aux mariages mixtes. « DciToberez-vous, dit-il, aux regards de votre mari ce que vous prenez en secret avant toute nourriture ? S’il vient à découvrir que c’est du pain, ne supposera-t-il pas que c’est ce pain dont on fait tant de bruit ? Et comme il ne peut pénétrer un mystère qu’il ignore, que d’alarmes, que de soupçons 1 » Ad uxorem, ii, 5, P. L., t. i, col. 1296. Ces divers textes sont significatifs : ils prouvent, à n’en pas douter, la foi en la présence réelle.

Mais d’autres prêteraient facilement à l’équivoque. En voici un qui paraît assez singulier à première vue : Acceptum panem et dislributum discipuUs, corpus suum illum fecil. Hoc ut corpus vac^mdicendo, id est, figura corporis met. Adv. Marcion., iv, 40, P. L., t. ii, col. 460. Tertullien use souvent de l’hyperbate ; quand il écrit : Christus mortuus est, id est unctus, Adv. Praxeam, 19, on voit qu’il veut dire : C/uis^us, id est, unctus, mortuus est. Dans cette phrase : Apcriam in parabolam aurem meam, id est, similitudinem, Adv. Marcion., iv, 11, on voit que similitudinem est l’explication de parabolam et non de aurem. En est-il de même dans le texte cité ? Si oui, l’incidente explicative, id est, figura corporis mei, ne s’appliquerait pas à /îoc, mais à acceptum panem ; il y aurait une hyperbate, et le sens serait à l’abri de tout reproche. Telle est l’explication qu’en ont donnée Bellarmin et Duperron. Cf. Arnauld, Perpétuité de la foi, Paris, 1669-1674, t. iii, 1. II, c. ii-v, p. 62-91. Mais il ne faut pas oublier que Tertullien argumente contre un docète qui niait la réalité de l’incarnation. Il a donc soin de lui rappeler, d’après l’Évangile selon saint Luc, tel qu’il l’admettait, que le pain et le vin avaient été, dans l’Ancien Testament, des figures du corps et du sang du Christ, et que c’est en se servant du pain et du viii, qu’il appelle ou qu’il fait son corps et son sang, que le Christ a réalisé les anciennes figures : Deus in Evangelio quoque vestro revelavit panem corpus suum appelions, ut et hinc jam intelligas corporis sut figuram pani dédisse, eu jus rétro corpus in panem prophètes figuravit, ipso Domino hoc sacramentum postea interpretaturo. Adv. Marcion., iii, 19, P. L., t. II, col. 348. Marcion n’a pas compris que le pain était anciennement la figure du corps du Christ : Itaque illuminalor antiquitatum quid tune voluerit significasse panem, salis declaravit corpus suum vocans panem. Adv. Marc, iv, 40, col. 461. De même pour le vin : Ita et nunc sanguinem suum in vino consecravit, qui tune vinum in sanguine (uvœ) figuravit. Ibid., col. 462. En disant donc : acceptum panem… corpus suum illum fecit. Hoc est corpus meum dicendo, id est, figura corporis 7neî, Tei’tullien entend prouver que le pain était bien jadis la figure de son corps, puisqu’il en fait son corps, et c’est pourquoi il ajoute : Figura autem non fuisset, nisi veritalis esset corpus. Mais il n’entend pas pour autant nier la réalité de la présence du Christ dans l’eucharistie, puisqu’il l’affirme d’ailleurs, corpus suum illum fecil, etqu’il la suppose nécessairement pour pouvoir en conclure la réalité de l’incarnation : Panis et calicis sacramento jam in Evangelio probavimus corporis et sanguinis dominici verilalem adversus phantasma Marcionis. Adv. Marcion., v, 8, ibid., col. 489. En se servant donc du mot figure, ce n’est pas du symbole d’une chose absente qu’il a parlé, mais d’un symbole couvrant et contenant cette mystérieuse réalité qu’est la chair et le sang, dont se nourrissent, nous a-t-il dit ailleurs, les fidèles.

Un autre terme, dont on a fait état pour essayer de prouver que Tertullien était partisan du symbolisme eucharistique, est celui de reprivsentare. Pour montrer, en effet, que le Sauveur ne réprouve pas les éléments dont Marcion attribuait la création à un démiurge différent du vrai Dieu, Tertullien cite l’eau du bap tême, l’huile de la confirmation, le miel et le lait des initiés, puis panem quo ipsum corpus suum représentai. Adv. Marcion., i, 14, col. 262. Or reprœsentare a deux significations, celle du verbe français « représenter » , et celle du sens étymologique latin « rendre présent, présenter » . Nul doute que, s’il avait eu affaire à des symbolistes tels que les calvinistes, Tertullien n’eût surveillé de plus près ses expressions et qu’il n’eût employé un autre terme que reprœsentare. Mais du seul fait qu’il s’en est ser’i, on ne peut pas logiquement conclure que, par une contradiction trop grossière avec luimême, il ait changé d’avis après avoir tenu ailleurs un langage si nettement réaliste : ce qu’il faut dire, c’est qu’il a employé reprœsentare dans son sens étymologique latin, comme il l’a fait quand il appelle le second avènement du Christ une seconde reprœsentatio, ou quand il dit qu’au Thabor Dieu a présenté son Fils, celui qu’il avait promis : Itaque jam représentons eum : Hic est fllius meus, utique subauditur quem repromisi. Adv. Marcion., iv, 22, col. 414. Ainsi, conclut Mgr Batifîol, L’eucharistie, p. 215, à la cène le Sauveur présente son corps, et de même dans l’eucharistie ; reprœsentare n’a rien de symbolique. Cf. Duperron, L’eucharistie, Paris, 1622, ’p. 211-213 ; Arnauld, Perpétuité de la foi, t. ii, 1. III, c. v, p. 270-278 ; Gore, Dissertations on subjccts connected with the Incarnation, Londres, 1895, p. 310 ; d’Alès, La théologie de Tertullien, Paris, 1905, p. 356-359.

Un troisième reproche qu’on fait à Tertullien est l’emploi du verbe censetur dans son explication de l’oraison dominicale. Il entend spirituellement le pain quotidien ; il l’interprète du Christ et ajoute : corpus ejus in pane censetur. De oralione, 6, P. L., t. i, col. 1160. Bonne preuve, prétendent les calvinistes, que Tertullien ne croit pas à la présence réelle, mais à une présence symbolique. Mais c’est là prêter à Tertullien une pensée qui n’est pas, qui ne peut pas être la sienne. Le Christ, dit-il, est notre pain, parce qu’il est la vie et le pain de vie ; et comme son corps censetur in pane, en demandant le pain quotidien nous demandons à rester toujours dans le Christ, à ne jamais nous séparer de son corps, perpetuitatem inChristo, et individuitatem a corpore ejus. Et ceci pourrait bien s’entendre, non du corps eucharistique, mais du corps mystique du Christ, c’est-à-dire de l’Église. Quant au verbe censetur, Tertullien l’emploie parfois dans le sens de est. C’est ainsi qu’il écrit : Tu Deo, cujus tu quoque imago et similitudo censeris, Adv. Praxeam, 5 ; eum duæ subslanliæ censeantur in Christo, divina et humana, ibid., 29 ; imago in effigie, similitudo in seternitate censetur. De baptismo, 5 ; atque adultrr censetur qui dimissam a viro duxerit. Adv. Marcion., IV, 34. Aussi de bons critiques ont-ils voulu y voir un terme emprunté au langage juridique, avec la signification précise de est ou se trouve ; et dans ce cas le terme est suffisant pour exprimer le dogme de la présence réelle, mais non pour signifier celui de ! a conversion. Quoiqu’il en soit, il ne faut pas oublier que Tertullien a un style très singulier, peu correct, etqu’il parle à une époque où le langage théologique n’est point fixé ; il ne faut pas oublier surtout qu’en bonne critique les passag es obscurs ou équivoques d’un auteur doivent s’interpréter à la lumière de ceux qui ne laissent pas le moindre doute sur sa pensée ; or, ces derniers abondent dans Tertullien, comme on a pu le voir plus haut, et ils n’autorisent pas les critiques protestants à ne faire état que des premiers pour revendiquer le prêtre de Carthage comme l’un des témoins de la théorie symbolique de l’eucharistie. Malgré tout, Tertullien reste un témoin du réalisme eucharistique.

2. Saint Cijprien.

Le grand évêque de Carthage au iiie siècle pensera et parlera, on peut en être assuré

d’avance, comme celui qu’il appelait son maître, TertuUien, sauf à user d’un style moins obscur et plus correct, sauf aussi à proposer en quelques lignes, dans un raccourci substantiel dont la théologie fera son profit, les idées maîtresses de la doctrine eucharistique en tant que sacrifice. Relativement au dogme de la présence réelle, son langage est celui de la tradition liturgique : le réalisme eucharistique en forme le fond ; mais il est aussi symbolique sans qu’il y ait la moindre contradiction, et l’on voit se dessiner la distinction capitale entre le symbolisme, qui doit être limité au signe et ne doit s’entendre que du signe, et le réalisme qui s’applique à ce que le signe signifie, contient et donne.

Qu’est donc, aux yeux de saint Cyprien, ce que le signe signifie, contient et donne ? L’eucharistie, dit-il, est une chose sainte et sanctifiante tout à la fois ; il compare les éléments eucharistiques à l’eau du baptême, à l’huile de la confirmation. Mais là se borne la comparaison, car l’eucharistie est quelque chose de plus que l’eau ou l’huile, à savoir le corps et le sang du Christ ou le sanctum Domini, selon l’une de ses expressions. Cela résulte indiscutablement de son langage et de sa conduite vis-à-vis des chrétiens, des hérétiques et des lapsi. Se souvenant, en effet, du texte de saint Paul, que « celui qui mange le pain ou boit le calice du Seigneur indignement est coupable envers le corps et le sang du Seigneur, » il requiert de la part de ceux qui veulent communier qu’ils aient reçu le baptême catholique ; car ce serait une faute, comme lui écrivait Firmilien de Césarée, de permettre à ceux qui n’ont été baptisés que par les hérétiques de « recevoir par une communion témérairement usurpée le corps et le sang du Seigneur. » Epist., lxxv, 21, Hartel, S. Cijpriani opéra, Vienne, 1868-1871, t. ii, p. 823. Quant aux lapsi, devenus impudents après avoir été lâches, ils réclamaient leur admission immédiate à la communion, sans aucune pénitence préalable, et par là, dit saint Cyprien, vis infr>rtur corpori ejus et sanguini, et plus modo in Dominum maiiibiis atque are delinqmint, qiiam qiium Dominum negaveruni. De lapais, IG, Ilartcl, t. i, p. 248. Tel, dit-il, s’irrite quod non slaliui Domini corpus inqiiinatis manibus accipiat, anl ore polluto Domini sanguincm bibal. De topsis, 22, Hartel, 1. 1, p. 25.3. Quant à lui, il s’indigne qu’on ose profaner l’eucharistie, c’est-à-dire le corps sacré du Seigneur, eucluiristiam, id est, sanctum Domini corpus, profanare audrant. Episl., yiy, 1, Hartel, t. ii, p. ôli. Toutefois, devant les menaces d’une persécution nouvelle, il consent à admettre les lapsi à la communion pour leur donner la force de confesser la foi et de verser leur sang, car il les veut munis de la protection du sang et du corps du Christ ; » et cum ad hoc fiât eucliarislia ut possil accipienlibus esse tutela, quos lulos esse contra adversarium voluimus, nutrimento dominicx saluritalis armemus. Xam quomodo docemus uul prouncamus eos in confessionc nominis sanguincm suuni jundere, si cis militaturis Christi sanguincm denegamus ?… Aul quomodo admarlijrii poculum idoneos facimus, si non cos prius ab bibendum in erclesia poculum Domini jure communicationis adniittimus’.' Epist., Lvii, 2, Hartel, t. ii, p. G.")2. A la veille du combat suprême, les soldats du Christ doivent être prêts, considérantes idcirco se quolidic calircm sanguinis Christi bibcrc ut possinl et ipsi proptcr Cliristum sanguincm jundere. Epist., lviii, 1, Hartel, t. ii, p. 657. Ailleurs, De lapsis, 2."), saint Cyprien rapporte le fait d’une enfant que sa nourrice avait fait participer à un sacrifice idoiâtriquc et que sa môre, ignorant ce qui venait de se passer, porta à l’église où il célébrait les saints mystères. Quand le diacre, portant le calice, voulut y faire goftler l’enfant, celle ci se détourna ; le diacre insistant lui versa quand même sur les lèvres

quelques gouttes de sacramento calicis. Mais aussitôt l’enfant d’éclater en sanglots et de vomir. In corpore atque ore violato, note saint Cyprien, eucharistio permanere non poluit, sanctificatus in Domini sanguine potus de pollutis visceribus erupil. Ces allusions et ces expressions sont trop nombreuses, trop fortes et trop précises en faveur du dogme de la présence réelle pour qu’on puisse faire de leur auteur un tenant du symbolisme.

On a essayé pourtant, car on a cru découvrir le symbolisme au sens des calvinistes dans deux passages de la lettre à Cécilien, qui est un petit traité de l’eucharistie-sacrifice. Voici le premier : Nam cum dicat Christus : « Ego sum vilis vera, » s(mguis Christi non aqua est utique, sed vinunj. Nec potest vidcri sanguis ejus, quo redempli et vivificati sumus, esse in calice, quando vinum desit calici, quod Christi sanguis ostenditur. Epist., lxiii, 2, Hartel, t. ii, p. 702. Voici le second : Videimis in aqua populum intclligi, in vino vcro oslendi sanguincm Christi… Si l’inum tantum quis offcrat, sanguis Christi incipit esse sine Christo. Ibid., 13. Dans ces passages, assure-t-on, le pain et le vin ne sont dits corps et sang du Christ qu’en tant qu’ils seraient un mémorial de la passion du Christ, c’est-à-dire du corps et du sang en état de sacrifice. Telle est, d’après Loofs, Abendmahl, p. 58, l’interprétation de tous les critiques protestants : ils sont unanimes à y reconnaître une conception symbolique et sacrificielle de la cène. Cf. Goetz, Das Christentum Cyprians, 1896, p. 23 ; Sceberg, Lchrbuch dcr Dogmengeschichte, 2e édit., Erlangen, 1908, t. i, p. 548, D’une part, ces expressions : videri sanguis ejus Christi sanguis ostenditur, montrent que le sang n’est pas présent, mais seulement en apparence. D’autre part, en comparant l’eau au peuple et le vin au sang du Christ, saint Cj-prien autoriserait à conclure que, de même que l’eau est le pur symbole du peuple, de même le vin est le pur symbole du sang. Dans ce cas, ferons-nous remarquer, il faut admettre que saint Cyprien s’est grossièrement contredit. Or, il n’en est rieu : saint Cyprien est pleinement d’accord avec lui-même, tout le contexte le prouve. L’évêque de Cartilage vise, en effet, dans cette lettre, ceux qui, ignoranler vcl simplicitcr, n’employaient que de l’eau pour le sacrifice et s’écartaient ainsi de l’usage liturgique traditionnel. Il condamne leur erreur pour ce motif, entre autres, que l’eau n’a pas de rap]iort avec le sang, tandis que le sang a toujours été figuré dans l’Écriture par le vin. Si donc, dit-il, on n’offre le sacrifice qu’avec de l’eau, où sera la relation indispensable avec le sang, puisque le viii, figure du sang, quod Christi sanguis ostenditur, fait défaut ? Il n’y a plus rien dès lors qui indique qu’au sacrifice il s’agit du sang du Christ, 7107 ? potest vidcri sanguis ejus. Et ainsi se justifie cette double expression, qui n’affirme pas le moins du monde qu’il n’y ait dans le sacrifice eucharistique qu’un pur symbole. La suite du texte montre même le contraire : Quis magis sacerdos Dei surnii}i quam Dominus nostcr Jcsus Christus, qui sacripcium Deo Palri obtulit, et obtulit hoc idem quod Mclchiscdcch obtuicrat, id rst, pancm et vinum, suum scilicet corpus et sanguincm. Epist., lxiii, 4, Hartel, t. ii, p. 703. Le sacrifice de Melchisédech n’était qu’une figure ; or.lésus Christ, qui est la plénitude, vcritatem prirfiguralx imaginis adimplcvit. Quand donc ? Lorsqu’il a offert le pain et le vin mêlé d’eau, ibid., p. 704 ; mais ce pain et ce calice, Cyprien vient de nous le dire, c’est son corps et son sang, suum scilicet corpus et sanguincm. Peut-on conclure du second passage que le vin n’est pas plus réellement le sang de.Jésus-Christ que l’eau n’est la communauté des fidèles ? Nullement, car ce que saint Cyprien vient de dire, au sujet de ce que Jésus a offert en offrant le pain et le viii, s’y

oppose. En outre, ce qu’il veut noter ici, et cela suffit pour traiter l’objet et atteindre le but de sa lettre, à savoir, la nécessité de se servir de vin et de mêler de l’eau au viii, c’est que, de même que le vin est employé parce qu’il a toujours été le symbole du sang d’après l’Écriture, de même l’eau doit être mêlée au vin parce qu’elle est le symbole du peuple chrétien ; un tel rapprochement est très légitime ; mais, d’une ressemblance purement accidentelle entre l’eau et le vin en tant qu, ’symboles, on ne peut pas conclure à leur ressemblance complète de fonctions et dire que le vin ne joue d’autre rôle que celui de l’eau.

Au demeurant, comme nous l’avons déjà indiqué et comme les scolastiques le mettront en lumière, le mot symbole peut parfaitement être attribué au signe sacramentel, à ce que nous appelons les espèces du pain et du vin ; mais ce symbolisme du signe n’est nullement la négation de la réalité contenue sous le signe, ni dans saint Cyprien, ni dans aucun des Pères qui ont le plus parlé de symbole. Dans l’Église latine, on retrouvera, sous la plume de saint Augustin, ce double courant de réalisme et de symbolisme, plus ample encore et plus réfléchi, mais non moins justifié. Dans l’Église grecque. Clément et Origène, deux allégoristes, parlent pareillement de symbole et ne sont pas moins réalistes que leurs contemporains ou leurs devanciers.

6 » A Alexandrie. — 1. Clément d’Alexandrie. — Ce disciple de Pantène parle peu de l’eucharistie et, quand il en parle, ce n’est pas toujours d’une façon claire et littérale à la manière d’un catéchiste qui voudrait expliquer le mystère eucharistique. Il est retenu par les usages du temps qui veulent qu’on soit discret sur ce point ; mais il suppose le mystère connu des initiés, et il s’en sert comme d’un point de départ ou comme d’une base pour se livrer à des spéculations, en exégète qui allégorise et en philosophe qui entend opposer une gnose chrétienne et orthodoxe à la gnose intempérante et hérétique des valentiniens. Ceux-ci, en effet, prétendaient qu’il y a deux christianismes, l’un tout à fait élémentaire pour les simples, les enfants ou la masse, l’autre supérieur pour ceux qui savent, les sages et les gnostiques ; l’un qui n’offre que le lait des commençants, celui que saint Paul avait donné aux Corinthiens, xo yà/a, c’est-à-dire les Tipto-ra lj.a9Ti|j.aTa, Trptoraç rpoçi ?, l’autre qui donne la vraie nourriture, l’aliment substantiel, le ^pwija, c’est-à-dire les 71ve-jij.aTt/.ai sTtiYvfô-Tecç ; et cette dernière nourriture, ils la qualifiaient de chair et de sang de Jésus, (jâpxa y.ai ac|j.a toû’Iir, (io’j. Psed., i, 6, P. G., t. viii, col. 296. Certes, Clément d’Alexandrie n’était pas homme à reculer devant de telles distinctions et qualifications, sauf à les justifier dans le sens de l’orthodoxie chrétienne. Il distinguait, lui aussi, deux degrés dans la connaissance religieuse, l’un proprement élémentaire, celui de la catéchèse, premier aliment de l’âme comparable au lait des tout petits enfants, et l’autre supérieur, celui de la contemplation, nourriture solide et gnose des initiés ; et il n’hésitait pas à dire que la chair et le sang du Logos constituent l’intelligence de la puissance et de l’essence divine, et que se nourrir du Logos divin, c’est connaître la divine essence. Strom., V, 10, P. G., t. ix, col. 101. Mais il prétendait que le lait donné par saint Paul aux Corinthiens est un aliment parfait, le lait du Christ, le Verbe allégoriquement compris, le Verbe incarné devenu une tfocpri Tive^fj-aTty-r, pour les sages comme pour les enfants. Car le Verbe est tout pour l’enfant : père, mère, pédagogue, nourricier. « Mangez ma chair, a-t-il dit lui-même, buvez mon sang. » Voilà les aliments qu’offre le Seigneur, la chair qu’il présente, le sang qu’il verse ; et rien ne manque alors pour la croissance de l’enfant. Pn’d., i, 6,

P. G., t. VIII, col..301. Alais tout cela n’est qu’allégorie : le sang lui-même et le lait du Seigneur ne sont que le symbole de sa passion et de son enseignement : -ô a-jTÔ -/.ai a’ij.axal yi’/oi-.’j’j Kvoio-j TtiOoj ; /.a ; ôiîxt/.-j’."/ ; a ; a-^pSoÀov. Ibid., col. 309. Mais si cette double nourriturc, le lait et la gnose, est traitée par Clément de chair et de sang du Christ par manière d’allégorie, en est-il de même de cet autre aliment qu’est l’eucharistie ? Clément sait très bien que la liturgie eucharistique comporte l’oblation du pain et du viii, puisqu’il accuse ceux qui ne se servent que d’eau, à l’exclusion du viii, d’être en opposition savec la règle ecclésiastique, (j./, -/.aTa Tov zxvova : >, ; i/./.’ir^’jl-X’. Strom., I, 19, P. G., t. VIII, col. 813. Il sait très bien que Melchisédech était la figure du Christ, que le pain et le vin qu’il offrit étaient le type de l’eucharistie, ô tôv o ; vov /ai tÔv apTûv Tr|V r, ’['.’x17’j.i-/r, ^ ôtîoo ; T^, & : pr, ve !  ; z-’jtzo’j sOyapiTtîa ;. Strom., IV, 25, col. 1369. En qualifiant ainsi la figure de nourriture sanctifiée, Clément laisse entrevoir ce qu’il pense de la réalité bien plus sanctifiée et sanctifiante qui l’a remplacée, c’est-à-dire de l’eucharistie. Il sait également que le Sauveur, après avoir rendu grâce sur le pain, le distribua pour qu’on le mange Xrjyr/.w :, c’est-à-dire en connaissance de cause. Strom., I, 10, col. 744. Il sait qu’à la synaxe, quand l’eucharistie est divisée, chacun des fidèles en prend sa part. Strom., I, 1, col. 692. Qu’est donc à ses yeux cette eucharistie figurée par le pain et le viii, faite avec du pain et du vin et reçue par les fidèles ? Sans le dire d’une façon positive et nette, il le laisse suffisamment entendre dans sa réfutation des encratites. Ceux-ci prohibaient l’usage du vin pour des motifs d’un ascétisme mal compris. Et Clément de leur faire observer que Jésus a bu du viii, qu’il a béni du viii, quand il a dit : « Prenez, buvez, ceci est mon sang. > Mais, dit-il, Jésus allégorise en désignant par la figure du vin le Verbe qui doit être répandu pour la rémission des péchés. L’allégorie porte sur le vin et sur la vigne, car Jésus n’est ni le vin ni la vigne au sens propre. Porte-t-elle également sur l’eucharistie ? Car Clément voit dans l’eucharistie le Verbe mêlé au breuvage. « Double, dit-il, est le sang du Seigneur ; il est charnel, et c’est celui par lequel nous avons été rachetés ; il est spirituel, et c’est celui par lequel nous avons été oints. Et boire le sang de Jésus, c’est participer à l’incorruptibilité du Seigneur. L’esprit est la force du Verbe, comme le sang l’est de la chair. Analogiquement donc se mêlent le vin à l’eau, et à l’homme l’esprit ; l’un, le mélange (d’eau et de vin), rassasie pour la foi ; l’autre (l’esprit) mène à l’incorruptibilité. Et le mélange des deux, à savoir du breuvage et du Verbe, est appelé eucharistie ; r, oï à|j.soïv x-lbic tiotoC tî y.at Aôyo-j s-j/y.pii-’. x xplr, -0Lu « pied., il, 2, P. G., t. vill, col. 409412. Cette manière d’entendre l’eucharistie comme une y.pâfftç ou un mélange du vin et du Verbe peut prêter à la critique au point de vue de la justesse ; elle écarte du moins toute idée de symbole et exprime une réalité présente, et une réalité sanctifiante, car ceux qui y prennent part sont sanctifiés quant au corps et quant à l’âme : ^ç o xarà Ttiaicv [j.£Ta"Aajj.ôivovrE ; âyiis^^’T^’ai T(i)[j : a xx J/u/iqv, car c’est la volonté du Père qui ajoute mj-stiquementl’Esprit etle Verbeàce composé divin qu’est l’homme ; et de même que l’esprit est vraiment uni à l’âme portée par lui, de même la chair est unieau Logos qui, pourelle, s’estfaitchair : y.at yàp w ; aL’i.r, %ùii |j.èv tô 71v£-j|j.a (oxsctiiTac Tr, àir’ajToCi çspofxlv/) ij/u/y, ô 2k cràp ? tm Aôv(Ti, oc’y, v ô Aôyo ? YÉ-fOVî (70<pf. Ibid., col. 412. L’un des effets de la communion, c’est d’assurer l’immortalité ; voici, en effet, les paroles que Clément prête au Sauveur : i^M trou rposî-Jç, à’pTov È[j.a’JT"ov 6 ; So-Jc, O’j y£’j(jct(j.£vo : o’^cs’i ; k’riTTsrpav Oaviro-J).a[j.êàvîi, y.ai T.6>.01 y.a6’r, jj.épav èvS’.Soù ; a6a’/a(jta, -. Quis dives, 23, P. G., t. ix, col. 628.

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EUCHARISTIE D’APRES LES PERES

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Ainsi donc Clément distingue l’eucharistie de la gnose, malgré la ressemblance des descriptions qu’il leur consacre ; et « cette distinction, qui est fondamentale, dit Mgr Batiffol, L’eucharistie, p. 185, autorise à dire que les critiques se sont trompés qui ont, comme Steitz, cru voir se former à l’issue du iie siècle, si profondément réaliste, une conception radicalement contraire qui serait un pur sj-mbolisme, conception d’origine alexandrine et dont Clément serait le premier représentant. Ce sjmbolisme se serait résolu, au iv<e siècle, en un dj’namisme, qui lui-même aurait abouti, sur la fm du ive siècle, à une théorie de la conversion. Mais, en fait, le premier point de cette courbe n’existe pas : Clément n’est pas un symboliste professant la présence en figure ; il est aussi réaliste de langage que la liturgie de son temps, et il parle de ce réalisme comme d’un mélange du Verbe et des espèces consacrées, mélange aussi réel que l’incarnation. Nous sommes assurément encore loin d’une théorie de ce complexiis qu’est le réalisme 1 Mais loin aussi du pur syinbolisme imaginé par Steitz. » Voir t. III, col. 195-198.

2. Origène.

A la différence de son prédécesseur, Origène ne conçoit pas l’eucharistie comme un mélange du Verbe et des espèces consacrées et il n’en fait pas un gage d’immortalité ; mais, comme Clément, il est retenu dans l’expression de sa pensée par l’usage de discrétion qui veut qu’on ne parle des mystères chrétiens, et notamment de l’eucharistie, qu’en termes voilés, par allusions, que saisissaient bien les fidèles, mais que ne pouvaient pleinement saisir les catéchumènes et les non-chrétiens. C’est ainsi qu’après avoir cité ces paroles du Sauveur : « Ceci est mon corps, » et le reste, il ajoute : « Celui là connaît la chair et le sang du Verbe de Dieu, qui est initié aux mystères. Ne nous arrêtons pas plus longtemps à ces choses connues de ceux qui savent et restées lettre close pour ceux qui ignorent. » //) Lev., homil. ix, 10, P. G., t. XII, col. 523. Comme Clément encore, Origène emploie des termes et des tournures de phrase qui rappellent le langage liturgique et qui sont le témoignage irrécusable de la foi traditionnelle au dogme de la présence réelle. Ce que le Seigneur donne, c’est son corps et c’est son sang : Sicwiao : /.a ih-i otpTov Tr, ; îO/.OY’a ? » tô’7ti’)|j.a âauToû xai t"o aî|jLa éa’j-.oC Xapt^sTa-. In Jer., homil. xviii, 13, P. G., t. xiii, col. 489. Ce que le fidèle reçoit par la communion, c’est le pain devenu corps saint et sanctifiant par la prière de ceux qui s’en nourrissent avec une intention pure. Pour nous, qui rendons grâce au créateur de l’univers, nous mangeons avec action de grâce et prière les pains que nous offrons, Tioy.a -Evouivo-j ; ?tà tV’sO/r|V av’-ïiv Tt /.%. ày’.âsO"’'où : |)£Tà JytoC ; iz^ohiniMi ocJt’ô /p(i)u£vo-j :. Conl. Cels., viii, 33, P. G., t. xi, col. 156.5. Mais cette communion au corps du Christ par la participation à l’eucharistie requiert une conscience pure ; d’où ce reproche au pécheur : Commimicarc non tintes corpus Christi, accedens ad eucharisliam’.' In ps. XX VII, homil. ii. G, P. G., t. xii, col. 1380. Elle requiert aussi de grandes précautions et un profond respect pour que rien n’en tombe à terre. Nostris qui divinis mijsleriis intéresse consucstis, cum suseipitis corpus Christi, cum omni cautela et vencralione servatis ne ex eo pnrum quid déridât, ne conserrati muneris aliquid dilabatur. Reos enim vos creditis, et recte creditis, si quid inde per ncgliqentiam décidât. In lixod., homil. xiii, 3, P. G., t. xii, col. 391. Comme Clément enfin, Origène connaît la relation qui existe entre l’Ancien et le Nouveau Testament ; il voit que ce fqui était une énigme dans le passé est devenu une réalité. « Alors, dit il, la manne était une nourriture in œniqmnte, aujourd’hui la chair du Verbe de Dieu est une nourriture véritable, ainsi qu’il l’a

dit lui-même : « ^^a chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage, » In Num., homil. vil, 2, P. G., t. xii, col. 613. Comparant la pâque chrétienne avec la pâque juive, il en note les différences caractéristiques. Les Juifs, dit-il, mangent un agneau ordinaire, mais notre pâque est le Christ immolé pour nous. C’est la différence entre l’ombre et la lumière, entre la figure et la réalité. Voilà ce que comprend celui qui a été instruit secrètement des mystères de la pâque : il sait que la chair du Verbe est vraiment une nourriture, tllù-iz on à), r, Oï, : âsTi [lipôpi ;. In Jer., homil. xii, 13, P. G., t. xiii, col. 395. Même rapprochement significatif et même distinction réelle au sujet du sang de l’agneau pascal, dont les Juifs avaient jadis marqué les portes de leurs demeures. Les chrétiens font quelque chose de semblable, mais bien plus relevé : « Ils mangent comme leur pâque le Christ immolé pour nous, qui a dit : « Si vous ne « mangez ma chair, vous n’aurez pas la vie en vous. » Et par cela même qu’ils boivent son sang, véritable breuvage, ils arrosent les portes de leur maison, qui est leur âme. » In Matth. comment, séries, 10, P. G., t. xiii, col. 1615. Tout naturellement il écarte le sens grossier d’une manducation telle que l’avaient comprise les capharnaïtes. S’adrcssant donc aux hommes charnels qui l’entendraient de même, il leur dit : « Si vous suivez à la lettre ce qui est dit : « Mangez « ma chair et buvez mon sang, » cette lettre tue. » Il veut, en clTct, qu’on entende le mystère de la communion dans le sens où l’enseigne l’Église, sccundum hanc intelligentiam quam docel Ecclesia. In Lev., homil. VII, 5, P. G., t. XII, col. 487.

Ces textes suffisent pour montrer la valeur du témoignage d’Origène en faveur de la présence réelle ; mais il en est d’autres où il tient un langage allégorique. En effet, en dehors et au-dessus de cette manière d’entendre les choses d’une communion réelle, quoique spirituelle, au corps et au sang divin, qu’il qualifie de plus commune et à l’usage des simples, àTrXouiTTipoiç y.y.-h xr, t y.oivoTe’pav -sp’i Tr, ; j-^/apto-tiai ; i-Alrj-/r, , il en conçoit une autre plus profonde et plus divine, toï ; 6s paO-Jxspov à/.o-j£iv ijE[jaOr, v.rj(Ttv v.aTa Tr|V Œîotépav y.a 7rep ToO xpoçîuo’J t ?, ; aXrjŒt’a ; o’; o-J éitayi-c/iav. In Joa. comment., xxxii, 24, P. G., t. xiv, col. 809. Il est vrai que, dans ce cas, ce n’est pas la communion au corps et au sang du Verbe incarné qu’il a en vue, mais bien, par l’allégorie, l’adhésion de l’esprit à l’enseignement du Verbe. Voici, en effet, un passage significatif : " Ce pain que le Lieu-Verbe dit être son corps, c’est le Verbe-nourricier des âmes, le Verbe procédant du Dieu-Verbe. Le pain qui sort du pain céleste et qui est passé sur la table, c’est celui dont il est écrit : < Tu as dressé pour moi une n table en face de ceux qui me persécutent. » Et ce breuvage que le Dieu-Vcrbe appelle son sang, c’est le Verbe qui abreuve et enivre magnifiqucmonl les cœurs… Car ce que le Dieu-Verbe nommait son corps, ce n’était point le pain visible qu’il tenait entre ses mains, mais le Verbe dans le mystère duquel ce pain devait être rompu ; de même ce qu’il nommait son sang, ce n’était pas ce breuvage visible, mais le Verbe, dans le mystère duquel ce breuvage devait être répandu. Le corps et le sang du Dieu-Verbe peuvent-ils être, en effet, autre chose que le Verbe qui nourrit et le Verbe qui réjouit le rrrur ? » In Matth. comment, séries, 85, /’. G., t. xiii. co !. 1735. Ce passage et d’autres encore, In um, homil. xvi, 9 ; xxiii, 0 ; In Lev., homil. vii, 5 ; De oral., 27 ; cLDupcrron, L’eucharistie, y>. 223-226 : A. Struckmann, Die Gegenucrt Chri.sti in der heiligen Lurhnristic, cnnc, r-i, p. l.’"^8191, sont assurément déconcertants pour celui ( ; ui les lit aujourd’hui ; l’étaicnl-ils aussi pour les auditeurs habituels d’Origène, même pour les fldéîes ? Nous ne

le pensons pas ; car les fidèles, étant initiés au mystère eucharistique, savaient à quoi s’en tenir sur la doctrine traditionnelle et sur la foi en la présence réelle, toujours sous-entendue par le célèbre catéchiste alexandrin, et très souvent objet de sa part d’un rappel ou d’une allusion directe ; ils savaient aussi avec quelle facilité leur maître.se plaisait à allégoriscr. Or, dans ces passages, Origène allégorise et parle de tout autre chose que de l’eucharistie. « Le pain et le vin de la cène, observe Mgr Batiffol, d’accord sur ce point avec M. Struckmann, L’eucharistie, p. 189, sont pris par lui pour une figure, mais la figure de tout autre chose que le corps et le sang du Christ, la figure de sa doctrine. Il ne faut donc pas chercher ici une théorie de la présence réelle, pas plus que nous n’en avons cherché dans les développements allégoriques analogues de Clément. » Il convient de se rappeler aussi qu’en allégorisant de la sorte, Origène, comme il en a fait l’aveu, esquissait une théorie essentiellement différente de l’enseignement traditionnel et ordinaire sur l’eucharistie, enseignement qu’il connaissait et qu’il approuvait. Et tout ce qu’il a dit sur l’eucharistie est le langage d’un réaliste, et nullement celui d’un symboliste. Harnack le reconnaît et ajoute qu’au sujet de l’eucharistie, il n’y a jamais eu de purs symbolistes. Dogmengeschichte, t. i, p. 436-437.

3. Saint Denys d’Alexandrie.

Après Origène, deux maîtres se succédèrent au Didascalée avant de monter l’un après l’autre sur le siège d’Alexandrie. Du premier, Héracléas, nous ne savons rien, rien de lui ne nous étant parvenu. Du second, saint Denys, Eusèbe nous a conservé quelques fragments de lettres au pape Xyste, parmi lesquels celui-ci relatif à la communion. Il s’agit d’un Alexandrin qui, s’étant aperçu que le baptême qu’il avait reçu n’était point le baptême catholique, demandait à être baptisé, ce à quoi saint Denys se refusa de donner suite, vu la longue participation de cet homme aux sacrements et notamment à la communion, décrite ainsi : e’j/apif7TÎac yàp Èua> !.o-J<TavTa, xa quve ; rtepO£i’?a|j.Evov tÔ’A|j.v)v, /tat TpaTtlÇï] uapaiTTâvTa, xal -/eïpaç s’iç Û7ro50 ; (Y)V ttiÇ âytaç rpoçr, ; TTpoTsfvavTa, xal TaÛTï)v y.aTaSelàpievov, -/.aX roO f7(x>[i.xtoz xa TOÛ aîjxaTo ; to-j Ivupîo-J -qp.MV’IriffoO XptaTOÛ [J, 5Ta(7xôvTa îxavM XP’^'" ! ’- Eusèbe, H. E., vii, 9, P. G., t. XX, col. 656. Denys est aussi un témoin de la conservation de l’eucharistie pour les malades. Voir t. IV, col. 427.

A Rome.

Saint Hippolyte, voir A. d’Alès,

La théologie de saint Hippolyte, Paris, 1906, p. 147-150.

III. Au iv"’SIÈCLE, EN Orient. — Les usages liturgiques concernant la communion, auxquels saint Denys fait une allusion si claire, dans le texte que nous venons de rapporter, sont bien connus : le fidèle s’avance, tend la main droite pour y recevoir le pain consacré et lorsque l’évêque le lui présente, en disant : Corps du Christ, il répond : Amen ; lorsque le diacre lui présente le calice en disant : Sang du Clirist, il répond également : Amen, et boit à la coupe. Le langage des auteurs ecclésiastiques continue, lui aussi, à être conforme aux usages de la liturgie. Mais, sous l’influence plus ou moins accentuée des Alexandrins, les termes de symbole, de figure, de type, se retrouvent ; d’autres mêmes paraissent, tels que àvriruTrov et w|j.oi’quj.a, et ils désignent, selon l’usage d’alors, un signe auquel est jointelaréalitéqu’il signifie, etnon un signe vide de toute réalité. De tels termes pouvant prêter à l’équivoque ou donner lieu à des malentendus, ils seront ou expliqués ou même écartés. Mais en attendant que leur sens se précise ou que leur emploi cesse, un grand progrès se manifeste dans l’exposition du dogme eucharistique ; la présence réelle est toujours au premier plan dans un relief incontestable ; le problème même de la conversion est abordé ; la conversion est

affirmée en des termes variés, ce qui prouve que la langue théologique n’a pas encore choisi et fixé un mot spécial pour l’exprimer ; mais ces termes eux-mêmes signifient d’une façon au moins équivalente ou implicite l’idée de conversion substantielle ou de transsubstantiation.

En Egypte.

1. Didyme l’Aveugle (j- 395), qui

occupa pendant un demi-siècle l’école catéchétique d’Alexandrie et qui compta parmi ses élèves Rufin et Jérôme, ne semble pas s’être servi comme ses prédécesseurs des mots de symbole et de figure, ou du moins, ce qui nous reste de ses œuvres n’en porte pas trace. Parlant de la pâque, il dit à un endroit : < Nous la célébrons chaque année, chaque jour ou plutôt à chaque heure, participant au corps et au sang du Christ, |XET£/_ovTe ; lo-j croiij.aTo ; xa’iToC y.ïy.xxoç a-jto-j. Ils savent ce que je veux dire, ceux qui ont été jugés dignes du suprême et éternel mystère. " De > piritu Sancto, III, 21, P. G., t. xxxix, col. 905. D.dyme dit encore que le Seigneur est le pain de vie et que les fidèles se nourrissent de ses chairs et de son sang, qui sont un aliment et une boisson véritables. Inpsalmos, col. 1336. Cf. G. Bavdy, Didyme l’Aveugle, Paris, 1910, p. 151-154.

2. Sérapion de Thnniis.

L’eucologe de Sérapion de Thmuis († 358), découvert en 1894, est le texte liturgique le plus ancien que nous possédions ; il renferme le canon de la messe où se trouve le mot (o[j.o ; (.)[j.3 ;. I A toi (Seigneur), est-il dit dans l’anamnèse, nous offrons ce pain, figure du corps du Monogène. Ce pain est la figure du saint corps… Et nous offrons ce calice, figure du sang. » Le pain est (oij.ot’wij.a tod (ytx>j.a-co :, le vin (o[xoi’(i)|j.a TO-j a’.'|j.aToç, et le sacrifice ojp.oiufjia toO ûavirou ; c’est l’équivalent de (j’jij.gc/Àov ou eï-z-mv qui se trouve dans Eusèbe de Césarée, et de àvTÎTjnov, dont parle Eustathe d’Antioche. Il est à remarquer que le pain et le vin sont qualifiés de symboles du corps et du sang avant la consécration ; et cela n’exclut pas le réalisme ; car, à l’épiclèse qui suit le récit de l’institution, on lit : « O Dieu de vérité, que ton saint Verbe vienne sur ce pain, pour que le pain devienne le corps du Verbe, "va Y6vi, Tatô apxoç o-Mua Toù Ao’you, et sur ce calice, pour que le vin devienne le sang de la vérité. » De plus, il est spécifié, dans la prière qui suit la communion, que ce pain et ce viii, devenus corps et sang du Christ, sont une v.otvtovia du corps et du sang, et un remède de vie, cpâpp.a/.ov Çai-riÇ. Cf. Funk, Didascalia et constit. apostolorum, Paderborn, 1906, t. ii, p. 173-179 ; Revue du clergé français, du l^idécembre 1909, p. 522-525.

3. Macaire l’Égyptien (f vers 395), contemporain et compatriote de Sérapion, nous apprend, dans une seule phrase de l’une de ses homélies, que le mot antitype doit s’entendre d’un symbole plein de réalité, que l’on participe à cette réalité cacliée qui paraît être du pain et que l’on mange spirituellement la chair du Seigneur. Parmi les choses, dit-il, que les rois et les prophètes de l’Ancien Testament n’ont pas sues, il y a celle-ci, c’est que èv t-^ È-/.x).r, (71a TcpotrcpIpETai apto ; xai olvoç, àvTETyTTOV zr^ç o-apxô ; a-JTOù xa oî [A£TaXa(J.êâvovTEç èx TOTJ (paivoixlvou apTO-j TrvsufJ-aTixMç Trjv o’ipv.a To-J Kupt’ou ÈTÔt’o-jTt. Homil., xxvii, 17, P. G., t. xxxiv, col. 705.

4. Saint Athanase († 373) ne parle pas plus de symbole ou de figure que Didyme. Plusieurs fois, dans ses Lettres festales, ayant à traiter du devoir pascal que les fidèles ont à remplir, il fait allusion au réalisme de l’eucharistie sans insister sur un dogme qu’il suppose connu. En voici quelques passages, celui-ci tout d’abord où il oppose l’usage chrétien à la coutume juive : Les Juifs, dit-il, célèbrent leur pâque en mangeant de la chair d’un agneau sans raison, nous aujourd’hui, cum Patris Verbum comedimus, cordium nostrorum

labia novi sanguine testamenti signamus. Epist. heort., II, 3, P. G., t. xxvi, col. 1368. Et cet autre : Nos utigue vescimur, ianguam vitee cibo, animamque nostram pretioso illius sanguine obleciamus. Epist. heort., V, 1, col. 1379. Mais voici un texte parfaitement clair, cité par Eutychius († 582), patriarche de Constantinople, dans un sermon De paschate et de sacrosancta eiicharistia, P. G., t. lxxxvi, col. 2401, et tiré d’une homélie de saint Athanase Ad nuper baplizalos : « Tu verras les lévites apporter des pains et un calice de vin. Tant que les invocations et les prières ne sont pas commencées, il n’y a que du pain et du viii, <liOo ; irj-iv 6 à’ptoç y.a xo TTOTriptov. Mais dès qu’ont été prononcées les grandes et admirables prières, le pain devient le corps et le vin le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, tôte yîvETai 6 apxoi aoy^.’x y.aiTÔ uoTTipiov aï(j.aToO Kupiou ris.ww’IrjToO Xpicrrrj-j. Venons à la célébration des mystères. Ce pain et ce viii, tant que les prières et les invocations n’ont pas eu lieu, sont simplement (du pain et du vin) ; mais, lorsque les grandes prières et les saintes invocations ont été faites, le Verbe descend dans le pain et le vin, et le corps du Verbe est, xaxagaivei ô Adyo ; e ! ? TÔv àpTov y.a’iTo TtoTvipiov y.a yr/srat aùroû ! jû)ia.’Frag., vu, P. G., t. XXVI, col. 1325. Précisant la pensée de Macaire sur la manducation spirituelle de la chair du Seigneur, saint Athanase, dans une de ses lettres à Sérapion, Ad Serap. epist., iv, 19, P. G., t. xxvi, col. 665, dit que la chair du Christ dans l’eucharistie est un aliment donné spirituellement, qui devient pour tous un gage pour la résurrection de la vie éternelle. Ce que je donne pour le salut du monde, fait-il dire au Christ, est la chair que je porte ; àXX’a’jTji C|J, tv xa TO Taùfiiç aip.a Trap’èfjujù 7tveuu.aTiy.wi ; co9-/iaêTat xpoçT], wote 7tvÊU(j, aTiy.(Ô ; èv ïv.ârsxiù TauT-))v àva-C’îoo-Sat y.a’t yivEoôai Tiâcrt çuXaxir.piov et ; àvi(7Ta(nv Çoori ; xiwr.ryj. Ce dernier texte, qui complète la pensée de saint Athanase, est précisément l’un de ceux qu’on invoque en faveur du symbolisme ; mais bien à tort, car il est facile, fait obser-er M. Tixeront, Histoire des dogmes, 2e édit., Paris, 1909, t. ii, p.l74, sinon d’en expliquer sûrement chaque terme, du moins d’en justifier la tendance et la signification générale. Saint Athanase veut prouver, dans tout ce passage, qu’il y a en Jésus-Christ deux éléments, l’un humain qui est le fils de l’homme en la chair, l’autre divin, à qui convient le nom d’Esprit. Pour ce faire, il montre Jésus-Christ promettant sans doute aux apôtres de leur donner son corps et son sang, le corps qu’il portait et qui était son humanité, mais de le leur donner en Dieu, en Esprit, comme un corps de Dieu, un corps céleste, une nourriture spirituelle, capable d’être pour chacun une protection et un gage de résurrection pour la vie éternelle. Voir t. i, col. 2175. 2° En Palestine.— 1. Eusibe de Césarée (7 vers 341) est assurément un témoin du réalisme eucharistique. Dans un fragment de son De solemnitate paschati, 7, P. G., t. xxiv, col. 701, conservé par Nicétas, il remarque que, tandis que les.Juifs ne célèbrent la pâque qu’une fois l’an, les chrétiens la célèbrent chaque dimanche : < Nous sommes toujours repus du corps du Sauveur, nous participons toujours au sang de l’agneau. » Il dit ailleurs : -. Chaque dimanche nous pouvons voir ceux qui reçoivent l’aliment sacré et le corps salutaire, adorer avec respect l’aulcur d’un si Krand bienfait. » Jn ps..i, 30, P. G., t. xxiii, col. 213. Mais il n’allégorise pas moins sur la chair et le sang, tout comme Origène. De ces mots adressés par Jésus à ses apôtres, quelque peu scandalisés de son discours sur la promesse de l’eucharistie : « Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie, » Eusèbe conclut qu’il faut entendre spirituellement ce que le Sauveur avait dit de sa rhair à manger et de son sang à boire, et

il lui^ prête ces paroles : « La chair, dont je suis revêtu ce n’est pas de cette chair que vous devez croire que je vous parle comme si vous aviez à la manger, ni non plus de ce sang sensible et corporel que je vous ordonne de boire, car vous savez bien que mes paroles sont esprit et vie. » Eusèbe poursuit et montre ensuite que, par chair et sang mystiques, il entend l’enseignement du Christ. Ecclesiastica theologia, iii, 12, P. G., t. XXIV, col. 1021, 1024. Il emploie aussi le mot de symbole : les chrétiens, dit-il, font chaque jour mémoire du corps et du sang du Christ ; nous faisons mémoire du sacrifice avec les symboles du corps et du sang du Sauveur, selon les prescriptions du Nouveau Testament, ôtà (jvij.SoXojv -où -e cwixaTo ; aùtoù A<x TùO CTWTfipt’o’u ai’aaTo ;. Dcmonst. cvang., i, 20, P. G., t. XXII, col. 88-89. Il dit ailleurs que le Christ a donné’à ses disciples les symboles de l’économie divine, en prescrivant de faire l’image de son propre corps, TT|V EÎy.ôva ToO lôiryj ry 0)11.01x0 :, et de se servir du pain comme du symbole de son corps, à’pTw êà xpr, r ! baLi gu^iêôlu ) TùO loUj-j loJijaTo ;. Ibid., ui, col. 596. Au lieu de parler comme Origène du corps typique et symbolique, il dit, en précisant, que le pain est le symbole ou l’image du corps véritable du Christ ; mais, ce disant, il n’est pas plus symboliste qu’Origène au sens où l’entendent les calvinistes.

2. Les Constitutions apostoliques.

Cet ouvrage composite est, dans sa forme actuelle, de la fin du ive siècle ou du commencement du v^ sans qu’on puisse en connaître le compilateur. Les six premiers livres ne sont qu’un remaniement de la Didascalie ; c VU"", dans ses trente-deux premiers chapitres, n’est qu’une adaptation fort délayée de la Didaché ; le VIII « renferme une liturgie complète de la messe et est luirnême une adaptation du Règlement ecclésiastique égyptien. Or, dans ces morceaux de source différente et remaniés par le même auteur, les expressions symboliques sont parfois complètement laissées de côté. D’une part, en effet, il est question des « antitypes «  du corps et du sang que Jésus-Christ donna à ses apôtres à la cène, Const. apost., V, xiv, P. G., t. i, col. 873 ; du sacrifice non sanglant offert à Dieu et célébré en mémoire de la mort du Seigneur, « grâce aux symboles du corps et du sang, » ibid., VI, xxiii, col. 973 ; de l’eucharistie, « antitype du corps roj-al du Christ, » ibid., J, xxx, col. 988 ; et de cette prière de l’anaphore où le célébrant s’exprime en ces termes : « Nous le rendons grâces pour le précieux sang de Jésus-Christ et pour son précieux corps, dont nous célébrons ces antitypes. < Ibid., VII, xxv, col. 1017. Ces expressions, soit que l’auteur les ait trouvées dans la Didascalie, soit qu’il les ait ajoutées à la Didaché, sont conformes à l’usage du temps. Mais, d’autre part, il s’en dégage parfois et, par exemple, au sujet de la liturgie dominicale, il ne mentionne pas le moindre symbole dans la réception du corps du Seigneur et de son précieux sang, ibid., II, lvii, col. 737 ; et s’il réclame un honneur et un respect particuliers pour les prêtres, c’est en disant qu’ils donnent le corps du Sauveur et son sang précieux, ibid., II, xxxiii, col. G81, et non pas le symbole ou l’antitype de ce corps et de ce sang. Dans l’anaphore du dernier livre, on ne 1 etrouve pas comme (’ans celle de Sérapion le mot Mp.ol(0[j.y. ni 1 n terme semblable, même avant la consécration. L’épiclèse porte : « A vous, Roi et Dieu, nous offrons ce pain et ce calice, selon l’ordre du Christ, et nous vous supplions… d’envoyer sur ce sacrifice votre Esprit Saint, ôtto) ; àT : o ?àvï| xbv à’prov

    1. TOVTOV nô)l##


TOVTOV nô)l.a. TO’j Xp’.TToO rjO’J, Vtoci xh TtOT/ipiOV TO’JTO aî[X « 

TOV Xpi-TTo-j toj. Ibid., VIII, XH, col. 1104. L’ordre indiqué pour la communion est connu : quand l’évêque présente le pain consacré, il dit : Corps du Chrifit, et celui que le reçoit répond : Amrn ; quand le diacre

présente le calice, il dit : Sang du Christ, calice de vie, et celui qui y boit répond : Amen. Ibid., VIII, xiii, col. 1109. Suit une action de grâces au s ijet du précieux corps et du précieux sang de Christ qu’on vient de recevoir : [i.exci.’/ txtJo’mtoO tiii.iom Gwfxaro ; /.a ToO T11J.I0U aîVaToç xoJ XpiaToO eJ5(3<pKTÛ/|(Ta)[j.îv. Ibid., VIII, XIV, col. 1109. Malgré donc les expressions symboliques qu’elles contiennent, les Constilutions aposloliqiie.’; sont un témoin de la foi en la présence réelle du Christ dans l’eucharistie.

.3. Saint Cyrille de.Jérusalem († 386). — Voici l’un des témoins les plus formels et les plus explicites sur le dogme eucharistique. Dans des catéchèses appropriées, il expliquait aux néophytes, en 348, les mystères auxquels ils avaient pris part lors de leur récente initiation. Son enseignement, tout élémentaire qu’il est, est des plus précieux, et si des expressions symboliques s’y trouvent, il n’y a pas l’ombre d’un doute sur la manière dont il faut les entendre. La lecture d’un passage de saint Paul, I Cor., xi, 23 sq., étant faite, le célèbre catéchiste observe d’abord que la doctrine qui y est exprimée suffit pour certifier aux néophytes la vérité des mystères divins, dont la participation les a rendus « concorporels et consanguins du Christ ; » car, du moment que c’est le Christ lui-même qui a dit du pain : « Ceci est mon corps, » et du vin : « Ceci est mon sang, » qui oserait douter et dire que ce n’est pas son corps, que ce n’est pas son sang ? Cat., XXII, 1, P. G., t. xxxiii, col. 1097. Il a bien changé l’eau en vin aux noces de Cana, il peut donc changer le vin en sang. Donc, avec une conviction entière, recevons-les comme le corps et le sang du Christ. Car dans la figure du pain t’est donné le corps, et dans la figure du vin t’est donné le sang p, ur que 1 1 deviennes, en participant au corps et au sang du Christ, concorporel et consanguin du Christ. Ainsi nous devenons Christophores, le corps du Christ et son sang se distribuant dans nos membres. Ainsi, selon le bienheureux Pierre, nous devenons participants de la nature divine : ?vx yâv/), ixôtaXaêcùv irtôiJ-aTo ; -/.ai aï !.a.^oç Xç, ’.<7zoi, cJuatouLo ; y.a’t crjvat|J.o< ; a’jTo-j. Oj-o) yàp v.a’t XP"^~ TOÇùpoi Yivô[j.î’Ja, To-j (TW|J.aTO ; a’jtoO y.ai to’j a’tiJ.3CTo ; eî ; Ta T|a£TEpa àvaS150aÉvou. Ibid., 3.

Saint Cyrille a soin d’écarter le sens grossier d’une manducation charnelle ordinaire telle que l’avaient entendue les capharnaïtes. Il rappelle les pains de proposition qui ont cédé la place au pain céleste et au vin salutaire du Nouveau Testament. Ibid., 5. Mais, observe-t-il, ne vous arrêtez pas au pain et au vin comme à des éléments nus, car ils sont le corps et le sang du Christ, selon l’alTirmation du Seigneur. Quel que soit donc le témoignage des sens, la foi doit nous en assurer pleinement, et la foi certifie sans le moindre doute que c’est le don du corps et du sang du Christ. Ibid., 6. Ainsi instruit et convaincu d’une foi certaine que le pain qui paraît n’est pas pain, bien qu’il paraisse tel au goût, mais corps du Christ, et que le vin qui paraît n’est pas viii, bien que le goût le veuille, mais sang du Christ, participe à ce pain comme à un pain spirituel : 6 çacvrjixcvo ; ap-o ; o-jx àpToç â(m’v, sî /.ai t : ^ yvjou a ! r ; 0/iTÔç, à/, ).à dû>i.ix Xpt<jTûO xa’i ô çaivoij.svoc oivoç o-jx oivôç âcnv. Et y.aî /i YE’Jit ; toOto prj-jÀEUTai, à>.Xà oI|j.a XpKTToO. Ibid., 9, col. 1104.

Dans la catéchèse suivante sur les diverses cérémonies de la liturgie eucharistique, saint Cyrille signale la prière adressée à Dieu pour qu’il envoie le Saint-Esprit sur l’oblation et que le Saint-Esprit fasse le pain corps du Christ et le vin sang du Christ. Cal., xxiii, 7, col. 1116. Il signale enfin l’invitation adressée aux fidèles pour la communion au moyen de ce verset du psalmiste : < Goûtez et voyez combien le Seigneur est bon. » P.-. xxxiii, 9. Et ceux qui goûtent ne reçoivent pas l’ordre de goûter le pain et le viii, mais

l’antitype du corps et du sang du Clirist. Ibid., 20, col. 1124. Et l’on s’avance alors, la main gauche soutenant la main droite, dans laquelle on reçoit le corps du Christ en répondant : Amen. Et l’on prend garde d’en rien laisser tomber à terre avec plus de précaution et de vigilance que si c’était de l’or. Puis l’on s’incline en signe de respect et d’adoration, on dit Amen et l’on boit au calice. On porte la main à ses lèvres pour sanctifier ses yeux, son front et ses sens et on rend grâce à Dieu d’avoir daigné nous faire participer à de si augustes mystères. Ibid., 22, col. 1125.

Les expressions âv tj-io et ivritvTio ; n’ont rien du symbolisme calviniste ; le corps n’est nullement figuratif, il est réel, d’une réalité, il est vrai, inaccessible aux sens et uniquement accessible à la foi, mais indubitable. C’est le pain qui est dit figure du corps, et c’est dans le signe du pain qu’est donné le corps. Et comment y est-il ? Par l’invocation de l’adorable Trinité, avait déjà fait observer saint Cyrille : it.i x), r|<T£(jpi ; 5ï yôv&aÉ’/Y) ;, ô iJ.àv apToç yivErxc aCnia Xp’.TTO’j, ô 8à olvoç ai[j, a Xsutto-j, Cat., XIX, 7, COl. 1072, ou comme il vient de le dire, par l’invocation du Saint-Esprit. Il n’est pas question ici de l’intervention du Verbe descendant sur le pain, selon saint Athanase, ou venant sur le pain comme dans l’eucologe de Sérapion, mais de celle du Saint-Esprit, qui est déclaré l’auteur de la sanctification et du changement qui s’opère, -ojto r^yia.ixxi xai |j.£Tag£o), ï)Tai. Ca/., xxiii, 7, col. 1116.

Saint Cyrille n’affirme pas seulement la présence réelle, il enseigne encore la conversion substantielle. Plitt, théologien luthérien, l’avait reconnu : Si e/jo, dit-il. De Cyrilli Hier, orationibus quee exstant caicchelicis, Heidelberg, 1855, p. 150, discipulis meis in calechesi dicercm : ut Christus in nuptiis Canæ celebratis aquam in vinum Iransmutavit, ita eucharistia vinum in sanguinem transmutât ; quod vos in eucharistia editis et bibitis, gustum quidam panis et vint habel, nihilominus autem neque panis est neqne vinum, sed corpus et sanguis Domini, quis, quseso, dubitaret quin transsubstantiationem ego docerem ? Rien de plus juste ; et Loofs avoue, Abendmahl, p. 53, que, pris au pied de la lettre, le langage de saint Cyrille implique la transsubstantiation. Assurément ; car, à défaut du mot lui-même, choisi plus tard et officiellement adopté par le concile de Trente, saint Cyrille parle d’un réel changement qui s’opère dans la substance du pain et du viii, bien qu’il ne cherche pas à en déterminer la nature. Cf. Touttée, D/’sseWa^iones Cijrilliar.ge, diss. III, c. ix-xi, n. 69-71, P.G., t. xxxiii, col. 243-276 ; Crabe, S. IreniL’i opéra, 1. V, c. ii, note, p. 399. Voir t. iii, col. 2569-2574.

A Antioehe.

1. Saint Eustathe († 3qu). — Mentionnons

simplement, pour la première moitié du ive siècle, cet évêque d’Antioche, contemporain d’Eusèbe de Césarée, qui usa du mot antitype, sans favoriser pour cela le symbolisme. Commentant ces paroles : « Mangez de mon pain et buvez du vin que j’ai mêlé, » Prov., ix, 5, Eustathe avait dit : « Par pain et par viii, l’écrivain sacré entend les antitypes des membres corporels du Christ. » P. G., t. xviii, col. 685. Cf. F. Cavallera, S. Eustathii homilise, Paris, 1905, p. 80. Or, c’est précisément ce passage que citent les Pères du Vil" concile œcuménique, tenu à Nicée en 787, comme preuve que le sacrifice de l’autel n’avait, pas été appelé image ou symbole. Mais, à défaut de témoignages plus nombreux ou plus explicites, l’Église d’Antioche nous offre ceux de saint Jean Chrysostome, qui sont d’une importance et d’une valeur remarquables.

2. Saint Jean Chrijsostome († 407). — Le grand orateur d’Antioche écarte toute formule équivoque ; -1145

EUCHARISTIE D’APRES LES PÈRES

1146

il interprète dans un sens littéral le passage de saint Jean sur la promesse de l’eucharistie, Joa., vi, 51-56, et celui de saint Paul sur son institution, I Cor., XI, 23-27 ; il identifie le corps eucharistique du Christ et son corps naturel et tient un langage tellement réaliste que Loofs l’a qualifié de « grossièrement charnel et de dénué de tact, » Abendmahl, p. 55, ce qui est quelque peu exagéré. « Qui nous donrtera de nous rassasier de sa chair ? » Job, XXXI, 31, disaient les serviteurs de Job dans leur amour pour leur maître. Ce qui n’était chez eux qu’un désir impuissant, remarque saint Jean Chrysostome, le Christ en a fait une réalité. Il ne s’est pas contenté de s’offrir à la vue de ceux qui l’aiment, il s’est mis entre leurs mains, dans leur bouche, sous leurs dents, mêlant sa substance à la leur : y.al âij/aaOat, xa’i fflays ?"’, "/.al âiJ.Tcrilat toÙç ôoôvra ; tt) (japxt xa ij-j^-kXo.-y. ?ivat. In Joa., homil. xlvi, 3, P. G., t. lix, col. 260. € Les parents font nourrir souvent leurs enfants par des étrangers ; quant à moi, ce n’est pas ainsi : je nourris les miens de ma propre chair, je me donne moi-même à vous en nourriture, rat ; lapEi Tpéçu) Taï ; 6(x.a ;  :, Èjja-jTÔv’ji.X’i 7rapâTiOy||j.t. J’ai voulu devenir votre frère, avoir à cause de vous la même chair et le même sang que vous, eh bien 1 je vous donne cette chair et ce sang, par lesquels je suis devenu de votre race, Tiâ À IV aù-rriv û[j.ïv tïjv (rip-xa -/.a ; '<> aIu.a, Si’o)v (j-jYYivT, ; ÈYîvo(j.ïiv £x816ci) ! J.’.. » Ibid., col. 261. Sur ces paroles : « Le calice de bénédiction, que nous bénissons, n’est-il pas une communion au sang du Christ ? » I Cor., X, 16 : « Voilà, dit saint Chrysostome, des paroles pleines de foi et bien redoutables. Ce que l’apôtre dit, c’est ceci : ce qui est dans le calice est la même chose qui a coulé du côté du Christ, et nous y participons :

ToCtO t"o l’I TtOT-^pC(i) OV, È/.êïVO ETTl TO àn’o Tr|Ç TiAEupâ ;

p£-j<7av, /.a’i Èxeîvou i.z-iyo^i-I. » In / Cor., homil. xxiv, i, P. G., t. XLi, col. 199. « Ce n’est plus dans la crèche que le corps du Christ vous apparaît, mais sur l’autel ; il n’est plus entre les mains d’une pauvre femme, voyez, le prêtre le tient, » et ce corps, « non seulement vous le voyez, mais vous le touchez, non seulement vous le touchez, mais vous le mangez et le portez dans vos demeures, i) Ibid., 5.

C’est là un mystère qui paraît à peine croyable ; mais « le Christ a dit : « Ma chair est vraiment une « nourriture et mon sang est vraiment un breuvage. » Qu’est-ce à dire ? Ou bien que c’est ici une vraie nourriture, la seule qui puisse sauver l’âme, ou bien que la parole de Dieu est digne de toute foi, qu’elle ne renferme ni énigme, ni parabole, qu’il faut réellement manger son corps : ar, voat^S’.v aîviyjia eV/ai xh ei’pr, (J.ÎVOV /.al 7tapaêo), r|V, à).), ’EiSÉvai on itâvTn) : 6eî çayEiv -0 71, )ij, 2. 1) 7/1. 70a., homil. XLVii, 1, P. G., t. lix, col. 263. Sans pénétrer ce mystère pour l’expliquer, suint Chrysostome l’affirme fortement ; il veut qu’on s’en tienne à la parole du Sauveur et que le témoignage des sens n’infirme pas la foi. « Puisqu’il a dit : « Ceci est mon « corps, » soumettons-nous, croyons, contemplons-le des yeux de l’intelligence. Il ne nous a donné rien de sensible ; dans les choses sensibles elles-mêmes, tout est spirituel. Dans le baptême, par exemple, c’est un élément matériel, l’eau, qui nous est administré, mais c’est une transformation spirituelle qui s’accomplit, la régénération ou la rénovation. Si vous étiez un être incorporel, ces dons incorporels vous seraient donnés sans intermédiaire. Mais comme l’âme est unie au corps, les dons spirituels vous sont communiqués par le moyen des choses sensibles. Que de personnes, aujourd’hui, qui disent : « Je voudrais le voir lui-même, son visage, ses traits, ses vêtements, ses « chaussures 1° Eh I bien, vous le voyez, vous le touchez, vous le mangez… Il se donne lui-même à vous, avtb ; Si laytôv aoi SiSoxT’.v, où/, iîîiv [lovov, à>>, a zai

a’j/aaôai, v.x. çayeX-/, y.a’t Xaêsiv svSov. > 7/1 Mnllh., homil. Lxxxii, 4, P. G., t. Lviii, col. 743.

Présence réelle, mais non sensible ; présence uniquement accessible à la foi : Dieu donne l’intelligible dans le sensible, et le Christ se donne invisiblenient sous des signes sensibles. « Ce sang ravive en nous la fleur de l’image royale, entretient sa noblesseet sa vigueur…, ce sang reçu dans un cœur bien disposé chasse les démons…, ce sang est le salut de nos âmes. » 7/i Joa., homil. xLvi, 3, P. G., t. lix, col. 261. Mais manger le corps et boire le sang du Christ, c’est être uni au Christ. Pourquoi parler de xoivwvia ? Nous sommes ce corps lui-même. Car qu’est-ce que ce pain ? Le corps du Christ. Que reçoivent ceux qui le reçoivent ? Le corps du Christ ; ils ne sont pas plusieurs, mais un seul, oj-/ awjj-atauoXXi, à>.>à awija îv. In ICor., homil. xxiv, 2, P. G., t. Lxi, col. 200. Combien de grains de froment entrent dans la composition du pain I Mais ces grains, qui les voit ? Ils sont bien dans le pain qu’ils ont formé, mais rien ne les distingue les uns des autres, tant ils sont unis : ainsi sommes-nous unis les uns avec les autres et avec le Christ. Ibid. Cette union n’est pas le seul fruit de la communion, il en est un autre, dont Chrysostome parle avec plus de précision que ses prédécesseurs, c’est la résurrection. « Le Seigneur semble parler ainsi : Celui qui mange ma chair ne succombe pas entièrement à la mort et n’y trouvera pas même un supplice. II parle également, non de la résurrection de tous, mais de celle des justes en particulier. Tous ressusciteront, en effet, mais il est une résurrection spéciale et glorieuse que suivra l’éternelle récompense. » In Joa., homil. xlvii, 1, P. G., t. LIX, col. 265.

Qui donc opère la merveille eucharistique ? Est-ce le prêtre qui célèbre les saints mystères ? Non, et, d’un mot, saint Chrysostome indique la cause et l’effet. « Ce que nous avons sous les yeux (à l’autel) n’est pas l’œuvre de la puissance humaine. Celui dont vous avez vu l’action à la dernière cène agit encore sur nos autels ; nous ne sommes que ses ministres ; c’est lui qui sanctifie, c’est lui qui transforme, ô 6k âyiàX’ov aJTa xal (j.sTacrxe’jcxptov aùrôc. » 7/ ! il7a^//i., homil. Lxxxii, 5, P. G., t. Lviii, col. 744. « Ce n’est pas un homme qui fait que les oblala deviennent corps et sang du Christ, mais bien le Christ lui-même crucifié pour nous. Le prêtre est là, qui le représente et prononce les solennelles paroles, mais c’est la grâce et la puissance de Dieu : « Ceci est mon corps, » dit-il. Cette parole transforme les oblala, xoOto -h pôiix (js-app-jli. iZii xà itpo/etp.£V3c. » In prodil. Judæ, homil. i, 6, P. G., t. XLix, col. 380. Dans l’eucharistie, il y a donc un changement qui s’opère : Cyrille de Jérusalem l’appelle une [j.sTa60)r, ; Grégoire de Nysse, une [jEia-oir, -Tiç ; pour Chrysostome, en tenant compte des verbes dont il se sert pour l’exprimer, c’est une i/îiafrxEuT ;, un ij.i-xiç.-’jhu.ioi :. Si les termes diffèrent, le sens est le même, c’est celui d’une conversion. La différence (les termes prouve seulement que la langue theologique n’a pas encore fait choix d’un mot approprie pour exprimer la chose dont on parle ; mais l’identité du sens de ces termes prouve aussi que les Pères avaient l’idée d’une conversion substantielle. Et saint Jean Chrysostome aflirme positivement le fait de cette conversion et, sans nous dire comment il l’entend, il afiirme que la conversion s’opère par la parole du Christ : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang, » et au moment même où cette parole est prononcée.

Devant de tels témoignages en faveur de la présence réelle et de la conversion substantielle, on s’étonne que E. Michaud se soit attardé à soutenir que saint Jean Chrysostome ne connaît qu’une présence pneumatique. S. Jean Clirysoslome et l’eucharislic, dans la Revue inlernulionale de théologie, 1903,

t. XI, p. 93-111. Steitz, du moins, n’avait pas hésité à reconnaître que Chrysostome enseigne clairement la présence réelle du Christ sous les apparences du pain et du viii, par suite d’un changement réel ; il est allé même jusqu’à lui attribuer le rôle le plus important dans le développement de la doctrine eucharistique. Bie Abendmahlslehre, dans Jahrbucher fur deulsche Théologie, 1865, t. x, p. 446-462. Cf. Fr. Lauchert. Die Lehre lier heiligen Vàtcr Cijrillus von Jérusalem, Gregor von Nyssa, Johannes Chrysostomus und Johannes von Damaskus von der Eucharislie, dans la Revue internationale de théologie, 1894, t. ii, p. 427430. Pour J. Sorg, Die Lehre des hl. Chrysostomus iiber die reale Gegenwart Christi in der Eucharistie und die Transsubstantiation, dans Theologisehe Quarialschrift, 1897, t. lxxix, p. 259-298, et A. Nægle, Die Eucharistielehre de hl. Chrysostomus, des Doctor-Eueharistise, Fribourg-en-Brisgau, 1900, p. 78 sq., le dogme de la transsubstantiation se trouve implicitement contenu ou même formulé en termes équivalents dans la doctrine de saint Jean Chrysostome ; et c’est bien, semble-t-il, ce qu’il est dirticile de contester.

En Cappadoce.

Nous venons de voir la contribution

importante qu’ont apportée à la doctrine eucharistique saint Cyrille de Jérusalem et saint Jean Chrysostome. Une contribution non moins importante est due aux Pères cappadociens, notamment à saint Grégoire de Nysse.

1. Saint Basile († 379). — L’évêque de Césarée est particulièrement retenu dans l’expression de sa pensée par la discipline du secret. Il fait allusion à la tradition non écrite, d’origine apostolique et de valeur égale à la tradition écrite, et lui attribue l’invocation ou épi-Clèse qui sert in tt ; àvaôiiËit to-j à’pTou tr, < ; E’jyap’.Ttia ; et qui est une prière précédée et suivie d’autres paroles de très grande importance pour le mystère, De Spiritu Sa/ïdo, xxvii, 66, P. G., t. xxxii, col. 188, mais il ne nous en fait pas connaître les termes. La liturgie qui porte son nom permet de suppléer à son silence. A l’épiclèse, le célébrant demande à Dieu que sur les antitypes du corps et du sang du Christ, à savoir, sur les oblata, descende le Saint-Esprit, sJÀoYTjTai, àyi.-k’jxi, âvaSsîlai tôv (i.sv apTov toOtov aCirb tô Tt’a : ov aiù).v. toO Kuptou… -h oî uoTi^ptov TO-JTO aÙTo TÔ Tiatov at(J.a toû Kupio’j… Et, à la postcommunion, il remercie Dieu de nous avoir donné la /.oivcovt’a toC àyîov « rcôpiaTo ; xocl aîu.aTo ; to-j Xpio-ioO lou. Brigthmann, Eastern liturgies, Oxford, 1896, p. 328, 342. Il est question d’antitypes, mais à propos du pain et du vin et avant leur consécration, car après il n’est plus question que du corps et du sang du Christ. Saint Basile, auteur ou non de cette liturgie, ne pensait pas autrement ; et, malgré toute la réserve et la prudence qu’il qfet dans son langage, il fait connaître suffisamment sa foi en la présence réelle. Il est convaincu, par exemple, qu’on reçoit le Christ lui-même dans la communion. « Ignorez-vous, demande-t-il, quel est celui que vous devez recevoir ? C’est celui qui a dit : « Moi et mon « Père, nous viendrons et nous ferons notre demeure II en lui. » De jejunio, homil. i, 11, P. G., t. xxxi, col. 184. >( Il est bon et utile de communier chaque jour (on communie quatre fois par semaine à Césarée) et de prendre sa part du saint corps et du sang du Christ. « Epist., ciii, P. G., t. xxxii, col. 484. Celui qui communie sans considérer qu’il participe au corps et au sang du Christ ne retire aucun profit. Mor., reg. XXI, c. 1, P. G., t. xxxi, col. 740. Pour manger le corps et boire le sang du Christ, il faut être pur. Mor., reg. lxxx, c. 22, col. 869. Dans ses Regulæ brevius tractatæ, intcr. clxxii, col. 1196, il règle qu’il faut participer au corps et au sang du Christ, d’abord avec crainte, parce que l’apôtre a dit : « Quiconque mange et boit indignement, sans discerner le

corps du Seigneur, mange et boit son propre jugement ; » ensuite avec une conviction intime, c’est-à-dire avec foi, puisque le Seigneur a dit : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang. » Son principe est qu’il ne faut point douter de la parole du Seigneur, mais être persuadé qu’il n’a rien dit qui ne soit vrai et possible, quand même la nature y trouverait de la répugnance. Or, parmi les paroles du sens desquelles il convient d’admettre la vérité et la possibilité, il cite précisément la réponse du Sauveur aux capharnaïtes : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et ne buvez son sang, vous n’aurez point la vie en vous. «  Mor., VIII, reg. i, P. G., t. xxxi, col. 713.

Ce langage réaliste et conforme à la liturgie ne l’empêche pas d’allégoriser à la manière d’Eusèbe de Césarée ou d’Origène, et de dire qu’on mange la chair du Christ et qu’on boit son sang, quand on participe au Verbe et à sa sagesse, à sa venue mystique et à sa doctrine, Epist., viii, 4, P. G., t. xxxii, col. 253 ; mais pas plus qu’Origène ou qu’Eusèbe, il n’entend prétendre que cette interprétation allégorique détruise ou remplace l’interprétation littérale des passages eucharistiques.

2. Saint Grégoire de Nazianze († 390). — L’ami de Basile emploie les mots de type et d’antitype. C’est ainsi que, racontant la guérison miraculeuse de sa sœur Gorgonie, il dit qu’elle mêla ses larmes aux antitypes du corps et du sang de Jésus-Christ. Oral., viii, 18, P. G., t.xxxv, col.809. Dans un autre discours, il s’adresse ainsi au préfet : « Je mets devant vos yeux cette table où nous communions ensemble, et les images de mon salut, t-Jttou ; iriç Èp. ?, !  ; (Twxr, p ; 3 ;  ;, que je consacre de cette même bouche avec laquelle je vous présente une requête, ce sacrement qui nous élève au ciel. » Orat., xvii, 12, col. 980. Grégoire de Nazianze n’est pourtant pas un symboliste, car il recommande aux fidèles de participer sans honte et sans hésitation au corps et au sang de Jésus-Christ : çâvs -h « Ttôtia, dit-il dans un langage réaliste, nie tô aljj.a. Oral., XLV, 19, P. G., t. xxxvi, col. 649. Dans une de ses lettres à Amphilochius, il écrit : « Ne négligez point, très saint homme de Dieu, de prier et d’intercéder pour moi, lorsque, par votre parole, vous ferez descendre le Verbe divin, et que, par une incision non sanglante, vous diviserez le corps et le sang du Seigneur, votre parole vous servant de couteau, ôtav àvaiaixTJp to(j.ïj (7(ô[xa xai alfia Ti[j.vr| ; Seo-TioTf/.ov, çrovYjV à’x’ov TÔ Ëe’yo ;. » £’pIS^, CLXXI, P. G., t. xxxvii, col. 281. Mais ni lui ni son ami Basile n’ont laissé trace dans leurs ouvrages d’un essai quelconque d’examen pour s’expliquer le mystère eucharistique et le mode de la présence réelle : ils croient à cet te présence réelle sur l’autorité de Dieu, ils l’affirment, ils ne font pas d’analyse. Saint Grégoire de Nysse est beaucoup plus explicite.

3. Saint Grégoire de Abysse (-|- après 394). — La manière dont saint Grégoire de Nysse entend l’excellence que la bénédiction donne aux objets matériels tels que l’eau, l’huile, le pain, le viii, et la différence qu’il fait entre la bénédiction des objets ordinaires et celle du pain et du viii, montrent qu’il croît à la présence du Christ dans l’eucharistie. Le pain, en effet, qui n au commencement était du pain ordinaire, devient et est appelé le corps du Christ, dès qu’il a été consacre par la parole mystique. » Orat. de baptismo Clvisti, P. G., t. xLvi, col. 581. Mais c’est surtout l’effet spécial qu’il attribue à l’eucharistie, celui de procurer à noire corps le privilège de l’incorruptibilité, qui implique la présence du corps immortel et incorruptible du Christ dans ce sacrement. Là, en effet, est, pour le corps humain, le remède salutaire, le contrepoison ou l’antidote qui lui assure l’immortalité et l’incorruptibilité. C’est par son union physique avec le corps

même du Christ que le corps humain est assuré d’un tel privilège, car, dit-il, « il n’est pas possible que notre corps devienne immortel s’il n’a pas acquis l’incorruptibilité par son union avec l’immortel. » Oral, catech., 37, P. G., t. xlv, col. 96. Or, il l’acquiert par la communion ; c’est donc que l’eucharistie contient et donne le corps du Christ. Mais alors saint Grégoire se demande comment il se peut que ce corps unique qui, chaque jour, sur toute l’étendue de la terre, est distribué à tant de milliers de fidèles, reste entier en lui-même et soit reçu en entier par chaque communiant. Ce problème, qu’il pose le premier, et qui devait nécessairement se poser tôt ou tard à l’avide et respectueuse curiosité de ceux qui veulent se rendre compte dans la mesure du possible de l’objet de leur foi, saint Grégoire essaie de le résoudre. Il note d’abord le phénomène physiologique qui s’opérait dans le Verbe incarné. Quand le Christ mangeait du pain et buvait du viii, il les assimilait à sa chair et à son sang. L’aliment passait en la nature de son corps, npo ; ToO <jojii.y.’o : çjaiv. Quelque chose de semblable se passe dans l’eucharistie, mais avec une différence caractéristique. « Aujourd’hui le pain est sanctifié par la parole de Dieu et par la prière ; il n’est plus assimilé au corps du Verbe par le travail de la nutrition, o’.à ["ipciCTEo) ; y.ai Ttôuôto ;, mais il est converti instantanément au corps du Verbe, e’jOj ; nphi tô (Tiijjia Tov AdyoO (A£Ta7Toioj(j.evoç. Même changement pour le vin. Ainsi, par la vertu de l’eulogie, le Verbe transclémente en son corps la nature des choses qui paraissent aux yeux, ->, xf, ; cJÀoyi’a ; ô’jvijjei upô ; Èzeïvo (7(ij(j.a îj.£tao’TOi/e’.(Ô7a ; "côv çaivojj.jvtov Tr, -/ 9-j(jtv. Ibid., col. 96-97.

Si quelque chose est fortement affirmé par saint Grégoire de Nysse, c’est assurément le dogme de la présence réelle du corps et du sang de Jésus-Christ dans l’eucharistie, ainsi que la participation réelle du communiant à ce corps et à ce sang. Quant à la conséquence qu’il tire de la communion, à savoir que par l’union physique de notre corps avec le corps du Christ notre chair devient incorruptible et participera à la résurrection, elle laisserait croire, ce qui est faux, que les communiants seraient seuls à ressusciter un jour. Beaucoup plus précis, saint Jean Chrysostome, nous l’avons vii, constate que tous les hommes doivent ressusciter indistinctement, mais en remarquant que la communion sera, pour ceux qui y ont pris part, un gage de résurrection glorieuse. Nous verrons plus loin les précisions de saint Cyrille d’Alexandrie. Ce qu’affirme encore saint Grégoire de Nysse avec une netteté remarquable, c’est qu’il se fait dans le mystère eucharistique un changement ou une conversion : le pain devient par la consécration le corps du Christ. C’est une (icraTioiviTt ;, et cette [is.-.a.Tzoirj’nç est réelle. Sans doute, il emploie quelquefois les mots de i.i-zx~’jîr^>71 ;, ixETïTTa’T'. ;, (/.eTadToi/ïitoij ;  ;, dans le sens d’un changement moral ; mais tel n’est pas le cas ici, comme le prouve la comparaison qu’il fait de cette conversion eucharistique avec celle que subit l’aliment assimilé par la nutrition ; il s’agit bien d’une conversion réelle. I^aquelle ? C’est sur ce point précis que sa pensée reste vague et indécise. Il dit que, dans l’alimenlation ordinaire, l’aliment change en la forme, eIôo ;, et en la nature, çjai ;, du corps ; il dit que, dans l’eucharistie, la ^^’7 !  ; et les rs-.nv/y.x du pain et du vin sont convertis, mais il ne parle pas de l’oOiia, delà substance. Si, dans l’eucharistie, le Verbe prend simplement possession du pain comme il a pris possession d’un corps luimain dans l’incarnation, ce ne serait qu’une simple impanation, pensée qui n’est. tiullement celle de saint (irégoirc de Nysse, puisqu’il | aflirme que par la communion ce n’est pas seulement ! le Verbe que l’on reçoit, mais sa chair et son sang.

comme le gage de l’incorruptibilité de notre chair. Il faut donc que le pain soit converti en cette chair divine. La confusion vient du rapprochement fait entre l’assimilation physiologique et la conversion eucharistique : les deux cas ne sont pas semblables. Dans la nutrition, le pain s’assimile au corps, mais en cessant d’être pour se transformer en un corps qui existait déjà. Cesse-t-il d’être également dans l’eucharistie ? C’est ce que saint Grégoire de Nysse ne dit pas. Enfin « il n’a pas soupçonné, dit Mgr Batiffol, L’eucharistie, p. 256, que le corps eucharistique qu’il donnait au Verbe était un corps nouveau, un corps autre que le corps historique. Le Verbe se donne un corps, en vue de l’eucharistie, comme il s’en est donné un en vue de l’incarnation. Et il peut dire du corps eucharistique : « Ceci est mon corps, » puisque ce corps est sien. Mais ce corps n’est pas celui qui est né et qui a souflert. » Bref, si les distinctions et les précisions indispensables font défaut, le témoignage de saint Grégoire de Nysse sur l’existence d’une conversion réelle est à retenir. Et « s’il ne s’est pas expliqué aussi complètement qu’on le fera plus tard, il n’en reste pas moins, remarque M. Tixeront, Histoire des dogmes, t. ii, p. 183, qu’il a nettement orienté la pensée chrétienne vers l’idée de transsubstantiation. »

Dans l’Église syriaque.

Dans les communautés

chrétiennes de langue syriaque, tout le long du Tigre et de l’Euphratc, notamment à Nisibe et à Édesse.on professait la même foi eucharistique. Voir Aphhaate, t. I, col. 1462. Nous n’en citerons qu’un seul témoignage, qui, pour être d’un poète plus que d’un théologien, n’en atteste pas moins le dogme de la présence réelle. Il est de saint Éphrcm († 373) ; Th.Lamy, S. Ephra’in Sijri hijmiii et scnnoncs, Malines, 1882-1889, t. I, p. 413 : « Jésus, Notre-Seigneur, prit dans ses mains du pain — au commencement ce n’était que du pain — le bénit…, le consacra… Dans sa miséricordieuse bonté, il appela le pain son corps vivant et le remplit de lui-même et de l’Espri l -Saint… Prenez, dit-il, mangez tous de ce que ma parole a consacré. Ce que je vous ai maintenant donné, ne croyez pas que c’est du pain… Ce que j’ai appelé mon corps l’est en réalité… Prenez, mangez avec foi, sans hésiter, car c’est mon corjjs, et celui qui le mange avec foi mange en lui le feu de l’Esprit divin. Pour celui qui mange sans foi, ce n’est que du pain ordinaire, mais celui qui mange avec foi le pain consacré en mon nom, s’il est pur, il conserve sa pureté, s’il est pécheur, il obtient son pardon. Celui qui le repousse, le méprise et l’outrage, celui-là qu’il tienne pour certain qu’il outrage le Elis qui a appelé et fait réellement du pain son corps… lùi leur donnant le calice à boire, le Christ leur explique que le calice qu’ils buvaient était son sang : Ceci est mon vrai sang qui est versé pour vous tous, prenez, buvez-en tous, c’est le nouveau testament et mon sang. Vous ferez comme vous m’avez vu faire en souvenir de moi. Lorsque vous vous réunirez dans l’Église en toutes contrées, en mon nom, faites ce que j’ai fait en souvenir de moi, mangez mon corps et buvez mon sang, testament nouveau et ancien. >’Traduction de M. J. Lamy, dans L’Université catholique, t. iv, p. 173 sq. Arnauld, Perpétuité de la foi, t. iii, I. VI, c. iii, p. 364-365, cite cet autre passage tiré d’un traité dont l’objet est de montrer qu’il ne faut point sonder curieusement la nature de Dieu : « I>'agneau de Dieu nous a donné son très saint et très

ir corps, afin que nous le mangions continuellement et que nous obtenions en y participant la rémission de nos péchés. Celui qui possède cet (cil de la foi voit clairement le Seigneur et avec une foi très ferme et très pleine, il mange le corps et il boit le sang de l’agneau innocent, lils unique du l’ère

céleste, sans sonder avec curiosité la doctrine toute divine et toute sainte que cette foi nous enseigne… Participez au corps sans taclie et au sang du Seigneur Jésus-Christ avec une foi très pleine, assurés que vous mangez l’agneau tout entier. » Un tel langage est celui d’un croyant qui s’en tient fermement aux affirmations de la foi et ne clierclie pas à scruter les mystères de Dieu. De parti pris, tout ce qui est examen curieux ou analyse philosophique est écarté. Cette réserve voulue, saint Éphrem n’a pas été le seul Père à la pratiquer. Voir col. 192. Cf. Th. Lamy, De Syronim ftde et disciplina in rc eucharislica, Louvain, 1859.

IV. Au iv^ SIÈCLE, EN OcciDE.NT. — DaHS l’ÉgUse latine comme dans l’Église grecque, c’est la même doctrine du réalisme, le même langage conforme à la liturgie eucharistique, la même croyance à la présence réelle, la même affirmation d’un changement qui s’opère dans le pain et le vin. Les Pères latins du ive siècle ne parlent, il est vrai, pour la plupart, de l’eucharistie qu’en passant, par simple allusion, ou à titre d’argument en vue d’autres vérités à défendre. Toutefois saint Ambroise nous donne, dans son De mysleriis, un résumé des plus précieux, comparable aux catéchèses mystagogiques de saint Cyrille de Jérusalem ; et l’auteur anonyme du De sacramentis reproduit assez fidèlement sa doctrine. Le fait de la conversion est affirmé, mais la conversion elle-même n’est pas l’objet d’une analyse spéciale ; sa nature intime est laissée dans une ombre discrète ; toutefois ce qu’en dit saint Ambroise met sur la voie de la théorie de la transsubstantiation.

1 » En Gaule. — Saint Hilaire de Poitiers (y 366) connaît deux sortes d’aliments, celui de l’eucharistie et celui de la vérité ; on reconnaît là la doctrine des Alexandrins, dont Eusèbe et saint Basile se sont faits l’écho. Il distingue en conséquence deux sortes de tables dans l’église : l’une, qui s’appelle la table du Seigneur, où les fidèles reçoivent le pain de vie ; l’autre, la table des divines leçons, où ils se nourrissent de la doctrine céleste. In ps. c.wvii, 10, P.L., t. ix, col. 709. Sans s’expliquer davantage sur ce pain de vie dont il ne parle là qu’en passant, il affirme ailleurs de la façon la plus catégorique que c’est la chair et le sang du Sauveur que nous recevons dans la communion et qu’ainsi nous sommes dans le Christ et le Christ est en nous ; c’est dans un passage de son traité de la Trinité contre les ariens. Laissant de côté le but spécial de son argumentation, qui est de prouver qu’entre le Père et le Fils il n’y a pas uniquement, comme le prétendent ces hérétiques, une union morale ou de volonté, mais bien une union de substance, il convient de souligner et de retenir comment il se sert du dogme eucharistique. C’est là que se trouvent de fortes et nettes affirmations sur la présence réelle du Christ dans l’eucharistie et sur la manducation réelle de son corps et de son sang par la communion. « Je demande, dit-il, à ceux qui introduisent une unité de volonté entre le Père et le Fils, si le (Uirist est aujourd’hui en nous par la vérité de sa nature ou par la concorde de sa volonté. Car si le Verbe a vraiment été fait chair, e/ vere nos Verbum carnem cibo dominico sumimus, comment ne doit-il pas être estimé demeurer en nous naturellement, lui qui, se faisant homme, s’est uni inséparablement la nature de notre chair et a uni la nature de sa chair à la nature de l’éternité dans le sacrement de la chair qui devait nous être communiqué… Si donc il a pris vraiment la chair de notre corps, si l’homme né de Marie est vraiment le Christ, nosque vere sub mysterio carnem corporis sui sumimus, etc. » De Trinitate, viii, 13, P. L., t. X, col. 246. « Lisons ce qui est écrit, et entendons ce que nous lisons, et nous nous acquitterons du

devoir d’une foi parfaite. Car ce que nous disons de la vérité naturelle du Christ en nous (de sa réelle présence en nous), si nous ne l’apprenons de lui, c’est folie et impiété que nous disons. Or, il a dit : « Ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang « est vraiment un breuvage ; qui mange ma chair et boit « mon sang demeure en moi, et moi en lui. » De verilale carnis et sanguinis non relictus est ambigendi locus. Nunc enim, et ipsius Domini professione, et fide nostra, vere caro est, el vere sanguis est ; et hœc accepta alque liausla id efficiunt ut nos in Christo et Christus in nobis sil. Ibid., viii, 14, col. 247. Saint Hilaire ne parle ici ni du mode d’être du Christ dans l’eucharistie, ni des effets de la communion ; s’en tenant uniquement à ce qui va à son but, il n’envisage que la réalité de la présence du corps et du sang du Christ dans l’eucharistie, et l’union qui en résulte pour le communiant, qui est réelle et nullement morale.

En Afrique.

Saint Optât de Milève, dans son

ouvrage contre les donatistes (370-385), ne fait que de simples allusions au mystère eucharistique, mais elles sont assez transparentes pour laisser voir que la foi de l’Église d’Afrique, au ive siècle, sur la présence réelle est la même qu’au m. C’est ainsi qu’il reproche à ces sectaires turbulents comme un grand sacrilège d’avoir jeté l’eucharistie aux chiens ; mais ce n’a pas été sans une juste punition du ciel, car les évêques coupables ont été châtiés : Nam iidem canes accensi rabie, ipsos dominos suos quasi lalrones, sancti corporis reos, dente vindice, tanquam ignolos et inimicos laniaverunt. Conl. donat., ii, 19, P. L., t. xi, col. 972. 11 appelle l’autel le siège du corps et du sang du Christ ; et il demande : Quid vobis ofjenderat Christus, cujus illic per ccrla momenta corpus et sanguis habilabal ? Mais, en haine des catholiques, les donatistes ont raclé, brisé, enlevé les autels ; les Juifs, dit-il, injecerunt manus Clu-isto in cruce, a vobis persccutus est in allcui. Ibid., vi, 1, col. 1066. Et parlant des calices, il ajoute : Fiegistis ctiam calices Christi sanguinis portalores. Les évêques sacrilèges sont qualifiés de coupables sancti corporis, les autels de siège du corps et du sang du Christ, et les calices de portalores sanguinis Christi : les allusions à la présence réelle ne sauraient être plus claires.

A Rome.

1. L Ambrosiaster. — Rappelons

que l’inscription du pape saint Damase († 384) en l’honneur de Tarsicius, martyr de l’eucharistie, parle des Christi sacramenta et des cselestia membra, ce qui est une allusion bien discrète. Le contemporain de saint Damase, auteur anonyme d’un commentaire sur les Épitres de saint Paul, est un peu plus explicite : il voit dans l’eucharistie une mémoire de notre rédemption, à célébrer comme l’a indiqué le Seigneur, mémoire où l’on mange la chair, où l’on boit le sang qui ont été offerts pour nous, où l’on participe au calice mystique du sang pour la protection du corps et de l’âme, en image, in typum, du sang versé sur la croix. In I Cor., x, 23, 26, P. L., t. xvii, col. 43.

2. Saint Jérôme (t420). — Le solitaire de Béthléhem peut être considéré comme un témoin de l’Église de Rome. Il parle en réaliste convaincu et justifie la présence réelle par la parole du Christ à la dernière cène. « Reconnaissons que le pain que le Seigneur rompit et donna à ses disciples est le corps même du Sauveur, lui-même leur ayant dit : « Prenez et « mangez, ceci est mon corpS ; > et que le calice est celui dont il a dit : « Buvez en tous, car ceci est mon sang « du nouveau testament, qui sera répandu pour plut sieurs. » Si donc le pain qui est descendu du ciel est le corps du Seigneur, et si ce vin qu’il donna à ses disciples est son sang…, rejetons les failles judaïques… Ce n’est pas Moïse qui nous a donné le vrai pain, EUCHARISTIE D’APRÈS LES PÈRES

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mais c’est le Seiffncur Jésus, ipse conviva et conviviiun, ipse comedens et qui comeditur. » Epist., cxx, c. ii, q. ii, (id Hedibiam, P. L., t. xxii, col. 986. Saint Jérôme nous répète que le pontife ou l’évêque consacre par sa bouche la cliair de l’agneau, carnes agni sacro ore conftciens, Epist., lxiv, 5, ad Fabiolam, col. 611 ; le corps du Christ, Chrisii corpus sacro ore conflciunl, Epist., XIV, 8, ad Ilcliodorum, col. 352 ; le corps et le sang du Christ, ad quorum prcccs Christi corpus sanguisque conficitur. Epist., cxlvi, 1, ad Evangetum, col. 1193. Vantant la charité de saint Exupère, évêque de Toulouse, qui avait tout donné, même les vases sacrés, il écrit : Corpus Domini canistro vimineo et sanguinem portât in vitro. Epist., cxxv, 20, col. 1085.

D’autre part, les relations qui existent entre l’Ancien et le Nouveau Testament, le premier étant l’ombre ou la figure du second, suggèrent à saint Jérôme une comparaison entre le pain et le viii, figures de l’eucharistie, et la réalité actuelle ; mais quelle différence 1 Tantum interesi inler propositionis panes et corpus Christi quantum inter umbram et corpus, inter imaginem et veritatem, inter exemplaria futurorum et ea quæ per ipsa exemplaria pnvfigurabantur. In Epist. ad TH., i, 8, 9, P. L., t. xxvi, col. 509. Le froment et le vin sont le type, de quo conficitur pani Domini, et sanguinis ejus impletur tijpus. In.1er., I. VI, c. XXXI, V. 10, P. L., t. XXIV, col. 875. Mclcliisedech qui jam tune in lijpo Christi pancm et vinum obtulit, et mijsterium cluistianum in Saluatoris sanguine et cm pore dedicavii. Epist., xlvi, 2, P. L., t. xxii, col. 484. Dans un passage il oppose l’eucharistie à deux anciennes figures, celle de l’agneau pascal et celle du sacrifice de Melchisédcch, non comme un symbole à d’autres symboles, mais comme la vérité ou la réalité à ce qui n’en était que la figure : de là, sous sa plume, le vieux terme de Tertullien, reprtrsentare, avec son sens étymologique de rendre présent, comme le prouve celui de præfiguratio auquel il l’oppose. Après avoir accompli la pâque figurative et mangé la chair de l’agneau avec ses apôtres, Jésus prend le pain qui fortifie le cœur de l’homme, et passe au vrai sacrement de la pâque, ut quomodo in pru’figurationc ejus Melcliisrdech, summi Dei sacerdos, pancm et rinum ofjcrcns feceral, ipse quoque in veritate (ou veritatem) sut corparis et sanguinis rcpra’seniaret. In Matth., 1. IV, 26, P. A., t. XXVI, col. 195.

Le Sauveur, à la dernière cène, a donné comme une image de sa passion, quod in lypum suæ passionis expressif, Adv. Jovin., II, 17, P. L., t. xxiii, col. 311, mais Il a donné aussi réellement, quoique spirituellement, son corps et son sang en nourrit ure. C’est, en effet, de deux manières qu’on peut entendre la chair et le sang du Christ, dit saint Jérôme : Vel spirituulis illa atquc divina, de qua ipse dixit : Caro mea vcre est ci bus, ri sanguis meus vere est potus ; nisi mandacavcrilis carnem Filii Iwminis, et biberitis ejus sanguinem, non haliebitis vitam in vobis ; vel caro et sanguis, quæcruciftxd est, et qui militis cousus est lancea. In Epist. ad Eph., I. I, c. I, 7, P.L., t. XXVI, col. 151. Serait-ce là une différence essentielle qu’établit saint Jérôme entre le corps du Sauveur dans l’eucharistie et son corps sur la croix, ainsi que l’a prétendu jadis du Plessis ? Nullement, mais une simple différcnce de mode ou de manière d’être, qui n’empêche point l’identité substantielle. Saint.Férôme, en effet, s’en explique : .luxta hanc divisionem, et in sanctis ejus diuersitas sanguinis et carnis accipitur, ut alia sil caro quæ visura est salutarc Dei, alia euro et sanguis quarrgnum Dei nrqucant possidere. La chair et le sang des saints, tels qu’ils sont ici-bas, c’est-à-dire à l’état passible et corruptible, ne peuvent point jjosséder le royaume de Dieu, mais n’en verront pas moins le salut de Dieu

mCT. DK TirÉOL. CATHOI, .

dès que, par la résurrection, ils posséderont les qualités des corps glorieux ; ils sont cdia, mais la différence de leur mode d’être n’empêche nullement l’identité substantielle des corps des saints auxquels cette chair et ce sang appartiennent. Et pareillement du corps du Christ dans l’eucharistie et sur la croix : c’est identiquement le même, mais dans un état différent : sur la croix, à l’état passible, mortel et corruptible ; dans l’eucharistie, à l’état glorieux, impassible et incorruptible. Cf. Duperron, L’eucharistie, p. 413416.

Comme tant d’autres Pères, saint Jérôme ne s’est pas livré à l’examen et à l’explication des mystères eucharistiques ; il s’est contenté, le cas échéant, d’affirmer l’essentiel, estimant peut-être qu’une analyse approfondie ne convenait point ou était superflue, le croyant ne devant pas, selon la pensée de saint Éphrem, scruter les mystères de Dieu.

3. Saint Gaudenlius de Brescia.

Avec le successeur de saint F’hilastrius sur le siège de Brescia, nous retrouvons des explications et des affirmations déjà connues. Saint Gaudentius n’innove pas : JI s’en tient à une tradition ferme et suffisante pour l’enseignement des néophytes. Il rappelle à ceux-ci l’usage des Juifs qui, pour célébrer la pâque, immolaient un agneau ; la réalité ayant remplacé la figure, un seul agneau est maintenant mort pour tous, et idem per singulas eccicsiarum domos, in mysterio panis ac vint, rrficil immolatus, vivifical credilus, consccrantes sanctiftcal consecratus. Hhe agni caro, hic sanguis est ; car le pain, c’est la chair, et le viii, c’est lesang./pse igiiur naturarum crcator et Dominus, qui producit de terra panem, de pane rursus, quia et potesi et promisit, efficit proprium corpus ; et qui de aqua vinum fecil, facil et de vino sanguinem suun-i. Scrm., ii, P. L., t. xx, col. 855. Voilà bien l’enseignement d’un catéchiste : l’autorité et la puissance de Dieu suffisent jiour faire admettre la vérité du mystère. Gaudentius a soin d’écarter toute idée de manducation grossière : neque crudam carnem crudumque sanguinem, sicut Judœus. putes. Il n’y a qu’à faire un acte de foi ; car lorsqu’il a présenté à ses disciples le pain et le vin consacrés, Jésus a dit : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang. » Credamus, qu.’so, cui credidimus. Nescil mendaciiim verilas. Ibid., co !. 858-859. Notons, en passant, la double raison qu’il ilonnepour expliquer pourquoi le Seigneur a voulu que les sacramentu corporis sui et sanguinis fussent célébrés in specir panis et vint : c’est d’abord pour mettre à la portée de tous cette offrande sine uslione, sine sanguine, sine brodio, id est, jure carnium, ibid., col. 860 ; c’est ensuite pour représenter l’unité du corps mystique du Christ. Cette dernière raison était d’enseignement courant.

1. Saint Ambroise († 397). — La doctrine de l’évêque de Milan est claire et nette. Faisant allusion aux usages liturgiques, saint Ambroise avait dit à Théodose, après le massacre de Thessalonique : « Comment recevrez-vous le saint corps du Christ dans des mains toutes souillées (de sang) ? Comment porterez-vous son sang précieux à votre bouche, vous qui, poussé par la fureur, avez répandu tant de sang injustement ?^ Théodoret, II. E., v, 17, P. G., t. lxxxii, col. 1232. Il écrivait dans son commentaire du psaume cxviii : Citristus mihi cibiis, Christus mihi potus ; caro Dei cibus mihi, et Dei sanguis palus est mihi… Christus mihi quodidie minislratur. In ps..vi ; / ;, serm..xviii, 26, P. L., t. XV, col. 1161. Mais c’est surtout dans son De mgsteriis, véritable catéchèse inystagogique adressée aux nouveaux baptisés, qu’il donne son enseignement eucharistique : présence réelle, quoique invisible, du corps et du sang du Christ dans l’eucharistie, du corps et du sang que le Christ a reçus de la

V. - : (7

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EUCHARISTIE D’APRÈS LES PÈRES

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Vierge, de la chair qui a été crucifiée ; présence dont la certitude est fondée sur la parole même du Christ ; présence assurée par les paroles mêmes de la consécration, dont l’efflcacité est toute divine et miraculeuse ; présence enfin qui s’opère par un vrai changement, par une conversion réelle, telle est la somme de son enseignement. « Vous direz peut-être : Je vois autre chose, comment donc m’assurez-vous que je reçois le corps de Jésus-Christ ? » Et Ambroise de répondre : « Prouvons que ce n’est pas ce que la nature a formé, mais ce que la bénédiction a consacré. Prouvons que la bénédiction a plus de force que la nature… Que si une bénédiction humaine (allusion à des exemples qu’il vient de rappeler) est capable de changer la nature, naturam converterct, que dire de la consécration divine où opèrent les paroles mêmes du Sauveur ? Ce sacrement que vous recevez est accompli par la parole du Christ. Si la parole d’Élie a pu faire descendre le feu du ciel, la parole du Christ ne pourra-t-elle changer la nature des éléments, species mulet clementorum ? Vous avez lu, au sujet de la création : « Il dit, et tout se fit ; il « commanda et tout fut créé. » La parole du Christ, qui a pu du néant faire ce qui n’était pas, ne peut-elle donc pas changer ce qui est en ce qui n’était pas, ea quæ sunt in id mutare quæ non erant ? » De mysL, ix, 52, P. L., t. XVI, col. 406. Saint Ambroise en appelle au mystère de l’incarnation, et il ajoute : « Ce corps que nous produisons par la parole est le même qui est né d’une Vierge. Pourquoi chercher l’ordre de la nature dans la production du corps de Jésus-Christ (dans l’eucharistie), puisque le Seigneur Jésus est né d’une Vierge en dehors de l’ordre de la nature ? C’est la véritable chair du Christ qui a été crucifiée et ensevelie ; c’est donc vraiment le sacrement de sa chair. Jésus le déclare lui-même, en disant : « Ceci « est mon corps. » Avant la bénédiction des paroles célestes, on donne à cela un autre nom ; mais, après la consécration, on l’appelle corps, corpus significatur. Il dit lui-même que c’est son sang. Avant la consécration, cela s’appelle d’un autre nom ; mais, après la consécration, on l’appelle sang et vous répondez : Amen, c’est-à-dire c’est vrai. Croyez donc de cœur ce que vous avouez de bouche, et que vos sentiments soient conformes à vos paroles. » Ibid., 53, 54, col. 407.

Présence réelle du corps historique du Christ, par un changement qui convertit la nature de ce qui est, qui transforme les species elementorum, sous l’action merveilleusement efficace de la parole consécratrice ; mais aussi communion réelle, participation réelle à ce corps et à ce sang, car l’eucharistie est un aliment spirituel : In illo sacramento Christus est, quia corpus est Christi ; non ergo corporalis esca, sed spiritalis est. Ibid., 58. Quant à pénétrer plus avant dans l’analyse des mystères eucharistiques ; quant à expliquer ce que devient la substance du pain, comment elle est convertie au corps spirituel du Christ, ou quel est le mode d’être de ce corps dans l’eucharistie, saint Ambroise ne l’a pas fait, mais il met bien sur la voie de la transsubstantiation.

Loofs reconnaît dans les passages précités la conception du réalisme et même du dynamisme de la transsubstantiation ; mais il prétend que ce n’est point là la doctrine de saint Ambroise, attendu que le De mysteriis n’est pas de lui. Nous n’avons pas à prouver l’authenticité du De mysteriis, qui ne saurait guère être contestée, voir t. i, col. 946, mais à examiner si la doctrine du De mysteriis est vraiment en contradiction avec celle du De fide, où l’on veut que se trouve la pensée authentique de saint Ambroise : Caro mea vere est esca et sanguis meus est polus. Carnem audis, sanguinem audis, mortis dominicæ sacramenta cçgnoscis et divinilali calumniaris ? Audi diceniem ipsum :

Quia spiritus carnem et ossa non habet. A’os autem quotiescumque sacramenta sumimus, quæ per sacrée orationis mysterium in carnem transfigurantur et sanguinem, mortem Domini annuntiamus. De fide, iv, 10, 124, P. L., t. xvi, col. 141. « Dans ce texte, dit Mgr Batiffol, L’eucliaristie, p. 290-291, saint Ambroise répond à une difficulté présentée au nom du subordinatianisme. Si le Christ a dit : Ego vivo propter Patrem, le Christ dépend du Père, concluent les ariens. Ambroise répond que le Christ vit pour le Père en tant que le Christ est homme. Peut-on, en effet, rapporter à la divinité ce qui est dit par le Christ (le sa chair et de son sang ? Dieu, qui est esprit, n’a ni chair, ni os. Donc, conclut Ambroise, quand il est question de vie ou quand il est question de mort, il ne l)eut être question que de l’humanité du Sauveur. Ambroise incidemment touche un mot des mortis dominicæ sacramenta, désignant sous cette expression l’eucharistie. Ambroise écrit : Sacramenta sumimus, comme plus haut il écrivait : Sacramentum accipis. Il marque, ce qu’il ne fait pas dans le De mysteriis, le caractère de mémoire, tandis que dans le De mysteriis il insiste de préférence sur le caractère de don de vie : mais ces deux aspects ne s’excluent pas. Ainsi dans l’eucharistie, telle que la liturgie la célèbre, nous annonçons la mort du Seigneur, comme dit saint Paul : non pas la mort de sa divinité, mais la mort de son humanité, faite de chair et de sang. Voilà pourquoi les sacrements, c’est-à-dire le pain et le viii, qui servent à annoncer la mort du Seigneur, sont convertis en sa chair et en son sang par la sainte prière. Comment Ambroise, qui parlait dans le De mysteriis de la conversion de la nature du pain et du viii, peut-il parler dans le De fide de transfiguration du pain et du vin ? Figure et nature ne sont-ils par termes contradictoires ? Oui, si la langue ecclésiastique était dans les premiers siècles une langue fixée et philosophique, mais c’est ce qui n’est point. Ambroise lui-même ne disait-il pas indifféremment naturam convertere et species mutare elementorum ? Le verbe transfigurare, s i étonnant que cela semble, est synonyme de convertere. » Malgré la différence du verbe employé, le sens de l’idée exprimée est le même, et la doctrine du De fide, loin de contredire celle du De mysteriis, la complète en y ajoutant l’idée de mémoire, qui convient tout aussi bien à l’eucharistie que l’idée de don de vie marquée par le De mysteriis, 47-49.

Autre difficulté : d’après Loofs, qui s’appuie sur le commentaire du psaume xxxviii, où le sacrifice eucharistique est présenté comme une imago veritatis, saint Ambroise n’aurait jamais affirmé, dans ses écrits indiscutés, la présence réelle. Mais si l’on se reporte au texte visé. In ps. xxxviii, n. 25, on voit que saint Ambroise distingue Vombre, représentée par l’ancienne loi, l’image par l’Évangile et l’Église, la vérité par le ciel. Or, actuellement, le fidèle ne voit les réalités divines que per spéculum et in œnigmate, et c’est le sens du mot image employé dans ce passage. Mais l’image ici n’est nullement vide et sans réalité objective. Et si dans le De mysteriis il disait avec raison que, comparée aux symboles anciens, l’eucharistie est la vérité, autrement dit, leur réalisation, ce n’est pas avec moins de raison que, par rapport à la claire vision de la vie future, il montre dans la liturgie une image ; mais ce rapport du présent au futur, de ce qui est sur la terre à ce qui aura lieu dans le ciel, qui autorise l’emploi du mot image, ne fait pas que l’eucharistie soit une image simple sans la moindre réalité ou vérité ; la présence réelle, quoique invisible, du Christ dans l’eucharistie, et la participation à son corps et à son sang par la communion, bien qu’objet de foi, n’en sont pas moins une réalité, dont le mystère, ou, comme dit saint Ambroise, la vérité ne sera dévoilée qu’au

ciel. C’est faute de tenir compte de ce rapport entre ce qui est et ce qui sera, qu’on prête aux expressions de saint Ambroise un tout autre sens que celui qu’il leur donne. Saint Ambroise a pu dire, sans se contredire le moins du monde et sans enseigner une présence du Christ en figure, que l’eucharistie, qu’il sait et qu’il dit être vraiment le corps et le sang du Christ, est une image et que la vérité sera dévoilée au ciel. Voir t i col. 950.

5. L’auteur du De sacramentis.

Cet ouvrage du De sacramentis est à rapprocher du De mijsteriis, bien qu’il ne soit ni de saint Ambroise, ni même d’origine milanaise. Aubertin et Daillé en faisaient une œuvre du vii « ou viiie siècle. Il faut y voir, au contraire, avec Mgr Duchesne, Origines du culte, Paris, 1898, p. 169, et A. Baumstark, Liturgia romanae liturgia deW Esarcato, Rome, 1904, p. 161-162, un ouvrage des environs de l’an 400, composé dans le nord de l’Italie, où l’usage romain se combinait avec celui de Milan| peut-être à Ravenne.

Ne nous arrêtons pas à ce passage qui précède la consécration : Fac nobis hanc oblalionem ascriptam, ratam, rationabilem, acceptabilem, quod figura est corporis et sanguinis Domini nostri Jesu Christi. De sacr., IV, 21, P. L., t. XVI, col. 443. Le pain et le vin ne sont pas encore consacrés, et ils sont qualifiés de figure du corps et du sang du Christ. Pour le reste, l’auteur s’inspire visiblement du De mysteriis. Tu forte dicis : Meus panis est usitatus. Sed panis iste panis est anie verba sacramentorum ; ubi accesserit consecratio, de pane fit caro Christi… Quomodo potest qui panis est corpus esse Christi ? Consecratione. Consecratio autem quibus verbis est, cujus sermoni bus ? Domini Jesu. De sacr., IV, 14, col. 439-440. 5/ ergo tanta vis est in sermone Domini Jesu ut inciperent esse quæ non erant, quanto magis operalorius est ut sint quæ erant et in aliud commutentur ? Ibid., 15, col. 440. Ergo didicisti quod ex pane corpus fiât Christi, et quod vinum et aqua in calicem mittitur ; sed fil sanguis consecratione verbi cœlestis. Ibid., 19, col. 441. Antequam consecretur, panis est ; ubi autem verba Christi accesscrint corpus est Christi… Et cuite verba Christi calix est vint et aquæ plenus ; ubi verba Christi operata (uerint, ibi sanguis Christi efficitur, qui plebem redemit. Ibid., 23, col. 444.

Le pain, traité d’image du corps du Christ avant la consécration, n’était encore que du pain ; et de même le vin n’était que du vin. Survient la consécration : le pain devient corps, le vin devient sang. La présence réelle est donc nettement affirmée ; et c’est une même efficacité miraculeuse et transformatrice qu’on attribue aux paroles de la consécration ; et c’est d’une conversion semblable à celle du De mysteriis qu’il est question ici ; mais c’est aussi une pareille discrétion dans l’explication du changement qui s’opère. C’est beaucoup néanmoins que la mise en relief de l’idée de conversion : l’affirmation du fait sollicitera son examen, et provoquera des explications jusqu’à ce que, la controverse aidant et des interprétations erronées menaçant de dénaturer cette conversion, l’Église intervienne et définisse le dogme de la conversion. L’auteur du De sacramentis ne va pas jusqu’à dire, comme saint Ambroise, que le corps de Jésus-Christ est dans l’eucharistie d’une manière spirituelle ; et tout en écartant l’idée d’une manducation grossière et ordinaire de ce corps, il tient un Jangage qui semble contredire ce qui précède, car il parle d’une similitude reçue qui assure la grâce et la vertu de la réalité : in simililudimm quidern arcipis sacramentum, sed vcre naturæ gratiam virtutrmque consequeris. Ibid., vi, 3, col. 455. Mais ce n’est là qu une impropriété d’expression, qui marque l’absence d un langage théologique ferme et arrêté, car l’auteur

a soin de dire, quelques lignes plus loin, qu’en recevant la chair, on participe à la substance divine du Christ : Tu qui aecipis carnem, divinæ efus substantiæ in illo participaris alimenta. Ibid., vi, 4, col. 455.

V. A PARTIR DU V® SIÈCLE, EN ORIENT. — 1° Dans

le premier quart du ve siècle. — Deux témoignages s’offrent d’abord à nous, où se marque une tendance assez nette pour écarter du langage eucharistique les termes de tûtioç, (t-J ! j.oo)oç, et autres semblables, qui pouvaient prêter à l’équivoque. L’un est de Théodore de Mopsueste (f vers 428), qui, dans son commentaire sur saint Matthieu, fait cette remarque : « Le Christ n’a pas dit : « Ceci est le symbole de mon corps, et ceci « de mon sang, « mais : « Ceci est mon corps et mon « sang, » nous apprenant par là qu’il ne faut pas considérer la nature de ce qui est offert, mais que, par l’intervention de l’action de grâces, il y a conversion au corps et au sang. » Oùx sluetoOtô èati to <7j[j.go>, ov toO ToSixaTÔ ; nou, y.ai toOto to-j a"( ;.aTÔç (jlo-j, àWà’tovtô in-zi. TÔ (TM^â [XO’J v.(x. TO alpià (lo-j, SiSotffxMv r, tJiîç (l, -^ upô ; tt)’/ çûciv ôpâvTO-j upoy.=’.[x=vou, àX), àTïiçyEvo[j17r, çeùxa’pi(71 : ca ; etç (jipv.% xai at|JLa !  ;.îTaoâX).E(rGai. In Matlh., xxvi, 26, P. G., t. Lxvi, col. 713. C’est tout à la fois l’affirmation de la présence réelle et de la conversion du pain et du vin au corps et au sang du Christ.

Non moins significatif est le témoignage d’un contemporain de Théodore, celui de Macarius Magnés : Aaêwv (6 XptCTTo ;) aptov xal Ttor/ipiov eÏtc" to-jtô £<7Ti TÔ o-(ônâ^ij.ou xa-i TÔ al|j.â f/.ou. Où yàp xûitoc (761(j.aT01 ; oOôk TUTTo ; a([ ;.aTOç, wç -tveî èppa4’(î>6-/i(7av TrsTTojptotxévoi tôv voûv, àXXot y-arà àXviOsiav uoifia y.a’i ai(j.a Xpimo-Z, ÈiiEiSri TÔ (7(5(ia àTTÔ yriç, iTib yr, ; 6’ô apTo ; ô ; j, o : (, ) ; y.a, ’, otvoç. ATTOTpsTTTiy.ôç, iii, 23, édit. Bloudcl, Paris, 1876, p. 105 106.’Signalons simplement une allusion faite par Théophile d’Alexandrie, dans sa lettre pour la fête de Pâques de 402, à l’invocation du Saint-Esprit sur le pain et le vin de l’eucharistie. Parmi d’autres erreurs qu’il reproche à Origène, il relève celle d’avoir dit que le Saint-Esprit n’opère pas dans les êtres inanimés ou dépourvus de raison. Il oublie, dit-il, les eaux du baptême consacrées jiar la venue mystique du Saint-Esprit ; il oublie aussi panemque dominicum, quo Salvatoris corpus oslenditur, et quem frangimus in sanctificationem noslri, et sacrum calicem, quæ in mensa ecclesiæ collocantur et utique inanima sunt, per invocationem et adventum Sancti Spirilus sanctificari. Trad. de saint Jérôme, Epist., xcviii, 13, P L t. XXII, col. 801.

Mais bientôt, à l’occasion des hérésies de Nestorius et d’Eutychès, la question christologique ne fut pas traitée sans provoquer quelques rapprochements entre le dogme de l’incarnation et celui de l’eucharistie. Le danger était de fausser ces rapprochements en les exagérant ; car s’il existe entre ces deux dogmes certaines analogies, il n’y a pas de similitude complète. On le vit bien lorsque, par i rainte du monophvsisine et pour sauvegarder dans l’incarnalion l’existence de deux natures dans l’unité de personne, on en vint à introduire le dyophysisme dans l’eucharistie. L’écrivain qui a dévelojipé le plus cette opinion erronée fut Théodoret ; les autres qui l’ont partagée ne font connaître qu’une école et qu’une époque, l’école antiochienne du ve siècle. Cf. Lebreton, Lr dogme de la transsubstantiation et la christologie antiochienne au v siècle, dans les Études, Paris, 1908, t. cxvir, p. 477 sq. ; ou dans le Report du XIX-’congrès eucharistique international, Londres, 190 ! ’, p. 326-340. Ils n’ont pas réussi à modifier la doctrine traditionnelle, telle que saint Cyrille d’Alexandrie venait de la confirmer, à la suite des Pères grecs, ses prédécesseurs

2° Nestorius († 451). - Jusqu’à la publication du Livre d’Héraclide, composé par Nestorius peu de temps 1159

EUCHARISTIE D’APRÈS LES PERES

Il GO

avant sa mort pour faire l’apologie de ses idées, nous ne connaissions guère sa doctrine eucliarislique. Elle ne nous était connue que par la polémique de saint Cyrille d’Alexandrie contre lui et que par un extrait de ses œuvres, lu au concile d’Éphèse. Dans cet extrait, Labbe, Concilia, t. iii, col. 527 ; Loofs, Ncsloriana, Halle, 1905, p. 227-228 ; Le livre d’IUraclide, trad. Nau, Paris, 1910, p. 225, en expliquant la parole de Notre-Seigneur : « Celui qui mange mon corps et boit mon sang demeure en moi et moi en lui, » Joa., VI, 56, il traduit « rif. ? par corps et il fait observer que Jésus n’a pas dit : Celui qui mange ma divinité ou cjui la boit, mais : Celui qui mange mon corps et qui boit mon sang. Or, ce corps, c’est le corps de celui que le Père vivant a envoyé. Joa., vi, 57. Saint Cyrille entend ces dernières paroles de la divinité. Nestorius les entend, lui, de l’humanité. Quelle est des deux la fausse interprétation ? L’hérétique Cyrille voit Dieu le Verbe en celui que le Père a envoyé et il dit que le Verbe vit à cause du Père. Mais on lit immédiatement après : « Celui qui me mange vivra lui aussi. » Que mangeons-nous ? La divinité ou la cliair ? Entre saint Cyrille et Nestorius il n’y avait donc au sujet de l’eucharistie, que cette différence : Nous y mangeons, selon le premier, la chair du Verbe et, selon le second, la chair de l’homme. Tous deux admettaient donc que la chair ou le corps du Christ était dans l’eucharistie. Nestorius ne parlait pas de la permanence du pain ; il disait seulement que, dans l’eucharistie, nous mangeons le corps du Christ, celui qui provient de sainte Marie, nous ne mangeons pas le Verbe ou la divinité. Selon lui, la chair et la divinité, dans l’eucharistie comme dans l’incarnation, ne sont pas une même chose en essence et en prosôpon ; elles y sont unies sans confusion l’une de l’autre et elles n’y forment pas une seule essence qui serait celle du Verbe. Voir plus haut, col. 138. Le commentaire qu’il a fait de ses paroles dans le Livre d’Héraclide, p. 226-227, le montre Ijicn.

Un franciscain français de l’Observance, Jean du Conseil, a exactement saisi la différence de doctrine entre saint Cyrille et Nestorius au sujet de l’eucharistie telle qu’elle est indiquée par le premier dans sa lettre au second pour lui notifier son excommunication prononcée par le concile d’Éphèse, c. vu. Mansi, Concil., t. IV, col. 1075-1076. Il en a fait l’exposé lumineux, le 18 février 1547, à une congrégation des théologiens ilu concile de Trente, réunis pour discuter les matières eucliaristiques. Nestorius n’a pas nié la présence réelle. Verum senienlia ejus fuit hic quidem rêvera contineri corpus et sanguinem humanitatis Christi ; al quia ex divinilale et humanilule Christi duas faciebat personas, idcirco dicebat carnem Domini hic pcrcipi ut coiTimunem carnem hominis et similiter sanguinem, .et non esse dicendum carnem Fiiii Dei aut sanguinem, scd hominis sanctiflcaii tantum et Dec uniti. Cette explication a été condamnée au concile d’Éphèse (431) et on y a affirmé avec saint Cyrille que, dans l’eucharistie,

chair mangée était une chair vraiment viviliante et

propre au Verbe lui-même, qu’elle ne peut donc pas être la chair d’un homme comme nous, une chair d’homme, mais la chair devenue vraiment la chair propre de celui qui, à cause de nous, s’est fait le Fils de l’homme. Ex quibus constat, conclut Jean du Conseil, iVes/o/iu/n hic non negasse veritatem carnis et sanguinis, at negasse hanc carnem et hune sanguinem esse doeendum Filii Dei. S. Elises, Concilium Tridentinum, Fribourg-en-Brisgau, 1911, t. v, p. 937-938. Il n’y a pas là encore de trace de dyophysisme eucharistique.

Après le concile de Chalcédoine (450), en écrivant l’apologie de sa doctrine dans Le livre d’Héraclide, trad. Nau, p. 25-29, Nestorius eut l’occasion d’opposer sa pensée sur l’eucharistie à colle de saint Cyrille.

Sophronius, son interlocuteur, qui représente le parti de saint Cyrille et du concile d’Éphèse, expose que l’union des deux natures, divine et humaine, dans l’incarnation est nécessairement comme celle du pain quand il devient corps. Dans l’eucharistie, il n’y a plus qu’un corps et non deux. Il y a le corps du Christ ; il n’y a plus de pain, de telle sorte que le pain n’est plus désormais ce qu’il paraît, mais ce qu’il est conçu par la foi, c’est-à-dire le corps du Christ. De même, dans l’incarnation, il n’y a plus qu’un corps, qui est, non I)Ius le corps de l’homme, mais le corps du Fils de Dieu. Sophronius ajoute que l’apôtre a condamné ceux qui pensaient que le corps de Notre-Seigneur, dans l’incarnation et l’eucharistie, était commun, le corps et le sang de l’homme (donc Nestorius), quand il a déclaré digne d’un châtiment sévère celui qui a foulé aux pieds le Fils de Dieu et qui a jugé impur (v.otvov) le sang de son alliance par lequel il a été sanctifié, et qui a outragé l’Esprit de la grâce. Heb., x, 29. Nestorius discute cet argument qui lui avait échappé. Il distingue d’abord trois significations bibliques du mot y.otvôv, employé par saint Paul : 1° ce qui est souillé, Act., X, 14 ; 2° ce qui est commun, Act., iv, 32 ; 3° la participation, I Cor., x, 16 (communion eucharistique) ; Heb., ii, 11-14 (union, quant à la nature humai ; ie commune, des chrétiens sanctifiés avec le Christ qui les a sanctifiés). Or Sophronius déclare que saint Paul condamnait Nestorius qui ne voyait dans le Christ qu’un homme comme les autres et dans son sang celui d’un homme et non le sang de Dieu. Nestorius dit, au contraire, que l’apôtre visait ceux qui pensent que la cliair de Jésus appartient à l’essence divine et que le sang humain est impur et ne peut sanctifier les liommes. Saint Paul a voulu dire, en effet, que le Christ qui sanctifie et les hommes qu’il sanctifie sont d’un seul, d’une seule essence, qu’ils sont frères, et que, par conséquent, le sang qui a été versé pour nous et qui nous a sanctifiés est de l’essence humaine par laquelle nous sommes les frères de Jésus. Nous n’avons rien de commun avec Dieu le Verbe, nous ne sommes pas ses frères ni ses enfants, parce que nous ne participons pas à la même essence. Nous sommes les frères de la nature humaine que le Fils de Dieu s’est unie ; nous sommes ses enfants, parce qu’il est mort pour nous ressusciter à la vie immortelle et incorruptible. « A cause de cela ne sommes-nous pas tous un même corps en une seule chose ? Tous, en effet, nous recevons de ce même pain par lequel il nous fait participer au même sang et à la même chair, qui sont de la même nature, et nous participons avec lui par la résurrection d’entre les morts et par l’immortalité. Nous sommes à lui de la même façon que le pain est son corps ; de même, en vérité, que ce pain est un, de même nous sommes tous un seul corps, car tous nous recevons de ce seul pain, » Ces dernières paroles concernent seules les rapports de l’eucharistie avec l’incarnation. Elles ne comparent pas leur nature intime et n’établissent entre elles aucune analogie de constitution, ainsi que l’a admis Mgr Batiffol, Nouvelles études documentaires sur la sainte eucharistie, dans la Revue du clergé français du 1° décembre 1909, p. 535-536, après M. Béthune Baker, Nestorius and his teæhing, Cambridge, 1908, p. 141-142. Nestorius veut seulement montrer que l’eucharistie, qui contient la chair et le sang de Jésus, fait de nous un seul corps avec lui, parce que nous participons par l’eucharistie à la chair et au sang de l’homme ou de la nature humaine, et non pas à la chair et au sang du Fils de Dieu ou de la nature divine. C’est en cela que le corps et le sang de Jésus sont pour nous communs, selon la troisième signification du mot y.oivo’.. Il n’y a pas là la moindre trace de dyophysisme eucharistique.

Presque à la fin de son apologie, lorsqu’il examine et discute la lettre de saint Cyrille à Acace et l’accord du patriarche d’Alexandrie avec les Orientaux, Nestorius distingue, au sujetde la différencedes paroles dites de Jésus dans l’Écriture, ce que la foi enseigne de ce qui est évident quant à l’essence ou la nature. L’enseignement de la foi contraire à l’évidence de la nature ne supprime pas les propriétés de la nature ; il apprend seulement qu’elles ne sont pas dans la nature. Mais ce qui a lieu par nature est nécessairement ce qu’est le prosôpon. Or, l’exemple apporté pour expliquer cette formule est l’eucharistie. « Quand (.Jésus) dit sur le pain : Ceci est mon corps, il ne dit pas que le pain n’est pas du pain et que son corps n’est pas un corps, mais en les montrant, il dit « pain » et « corps » , ce qui est l’essence. Mais nous savons que le pain est du pain, par la nature et par l’essencc.Mais (lorsqu’il s’agit de) croire que le pain est son corps par la foi et non par la nature, il cherche à nous persuader de croire ce qui n’a pas lieu par essence ; de manière que cela ait lieu par la foi et non par essence. S’il s’agissait de l’essence, à quoi bon la foi I Aussi il ne dit pas : Croyez que le pain est du pain parce que quiconque voit du pain sait que c’est du pain ; il n’a pas besoin non plus de faire croire que le corps est un corps, car tout le monde voit et sait que c’est un corps. C’est donc ce qui n’est pas (par essence), qu’il nous demande de croire tel (par la foi) de sorte que cela arrive par la foi à ceux qui croient. Ainsi, il n’est pas possible de croire que (deux) choses d’essence différente soient dans une que l’on dirait autre, mais qui ne serait pas dans son essence propre, de manière qu’elles restent deux et qu’elles soient par leur essence étrangères l’une à l’autre. Celui qui supprime ici l’essence supprime avec elle ce qui est conçu par la foi. » Le livre d’IIcraclide, p. 288. Dans ce passage obscur que nous avons cité en entier, Nestorius dit que Notre-Seigneur, en parlant de pain et de corps, a parlé de deux choses qui sont distinctes de nature et d’essence selon l’évidence naturelle. Mais il ajoute qu’au regard de la foi Jésus a dit que le pain est son corps. Le pain n’est pas son corps par essence, il l’est pour la foi. Il nous a donc demandé de croire que le pain, qui n’est pas son corps par essence, l’est aux yeux de la foi. Toutefois, il est impossible de croire que deux choses d’essence difTérente, comme le jiain et le corps, soient dans l’une d’elles que l’on dirait autre et qui ne serait plus dans son essence propre, c’est-à-dire, si nous comprenons bien, que le pain soit dans le corps du Clirist, qui cesserait d’être le corps du Christ et serait un mélange de pain et decorps du Christ. Si l’on supprime l’essence du corps, on supprime en même temps l’enseignement de la foi qui est que le pain est le corjis du (Christ. Nestorius affirme que le corps de Jésus était, dans l’eucharistie, une oùiia, ((ue sa nature humaine y était réelle et non pas seulement intelligible par la foi. Il ne (lit pas que le pain y demeure en o-j-tij ;. La foi nous enseigne que ce qui était du pain est le vrai corps humain du Christ, et non pas le corps du Verbe. Si nous disions, comme saint Cyrille, qu’il est le corps du Verbe, nous supprimerions, avec l’essence du corps humain du Sauveur, l’enseignement de la foi sur le corps de Jésus dans l’eucharistie. Le pain et le corps n’y sont pas deux essences étrangères l’une à l’autre : Je pain y est devenu le vrai corps humain du (Christ. L’analogie avec la doctrine cyrillicnnc de l’incarnation confirme celle inlerprélalion. Cyrille, quoi qu’il prétende, ne tient pas compte de la différcncc des paroles scripluraircs : au lieu de maintenir la nature humaine cl la nature divine de.Jésus, il attribue les choses humaines et les choses divines à runiquc nature de Dieu le Verbe, de sorte fquc Dieu le Verbe soil en mnie temps Dieu et homme, sans avoir été changé en

la chair ou en l’homme. Or Nestorius juge impossible qu’une essence soit deux dans la même essence, lorsque l’une n’est pas ce qu’est l’autre, en d’autres termes, il rejette l’union des deux natures telle que saint Cyrille l’explique. Ibid., p. 287. Dans l’eucharistie, au contraire, nous savons par la foi que le pain est corps, que le pain n’y est plus en essence, mais que le corps de Jésus y est comme corps réel, comme corps naturel, comme corps de l’homme, et non pas comme corps du Verbe. Ici. Jésus nous a demandé de croire que le pain, qui n’est pas corps du Christ par essence, l’est pour le croyant. La foi ne supprime pas l’essence du corps qu’elle aflirme être dans l’eucîiaristie.

Nestorius donc, quoique sa doctrine sur l’eucharistie n’ait pas été très juste, n’a nié ni la présence réelle, ni la conversion du pain au corps du Christ. Il n’a pas enseigné la permanence du pain dans sa propre essence et il n’est pas l’auteur responsable du dyophysisme eucharistique de l’école d’Antioche. Deux théologiens du concile de Trente, l’augustin Etienne Consortes (3 février 1547) et l’observantin Jean du Conseil (18 février), ont bien compris qu’il n’était pas l’adversaire de la présence réelle, mais que de sa doctrine découlait seulement cette conséquence que le corps du Christ ne pouvait pas être adoré dans l’eucharistie, parce qu’il n’était pas le corps de Dieu, mais le corps de l’homme. S. Elises, Conciliiim Tridenlinum, t. v, p. 837, 938, 946.

3°Saint Cyrille d’Alexandrie (-[-444). — A en croire les anciens critiques protestants et tout autant les plus récents, Cyrille d’Alexandrie ne serait pas un témoin favorable à l’enseignement catholique sur l’eucharistie. D’après Steitz, Die A bendmahlslehrc, dans Jahrbilcher fiir deiilsclie Theoloqic, 1807, t. xii, p. 242, « Cyrille voulait tenir ferme à la présence réelle du corps et du sang du Christ dans le sacrement. Mais ce n’est pas par leur substance, c’est par leur vertu seulement, que ce corps et ce sang sont présents dans le pain et le vin consacrés, et sont reçus par le sacrement. » D’après Harnack, Lchrbuch dcr Dogmengeschiehlr, 3e édit., t. ii, p. 43(5, " l’affirmation que dans l’cucharislic le corps réel du Christ soit présent, ne se rencontre pas encore chez Cyrille ; c’est plutôt une simple présence dynamique quil enseigne : le corps eucharistique dans ses efl’cts est identpiue au corps réel. » Dans le même sens ont opiné Loofs, Abendmahl, dans la Realencyklopàdic fiir prot. Théologie, t. i, p. 55, et Michaud dans la Revue internationale de IMologie, 1902, p. 675. Nous allons voir s’ils ont raison.

Le neveu et successeur de Théophile fait connaître sa pensée sur l’eucharistie dans son interprétation du passage de saint Jean sur les paroles de la promesse et dans sa discussion avec Nestorius ; son commentaire de l’Évangile est littéral ; sa controverse avec Nestorius est caractéristique. Entre alexandrins et antiochiens, le fond du débat n’était nullement le dogme de la présence réelle, qui était admis de pari et d’autre, mais bien la question de savoir si le corps et le sang du Christ, dans rcucharislie, sont vivifiants. Nestorius disait non : on mange sans doute la chair du Christ en souvenir de la passion et de la mort, mais cette chair ne produit pas d’efFet viviliant, parce qu’elle est séparée du Verbe. Saint Cyrille répliquait : celle chair est vivifiante, et elle ne peut l’être qu’à la condition, d’être unie au Verbe qui, lui, est vivifiant par nature. Voyons les textes.

A propos de ce texte de saint Jean : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’honnne, et ne buvez son sang, vous n’avez point la vie en vous-niênics, » Joa., vi. 5), Cyrille écrit : La vie « lui consiste dans la sanctification et la félicité, ceux là seuls en manquent lolakinent qui n’ont pas reçu le Fils par « l’culogic ^

mystique ; » c’est ainsi qu’il appelle l’eucharistie. Le Fils est la vie même par sa nature, et le corps qui lui est uni est vivifiant à raison même de cette union. « Du moment donc que la chair du Sauveur est devenue vivifiante, parce qu’elle est unie à celui qui est la vie par sa nature, c’est-à-dire au Verbe de Dieu, quand nous la mangeons nous avons la vie en nous-mêmes, étant unis à elle comme elle esL unie au "Verbe qui habite en elle. » In Joa., 1. IV, ii, P. G., t. lxxhi, col. 577. La chair du Christ a produit jadis des miracles de guérisons et de résurrections. Si donc « par le seul attouchement de sa chair sacrée, le Christ a vivifié ce qui était corrompu, comment ne recevrons-nous pas une eulogie vivifiante plus riche, quand nous la mangeons elle-même ? » Ibid., col. 577. « Il fallait, en effet, que non seulement l’âme fût renouvelée dans la nouveauté de la vie par le Saint-Esprit, mais encore que ce corps grossier et terrestre fût sanctifié par une participation corporelle conforme à sa nature et qu’il reçût, lui aussi, l’ineorruption. » Ibid., col. 580. Or, c’est la chair seule du Christ qui lui procure cet avantage. « Bien que la mort condamne le corps humain à la corruption, cependant, parce que le Christ est en nous par sa chair, imimçi bi riiJïv ô Xjjccttô ; ocà t7| ; î8^a ; YivsTai (rapxô ;, nous ressusciterons certainement. .. Une étincelle, cachée dans un tas de paille, conserve le germe du feu ; ainsi Notre-Seigneur Jésus-Christ par sa chair cache la vie en nous et l’y conserve comme une semence d’immortalité, oûtco -xal èv ïifiîv xai Cl K-jpio ; ôià Tr-.ç ISc’aç crapvcôç iva7Ta/.p’J71Tet T"r)V ^uir^v, xai (îiijirEpTt (J7rép[ji.a xriçâôavaa-iaç ÈvT ; 0r|<jiv.76/rf., COl.581. Ce n’est certes pas qu’il n’y ait à ressusciter que ceux qui auront reçu la chair du Christ en communiant, car tous doivent ressusciter, mais il s’agit ici d’un privilège à part, celui de la résurrection glorieuse ; car, saintCyrilleradéjànoté, « la vraie viedans leChristest la vie dans la sainteté, le bonheur et la joie sans fin… et c’est celle-là qui est promise à ceux qui auront participé à la chair vivifiante. » Ibid., col. 568. Cette chair vivifiante donne ce que la manne ne donnait pas. Les Hébreux ont bu de l’eau de la pierre, mais sans profit, car « le vrai breuvage est le précieux sang du Christ, qui arrache jusqu’à la racine toute corruption, et tire comme avec un instrument la mort qui habite en la chair humaine. Car ce n’est pas le sang d’un homme ordinaire, mais celui qui, par sa nature, est la vie même. C’est pourquoi nous sommes appelés corps et membres du Christ, parce que, par l’eulogie, nous recevons en nous leFils même de Dieu, wç Sià t ?, ; ejXoyia ; a’JTOv Èv iauToï ; ôiyou.-.’jo : to’/ Tiôv. » Ibid., COl. 584. La communion est donc la réception par l’eulogie du corps et du sang du Christ vivifiés par leur union avec le Verbe-vie, et par là même vivifiant à leur tour le corps du communiant. Il se produit par elle, entre le fidèle et le Christ, une union que Cyrille compare à celle de deux morceaux de cire fondus l’un dans l’autre. Un peu de levain fait lever toute la pâte, dit saint Paul ; ainsi la plus petite eulogie s’empare de tout notre corps et le remplit de sa propre énergie ; et de la sorte le Christ est en nous, et nous sommes en lui. Ibid., col. 584. Il y a là plus qu’une simple union morale par la charité, il y a une participation physique, une fjiOî :  ;  ; çjTtxr, . « Pourquoi, en effet, l’eulogie mystique pénètre-t-elle en nous ? N’est-ce pas pour y faire habiter le Christ corporellement par la communion et la participation de sa chair sacrée ? » o^ioixaTt/tcô ; … zT] i].t<31Hi y.al xotvwvca’riZ àyîaç aÙTOÛ crâpxoi ;. Le Christ ne dit pas seulement qu’il sera en nous par une relation d’affection, mais par une participation physique, -/.a-x (jiBcEiv fjCTixriv. In Joct.. x, 2, P. G., t. Lxxiv, col. 341. Ce n’est pas là pourtant, fait-il observer ailleurs, une union de même nature que l’union hypostatique du Verbe avec son humanité ;

le Verbe ne s’incarne pas en nous comme il s’estincarné en Marie. In Luc, xxii, 19, P. G., t. lxxii, col. 909. Dans l’incarnation, il y a une Évwit ; çvTî/.r, ou /.axa (71p/.a ; dans l’union eucharistique, il n’y a qu’une iT-jvâ.peia -xarà irif/.’ï, une piOpi ; ^’jijiy.r, OU .), r ; "/OL ; à-OT£/ =’. » Ibid., col. 560.

Présence réelle du corps du Christ, puissance vivifiante de ce corps pour le corps de ceux qui le reçoivent, effets merveilleux de la communion, voilà ce que viennent de nous montrer ces textes, tirés pour la plupart du commentaire de saint Cyrille sur saint Jean. En voici d’autres tirés de sa discussion contre les nestoriens. Le Christ « nous assure que celui qui le mange aura la vie. Nous le mangeons véritablement, non en consumant sa divinité. Dieu nous garde d’une telle impiété 1 Nous mangeons seulement cette chair propre du Verbe, qui a été rendue vivifiante parce qu’elle est devenue la chair de celui qui vit par son Père… Nous qui participons à sa sainte chair et son sacré sang, nous sommes entièrement vivifiés, parce que le Verbe demeure en nous, non seulement d’une manière divine par le Saint-Esprit, mais d’une manière humaine par cette sainte chair et ce sang précieux que nous recevons. » Adv. nest., iv, 5, P. G., t. lxxvi, col. 193. Et voici le résumé de sa foi contre les nestoriens : « Nous croyons que le Verbe de Dieu le Père, qui est la vie par nature, s’étant uni au corps animé par une âme raisonnable, engendré par la sainte Vierge, l’a, par cette ineffable et mystérieuse union, rendu vivifiant, afin que, nous faisant participer à lui spirituellement et corporellement, il nous élève au-dessus de la corruption et détruise la loi du péché qui domine dans les membres de notre chair. « Ibid., col. 197.

D’après l’ensemble de ces témoignages, on voit qu’on reçoit le Christ, le pain de vie, dans l’eulogie mystique ou eucharistie ; qu’on mange la chair du Verbe incarné ; que cette chair sacrée, en s’unissant au fidèle, vivifie son âme et dépose en son corps un germe de résurrection glorieuse ; que le Christ s’incorpore à nous physiquement, se mêle à nous comme un morceau de cire à un autre morceau de cire ou comme le levain à la pâte. C’est donc, comme du reste il l’affirme catégoriquement. De adoralione in spiritu et verilate, P. G., t. lxviii, col. 501, que le corps et le sang du Christ sont réellement présents dans l’eucharistie. Mais saint Cyrille enseigne aussi la conversion, et une conversion substantielle. Sur le pain, le Seigneur a dit : « Ceci est mon corps^ » et sur le vin : « Ceci est mon sang, » afin que l’on ne s’imagine pas de croire queccqui se voit est une figure, tj ;  : ov er/aità cpaivriasva, mais que l’on sache bien que, par la puissance ineffable de Dieu, les dons offerts sont véritablement changés au corps et au sang du Christ, jj-eTa-oiEiiTÔa ; ÊÏ ; (70)|j.a v.cii a’ifj.a XpiuToO y.axà xb à), r, Ôs ;. In Mailh., XXVI, 26, P. G., t. lxxii, col. 452.

Steitz, il est vrai, a prétendu. Die Abendmahlslehre, loc. cil., p. 241-242, que ce n’est ni dans le commentaire de l’Évangile de saint Jean, ni dans ses écrits contre Nestorius, que Cyrille a formulé sa vraie pensée, mais bien dans ce texte de son commentaire sur saint Luc : « Dieu transforme les éléments en l’énergie de sa propre chair. » Cette phrase, dit-il, devrait s’entendre ainsi : " De même que le Logos a transformé qualitativement son propre corps en lui communiquant sa puissance vivifiante, ainsi il transforme les éléments en son corps et en son sang, non H65

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pas substanliellement, mais qualitativement, en leur donnant la puissance vivifiante de son corps et de son sang, et en les rendant capables de produire un changement analogue dans les communiants. » Saint Cyrille, par suite, n’aurait pas professé le réalisme, mais un simple dynamisme. Voyons donc ce que dit le contexte : « Il fallait que le Christ vînt en nous divinement par le Saint-Esprit, et qu’il se mélangeât en quelque sorte avec nos corps par sa chair sacrée et son précieux sang ; c’est ce que nous avons eu en eulogie vivifiante comme dans du pain et du viii, « ô ; âv ap-(i> TE y.ai otva). En voyant de la chair et du sang étalés sur les tables saintes de nos églises, nous aurions pu éprouver de la répulsion. Aussi Dieu, par condescendance pour notre faiblesse, communique aux oblats une force de vie et les transforme en l’énergie de sa propre chair, svîtiiti toï ; Ttpoijy.cCfiévoïc Swpoi ; Sjva[xiv swîi ; xal [xe61(7TTiiTiv aura npb ; èvjpyctav t- ?, ; iauToO (Tapxdc, afin qu’ils soient pour nous une communion vivifiante, et que le corps de la vie se trouve en nous comme un germe vivifiant. Croyez fermement que c’est la vérité, car le Seigneur a dit clairement : Ceci est mon corps, » et < Ceci est mon sang. » Recevez avec foi la parole du Sauveur : il est la vérité et ne ment pas. » In Luc, xxii, 19, P. G., t. lxxii, col. 912. Qu’à prendre isolément ce texte, on l’interprète exclusivement d’une énergie divine communiquée au pain et au viii, cela paraît assez difficile, étant donné que saint Cyrille rappelle immédiatement les paroles de l’institution, lesquelles ne parlent pas le moins du monde d’énergie, mais de corps et de sang. A-t-on le droit, d’ailleurs, en bonne critique, d’isoler d’abord tout ce passage de tant d’autres du même Père, qui sont clairs, précis et décisifs, comme le faisait déjà justement remarquer Arnauld contre Aubertin, Perpétuité de la foi, t. ii, 1. V, c. x, p. 548-549 ? On a moins encore le droit de séparer cette phrase de son contexte qui l’éclairé et proteste contre l’interprétation qu’on lui donne. « Il y est dit, remarque le P. Mahé, L’eucharistie et Cyrille d’Alexandrie, dans la Revue d’histoire ecclésiastique, Louvain, 1907, t. viii, p. 695, que Notre-Seigneur doit se mélanger avec nos corps par sa chair sacrée et son précieux sang ; que son corps, par la communion, se trouve en nous comme un germe vivifiant ; qu’il faut croire avec foi et comme une vérité claire la parole du Sauveur : « Ceci est mon corps et ceci est mon sang. > Et que signifie cette condescendance divine ménageant notre faiblesse et ne nous imposant pas de contempler et de manger une chair matérielle ? Si notre docteur n’avait eu en vue qu’une présence dynamique, semblable idée eût-elle pu lui venir à l’esprit ? Lue dans son contexte, cette phrase ne peut pas être invoquée contre la présence réelle ; l’interpréter ainsi serait la mettre en contradiction trop évidente avec ce qui la précède et ce qui la suit. Elle exclut simplement une présence matérielle et grossière comme celle dont se scandalisaient les capharnaïtes, et elle insiste sur le caractère vivifiant de l’eulogie. » Il reste donc que saint Cyrille d’Alexandrie est un témoin très ferme du dogme de la présence réelle ainsi que du dogme de la conver sion, bien qu’il n’ait pas essayé de rendre compte de ce dernier en en poussant l’analyse à fond et en tâchant de résoudre les divers problèmes qu’il soulève. Mais, telle quelle, sa doctrine eucharistique est l’écho de la foi traditionnelle, et Léonce de Byzance, malgré la tentative de Théodoret, saura la faire triompher au siècle suivant. Voir t. iii, col. 2520 252L Cf. A. Struckmann. Die lùtchnristielchre des hcihgrn Cyrill von Alexandricn, Padcrborn, 1010.

4 » Euthcrius de Tyane ([ vers 4.35). — Photius décrit un recueil de 17 discours ou Confulaliones quanim’lam propositionum, qu’il attribue à Théodoret,

mais qui existe ailleurs sous le nom de saint Athanase. M. Ficker a récemment démontré que l’auteur de ce traité est Euthérius de Tyane qui fut, au concile d’Éphèse, avec Jean d’Antioche, un chef du parti nestorien. Déposé par le concile, il ne se soumit pas et il fut exilé à Scythopolis d’abord, à Tyr ensuite. Il avait écrit, d’après Mercator, des discours contre certaines expressions des catholiques. Or les Con/u/af zones dont il s’agit, combattent pour la plupart des expressions de saint Cyrille. Elles ne viseraient pas directement le patriarche d’Alexandrie, mais son parti, et elles auraient été écrites peu après le concile d’Éphèse sous l’impression de cette assemblée, par un évêque de la minorité et avant le commencement de 433. G. Ficker, Eulherius von Tyana, Leipzig, 1908. Or, en même temps qu’il déterminait quel était l’auteur de ce traité, M. Ficker publiait un passage qui manque dans les éditions précédentes. L’auteur y argumente contre » ceux qui osent dire qu’il y a dans l’incarnation une seule nature, visible et invisible, passible et impassible, immolée et éternelle. » Selon lui, le Verbe et la chair sont distincts dans l’incarnation, sans que cette dualité de natures permette de dire qu’il y a deux fils. Si, dans l’homme, le dualisme de l’âme intelligible et du corps sensible n’empêche pas l’unité de personne, la dualité des natures distinctes dans le Christ n’empêche pas l’unité de personne. L’auteur signale d’autres analogies, l’une dans le baptême, l’autre dans l’eucharistie. En cette dernière, le pain mystique est de même nature que le pain commun, produit de la terre, et cependant on croit qu’il est le corps du Christ. Dans sa nature, c’est du pain simplement ; mais a si tu crois que la grâce de l’Esprit lui est unie, tu reçois en vérité le corps du Christ. » Ce pain est donc le corps du Christ xarà y.dtpiv et non pas xat’oO<7 : av. En outre, il n’y a pas deux pains, mais le pain et le corps du Christ sont distincts et coexistent, et celui qui refuse de recevoir le pain se prive de la participation de l’Esprit. Joa., vi, 54. De même, le calice comporte deux êtres, le vin et l’Esprit, bien qu’il n’ait qu’un nom. Le pain et le vin avec l’Esprit forment donc ensemble une seule chose que l’on nomme le corps et le sang du Christ. La conclusion est donc qu’une entité, constituée par deux unités, est une et que l’unité de composition est une raison de nier la distinction des deux unités composantes. Ici, nous avons clairement, avant Théodoret, le dyophysisme eucharistique. Cf. Mgr Batiffol, Nouvelles études documentaires sur la sainte eucharistie, dans la Revue du clergé français, du f’décembre 1908, p. 531-534. 5° Théodoret (f vers 458). — 1. L’idée de conversion pendant la controverse monophysite. — L’analogie qui existe entre le dogme de l’incarnation et celui de l’eucharistie a fait croire que la présence réelle du corps du Christ dans l’eucharistie n’empêche point le pain et le vin de subsister dans leur nature propre. C’est la théorie que Pusey, The doctrine of the rcal présence, Oxford, 1855, p. 83-91 ; Gore, Dissertations on subjects connccled ivith the Incarnation, 3e édit., Londres, 1907, p. 274-276 ; The body of Christ, 3’- édit., Londres, 1902, p. 113 ; et Watterich, Die Gcgemvartdes Hcrrn im heiligen Abendmahl, Heidelberg, 1900, p. 84 sq., ont cru justifiée par un groupe d’écrivains du ve siècle. Mais, tandis que Pusey invoque Théodoret, le pseudo-Chrysostome, le pape Gélase, saint Augustin, Éphrem d’Antioche et Facundus d’Hermiane, Watterich ne retient que Théodoret, la letlreà Césaire et le pape Gélase ; il soutient que la théorie luthérienne de l’impanation ou de la consubstantialion a été la doctrine (le l’Église au ve siècle ; mais il oublie ou néglige Théodore de Mopsuestc, Macarius Magnés et saint Cyrille, dont nous venons de voir les témoignages. Le P. Lcbreton, Le dogme de la transsubstantiation et (38

la christologic antiochienne au v siècle, dans les Éludes, 1908, t. cxvii, p. 477 sq., écarte avec raison saint Augustin et montre, comme nous l’avons déjà noté, que les autres ne font connaître qu’une école et qu’une époque, l’école antiochienne du Ve siècle ; tentative isolée et assez courte, qui n’a pas empêché la doctrine traditionnelle de suivre son cours. L’opinion erronée de Théodoret et des autres provient de la position prise par eux en face du monophysisme et de l’assimilation trop étroite qu’ils ont voulu voir entre le mystère eucharistique et le mystère de l’incarnation.

2. Argumentation de Théodoret contre le monophysisme. — Théodoret, qui avait formulé la théorie de l’incarnation dans ces quelques mots : 6’jo çjasfov î-/ti>n’. ; ctTJyyjz’ic, l’union sans confusion de deux natures, voulut en montrer la vérité en faisant appel au dogme eucharistique. L’eutychicn qu’il combat soutenait que la nature humaine, dans le Christ, a été absorbée par la divine après l’ascension comme une goutte de miel jetée dans la mer est absorbée par la mer, que l’humanité du Sauveur a dès lors perdu sa nature et a été changée en la nature divine et qu’elle n’a plus ce qui caractérise un corps humain ; pour l’établir, il s’appuyait sur le changement qui s’opère dans l’eucharistie, où le pain n’est plus du pain mais devient le corps du Christ. De la réplique de Théodoret il faut retenir que, tandis que le dogme de la présence réelle n’est pas mis en question, celui de la conversion se trouve mal expliqué, sinon nié.

a) Les textes. — « Dans l’institution des mystères, le Christ a appelé le pain corps et le vin sang. — En effet.

— Mais selon la nature, le corps ne peut être appelé que corps et le sang ne peut être appelé que sang. — J’en conviens. — Or, notre Sauveur a changé les noms : il a donné à son corps le nom du symbole et au symbole le nom de son corps. De même s’étant appelé lui-même la vigne, il a appelé le symbole son sang. — Tu dis vrai, et je voudrais connaître la raison de ce changement. — La raison en est claire pour les initiés aux mystères : Jésus-Christ a voulu que ceux qui participent aux mystères ne considérassent pas la nature de ce qu’ils voient, mais que, par ce changement de noms, ils eussent foi dans le changement opéré par la grâce, T/) £y. yàpiTo ; ysvEvrp.Évi, (Jcrago/r. Car lui qui a appelé son corps naturel froment et pain, et qui s’est nommé lui-même la vigne, il a honoré les symboles visibles du nom de corps et de sang, non pas qu’il ait changé la nature, mais parce qu’il a ajouté lagrâce à la nature, où rr, cpj<jiv jj.STaoaXo’iv, a>, ).à ttiV /âpiv t’^ cp-J<T£i Trpo17TE6£iy.(, ’)c. « Eranistes, i, P. G., t. lxxxiii, col. 56. « Dis-moi, les symboles mystiques, qui sont offerts à Dieu par les prêtres, de qui sont-ils les symboles ? — Du corps et du sang du Seigneur. — Du corps réel ou non réel ? — Du corps réel. — Très bien… Si donc c’est du corps réel que les divins mystères sont le symbole, le corps du Seigneur est encore maintenant un corps, il n’a pas été changé en nature divine, mais rempli de gloire divine. — C’est fort à propos que tu as parlé des divins mystères ; car, par eux, je te montrerai que le corps du Seigneur est converti en une autre nature. Réponds donc à mes questions. — J’y répondrai. — Avant l’épiclèse sacerdotale, comment appelles-tu les dons offerts ? — Je ne dois pas le dire clairement, car il y a sans doute ici des noninitiés. — Réponds donc énigmatiquement. — L’aliment fait de tels grains. — Et l’autre symbole, comment l’appelons-nous ? — Ce nom est aussi connu, et signifie breuvage. — Mais, après la consécration, comment les appelles-tu ? — Corps et sang du Christ.

— Et tu crois participer au corps et au sang du Christ ? — Je le crois. — De même donc que les symboles du corps et du sang du Seigneur sont une chose avant l’épiclèse sacerdotale, et après l’épiclèse sont

transformés et deviennent autre chose, de même le corps du Seigneur après l’ascension a été transformé en la substance divine. — Tu es pris dans tes propres filets ; car, après la consécration, les symboles mystiques ne perdent pas leur nature propre, ol/.Ei’a : ç.l17c ;  ; ils demeurent dans leur substance première, TtooTôpa ; oOcia ;, dans leur apparence, c/r.u.aT’vç, dans leur forme, îÏSoj :  ; ils sont visibles et tangibles comme ils l’étaient auparavant. On ne peut que concevoir ce qu’ils deviennent, et le croire, et l’adorer, comme étant ce qu’on les croit, voeÎTai ôk aziç, i- ; i-it-o, /.al -iiTTE-JcTa :, -/.ai -poaxuvEÏTai, m ; èy.cîvz ovTa intr. TiuTTE-Jc-a !. » Enmistes, ii, col. 165-169. « Rappelle-toi ce que le Seigneur (à la cène) a pris et rompu, et de quel nom ensuite il l’a appelé. — A cause des non-initiés, je parlerai mystiquement. Le Christ prit, rompit, partagea à ses disciples, et dit : « Ceci est mon corps donné pour vous. » Puis : « Ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, « répandu pour beaucoup. » — Il n’a donc pas parlé de sa divinité, en présentant la figure de sa passion ?

— Non pas. — Mais de son corps et de son sang ? — C’est vrai. — C’est donc son corps qui a été cloué sur la croix ? — Il le semble. » Eranistes, iii, col. 269-292.

b) La présence réelle. — Ce qui se dégage tout d’abord de ces passages, c’est que la question de la présence réelle ne soulève pas la moindre difficulté entre les deux interlocuteurs. Sans doute Théodoret parle de changements de noms : ces changements s’expliquent-ils de la même manière ? N’y a-t-il pas au contraire une différence caractéristique qui les distingue ? Quand Jésus s’appelle lui-même vigne ou froment, il est évident que personne n’admet qu’il devienne pour autant vigne ou froment, pain ou viii, tout le monde y voyant une métaphore. Mais quand il dit du pain que c’est son corps et du vin que c’est son sang, ce n’est plus une simple métaphore, puisqu’il s’agit alors, comme l’indique Théodoret, d’un changement, invisible mais réel, opéré par la grâce. Or, quelle que soit la nature de ce changement, ce qui est une question distincte et à examiner séparément, le changement des noms en vue de faire croire à ce changement opéré par la grâce suffit pour écarter toute métaphore. Il n’y a donc point parité entre ces propositions : Jésus est appelé vigne, le pain est appelé corps du Christ, parce que c’est métaphoriquement qwe Jésus est appelé vigne, tandis que le pain est appelé corps du Christ au sens propre, le pain étant devenu ce corps. La preuve en est dans la différence des noms donnés aux oblats, soit avant, soit après la consécration et l’épiclèse. Avant, on les nomme du pain et du vin ; après, on les nomme le corps et le sang du Christ ; dans l’intervalle s’est produite une).E-aoo’i.r, , et il faut concevoir par l’esprit, et croire, et adorer comme étant ce qu’on les croit, à savoir le corps et le sang du Christ.

c) La transsubstantiation. — L’accord des deux interlocuteurs est-il le même sur la nature du changement qui s’opère ? Loin de là ; chacun d’eux l’entend à sa manière et c’est le monophysite qui l’entend correctement, sauf ensuite à en tirer une conséquence erronée. « De même, dit-il, que les symboles du corps et du sang du Seigneur sont une chose avant l’épiclèse sacerdotale, et sont ensuite transformés et deviennent une autre chose, de même le corps du Seigneur, après l’ascension, a été transformé en la substance divine. » Le principe est juste, la conclusion fausse. De son côté, l’orthodoxe, c’est-à-dire Théodoret, nie-t-il toute fj.£7aêo/T, ? Nullement ; il se contente simplement de l’expliquer de manière à pouvoir en inférer l’existence des deux natures dans le Christ après son ascension. Ici la conclusion est juste, mais le point de départ ne l’est pas, puisqu’on

affirme qu’après la consécration, les symboles mystiques n’ont point perdu leur nature propre et qu’ils persistent dans leur substance première, dans leurs apparences, dans leur forme. C’est là beaucoup trop dire. Assurément, les termes de nature, substance, essence, n’avaient pas le sens rigoureux et technique que la théologie leur a donné depuis, mais souvent le sens populaire et commun pour designer les qualités, les facultés et les propriétés ; et de ce point de vue, on peut plaider les circonstances atténuantes et admettre que le langage de Théodorct n’est pas contraire au dogme de la transsubstantiation, comme l’ont fait Dupcrron et Arnauld ; mais ce langage est ici trop explicite pour permettre une interprétation aussi favorable ; car Théodoret ne se contente pas de proclamer la persistance des qualités sensibles du pain et du viii, il afïîrme en même temps et au même endroit la permanence de leur nature et de leur substance. Cela ne peut guère s’accorder avec l’idée d’une conversion substantielle, d’autant qu’il nous a déjà avertis que le Christ n’a pas transformé la nature, oj Tr, v cp-j’ïiv aïTaSaXwv. En quoi donc fait-il consister la conversion qu’il reconnaît dans l’eucharistie ? En une [ji£TaSo>.Y) èz yâptTocnous a-t-il affirmé, en disant aussi que le Christ a ajouté la grâce à la nature, tt, v yàoiv TT] s’jrstK r.poT-itir/.MÇ. Sans s’en expliquer autrement, il laisse entendre ce qu’il veut dire, puisque c’est aussi bien son argumentation qui l’exige pour combattre le monophysisme, à savoir que le corps du Christ serait au pain dans l’eucharistie ce qu’est la divinité à l’humanité dans l’incarnation : même distinction’^des deux, sans mélange, et semblable unité. Si le dyophysisme de l’incarnation est prouve, c’est alors par le dyophysisme du pain et du corps dans l’eucharistie, mais ceci supprime toute |j.£Taf, o), vi proprement dite et va à rencontre de renseignement traditionnel. C’est le même point de vue erroné qui se retrouve dans la lettre j’i Césaire du pseudo-Chrysostome.

La lettre’à’Césaire.

Cette lettre, dont|Nægle

avec raison n’a pas fait état dans son Die Eucharislielelire desJil.Joh. Chrysostomus, faussement attribuée à saint Jean Chrysostome, comme l’ont prouvé Le Quien, Dissertationcs Damasc., III, P. G., t. xciv, col. 315-322, et dom Baur, Saint Jean Chrysostome cl ses œuvres dans l’histoire littéraire, Louvain, 1907, p. 272-276, a été écrite contre Eutychès, et dépend vraisemblablement de Théodorct ou d’une ? source commune. Comme Théodoret, elle vise des monophysiles, qui disent que post unitatem non oporlrl dicere duas naturas, P. G., t. iii, col. 759 ; elle soutient des thèses semblables, à savoir que la nature est inconvcrtibilis, impassibilis, ineonfusa, termes qui correspondent à ceux de l’évêque de Cyr, arpsTtTo ;, àuaOr, ;, iTJy/jTo ;  ; et dans le même sens et le même but, elle se sert de la doctrine eucharistique, telle que l’entend l’auteur, pour justifier analogiquement la doctrine christologique des deux natures. Cf. Sallet, Les sources de /"Kpïv’.TtriC (/c Théodorct, ûiirvi la Revue d’histoire ecclésiastique, Louvain, 1905, t. vi, p. 753 ; Lebreton, Le dogme de la transsubstantiation, loc. cit., p. 477 sq. Le concile de Chalcédoine avait défuii l’unité de personne dans le Verbe incarne iv ô>j çOtetiv àti- ; yy-o : , chacune de ces dïux natures gardant sa propriété, iiDlJoii.é’/r, ; ôk tt, ; ’iStÔTyjTo ; i-/.%-pix : (pj-reo) ;. Dcnzinger, Enchiridion, n. 148. Voir t. ii, col. 2207. Conformément à cette doctrine, l’auteur de la lettre à Césaire soutient que « .lésus-Christ est Dieu et homme, Dieu comme impassible, et homme comme ayant soulTcrt. Ce n’est pourtant quun seul Fils et un j seul [Seigneur ( : un et le même sans doute, qui par l’union de ces deux natures n’a qu’une seule domination et une seule puissance, quoiqu’elles

ne soient pas consubstantielles, car chacune d’elles conserve sans mélange les caractères qui la font connaître : ce sont deux natures unies sans confusion. » Mais en preuve, il cite ce qui a lieu, selon lui, dans l’eucharistie. Sicut enim antequam sanctiftcetur panis, panem nominanms ; divina autem illum sanctiftcante gratia, mediante sacerdote, librratus est quidem ab appellalione panis, dignus habitus dominici corporis appellalionc, etiamsi natura panis in ipso pcrmansit, et non duo corpora, scd unum corpus Filii prxdicamus, sic, etc. P. G., t. LU, col. 578. L’auteur regarde donc comme chose acquise que le pain, qui est pain avant la consécration, mérite d’être appelé corps du Seigneur après, parce que la grâce de Dieu l’a sanctifié, et cela quoique sa nature de pain persiste. Mais comment alors entendre ce qui suit, à savoir, qu’on dira un seul corps et non pasrdeux, malgré la persistance de la nature du pain ? Car si le pain reste pain, impossible de dire qu’il n’y ait qu’un corps, il y en a deux, celui du pain et celui du Christ. C’est donc que, par le mot natura, notait Le Quien, n. 83, P. G., t. xciv, col. 1146, l’auteur entendait, non la substance elle-même du pain, mais les propriétés naturelles du pain. Et dans ces conditions. Le Quien avait raison de dire qu’on peut voir dans cette manière de s’exprimer un témoignage en faveur de la transsubstantiation. Dissert. Danmsc, III, 1, col. 322. Cf. Perpétuité de la foi, t. iii, l., V, c. X, p. 319. Mais s’il en est ainsi, l’argument que l’auteur voulait tirer de l’eucharistie pour prouver l’existence des deux natures dans le Verbe incarné, manque de base ; il ne vaut, en effet, que si le pain reste pain, après la consécration, de même que la nature humaine reste la nature humaine après l’incarnation ; et c’est alors, comme dans Théodoret, la même erreur du dyophysisme eucharistique. Quant à la phrase : El non duo corpora, srd unum corpus Filii prædicanms, Mgr Batiffol l’explique par la tentative de l’auteur d’accorder son argument à la christologie de Chalcédoine. L’auteur aurait voulu dire : Comme dans l’incarnation il y a unité de personne dans la’dualité des natures, ainsi dans l’eucharistie il y a unité jlu corps du Christ bien qu’il y ait dualité de natures, le pain et l’élément divin que la consécra lion unit au pain. Mais si l’épître a voulu dire cela, reconnaissons qu’elle ne l’a guère dit. Il reste donc que l’épître à Césaire, pour mieux réfuter le monophysisme, a nié la conversion eucharistique. L’eucharistie, p. 318. Cf. Lebreton, Le dogme de la transsubstantiation, loc. cit., p. 491.

7 » Le pscudo-Dcnys. — L’Aréopagite n’est pas d’un grand secours dans la question de la présence réelle et de la transsubstantiation. On pourrait croire que sa théorie générale de l’union à Dieu éclaire l’union produite par la communion, mais il n’en est rien ; son style est obscur, et l’expression de sa pensée est retenue par la discipline du secret. La description qu’il fait de la synaxe liturgique implique bien la célébration d’un grand mystère, mais sans en indiquer expressément la nature ou l’objet. Il appelle l’eucharistie le sacrement des sacrements, celui qui plus qu’aucun autre est un /.oi/wvi’a et une T^vact ;, parce que plus qu’aucun autre il procure l’union avec Dieu, De ceci, hier., III, 1, P.G., t. iii, col.424, mais il ne dit pasquelle est cette union.’! Il’aiipelle le pain divin et le calice de l’eulogie des symboles sacrés par lesquels le Christ est désigné et donné. Si’tîiv 6 Xpiiro ; rrr [j.aivEtat v.xl tuzi/i-xi. Ibid., III, iii, 9, col. 437. Il représente le pontife lavant ses mains, louant les saintes œuvres de Dieu, rappelant l’ordre : « Faites ceci en mémoire de moi, » consacrant les divins mystères et mettant sous les yeux ce qu’il a célébré’îià tôiv lEp’ôç Ttp.oy.sii. i/wj’jjj.", r, ’i.i>y/ ; puis, par la distribution du pain et du calice, multipliant et donnant symboliquement

l’unité. Ibid., III, iii, 12, col. 414 C’est tout et c’est peu. Le pain et le vin sont des symboles qui désignent et donnent le Christ, ils doivent donc le contenir de quelque manière, mais l’auteur ne dit pas laquelle. Il fait bien remarquer qu’il faut dégager l’intelligible pour contempler sa divine beauté, mais il ne soulève même pas le coin du voile. Et son interprète, Pacliimère, est tout aussi discret ; il parle bien des symboles, mais de symboles qui ne sont pas vides de réalité ; il fait même allusion à la conversion. « Tandis que la plupart ne s’arrêtent, dit-il, qu’à la contemplation des symboles divins, sans aller au delà, le hiérarque porte la vue de son esprit jusqu’aux prototypes de ces symboles, qui sont le corps et le sang mêmes du Seigneur, croyant que les dons offerts (le pain et le vin) ont été changés en eux (en ce corps et en ce sang) par l’Esprit-Saint, TiioTê’Joùv on y.ai ta 7rpoîC£j|j.eva sic èy.sïva jj.£Teê).viOr|(7av tm àYi< ; > xal Ttav-toupyû > nvejixati. » De eccl. hier., III, ii, col. 453.

8 » Succès de la docliinc eiicharisliqiie de saint Cyrille.

— L’argument tiré de l’eucharistie en faveur du dyophysisme de l’incarnation devait être repris par Éphrem, patriarche d’Antioche de 527 à 545, mais sans succès ; il était, en effet, appelé à disparaître. La doctrine eucharistique de saint Cyrille resta, au contraire, traditionnelle parmi les grecs. Une fois que le concile de Chalcédoine eut été reconnu et accepté sous l’empereur Justin († 527), Léonce de Byzance(t vers 543) fit triompher l’enseignement de saint Cyrille, dans ses divers écrits contre les monophysites et les nestoriens. De qui croient-ils recevoir le corps et le sang, demande-t-il à ceux qui pensent comme Théodore de Mopsueste ? Cont. incor. et nest., iii, 43, P. G., t. lxxxvi, col. 1385. Pour lui, c’est bien la propre chair et le propre sang du Christ, la chair qui a été crucifiée, le sang qui a été versé, que l’on reçoit dans la communion mystique du pain de l’eucharistie, tï-jv [iuotixyiv TOÛ Tr)ç E’jyapiTTÎa ; apro-j |X£Ti).r)’! /iv, îôt’a ; crapxôç StâSoCTiv slvat SEixviicriv, Adv. nest., vii, 3, col. 1765 ; chair devenue spirituelle après la résurrection pour nous communiquer une énergie capable de nous ressusciter un jour. Ibid., v, 22, col. 1744. Mais Léonce n’a pas abordé la question de la conversion proprement dite.

Un peu plus tard, dans le même vi'e siècle, Eutychius, patriarche de Constantinople de 552 à 582, se sert encore du mot antitype pour désigner le pain et le vin avant la consécration, et déclare qu’à la cène, le Christ s’est mêlé à l’antitype, à(X(j.î ?a ; iautov Tôj àvTiT’jTto). De paschate ci eucharistia, 2, P. G., t. LXXXVI, col. 2393. Il veut que personne ne doute de la présence réelle du corps incorruptible du Christ depuis la résurrection, et immortel, et saint, et vivifiant, et du sang du Seigneur, introduits dans les antitypes par les prêtres. Que personne ne doute que ce corps « se trouve tout en tous. » Ibid. A côté de cette affirmation du réalisme, conforme à la tradition, cette expression nouvelle, è|ji.|i[|aç, semblerait écarter l’idée d’une |j.îTagoXri ou d’une [xE-aTtoiriO-c ;. En l’employant, Eutychius n’a d’autre but que de montrer que le corps du Sauveur est tout entier et sans division dans l’eucharistie ; il ne prétend pas indiquer le mode précis de cette présence.

Des affirmations semblables se retrouvent dans saint Sophrone de Jérusalem († 638), saint Maxime le Confesseur († 662), deux adversaires du monothélisme, et dans saint Germain de Constantinople († 733), l’adversaire des iconoclastes. Steitz reconnaît en eux des témoins du réalisme. Le réalisme, en efïet, continue à être le point central de l’enseignement eucliaristique chez les Pères grecs. Quant à la théorie de la conversion, elle reste dans l’état où elle se trouvait au ve siècle ; l’absence de toute attaque sur ce

point particulier explique pour une part leur silence. D’autres sujets, imposés par les circonstances, sollicitent leur attention et leurs efforts ; de telle sorte que la théologie de l’eucharistie ne fait plus de progrès en Orient. Et lorsque saint Jean Damascène résume la pensée grecque orthodoxe, il est un écho fidèle de la tradition ; s’il n’introduit pas des éléments nouveaux, il montre du moins ce qui a été éliminé et ce qui a été conservé de la doctrine de ses prédécesseurs. A ce titre, il doit être consulté.

Voir toutefois L’eucharistie chez les nestoriens au vie siècle (d’après les traités syriaques de Mar Qiore), dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, 1907, p. 77-79. La doctrine de Théodoret sur la permanence du pain et du vin dans l’eucharistie a ainsi persévéré chez les nestoriens.

9 » Saint Jean Damascène (f vers 753). — Un premier point sur lequel saint Jean Damascène nous renseigne, c’est que des expressions telles que àvTi’-jTta n’ont été employées jadis que pour désigner le pain et le vin avant leur consécration. De fide orth., iv, 13, P. G., t. xciv, col. 1153. Lui-même s’en sert, non pour laisser croire que les symboles eucharistiques ne sont pas vraiment le corps et le sang du Christ, mais pour marquer qu’ils sont l’image de l’avenir : actuellement ils nous font participer à la divinité du Sauveur, mais ils annoncent pour plus tard la vision intuitive. Ibid., col. 1153. Reprenant la formule de Théodore de Mopsueste et de Macarius Magnés, qu’il ne nomme pas, il écarte donc toute équivoque et dit : « Le pain et le vin ne sont pas une figure du corps et du sang du Christ, mais le corps même divinisé du Sauveur, puisque le Seigneur a dit : Ceci est mon corps, et non : ceci est la figure de mon corps ; Ceci est mon sang, et non : ceci est la figure de mon sang. » Ibid., col. 1148. Pour qu’il en soit ainsi, il faut évidemment un acte de la toute-puissance divine ; mais le Verbe, qui a tout créé, ne peut-il pas le produire ? oj SOva-a : -o/ aptov éa’jToO gû>j.x Tioir^nai, y.al tûv olvov v.a tÔ -jôcop aî[xa ; Ibid., col. 1140. Et si l’on demande comment le pain et le vin deviennent le corps et le sang du Christ, c’est, dit-il, par une intervention du Saint-Esprit semblable à celle qui a eu lieu dans l’incarnation, ibid., col. 1141, et qui dépasse toute parole et toute pensée. C’est vraiment le corps uni à la divinité, le corps né de la sainte Vierge, qui est présent, parce que le pain et le vin sont convertis au corps et au sang du Christ, oxt aÙTo ; ô aproç y.a : oîvo ; [xêTaTco’.oûvTai et ; <jài|j.x xat ataa 0£oC. Ibid., col. 1144. c( Si vous voulez savoir comment, qu’il vous suffise d’apprendre que c’est par l’opération du Saint-Esprit, et de la même manière qui a permis au Seigneur de prendre chair dans le sein de la sainte Mère de Dieu : nous ne savons rien déplus, sinon que la parole de Dieu est véritable, et efficace, et toute-puissante. » Ibid., col. 1145. Présence réelle du corps historique du Christ et véritable conversion, telles sont les deux vérités nettement formulées par saint Jean Damascène : il ne cherche pas à sonder ces mystères, il les affirme tout simplement, en rappelant le fait de l’incarnation et en s’appuyant sur l’intervention même de Dieu.’De même, ajoute-t-il, que naturellement le pain par la manducation, le vin et l’eau quand on les boit, se changent au corps et au sang de celui qui les mange et les boit, de telle sorte qu’ils ne deviennent pas un corps différent de celui qui existait auparavant, de même le pain, le vin et l’eau, préparés d’avance, se convertissent, par l’invocation et l’intervention du Saint-Esprit, au corps et au sang du Christ, et ils ne sont pas deux (corps), mais un seul (corps) et le même (celui de Jésus-Christ). » O’jtiù ; ô tîjç TtpoSiædo ; ap : o ;, o-vo ; -i, x « ’t -j^uip, 6cà xrç èTrixXïiæa) ; y.al èn’.foiTiqo-Eto ; toO â-j-io-j

rivE’Jij.aTO ;, iJTtÊpep’jô) ; [XETanotoîvtat sic fb aû^a to-j Xp’.TToCi -/cat To alfxa, xal o-lx ïiii Siio, à).), ’svxal tÔ aùid. /6/rf., col. 1145.

Le Sauveur étant ainsi présent dans l’eucharistie, le communiant reçoit donc avec son corps sa divinité. « Nous communions, dit saint Jean Damascène, De imag., III, 26, col. 1348, aux deux natures, au corps corporellement ; à la divinité spirituellement ; » T(i’)V o’Jû ç’jiteijOv |j.ôtî/_(0[j.£v, to’j <T(o(jiatoç (r(o|j.aTixâi ;, TÎjç 6£ÔTr)Toc 7 : ve’ju.aTi-/.à)ç. Le communiant mange le corps et boit le sang du Christ, non que ceux-ci se consument, s’altèrent et subissent le sort des aliments ordinaires, mais d’une manière toute spirituelle, c< car la chair du Seigneur est un esprit vivifiant, en tant que conçue par l’esprit vivifiant. Je dis ceci, non pour supprimer la nature du corps, mais pour montrer sa vertu vivifiante et divine. » De ftde orih., IV. 13, col. 1152. Cette Mertu vivifiante du corps eucharistique va-t-elle jusqu’à conférer à notre corps le privilège de l’immortalité ? Saint, Iean Damascène se contente d’en signaler certains effets, tant pour l’âme que pour le corps, comm3 l’entretien, la conservation, la préservation de toute tache, la purification de toute souillure, sans dire un mot de l’immortalité comme avaient fait saint Jean Chrysostome, saint Grégoire de Nysse et saint Cyrille d’Alexandrie. Il signale enfin l’incorporation du fidèle au corps mystique du Christ, car en participant à un pain, oi uâvte ; £v (7’i)|J.a Xp((jToO, v.al ï’i atij.a, y.a à).).r|/.(i)v (j.ê), -/) yivo[j.£Oa, i’j’jrst311.r)i XptuTO’j y pru.aTpovtEç. Ibid., Col. 1153. Telest le résumé de la doctrineeucharistiquerecueillie dans les Pères grecs par saint Jean Damascène. On y trouve des affirmations catégoriques de la présence réelle, du fait de la conversion substantielle, de la nature et des effets de la communion, mais pas la moindre spéculation sur le mode de la présence réelle, sur la nature intime de la conversion : ce sont là, dit- il, des mystères impénétrables : ils sont à croire comme des articles de foi, fondés qu’ils sont sur l’autorité de la parole divine. On s’étonne après cela que Loofs ait pu écrire, Abendmaht, loc. cit., p. 57 : « L’Église grecque a maintenant un dogme de la cène : elle enseigne la présence réelle du corps et du sang du Christ dans l’eucharistie, après la consécration. Elle a maintenant une théorie de la conversion. Car.lean de Damas, qui l’a le premier développé, est demeuré le dogmatiste normal de l’Église grecque. > Car, nous l’avons vii, le dogme de la présence réelle était traditionnel, et ce n’est pas saint Jean Damascène qui l’a formulé, il n’a fait que le constater. D’autre part, saint .lean Damascène n’a nullement développé la théorie de la conversion, il signale simplement le fait miraculeux d’une conversion, sans en dire la nature intime et le propose comme un article de foi. Ce qui est vrai, c’est que Jean Damascène « a formulé la doctrine grecque ne varietur, comme le dit Mgr Batiffol, L’enclutrislie, p. 338, sur l’eucharistie, et que, chose bien remarquable, cette doctrine est en définitive arrêtée dans les mêmes tennes que celle de saint Ambroise. Seulement, tandis que la spéculation théologlquo chez les grecs est finie, chez les latins, au contraire, divisée en deux écoles, celle d’Augustin et celle d’Ambroisc, elle va instituer au ixe siècle une discussion plus approfondie, consacrer le principe de l’identité du corps hislorique et du corps eucharistique, consacrer de même celui de la conversion et préparer la théorie du mode de celle conversion.

VI. A PARTIR nu V^ SIÈCLE, EN OCCIDENT.

1° Saint Au(/us(in († 430). —. Difficulté qu’ocre à première vue sa dorlrinr nirluirisliquc. — D’après la plupart des critiques protestants, saint Augustin occupcr.nit, dans la doctrine eucharistique, à peu près la même position que Hérengor. Harnack prétend

même qu’aucun texte augustinien n’est absolument décisif en faveur de la présence réelle. Dogmengeschichte, 3<= édit., t. iii, p. 148. C’est ce qui ne paraît guère admissible. Cf. Schanz, Die Lehre des hl. Augusiiniis iiber die Eucharistie, dans Tiibinger theol. Quartalschrift, 1896, p. 79-^115 ; E. Tarchier, Le sacrement de l’eucharistie d’après saint Augustin, Lyon, 1904 ; O. Blank, Die Lehre des hl. Augustin vom Sacramente der Eucharistie, Paderborn, 1907 ; P. Batiffol, Études d’histoire, 2’^ série. L’eucharistie, 3’^ éàit., Paris, 1906, p. 226-246 ; K. Ajiam, Die Eucharistielehre des hl. Augustin, Paderborn, 1908 ; Tixeront, /ï is^oiVe des dogmes, de saint Athanase à saint Augustin, 2<’édit., Paris, 1909 ; E. Portalié, art. Augustin, t. i, col.2418-2426. Que la doctrine eucharistique de saint Augustin soit difficile à coordonner en soi, rien de plus vrai, tant les textes paraissent contradictoires et inconciliables. Cela tient non seulement à la difficulté du sujet, non encore étudié sous toutes ses faces et dans tous les problèmes qu’il soulève, et à l’absence d’une terminologie précise, mais encore et surtout au goût des explications allégoriques, aux procédés oratoires de l’évêque d’Hippone, qui le font passer très souvent sans transition du signe à la chose signifiée, du fait concret aux enseignements qu’il contient et suggère, de la cause aux effets ou des effets à la cause. Il convient aussi de ne pas oublier la discipline du secret, à laquelle saint Augustin fait si souvent allusion. Il est également malaisé de mettre d’accord sa doctrine avec celle de saint Ambroise, par exemple, ou de saint Grégoire de Nysse et de saint Jean Chrysostome. Mais « si l’on consent, observe Mgr Batiffol, L’eucharistie, p. 226, à la situer dans sa tradition propre, la tradition africaine, on découvre aussitôt que sa pensée se modèle fidèlement sur celle de Tertullien et deCyprien, dont elle est seulement un état plus réfléchi et plus développé. > Il n’y pas, dans saint Augustin, que de simples allusions à la présence réelle, il y a de nombreux textes qui identifient le pain eucharistique et le corps du Sauveur. Loofs a été obligé de le constater, et ce serait même, dit-il, ce qui a détourné les théologiens postérieurs de toute explication symboliste du mystère eucharistique ; il n’en prétend pas moins que saint Augustin doit s’entendre dans un sens figuré, parce qu’il affirme en certains passages que l’eucharistie est un signe. Or, à moins d’admettre de l’incohérence ou des contradictions dans sa pensée, saint Augustin, même dans les passages visés, qui seront discutés plus loin, n’a nullement abandonné le réalisme pour un symbolisme qui en serait la négation. Le symbolisme dont il parle, loin d’être le symbolisme qu’on prétend y voir, s’explique et se justifie par son concept du sacrement, parfaitement d’accord en cela avec l’enseignement catholique. 2. Notion du sacrement.

D’une manière générale, saint Augustin formule cette importante distinction : aliud est sacramentum, aliud virlus sacramenti. In Joa., tr. XXVI, 11, P.L., t. XXXV, col. IfilL Pour lui, le sacrement est un signe, mais il n’est pas que cela ; il signifie quelque chose de sacré, mais en même temps il confère une grâce. Relativement à l’eucharistie, ce qu’il appelle la sanctification ou la consécration joue un rôle capital : elle fait d’abord des éléments matériels une res sacra, un sacranwntum, un signe, le signe du corps et du sang du Christ. A’o ; i Dominas dubitavit dicerr : Hoc est corpus nieum, cum signum dard corporis.su(. Contra Adimant., xii, 3, P. L., l. xlii, col. 144. Mais elle opère en même temps autre chose : au signe elle ajoute un don qui n’est autre que le corps et le San u du Christ lui-même. Comment ? Par une transformation mystérieuse qui fait que le pain est le corps et que le vin est le sang du Christ. Panis ille quem videtis in allari, sanctificatus per vcrbum Dei, corpus est iivr

EUCHARISTIE D’APRÈS LES PÈRES

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Christi. Calix illc, imo quod hubcl calix, sandificadis pcr verbiim Dci, sanguis est Cluisli. Scrm., ccxxvii, P. L., l. xxxviii, col. 1099. Norunt fidèles qiiUl dicam, noruni Christiim in fraclione panis : non cnini omnis panis, scd accipiens benediclionem Christi, fil corpus Christi. Serm., ccxxxiv, 2, col. IIIG. Saint Augustin ne s’explique pas sur la nature de cette transformation, maisil la qualifie elle-même de miraculeuse. Faisant allusion à ce sacrement, quod ex fruclibus lernv uccepium et prcce myslica consecraluni rite suniimus ad salulem spiritualeni in memoriam pro nobis dominicæ passpiis, il ajoute : quod cum pcr manus hominum ad illam visibilem spcciem pcrducatur, non sanctifieatur ul sil lam magnum sacranjentum, nisi opérante inuisibililcr Spiritu Dei. De Trinilale, III, iv, 10, P. L., t. xlii, col. 873-874. Ainsi donc dans le signe se trouve une réalité, un don objectif, invisible sans doute et inaccessible aux sens, mais vrai, qualifié d’aliment qui nourrit et engraisse, de remède qui sauve, de vie qui vivifie ; don uniquement accessible à l’esprit, à la foi, mais qui n’est nullement créé par la foi, puisque les enfants, incapables de formuler un acte de foi, le reçoivent ; don qui n’est autre que le corps même et le sang du Christ, non point sous leur forme naturelle, telle que l’entendaient les capharnaïtes, quomodo in cadavcre dilaniatur, aul in macello venditur, mais sous une forme à part ou spirituelle, quomodo spiritu vegelatur. In Joa., tr. XXVII, 5, P. L., t. XXXV, col. 1617. Car, après avoir dit : Nisi quis manducaverit carncm meam, nonhabebit in se vitam icternam, proposition qui avait scandalisé ses disciples, parce qu’ils l’avaient comprise slulle et carnaliler, Jésus dit à ses apôtres : « C’est l’esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien ; ces paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. » Et c’est comme s’il avait dit, ajoute saint Augustin : Spiritualiler inlclligile quod loculus sum : non hoc corpus quod videtis, manducaiuri estis, et bibiluri illum sunguinem, quem fusuri suni qui me crucifigent. Sacramentum aliquod vobis conunendavi ; spiritualiler intelleclum vivificabit vos. Elsi necessc sil illud visibililcr celebrari, oporlct tamen invisibiliter inlclliyi. In ps. xcviii, 9, P. L., t. xxxvii, col. 126.

3. Théories et raisonnements d’Augustin qui supposent ou exigent la présence réelle. — A la lumière de cette notion du sacrement de l’eucharistie, s’éclairent certaines théories et certains raisonnements, qui supposent ou exigent la présence réelle, sous peine d’être complètement inintelligibles. Pourquoi, par exemple, l’adoration de l’eucharistie ? A propos de ce verset : Adorate scabellum pedum ejus, Ps. xcviii, 9, saint Augustin remarque que Dieu appelle la terre l’escabeau de ses pieds : Terra autem scabellum pedum meorum, Is., lxi, 1 ; Dieu nous ordonne d’adorer la terre, chose contraire au précepte de la loi ; d’où cette difficulté : Anceps jactus sum : limeo adorare terram, ne damnet me qui fecil cœlum et terram ; rursus timeo non adorare scabellum pedum Domini mei. Pour la résoudre, il répond : Fluet uans converio me adChristum, qui ipsum quæro hic ; et inveni quomodo sine impietate adoretur terra, sine impietate adoretur scabellum pedum ejus. C’est que, dit-il, le Christ a pris la terre de la terre, car la chair est de la terre, et il a reçu la chair de Marie. Et quia in ipsa carne hic ambulavit, et ipsam carnem nobis manducandam ad saluiem dédit ; nemo autem illam carnem manducat, nisi prius adoraverit ; inventum est quemadmodum adoretur taie scabellum pedum Domini, et non solum non peccemus adorando, sed peccemus non adorando. Il s’agit bien là de l’adoration de la chair du Christ au moment de la manger par la communion. In ps. xcviii, 9, P. L., t. xxxvii, col. 126.

Ces autres paroles du psalmiste : Et ferebatur in memibus suis, que signifient-elles ? C’est là chose

impossible, remarque saint Augustin : Quis enini portutur in memibus suis’.' Manibus aliorum potest portari homo, manibus suis nemo portutur. Quomodo intelligatur in ipso David secundum lilleram, non invenimus. Mais ce qui ne s’explique pas littéralement de David s’est réalisé dans le Christ. Quand et comment ? Ferebatur enim Christus in manibus suis, quando, commendems ipsum corpus suum, ait : Hoc est corpus meum. Fercbat enim illud corpus in manibus suis. In ps. XXXIII, enar. i, 10, P.L., t. xxxvi.col. 300. Sans la présence réelle, cette explication n’aurait aucun sens ; car si le Christ ne se portait qu’en image, David et chacun peuvent en faire autant. Saint Augustin y revient, ibid., enar. ii, 2, col. 308 : Cum commendaret ipsum corpus suum et sanguinem suum, accepit in memus suas quod norunt fidèles, et ipse se porlabal quodam modo, cum diceret : Hoc est corpus meum.

De même, sans la préscnoe réelle, la communion des indignes ne s’expliquerait pas, d’après ce qu’en dit saint Augustin. Car si l’eucharistie n’est qu’un simple signe, sans autre, le pécheur, en recevant ce signe, ne mangerait nullement la chair du Sauveur. Or, d’après l’évêque d’Hippone, le pécheur reçoit le sacrement et ce que contient le sacrement, à savoir, la chair et le sang du Christ, mais sans recevoir pour autant la grâce du sacrement, qui est l’union intime du communiant avec le Christ ; il n’est pas dans le Christ, et le Christ n’est pas en lui. « Ce que les indignes reçoivent, et, d’après Augustin, ils reçoivent validement le sacrement, demeure entièrement obscur, prétend Harnack, Dogmengeschichte, t. iii, p. 148 ; et je ne puis souscrire à cette parole de Dorner : « Augustin ne « connaît pour les incroyants aucune manducation du « corps réel et du sang du Christ. » L’obscurité n’est pourtant pas dans le texte ; car il s’agit bien de la manducation de la chair du Christ, de celle dont l’apôtre dit que les pécheurs qui la pratiquent mangent et boivent leur propre jugement, de celle à laquelle prit part Judas, de celle à laquelle prennent encore part tant d’autres corde ficto. Seulement saint Augustin refuse de voir réalisée en ces pécheurs la parole du Christ : In me manet, et ego in illo. In ps. i.xxi, 17, P. L., t. xxxvi, col. 453 ; par défaut de bonnes dispositions, ils pèchent au lieu de se sanctifier.

Pourquoi enfin le conseil donne aux incontinents, celui de s’abstenir de péché avant de communier, si le Christ n’est pas réellement présent dans l’eucharistie ? La communion impose la chasteté : Jam nosti pretiiim luum, jam nosti quo accedis, quid manduces, quid bibas, imo quem manduces, quem bibas. Abstine te a fornicationibus. Serm., ix, 4, P. L., t. xxxviii, col. 85.

4. Fausse imputation de symbolisme.

Pur sj’inbolisme, prétendent les critiques protestants. Et Loofs a eu soin de recueillir les textes qu’il croit probants, et dont il fait la base de son interprétation symboliste. — a) A la dernière cène, le Christ n’aurait pas donné son corps à manger, ni son sang à boire, mais une simple figure de son corps et de son sang, car Augustin a dit : Corporis et sanguinis sui fig.ram diseipulis conmiendauit et tradidit. In ps. iii, 1, P. L., t. XXXVI, col. 73. De même, dans l’eucharistie, il n’y aurait qu’une figure du corps et du sang. Or, c’est négliger la distinction de saint Augustin entre le signe et la chose signifiée, entre le signe sensible et l’élément invisible, entre le sacramentum panis ou la natura panis, comme on disait, les espèces comme nous disons aujourd’hui, et le contenu du sacrement, le corps réel du Christ. Saint Augustin a raison de dire que le signe est le symbole du corps, mais en tant que signe seulement, car il ne dit nulle part qu’il n’y ait là qu’un signe vide de toute réalité ; il affirme tout au contraire, comme nous l’avons vii, qu’en plus du signe il y a la

chose signifiée, à savoir, le corps et le sang du Christ, l’un contenant l’autre et lui servant de véhicule, de telle sorte que celui qui reçoit le signe reçoit en même temps ce que le signe contient. — b) On insiste : dans sa théorie générale des signes sacramentaux, saint Augustin dit que ces signes reçoivent le nom des réalités à cause d’une certaine ressemblance avec ce qu’ils représentent, sans quoi ils ne seraient pas des sacrements. C’est ainsi qu’on appelle le vendredi saint le jour de la passion, et le dimanche de Pâques le jour de la résurrection, bien que la passion et la résurrection n’aient eu lieu qu’une fois dans le passé. Sicut ergo sccundum quemdam modiiin sacramentum corporis Christi corpus Christi est, sacramentum sanguinis Chrisii sanguis Christi est, ita sacramentum fidei fides est. Epist., xcviii, 9, P. L., t. XXXIII, col. 364. Sccundum quemdam modum, c’est-à-dire selon une certaine manière, et non selon toutes ; car, à propos de l’eucharistie, il peut être question de la passion et de la communion. Or, relativement à la passion, il est vrai de dire que le sacrement du corps du Christ est selon une certaine manière le corps du Christ, à savoir, le corps immolé, crucifié, puisqu’il en est la memoria ; mais reste l’autre manière, dont il n’est pas question ici et qui est sous-entendue, à savoir, que pour la communion le sacrement du corps du Christ est réellement le corps vivant, glorieux et vivifiant du Christ. Celle-ci laissée de côté, il suffit que la première soit vraie pour autoriser le rapprochement établi par saint Augustin entre l’eucharistie et le baptême, et lui permettre de conclure : ita sacramentum fidei fides est. .Mais cette analogie partielle entre l’eucharistie et le baptême ne supprime point dans l’eucharistie ce qui en fait le sacrement qui est, contient et donne le corps du Christ. De plus, il ne faut pas oublier la distinction posée par saint Augustin entre ce qui est apparent et ce qui est invisible, entre ce qui tombe sous les sens et ce qui se croit. « Si nous restons dans l’ordre du visible, dit Mgr Batifiol, L’eucharistie, p. 240, le pain évoque l’idée de chair secundum quemdam modum, et l’on pourra dire que le pain est la chair sccundum quemdam modum. Le langage d’Augustin est, pris ainsi, d’une clarté parfaite, car il est dans l’ordre du sacramentum, c’est-à-dire du visible. Pour tirer de ce texte le symbolisme radical que l’on veut prêter à Augustin, il faudrait anéantir la distinction posée par Augustin lui-même entre ce qui se voit et ce qui se croit, entre le signe et la res dont le signe est le véhicule. » — c) Autre texte : De sacramenio sane quod accipil (catcchumenus), cum ci bene commendalum Jueril, signacula quidem rerum divinarum esse visibilia, sed rcs ipsas invisibiles in eis honorari ; nec sic hahendam esse illam spcciem benedictione sanctiflcatam qucmadnwdum habctur in usu quolibet ; dicendum eliam quid significcl, et sermo ille quem audivit, quid in illo condiat, cujus illa res simililudinem gerit. Deinde monendus est ex hac occasionc ut si quid etiam in Scripluris audiat quod carnaliter sonel, etiamsi non intclligil, crcdut lamen spiriluale aliquod significari quod ad sanctos mores futuramque vilum pcrlincal. De calcch. rud., 50, /’. L., t. XL, col. 344. Il s’agit, dans la première partie de ce passage, du rite du sel que l’on donnait à goûter aux catéchumènes. « On se trompe donc, remarque Mgr Batifîol, L’eucharistie, p. 241, à trouver ici une allusion à la communion. Sans doute, il n’échappera à personne que, dans ce sacramentum salis, se retrouvent tous les éléments d’un sacramentum, c’est-à dire d’un signe matériel signifiant une chose divine ou religieuse… L’analogie est manifeste entre ce sacramentum et tous les sacramenta, et je comprends l’usage que M. Loofs pourra faire de cette analogie. Mais cette analogie est tout extérieure, parce qu’elle porte sur le sacramentum, et que la distinction demeure, ici encore, entre le

signe et la rcs dont le signe est ailleurs le véhicule. Quant aux conséquences que l’on veut tirer du conseil donné par Augustin d’entendre spirituellement ce qui, dans l’Écriture, sonne charnellement, il ne s’applique pas plus au sacrement du sel qu’au sacrement de l’eucharistie : il vise l’histoire sainte que l’on enseigne aux catéchumènes, et dans laquelle les traits qui sont charnels et choquants doivent être compris spirituellement pour être édifiants : ce conseil ne projette pas sur le mystère de l’eucharistie la « lumière crue » que M. Loofs a saluée, parce que ce conseil vise tout autre chose que l’eucharistie. » — d) Comme preuve d’une présence purement symbolique du Christ dans l’eucharistie, d’après saint Augustin, on allègue les textes relatifs à une manducation spirituelle. Il est très vrai que saint Augustin parle d’une manducation spirituelle ; mais c’est qu’il entend écarter une manducation semblable à celle qui a lieu chaque jour pour les aliments ordinaires. In ps. xriii, 9, P. L., t. xxxvii, col. 126 ; De docl. christ., III, xvi, 24, t. xxxiv, col. 74-75 ; In Joa., tr. XXVII, 11, t.xxxv, col. 1621. Le communiant est celui qui manducat in corde, non qui premil dente. In Joa., tr. XXVI, 12, col. 1612. Ni le corps du Christ ne se mange, ni son sang ne se boit de cette manière ; ce qui se mange et j se boit ainsi, ce sont les espèces consacrées ou, comme disait saint Augustin, le signum, le sacramentum. Quant au corps et au sang, leur manducation dans la communion se fait in figura, mais ils n’en sont pas moins réellement reçus par le communiant grâce au signum, au sacramentum, ou aux espèces consacrées, qui, en même temps qu’elles en sont le symbole, les contiennent réellement. Et ainsi de la manducation matérielle des saintes espèces on ne peut pas conclure à la manducation capharnaïte du corps et du sang du Christ, pas plus que de la manducation spirituelle du corps et du sang du Christ on ne peut conclure à une présence purement symbolique ou figurative de ce corps et de ce sang : l’ensemble de la doctrine de saint Augustin s’y oppose formellement. — e) Reste enfin la difficulté tirée du corps mystique du Christ auquel se réduirait le symbolisme eucharistique. A entendre Harnack, Dogmengeschichtc, t. iii, p. 144, et Loofs, Leitfaden zum Sludium der Dogmengeschichlc, Halle, 1895, p. 224, la sanctification ou consécration n’aurait d’autre effet que de faire du pain et du vin le signe de cette chose invisible qui est l’incorporation du communiant au corps mystique du Christ, c’est-à-dire à l’Église. Corpi/s C/iri.s/i si vis intcUigerc, aposlolum audi dicenlem : Vos estis corpus Christi. Si ergo vos cstis corpus Christi et membra, myslerium vestrum in mensa dominica positum est ; myslerium vestrum accipilis. Serm., cci.xxii, P.L., l. xxxviii, col. 1247. Certes, saint Augustin n’était point honnne à répudier un tel enseignement. Avec raison il voit dans l’eucharistie le symbole du corps mystique du Christ, auquel il faut appartenir pour participer à la vie, et dans la comnumion l’acte par lequel on devient membre de ce corps mystlciue ; et c’est i)Ourquoi il l’appelle le sacramentum pietatis, le signum unitatis, le rinculun} carildlis. In Joa., tr. XXVI. l.’J, /’. L., t. xxxv, col. 1613 ; et c’est pour<iuoi dans ce même sermon il montre l’unité de l’Église formée de la multitude des frères comme le pain est formé d’un grand nombre de grains et le vin de plusieurs grajjpes ; et il a droit de conclure que le (Christ a consacré sur sa table notre mystère, le mystère de l’unité. Mais ce n’est là que la conséquence logique, l’apijlication parfaitement justifiée de cette aulre vérité déjà proclamée et mise en lumière dans ce même sermon, à savoir, la présence réelle du corps et du sang du Sauveur, quand il a dit : l’anis ille qucm vidclis in altari sanctificalus pcr vcrhuni Dei, corpus est Chri.iti, etc. Le sens littéral, qui aflirnie

d’abord categoriqucment la présence réelle, n’empêche nullement d’en découvrir et d’en manifester un autre tout symbolique, celui du corps mystique du Christ. Il y a d’abord le mystère du corps et du sang réels du Christ donnés sous les symboles du pain et du viii, et l’incorporation du communiant au Christ lui-même, qui, par la vertu du sacrement, devient principe de vie divine. Il y a ensuite le mystère du corps mystique, ceci conséquence de cela, car c’est parce que les communiants, en recevant le sacrement, sont incorporés au Christ et vivent du Christ qu’ils forment ensemble un seul corps mystique, l’Église.

5. En résumé, saint Augustin est un témoin du réalisme. S’il parle de figure, de mémoire, ce n’est pas à propos du corps et du sang, mais simplement du signe ou du sacrement, qui figure le corps et le sang, et qui rappelle la passion du Sauveur ; car il a soin d’indiquer que sous le signe ou dans le sacramenium se trouve réellement le corps du Christ, lequel est réellement reçu par celui qui reçoit le signe, et est reçu dans un état spirituel. Le pain, la consécration faite, n’est plus du pain, mais le corps du Christ. Quant à la question de savoir comment le pain cesse d’être et devient le corps du Sauveur, et quelle est la nature intime du changement qui intervient, l’évêque d’Hippone ne l’a pas traitée.

2° Saint Pierre Chnjsologue († 450). — Parmi les autres Pères latins du ve siècle, le dogme eucharistique reste au point où l’ont laissé saint Ambroise et saint Augustin. Saint Pierre Chrysologue n’ofi’re que des allusions à la présence réelle. Iste partis, qui saius in Virgine, jermenialus in carne, in passione confessas, in fornace coctus sepulcri, in ecclesiis conditus. Hiatus altaribus cselestem cibum quotidie fldelibus subministrat. Serm., lxvii, in tradit. oral, dominicæ, P. L., t. lii, col. 392. « C’est dans le sacrement du corps du Seigneur que Dieu veut qu’on lui demande le pain qui est nécessaire pour chaque jour, et qui est comme le viatique dont nous avons besoin durant le pèlerinage de cette vie, afin que, étant soutenus par cette chair divine, nous puissions parvenir au jour éternel, à la table céleste de Jésus-Christ, et qu’après en avoir goûté dans la vie présente nous en soyons pleinement rassasiés dans la vie future. » Serm., Lxviii, col. 395. Rogas, Pharis ! re, ut manduces cum illo, crede, esta christianus et manducas ex illo. Serm., xcv, col. 417.

3° Saint Léon († 461). — A la même époque, le pape saint Léon, sans faire de choix entre la doctrine de saint Ambroise et celle de saint Augustin, s’en tient à la lettre même de l’Évangile. Le Seigneur ayant dit : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’avez point la vie en vous-mêmes, Il vous devez prendre part à la table sainte sans le moindre doute sur la vérité du corps et du sang du Christ. Hoc enim ore sumitur quod flde crediiur, et frustra ab illis Amen respondetur, a quibus contra id quod accipitur disputatur. Serm., xci, 3, P. L., t. liv, col. 452. Saint Léon s’appuie sur la foi en la présence réelle pour réfuter le monophysisme. L’erreur eutychienne, refusant d’admettre qu’après l’incarnation l’humanité du Christ fût réelle, rendait illusoire la communion puisqu’elle disputait contra id quod accipitur. Saint Léon dit : Fides catholica… istas impietates réfutât, damnans Nestorium divina ab homine dividentem, détestons Euiychen in divinis humana vacuantem. Serm., xci, 2. Et dans sa lettre au clergé de Constantinople, antérieure au concile de Chalcédoine, il touche à l’un des effets de la communion, de cette distribution mystique d’aliment spirituel, qui est, dit-il, de nous assimiler au Christ, de nous faire passer en la chair de celui qui pour nous s’est fait chair. In illa mystica distributione spiritualis alimonias

impartitur, hoc sumitur, ut accipienies virtutem cælestis cibi, in carnem ipsius qui caro nosira factus est transeamus. Epist., lix, 2, col. 868. C’est la doctrine qu’il enseigne dans l’un de ses sermons : Non aliud agit participali corporis et songuinis Christi, quam ut in id quod sumimus Ircmseamus. Serm., lxiii, 7, col. 357. 40 Fauste de Riez (y vers 492). — La xvi « (ou iv « ) homélie du pseudo-Eusèbe d’Émèse Sur le corps et le sang du Christ, publiée dans la Biëliotheca maxima Patrum, Lyon, 1677, t. vi, p. 636-637 ; P. L., t. xxx, col. 271-276, est attribuée maintenant à Fauste, évêque de Riez. Voir Engelbrecht, Sludien iiber die Schriften des Bischofs von Reii Fauslus, Vienne, 1889, p. 68. L’intérêt principal de cette homélie est que le pain et le vin y sont dits convertis et changés en la substance du corps et du sang du Christ. Aussi M. Dar^vell Stone attire-t-il l’attention des théologiens sur ce point important de doctrine. An history of the doctrine of the holy eucharisl, Londres, 1909, t. i, p. 129-131. Cette homélie représente une tradition doctrinale, qui est en partie grecque et en partie ambrosienne. Il parle de la substance du pain avec une propriété ignorée de saint Ambroise et dérivée des controverses de l’époque de saint Cyrille d’Alexandrie. P. L., t. xxx, col. 275. Il parle de la transformation des éléments terrestres et mortels in Christi substantiam. Ibid., col. 272. Il professe que l’hostie véritable unique et parfaite doit être jugée, flde, non specie. Ibid. La langue théologique a acquis sous sa plume ses termes définitifs. Après avoir rappelé que la création s’est faite par la seule volonté de la puissance divine, il attribue à une parole de Dieu la conversion des éléments créés au corps du Christ. Quando benedicendæ verbis cselestibus creaturæ sacris altaribus imponuntur, antequam invocationem sancii nominis consecrentur, substanlia illic est panis et vifui : post verba autem Christi corpus et sanguis Christi. Ibid., col. 275. La terminologie, empruntée à saint Ambroise, est plus précise que celle du De mysteriis. Un autre texte sur la conversion des créatures visibles en la substance du corps et du sang du prêtre invisible par sa propre parole : Accipite et comedite, hoc est corpus meum ; Accipite et bibite, hic est sanguis meus, et par une puissance secrète, est de la même frappe. II a acquis une grande célébrité. Nous le verrons cité, sous le nom d’Eusèbe d’Émèse, par Paschase Radbert, par Haymon d’Halberstadt, par Hériger, abbé de Lobbes, par Guitmond d’Aversa. RecueiUi par Gratien et par Yves de Chartres, il a passé d ; ns les Sentences de Pierre Lombard et par elles chez tous les scolastiques. C’est donc à un écrivain du ve siècle que les docteurs latins, à partir du ixe siècle, ont emprunté les termes les plus précis sur la conversion, disons mieux, sur la transsubstantiation, moins le mot. Cf. Mgr Batifïol, Nouvelles études documentaires sur la sainte eucharistie, dans la Revue du clergé français, du l^’décembre 1909, p. 537-540. 5° Le pape Gélose († 496). — Dans son traité De duabus naturis in Christo aduersus Eutychen et Nestorium, dans Thiel, Epistolæ romanorum pontificum genuinæ, Braunsberg, 1868, le pape Gélase veut justifier la doctrine du concile de Chalcédoine, l’union des deux natures dans l’unité de personne ; à l’exemple des antiochiens et dans le même courant d’idées, cf. Saltet, Les sources cfe /"Eoav.(j--/, ; de Théodoret, toc. cit. ; Lebreton, Le dogme la transsubstantiation, toc. cit., il appuie trop, pour combattre le monophysisme, sur l’analogie tirée du dogme eucharistique. Son prédécesseur saint Léon avait très bien formulé la doctrine christologique dans sa lettre à Flavien : Salva proprietale utriusque natures et substontiæ, et in unam coeunte personam, suscepta est a majestate humilitas… Tenet sine defectu proprielatem suam utraque naiura. Epist., xxviii, 3, P. L., t. liv, col. 763. Or, c’est pré

cisément ce que Gélase croit pouvoir justifier par une analogie tirée de l’eucharistie : Certe sacramenta quæ sumimus corporis et sanguinis Chrisii divina res est, propter quod et pcr eadem divinæ efficimur consories naturae ; et tamen esse non desinit substantia vel natura panis et vint. Et cette imago et simililudo corporis et sanguinis Chrisii in actione mysteriorum celebrantur. Satis ergo evidenter ostendiiur hoc nabis in ipso Christo Domino sentiendum, quod in ejus imagine profitemur, celebranms et sumimus : ut sicut in hanc scilicet divinam, transeunt, Sancto Spiritu perficiente, substantiam, permanentes tamen in sua proprietate naturæ (ou permanente in sua proprietate naturæ, d’après Tliiel ; ou permanentes in suæ proprietate naturæ, d’après Mirbt, Quellen zur Geschichte des Papst/liTTis, Leipzig, 1901, p. 68), sic illud ipsum mijsterium principale, cujusnobis efficientiam virtutemqueveraciter représentant, ex quibus constat proprie permanentibus, unum Christum, quia integrum verumque permanere demonstrant. Thiel, Epistolæ, p. 541, 542. Bien que le pape Gélase se serve, comme Théodoret et le pseudo-Chrysostome des mots image et similitude du corps et du sang du Christ, il ne les entend pas au sens purement symbolique de signes vides de toute réalité, puisqu’il y voit une divina res, une divina substantia, qui rend les communiants divinæ consortes naturæ ; le dogme de la présence réelle ne saurait donc être mis en doute. Il parle même d’un passage du pain et du vin, sous l’action du Saint-Esprit, en la substance divine ; et si le verbe transire n’a pas nécessairement le sens de conversion, on ne peut pas dire qu’il l’exclue. Mais ce qui est une difficulté, c’est que la nature ou la substance du pain et du viii, tout en passant en la substance divine, n’en persiste pas moins : esse non desinit. S’il en est vraiment ainsi, l’argument tiré de l’eucharistie porte contre le monophysisme. Mais en est-il bien ainsi ? C’est ce que conteste l’auteur de la Perpétuité de la foi, t. iii, 1. V, c. x, p. 315 sq., qui traduit ainsi la fin de ce passage obscur : « Comme par l’opération du Saint-Esprit, ces choses (le pain et le vin) passent en cette substance divine, quoique leur nature conserve ses propriétés, elles nous marquent aussi que ce mystère principal (l’incarnation), dont elles nous rendent présentes l’elTicace et la vertu, , consiste en ce que, les deux natures demeurant pro-’’prement, il n’y a qu’un Christ, qui est un, parce qu’il I est entier et véritable. » Assurément, à ne tenir compte I que de la première anirmation : esse non desinit sub-Istantia vel natura pemis et vint, le passage du pain et Jdu viii, sous l’action du Saint-Esprit, in divinam substantiam, n’est pas une transsubstantiation. -’Nous n’avons pas ici, dit le P. Lebreton, la doctrine précise de la transsubstantiation, mais nous avons moins encore la théorie de l’impanation. » Le dogme de la transsubstantiation, loc. cit., p. 491. Mais à expliquer cette première aiïirmation par celle qui suit : permanentes in sua proprietate naturæ, la pensée est alors correcte, puisqu’il n’y a que les propriétés du pain et du vin qui demeurent ; et ceci se concilie fort bien avec l’idée d’une conversion substantielle. Mais, dans ce dernier cas, l’analogie qui permettrait de conclure de ce qui a lieu dans l’eucharislie à ce qui a eu lieu dans l’incarnation, n’existe pas, et l’argument manque de base. Quelle qu’ait été la pensée exacte du pape Gélase, il faut convenir que l’expression qu’il lui a donnée est assez obscure ; et fallût-il admettre une erreur chez lui, il est à peine besoin de faire remarquer que ce serait l’erreur du docteur privé, et nullement celle du pape dans une définition de foi.

fi » Après le pape Gélase. — L’explication donnée par le pape Gélase reste un fait isolé et unique dans l’Eglise latine. Elle n’a laissé aucune trace ; ni les Pères qui suivent, ni le pape saint Grégoire le Grand

(† 604) n’y font la moindre allusion. C’est l’enseignement traditionnel, celui de la présence réelle et d’une conversion qui s’opère dans l’eucharistie, qui continue à être proposé, mais sans qu’on y apporte de nouvelles explications ou une analyse plus pénétrante. Dans l’Éghse grecque, saint Jean Damascène, qui a résumé et recueilli la pensée orthodoxe des Pères d’Orient, nous a montré ce qui avait été éliminé et ce qui avait été conservé ; l’Église latine ne possède pas, à la fin de l’ère patristique, un auteur qui ait rempli le même rôle pour les Pères d’Occident. Or, en Occident comme en Orient, mais pour des motifs différents, la doctrine eucharistique ne progresse plus ; elle reste en l’état où l’avaient laissée saint Ambroise et saint Augustin, jusqu’à l’époque carolingienne. Les Pères latins subissent tour à tour ou simultanément l’influence de l’évêque de Milan ou celle de l’évêque d’Hippone. Les Africains, cela se comprend, restent fidèles à la pensée de saint Augustin ; tels, par exemple, saint Fulgence de Ruspe († 533) et Facundus d’Hermiane (f vers 572). En Espagne, saint Isidore de Séville († 633) s’en fait aussi l’écho ; mais la doctrine eucharistique de saint Ambroise trouva aussi des partisans dans saint Césaire d’Arles († 542), saint Grégoire de Tours († 593), saint Germain de Paris († 576) et saint Grégoire le Grand. « Il ne faudrait pas conclure des témoignages de ces écrivains, observe MgrBatifïol, L’eucharistie, p.341, que le courant augustinien dominait en Espagne, tandis que le courant ambrosien dominait en Italie et en Gaule. La réalité est moins simple. Les deux courants se rencontraient et s’entrecroisaient un peu partout, et on en a une preuve dans les liturgies. » La vérité est qu’aucun Père latin n’a fait la synthèse de l’enseignement eucharistique de saint Ambroise et de saint Augustin ; du vi^^ au ixe siècle, on se contenta de répéter ce qu’avaient dit l’un ou l’autre, sans songer à les harmoniser et à mettre de l’unité dans l’exposé différent de leur doctrine. La tendance était pourtant à une conciliation, et elle se manifesta pratiquement dans les prières liturgiques. On trouve, en effet, dans les diverses liturgies de cette époque, des expressions comme celles-ci : Corpus accipere, sumere, edere ; corpori communicari et sanguini ; sanguinem potare, bibere, haurire ; leur sens réaliste est bien conforme à la tradition. Il en est d’autres : spirituolis cibus ; spirituales epulæ ; spiriluale poculum ; spiritualitcr corpus sumere ; refeclio divini mijslerii ; cœlestis cibi virtus ; cselestis mensæ substantia ; deliciæ mensæ cœlestis ; remedium immortalitatis ; imago sacramenti ; celles-ci se ressentent, de l’influence augustinienne. Quelle que soit la différence qu’elle présentent, elles s’autorisent toutes, soit de la doctrine de saint Ambroise, soit de celle de saint Augustin. « La renaissance carolingienne trouva la doctrine eucharistique à ce point d’indécision, dit Mgr Batiffol, L’eucharistie, p. 346, et cette indécision elle-même sollicitée de se résoudre en deux partis extrêmes et nouveaux. »

Travaux anciens : Valentia, De reali Chrisii præsentia in eucharislia et de Irnnssiibslanlialiniie, IngolstacM, 1587 ; Examen et re/afalio prKcipiii mi/slerii doctrinfr colvini’starum de re ciirharistica, Ingolstadt, 1589 ; Bcllarniin, L>isputaliones de conirovcrsiis fidci adversiis luijus temporis li « reticos, t. iv, De eiicliaristia et sacrificio misss’libri.sex, Venise, 1724 ; Duporron, Trailé du S. S. de Veiicitarislic, Paris, 1622 ; Coeffetoau, l.n dé/en.ie de la sainte eucltaristic el présence réelle du corps de Jésus-Christ contre la prétendue apologie de la cène publiée par Pierre Dumoulin, ministre de Cliarenlon, Paris, 1607 ; Massuct, S. Ircnai opern. Piiris 1710, diss. III. a. 7, n. 74-101, P. G., t. vii, col. : 121-.^.-, 8 ; ’Touttde, S. Ciirilli Hieros. opéra, Paris, 1720, diss. III, c. ix-xi, P. G., t. xxxiii, col. 21, ’?-276 ; Le Quien, Disserlatalione. i damasreniree, IH, P. G., t. xc.i, col..’U.’") sq. ; Iluet, Origenis commentaria in S..Scripluram, Rouen, 1668. Origeniana. I. ii, c. ii, q. xiv, I’. G., t. xvii, col.l076-T088 ; ArnauUl, Perpéluilé de la foi de f Eglise catholique sur feu183 EUCHARISTIE D’APRÈS LES MONUMENTS DE L’ANTIQUITÉ CHRÉTIENNE 1184

(baristie, Paris, 1669-1674 ; Boilcau, De adorationc eucliarislim, Paris, 1685 ; Darrcl, A Irealise o/ Uxe rcal présence, Londres, 1721 ; de Cordemoy, J a méthode dont les Pères se sont servis en traitant des mystères, Paris, 1083 ; Traité de l’eucharistie, Paris, 1686 ; Duguel, Traité dogmatique sur l’eucharistie, Paris, 1727 ; Gerbert, 371eo/ogia velus et nova circa præsenliam Christi, Fribourg-en-Brisgau, 1756 ; Kôhlcr, Ilislorische Abhandhing ither dicWorie des Erlësers im letzen Abendmahl, Mayence. 181 : i ; TtôWmgcr, Die Eucharistie in den drei ersten Ja/ir/mnrfeWc/i, Ratisbonne, 1826 ; Rotliensco, Die Abendmahlslehre durch katholisclie und nichtkatholischc Zeugnisse aller und neuer Zeit beleuchtel, Mayence, 1830 ; Régler, Die Eucharistie nach Schrift und Tradition, Bamberg, 1845 ; Wiseman, 1 ectures on the real présence of Jésus Christ in the blessed ei(c/i « ris(, Londres, 1842.

Travaux récents : parmi les protestants : Pusey, The doctrine of the real présence as contained in the Fathers, Oxford, 1855 ; Steitz, Die Abendmahlslehre der grieschischen Kirche in ihrer geschichilichen Entwickelung, dans Jarbucher far deustche Théologie, 1864-1868, t. ix-xiii ; Harnack, Le/irfcuc/i (/f/’Doffmengesf/ncft/e, 3e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1894 sq. ; Loofs, leitfaden zum Sludiuni der Dogmengeschichte, Halle, 1893 ; art. Abendmahl, dans la Realencyklopàdie fiir protestantische Théologie und Kirche, 3e édit., t. i, p. 38 sq. ; J. Réville, Les origines de l’eucharistie, Paris, 1898 ; Gore, Dissertations on subjects connecled with the Incarnation, 3e édit., Londres, 1907 ; The body of Christ, 3e édit., Londres, 1903 ; Watterich, Die Gegenwart des Herrn im heiligen Abendmahl, Heidelberg, 1900 ; W. B. Frankland, The earhj eucharist (A. D. 30-180), Londres, 1902 ; J. Hoffmann, -Dos Abendmahl im L/rc/instoiJum, Berlin, 1903 ; A. Andersen, Das Abendmahl in den zwei ejslen Jahrhundcrten nach Christus, Giessen, 1904 ; 2e édit., 1906 ; M. Goguel, L’eucharistie, des origines à Justin, martyr, Paris, 1910 ; — parmi les catholiques : Schanz, Die Lehre des hl. Augustinus iiber die Eucharistie, dans Theologische Quartalschrifl, 1896, p. 79-115 ; ’Nægle, Die Eucharislielehre der hl. Johannes Chrysoslomus, Fribourg-en-Brisgau, 1900 ; Hehn, Die Einsetzung des hl. Abendmahls, als Beweis fiir die Gotlheit Clvisti, Wurzbourg, IQOO iScheiwUer, Die Elemente der Eucharistie in den ersten drei Jahrhunderten, Mayence, 1903 ; A. Struckmann, DieGegenwart Christi in der hl. Eucharistie nach den schriftlichen Quellen der vornicànischen Ze17, Vienne, 1905 ; Blank, Die Lehre des hl. Augustinus vom Sakramenie der Euchwistie, Paderborn, 1906 ; Mahé, L’eucharistie d’après saint Cyrille d’Alexandrie, dans la Revue d’histoire ecclésiastique, Louvain, 1907, p. 677-690 ; Adam, Die Encharistielehre der hl. Augustin, Paderborn, 1908 ; Rauschen, Eucharistie und Busssakrament in den ersten sechs Jahrhunderten der Kirche, Fribourg-en-Brisgau, 1908 ; trad. franc., par Decker, Paris, 1910 ; Baur, S. Jean Chrysostome et ses œuvres dans l’histoire littéraire, Louvain et Paris, 1907 ; A Struckmann, Die Encharistielehre des hl. Cyrill von Alexandrien, Paderborn, 1910 ; Batiffol, Études d’histoire, 2° série. L’eucharistie, la présence réelle et la transsubstantiation, 3^ édit., Paris, 1906 ; Taxeront, LIistoire des dogmes, 2’^ édit., Paris, 1909 ; J. Lebreton, art. Eucharistie, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique de d’Alès, Paris, 1910, t. I. col. 15671576.

G. Bareille.

III. EUCHARISTIE D’APRÈS LES MONUMENTS DE L’ANTIQUITÉ CHRÉTIENNE. — I. Les monuments. II. Leur valeur au point de vue du dogme, du culte et de la liturgie.

I. Les monuments. — Ils sont de trois sortes : représentations symboliques, monuments épigraphiques et autres que nous ne citerons que dans la seconde partie.

i. iiErnÉSENTArjONs SYMBOIJOUES. — Les symboles de l’eucharistie se divisent en deux classes, selon qu’ils ont ou qu’ils n’ont pas de prototypes bibliques.

— 1° Prototypes bibliques. — 1. La muUiplication des pains et des poissons. Matth., xiv, 15 sq. ; Joa., vi, 1 sq. — Les scènes qui représentent ce sujet, et dont les plus anciennes mêlent encore au symbolisme des détails réalistes, se sont développées à peu près dans l’ordre suivant. Ce qu’on a d’abord eu en vue, c’était la communion symbolisée par le repas de la foule. Il fallait donc représenter le repas où l’on servait du pain

et des poissons. La présence, en nomlire variable, des paniers symboliques montre le caractère surnaturel et merveilleux de la nourriture. Les assistants sont régulièrement au nombre de sept, nombre sacré, choisi à dessein pour indiquer l’ensemble des fidèles. Par exception, on en voit douze sur une fresque du ive siècle. Wilpcrt, MaUreien, p. 539, pl. 267. D’après Wilpert, le monument le plus ancien en date est la Fractio panis, découverte en 1893, à Sainte-PrisciJIe. La fresque (fig. 2) montre le moment qui précède immédiatement la communion. Un homme barbu, assis sur un petit banc, tient dans ses mains un pain. Devant lui un calice et deux plats avec deux poissons et cinq pains posés sur une table en forme de sigma, à laquelle sont assis six convives, dont une femme portant le voile. La peinture remonte aux premières années du ii*e siècle. Wilpert, Malereien, p. 286, 287, pi. 15, n. 1 ; Fractio panis, édit. franc., p. 8 sq.. pi. xiii-xiv. La multiplication miraculeuse se retrouve en miniature sur une paroi de la crypte de Lucine, à la catacombe de Saint-Cahxte. De chaque côté d’un médaillon, dont la peinture, aujourd’hui détruite, représentait probablement le repas sjTnbolique de la communion, on voit, placé devant le poisson couche sur le sol, un panier rempli de pains et dont le milieu est occupé par un verre rempUde vin (fig. 3). La fresque est de la même époque que la précédente. Wilpert, op. cit., p. 288, 289, pl. 27, 28. Ailleurs, c’est l’acte de manger ou le repas, qui forme le centre de la composition, par exemple, à Saint-Galixte, dans les chambres dites des sacrements A^ et A^ qui ne sont postérieures que de quelques années à la fresque de la Fractio panis. Wilpert, op. cit., pl. 14, n. 3 ; 15, n. 2 ; 41, n. 4. Dans l’une (A^), on voit (fig. 4), à la suite deux scènes symboliques du baptême, la scène dite de la consécration où un homme étend les mains pour bénir les pains et les poissons posés sur un trépiedautel, à la droite duquel une orante est debout (fig. 5), puis le repas symbolique de la multitude représentée par les sept, et, faisant pendant à la consécration, le sacrifice d’Abraham. Voir 1. 1, col. 104, fig. 5. Sur la voûte de la chambre A^, le trépiedautel revient encore (fig. 6). l est chargé de deux pains et d’un poisson et entouré des sept paniers symboliques. Sur le mur on a peint, après les scènes symboliques du baptême, le repas des sept disciples sur le lac (fig. 7).

Dans les autres chambres des sacrements qui ne sont postérieures que de quelques années aux deux premières, il ne reste plus que le repas symbolique : le réalisme a disparu. — Avec le iiie siècle, le repas disparaît à son tour. Sur un grand nombre de monuments, la scène biblique prend la forme suivante : le Christ, muni généralement du bâton de thaumaturge, touche im des paniers placés devant lui ou à ses côtés et opère ainsi le miracle. Sur les 28 (29) peintures romaines publiées par Wilpert, six appartiennent encore au iiie siècle. Op. cit., p. 292-300. Enfin, Jésus est représenté bénissant les pains et les poissons que lui présentent les apôtres pour qu’il les multiplie. Cela fait, ils les emportent avec empressement pour les distribuer aux foules absentes. Cette dernière composition se rencontre fréquemment sur les sarcophages du ive siècle. Nuovo bulleltino, Rome, 1901, t. VII, p. 271, pl. x ; 1904, t. x, p. 273 ; Marucclii, I monumenlidelmuseo crisiiano Pio-Laleranense, ^Milan, 1910, passim ; Le Blant, Étude sur les sarcopimges chrétiens antiques de la ville d’Arles, Paris, 1878, pl. i, III, X, XXII, etc.

C’est à tort que certains auteurs ont contesté le symbolisme eucharistique de la multiplication des pains et, en partie aussi, du miracle de Cana, dont nous parlerons bientôt. Baumstark, dans VOriens chrisiianus, 1903, t. iii, p. 539 ; Kaufmann, Handbuch DICT. DE THÉOL. CATHOL.

V. - as 1187 EUCHARISTIE D’APRÈS LES MONUMENTS DE L’ANTIQUITÉ CHRÉTIENNE 1188

der cliristtichen Arcltâologie, Paderborn. 1905, p. 383. Pour la généralité des monuments, surtout pour ceux des premiers siècles, l’interprétation symbolique ne saurait être douteuse. L’Écriture la favorise en faisant suivre le miracle de la multiplication^deila promesse de l’institution de ce sacrement. Les Pères en parlent comme d’une chose connue et reçuejpar tous, par exemple, Origène et Éphrem, en Orient, saint Anibroise et le poète Prudence, en Occident. Cf. P. Syxtus, Noliones archœologiæ christianæ, t. ii b, p. 43 sq. En outre, certains détails dans les monuments mêmes montrent que les artistes ont voulu représenter autre

3. — Poisson de la crypte de Lucine. D’après Wilpert, Die Malereien, pl. 28, n. 1.

chose que le simple fait bibhque : le lien intime de nos scènes avec les scènes certainement symboliques du baptême, par exemple, à la chambre A^ de Saint-Calixte ; l’éti-oite compénétration, sur plusieurs monuments du iii « et du ive siècle, de la multiplication des pains avec le miracle de Cana ; le nombre sacré de sept convives par opposition au nombre variable des personnes présentes à d’autres repas ; l’absence très fréquente du personnage principal, le Christ, qui dans l’eucharistie reste invisible ; la présence d’une table et d’un calice qui ne figurent pas dans le récit biblique ; la place qu’occupent ces peintures, par exemple, à Sainte-Priscille et à Alexandrie, où elles se trouvent sur la frise de l’abside, directement au-dessus de l’autel ; le remplacement des paniers bi Leclercq, art. Agape, dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne, t. i, col. 775. Or il est certain que cette peinture ne fait pas d’exception. Ce que nous’venons de dire pour les autres vaut également pour celle-ci. Sa place directement au-dessus de l’autel, le nombre sept des assistants, la présence des sept paniers’symboliques de l’Évangile, l’absence de la Charité et de la Paix personnifiées qui, dans les scènes du repas

5. —.utel eucharistique.

D’après Wilpert. Die Malereien, pl. 41, fig. 1.

céleste, remplissent le rôle de servantes, la présence d’un calice à anses, le caractère certainement symbolique des scènes avoisinant la Fractio panis, tout, en un mot, parle en faveur du symbolisme purement et simplement eucharistique de cette peinture si ancienne et exclut le repas céleste et la simple agape. 2. Le repas des sept disciples sur les bords du lac. — Dans saint Jean, xxi, 1 sq., le repas des sept qui suit

4. — Scène de la consécration. D’après DeRossi, Roma sotterranea, t. ii, tavola d’aggiunta, C. D.

bliques par Varca domestique, dans laquelle les chrétiens conservaient chez eux le corps du Christ ; le trépied en guise d’autel ; la présence assez fréquente de l’orante, dont nous connaissons la signification ; les mains des disciples couvertes, par respect, des extrémités des vêtements, comme l’exigeait une prescription positive pour les femmes qui recevaient la communion, etc.

Pour la Fractio panis en particulier, on a voulu nier complètement, ou du moins diminuer la signification eucharistique. Liell, Fractio panis oder cœna cselestis ? Trêves, 1903 ; Theologisch-praktische Quartalschriji de Linz, t. lvii (1904), p. 170-175 ; Kaufmann, dans le Katholik de Mayencc (1903), t. lxxxii, p. 414-421 ; Bauinstark, dans Oriens christianus, 1903, t. iii, ’p. 539 ;

la pêche miraculeuse se compose d’un poisson et d’un pain. Les Pères y ont vvi un symbole eucharistique, par exemple, saint Augustin, vers 416, In Jva., tr. CXXllI, P. L., t. xxxv, col. 1966, et, vers 440, l’auteur du traité De promissionibus et prædicaiionibas Dei, c. II, , 39, n. 90, P. L., t. li, col. 816. Le premier dit formellement : Per quem (septenarium numerum)potest hoc loco nostro universitas intelligi fignrata ; le second affirme du Christ qu’il est satians ex se ipso in litorc discipulos et loti se offerens mundo i/Ow. Cf. Dôlger, IXOYC, p. 41, 42. Une seule fresque de la fin du ii'e siècle, exactement reproduite pour la première fois par Wilpert, représente cette scène (fig. 7). Elle se trouve à la chambre dite des sacrements.V directement après une_double scène symbolique du 1189 EUCHARISTIE D’APRÈS LES MONUMENTS DE L’ANTIQUITÉ CHRÉTIENNE 1190

baptême et renfermée avec elle dans un même encadrement. Les disciples sont dans le costume de pêcheurs, c’est-à-dire nus pour la partie supérieure du corps, ce qui permet de les distinguer des sept qui, dans les autres scènes de repas, représentent la multitude. Wilpert, Malercicn, p. 290, 291, pl. 27, n. 2. C’est à tort que dom Leclercq n’y voit qu’un sujet « purement historique » . Dictionnaire d’archéol. chrél., t. iii, col. 159, note 1.

3. Le miracle de Cana.

Le rapprochement qui

G. — LiUi’Tul’jii a’i_’C ïL’i-t. I --.

D’après Wilpert, Die Mulereien, pl. 38

existe entre le changement de l’eau en vin et le changement du vin au sang du Sauveur a été fait de bonne heure par les Pères. S. Cyprien, EpisL, lxiii, 12, P. L., t. IV, col. 383 ; édit. Harlcl, t. iii, p. 710 ; S. Cyrille de Jérusalem, Cal., xxii, 2, P. G., t. xxxiii, col. 1098 ; S. Ambroise, £)c virginibus, 1. III, c. ï, P.L., t. XVI, col. 219 ; Wilpert, op. cit., p. 301.

Toutefois, les représentations du miracle ne sont

vraiment fréquentes que sur les œuvres de sculpture

et cela à une époque où leur signification symbolique

.est souvent plus ou moins elïacée. Deux fresques qui

{le montrent sont à la catacombe des Saints-Pierre douze paniers. A droite, figure la deuxième scène, le repas. L’inscription TAC eYAOTIAC TOY ITy (XpilîToO ) Il eCOIONTeC, « ceux qui mangent les eulogies du Christ » , en précise le sens. A gauche, on aperçoit un autre repas. Les inscriptions fe (IHCOYC), H AriA MAPIA (sainte Marie), HAIAIA (les serviteurs) rappellent les noces de Cana. Enfin, la place au-dessus de l’autel de la crypte souterraine est également un indice de la signification de la composition et de son symbolisme eucharistique. Cf. Leclercq, dans le Diclion. d’archéol. chrél., t. ii, col. 18021811.

4. Allusions aux miracles de Cana et de la multiplication des pains. — Une fresque du cimetière

SYMTRoFHTon

8. — -Marbre de Modène. D’après une photographie.

Ostrien montre seulement sept paniers et deux amphores. Sur une autre, à Sainte-Domitille, de la première moitié du ive siècle, une orante placée intentionnellement entre les paniers et amphores doit indiquer les effets de l’eucharistie. Wilpert, op. cit., p. 304, 305, pl. 60, n. 2 ; 92, n. 1. Une troisième, à Saints-Pierre-et-iNIarcellin, est de la même époque : le Christ est assis sur un trône ; dans la main gauche il tient le rouleau ouvert des Écritures. A sa droite, on voit trois larges amphores ; à sa gauche, une caisse carrée remplie de pains remplace les corbeilles. A juger d’après le geste de la main, Jésus prononce le durus sermo dont parle saint Jean, vi, 67. Sur la cassette d’argent des Saints-Nazaire-et-Celse, à Milan, le Maitre est en plus entouré de onze disciples. Le monument

Fresque du cubicule A*. D’après ilpcrt. Die Malereieti, pl. 27, n. 2.

et-Marccllin, l’une de a première moitié du iii « , l’autre du milieu du iv siècle. Wilpert, Malereien, [). 3n2-.304, pl. 57 et 126, n. 1. Le pendant de la multipiicrilion des pains, voire même la compénctration des deux scènes qu’on rencontre ici et ailleurs, prouve que le peintre pensait à la consécration du pain et du vin et l’image du repas qui y figure éveille dans l’âme du visiteur l’idée qu’on a voulu rapprocher par là le banquet eucharistique de ses deux symboles. Wilpert, op. cit., p. 303. Dans la fresque d’Alexandrie, dont l’âge exact n’est pas facile à déterminer, le.symbolisme est encore plus clair. Des trois sujets qui la I omposent et qui sont séparés par des arbres, la multiplication des pains et des jjoissons occupe le milieu. Pierre et André, désignés nommément, présentent les vivres à Jésus ; aux pieds du Sauveur on voit les

est de la seconde moitié du ive siècle. Venturi, Storia delV arte italiana. Milan, 1901, t. i, p. 513, fig. 44R ; Leclercq, dans D/c/i’o/i. d’archéol. chrét., t. ii, col. 1807, 1808, lig. 1985. Sur d’autres monuments, il y a encore moins de détails. Deux jjoissons et cinq pains figurent sur deux lampes de Salone, sur une fresque d’Alexandrie, sur deux cornalines publiées par Garrucci et reproduites par le P. Leclercq, sur deux marbres funéraires du iiie siècle, l’un au musée Kirchcr de Rome, l’autre à Modène(lig. 8). Wilpert, Fraclio panis, p. 86 ; Leclercq, dans le Diciion. d’archéol. chrél., t. I, col. 1151 ; Leclercq, Manuel d’archéologie chrétienne, Paris, 1907, t. ii, p. 379, 380, fig. 289, 290 ; Perret, Les catacombes de Rome, Paris. 1852, t. v, ])]. 47, n. 18 ; pl. 57, n. 8 ; dom Leclerc(|, dans le Dictionnaire, 1. 1, col. 84, fig.’20 (peu exacte). Notons, pour 1-191 EUCHARISTIE D’APRÈS LES MONUiMENTS DE L’ANTIQUITÉ CHRÉTIENNE 1192

le dernier marbre, que sur la pierre originale les poissons ne tiennent nullement un pain dans la bouche. Sur l’épitaphe romaine de Titus Flavius Eutychius, du niii e siècle, on ne voit que deux pains et deux poissons. Nuovo bullel., ’Romc, 1904, t. x, p. 156 ; Leclercq, dans le Diction, d’archéol. clirét., t. ii, col. 2422. Ont-ils une signification eucharistique ? Un graffito sur un marbre de Sainte-Agnès, publié par Armellini, Gli anlichi cimileri cristiani di Romae d’italia, Rome, 1893, p. 270, n’a peut-être qu’une signification eschatologique. Enfin, le sarcophage priscillien d’Euelpistus, du IIe siècle, présente cinq pains et, à la place des poissons, le symbole de l’ancre. Wilpert, Fraclio panis, pi. XV, n. 2.

5. La manne du désert.

Une seule fresque nous fait voir quatre Israélites, deux hommes et deux femmes, recevant la manne qui tombe du ciel. Wilpert, op. cit., p. 388, pl. 242, n. 2. On a voulu y trouver un symbole de l’eucharistie. De Rossi, Bullellino di archeol. crist., édit. ital., Rome, 1863, p. 76, 80 ; Garrucci, Sloria deU’arte, t. ii, p. 64, pl. 59, n. 2 ; Kaufmann, Handbuch, p. 342 ; Marucchi, Éléments d’archéologie chrétienne, Paris et Rome, 1900, t. i, p. 293, et d’autres. Wilpert, loc. cit., préfère une explication plus naturelle, favorisée par les peintures avoisinantes. Le seul détail des mains voilées qui semble s’y opposer trouve son explication dans le fait que les Israélites reçoivent la manne dans les plis de leurs manteaux.

6. Le sacrifice d’Abraham.

Ce sujet, qu’on rencontre dans les plus anciens monuments, présente une grande variété dans la composition. Sa signification symbolique dépend plus particulièrement du contexte, c’est-à-dire de l’ensemble dont la scène fait partie, du lieu où elle se trouve, de l’agencement des groupes. Dans les cas ordinaires, le sacrifice d’Abraham n’a qu’une signification sépulcrale ou funéraire et rappelle la prière si ancienne de la Commendatio animæ : Libéra, Domine, animam servi tui, sicut liberasti Isaac de hostia et de manu patris sui Abrahæ. Wilpert, op. cit., p. 350. De même, le sacrifice d’Abel qu’on rencontre sur quelques sarcophages romains, si toutefois il ne s’agit, dans ce dernier cas, que d’une simple représentation historique. Ficker, Di> altchristlichen Bitdwerke des Laterans, Leipzig, 1890, n. 164, 151 ; Baumstark, /.j’/urffj’a romana c liturgia delV esarrato, Rome, 1904, p. 167. Aux tombeaux des martyrs, le sacrifice d’Abraham pourrait symboliser le caractère sacrificatoire de leur mort. Wilpert, op. cit., p. 354. Enfin, sa signification comme symbole du Christ est trop bien fondée sur les témoignages des Pères et les textes Uturgiques pour pouvoir être contestée. Voir 1. 1, col. 101 sq. ; Leclercq, danse Dict. d’archéol. chrét., t. i, col. 1Il sq. ; Wilpert, Dos Opfer Abrahams, dans Rômische Quartnlscbrift, 1887, t. i, p. 143-160. Dès lors donc que ce sujet est mis en relation avec des scènes eucharistiques, il semble tout naturel d’y voir une indication de l’interprétation qu’il faut lui donner, par exemnle, quand on le rencontre sur des monuments, pyxides et autres, qui excluent la signification funéraire. Wilpert, Fractio panis, p. 65 sq. ; Malereien, p. 287.

7. Les sacrifices d’Abel, d’Abraham et de Melchisédech. — Nous les voyons sur les mosaïques de Ravenne. Ils symbolisent sans aucun doute l’eucharistie, ainsi que le prouve la très ancienne prière Supra quæ, après l’élévation. Baumstark, op. cit., p. 167, pl. 1, 2, 4. Le dernier sujet figure déjà sur les mosaïques de Sainte-Marie-Majeure, qui sont bien plus anciennes. Son symbolisme est évident. Voir Richter et Taylor, The golden âge of classic cliristian art, Londres, 1904, p. 58 sq., pl. 5.

8. Les vivres apportés à Daniel.

Dans ce prétendu

symbole eucharistique, qu’on ne rencontre que très rarement, nous ne voyons que l’expression de l’assistance divine que les survivants demandent au ciel ))our les défunts, conformément à la prière de la Commendatio animæ : Libéra animam servi tui, sicut liberasti Danielem de lacu Iconum. Wilpert, Malereien, p. 335 sq. On a relevé le fait que dans un cas le Ijrophcte porte un pain et un poisson. Mais c’étaient là les éléments de la nourriture ordinaire qui, en outre, étaient très faciles à représenter. Dans un autre cas, il s’agit d’une lampe chrétienne de Carthage : nous avons probablement alTaire à une simple représentation d’un fait biblique. Revue de l’art chrétien, 1892, n. 675 ; Le Blant, Sarcophages de la ville d’Arles, Paris, 1878, p. 11, 12 ; Leclercq, dans le Diction, d’archéol. chrèL, t. i, col. 3012, fig. 1042.

Autres symboles.

1. "L’Ichlbys ou Poisson

symbolique. — Les monuments d’Abercius et de Pectorius et d’autres, ainsi que les écrits des Pères, nous apprennent que le poisson symbolise aussi le Christ dans l’eucharistie. Mais comme sa signification n’est pas partout la même, on ne devra lui attribuer un sens eucharistique que quand le contexte y oblige. Dôlger, IXGYC, t. i, p. 122-150 ; le t. ii traitera in extenso cette question.

2. La vigne.

On la voit à la voûte d’une galerie de Sainte-Domitille qui est de la fin du i*’siècle. Wilpert, Malereien, pl. 1. Plus tard, on la rencontre assez fréquemment. Il est certain que la peinture de Domitille ne symbolise aucunement l’eucharistie, comme le prétend Marucchi. Le dogme de l’eucharistie, p. 9, 10. C’est une peinture purement décorative, dont l’élégance et la fraîcheur rappellent les fresques pompéiennes.

3. Les cerfs buvant à la source ; les colombes becquetant des raisins ; le vase où se désaltèrent des oiseaux, colombes ou paons. — Ces représentations, sauf exception, ne paraissent qu’à partir de la fin du ive siècle. On les a rapportées à l’eucharistie, par exemple, Marucchi, Die Katakomben und dcr Prolestantismus, p. 38, 53 ; Le dogme de l’eucharistie dans les monuments des premiers siècles, p. 20 ; Leclercq, dans le Diction, d’archéol. chrét., t. i, col. 1052. En réalité, ces représentations symbohsent la joie céleste après laquelle on soupire, ou la vie au sein des délices dont jouissent les bienheureux. Une simple comparaison avec d’autres monuments, par exemple, avec les fresques du Cubiculum dei cinque santi, à Saint-Calixte, impose cette conclusion. Wilpert, op. cit., p. 462, 463. Le jet d’eau au milieu du vase, le remplacement des colombes par des paons perchés sur les bords du vase, les fleurs qui les entourent et d’autres détails excluent tout symbolisme eucharistique. Il en est autrement pour les cas assez rares où on voit un ou deux paons boire dans un calice, sur lequel sont posés des pains, par exemple, sur une lampe romaine et sur une épitaphe du iiie siècle, conservée au Latran. Leclercq. dans leDic/ion.rf’arc/iéoI. c/7ré/., t. ii, col.l611, fig. 1882 ; Perret, Les catacombes t. v, pl. 57, n. 8 ; Ficker, Die altchristichen Bildwerke des Laterans, p. 122, n. 174 b. On peut encore admettre comme assez probable le symbolisme eucharistique pour les quelques lampes dont le disque montre un vase accompagné d’un poisson. Le musée Lavigerie de Carthage en possède une. Deux autres sont publiées dans l’Ephemeris Salonilana. pi. iii, n. 1 ; une quatrième dans Martigny, Diclionnaire des antiquités chrétiennes, 2e édit., p. 772. Par contre, on hésitera beaucoup plus à se prononcer sur les représentations assez nombreuses où on a dessiné le Chrismon ou la croix soit sur le ventre du vase (caUce), soit au-dessus. WUpert, op. cit., p. 463 ; Schnyder, dans le SrptoivaT’.ov àpyjx’-oXôyiy.ov, Rome, 1900, p. 108-118. Sans doute, la présence de ce signe 1193 EUCHARISTIE D’APRÈS LES MONUMENTS DE L’ANTIQUITÉ CHRÉTIENNE 1194

indique que c’est le colice du Christ ou qu’il en est le contenu. Mais le Christ fera encore notre bonheur au ciel dont le vase est le symbole. Donc, encore ici, du moins dans la plupart des cas, la signification eucharistique est d’autant plus douteuse qu’une confrontation de ces figures avec certaines mosaïques africaines du iv « et du ve siècle, publiées par R. de la Blanchàre et reproduites par dom Cabrol, ou avec certaines fresques données par Wilpert, ne parle pas en sa faveur. Leclercq, dans le Diction, d’archéol. cbréi., t. I, col. 716-720 ; Wilpert, op. cit., p. 463. Il en est tout autrement d’un grafïito, dessiné au v^ ou vi"’siècle sur le mur du temple de la Alater Matuta, appelé vulgairement temple de Vesta, à Rome, qui représente un calice orné d’une croix ctoilée, deux pains et un

seul, ou à côté d’une brebis ou d’une orante au paradis. Wilpert, op. cit., pl.24, 96, 158, n. 2, 163, n. 1. Dans toutes ces peintures on ne doit voir qu’une représentation plus ou moins raccourcie du bonheur du ciel. Pourquoi, en effet, les arbres : côté des brebis àSainte-Lucine et ailleurs, surtout quand d’autres scènes qui font pendant montrent le jardin céleste ? Le pet t tertre, loin de figurer un autel, n’est qu’un motif artistique Inventé par le peintre pour faire mieux voir le vase. La houlette et le vase de lait sont précisément les attributs bien connus du bon Pasteur. Une brebis avec le pedum se voit même dans la catacombe juive de la Vigna Randanini, à Rome, Garrucci, Storia delV arlc, pi. 489, n. 8 : ce qui prouve que dans certains cas on n’a peut-être qu’à y voir un motif purement décoratif.

i

9. — Peinture du cimetioie de Saiiat-Calixte. D’après De Rossi, rtoma sotterranea, t. ii, pl. xii, llg. 1.

verre. Grisar, dans Civillà’cattolica, 1897, t. ix, p. 721731 ; Leclercq, dans le Dic/jon. d’archéol. chrét., t. ii, col. 1619, fig. 1894.

4. Le vase de lait ou ta muktra.

On le’^'rcprésente de plusieurs manières. Une première nous le montre posé sur un petit tertre et flanqué de deux brebis, par exemple, sur une fresque de.^la crypte de Lnrinc (ng. 9), de la première moitié du ii"e siècle, et dans la maison chrétienne du Cclius, à^Rome, du milieu du IV » siècle. Wilpert, Matcrcicn. pl. 24, p. 24 ; Ue Rossi, Roma notlermnea, t. i, pl. xii, ^p. 348’sq. ; Id., Bulletlino di arcti. crist., 1890, p. 27, 28 ; Leclercq, dans le Diction. d’arclicol. clirét., t. ii, col. 28.’), 3, fig. 2268. Une autre disposition nous fait voir une brebis avec le bvton ou pedum auquel est suspendu un, seau de lait, par exemple, sur deux fresques de Domilllle, l’une de la fin du i<", l’autre du iiie siècle. Wilpert, op. cit., p. 24, pl. 7, n. 2 ; Garrucci, Storia drU’arlr, t. ii, pl. 29, 1. Notons ici (luon ne voit pas sur la fresque des Saints-Pierrc-ct-Marcellin le vase posé sur le dos de la brebis et entouré du nimbe, tel que le donnent nos manuels d’archéologie. Wilpert, op. cit., p. 142 ; Id., Die Kniakomhengemutde und ilirc altrn Knpien. Fribourg, 1891, pl. XXVI. Ailleurs, le vase est représenté

lùihn, les textes cités en faveur de l’opinion traditionnelle se rapportent précisément bien plus au bonheur du ciel qu’à l’eucharistie, ^’olr les développements de Wilpert, op. cit., p. 24, 444 sq., 461.

3 » La ircsque de la Vigna Cassia. — Une représentation à part est celle du cimetière de la Vigna Cassia, à Svracusc. Fuhrer, Forscintngen zur Sicilia sotterranea, Munich, 1897, p. 112 (782) sq. et pl. xi, n. 2. Elle est du commencement du iv siècle. Sur le fond blanc et iiarsemé de roses et de feuilles d’un arcoso e qui renferme un tombeau d’enfant, on aperçoit mi petit garçon dans l’attitude des orantes. A la droite, figure un homme assis à la manière des Orientaux et habillé à peu près de même : on dirait une divinité orientale. Sa main gauche tient une pahuc contre la l)ollrlnc, le coude s’appuie sur le genou. La droite présente à l’enfant un calice en verre rempli à moitié d’une substance rougcâtre. Au -dessus du verre, un pain rond avec entailles. Une colombe avec un rameau d’olivier ( ?) est placée à droite du personnage assis. Dans ce deniicr, Fuhrer croit reconnaître le Christ représenté d’une manière Inusitée. olr une figure dans uie pose à peu près semblable et tenant également


calice en verre dans la droite, dans_Holdcttl, _Ossfri>a1195 EUCHARISTIE D’APRÈS LES MONUMENTS DE L’ANTIQUITÉ CHRÉTIENNE 1196

ioni aopra i cimileri de sanii marliri ed onlirlii crisliani

di Roma, Rome, 1720, p. 208, pl. 9, n. 36. L’enfant à qui le Sauveur pr(?sente les éléments eucharistiques a reçu la communion avant sa mort ; il en a ressenti l’effet salutaire : il est entré au paradis. De là, l’image de la colombe et de l’orante. On a mis en doute l’identification du personnage principal. Marucchi^ dans Nuovo bultet., 1898, t. iv. p. 101 ; Kaufmann, Handbuch, p. 439 sq. Comme il n’est pas possible d’y voir une personnification de l'Église ni une identification avec l’enfant orant, l’explication du D' Fiihrer, sans être absolument sûre, reste toujours la plus probable. Vu le caractère chrétien de la fresque absolument garanti par ailleurs, on ne saurait non plus se ranger à l’avis du D' Achelis, qui voudrait y voir une peinture gnostique. Zeitschrifl fiir neutestamentliche Wissenschaft und die Lileratur des Urchrisicntums, 1900, p. 210-218.

II. MOXUMEWS ÉPiGRAriiiQVE^. — Les textes qui parlent clairement de l’eucharistie sont rares. Citons les suivants, avec les passages qui nous intéressent :

1° Le monument d’Abercius, de la seconde moitié du IIe siècle, dont le texte complet se trouve plus haut, t. I, col. 57 :

…Ttt’ij’t ; 7 ; âvT-/) Sa TtpoTiyE, y.a’i T : apÉ6-/)y.s -rpoqiTiV Ttâvf/] y%>s aTtb TtriY ?, ;, 7rav[jLeY£0T|, y.aOapov, Sv ÈopàÇato Ttapôévoç àyvr|, xa To-jTov ipio(i>-/.z ot’Xot ; àVQsiv Sià Travrôç, olvov /priCTÔv iyo-jran, xépacrixa ccooOaa (J.st' àpxo’J.

2° Le marbre d’Autun ou de Pectorius, qui, dans la partie que nous donnons ici, remonte au moins au IIIe siècle :

'lyO’jo ; o(ûpavi’o’j 6c)i’ov yâvoç, riTopt acjxvoj

/pr|(TS, >.aê(o(v 7C-iiy)))v « [j.rvpoTOV èv PpoTSoiç

6e<T7 : eCTt'(dv û6âT(a))v. Tr, -/ t7r’i, (fils, GâÀTiEo 'h’JyX’ri"')

jSaai àcvâoiç TtXouToSÔTO’J 'yo’fir]Z Sa)T-?ipoi ; àyitov jjis).tr|Séa X’i|xêav(e Ppûacv),

ïabii Ti'.vàwv c/Oùv k’y_wv 7ta), â[jiaiç.

'Iy_6'JÏ y_o(pTaî') àpa, AtÀai’o), ôi<yKoxx Twrsp.

Voir Pectorius et Leclercq, dans le Diclion. d’archéol. chrél., t. i, col. 3195 sq.. et planche.

3° L'épitaphe damasienne du clerc romain Tarsicius, mort pendant la persécution. Le pape le compare au protomartyr ; puis, il continue : TARSICIUM SANCTUM CHRISTI SACRAMENTA GERENTEM 1 CUM MALE SANA MANUS PREWIERET VULGARE PROFANIS I IPSE ANIMAM POTIUS VOLUIT DlMITTERE C/ESUS | PRODERE QUAM CANIBUS RABIDIS CAELESTIA M E MB R A. Voir hm, Damasi epigrammata, heipzig, 1894, p. 21, 22, n. 14, et ailleurs.

4° L’inscription en mosaïque que l'évêque Alexandre de Tipasa, en Maurétanie, fit mettre dans une basilique érigée très probab ement avant l’année 428, à ses saints prédécesseurs :

HIC UBI TAM CLARIS LAUDANTUR MŒNIA TECTIS

UNDIQ(uf) VISENDI STUDIO CRHISTIANA (sic)

[AETAS CIRCUMFUSA VENU

LIMINAQUE SANCTA PEDIBUS CONTINGERE

[LAETA

OMNIS SACRA CANENS SACRAMENTO MANUS

[PORRIGERE GAUDENS.

Cf. Leclercq, dans le Diclion. d’archéol. chrél., t. i, col. 686, 687 ; De Rossi, BuUeL, 1894, p. 91.

5 » L'épitaphe fragmentaire d’un certain Marinus, de Vienne, en Dauphiné : HOC lveET IN TUMULO SACRA QUI MYSTI||CA SEMPER DIVISIT POPULIS PIETATE Il HONORE DECORUS || QUEM NEMUS AELYSIUM MARINUM || CONCLAMAT OMNE. Cf. Le Blant, Inscripl. chrél., t. ii, p. 90, n. 421, pl. 299 ;

Leclercq, danse Diclion. d’archéol. cltrêl., i. iii, co. 168 6° L’inscription du calice de saint Rémi de Reims, publiée par Le Blant, Inscripl. chrél., t.i, p.445, n. 336 : INIECTO AETERNUS, QUEM FUDIT, VULNERE CHRISTUS : REMIGIUS REDDIT DOMINO SUA VOTA SACERDOS.

7° Deux ou trois autres monuments seront mentionnés plus loin.

II. Leur valeur.

I. ^ir poixt de vue dog.i/aTIQVE. — 1° Nalure de l’eucharistie. — Le Maître l’a appelée une vraie nourriture et un vrai breuvage. Abercius et Pectorius disent que c’est une nourriture, Tpo-fri, ppàj<nv, qu’il faut manger, ïrs') : i, ou qu’on reçoit à manger, TrasÉoojxï InbUu. Elle figure sous cette double forme dans la Fraclio panis, dans plusieurs représentations de la multiphcation des pains et de la conversion du viii, etc.

Mais elle constitue une nourriture à part : elle est une et elle reste toujours la même ; elle se renouvelle partout de la même façon, et elle est servie à des m"lliers d’hommes dans les différents pays du monde. A ce sujet, les monuments sont d’accord avec les Pères. Qu’on compare également les plus anciennes fresques entre elles ou l'épitaphe d’Autun avec celle d’Abercius. Ce dernier, qui a voyagé en Orient et en Occident, en Italie et en Mésopotamie, trouve partout la même nourriture composée des mêmes éléments : le grand Poisson que la Vierge sainte, l'Église, offre sans cesse aux « amis » . Voir le commentaire de De Rossi, Inscriptiones christianse, t. ii a, p. xii sq.

Aux yeux des fidèles, l’eucharistie était une nourriture sainte et mj’stérieuse qu’ils cachaient aux païens et qui tombait sous la discipline de l’arcane. Preuves : les épitaphes d’Abercius et de Pectorius et le symbolisme des représentations. Elle a une origine divine. Le monument d’Autun nous affirme qu’elle vient du Seigneur. Dans les scènes symboliques, c’est lui qui opère la multiplication des pains et le changement du viii, grâce au pouvoir des miracles qu’il possède. A la catacombe d’Alexandrie, une inscription appelle ceux qui prennent part au repas symbolique : TAC EYAOriAS T0Y3(Y II eceiONTCC.

La nature du sacrement ressort encore des effets qu’on lui attribue et de sa juxtaposition avec le sacrement du baptême. Voir plus loin. Dans les épitaphes de Tarsicius et d’Alexandrie on lit même le terme de sacramentum. Cependant, il doit être pris moins dans le sens technique reçu depuis que dans le sens de chose sacrée, d’objet saint et mystérieux, tel que TertuUien, A/iuersus Marcionem, iv, 34, P. L., t. ii, col. 442, le connaissait déjà.

Eléments.

D’après Abercius, c’est le pain et

le vin mélangé avec l’eau qui forment les éléments Des pains, et, très visible à travers l’osier des corbeilles, un verre rempli.'i moitié de vin figurent dans la crjqite de Lucine. Notons, en passant, que la " compénétration » du panier et du Poisson dont parlent De Rossi et d’autres, n’existe pas en réalité. Nuovo bulleltino, 1897, t. iii, p. 131, 132. Des pains placés sur un calice figurent sur une épitaphe, du iiie siècle, au Latran, Perret, Les catacombes, t. v, pl. 57, n. 8, et sur le marbre d’une certaine Fructosa pubi'é par Boldetti, op. cit., p. 208 ; ailleurs, les deux éléments sont un peu cachés par le symbo’isme, par exemple, sur une fresque des Saints-Pierre -et-Marcellin, où Jésus est assis entre trois amphores et un panier dont la forme rappelle Varca domestica eucharistique et sur la cassette de Milan. Nuovo bulleltino, 1900, t. vi, p. 90 sq., pi. i ; Leclercq, dans le Diclion. d’archéol. chrél., t. ii, col. 1 807, 1808, flg. 1985. Parfois on se contente d’y faire figurer le pain seul, par exemple, sur une brique de Priscille reproduite par Wilpert, Frac/io panis p. 83, fig. 10, ou bien on y joint le Poisson symbolique qui 1197 EUCHARISTIE D’APRÈS LES MONUMENTS DE L’ANTIQUITÉ CHRÉTIENNE 1198

indique qu’il ne s’agit pas ici de pain ordinaire, par exemple, sur les fresques des chambres dites des sacrements et dans le tympan du couvercle du sarcophage conservé au Castello (château), à Milan. Romische Quarlalschrifi, 1905, t. xiXj p. 159. Pour le viii, on suit la coutume observée par le Christ : on le mélange avec de l’eau, oTvov -/priÇTÔv… -/Jpaapia. Ce mélange, Abercius le trouve partout : nulle part on ne rencontre une indication qu’on se servait de l’eau toute pure pour la confection de l’eucharistie comme le voulait Harnack. Cf. Funk, Kirchengeschichllichc Abhandlungen und TJ ntersuchungen, Paderborn, 1897, t. I, p. 278-292.

3° Consécration (bénédiction) ; présence réelle. — 1. Selon Wilpert, l’acte que nous appelons consécration serait présupposé dans la Fraclio panis, à Sainte-Priscille : celui qui préside la table tient dans ses mains le pain, dont la présence du poisson indique la nature particulière, pour le distribuer aux assistants. Wilpert, Fraclio panis, p. 46.

La fresque de la chapelle des sacrements A’nous montre, selon Wilpert, le Christ, selon De Rossi, Marucchi, Leclercq et d’autres, le prêtre bénissant un pain et un poisson posés sur le trépied : elle représenterait le moment même de la consécration et le changement du pain en Jésus-Christ — 1X0 YC — fils de Dieu et Sauveur. De là, sur notre fresque, l’absence des paniers dont parle l’Évangile et la présence d’un autel sous forme de trépied. Cette scène, que précèdent immédiatement trois scènes du baptême, est directement suivie de celles du repas symbolique de la multitude et du sacrifice d’Abraham : donc, toujours d’après Wilpert, la consécration. In communion et le sacrifice eucharistique. Wilpert, Mutercicn, p. 290. Évidemment la fresque perdrait de sa valeur si on ne voyait dans ce geste du personnage principal que le simple acte de prendre les cléments eucharistiques pour les distribuer soit à des absents soit à la personne qui figure à côté sous la forme d’orantc. Dès le iii<e siècle, la consécration nous est rappelée d’une autre manière : le Christ, debout, muni d’ordinaire du bâton de thaumaturge, touche les paniers et opère ainsi le miracle. Wilpert, op. cit., p. 292. Au ive siècle, on en rencontre une troisième : le Christ, debout ou assis, souvent entouré des paniers symboliques, étend les mains pour bénir les pains et les poissons que lui présentent un ou deux apôtres placés à côté de lui. Ce sujet figure rarement dans les catacombes, il est très fréquent sur les sarcophages. Wilpert, op. cit., p. 300, 301, pl. 237, n. 1 ; De Rossi, nultel. di archeotogia crisliana, 1865, pl. v ; Le Riant, Sarcophages chrétiens antiques de la ville d’Arles, Paris, 1878, p. 41, pi. XXIV, n. 1, etc. On représente également de cette façon abrégée le changement de l’eau en vin. — 2. Par suite de cette bénédiction, un changement s’opère dans les éléments et produit ce qui constitue réellement l’eucharistie : c’est ce qui indique l’association des deux miracles. Celui de Cana signifiait le changement du vin dans le sang de Jésus Christ, celui de la multiplication des pains devait figurer l’inépuisable changement du pain au corps du Sauveur présent à tous et mangé par tous. Car ce que l’on mange est en réalité le Christ, l’Ichtliys céleste, comme l’appelle le monument d’Autun ; c’est lui qu’on tient dans ses mains, quand on reçoit rcucharislie. comme l’aflirme le même monument. C’est lui tout entier qu’on reçoit et qu’on mange partout chez les amis quand, conduit iiar la foi, comme Abercius, on reçoit le pain et le vin mélangé avec de l’eau. La croyance à la présence réelle ressortirait encore d’une manière très sensible, si réellement, comme Wilpert et beaucoup d’autres l’ont affirmé pour un certain nombre de monuments, les premiers chrétiens avaient

donné intentionnellement aux entailles des pains ou même au poisson symbolique la forme très visible de la croix ou du monogramme constantinien, Wilpert, Malcreien, p. 292, n. 5 sq. ; Fraclio panis, p. 86, etc. ; mais Dôlger croit devoir le nier : il espère en fournir les preuves dans le t. ii de son ouvrage intitulé : IX0YC. Enfin, l’épitaphe de Tarsicius fait entendre très clairement que cette présence n’est pas limitée au seul moment de la consécration ou de la manducation, mais qu’elle dure, puisque, voulant porter les saintes espèces aux absents, le clerc romain, surpris par les païens, succombe parce qu’il ne veut pas livrer le corps du Christ, cselestia membru.

Ministre.

L’eucharistie est un don du Christ.

Il l’a confiée à son Église. C’est elle, la Ttap^àvoç àvvi, , comme le dit Abercius, qui la présente aux « amis » . Mais l’ÉgUse a ses ministres : l’évêquc et le prêtre. Wilpert l’ctrouve le premier dans l’homme barbu de la fresque de la Fraclio panis. De Rossi voyait le prêtre dans l’homme qui, à la chapelle des sacrements A’, est placé à gauche du trépied sur lequel sont posés pain et poissons qu’il bénit. De même, Marucchi et d’autres. Nuovo bulleltino, 1898, t. iv, p. 54, 55. Wilpert, par contre, fait observer que cet homme doit être un « saint personnage » , en particulier Jésus-Christ, parce qu’il est revêtu du pallium que les artistes chrétiens ne donnaient pas aux hommes ordinaires. Matereien der Sakrarnentskapellen, p. 19-21. C’est encore le Christ qui, dès le iii<e siècle, figure sur les scènes de la multiplication des pains, etc. C’est encore lui que l’on voit sur la fresque syracusainc décrite plus haut. Enfin, le ministre nommé sur la pierre de Saint-Gervais n’était probablement qu’un prêtre. LeBlant, Inscripl. chrél., t. ii, p. 90-91, n. 421, pi. 299. Un ministre secondaire était le diacre : il pouvait distribuer l’eucharistie, la porter à domicile, etc. Ces fonctions nous sont rappelées par l’épitaphe de Tarsicius qui, paraît-il, était plutôt diacre que simple acolyte comme on l’admet ordinairement. Voir t. v, col. 321, 322.

Sujet.

Sur les scènes du repas miraculeux, la

foule est régulièrement représentée par les sept convives assis à table, qui désignent les fidèles en général. Les deux sexes figurent sur la Fraclio panis, les foules, populi, œlas, sont nonnnées sur les épitaphes de l’évêquc Alexandre et du prêtre Marinus et sur le calice de Reims. Comme il fallait être baptisé pour être admis au sacrement, les adultes ne recevaient régulièrement la communion pour la première fois qu’à l’occasion de leur baptême. Toutefois, il semble que les monuments qui témoignent en faveur de la comnnuiion des enfants ne fassent pas complètemenl défaut. Rappelons la fresque de Syracuse mentionnée ailleurs. Si les cinq pains qui figurent sur le sarcophage priscillien d’Euelpistus ont une signification eucharistique, comme le veulent Wilpert et d’autres, leur présence sur un monument d’enfant du iie siècle ne trouverait une explication assez plausible que par la communion du petit défunt. D’après Diehl, Laleinischc christliche Inscliri/ten, Bonn, 1908, p. 5, cette communion serait également mentionnée sur l’épitaphc de la petito Nila (= Julia) Florcntina, de Catane, morte au conunenccment du ive siècle, à l’âge de dix-huit mois. Une explication beaucoup moins acceptable est donnée par dom Leclercq, dans le Diction, d’archéol. chrél., t. ii, col. 2519.

L’eucharistie étant regardée comine une garantie de la vie éternelle, on tenait à la recevoir avant de mourir. Elle devait même protéger le cor]is. On disait avec saint Jean Chrysoslonie, Exposil. in ps. xi.i, n. 2, P.r, ., t. Lv, col. 158, que là oil était le Christ, le démon ne pouvait pas trouver place. Cf. S. (irégoire. 1199 EUCHARISTIE D’APRÈS LES MONUMENTS DE L’ANTIQUITÉ CHRÉTIENNE l’200

Dial., I. II, c. XXIV, P.L., t. lxvi, col. 180, 182. C’est à cela que se rattache l’usage de placer l’eucharistie soit sur la poitrine soit dans la Ijouche des morts, usage qui s’est maintenu assez longtemps, malgré la défense souvent réitérée par l’Église aux v « et vie siècles. Plusieurs archéologues ont vu une preuve (te cet abus dans les formules épigraphiques : Cluislus liic est et XpiaToç ÈvOàos y.aTotzsv, qu’on rencontre sur quelques pierres grecques et gauloises du v siècle. Lammens, dans la Revue de l’Orient chrétien, 1902, t. vii, p. 668 sq. ; Le Blant, Nouveau recueil des inscriptions chrétiennes de la Gante, Paris, 1892, p. 2-10, n. 1 ; cf. aussi p. 381, n..3.31. Mais on peut se demander, avec M. Dolger. op. cit., p. 245, 246, si les formules mentionnées n’étaient pas plutôt de simples phylactères contre le démon, qui, d’après la croyance de beaucoup de fidèles, en voulait non seulement à l’âme, mais encore au corps du défunt, phylactères semblables à ces nombreuses épigraphes sur les portes d’entrée des maisons mentionnées ailleurs. Voir t. V, col..348. On peut exprimer le même doute au sujet du poisson en terre cuite trouvé en Afrique par le docteur Rouquette et décrit par lui dans le Bulletin archéologique. 1907, p. 4.)4-458, et au sujet du « paon eucharistic(ue » , trouvé en 189.3, près de Bethléhem et montrant au milieu du corps un grand œil couvert d’un verre semblable à nos lunules d’ostensoir. Revue biblique, 1893, t. ii, p. C31032 : 1894, t. iii, p. 277-291.

0° Xécessité de la réception ; conditions. — 1. Aucun monument ne nous en fournit une preuve directe. Abcrcius reçoit fréquemment l’Ichthys symbolique et le prêtre Marinus l’a n toujours » distribué aux peujiles, mais on ne doit pas attacher trop d’importance à ces données assez vagues et énoncées en des formules poétiques. Peut-être trouvera-t-on plus facilement un indice de cette nécessité dans l’exhortation que Pectorius adresse aux chrétiens. — 2. Pour recevoir l’eucharistie il fallait être baptisé : sur nos fresques, même les plus anciennes, le baptême précède l’eucharistie ; c’était la suite chronologique dans l’initiation chrétienne. Pectorius n’invite à la communion que ceux qui forment la « race divine du Poisson céleste, » c’est-à-dire ceux qui, d’après TertuUien, sont nés dans l’eau « selon notre Poisson Jésus-Christ. » D’après Abercius, l’Ichthys n’est donné cpi’aux « amis » , c’est-à-dire à ceux qui font partie de la communauté chrétienne et qui ont la foi. Tarsicius meurt pour ne pas le livrer aux païens. Selon Marucchi, Le dogme de l’eucharistie, p. 20, on aurait gravé sur la pierre de Modène les pains et les poissons de façon à exprimer l’ardent désir des fidèles pour l’eucharistie. A notre avis, la reproduction exacte du monument ne permet de voir dans ce graffito qu’un raccourcissement du miracle de la multiplication évangélique. Mais Pectorius dit : Mange avec désir quand tu tiendras le Poisson dans tes mains.

Effets.

1. L’eucliaristie fortifie l’âme et la soutient

contre le démon. Sur une fresque romaine du milieu du IVe siècle, on aperçoit deux saints qui, d’un champ de blé figurant la terre, montent une échelle qui aboutit au Christ, au ciel. En bas de l’échelle se trouve un serpent qu’ils foulent aux pieds. Au-dessus est peinte la multiplication des pains. Vilpert, qui a découvert cette peinture, serait porté à croire que son auteur a voulu dire par cette juxtaposition que les saints martyrs ont trouvé dans l’eucharistie la force pour écraser le serpent infernal, triompher des tourments et mériter ainsi la possession du Christ. Maiereien, p. 485, 486. Sur une lampe de bronze trouvée à Porto, que l’on pourrait encore citer ici, voir De Rossi, Bnllet., 1868, édit. franc., p. 77-88, et pl. viii, n. 1. De Rossi rapporte une épitaphe du m'e siècle qui du côté

gauche du texte itrésente le graffito d’un cheval ( ?) mangeant d’un pain partagé en quatre par une croix équilatérale à doubles traits : image du fidèle Agathopus nommé sur le marbre, qui a achevé sa course sur la terre (cheval), fortifié par la nourriture eucharistique et qui a enfin atteint sa pleine transformation, ainsi que l’indique le symbole de la colombe placée au-dessus du cheval. De Rossi, BuUett., 1873, édit. franc., p. 12-11, pl. iv, n. 2. Sur une épitaphe, trouvé’e à Syracuse par M. Orsi et publiée par lui dans les Notizie degli scavi, 1907, p. 772 sq., fig. 26, 27 (Rome, 1908), on voit un graflito qui montre un vaisseau en forme de poisson couché sur le dos qui se dirige vers im grand monogramme du Christ flanqué d’A et Û et entouré d’un double cercle. Le poisson ouvre la bouche pour manger d’un pain rond signé de la croix monogrammatique. La pierre semble être de la première moitié du ve siècle. Son symbolisme signifie, d’après Marucchi, que le fidèle du Christ, durant le voyage de ce monde, doit se nourrir de l’eucharistie, pour arriver heureusement au port qui est le Christ. Nuovo bullet., 1910, t. XVI, p. 168. Rappelons ici une inscription qui, d’après la « sylloge » récemment découverte de Cambridge, se lisait dans l’oratoire de la Croix, au Vatican. Elle date, au plus tard, des premières années du vi » siècle et se rapporte à l’eucharistie et à la croix : Fortis

AD INFIRMOS DESCENDEN’S PANIS ALENDOS HoC FRACTUS LIGNO EST, UT POTUISSET EDI. NuOVO butlct.,

1910, t. XVI, p. 79.

2. L’eucliaristie donne l’espérance et la garantie de la vie éternelle. Saint Ignace, Ad Eph., xx, se servant d’un terme médical d’alors, l’appelle çapiiazov àôava’ji’a : , àvttîotoç xo-j [j.v-, àzoôavsfv. Funk, Die apostolischen Vater, Tubingue et Leipzig, 1901, p. 87 ; Schermann, dans Theologische Quartalsclirilt de Tubingue. 1910, t. xcii, p. 6-19. Aussi plusieurs fois ses symboles figurent sur des épitaphes chrétiennes : par exemple, deux poissons et cinq pains sur les marbres de Modène et du musée Kircher, deux pains seulement sur une pierre sépulcrale, à Sainte -Priscille. Sur le sarcophage d’Euelpistus, à la même catacombe, l’ancre, symbole de l’espérance de la résurrection pour la vie éternelle, fait pendant à cinq pains qui indiquent la cause de cette espérance. Cet effet du sacrement ressort encore plus clairement de la juxtaposition à ses symboles de la résurrection de Lazare, par exemple, à la chambre dite des sacrements A’, à Saint - Calixte, sur une fresque des SaintsPierre-et-Marcellin, du lue siècle, sur une autre de Sainte-Domitille, du iv « , sur la porte de Sainte-Sabine, du v « , etc. Wilpert, Malereien, p. 294. pl. 45, n. 1 ; p. 299, pi. 228 ; Berthier, La porte de Sainte-Sabine, Fribourg (Suisse), 1892, p. 30 ; Cabrol, Dictionn. d’archéol. chrét., t. II, col. 1816, fig. 1995.

3. L’eucharistie renferme un avant-goût du ciel. Le monument d’Autun l’appelle p.à.irfiix fipwa’.v, nourriture douce comme le miel. Xous pouvons admettre que ces paroles font plutôt penser aux douceurs de ce sacrement, avant-goût des douceurs du ciel, qu’à l’ancien usage observé en Egypte et ailleurs, mais inconnu dans les Gaules, de donner aux premiers communiants du miel mélangé avec du lait.

4. On trouve dans l’eucharistie la vie promise par le Sauveur, comme le dit l’inscription du calice de Reims, et elle nous ouvre le paradis. La colombe est le symbole de l’âme dégagée des entraves du corps et entrée dans la gloire ; de même l’orante. La première figure sur une fresque à Saint-Hermès, de la fin du iiie siècle. Elle est placée sur un pilastre à côté du Christ, qui opère la multipUcation des pains. De Rossi. Bullet., 1894, ’p. 73-75, pl. vu ; Wilpert, Malereien^ p.’295, pl. 115. Sur une épitaphe de Saint - Pontien, 1201 EUCHARISTIE D’APRÈS LES MONUMENTS DE L’ANTIQUITÉ CHRÉTIENNE 1202

elle est placée à côte d’un calice couvert de pains et porte le rameau d’olivier : image du défunt dont l’inscription dit : 0POYTOOCA 1| IN nAKG (sic). Boldetti, op. cil., p. 208. L’orante revient plus fréquemment. Dans celle qui, à la chapelle des sacrements A’, figure à côté du trépied-autel, Marucchi, Le dogme de l’eucharistie, p. 17, voit » l’allégorie de l’Église qui élève sa prière solennelle pendant le sacrifice. » Mais rien, ni dans les documents, ni dans les monuments des trois premiers siècles, ne justifie cette hj’pothèse du savant romain. Voir Wilpert, dans Rômische Qiiarlalschrifl, 1899, t. XIII, p. 23, 24. On la voit encore à Saints-Pierrcet-Marcellin, dans les scènes du miracle de Cana et de la multiplication des pains qui sont du commencement du III 1e siècle, sur la fresque syracusaine décrite plus haut, sur beaucoup de sarcophages. Deux fois elle est à genoux derrière les paniers symboliques. Wilpert, Malereien, p. 302, pl. 57 ; le même, dans Rômische Qaarlalschrilt, 1906, t. xx, p. 5.

5. L’eucharistie nous procure la vision du Christ. Sur une inscription fragmentaire en quasi-versus du ive siècle. De Rossi a pu distinguer n de la manière la plus évidente le rapprochement de l’aliment eucharistique, dont le défunt se nourrissait fréquemment sur terre, avec la vision réelle du Christ dans le ciel : » … (qui in terris sœp)E cibabas (in cœlis p)njEP.{enlem s)e tu CHRisTu(m) videbis. Bullet., ^11, édit. franc., p. 160, 161.

8° Caractère sacriflcatoire. — Un lien intime existe entre l’eucharistie et le sacrifice du Calvaire. Cette vérité n’est pas directement exprhnée dans les monuments, ne serait-ce que par la simple raison qu’il répugnait à l’art des premiers siècles de représenter les scènes du crucifiement et de la mort du Sauveur. On a eu recours au symbole. Pour s ; int Clément de Rome, saint Méliton, saint Irénée, Tertullien, saint Cyprien et beaucoup d’autres, Isaac immolé par son père préfigurait le Christ souffrant. Voir t. i, col. 101 sq. De là, Wilpert, Fractio panis, p. 66, conclut que « la même interprétation symbolique relative à la passion doit évidemment être donnée à la fresque du sacrifice d’Abraham peinte dans une des chapelles des sacrements (A’) et… de la Cappella gr.rca, où elle figure ù côté de la fractio panis, pl. x. » Cf. aussi Malereien, ). 287, 290. Dans la première, en particulier, le sacrifice d’Abraham, oii père et fils figurent dans l’attitude de la prière, fait directement pendant à la scène dite de la consécration : entre les deux se trouve le repas eucharistique. De Rossi, Roma sollerranca, t. ii, pl. xvi, 1, 2, 3 ; Leclercq, dans le Dictionnaire d’archrol. chrét., t. III, col. 154, 155. Les trois scènes sont intimement unies entre elles et forment matériellement même une seule composition sur une seule et même bande, qui sépare deux loculi. Une autre interprétation que celle que nous venons de donner paraît donc impossible. A la Cappella græca, l’emplacement de la fractio panis et la forme de la voûte ne permettaient pas une pareille disposition, et le lien, dont parle Wilpert, est moins clairement exprimé. Il est encore moins sûr pour un certain nombre de sarcophages, où on rencontre le même sacrifice d’Abraliam uni : des scènes eucharistiques, par exemple, dans Le Hlanl, Les sarcophages d’Arles, pl. 6. Pour d’autres monuments qu’on a cités à ce sujet, la chose est encore plus floutcuse, par exemple, pour le verre à fond d’or publié par Garrucci, Velri ornati di figure in oro, 2° cdit., pi. II, n. 8 ; Wieland, Mensa und Con/essio, t. i, p. 129. Un sarcophage gaulois doit encore être mentionné. On y volt la multiplication des poissons et des pains : le Christ bénit de la droite le pain rcnfenné dans un panier que lui présente un (lisfiple, en le tenant au-dessus d’un autcLpilicr carré sur lequel on voit le poisson. La scène de Cana fait pendant à cette première.

Le Blant, op. cit., pl. 25. Quant à la scène de Melchisédech représentée sur les mosaïques de Sainte-Marie-Majeure, dans l’oblation duquel on reconnaît un symbole du sacrifice eucharistique, voir Richter ctTaylor, The golden âge of classic Christian art, Londres, 1904, p. 58 sq., pl. 5, n. 1.

9° L’eucharistie et le tombeau ; la liturgie célébrée pour les défunts ordinaires. — 1. Un lien réel existe entre les deux. Jésus l’a indiqué dans saint Jean, vi. L’eucharistie, on le sait, est appelée par saint Ignace, Ad Eph., KK : çd( ?u.axov ir, ; àôavaai’aç, etc., par Clément d’Alexandrie, Strom., I, 1, P. G., t. viii, col. 691 : èçôSia L, o)ri ; àïoiryj, par saint Irénée, Cont. hser., IV, 18, P. G., t. VII, col. 1027 sq. : r, iXTil^e !  ; aîdJva ; àva<7Ti(T£<o ;.etC. Les liturgies ne sont pas moins explicites, à commencer par une des plus anciennes qui nous soit conservée, celle de Sérapion de Tmuis, en Egypte. Wilpert, Malereien, p. 282 sq. ; W^obbermin, dans Texte und Vntersuchungen, nouv. série, Leipzig, 1899, t. ii b, p. 6. Enfin, dans ses effets, notre sacrement vise surtout le salut de la vie éternelle. Aussi on trouve un assez grand nombre de représentations eucharistiques dans l’art funéraire des premiers chrétiens. Par elles on veut rappeler à Dieu le miracle de l’eucharistie et les effets qu’elle produit, pour le déterminer à user de miséricorde envers les pauvres défunts et à les recevoir dans la vie étemelle. LTne peinture deSaint-Calixte, du commencement du iVe siècle, est particulièrement significative à ce sujet. Jésus opère la multiplication des pains, sTnbole de l’eucharistie. Une défunte s’approche de lui, les mains étendues à la manière des suppliantes : elle demande au Maître de la prendre dans son paradis. Wilpert, op. cit.. p. 296, pl. 144, n. 2. Ensuite, dans le repas eucharistique, les chrétiens de ce monde pouvaient s’unir à ceux qui étaient déjà dans l’autre. L’Ichthys divin, qui conserve aux bienheureux la vie éternelle, sert aussi de pain de vie aux pèlerins de cette terre et les conduit au ciel. L’eucharistie unissant ainsi les uns aux autres, c’était une raison en plus de la célébrer aux tombeaux des défunts, de renouveler ce que Jésus lui-même avait fait en célébrant la dernière cène. Que la coutume des repas funéraires des pa’îens soit pour quelque chose dans cette pratique, peu importe. La pensée fondamentale n’est nullement païenne, et le rapport entre les survivants et les défunts par le moyen de l’Ichthys divin est un élément inconnu aux gentils. Du reste, en célébrant les saints mystères pour les défunts, on voulait aussi honorer les uns, les saints, particulièrement les martyrs ; on voulait ensuite venir en aide aux autres, aux fidèles ordinaires. Les ]irières qu’on disait à cette occasion, les agapes ou repas funéraires qu’on y donnait, la liturgie elle même devaient servir à leur soulagement. D’après le Nuovo bultetlino, 1899, t. v, p. 85, une ancienne (quelle date ?) épifaplie de Plaisance ferait allusion à cette croyance dans les vers suivants : ("rentes picei flanimas rcstinguc barathri giirgite, quo.tordes puriftcare raies : ut pietatis spem defuncto indere donis unde dure viro munera sacra soles.

2. Du reste, les documents nous attestent de bonne heure l’usage de célébrer la liturgie pour 1rs morts ordinaires, soit dans les cryptes souterraines, soit dans les cellæ, oratoires ou mausolées en plein air, par exemple, les Acta Johannis (de 160-170), dans Acta apostol. aporri/pha, édit. Lipsius et Bonnet, part. II, t. i, p. 186. i’our Tertullien et saint Cyprien, voir Wieland, A/f/i.sf( und Confessio, 1906. p. 161-163. Sans recourir à l’hypothèse de M. Michel, Gcbel und liild in altchrisilichcr 7.cit, Leipzig, 1902, p. 77, qui voudrait voir, dans la fresque dite de la consécration à Saint-Callxte, un prêtre qui, pour le bien des âmes et leur soulagement, offre, selon l’usage exis1203 EUCHARISTIE D’APRÈS LES MONUMENTS DE L’ANTIQUITÉ CHRÉTIENNE 1204

tant, en sacrifice les éléments de l’eucharistie, citons comme preuves monumentales certaines cryptes des catacombes romaines, particulièrement au cimetière Ostrien, qui sont encore du ni’e siècle. Realencyclopâdic fiir protestanlische Théologie iind Kirche, 3^édH., Leipzig, 1901, p. 835-837. D’autres monuments ont été découverts en Afrique. Wieland, op. cit., p. 146. La cella que mentionne le marbre d’Euclpius à Césarée, en Maurétanie, avait très probablement cette destination. Elle est du iiie siècle. De Rossi, Bullet., 1864, édit. ital., p. 28. De même plusieurs oratoires à ciel ouvert dont parle Kirsch, Die christ/ichen Cullusgebàude im Allcrtiim, Cologne, 1893, p. 81. Cf. art. Cdla, dans Gabrol, Dictionnaire d’arch. chrétienne, t. ii, col. 2870. Plusieurs épitaphes de l’Asie-Mineure mentionnent des autels fixes, , 8w[j.o ;, qui se trouvaient à l’intérieur des tombeaux ou mausolées. Ramsay, The ciliés and bischoprics of Phrygia, Oxford, 1. 1 b, p. 519, n. 357 ; p. 525, n. 369 ; p. 717, n. 651. Enfin, d’après De Rossi, Bullet., 1886, p. 24, 25, le prêtre gaulois Patroclus, mentionné dans une épitaphe de 347 publiée par Le Blant, Inscriptions chrél., t. ii, n. 596, aurait été, selon une pratique attestée par saint Paulin, nommé pour dire l’ofiice à la tombe de sa maîtresse, Valeria Severa, et y célébrer la liturgie pour le repos de son âme. S. Félix, Epist., xii, ad Amandum, n. 12, P. L., . Lxi, col. 206.

II. AU POINT DE VUE DU CULTE ET DE LA LITURGIE — 1° Culte d’adoration. — Ici les monuments ne sont pas plus explicites que les documents. Voir le passage souvent cité de saint Grégoire de Nazianze, Oral., VIII, n. 18, P. G., t. XXXV, col. 810, 811, et discuté par le P. Thurston, dans le Journal of theological étudies, janvier 1910, t. xi, p. 275. On a voulu voir dans la position centrale de la mensa Domini sur le plafond de la chapelle des sacrements A^ « l’idée de l’adoration de ce sublime mystère. » Marucchi, Le dogme de l’eucharistie, p. 18. Il est plus que douteux que le peintre ait eu cette idée. Rappelons plutôt une lame de plomb qui a servi d’amulette. On y conjure les mauvais esprits par le corps et le sang de Jésus-Christ : (5) I (à tô) || COIVIA (=<T, op.a) K(a) EM (=aî(j.a) y TOY KY (=y.up : o’j) IM (=ô|xùv) || lYCOY (=’Ir ; ToC) || XY (=Xp’.'jroO). Le monument appartient encore à l’antiquité chrétienne. Rom. Quartalsclwift, 1887, t. i, p. 197, pi. iv ; Leclcrcq, danse Dictionnaire d’arch. chrétienne, t. i, col. 1801, 1802. Peut-être pourrait-on encore rappeler ici ce que nous avons dit sur la communion des morts et l’épitaphe de Tarsicius.

2 » Mode de collation. — La communion est symbolisée par le rassasiement miraculeux de la foule, par le repas des sept disciples sur le lac, etc. "Wilpert, Malereien, p. 285, 289 sq. L’idée du repas était étroitement associée à l’idée de la célébration de l’eucharistie. Dans la vie ordinaire, on faisait volontiers des entailles dans le pain pour pouvoir le briser plus facilement. Ces entailles, nous les remarquons sur les plus anciens monuments eucharistiques. Si parfois elles semblent affecter la foriue d’une simple croix, il ne faudrait pas y attacher une importance particulière, parce qu’on rencontre la même forme sur les monuments païens. Pour diviser le pain on a parfois dû faire usage d’un instrument. Aux « couteaux eucharistiques » déjà connus, le professeur Fuhrer en a ajouté un nouveau. Fûhrer, op. cit., p. 177 (847). Disons que la destination eucharistique de ces objets ne nous paraît nullement prouvée. Le pain brisé était distribué aux assistants. Des monuments des premiers siècles nous font voir les fidèles assis à la table eucharistique à la manière bien connue des anciens. On a dit que la posture couchée des convives, en particulier de ceux de la Fraclio panis, était incompatible avec la réception du sacrement.

Leclercq, dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne, t. I, col. 807. Or, sans parler du motif artistique qui a pu guider le peintre, la raison alléguée perd sa valeur par le fait que telle était la manière habituelle d’être à table chez les anciens. Plusieurs fresques certainement eucharistiques des catacombes nous montrent les convives dans une posture analogue ; de même, les représentations de la cène sur des monuments d’une date un peu moins ancienne. Dans les églises, la pratique était évidemment autre. On s’approchait du cancellus ou banc de communion et debout on recevait dans la main le pain consacré. C’est ce que nous démontrent et le marbre d’Autun et l’épitaphe de l’évêque de Tipasa et le cancel haut de 1’^65 qui, dans sa basilique, séparait le sanctuaire de la nef et, un peu plus tard, les représentations de la réception de la communion étudiées par M. Dobbeft. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, sur un dessm du célèbre codex Rossanensis, édit. de Gebhardt et Harnack, pi. 10, qui date à peu près de l’an 500, le Sauveur est debout et distribue la communion. A ses côtés, un premier disciple élève les mains, pour rendre grâce ; un autre, profondément incliné, reçoit le pain et baise la main du Maître, tandis qu’un troisième s’en approche les mains voilées pour recevoir la nourriture céleste. — Le vin était distribué dans des calices à part, calices minisleriales. M. Marucchi en voit un dans celui qui figure sur une mosaïque du ve siècle, dans le pavé d’une basilique à Madaba, en Palestine. Nuovo bullet., t. iii, p. 148, 149. Celui de Reims a dû servir au même but.

Mode de conservation.

1. Dans les églises. —

Pour les premiers temps, nous sommes très mal renseignés sur ce point. A partir du ive siècle, nous trouvons souvent l’eucharistie dans les sacraria des basihques qui équivalent à nos sacristies. Cf. S. J. Chrysostome, Epist. ad Innoc. papam, n. 3, P. G., t. LU, col. 533, et Const. apost., 1. VIII, c. xiii, P. G., t. I, col. 1109. On a cité l’inscription que saint Paulin de Noie plaça dans la basilique de saint Félix, au-dessus d’une espèce de niche, à droite de l’abside : Hic locus est, veneranda penus qua conditur et qua I ponitur (promitur) aima sacri pompa ministerii. Epist., xxxiii, ad Sever., P. L., t. lxi, col. 338. Faut-il voir dans cette niche, avec le P. Kleinschmidt, dans Pastor bonus. Trêves, 1900-1901, t. xiii, p. 290, 291, et d’accord avec l’Ordo romain, l’endroit où on conservait l’eucharistie, pour la porter solennellement sur l’autel au commencement de la messe, ou bien admettre avec De Rossi, Bullet., 1876, édit. franc., p. 61, qu’on y préparait tout ce qui était nécessaire au sacrifice, en particulier, les éléments qui devaient être portés sur l’autel pour l’offertoire ? On peut se demander également si la niche d’une petite église près de Spolète, qui, avant la fin du iv<e siècle, était un temple païen, servait primitivement d’armoire eucharistique. Fleury, op. cit., t. ii, p. 60-65, pl. cxxi ; Corblet, iï ! 5/oi>e… de l’eucharistie, t.ï, p. 567-569. — 2. Dans les maisons.

Tertullien et samt Cyprien, entre autres, attestent que les chrétiens emportaient à la maison l’eucharistie sous l’espèce du pain, pour pouvoir se communier à l’occasion. Tertullien, Ad uxorem, 1. II, c. v, P. L., t. i, col. 1296 ; S. Cj’prien, X)e lapsis, c. xxvi, P. I, ., t. IV, col. 486 ; De spectaculis, c. v, édit. Hartel, t. ii, p. 8. A ce sujet, certains archéologues ont rappelé les corbeilles de la crypte de Luclne, comme si de pareils paniers avaient servi à cet usage. Marucchi, Le dogme de l’eucharistie, p. 16. Sans doute, saint Jérôme, Epist, cxxv, P. L., t. xxii, col. 1085, dit dans une lettre à Rustique : Nihil illo dilius quam qui corpus Domini in canislro portai vimineo et sanguinem ejus in vitro. Mais ce passage ne prouve rien. Voir Wilpert, Fraciio panis, p. 59, note. Après 1205 EUCHARISTIE D’APRÈS LES MONUMENTS DE L’ANTIQUITÉ CHRÉTIENNE 1206

la paix de l’Église, l’habitude continuera encore un certain temps. Cf. S. Basile, Episi., xciii, P. G., t. XXXII, col. 486. Exceptionnellement, on y offrait encore le saint sacrifice. S. Grégoire de Nazianze, Oral., VIII, n. 18, P. G., t. xxxv, col. 810, 811. Évidemment on consacrait autant que possible un endroit spécial à l’oblation et à la conservation du sacrement. C’est à cela que se rattachent les oratoires privés. En 1876, on en découvrit un à Rome, près de la gare actuelle. Le monument était du ive siècle. La description détaillée, fournie par De Rossi, Bullel., 1876, édit. franc., p. 45-63, ne laisse pas de doute sur sa destination liturgique.

Vases eucharistiques.

Le pain consacré qu’on

emportait à la maison était enveloppé dans du linge et déposé dans de petites boîtes, appelées arca ou arcula, qu’on plaçait dans une niche ou armoire, parfois même dans un petit oratoire. Leur forme nous est rappelée par la fresque romaine du ive siècle, mentionnée plus haut. Wilpert, op. cit., p. 306 sq., pi. 166, n. 1. Quant aux monuments originaux publiés par Garrucci, Storia del" arte crisliana, pl. 427 sq., et Rohault de Fleury, La messe, t. v, pl. 363 sq., il faut se garder de n’y voir que des reliquaires ou des boîtes aux saintes huiles, ainsi que l’a fait de Waal, Rômisclie Quartalschrijl, 1910, t. xxiv, p. 105. Il ne faut pas non plus, avec les deux auteurs précités, attribuer indistinctement à tous une destination eucharistique : celle-ci ne doit être positivement admise que pour les monuments ornés de scènes eucharistiques. C’est le cas, d’après Wilpert, pour la cassette d’argent de Milan, de la seconde moitié du ive siècle, dont le couvercle représente la multiplication des pains et le miracle de Cana. Wilpert, Malereien, p. 307 ; Nuovo bullet., 1900, t. vi, p. 91 ; Leclercq, dans le -Dîc/fon. d’archéol. clirét., t. ii, col. 1807, 1808, fig. 1985. Une pyxide en ivoire, provenant de Carthage et conservée aujourd’hui au musée de Livourne, montre également la multiplication des pains. Elle est du ive siècle et a dû servir au même usage. De Rossi, Bullel., 1891, p. 47-52, pl. iv-v ; Stuhlfauth, Die atlchristliche Eljenbeinplastik, Fribourg et Leipzig, 1896, p. 128 sq. Pour une autre pyxide de la même matière, conservée au musée de Berlin et datant à peu près de la même époque, la destination eucharisUque admise par les meilleurs connaisseurs peut paraître quelque peu douteuse. Le petit monument montre le Christ enseignant au milieu des apôtres et le sacrifice d’Abraham. Leclercq, dans op. cit., t. II, col. 777, 778, fig. 1511, 1512 ; Leclercq, Manuel d’archéologie, t. ii, p. 345, 346. Sur une troisième pyxide semblable à la précédente, qui se trouve à Bologne, voir Stuhlfauth, op. cit., p. 29, 30, pl. i, n. 2 ; sur les pyxides en général et la bibliographie du sujet, Leclercq, Manuel, t. ii, p. 344-348. — Quant aux colombes eucharistiques dont a pu se servir l’antiquité chrétienne, aucune ne nous a été conservée. Kaufmann, Handbuch, p. 313 ; Raibel, Der Tabernakel einst und jetzl, Fribourg, 1908, p. 131143. « Une antique custode eucharistique en forme d’agneau » est mentionnée par Maiocchi, dans Kirista di scienze slorichc, 1904, p. 210-213.

5 » Calices liturgiques. — 1. D’après Wilpert, la plus ancienne représentation serait le calice à anses de la l’raclio panis. Wilpert, Frarlio panis, p. 73. Puis viennent les verres de la crypte de Lucine, Wilpert, Malereien, pl. 28, et le verre de la catacombe syracusaine, ce dernier du iv siècle. Un calice figure sur une pierre du cimetière de Pontien, du ine siècle. Boldetti, op. cit., p. 208 ; Leclercq, dans le Dictionnaire d’archéol. chrétienne, t. ii, col. 1599, 1600, fig. 1870. Un autre sur un marbre de Sainte-Priscillc est de la même époque. Perret, Les catacombes, t. v,

pi. 57, n. 8 ; Ficker, Die altchristlichen Bildwerke des Laterans, p. 122, n. 174 b. Quelques autres figures sont moins anciennes. R. de Fleury, op. cit., t. iv, pi. ccLxx, ccLxxvii, etc. Un cancel copte, du v « vi "’siècle, montrant deux paons tenant dans le bec un linge qui encadre un calice surmonté d’un disque (hostie), est décrit dans Strzygowski, Koptische Kunst, Vienne, 1904, n. 7368, p. 85, 86, dans Calai, général des cmliq. égyptiennes du musée du Caire, t. xii. Il est difficile de dire dans quelle mesure ces représentations assez rares nous autorisent à tirer des conclusions certaines par rapport à la forme des vases hturgiques primitifs. Cf. Schnyder, Die Darstellungen des eucharislischen Kelches auf allchrisilichen Grabschriften, dans’^-pujij.y.x’.o-/ àpyaio/ovt/.ov, Rome, 1900, p. 97-118. Plusieurs auteurs attestent l’usage des caUces en verre : ce que les monuments confirment. D’autres mentionnent des calices en métal précieux qui ont dû ressembler à ceux que l’on voit à Ravenne sur les mosaïques de Saint-Vital et de Saint-Apollinaire-/n-C/asse, ou à Rome, à Sainte-Marie-KIajeure, par exemple, le Liber ponliflcalis, l’inventaire de l’église de Cirta, en Afrique, de 301, etc. Cf. Leclercq, dans le Dictionnaire d’archéol. chrél., t. II, col. 1605 sq. ; Richter et Taylor, The golden âge oj classic Christian art, pl. 5, n. 1-3. — 2. Parmi les anciens calices conservés jusqu’à nos jours, citons celui du cimetière Ostrien, aujourd’hui au musée chrétien du Vatican, De Rossi, Bullel., 1879, pl. iv, et les calices trouvés dans les cimetières de Cologne et de Trêves et publiés par E. aus’m Wecrth, dans les Jahrbiicher des Vereins von Alterlumsfreuiuten im Rheinland, 1878, t. lxiv, p. 124-126, pl. x. Leur desUnation eucharistique défendue par quelques auteurs n’est nullement prouvée. Mais il faut l’admettre pour plusieurs autres, par exemple, pour le calice de Chelles, pour celui de Gourdon.avcc sa belle patène, pour le calice de Feltre ou de Zamon, près de Trente. Ils sont du v « -vie siècle, sauf peut-être le dernier, auciuel le P. Grisar pense devoir assigner une date un peu plus récente. Nuovo bullel., 1897, t. iii, p. 15. Le métal dont ils sont faits, les pierreries dont ils étaient ornés, attestent que rien n’était trop précieux pour contenir le sang d’un Dieu. Voir art. Calice, dans CabTO, Dictionnaire, t. ii, col. 1595 sq.

L’autel.

1. Représenlations. — Parmi les plus

importantes, il faudrait nommer, selon Wilpert, celle de la Fractio panis, si toutefois on peut parler d’autel : c’est une espèce de sofa en forme de demicercle, exhaussé au-dessus du sol. Wilpert, op. cit., p. 8. La même forme revient encore plusieurs fois, par exemple, dans les chapelles des sacrements, dans un hypogée de la voie latine récemment découverte, etc. Wilpert, Malereien, pl. 41, n. 3 et 4, 265, 267. Dans la chambre des sacrements A’, c’est sur uti trépied que se fait la consécration. Une autre table-guéridon à trois pieds, qui porte des pains et des poissons, figure à la voûte de la chapelle A’. Wilpert, op. cit., pl. 38 et 41, n. 1. Pratiquement, il ne faudrait pas attacher une grande importance au motif artistique du trépied pris de la vie ordinaire, ni vouloir en tirer des conclusions certaines par rapport ; la forme des autels primitifs. Dans la mosaïque de la coupole de Saint-Jean-/n-Fofi/p, à Ravenne, on a])crçoil quatre autels-tables, sur lesquels est posé le livre des Écritures. Ils consistent en une plaque portée par quatre colonnes. De même à Saint-Vital et à Saint-Apollinaire-i /i-C/asse. Fleury, op. cit., t. i, pl. ii, in et xxix, p. 63. 64, 1.34 ; Baumstark, Liturgia romana, Y). ici IV ; Richter et Taylor, The golden âge oj classic Christian art, pl. 5, n. 2 et 3. Enfin, des autels en forme de cippe figurent dans les scènes du sacrifice d’Abraham sur une fresque du iii’e siècle, h Saint-Hermès, Wil1207 EUCHARISTIE D’APRÈS LES MONUMENTS DE L’ANTIQUITÉ CHRÉTIENNE 1208

pert, Malereien, pl. 114, sur les pyxicics de Berlin, de Bologne, Stuhlfaiith, op. cit., pi, i, et sur quelques sarcophages. — 2. Monuments originaux. — Aucun texte ne parle en faveur des prétendus autels de la cène, de saint Pierre, de saint Jérôme, de saint Grégoire, etc., qu’on conscrve’encore aujourd’hui à Rome, et leur forme nous oblige à les attribuer à des époques beaucoup plus récentes. Holtzinger, Die attchristtiche Architektur, Stuttgart, 1889, p. 115 sq. ; Kraus, Real-Encyclopddie fiir clirislliche Allertiimer, 1882, t. I, p. 35, 41, 42 ; Leclercq, dans le Dictionnaire d’archéot. chrétienne, t. i, col. 3158, 3187 ; Nuovo buliet., 1897, t. III, p. 19 sq. Les autels dont nous avons à parler appartiennent à l’époque de la paix. Les plus anciens, parmi lesquels il faut ranger ceux de Saint-Victor de Marseille et d’Auriol, les autels de la catacombe de Saint-Alexandre, sur la voie Nomentane, et de Baccano, sur la voie Cassia, etc., sont du iv « et ve siècle. Ils consistent généralement en une plaque de marbre carrée reposant sur 1, 4 ou 5 pieds et sont décorés de différents ornements. Parfois on a utilisé des monuments païens désaffectés qu’on couvrait d’une plaque de marbre qui servait de table d’autel. Trois cippes de marbre conservés au musée de Latran rentrent dans cette catégorie. De Rossi, Buliet., 1877, pi. iii-iv. Plusieurs autres se trouvent en France et ailleurs. Kraus, op. cit., t. i, p. 42 ; dom Leclercq, loc. cit., t. i, col. 3175 sq. Quelques autels en forme de cippe sont d’origine chrétienne et remontent très haut. Leclercq, loc. cit., col. 3177, 3178. Enfm, il est probable que l’une ou l’autre des tables d’agapc, nvnsæ agapes, trouvées en Afrique, a servi pour la confection de l’eucharistie dans les oratoires où elles étaient placées. Wieland, op. cit., p. 152-154 ; Nuovo buliet., 1900, t. VI, p. 128, 129 ; Leclercq, art. Agapc, dans le Dict. d’archéol. clirét. t. i, col. 775. Quelques autels richement décorés sont attribués au ive siècle par M. Schultze, dans Realencyclopàdie fiir protest. Théologie und Kirche, Leipzig, 1896, t. i, p. 394. — Nous traiterons la question des reliques placées dans l’autel ainsi que celle de l’oblation de la messe en l’honneur des saints, à l’art. Saints (Culte des). — 3. Nappes d’autels. — L’usage des nappes est un usage profane : on l’a adopté pour la table liturgique. Au ive siècle, plusieurs auteurs nous en parlent, par exemple, saint Optât de Milève, De schismat., vi, 1, P. L., t. xi, col. 1077 ; saint Ambroise, De virg., 1. I, c. xi, n. 65, P. L., t. XVI, col. 206. Saint Jean Chrysostome, Homit., L, n. 4, in Matth., P. G., t. lviii, col. 509, mentionne des bordures en or. M. Marucchi, Le dogme de l’eucharistie, p. 18, a voulu voir la représentation d’une nappe sur la table de la Fractio panis. Cette explication est à tout le moins fort douteuse. Des nappes ornées de riches bordures figurent sur les tables eucharistiques ou autels dans les inosaïques déjà citées de Ravenne. Une épigraphe africaine, du v ou vie siècle, les mentionne avec des reliques déposées dans l’autel :

+ SVB HEC (sic) SACRO H SCO BELAMINE ALTA ||

RIS SVNT MEMORI/E SCOR… De Rossi, Buliet., 1894, p. 39. Voir Leclercq, dans le Diction, d’archéol. chrét., t. i, col. 3155-3189. Voir aussi plus haut, t. i, col. 2578-2584.

7° Chants et lectures à l’office liturgique. Diptyques et vêlements liturgiques. — - 1. Gomme monument antérieur à Gonstantin, on ne peut citer qu’un marbre de Bithynie, du iiMiie siècle, où on dit du titulaire qu’il a charmé le troupeau du Très-Haut et formé les fidèles au chant des psaumes et à la lecture des saints Livres : ©eOY (û.i || laT) OY nOIMNCIA TePn{„>v)i| YAAMOIC Te AreiOlC K(ai tiva)JirN0OC-MACIN nANTAC EGICcov). Cabrol et Leclercq, Monum. liturgica, Paris, 1902, t. i, n. 2785 ; Leclercq,

dans le Dictionnaire d’archéol. clirél., t. iii, col. 345. A partir du milieu du iv<e siècle, les témoignages épigrapliiques augmentent sensiblement. Par l’inscription de l’évêque africain Alexandre nous apprenons que le peuple tout entier prenait part tau chant. Antérieurement déjà, à Rome, un certain Léon rehaussait le culte par son chant : psallere

ET IN POPULIS VOLUI MODULANTE PROFETA (Si’c),

tandis que l’épitaphe contemporaine du diacre Redemptus dit du titulaire : dulcia nectareo prome BAT MELLA CANCRE, | PROPIIETAM CELEBRANS DULCI

MODULAMINE SENEM. Dc Rossi, Roma solter., t. iii, p. 240 et 239 ; Ihm, Damasi epigrammata, Leipzig, 1894, p. 38, n. 35*, p. 28, n. 21*. Pour d’autres épigraphes, voir de Waal, Le chant liturgique dans tes inscriptions romaines, dans le Compte rendu du III" congrès scientifique international des catholiques, ii « section, Bruxelles, 1895, p. 310-317 ; Leclercq, dans le Diction, d’archéol. chrél., t. iii, col. 351-357. — 2. La pratique de nommer les personnes mortes ou vivantes pour lesquelles on demandait pendant le saint sacrifice les prières des assistants est très ancienne. Wilpcrt, Fractio panis, p. 53 sq. Saint Gyprien, £’p(s/., i, 2, édit. Hartel, t. m 6, p. 466, 1a connaît. A cet usage se rattachent les diptyques liturgiques, ou plaquettes d’ivoire, qui portaient le nom des personnes en question. Quelques-uns des monuments encore conservés avaient d’abord une destination profane qui n’a été changée que plus tard, par exemple, le diptyque Barberini, ceux de Kovare et de Brescia. D’autres étaient destinés dès le commencement à l’usage religieux, par exemple, le « livre d’ivoire » de la cathédrale de Rouen, du v^" ou vie siècle, celui de Tongres, etc. Voir Kraus, Real-Encyclopâdie, t. i, p, 364-372 ; Leclercq, Manuel d’archéologie chrétienne, Paris, 1907, t. ii, p. 342-344, avec la bibliographie, en attendant l’art. Diptyque, dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne. — 3. Pour les vêtements liturgiques, voir Wilpert, Die Gewandung der Christen in den ersten Jahrhunderlen, Gologne, 1898, p. 33-58 ; Braun, Die liturgische Gewandung im Occident und Orient, Fribourg, 1907.

Pour Tépitaplic d’Abercius, voir plus liaut, 1. 1, col. 362 ; pour les inonuments de la troisième catégorie, calices, autels, etc., voir les indications bibliographiques sommaires dans chaque paragraplie de la seconde partie. Nous ne citons pas non plus in extenso le titre des manuels et dictionnaires d’arclicologie chrétienne, tels que Martigny, Allard, Kraus, Kautmann, Marucclii, Scaglia-Xystus, Cabrol, etc., qui consacrent tous un certain nombre de pages à l’archéologie de l’eucharistie.

Baring-Gould, Ow inlieritance, an accoiinl o( tlie eucharistie service in tlie firsl three centuries, Londres. 1888 (cité par Kvaus, Geschiclite der cliristliclien Kunst, Fribourg, 189(3, t. i, p. 165, n. 2) ; Bilezewski, Êiicaris/i’a illnslrala da monumenti lelterari, epigrafici, iconografici delta crisliana antichila (paru en langue polonaise) ; cf. Commentarius authenlicus du 11’^ congrès d’archéologie chrétienne, tenu à Rome, 1900, p. 158 ; Bulir, Un frammento di bassoritievo rappresentante il calice eucaristico, dans Bulleltino di arclicologia e.storia dalmala, 1906, p. 39-45 ; Cavedoni, La credenza delta primitit’a Cliiesa modenese nel dogma aiigustissiino del sacramento dell’cucarislia comprovato con duc monumenti del terzo secolo, dans Opnscoli religiosi, 2’série, 1863, t. i, p. 321-3T ? ; Congrès (dixième) eucliarislique inlernalional tenu à Paray-le-Monial, 1897, p. 464-475 ( : 2 articles de Dory et Gauthey) ; Corblet, Histoire dogmatique, lituryique cl ai-cltéologique du sacrement de l’eucharistie. 2 vol., Paris, 1885-1886, surtout, t. ii, p. 478-551 ; Dechent, Die Bcdeulung der Speisungsgescliiclde auf den Denlimàlern altcluistliclier Kunst, dans Clirislliclies Kunstblatl, 1878 ; Didiot, Ln tlicologie des catacombes, dans la Revue des sciences cccli’s., 1864, t. X, p. 616sq. ; Dobbert, piix Abendmald in der bildenden Kunst, dans Repertorium fiir Kunslivissenscliafl, 1890, l. XIII, p. 281 sq., 363 sq., 123 sq. ; Dolger, IXeYC, Das Fisclisjimbol in fiidicliristliclier Zeit, Rome, 1910, t. i ; les premiers chapitres du livre ont paru comme articles dans

I

Rômische Quartalschrift, t. xxiii et xxiv’(1909-1910), p. 3-112, 51 sq. ; le t. ii traitera surtout des monuments ; Funk, Der Kommunionritus, dans Kirchengeschichtliche Abhandlungen und Untersudningen, Paderhorn, 1897, t. i, p. 293-308 ; Grisar, Un graffdo eucarislico in un templo pagano — il calice del vino consecrato nelFarte antica — le rapprcsenlazioni dei pani eucarislici, dans Civiltà cailolica, Rome, 1897, 16" série, t. ix, fasc. 1122, p. 721-731 ; Hoppenot, La messe, Bruges ; Lammens, Les formules épigraphiques : Christus hic est et Xjpto ; i/OàSî zy-or^Ev, dans la Revue de l’Orient chrétien, 1902, t. vii, p. 668 sq. ; Liell, Fractio panis oder Cœna ca ; Zesiis, Trêves, 1903 ; Marucchi, Die Katakomben und der Prolestantismus (trad. de l’italien), Ratisbonne, 1905, p. 34-30 ; Id., Le dogme de l’eucharistie dans les monuments des premiers siècles, dans la collection Science et foi, n. 14, Bruxelles-Paris-Rome, 1910 (reproduit dans YUniuers, 23, 26, 27, 29 juillet 1911) ; Picrse, T/ie mass in the infant Church, Dublin, 1909, p. 107-137 ; Raible, Der Tabernakel einst und fetzt, édit. de Krebs, Fribourg, 1908 ; Rohault de Fleury, La messe, études archéologiques sur ses monuments, 8 vol., Paris, 1883-1889, particulièrement, t. I, IV, v ; De Rossi, Roma sotterranea, t. i et ii ; Id., BuZZeHmo di orc/ieoZoji’a cris<ia ; ia, Rome, 1864 sq., passim ; Id., Jnscriptiones christianæ urbis Romee, Rome, 1888, t. lia, p. XII sq. ; Rouquette, Le poisson eucharistique dans une tombe africaine, dans le Bulletin archéologique, Paris, 1907, p. 454-458 ; Scheiviler, X>ie Elemente der Euchaj ristie in den erslen drei Jalu-hundcrten, Mayence, 1903 <dans Forschungen zur christlichen Lileralnr und Dogmengeschichte de MM. lîhrhard et Kirsch), t. iii, p. 119-124 ; Schermann, Die Fractio panis in S. Priscilla, Realismus i und Symbolik, dans Historisch-Polilische Bldtter, 1906, | t. cxxxvii, p. 338-354 ; Schilfgaarde, Waszklewicz van, Hct dogma lier heilige Eucharistie in de Romeinsche Catacomben, Amsterdam, 1906 ; Sehnyder, Die Darstellungen des euchcu-istischen Kelches auf altchristlichen Grabschriften Roms und deren Bedeutung in der sepulUralen Symbolik, dans Expii^àTiov Kf/K.r//, „Yix., , Mitteilungen dem zweiten internationalen Congress fur christliche Archàologie 7u Rom gerwidmet vom Collegium des dentschen Campo santo, Rome, 1900, p. 97-118 ; Id., Das altchristliclie Symbol des Fisches und sein Beziehung zur Eucharistie, dans Schiveizerische Kirchenzeitung, Lucerne, 1905, p. 230 sq., 237 sq., 246 sq. ; Sieglin et Schreiber, Die Xekropole von Kôm-esch-Schukâfa, Leipzig, 1908 (le ch. v traite de la catacombe Wescher à Alexandrie) ; Swoboda, Dber den lilwgischen Erlrag von Wilperts neuen Katakombenfunden, dans Jalirbuch der Leogesellschaft, Vienne, 1895, p. 76-82 ; A. de Waal, Il simbolo nposlolico illuslrato dalle iscrizioni, Rome, 1896, p. 44-49 ; Wieland, Mensa und Confessio, t. I, dans Vertiffentlichungen aus dem kirchenhislorischen Seminar Mùnchen, n. 11, Municli, 1906 ; Wilpert, Dos Opfer AbraJicuns, dans Riimische Quartalsclirifl (1887), 1. 1, p. 126-160 ; Id., Principienfragen der christlichen Archàologie, Fribourg, 1889 ; Id., La Fractio panis rappresentata in affresco cimiteriale delta prima meta del sccolo ii, dans Memorie délia pontif. Accademia romana di archeologia, Rome, 1894 ; Id., Die Fractio panis, die atteste Darslellung des eucharistischen Opfers, Fribourg, 1895 ; Fractio panis, la plus ancienne représentation du sacrifice eucharistique, trad. franc., Paris, 1896 ; Id., Die Malcreien der Sakramentskapellen, Fribrmrg, 1897 ; Id., Ilvalore dommatico délie piMureccme/eriaZi, Home, 1897, p. 10-17 ; Id., Die Malereien der Kniakomhen, Fribourg, 1903, p. 45-47, 282-308, 388.

H.-S. BOUR.

IV. EUCHARISTIE DU IX° A LA FIN OU Xl° SIÈCLE.

— I. Les travaux. II. Les résultats.

I. Les travaux.

Écrivains latins.

1. Première

controverse cucimristique : /.t" et xe siècles. — a) Au ixe siècle. — La littérature eucharistique du ixe siècle est abondante. S’ils s’occupeiit lieaucoup de rcucharistie, les contemporains de Cliaricmagnc ne spéculent « uèrc ; ils sont orientés plutôt vers la ))ratiquc. La communion et la liturgie attirent et alisorbent presque leur attention. Ici, comme en toutes choses, Cliarlemagne est l’excitateur. Entre divers actes, il jinblie, ; " » Aix-la-Chapelle, en 809, un capitulaire sur la réserve euchriristique en vue de la communion des malades, adultes et petits enfants, /’. L., t. xcvii, col. 326, qui passa dans la plupart des recueils de décrets composés du ix" au xiiie siècle.

Cf. L. Andrieux, Le viatique et l’extrême-onction des enfants, dans la Revue pratique d’apologétique, 15 juillet 1911, p. 562-564. Il demande, en 812, à l’épiscopat de l’empire une explication des cérémonies du baptême ; la dernière question du programme est la suivante : eur [catecliumenus] corpore et sanguine dominico confirmatur. Voir sa lettre à Odilbert de Milan et àAmalaire, P. L., t. xcviii, col. 933 ; t. xcix, col. 892. La réponse d’Arnon de Salzbourg, qui sortit vainqueur de cette sorte de concours, cf. H. Zeissberg, Arno erster Erbiscfiof von Salzburg, Vienne, p. 57, est perdue. Mais nous possédons un assez grand nombre de ces réponses, quelques-unes avec leur nom d’auteur, les autres anonymes, cf. P. de Puniet, Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, Paris, 1910, t. ii, col. 2613 ; tontes s’expliquent sur la question relative à l’eucharistie, en particulier celles de Leidrad de Lyon, c. ix, P. L., t. xcix, col. 866867, et de Théodulphe d’Orléans, c. xviii, P. L., t. cv, col. 2, 39-240, plus détaillées et importantes. Surtout Charlemagne imprime à la réforme liturgique inaugurée par Pépin le Bref un élan tel que, longtemps encore après sa mort, il n’avait point faibli. Il a, pour le servir dans cette campagne, le concours de son auxiliaire habituel, Alcuin, dont le rôle liturgique « lui assure le premier rang parmi les hommes de son temps. » F. Cabrol, Dictionnaire d’archéologie cfirétienne et de liturgie, Paris, 1904. t. i, col. 1073. Deux disci]iles d’Alcuin, Hélisachar et Amalaire, et les deux adversaires d’Amalaire, Agobard et Florus de Lyon, sans parler de Raban Maur, etc., complètent l’œuvre d’Alcuin. Cf. H. Netzer, L’introduction de la messe romaine en France sous les Carolingiens, c. iv. Les grands liturgistes du LX'e siècle, Paris, 1910, p. 4971, et, dans le Dictionnaire d’archéologie cfirétienne et de liturgie, Paris, 1904, t. i, F. Cabrol sur Alcuin, col. 1072-1092 ; E. Debroise sur Amalaire, col. 13231330, et sur Agobard, col. 971-979. Ils corrigent et composent, en partie, les divers livres liturgiques, spécialement le sacramentaire, et, avec un mérite inégal, étudient les offices ecclésiastiques, principalement les cérémonies de la messe.

On vit de l’eucharistie, et, selon la remarque de J. Bach, Die Dogmengeselùehte des Mittelallers, Vienne, 1874, t. I, p. 160, la doctrine des anciens théologiens n’est claire que pour celui qui ne l’oublie pas et a constamment devant les yeux la pratique liturgique de l’Église dans l’offrande du sacrifice eucharistique ; li’i est la base sur laquelle ils étayent leurs théories. Ces théories n’apparaîtront qu’un peu plus tard ; dans les écrits qui se rattachent à l’influence de Charlemagne, non seulement la présence réelle est toujours supposée, mais elle est souvent alïîrmée de façon expresse, et la transsubstantiation même est, sinon formulée d’une manière comiiléte, du moins clairement indiquée. Cf. les livres carolins, 1. II, c. xxvii, P. L., t. xcviri, col. 1093-1096 ; voir Carolins (Livres), t. II, col. 1797 ; Théodulphe d’Orléans, De ordine baptismi, c. xviii, P. L., t. cv, col. 240 : ut… panis et vinum in corporis et sanguinis Domini transeant dignitatem ; Alcuin, Epist., xli, /’. L., t. c, col. 203 : eo lemfmre opportuno qiin panem et vinum in substantiam corporis et sanguinis Christi’eonsecraveris ; Epist., xc, col. 289 ; surtout Confessio fidei, part. IV, c. i-vii, P. L., t. CI, col. 1085-1092, d’une force d’expression remarquable (l’attribution ix Alcuin est fort douteuse).

L’auteur de la Confessio ftdei ne se borne pas à affirmer la présence réelle et à dire, c. iii, col. 1088, cpie fmnis et vint creatura in sacramentum carnis cl sanguinis ejus, ineffabili Spirilus sanctificatione, Iransfertiir ; il ajoute : Omnes manducani ex ro (le Christ), sed unusquisque lotum mnnducal. Dividitur per »arles, scd lotus in partibus. Mnnducains ab omni

populo, sanus et integer manel. Tolus in cselo, lotus in cordibus fidelium. Il y a, dans ce texte, tous les éléments du problème qui passionna les esprits. La chair et le sang du Christ sont mystérieusement présents dans le sacrifice de la messe, le corps du Christ est tout entier dans le ciel, tout entier dans chaque hostie consacrée et dans chacune de ses parcelles ; tous ceux qui communient le reçoivent tout entier et, d’autre part, il demeure intact. Comment concilier ces choses ? La part faite au mystère, une question surgit : quelles sont les propriétés du corps eucharistique du Christ ? Est-il étendu ou non ? A-t-il un mode d’êlre corporel ou spirituel ? Quels sont les rapports entre le Christ eucharistique et le Christ historique ? Ce corps, qui est présent sur des milliers d’autels, est-ce le même que le corps céleste du Christ, ou en diffère-t-il ?

Un essai de solution, partiel et mal venu, existe dans le De ecclesiaslicis offîciis d’Amalaire (vers 823), 1. III, c. XXXV, P. L., t. cv, col. 1154-11.55, qui dit : Tri forme est corpus Chris ti, eorum scilicct qui guslaverunt mortem et mortui sunt. Primum videticet, sanctum et immaculalum, quod assumplum est ex Maria Virgine ; alterum, quod ambulat in tfrra ; ierlium, quod jacel in sepulcris. Per particulam oblatæ (l’hostie de la messe) immissæ in calicem oslenditur Christi corpus quod jam resurrexit a moriuis ; per comestam a saccrdole vel a populo, ambulans adhuc super lerram ; per rcliclam in cdlari, jacens in sepulcris. Florus de Lyon, dans sa lutte contre Amalaire, s’empara de ce passage, et le fit condamner par le concile de Kiersysur-Oise (838), comme de spirilibus erroris et doclrinis dsemoniorum sumptum, Opusc. adversus Amalarium, II, c. VI, P. L., t. cxix, col. 83 ; il présente ainsi l’opinion d’Amalaire : asserit… corpus Christi triforme et triparlitum, imo tria esse Christi corpora, c. v, col. 81. Cf. Opusc, I, c. IV, col. 74. Le texte d’Amalaire sur le corpus triforme du Christ eut une fortune étrange. Il passa dans divers écrits : le De inslituiione clericorum de Raban Maur, 1. I, addition au dernier chapitre, P. L., t. cvii, col. 326 ; le Micrologus (probablement de Bernold de Constance), c. xvii, P. L., t. cli, col. 988 ; le Liber de divinis offîciis du pseudo-Alcuin, c. XXXIX, P. L., t. CI, col. 1246, etc. Dans ce dernier ouvrage, la phrase se trouve placée à la suite de l’assertion que le pape Sergius établit l’usage de réciter V Agnus Dei (cf. L. Duchesne, Le Liber pontificalis, Paris, 1886, t. i, p. 381), de telle sorte qu’un lecteur peu attentif pouvait croire que cette phrase d’Amalaire est dans la bouche de Sergius. C’est sans doute ce qui a trompé Gratien ; en tout cas, ce dernier transcrivit cette phrase comme une réponse de Sergius, dans la III’^ partie de son Décret, De consecralione, dist. II, c. XXII. Une fois attribuée à un pape, elle attira l’attention de tous les théologiens. Citons, entre autres, Pierre Lombard, Sent., 1. IV, dist. XII, P. L., t. GXGii, col. 866 ; Innocent III, De sacro cdlaris mgsterio, 1. VI, c. iii, P. L., t. ccxvii, col. 907, et saint Thomas d’Aquin, Sum. theol., III » , q. lxxiii, a. 5, ad S"" » . Seulement tous ces auteurs interprétèrent cette prétendue décision pontificale d’une manière orthodoxe. « Ils y virent l’indication des ellets produits par le corps de Jésus-Christ, au ciel, sur la terre et en purgatoire. » J.-]I.-A. Vacant, Le sacrifice de la messe dans la tradition de l’Église kdine, dans L’université catholique, Lyon, 1894, t. xvi, p. 368, note. Quel est le sens véritable d’Amalaire ? Disons, tout d’abord, que sa terminologie se distingue de celle dont saint Augustin a fourni les éléments, qu’adoptent Paschase Radberl, Liber de corpore et sanguine Christi, c. vii, P. L., t. cxx, col. 1284-1286, et, avec lui, de nombreux auteurs, et qui consiste à appeler « corps du Christ » et le corps né de Marie, et le corps eucharistique, et le corps mystique ou l’Église. Amalaire aurait-il vrai ment enseigné, ainsi que le lui prête FJorus, que le Christ a trois corps, ou bien aurait-il simplement exposé — ainsi l’interprète dom R. Ceillier, Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques, Paris, 1752, t. xviii, p. 571 — que, « outre le corps naturel de Jésus-Christ, on peut encore dire que l’Église militante est son corps, mais d’une autre manière, et que l’Église des morts, qui comprend ceux qui sont (lans le ciel et ceux qui sont dans le purgatoire, fait aussi partie du corps de Jésus-Christ ? « JNous pensons que ni l’une ni l’autre de ces explications n’est satisfaisante. Amalaire étudie le symbolisme de la messe. Il arrive à la fraction de l’hostie. L’hostie était alors brisée en trois parties : l’une était mise dans le calice, la deuxième servait à la communion du prêtre et des fidèles présents au sacrifice, la troisième était réservée sur l’autel pour les morts, c’est-à-dire comme vialicum morientis, col. 1155. Voici le symbolisme d’Amalaire : la partie de l’hostie mise dans le calice représente le corps du Christ, saint et immaculé, né de la Vierge Marie, ressuscité des morts ; la partie qui sert à la communion du prêtre et du peuple chrétien représente le corps du Christ, qui, par la communion, est dans les vivants ; la partie qui est réservée représente le corps du Christ qui gît dans les sépulcres, c’est-à-dire qui est dans ceux qui ont communié et qui sont morts. En ce sens encore, dans son Eclogæ de officio missse, P. L., t. cv, col. 1328, traitant de nouveau de fractione oblatarum, il se demande pourquoi on ne met qu’une partie de l’hostie dans le calicej tandis que le corps du Christ est ressuscité tout entier : c’est, répond-il, parce que Jésus-Christ est en partie ressuscité et vivant au ciel et en partie sur la terre, partim resurrecturum, partim jam vivit ul ultra non moriatur, partim mortelle est, et tamen in cselo. Par la communion, le corps du Christ resterait donc dans le corps de ceux qui l’ont reçu, morts et vivants, et serait à la fois dans le ciel, ressuscité, et sur la terre, ayant à ressusciter, et cela jusqu’à la fin du monde, çui’a usque in finemsœculi corpora sanctorum quiescent in sepulcris, col. 1555. Paschase Radbert détournait son « frère et compagnon d’armes » Frudegarde de ces « inepties » , et ramenait à ces termes la présence du corps du Christ dans le communiant, P. L., t. cxx, col. 1365-1366 : A’e sequaris ineptias de triparlito Cliristi corpore, non salem aut met in eo admisceas, quod quidam voluerunt, nec atiud adjicias, née subtrahas, sed totum ut Christus instiluil ita esse credas et intelligas, quatenus per hoc ille in nobis concorporatus maneal, sicut et nos in itlo per hominem Deum quem assumpsit…, et non secundum deliramenta quorumdam. Amalaire fut-il ébranlé par les critiques dirigées contre sa théorie ? Toujours est-il que, dans une lettre, Epist., vi, ad Guntradum, P. L., t. cv, col. 1338, il déclare que l’essentiel est de recevoir le corps du Seigneur avec une bonne intention, et qu’il n’a pas à débattre si, après la communion, ce corps invisibililer assumatur in cœlum, an reservetur in corpore nostro usque in diem sepulturæ (c’est son ancienne opinion, sauf qu’il ne s’agissait pas du jour de la sépulture, mais de la fin des temps), uul exhaletur in auras, aut exeat de corpore cum sanguine, aut pir poros emittatur, dicente Domino : omne quod inlral in os in venlrem vadil et in secessum emittitur. Cette manière d’exposer la question, même en se refusant à l’examiner, prouve qu’Amalaire n’a qu’une idée très imparfaite du mode d’être du Christ dans l’eucharistie. Mais il s’exprime correctement sur le fait de la présence réelle. De ecclesiaslicis offîciis, 1. III, c. xxv, P. L., t. cv, col. 1141 : Hic credimus naturam simpliccm panis et vini mixti verti in naturam rationabilem (c’est le mot du canon de la messe qu’il vient de commenter), scilicct corporis et sanguinis Christi, et Epist., IV, ad Rantgariiim episcopum, col. 133-1-1335^

Amalaire était allé étudier à Corbie, en 827, des manuscrits de liturgie romaine. S’entretint-il avec Pascliase Radbert, moine de cette abbaye, de son opinion sur le corps eucharistique du Christ ? On l’ignore, et on ne sait pas s’il fut pour quelque chose dans la composition par Pascliase du De corpore et sanguine Domini. Ce traité, écrit en 831 et rendu public en 844, marque une grande date dans l’histoire du sacrement de l’eucharistie. C’est la première monographie scientifique qui lui ait été consacrée. D’une importance considérable par lui-naême, il le fut encore par la controverse qu’il déchaîna. Nous nous contenterons d’esquisser les grandes lignes de cette controverse et la suite des faits, renvoyant, pour un exposé complet du rôle et des idées des principaux écrivains qui intervinrent, aux articles qui les concernent dans ce Dictionnaire.

La nouveauté de Pascliase est d’affirmer comme une thèse fondamentale ce qui a été indiqué d’un mot et comme en passant par quelques Pères, à savoir, l’identité du corps historique et du corps eucharistique du Christ, sans laquelle le corps eucharistique ne serait qu’une ombre et une vaine figure de l’autre ; du reste, réellement présent, le corps de Jésus dans l’eucharistie ne doit pas être entendu à la façon capharnaïtique, il n’a point le même mode d’être que le corps historique, il a une présence spirituelle, et l’eucharistie est à la fois vérité et figure, vérité puisqu’elle contient réellement le corps et le sang du Christ, figure puisqu’elle rappelle l’immolation de la croix, figure dans tout ce qui exterius sentitiir, vérité dans ce qui inlcrius recte intelligitur aiit creditur. Cf. c. i, n. 2 ; c. IV, n. 1-2 ; c. vii, n. 2, P. L., t. cxx, col. 1269, 12771278, 1279, 1285, etc. Reste à expliquer comment le corps historique du Christ demeure identique à lui-même en cessant d’être étendu et palpable, comment il est ensemble corps véritable et spirituel ; reste à expliquer la conversion elle-même, et ce que devient le pain dont les apparences demeurent. Tout cela requiert une métaphysique surnaturelle de l’eucharistie, qui sera l’œuvre des grands docteurs du xu^ et du xiii’e siècle, et que saint Thomas poussera à sa perfection. Paschase n’y atteint pas, mais, s’il ne la formule pas tout entière, " reconnaissons que Paschase est plus près de la formuler que personne ne l’a jamais été. » P. Batiffol, Éludes d’histoire et de théolof/ie positive, 2° série. L’eucharistie, ta présence réelle et la transsubstantiation, .3e édit., Paris, 1906, p. 364.

Paschase Radbert avait dédié le De corpore et sanguine Domini à Charles le Chauve. S’il faut en croire Bércnger de Tours, Episl. ad Richardum, dans d’Achery, Spicilef/ium, Paris, 1657, t. ii, p. 510, à la demande de Charles le Chauve, .Jean Scot Ériugène écrivit sur l’eucharistie. Sachant, par ailleurs, que ce fut sur l’ordre de Charles le Chauve que Ratramne composa son De corpore et sanguine Domini, on a conclu que le traité de Paschase occasionna une consultation de Charles le Clhauvc, d’où provinrent les traités de Jean Scot et de Ratramne. Cette manière de voir n’a pas rallié tous les suffrages ; des critiques ont pensé qu’il n’y eut pas un traité de Jean Scot Ériugène distinct de celui de Ratramne. Très probablement Ériugène a traité de l’eucharistie dans un ouvrage qui ne se confond pas avec celui cpii nous est parvenu sous le nom de Ratramne, ou dans les parties perdues de ses commentaires sur le pseudo-Aréopagite ou sur saint Jean, après 851 et avant 860. Les doctrines eucliaristifiues de.Jean Scot difîèrent de l’enseignement de l’ascliase. Il n’est pas certain qu’il ait nié la présence réelle ; il se servit au moins d’expressions ambiguës et « lantîercuses..Xdrevald de Flcury écrivit contre les « inepties » cucharistuiues de.Jean Scot. Voir ÉiiiriÈNi ;, t. v, col. 40.5-106. Cf. R. Ileurlevent,

Durand de Troarn et tes origines de l’hérésie bérengarienne, Paris, 1912, Appendice I, p. 253-285.

C’est vers 859 que Ratramne, moine de Corbie, écrivit le De corpore et sanguine Domini. Il y traite deux questions, qui sont les suivantes. Tout est-il à découvert dans l’eucharistie, en telle sorte que les yeux voient tout ce qui s’j" passe, sans aucune figure et sans aucun voile, ou y a-t-il quelque chose de secret qui n’est découvert qu’aux yeux de la foi ? Le corps du Christ que l’on reçoit dans l’eucharistie est-il le même qui est né de Marie, qui a souffert, est mort, a été enseveli, est ressuscité, est monté aux cieux, est assis à la droite du Père, c. v, P. L., t. cxxi, col. 129-130 ? Il résume la réponse à la première question en disant, c. XLix, col. 147, que corpus et sanguis Christi, quse fldelium are in Ecclesia percipiuntur, figuras sunl secundum speciem visibilem, at vero, secundum invisibilem substanliam, id est, divini potentiam Verbi, vere corpus et sanguis Christi existunt. A travers des gaucheries d’expression et des formules qu’il n’a pas réussi à dégager de toute équivoque, Ratramne affirme la présence réelle. Le problème qu’il discute n’est pas de savoir s’il faut l’accepter, si l’eucharistie est réalité ou figure, mais si, étant réalité, elle est encore figure. En cela, an fond, il s’accorde avec Paschase Radbert, qui s’exprime mieux que lui. Cf. Bossuet, i/zs/o(re des variations des Églises protestantes, 1. IV, n. 32, Œuvres, édit. Lâchât, Paris, 1803, t. xiv, p. 167-168 ; Loofs, Realeneijklopàdie, 3e édit., 1896, t. i, p. 61. Mais, à la différence de Paschase, il n’admet pas l’identité du corps eucharistique du Christ et de son corps historique, et manifestement c’est Paschase qu’il combat, quoiqu’il ne prononce pas son nom. Toutefois, le conflit est plus dans les mots que dans les idées. Le corps historique du Christ était visible, palpable, le corps eucharistique est invisible, impalpable, spiritucl, donc ce n’est pas le même corps, dit Ratramne. Le corps eucharistique est identique au corps historique, dit Paschase, mais avec un mode d’être différent. A’; 7° 7 igitur hic corporaliter sed spirilualiter senliendum, dit Ratramne, c. lx, col. 152 : corpus Cliristi est, sed non corporaliter, et sanguis Christi est, sed non corporaliter. Et Paschase, c. x, n. 1, P. L., t. cxx, col. 1305, 1306 : Quatenus totum spiritaliter intelligere mens sutagerct ubi nihil carnale sentire lieet… Totum spiritale est quod comedimus. Le fond du traité de Ratramne est exact, mais la forme est défectueuse. Il retarde considérablement sur Paschase Radbert. Un passage, c. liv, P. L., t. cxxi, col. 148-149, semble même, il première vue, présenter la conersion opérée par les paroles de la consécration comme ne portant pas sur la substance tlu pain et du viii, qui resterait immobile : nam, secundum erealurarum substanticmi, quod fnerunt anfe consecrationem, hoc et postai consislunt. Mais le mot substance n’a iioint là le sens que lui donna la scolaslique d’après Aristote ; dans ce texte, ainsi que dans d’autres textes où l’on a cru voir que Ratramne tiendrait pour la permanence de la substance du jjain et du vin après la consécration, c. ix, xii, xiv, col. 131, 132, 133, Ratramne paraît entendre que, pour les sens, le pain et le vin demeurent après la consécration ce qu’ils étaient avant elle. Cf. les notes de l’éditeur de Ratramne, Jacques Hoileau, P. L., t. cxxi, col. 131-131, 117-149, et remarquer, col. 133, les mots : secundum speciem namque creaturæ formamque rerum visihiliiim, et tout le contexte, qui spécifie que l’absence de changement dans le pain et le vin n’existe que pour les sens, et, comme le dit encore Ratramne, col. 131, que punis qui prr sacerdatis ministeriuni Christi corpus conficHur (diud exterius hnminiis scnsibus oslendil él aliud inlerius fidelium menlibns clanud. Pas plus que Ratramne, Raban Maur n’admit 1215

EUCHARISTIE DU IX" A LA FIN DU XISIÈCLE

I2IG

l’idenlilé du corps hislorique et du corps eucharisliquc du Christ. Il attaqua la doctrine de Paschase Radbert dans un traité sous forme de lettre à Égil, abbé de Pruni (vers 851). Le point en litige n’était toujours pas la présence réelle ; liaban la professait, et il croj’ait à la conversion du pain au corps du Christ. Cf. Liber de sacris ordinibiis, c. xix, P. L., t. cxii, col. 1185 ; Epist., iii, ad Egilem Prumienscm (tbbalem, c. I, III, IV, P. L., t. cxii, col. 1512, 1514. Mais ce n’est pas penser sainement, rile, disait-il, que de prétendre que le corps du Christ dans l’eucharistie est le même coips qui est né de Marie. Psenitenliale, c. xxxiii, P. L., t. ex, col. 493 ; Episl. nd Egilem, c. II, P. L., t. cxii, col. 151.3. Conflit plus apparent que réel, puisque Rabau déclarait que le corps eucharisticpie et le corps historique ne sont pas deux corps différents naturaliler, mais seulement specialiler, c. iii, col. 1513 : Sane sciendiim est nobis omninn, concluait-il, c. vii, col. 1517, qiiod, licet aliud specialiler corpus Christi, iinde supcriiis dixi, quod sedel ad dexleram Dei, el aliud specialiler islud quod divinitus creatur et consecratur quolidie novum, simul lamen non duo suni (quod absil) corpora, sed unum. Cf. l’auteur anonyme du fragment publié par Mabillon, Acla ordinis sancti Benedicli, ssec. iv, part. II, Paris, 1680, t. vi, p. 596. Avec une terminologie autre, Paschase Radbert avait enseigné la même chose. Raban prête, en outre, à Paschase cette opinion que quolies loto terrarum orbe missarum solemnia celebrantur lolies Dominum noslrum pâli prædical, c. vi, col. 1516. C’est une conséquence qu’il tire de la théorie de Paschase mal comprise ; elle n’appartient aucunement à Paschase. Ajoutons que Raban, interrogé par Héribald, évêque d’Auxerre, ulrum eucharislia, poslquam consumitur, el in secessuni cmillitur more aliorum ciborum, ilerum redecd in nahiram prislinam quam habueral anlequam in allari consecraretur, Pœnitentiale, c. xxxiii, /’. L., t. ex, col. 492, fit une réponse que Mabillon, op. cit., p. XXXVII, qualifie justement de non parum ambigua, et que nous retrouverons plus loin.

D’autres écrivains s’approchèrent de la ligne de Ratramnc et de Raban Maur, admettant la présence réelle, mais plus frappés de l’aspect spirituel et figuratif de l’eucharistie que de son caractère de réalité, plus « symbolistes » que « réalistes » , et ne niant pas ou même insinuant la transsubstantiation, mais s’expliquant peu, ou avec maladresse, sur elle. Tel fut Florus de Lyon, De exposilione missæ, c. ii-iii, lx-lxiv (J. Bach, Die Dogmengeschichle des Millelallcrs, t. i, p. 203-206, 207-211, cite des passages d’un manuscrit, dont il désigne l’auteur, p. xiv, sous le nom d’anonyme de Saint-Blaisc ; il n’a pas vu que c’est le De exposilione missæ de Florus), Opusc. adnersus Amalurium, I, c. ix ; Opusc, II, c. vii, P.X., t. cxix, col. 16-17, 52-56, 77-78, 83-88. Cf. dom R. Ceillier, Hisloire générale des aulears sacrés et ecclésiastiques, t. xix, p. 7-9. Tel encore Christian Druthmar, moine d’abord à Corbie, puis (vers le milieu du ix'e siècle) à Slavelot ; il y écrivit une Exposilio in Matlhœum, dont le commentaire de l’institution de l’eucharistie, /’. L., t. cvi, col. 1476-1477, s’il peut recevoir « un sens très catholique » , comme s’applique à le démontrer dom Ceillier, t. xviii, p. 690-692, est d’un symbolisme aigu. Tel Walafrid Strabon († 849), De ecclesiaslicarum rerum cxordiis et incrementis, c. xvi-xvii, P. L., t. civ, col. 936-937. Ces écrivains, expliquant dans un but pratique la liturgie et l’Écriture, appuient moins sur la réalité de la présence eucharistique du Christ que sur le côté spirituel et éthique du sacrement, sur les rapports avec la vie religieuse des fidèles ; ils symbolisent volontiers, mais sans tomber dans les extrêmes du symbolisme calviniste.

Toutefois, l’influence de Ratramne ne fut ni exclu sive ni prédominante. De nombreux écrivains se rangèrent à la suite de Paschase Radbert. Cf. Mabillon, Acla ordinis sancti Benedicli, t. vi, p. xvii-xix. Le plus illustre fut Hincmar († 882), De prædestinatione dissertalio poslerior, c. xxxi ; Explanalio in ferculum Salomonis (en prose) et Ferculum Salomonis (en vers) ; De cavendis viliis et virtutibus exercendis, c. viii-x, P. L., t. cxxv, col. 296, 827, 1202, 914-930. Le plus explicite, celui qui eut « les expressions les plus poussées du dogme de la transsubstantiation, moins le mot lui-même, » dit P. Batifi’ol, Nouvelles éludes documentaires sur l’eucharislie, dans la Revue du clergé français. Paris, 1909, t. LX, p. 540, fut Haymon d’Alberstadt (y 853), disciple d’Alcuin et ami de Raban Maur, Exposilio in Episl. I ad Corinlhios, c. x-xi, P. L., t. cxvii. col. 564, 569-575, surtout De corporc et sanguine Domini, P. L., t. cxviii, col. 815-818. Sur l’authenticité de ces écrits (le commentaire de saint Paul a été parfois attribué à Rémi de Reims, ou à Rémi de Lyon, ou à Rcnii d’Auxerre, et, d’après une conjecture plus récente, ces textes eucharistiques auraient été interpolés ou seraient l’œuvre d’Haj-mon, abbé d’Hirschau, 1091), cf. S. M. Deutsch, Realencyktopàdie, 1899, t. vii, p. 348 ; P. Batifïol. Revue du clergé français, t. lx, p. 540, note.

b) Au xe siècle. — L’impulsion que le ix'e siècle avait donnée aux études eucharistiques reste agissante au siècle suivant. Cependant, les écrivains sont inférieurs en nombre et en mérite ; ils n’ajoutent pasgrand’chose aux travaux de leurs prédécesseurs.

L’écrit princiiial est le De corporc et sanguine Domini, dont l’auteur fut appelé jadis l’anonyme de Cellot, parce que son premier éditeur avait été le jésuite CeLot, qui le publia comme l’ouvrage d’un anonyme dans l’appendice de VHisloria Gotleschalci, Paris, 1655. Mabillon, Acla ordinis sancti Benedicli, t. vi, p. xxiixxiii, revendiqua la paternité de cet écrit pour Ilérigcr, abbé de Lobbes († 1007). B. Pez, Thésaurus unecdolorum novissimus, Augsbourg, 1721, t. i b, col. 131, l’attribua à Gerbert (Silvestrc II, f 1003), sous le nom duquel il figure, P. L., t. cxxxix. Les avis des savants se sont divisés entre Hériger et Gerbert. Cf. H. Hurler, Nomenclator lilerarius Iheologiæ calholicæ, 3’édit., Inspruck, 1903, 1. 1, col. 942, 961. Une tentative d’attribution à Jean Scot Érigène n’a pas eu de succès. Naguère, dom G. Morin soumettait la question à un nouvel examen. Revue bénédictine, Maredsous, 1908, t. xxv, p. 1-18, et concluait d’une manière, semble-t-il, définitive pour Hériger. Cf. R. Heurtevent, op. cit., p. 255266. Deux points sont traités dans le De corporc et sanguine Domini : cem de l’identité du corps eucharistique et du corps historique du Christ, et celui du stercoranisme. L’auteur rejette avec indignation le stercoranisme. Quant à l’identité du corps eucharistique et du corps historique du Christ, il démontre que Paschase Radbert, d’une part, et, de l’autre, Ratramne et Raban Maur sont moins éloignés de s’entendre qu’ils ne le paraissent, que les textes des Pères qu’ils allèguent à l’appui de leurs thèses respectives ne s’opposent pas, si on les comprend bien, mais s’harmonisent et se complètent mutuellement. C’est très juste. Au fond, tout en jouant le rôle de conciliateur, Hériger (ou Gerbert ) se rapproche plus de Paschase que de ses adversaires et le loue en des termes qui témoignent de ses préférences : Libcllum… salis ulilem, librumquc dus plurimorum utililali defensum, c. i, viii. col. 179, 187.

Le De corpore et sanguine Domini paraît être de la fin du xe siècle (à la rigueur il pourrait être du commencement du xi « ). Dans les premières années du x'e siècle (peut-être même à la fin du ix*"), Rémi d’Auxerre (f vers 908), a écrit une Exposilio de cclebralionc missse (insérée dans le Liber de diuinis officiis du pseudo-Alcuin, cf. P. L., t. cxxxi, col. 845 ; Hurler, Nomen

clator, 1. 1, col. 878), qui s’inspire, P. L., t. cr, col. 1261, des doctrines de Paschase.

La fondation de Cluny, au début du xe siècle, contribue à l’expansion de ces doctrines. Cluny devient rapidement le principal foyer des études théologiques ; l’enseignement eucharistique de Paschase y est en honneur. Le second abbé de Cluny, saint Odon († 949) en fait un magnifique éloge, Collalionum, 1. U, c. xxxii’P. L., t. cxxxiii, col. 577 : Hœc et alia muUo plurà Paschasius ex dictis Palrum… conscripsil. Quse si guis, licet sciolus, legerit, lanta, credo, discet ut de hoc mysterio parum se eatenus cognovisse piitet. Gézon, abbé de Tortone, intercala (vers 950), dans son Liber de corporc cl sanguine Domini, presque tout le traité de Paschase. Cf. P. L., t. cxxxvii, col. 376, 387.

Rathier († 974), évêque de Vérone après avoir été nionie de Lobbes, ne se contenta pas de parler comme Paschase Radbert de l’identité du corps historique et du corps eucharistique du Christ, dans son Excerptum ex dialogo confessionali, c. xv, P. L., t. cxxxvi col 403-404 ; il termina cet écrit par des extraits, sinon par la reproduction intégrale du traité de Paschase sur 1 eucharistie, c. xi.ii, col. 444. Cf. la note de l’éditeur Diuis une lettre, il reprit les mêmes idées avec force, rejetant la présence purement figurative, affirmant la présence véritable et, en même temps que la persistance de la couleur et de la saveur du pain, son changement au corps du Christ, Episl., i, ad Palricum, col. 643648, cf. col. 404 : in carnem verso verissime pane. Cf avec les notes de l’éditeur, deux passages de Rathier que les anciens protestants voulurent tirer à eux, Excerptum ex dialogo confessionali, c. xiv, et De contemptu canonum, c. xix, col. 401-402, 509-510.

Un écrivain dont on s’est beaucoup occupe en Angleterre et dont l’identification n’est pas sûre, Aelfric, cf. Hurter, Nomenclator, t. i, col. 948-949 ; C. Schocl Realencyklopàdie, 3e édit., Leipzig, 1896, t. i, p. 222224, a publié trois recueils d’homélies’qui semblent antérieures à l’an 1000. Cf. A. Ébert, Histoire générale de la lillérature du moyen âge en Occident, trad. J. Aymeric et J. Condamin, Paris, 1889, t. iii, p. 550. Nous ne savons sur quels motifs se base l’éditeur de la Patrologie latine, t. cxxxix, col. 1475-1476. pour dire qu’une manus acatholica les a interpolés. Tels que nous les Usons, ils prouvent que la tradition de Ratramne n’était pas perdue. Cf. J. Bach, Die Dogmengeschichte des Mitlelalters, t. i, p. 215-217.

2- Deuxième controverse eucharistique au a/e siècle.

Au xi<e siècle, la controverse eucharistique porte directement sur la transsubstantiation et sur la présence réelle, qui n’avaient été mises en question que d’une façon exceptionnelle ou indirecte aux ix « et x<e siècles Berenger de Tours (vers 1000-1088) en est le protagoniste et le centre.

Le maître de Berenger, Fulbert de Chartres († 1029) parait concilier et réunir les points de vue de Paschase Radbert et de Ratramne. Cf. J. Bach, Die Dogmengeschichte des Mitlelalters, 1. 1, p. 218, 364-366. Il s’exprime orthodoxement sur l’eucharistie et dénonce des doctrines qui contiennent en germe l’erreur de Berenger. Voir t., 1, col. 723. Que fut au juste le « dogme pervers. relatif à 1 eucharistie, quod erat conlrarium omni bono et lam crescebat in sœculo, qu’enseigna Lcuthéric archevêque de Sens, et qui lui valut une lettre du’roi Robert le Pieux, dont le biographe de Robert, Helgaud de FIcury, dit que lus verbis præsul non bene dodus a rege pio et bono sapienter instruclus quicvit obmutuit et siluit a dogmate perverso, Epiloma vitæ régis Roberti pin P. L., t. cxli, col. 912. Nous l’ignorons. ers le même temps, les avant-coureurs du catharismc, les. manichéens. d’Ortéans (1022) et d’Arras (lU20), rejetèrent le sacrement de l’eucharistie. Cf les actes du concile d’Ortéans, dans Paul, moine de Saint DICT. DE TIlÉOf, . CATIIOL.

Père-de-Chartres (f vers 1088), Veius Agano, I. VI, c. III, P. L., t. CLV, col. 265, et ceux du concile d’Arras* P. L., t. cxLii, col. 1270, 1271, 1278-1284. L’atmosphère était donc comme préparée aux hardiesses antieucharistiques au moment où Berenger commença de dogmatiser en public (vers 1047). Berenger a toujours nié la transsubstantiation. Il fut, au moins à certaines heures, partisan de l’impanation. A-t-il repoussé la présence réelle ? La question est difficile à résoudre. Il ne semble pas l’avoir combattue dans la première période de la lutte, jusqu’au concile de Rome (1059) ; dans la suite, sa pensée fut obscure, indécise, peut-être changeante et contradictoire. Il se peut qu’il ait nié la présence réelle ; il est certain que ses principes et ses paroles l’ont ébranlée. Parmi ses disciples, tous d’accord pour prétendre que le pain et le vin ne sont pas changés essentiellement, au dire de Guitmond d’Aversa, De corporis et sanguinis Chrisii vcritale in eucharistia, ’]. I, P. L., t. cxLix, col. 1430, alii nihil omnino de corpore et sanguine Domini sacramentis istis inesse sed tantummodo umbras hœc et figuras esse dicunt, alii vero, redis Ecclesise rationibus cedentes, ut quasi aliquo modo nobiscum esse vidcantur, dicunt ibi corpus et sanguinem Domini rêvera sed lalenter contineri et ut sumi possint quodammodo, ut lia dixerim, impanari. Et heme ipsius Berengarii subliliorem esse sentent iam aiunt. Sur Berenger et ses partisans, voir t. ii, col. 722-738 ; R. Heurtevent, op. cit., p. 165-216. Condamné par les conciles, Bérengerrencontra de nombreuxcontradicteurs, surtout bénédictins. Cf. L. Biginelli, 1 benediltinie gli sludi eucaristici nel medio evo, Tunn, 1895. Nous avons plusieurs lettres qui furent écrites contre lui ; les plus remarquables sont celles d’Adelman de Liège, d’Ascelin le Breton, du bienheureux Wolphelme de Brauweiler. Celle d’Adelman a été reproduite par R. Heurtevent, en appendice à sa thèse sur Durand de Troarn, op. cit., p. 287-303. Trois traites importants furent composés, au xie siècle, pour le réfuter. Le premier en date (vers 1058), mais non en valeur, est celui de Durand de Troarn. Voir R. Heurtevent, op. cit., p. 217-251. Du deuxième, qui a pour auteur Lanfranc (entre 1063 et 1070), et du troisième, qui est l’œuvre de Guitmond d’Aversa (vers 1075), Pierre le Vénérable a dit, Epistola sive traclalus ndversus petrobrusianos hscreticos, P. L., t. clxxxix, col. 788, que Lanfranc a écrit bene, per/edc, et Guitmond mclius, perfectius. Cf. le jugement de II. Bôlmier, Realencyklopàdie, 1899, t. VII, p. 235. Dans toute cette polémique, le nom de Paschase Radbert fut souvent prononcé. Pendant que Berenger le traitait avec mépris, cf. ses lettres à Alcuin et à Lanfranc, et un passage du P’livre de son De sacra cœna, conservé par Lanfranc, Liber de corpore et sanguine Domini, c. iv, P. L., t. cl, col. 63, 66, 412, sa lettre à Adelinan, dans Martènc et Durand, Thésaurus novus anccdolorum, Paris, 1717, t. i, col. 111, 113, son De sacra cœnaadversus Lanjrancum liber poslerior, c. xxxvii, Liv, Lxv, Lxviii, Lxxxiv, Bcrtiu, 1834, les défenseurs de l’orthodoxie s’inspiraient de Paschase devenu leur somme eucharistique. Lanfranc se déclarait fier de participer à ce que Berenger appelait la stupidité, vecordia, du vulgaire, de Paschase et du cardinal Humbert. Liber de corpore et sanguine Domini, c. iv, col. 414. Durand de Troarn, Liber de corpore et sanguine CItristi, c. X, P. L., t. CXLIX, col. 1389, appelait Paschase divini sacramenti scrutator diligenlissimus discus.sorque catholicus, en attendant qu’Alger de Liège, Gratien, Pierre Lombard, saint Thomas, etc., lui empruntassent des passages mis sous le nom de saint.Augustin. Au surplus, on ne se contente pas de reproduire Paschase tel quel. On complète sa documentation patristique, on améliore quelques-uns de ses arguments, on suit par intervalles Berenger sur le terrain de la dialectique où volontiers il s’engage, on aborde des questions de

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détail nouvelles, et l’on accentue la doctrine de la transsubstantiation. "Voir t. ii, col. 734, la formule que dut signer Bérenger au concile de Latran (1079). Cf., entre autres, Lanfranc, Liber de corpore et sanguine Domini, c. xviii, col. 430 : Credimus igitur lerrenas substanlias… converti in essentiam dominici corporis, reservalis ipsarum rerum speciebus, et ce qui suit ; Guitmond, De corporis et sanguinis Christi verilale in eucharistia, 1. I, P. L., t. cxlix, col. 1434-1438.

Nous ne saurions dire si quelques vers de maître Renallo de Barcelone (vers 1080), extraits d’un De corpore Christi inédit, et qui. témoignent en faveur de la transsubstantiation, P. L., t. cxlvii, col. 601, se rattachent directement à la controverse bérengarienne. En dehors de cette controverse, nous pourrions faire, dans la littérature ecclésiastique du xie siècle, un riche florilège de textes eucharistiques. Un saint, Pierre Damien, par exemple, compte parnii ceux qui expriment avec une parfaite exactitude la doctrine orthodoxe. Voir t. iv, col. 51. Dans des ouvrages tout différents, Manegold de Lautenbach (après 1080), Opusculum contra Wolfelmum Coloniensem, c. xviii, P. L., t. CLV, col. 165-166, et saint Bruno, fondateur de la Chartreuse († 1106), Expositio in ps. xxi et Expositio in Epist. I ad Cor., P. L., t. clii, col. 725 ; t. CLiii, col. 175-176, 184-185, professent une foi identique. Le morne Osbern (f vers 1100), Vita sancti Dunstani, c. xlii, P. L., t. cxxxvii, col. 451, dit : pontifex ad aram reducitur, transferens omnipotentissimis Domini vcrbis speciem panis et vint in veram substantiam carnis et sanguinis Christi. Cf. la Vie de saint Odon de Cantorbéry, c. x, P. L., t. cxxxiii, col. 939940. Un peu partout, dans les actes des conciles, voir t. II, col. 724-725 ; dans les recueils canoniques, par exemple, dans ceux de Réginon de Prum († 915), pour le xe siècle. De ecclesiasiicis disciplinis et religione christiana, 1. I, P. L., t. cxxxii, col. 204-206, et, pour le xpsiècle, de Burchard deWomis (f b), Decrelorum, .Y, P.L., t. CXL, col. 749-762, et, tout à fait à la fin du siècle, dans le Decretum d’Yves de Chartres, part. II, et dans sa Panormia, 1. I, c. cxxiii-ci.xii, P. L., t. clxi, col. 135-200, 1071-1084 ; dans la polémique sur la validité des sacrements conférés par les prêtres indignes, cf. L. Saltet, Les réordinations, Paris, 1907 ; dans les discussions avec les grecs sur le pain azyme, cf., entre autres, l’auteur anonyme du Fragmentum disputaiionis contra grsecos, P. L., t. cxliii, col. 1215-1216 ; dans les livres liturgiques, notamment dans les sacramentaires, cf. H. Netzer, L’introduction de la messe romaine en France sous les Carolingiens, p. 72-130 ; dans les explications de la messe et des cérémonies de l’Église, par exemple, dans le Libellus de quibusdam rébus ad misses officium pertinentibus de Bernon de Reichenau († 1048), c. i, P. L., t. cxLii, col. 1055-1058, et dans le Micrologus, probablement de Bernold de Constance († 1100), c. ix-xix, P. L., t. CLi, col. 982-990 ; dans les commentaires de l’Écriture, tels que ceux de saint Bruno ; dans les Vies des saints, telles que les Vies des deux archevêques de Cantorbéry Odon et Dunstan par Osbern ; dans les récits des chroniqueurs, tel Raoul Glaber, Histor., 1. V, c. i, P. L., t. cxlii, col. 690-691 ; dans les sermons, par exemple, dans le Serm., ii, de cœna Domini et de multis sacramentis ejusdem diei, P. L., t. cxxxii, col. 765, d’Abbon de Saint-Germaindes-Prés (f après 923) ; dans les ouvrages de spiritualité, tels que le Dialogus de tribus quæstionibus d’Othlon de Saint-Emmeran de Ratisbonne (f vers 1072), c. xlviii, P. L., t. cxLvi, col. 128-129 ; dans les écrits sur la communion fréquente, par exemple, dans la belle lettre de Grégoire VII à la comtesse MaihWûe., Epist., 1. I, epist. XLii, P. L., t. cxLviii, col. 326-328, etc., la véritable doctrine eucharistique est supposée, ou rappelée, exposée, développée.

Écrivains grecs.

Du ix « à la fin du xie siècle,

la littérature eucharistique des grecs le cède en importance à celle des latins ; elle est à peu près stationnaire, reprenant et laissant la question au point précis où saint Jean Damascène l’a portée. Tout ce qu’elle a d’original, c’est la mauvaise querelle qu’elle suscite au sujet du pain azyme. Voir t. i, col. 26532664. Ce qu’il faut relever ici dans la polémique engagée par les grecs contre les latins, c’est que, de part et d’autre et chez les grecs aussi fermement que chez les latins, on croit à la présence réelle. Cf., par exemple, Nicetas Pectoratus (vers 1054), Libellus contra latinos, c. iii-iv, P. G., t. cxx, col. 1013-1014, et le cardinal Humbert, Adversus grsecorum calumnias, c. xxix, XXXI, P. L., t. CXLIII, col. 948, 950. La même foi apparaît, chez les uns et chez les autres, dans les textes qui se rapportent à l’épiclèse. Voir t. v, col. 252254, 265-269. La lutte contre l’hérésie iconoclaste fournit aux grecs l’occasion d’affirmer la présence réelle et la conversion du pain et du vin eucharistiques. Ils y prennent l’habitude de rejeter absolument le mot « figure » en parlant de l’eucharistie, tandis que les latins, sauf à bien l’entendre, n’hésitent pas à l’employer. Le patriarche Nicéphore de Constantinople († 828) s’indigne contre les iconoclastes qui, tout en proclamant que dans l’eucharistie on reçoit proprement et véritablement le corps du Christ, le corps né de la Vierge, appellent l’eucharistie l’image du Christ ; pour nous, dit-il, nous ne l’appelons pas l’image ou la figure du corps du Christ, bien qu’elle soit faite sous des symboles, eî xa (TU(xêo), ty.à)ç iniiù.iïtai, mais le corps même du Christ déifié ; le pain et le vin, par la prière du prêtre et l’intervention du Saint-Esprit, sont changés, [xeraêdcXÀsTai, surnaturellement au corps et au sang du Christ, Aniirrhelicus, II, adversus Constantinum Copronymum, c. ii-iii, P. G., t. c, col. 333-336. Ailleurs, Antirrhelica contra Eusebium, c. XLV, n. 2, dans J.-B. Pitra, Spicilegium Solesmensc, Paris, 1852, t. i, p. 440-441, il tient le même langage, puis, c. XLVi, p. 442, il attaque une secte obscure, qu’il rattache aux iconoclastes, mais qui, à la différence des iconoclastes, voyait dans l’eucharistie une simple image et aucunement la réalité du corps du Christ, eix&va (T(ô|j.aToç ovx aOxfiv àXiîôeiav. Pareillement saint Théodore Studite († 826), Aniirrhelicus, I, adversus iconomachos, c. x, P. G., t. xcix, col. 339, n’accorde pas qu’on puisse tourner en figures la réalité eucharistique et donner à ce qui est vérité le nom d’image. Du reste, il se trompe, avec un certain nombre d’écrivains, quand il pense que l’eucharistie consacrée par des hérétiques, ou reçue dans la communion des hérétiques, est un pain hérétique et non le corps du Christ. iîpfs/., 1. II, epist- xcvii, P. G., t.xax, col. 1597. Contre les pauliciens, ces lointains précurseurs des cathares, Pierre de Sicile (vers 872) prouve que le Christ a vraiment offert du pain et du vin à ses disciples, et que le pain et le vin eucharistiques deviennent le corps même et le sang précieux du Seigneur. Serm., iii, c. ii, P. G., t. civ, col. 1349. Photius († 891) blâme la même erreur des néo-manichéens de son temps. Contra manichœos, 1. I, c. vii, P. G., t. cil, col. 26. Dans le conflit avec Rome, non seulement il ne reproche pas à l’Église latine de soutenir la présence réelle — aucun de ses partisans ne l’a fait, chose significative quand on se rappelle combien ils furent pointilleux — mais il proteste que les diversités liturgiques n’apportent aucun empêchement à la vertu déifiante du Saint-Esprit, et que, ô merveille 1 le pain est changé, (jLExaêàUETa !, au corps du Christ et le vin en son sang. Epist., 1. I, epist. ii, P. G., t. cii, col. 608. Citons encore, parmi les textes les plus caractéristiques, ceux de Siméon le Jeune (vers 1041). Divinorum amorum liber, c. xiv, P. G.,

t. cxx, col. 528 ; de Théophylacte (vers 1081), Enarratio in Evangelium Matthæi, c. xxvi ; in Evangelium Marci, c. xiv ; in Evangelium Joannis, c. vi, P. G., t. cxxiv, col. 288, 389, 711, cf. col. 111-118, etc. Enfin, dans ses entretiens polémiques avec les musulmans, Théodore Abucara (vers 820) explique, par une comparaison imparfaite mais qui a le mérite de ne pas laisser de doutes sur la réalité du changement, que le pain et le vin se changent, [j.£tâôa).>, Ei, au corps et au sang du Christ. OpuscuL, XXII, P. G., t. xcvii, col. 1553. A son tour, Samonas de Gaza (vers 1050) traite, avec un sarrasin, de la réalité du corps et du sang du Christ dans le pain et le vin consacrés par le prêtre ; il commence par reproduire en entier — sans en avertir — l’opuscule de Théodore Abucara, P. G., t. cxx, col. 821-824 ; puis, à diverses reprises, il insiste sur la conversion du pain et du vin eucharistiques ; il ne veut pas qu’on appelle exemplaire du corps du Christ, ou simple pain, ou figure ou image, ce qui est le corps même du Christ notre Dieu, col. 828. « Ce très saint corps du Christ, dit-il, col. 832, est assis et demeure auprès du Père. Cependant, le pain étant consacré par le prêtre et changé, par la puissance divine et par l’avènement du Sain) -Esprit, au vrai corps du Christ, quelque division qu’on en puisse faire, le corps du Christ demeure tout entier et vivant dans chaque partie… Lors donc que le pain consacré, qui est le très saint corps du Christ, est divisé en parties, ne pensez pas que ce corps soit divisé, ou déchiré, ou démembré, car il est immortel, incorruptible, et incapable d’altération ; mais cette division ne tombe que sur les accidents sensibles après la consécration, » àXX’oTt (jLîptfjp.ô ; â<TTtv èx£îvo ; TMv aiTOr.Ttiiv t7U[j.6Eê-i^xÔT<i)v (xdv’jv ucTa Tov â-(- ; aiT ! j.6v. Rarement la pensée grecque a atteint cette plénitude d’expression.

II. Les résultats.

l" La présence réelle. — La présence réelle fut niée dans la période qui va du ix « à la fin du XIe siècle. S’il n’y a pas à s’arrêter à un passage de Paschase Radbcrt, Liber de corpore et sanguine Domini, c. xxi, n. 1, P. L., t. cxx, col. 1333, où il est question des « sornettes » , non pas d’hérétiques récents, mais des millénaristes, en revauclie, dans son Exposilio in Malihœum, 1. XIT, c. xxvi, P. L., t. cxx, col. 890, Paschase parle de « certains » qui disent non in re esse verilatem carnis Christi vel sanguinis, sed in sacramento virfutem carnis et non carnem, virtutem sanguinis et non sanguincm, figurant et non veritatem, umbram et non corpus. Cf. encore Paschase, Epist. ad Frudegardum, P. L., t. cxx, col. 1351, 1352, 1356-1357, 1361, et InConlessio fidei attribuée àAlcuin, part. IV, c. v, P. L., t. a, col. 1089. Les novatiens, auxquels Mabillon avait d’abord songé, Acta sanctorum ordinis sancti Benedicii, sæc. iv, part. II, t. vi, p. xiii-xiv, ne semblent pas visés dans ces textes ; ceux qu’ils concernent, ce sont bien plutôt, d’après une hypothèse que Mabillon préfère, les catholiques, qui liœresim mente facile concipiunt lamelsi cam verbis non disséminent, p. XIV, semblables à ce saint vieillard, admirable en ses actions, mais simple en sa foi, » dont les Vies des Pères du désert, reproduites par Paschase, Liber de corpore et sanguine Domini, c. xiv, n.4, P. L., t. cxx, col. 1318, racontent que, par ignorance, il disait non esse naturale corpus Clirisli pancm istum quem sumimus sed figuram ejus esse, ou semblables à ces esprits qui jugent trop charnellement de l’eucharistie et que dénonçait Fulbert de Chartres, à ces I jcrcs du temps de saint Odon, archevêque de Cantorbéry († 958), dont le biographe du saint, Osbem (f vers 1100), rapporte, Vita sancti Odonis, c. x, /’. L., t. cxxxiii, col. 939, qiic, mnligno errore seducti, iissevrrare ronahantur pancm ri vinum quw in altari p’inuntur posi rnnsecrationem in priori subslantia permanerc, et figuram tantummodo esse corporis et san guinis Christi, non verum Christi corpus et sanguincm. Cf. Guillaume de Malmesbury, De gestis pontiflcum anglorum, I. I, P. L., t. clxxix, col. 1452-1453. Les néo-manichéens d’Orient, au ixe siècle, et, au commencement du xie siècle, ceux d’Occident (Orléans et Arras) inscrivent la négation de l’eucharistie parmi les principaux articles de leur croyance. Une secte d’iconoclastes en fait autant. Parmi les écrivains, peut-être Jean Scot Eriugène, et, plus probablement quoique non certainement, Bérenger, nient la présence réelle. Un groupe de partisans de Bérenger, les umbraiici opposés aux impana/ores, considère l’eucharistie comme une simple figure et une ombre du corps véritable du Christ.

Toutefois, ce n’est pas sur le terrain de la présence réelle quesepose la question eucharistique au ix’^siècle. Il n’y a plus à établir que le dogme de la présence réelle n’a pas été inventé par Paschase Radbcrt. Que le ministre Aubertin et surtout le ministre Claude aient attribué cette paternité à Paschase et se soient crus autorisés à l’affirmer au nom de l’histoire, cela est une belle preuve des excès où peuvent tomber des hommes de talent quand la passion les aveugle. Il est inutile de reprendre, sur ce point, la polémique des auteurs de la Perpétuité de la foi de l’Église catholique sur l’eucharistie, 1. VIII, c. viii-x ; 1. IX, c. vi-xi, édit. Mignc, 1841, 1. 1, col. 854-879, 925-978 ; cf. col. 1546. L’argument de « prescriptioii » développé par les auteurs de la Perpétuité, et devenu classique en théologie, cf., par exemple. Ad. Tanqucrey, Synopsis theologiæ dogmaticae spccialis, 2’= édit.. Tournai, 1897, t. II, p. 333-336, a perdu de son importance depuis qu’on a ramené le rôle de Paschase Radbert à ses justes limites. Non seulement Paschase n’est pas le novateur qu’on avait prétendu, mais la controverse dont son Liber de corpore et sanguine Domini fut l’occasion ne porta point sur le fait de la présence réelle. Ici encore, les positions des coiitroversistes protestants du xviie siècle ont été reconnues impossibles à tenir. Les calvinistes revendiquaient, parmi les précurseurs de leur symbolisme eucharistique, Ratramne (souvent sous le nom de Bertram), Jean Scot Eriugène, Raban Maur, Héribald d’Auxerre, Prudence de Troyes, Florus de I-yon, Servat Loup de Ferrières, Walafrid Strabon, Christian Druthmar, Rcmi d’Auxerre, etc. ; il y a plus, un moment ils avaient entrepris de s’annexer Paschase lui-même. Or, il est vrai qu’on peut constater, au ix'e siècle, l’existence de deux courants, dont l’un peut être appelé réaliste et l’autre symboliste, mais à la condition de ne pas prendre ces mots dans un sens rigoureux et exclusif, et de se rappeler que ces deux courants, qui jjartent, l’un, et c’est le symbolisme, de saint Augustin, l’autre, le réalisme, de saint Ambroise, sont " distincts ii, mais " non point contraires ", qu’ils se sont entrecroisés un peu partout le long des siècles, cf. P. Batiffol. L’eucharistie, la présence réelle et la transsubstantiation, p. 339, 341, et qu’ils se rencontrent fréquemment au temps de Paschase Radbert et tout d’abord dans les écrits de Paschase. « L’hérésie d’aujourd’hui, a dit Pascal, Pensées, ne concevant pas que ce sacrement (l’euchiiristie ) contient tout ensemble et la présence de Jésus-Christ et sa figure, et qu’il soit sacrifice et commémoration de sacrifice, croit qu’on ne peut pas admettre l’une de ces vérités sans exclure l’autre. » Les écrivains du ixe siècle admettaient l’une et l’autre vérité, mais chacun, selon les circonstances ou sa tournure d’esprit, donnait son attention i^ l’une plutôt qu’à l’autre. En ce sens, ils se partagent en symbolistes et réalistes. Quant à vouloir les classer en symbolistes et en réalistes, comme si les réalistes affirmaient la iircscncc réelle qui serait niée par les symbolistes, c’est une tentative condamnée par l’histoire. On a pu s’y

tromper tant qu’on n’a pas pris garde que la terminologie sacramentaire n’était pas fixée au ixe siècle, que la signification des termes sacramentum, veritas, figura, res, virtus, natura, spirilus, species, substantiel, etc., n’était ni toujours ce qu’elle est aujourd’hui ni constamment identique chez les écrivains de la reiuiissance carolingienne. Une étude approfondie de la question a fait la lumière. Il est acquis maintenant que, à l’exception peut-être de Jean Scot Ériugène, les écrivains du ix'e siècle s’accordent dans la foi à la Y>résence réelle. Aussi n’est-ce qu’improprement qu’on place aux ix’= et xe siècles la première controverse eucharistique, et au XI’siècle la seconde ; la véritable bataille, ce que les Allemands nomment A ôendm’iWslrcit, éclate, pour la première fois, avec Bérenger. CL F.Kattenbusch, Realencykiopàdie, 1908, t. xx, p. 60.

Le corps eucharistique du Christ est à la fois identique à son corps historique et différent dans son mode d’être. En appuyant sur l’identité, Paschase Radbert sauvegarde mieux la présence réelle que Ratramne et ceux qui, avec lui, insistent sur la différence. L’erreur de Bérenger vient de ce qu’il n’a vu que la différence. Il l’a vue si exclusivement qu’il n’a pas réussi à entrer dans la pensée de Lanfranc et de Paschase, je ne dis pas pour l’adopter, mais même pour la comprendre. Il part en guerre contre Paschase et Lanfranc, en supposant que, d’après eux, le corps historique du Christ serait divisé en autant de parcelles, porliuncula carnis Domini, qu’il y eut ou qu’il y aura d’hosties consacrées, et que ce corps, ainsi démembré presque à l’infini et gardant son mode d’être, serait consommé par les conmnmions successives. H. Reuter, Geschichte dcr religiôscn Aufhiûrung im Mitlelalter, Berlin, 1875, t. i, p. 287, note 12, relève une douzaine de textes de Bérenger sur cette prétendue portiuncula carnis Domini. Que le même corps, présent au ciel dans son être matériel et physique, soit présent dans les hosties consacrées selon un mode d’être spirituel, cette idée ne semble pas même un instant eflleurer son esprit. Le résultat, c’est que, malgré des efforts pour maintenir la présence réelle, Bérenger s’exprime sur elle d’une manière confuse, et, finalement, à travers toutes sortes de contradictions, l’ébranlé, s’il ne la rejette pas tout simplement.

La transsubstanlialion.

Quoiqu’il n’ait pas

évité les expressions équivoques, Ratramne ne semble pas pouvoir être rangé parmi les adversaires de la transsubstantiation. Les centuriateurs de Magdebourg écrivent même, Centur., IX, c. iv. De doclrina : iranssubsianliationis semina habcl Ratramnus. Quant à Bérenger, quelle qu’ait été son opinion sur la présence réelle, il n’a sûrement pas admis la transsubstantiation. Des deux classes de ses disciples, pendant que l’une ne voulait pas la présence réelle, l’autre la conservait, mais à la transsubstantiation elle substituait l’impanation, conformément, disait-elle, à la pensée intime du maître. La négation bérengarienne poussa les écrivains orthodoxes à un travail scientifique diligent qui perfectionna l’exposé théologique du dogme. Déjà Paschase Radbert l’avait fait progresser. Son enseignement sur l’identité du corps eucharistique et du corps historique du Christ conduit à préciser la nature de la conversion substantielle produite par la consécration, « à en distinguer nettement le terminus a quo, le terminus ad quem, et, par suite, le moyen terme… Le terminus a quo, c’est-à-dire le pain et le viii, dans ce que Paschase appelle leur réalité ou substance, et qui manifestement se distingue dès lors de leurs apparences sensibles, cessent d’être ; et le terminus ad quem, c’est-à-dire le corps et le sang du Christ, dans ce que Paschase appelle un mode spirilucl d’être, un mode extraspatial et insaisissable

aux sens, succèdent au terminus a quo. r, Paschase est moins heureux quand il définit l’opération par laquelle le corps succède au pain, le sang au vin ; il l’appelle une création, Liber de corpore et sanguine Domini, c. XV, n. 1, P. L., t. cxx, col. 1321, et ce mot imprudent sera repris par Raban Maur, Epist., iii, ad Egilem Prumiensem abbatem, c. i, P. L., t. cxii. col. 1512, 1517, par Adelman de Liège, De eucharistise sacramento ad Berengarium epistola, P. L., t. cxLiii, col. 1293, par Ascelin le Breton, Epist. ad Berengarium, P. L., t. cl, col. 67, etc. « En outre, on ne comprend pas que ce corps spirituel, rendu présent sous le voile des apparences du pain, soit numériquement identique au corps glorieux du Christ, et identique à lui-même en toutes les hosties. Il faudrait que Paschase ait la notion de la présence substantielle, c’est-à-dire une théorie métaphysique de la constitution des corps, qui résolve métaphysiquement le problème de la multiiocation du corps glorieux et de l’identité du corps glorieux ou historique et du corps eucharistique, en faisant de l’étendue un accident : mais cette métaphysique manque à Paschase et à ses contemporains. » P. Batifîol, L’eucharistie, la présence réelle et la transsubstantiation, p. 359, 365, 366-367. Paschase est suivi et amélioré par Haymon d’Halberstadt. Au xie siècle, nouveaux progrès. Guitmond d’Aversa, en particulier, apporte de telles précisions que, sauf le mot qui ne tardera guère, VExposilio canonis missee qui le renferme, P. L., t. cxlv, col. 883, est attribuée faussement à saint Pierre Damien. cf. J. de Ghellinck, A propos du premier emploi du mot transsubstantiation, I, dans Recherches de science religieuse, Paris, 1911, t. ii, p. 466-469, il formule tout le dogme de la transsubstantiation. Cf. Loofs, Realencykiopàdie, 189Q, 1. 1, p. 64 ; F. Kattenbusch, Realencykiopàdie, 1908, t. XX, p. 61. Voir Eucharistie au xii’^ SIÈCLE EN Occident, col. 1233. En attendant le mot « transsubstantiation » , nous avons, dans Guitmond encore, le mot impanatio, 1. III, col. 1490 ; cf. col. 1430, 1469, 1482, 1488. Et, en attendant la définition du IV « concile oecuménique de Latran, qui contiendra le mot « transsubstantiation » , le concile non œcuménique de Latran de 1079 exige de Bérenger une profession de foi qui renferme la doctrine de la transsubstantiation.

L’eucharistie après la consécration.

 Une fois

établies la présence réelle et la transsubstantiation, plus d’une question restait à éclaircir. Que devient l’eucharistie après la consécration, après la communion ? Que deviennent le corps et le sang du Christ ? Que deviennent les saintes espèces ? Sur ces points-là, et sur tous les problèmes connexes, la pensée des écrivains du ix^^ à la fin du xi'e siècle est moins sûre que sur les précédents ; elle hésite, elle s’embrouille, elle tombe souvent dans de vraies puérilités, et elle n’échappe pas toujours à l’erreur.

Que devient le corps du Christ ? On se rappelle l’attitude d’Amalairc en présence des solutions qu’il entrevoit : après la communion, le corps du Christ remonte au ciel, ou il reste dans le corps du communiant, ou il s’exhale dans les airs, ou il sort du corps avec le sang, ou, entraîné dans le courant de la digestion, il est sujet aux mêmes vicissitudes que les aliments et in secessiim emittitur. A l’extrême opposé du nominalisme eucharistique, pour lequel il n’y a dans l’hostie consacrée que la figure du corps du Christ, il y eut donc une sorte d’ultraréalisme et, comme on l’appela au xie siècle, de stercoranisme, qui apparut au moins comme possible. Faut-il aller plus loin et croire qu’il eut des partisans avoués ? La chose demande examen. On a eu tort de compter Amalaire parmi ses tenants ; dans la lettre ad Guntradum, il ne veut pas discuter les opinions diverses qu’il énumère, et ailleurs il se déclare pour la permanence (3

du corps du Christ dans le corps des communiants. Si quelqu’un a soutenu le stercoranisme au ixe siècle, il semble bien que c’est Héribald d’Auxerre qui posa à Raban Maur la question que nous avons vue, et que c’est Raban dans la rc^ponse qu’il lui adressa. L’anonjmie de Cellot, c’est-à-diiL’très probablement Hériger de Lobbes, De corpvre et sanguine Domini, c. i, P. L., t. cxxxix, col. 179, les stigmatise l’un et l’autre en ces termes : His qui dixcrunt secessui obnoxium (quod nunquam est auditum), id est, Heribaido Antisiodorensi, qui lurpiler proposuil, el Rabano Mogonlino, qui lurpius assumpsil, (urpissime vero conclusil, suus ad respondendum locus servetur. Mais Mabillon a présenté une défense ingénieuse et plausible de Raban et même d’Héribaîd, Acta sanctorum ordinis sandi Benedicli, sœc. IV, part. II, t. VI, p. xxvii-xliii ; la question d’Hcribald : utrum eucharislia, posiquam consumiliir, et in secessum emittitur more aliorum ciborum, ilcrum redeat in naturam prislinam quam habuerai antequam in altari consecraretur, concernerait non le corps du Christ, mais les espèces du pain et du vin. Cf. encore L.-Ellies Dupin, Histoire des controverses et des matières ecclésiastiques traitées dans le /x’=sièc/c, nouv.édit., Paris, 1724, p. 249. S’il en est ainsi, nous n’avons pas à cilcr un seul écrivain du ix’e siècle qui ait défendu le stercoranisme. Toutefois, ce matérialisme grossier préoccupe les esprits, puisque Ratramne « entend en prendre la contre-partie, quand il affirme avec force que le corps eucharistique est chose spirituelle, et donc nihil corporeum, nihil corruplibile, » P. Batifïol, L’eucliaristie, la présence réelle et la transsubstantiation, p. 358, puisque Paschase Radbert, Liber de corpore et sanguine Domini, c. xx, n. 1, 3, P. L., t. cxx, col. 1330, 1331, le réfute — à propos, il est vrai, d’un apocryphe — et que Raban Maur en traite avec Héribald. Un anonyme, dont nous ignorons s’il vécut lu IX ou auxe siècle (il est antérieur à Hériger, qui le cite), dans un traité sur l’eucharistie qui a été publié par d’Acherj’, Spicilegium, Paris, 1675, t. xii, p. 39-42, sous le titre de Responsio cujusdam de corpore et sanguine Domini, combat, lui aussi, directement le stercoranisme. Hériger, à son tour, le repousse avec énergie, De corpore et sanguine Domini, c. i, ix, P. L., t. cxxxix, col. 179, 187-188 ; il s’en prend à ses adeptes, mais ilors que, pour le passé, il désigne Héribald et Raban Maur, dans le présent il n’indique pas des noms. Au xie siècle, nous avons une lettre du cardinal Humbcrt à Eusèbe Brunon, évoque d’Angers — il passait pour le protecteur de Bérenger — publiée par K. Francke, dans Neues Archiv der Gescllschajt fiir altère deulsche Geschichiskunde, Hanovre, 1882, t. vii, p. 614-G15, et par P.-P. Brucker, L’Alsace et l’Église au temps du pape saint /, co ; i /A’, Strasbourg-Paris, 1889. t. ii, p. 393-395, dans laquelle il lui dit : si enim prudenter advertisses quod Dominus, qui te ccclesiæ tuæ prœjecit, non per sophlsfas seu aristotelicos sed per simpliccs et idiotas Ecclesiam sunm per omnes génies fundaverit et difjuderit, non lot et tanlos motus… excitasses, nec cum Berengero tuo (ah l pudet) stercoranista dici et agnnminari, sicut Francigenarum scripta quæ ad nos pervencrun’edoccnl, meruisses. Le même cardinal, dans sa virulent c Responsio sivt coniradictio contre Nicetas Pectoralus, c. xxii, /’. L., t. cxliii, col. 093, écrit : sed, o perfide stercorianista, qui pulas fidcli parlicipatione corporis et sanguinis Domini quadragrsimalia alque ecclesiastica dissolvi jejunia, omnino ricdens CKlestem escam vclul terrenam per aqualiculi fetidam et sordidam egestionem in secessum dimilli. Cf., sur le stercoranisme des grecs, Mger de Liège, De sacramentis corporis et sanguinis dnminici, I. IF, c. i, P. L., t. ci.xxx, col. 810, qui dépend d’Huinbert. Le mot « stercoranisme » a fait son entrée dans l’histoire. Cf. aussi Durand de Troarn, Liber de corpore et san guine Clu-isti, c. iii, P. L., t. cxlix, col. 1382. Mais, quoi qu’il faille penser de ces écrits de Français parvenus au cardinal et racontant que Bérenger et son ami Eusèbe Brunon étaient appelés stercoranistes, on ne voit pas comment cette appellation pourrait convenir ù l’hérésiarque, lequel professait exactement le contraire du stercoranisme et objectait à ses contradicteurs que leur croyance conduisait au stercoranisme. Cf. Guitmond, De corporis et sanguinis Christi verilate in eucliaristia, 1. II, P. L., t. cxlix, col. 1450-1453. L’épithète ne s’applique pas davantage à Nicetas Pectoratus, comme on s’en aperçoit en lisant le Libellas contra latinos, c. xi-xiv, P. G., t. cxx, col. 1017-1019, qui motive la réponse d’Huinbert. Il ne dit pas que la communion rompt le jeûne, mais que l’ancienne règle est de ne pas célébrer la messe pendant le carême, le dimanche et le samedi exceptés ; ces deux jours, il est prescrit de célébrer à tierce et ensuite on prend de la nourriture, le jeûne n’étant pas compatible avec l’allégresse du samedi et du dimanche, tandis que, les autres jours de la semaine, on reste à jeun jusqu’après la messe des présanctifiés, qui est fixée à none. Ce qu’il reproche aux latins, c’est non pas de rompre le jeûne par la réception de l’eucharistie, mais de communier à la troisième heure et de rompre le jeûne ensuite, au lieu d’attendre, pour le rompre, la neuvième heure, c’est de faire tous les jours ce que les grecs ne font que le samedi et le dimanche. Il est plus ou moins exactement renseigné sur l’usage des latins en matière de jeûne ; il ne professe pas le stercoranisme. Cf. Mabillon, Acta ordinis sancti Benedicli, ssec. iv, part. II, t. vi, p. xxxiv-xxxv. Le stercoranisme exista donc à l’état de péril inquiétant la conscience catholique, de problème qui se posait avec une sorte d’obsession, peut-être même fut-il admis franchement par des catholiques à l’esprit épais ; il n’est pas un écrivain dont ou puisse dire avec certitude qu’il l’enseigna.

Le stercoranisme exclu, la question du devenir du corps du Christ après la communion reçut les solutions suivantes. Wolphelme de Brauweiler, Epist. de sacramenio eucharistise contra errores Bcrengarii, P. L., t. CLiv, col. 414, dit simplement : post expletam more catholico communionem, sanum et incolume, vivum et integrum se recipit ad Palrem. Paschase Radbert insista sur l’union entre la chair du Christ et la chair du communiant. Liber de corpore et sanguine Domini, C. xviii-xix ; Epist. ad Frudegardum, P. L., t. cxx, col. 1325-1329, 1364-1366. Hériger, De corpore et sanguine Domini, c. ix, P. L., t. cxxxix, col. 188, dit à son tour, dans un très beau langage qui n’est guère que la reproduction ipsis tcrminis du texte de Paschase : Quia vero credimus non solum animam sed el carnem nostram hoc mystcrio recrcari…, carni quidem caro spiritualiter conviscerata transformatur, ut et Christi substantia in noslra carne inveniatur, sicut et ipse nostram in suam constat assumpsisse deitalem, ut qui manducal ejus carnem et bibit sanguinem vivat per animam el nunc et in aelernum, et caro de terris pulvere ressuscitata vivificetur in novissimo die. Hériger ne parle pas ici des « symboles du pain et du viii, » comme le lui fait dire Ellies Dupin, Histoire des controverses. .. traitées dans le ixe siècle, p. 250, mais du corps du Christ. Il enseigne, avec nombre de Pères, que par la communion notre chair devient la chair du Christ et reçoit un principe d’immortalité. Les mots ut et Christi substantia in noslra carne inveniatur sembleraient même impliquer une permanence physique de la chair du Christ dans la chair du communiant. Cf. l’hypothèse de V. Contenson. Theologia mentis clcordis, I. XI, dissert. II, c. ii, édit. Vives, Paris. 1875, t. IV, j). 203. Mais leur sens est adouci par les mois qui précèdent : spiritualiter conviscerata ; il y a bien permanence, mais seulement d’effets, ainsi que le montre

magnifiquement Franzelin, Tractatus de SS. eucharistiæ sacramento et sacrificio, th. xix, 3e édit., Rome, 1878, p. 302-306, exposant la pensée des Pères. Voir t. II, col. 512-514.

Que deviennent, après la communion, les espèces eucharisliques ? D’après C. Hôfler, Die deulschen Pâpsle, Ratisbonne, 1839, t. ii, p. 79, Paschase Radbert admettrait l’incorruptibilité des saintes espèces. Cf. P.-P. Brucker, L’Alsace et l’Église au temps du pape saint Léon IX, t. ii, p. 146, note 2. Or, au contraire, en écartant toute conception capharnaïtique, en distinguant dans l’eucharistie ce qui est vérité de ce qui est figure, Paschase a, sinon « précisé » , comme on l’a écrit, du moins laissé à entendre que les espèces ne sont pas inhérentes au corps de Jésus-Christ ainsi qu’elles l’étaient au pain, et que, par conséquent, elles ne partagent pas la fortune du corps du Christ, que tout ce qui survient dans les espèces ne doit pas atteindre en même temps le corps du Christ. Cf. J. Schwane, Dogmengeschichte, t. iii, Dogmengeschichte der mittleren Zeit, Fribourg-en-Brisgau, 1882, p. 630 ; trad. A. Degert, Paris, 1903, t. V, p. 463. C’est ce que tout le monde ne comprit pas assez. L’anonyme de d’Achéry, après avoir rappelé que l’eucharistie se mange comme les autres nourritures, qu’elle passe dans la bouche et descend dans l’estomac, déclare qu’il n’y a que Dieu qui sache ce qui lui arrive quand elle y est descendue, que, comme elle peut s’y consumer par une vertu spirituelle, elle peut aussi être conservée, le Christ pouvant faire l’une ou l’autre de ces choses selon son bon plaisir ; il n’admet pas qu’elle se pourrisse, ou qu’elle soit détruite par le feu, ou qu’on la laisse périr par négligence, car elle échappe à ces disgrâces à cause de la bénédiction de la vertu qui y a été répandue spirituellement. Spicilegium, t. xii, p. 42. L’anonyme englobe dans un sort commun et le corps du Christ et les espèces. Cf. pareillement Raoul Glaber, Histor., 1. V, c. I, P. L., t. cxLii, col. 691. Hériger tombe dans la même confusion, c. ix, col. 188, et adopte l’opinion de l’anonyme dont il reproduit les paroles essentielles. Guitmond nie catégoriquement. De corporis et sanguinis Christi veritate in eucharistia, 1. II, P. L., t. cxLix, col. 1445-1453, que l’eucharistie soit corruptible, qu’elle puisse se pourrir, être rongée par des rats ou d’autres animaux ; si cela se produit, ce sont pures apparences, permises par Dieu pour éprouver la foi des chrétiens ou punir leur incurie, l’eucharistie n’est pas vraiment corrompue, ou réduite en pourriture, ou consumée par le feu. Faute de distinguer, dans l’eucharistie, le corps du Christ invisible et les espèces visibles, Guitmond s’embarrasse dans des explications inadmissibles. Il semble finir par s’en apercevoir. Après tout, si véritablement l’hostie consacrée est dévorée par les animaux, si placel Cliristo… ut hsec sacramenta absqiie sui corruptione a bestiis sive avibus comedi possint, quid hoc ad veriialem quam credimus dominici corporis obslal ? col. 1449. Et, continue-t-il, si véritablement l’hostie est brûlée, dominici sacramenti subslantia nullatenus crematur, mais les espèces du pain se comportent comme dans un pain livré à l’action du feu, qualilales vero sensuales, quas ibidem post immutationem substantise Dei remanere altissimo consilio voluil, oslendunt quod suum est ; nnde fit ut color et sapor, odor quoquc, et si qua Imjusmodi accidentia prioris essentiæ, videlicet panis, servata suni, quemadmodum in pane vel ustulato vel nimis diu servalo solet fieri, simili modo hic quoque, salva omnino dominici corporis substaniia, corruptioni exterius ipsa accidentia aliquatenus videntuT (lire videantur) obnoxia, col. 1450. A ce videantur amphibologique substituons sint, et nous avons une formule excellente : dans l’hostie consacrée, le corps du Christ est incorruptible, et les qualités sen sibles — Guitmond a même le mot accidentia — oslendunt quod suum est, se comportent comme elles se comporteraient dans du pain ordinaire. Pourquoi Guitmond n’a-t-il pas développé sa thèse à la lumière de cette distinction libératrice ? D’autres que lui furent désemparés par l’objection bérengarienne tirée de l’incorruptibilité de la chair du Christ et de la corruptibilité de l’hostie consacrée, et l’on sait la place que tint, dans la théologie du moyen âge, rhjTDOthèse d’un rat rongeant l’hostie après sa consécration. Wolphelme de Brauweiler, Episl. de sacramento eucharistise contra errores Berengarii, P. L., t. cliv, col. 414, avait répondu que le corps de Jésus-Christ ne souffre rien, qu’il soit mangé par Judas ou par un animal, comme les rayons du soleil ne sont point souillés en passant dans un cloaque, mais que ce n’est que des élus et de ceux qui reçoivent dignement le corps du Seigneur qu’il est dit que Jésus-Christ demeure en eux et eux en lui. Il est regrettable qu’on ne se soit pas tenu à cette réponse claireetcomplètedanssabrièveté. 4° Les sources de la théologie eucharistique.

Tout

d’abord on s’adresse à la sainte Écriture. Paschase Radbert signale, du coup, les principaux textes eucharisliques, à savoir les paroles de la promesse et celles de l’institution de l’eucharistie ; il les allègue pour établir non seulement la présence réelle, mais encore l’identité du corps eucharistique et du corps historique du Christ. Liber de corpore et sanguine Domini, c. IV, n. 1, 3 ; c. vi, n. 2, P. L., t. cxx, col. 1277, 1279, 1282. Plus tard, Expositio in Matlhœum, 1. XII, c. xxvi, col. 890-894, il reprit les paroles de l’institution et leur consacra un commentaire assez ample, afin de réfuter ses contradicteurs. Il y revint encore dans sa lettre à Frudegarde, col. 1351-1352, à laquelle il joignit l’extrait de l’ExposiVi’o surlacène. Paschase avait dit l’essentiel. On ne fit guère que le suivre jusqu’au temps de Bérenger. On eut, alors, à répondre aux objections scripturaires de l’hérésiarque. Il citait saint Pierre, Act., iii, 21 : quem oportel cselum suscipere usque in tempora restitulionis omnium, et en concluait que, puisqu’il doit être au ciel jusqu’à la fia du monde, il ne peut en descendre et venir dans l’eucharistie. Cf. Lanfranc, Liber de corpore et sanguine Domini, c. x, P. L., t. cl, coi. 421 ; Guitmond, De corporis cl sanguinis Domini veritate in eucharistia, 1. II, col. 1466. Bérenger essayait de démontrer que le pronom Hoc, dans les paroles de la consécration, s’oppose à toute hypothèse de conversion du pain au corps du Sauveur ; Guitmond s’attache à le réfuter et tire de ces paroles un argument contre l’impanation aussi bien que contre l’absence réelle, 1. II, III, col. 1463-1464, 1484, 1494 : « Le Seigneur, après avoir pris le pain et l’avoir béni, a dit : Ceci est mon corps. Il n’a pas dit : Mon corps est caché dans ceci. Il n’a pas dit non plus : Mon sang est dans ce vin. Mais il a dit : Ceci est mon sang. Notre-Seigneur n’a pas dit : Une partie de ceci est mon corps. Il a dit simplement : Ceci est mou corps. » Cf. J. Turmel, Histoire de la théologie positive depuis l’origine jusqu’au concile de Trente, Paris, 1904, p. 306-311. « Constamment les auteurs du moyen âge recoururent aussi à la tradition pour établir leurs thèses sur l’eucharistie. Ceux de la première époque surtout firent plutôt de la théologie positive, c’est-à-dire qu’ils prouvèrent la vérité dogmatique plus à l’aide des citations de la sainte Écriture et des Pères que par le procédé du raisonnement et de la démonstration rationnelle ou théologique. J.-A. Chollet, La doctrine de l’eucharistie chez les scolastiques, Paris, 1905, p. 15. Dans son prologue, Paschase Radbert, Liber de corpore et sanguine Domini, P. L., t. cxx, col. 12671268, dit à son disciple Placide : Hœc autem ut securius tua perlegat infanlia, plaçait, charissime, catholicos

Ecdesise dodores in principio adnoiarc, ex quibus pauca de pluribus quasi lac teneriludinis eliquaverimus : Cyprianum scilicel, Ambrosium, Hilarium, Augiistinum, Joannem, Hieromjmum, Grcgorium, Isidorum, Isicium et Bedam, quorum doclrina et fide imbutus melius possis ad alliora proftcere. Il se réclame également de la liturgie, c. xii, n. 2, 3 ; c. xv, col. 1312. 13211324, et des miracles eucharistiques dont il trouve le récit dans les Vies des Pères du désert, dans saint Grégoire pape, etc., c. vi, n. 3 ; c. ix, n. 7-12 ; c. xiv, col. 1283-1284, 1298-1303, 1316-1321. Ceux qui vinrent après Paschase employèrent les mêmes arguments, mais la preuve patristique dut être revisée et complétée. Paschase s’était appuyé principalement sur saint Ambroise ; Ratramnc lui objecta saint Jérôme, saint Fulgence, surtout saint Augustin, dodor Ecdesiæ preecipuus, et s’efforça de tirer à soi saint Ambroise. De corpore et sanguine Domini, c. x.kiii-xcvi, P. L., t. cxxt, col. 140-162. Une grande discussion était ouverte sur le sens véritable de saint Augustin et de saint Ambroise ; les écrivains orthodoxes travaillèrent à montrer que les deux grands docteurs ne se contredisent pas et témoignent également en faveur du dogme eucharistique, mais qu’il faut savoir lire saint Augustin et éclairer ses formules obscures par des passages clairs, cf. Lanfranc, Liber de corpore et sanguine Domini, c. xviii, P. L., t. cl, col. 433-434, que ce’très noble docteur » , lequel scandali pêne totius videtur esse principium, étudié de près, n’offre nihil scrupulosum, nihil ambiguum, nam quidqu id ex eo pro se decerpunt id attente perspedum… aut pro nobis aut certe nihil contra nos facit. Guitmond, De corporis et sanguinis Domini verilate in eucharistia, l. III, P. L., t. cxLix, c)1. 1469, 1470. Paschase ouvrit la campagne dans sa lettre à Frudegarde ; il versa au dossier patristique des textes nouveaux. Malheureusement, un des plus importants, qu’il donnait comme extrait d’un sermon de saint Augustin Ad neophytos, col. 1352, était apocryphe, ce sermon étant « l’œuvre d’un inconnu du viii « ou du ixe siècle, qui avait utilisé les formules de la liturgie mozarabe. » J. Turmel, op. cit., p. 436. En revanche, il apportait, sous le nom d’Eusèbe d’Émesse, col. 1354, un texte qui paraît être de Fauste de Riez et qui est de toute première importance pour ce qu’il exprime et pour le crédit qu’il rencontra à partir du ixe siècle. Cf. P. Batiffol, Nouvelles éludes documentaires sur la sainte eucharistie, dans la Revue du clergé français, Paris, 1909, t. Lx, p. 537-540. L’épîtrc de Paschase fut un noyau patristique que grossirent des apports ultérieurs, modestes mais utiles, d’Hériger, de Durand de Troarn, de Guitmond, etc. Çà et là, cependant, l’apocryphe se glissa dans ces attestations. Les Actes de saint André, par exemple, sont cités par Hériger, De corpore et sanguine Domini, c. viii, P. L., t. cxxxix, col. 187, par Gérard de Cambrai, De corpore et sanguine Domini, P. L., t. cxLii, col. 1281, par Wolphelme de Brauweiler, Epistola de sacramento eucharistiæ contra errores Berengarii, P. L., t. cuv, col. 414, etc. Paschase Radbert avait eu le mérite. Liber de corpore et sanguine Domini, c. xx, n. 1, 3, P. L., t. cxx, col. 1330, 1331, de reconnaître le caractère apocryphe de la lettre de saint Clément à saint Jacques, mais sans nommer cet écrit. Durand de Troarn, Liber de corpore et sanguine Christi, c. x, P. L., t. cxlix, col. 1389-1390, loue Paschase et cite son passage sur l’apocryphe, puis, ne s’apercevant pas que cet apocryphe est la prétendue lettre de saint Clément, il cite cette lettre et veut établir qu’elle n’est pas en désaccord avec Paschase. L’érudition de nos écrivains n’est donc pas impeccable. Sachons-leur gré des résultats qu’ils obtiennent, d’autant plus qu’ils ne se bonient pas à enregistrer les textes ; ils tentent de les

expliquer en les rapprochant les uns des autres et en les plaçant dans le contexte. Leur critique est parfois sommaire et fragile ; ni elle n’est absente ni elle n’est toujours dépourvue de justesse et de pénétration. Durand de Troarn donne de sages conseils de prudence et d’humilité pour la lecture des Pères, c. xxvi, col. 1417, et s’explique en ces termes remarquables sur saint Augustin, c. xxiv, col.l415 iDumscribendis libris operose insudat, minus se quibusdam in tncis explical, ac per hoc nonnullis minus eruditis, aique in sacris Scripturis apprime nequaquam elimatis, aut difficilis videtur aut, non rede intdledus, erroris seminarium fieri probatur. Cœterum, si aliter quid intellexisse tiac de re et ab integritate tanti mysterii alienum probaretur dixisse, quod absit, ex difflnito proferendum erat quod Apostolus ait : etiamsi angélus de cxlo annuntiaverit vobis prseter quod accepistis, analhema sit. Cf. encore Eusèbe Brunon, Epist. ad Berengarium magistrum, P. L., t. cxLvii, col. 1203-1204.

A propos de saint Augustin, Guitmond, De corporis et sanguinis Domini veritate in eucharistia, I. III, P. L., t. CXLIX, col. 1484-1488, rappelle l’enseignement du saint docteur sur la nécessité de s’incliner devant la croyance générale, devant celle qui est professée par l’Église catholique ; les bérengariens ne sont qu’une poignée, ils ne sont pas l’Église ; si ergo vobis, o berengariani, beatus Augustinus iia, ul solet, clarissimus est, judicium ejus sequimini… Beati Auguslini judicio, vos stolidi estis qui de corpore Christi quod in loto terrarum orbe creditur credere recusatis. D’autres que Guitmond font appel au grand principe d’autorité. Hugues de Lan grès, Tradatus de corpore et sanguine Christi contra Berengarium, P. L., t. cxlii, col. 1333-1334, écrit à Bérenger : nec præsumas singulariter sentire quod universitas non assentit. Ascelin lui dit, P. L., t. CL, col. 68 : davem scientiee volvens, ipse non introire vidcris, quoniam universali Ecdesise dissentis, e’quibus persuades quod sentis nimirum introeundi adilum claudis. Durand de Troarn, c. ii, col. 1378, s’écrie : Absit… ut… minus aliquid fateamur quam calholica per universum orbem prsedicol Ecclesia. Cf. Lanfranc, c. XXII, col. 440-441. Et Adelman adjure Bérenger de ne pas se séparer ab unitate sandse matris Ecdesiie et de ne pas déchirer la « p^îix catholique » . De euchnristiæ sacramento ad Berengarium epistola, P. L., t. cxliii, col. 1289-1290. Cf. E. Faivre, La question de l’autorité au moyen âge : Bérenger de Tours, Toulouse, 1890. Rarement, le sentire cum Ecclesia est mieux apparu comme la règle de la foi orthodoxe.

Parmi tous ces progrès de l’argument scripturaire ou patristique et parallèlement à la mise en lumière du sentire cum Ecclesia, une métaphysique surnaturelle de l’eucharistie se dessine. La renaissance carolingienne est riche de promesses : la philosophie aristotélicienne commence à être utilisée, on se préoccupe d’éclairer les données de l’Écriture et des Pères par les procédés de l’analyse philosophique, de l’analogie théologique, et la méthode scolastique proprement dite tend à s’établir à côté de la méthode positive pour la compléter. Bérenger, sans être le rationaliste que beaucoup ont vu en lui, par exemple, H. Reuter, Geschichte der religiôsen Aufklàrung im Mittelalter, t. I, p. 104-111 ; cf. Hauck, Realencyklopâdie, L.eipzig, 1897, t. II, p. 611, fait la part très grande — et trop grande — à la raison et témoigne à la dialectique une confiance excessive dans l’étude des dogmes. Les défenseurs de la doctrine catholique sont amenés à le suivre sur son terrain dans la mesure où la chose est légitime. L’hérésie bérengarienne est le jjolnt de départ d’une activité théologique féconde. Ce n’est pas encore la scolastique ; ce sont ses premières lueurs, faibles et hésitantes, mais annonçant le jour qui vient.

Le dogme euclmrislique et la piélé.

Une connaissance

plus approfondie de la vérité dogmalique prépare un renouveau de la piélé. Avec le sacrement de l’cucliaristie, le sacrifice de la messe est l’objet de travaux nombreux. Cf. F. S. Renz, Die Geschiclitc des Messopfers-Begrifjs, t. i, Allerliim itnd Mitlelattcr, Freising, 1901 (le 1. III est consacre au moyen âge), et J.-M.-A. Vacant, La conccplion du sacrifice de la messe dans la tradilion de l’Église latine, dans L’universilé catholique, Lyon, 1894, t. xvi, p. 363-372. Les splendeurs du culte eucharistique, les manifestations extérieures que le moyen âge multiplia, ne s’épanouiront que peu à peu. « Les commencements de la dévotion au saint-sacrement, sous la forme aujourd’hui reçue, n’apparaissent guère qu’un siècle entier après la mort de Bérenger… On peut affirmer qu’à partir de 1200 la pensée et le culte de l’eucharistie deviennent dans presque toute l’Église un objet constant et immédiat de sollicitude. » H. Thurston, L’eucharistie el le Saint-Graal, trad. A. Boudinhon, dans la Revue du clergé français, Paris, 1908, t. lvi, p. 550, 555. Pour l’élévation de l’hostie à la messe, voir t. iv, col. 23212323. En règle générale, le progrès de la dévotion ne suit qu’à une certaine distance celui du dogme, et les magnificences du culte public sont précédées par les intimités de la piété individuelle. Du ix<= à la fin du XIe siècle, l’eucharistie gagne de la place dans la vie chrétienne. La réaction contre le bérengarianisme stimule la ferveur des fidèles. La communion semble mieux comprise. La communion fréquente, et même quotidienne, est instamment recommandée par un saint Pierre Damien, un saint Grégoire VII, un Durand de Troarn, voir t. iii, col. 526-527, et ce qui n’est pas moins digne d’attention que l’insistance avec laquelle ils la louent, c’est la manière dont ils en parlent ; il y a là. cf. aussi la Confessio fldei publiée parmi les œuvres d’Alcuin, part. IV, c. i-vii, P. L., t. ci, col. 1085-1092, une délicatesse et une chaleur de sentiment qui annoncent les effusions de piété du moyen âge. Or, une fois de plus, Paschase Radbert donne le ton. Il trouve des accents délicieux jusque dans l’acrostiche initial de son traité, et, quand il parle du « grand bien » de l’eucharistie, ’de la beauté qu’elle communique, des dispositions qu’elle réclame, Liber de corpore et sanguine Domini, c. xxi, n. 4-7 ; c. xxii, n. 4-5, P. L., t. cxx, col. 1261-1262, 1335-1338, 1345-1346, il rivalise avec les plus dévots admirateurs du sacrement. Voir encore les belles prières qui terminent le traité, col. 1347-1350. Tant il est vrai qu’on rencontre Paschase Radbert à toutes les avenues du domaine eucharistique ! « Paschase Radbert, dit A. Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, 3e édit., Fribourg-en-, Brisgau, 1897, t. iii, p. 287, est peut-être le théologien le plus savant et le plus solide après Alcuin, un homme aussi bien au courant de la théologie grecque qu’il est chez lui dans l’augustinisme, un esprit compréhensif, qui ressent ce qu’il y a de plus profond dans les exigences de la vie, unit la théorie et la pratique, et fait valoir tout ce que la tradition ecclésiastique a enseigné jusqu’alors sur l’eucharistie. » P. Batifïol, L’eucharistie, la présence réelle et la transsubstantiation, p. 359, estime que de ce que la théologie « s’est établie sur les lignes posées par Paschase, il ne convient pas de surfaire son œuvre » et de mettre trop haut « le compilateur qu’est ce bon I^aschase. Son livre, sans doute, est la première monographie théologique qui ait été composée sur l’eucharistie. Mais Paschase n’est qu’un récapitulateur, lui aussi, comme était saint Jean Damascène… Aussi bien cette impersonnalité faisait-elle la force de son livre. » Entre ces deux jugements il y a des différences. C ? qui leur est commun et ce qu’il faut retenir, c’est que Paschase Radbert a utilisé tout l’héritage du passé, qu’il a écrit la pre mière monographie théologique sur l’eucharistie, et que les développements ultérieurs de la théologie eucharistique se sont produits sur les lignes qu’il avait posées. C’est assez jjour que saint Paschase Radbert mérite le nom de Iheologus eucharislicus.

I. Sources.

Cette bibliographie n’embrasse que les écrits qui traitent ex professa du sacrement de l’eucharistie ; les principaux textes eucharistiques qui se trouvent dans les autres écrits ont été indiques au cours de cet article. Pour les livres et traités liturgiques, recueils canoniques et pénitentiels, voir Messe. On trouvera une bibliographie des sources un peu sommaire dans J.-A. Chollct, La doctrine de l’eucharistie cliez les scolastiiiues, Paris, 1905’p. 6-9, et une bibliographie détaiUée, mais insuflisamment précise, dans L. Biginelli, / beneditlinie gli sludi eucarislici nel medio cvo, Turin, 1895, p. 3-CO.

1° Au ; ïe siècle. — Amalaire, Epist., vi, ad Gunlradum. P. L., t. cv, col. 1336-1339 ; Florus de Lyon, Opuscula adversus Amalarium, P. /.., t. cxix, col. 71-94 (les deux premiers opuscules) ; S. Paschase Radbert, De corpore et sanguine Domini, P. L., t. cxx, col. 1259-1350 ; Epistola de corpore et sanguine Domini ad Frudegardum, col. 1351-1366 (comprend Vexposilum sur Matth., x.vni, ou extrait du commentaire sur saint Matthieu, 1. XII, c. xxvi, col. 890-891) ; pour Ériugène et Adrevald de Fleury, voir Érigène, t. v’col. 405-406, 419-420 ; Ratramne, De corpore et sanguine Domini, P. L., t. cxxi, col. 125-170 ; Raban Maur, Epist., ii, ad Heribaldum episcopum Antissiodorensem, dans Pœnilentiule, c. xxxiii, P. L., t. cxii, col. 1510 ; t. ex, col. 492-494 ; Epist., iii, ad Egilem Prumiensem abbatem, de corpore et sanguine Domini adversus Ratperlum, P. L., t. cxri, col. 1510-1518 (c’est le traité d’aljord publié par Mabillon’Acta sanctorum ordinis sancti Benedicti. sœc. iv, part. II, t. VI, p. 592-596, sous le titre de Dicta cufusdcun sapientis de corpore et sanguine Domini aduersus Radberlum, et identifié par lui avec la lettre de Raban Maur à Egil) ; l’auteur anonyme du fragment publié par Mabillon, p. 596 ; Hincmar, Ex Ferculo Satomonis, P. L., t. cxxv, col. 1202 (fragment conservé par Durand de Troarn, Liber de corpore et sanguine Ctiristi, c. xxi, P. L., t. cxLix, col. 1407) ; Haymon d’Halbcrstadt. De corpore et sanguine Domini, P. /, ., t. c.KViii, col. 815-818 ; l’auteur anonyme de la Responsio cufusdam de corpore et sanguine Domini publiée par dWchery, Spici-Icgium, Paris, 1675, t. xii, p. 39-42 (a écrit peut-être au IX » siècle, peut-être au x « ) ; Théodore Abucara, Contra hæreticos, j’udæos et saracenos varia opuscula. Opusc, XXII, P. G., t. xcvii, col. 1551-1554 ; Pierre de Sicile, Serm., iii, contra paulicianos qui dicunt Dominum in cœna discipulis suis haud vere oblulisse panem ac vinuni sed parabolire locutum, P. G., t. civ, col. 1347-1350.

Au v’siècle.

Rémi d’Auxerre, Expositio de celebratione

missæ, P. L., t. ci, col. 1246-1271 (cet écrit, inséré dans le Liber de divinis officiis du pseudo-.Alcuin, dont il forme le c. xl, semble bien l’oeuvre de Rémi) ; Gézon de Tortone, Liber de corpore et sanguine Christi, P. L., t. cxxxvii, col. 371-406 ; Rathier de Vérone, Epist.. i, ad Palricum de corpore et sanguine Domini, P. L., t. cxxxvi, col. 643-648 ; Hériger deLobbes (ou Gerbert), Libcllus de corpore et sanguine Domini, P. L., t. cxxxi.x, col. 179-188. Les deux premiers recueils des sermons d’Aelfric ont été édités par Thorpe, The homilies o/ Ihe anglo-saxon Church. The fwsl pari, containing Ihe Sermones calholici or homilies o/ Aelfric, Londres, 1844-1845, 2 vol. ; le troisième recueil a été édité par Skeat, Aelfric’s Lives of saints being a sel o/ sermons on saints’dags, Londres, 1881.

Au M’siècle.

Fulbert de Chartres, Epist., iii,

Einardo ; v, Adeodado, P. L., t. cxli, col. 192-195, 196204 ; Robert le Pieux, lettre à Leuthéric, archevêque de Sens, rapportée par Helgaud de Fleury, Epitoma vilee régis Roberli pii, P. L., t. cxli, col. 912 ; Gérard de Cambrai, De corpore et sanguine Domini, P. L., t. cxi.ii, col. 1278-1284 (une partie du discours de Gérard aux néo-manichéens d’Arras) ; pour les écrits de Bérenger et ceux qui furent composéspour ou contre lui au xi » siècle, voir Bérenger de Tours, t. II, col. 740-741 ; Renallo de Barcelone, Versus excerpti de libro Renalli magislri Barehinonensis Gerundensis de corpore Christi, P. L., t. cxLii, col. 599-602 ; S. Grégoire VII, Epist., 1. I, epist. xlii, ad comilissam Mathildem, P. L., t. cxLviii, col. 326-328 ; Samonas de Gaza, Disceplalio cum Achmed saraceno perspicue docens panem ac vinum, ulrumque per sacerdolem consecratum, verum

esse et iiilegrum corpus ac sangtiinem Domini iiostri Jcsii Christi, P. G., t. cxx, col. 821-832.

II. Travaux.

Nicole, Arnauld, etc., La perpétuilé de la joi de l’Église catholique touchant l’eucharistie, Paris, 16691713, dernière édition publiée par Migne, -1 vol., Paris, 1841 (utile, mais des défauts de méthode et vieilli ; la petite Perpétuité de la foi, qui précéda la grande et fut publiée ù Paris, 1664, a été réimprimée par Migne en tête du t. i) ; iMabillon, Acta sanctorum ordinis sancti Benedicti, ssec. iv, part. II, Paris, 1680, t. vi, p. iv-lxviii ; sæc. vi, part. II, 1701, t. IX, p. vii-XLVi (le meilleur des travaux anciens) ; L.-E. Dupin, Histoire des controverses et des matières ecclésiastiques traitées dans le /ae siècle, nouv. édit., Paris, 1724, p. 208-254, 258-260 ; Histoire des controverses et des matières ecclésiastiques traitées dans le v ; e siècle, 1699, p. 20-74 ; F. Cuniliati, Biblioteca euccu-istica in cui… si apportano gli scrillori che pcl corso di tredici secoli succcssivamente nella Chiesa fiorirono, Venise, 1744 ; dom R. Ceillier, Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques, Paris, 17521757, t. xviii-x.xii (relève avec soin les textes eucharistiques ) ; N. Alexandre, Historia ecclesiastica, édit. llansi, Venise, 1778, t. vi, p. 409-434 ; t. vii, p. 67, 212-222, 389459 ; A. Ebrard, Dos Dogma vom heiligen Abendmahl und seine Geschichte, 2 vol., Francfort-sur-Ie-Mein, 1845-1846 ; Anglade, Controverse sur l’eucharistie pendant le.e siècle, Paris, 1858 ; M. Hausherr, Der heilige Paschasius Radbertus, eine Stimme ùber die Eucharistie vor tausend Jahren, Mayence, 1862 ; J. Bach, Die Dogmengeschichte des Mitlelallers vom christologischen Standpunkte, Vienne, 1874, t. I, p. 156-218, 364-389 ; H. Reuter, Geschichte der religiosen Aufkldrung im ^nttelalter, Berlin, 1875, t. i, p. 42-43, 91-128, 275, 286-296 ; F. Clément, Les bénédictins qui ont écrit sur l’eucharistie, dans Analecta juris pontiftcii, Rome, 1882, t. xxi, p. 550-582 ; J. Schwane, Dogmengeschichte, t. iii, Dogmengeschiclite der mittleren Zc17, Frib’)urgen-Brisgau, 1882, p. 628-640 ; trad. A. Degcrt, Paris, 1903, t. v, p. 460-478 ; J. Corblet, Histoire dogmatique, liturgique et archéologique du sacrement de l’euchewistie, Paris, 1886, 2 vol. ; L. Schwabe, Studien : ur Geschichte des zweiten Abendmahlstreites, Berlin, 1887 ; E. Choisy, l’aschase Radbert, étude historique sur le i.’siècle, Genève, 1889 ;.J. Schnitzer, Berengar von Tours, ein Beitrag zur Abendmahlslehre des beginnenden Mittelaltcrs, Munich, 1800 ; C. Gore, Dissertations on subjects connected with the Incarnation, Londres, 1895 ; L. BigincUi, I benedettinie gli sludi eucaristici nel medio ewo, Turin, 1895 ; La rinascenza degli studi eucaristici nel medio euo in occasione delV eresia di Berengario, dans le Compte rendu du JV" congrès international scientifique des catholiques, Fribourg (Suisse), 1898, 1. 1, p. 19-31 ; J. Ernst. Die Lehre des heiligen Paschasius Radbertus von der Eucharistie, mit besonderer BeriicksiclUigung der SIcllung des heiligen Rhabanus Mourus und des Ratramnus zu derselhen, Fri bourgen-Brisgau, 1896 ; Loofs, art. Al)cndmahl, II, dans Realencijklopddie, 3° cdil., Leipzig, 1896, p. 63-64 ; A. Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, 3e édit., Fribourg-en-Hrisgau, 1897, t. iii, p. 284-298, 347-355 ;.1. Ebersolt, Essai sur Bérenger de Tours et la controverse sacramentaire au i’siècle, dans la Revue de l’histoire des religions, Paris, 1903, t. xi.viir, p. 1-42. 137-181 ; A. Nægle, Ratramnus und die heilige Eucharistie, zugleich eine dogmatisch-historische Wùrdigung des ersten Abendmahlslreites, Vienne, 1903 ; J. Turmcl, IHstoire de la théologie positive depuis l’origine jusqu’au concile de Trente, Paris. 1904, p..306-316, 432-442 ;.I.-A. Chollet, La doctrine de l’eucharistie chez les srolastiques, Paris. 1905, p. 11-34 ; P. BalilTol, Études d’histoire et de théologie positive, 2° série. I, ’eucharistie, la présence réelle et la transsubstantiation, .i" édit.. Paris. 1906, p. 339-387 ; K.-G. (ioetz, Die heulige Abendmahlsfrage in ihrer gesehichilichen Enlwicklung, Leipzig, 1907, part. I, c. I, II, p. 1-22 ; F. Kattenhusch, art. Transsubstantiation, dans Realencgklopddie, 3e édit., Leipzig, 1908, p. 58-03 ; T. Hcitz, Essai historique sur les rapports entre la philosophie et la foi de Bérenger A saint Thomas d’Aquin, Paris, 1909 ; Darwel Stone. A hislorg o/ the doctrine of the holg euchari.1t, Londres. 1009, t. l ; R. Heurtcvent. Durand de Troarn et les origines de l’hérésie bérengnrienne (thèse). Paris, 1912. Voir, en outre, les travaux signalés au cours de cet article.

I’. VllRNET.

V. EUCHARISTIE AU XII’SIÈCLE EN OCCIDENT. —

Dans l’histoire de hi théologie de l’eucharistie, le xiie siècle consUlue une période de transition durant laquelle la valeur intrinsèque des ouvrages

ne peut se mesurera l’intérêt qu’ils suscitent de nos jours. On y écrit beaucoup ; on n’y discute pas moins. INIais écrits et discussions ne s’élèvent guère au-dessus de travaux d’essais ou de tentatives d’approche : imprécisions de langage, inexactitudes dans l’expression, tâtonnements dans les recherches, fléchissements dans la pensée, tout cela place ces productions fort en deçà de la perfection du siècle suivant. A côté des questions les plus graves s’en présentent d’enfantines sur lesquelles s’exerce une dialectique impitoyable, et il n’est pas rare que les problèmes de la métaphysique la plus profonde soient effleurés, plutôt qu’abordés, à propos de vraies puérilités : singulier mélange de grandeur et de minutie, de spéculation saine et de puérile curiosité I Mais, considérées dans la suite historique de leur élaboration, ces œuvres appellent l’attention, car elles constituent les premiers essais d’une pensée théologique naissante qui saura se frayer sa voie malgré les tâtonnements des premiers pas ; en outre, elles opèrent la transmission des anciens matériaux patristiques, les codifient, les harmonisent, parfois les renouvellent ; elles élaborent des théories et des systèmes qui vont se perfectionnant d’un auteur ou d’une école à une autre ; elles précisent et fixent le vocabulaire, mais avec les hésitations et les méprises que rend inévitables l’emploi d’anciennes formules brusquement coupées de leur contexte. De ces divers points de vue, la théologie de l’eucharistie est particulièrement intéressante au xii’e siècle, malgré la longue série des travaux sans reliefs dont il faut suivre les détours pour arriver au résultat. L’histoire du dogme non plus ne peut s’en désintéresser, car cette période élaboratrice de la systématisation sacramentaire, si féconde pour la formule de la transsubstantiation, trouve son couronnement dans une profession de foi, celle du IV « concile de Latnui, en 121 ; ’}, dont l’importance a été jugée sans égale dans les douze siècles qui séparent les professions des conciles de Nicée-Constantinople et de Trente. Harnack, Lelirbuch der Dogmengeschichte, 4’= édit., Leipzig, 1910, t. III, p. 387.

S’il n’y a pas lieu de dresser ici une nomenclature complète (le grand travail critique qui reste ; faire sur le terrain de l’inédit ou même des sources imprimées la rendrait d’ailleurs impossible), il est avantageux, croyons-nous, d’exposer les principales catégories d’ouvrages qui peuvent nous renseigner au xiie siècle sur le dogme et la théologie de l’eucharistie. Elles nous révéleront les rapports qui unissent les écrivains de ce siècle avec ceux du cycle bérengarien ou paschasien ; car c’est sur les œuvres de la controverse bérengariennc, ou même paschasienne, que se bâtit la théologie eucharistique du xiie siècle, ou que se grefl’ent les attaques nouvelles. La litténiture polémique contre les cathares, les vaudois, les aimariciens, etc., fait suite aux traités dirigés contre Bérenger et fait connaitre mainte argumentation qui accuse chez les sectes hérétiques la connaissance des œuvres ou des objections bércngaricnncs. Les divergences ou les influences d’école se manifesteront en même temps entre les divers groujies théologiques, comme ceux d’.bélard ou des Viclorins, les théologiens d’outre-Uhin et les écoles de Paris ou de Bologne, etc., ainsi que les attaches nuiltiples qui relient dans leurs matériaux, leur plan, leur méthode, etc., la théologie et le droit canon : c’est ainsi, pour ne citer ici qu’un exemple, que le canonislc Muguccio de Ferrarc(-[- 1210). dont la.Siu/iHin est encore inédite, trihutaire lui-même de Hugues de Saint-Victor dans sa I ! I<" partie, influe fortement sur Jean Lothaire de Segni, son élève, le futur Innocent III, par le décret duquel se ferme toute cette période

(Lalran, 1215). On ne peut complètement négliger non plus les autres manifestations de l’activité ecclésiastique ou pastorale : la poésie liturgique, les traités liturgiques ou ascétiques, les sermons, etc., contiennent des affirmations qui anticipent sur l’exposé systématique de l’école ou répandent sous une forme vulgarisée les expressions créées par les magisiri scolares. Il en va de même avec les recueils épistolaires : consultations théologiques, doutes de conscience, exposés complémentaires de certains points de doctrine, cas de rubrique, réfutations d’erreurs locales, etc., les lettres d’Anselme, d’Yves de Chartres, d’Arnoul de Rochester, de Hugues Métel, de Gilbert de la Porée, de Baudouin de Cantorbéry, etc., sont des plus précieuses en ces matières. Mais c’est aux ouvrages scolaires que revient le premier rôle dans l’œuvre de systématisation et de codification à laquelle se voue presque tout le xiie siècle ; la théologie de l’eucharistie garantit à cette systématisation sacramentaire des Sommistes de l’époque un intérêt de premier rang, aussi bien pour l’ordonnance harmonieuse des concepts sur le sacramentum ou les corollaires de la doctrine sur la conversio, que pour l’habile utilisation des traités spéciaux de leurs prédécesseurs. Il n’est pas de dissertation développée, comme celle de Guitmond ou celle d’Alger, ni de monographie de détail, comme les consultations sur la communion de Judas ou sur le stercoranisme, qui n’ait trouvé quelque écho dans les Sententise des premiers Sommistes. On ne peut oublier non plus que les grands théologiens du xiiiie siècle sont en beaucoup de points les héritiers directs de ces Sommistes dont l’un, le plus célèbre si pas le plus méritant, Pierre Lombard, lègue à quatre siècles et davantage ses Quatuor libri Sententiarum, comme cadre et thème de presque tous les commentaires théologiques. Souvent même, comme Denifle, K. Muller et d’autres en avaient déjà fait la remarque, c’est aux écrits du xiie siècle qu’il faut recourir, pour saisir la’]^vraie portée ou les termes mêmes d’un problème développé au xiii « . — 1. Principales sources d’information. II. Doctrine qu’elles fournissent.

I. Principales sources d’information. — l" Polémique antihérétique. — 1. Résultats de la polémique contre les derniers partisans de Bérenger. Situation au début du A//e siècle. — Entre l’époque de Bérenger (1050 environ-1088) et celle de la systématisation opérée par les Sentenciers ou les Sommistes, les traités particuliers forment en quelque sorte le trait d’union, les Sommistes se contentant fréquemment de résumer, ou d’enregistrer, des questions déjà étudiées par ces polémistes. L’on a déjà parlé ailleurs, voir Bérenger, t. ii, col. 738-739, des premiers adversaires de Bérenger qui, tous, ou peu s’en faut, se sont trouvés groupés un moment autour de la chaire de Fulbert de Chartres (Adelman, Durand de Troarn, Hugues de Langres, Alger de Liège, etc.), ou de celle de Lanfranc (Guitmond, Anselme, Arnoul de Rochester, etc.) et dépassent leurs maîtres ; presque tous aussi appartiennent à l’ordre bénédictin. Ruinart, Abrégé de la vie de J. Mabillon, Paris, 1709, p. 321.

Parmi ces premiers témoins ou ces premiers inspirateurs de la pensée théologique du xiie siècle sur le sujet qui nous occupe, il faut citer ici, après celui de Lanfranc, les noms de Guitmond d’Aversa, d’Alger de Liège et de Grégoire de Bergame. Le premier, ancien élève de Lanfranc et sur le point, un moment, de devenir évêque en Angleterre, passe finalement en Italie où il devient évêque d’Aversa (Apulie) après 1088 ; il meurt dans les dernières années du xie siècle, mais son influence au siècle suivant exige qu’on en parle ici. C’est en Normandie, à La Croix-Saint-Leufroi probablement, sous le règne de Grégoire Vil

(1073-1085) et avant le synode romain de 1078, qu’il écrit son ouvrage : De corporis et sanguinis Domini veritate libri très, P. L., t. cxlix, col. 1422-1494. L’ensemble du traité, directement dirigé contre celui de Bérenger paru peu auparavant, suit dans les grandes lignes la marche du De sacra cœna, édit. Vischer, Berlin, 1835.

Après une introduction développée qui donne de précieuses indications, fort prisées de Mabillon, sur les principales catégories des partisans de Bérenger, Guitmond répond aux questions et expose sa doctrine : c’est sous la forme d’un dialogue où le moine Roger, plus tard abbé de Montebourg dans le Cotentin, interroge l’auteur et lui présente les difficultés qui l’arrêtent, 1. I, ou les objections des adversaires, 1. Il ; le 1. m est consacré aux preuves patristiques de la foi catholique contre les deux grands groupes de bérengariens : les umbratici et les impanatores, op. cit., col. 1430, 1469, 1480, etc. ; le dialogue y devient monologue, car le moine Roger n’a que deux mots d’approbation pour finir. Ibid., col. 1494.

Les deux autres traités se placent plus tard et l’un d’eux longtemps après la mort de l’hérésiarque (1088), mais nous savons qu’un renouveau de l’erreur bérengarienne se produisait de temps à autre (voir entre autres textes, plus loin, celui d’Abélard ) et que les vestiges de l’hérésie continuaient à tourmenter les esprits. L’ouvrage d’Alger de Liège : De sacramento corporis et sanguinis dominici, P. L., t. CLxxx, col. 739-860, antérieur à l’entrée de son auteur à Cluny (vers 1120), fait le plus grand honneur aux écoles de Chartres et de Liège. Alger y tire profit de l’exposé de Guitmond, mais il dépasse son prédécesseur en pénétration et en exactitude. Si l’œuvre de Guitmond fit un moment placer l’évêque d’Aversa au-dessus même d’Anselme de Cantorbéry, cf. Anselme, Epist., 1. I, epist. xvi, P. L., t. clviii, col. 1082, un juge aussi compétent que Pierre le Vénérable n’hésita pas à donner la palme à l’écolâtre de Liège, Contra Henricum et Petrobrusium hsereticos, P. L., t. CLxxxix, col. 788, en plaçant les trois grands polémistes dans la gradation suivante : Lanfranc bene perfccte, Guitmond melius…perfectius, Alger optime… perfectissime. Voir l’injuste appréciation d’Ellies Dupin partagée par l’Histoire littéraire de la France, t. xi, p. 158. Après un prologue où se trouve la liste des six erreurs principales, op. cit., col. 739740, le 1. I^’d’Alger établit le dogme de la présence réelle et du changement du pain et du vin au corps et au sang de Jésus-Christ. Le IP répond à un certain nombre de questions, de « pourquoi » , fort discutées à cette époque : neuf chapitres sur les dix que comprend ce livre sont introduits par la particule car. Son 1. III, qui n’était pas annoncé dans leprologue, ibid., col. 744, examine le problème de la valeur des sacrements et del’eucharistie en particulier, chez les prêtres indignes : quia major est dubitatio. Ibid., col. 831. Notons tout de suite combien toutes ces qusestiones du IP et du IIP livre se retrouvent résumées, effleurées ou rappelées chez les Sommistes, tels que Roland Bandinelli, les auteurs de la Summa sententicu-um ou des Sententise diviniialis, Pierre Lombard, etc.

Quelque dix ou vingt ansplustard(versll30-1140), l’Italie, comme la Normandie, la France ou la Lotharingie, eut aussi son traité sur l’eucharistie. Grâce à Mabillon qui a si bien mérité de l’histoire du dogme eucharistique au moyen âge, l’œuvre a été sauvée de l’oubli et le seul texte que nous en ayons est la copie transcrite, pour le célèbre mauriste qui l’appréciait hautement, par un moine de Vallombreuse, J. A. Casari, en 1686. On la trouve dans le manuscrit de la Bibliothèque nationale, lat. 17187, qui a appartenu à Martène, fol. 295 sq. L’ouvrage a pour titre : Tra

ciatiis de verilule corporis Christi et pour auteur Grégoire de Bergame, moine de Vallombreuse, ami de saint Bernard, évêque de Bergame en 1133 et mort en 1146. Si le Traclatus n’a pas eu la diffusion et l’influence de celui d’Alger, il convient néanmoins d’en parler ici : c’est une œuvre de mérite, remarquable par sa netteté d’expression et sa justesse de pensée, qui prend surtout pour sujet d’étude la présence réelle, cf. prologus, p. 2, celle-ci étant principalement le point d’attaque de ses adversaires, Grégoire ne s’occupe que secondairement de la conversion. Les Sommistes semblent bien avoir ignoré cette œuvre, mais les renseignements qu’elle fournit sur les points controversés, son arsenal de textes, d’objections, de solutions émises, etc., fournit un utile commentaire aux premiers produits de la systématisation théologique. Nous citons d’après la réimpression de la collection de Hurter, SS. Patium opuscula sclccta, Inspruck, 1879, t. XXXIX, p. 1-123, qui reproduit l’édition d’Ucelli (en appendice dans les Scrilti inediii del B. Gregorio Barbarigo, Parme, 1877, p. 673-745).

Conformément au plan qu’il annonce dans son prologue, I, p. 7, l’auteur passe d’abord en revue les objections des bérengariens tirées de l’Écriture, c. ii-vi, des Pères, c. vii-ix, et des divers noms donnés à l’eucharistie, c. x-xix : spccies, myslerium, sacramentum, figura, etc. Il y compare l’eucharistie aux autres sacrements (c’est ici qu’intervient la nomenclature septennaire des sacrements, c. xiii, p. 56, qui n’est, pensons-nous, qu’une interpolation ; en l’absence de témoins du texte primitif, la copie de 1C86 ne peut nous aider beaucoup ; le mot Scrvaior, ms. lat. de la Bibliothèque nationale, 17187, fol. 314 r, p. 36 de la pagination du traité, qui trahit le vocabulaire de la Renaissance et qui ne se retrouve, croyons-nous, qu’une fois ailleurs dans le traité, c. XII, p. 52, est bien suspect en cet endroit ; partout ailleurs, on ne rencontre que Sa/ya/or ; mais surtout le peu d’harmonie avec l’énumération des sacrements qui se rencontre au début du chapitre suivant, laisse peu de vraisemblance à la présence de ces lignes dans le texte original). A partir du c. xx, Grégoire expose le dogme catholitiue appuyé de ses preuves scripturaires ou patristlejucs et de l’enseignement de l’Église, l’uis, c. xxx-xxxiii, viennent quelquesquestions secondaires, dans le genre desQuæsiiunculie dul. II d’Alger, mais moins nombreuses.

D’autres traités antibérengariens sont perdus, tels celui de Bernold de Constance, auquel fait allusion son De Berengarii condenmalionc mulliplici, n. 11, P. L., t. cxLViii, col. 1458, ou celui que signale Cliiniel, dans un manuscrit de Weingarten. Germania sucra, l. ii, p. 427, n. 1488.

De ces divers traités se dégage la constatation d’un réel progrès dans la théologie de l’eucharistie ; en bien des points la terminologie elle-même se fixe grâce à ces écrits antibérengariens, les idées se corrigent ou se précisent si bien que l’on ne peut appliquer qu’aux conclusions théologiques groupées dans une systémalisation d’ensemble, et non aux principaux points du dogme, la formule trop générale de Ilarnack, Dogmengeschichlc, 4e édit., 1910, t. iii, p. 385, n. 4. Remarquons aussi que, pour plusieurs points, l’écrit de Rem ! d’Auxerre : Exposilio de celebnitione missæ, dans Maxima bibliollieca Patrum, Lyon, t. xvi, p. 932961, et le Liber de divinis officiis du pseudo-Alcuin qui l’intercale dans sa compilation, c. xl, P. L., t. CI, col. 1246 sq., notamment, col. 12()0 1261, préparaient déjà la voie, et que Paschase Radbert voyait déjà la route plus ou moins ouverte devant lui par l’essai d’exposé systématique, si fréquemment utilisé par tout le moyen âge qui le cite habituellement sous le nom d’Lusèbe d’Émèsc(en réalité Fauste de Riez) :

De corpore et sanguine Domini, P. L., t. xxx, col. 271 ; c’est la xxviii^ lettre ou l’homélie du pseudo-Jérôme.

Voyons les principales affirmations qui résultent, nettement formulées, de cette controverse :

Le dogme de la présence réelle est affirmé avec une netteté indiscutable dans ces trois écrits ; inutile d’y insister, puisque les avis ne sont même pas unanimes à ranger Bérenger parmi les négateurs de cette présence. Voir Bérenger de Tours, t. ii, col. 727.

Ce n’est pas par l’impanation ni par l’union hypostalique avec le pain, Guitmond, 1. III, col. 1481 ; Alger, 1. I, 6, 8, col. 754-757, 765, c’est par la conversion du pain et du vin au corps et au sang de Jésus-Christ que se produit cette présence, Guitmond, 1. III, col. 1481, 1483, 1489, 1494, etc. ; Alger, 1. I, 7, 9, col. 766, où les expressions sont telles, dit Kattenbusch (Steitz), qu’on s’attendrait à y rencontrer le mot « transsubstantiation » , Bealer}cyclopâdie, 1908, t. XX, p. 61, on renvoie par erreur à P. L., col. 760 ; Gore constate aussi que matériellement la transsubstantiation se rencontre enseignée par Guitmond et Alger, Dissertations on subjects connected witli the Incarnation, Londres, 1895, p. 264 ; Grégoire de Bergame, c. xxi, p. 85 ; c. xxvii, p. 104-107 ; c. xxx, p. 113, 116. Après cette conversion, les apparences sensibles continuent à exister, mais non dans le pain et le vin qui ont disparu. Guitmond, 1. II, col. 1450, etc. ; Alger, 1. I, 7 ; II, 1, col. 807, 809, 810 ; Grégoire, c.’xxi, p. 85 ; c. xxx, p. 113. Voir Eucharistiques (A^ccidents).

Cette conversion ne se produit pas par une nouvelle naissance ou création, ni par le processus de l’assimilation nutritive ; le corps du Christ n’augmente pas par suite des consécrations multiples, pas plus qu’il ne diminue par le nombre ^des communions. Guitmond, 1. II, col. 1462, 1450 ; Alger, 1. I, 9, col. 766 ; 1. I, 15, col. 783 ; Grégoire, c. xxxii, p. 120-123. C’est le même corps que celui qui est né de la Vierge, mort sur la croix, monté au ciel. Alger, 1. I, 16, col. 786 sq. ; Grégoire, c. xxxii, p. 120. Ce corps du Christ, présent dans l’eucharistie, participe aux prérogatives de la spiritualité et de l’incorruptibilité ; il échappe aux lois de l’espace, il est en même temps au ciel, dans l’hostie, en tous lieux ; un des grands arguments de Bérenger, De sacra cœna, p. 195 sq., est réfuté ici. Guitmond, !. I, col. 1431, 1435-1438 ; Alger, . I, 11, col. 771 sq. ; 12, col. 772 ; Grégoire, c. xxxii, p. 123.

Il est présent tout entier sous chaque partie de l’hostie divisée ; ce n’est pas ce corps qu’on rompt en rompant l’hostie : autre argument de Bérenger, De sacra cœna, p. 35, etc. ; Guitmond : unaquæqne particula. .. totuni corpus Christi, 1. I, col. 1435, 1436 ; tantum in portiuncula quantum in hostia, col. 1434 ; Alger, qui emprunte son expression à Pausle de Riez, op. cit., P. L., t. xxx, col. 273, peut-être en en modifiant légèrement le sens : tantum est in cxiguo quantum esse constat in toto, 1. 1, 15, col. 784 ; / ; i fracto lotus, col. 785. Il est tout entier sous chaque espèce ;.lgcr, 1. I, 15, col. 785 : in utroque totus. Anselme et Arnoul de Rochester l’avaient dit aussi. Epist., 1. IV, epist. cvii, P. L., t. CMX, col. 255. En communiant, les mauvais le reçoivent ainsi que les bons. Guitmond, 1. iii, col. 1491-M91 ; 1. I, col. 1430 ; Alger, 1. 1, 20, 21, col. 797 sq. ; Grégoire, c. xxxi, p. 117.

Sur la persistance de la présence réelle en cas de corruption des espèces, de manducation par les animaux, etc., voir Guitmond, 1. ii, col. 1448-1450 ; Alger, 1. ii, 1, col. 807-812. C’est ici que s’accuse la principale lacune dans l’ccuvre des deux théologiens, ce qui leur vaut une critique de Rcllarmin, De scriptoribus ecclesiastiris, Cologne, 1684, p. 164, 176 ; jils sont déroulés ici par l’attaque de leur adversaire qui

semble avoir déconcerte beaucoup de leurs contemporains, Guitmond, 1. II, col. 1445, 1450 ; Alger, 1. II, 1, passim ; nous y reviendrons en détail plus loin.

On peut voir, par ce court exposé, combien, à l’aurore du xiie siècle, les réponses aux attaques de Bérenger avaient fait progresser la théologie de l’eucharistie et l’expression du dogme. Voir dans Schnitzer, Bcrengar von Tours, Munich, 1899, p. 406410, un résumé de ces progrès. Guillaume de Saint-Thierry le constate franchement dans son traité De corpore et sanguine Doniini, dédié à saint Bernard, c. x, P. L., t. CLxxx, col. 359. L’émotion produite ne devait pourtant pas s’apaiser immédiatement partout. Des groupes de dissidents, des âmes troublées continuent à se rencontrer dans les cloîtres, dans les villes ou les campagnes, qui provoquent l’éclosion de nouvelles œuvres : apologies du dogme, exposés de la doctrine, réponses à des questions, etc. Comme on peut le voir plus loin dans les paragraphes consacrés aux traités spéciaux, aux correspondances, aux sermons de l’époque, etc., tout cela tient les esprits en éveil et suscite une analyse théologique plus minutieuse, dont les Sommistes seront les premiers à bénéficier. Voir plus bas les textes qui manifestent ces états d’âme. Nous nous contentons pour le moment de renvoyer à la Theologia d’Abélard qui constate que la controverse bérengarienne n’était pas encore close après 1120 : sed nec adhuc illam summam controversiam de sacramento allaris, uiruinvidelicei panis ille qui videiur figura iantum sit dominici corporis an etiam Veritas substanliee ipsius dominicie carnis, finem accepisse cerium est. Theologia christiana, 1. IV, P. L., t. CLXxviii, col. 1286.

2. Polémique contre les cathares, vaudois et autres sectes hérétiques. — En même temps se lèvent d’autres catégories d’adversaires qui succèdent aux bérengariens et laissent une trace de leurs attaques dans les recueils systématiques des sentencicrs. C’est surtout dans l’ironie de certaines objections contre la présence réelle et la conversion du pain et du vin que s’accuse cette influence. Elle a son intérêt spécial, car elle nous donne la clef de beaucoup de ces opponitur des Libri Sententiarum ; les difficultés proposées n’étaient donc pas toujours simple jeu d’école : elles avaient leur réalité historique et l’on ne peut que regretter de voir les Sommistes, fidèles à une habitude qui caractérise malheureusement presque tous les théologiens du moyen âge, ne pas nous livrer le nom de leurs adversaires et les cantonner impitoyablement dans l’anonymat.

Nos renseignements sur ces sectes hérétiques qui, sous le nom de cathares, de vaudois, de patarini, de bonshommes, de passagiers, etc., s’infiltrent un peu partout, mais se rencontrent compactes surtout dans le midi de la France et dans le nord de l’Italie, sont de nature un peu mêlée ; presque tous proviennent de plumes catholiques : historiens et chroniqueurs, sermons antihérétiques, manuels de controverse, rapports et guides des inquisiteurs surtout et dépositions recueillies par les tribunaux ecclésiastiques. D’écrits hérétiques originaux, il ne nous reste que peu de chose et, en dehors de quelques indications secondaires, les réfutations systématiques que l’on possède ne remontent guère au delà des vingt dernières années du siècle. Ces considérations ont amené A. Réville, Les albigeois, dans la Revue des deux mondes, mai 1874, p. 44 ; Ch. Molinier, Un traité inédit du Mile siècle contre les hérétiques cathares, Bordeaux, 1883, p. 10 ; Luchaire, Journal des savants, 1908, p. 20, dans l’analyse del’ouvragede Jean Guiraud cité plus bas ; Hauck, Kirchengeschichte Deutschlands, Leipzig, 1903, t. IV, p. 853, note 1, à se montrer exagérément défiants vis-à-vis de « la tendance de ces juges et de ces

historiens, » ou de > la voix de ces juges devenus trop souvent des bourreaux. « Mais, à la suite de K. Schmidt, qui a établi la concordance des documents, dequelque pays et de quelque date qu’ils proviennent, Histoire et doctrine de la secte des cathares ou albigeois, Paris, 1849, t. ii, p. 3 sq., Jean Guiraud, approuvé par G. Monod, dans la Revue historique, 1907, t. xciv, p. 353, a montré la véracité de ces auteurs qui nous renseignent. Toutes les informations qu’ils nous fournissent, de {[uelque source qu’elles émanent ou dans quelques circonstances qu’elles se produisent, sont convergentes, et le plus mauvais service qu’eussent pu rendre ces écrivains à leurs ambitions d’apôtres ou de controversistes, eût été d’attribuer à leurs adversaires des erreurs imaginaires. Pour l’examen et l’appréciation des sources, nous renvoyons au beau travail de J. Guiraud, Le cartulaire de Notre-Dame de Prouillc, Paris, 1907, t. i, p. xix-xxxi, qui nous renseigne aussi sur la diffusion des erreurs albigeoises, p. cxxv sq., ccvn sq. La substantielle étude de K. Muller, Die Waldenser und ihre einzclne Gruppen bis zum Anfang des xii Jalu-hunderts, dans les Theologische S Indien und Kritiken, 1886, t. lix, p. 665-732 ; 1887, t. lx, p. 45-146, permettra aussi de distinguer entre les cathares et les vaudois qui n’apparaissent que plus tard. Ceux-ci sont moins éloignés des catholiques que les cathares, avec qui on les confondra ensuite. Ce qu’ils nient surtout dans l’eucharistie, fidèles à leurs principes sur la situation des âmes dans l’autre vie, c’est l’efiîcacité de la messe pour les défunts. Bernard de Fontcaude, O. P., Liber adversus waldensium sectam, P.L., t. cciv, col. 793 sq. ; Ébrard de Béthune, Lifter contra waldenses vcl antihæresis, dans la Bibliotheca Palrum, Lyon, t. xxiv, p. 15 ; Luc de Tuy en Galice, De altéra vila fldcique controversiis, ibid., t. xxv, p. 194 sq. Cf. K. Muller, loc. cit., 1886, p. 706 ; 1887, p. 69. Les hérétiques qui suivent Pierre de Bruys dans la France méridionale sont plus radicaux en cette matière. Pierre le Vénérable, Adversus petrobrusianos, P. L., t. clxxxix, col. 788 : Si hærcsis hœc vestra Berengerianis limitibus contenta csset. D’autres groupes, de dénominations diverses, se rencontrent encore en Allemagne, en France, dans les pays rhénans, en Campine, dans les Pays-Bas, etc. Les plaintes découragées de saint Bernard, Epist., ccxli, P. L., t. CLxxxii, col. 434 sq. ; d’Innocent 111, Epist., 1. X, epist. Lxx, dans Bouquet, Recueil des historiens des Gaules, t. xix, p. 490, d’Eckbert de Schonau, Sermones contra catharos, i, 1, P. L., t. ccv, col. 13, etc., en disent long à ce sujet. Voir aussi Vacandard, Saint Bernard, 3<= édit., t. ii, p. 222 ; Hauck, op. cit., t. IV, p. 856, etc. Du point de vue qui nous occupe, cette distinction a moins d’importance, puisque nous n’examinons ici ces attaques hérétiques que dans leur influence sur le développement de la théologie de l’eucharistie.

Ces objections des sectes hérétiques contre l’eucharistie au xiie siècle nous sont attestées par le cistercien Pierre de Vaux-Cernay, Historia albigensium, dédiée à Innocent III, c. ii, P. L., t. ccxiir, col. 546, qui nous fournit aussi le plus ancien témoignage sur la distinction trop oubliée, au xvi" : siècle et ensuite, entre cathares et vaudois, par les sermons d’Eckbert de Schonau, Sermones contra catharos, I, 1 ; XI, P. L., t. cxcv, col., 15, 84 sq., ou de Raoul l’Ardent, Homil., xix, in epistolas et evangelia dominiea, P. L., t. clv, col. 2011, qu’il faut désormais placer dans la deuxième moitié du xiie siècle, Geyer, Rad. Ardens und das Spéculum univcrsale, dans Tiibinger Theolog. Quartalschrifl, 1911, p. 6389 ; par les lettres des légats contre l’hérésie albigeoise en 1178, dans Roger de Hoveden qui les donne in

extenso : Chronica, pars posterior, édit. Stubbs, Rerum britannicarum medii eevi seriptores, t. li, 2, p. 157, 163 ; par le Liber adversus waldensium (en réalité calharorum) sectam, c. ix, P. L., t. cciv, col. 828 sq. ; par les révélations d’anciens cathares convertis, tels que Ermangaude, Contra hsereticos opusculum, c. XI, P. L., p. cciv, col. 1251-1255 (cf. aussi la note du manuscrit cité par Gretser, Opcra omnia, Ratisbonne, 1728, t. xii b, p. 111 ; il s’y agit des cathares, non des vaudois, malgré le titre donné par Gretser) ; ou Bonaccorsi, IManifestatio heeresis calharorum, P. L., t. cciv, col. 777 ; Adversus hærcticos, c. vii, ibid., col. 782 ; par la Gemma ecdesiastica de Girauld le Cambrien, en 1198, i, 11, édit. Brewer, dans les Rerum britannicarum medii eevi seriptores, t. XX, p. 40 ; par le Liber adversus hæreses, imprimé dans l’édition d’Amboise, en appendice aux œuvres d’Abélard, c. xi, P. L., t. clxxviii, 1834-1837 ; voir le Consolamentum cathare, c. xiv, ibid., col. 1843. La plupart de ces attaques contre l’eucharistie sont réunies par Alain de Lille au 1. I, 57, de son Contra hsereticos libri quatuor, P. L., t. ccx, col. 359-360, dont on a voulu lui enlever la paternité sans raison, sur la foi d’un seul manuscrit (Avranches, 135, fol. 125), au profit d’un inconnu, Alain du Puy. Cf. Ravaisson, Rapport sur les bibliothèques de l’Ouest, Paris, 1841, p. 157 ; Schmidt, op. cit., t. ii, p. 234. Ilauréaua rétabli les droits d’Alain de Lille. Notices et extraits des manuscrits, 1886, t. xxxii, 1° partie, p. 7-10. Ce sont ensuite Rainier Sacchoni, converti lui aussi et entré dans l’ordre dominicain, qui écrit vers 1240 sa Summa fratris Reinerii de catharis et leonistis, dans Martène et Durand, Thésaurus novus anecdotorum, t. v, p. 1763, etc. Citons encore, parmi les documents qui nous renseignent sur la persistance de ces erreurs sur l’eucharistie, les guides pratiques mis aux mains des inquisiteurs ou des prédicateurs, comme celui de Moneta de Crémone († 1235), intitulé : Summa adversus catharos et valdenses, Rome, 1743, 1. IV, c. III, p. 295 sq., ou la Disputatio inter catholicum et paterinum hærelicum, c. vii, dans Martène et Durand, op. cit., t. V, p. 1728 sq., ou plus tard la Praclica inquisitionis hæreticæ pravitatis, de Bernard Gui (-] 1331), part. V, c. I, 1 ; et II, 4, édit. Mgr Douais, Paris, 1886, p. 238, 247, etc. Les diverses Sommes des autorités, à l’usage des prédicateurs du xiie siècle dans le midi de la France, montrent la même extension des attaques contre l’eucharistie : Summa h : rrclicos, Compilatio autorilatum, etc. Douais, La somme des autorités, etc., Paris, 1896, p. 56, 95, 132, etc.

Un autre groupe de dissidents, qui fait parler de lui un moment au xiie siècle, dirige aussi quelques attaqucs contre le sacrement de l’autel : c’est le groupe des partisans d’Amaury de Bène, dont le traité. Contra amaurianos, écrit vraisemblablement par le cistercien Garnier (Wcrner) de Rochefort, évoque de Langres, avant 1209, cf. Bæumkcr, Ein Traktat rjegen die Almariciancr, Paderborn, 1893, p. 12-18, ouJahrbuch fUr Philosophie und spekulative Théologie, 1893, t. VIT, nous a conservé les principales objections ; elles sont d’ordre cosmologique, mais se ressentent aussi des idées bérengaricnncs, op. cit., c. xi et xii : Corpus Domini est ubique, adoratur in pane simplici, p. 56-67. Les doctrines des partisans de David de Dinan, voir t. iv, col. 157, ont aussi des corollaires qui regardent l’eucharistie comme les autres sacrements. Une liste des erreurs aniauricieiines est fournie par Martène et Durand, Thésaurus novus anecdotorum, t. IV, p. 163, et par Deniflc-Châtelain, Charlularium universilatis Parisiensis, t. i, p. 72. Voir aussi le concile de la province de.Sens, tenu à Paris en 1210. Mansi, Concit., t. xxii, col. 809, 801. L’erreur ubiquiste y est franchement aflirmée par les hérétiques.

Un premier fait à noter, parmi toutes ces objections, est leur dépendance étroite vis-iVvis des objections hcrengariennes. Le mot de Bérenger et de ses partisans, que rapportent Pierre de Cluny, Tractatus adversus petrobrusianos, P. L., t. clxxxix, col. 799, et Roger de Croix-Saint-Lcufroi, Guitmond, De corporis et sanguinis Domini veritate, 1. II, P. L., t. cxLix, col. 1450, sur l’impossibilité, pour le corps du Christ reçu par les fidèles, de se maintenir dans son intégrité, même s’il avait les dimensions d’une tour immense ou d’une montagne, se retrouve chez les cathares et ailleurs, par exemple, sur les lèvres de cette hérétique de Coblentz dont parle Eckbcrt de Schônau, op. cit., serm. xi, P. L., t. cxcv, col. 92 ; mais ici la comparaison se fait avec la croupe d’Ehrenbreitstein, située en face de la ville. Elle se rencontre encore chez les hérétiques du midi, au témoignage de Pierre de Vaux-Cernay ; mais cette fois il s’agit des cimes des Alpes. Op. cit., c. ii, P. L., t. ccxiii, col. 546 ; ou Recueil des historiens des Gaules, t. xix, p. 6. Au xiiie siècle, l’Italien Moneta le place encore parmi les objections que doit atteindre le travail apostolique du bon prédicateur. Op. cit., p. 300, 301.

La principale affirmation des sectes est dirigée contre la conversion du pain et du vin au corps et au sang de Jésus-Christ ; c’est contre elle qu’ils concentrent tous leurs efforts, en niant absolument sa possibilité, fidèles en cela à leurs idées sur la matière, ou en accumulant contre elle des arguties de nature diverse qu’il serait oiseux de détailler ici. On les retrouve chez les Sommistes en grande partie. Ce n’est pas du reste un des côtés les moins curieux de ce chapitre dans l’histoire de la théologie que de voir les minuties dialectiques, celles, par exemple, tirées du démonstratif hoc, hic, dont abusaient les bércngariens, passer dans les sectes et de là dans la réfutation des Sommistes du xiie siècle, avec les longues discussions sur ce qui sera appelé plus tard la suppositio de ces termes, par exemple, Pierre Lombard, Sent., 1. IV, d ist. X, X I ; Pierre de Poitiers, Sententiæ, 1. V, 1 1, P. L., t. ccxi, col. 1244 ; Alain, Contra hæreticos, l, 61, P. L., t. ccx, col. 365 ; Innocent III, De sacro altaris mijsterio, . IV, 17, P. L., t. ccxvii, col. 868 ; Liber adversus hæreses, 11, P. L., t. clxxviii, col. 1834.

Remarquons en passant combien ces objections des sectes hérétiques, lidèies en cela à la ligne tracée par Bérenger, mêlaient adroitement les subtilités dialectiques aux objections d’ordre vulgaire, ou plutôt partaient d’objections palpables qui devaient faire impression sur l’esprit des foules, pour asseoir sur ces premières attaques tous les développements que peut se permettre une encombrante dialectique.

Une autre objection, que relate encore Moneta au xiiie siècle, porte sur l’augmentation quantitative du corps du Christ résultant des consécrations quotidiennes : augmentation due à des substances étrangères et à laquelle la Vierge Marie, sa mère, n’a point eu de part. Les Sommistes semblent s’en être préoccupés beaucoup, par exemple, Roland, Sententiæ, édit. Gletl, p. 223-226, la Summa sentent iarum, IV, 4, P. L., t. cLxxvi, col. 111 ; les Sententiæ divinitatis, édit. Geycr, p. 132 ; Pierre de Poitiers, op. cit., 1. V, 12, P. L., t. ccxi, col. 1246-1247 ; Pierre Lombard, Sent., I. IV, dist. XI, 2 ; Alain de Lille, op. cit., L 57, P. L., t. ccx, col. 359. Elle se rencontre jusque dans le canon /"/r//117cr du concile de Lalran. Le reproche de fourberie ou d’illusion (dcccptio) que nous trouvons chez les pétrobrusiens et ailleurs, IMcrre le Vénérable, op. cit., P. L., t. clxxxix, col. 787, est rencontré par les Sommistes, Roland, op. cit., p. 228, par l’anonyme de Saint - l-’lorian, fol. 162, Giell, p. 228 ; csSententia : divinitatis, I.V, p. 134 ; Alain de Lille, Rrgulic iheologirw.Hn, P. L., t. ccx, col. 678, etc.

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EUCHARISTIE AU XIP SIECLE EN OCCIDENT

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Les objections d’ordre cosmologique du traité Contra amaiirianos, c. xi, xii, et d’autres sectes, se retrouvent chez les Sommistes, notamment chez Pierre de Poitiers, op. cit., 1. "V, 12, 13, P. L., t. ccxi, col. 1250 sq., auquel on a un moment attribué la paternité de cet écrit polémique. Cf. Bacumker, op. cit., p. 12-13. Celles qui prennent comme point de départ la manducation des saintes espèces par les animaux, le processus de la digestion, etc., se retrouvent un peu partout. Cf. Alain de Lille, op. cit., I, 57, ibid., col. 359-360, et les Sommistes cités plus loin.

Des allusions aux mêmes séries d’objections se rencontrent à la fin du 1. I de Hugues de Rouen († 1164) ou de Reading, Contra hæreticos. Cꝟ. 1. I, xiv, P. L., t. cxcii, col. 1271-1272, qui contient un excellent chapitre sur l’eucharistie ; mais il est dans l’erreur quand il s’agit des ministres excommuniés. On y trouve un résumé de la doctrine, en opposition aux affirmations courantes des groupements hérétiques. Voir aussi Pierre le Vénérable qui traite longuement le chapitre de la « conversion » . Op. cit., P. L., t. clxxxix, col. 799-808.

3. Conciles contre les sectes hérétiques.

Le xii<e siècle ne nous présente pas, comme la seconde moitié du xi^, une série de réunions conciliaires qui aient pour objet spécial le dogme de l’eucharistie. Signalons seulement celles qui édictent des canons faisant écho aux erreurs des cathares et des autres sectes hérétiques, par exemple, ceux du concile de Lombers, près d’Albi, en 1176, Mansi, t. xxii, col. 162 et 159, qui ne reconnaissent qu’au prêtre le pouvoir de consacrer et affirment la vertu toute-puissante des paroles consécratoires, malgré l’indignité du ministre ; la lettre de Lucius III à l’époque du concile de Vérone (1183-1184), qui constate les erreurs relatives à l’eucharistie, etc., Mansi, ibid., col. 477, ou les décisions du concile d’Oxford en 1161 qui s’oppose à l’expansion des sectes hérétiques en Angleterre. Mansi, t. xxii, col. 1147-1148. En 1210, le concile de la province de Sens, tenu à Paris, s’occupe des amauriciens, dont une des erreurs consiste à ne reconnaître aucune efficacité aux paroles de la consécration : elles ne produisent pas la présence réelle, elles la constatent, subesse ostenditur. Mansi, t. xxii, col. 809, 801. D’autres conciles s’occupent du respect que les fidèles et les prêtres doivent au sacrement. Rouen, 1187, can. 3. Mansi, ibid., col. 677, etc. Quelques décrets portent le reflet des discussions de l’école sur des cas de rubrique importants ; l’un d’eux suppose une décision ferme entre deux avis contradictoires à propos de l’élévation et du moment de la transsubstantiation, York, décret 1, ibid., col. 653, et Eudes de Paris, c. V, et Communia præcepta, 22, 28, ibid., col. 681682. A la veille du concile de Latran de 1215, il faut mentionner encore la profession de foi imposée aux vaudois dans les lettres d’Innocent III, de 1208, à l’archevêque de Tarragone, de 1210, etc., P.i, ., t. ccxv, col. 1510 ; t. ccxvi, col. 269, 274, etc.

Traités divers sur l’eucharistie.

1. Lettres, consultations,

etc. — La diffusion de ces erreurs et l’attention donnée aux mystères eucharistiques explique aussi le grand nombre de traités, de consultations, de lettres, de sermons, etc. — et l’inédit n’est pas à la veille d’être connu tout entier — qui parlent du saint-sacrement au xiiie siècle. Beaucoup de ces traités sont rédigés sous forme de lettres ou de consultations, dans le genre de celle de Guitmond d’Aversa interrogé par un correspondant, Erfast, sur les comparaisons de la Trinité avec la sphère, sur le mystère de l’autel, etc. P. L., t. cxlix, col. 1501. Remarquable est la courte lettre de saint Anselme, à l’aurore du xiie siècle (est-elle vraiment de lui ? comme le veut sans équivoque l’Histoire littéraire de la France,

t. IX, p. 439) ; la tradition manuscrite n’est pas concluante ; la terminologie et la forme de l’écrit trahit, beaucoup plus qu’une rédaction épistolaire, un extrait de traité di(l ; ictique qui passe en revue les questions des écoles du xui’e siècle ; elle les suppose déjà presque toutes et les aligne à la file en résumé sans guère d’originalité ; comparer aussi avec la Responsio ad Walerani querelas, c. ii, P. L., t. clviii, col. 553, et avec les Sententiæ divinitatis, p. 133, pour les exemples cités, ibid., col. 256, qui résume avec beaucoup de précision, de sobriété et d’exactitude nous dirions volontiers ce qui sera l’enseignement scolaire — car il anticipe sur l’avenir — sur divers points de la théologie de l’eucharistie. A signaler ce qu’il dit de la concomitance, cf. Loofs, Leitfaden der Dogmengeschichte, 4e édit., p. 504 : in acceptione punis totum Christum Deum et hominem et in acceptione sanguinis similiter totum accipimus, P. L., t. clxix, col. 255258 ; sur les espèces qui sont broyées par la manducation, transportées, etc., col. 256, et sur l’erreur de ceux qui soutiennent qu’on reçoit le corps sans l’âme ; on peut en rapprocher Roland Bandinelli, op. cit., édit. Gietl, p. 226-227.

Une lettre de réelle valeur dans le développement théologique du xiie siècle est celle d’Arnoul de Rochester († 1124), ancien élève de Lanfranc, en réponse aux cinq questions d’un confrère, nommé Lambert, sur divers usages eucharistiques ; la maladie lui avait permis de mûrir sa réponse pendant deux ans. On peut en rapprocher les idées de saint Anselme sur la diversité des rites et des coutumes liturgiques, voir plus loin ; mais c’est surtout à propos de la présence du Christ sous chacune des deux espèces que la lettre vaut la peine d’être signalée ; sa date ajoute encore à son importance. D’Achery, Spicilegium, PaTis, 1681, t. II, p. 431-444. Elle n’est pas reproduite dans Migne.

Le court morceau de Geoffroy de Vendôme († 1132) : Tractatus de corpore et sanguine Domini, P. L., t. et vii, col. 211-214, est plutôt une espèce de profession de foi très nette, qui laisse percevoir encore la trace du trouble semé par la controverse bérengarienne ; elle est fort claire sur la conversion, col. 212 : aucune spéculation, mais simple affirmation de la doctrine qui s’en remet, pour le quomodo, à la toute-puissance créatrice, si souvent invoquée par Guitmond, Alger et avant eux par Paschase, etc. : Qui talia quæris, noli errare, col. 213.

La consultation de Guibert de Nogent († 1124) : Epistola de buccella Judæ tradita et de verilate corporis Chrisii, P. L., t. clvi, col. 527-532 (la fin des ch. ivet v traite de tout autre chose ; à part quelques lignes, col. 534, c’est le commentaire dellIReg., xvii, 3-15) répond à la double question communiquée par Sigefroid de Saint-Vincent sur la communion de Judas : question fort débattue, à cause des avis contraires de saint Augustin et de saint Léon d’une part, de saint Hilaire et de Victor de Capoue de l’autre ; cela explique aussi sa présence chez tous les Sommistes, ou peu s’en faut, jusqu’à Innocent III. Cf. S. Bernhard, War Judas der Verràter bei der Einsetzung der ht. Eucharistie gegenwartig, dans Zeitschrift fiir katholische Théologie, 1911, t. xxxv, p. 30 sq. Rupert de Deutz a soutenu même une polémique sur ce sujet, avec un maître réputé, qu’il ne nomme point. Super qusedam capitula regutæ S. Benedicti, i, P.L., t. clxx, col. 496. Guibert résout la question affirmativement : Judas a communié vraiment, mais cette communion a eu lieu en même temps que celle des autres apôtres, et non avec la buccella panis reçue des mains du Sauveur. Sur ce premier problème s’en greffait un second, connexe avec celui de la manducation du corps du Christ par les mauvais : notre sacrement de l’eu

charistie n’est qu’une ombre, puisque Judas l’a reçu. Ibid., col. 529. Guibert répond à ces objectiunculas, c. III, col. 530, non sans une pointe d’ironie, par des arguments a fortiori (comparaison avec les anciens sacrifices, avec les figures bibliques) et en appelle à la toute puissance divine, en citant les exemples classiques de l’Ancien et du Nouveau Testament. Ibid., col. 531-532.

La lettre de Gilbert de la Porée, P. L., t. clxxxviii, col. 1255-1258, à l’abbé de Saint-Florent, près Saumur, s’occupe d’un cas de rubrique (double consécration de la même hostie) stipulé dans les recueils de droit canon ; elle trouvera sa place ailleurs. Voir Messe. Celle d’Yves de Chartres, EpisL, ccli, P. L., t. cLxii, col. 257, porte sur un cas de morale (communion d’un malade pris de vomissements) ; celle de saint Bernard, Epist., lxix, n. 2, 3, P. L., t. cLxxxii, col. 179-182, sur la consécration d’un calice vide et la pénitence du prêtre, coupable de négligence ; sainte Hildegarde, Epist., xlvii. Par contre, la consultation de Hugues Métel roule en plein sur la présence réelle ; la réponse laisse voir les inquiétudes persistantes dues aux erreurs bérengariennes. Epist., XXVI, xxxiii, dans Hugo, Sacrée antiquilatis monumenta. Estival, 1725, t. ii, p. 361, 372 ; P. L., t. CLXXXVIII, col. 1269. C’est un moine, Gérard ou Gerland (à en juger par certains traits du contenu, nous croyons avec Mabillon, Vetera analecta, Paris, 1723, p. 476, contre Hugo, op. cit., p. 372, note, que les deux lettres s’adressent au même correspondant) qui pose à Hugues Métcl deux questions : la première traite de la communion quotidienne, Epist., xxvi, p. 361 ; la seconde a pour objet la présence réelle. Epist., XXVI, XXXIII, ibid., p. 372. Le moine est tourmenté à ce sujet par certains textes de saint Augustin ; l’on se demande même, à en juger par les objections que rencontre Hugues Métel et par une de ses expressions : figura, ut fert lecum multorum opinio, imo multorum errantium mullus error, ibid., col. 373, si son correspondant n’a pas versé dans l’erreur bércngariennc. Hugues, un peu verbeux comme d’habitude, y répond par divers textes et, finalement, par la foi de l'Église romaine : validissimum argumentum, col. 363, 374. C’est ce qu’avait fait aussi Grégoire de Bergame, De vcritate corporis et sanguinis Domini, c. XXIX, p. 112-123. Ces anxiétés du correspondant de Hugues peuvent servir de commentaire aux réflexions de Pierre Lombard dans son traité sur l’eucharistie.De intclligentia quorumdam uerborum ambiguorum, Sent., 1. IV, dist. IX, 3, ou de la Summa sententiarum, vi, 9, P.L.ft. CLXxvi, col. 145-146. On peut en rapprocher la note judicieuse que joint au dossier patristique de l’eucharistie une lettre d’Anaslase de Cluny, P. L., t. CLix, col. 435, 436, dans les dernières années du siècle précédent : Si diligenter quæsicris… invenies procul dubio onmes (il a énuméré une dizaine d'écrivains ecclésiastiques) concordarc et nullatenus discordare. Un correspondant d’Yves de Chartres, Heiméric, a les mêmes difficultés à propos de saint Augustin, Epist., ccLxxxvii, P. L., t. CLXii, col. 285-288 : item dixisti te hærere in quibusdam verbis beati Auguslini. Ibid., co. 286. Le reste de la lettre d’Yves répond à la question si fréquemment débattue chez les Sommistes. Cf. Hugues de.Saint-Victor, De sacramentis, 1. II, part. VIII, c. iii, P. L., t. ci.xxvi, col. 462-464 : ulrum… Christus ante passioiiem suam dederit corpus suum passibile/U la résout par l’affirmativect conformément au mode de l’argumentation scolaire qui s’affirme de plus en plus ; il ne trouve ni dans Vauctoritas, ni dans la ratio rien qui s’y oppose. Une série de chapitres, à la fin du I.iber de corporc et sanguine Domini, développe la même idée quc les correspondants d’Yves et de Hugues Métcl sur les obscurités du lan gage des Pères, c. xi, xii, P. L., t. clxxx, col. 359-366, et trahit l’anxiété d’un certain nombre d’esprits, ibid., col. 359 ; il groupe et résout quelques-unes des difficultés d’expression auxquelles fera allusion Pierre Lombard avec les autres Sentenciers. L’auteur est un des adversaires les plus en vue des excès dialecticiens de Guillaume de SaintThierry, qui a, en divers endroits de ses écrits, des lignes d’une psychologie vécue sur les retours offensifs du doute dans une âme, par exemple. Spéculum fidei, P.L., t. clxxx, col. 374. Les chapitres précédents du Liber contiennent d’excellentes choses sur la conversion, le miracle de la transsubstantiation, c. IV, les accidents, la présence en tout lieu, la nécessité de la présence, c. ii, etc. Il en va de même avec la lettre à Rupert de Deutz, ibid., col. 341-344, dont nous reparlerons plus loin à propos de l’impanation. Robert de Melun, ou le disciple qui amplifie sa Somme (manuscrit de Bruges, 191), reprend dans une longue préface, fol. 5, les idées de Guillaume sur le langage des Pères ; quelques passages en ont été donnés par Denifle. Die Sentenzen Abælards und die Bearbcitungen seincr Theologia vor Mitte des su Jahrhunderts, dans VArchiv fiir Literatur und Kirchengeschichle des Mittelallers, 1885, t. i, p. 618, n. 3.

La voyante de Bingen, sainte Hildegarde, reçoit aussi des consultations sur le mystère de l’eucharistie. A un prêtre qui lui demande ce qu’elle voit quand un prêtre digne, ou un prêtre indigne, s’approche de l’autel, la « sybille du Rhin » répond : Et itcruni vidi quod si sacerdos… dignitate sanctitatis caret, si tamen per ligaturam superioris magistri ligalus non est, virtus altissimi miracula in cadem oblalione operatur. Epist., XLiii, P. L., t. cxcvii, col. 212, 213. A part cet écho des controverses sur la valeur des sacrements, que nous retrouverons d’ailleurs amplement développé chez les Sommistes, cette lettre contient peu de chose au point de vue dogmatique. Plus intéressante est la lettre Adprœlatos moguntinenses, Epist., xhii, ibid., col. 218-243, écrite à soixante-treize ans, ibid., col. 229, qui contient, à côté de quelques comparaisons vicieuses, des passages sur la transsubstantiation, col. 224, sur les espèces, col. 225, sur la communion des apôtres qui ont reçu le corps « impassible » , col. 226, sur la communion des malades, col. 227, etc. ; un cas de rubrique y est imparfaitement résolu, col. 225.

En même temps que ses travaux liturgiques cités plus bas, le célèbre Honoré d’Autun a composé, à la demande d’un de ses confrères voué au ministère des âmes, un court traité sur l’eucharistie : Eucliaristion seu Liber de corporect sanguine Domini, P. L., l. clxxii, col. 1249-1258, destiné, dans sa pensée, à un plus grand nombre de lecteurs. Cf. le prologue, ibid., col. 1249. L’ouvrage est intéressant par la note plus personnelle qui s’y accuse et surtout par l'échappée de vue qu’il ouvre sur les préoccupations populaires : on y voit encore la trace des attaques des sectes hérétiques dans le peuple, par exemple, sur l’augmentation ou la diminution quantitative du corps du Christ, c. I, col. 1250 ; c. ii, col. 1251, ou sur l’appellation de sacramentum, vcl figura, c. viii, col. 1254 ; en même temps s’y reflètent les questions débattues dans les écoles : par exemple, liinc qiiwritur, solct quæri, etc., c. v, vi, col. 1252, 1253, sur la valeur de la consécration jiar les mauvais prêtres, c. x, col. 1255, etc. S’il est très net sur la conversion : panis in corpus substantialiter »crtatur, c. ix, col. 1255, ce qu’il dit sur les hosties mangées par les animaux est singulier, col. 1255. Voir plus loin. Remarquons le soin qu’il prend de donner comme point de départ à sa dissertation, le trifarie corpus Domini dicitiir, c. xi : le corps né de la Vierge, le corps présent â l’aulcl, le corps mystique ou l’figlise. L’insistance sur ce dernier point s’cxplique entre autres choses, chez Honoré

comme chez d’autres auteurs médiévaux, par la vogue des règles exégétiques de Tyconius, diverses fois résumées, mises en vers, etc., au moyen âge. Voir 7/a régula, de corpore hiperpiio Domini, dans Burkitt, The book of rules of Tyconius, dans Texts and sludies for biblical and patrislical literaturc, Cambridge, 1894, c. III, 1, p. 8. Innocent III l’invoque expressément. Voir plus loin. Enfin, signalons aussi la place faite par suite à l’incarnation, c. iii, col. 12501251, tout comme chez Odon de Cambrai, Nicolas d’Amiens et quelque peu aussi Guillaume de Saint-Thierry ; chez Rupert de Deutz, comme chez tous les mystiques, elle est fort importante. Voir plus loin.

Parmi les courts morceaux qui placent le mieux les essais de systématisation des Sommistes dans le milieu des questions débattues à ce moment, il faut mettre les quelques pages d’un abbé Abbaud, d’une abbaye non nommée et qui, dans son exposé De fraclione corporis Domini, va jusqu’aux extrêmes du plus grossier capharnaïtisme. Il attaque peut-être Abélard et, sûrement, l’un des dialecticiens Sommistes de son temps. C’est encore une fois à Mabillon que nous devons cette pièce intéressante dans l’histoire de la théologie eucharistique, il l’a tirée d’un manuscrit du monastère de Saint-Père de Chartres. P. L., t. clxvi, col. 1339 sq. ; Mabillon, Vetera analecta, Paris, 1723, p. 52-55.

Plus éloignée de ces controverses et par sa date et par son objet — le début la ferait ranger parmi les lettres de direction — est la lettre de Pierre de Blois, EpisL, cxL, P. L., t. ccvii, col. 416-422, à un jeune diacre d’Angleterre sur l’étude des sciences sacrées, oùil donne comme exemple de la profondeur des mystères les merveilles de l’eucharistie : exposé théologique fort remarquable, dans lequel l’auteur a bénéficié des progrès réalisés par les écoles pour l’expression des divers points du dogme : pane et vino transsubslanlialis. .. accidentia sine subjecio rémanent et apparent. Ibid., co. 420-421. La réponse de Baudouin de Cantorbéry († 1190), encore moine de Zordes (comté de Dorset), pensons-nous, à ce moment, est beaucoup plus développée, mais se ressent tout autant que la précédente de la marche progressive de la théologie. Liber de sacramento altaris seu Epistola, P. L., t. cciv, col. 641-774. Elle est adressée à Barthélémy, évêque d’Exeter, son protecteur, qui l’avait consulté. Notons toutefois qu’il s’y rencontre des répétitions, col. 674, 675, etc., des différences d’allures, tantôt exposé de foi, tantôt discussions dialectiques, fragments exégétiques, col. 687 sq., paraphrases liturgiques, col. 625 sq., etc., qui font planer un doute sur l’authenticité de certaines parties. Signalons, dans l’état actuel de la pièce, la défense du mot transsubstanliatio, tout comme celle de l’ôaoo’jcriov, malgré le silence de la sainte Écriture, col. 662, et les pages finales sur la théologie de la conversion, des accidents, etc., col. 770-773 : fragments d’un cours scolaire ou d’un cahier d’étudiant qui nous donne les échos d’un enseignement tel qu’on en trouve chez Roland ou la Summa. Baudouin nous a laissé, en outre, un Tractatus de sacramento eucharistise, où il insiste notamment sur la foi à ce mystère. Ibid., col. 408-410. Citons encore, parmi les cisterciens, Ernald de Bonneval († 1186), qui expose la doctrine eucharistique dans son De cardinalibus operibus Christi, c. vi, P. L., t. clxxxix, col. 1641-1650).

2. Sermons.

Si la prédication de l’époque parle fréquemment de l’eucharistie, l’absence d’une fête du saint-sacrement (la fête du Corpus Christi n’apparaîtra, comme on le sait, qu’au xiii » siècle) ne place pas de sermons sur le sacrement de l’autel, dans le cycle liturgique ordinaire de l’année, excepté au jeudi saint ; encore beaucoup de ceux qui nous sont con servés pour ce jour ont pour sujet le lavement des pieds. Il n’y a pas lieu d’essayer de donner une nomenclature complète (impossible dans l’état actuel de l’inédit). Contentons-nous de citer ici quelques spécimens. Pierre de Celles (}- 1187) emploie diverses fois le mot de transsubstantiatio dans ses nombreux sermons, In cœnaDomini, serm. xxxv-xli, P.L., t. ccii, col. 740-770, voir plus loin, et y a des pages excellentes sur la doctrine eucharistique. Signalons encore le Serm., -Kxxix, in cœnaDomini, 6, qui parle surtout de la communion, le Serm., xxxx, 7, contient une espèce de résumé de la doctrine des écoles, et le Serm., xl, 8, où vient le mot Iranssubstantiare. Ibid., col. 761, 766.

Plusieurs, parmi ceux qui ont été faussement attribués à Hildebert de Lavardin, contiennent des passages qui méritent l’attention, surtout le fameux Serm., xciii, où intervient le mot transsubstantiatio dans une exhortation aux prêtres, P. L., t. clxxi, col. 776 ; il est l’œuvre de Pierre Comestor († 1184). Hauréau, Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale, 1887, t. xxxii, 2° partie, p. 41 (de l’extrait).

Un autre, qui a beaucoup de chances d’être composé par Geoffroy Babion, insiste sur les dispositions requises, Ser/n., liv, P. L., t. cl-xxi, col. 601-606 ; Hauréau, op. cit., p. 31, sur la conversion du pain et du viii, col. 501, par la toute-puissance divine, sur les effets de l’eucharistie, col. 603-604.

Les Serm., xvi et xviii, du cistercien Garnier de Rochefort († 1199, ou mieux, vers 1210), évêque de Langres, sont mêlés de beaucoup de symbolisme, mais reflètent les doctrines scolaires. P. L., t. ccv, col. 673, 686.

Un sermon, qui se rencontre dans les Deflorationes SS. Palrum, 1. I, P. L., t. clvii, col. 909-911, attribuées à Werner de Saint-Biaise (cette attribution est douteuse), soulève une question liée à celle de l’authenticité de certaines œuvres d’Honoré d’Autun. Cf. Kelle, dans Sitzungsberichte der k. k. Akademie der Wisscnschaften in Wien. Philos, histor. Klasse, 1901,

1902, 1903 ; Endres, dans Historisches Jahrbuch,

1903, t. XXIV, p. 827 ; Philosophisches Jahrbuch, 1903, t. XV, p. 455, etc. Il se fait remarquer par quelques emprunts aux textes des collections canoniques et ses passages sur la communion sous une seule espèce, col. 910, la conversion, col. 910, et la consécration par tous les prêtres bons ou mauvais, col. 911, etc. Notons ici en passant la note qui suit le m » sermon sur le jeudi saint : de separatione animæ et corporis in Christo, col. 914-916, et qui rappelle, outre un écho de Pierre Lombard, Sent., 1. III, dist. XXI, 1, les controverses auxquelles est mêlé, en Bavière, Gerhoch de Reichersperg.

Vers la fin du xiie siècle, en France, nous rencontrons Raoul l’Ardent, cf. Geyer, art. cit., dans la Tiibinger theologische Quartalschrift, 1911, qui a un substantiel sermon sur l’eucharistie, P. L., t. clv, col. 1833, etc., Homil., xlviii, in episl. et evang. dominica. Il s’y exprime nettement sur les accidents, col. 1834, le sacramentum communionis et la raison de cette dénomination, col. 1834, les paroles de la forme : Hœc est forma verborum quam dum sacerdos profcrt, sacerdos invisibilis panem convertit in corpus suum, col. 1835 ; des échos s’en rencontrent peut-être jusque dans la prédication allemande de ce siècle. Voir le sermon du prêtre Conrad, An dem Antlazlage, n. 30, dans Schônbach, Altdentsche Predigten, Graz, 1891, t. iii, p. 70.

Les sermons en langue vulgaire publiés par Schônbach contiennent beaucoup d’extraits empruntes plus ou moins textuellement aux maîtres des écoles françaises, à Pierre Lombard surtout, iftirf., p. 70, et I219

EUCHARISTIE AU XIP SIECLE EN OCCIDENT

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passim, à Honoré d’Autun, à Rupert, etc. Voir t. iii, n. 97, p. 222-224, sur la transsubstantiation, etc. ; t. II (1888), n. 2, p. 77-80, sur l’eucharistie, avec des emprunts au n. 38 du pseudo-Hiklebert, P. L., t. CLXxi, col.535, etc.

3° Œuvres cxégéliqiies. — Avec les sermons qui ont pour sujet l’exégèse des textes eucharistiques de l’Ancien ou du Nouveau Testament, il faudrait parler aussi des commentaires proprement dits. L’exégèse scripturaire, fort féconde à ce moment et si peu originale, a fréquemment entremêlé de développements théologiques les pages relatives à l’eucharistie. Citons Brunon de Segni, voir plus loin ; Rupert de Deutz, dont il faudra reparler à propos de l’impanation ; Bruno le Chartreux, Expositio in psalmos, Ps. xxi, P. L., t. CLii, col. 725 ; Expositio in Episiolas S. Pauli, I Cor., c. V, x, P.L., t. CLiii, col. 148, 176, etc. Nous avons déjà parlé des sermons de saint Bernard sur le Cantique des cantiques, Serm., lxv, lxvi, P. L., t. CLxxxii, col. 1087 sq., où il s’en prend aux sectes hérétiques. Son continuateur Gilbert de HoUand, abbé de Swineshead, dans le diocèse de Lincoln, depuis 1164, a aussi une page excellente sur la théologie de l’eucharistie. In Canlica, serm. vii, n. 8, P. L., t. CLxxxv, col. 46-47. Le commentaire fort célèbre au xiie siècle de Raoul de Saint-Germer en Flaix, sur le Lévitique, Commentarionim in Leviiicum libri XX, dans la Maxima bibliotheca veterum Patrnm, Lyon, 1677, t. xvii, p. 47-246, fait des allusions fréquentes aux rites de la nouvelle loi qu’il compare à ceux de l’ancienne. Le but poursuivi par l’auteur leur communique un intérêt qui ne peut se mesurer à la valeur contestable des rapprochements qu’il établit ; c’est pour confirmer dans la vraie foi les âmes hésitantes devant les objections des Juifs, qu’il veut montrer dans l’ancienne loi la figure de la nouvelle loi. Præfalio, ibid., p. 48-49.

Il n’y a pas davantage à citer toute la liste des autres auteurs. Mais deux noms qui ne peuvent être omis ici sont ceux de Zacliarias Chrysopolitanus et de Pierre Comestor. Le premier fait un commentaire sur une Concordia evangelica qu’il attribue, à tort, à Taticn (en réalité, c’est celle de Victor de Capoue, remaniée) ; il y donne en trois points un substantiel résumé de la doctrine de l’Église sur la conversion, les accidents et les mystérieux contrastes de la présence du Christ au ciel et sur l’autel ; ce dernier passage fait songer aux antithèses de l’incarnation dans la fameuse lettre de saint Léon à Chalcédoine. Epist., xxviii. Il termine par un important témoignage sur les vestiges de l’hérésie bérengariennc au milieu du xii<e siècle. In unum ex quatuor, iv, l.’iO, P. L., t. ci.xxxvi, col. 503-508, surtout col. 507, 508 :.S’u ; i/ nonnulli, imo forsan mulli, sed vix nntari possiinl, qui cum damncdo Bercngarin idem sentiiinl, et lamrn eumdem cum Ecclesia damnant. In hoc videliccl dan ant cum,

quia jormam vcrborum Ecclesiie abjicicns nudilatc sermonis scandatum movebat. Non sequebatur, ut dicunl, usum Scriplurarum, quæ pf/.ss/ni res significanles tanquam signiftcatas apprllanl, præsertim in sacramentis ul corum virtutes exprimant. Alii vcro iatenler imponunl, quod non intelligant tropos rt pguralas loculiones, ideoque miserabili morte anima’signa pro rébus accipiant. Illud quoquc maxime dérident quod panis et vini speries quidam dicunt in ane apparere ; quidam vero sensus corporcos falli, post cnnversionem panis et vini in carnem et sanguinem Cliristi.

La célèbre Ilistorin scolaslica de Pierre Conicslor (avant 1176), si répandue au moyen âge comme l’atlesteiit les innombrables manuscrits, mentions et citations de l’œuvre, consacre le c. ci.ii des Evangelia à l’eucharistie. Il y emploie le mot transsubstantiatio c{. y a une note intéressante sur le moment de la consé OICT. DE TIIKOL. CATllOL.

cration par le Christ, P. L., t. cxcvni, col. 1618, dont nous devrons reparler plus loin. Zacharias Chrysopolitanus parle également de la « forme » à la dernière cène. Op. cit., ibid., col. 503-508.

4 » Œuvres liturgiques. — 1. Traités liturgiques. — A côté de ces traités, sermons, lettres, etc., se placent les œuvres des liturgistes. S’ils considèrent avant tout dans l’eucharistie le sacrifice et les cérémonies de la messe, leur pensée sur les principaux points de la théologie eucharistique ne laisse pas de percer dans leurs écrits, qui à ce titre méritent d’être passés en revue.

Les livres liturgiques trouveront leur place propre dans l’article sur la messe. Le xiie siècle, du reste, n’assiste qu’à la disparition des anciens usages liturgiques, celtiques, mozarabiques, etc. ; leurs particularités, quand elles intéressent l’histoire des doctrines, n’ont donc plus leur place marquée ici. Le concile d’York de 1195 exige la correction des livres liturgiques : ad verum et probatum exemplar canon missæ corrigatur. Decr. ii, ^lansi, t. xxii, col. 653. Signalons toutefois, en raison des principes théoriques qui les commandent, une note intéressante d’un ancien missel du mont Cassin dans Ebner, Quellen und Forschungen zur Geschichtc… des Missale romanum, Fribourg-en-Brisgau, 1896, p. 329, et quelques anciens usages liturgiques des nouveaux ordres comme les cisterciens, les prémontrés, les chartreux, auxquels nous ferons allusion plus loin. Ces usages ont un intérêt spécial dans la question de l’origine de l’élévation de l’hostie et du calice. Voir, outre les historiens de la liturgie, M. Van Wæfelghem, Liturgie de Prémontré, Le liber ordinarias, p. 7.5-70, dans les Analectes de l’ordre de Prémonlré, 1905 sq. Voir Élévation, t. iv, col. 2320.

Le xiie siècle a été particulièrement fécond en œuvres liturgiques, les unes développées à la manière de traités systématiques, comme chez Rupert de Deutz, .lean Béleth, Sicard de Crémone ; les autres, souvent des meilleures, plus concises à la façon de courtes monographies, sous forme de lettres, de sermons, etc., comme chez Yves de Chartres ou Hrunon de Segni, etc.

L’aurore du xiie siècle est encore éclairée par l’d’uvre liturgique de Bernold de Constance (j- 1100) qui avait déjà pris la plume à jjropos de l’eucharistie, comme il l’atteste dans son De Berengarii licrcsiarchæ damnatione multiplici, n. 11, P. L., t. cxi.viii, col. 1458. Son Micrologus, si précieux à divers égards et définitivement enlevé à Yves de Chartres par dom Morin, Revue bénédictine, 1891, t. viii, p. 385, ne contient rien qui offre un intérêt spécial du point de vue dogmatique : l’aHirmation de la présence réelle est nette, par exemple, c. xvi, xix, P. L., t. ci.i, col. 987, 989. Il a aussi la triple signification du corps du Christ, c. xvi, col. 988, qui, avec des interprétations diverses, joue un si grand rôle à celle époque.

La paraphrase, fort remarquable, des prières du canon de la messe jusqu’à l’Agnus Dei, P. L., t. ci.x, col. 1053-1070, par Odon de Cambrai († 1113), contient sous une formule très claire la croyance à la conversion du pain et du vin en la substance du corps et du sang de.lésus-l^brisl : sub eisdem qualitatibus nuitida substantia ut sub figura et sapore substantise prioris farta sit vera substantia Christi corporis et sanguinis, col. 1002 ; mais il place le moment de la consécration, à la dernière cène, dans la bénédiction qui précède les paroles : Hoc est corpus…, col. 1062 : patrt quod /xmis accepta benediclionc fartussit corpus Cliristi, non cnim post benedictionem dixis.trt : Hoc est corpus mciini, nisi in benediclione ftcret corpu.i suuni. Voir, plus loin, Innocent III et d’autres. Parmi les productions lilurgicjues de celle époque, il faut compter quehiues

V. -’lO

sermons d’Yves de Chartres, P. L., t. clxii, col. 505 sq., recommandés par Guillaume de Malmesbury et fort lus au moyen âge. Le v", Opusculum de convenientia veteris et novi sacriftcii, col. 535-582, parle de l’eucharistie et des merveilles qu’y opère la puissance divine, col. 557, 558, 559, 560. On peut y trouver des réponses indirectes aux erreurs bérengariennes sur l’intégrité du corps de Jésus-Christ, col. 558, et l'écho de l’enseignement scolaire, par exemple, sur le triple corps de Jésus-Christ, col. 559-560.

Si les écrits liturgiques de Brunon de Segni († 1123) ne parlent pas ou guère de l’eucharistie ; ses commentaires sur l’Ancien ou le Nouveau Testament et ses Senientiæ, lesquelles répètent souvent les commentaires, contiennent en maint endroit des interprétations où intervient la liturgie ; nous y trouvons des passages intéressants sur la conversion du pain et du vin à la substance du corps et sang de Jésus-Christ, Exposilio in Lev., c. viii, P. L., t. clxiv, col. 457 ; Comment, in Joa., 1. I, vi, n. 18, P. L., t. clxv, col. 499501 ; Comment, in Mallh., 1. II, c. viii, n. 25, ibid., col. 141, à propos du Domine, non sum dignus ; sur la manducation par les bons et les mauvais. Exposilio in Exod., xii, P.L., t. clxiv, col. 255-258 ; Sententiæ, 1. IV, c. ix ; Serm. in cœna Domini, P. L., t. clxv, col. 1001 sq., etc.

Dépendant d’Odon pour une partie, puis d’Amalaire et d’Yves pour l’autre, est le De sacramento allaris d’Etienne de Beaugé (1136), P. L., t. clxii, col. 1273-1308, qui donne une explication liturgique et ascétique de la messe. Il reviendra plus loin à propos de la transsubstantiation.

Très explicite aussi est Hildebert du Mans qu’on a longtemps regardé, à tort sans doute, comme un ancien élève de Bérenger (en voir la preuve dans Dieudonné, Hildebert de Lavardin, .Pavis, 1898, p. 37-39), dans son Liber de expositione missæ (l’authenticité du traité n’est pas incontestable, tant s’en faut), paraphrase fort pieuse et détaillée des prières et des cérémonies de la messe, surtout du canon, P. L., t. clxxi, col. 1154-1176. L’affirmation de sa foi eucharistique est complète, col. 1165-1166. Notons en passant que le sermon qui contient le mot « transsubstantiation » n’est pas de lui ; il lui a été faussement attribué par Beaugendre. "Voir plus loin.

Le long traité en douze livres De divinis o/ficiis, P. L., t. CLxx, col. 9-333, du mystique Rupert de Deutz († 1135), l’un des auteurs les plus féconds et les plus personnels de cette époque, développe surtout les offices liturgiques autres que la messe, et le cycle des fêtes de l’année ; le 1. II seul est consacré à l’explication de la messe. Les c. ix (maleria), x (intentio), XI (ulilitas), xxii (De azymo), ce dernier très véhément contre les grecs, contiennent des considérations personnelles, P. L., t. clxx, col. 40-43, 48-51, sur la manducation par les bons et les méchants, sur le but du sacrifice et les effets de l’eucharistie, sur le pain fermenté des grecs. Ses écrits alimentèrent fréquemment la prédication allemande en langue vulgaire. Voir Schônbach, op. eit.

Mais quelques chapitres du De divinis officiis de Rupert, 1. II, II, IX, ibid., col. 35-49, censurés par Guillaume de Saint-Thierry, Epistola ad quemdam monachum, etc., P. L., t. clxxx, col. 341-342, et non substantiellement modifiés dans la copie (ms. de Munich, lai. 14355) qu’en envoie l’auteur à Cunon de Ratisbonne (Hauck, Kirchengeschichte Deiitschlands, Leipzig, 1903, t. IV, p. 422, note 2 ; le renvoi à l’ouvrage de Rocholl, Rupert von Deutz, Gutersloh, 1880, p. 325, est inexact et n’a pu être identifié par nous) ont prêté flanc, de la part d’historiens ou de théologiens protestants (Luther, les centuriateurs, Saumaise, Gerhard, Pusey, Gore) et catholiques (Baronius, Bellarmin,

Vasquez, Suarez), à des interprétations ou à des accusations qui tranchent avec les éloges de son premier éditeur, Jean Cochlée (1526). Les commentaires sur la Genèse, l’Exode et saint Jean, In Gen., i, 32 ; In Exod., II, 10 ; In Joa., vi, 52, P. L., t. clxvii, col. 430-432, 617 ; t. clxxx, col. 481, présentent des considérations du même genre.

On trouvera ces reproches détaillés à leur place propre à l’art. Rupert ; ils se ramènent à quatre chefs principaux : la présence du Christ dans l’eucharistie per flguram, la réception du corps du Christ par la foi seule, l’impanation, l’union hypostatique du pain et du vin avec le "Verbe. Disons tout de suite que de nos jours les appréciations défavorables à l’orthodoxie de Rupert se font de plus en plus rares ; les apologistes ne lui manquent pas depuis VApologia Ruperti de dom Gerberon, Paris, 1679, P. L., t. clxxii, col. 99 sq., jusqu'à nos jours. Cf. Histoire littéraire de la France, t. IX, p. 456, 520, etc. ; Ceillier, Histoire générale des auteurs sacrés, etc., Paris, 1729-1763, t. xxii, p. 129 sq. ; Hauck, Kirchengeschichte Deutschlaiids, Leipzig, 1903, t. IV, p. 420-422 ; G. vonHoltum, Die Orthodoxie des Rupertus, dans les Studien und Mitteilungen aus dem Benedictiner und dem Cirtencienser Orden, 1908, t. xxix, p. 191, etc.

Moins développés peut-être, mais plus populaires encore sont les écrits liturgiques d’Honoré d’Autun (f vers 1154) : compilations de nature complexe qui vulgarisent pour le clergé l’enseignement des écoles et veulent suppléer, comme le dit fréquemment l’auteur, à la pénurie des livres. Les titres, comme c’est le cas pour la plupart des œuvres de l'énigmatique reclus, sont parlants : Gemma animse. Spéculum Ecclesiæ etc. Isidore de Séville, Amalaire de : Metz, Rupert de Deutz sont largement mis à profit. Les chapitres de la Gemma sur la messe font la place fort grande à l’explication symbolique, aux rapprochements avec l’Ancien Testament, à la représentation de la passion, etc. Le Sacramentarium est plus sobre et plus succinct. Sur la présence réelle et la conversion, voir Gemma animas, i, 31, 32, 33, etc. ; Sacramentarium, 88, P. L., t. CLXXII, col. 554 sq., 793 ; J. Endres, Honorius Auguslodunensis, Kempten, 1906, p. 38, 40, etc.

Un De officiis ecclesiasticis en trois livres, imprimé dans les œuvres de Hugues de Saint-Victor, mais dû à la plume d’un prêtre d’Amiens, Robert Paululus, à en croire un bon manuscrit de Corbie, P. L., t. clxxvii, col. 381-456, est une compilation sans relief, qui prend beaucoup, même verbalement à VEpistola ad Joannem episcopum Pictaviensem de officia missæ d’Isaac de Stella, près Poitiers, P. L., t. cxciv, col. 18891896 ; voir la préface de l’auteur, col. 381 et passim, qui parle de la présence réelle et de la conversion au 1. II, c. XII, xxxii, etc., col. 418, 431, etc. L’auteur ne peut être Hugues, puisqu’il se dit lui-même prêtre séculier occupé dans le ministère paroissial, 1. I, c. xii, XXXII, col. 388, 399. Cf. Hauréau, Les œuvres de Hugues de Saint-Victor, Paris, 1886, p. 203. Le texte fcrebatur in manibus suis employé par saint Augustin, Enarrat. in ps. xxxiii, 1, 2, P. L., t. xxxvi, col. 306, 308, est appliqué à Jésus-Christ ministre du sacrifice, col. 418, comme chez Guitmond et d’autres. Vers la même époque se place le Liber de canone mystici libaminis, P. L., t. clxxvii, col. 455-470, fort répandu dans les bibliothèques du moyen âge. L’auteur est non pas Jean de Cornouailles, mais un chanoine de Prémontré, Richard de Wedinghausen, près de Cologne. Hauréau, Notices et extraits des memuscrits, t. xxiv, 2° partie, p. 145. Lin allégorisme recherché prédomine avec excès dans cet exposé du canon de la messe. Signalons les passages sur la présence réelle, voilée sous les espèces du pain et du viii, avec le miracle de

l’église des Prémontrés, ciii, col. 461, el sur la conversion : Quæ benedicta sunt… in verum et summum sacriftcium transformantur, la est, in verum corpus et sanguinem Cl^risti, c. v, col. 462.

Un autre écrit liturgique, intitulé Spéculum de mysteriis Ecclesiæ, P. L., t. clxxvii, col. 335-380, et gratuitement attribué à Hugues de SaintVictor, est également une compilation qui puise beaucoup, entre autres, dans les œuvres du Victorin. Les considérations theologiques s’y mêlent à l’exposé liturgique, notamment depuis le c. vi jusqu’à la fin, sur la messe, les Écritures, la Trinité, etc. Tout ce qui s’y rencontre sur la théologie de l’eucharistie, sur la double manducation, etc., col. 362-367, avant que l’auteur passe à la paraphrase ou à l’explication des cérémonies de la messe, ne nous fournit qu’un écho de l’enseignement des Sommistes. L’auteur se dit, dans sa préface, plus logicien que théologien, col. 335 ; il est resté inconnu ; à tort on l’a confondu avec Hugues de Saint-Cher ou avec Innocent ni. Cf. Hauréau, Les œuvres de Hugues de Saint-Victor, Paris, 1886, p. 199. Si l’Explicatio divinorum officiorum de Jean Béleth, appelée depuis Laurimann qui la « latinise » , Rationale divinorum officiorum, Lyon, 1672 ; P. L., t. ccii, et écrite avant 1165, car le c. cxlvi fait mention d’Elisabeth de Schonau, morte en 1165 : quæ cliam nunc in vivis est, col. 148, est importante dans l’histoire de la science liturgique et demande à ce titre une édition moins ornatior alque polilior, elle ne nous offre pour le sujet qui nous occupe qu’un intérêt secondaire, les chapitres sur le canon de la messe ne nous fournissant rien sur la transsubstantiation, ni sur la théologie de l’eucharistie, c. xlvi, P. L., t. ccii, col. 53-54. Par contre, un des grands noms qui fait suite à Béleth dans l’histoire de la liturgie au xiie siècle, Sicard de Crémone, consacre à l’eucharistie, à côte d’interprétations symbolico-historiques qu’il prend chez Amalaire, Béleth, Honoré d’Autun, etc., par exemple, col. 134, 137, 420, etc., une page substantielle.

Le personnage est malheureusement beaucoup plus mal connu que son œuvre, le Mitrale, P. L., t. ccxiii, col. 13-434. Depuis les études de IIolder-Egger, Monumenta Germanise liislorica, Scriptores, t. xxxi, p. 23, 24, il n’est plus permis d’alTirmer son identité avec son homonyme le chroniqueur ; mais la Summa canonique, vers 1180, écrite ii Mayence, semble-t-il, et décrite par von Schultc, Geschiclite des canonischen Rechts, Stuttgart, 1874, i, p. 143, vient du même auteur que le Mitrale, cf. son propre aveu au c. v, c. m du Mitrale, col. 117. Cette œuvre liturgique, qui se place entre l’Explicatio de Jean Béleth et le nationale de Durand de Mende, contient, I. III, c. vi, un résumé complet de doctrine sur la présence réelle, la transsubstanliation, la toute-puissance divine, la supériorité de la foi sur nos sens, etc., col. 129-130. Voir aussi I. III, c. i, vi, sur l’institution, la forme, la matière, etc., col. 91, 116-118. Il fait allusion au texte : fercbatur in numibus, voir plus haut, et fait les rapprochements que nous avons déjà rencontrés dans Paululus, P. L., t. CLXXVII, col. 418, et ailleurs. Mais l’utilisation des mots du texte d’Augustin : Accedit vcrbnmad elemidumet fit sarrumentiim, In Job, lxxx, 3, et la comparaison avec l’union du Verbe à la nature humaine laissent planer ici un doute sur sa conception de la disparition du pain et du vin. Si nous ne rencontrions ailleurs des expressions fort nettes, par exemple, 1. III, c. VI, in i/uod (corpus) pane.m credimus transsuhstantidtum, col. 11<>, ses accointances avec les idées de lUipert de Dcutz sur Vintentio, Viitilitas, voir plus haut, qui s’accusent un peu plus loin, col. 130, ou avec l’unité du scjcripciiim et sa matrria et la ri ta tpirilfdis ou anim/dis, qui précède, I. III, c. vi, col. 116,

118, etc., expliqueraient ces imprécisions de langage-Par contre, l’emploi du mot transsubstantiare, transsubstantiari, etc., col. 91, 116, 117, 118, 129, 131, etc., se remarque fréquemment.

Plus loin il multiplie les allégories sur la fraction de l’hostie, col. 138, et parle de la présence du corps du Christ sous toutes les parties de l’hostie divisée. 1. III, c. VIII. col. 141. A noter comment il permet l’expectoration après la communion, ce dont Amalaire s’était déjà occupé en s’autorisant entre autres de l’exemple de Jésus-Christ. Joa., ix, 6, col. 141.

Voir aussi les statuts synodaux d’Odon de Paris, Communia præcepta, 28, Mansi, t. xxii, col. 682. A la suite de Sicard, il faudrait placer ici Lothaire de Segni, le futur Innocent III, De sacrosancto allaris mysterio, P. L., t. ccxvii, col. 774-916. Si lu et si goûté de tous les âges suivants dont l’exposé résume l’enseignement de toute la période scolaire, son livre est aussi scolastique que liturgique quand il parle de l’eucharistie ; c’est pour ces motifs que nous le plaçons plus loin, comme couronnement de l’enseignement scolaire sur le dogme eucharistique.

2. Poésie liturgique.

La poésie liturgique proprement dite ne fournit guère de pièces relatives à l’eucharistie au XII e siècle. Les Versus ad eucharisliam sumendam, Dreves-Blume, Analecta hymnica medi œvi, Leipzig, 1907, t. ii, p. 298, ou Bernard, Irish hymnenbook, t. ii, p. 99, dans les publications de la Bradshaw Society, Londres, 1897, t. xiv, de l’antiphonaire de Bangor (680-691), constituent une exception qui ne disparaîtra qu’avec l’établissement de la fête du saint-sacrement au xiiie siècle : c’est alors que se produit une magnifique floraison d’hymnes eucharistiques, notamment dans les centres cisterciens ou sous la plume de saint Thomas d’Aquin. Dreves-Blume, Ein Jahrtausend latcinischer Hymnendichtung, Leipzig, 1909, t. ii, p. 202-227, 355-359 ; Analecta hymnica, t. i, p. 384-389 ; t. iv, p. 28-32 : t. v, p. 24, 73, 74, 211, etc.

En attendant, les recueils les plus riches, comme celui de l’abbaye de SaintMartial à Limoges, ne contiennent rien sur l’eucharistie. Dreves-Blume, Analecta hymnica, 1889, t. vu ; Ein.lahrtaiisend. etc., t. II, p. 202. Une seule hymne est à signaler, mais nous n’osons faire nôtre l’affirmation de son premier éditeur, Eugène de Levis, Anecdota sacra, Turin, 1789, p. 53, qui l’attribue à saint Anselme, sans aucune raison à l’appui. Dreves-Blume, Ein Jahrtausend, etc., t. II, p. 221. On peut la lire dans l’ouvrage cite de Dreves-Blume ou dans le Thescuirus hymnologicus de Daniel, t. II, p. 328. Il affirme avec insistance la présence réelle : Christi corpus ave…, Viva caro, dritas intégra, verus homo ; mais le titre qu’elle porte : In elevationc corporis et sanguinisChristi ne s’adapte pas du tout à la période qui suit immédiatement les luttes bérengaricnnes. Voir plus loin le moment de la transsubstantiation.

Si la poésie liturgique proprement dite est à peu près silencieuse en la matière, il n’en va pas de même avec les autres productions poétiques du XII e siècle. La versification latine, en honneur dans les écoles et cultivée avec succès au xw siècle, cf. une liste alphabet ique de ces pièces publiée par Waltentach, dans Zeitschrifl fiir deutsches Altcrthum, 1872. t. XV, p. 469 506 : llauréau, Journal des savants, 1894. p. 427 110. etc., s’exerce fréqueiument sur les sujets eucharistiques. Il nous faut citer Ici celles qui circulent sous le nom (rillldeberl du Mans, celles de Pierre de Hlols. de Henier, etc. Les unes se rattachent à la controverse bérengarienne, à l’instar de Durand de Troarn (y 1088) qui avait placé un proœmiunr en vers en tête de son Liber… contra licrcngarium cl ejus scctatores, P. L., t. cxi.ix, col. 1375. Les autres

n’ont aucun but polémique avoué, à moins qu’il ne faille y voir une réponse indirecte aux attaques des cathares et des autres sectes hérétiques qui niaient l’eflicacité du sacrifice de la messe pour les défunts, voir plus haut : tel le récit de Renier, moine de Saint-Laurent à Liège († 1182) : De milite captiva et per salutarem hoitiam liberato, dans le De conflictu diiorum animorum, libellus secundus, P.L., t. cciv, col. 85-90. Il en est parmi elles qui traduisent les préoccupations des livres scolaires de l’époque, comme celles que Beaugendre a gratuitement attribuées à Hildebert sur les trois parties du corps du Christ : qaid divisio corporis Christi in trcs parles signifîcct, P.L., t. clxxi, col. 1280, 1406 : question devenue classique depuis les interprétations ultrasjmboliques d’Amalaire de Metz. Des pièces plus longues redisent, en des vers d’un mérite souvent problématique, l’enseignement théologique des écoles, tels le Liber de sacra cucharistia qui contient en réalité deux petits poèmes de Pierre le Peintre, chanoine de Saint-Omer, L. Delisle, Cabinet des manuscrits, Paris, 1874, t. ii, p. 453, et non d’Hildebert du Mans, comme le donne à croire l’édition de Beaugendre, P. L., t. clxxi, col. 1195-1212, ni de Pierre de Blois, comme le voulaient Budée et Goussainville, P. L., t. ccvii, col. 1135. Voir Hauréau, Mélanges poétiques d’Hildebert de Lavardin, 1882, p. 95-101 ; Notices et extraits de quelques manuscrits, Paris, 1892, t. v, p. 210-228. En dépit de leur mince valeur poétique, ces pièces conservées dans beaucoup de manuscrits offrent de l’intérêt, car elles remontent au début du xii<e siècle et conservent encore l’écho de questions telles que celles du Cur Deus homo, P. L., ibid., col. 1199-1200, et de la valeur du sacrement indépendamment du ministre, col. 1201-1202, ou des controverses sur la présence réelle du vrai corps du Sauveur, col. 1199, 1205, etc., la conservation de son intégrité malgré les multiples communions, col. 1201, l’adjonction d’eau au viii, col. 1195, 1204, etc. D’un caractère plus liturgique que théologique sont les Versus de sacrificio missæ, avec préface de Pierre Gaillard du Mans, dus à la plume d’Hildebert. C’est une paraphrase rimée des cérémonies et surtout des prières de la messe, P. L., ibid., col. 1175-1196, et un remaniement poétique de l’écrit d’Yves de Chartres sur la matière, comme le montre Franz, Die Messe im deutschen Mittelalter, Fribourg-en-Brisgau, 1902, p. 451, dont nous avons diverses fois utilisé l’ouvrage dans ce paragraphe. L’élévation n’y figure pas’encore, col. 1153. Les écrits d’Hildebert sur le saint-sacrement étaient fort goûtés par Guillaume de Malmesbury, tout comme ceux d’Amalaire qu’il résume. Abbreviatio Amalarii, inédit, ms. de Lambeth, 39, et ceux d’Yves de Chartres (voir la préface et l’épilogue de son résumé dans la Determinatio Joannis Parisiensis prœdieatoris Parisiensis, de modo existendi corpus Christi, éditée par Jean Alix, Londres, 1686, p. 82, 84).

Citons encore des vers sur les trois messes de Noël, sur la pénitence requise avant la communion et l’action de grâces, etc. Ibid., col. 1439, 1426, 1440, etc.

5° Œuvres de systématisation : théologiens et canonisles. — - 1. Premiers dossiers pairistiques et recueils canoniques. — Ce que nous venons de dire sur les traités particuliers, les sermons, les correspondances, les travaux liturgiques de l’époque, nous a déjà ouvert une échappée de vue sur l’enseignement des écoles dont ces produits sont souvent le relief. Pénétrons davantage maintenant dans ces groupes scolaires et voyons la doctrine de l’eucharistie systématisée par les Sentenciers et les Sommistes. La liste des anciens recueils de Sentences où l’on se contentait d’aligner les textes de la Bible et des Pères, en les introduisant par une courte indication de leur contenu doctrinal,

est virtuellement fermée par Anselme de Laon, totius orbis latini lumen (Sententiæ, iniidites, ms. lat. B. N., 16528, fol. Ist]. ; voir Hauréau, .Journal des savants, juillet 1895), dont l’érudition patristique, un peu compacte, est reconnue par un élève aussi hautain qu’Abélard. Celui-ci ajoute la documentation pour et contre de son Sic et non. P. L., t. clxxviii, col. 1329-1611. Alger de Liège, si les Sententiæ mugistri A (inédites, ms. Troyes, Paris, Vatican ; voir Alger, 1. 1, col. 827) sont de lui, rentre plutôt dans le groupe des anciens Sentenciers enregistreurs. A côté d’eux se placent les collections canoniques qui leur fournissent beaucoup de leurs textes. C’est dans cette double série de recueils que les Sommistes trouveront en tout ou en partie leur dossier patristique ; d’aucuns l’enrichiront de lectures personnelles dans les originaux ; mais l’apport des collections canoniques, notamment dans la partie sacramentaire, est incontestable. Cf. P. Fournier, Les collections canoniques attribuées à Yves de Chartres, dans la Bibliothèque de l’École des chartes, 1897, t. lviii, p. 293, 410 ; Deux controverses sur les origines du Décret de Gratien, dans la Revue d’histoire et de littérature religieuses, 1898, t. iii, p. 97, 253 ; Annat, La documentation patristique de Pierre Lombard, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, 1906, p. 88 ; Gillmann, Die Siebenzahl der Sakramenten bei der ersten Glossaloren des Dekrels Gratians, dans Der Katholik, 1909, etc. En outre, les courtes suscriptions en tête des canons donnent le contenu de toute la doctrine ; par leur précision, leur fréquent usage ecclésiastique et l’estampille quasi officielle qui les « autorise » (authorizare, authenlicus, etc.), ces chapitres guident l’exposé du théologien somnùste : sa route est nettement balisée. Il ne lui reste plus qu’à harmoniser et à systématiser en un corps d’ensemble la doctrine contenue.

Une courte comparaison entre le recueil classique du xie siècle dû à Burchard de Worms, aidé par Olbert de Gembloux (vers 1025), et celui d’Yves de Chartres (un peu avant 1100), donne une idée très nette du chemin parcouru. Les 63 canons du 1. V de’BiTc]avà, De sacramentis corporis et sanguinis Domini, P. L., t. cxL, col. 749-762, insistent surtout sur le côté pratique : matière du sacrement, vases sacres, fréquentation, pureté de conscience, etc., il n’a que peu ou pas de canons relatifs au dogme de la présence réelle ou de la conversion. Même Anselme de Laon est bien sobre sur ces matières ; s’il a collectionné quelques-uns des bons textes, les suscriptions qu’il y a mises sont sans importance (ms. Bibl. nat., 16528, fol. 1719, 97 sq.). Tout autre est le 1. I, can. 123-162, de la Panormia d’Yves de Chartres : titre et contenu des canons sont significatifs pour la présence réelle, la conversion, la permanence des espèces, etc. P. L., t. CLXi, col. 1071-1084. Voir aussi le Decretum, H, 1 sq., col. 135-206, dont les rubriques sont cependant inférieures à celles de la Panormia. Même progrès dans d’autres collections canoniques que nous ne pouvons développer en ce moment, pas plus que nous ne pouvons nous étendre ici sur les sources qui ont ahmenté le dossier des recueils chartrains. Cf. Fournier, toc. cit. Toutes d’ailleurs trouvent leur couronnement dans Gratien, dont le De consecratione, dist. III, est si largement mis à profit par Pierre Lombard. Nous en parlerons plus loin à propos de la transsubstantiation ; ce chapitre montrera par un exemple l’utilisation des dossiers canoniques par les théologiens. Avant cela, les Sententiæ attribuées à Alger de Liège (ms. Bibl. nat., lai. 3881) avaient beaucoup puisé chez Yves. Fournier, ibid.

Si l’on veut se rappeler l’importance de ces recueils canoniques dans la vie ecclésiastique et le renom de leurs auteurs au xii’e siècle (presque tous les premiers

commentateurs de Gralicn seront revêtus de la dignité cpiscopale ou même cardinalice), on comprendra sans peine quelle précision dans la pensée et quelle fixité dans la transmission ces recueils devaient donner à la doctrine. En effet, quand on passe des collections canoniques aux nombreux Sentenciers du xiie siècle, un premier fait qui s’impose à l’attention est la reproduction continuelle des mêmes idées, des mêmes remarques, des mêmes expressions, des mêmes préceptes, des mêmes citations, que celles qu’on a rencontrées chez les canonistes. Même le De sacrameniis de Hugues de SaintVictor, qui tranche si fortement sur les produits des Sommistes proprement dits, est loin de faire exception. Chez tous, la pensée s’est imprégnée de l’héritage des siècles antérieurs, l’édifice a fait entrer dans sa construction les matériaux accumulés qu’on peut aisément reconnaître, car ils n’ont pas toujours été équarris à neuf ni taillés à leur nouvel alignement. Plus tard, dans la seconde moitié du xiie siècle, les canonistes qui commentent le Décret de Gratien ne manqueront pas de tirer parti de cette systématisation opérée par leurs confrères ; leurs expressions dans la III" partie, le De consecralione, s’en ressentiront maintes fois, chez Huguccio notamment ; plusieurs, comme Roland, Sicard, etc., sont, du reste, théologiens en même temps que canonistes. Voyons comment ces matériaux, qui charrient en quelque sorte les données révélées, ont été mis en œuvre dans les travaux de la systématisation rationnelle du dogme.

2. Sommistes. — a) Jusqu’à Pierre Lomlxird. — Parmi ces Sommistes ou Sentenciers qui se chargent de ce travail, on peut distinguer divers groupes. Nous avons déjà rappelé le nom d’Anselme de Laon, le célèbre docteur des docteurs, comme dit Jean de Salisbury, de la principale Schola divinilalis, qui ouvre le xii’e siècle par un enseignement aussi brillant pour son époque qu’éphémère dans ses résultats : Anselme se contentait à peu près d’une nomenclature de textes, c’est ce qui ressort de l’examen que nous avons pu faire du ms. cité (Bibl. Nat., lat. 16268) ; désormais, le système ; illait disparaître avec lui. Sur l’eucharistie, il n’a rien qui doive nous retenir ici.

Une des premières figures qui se présentent dans cette longue série d’auteurs est celle de Guillaume de Champeaux († 1121), qui se place à côté de son maître Anselme de Laon ([ 1117). D’Anselme, on a public quelques fragments qui nous donnent de son enseignement une idée meilleure que celle que l’on retire de ses Senleniisc citées plus haut ; l’écolâtre de Laon y discute quelques questions relatives à l’eucharistie. Anselmi Lauduneiisis… SeiUentius cxceiplas…, édit. G. Lefèvre, Évreux, ISO.’î, n. 6, 10, p. 12, 19. La présence réelle sous chaque espèce y est clairement exposée à propos de la communion des enfants. Une même affirmation se retrouve dans un texte de Guillaume de Champeaux, jadis publié par Mabillon, Acta ordinis S. lienedicli, t. iii, p. i.iii ; P. L., t. clxhi, col. 1039-1010, et qui fait partie de l’ensemble de ses Sententise vel quæslioncs xi.vii. Voir le texte dans G. Lefèvre, Les variations de Guillaume de Champeaux dans la question des uniuersaux. fitudes suivies de documents originaux, dans les Travaux et mémoires de l’université’de Lille, 1898, t. vi, 20, p. 12 1.^). Ce premier essai de systématisation, où ne règne qu’un ordre problématique, donne à l’eucharistie une ou deux pages, n. Il et (in du n. 10 ; voir aussi le n. 12. qui s’occupent avant tout de la communion et, par suite, de lu présence réelle, sous l’une ou l’autre des espèces. On peut en rapprocher le fragment d’Anselme déjà cité. Les paroles de Guillaume iiioiitrenl comment ici encore une fois, comme fréquemment ailleurs c’est le cas dans l’histoire des institu tions, l’usage pratique affirme depuis longtemps une croyance, dont l’expression tarde à se produire dans la théorie ou dans les essais systématiques. Cette constatation nous paraît réduire l’importance attachée à la lettre d’Anselme par Harnack, Lchrbuch der Dogmengeschichte, 4^^ édit., 1910, t. iii, p. 386, note, et Loofs, Leilfaden dcr Dogmengeschichte, 4e édit., 1906, p. 504.

De l’enseignement d’Abélard, qu’il serait spécialement intéressant de connaître sur l’eucharistie, nous ne possédons plus le texte, au moins pour la plus grande partie. Il nous reste quelques échos de ses idées dans les accusations de ses adversaires, surtout à propos de la substance du pain et du vin qui disparaîtraient : in aère. Voir plus loin. Il faut, pour reconstituer son œuvre dans ses grandes lignes et refaire plusou moins la physionomie de ses traités, recourir aux Sententise de ses élèves ou de ses disciples éloignés qui tous ont des traits communs aisément reconnaissables. Le Sic et non déjà mentionné, et qui n’a pas le sens rationaliste qu’on a souvent voulu y voir, rentre dans la catégorie des dossiers patristiquts.

Seul, Hugues de SaintVictor, De sacrameniis, 1. II, part. VIII, P. L., t. cLxxvi, col. 461-472, se sépare nettement de ses contemporains comme méthode, matériaux et vigueur de pensée. Il ne cite pas un seul texte des Pères sur l’eucharistie. S’il les rappelle, c’est pour dire qu’ils ont ajouté quelques cérémonies aux rites de la messe dans la suite des âges, c. XIV, col. 472, et n’apporte que quelques citations de l’Écriture. Tout le contenu de son traité est un exposé de la doctrine, entremêlé de raisonnements fermement pensés ou de sages réflexions qui s’inspirent fortement, du reste, de la tradition ; il s’est pénétré de la moelle de la doctrine léguée par les Pères et écrivains ecclésiastiques sans qu’il sente le besoin d’apporter leurs citations. Ce qu’il nous dit de la toute-puissance et de la volonté divines, en divers endroits, montre tout de suite qu’il est dans la ligne d’Ambroise et du pseudo-Eusèbe d’Émèsc (Fauste), en passant par Guitmond et Paschase Radbert. L’importance de son œuvre nous force à en indiquer ici le programme général : importance de ce sacrement, c. i ; institution, c. ii ; corps mortel ou immortel donné en communion aux apôtres, c. m ; communion de Judas ante buccellam, c. iv : agneau pascal, figure de l’eucharistie, c. v ; erreurs : non figura vel imago sed Veritas, c. vi ; théorie du sacramentum, res, gratia, c.u ; pourquoi présence réelle in specie panis, c. vin ; vraie conversion, c. ix ; les trois parties de l’hostie divisée, c. x ; Jésus-Christ présent dans tous les fragments, c. xi, grâce à la toute-puissance ; questions des anciens stercoranistes, c. xii, xiii ; quelques mots sur la messe, c. xiv.

Cet exposé est court : la suite des chapitres permet de retrouver ici encore la fidélité de Hugues à s’attacher à l’ordre historique et à la succession des faits dans ses développements. Plus loin, nous analyserons quelques particularités de sa doctrine, il la présente toujours avec beaucoup de fermeté, mais non moins de discrétion, de modestie et de respect pour la sublimité du mystère.

, Représentant d’un mouvement scolaire assez peu étudié jusqu’ici et <le conceptions anciennes restées davantage à l’écart des tendances qui prédominent dans le groupe abélardicn, les Srntenlia’de Robert Pulleyn (f ll.’)3 ; en 1133, il ressuscite à Oxfor.l les études sacrées quasi disparues, d’après la chronique de Th. Wykes dans les Annales monaslici, édit. Luard, Perum britanniraruin mrdii fcri scriplores cii Chronicles and memorials, t. xxxvi, 4, ji. 19) présentent un réel intérêt grâce aux renseignements qu’elles nous fournissent sur diverses opinions d’écoles, sur des usages

ecclésiastiques d’Angleterre ou de France, etc., par exemple, sur la communion sous les deux espèces, Senienliæ, viii, 3 ; iii, 9, P. L., t. clxxxvi, col. 9C3, 964, etc. ; voir les excellentes notes de dom Mathoud, col. 10, 53, etc. Malgré cela, on peut ici ne pas s’arrêter longuement à son œuvre, beaucoup moins bien ordonnée que celle des autres Sommistes et, semble-t-il, sans postérité littéraire directe ; même la dépendance de Pierre Lombard, que nous ne voulons pas nier, n’est encore nullement prouvée. Les chapitres sur l’eucharistie, viii, 1-7, col. 959-988, ont une page excellente sur la conversion et les accidents (forma, qualilales naliiræ, dont nous reparlerons plus loin), et quelques lignes sur la valeur de la consécration par les indignes, viii, 6, col. 968. Par contre, il attribue trop de réalité aux effets des figures antiques de l’eucharistie, c. viii, 1, col. 959, 961 ; voir les notes de Mathoud. L’espèce de catéchisme de l’eucharistie, d’Honoré d’Autun (voir plus haut), avait ici la note juste, Eucharislion, c. xi, P. L., t. cLxxii, col. 1256 ; on peut comparer aussi le chapitre de Hugues de Saint-Victor. De sacramentis, I. H, part. Vin, 5, P. L., t. clxxvi, col. 465.

Des autres recueils, fruits en partie de l'école abélardienne (du Magister Petrus, nous l’avons vii, il nous reste autant que rien), nous nous contenterons de citer les Sentences de Roland Bandinelli qui ordonne tout son traité, selon son habitude, en une longue série de questions s’alignant à la file au nombre de trente ; c’est le seul qui ait, comme nous dirions de nos jours, une thèse sur la présence réelle ; les autres n’introduisent ce chapitre que comme une réfutation de l’ancienne objection béreng arienne. Die Sentenzen Rolands, cdit. Gietl, 1891, p. 214-237. Ajoutons-y les Sentences d’Ognibene (ms. de Munich, lat. 1934), les Sentences de l’anonyme de Saint-Florian (ms. X. 264 de Saint-Florian, en Haute-Autriche), dont les points principaux sont fournis en note par l'éditeur de Roland, Gietl. L’Epitome d’un élève d’Abélard, c. XXIX, P. L., t. clxxviii, col. 1740-1744, fort bref en général, et les Sententiæ divinilalis qui se ressentent beaucoup des idées de Gilbert de la Porée ; sur la conversion, il y a là quelques lignes intéressantes. Die Senienliæ divinilalis, édit. Geyer, dans les Beilràge zur Geschichle der Philosophie des Millelallers, t. vii, fasc. 2-3.

L'école de Gilbert de la Porée — car les dernières recherches donnent à croire que l’enseignement de l'évêque de Poitiers laissa des disciples et des œuvres — ne semble pas avoir eu quelque doctrine spéciale par rapport à l’eucharistie. Nous avons déjà mentionné les Senienliæ divinilalis ; le Spéculum universale de Raoul l’Ardent, écrit plus tard, est encore inédit. Cf. Geyer, arl. cil., dans la Tiibinger Iheologische Quarlalschrifl, 1911 ; Grabmann, Geschichle der Scholaslichen Melhode, Fribourg-en-Brisgau, 1909, p. 246 sq.

La Summa sententiarum, plus succincte et en certains points plus précise que le De sacrcmuntis, unit les deux courants abélardien et victorin, 1. VI, c. ii-ix, P. L., t. CLXXVI, col. 139-146. Voici le contenu de son traité sur l’eucharistie : généralités, figures symboliques, cause de l’institution, c. ii ; théorie du sacramentum, sacramentum et res, res sacramenti, c. m ; la forme, les species subsistent ; pourquoi sub specie, c. IV ; quelques erreurs sur la présence réelle, sur la conversion, c. v ; pourquoi deux espèces, c. vi ; double manducation par les bons et les méchants, c. vu ; fraction des espèces du pain, c.viii ; signification des parties de l’hostie, quelques expressions difficiles des Pères, valeur des consécrations par les hérétiques et les excommuniés indignes (réponse plutôt négative, car le mot offerimus, dans le canon, veut qu’il y ait communion avec l'Église). On le voit, c’est un exposé fort

rapide, mais ici de même que pour d’autres chapitres, tout à peu près a été utilisé par les recueils ultérieurs ; cf. les Senienliæ divinilalis, P.oland, Pierre Lombard, etc., et à ce titre il fallait développer ici le contenu.

b) Pierre Lombard. — L'œuvre de Pierre Lombard doit nous retenir davantage, puisqu’elle sert de guide aux théologiens de l’Occident et de thème à leurs développements pendant des siècles.

Comme toutes les compilations, les pages de Pierre Lombard sur l’eucharistie, 1. IV, dist. VIII-XIII, se ressentent de la diversité des sources auxquellesil puise. L’absence d’un plan d’ensemble dans la juxtaposition des chapitres et des paragraphes est rendue plus sensible encore par l’emploi de formules de transition, telles que : sunt alii qui, dist. X, 1 ; si autem quæritur, dist. XII, 1 ; si vero quæritur, dist. XI, 8 ; solel eliam 9u « ri, dist. XII, 2 ; XII, l ; pos/ /iacguien/ur, dist.XII, 7 ; el sicut quæ res sunl, eliam duo sunt modi, dist. IX, 1, etc. Cela permettait à l'écrivain de placer sans peine à la suite les^ moindres lignes inédites que pouvait présenter un de ses modèles, et d’enregistrer à la manière d’un écho toutes les questions discutées dans les écoles, jusqu'à son époque. Ce n’est que l'ébauche d’un plan fragmentaire qui se rencontre après l’introduction cdia ou inler alla, consideranda occurrunt qualuor, dist. VIII, 2, à savoir, inslilulio, forma, sacramentum et res ; encore ne porte-t-il que sur les premiers paragraphes. Par suite, les répétitions ne manquent pas, comme celles qui mentionnent à divers endroits les fruits de l’eucharistie, ou qui traitent des causes de son institution, du sacrifice de la messe, etc. Cf. dist. VIII, 1, 2, 4 ; XII, 7, etc., de la communion fréquente, dist. XII, 6, 7. D’autres fois, l’on se heurte à des hors-d'œuvre, ou à des théories à peine ébauchées ou mal reliées à la matière principale de l’exposé : tels, par exemple, les extraits sur les caractéristiques du sacrement et sacrifice, dist. VIII, 4 ; I, 2 ; XII, 6 ; XIII, 1, et l’essence de l’hérésie, dist. XIII, 2 ; remarquons que la même chose se rencontre chez Grégoire de Bergame, op. cil., c. xxix, p. 113, et d’autres. Ailleurs encore, l’emploi des mêmes termes avec des sens différents accusent une terminologie mal assurée, et trahit sans doute la diversité des sources comme le mot forma appliqué à la formule consécratoire et aux espèces, dist. VIII, 3, 4.

Malgré ces défauts et ces lacunes, l’exposé de Pierre Lombard est le plus complet de tous ceux de son époque, sans pour cela tomber dans la prolixité. Comparées aux traités sur la pénitence, 1. IV, dist. XIVXXIII, et sur le mariage, dist. XXVI-XLII, qui sont diffus, les six distinctions du Magister sur l’eucharistie sont plutôt sobres, voire même concises. Ajoutons qu’elles ouvrent quelque échappée de vue, parfois avec succès, clarté et progrès, sur les questions qui préoccuperont de plus en plus la théologie médiévale, comme celles de la conversion, dist. XI, de la fraction et de la persistance des accidents, dist. XII. Sous réserve des remarques précédentes, on peut dire que l’ensemble se présente dans un ordre convenablement logique : la main expérimentée du compilateur avait eu le talent de retenir les bons morceaux et de les grouper habilement, en dissimulant le mieux possible les manques de cohésion. On en jugera par le plan suivant : après une introduction sur les figures de l’eucharistie et sur son rôle à côté du baptême et de la confirmation (il est plus bref ici que plusieurs de ses devanciers, cf. Pulleyn, Honoré d’Autun, Hugues, etc.), Pierre Lombard passe en revue une série de questions : consideranda occurrunt quatuor, à savoir, l’institution, la forme, le sacranvntum et la res sacramenti. Puis il rattache à la double res sacra

menti la double manducation, duo modi manducandi, unus sacTamentalis…, aller spiriliialis, dist. IX ; c’est là qu’il s’en prend à l’erreur de ceux qui prétendaient que le corps et le sang du Christ ne sont reçus que par les bons et "^ qu’il explique quelques expressions difiiciles des écrivains ecclésiastiques. Par une transition toute naturelle, la distinction suivante, dist. X, passe à une erreur plus grave : celle des sacramentaires qui nient la vérité du corps du Christ dans l’euchîiristie ; ce chapitre sur la présence réelle est donc une réfutation. C’est ce qui explique pourquoi cette distinction, dont les conclusions sont présupposées dans tout ce qui précède, n’arrive qu’à cette place dans le cours du traité. C’est le même cas pour la Summa sententiarum, 1. VI, 5, P. L., t. clxxvi, col. 111-112 ; Roland, d’une allure toujours décidée, est peut-être le seul qui fasse exception en entamant le sujet sous forme de thèse, op. cit., p. 221 ; les autres se contentent de parler de ce dogme universellement reçu, en rejetant l’objection qui l’attaque. Ayant réfuté les adeptes de Bérenger par des textes qui affirment le changement de la substance du pain et du vin au corps et au sang de Jésus-Christ, le.l/ag’isffr passe logiquement à l’étude de cette conversio, dist.. XI, 1, 3 ; il y rattache une série de questions léguées par ses prédécesseurs : quarc sub alia specie sumatur, dist. XI, 5 ; qucire sub duplici, 6 ; quarc aqua misceatur, 7 ; qmde corpus dédit discipulis, 8. L’investigation philosophique, pour rudimentaire qu’elle fût, faisait tout de suite se dresser, en dehors même de l’exemple de ses modèles, le problème de la permanence des accidents. C’est l’objet de la dist. XII, qui ajoute, après les paragraphes sur la fraction des espèces, les textes classiques sur la signification des trois parties de l’hostie divisée, 6 ; l’auteur y rattache un paragraphe sur la réalité de l’immolation et du sacrifice de l’autel, dont la place peut se justifier ici. Les lignes suivantes, sur le but de l’institution de ce sacrement et sur la communion fréquente, 5, 8, devaient être placées ailleurs. Enfin, une dernière distinction, XIII, s’occupe des hérétiques et des exconnnuniés : écho des anciennes controverses sur les investitures qui ne devait pas s’éteindre encore. Pierre Lombard appartient à l’opinion sévère ; il ferme ce chapitre par une description de l’hérétique, empruntée à saint Augustin, à saint Jérôme et, d’après un texte ancien de son œuvre, à saint Grégoire. Aussitôt après vient le traité de la pénitence.

c) Après Pierre Lombard. — a. Théologiens. — Un des premiers commentateurs du Lombard, Pierre de Poitiers (avant 1175, puisqu’il dédie son œuvre à Guillaume aux Blanches-Mains, archevêque de Sens jusqu’à cette date), groupe toutes ses recherches, dont plusieurs abondent en subtilités dialectiques, autour de quelques questions relatives au sacramentum et à la res sacramenti, c. x ; à la forma, c’est-à-dire matière et forme, c. xi ; le mot Iranssubstantiatin, transsubstantiari revient au moins une douzaine de fois dans les trciis colonnes et demie que comprend ce chapitre ; à la conversion, c. xii ; c’est ici qu’il étudie les accidenlia, l’ubiquité du corps de Jésus-Christ, etc. ; à la ( : ouble iranducation p :  ; r les bons et’es méchants, c. xiii ; ici, interviennent, comme ailleurs en orcc’est le cas chez Pierre, quelques essais de casuistique. Tout cela est exposé avec netteté, concision, fermeté, sans l’abondance du Lombard et accuse chez le commentateur une longue gymnastique qui a accentué les mérites et les défauts d’une formation trop purement dialectique. Voir plus loin.’l’.obcrt de Melun (y ll()7), contcinporain de Pierre Lombard (ms. lat., B. N., NSSr, , Bruges, 191, etc.), n’a pas eu le lemjjs de donner dans sa Somme une place aux sacrements ; mais, à la manière dont il 1

s’attarde pour appliquer à l’incarnation, selon l’ancien vocabulaire du ive siècle, la définition du sacramentum, onpeut juger des développements qu’il aurait donnés à ce seul chapitre de l’eucharistie, qui attire l’attention de beaucoup de ses contemporains. Pierre le Chantre a quelques particularités dans son œuvre encore inédite. De sacramentis, etc., où il s’étend sur les parties non traitées par le Magisler Sententiarum (ms. lat., B. N., 1445, etc.).

Prévostin, généralement fort bref dans ses chapitres sur les sacrements, ouvre des échappées de vue intéressantes sur les avis de ses contemporains et de ses prédécesseurs : magistri nostri dicunl, secundum magislros nostros. Son chapitre sur la transsubstantiation (le mot revient sans cesse sous sa plume) est particulièrement développé : de verbis quibus fit (ranssubslantialio. C’est sous cette rubrique que le manuscrit de Bruges, n. 237, groupe presque la totalité des questions.

Vers la même époque, un théologien, plus original que la plupart de ceux qui figurent parmi les maîtres de Paris et dont on ne peut passer ici le nom sous silence, Alain de Lille, surnommé le docteur universel (y 1202), écrit des pages importantes sur l’eucharistie, surtout à propos de la transsubstantiation, dans son 1. I, De flde calholica contra hserelicos, c. LVii-Lxii, P.I, ., t. ccx, col. 359-365 ; lec. lvii aligne les principales objections des sectes dissidentes ; la suite, c. lviii-Lxii, expose la doctrine et répond aux attaques. Les Régulai theologicse, reg. 107-110, ibid., col. 677679, ne donnent pas beaucoup plus que le résumé ou la répétition de ce qui se trouve dans le Contra hserelicos, sur la transsubstantiation, la matière et la forme, etc.

Deux théologiens de la fi i du xiie siècle, Simon de Tournai, sur le compte duquel circulèrent des récits malveillants, plus ou moins légendaires, et Etienne Langton, qui devint archevêque de Cantorbéry (1208-1228), consacrent à l’eucharistie des l)ages intéressantes où se révèlent certains progrès de la terminologie. Le premier, s’écartant de la division du Lombard en quatre livres, parle de l’euchariste, le terlinm sacramentum s(dutare (il a une classification des sacrements qui tient compte, comme Hugues de SaintVictor et beaucoup de canonistes ^lossateurs du Décret, des diverses espèces de sacramentaux), dans la VIII » partie de sa Summa ou de ses fnstiluliones{ms. lat., B. N., 14886, îol.bH sq. ; Merton Collège, Oxford, 722, fol. 105, etc.). Il parle de la transsubslanlialio, ibid., fol. 47, tout comme dans ses Quxslioncs ou Dispulaliones (ms. ûe Bruges 193, disp. LXV). L’autre reste davantage fidèle au plan du Magisler dont il possède l’autographe ; mais en certaines parties il est beaucoup plus étendu (ms. de Bamberg, Patr. 136 ; Q. Vꝟ. 50). Il a aussi le mot de transsubstantiari, etc., fol. 68. L’une et l’autre œuvre encore inédite utilisent davantage les écrits d’Aristote et méritent une étude plus étendue que le manque de place empêche de développer ici. Signalons leur dissertation sur la valeur du sacrement en dehors de la dignité du ministre, question fort brûlante à ce moment.

Voisine des Rcgulæ d’Alain, auquel on l’a longtemps attribuée, est l’œuvre de Nicolas d’Amiens, De arte seu de arliculis catholico’fidei, sorte d’exposition en théorèmes » de la vraie doctrine, cf. iii, 13 ; la partie relative à l’eucharistie y est brève, iv, 3, P. L., t.ccx, col.fil3 Gll.Cf. Hauréau, .Vo/irc et extraits de quelques manuscrits de la Bibliothèque nationale, Paris, 1801, t. v, p. 74-76.

Par contre, les divers dictionnaires do théologie que voit surgir le dernier tiers du xii'e siècle et qu’il est instructif de consulter, comme les témoins d’une

c’odilication qui s’opère, n’onl pas le mol cucharislia ni le mot transsubstanliatio. Citons la Sumina Abel de Pierre le’Chantrc (ms. de Bruges, 234), les Distinciiones de Garnier de Rochefort (ms. de Troyes 32 et 392), l’une~>et l’autre encore inédites ; ]c Liber in distinctinnibiis distinctioiuim theologicaium d’Alain de Lille, P. L., t. ccx, col. G85. Pierre le Chantre a quelques lignes sur le corps du Christ au mot Corpus.

b. Canonistes. — Pour clore toute la série des maîtres ont l’enseignement intéresse l’histoire de l’eucharistie, il faudrait revenir aux canonistes qui se mettent en devoir de commenter le Décret de Gratien. Leur œuvre de commentateurs présente des chefs d’intérêt variés, dont le moindre n’est pas le reflet que prend chez eux l’enseignement théologique. A leur tour, les canonistes subissent l’influence des théologiens.

Le fait est surtout sensible dans Huguccio qui a beaucoup de passages (dans le De consccrationé) inspirés par Hugues de SaintVictor ou littéralement empruntes au De sacramentis ; cette partie est plus longue chez Huguccio que chez les autres (ms. de Cambrai, 612, fol. 351 r° sq.). Avant lui, Etienne de Tournai a aussi beaucoup d’emprunts à l’enseignement théologique. Cf. op. cit., p. 273, 274. Schulte le reconnaît dans son histoire du droit canonique. Op. cit., p. 135. Mais l’œuvre est encore inédite, comme celles de beaucoup d’autres de ses collègues ou prédécesseurs. Quelques textes intéressants peuvent se lire dans les notes de l’étude si fournie de Gillmann : Die Sicbenzahl der Sacran-ienie bei der Glossaloren des Graiianischen Dekreis, dans Der KaihoUk, 1909, t. II, p. 182 sq. D’autres, comme quelques-uns de Sicard, Huguccio, ’etc., se rencontrent dansuneétude du même auteur sur la transsubstantiation chez les canonistes du xiie siècle. Der Katholik, lQ08, t.u, p. 417 sq.

Parmi les textes déjà imprimés et par suite plus accessibles au lecteur, Rufin, pie Summa Decrclorum des Magisler Rufinus, édît. Singer, Paderborn, 1902, etÉtien>^ « de 10XTiiB.i, Die Sumniades Stephanus Tornacensis ùber das Decreium Graliani, édit. von Schulte, Giessen, 1891, consacrent quelques pages à notre sujet. Le premier est désespérément bref, op. cit., p. 144145, le second est plus développé, p. 551-560 ; il divise en trois sections toute la dist. II de Gratien : la forma (c’est-à-dire matière et forme), le respect dans la réception et la manière de traiter ce sacrement, le triple contenu de ce mystère, p. 551. Giraud le Cambrien fera écho à cette division dans la Gemma ecclesiastica, i, 6, 9, etc. Voir plus loin. Notons ses formules sacramentum, sacramentum et res, res tantum, p. 552, où il renvoie aux ouvrages des théologiens, et son exégèse de la confession de Bérenger, can. 42, p. 555, à rapprocher de Roland, op. cit., p. 233-234 ; il se refuse à s’étendre sur les sublimités de la conversion, can. 73 : vcrba ista, fateor, parvitatem meam magis ad terrorem admiratioiiis quam ad diligenliam cxposilionis invitant, p. 557 ; mais au can. 82, il ouvre une longue dissertation sur l’union du Christ avec son Père, p. 557-561.

Quant à Etienne de Tournai, op. cit., p. 269-276, il emprunte beaucoup à Rufin, ici comme ailleurs. Il cite un bon nombre d’avis des théologiens, par exemple, p. 273, et emploie fréquemment le mot transsubstantiatio, tianssubstaptiare, p. 273, 274, etc., qu’il n’a pas rencontré chez Rufln. Sur les accidents il rectifle un usage courant qui risquait de réduire à trois les accidents qui persistent : et nota quod cum principaliter dici soleat in specie panis et vint tria accidentia post consecrationem remanere, scilicct, colorem, saporem, odorem, rémanent tamen et alia ut in pane rotimdiias, in utroque vis satiandi, si quantitative sumatur, et multa alia, can. 31, p. 272. Ces quelques exemples

peuvent suflire pour montrer la marche progressive de la théologie de l’eucharistie chez les canonistes comme chez les théologiens. En attendant la publication des Sommes, gloses et commentaires inédits, on pourra utilement consulter les gloses du Décret reproduites dans la marge des diverses éditions, par exemple, celle de 1505, Paris, qui a beaucoup de Jean de Fænza (vers 1190), ou celle de Lyon, 1C34 ; beaucoup sont dues à Jean le Teuton qui a conservé celles de ses prédécesseurs ou ajouté de nouvelles, avant le concile de Latran, par exemple, De consecralione, II, c. i, 2, 71, 72, 77, 94, etc. Vers la fin du siècle surgissent un certain nombre de recueils de pure compilation : ils méritent d’être signalés comme les témoins de la vogue dont jouissent les traités de Hugues de SaintVictor et de Pierre Lombard ; ce sont d’abord quelques résumés de ces auteurs comme les n. 560 de la bibliothèque de l’université de Gand (deux abrégés), les résumés du jl/ag^/s/er, parBandînus, P. L., t. cxcii, col. 965-1112, par Gandulphe de Bologne, ms. Heiligenkreuz 142 ; Turin, lat. A. ô7, etc. Puis avec le Spéculum universale de Raoul l’Ardent déjà cité, il faut mentionner ce recueil qui voyage jusqu’à Sidon en Palestine (ms. du Vatican, lat. 1345, fol. 73-74 ; voir aussi Fournier, art. cit., de la Bibliothèque de l’École des chartes, 1897, t. lviii, p. 664), et d’autres longs traités théologico-canoniques enfouis dans les bibliothèques.

3. Sources diverses sur les Sommistes, anecdotes, polémiques. — Ajoutons encore à cette liste quelques auteurs qui ne rentrent pas dans la catégorie des Sommistes, mais dont les œuvres semées d’anecdotes, de souvenirs personnels, de discussions théologiques, où l’exemple escorte la théorie, per exempta pariter et precepta, nous donnent de précieuses informations sur les maîtres et les doctrines des grandes écoles. Ce sont avant tout Giraud le Cambrien (1147-1223 environ) et Césaire de Heisterbach. Le premier, ancien étudiant de Paris, qui a connu Pierre le Mangeur et d’autres docteurs, nous laisse des pages toutes remplies de théologie et de droit canon. Sa Gemma ecclesiastica, surtout, présentée par l’auteur lui-même à Innocent III en 1197, De rébus a se gestis, III, 18, dans les Giraldi Cambrensis opéra, édit. Brewer, Rerum britannicarum medii sévi scriptores, Londres, 1862, t. XXI a, p. 119, dans une dédicace plutôt originale (présentant cdii libras, sed nos libros), eut un immense succès auprès du pape et de la cour romaine. Voir surtout les c. i, 1-11, 40-52, etc. ibid., t. xxi b, p. 12, 115, etc.

Le célèbre Césaire de Heisterbach, qui écrit un peu plus tard, fournit aussi quelques bons renseignements : on y assiste, entre autres, à l’introduction des doctrines de l’école dans le clergé paroissial, les cloîtres et le troupeau des fidèles. Voir la dist. IX qui résume d’abord l’enseignement des docteurs sur l’eucharistie, puis le confirme, comme Girauld, par des exemples. Prologus, édit. J. Strange, Cologne, Bonn, 1851, t. ii, p. 164 sq.

A la série des exposés systématiques des Sentenciers se rattachent les écrits des polémistes qui s’en prennent, souvent avec une injuste acrimonie, aux idées des théologiens dialectiques. Il faut citer ici, outre Gautier de SaintVictor, Contra quatuor labifrintos Franciæ, voir plus loin, qui écrit peu après le concile de Latran (1179), la controverse de Folmar, de l’abbaye de Triefenstein (Petra Stillans) dans le diocèse de Wurzbourg, le long du Main. Elle se produit vers l’année 1160 et prend fin peu après 1164, puisque Éberhard I', archevêque de Salzbourg, est mort depuis peu (1164), quand Folmar écrit sa rétractation. Episl., V, P. L., t. cxciv, col. 485 ; cf. Hauck, Kirchengeschichle Deutschlands, 1903, t. iv, p. 443

415 ; Kaltner, Folmar von Triefenstein, dans Tiibinger tlieotogische Quartalschrifl, 1883, t. lxv, p. 523-552 ; Bach, Dogmengeschichie des Miitelalters, t. i, p. 398, 432, etc. Cette controverse met aux prises, outre Folmar, tout le groupe des polémistes de Reichersberg qui portent une attention toujours en éveil sur les travaux et les assertions des théologiens dialectiques des écoles de Paris, Episl., xv, xvii, etc., de Gerhoch de Reichersberg, son frère Arno, peut-être Hudiger, im autre de ses frères, ou un inconnu, R…, outre Ébcrhard I « f de Salzbourg, Éberhard II de Bamberg, etc. Voir une partie du dossier épistolaire de toute cette polémique qui agite les centres monastiques et épiscopaux de la Bavière et de la Franconie, dans Gretser, Opéra, t. xii b, p. 100 sq. ; ou dans P. L., t. cxciv, col. 1481-1490 ; les lettres v, vir, VIII, XIII, etc., parmi la correspondance de Gerhoch de Reichersberg, P.L., t. cxciii, col. 494, etc. ; le Liber de gloria et honore Filii hominis, -x.iu, xiy, etc., P. L., t. CXCIV, col. 1117, etc. : VApologeticus contra Folmarum d’Arno de Reichersberg, édit. Weichert Leipzig, 1888, etc.

Formé probablement par les ouvrages de Pierre Lombard, dont Gerhoch l’accuse gratuitement de dépendre pour une de ses erreurs, Episl., xv, P. L., t. cxciii, col. 547, et en tout cas par la lecture d’un Sentencier dialecticien qui n’a pu être identifié jusqu’ici, mais qui admet dans le Christ les trois natures dont parle saint Jean Damascène, De fide orthodoxa, m, 16, P.G., t.xciv, col.l068(voir la lettre d’Éberhard de Bamberg à Éberhard de Salzbourg, dans les œuvres de Gerhoch, Epist., viii, P. L., t. cxciii, col. 502503), Folmar admettait que, si le Christ était dit se trouver dans toute son intégrité présent sous les espèces, il fallait entendre cette formule non de son corps, mais de sa personne ; pour lui, la chair seule sans le sang ni les os était présente sous les espèces du pain, et le sang seul sans la chair, sous le vin : Sotam carnem purani Christi sine ossibiis sine membris corporalibus. Epist., v, P. L., t. cxciv, col. 1482 ; viii, P. L., t. cxcni, col. 500-503. Cette assertion qui s’appuyait, dans un effrayant littéralisme, sur un texte de saint Jean, vi, 54, Episl., viii, P. L., ex ciii, col. 502, et sur une citation fautive d’Augustin, Epist., cLxxxvii, 3, n. 10, dans le Liber de gloria et honore Filii hominis, xiv, P. L., t. cxciv, col., 1121, etc., se rattachait à sa conception de la présence du Christ localisée au ciel. Ibid., xiii, col. 1117. Mais F’olmarne renouvelait pas l’erreur de Bérengcr, comme le lui reprochent sans fondement Gerhoch : blasphémas Herengarii pedisequiis, aller Berengarins, ibid., xiii, XIV, col. 1117, 1123, et Bach, op. cit., t. i, p. 405 ; sa lettre dit clairement qu’il admettait la présence réelle par la conversion, P. L., t. cxciv, col. 1481, mais le vrai corps du Christ, présent dans l’eucharistie, ne l’était pas, d’après lui, dans toute sa plénitude ; celle-ci n’existait qu’au ciel. Par suite, dans une hostie, contenue dans un ciboire, il y avait moins du corps du (Christ que dans une grande hostie sur l’autel : quasi minus in eucharistiali quam in spalioso allari corpus Domini comprehendi possil. Episl., viii, P. L., t. ex ciii, col. 502.

Les accusations d’ubiquisine (du Plessis d’Argentrc, Collcclio judiciorum, t. i, p. 110) ne semblent pas fondées ; I-’olmar les retourne, du reste, contre ses adversaires. Cf..rno, op. cit., p. Ifil. L’adoration de l’humanité du Clirist intervenait dans la discussion comme corollaire, mais elle n’est, en somme, qu’un écho des vives controverses de ces mêmes polémisles sur la christologie, Epist., su, xv, etc., /’. L., t. exeni, col. 497, 547 ; Liber de gloria, etc., xix, P. L., t. exeiv, col. 1143, etc., dont r.MhMungno, la I-’rance, P.omc et l’Italie auront à s’occuper jusqu’au triomphe défi nitif du livre des Sentences. Grâce surtout à Éberhard de Bamberg qui réunit une conférence dans sa ville épiscopale, Folmar reconnut son erreur, Epist., VIII, P. L., t. exeiii, col. 500 sq., et fit une profession complète de foi dont les termes sont orthodoxes. Epist., V, P. L., t. CXCIV, col. 1485-1486.

Gerhoch de Reichersberg (1169), qui compare un moment son rôle à celui de saint Bernard (nos qui velul exploratorcs ab uno domino missi sumus, épître dédicatoirc du Libellus de eo quod princeps hujus mundi jam judicalus sit, dans Monumenta Gcmmnise hislorica. Libelli de lite, t. iii, p. 241), eut à soutenir des polémiques, au sujet du sacrement de l’eucharistie, avec d’autres qu’avec Folmar de Triefenstein. Cette fois, ce sont ses propres idées qui fvirent en cause. S’appuyant sur une distinction entre les formules sacramentelles qui portent sur un objet inanimé (pain et viii, saint chrême) et celles qui s’adressent à un être animé (comme dans le baptême ou l’ordination), il nie la validité de l’eucharistie chez les prêtres schismatiques, car Vinlenlio catholica ne peut pas intervenir là comme chez le récipiendaire du baptême ou de l’ordre. Il n’y a pas lieu de nous attarder sur le développement de ces polémiques qui ne constituent qu’un chapitre des controverses sur la valeur des sacrements en général à l’époque des investitures. Disons seulement que Gerhoch défendit ses idées jusqu’en cour de Rome (1133) et écrivit sur la matière le traité De simoniacis, P. L., t. cxciv, col. 1335 ; Monumenta Germanise hislorica. Libelli de lite, etc., t. iii, p. 240 sq. ; il le dédia à saint Bernard qu’il n’avait pu personnellement entretenir sur ce sujet à la diète de Bamberg (en 1135) ; son avis était, du reste, partagé par plusieurs hauts personnages ecclésiastiques. Voir Epislola ad Innocenlium, Monumenta Germanise hislorica, ibid., p. 225 ; Liber contra duas hæreses, P. L., t. cxc.iii, col. 1170 ; Episl., xxi, ibid., col. 577 ; Liber de simoniacis ou Libellus de eo quod princeps hujus mundi, etc., Monumenta Germanise hislorica, ibid., p. 262, 267268. Cf. aussi le Commentarius aureus super psalmos, vers 1145, pour les ps. x-xxv, dans Monumenta Germanise hislorica, ibid., p. 413-428 ; P. L., t. excm, col. 1025, ps. XXI, 19.

4. Innocent IIL — La lignée des maîtres en l’une et l’autre branche se ferme par un nom célèbre entre tous qui résume tous ses prédécesseurs, car dans l’histoire du dogme, de la théologie et du droit canon, l’œuvre de Lothaire de Segni (Innocent III. f 1216), sinon ses écrits proprement dits, prennent une idace considérable : il fait vraiment époque et par les tléflnitions du concile de Lalran, et par la législation canonique à laquelle son nom est resté attaché. Le traité dont il faut jiarler ici et dans lequel se résume tout l’enseignement scolaire précédent, est une étude liturgique : De sacra allaris mystcrio libri scx, P. L., t. eexvii, col. 773 916. entremêlée de théologie et dont le succès fut brillant à travers les âges.

Remarquons toutefois qu’une édition critique serait à faire : il y a des interpolations évidentes comme celle du c. xvii, 1. IV, col. 868, où intervient le frère Égide (Gilles de Rome) avec les mots ex naturali roncomilantia. Cf. Aigidii Columnse theorenmla de corpore Christi, Rome, 1554, prop. i., p. 37, etc. où le mot intervient souvent. Le De sacro allaris mtistcrio a dû être composé avant 1198, date de l’élévation de son auteur au souverain pontificat, car les soucis de cette charge ne lui en auraient plus laissé le temps, l’ne allusion fort claire à la participation des cardinaux à la messe pontificale confinue l’idée de IVtirht qui date l’ouvrage de répocpie où Lothaire de Segni était lui-même cardinal à Rome. f>p. cit.. 1. IV, c. xx. col. 874 ; Pealenrgclopddir, t. ix, p. 11). Au (’ébut du I. IV, col. 851, Innocent III interrompt brusquement la série

de ses paraphrases des prières liturgiques, ou la description des cérémonies de la messe qui commence avec le 1. II, pour donner une longue étude dogmatique sur l’eutharistie, col. 851-885. Il la fait débuter aussitôt qu’il a terminé l’explication de la prière du canon : ut fiai corpus et sanguis dileclissimi Filii lui Jesu Christi, col. 852, et y intercale la paraphrase des paroles qui se prononcent depuis cet endroit jusqu’aux mots : Unde et memorcs, avec lesquels s’ouvre le 1. V, col. 885. Des passages plus ou moins longs de cette œuvre se retrouvent reproduits dans les lettres d’Innocent III, comme dans celle à l’archevêque de Lvon démissionnaire, .Jean de J3elesmes, £’p !.'>7., v, 121, 29 novembre 1202, P. L., t. ccxiv, col. 1119, 1121. Cf. De sacro altaris mystcrio, 1. IV, c. v, ix.

A part les traités écrits contre Bérenger, c’est peut-être la plus longue œuvre dogmatique de toute cette époque sur l’eucharistie. Elle a sans doute des parties originales, mais fidèle à la tradition scolaire, l’auteur suit de près ses devanciers, tels que Hugues de Saint-Victor, à qui il fait des emprunts qui s’appelleraient aujourd’hui de vrais plagiats. La suite des chapitres accuse des répétitions inutiles, des manques de logique dans l’ordre, etc., où se trahit la diversité des emprunts et des modèles ; mais une étude détaillée des sources est encore à faire. Innocent III examine successivement les figures anciennes de l’eucharistie, c. ii ; sa matière, pain et viii, azyme, c. iii, iv ; sa forme actuelle et à la dernière cène, c. v, vi ; la vérité de la présence réelle, c. vu ; la présence sous l’hostie divisée, c. VIII, IX ; la communion des apôtres et de Judas, c. XII, XIII ; la double manducation, c. xiv, et la permanence du sacrement après la communion, c. xv, XVI. Ici commence un long passage sur la transsubstantiation, c. xvii-xxi ; puis quelques cas de rubriques, pain sans viii, vin oublié, etc., c. xxii-xxv. Avec les c. xxvi-xxviii, XXXV, xli, xliii (de hora institutionis ) recommence la paraphrase du canon : postquam cœnatum est, entrecoupée de questions théologiques sur la conversion de Vaqua cum vino, vinum sine aqua, etc., sur la raison d’être de l’espèce du pain et du vin, etc., c. xxix-xxxiv, sur le sacramentum et res sacramenti et les questions connexes, c. xxxvi-xl. Enfin, un dernier chapitre, xliv, donne les motifs de l’institution. On peut dire que, si les idées développées dans le De sacro altaris mysterio d’Innocent III sont le résultat de tout un siècle de recherches et d’études, leur expression même matérielle est le résumé, disons mieux, le reflet ou l’écho fidèle des principaux représentants de l’enseignement théolog ique du xii « e siècle. Si le commentaire sur les Sentences, que lui attribue le carme LouisJacques de Saint-Charles, Bibliolheca pontificia, Lyon, 1643, 1. I, p. 117, sur la foi de Possevin, ne peut se retrouver, la perte est sûrement compensée pour le chapitre de l’eucharistie par cet ample traité De sacro altaris mysterio.

II. Doctrine contenue dans ces sources.

I. sa

    1. TEBMINOLOGIB EN PROCHES##


TEBMINOLOGIB EN PROCHES. ARGVMENT PATRISTIQL’E. DÉFINITION DE L’EVCHABISTIE DANS LA SÉRIE DES SACRE MENi’S. — De l’examen de ces nombreux traités généraux ou particuliers qui se succèdent au xiie siècle, se dégage une première constatation : le progrès constant de la terminologie qui va se fixant. Alger de Liège, op. cit., I, 5, 17, P. L., t. CLxxx, col. 752, 791, avait déjà fait remarquer les confusions qui surgissent de l’emploi d’un vocabulaire mal défini et tout ce qui a été dit à ce moment sur le sacramentum, etc., confirme sa remarque. Petit à petit les mots prennent non seulement un sens plus précis qui écarte les synonymes et les expressions tâtonnantes, mais, en outre, on en crée de nouveaux, tel celui de Iranssubslantialio dont on parlera plus bas. Les espèces du pain et du vin désignées d’une manière fort différente :

forma, Alger, i, 9, col. 760 ; Pierre le Vénérable, t.cLxxxix, col. 803 ; Rob. Pulleyn, t. clxxxvi, col. 967 ; Innocent 111, 1. IV, c.ix, P. L., t. ccxvii, col. 862, etc. ; figura (passim) ; s pecies, Wger, ii, 1, col. 809 ; Rob. Pulleyn, col. 967 ; Grégoire de Bergame, c. xxx, p. 116, etc. ; qualilas naturæ, qualilates occidentales, Alger, 1, 7, col. 757, 810 ; Grégoire de Bergame, c. xxi, p. 85 ; Arnoul de Rochester, d’Achery, Spicilegium, t. ii, p. 441 ; Rob. Pulleyn, col. 967, etc. ; proprietales, Rob. Pulleyn, col. 966 ; Pierre de Poitiers, 1. V, cxii, P. L., t. ccxi, col. 1247, etc., marquent une tendance, qui s’affirme de plus en plus, à préférer le mot de species et mieux d’accidentia. Guitmond l’emploie déjà, II, P. L., t. cxLix, col. 1450 ; Guillaume de Saint-Thierry, P. L., t. CLxxx, col. 343 ; Hildebert ( ?), accidentia sine subjecto, P. L., t. CLXxi, col. 1153 ; Baudouin de Canterbury, P. L., t. cciv, col. 771 ; Pierre de Blois, P. L., t. ccvii, col. 420 ; Etienne de Tournai, De consecralione, 1. II, c. xxxii, p. 272 ; Alain de Lille, Pierre de Poitiers, etc., avant eux Pierre Lombard et Gratien, passim. Ce mot finira par dominer exclusivement. Le terme de forma qui s’appliquait souvent à l’ensemble du rite consécratoire ou à la matière et à la forme, voire même au ministre : par exemple, Giraud le Cambrien, Gemma ecclesiastica, i, 8, p. 26-28 ; Césaire d’Heisterbach, D(n/o(7 ! îs, ix, 1, p. 166 ; Rufin, op. cit., p. 551 ; Innocent III, 1. IV, vi, viii, P. L., t. ccxvii, col. 859, 861 ; Pierre de Poitiers, Hœc attenditur in rébus et in verbis, 1. V, c.xi, P. L., t. ccxi, col. 1243, commence à désigner purement les formules : hoc est.., hic es<, c’est-à-direce qui, depuis Guillaume d’Auxerre, sera appelé désormais dans le langage technique la « forme » du sacrement. Il en va même avec le mot materia. En même temps se précisent les divers sens que peut revêtir le mot conversio et l’on écarte ceux qui ne correspondent pas à la réalité de la conversion eucharistique. Sans doute, ce travail ne se fait pas sans tâtonnements ; il s’y mêle des qualificatifs qui ne sont pas toujours heureux, ou des comparaisons qui manquent totalement de justesse, comme dans la lettre d’Hildegarde au clergé de Mayence, voir plus loin ; mais sous l’expression hésitante ou l’explication incomplète, la vraie croyance à la chose se laisse apercevoir sûrement.

L’ordre même et la disposition d’ensemble ou de détail des traités doit trop se débattre contre la fascination des anciens textes qui se présentent auréolés par les siècles, ou contre l’attrait des discussions polémiques, surannées ou actuelles, qui veulent être enregistrées, pour qu’un Magister divinitatis consente à les omettre sans engager sa réputation. De là, entre autres causes, des digressions, des répétitions, des longueurs, aussi bien à la fin qu’au début du siècle. Il faut attendre une main vigoureuse, au service d’un esprit puissant, pour étreindre tout cela en une systématisation parfaitement logique ; le xiii* siècle y sera aidé d’ailleurs par l’assoupissement de certaines questions fort agitées auparavant.

La documentation patristique est abondante assurément, principalement dans les traités antibérengariens, les collections canoniques de Gratien, d’Yves, d’Alger, etc., chez quelques Sommistes qui utilisent ces divers dossiers. Remarquons la survivance des principaux textes du Liber de corpore et sanguine Domini d’Hériger de Lobbes, jadis attribué à Gerbert ; cf. dom Morin, Les Dicta d’Hériger de Lobbes sur l’eucharistie, dans la Revue bénédictine, 1908, t. xxv, p. 1-18, qui lui-même puise dans Paschase Radbert, J. Ernst, Die Lehre des hl. Paschasius Radbertus von der Eucharistie, Fribourg-en-Brisgau, 1896, p. 27, et celui-ci est dépendant de Fauste de Riez, cité sous le nom d’Eusèbe d’Émèse. Ibid., p. 36 ; P. L., t. xxx, col. 271.

1269

EUCHARISTIE AU XIP SIÈCLE EN OCCIDENT

1270

On retrouve ces textes de Paschase et d’Hériger un peu partout, dans les traités particuliers, dans les collections canoniques, chez les Sommistes, parfois avec des attributions différentes qui hésitent entre Eusèbe d’Émèse et saint Augustin. Ils reparaîtront encore au xive siècle dans les Quodlibeta de Guillaume Occam et ailleurs.

Il va sans dire que l’authenticité de tous ces textes qui constituent le dossier patristique de l’eucharistie n’est pas à l’abri de soupçon, pour ne pas dire davantage : telle la citation de saint Jérôme dans le Tractalus contra amaurianos sur la présence de Jésus-Christ dans toutes les parties. Op. cit., p. 59, c. XI. Cf. aussi De consecratione, dist. II, c. 77, et la note des correctores romani. Il serait prématuré de vouloir retrouver au xiie siècle l’acribie dont se pique le xix^ ou le xxe siècle. A propos de la documentation patristique, notons aussi l’insistance à écarter les contrahetates entre les expressions ; elle dénote le trouble des esprits devant certaines formules qu’à première vue ils ne pouvaient harmoniser : Videat quomodo se expédiât de sententiis Patrum quas subjicimus. On peut voir, par exemple, Guillaume de Saint-Thierry, De sacramento altaris, xii, P. L., t. cLxxx, col. 362 : considerare libet… cur super hac re in sanctorum Patrum tractatibus reperiuntur tam dubiæ sententiæ et tam scrupulosæ et quse… contrariée videantur. Cf. c. xi, col. 359. Cette insistance s’étend, du reste, à toutes les matières théologiques ou canoniques et fait créer la formule : non sunt adversi, sed diversi. Hugues Métel, Gerhoch deReichersberg, Arno de Reichersberg, Robert de Melun dans la préface du manuscrit de Bruges, etc. Alger avait dit, op. cit., I, 17, P. L., t. cLxxx, col. 790 : varie loquuntur sed non contrarie. Certains procédés d’exégèse sont à noter aussi, dont la formule, souvent exacte, donne occasion, cependant, à des applications maladroites : tels les axiomes sur le double ou le triple corps du Christ, qui se ressentent des règles de Tyconius jamais ou rarement nommé (par exemple, dans Innocent III, op. cit., 1. IV, c. xvii, P.L., t. ccxvii, col. 869), ou des idées d’Amalaire (désormais Sergius râpe). Enfin, les textes d’Augustin sur la double manducation du corps du Christ ont une interprctalion qu’on peut appeler classique et qui se retrouve chez la majorité ou la totalité des auteurs théologiques.

Dans le grand effort de systématisation qui caractérise les deux derniers tiers du xiie siècle, les recherches sur la définition du sacramentum et son application à nos sept rites attirent tout de suite l’attention. Outre les attaques soulevées par les bércngaricns et leurs successeurs, qui tous abusaient du mot sacramentum, figura ou mysterium, pour nier la vérité de la présence du corps de Jésus-tLhrist, cf. Guitmond, op. cit., ii, P.L., L cxLix, col. 1454, 1455, 1461 ; Alger, op. c//., I, 4, P. L., t. CLXXX, col. 751 ; Grégoire de Bergamc, etc., c. xi, p. 43, les difficultés d’une systématisation poussée avec logique jusqu’au bout du classement se faisaient spécialement sentir, surtout pour la pénitence, le mariage et l’eucharistie, par exemple, Alger, I, 8, P. L., t. clxxx, col. 760 sq., sur l’eucharistie et ses rapports avec les autres sacrements, Guillaume de Saint-Thierni-, op. cit., ix, xii, P. L., t. clxxx, col. 355, 362, sur le corpus triplex et allusion à la règle de Tyconius. Sans doute, les préoccupations trop exclusivement dialecticiennes de ces Sommistes provoquent à bon droit le reproche d’une subtilité à courte vue ; néanmoins, la chose n’allait pas sans soulever un probU’me : tout sacrement étant le signe de quelque chose, la forma visihilis d’une autre chose invisible, de quoi le corps du Christ tst-il la figure ? Comment est-il signe, puisqu’il est invisible ? Voir, par exemple, Alger, op. cit., I, 4, 5, ibid.,

col. 751, 752 sq. Comment peut-il être signe, puisqu’il

I est mysteriuml N’est-il qu’un sacrum secretuml La ! difficulté grossissait encore par suite des idées régnantes chez les canonistes, dont la plupart, à un moment donné (et Hugues de Saint-Victor, en parlant du baptême, ou dans sa définition même du sacrement. De sacramentis, 1. I, part. IX, 2, P. L., t. clxxvi, col. 317, est dans ce courant d’opinion ; voir aussi la Summa sententiarum, V, 4, ibid., col. 129), voient dans l’objet matériel lui-même le sacramentum. On peut consulter utilement à ce sujet Pourrai, La théologie sacramentaire, Paris, 1907, p. 36, etc.

On peut voir dans Roland, édit. Gietl, p. 215, 216, l’application de la triple définition du sacrement à l’eucharistie : 1. sacrée rei signum, le pain et le vin sont le sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ ; la res sacramenti est son corps ou aussi l’Église ; 2. visibile signum invisibilis gratiæ, ceci se rapporte à l’union entre le Christ et l’Église p ; ir la sainte communion ; le sacramentum est la visibilis Christi corporis assumptio, la res sacramenti est l’invisibilis unio entre le Christ et son Église, ou la grâce, ou la rémission des péchés ; 3. sacrum secrelum, cette définition ne comporte que la res sacramenti, c’est-à-dire le corps du Christ.

Des idées analogues se rencontrent chez Hugues de Saint-Victor qui, en restant fidèle à sa définition et à sa théorie des éléments sacramentels, De sacramentis, 1. I, part. IX, 2, P. L., t. clxxvi, col. 317, distingue trois choses dans l’eucharistie : species yis/èiVes, c’est-à-dire le pain et le vin ; veritas corporis, c’est-à-dire le corps invisible du Christ ; virlus gratiæ spiritualis, la grâce que nous recevons avec ce corps. Ce que nous voyons est le sacramentum et imago illius quod crcditur secundum corporis veritatem et qund creditur secundum corporis veritatem sacramentum est illius quod percipitur secundum gratiam spiritualem, et plus loin : in primo… signum secundi, in secundo causa tertii, in tertio viilus secundi et veritas primi. De sacramentis, 1. II, part. VIII, 7, P. L., t. ccxxvi, col. 466-467.

La Summa donne à ces idées une expression plus nette, en désignant ces trois éléments sous le nom de sacramentum et non res, res et sacramentum, res lantum. Celle-ci est Vunitas capilis et membrorum qui s’aj)pelle aussi virlus ou spirilucdis caro Christi, Summa sententiarum, VI, 3, P. L., t. clxxvi, col. 140 ; elle est suivie ou même copiée par les Sententiæ divinitatis, édit. Gcyer, p. 135.

Pierre Lombard, après avoir distingué une double res sous les species, à savoir, le corps du Christ (res contenta et significala) et l’unité de l’Église (res significata et non contenta), adopte la même terminologie que la Summa sententiarum et lui donne pour l’avenir une consécration à peu près ofîlcielle. Dist. VIII, n. 4. Pierre de Poitiers répète, ici comme souvent ailleurs, le Magisler, I. V, disl. X, t. ccxi, col. 1241-1242. Alain de Lille ne s’étend pas sur cette division, cf. ce qu’il dit incidemment dans son Scrm., iii, P. L., l. ccx, col. 204 ; par contre, Innocent III emprunte largement l’idée et l’expression à Hugues et à Pierre Lombard. Op. cit., I. IV, c. xxxvi, P. L., t. ccxvii, col. 879. Plus loin, il a un paragraphe sur le sens du mot sacramentum : active et passive dicitur, qu’il applique à l’eucharistie. Op.fi/., 1. IV, c. xxix, col. 881. On peut voir aussi les déflnilions des dictionnaires théologiques déjà cités, par exemple, parmi ceux qui sont imprimés, Alain de Lille, /’. L., t. ccx, col. 929 030, ou la définition de Gandulphe de Bologne (ms. de Turin, A S7 et A 115) et des autres abréviateurs du Lombard, ou des polémistes comme Gerhoch de Reichersberg. Hpistola ad Jnnoccnlium. Monumenta Germaniw historien, ibid., p. 223, 267, etc.' -2

II. DOCTRINE DE LA PRÉSENCE RÉELLE. 1° Soil

affirmation. — La présence réelle est affirmée chez tous avec une netteté qui ne laisse place à aucun doute. L’allure générale même du plan et des chapitres donne plus de force î » cette affirmation. La plupart n’introduisent pas ex professa une « thèse » sur la présence réelle ; Roland Bandinelli, nous l’avons déjà dit, est un des rares qui fassent exception. Les autres se contentent d’apporter quelques témoignages scripturaires ou patristiques, en guise de réfutation contre ceux qui ont attaqué ce dogme ; souvent la réfutation prend du développement. Les paroles du Christ dans l’institution et dans la promesse sont fréquemment invoquées.

Rubert de Deutz a été calomnié, quand on l’a représenté comme favorable à l’erreur des sacramentaires. Wycliff lui a fait le reproche d’enseigner une présence du Christ dans l’eucharistie per figiiram. On peut voir dans VApologia Ruperti de Gerberon, Paris, 1669, P. L., t. clxvii, col. 108-123, les textes qui nous donnent l’expression de sa foi orthodoxe. Citons seulement sa lettre dédicatoire à Cunon de Ratisbonne, mise en tête de son commentaire sur saint Jean, dans l’édition de Cologne et de Nuremberg (1526) et reproduite par Migne, P. L., t. clxix, col. 201, grâce à une copie envoyée par Denzinger. Il s’y élève expressément contre l’erreur bérengariennc. Des passages de son De divinis officiis, tels que I, 6, 17, P. L., t. cLxx, col. 15, 21, où il a le texte /ère ôa^ur in…, ne permettent pas non plus une interprétation contraire à la présence réelle, comme Rocholl le reconnaît dans la Realencyklopàdie, t. xvii, p. 240. Ajoutons-y encore sa discussion avec un scholasticus magnie œstimalionis, qui arguë contre lui de la communion de Judas, pour nier la présence réelle. Super quædani capitula S. Bcnedicti, P. L., t. clxx, col. 495.

2 Questions corollaires. — 1. Présence sous chaque espèce, sous chaque fragment. — Fidèles à la tradition si fortement inculquée par Paschase Radbert au ixe siècle et reprise avec ardeur parles adversaires de Bérenger, la plupart des auteurs mettent de l’insistance à affirmer l’identité du corps présent dans l’eucharistie avec celui qui est né de la Vierge Marie, qui a été attaché à la croix, qui est monté au ciel. Il faudrait citer ici tous les écrits, ou peu s’en faut ; sommistes, auteurs ascétiques, mystiques ou populaires sont unanimes.

Le Christ est reçu tout entier par tous, integer accipitur, comme le dit Graticn, De consecratione, dist. II, c. 70, 75. Il est présent tout entier dans chaque partie, sovis chaque espèce et chacun le reçoit en entier ; c’est un point de doctrine sur lequel on constate le soin des maîtres et des pasteurs à prévenir les idées fausses, par exemple, Summa sententiarum, VI, 6, P. L., t. CLXxvi, col. 142 ; Honoré d’Autun, Elucidarium, I, 28, P. L., t. clxxii, col. 1129 ; Eucharistion, I, 3, 5, col. 1250, 1252, 1253 : nec particulam de corpore præcidens, etc. ; Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, 1. II, part. VIII, 11, P. L., t. cLxxvi, col. 469 ; Sententiæ divinitatis, v, édit. Geyer, p. 137, 138, qui réfute la solution donnée par Roland, celui-ci n’admet pas qu’on reçoive l’âme du Christ : licet corpus animcUum suscipiatur, op. cit., édit. Gietl, p. 227 ; Hugues de Rouen, Dialogorum libri VII, 1. V, 15, P. L., t. cxcir, col. 1210 ; Robert Pulleyn, Sententiæ, iii, 5, P. L., t. clxxxvi, col. 966 ; Pierre Lombard, 1. IV, dist. XI, n. 6 ; dist. XII, n. 5, etc. ; la lettre de saint Anselme a déjà été mentionnée plus haut, P. L., t. CLVii, col. 255, ainsi que celle d’Arnould de Rochester, Spicilegium de d’Acherj% t. II, p. 441, et le court mais substantiel passage de Guillaume de Champeaux, P. L., t. clxiii, col. 1039,

ou d’Anselme de Laon, op. cit., p. 12, 10. Nous ne rappelons que pour mémoire le cas isolé de lolmar de Triefenstein, qui partait d’un littéralisme effrayant dans l’exégèse des formules eucharistiques, pour ne voir dans l’hostie que la seule chair sans les os et dans le vin que le sang. Epist., i, P. L., t. cxciv, col. 1481 ; Epixt., viii, P. L., t. cxciii, col. 500-503.

La comparaison du miroir brisé dont chaque fragment reproduit la même image se rencontre fréquemment ; Innocent III l’applique à la question de la présence du Christ dans chaque parcelle de l’hostie avant la fraction, op. cit., 1. IV, c. viii, P. L., t. ccxvii, col. 861 ; le même auteur est formel sur la présence du Christ sous les deux espèces, dite ensuite (car ces mots attribués à frère Égide sont une interpolation évidente)ex naturali concomitantia. Op. cit., 1. IV, c.xvir, col. 868. Il y a, à cet endroit, une note intéressante sur les divers avis à propos du moment même de la consécration : le corps ne pouvant exister sans le sang, ni sans l’âme, c’est donc avec les paroles : hoc est… corpus meum, que la présence réelle se produit. Voir plus loin.

2. Objections contre cette présence multipliée.

La difficulté, issue de la présence multipliée du Christ et si souvent invoquée par Bérenger et les sectes hérétiques, a été touchée par divers auteurs. Citons, entre autres. Honoré d’Autun, qui reflète, dans un langage populaire, les idées courantes de l’enseignement scolaire. Il se pose nettement la question : utrum Christus cdiud quam suum proprium substantivum corpus apostolis trudiderit ? an Ecclesia hodie cdiud et cdiud tune acceperit vclutrum a singulis sacerdotibussingtda corpora vel potius ab onmibus unum conficiatur ? an particulatim a populo vel totum ab uno quolibet comededur. Il y répond en affirmant que c’est bien le même corps, né de la Vierge, crucifié, présent au ciel, qui a été donné aux apôtres et qui est distribué aujourd’hui ; puis il continue : et licet singuli sacerdotes singulas hostias offerant, non tamen singukuia corpora, sed onmes unum, quamvis diverso tempore conficiant. Et licet oblatas in plurima frusta divident, non tamen partes sed singuli totum accipiunt. Alioquin si Christus semel divisus a populo comederetur, non essel quod denuo esurienti daretur aut lot essent Christi corpora, quoi sacerdotum sacrificia. La difficulté de ce mystère est au-dessus de la raison : quodque humana ratio probare non potest : catholica fides neminem sinit dubitare. Eucharistion, v, P. L., t. clxxii, col. 1252-1253. L’investigation cosmologique, on le voit, sur la présence locale ou illocale, n’est pas même effleurée. Plus satisfaisante à ce point de vue, car elle dénote un progrès réel, est une page attribuée à Hildebert du Mans (fort gratuitement, il faut le craindre, à cause de certaines expressions techniques qui accusent une date postérieure ; d’autre part, l’absence du mot transsubstantiation, si fréquent déjà vers 1180-1200, ne permettrait pas de dépasser la limite du xiie siècle), sur la présence du corps de Christ, à la manière d’un esprit, d’une façon incircumscriptible, partout à la fois, sans qu’il faille rechercher sous quelle parcelle de l’hostie se trouve telle partie du corps, etc. ; toutes ces questions peuvent se faire juxta modum cxistendi qui comilatur naturairi, non cmtem circa ecmi quæ virtutem sequitur divinam. Le corps du Christ, en effet, est secundum aliquid ibi corporalitcr proplcr veram corporis naturam et sacramenti, ut dictum est, formam et propter quemdam cxistendi modum, secundum aliquid vero incorporaliter, quantum videlicet ad actum sentiendi (c’est-à-dire sensus nostri pcrccptioncm. comme il l’a dit plus haut) et modum quemdam cxistendi. Breuis tractatus de sacramento altcuis, P. L., t. clxxi, col. 1151, 1152. Puis il se rejette sur la supériorité de ces mystères sur la raison, qui doit ici non pas précéder,

mais suivre la foi et il achève en disant : potissimum vero circa hoc sacramentum suum experitur et agnoscil defeclum omninwdo, nisi quia vel hoc videt esse ralionabile ut in Dei secrelis homini ad crcdendum traditis quod penetrari non potest ratione, non tawen excidat a fide. Ibid., col. 1154. Hugues de Saint-Victor, qui a ici de fort judicieuses réflexions sur l’incapacité de la raison humaine à tout comprendre, reste fort en deçà de ces lignes de Hildebert, dans son c. xi, De sacramentis, 1. II, part. VIII, P.L., t. clxxvi, col. 469, mais les expressions qu’il emploie dans le c. xiii sur la présence corporelle momentanée du Christ, chaque fois qu’il vient en nous, sont des plus justes et peu fréquemment rencontrées. P. L., t. clxxvi, col. 470. La Summa sententiaruni ne dit rien de cette matière. Les Sententiae divinitatis se contentent de dire à propos de la triple fraction : et iamen non sunt très Christi sed unns Christus, à la manière du Qnicunique, pour la Trinité, édit. Geycr, p. 138. UEpilome d’un disciple d’Abélard est non moins bref, et, à part l’allusion à la forma in aère, orthodoxe, c. xxix, P. L., t. clxxviii, col. 1743. Pierre Lombard a entrevu la diffîculté à propos du sacrifice de la messe, mais n’y insiste nullement, 1. IV, dist. XII, 7. Roland également se contente de l’affîmiation de la doctrine, édit. Gietl, p. 222.

Robert PuUeyn s’étend un peu plus sur les merveilles de cette présence et la toute-puissance divine qui a fait d’autres merveilles. Sententiæ, VIII, 4, P. L., t. cLxxxvi, col. 965. Hugues de Rouen affirme toutes les caractéristiques de cette présence mulli pliée simultanément en tous les endroits, sans diminution ni augmentation de ce corps, etc. ; mais comme réponse à la difficulté, il se contente de dire : transcendit communem moreni creatæ substantise. Dialogorum libri Xll, 1. V, 15 P. L., t. cxcii, col. 1210. C’est de cette même dilTiculté que profite Pierre de Poitiers pour donner carrière à ses tendances dialecticiennes ; mais s’il ne dépasse guère ses prédécesseurs dans l’analyse métaphysique, il a sur eux l’avantage d’une plus grande précision dans le vocabulaire et il conclut : quod non est niiruin, narn sicut habuit singularem slalum beatiludinis, étions habuit singularem statum localitatis ; puis plus loin, eadem quoquc virtute (comme dans la naissance virginale, dans la résurrection, etc.), corpus suuni non breviutum, non diminutum in oris augustias recipere fccit, op. cit., ù’isX. XII, P. L., t. ccxi, co !. 1251, 1254 ; la multiplication de cette présence dépasse ix ses yeux toute explication. Alain de Lille parle, comme Pierre de Poitiers, du corjis du Christ déposé sur les lèvres des lidèles : cum jam sit glori/icatum, nec aliquam in loco distantiam jaciat. Contra lurreticos, I, 57, 58, P. L., t. ccx, col. 3, 59,.361. Innocent III n’en dit pas davantage. Op. cit., I. IV, c. xxvii, P. L., t. ccxvii, col. 875. Il recourt, comme Grégoire de Bergame, voir plus haut, à l’analogie de la parole humaine, dont le son remplit l’oreille de tous les auditeurs à la fois, ibid., col. 875, mais se pose la question en refusant d’y répondre : tntiits est in talibus dira rnliuncm subsisterc quum ultra ratinnem excedcre. Op. cit., IV, c. viii, /’. L., t. ccxvii, col. 861 ; voir aussi IV, c. xvi, ibid., col. 868. Il y a unanimité pour reconnaître que le corps échappe aux lois de l’espace ; mais les essais d’explication sont hésitants. Sur l’usage et le sens du mot localis, les pages d’Alger, correctes pour l’idée et d’niu’grande influence sur les écrivains ultérieurs, montrent combien les expressions devaient encore se fixer. De sacramento allaris, jualogus, P. L., t. CLXXX, col. 741. Voir aussi la note de Darwell Stone, A hisloryol thr doctrine of the hohj cucharist, Londres, 1909, t. I, p. 270, n. 4 ; l’on peut mellre en regard les lignes de Zacharias Clirysopolilanus, sur la présence du Christ, locnliter et invisibiliter in cœlo…, Deus illo calis, etc. Op. cit., IV, 156, P. L., t. clxxxvi, col. 507, 508.

3. Humanité et divinité. Adoration. — Sur la présence de l’humanité et de la divinité dans les espèces sacrées, le farouche polémiste antidialecticien des bords de l’Inn, Gerhoch de Reichersberg, a une’expression qui ne satisfait pas Eberhard de Bamberg, divinilas cum Iota humanilale voratur et qui occasionne des conflits. Sa place appartient plutôt à l’histoire des controverses christologiques qui sont si vives alors et dont cette formule renouvelle un moment l’intensité. EpisU, VII, de Gerhoch ; viii, d’Eberhard, etc., P. L., cxciii, col. 497, 504. Guillaume de Saint-Thierry avait été plus discret dans le choix de ses expressions. Op. cit., x, P. L., t. clxxx, col. 358.

L’adoration du Christ dans l’eucharistie, mise en question par Folmar, est également un corollaire de la christologie (voir plus haut) qui a si souvent provoqué la fécondité de la plume de Gerhoch : Schedulas domini G. quitus, jam omnes pscnc anguli lerræ repleii sunl, comme dit Eberhard. Epist., iii, P.L., t. cxciii, col. 500. Cf. Liber de glorificationc, etc., xin.

4. Fraction de l’hostie.

Parmi les autres questions qui se groupent autour de celle de la présence réelle, il en est deux encore, qui ont spécialement préoccupé l’attention du xiie siècle et y ont trouvé, après bien des tâtonnements, une solution satisfaisante dont a hérité la théologie catholique. L’une d’elles est celle de la fraction de l’hostie ; l’autre regarde la permanence de la présence réelle après la communion, ou dans les hosties tombées sur le sol, corrompues, mangées par les animaux, etc.

Le premier problème avait été angoissant à son heure, notamment chez certains partisans de Paschase dans la controverse contre Ratramne de Corbie, ou chez les tenants d’une interprétation trop grossière de la confession de foi imposée à Bérenger par le cardinal Humbert. Voir, par exemple, le texte cité plus haut de Zacharias Chrysopolitanus, In unum ex quatuor, IV, 156, P. L., t. clxxxvi, col. 508, ou l’expression de Roland Bandinelli, op. cit., p. 233 : quod videtur probari passe ex juramento… Bercngario privstito (à savoir que le corps même du Christ est divisé) ; les gloses imprimées du Décret permettent de refaire partiellement l’histoire de l’interprétation de cette formule. De consecratione, dist. II, c. 42.

Les recueils canoniques, qui, tous ou peu s’en faut, enregistrent désormais cette profession, comme ceux d’Yves de Chartres, Panormia, I, 126, P. L., t. clxi, col. 1072, ou de Gratien, De consecratione, dist. II, c. 42, 77 ; voir aussi c. 37, Dum hoslia frangitur, contribuaient d’ailleurs à perpétuer la question. Le même résultat était dû au prestige fascinateur du tri/orme corpus Domi ni, depuis qu’un copiste avait mis par erreur sous le patronage du pape Sergius un texte tombé jadis de la plume d’Amalaire et primitivement assez mal accueilli. Vacant, Le sacrifice de la messe dans la conception de l’Église latine, extrait de V Université catholique. Paris, 1894, p. 31, n. 2 ; il n’est guère de théologien, de canoniste ou de liturgiste qui ne l’invoque d’une certaine façon (voir plus liaut) ; à l’aurore du xiiie siècle. Innocent III reconnaît combien la question offre encore de difficultés : a paucis intctligi, dit-il. Op. cit., 1. IV, c. IX, /’. L., t. ccxvii, col. 861.

La réponse que lui apporte le Viclorin est exacte, mais n’expli<|ue rien : le corjis du Christ a l’air d’être divisé ; en réalité, il nv l’est pas, il est tout entier dans chaque partie ; Hugues se rejette sur la toute-puissance, non idco lalsumest quia nUrum est. Et verum est quia niiruni est, nec tamen sit mirum quia opus Dei est. Op. cit., I. H, part. VIII, 7, /’. L., t. clxxvi, col. 469. Pas un mol ici de la fraction des espèces :

Hugues a eu lio]) de timidité pour sortir d’une réserve que nous appellerions volontiers excessive.

A ce moment, du reste, les avis étaient fort partagés, comme ou peut en juger par le court morceau cité plus haut : De /rdclionc voijMiis Christi, dû à la plume d’uH polémiste plus véhément qu’éclairé, P. L., t. cLxvi, col. 1.341-1348, l’abbé Abbaud, qui s’en prend à Abélard ou aux dialecticiens de la théologie. Il ne veut pas entendre parler d’autre chose que d’une réelle fraction dans le corps même du Christ ; pas question d’une fraction dans les espèces seulement, ibid., col. 1347 ; il a accumulé les textes (quelques-uns se retrouvent, pour être réfutés, dans les Sententim divinilatis, édit. Geyer, p. 134 -.scd opponitur. .. ; dans Pierre Lombard, voir plus loin, qui les interprète autrement, etc.), et les preuves de la toute-puissance divine, etc., pour établir que l’affirmation simultanée de la fraction et de l’intégrité ne doit pas être regardée comme absolument contradictoire : ne ipsa fractionis et integritatis assertio omnino absurde judicetur. Ibid., col. 1346. On peut en rapprocher ce que dira Zacharias au début de la seconde moitié de ce siècle : lui aussi rapproche les antithèses : corpus… franyilur… tolum suscipitur et intègre…, incorruptibile est… dentibus atleritur, etc., op. cit., P. L., t. cLxxxvi, col. 508, et plus tard le fougueux Gauthier de Saint-Victor qui sera loin de la sage modération de son illustre prédécesseur, Hugues ; la polémique de ce dernier sera aussi vive qu’injuste contre les « quatre labyrinthes de la France » , comme il les appelle, surtout contre Abélard et contre Pierre Lombard. C’est à celui-ci qu’il s’en prend, 1. III, c. XI, et non à Abélard, comme le voulait Mabillon, Vetcra analecta, Paris, 1723, p. 54 ; le texte est dans les extraits de du Boulay, reproduits par Migne, P. L., t. cxcix, col. 1153-1154.

La Sunvna sententiarum, vi, 8, P. L., t. clxxvi, col. 144, qui nous renseigne sur les divers avis en présence et les appuis bibliques ou patristiques qu’ils invoquent, ne peut évidemment admettre que a fraction s’opère dans le corps du Christ ; elle ne peut sympathiser non plus avec ceux qui affirment qu’il n’y a là aucune fraction, mais simple apparence : (dit dicunt non est ibi fraclio, sed videtur tantiim et non est ; rapprochez-en la lettre déjà citée de saint Anselme, P. L., t. eux, col. 256 ; un dernier avis appuj’é d’un texte de saint Paul, I Cor., x, 16, semble avoir ses préférences : alii dicunt… fraclio non alicujus rei quse ibi sil (id est, panis) : formule bien imprécise encore pour tlésigner, si elle a un sens, la fraction des espèces. Cf. Mignon, op. cit.., t. ii, p. 180. Les Sententiee divinilatis, si souvent tributaires de la Sunvna sententiaruni, marquent plutôt un recul ; elles affirment avec saint Augustin et en s’appuyant sur la comparaison de la réfraction et du miroir, que le corps du Christ n’est pas rompu : videtur frangi… atteri et non frangitur. .. L’opinion de ceux qui disent : il y a fraction réelle, mais le corps reste impassible, cdii dicunt quod vere frangitur et irrcfrigibile remanel, quod niiraculum est, cf. Abbaud et Zacharias, /oc. c ; 7., est franchement repoussée, édit. Geyer, p. 134, 135.

Lu réponse de Roland, qui rejette toute traction réelle dans le corps du Christ, édit. Gietl, p. 233, 234, est plus satisfaisante : id est, fil ut cum primo tantum sub una specie essel jam incipit esse sab diversis speciebus ; frangitur enirn sacramentaliter et non essentiuliler : plus haut il a aussi la comparaison de la réfraction du bâton plongé dans l’eau, p. 223.

L’explication donnée par Ognibene, par l’anonyme de Saint-Fiorlan, édit. Gietl, p. 233, par VEpitome, c. XXIX, P. L., t. CLxxviii, col. 1742, se borne à affirmer une fraction apparente, nullement réelle, et à rejeter toute illusion, parce que cette apparence a

pour but notre salut ; même négation de Villusio par les Sententiæ divinilatis, loc. cit.

La vraie réponse devait être fournie par le Magistcr Pierre Lombard, 1. IV, dist. XII, 5, qui, cette fois, n’a pas de modèle connu. Baltzcr, op. cit., p. 134, le fait trop peu remarquer ; Pierre Lombard se contente si souvent d’enregistrer qu’il vaut bien la peine de constater ses titres d’originalité ; il est, du reste, réservé dans son affirmation : sane dici potest. Après avoir longuement enregistré les divers avis, selon son habitude, il continue : serf quia corpus Christi incorruptibile est, sane dici potest fraclio illa et partitio non in subslantia corporis sed in ipsa forma panis sacramentaliter fieri, ut vera fraclio et partitio sil ibi quse fit non in subslantia sed in sacramrnlo, id est, in specie. Comme expression, on ne pouvait être plus heureux. De son côté, Robert Pulleyn, Sententiee, VIII, 5, P. L., t. CLxxxvi, col. 966, 967, était arrivé à une exacte notion des choses ; une étude minutieuse des rapports entre le Lombard et le cardinal anglais pourra dire si le Magister l’a eu ici pour modèle : Hœc qualitas (à savoir du pain et du vin) frangendo et conterendo cditer varicUur, res ipsa quee sub specie latel nullo modo alleratur. Op. cit., P. L., t.CLxxxvi, col. 967.

Pierre de Poitiers, le fidèle disciple du Magisler, répète en d’autres mots la même idée, tout en constatant le nombre encore imposant des partisans que comptait l’interprétation grossière de la confession de Bérenger. Op. cit., 1. V, 12, P. L., t. ccxi, col. 1250.

L’expression d’Innocent III qui rejette l’explication trop facile, mais condamnable, de ceux qui maintiennent la présence du pain et du vin après la consécration, op. cit., 1. IV, 9, P. L., t. ccxvii, col. 861-862, consacre désormais la même idée : dicamus ergo quod forma panis frangitur et atleritur, sed Christus sumitur et comeditur, col. 862 ; puis il explique dans ce sens la profession de foi de Bérenger. Op. cit., 1. IV, 10, col. 862-863.

Alain de Lille répond de la même façon à l’objection des hérétiques tirée de la fraction du pain, op. cit., I, 57, P. L., t. ccx, col. 350 : potius ad formam panis refertur quam ad corpus Christi ; et plus loin : fraclio enim… non est in corpore Christi, sed in forma panis, 58, col. 361.

Chez les canonistes, Rufln, entre autres, avait donné la vraie solution à la difficulté suscitée par la profession de foi de Bérenger. Op. cit., De consecratione, dist., II, c. 42, 58, édit. Singer, p. 561.

5. Permanence de la présence réelle après la communion et en cas d’outrage. — Ce n’était pas en ces termes que se posait la question qu’il nous reste à examiner en ce moment. On lui donnait souvent un nom dont l’étymologie seule en dit assez : c’était celui de stercoranisme ; ou bien encore, l’on formulait en termes fort nets les interrogations suivantes : Que devient le corps du Christ après que le fidèle a communié ? Est-il soumis, comme les autres aliments, aux processus ordinaires de la digestion, etc. ? Quæritur an corpus Christi vadat in secessum, comm ? s’exprime Etienne Langton (ms. cité de Bamberg, fol. 082).

Rappelée par Paschase Radbert, De corpore et sanguineDomini, xx, P. L., t. cxx, col. 1330, et avant lui par Hériger de Lobbes, op.c17., /’. L., .. cxxxix, col. 179, pour être aussitôt écartée, et par Amalaire, Epist., VI, P. L., t. cv, col. 1338, qui se contente d’émettre trois solutions hypothétiques, soulevée de nouveau par Héribald d’Auxerre et Raban, P. L., t. ccx, col. 492, qu’accusera à tort Guillaume de Malmesbury, préface citée, op. cit., p. 82-83, la question formulée ci-dessus devait agiter tout le moyen âge à peu près et faire surgir, sous la plume des controversistes trop peu renseignés en histoire, un groupe d’hérétiques, les stercoranistes, dont l’existence est toujours bien problé

matique, pour ne pas dire davantage. Alger, qui consacre à cette question un ample chapitre, op. cit., II, 1, P. L., t. CLXxx, col. 807-814, emploie le mot de stcrcoraniste, ibid., col. 810, déjà appliqué aux grecs par le futur Etienne IX, le cardinal Frédéric de Lorraine. Contra Nicetam, P. I… t. cxliii, col. 993. Désormais, il allait perdurer dans la littérature théologique ; plus d’une fois même il sera, bien à tort, lancé comme une injure à l’Église orientale orthodoxe.

L’importance, et par suite la survivance de ce chapitre dans la polémique eucharistique, se comprendra sans peine, si l’on songe que les partisans de Bérengcr tiraient parti de la situation dégradante faite à l’hostie consacrée, tombée sur le sol, foulée aux pieds, mangée par les animaux, digérée comme les autres aliments, etc., pour en former un argument contre la présence réelle ; il en allait de même, nous l’avonsvu, avec la question de la communion de Judas, dont parle la consultation de Guibert de Nogent et la polémique de Rupert de Deutz avec le scliolasticus magnæ œstimationis.

On peut rapprocher, sur le sujet qui nous occupe, la lettre de Wolphelm, de Brunvillers, vers la fin du iKie siècle, P. L., t. cliv, col. 412, celle de Gilbert de la Porée qui refuse la communion aux condamnés à la pendaison, P. L., t. clxxxviii, col. 1258, et les chapitres consacrés par Guitmond, op. cit., ii, P. L., t. cxLix, ; col. 1448, 1450, 1451, et Alger, op. cit., II, 1, P. L., t. CLXXX, col. 807, 811, etc., à cette attaque des bérengariens ; celle-ci allait être reprise à leur profit, comme nous le voyons chez Alain de Lille, op. cit., I, 57, 58, P. L., t. ccx, col. 359, 362-363, par les sectes hérétiques cathares, etc. On constate, par une expression de Hugues de SaintVictor et d’Innocent III, que l’objection ne manquait pas de troubler les âmes : cogitatio puisât aninmm. C’est par cette voie que le problème de la durée de la présence réelle sous les espèces sacrées devait arriver à trouver sa solution définitive.

Il existait déjà une explication qui s’appliquait aussi au cas des pécheurs qui recevaient indignement le corps du Christ : la présence réelle cessait subitement et l’hostie redevenait pain. Guitmond repousse vivement cette solution pour les pécheurs, op. cit., ii, ut, P. L., t. rxLix, col. 1453, 1491 ; mais elle se retrouve encore dans V Eucharisiion, x, P. L., t. clxxxii, col. 1255 (pas dans les autres ouvrages) d’Honoré d’Autun. Guitmond, qui n’est plus d’accord ici avec lui-même, et Alger donnent une explication inexacte et, depuis lors, universellement rejetéc ; Bellarniin les en reprendra dans son De scriptoribas ecclesiasticis, Cologne, 1684, p. 164. 176. Pour quitmond, le corps du Christ n’est pas atteint ; il retourne au ciel, ou bien les anges l’écartent lorsqu’il va devenir la proie d’un animal ou l’objet de quelque outrage. Op. cit.,

11, P. L., t. cr.xix, col. 1445, 1448, 1449, 1450 ; iii, col. 1451-1453.

Pour Alger, tout cela n’est qu’apparent ; grâce à un miracle, rien ne se produit, même dans les espèces. Op. cit., II, 1, P. L., t. CLXXX. col. 813, etc.

Hugues de Saint-Victor parle de cette matière avec une discrétion que l’on ne saurait trop admirer et qui lui fait presfjue loucher la vraie réponse, quand il s’agit de la coimnunion ; quant aux outrages extérieurs, tout cela a l’air de se faire, mais le corps du Christ reste inviolé, />c sacramentis, I. II, part. VIII,

12, /’. L., I. Cl. XXVI, col. 470 ; en somme il n’expli((uc rien ici. Mais pour la présence réelle après la communion, il est plus heureux, au point qu’il sera transcrit textuellement, ou peu s’en faut, par Garnier de Rocheforl, Contra amaurianos, p. fil, et Innocent III. Voir plus loin.

Sans être encore complet, connue le fait fort bien

remarquer l’abbé Mignon, Hugues de Saint-Victor et les origines de la scolaslique, Paris, 1896, t. ii, p. 180, voici ce qu’il dit : comparant la venue visible du Christ en ce monde avec sa descente sur nos autels, il continue : sic ergo~in sacramento suo modo temporaliter venit ad te et est eo temporaliter tecum, ut tu per corporalem prsesentiam ad spiritualem quærendam exciteris et inveniendam adjuveris. Quando in manibus sacramentum ejus tenes, corporaliter tecum est. Quando ore suscipis, corporaliter tecum est. Dcnique in visu, in tactu, in sapore corporaliter tecum est. Quamdiu sensus corporaliter afficitur, præsentia ejus corporalis non aufertur. Postquam autem sensus corporalis in percipiendo déficit, deinceps corporalis præsentia quærenda non est, sed spiritualis retinenda ; dispensutio compléta est, perfectum sacramentum, virtus manet, Christus de re ad cor transit. Melius est tibi ut eat in mentem luam quam in ventrem tuum. De sacramentis, I. II, part. VIII, 13, P.L., t. clxxvi, col. 470471. C’était s’approcher de bien près de la formule définitive ; mais, malgré ce premier succès, le progrès sera lent.

Guillaume de Saint-Thierry se contente d’une assertion qui laisse sa pensée imprécise : sumpta ore carnis nostræ caro Christ i nequaquam œstimanda est lege communium cihorum. Op. cit., viii, P. L., t. clxxx, col. 355.

L’hésitation que traversent tous les tenants directs ou indirects de l’école d’Abélard s’explique facilement par le prestige du Magister Petrus. Il avait soutenu une opinion bien voisine de celle de Guitmond, d’Alger, etc., de façon à rehausser l’autorité du passé par la fascination de son propre enseignement. Le texte nous en a été conservé dans les Capitula errorum P. Abœbardi, édit. Cousin, t. ii, p. 700-769 ; P. L., t. CLXXXII, col. 1052. Après avoir rappelé ces outrages apparents, Abélard continue : et idco quæritur quare Dnis permittat ista fieri in corpore suo. An fortassis non ita ftat in corpore, scd tantum ita facial apparerc in spccie ? Ad quod dicimus quod rêvera non sit in corpore, sed Dcus ita in speciebus ipsis propter negligentiam ministrorum reprimendam habcre fucit, corpus vero suum prout ci placet, reponit et conservai.

Roland n’admet pas que le corps du Christ, reçu dans la communion, soit soumis au processus de la digestion : an corpus Cliristi digcratur ? Non, dit-il. Op. cit., édit. GietI, p. 232. Ognibene et l’anonyme de Saint-Florian en disent autant. Ibid., p. 232, n. 234. Que se passc-t-il si l’hostie consacrée devient la proie d’un animal ? Les avis sont partagés : Videtur corrodi et manet incorruptus, dit Hugues, op. cit., 1. II, part. VIII, 12. col. 470. La Summa sententiarum ne dit rien ; pour d’autres (Ognibene, l’anonyme de Saint-Florian, ibid., p. 234. n. 11), le corps du Christ se retire des espèces ; ou I ien la substance du pain y revient ; c’est l’avis que relate Roland, op. cit., p. 234235, lequel penche plutôt pour la réponse affirmative : le corps du Christ traverse réellement ces outrages, mais sans corruption, comme le rayon du soleil qui pénètre partout sans souillure, p. 235. Remarquons, en passant, la connexion qu’il y a entre celle question, que plusieurs résolvent en n’admettant qu’une apparence extérieure do corruption, et l’opinion attribuée à Abélard sur les specics in acre. Cf. Ognibene, l’anonyme de Saint-Florian, lac. cit. ; Guillaume de SaintThierry, Disputatio adrcrsus Ahielardiim, ix, /’.A., t. CLXXX, col. 281 ;.Main de Lille, P.L., t. ccx. col. 359. etc. Pierre Lombard est d’une circonspection ((ui étonne après la réponse si heureuse à la question (le la fraction : quid sumil nuis’.' Deux norit, I. IV, dist. XIH, 1. édit.Quaracclii.t. iv, p. 301 : il ne traite, du reste, celle matière <|u’incideinment ; l’on croirait

volontiers à un oubli quMl aurait voulu réparer, tant on est surpris de rencontrer quelques lignes sur cette question après le chapitre sur les consécrations des indignes.

Les gloses sur le Décret, comme celles de.1. de F’ant, peut-être de Jean de Fænza (sur l’identification, encore contestable, voir toutefois Schulte, Geschichie der Qiiellen des can. Jkclits, Stuttgart, 1875, t. i, p. 140), croient encore à la disparition du corps du Christ, au moment d’un outrage. De consecratione, dist. II, c. 94, Qui bene, Lyon, 1634, p. 1964. Voir aussi les avis rapportés par Giraud le Cambrien, op. cit., I, 9, p. 30, et Césaire de Heisterbach, op. cit., IX, 13, p. 174, 175.

Alain de Lille se rapproche davantage de la vérité, quoique son explication, qui recourt à l’exemple de ceux qui se nourrissent de la seule odeur des fruits, soit peu satisfaisante, Contra hiereticos, i, 58, P. L., t. ccx, col. 359, 362-363 ; quand il parle des produits de la digestion, il est moins heureux et ne touche pas à la vérité. Ibid., p. 363.

Pierre de Poitiers a une solution meilleure : à propos des prières : Jubé, Domine, istud deferri in sublime altare tuiim, qui rencontre des interprétations différentes, il se pose une question relative à la permanence de la présence réelle sur l’autel ou chez le communiant : voici la réponse qu’il relate : et dicunt quamdiu servatur sapor qui remanet, facta transsubstantiatione, tamdiu est ibi corpus Christi. Cum vero nec sentitur sapor, nec apparet species panis, non est ibi corpus Christi, quia non est ibi sacramentum, sub quo velabatur. Op. cit., 1. V, 12, P. L., t. ccxi, col. 1252. Faut-il y voir une formule discrète employée à dessein pour éviter les mots an corpus Christi digeratur ? C’est possible ; mais son langage n’apporte qu’un peu plus de précision aux termes qu’il a pu trouver chez Hugues de SaintVictor, toc. cit. On peut même dire que celui-ci n’a guère été dépassé.

Innocent III lui-même ne marque guère un progrès en ce point. S’il eut la sagesse de préférer, parmi les modèles qui s’offraient à son choix, les discrètes remarques de Hugues de SaintVictor (ce que fait aussi VExpositio cononis missæ du pseudo-Pierre Damien, en les entremêlant de phrases prises à Innocent, n. 6, P.L., t. CXLV, "ol. 883), il n’apporte aucune précision nouvelle ni dans la pensée, ni dans l’expression. Op. cit., 1. IV, 15, P. L., t. ccxvii, col. 867. Quant au cas d’incendie, etc., il admet qu’un nouveau pain est miraculeusement créé avant que les espèces deviennent la proie des flammes ou d’un animal, bien que, toutefois, les accidents séparés puissent être aussi brûlés ou mangés. Op. cit., 1. IV, 11, col. 863.

Prévostin eut plus de décision : il admet franchement l’avis d’Eudes de Paris qu’il cite (ms. de Bruges 237, fol. 82, v. 2) : Item queritur quid sumal mus ? Ici il se contente de mentionnere Dominus novii du Lombard. Puis il continue : M. Odo dicit quod immundius est os peccaloris quam os nuiris et sicut potest esse in are peccaloris sine sui inquinamenlo ila et in ore mûris. Non est enim major ratio quare possit esse in immundissima pixide et non possit cssc in ore mûris.

C. Double munducation pour les bons et les mauvais.

— La double manducation par les bons ou par les mauvais a déjà été mentionnée diverses fois au cours de cet article ; nous avons vu comment elle se liait aux problèmes issus de la croyance à la présence réelle, comme dans le fait de la communion de Judas, ou de la durée de cette présence dans les espèces sacramentelles. Malgré la nette affirmation de Lanfranc, De corpore et sanguine Domini, xx, P. L., t. cl, col. 436, il se rencontre, à la fin du xife siècle et au commencement du xiie siècle, des théologiens peu éclairés pour prétendre que le corps du Christ se

retire de l’hostie au moment où un indigne va communier, quilmond réfute longuement cette erreur. Op. cit., III, P. L., t. cxLix, col. 1491 sq. Quelque quarante ans plus tard, V Elucidurium d’Honoré d’.ulun reflétait encore cette opinion : corpus autem Christi per manus angelorum in cielum defertur, carbo vero a dœmonc in os projicitur ut Cypiianus testatuT, 1, 30, P. L., t. CLxxii, col. 1131 ; cf. aussi col. 1132, sur Judas. L’Eucluirislion est plus exact et la question posée : utrum in ore indigne sumentium in aliam naturam commutetur, 9, col. 1255, est résolue dans un sens qui ressemble à une rétractation(à moins qu’il ne faille donner raison à Hauck contre Endres sur la paternité de l’ouvrage) : caro ejus de pane conjecta in nullam allant naturam transmulabitur. Idem enim est in ore pessimi quod in ore piissimi… diversa in diversos efficil, causa gloriic… causa pœnæ. Ibid., col. 1255.

Désormais, les rejnésentants des écoles sont unanimes dans leur idée, si pas dans leurs expressions. Faut-il voir une exception dans Rupert de Deutz, comme le veulent quelques théologiens, tels que Bellarmin, op. c17., observ. 23, et Vasquez, In Ill^^partem, dist. LXXX, c. i ? Les textes ne sont nullement concluants contre le moine de Saint-Laurent ; ils seront discutés dans l’article sur Rupert. Nous renvoyons en attendant à Y Apologia Ruperli de Gerberon, P. L., t. cLxx, col. 124-132. Hugues de Saint-Victor n’a pas de chapitre spécial sur cette matière, mais il prépare nettement le travail à ses successeurs par ses développements sur le sacramentum et res, op. cit., I. II, part. VIII, 5, 7, P. L., t. clxxvi, col. 465, etc. ; la Surruna sententiarum dit que tous reçoivent le sacramentum (se rappeler la distinction entre res et sacramentum, la res toute seule et le sacramentum tout seul, c’est-à-dire ici corpus et sanguinem, vi, 7, P. L., t. CLXXVI, col. 1430) ; les bons reçoivent, en outre, rc/ji, c’est-à-dire i’psam e/7 ! cacîa77), ou, selon l’expression de saint Jérôme, spiritualem carnem Christi. Ibid.

Pour Roland, il y a la corporalis et spirilualis assumptio accordée aux bons, la corporalis tantum pour les mauvais (avec la communion de Judas, op. cit., p. 229-230). Voir aussi les Senientiæ divinitatis, p. 136, avec la question sur Judas, Ognibene, édit. Gietl, p. 229, 14, et ri ?pi/ome, c.xxix, P.L., t. clxxviii, col. 1741, etc.

Le Magister Sententiarum a un long passage sur cette question : il y a, dit-il, la manducation sacramentalis pour les mali, qui reçoivent la vraie chair née de Marie, mais non la chair mj’stique du Sauveur ; les boni ont la manducation sacramentalis et spirilualis (comme Roland : corporalis et spirilualis). Le Lombard continue ses développements dans toute la dist. IX et fait le commentaire des expressions difficiles d’Augustin, 1. IV, dist. IX, édit. Quaracchi, p. 199200. Il a le texte classique de Lanfranc, De corpore et sanguine Domini, xx, P. L., t. cl, col. 436, mais il le place, tout comme la Summa, vi, 6, P. L., t. CLxxvi, col. 143, sous le pavillon de Grégoire le Grand, ibid., n. 2 : est quidem in peccaloribus et indigne sumentibus vera Christi caro et verus sanguis, sed esscnlia non salubri efjicientia.

La spirilualis et la corporalis nianducatio tontl’oh]ii. de plusieurs chapitres aussi chez Guillaume de Saint-Thierry, op. cit., v-viii, P. L., t. cLxxx, col. 351-355, qui y applique la distinction du dup//c17er caro Ciirisli.

Les paroles du Lombard seront répétées en résumé par Pierre de Poitiers, op. cit., 1. V, 13, P. L., t. ccxi, col. 1252-1253, et ici, comme souvent ailleurs, Innocent III se fera l’héritier des idées et même des expressions de Pierre Lombard, loc. cit., et de Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, 1. II, part. VIII, 5, P. L., t. ccxxvi, col. 465 : boni comedunt ad salutem, mali… ad judicium. Op. cit., IV, 14, P. L., t. ccxvii.

col. 86(5-867. La strophe de saint Thomas, Sumunl mali, sumunt boni, etc., dans le Pange lingua, était prête depuis un siècle !

La vie du Christ présent dans l’eucharistie a fait l’objet de quelques courtes réflexions que nous nous j contentons de mentionner : Rupert de Deutz, De divinis offîciis, ii, 9, P. L., t. clxx, 40, 41, auquel répond Guillaume de Saint-Thierry, qui ne peut admettre ses vues, Epislola ad quemdam qui de corpore et sanguine Domini scripserat, P. L., t. clxxx, col. 341-344, et Hildebert, ou l’auteur du Brcvis iractalus de sacramento allaris, P. L., t. clxxi, col. 11501152. Innocent III, op. cit., 1. IV, 8, P. L., t. ccxvii, col. 861, après avoir parle de la présence du corps dans l’hostie ou ses parties, se défend d’aller plus loin dans ses investigations. Remarquons que la théologie actuelle, qui refuse au corps du Christ, dans l’eucharistie, l’activité naturelle des sens, est beaucoup plus proche des idées de Rupert que de celles de Guillaume de Saint-Thierry,

7. Forme de l’eucharislie. Moment de la consécralion à la dernière cène ou aclucllemenl. — Cette question si importante de la « forme » du sacrement, en raison de ses liens intimes avec le problème de l'épiclèsc, ne peut se séparer de l’histoire de la liturgie de la messe et, de ce point de vue, elle a surtout sa place dans les siècles antérieurs au xw. Par contre, l’introduction de l'élévation après la consécration est un fait en connexion étroite avec les problèmes théologiques ou dogmatiques qui agitent le xiie siècle. La généralité des auteurs placent la » forme » , au sens actuel du mot, dans les paroles de la consécration, dans le sermo operalorius…, comme le dit Alger, op. cil., I, 7, P. L., t. CLXXX, col. 756, à la suite de saint Ambroise. Roland, op. cit., p. 232, tout comme Pierre Lombard, op. cit., 1. IV, dist.VIII, n.3, ne précise pas sa pensée, et ses abréviateurs comme Bandinus, Sententiw, I. IV, dist. VIII, P. L., t. cxcii, col. 1095, ou Gandulphe de Bologne, ms. de Bologne A. 57, fol. 73, tout en donnant un autre texte, ne reproduisent pas non plus la formule littérale des paroles consécratoires. Ni Hugues, op. cit., 1. II, part. VIII, 2, P. L., t. CLxxvi, col. 461, ni la Summa, VI, 4, P. L., ibid., col. 140-341, n’avaient été plus nets. Les collections canoniques, comme celles d’Yves et de Gratien, ne précisent pas davantage ; Pierre de Poitiers non plus, mais celui-ci dit expressément que l’invocation de la sainte Trinité qui précède n’est pas essentielle. Op.cjï., I. V, 11, P.L., t. ccxi, col. 1243. Alain de Lille, Rcgulie theologicæ, 10(), P. L., t. ccx, col. 679, n’a rien de plus. Etienne de Tournai, op. cit., c. xxxix, p. 273, cite comme il suit les paroles consécratoires : hoc est corpus mcum, etc., et ne veut pas décider si l’omission de ce qui précède ou de ce qui suit entraîne nullité.

Il se rencontre un certain nombre d’auteurs pour dire que dans la dernière cène le Christ a produit la présence réelle par sa bénédiction, antérieurement aux paroles : hoc est corpus, etc., tels Odon de Cambrai, op. cit., P. L., t. ci.x, col. 1062, et Pierre de Poitiers, op. cit., I. V, II, /'. /.., t. ccxi, col. 12)41215, qui raj)pelle diverses explications : le Christ aurait deux fois proiioiicé ces jiaroles, etc. Pierre Comestor, en rappelaiit celle double explication, lui assure une perpétuité égale à la vogue de son Ilisloria scolastica. In Kvangclia, c. ci.ii, P. L., t. cxcviii, col. 1618. Prévostin est pour laconsécrationpar la seule bénédiction (ms. de Bruges 277, fol. 81 v"), tandis qu’un peu auparavant Ilugguccio se prononçait pour la répétition de la fonnule par le Christ, voir le texte dans Gillmann, Der Knthotik, 1910, t. ii, p. 232, note 3, et qu’Innocent III, op. cit., 1. ! V, .5, 6, P. L., t. ccvii, col. 8.58, 859, son élève, se déclarait plutôt favorable à l’avis d’Odon. Innocent III, qui ne rejette pas le

DICT. I)K TIII, OL. CATIIOL.

sentiment d’Odon, op. cit., 1. IV, 5, P. L., t. ccxvii, col. 858, fait ici un peu de critique littéraire à propos des expressions de la formule qui ne se trouvent pas rapportées dans le récit évangélique : elevatis oculis…, œlerni Testamenti, mijsterium fidei.

Sur le moment même où s’opère la présence réelle par ces paroles consécratoires, ou peut voir Innocent III, op. cit., l.IV, 17, P.L., .. ccxvii, col.868, et Pierre de Poitiers, op. cit., 1. V, 11, 12, P. L., t. ccxi, col. 1244-1245, 1249 ; Etienne de Tournai se refuse à examiner la question débattue de son temps, si la transsubstantiation se produit petit à petit : scd utrum hoc pedelenlim fiai, ut vcrba dicuntur, guærcre uut (lisquircre superracaneum est. Op. cit., c. xxxix, p. 273.

C’est qu’ici une question restait à trancher : la l’orme du sacrement opère t-clle latranssubstanlialion séparément et indépendamment pour le pain et pour le viii, ou la transsubstantiation ne se produit-elle qu’après la prolation de la formule du vin ?

D’après les quelques cas de rubrique cités plus li ; mt (S. Bernard, Yves de Chartres, Gilbert de la Porée, Hildegarde) et d’après l’avis des principaux théologiens, il n’y a pas de doute que la majorité {multi doclorum, dit Césaire de Hcistcrbach, op. cit., IX, 27) des auteurs ne regarde la transsubstantiation opérée indépendamment par chacune des deux formules ; mais ropinion qui retardait le moment de la transsubstantiation jusqu'à la fin de la seconde formule, a eu des représentants jusqu’au terme de la période dont nous nous occupons ici.

Les témoignages de Pierre de Poitiers, op. cit., 1. V, 11, P. L., t. ccxi, col. 1245 (dicunt laincn quidam…), d’Innocent III, op. cit., 1. IV, 22, 17, P. L., t. ccxvii, col. 872-873, 868, et avant lui de Sicard de Crémone (diiwrsæ sunt opinioncs, ms. lut., Munich, 4555, fol. 75, dans Dcr Kalholik, 1908, t. ii, p. 421, note) sont explicites à ce sujet. Il y a plus ; malgré la solution contraire de saint Bernard et d’autres. Innocent III déclare à deux reprises que, pour plus de sûreté, dans ce conflit d’opinions (lui-même tient pour la valeur indépendante de chaque consécration, op. cit., ]. IV, 17), le prêtrequi continue la messe d’un confrère subitement empêché après la première consécration doit reconuneneer les deux consécrations, op. cit., 1. IV, 22, 24 ; cꝟ. 17, P.L., t. ccxvii, col. 872, 873, 868, mais il déclare qu’il le faut faire en prenant une autre hostie. Ibid., 22. Maurice de Sully, au témoignage de Giraud le Cambrien, en dit autant. (icmma ccclesiaslica, i, 46, Opéra, l. ii, p. 124. Cette réponse est contraire à la théorie qui préside à l’usage cistercien, tel qu’il nous est décrit et justifié par Césaire de Ileisterbach vers la même époque, Dialogus, IX, 27, édit..1. Strange, Cologne, Bonn, 1851, t. ii, p. 185 ; le moine bernardin attribue à Pierre le Chantre et à ses scquaccs, la doctrine opposée qui ne veut voir qu’après la prolation des paroles : hic est sanguis meus, la transsubstantiation opérée : Quidam aiunl utrumque ver hum ad utriusque lnuisxiihsl(udi(dioncni nrccssnri(un. Prspondendum : divcrsx opinioncs, ncc panrm transsuhslanliari in corpus nisi vcrbis his prolalis : hic est siniguis meus.

Pierre le Mangeur, au dire de Giraud le Cambrien (le texte invoqué par le P. Tliurston ilans le Tabkl, 1907, t. II, p. 644, ne se retrouve pas à l’endroit qu’il indique, mais dans la Gemma ccclesiaslica, i, 8, Upcra, t. II, p. 27 28). était du même avis que Pierre le Chantre. Par contre, l' ; tienne Langton, ancien étudiant lui aussi de Paris, est tout à fait d’accord avec l’opinion cistercienne, comme le montre son entretien avec Césaire, vers 1210, à l’abbaye de Heislerbach, rapporté dans les I.ibri miraculorum, édil. Meister : Die Fragmente dcr I.ibri VIII miraculorum des Cicsurius vun lleislci buch, loiK', 1901, dans Po V. - 'A

misclie Quarlalsclirifl, Supplementband, p. 16-17. C’est vers cette mOme duLc que les ordonnances d’Eudes de Paris (entre 1196-1208) consacrent cette doctrine par la pratique ; elles ordonnent une élévation de l’hostie après les mots : Iwe est corpus meum, et ne permettent pas de reconnnencer la première consécration si, avant la seconde, on trouve le calice vide. ]Iansi, Coiicil., t. xxii, col. 682. L’usage de l'élévation après la première consécration commence à s’afiirmer dès lors dans les prescriptions conciliaires locales et des rapprochements suggestifs font voir au P. Thurston, dans Etienne Langton, archevêque de Cantorbéry, l’introducteur de cette cérémonie de la messe dans la liturgie des églises d’Angleterre, The élévation, dans The tablet, 1907, p. 645 sq., 684 ; mais elle ne se généralise que graduellement, dans le monde catholique, à un moment où depuis longtemps la croyance à l’achèvement de la transsubstantiation après chacune des deux formules consécratoires ne rencontrait plus de contradicteurs. Voir Élévation, t. iv, col. 2320.

8. Matière de V eucharistie.

La matière du sacrement donne lieu à des considérations symboliques qui remontent par Fauste de Riez à saint Augustin et à saint Cyprien, ou qui sont empruntées à la Bible. On les base parfois sur une étymologie bien hardie, comme Honoré d’Autun qui fait dériver punis de Ttctv.

Le pain et le vin ont été choisis parce qu’ils constituent la nourriture ordinaire, ou pour figurer l’unité dans l'Église, corps du Christ (panis ex n^ultis granis, vinuni ex multis acinis), conmie on le, trouve dans les conférences entre Anselme de Havelberg et l’archevêque de Nicomédie, Z)ia/of/z, iii, 19, P. L., t. cLxxxviii, col. 1240, ou parce que l'âme est figurée par le sang ; or, l’eucharistie est pi’ise ad tuitioneni corporis et animx ; citons comme exemples ; Sumniu sententiaiuni, ]. VI, 6, P. L., t. clxxvi, col. 142-143 ; Sententiæ divinitatis, v, édit. Geyer, p. 130, 139 ; Ognibene, op. cit., édit. Gietl, p. 227 ; l’anonyme de Saint-Florian, ibid., p. 227 ; Pierre Lombard, op. cit., 1. IV, dist. XI, 6 ; Honoré à'Autnn, Elucidarium, i, 28, P. L., t. cLxxii, col. 1129 ; Innocent III, op. cit., 1. IV, 3, P.L., t. ccxvii, col.S54, etc. Innocent III profite de cette question pour établir une connexion nouvelle entre l’eucharistie et l’incarnation, op. cit., 1. IV, 21, P. L., t. ccxvii, col. 874 ; du reste, cette tendance s’accuse fréquemment ; nous l’avons signalée déjà chez Honoré d’Autun, Euchaiislion, iii, P. L., t. cLxxii, col. 1251, chez Guillaume de Saint-Thierry, op. cil., II, P. L., t. CLXxx, col. 348, chez Nicolas d’Amiens qui a une réminiscence ou une imitation anselmiennc, semble-t-il. De aiie seu de articulis culholicte jidei, iv, 3, P. L., t. ccx, col. 613-614.

C’est sous ces espèces que le Christ se comamnique, car la chair sanglante ferait horreur et ainsi la foi garde en même temps son mérite ; cette idée perpétuée depuis Paschase Radbert, dont le traité est toujours fortement utilisé, £)eco/-po/e et sanguine Domini, xiii, P. L., t. cxx, col. 1316, se retrouve sans cesse au xii<e siècle dans les écrits des magistii, des canonistes ou théologiens, les sermons, etc. Citons VElucidarium d’HoJioré d’Autun, i, 28, P. L., t. clxxii, col. 1129 ; la Sunima sententiœum, 1. VI, 4, P.L., t. clxxvi, col. 141 ; les Sententiie diuinilalis, v, édit. Geyer, p. 130 ; Gratien, £)eco/ ! S( ; c/-a^(ci/ie, édit. Quaracchi, dist. II, c. 72 ; Pierre Lombard, 1. IV, dist. XI, p. 239. Il faut du pain de froment, triliceus, nisi de frumento, comme disent Pierre Lombard, 1. IV, dist. XI, 8, et Alain de Lille, Regulæ theologicæ, 109, P. L., t. ccx, col. 679. Uhordaceus ne suffit pas, étant destiné aux jumenla. Ce pain doit être sans levain, et ici s’ouvre habituellement un paragraphe polémique contre les grecs. Les uns sont violents et sévères ; ils voient même

une véritable hérésie dans l’cinploi du pain levé ; tel Alger de Liège, op. cit.. ii, 10, 8, P. L., t. clxxx, col. 827-830. Les autres sont plus modérés et conciliants, comme Gerhoch, Liber de simoniacis, ibid., p. 258, ou Innocent III, op. cit., 1. IV, 4, P. L., t. ccxvii, col. 854 ; plusieurs se ressentent des pourparlers engagés au milieu de ce siècle avec les grecs et dont Anselme de Havelberg, l’un des prélats les plus en vue de l’Allemagne du nord, nous a laissé un compte rendu dans ses Dialogi (voir son échange de vues avec l’archevêque de Nicomédie, sur le fernientalum et Vazijmum, Dialogi, iii, 17-19, P. L., t. clxxxviii, col. 1234-1241). Il en est, comme Gandulphe de Bologne, qui ne se refusent pas à admettre une révélation spéciale, faite à l'Église grecque sur ce point : Verisimile videtur quod alicui doctorum eoruni levelalum fuerit (glose de Gandulphe ; De consecratione, dist. II, c. 3, conservée par Jean le Teuton et imprimée en marge dans les éditions du Corpus juris, par exemple, Lyon, 1624, p. 1913), et Huguccio de Ferrare († 1210) répète son maître Gandulphe (ms. de Cambrai, col. 347 r°). Au vin il faut ajouter l’eau, ce que l’on appuie souvent de raisons symboliques, par exemple, Pierre Lombard, 1. IV, dist. XI, n. 7. Si l’eau n’est pas ajoutée au viii, la Suirima sententiarum n’ose pas se décider pour ou contre la validité, 1. VI, 9, P.L., t. CLXXVI, col. 145 ; Gra tien dit o^err/ non licet, De consecratione, dist. II, c.2, 7. Pour Roland, le sacrement est valide, mais il conseille de recommencer le tout. Op. cit., édit. Gietl, p. 231-232. Pierre Lombard, qui a tout un paragraphe sur la question, concède avec quelque hésitation la valeur de ces consécrations sans eau, en s’appuj’ant sur l’exemple des grecs. Op. cit., 1. IV, dist. XI, n. 8. Anselme de Havelberg rapporte sa conférence à ce sujet, au ch. xx. Dialogi, iii, 20, P. L., t. clxxxviii, col. 1241-1245. Plus tard, Etienne de Tournai se prononce contre la validité, si l’omission de l’eau ou du vin a été produite par la présomption ou l’hérésie : secus est, ajoute-t-il, si ignoranlia vel negligentia (solum vinuni vel solxim uquam fundal).Op.cil., part. III, dist. II, ci, p. 270. On peut voir dans Innocent III, op. cit., 1. IV, 18, 22, 23, 24, 25, 31, etc., la solution de divers cas pratiques relatifs à la forme ou à la matière du sacrement. P. L., t. ccxvii, col. 869, 872, etc. Nous passons également la question fréquemment débattue, si cette eau est aussi transsubstantiée au sang du Christ. Voir Innocent III, op. cit., 1. IV, 29, ibid., col. 876.

9. Minisire de l’eucharistie.

Le ministre du sacrement est le prêtre : on rencontre quelques allusions aux prétentions des vaudois et d’autres sectes qui veulent que les profanes puissent consacrer le corps et le sang du Christ (cf. les œuvres polémiques citées au début de cet article, à propos des attaques des hérétiques) ; avant le milieu du siècle déjà, saint Bernard en parle longuement dans deux de ses sermons in Cantica. C’est probablement ce même motif de respect pour les droits de la hiérarchie sacerdotale qui fait tant insister à ce moment sur l’exercice des ordres ecclésiastiques par le Christ lui-même durant sa vie mortelle. Aux textes cités dans l’article sur Pierre Lombuid et les sept ordres ecclésiastigues, dans la Revue d’histoire ecclésiastique, 1909, t. x, p. 296, n. 3, on peut ajouter ceux de Hugues de Reading ou de Rouen, Contra hæreticos libri très, 1. II, 9, 10 ; 1. III, 2, P. L., t. cxcii, col. 1280 sq., et d’Innocent III, op. cit., 1. I, 3-5, etc., P. L., t. ccvii, col. / 76-777, etc.

Une opinion connexe rappelée par.bélard, mais qui a comme point de départ une idée exagérée de l’eflicacité des paroles sacramentelles, attribue toujours sa valeur à la formule consécratoire, fût-elle prononcée

par un laïc, un prêtre ou une femme : Cujuscumque sit ordinis uel conditionis. Au dire d’Abélard, Theologia cluLstiana, iv, P. L., t. clxxviii, col. 1286, cette opinion était celle de Bernard de Chartres (pour ridentilication de Bernard, voir Clerval, Les écoles de Chartres au moyen âge, Paris, 1895, p. 159).

D’autres fois, il s’agit de maintenir ce droit pour tous les prêtres qui ont vécu après les apôtres ; de là l’insistance avec laquelle le texte : IIoc facile in meam convnemoralionem est ordinairement ajouté à celui : Hoc est corpus, etc., dans la preuve de l’institution du sacrement et de la présence réelle. oir, passini, les témoignages passés en revue plus haut, et Pierre le Vénérable, Contra petrobrusianos, P. L., t. clxxxix, col. 798, 810, etc. La Sumrna sententiarum, cnirc autres, 1. VI, 4, P. L., t. CLXxvi, col. 141, Roland Bandinelli, op. cit., p. 216, et les Sententiæ divinitutis, édil.Geycv, p. 140, 141, spécifient ce droit pour les seuls prêtres : solis sacerdotibus.

Mais la confusion des idées qui se montre dans la polémique des investitures au sujet des sacrements, des simoniaques, des excommuniés, des indignes, etc., ne s’est pas encore dissipée une génération après le concordat de Worms (1123). Cela met sous la plume de plusieurs auteurs des opinions erronées. Si Robert PuUeyn, op. cit., VIII, 6, P. L., t. clxxxvi, col. 968, reconnaît valides les consécrations faites par tous les prêtres, quels qu’ils soient, son avis n’est pas encore général. Plusieurs hésitent, d’autres nient cette validité pour une ou plusieurs des catégories d’indignes. Importanteàcet égard est la lettre de Hugues de Reading à Mathieu d’Albano ; elle fait allusion aux idées de ses Dialogi, 1. V, 11, P. L., t. cxcii, col. 1204, et expose à propos de l’eucharistie une opinion sur la valeur des sacrements qui rencontre beaucoup d’adhérents. L/te//( de lite, i. iii, p. 285 ; P. L., t. cxcii, col. 1227-1230. Même sainte Hildegarde, si sa réponse à la consultation rapp^-lée plus haut est authentique, serait dans ce dernier sentiment. Epist., xliïi, P. L., t. cxcvii, col. 212-213. Pierre Lombard n’a pas non plus la note juste, op. cit., 1. IV, dist. XIII, et la Sunima sententiaruni, après hésitation, se montre très favorable à un avis analogue, 1. VI, 9, P. L., t. CLXxvi, col. 146. On peut voir dans l’ouvrage de Saltet, Les réordinations, Paris, 1907, p. 266-360, le trouble qui régnait à ce sujet dans les esprits jusque bien après la rédaction du livre des Sentences ; en Allemagne, les polémiques se prolongent dans le groupe de Gerhoch de Reichersperg et, avant cela. Honoré d’Autun s’en fait l'écho dans son Ofjendiculum, p. 53, etc. Voir le Tructutus de scismalicis, écrit vers 1164-1168 par un Bavarois, ibid., t. iii, p. 126-128 ; le Liber contra duas Invrescs et les écrits de Gerhoch ou d’autres sur ces questions dans les Monumenta Gerinaniæ liistorica. Libclli de lite impe ratoruinct RR.pontificum, t. iii, p. 12, 29, 131-525, etc. — Simon de Tournai rencontre l’objection du Lombard tirée de l’expression de l’offertoire et du canon : O/Jerimus (ms. cité de Bamberg, fol. 48) : con/icitur sacramentuni hoc adore Deo, saccrdote ministro, sire bonus sive malus sit minislrr. Ibid., fol. 46.

Sur la consécration d’une même hostie faite par plusieurs prêtres à la fois, conune c'était le cas des cardinaux qui officiaient avec le pape, les avis étaient partagés. Innocent 111, op.c(7., l. IV, 20, /'./.., t. ccxvii, col. 874, dit que si tous ont l’intention de ne consacrer qu’en même temps que l’olllciant principai, une priorité de quelques instants chez un seul dans l’cxprcsbion de la formule, n’empêcherait pas les autres de prendre réellement part à la consécration.

/II. iKjirniyi : de la mvs^srnsrvsrivriny. — La principale question relative a l’eucharistie au xue siècle est assurément celle de la transsubstanlialion ".

1° Doctrines adverses : impanalion, consubstartliation, union hyposlatique avec le pain. — Les divers avis opposés à la transsubstantiation qu'énumère Alger, op. cit., prologus, P. L., t. clxxx, col. 759, sont considérés par lui comme des erreurs et ne représentent nullement à ses yeux un enseignement catholique, comme le donnerait à croire la courte citation de Rocholl, dans Realencyclopàdie jûr prolestantische Théologie und Kirche, t. xvii, p. 240. Guitmond d’Aversa, qui distingue si bien les nuances entre les divers groupes de bérengariens, est le premier qui nous parle de ï impanalion ; au dire des adeptes de cette doctrine, ce serait là le fond de la pensée de Bérenger : alii vero, redis Ecclesiæ ralionibus cedentes, nec tamen a stultitia reccdentes ut quasi aliquo modo nobiscum esse videantur, dicunt ibi corpus et sanguinem Domini rêvera, sed latentcr contineri et ut sumi possint (possil ?) quodanmxodo ut ila dixerim impanari. Et liane ipsius Berengaiii subtiliorem esse sententiam aiunt. Op. cil., ï. 1, P.L., t. cxLix, col. 1430. Si la plus grande partie de son traité s’occupe des umbratici, la companulio intervient au 1. III, ibid., col. 1480, où sont réfutés les arguments des impanatores qui parlent d’un Christ impanalum et invinatum, col. 1482, 1486 ; il rejette en même temps toute union avec le pain : nemo dicere audet, ila Deus et homo, et panis et vinum unus est Christus. Unde igitur istis hsec nova companatio ? Ibid., col. 1482. Plus tard, Alger de Liège s’occupe des mêmes erreurs, op. cit., prologus, et I, 6, S, P. L., t. CLXXX, col. 739, 754-756, 765 : quod Christus in pane sacramentali non ila pcrsonaliter sit impanatus, ut in carne incarnatus. Mais il ne donne pas d’indication qui puisse fixer le nom d’aucun de ses adversaires : errantes tamen quidam de quibusdam sandorum verbis dicunt ila pcrsonaliter in pane impanalum Christum sicut in carne humana pcrsonaliter incarnalum Deum.

A ce moment cette erreur était nouvelle, nous dit Alger, mais quelle est dans sa pensée la portée chronologique de ce mot ? Quæ hæresis quia nova et abswda est… radicilus est exstirpandu. Ibid., col. 754. Outre le groupe bérengarien qu’il a connu par l’ouvrage de Guitmond, Alger a-t-il en vue ici l’enseignement de Rupert de Deutz ? On l’a dit, voir plus loin ; mais la date du De sacramento corporis et sanguinis est trop vaguement connue pour qu’on ait le droit de la dire antérieure à c^'lle du De divinis o/ficiis de Rupert.

Remarquons aussi que les arguments des impanatores chez Alger, col. 754-755, ne se rencontrent pas chez Rupert, à part une même comparaison générale avec l’incarnation (encore les termes de l’objection chez Alger ne sont-ils pas ceux des trois ouvrages incriminés de Rupert ; ce qu’il dit au cli. viii, contient un texte de saint Jean, vi, 51), que nous trouvons chez Rupert, /'. L., t. clxix, col. 178 sq. ; mais les corollaires que tire ici Alger de l’impanutio sont formellement niés par Rupert ; d’autre part, les atlversaires de Guitmond, op. cit., col. 1181, recouraient à d’autres arguments que ceux d’Alger ; il semble même que la comparaison avec l’incarn.ition vient de tiuilmond, col. 1182, plutôt (lUe de ses adversaires. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que la doctrine de rinn)anation revient encore chez un contemporain qui en écrit à Rupert ; c’est Guillaume deSaint-Thierr ; il redoute de rencontrer dans les conséquences d’une expression peu claire du moine de Ucutz (quid hic corpus surrilicii appellelis, peniliis non video) l’erreur bérengarienne de l’imbanation. Epislola ad qucmdam moiuuluim, P. L., t. CLXXX, col. 311, 312. Plus tard, les Scnlencicrs, connue Pierre Lomijard, voir plus loin, mentionneront encore cette doctrine pour la rejeter, sans s’y arrêter davantage.

Ln dehors des demandes d’explication quc lui en

voie Guillaume de Saint-Thierry ou des allusions possibles chez Alger de Liège, la position que prend dans ces chapitres Rupert de Deutz, De divinis officiis, II, 2, 9, P. L., t. cLxx, col. 35, 40 ; In Exod., ii, P. L., t. CLXvii, col. 617-618 ; In Joa., vi, 52, P.L., t. clxix, col. 481, et qu’on a interprétée dans le sens de l’impanation ou dans celui de la consubstantiation et d’une union personnelle avec le pain, Baronius, Annales écoles., an. 1111, n. 49 ; Bellarmin, De eucharislia, disp. XLIX, sect. ii, n. 12 ; Vasquez, In I II-" purleni, disp. LXXX ; Pusey, The doctrine of Ihe rcal présence ns contained in ihe Faihers, Londres, 1865, p. 5 sq. ; tandis que d’autres l’absolvent de ces erreurs : Gerberon, Apologia Riiperti, déjà citée ; Histoire lillérairc de lu France, t. xi, p. 456, 520, etc. ; Noël Alexandre, // « /. cccles., Paris, 1714, t. vi, p. 520-524 ; Tournely, Cursus theologicus, Cologne, 1734, t. iii, p. 358-359 ; Bach, Dogmengesehiehle des Miltelalters, icnnc, 1875, t. i, p. 413 ; Schwane, Dogmengeschichle, Fribourg-en-Brisgau, 1882, t. iii, p. 641 ; Pohle, art. Impanation, dans la Catholic eneyclopedia, 1910, t. vii, p. 694, etc., demanderait une étude spéciale qui aura sa place propre dans l’article sur Rnpcrt et qui doit tenir compte aussi des vues du moine de Saint-Laurent sur la christologie et l’incarnation. Dans les œuvres subséquentes de Rupert et même dans le De divinis officiis, se rencontrent des passages d’une orthodoxie irréprochable et irréductibles à une interprétation conciliable avec l’impanation ou la consubstantiation, par exemple. In Exod., iv, 7, P. L., t. clxvii, col. 704 ; Epistola nnncupatoria ad Ciinoncm, P. L., t. CLxix, col. 203 ; voir d’autres passages dans V Apologia Rupcrti de Gerberon, P. L., t. clxvii, col. 163 sq. P’aut-il voir, dans les lignes incriminées de De divinis officiis, des conceptions passagères ou des manières de s’exprimer qui revêtent la vraie pensée de l’auteur de considérations mystiques, sans la rendre dans toute son exactitude ? Peut-être ; il faudrait alors, pour écarter la contradiction de ses diverses affirmations, entendre ce changement du pain et du viii, non pas au sens destructif, mais dans un sens perfectif qui les élève à la substance du corps du Christ. Des expressions d’une exactitude douteuse se rencontrent de-ci de-là, comme explications, chez les auteurs fort orthodoxes que nous avons passés en revue. Nous pouvons ajouter que le peu d’écho que trouvent ces idées de Rupert, malgré la dilïusion de ses écrits, nous permot de considérer son cas comme un chapitre spécial, plutôt dans l’histoire d’une personnalité théologique intéressante que dans celle du dogme ou de la théologie eucharistique ; le développement des doctrines et des systèmes du xiie siècle n’en a guère été affecté. A part divers passages du Mitrate, iii, 5, 6, P. L., t. ccxiii, col. 116-118, 129, de Sicard de Crémone, nous n’en trouvons d’éclio nulle part ; encore Sicard a-t-il dans les mêmes chapitres, iii, 8, ibid., col. 141, et plus loin, tout comme dans son œuvre canonique, un exposé complet de la transsubstantiation, si bien qu’il n’a pas même l’air, en employant quelques-unes des expressions de Rupert, de leur soupçonner un sens qui répugne à la vraie doctrine qu’il professe ; il ne leur donne que la valeur d’une comparaison.

2° Le terme ulranssubstantiulio » . — 1. Premier emploi.

— On a cru et répété longtemps, contre les affirmations déclaratoires de Luther qui attribuait à saint Thomas et aux thomistes l’introduction dumofntranssubstantiation n, qu’Hildebert de Lavardin, évêque du Mans, mort en 1134, était le premier auteur chez qui l’on constatât l’usage de ce terme. Le témoignage d’Hildebert présentait cette particularité intéressante qu’il faisait emploi du mot dans un sermon à ses prêtres, dix ou vingt ans, peut-être même davantage.

avant la composition des traités systématiques des Victorins ou des Sommistes des écoles de Paris ; en outre, la manière aisée et toute naturelle dont il faisait intervenir l’expression dans une œuvre d’édification donnait à croire qu’elle avait depuis assez longtemps droit de cité dans le langage thèologiquc pour pouvoir se passer de légitimer ses titres et être aisément comprise d’auditeurs étrangers à la terminologie scolaire. Voici le texte : Cum proféra verba canonis et verbum trunssubstantiationis, et os meum plénum est contradictione et amaritudinc et dolo, quamvis eum honorcm labiis, tamen spuo in facicm Salvatoris… Ilaque mundamini, etc. Serm., xciii, P. L., t. xxi col. 776. En réalité, le sermon n’est pas d’Hildebert. Beaugendre.qui grossit outre mesure le bagage littéraire de l’évêque du Mans, dans l’édition de ses œuvres entreprise à quatre-vingts ans, Paris, 1708, fut cause de l’erreur de la plupart des théologiens et d’historiens, comme Déni Ile, Luther und Lutherthum, Mayence, 1904, p. 239 ; Mgr Batifïol, Études d’histoire’et de théologie positive, 2<’série. L’eucharistie, Paris, 1906, p. 372 ; Darwell Stone, A history of the doctrine of the holy eucharist, Londres, 1909, p. 275, note 2. C’est non pas à Hildebert, mais à Pierre Comestor, mort vers 1178, qu’il faut désormais reconnaître la propriété du Serm., xciii, de l’édition de Beaugendre. Notons en passant que Boehmer écrit par erreur « sermon lxxiii » dans l’art. Hildebert de la Rcalencyclopàdie de Hauck, t. viii, p. 69 ; la faute est corrigée par Kattenbusch au mot Transsubstantiatio, t. XX, p. 57.

La preuve de la paternité de Pierre le Mangeur a été faite par B. Hauréau, en 1887, dans les Notices et extraits de la Bibliothèque nationale, ^. xxxii, 2 « partie, qui a singulièrement diminué l’héritage littéraire d’Hildebert au profit de Pierre Comestor, de Pierre Lombard ou de Geoffroy Babion. Il faut donc reculer le sermon et le témoignage y contenu d’une quarantaine d’années. Cela ne lui donne plus, tant s’en faut, la première place dans l’ordre chronologique, car nous trouvons fréquemment le mot en usage avant 1175. Denifle a réduit à néant, avec sa vigueur coutumière, les accusations de Luther contre cette « introduction thomiste » ; un substantiel chapitre, d’une virulence plutôt étrangère au style historique, groupe en quelques pages les principales affirmations qui se font jour au XII’siècle. Luther und Lutherthum, Mayence, 1904, p. 237-245 ; 21e édit., Mayence, 1906, t. i, p. 612. Elles ont été reprises et complétées ou corrigées par Kattenbusch dans Realencyclopàdie fiir prolest. Théologie und Kirche, art. Transsubstantiatio, 1908, t. xx, p. 56-58, et, depuis lors, Fr. Gillmann de Wurzbourg a singulièrement grossi la liste des citations canoniques dans Der Kutholik, 1908, t. ii, p. 417 sq. ; 1910, t. II, p. 77. Le premier témoignage en date serait celui de Pierre Damien qui emploie l’expression dans V Expositio canonis misstc, retrouvée par le cardinal Mai, Scriptorum veterum collectio nova, t. VI, et reproduite par Migne, P. L., t. cxlv, col. 79 sq. : Hoc est corpus meum ; quacritur quid demonslret sacerdos per hoc pronomen hoc ? Si panem, pani nunquam congruit esse corpus Christi, sed demonstrat corpus Christi ; sed quando profcrtur ipsum pronomen, nondum est transsubstantiatio. Respondetur quod sacerdos non demonstrat, cum illis verbis non utatur enuntiative sed recitativc. Op. cit., n. 1, ibid., col. 883. Pierre Damien, qui est le premier aussi, semble-t-il, qui emploie les mots sacramentum confessionis, aurait également enrichi de cette expression la terminologie théologique. C’est l’avis de l’évêque de Birmingham, Ch. Gore, qui après avoir donné la priorité probable à Etienne â’Antun, Dissertations on subjects cormected with the Incarnation, Londres, 1895,

p. 268, n. 3, penche ensuite en faveur de Pierre Damien qui apparaît avoir le premier usé de ce terme. The body of Christ, Londres, 1901, p. 116, note 2. C’est ce que fait aussi Darwell Stone, op. cit., t. I, p. 259-260, n. 3. Gieselcr, parfaitement documente dans ce chapitre de sa Kirchengeschichle, les avait déjà précédés dans cette affirmation. Lehrbuch der Kirchengeschichle, Bonn, 1848, t. ii, p. 134, n. 5. Cette attriIjulion n’est malheureusement pas justifiée. Kaltenbusch, loc. cil., p. 57, et Endrcs, Pclriis Damiani und die wclUiche Wissenschafl, dans les Beilràge ziir Geschichle der Philosophie des Millelaltcrs, t. viii, p. 10, n. 31, ont raison de ne pas regarder l’authenticité de l'œuvre comme hors de doute ; nous ne pourrions actuellement lui assigner d’auteur, mais nous croyons pouvoir affirmer qu’elle n’est pas de Pierre Damien. Elle suit en maints chapitres, pas à pas, le J. IV du De sacro allaiis myslcrio d’Innocent III et, si celui-ci ne se fait pas faute de transcrire Hugues de SaintVictor, comme nous le montrons ailleurs, la comparaison entre les c. vi et xvii, par exemple, d’Innocent III, P. L., t. ccxvii, col. 859, 868, avec les paragraphes 3 et 7 de Pierre Damien, P. L., t. cxlv, col. 881, 883, montre qu’ici le plagiaire n’est pas l’auteur du De sctero allaris myslcrio, mais le compilateur de VExposilio canonis missæ, qui tantôt copie littéralement le précédent, tantôt supprime des phrases entières, tantôt les résume. Le mot Iranssiibslanliuiio, qu’il emploie dans le passage indiqué, est pris au titre du chapitre De sacro cdlaris myslcrio, 17, dont il copie les premières lignes. L'écrit attribué à Pierre Damien s’occupe, en outre, de beaucoup de discussions scolaires, ce qui s'éloigne de la façon ordinaire du cardinal de Saint-Sixte. Cf. Endres, op. cit., passim. Ce texte est donc : écarter définitivement (le la liste des premiers témoins et doit être reculé jusqu'à la fin du xiie siècle. oir Recherches dn science religieuse, 1911, t. ii, p. 465.

Le premier emploi du mot qu’on puisse signaler au xiie siècle est celui qu’en fait Etienne de Baugé, évêque d’Autun, mort en 1139 ou 1140, à Cluny, entre les bras de Pierre le Vénérable, EpisL, v, 6, P. L., t. CLxxxix, col. 390 : oramus ul cihiis hominum fiai cihits angclontm, sciliccl ul oblalio panis el vini Iranssubslemlietur in corpus et sanguinem Jcsu Christi, Tractalus de scicramento cdlaris, c. xiii, /'. L., t. cr.xxii, col. 1291, et un peu plus loin : Quasi dicercl (l)ominus), panem quem accepi in corpus meum Ircmssnbstanliavi, el illud do vobis. Op. cil., c. xiv, col. 1293. Cette (euvrc est-elle sûrement authentique ? Gorc ne semble pas en douter, Disserlalions, cic., 1895, p. 268, note 3 ; Kattenhusch est plus circonspect. licalencyclopddie, t. XX, p. 57. Jadis Labbe, qui hésitait, Disserlidiones philologicæ de scriploribus ecctesiaslicis, Paris, 1660, t. II, p. 372, se promettait d'élucider la question, ibid., appendice, p. 807 ; mais il n’a pu réaliser son I)rojet. Depuis Mabillon, Aruiales ordinis S. Benedicli, Paris, 17.39, t. vi, p. 270, l’on regarde communément comme auteur le premier des deux évêques d’Autun du xiie siècle qui portérent le nom d’Etienne (le .second a un successeur en 1186).

Les paroles de Pierre de Cluny, loc. cil., appuient celle attribution à Etienne de Baugé. Remarquons, en outre, que dans les exemples du c. vi : Quando Christus ecclesiaslicaa adminislralioncs suscrpil, ibid., col. 1277-1278, l’auteur du Traclalus se fait seulement l'écho d’Yves de Chartres († 1115), Serm., ii, de rxcellenlia sucrorum ordinum, P. L., t. clxii, col. 513 sq., mais pas encore de Hugues de Saint-Victor, Drsacramentis, I. II, part. III, c. vi sq., P. L., t. ci.xxvi, col. 424 sq., ce qui concorde parfaitement avec la palernilé du premier Etienne ; en outre, les expressions fort discrètes de l’auteur quand il parle de la

fraction de l’hostie et de la manducation du corps du Christ, c. XIV, xviii, ibid., co. 1293, 1303, alors que pour d’autres points il a d’heureux développements, par exemple, c. xvii, placent son œuvre avant les progrès qu’accuse la terminologie de Pierre Lombard. Voir plus loin.

Un témoignage qui ne soulève aucune incertitude et qui n’a pas été signalé jusqu’ici, croyons-nous, si ce n’est par Gillmann, loc. cil., p. 418, est celui de Roland Bandinelli, le futur Alexandre III, qui écrit ses Sententise, vers 1140-1142 d’après Déni fie, Archiv fur Lilercdur und Kirchengeschicide des Millelallers, 1885, t. i, p. 604, Abdlard’s Senlenzen und die Bearbeilungen se iner Theologia vor Mille des xii Jahrliunderts ; vers 1150 d’après Gietl, Die Senlenzen Rolands Bandinelli, 1891, p. XVI ; mais nous croyons avec le P. Ehre, Zeilschrift fiir kalholische Théologie, 1892, t. xvi, p. 148-149, que la preuve qu’apporte Gietl n’est nullement décisive. Le professeur de Bologne s’exprime ainsi : Verumlamen, si necessilale imminenle sub allerius panis specie consecraretur, profeclo ficrcl Iranssubslemlialio, sanguinis auleni nunquam fil nisi de vino Iranssubstanlialio, èdit. Gietl, p. 231. Voir plus loin l’enseignement détaillé de Roland.

A partir des années 1150-1160, les témoignages s’accumulent ; on trouve le mot Iranssubslanlialio (ou Iranssubstanliare) dans les recueils scolaires des maîtres de Paris (Pierre de Poitiers, Pierre Comestor, Alain de Lille, Prévostin, etc.), dans les sermons (Pierre de Celle, Pierre Comestor, etc.), dans les correspondances privées ou officielles (Pierre de Blois, Pierre de Pavie, etc.), dans les traités polémiques (Alain, l’anonyme Conlra amaurianos), dans les ouvrages de liturgie (Sicard de Crémone, Giraud le Cambrien, Innocent III), dans les recueils canoniques (Etienne de Tournai, Iluguccio), et jusque dans les écrits des moines des deux sexes (sainte Hildegarde et divers écrivains cisterciens), jusqu'à ce que le ch. ii des décrets de 1215 le sanctionne par une décision conciliaire.

2. Usage avanl 1215. — Nous rangeons ici, le plus possible par ordre chrouologifiue, les principaux témoignages qui s'échelonnent jusqu’au concile de Latran :

1. Etienne de Baugé, évêque d’Autun (I" 11391149) : Oremus ul… oblalio panis et vini Iranssubstantirtur in corpus et sanguinem Jesu Christi, P. L., t. CLXxii, col. 1291, Qtiqiuisi dicercl (Domi nus), panem quem accepi in corpus meum transsubslanliavi. Ibid., 14, col. 1293.

2. Roland Bandinelli (Alexandre HI), vers 11401142, probablement pas après 1145, et sûrement avant 1153 : Verumlamen si necessilale imminenle, sub allerius panis specie consccraretur, profeclo fierel Iranssubslanlialio ; sanguinis autem numquam fil nisi de vino lranssubslanli(dio. Sententiæ, édit. Gietl, p. 231. Cf. ibid., p. xvii ; Ehrie, Zeilschrifl fiir kalholische Théologie, 1893, t. XVI, p. 148149 ; Denifle, Abdlard’s Senlenzen und die Bearbeilungen seiner Theologia vor Mille des.ii Tahrhunderls, dans Archiv fiir Lilcratur und Kirchengeschirhle des Millelallers, 1885, t. i, p. 603-611.

3. Adam du Petit-Ponl, évêque de Saint-Asaph en 1175 ( ; - 1181), vers 1159-1165, à en croire le renseignement d’I-'liennc de Tournai qui r ; i|ipelle l’enseignement d’Adam (voir plus loin l'œuvre (l’Etienne) : Dclerminabal (Mag. Adam Parviponlanus) autem eam (auclorilalem) sic : Id quod fuit panis, etc., con~ verlitur, Iranssubslantiatur in corpus Christi ; cum enim omnia vcrba rommunionis admiltantur, ut lranssub.ilantiatur, converlitur et hujusmodi, trnnssuhslanlialum ul est vcl eril, vel fuit, non admillitur, ne tamquam ex materin flcri credatur, ul avis ex ovo ; ita rnim panis converlitur in corpus ul non sit verum hoc : crit illud, vel ex hoc, lanquam ex malcria, fct illud Op. cit., part. IH, dist. II, c. xl, p. 274.

4. ittienne de Tournai, avant IV’lection d’Alexandre III (7 scplembre 1159) au moins pour une partie de son œuvre, car Achard de SaintVictor, et non Richard, qui y est cité comme évêque, p. 373, ne monte sur le siège d’Avranches qu’en llfil (cf. Gillmann, loc. cil., p. 418-419, et von Schulte, Die Summa des Stephanus Tornncfins/.s, Giessen, 1891, p. xx) : De ronsecrationr partis et vini certiim est quia ad verba Ci}risli : Hoc est corpus meum, hic est sanguis, etc., fit transsubstantiatio, et il regarde comme superflu de rechercher si elle s’opère pedctentim à mesure que se profèrent les paroles. Op. cit., part. III, dist. II, c. xxxix, p. 273.

5. Sainte Hildegarde (1098-1180), dans une lettre écrite i’i l'âge de soixante-treize ans(cf. P. L., t.cxcvii, col. 229), donc en 1171 : ad prælatos Mor/antinenscs, dit ce qui suit : Oblatio panis cum vino et aqua in carnem et sangninem Salvatoris transsubstantialiter, quemadmodum lignum in ardentem carbonem per ardorem igms, mutatur. Epist., xlvii, P. /-., t. cxcvii, col. 224.

6. Jean de Fænza, après 1171, 1e plagiaire de Rufln et d’Etienne de Tournai, substitue transsubstantiare à transmutât qu’il trouve chez Etienne : Vivificat, i. e., facit vivere quia panem et vinumtranssuhstaniiat incorpus et sangninem. Summa, c. i, 9, 1, c. 80 ; ms. Munich, lot. 17182, 'm. 49. Cf. Gillmann, loc. cit., p. 420.

7. Pierre Comestor, avant 1175, puisque son Historia scolastica est dédiée à Guillaume aux BlanchesMains, archevêque de Sens (1169-1175 ; il passe à Reims en 1175) : Hoc est corpus… ex virtute horum verborum fît transsubstemtiatio. Hisloria scolastica, in Evangelia, c. clii, P. L., t. cxcviii, col. 1618.

L’emploi du mot est à signaler chez Pierre Comestor, à une date imprécise, dans le sermon attribué à Hildebert et déjà cité : Cum proféra verba canonis et verbum transsubstanlionis et os meum plénum est… amaritudine et dolo, quamvis honorem eum labiis, tamen spuo in faciem Salvatoris… Itaque mundamini. S<'r7r !., xciii, parmi les Opéra Hildeberti, P. L., t. clxxi, col. 776. Remarquons aussi que ce même sermon xciii d’Hildebert se trouve avec des modifications importantes, mais sans le mot trcmssubstantiatio parmi les sermons de Pierre Comestor, Scrm., xxxviii, P. L., t. cxcviii, col. 1813. Si le Serm., xcui, n’est donc pas l'œuvre d’Hildebert, il reste encore à faire ime étude critique des divers manuscrits signalés par Hauréau pour déterminer si la version, conservée dans le t. clxxi de Migne, n’est pas un remaniement de celle que présente le t. cxcviii.

8. Pierre de Poitiers, avant 1175, puisque son œuvre est dédiée au même archevêque de Sens, Guillaume, emploie fréquemment le mot dans ses Sententiæ, 1. V, n. 12, P. L., t. ccxi, col. 1243 sq., 1247, etc. : Similiter quæritur de defectione eucharistiie, an prolata medietale horum verborum, hoc est corpus meum, ad quorum prolationem habetur transsubstantiatio, debeat aller sæerdos… incipere…, col. 1232 ; verba autem ad quorum prolationem transsubstantiatur panis in carnem, hœc sunt…, etc., col. 1243. Le mot se retrouve plus de quinze fois dans ces chapitres.

9. Pierre de Pavie, évêque de Meaux, puis de Bourges, et cardinal de Saint-Chrysogone, dans une lettre de 1178, conservée entre autres par Roger de Hoveden. C’est la lettre qui relate les événements de sa légation dans le midi de la France : Panis et vinum in corpus et sanguinem Domini vere traussubstantiatur. Episl., iii, P. L., t. cxcix, col. 1222, ou Roger de Hoveden, Chronica, pars posterior, dans les Rerum brilannicarum medii œvi scriptores, or Chronicles and memoriales, etc., 1869, t. li b, p. 157.

10. Pierre de Celle, probablement bien avant 1180, car ses sermons, sans qu’il les prêche lui-même, commencés pendant son séjour à Celle, Epist., xix, P. L., t. ccii, col. 421, sont déjà répandus aux quatre vents

du ciel avant son élévation au siège épiscopal de Chartres (1180), comme il le dit lui-même dans une lettre qu’il écrit étant encore abbé de Saint-Remi, à Reims, Epist., clxvii, col. 610 : supposuit (./esH.s) pnnem et vinum et transsubstantiavit in corpus et sanguinem suum. Scrm., xli, in cœna Domini, 8, col. 770.

11. Pierre de Blois, dans une lettre écrite, comme archidiacre de Bath, à un diacre d’Angleterre nommé Pierre, donc entre 1175 et 1195 environ : Pane et vino transsubstanlialis virtute verborum cwlestium in corpus et sanguinem Christ i. Epist., cxi., P. L., t. ccvii.col. 420.

12. Baudouin de Cantorbéry (évêque de Worcester en 1181), avant 1181, puisqu’il signe frater Balduinus Fordensis nwnaslerii servus, et en toute hypothèse avant 1184, date de la mort de son correspondant, dans sa lettre ou traité Liber de sacramento altaris, envoyé à Barthélémy, évêque d’Exeter, 1161-1184 : Panis… vel fit corpus Christ i et transsubstantiatur, vel mutatur, vel convertitur in corpus Christi, P. L., t. cciv, col. 662.

13. Alain de Lille, après 1179, puisqu’il fait allusion au concile de Latran de cette année, Contra hæreticos, ir, 14, P. L., t. ccx, col. 382, dans cette même œuvre emploie le mot fréquemment : Z)(ciin/… hiereti ci panem non transsubstaniiari in corpus Christi. Contra hæreticos, i, 57, col. 359. Trcmssubstanliatin est illa species mulationis secundum quam et mutatur materia et subslanlialis forma sed rémanent accidentia. Unde diciturtranssubstantiatio quia nihil de substantia remanet, i, 58, col. 360. Mêmes emplois du mot dans les Regulæ theologicæ, 107, col. 678.

14. Sicard de Crémone (vers 1185-1195?) : Mirabilius est de nihilo cuncta creare, quam creaturam transsubstantiare. Mitrcûe, iii, 6, P. L., t. ccxiii, col. 129. Super quæ cum oravit pro hostia transsubstantianda, eamque transsubstantiavit et iranssubstantiatam Patri obtulit, nunc oral pro ipsius acceptione, col. 131. On le trouve encore ailleurs, col. 91, 116, 117, 118. Dans sa Summa canonum qui ne peut que difficilement remonter avant l’année 1183, mais qui est antérieure au Mitrcûe, iii, 6, P. L., t. ccxiii, col. 117, le mot ne se rencontre pas moins de dix fois, aussi bien transsubstantiare que transsubstantiatio. Cf. les textes dans Gillmann, loc. cit., p. 420, note 5.

15. Pierre le Chantre, dans sa Summa de sacramentis, etc., encore inédite (ms. lat. Bibl. nat., 14445) qui veut surtout s’occuper des points moins étudiés dans les écoles : Et in hoc omittamus ea quæ usitatius soient inquiri, fol. 161, emploie le verbe transsubstantiare dans la question : Si alius panis quam de frumento transsubstantiatur in corpus Christi, fol. 164.

16. Huguccio, qui achève sa Summa au plus tôt en 1187, puisqu’il y cite le pontificat de Grégoire VIII (ms. lat.. Cambrai, 419, fol. 197), emploie sans cesse le verbe transsubstantiare, transsubstaniiari ; le substantif transsubstantiatio s’y rencontre aussi, mais moins souvent. Voir une longue liste de textes cités par Gillmann, loc. cit., p. 421-423.

17. Innocent III. Outre le De sacro altaris mijslerio, écrit avant son élévation au souverain pontificat (1198), comme tout porte à le croire, ses lettres font usage du mot, par exemple, le 29 novembre 1202. à Jean de Belesmes, ancien archevêque de Lyon : Quæsivisti… quæ sit forma verborum quamipse Christus expressif, cum in corpus suum et sanguinem, panem et vinum transsubstantiavit… alii tenent quod aqua cum vino transsubstantiatur. Epist., ꝟ. 121, P. L., t. cxxiv, col. 1119, 1121 ; cf. De sacro altaris mysterio, passim, 1. IV, 5, 17, 19, etc., P. L., t. ccxvii, col. 868, etc. ; mais en dehors des titres des chapitres, c’est le verbe transsubstantiare plutôt que le substantif qui a les préférences d’Innocent III.

18. Giraud le Cambrien qui offre son ouvrage fraî

chement composé à Innocent III en 1199, De rébus a se gestis, iii, 18, édit. citée plus haut, p. 119 : Qiiœritur si aqua transsubstanliatur in sanguinem. Item qaseritur si fada sit transsubslantialio partis in carnem. Gemma ccclesiastica, i, 8, édition citée, p. 17 et passim.

19. Garnier de Rochefort, cistercien, évêque de Langres : Ilanr igiliir spcciem panis et vini in corpus Christi transsubstantiatam miraris. Numquid ipse est quid transfiguratus est ? Scrm., xviir, P. L., t. ccv, col. f)87. Mêmes expressions dans le traité Contra amaurianos, écrit en 1208 an plus tôt, et vraisemblablement en 1210, par le même Garnier, comme tout porte à le croire. Bæumker, op. cit., p. 12-18 : Transsubstanliatur ergo panis et innum in corpus et sanguinem Christi. Et quid mirum… substantia panis verlitur in substanfiam carnis ; unde et illa conversio proprie transsubstantiatio nominatur, c. xi, xii, p. 60, 63 de l'édition de Bæumker, Ein Traklat gegen die Almaricianer, Paderborn, 1893.

20. Prévostin, qui écrit sa Somme vers 1200 et est chancelier en 1206, emploie continuellement les mots transsubstantiatio et transsubstantiare dans son chapitre sur l’eucharistie. Dans le manuscrit de Bruges 237 : une des seules rubriques porte comme titre : De verbis quibus fit transsubstantiatio, fol. 81. Gillmann a constaté l’emploi du mot 57 fois dans les manuscrits de Vienne 1501 et d’Erlangen 353. Der Katholil ;, 1910, t. II, p. 77.

21. Etienne de Langton. avant son élévation au siège de Cantorbéry en 1208, fait souvent usage du mot : Item iste panis transsubstantiatur… dicimw ! f/uod transsubstantiatur in totum Cltristum… Quselibcl pars transsubstantiala. etc. (ms. cité de Bramberg, fol. 68).

22. Simon de Tournai, vers la fin du siècle, dans sa Summa ou Institutiones : Quod genus mutationis qum fît in rucharistia ? Responsio de nmtatione quip fit virtute verbi quam sic distinguimus, aliud esse eomr.mtalionem, aliud esse mulationem, aliud transsubstantialionem (ms. cité, fol. 57). Même emploi du mot dans ses Disputationes (ms. de Bruges, 103, disp. LXV).

23. Jean le Teuton, l’auteur de la Glossa ordinaria, avant le concile de 1215, se montre fidèle disciple d’Huguccio ; il emploie ces expressions fort souvent ; dans la Glossa ordinaria imprimée, on en compte plus de trente exemples en marge du texte du Décret. Voir la liste dans Gillmann, ibid., p. 424, note 1.

24. IJ Instruclio sacerdolis, imprimée parmi les apocryphes de saint Bernard, mais de date imprécise, a la phrase suivante : Panis enim in manibits tin’s in corpus unigeniti Fili Dei transsubstantiatur, part. II, 9, P. L., t. CLXxxv, col. 785.

25. l.'Exordium magnum ristereiense, ii, (>, dû sans doute à Conrad d'Éberbach, entre 1206 et 1221 (voir Vacandard, Vie de S. Bernard, Paris, 1910, t. i, p. XMx ; Hiifrer, Der hl. Bernard von Clairvaux, Munster, 1886, p. 172-1837), rapporte un fait fort voisin de celui que relate Herbert dans son Liber miraculorum, iii, 26, mais ce dernier n’a pas le mot transsubstantiatio : Quidam monæhus… in tantam eordis innpiam deveneral ut diceret panem et vinum… nequaquam transsubslantiari passe in verum corpus et sanguinem Domiiii… (reproduit <hms aVita prima S. Bernardi, vii, 6, P. L., t. i.xxxv, col. 419).

La doctrine.

1. Son affirmation. — Si le mot ne

fait son apparition avec certitude que dans le’sccond quart du xif siècle et s’afiTirme avec une fréfjuence remarquable vers 1170-1180, il serait néanmoins complètement erroné, nous l’avons déjà vti. den conclure à une introduction aussi tardive et aussi limitée de la doctrine. Celle-ci se rencontre au xii » siècle avec une

netteté qu’elle doit au long travail des siècles précédents, à la transmission des anciens textes patristiques, aux etlorts de coordination et d’exposition didactique provoqués par la querelle bérengarienne d’abord, puis par les objections des autres sectes hérétiques. Voir plus haut. Nous avons déjà indiqué précédemment les principaux résultats qui se dégagent, nettement formulés, dans les écrits des adversaires de Bérenger ; on peut voir la place que prend dans cet exposé la doctrine catholique de la transsubstantiation et les réflexions qu’il suggère aux historiens du dogme même indépendants.

Les autres explications sont très nettement rejetées. Après la polémique bérengarienne, l’affirmation de cette même doctrine se perpétue dans des recueils d’un autre genre dont l’efficacité, en raison de leur nature même et de leur diffusion dans les bibliothèques des églises, pénètre jusque dans la vie quotidienne du clergé et par lui dans la croyance du peuple chrétien ; nous voulons parler des collections canoniques qui, depuis celle de Burchard de Worms et même avant elle. donnent une place importante au dogme eucharistique.

Leur but étant de mettre dans les mains des évêques et du clergé une espèce de Corpus de ce qui leur est nécessaire pour la direction de leurs ouailles (cf. la préface de la collection de Reginon de Prum dans l'édition de Wasserschleben), on s’explique parfaitement cette étroite union de la théologie et du droit canon qui apparaît dans tous ces recueils et se maintient même dans celui de Graticn, part. III, De eonsecratione, sur les sacrements, surtout dist. IIIV.

Il faut signaler en premier lieu, parmi les effets de ces collections canoniques, la transmission des textes patristiques qui parlent de la conversion du pain et du vin au corps et au sang du Christ. Sur cette conversion, citons les textes qu’on peut lire dans le Deerctum de Gratien, De consecralione, dist. II, et qui se rencontrent aussi chez ses prédécesseurs : can. 34 (attribué à Grégoire, en réalité de Lanfranc), en outre chez Yves (Décret et Panormie), .]it, cr (Liber Sentent.) : can. 35 (attribué h tort à F.usèbe d'Émèse, d’autres fois à Augustin, ou Hilaire, etc.), en outre chez Yves, etc. ; can. 141 (attribué à Augustin), en outre chez Yves, Alger, etc. ; can. 43 (De sacramentis. vi. 1 du pseudo-Ambroise), chez Yves. Alger, etc. ; can. 55 (ibid., IV, 4), chez Alger, etc. ; can. 69(.mbroise, /)c/?i(/.s7('r//.î, c. viii, ix), chez Lanfrane, Guitmond, Yves, Alger, etc. ; can. 72 (Augustin-Paschase), chez le cardinal Grégoire (Polycarpe), Alger, etc. ; can. 73, 74, 82. 83. etc. Une étude plus détaillée montrerait la présence des niêmes textes dans les collections inédites du xi*" et du xii «  siècle, celle de Saragosse (les plus anciens manuscrits, comme B. N., lai. 3875, n’ont cependant le livre contre Bérenger contenu dans la copie du Vatican, Barb. lai. 286-f). le Polycarpe, etc., dans le détail desquelles nous ne pouvons entrer ici. On peut se faire déj.à une idée du nombre et de la diffusion de ces formules patristiques en consultant les tables de l-'riedberg. Corpus furis canonici. t. i, p. xi.vi-i.xxiv des Prolegomena, Leipzig. 1879.

Avec ces textes, ces colleclions indiciuent en même temps d’une certaine façon leur exégèse, grâce à la suscription qui les introduit. Ces titres, qu’on doit consulter avec précaution, dans les éditions peu cri tiques de Burcliard ou d’Yves de Chartres, nous fournissent en peu de mots l’ensemble de la doctrine. Comme exemple, nous donnons ici les formules de Gratien. De ronsecrat., dist. Il : PosI consrcrationem non substrmtia, sed species rrmanct (can. 34) ; visibiles crcalurie in Christi corpus et sangtiinem invisibililer convertantur (can. 35) ; quare in specir pnnis et vini sacramentum suumClirislus nobis ministravil (can. 36) ;

non milura nasciliir, scd consccralionc nobis conficiitir corpus et sanguis Chrisii (can. 39) ; qiiod anle bencdictionem panis et viniim est, post bencdictionem est corpus et sanguis Chrisii (can. 40) ; sub specie panis el vini invisibilem Chrisii carnem et sanguincm suminms (can. 41) ; quare elemrnlorum specirs rcscrvenlur… (can. 43) ; unie consecralioncm est panis, sed verbis Chrisii in ejns corpus cointcrtitur (can. 55) ; qnibus exemplis pneler naturani siibstanlia panis et rini in corpus et sangninem Chrisii converti probctur (can. 69) ; ])Ost consccralioncm, ticet figura panis et fini nuineal, tamen nicliil est ibi nisi corpus et sanguis Chrisii (can. 74) ; corpus quod ex Virgine sumptnm est a fidelibus accipitur (can. 91), etc. Il serait aisé de dresser nne liste semblable à l’aide d’autres recueils canoiiiques ; contentons-nous de renvoytr le lecteur, dans l'état actuel des sources inédites, à la dissertation toujours précieuse des IJallerini (dans leur édition des œuvres de saint Léon, 7*. /.., t. c.vi, col. 9 sq.), et aux travaux de P. l’ournier, WoKT von Glanwell, Thaner, etc.

On le voit, toutes les données relatives à la conversion sont déjà fournies par les afllrniations des adversaires de Bérenger et par les textes recueillis dans les dossiers patristiques ou les collections canoniques. L’objet du dogme ne fait de doute pour personne : l’on croit à cette époque qu’il y a vraiment « conversion » , c’est-à-dire que toute la substance du pain et du vin est changée en la substance du corps et du sang de.lésus-Christ, que le pain et le vin n’existent plus après la consécration, mais que leurs apparences extérieures (forma, figura, proprielales, qualilas naturalis, odor, sapor, species, accidentia, etc.), continuent à subsister sans que leur substance y soit encore. Nous avons déjà indiqué la plupart des passages saillants en faisant le relevé des principales sources d’information. Pour la question spéciale des accidents, voir Eucharistiques (Accidents).

2. Explication et théories.

Mais l'étude même de la « conversion » et des problèmes philosophiques que soulève ce dogme a été faite par ces mêmes auteurs avec une succession de tâtonnements ou de progrès, qui affectent tantôt la pensée, tantôt l’expression ; n’oublions pas que tout le xiiie siècle théologique en est là. Il ne faudrait pas non plus vouloir trop presser le sens de certains mots du vocabulaire de l'époque qui ne s’est formé que petit à petit. Dès qu’elle sortait (les notions vulgaires, la terminologie des écoles, tenue en lisière par le legs des textes anciens et, par suite, désorientée quand elle se trouvait en face d’expressions dont l’interprétation historique lui faisait défaut, ne pouvait atteindre sa fixation définitive que par un long travail d'épuration. Le mot seul de subslantia, qui joue son rôle dans la formation du mot Iranssubslanticdio, donnait lieu à plus d’une équivoque ; Guillaume de Conches le faisait remarquer à ce moment, Dialogus de substanliis physicis, Strasbourg, 1567, p. 8. Il en allait de même avec les mots forma, accidens, etc. "Voir, par exemple, Pierre Lombard, 1. II, dist. XXXVII, 4 ; 1. 1, disL VIII, 8, etc., ou les dictionnaires de théologie de l'époque. Alain de Lille, Distincliones distinclionum Ihiologicarum, P. L., t. ccx, col. 960, etc. Voir aussi Espenberger, Die Philosophie des Pclrus Lombardus, dans Beilrâge zur Geschichte der Philosophie des Millelallers, MunsteT, 1901, t. iii, fasc. 5, p. 37 sq. ; Baumgartner, Die Philosophie des Alaniis de Insulis, ibid., Munster, 1898, t. II, fasc. 4, p. 39. Passons en revue quelques individualités ou quelques groupes.

Alger de Liège avait trouvé une formule des plus exactes dans sa brièveté : quidquid enim mutatur in aliud, in alio'^desinit esse quod fueral sive substanlialiler sive accidenlaliter ; sed in pane et vino cum in

corpus Chrisii mulantur, accidenlia (qu’ailleurs il appelle souvent forma, qualilales, etc.) esse non desinunl, sed omnia rémanent. Ergo panis et vini subslantiæ esse desinit. Op. cil., i, 7, P. L., t. clxxx, col. 756-757. La légitimité de ses déductions laissée à part, on ne pourrait mieux dire.

Pour être plus développées, les considérations de Guitmond sur les quatre espèces de changements « substantiels » , reriim miilaliones subslanlivas sive e/ficienlias, op. cit., ii, /'. L., cxlix, col. 1 143, citées par la Bible, ne contenaient rien de plus : pur création ; par anniliilation, col. 1443 ; cf. ce qu’il y dit des accidents qui périssent ou qui se changent en d’autres, col. 1443-1444 ; par le passage naturel ou miraculeux en une substance non existante auparavant, col. 1144 ; par le passage d’une chose existante en une autre déjà existante aussi, col. 1444 ; ce dernier mode est réservé au seul cas de la « conversion » , col. 1444.

Si nous passons aux principaux représentants de l’enseignement scolaire, nous constatons chez Robert Pulleyn, Sententiæ, VIII, 5, P. L., t. clxxxvi, col. 966-908, toute la doctrine de la conversion avec la permanence des accidents, sans le mot de transsubstantiation. Il se rencontre pour plusieurs expressions avec Roland Bandinelli, son confrère dans le cardinalat.

Dans tout son exposé, Hugues de Saint-Victor se montre d’une sobriété qui tranche avec les développements de la plupart des représentants du groupe abélardien ; mais, pour succinct qu’il soit et dépourvu de toute verbosité dialectique, le c. ix du De sacramentis, 1. II, part. VIII, constitue un modèle de précision theologique, qui écarte toute idée ou expression inexacte et digne d’un esprit clair et ferme comme le sien. Cette conversion se fait non pas per unionem, mais per Iransilionem ; il n’y a pas d’augmentation quantitative. De plus, le corps du Christ ne reçoit pas son être de ce pain, mais la substance du pain se change dans le vrai corps que possède le Christ et ce changement du pain ne se produit pas, parce que le pain cesse d'être, mais en devenant ce qu’il n'était pas. Hugues donne alors les motifs de la précision de son langage, en opposant les divers points énumérés de la vraie doctrine aux diverses catégories d’erreurs. P. L., t. CLxxvi, col. 468.

Le célèbre contemporain de ces deux auteurs, Abélard, a eu, semble-t-il, sur la permanence des accidents ou tout au moins sur la disparition du pain et du viii, une idée étrange et qui ne peut se concilier, quoi qu’en ait pensé son auteur, avec la croyance orthodoxe. A en juger par l’accusation de Guillaume de Saint-Thierry, Disputalio adversus Abcelardum, c. IX, P. L., t. CLXXX, col. 280, par la lettre de saint Bernard à Innocent II, Epist., cxc. De erroribus Abxlardi, c. iv, P. L., t. clxxxii, col. 1062 : omillo quod dicil… post consecralionem panis et calicis priera accidenlia qiiæ rémanent pendere in aère, et par les échos que reflètent les affirmations de ses disciples immédiats ou médiats, il aurait enseigne que la substance du pain et du vin disparaîtrait et que les accidents subsisteraient dans l’air. Cf. les textes de Roland, etc., dans Gietl, op. cit., p. 234, note 11 ; Sententiae divinitatis, édit. Geyer, p. 134 ; cf. Déni (le, Die Senlenzen Absclards, etc., dans VArchiv fur Literaturund Kirehengeschichle des Millelallers, 1885, 1. 1, p. 433. Le texte même d’Abélard ne nous a été conservé que par les courtes citations des Capitula errorum Pétri Abaslardi, c. ix. Voici ce que nous y lisons, édit. Cousin, t. ii, p. 768, ou P.L., t. clxxxii, col. 1052 : De speciebus panis et vini quseritur si sint modo in corpore Ciirisli, siciil prius eranl in substcuitia panis el vini quse versa est in corpus Chrisii, an sinl in acre. Sed verisimilius est quod sint in aère, cum sinl in

corpore Christi sua lineamenta et suam speciem habeal sicut aliacorporahumana. Species vero istse, sciliceipanis et vini, fiunt in ore ad celandum et oblegendum corpus Christi (ne serait-ce pas in aère, au lieu de in ore ?). Cette explication aboutirait donc à dire que l’air apparaît coloré, etc., à la façon du corps du Christ. Telle qu’elle est exposée par certains disciples ou relatée par les théologiens suivants, voir jjIus loin, elle se contente d’affu-mer une simple succession de la substance du corps à la place de la substance du pain ; elle devait survivre un demi-siècle environ à son auteur, jusque dans les gloses du Dccrelum. Voir plus loin, à propos de la transsubstantiation chez Pierre Lombard. Mais si l’explication prête à des interprétations qui ne s’harmonisent pas avec le dogme, remarquons que le groupe abélardien est en général fort correct dans l’affirmation même de la doctrine de la conucrsio ; ce qui constitue une forte présomption en faveur de l’orthodoxie du Maqisler Pcirus sur ce point. Il serait pertnis d’en conclure que les idées du maitre ne péchaient que dans l’explication qu’il espérait pouvoir donner de la doctrine.

La Summa sententiarum, vi, 4, P. L., t. clxxvi, col. 141, qui présente, en maint endroit, des accointances avec le maître du Pallet, cf. Clæys-Bouiiært, dans la Revue d’histoire eecicsiastique, Louvain, 1909, t. X, p. 278, 710 sq., est fort brève et discrète sur ce point ; ce qu’elle doit, sans doute, à Hugues de SaintVictor, un de ses principaux modèles. A part la ques^tion in quo sit illa species et sapor, nous n’y trouvons rien de spécial. Dans l’Epitome, c. xxix, P. L., t. cLxxviii, col. 1740-1744, il est à peine question de la conversion, ibid., col. 1741. En dehors d’une objection, les Sentences du manuscrit anonyme de Saint-P’lorian n’en disent guère davantage. Cf. Gietl, op. cit., p. 228, 10. Par contre, Roland Bandinelli, édit. Gietl, p. 223, Ognibene, ibid., et les Sententiæ diuiniialis, édit. Geyer, p. 128-142, lui donnent beaucoup plus d’extension. Roland, plus subtil que le Lombard dans son argumentation, prouve d’abord que la substance du pain et du vin est changée au corps et au sang de Jésus-Christ ; à cet effet, il fait appel au texte d’Eusèbe d'Émèse (Fauste de Riez), classique depuis Paschase et Hériger, et à deux textes de saint Ambroise. Puis il accumule les objections dont plusieurs ont pour objet l’augmentation quantitative du corps du Clirist et sa formation en dehors du sein de Marie.

Les réponses se rangent en deux catégories : la première veut que la substance, qui était, avant la consécration, pain et viii, soit ensuite corps et sang ; la seconde qui a les préférences de Roland : que senlencia noslris pocius quam alia /icre/pec/or/ii/s, p. 226, sacrifie en fin de compte, bien qu’elle conserve le mot, p. 231, la notion de transsubstantiation, puisque, si elle admet la substance du corps et du sang sous les mêmes espèces qui recouvraient la substance du pain et viii, elle adopte une explication inconciliable avec le changement de l’un en l’antre : sul>stanli<i punis et vini dicuni quonium dissolvitur et redit ad elementa (c’est la troisième des explications rappelées par le Magister Sententiarum, I. IV, dist. XI, 4, édit. Quaracchi, p.2.39).

Les Sententiie dioinitatis ne tombent pas sous le même reproche ; la pensée y est correcte ; on ne peut relever chez leur auteur qu’une terminologie inexacte qui confond les changements formel et accidentel. Il y a, dit-elle, deux espèces de changements de sulv stance : mutât io su bstantiarwn quandoquc fit secundum accidentia tantum (femme de Loth changée en sel, .'eau en viii, la glace en cristal, etc.), quandoquc secundum utrumquc ; c’est cette seconde espèce qui se produit dans la conversion eucharistique : le pain cesse d’exister ainsi que le vin ; leur goût, couleur, etc., subsistent, mais plus en eux et pas non plus dans le

corps du Christ, el iia hic fit commulalio secundum ulramque, édit. Geyer, p. 131-132.

Après avoir nettement établi le fait de la conversion, cf. les derniers mots du 1. IV, dist. X, n. 2, édit. Quaracchi, p. 215, Pierre Lombard, dist. XI, n. 1, ibid., p. 238, pose le problème de la nature de cette conversion (le mot de « transsubstantiation » ne se rencontre pas sous sa plume) ; est-elle formelle, demandel-il, substantielle, ou de quelque autre genre ? vel allerius generis ? Elle n’est pas formelle, car la persistance des accidents (species rerum) s’y oppose ; il penche pour la conversion substantielle ; mais une objection de ses adversaires, fréquente alors encore, sur l’augmentation du corps du Christ qui en serait la conséquence, ne provoque dans son esprit qu’une réponse peu ferme : qui bus… respondcri potest. Elle se borne à nier que la conversion se fasse de la même manière que la formation du corps du Christ dans le sein de Marie et, pour l’explication, il en appelle à la toutepuissance divine, en s’abritant, pour cacher sa fuite, derrière une formule attribuée à saint Augustin, Lifter Sententiarum Prosperi.u : Si vero quwris modum… breviler respondeo : myslerium… investigari salubriter non potest, 1. IV, dist. XII, 2, que lui procurait Alger de Liège, op. cit., i, 9, P. L., t. clxxx, col. 767. Vient ensuite, ibid., 2, édit. Quaracchi, p. 239, l’examen d’une question corollaire qui, chez Roland et d’autres, n'était pas assez franchement distincte du problème principal. Le Mrtf/Z.s/er a fort bien vu qu’il fallait séparer les deux questions, dont la seconde se réduisait chez beaucoup à un véritable exercice de dialectique d'école. La voici : la substance du pain est-elle ù un moment donné le corps du Christ ? Ici plusieurs opinions sont passées en revue avec l’explication de quelques expressions rencontrées incidemment chez les Pères et les auteurs antérieurs. Cf. Alger, par exemple, op. cit., i, 6, 7, P. L., t. clxxx, col. 755 sq. La discussion dans les milieux scolaires doit avoir été vive et prolongée, à en juger par quelques citations ; elle se manifeste pendant toute la durée du siècle et saint Thomas en a encore l'écho.

Cf. Robert Pulleyn, op. c//., V III, 5, P. L., i. clxxxvi, col. 965-967 ; Etienne de Tournai, op. cit., I. III, dist. II, c. XL, p. 273-274, qui cite les avis de Robert de Melun, Adam du Petit-Pont, Richard de SaintVictor, etc. ; Alain de Lille, Regulæ theologicæ, 107, et Contra hærcticos, i, 58, P.L., t. ccx, col. 678, 360-361 ; Innocent III, op. Cl/., I. IV, 20, AL., t. ccxvii, col. 870sq., dit avec une sage réserve de toutes ces questions qui défrayaient la fécondité dialectique des écoles : circa prœscntem arliculum subtiliter magis quam utiliter possunt inquiri, ibid., col. 870. Giraud le Cambrien, après avoir enregistre les divers avis, en dit autant. Gemma ccclesiastica, i, 8, édit. citée, p. 28. Mêmes questions chez Prévostin, Simon de Tournai, Etienne Langton, nis. cité, fol. 67, etc. Voir aussi dans les gloses imprimées du Décret, à défaut « les inédites, l'écho de ces discussions dialcctico-tliéologiques chez les canonistes, par exemple, De consecrat., dist. II, c. 1, 2, 71, 72, etc.

L’on comprend que Pierre le Lombard n’ait pu se dispenser de faire le relevé dos diverses solutions apportées de son temps et dont la dernière seule est nettement rejetée par lui. La première répond négativement, bien qu’elle admette quo le pain devienne le corps du Christ. La seconde, qui a les syiupathies du Magister, i{ voir la manière dont il la défend :  ; iec tamen dicimus, admet que ce qui était le pain et le vin est, après la consécration, le corps et le sang ; mais la substance du pain n’est pas la substance du corps, ni celle du vin n’est la substance du sang. Les deux modes d’explication qui suivent remettent en lin de compte en question la vraie notion do la transsubstantiation : 12PP

EUCHARISTIE AU XV SIÈCLE EN OCCIDENT

1300

l’une qu’il relate ici d’une manière impersonnelle, bien queplusloin il s’en inspire partiellement dansla théorie qu’il adopte pour les accidents, dist. XII, 1 (Bandi nus, son abréviateur, qui réduit notablement ce chapitre par de vigoureuses coupures, reste hésitant entre deux interprétations dont l’une n’est pas orthodoxe, op. cit., P. L., t. cxcir, roi. 1096), prétend voir après la consécration la substance du corps et du sang sous les mêmes accidents sous lesquels était auparavant la substance du pain et du vin ; celle-ci retourne aux éléments ou est annihilée ; cf. Roland, plus haut ; la dernière enfin affirme la permanence du pain et du vin et la juxtaposition simultanée de la substance du corps et du sang. Cette explication est rejetée avec vigueur et il conclut : posl consecralionem iijitur non est ibi subsfantia panix vel vint, liret species remaneant, col. 239. Une glose du Décret, De consecr., dist. II, cl, apporte ici que cette op/nîopcr/or es/, Lyon, 1634, p. 1911, mais fait remarquer que toutes ces explications admettent cependant la présence réelle.

Les quelques objections touchées par le Lombard, aux divers endroits énumérés, sont reprises par Pierre de Poitiers dans son chapitre : quis modus conversionis quantum valeat e.rplicari, Sent., 1. V, 12, P. L., t. ccxi, col. 1246, et poussées avec sa recherche dfalectique accoutumée. Nous ne le suivrons pas sur ce terrain. Constatons seulement sa restriction quantum valeat explicari (est-elle dans l’original ?) et les tria gênera conversionis qu’il connaît : par la première, aliqua suhstantia transit in alicmt ut sit ejus materia jacla varietate proprietatum circa materiam et materialum (exemple : l'œuf et l’oiseau ou le filix) et cela par processus naturel ou artificiel ; par la seconde il y a mutatio proprietatum ou circa eamdem rem variatio, mais permanence de la substance, par exemple, pain issu de farine, femme de Loth ; parle tertium genus mutationis qui n’a lieu que dans l’eucharistie, il y a passage de la substance du pain en la substance du corps, avec permanence des proprietates que possédait le pain, op. cit., col. 1246, et le meilleur mot pour le dire est transsubstantiation, col. 1247.

Moins usité, mais plus clair est le vocabulaire d’Alain de Lille, dans son traité Contra hæreticos, I, 58, P. L., t. OCX, col. 360, que résume la règle 107 de ses Regulse theoloqicee. Ibid., col. 678. La transsubstantiation n’est pas Valteratio ni Valteritas, mutatio quse fit secundum varietatem accidentium in eodem subjecto (comme le passage, d’un objet du blanc au noir) ; Valteritas est une autre espèce de changement, in qua mancnic eadem materia, non manent substantialia(paT exemple, vin de Cana) ; enfin, la transsubstantiation est une troisième espèce qui change la matière et la forme substantielle, mais laisse persister les accidents : illa species mutationis secundum quam et mulatur materia et substanticilis forma, sed rémanent accidentia. Ibid., col. 360.

On voit que, si le docteur universel est un des grands représentants du platonisme, à la fin du xiie siècle, sa terminologie et ses explications ne s'écartent guère pour le fond des idées communes puisées dans l’héritage occidental d’Aristote-Boèce. Cf. Baumgartner, op. cit., p. 12, 13, etc.

Pour l’explication de Simon de Tournai (commutatio, mutatio, transsubstantiatio) et celle de Raoul l’Ardent qui lui ressemble de ' près, voir les Recherches de science religieuse, novembre 1911. La théorie d’Etienne Langton, qui distingue une triplex mutatio : accidenlalis (noir en blanc), subslantialis (eau de Cana), materialis (transsubstantiation), avec une quatrième espèce qu’il appelle naturalis (vas. cité de Bamberg, fol. 68), aura sa place ailleurs.

Pour Innocent III, il y a deux espèces de conver sions : la substantielle et la formelle ; toutes deux se suh(Uvfient : forma convertilursine substantia, suhstantia couvert iUir sine forma, utraque cum altéra ; quant k la conversion qu’il dit substantielle : suhstantia quandoquc convertitur in id quod sit (fit) et non ernt (la verge de Moïse, Exod., vu) et tune forma convertitur cum suhstantia, quandoque convertitur in id quod erat et non fit ; telle est la conversion du pain dans l’eucharistie et, alors, la substance est changée, mais non la forma. Ce dernier membre indique avec certitude ce qu’il faut encore entendre à ce moment par le mot forma ; nous sommes encore loin de la théorie aristotélicienne de la forme ; le mot se ressent encore de sa synonymie, si fréquente dans l’usage du xiie siècle, avec species ou accidens.hxanl cela, l’auteur avait signalé deux explications de la transsubstantiation, entre lesquelles il ne dit pas clairement ses préférences ; mais le reste de tout le traité nous indique qu’il rejette la première ; celle-ci consiste à dire que le corps du Christ commence à être présent à la place du pain sous les mêmes accidents, tout comme la lettre a se change ene dans ago, egi, selon l’expression des grammairiens. La seconde manière d’expliquer la transsubstantiation exige un vrai changement du pain en ce qu’il n'était pas auparavant. Op. cit., IV, 20, P. L., t. r.cxvii, col. 870, 871.

3. Défense apologétique du dogme et de son expression contre les hérétiques.

Chez la plupart de ces auteurs, il n’est pas fait d’allusion à la création récente du mot (voir plus loin) ; quant à la doctrine elle-même désignée par ce terme, rien ne donne l’impression d’une nouveauté fraîchement introduite. Par tous, elle est acceptée comme croyance commune et nécessaire ; les divergences ne se produisent que dans l’explication de quelques points. Le partie consacrée chez eux à l’apologétique du dogme est assez développée ; il est rare qu’ils manquent de faire appel soit à l’action créatrice toute-puissante, soit à des analogies naturelles, qu’ordinairement ils signalent comme incomplètes, soit à des miracles de la vie du Sauveur (naissance virginale, multiplication des pains, apparition après la résurrection). Les passages sont trop nombreux pour que nous les énumérions ici. Plusieurs s’inspirent des pages de Paschase ou d’Eusèbe d'Émèse (Fauste de Riez) déjà fréquemment citées, ou des textes codifiés par Gratien. Mais ces comparaisons et ces essais d’explication ne les empêchent pas d’assurer que le dogme dépasse les limites de la raison. S’ils en écartent les contradictions, s’ils suppriment la cause de beaucoup d’attaques en précisant bien les concepts, notamment sur la nature non soumise aux lois de l’espace et sur les éléments qui interviennent dans la transsubstantiation, ils n’hésitent pas à reconnaître que toute tentative d’aller plus loin est vaine.

Nombreuses sont les réflexions par lesquelles Ils se défendent de pousser plus avant leurs recherches dialectiques ou métaphysiques. On y a fréquemment fait allusion déjà dans cette étude. Contentons-nous de citer ou de rappeler ici VEucharistion d’Honoré d’Autun, P. L., t. clxxii, col. 1253 ; la Summa sententiarum, 1. VI, 8, P. L., t. clxxvi, col. 445 ; les Sententiæ divinitatis, édit. Geyer, p. 133 ; le Brevis traclatus mis sous le nom d’Hildebert. P. L., t. cLxxi, col. 1153-1154 ; le De sacramentis de Hugues de Saint-Victor, 1. IL part. VIII, 11, P. L., t. CLXXVI, col. 469 ; le Liber de sacramento altaris de Baudouin de Cantorbéry, P. L., t. cciv, col. 678 ; Pierre Lombard, toc. cit., avec le texte pris à Alger qui revient souvent ailleurs ; Etienne de Tournai » op. cit., ibid., c. xliv, p. 274 ; Pierre de Poitiers, op. cit., 1. IV, 13, P. L., t. ccxi, col. 1254 : vanum mihi videtur in hujusmodi laborare et sequi naturam

in miraciilis ; Sicard de Crémone, Milrale, vi, 3, ; P. L., t. ccxiir, col. 129.

L’explication de Guillaume de Saint-Thierry qui pose clairement le problème quid in sacrificio sancto secundum naturam, quid supra naiuram facial naiurarum omnium creator Deus, De sacramento altaris, IV, P. L., t. cLxxx, col. 350-351, est peu heureuse. Elle part du principe de Boèce : Sola quippe mutari transfnrmarique possunt quæ habent unius matrriæ commune sub/ectum, à savoir, seulement ra quæ in se et facere et pati passant ; mais prise au pied de la lettre et sans l’exposé que fournissent les autres parties de son traite, elle donne de la conversion une interprétation qui confine à l’inexactitude.

A l’objection des hérétiques qui se demandaient si la transsubstantiation constitue un article de foi malgré son absence de tous les symboles (apostolique, Nicée, athanasien), Alain se contente de rapporter la réponse de certainsdocteurs dutemps, quis"appuient sur le silence des hérétiques des premiers siècles à ce sujet, pour affirmer la croyance commune à la transsubstantiation à cette époque ; tandis que les erreurs des ariens, des nestoriens, etc., ont fait préciser les articles du symbole sur la trinité et l’incarnation. Quant h lui, il croit pouvoir voir l’affirmation de ce dogme dans l’article de la comnuinion des saints, l’eucharistie unissant tous les fidèles : dici tamen potest. Contra Ixœrelicos, i, 50, P. L., t. cc.x, col. 363.

Pierre de Poitiers justifie le mot par l’analyse du concept y contenu en opposition à tnmsformari : Quia nullam verbum adeo proprie hic ponitur sicut Iranssubstantiari, quia substantia in substantiarn transiuit manentibus eisdem proprietatibus ; cum vero dicitur : panis transjormatur in corpus Christi, non est salis expressuni quia non transit forma in formant. Sententiæ, 1. V, 12, P. L., t. ccxi, col. 1247.

Ici, comme souvent ailleurs, Garnier de Rochefort s’inspire des expressions de Pierre de Poitiers : iinde et illa convr/sio propric transsubstantiatio nominatur. Op. cit., c. xii, édit. Bæumker, p. 6'^.

Vers la même époque, Baudouin de Cantorbéry défend fort judicieusement le dogme et son expression contre tout reproche : Conftletur Hcclesia sicut ex Iraditione ortlwdoxorum Pidrum indubilantcr apparet quod panis virtute divina> benedictionis efficitur corpus Clxristi, vcl fil corpus Christi et Iranssubstan tiatur vel mutatur vcl corwertitur in corpus Cliristi, mullisquc modis aliis fidei inslilutum explicat. Et cum in hac ftdei confessione multa sit verborum dirersilas, una est tamen fidei pictas et individua confessionis unitas. Et quamvis h.-rc nnmina, nuitatio, conversio, cwteraque similia, nuilationem vel coniwrsionem indicantia, quantum ad hanc fidei confessioncm magis novce invenlionis esse videantur quam cvanqelicæ vel apostolicap. Iraditionis, sanctis tamen docloribus… placuit ob piiim fidei confessioncm, hujuscemodi verbis uli. Sec judicanda est profana verborum novitas quant indiixit sanctorum Polrum auctorilas et fidei pielas et ipsius confessionis iteccssitas. Aliquo enint modo oporluit dici quod debuit credi, et comme exemple, dont on puisse s’autoriser, il apporte l'ôî/oo-j-Ttov et la pcrsonn, liccl de Xono cuit Vcteri Testamento aucloritatem non hahennt. Op. cit., P. L., t. r.civ, col. 662. Voir aussi le c. xt du De sacramento altaris de Guillaume de Saint-Thierry, qui, en donnant la raison des expressions des Pères, fournit une défense indirecte de la doctrine ainsi précisée. P. L., t. clxxx, col..359.

Cet exposé de la doctrine de la transsubstantiation et des explications dont on l’accompagne au xii'e siècle nous dit clairement combien celle croyance était universellement répandue et nettement fornnilée à cette époque. La définition du concile de Latran,

en 1215, en est le couronnement naturel : Cujus (Jesu Christi) corpus et sanguis in sacramento altaris sub speciebus panis et vini veraciler conlinentur, transsubstantiatis parte in corpus et vino in sanguinem potestate divina, c. i. IMansi, t.xxii, coI.983 ; DenzingerBannwart, Enchiridon, n. 430. Ce long développement historique dont la définition de Latran, reprise par le concile de Trente, constitue l’aboutissant, nous fournit en même temps une base d’appréciation qui réduit à sa juste valeur les réflexions de l'évêque anglican de Birmingham, Ch. Gore, sur la transsubstantiation et le nihilisme. D/ssrrta/î'o/is, etc., Londres, 1895, p. 229-286 ; The bodg of Christ, Londres, 1905. Reprenant l’idée de Pusey sur la consubstantiation, dans le sens de la coexistence du pain et du viii, Gore établit un contraste entre les principes qui ont présidé à l'élaboration de la doctrine christologique et ceux qui ont commandé le développement de la formule de la transsubstantiation. Pour ce dernier dogme, on en est arrivé, dit-il, à annihiler l'élément naturel au point de détruire complètement le pain, tandis que dans les formules christologiques on s’est toujours mis en garde contre toute atteinte à la réalité de l'élément humain dans l’union des deux natures. Sans nous arrêter à ce que, en théorie, cette analogie entre les deux dogmes peut avoir de spécieux à première vue, nous constatons que les considérations de Gore ne trouvent nullement leur confirmation dans la réalité des faits du xiie siècle. I^es principes qui auraient dû, d’après lui, diriger les formules, ont poussé les théologiens de cette époque à des résultats diamétralement opposés aux idées qu’il expose. Les théologiens qui préconisent le plus la suppression de l'élément naturel dans l’eucharistie sont souvent ceux qui divinisent le moins la nature humaine et réciproquement. Nous n’avons donc pas ici le parallélisme, auquel l’on serait en droit de s’attendre comme conséquence de la théorie de Ch. Gore : l’hypothèse n’est nullement vérifiée par les faits. Quant au nihilisme christologique, il ne peut être mis en avant ici ; il n'était nullement la négation de la réalité de l'élément humain. Le théologien du Pallet, par exemple, ne sera jamais représenté comme grandissant l'élément divin dans le Christ au détriment (le la nature humaine ; or. c’est lui qui, dans sa théorie de l’eucharistie, pousse à l’annihilation du pain et du viii, encore au delà de ce que veut le dogme de la transsubstantiation ; une remarque analogue peut s’appliquer ; "i Folmar de Triefenstein et à d’autres. Ce sont donc d’autres considérants que ceux dont Gore fait l’exposé qu’il fait invoquer ici. D’autre jiart, le pende succès t|ue ces théologiens ont rencontré dans leurs excès d’annihilation, nous fait toucher du doigt un autre élément que Gore n’a pas fait entrer en ligne de compte ; ce sont ces données de la tradition qui, malgré quelques explications ou comparaisons passagères, ducs souvent aux besoins de la polémique et, par suite, suspectes dans leur généralisation, marquaient une orientation nette vers la fornuile de la transsubstantiation. Le xiie siècle, nous l’avons vii, les a fréquenmient invoquées.

.1. deGiiei.i.inc.k. VI. EUCHARISTIE OU Xlir AU XV « SIÈCLE. — L Écrits (le cette jiériode et leurs caractères généraux. H. Leir doctrine eucharisti()iie. III. Erreurs de Viclif sur l’eucharistie. IV. L’eucharistie au concile de Florence.

I. Écrits de cette ppinioDi- : et i.eibs CARACTrcRES oÉNÉRAUx. — 1° Au xiiie siècle, véritable âge d’or de la scolastique, il parut sur l’eucharistie des ouvrages de plusieurs sortes. D’abord, quelques écrits, d’allure moins scolastique, dans lesquels la doctrine eucharistique est exposée plus lilirement que dans les

traités d'école, avec plus d’abondance verbale et dans des cadres moins techniques. Tels sont le De sacramento eucharisliæ de Guillaume d’Auvergne, évêque de Paris, en sept chapitres. Opéra omnia, in-fol., Venise, 1591, part. II, p. 410-431 ; le Liber de sacramento eucharisliæ d’Albert le Grand, Opéra, Paris, 1899, t. XXXVIII, p. 191-432. D’autres sont des commentaires développés des Senlenccs de Pierre Lombard, dont ils suivent le plan exposé plus haut, col. 1260 sq. Nommons ceux de saint Bonaventure, d’Albert le Grand, de saint Thomas, de Pierre de Tarentaise, de Richard de Middletown, de Duns Scot, voir t. iv, col. 1870-1871. Des Sommes, plus indépendantes du Maître des Sentences dans le plan et la méthode, sinon dans la doctrine, virent aussi le jour. On connaît la Summa iheologiæ d’Henri de Gand, Paris, 1520 ; VUniversæ iheologiæ summa d’Alexandre de Halès, part. IV, q. x, Venise, 1575, t. IV, p. 122-228 ; la Summa contra génies, 1. IV, c. LXi-Lxix, et la Summa Iheologica, III » , q. lxxiiiLxxxiii, de saint Thomas d’Aquin. Enfin, on trouve des résumés substantiels de la doctrine eucharistique danse Breviloquium, part. VI, c. ix, de saint Bonaventure et dans la prose Lauda Sion, de la messe du saint-sacrement par saint Thomas.

Dans ces divers écrits, la doctrine eucharistique, ébauchée au xiie siècle, s'élabore définitivement et atteint en saint Thomas sa perfection. Héritiers de leurs prédécesseurs, les scolastiques du xiiie siècle profitent des ressources scripturaires et patristiques, accumulées par eux, les complètent, précisent encore leur terminologie déjà en progrès, discutent leurs essais de solution, rejettent ceux qui leur paraissent insuffisants, fortifient et mettent en lumière les explications les mieux réussies et en proposent parfois de nouvelles. Ils ont à leur service une langue plus précise et plus nette, ils suivent une méthode plus rigoureuse et ils se servent, les derniers surtout, pour la systématisation des données révélées, de la philosophie aristotélicienne, définitivement introduite dans les écoles catholiques par saint Thomas. Leurs explications de la transsubstantiation, du mode d’existence du Christ dans l’eucharistie et de la persistance des accidents sans sujet connaturel d’inhérence sont notamment plus fermes et plus nettes. L’enseignement de ces docteurs est identique, pour le fond, et il n’est différent que sur quelques points particuliers, que nous indiquerons plus loin.

2° Au xiv « et au xve siècle, les docteurs catholiques continuent à expliquer le Maître des Sentences, mais ils suivent les voies tracées par saint Thomas et Duns Scot, qui deviennent les chefs de deux écoles divergentes. Les dominicains restent généralement fidèles au docteur angélique ; nommons Pierre de la Palu, In 111^"^ el /V"™ Sent., 2 in-fol., Paris, 1517, 1518, et Capréolus, le prince des thomistes, Defensiones tlieologiæ divi Thomx Aquinalis, In IV Sent., Opéra, édit. Paban et Pègues, Tours, 1906, t. vi, p. 144-294. Voir t. ii, col. 1694. En rapprocher les 32 sermons De eucharislia, attribués à Albert le Grand, qui sont du xv » siècle. Voir A. Vacant, Histoire de la conception du sacrifice de la messe dans l'Église latine (extrait de l' Unil’erszVé ca/Ao/içue), Paris, Lyon, 1894, p. 40, noteS, et plus haut, 1. 1, col. 674-675. Les deux traités : De venerabili sacramento altaris ; De sacramento eucharistise, qui figurent au nombre des apocryphes de saint Thomas, peuvent passer pour des écrits de doctrine thomiste, appartenant à l'école du docteur angélique. Jean de Paris († 1306) a écrit un petit traité De modo existendi corporis Christi in sacramento altaris, où il propose des idées nouvelles qui ont été réfutées par les autres docteurs. Durand de Saint-Pourçain, plus tard, s’est joint aux nominallstes. Voir t. iv, col. 1965. Les franciscains restent régulièrement fidèles à la pensée

de Duns Scot. Citons Pierre d’Auriol, François Mayron et François de Baccho dans leurs commentaires du IV « livre des Sentences. L’augustin Gilles de Rome a commenté les Sentences et a publié deux écrits spéciaux : un Tractatus de corpore Christi, Bologne, 1481, et des Theoremata in hostia consecra/a, Cologne, 1490. lisse rattachent à l'école scotiste, ainsi que les nominalistes, Guillaume Occam, Holkot, Durand de SaintPourçain, Gabriel Biel et Pierre d’Ailly. Nous signalerons plus loin les points de doctrine sur lesquels ils s'écartent du sentiment commun. On leur attribue à tort une sorte de consubstantiation du pain et du corps du Christ, qui aurait amené Luther à imaginer la théorie de l’impanation. Voir encore le De corpore Christi de Nicolas de Lyre, Paris, 1513.

II. Leur doctrine eucharistique.

Nous ne relaterons pas ce que les docteurs de cette époque ont dit des noms et des figures de l’eucharistie. Ils envisagent l’eucharistie comme sacrement plutôt que comme sacrifice, et ils le distinguent des autres sacrements principalement en ce qu’il n’est pas un simple signe, mais en ce qu’il contient vraiment, réellement, corporellemenl, le corps du Seigneur pour être la nourriture spirituelle des chrétiens et qu’il est un signe permanent dont l’existence est antérieure à l’usage qu’on en fait ; on peut donc grouper leur doctrine eucharistique autour de ces quatre points principaux : 1° la présence réelle du Christ au sacrement ; 2° la transsubstantiation ; 3° le mode de présence ; 4° le sacrement lui-même.

Présence réelle.

1. Son existence et sa démonstration. — Tous sans exception enseignent la présence

réelle du Christ. Ils n’en donnent pas tous les mêmes preuves. Guillaume d’Auvergne en appelle à la promesse : Caro mea vere est cibus et sanguis meus vere est potus. Joa., vi, 56. De sacramento eucharisliæ, c. iii, dans Opéra omnia, part. II, Venise, 1591, p. 420-421. Alexandre de Halès raisonne sur les paroles de l’institution : Hoc est corpus meum, qui affirment la présence véritable du corps sous les espèces et qui sont la forme de la consécration du pain. Summa theol., part. IV, q. X, m. VII, a. 3, § 1, Venise, 1575, t. iv, p. 193. Le B. Albert le Grand tient le contraire pour une hérésie, mais, pour le prouver, il recourt au raisonnement et ne cite aucun texte, soit scripturaire, soit patristique. In IV Sent., 1. IV, dist. X, a. 1, Opéra, Paris, 1894, t. XXIX, p. 244. Saint Bonaventure prouve que le corps du Christ est vraiment à l’autel mulliplici auctoritate, et il cite les paroles de l’institution : Hoc est corpus meum, l’attestation de saint Paul : Panis quem frangimus nonne participalio corporis Domini est ? I Cor., X, 16, qui vont directement à la thèse, et aussi l’affirmation du Sauveur ressuscité : Ecce ego vobiscum sum omnibus diebus usque ad consummationem sœculi, Matth., xxviii, 20, qui prouve bien son assistance perpétuelleà l'égard de l'Église, mais non sa présence au sacrement. In IV Sent., 1. IV, dist. X, part. I, a. 1, q. i. Opéra, Lyon, 1668, t. v, p. 108. Saint Thomas recourt à l'Écriture et à la tradition, à l'Écriture, en montrant dans l’eucharistie la réalisation de la promesse du Christ, Joa., vi, 56, 57, Cont. génies, 1. IV, c. lxi ; Sum. theol., III » , q. lxxv, a. 1 ; et en citant les paroles de l’institution, 7/j IVSent., .lV, dist. X, a. l ; à la tradition, en invoquantles témoignages de saint Hilaire, de saint Ambroise et de saint Cyrille de Jérusalem (ce dernier est cité pour la première fois en la matière). Sum. theol., ibid. Duns Scot s’appuie sur les paroles de l’institution, In IV Sent., 1. IV, dist. VIII, q. i, n. 3, et sur l’autorité, la foi en la présence réelle ayant existé dans l'Église dès ses débuts. Reportala, 1. IV, dist. X, q. i. Cf. J. Tunnel, Histoire de la théologie positive depuis l’origine jusqu’au concile de Trente, Paris, 1904, p. 313, 443, 444. Tous les autres docteurs subséquents ou qui

se sont écartés du sentiment commun sur sa nature, les nominalistes eux-mêmes, qui ont discuté les preuves de la transsubstantiation, affirment très explicitement la présence réelle du corps du Seigneur au sacrement de l’autel.

2. Sa nature.

Cette présence du Christ au sacrement est véritable, réelle et non pas seulement figurative. Quelques hérétiques, remarque Guillaume d’Auvergne, De sacramento eucharislise, c. iv, p. 423, disent que le signe sulTit ; mais, une image ne nourrit pas les âmes et ne satisfait pas pour elles. Pour saint Bonaventure, In IV Sent., 1. IV, dist. X, a. 1, q. i, c’est une erreur et même une hérésie que de prétendre que le corps du Christ n’est à l’autel que comme dans un simple signe ou symbole. C’est aussi le sentiment d’Albert le Grand, In IV Sent., 1. IV, dist. X, a. 1, de saint Thomas qui déclare que le corps du Christ, vraiment présent à l’autel, est celui qu’il a pris de la sainte Vierge, et qui prouve la nécessité de cette présence réelle pour que le principal effet de l’eucharistie, qui est l’union parfaite du chrétien avec le Christ, se réalise. In IV Sent., 1. IV, dist. X, a. 1. Le docteur angélique ajoute d’autres raisons de convenance. Sum. titeol., III » , q. i.xxv, a. 1. Richard de Middletowu regarde comme une erreur très grave et impie, que tous les catholiques doivent détester souverainement et poursuivre, la négation de la présence réelle du corps du Christ au sacrement de l’eucharistie. In IV Sent., 1. IV, dist. IX, a. 1, q. i.

2 » La transsubstantiation. — 1. Sa démonstration. — La transsubstantiation du pain au corps du Christ est simplement affirmée par Guillaume d’Auvergne : le l)ain céleste et vivifiant vient sur l’autel ; il n’y a plus de i).iiu naturel et visible ; seuls, les accidents demeurent et le pain consacre les porte. De sacramento eucliaristiic, c. I, Opéra, part. ii, p. 414-415. Alexandre de I laies donne la conversion du pain au corps du Christ comme l’effet de la consécration et il affirme que nil remanet prêter aceidentia. Summa theol., part. IV, q. x, m. v, § 1, 2, p. 182. Les autres docteurs ne se bornent pas à démontrer la présence réelle ; ils prouvent que cette présence est le résultat d’une conversion réelle du pain et du vin au corps et au sang du Seigneur, conversion qu’ils appellent couramment transsubstantiation oxi changement de la substance des éléments en la substance du Christ. Albert le Grand, In IV Sent., 1. IV, dist. XI, a. 8, saint Bonaventure, In IV Sent., 1. IV, dist. XI, part. I, a. 1, q. i, et saint Thomas, In IV Sent., 1. IV, dist. XI, q. i, a. 1, sol. 1° ; Conl. (jenles, 1. IV, c. lxiii ; Sum. Ilteol., III >, q. lxxv, a. 2, l’ont prouvé par les paroles mêmes de l’institution de l’eucharistie. Les mots : Hoc est corpus mcum ne seraient pas vrais, si la substance du pain restait dans le sacrement après leur prolalion sur la matière ; si la substance du pain demeurait, il faudrait plutôt dire : Ilic est corpus meum. La doctrine de la permanence du pain avec le vrai corps du (Christ après la consécration est flonc hérétique, puisqu’elle contredit la vérité de l'Écriture. Il ne demeure que les accidents ; la forme substantielle du pain elle-même ne demeure pas.

Richard de Middletown admet la transsubstantiation avec l’opinion conmiunedes théologiens, ço/a lioc sacratissimæ fidei christianæ concordai, et sacræ Scripturæ, et sententiæ Ecclesiæ. In IV Sent., 1. IV, dist. XI, a. 1, q. i.

Cependant, tout en admettant la transsubstantiation comme les docteurs [irccédenls, Duns Scot attaqua ouvertement l’argunient scripluraire de saint Thomas et le déclara sans valeur. Les paroles de l’institution ne prouvent pas, à elles seules, la conversion, et Jésus aurait pu les prononcer, même s’il avait voulu laisser subsister le pain et le vin. Le dorteur subtil établit la transsubstantiation sur la trailition ecclésias tique et surtout sur l’autorité de l'Église. Voir t. iv, col. 1916-1917. C’est donc une grave erreur que de lui attribuer une sorte de consubstantiation ou d’impanation, comme le fait Goetz, Die heutige Abendmahlsjrage, Leipzig, 1907, p. 24. Les nominalistes du xiv » et du xve siècle ont repris à leur compte la discussion de Scot sur l’argument scripturaire de saint Thomas. Durand de Saint-Pourçain, In IV Sent., 1. IV, dist. XI, q. I, n. 15 ; Occam, Quodlibct, IV, q. xxix, xxx ; Pierre d’Ailly, In IV Sent., I. IV, q. vi. Toutefois, si ces théologiens nominalistes prétendent que la transsubstantiation ne peut être prouvée par l’autorité de la Bible pas plus que par la raison, ils ne nient pas pour cela son existence et Occam, leur prince, l’admet comme Duns Scot, propter determinationem Ecclesiæ. De même, Pierre d’Ailly, quiy ajoute l’opinion commune des saints docteurs. C’est donc à tort que R. Seeberg attribue à Occam la théorie de la consubstantiation, admise depuis Duns Scot. Art. Oci<am, dans Realencyclopddic fiir protestanlisehe Théologie und Kirehe, Leipzig, 1904, t. XIV, p. 276. Il n’est question que d’une possibilité et non du fait. Cf. J. Turmel, op. cit., p. 313-314. G. Biel enseigne, lui aussi, que la substance du pain ne demeure pas après la consécration et que, seuls, les accidents demeurent. Sacri canonis missie expositio, lect. XL.

2. Sa possibilité.

Saint Thomas la démontre brièvement. Sum. theol., III » , q. lxxv, a. 4. La conversion de la substance du pain au corps du Christ ne ressemble pas aux conversions naturelles ; elle est tout à fait surnaturelle, produite par la seule puissance divine, comme la conception virginale, selon saint Ambroise. Un agent créé ne peut agir qu’en changeant une forme ; aussi, toute conversion naturelle est formelle. Dieu, dont la puissance active est infinie, peut non seulement faire succéder diverses formes dans le même sujet, il peut encore changer toute la substance d’un être en la substance d’un autre être, et c’est ce qu’il fait au sacrement de l’autel, où il change toute la substance du pain en toute la substance du corps du Christ et toute la substance du vin en toute la substance du sang du Christ. Aussi, (hms sa Summa contra génies, I. IV, c. Lxii-Lxviii, s’efforce-t-il de résoudre toutes les imiiossibilités que les infi<lèles trouvent à cette conversion substantielle. De son côté, Duns Scot montre la possibilité d’une conversion de cette sorte par la toute-puissance de Dieu. / ; i IV Sent., 1. IV, dist. XI, ((. I, II. Voir t. IV, col. 1916-1917. S’il déclare que Deus potest absolute farcre corpus suum esse præsens cum pane, manente subslantia panis, Rcportata, 1. IV, dist. X, (|. I, n. 7, il est faux de prélendrc, comme le fait R. Seeberg, art. Duns Scotus, dans licatencyclopàdic fiir protestanlisehe Théologie und Kirehe, Leipzig, 1898, t. v, p. 73, qu’il n présenté avec prédilection la théorie que les substances du pain et du vin persistaient avec la substance du corps du Christ. Il en a réfuté les arguments, et il a exposé et discuté de la même manière les théories de l’annihilation, de la résolution en la matière I)rcmière et de la corruption. In IV Sent., 1 IV, dist. IX, q. III.

3. Sa nature.

Alexandre de lialès compare la transsubstantiation à l’incarnation et à la création. Dans l’incarnation, il n’y a pas de mouvement ; la personne du Verbe reste immobile et sans changement ; elle a pris seulement la nature humaine, sans y produire aucun changement. Dans la création, il n’y a pas d'élément immobile et permanent ; il y a production d’une substance totale ex nihilo. Dans la transsubstantiation, il y a mouvement et changement ; il n’y a pas de sujet connnnn comme dans l’incarnation, sinon les accidents qui demeurent séparés de la substance du pain et du viii, qui sonlconservés miraculeusement et sont doués niiraculeusenient aussi du

pouvoir d’agir sur les sens et de nourrir ; le point de départ ou terminus a quo est la substance du pain et du viii, et le point d’arrivée ou terminus ad quem, la réalité du corps glorieux et du sang du Christ. La substance du pain et du vin n’est donc pas anéantie, et la transsubstantiation n’a de commun avec la création que de s’accomplir subitement et en un instant. La substance des éléments est convertie in melius et sans succession. Summa theol., part. IV, q. x, m. v, a. 3.

Disciple d’Alexandre de Halès, saint Bonaventure, comme son maître, compare la transsubstantiation à la création et à la conception virginale du Christ. In IV Sent., 1. IV, dist. X, part. II, a. 1, q. i, ii. Il étudie aussi les différcnts modes de conversion et il voit, dans la transsubstantiation, une vraie conversion totale, les espèces seules demeurantjce n’estpas une annihilation, mais in rem meliorem mulalio, qui se fait in instanti et non successive. Pour lui donc, la transsubstantiation est une conversion de toute la substance, matière et forme, du pain et du vin en la substance du corps et du sang du Sauveur. Toutefois, si la matière elle-même du pain et du vin est convertie en la matière du corps et du sang du Christ, il ne faut pas se préoccuper de la conversion de la materia prima, qui fait le fond commun de toutes les choses matérielles. Ibid., dist. XI, part. I, a. 1, q. i-iii, v. Saint Bonaventure pense encore que les accidents, au monnent de leur décomposition, reprennent miraculeusement leur substance primitive. Ibid., dist. XII, part. I, a. 2.

Le B. Albert le Grand suit la doctrine commune sur la nature de la transsubstantiation : la conversion est totale ; elle se fait subito et non successive ; elle n’est ni naturelle ni miraculeuse, mais admirable ; elle ne procède pas par augmentation ni par annihilation, mais par transsubstantiation. Toutefois, il explique mieux que ses devanciers la persistance des espèces sacramentelles après la consécration ; il ne recourt pas à un miracle continuel qui les ferait subsister sans leur sujet naturel d’inhérence, ni à un miracle nouveau pour la reprise de leur substance connaturelle, lorsqu’elles sont sur le point de se décomposer./n IV Sent., 1. IV, dist. XI, a. 1-8 ; dist. XIII, a. 16. Il avait dit explicitement, en traitant de la communion, que l’hostie transit in ventrem, et qu’elle y dure tant qu’on peut discerner les espèces. Ibid., dist. IX, a. 5.

Saint Thomas a expliqué plus clairement le mode de la transsubstantiation par une application plus rigoureuse de la doctrine aristotélicienne de la matière et de la forme, ces deux éléments constitutifs de toute nature corporelle. La présence du Christ au sacrement n'étant pas le résultat d’un mouvement local, comme si le corps glorifié de Jésus quittait le ciel, où il demeure, pour être sur l’autel et sur plusieurs autels à la fois, mais celui d’une conversion réelle de toute la substance du pain et du vin au corps et au sang de Jésus, cette substance ne se résout pas en sa matigre première, pas plus qu’elle n’est anéantie, puisqu’elle se convertit, non par un changement de forme, mais par un changement substantiel. Seuls, les accidents du pain et du vin persistent. Ni la matière, ni la forme substantielle ne demeurent. La substance du pain est convertie en la substance du corps du Christ et celle du vin en celle du saug. Cette conversion se fait instantanément, au dernier instant de la consécration. Elle ressemble, en quelque chose, à la création et au changement naturel, mais elle en diffère aussi. Elles ont toutes trois en comnmn la succession des termes. La transsubstantiation ressemble à la création, quia in neutra earum est aliquod commune subjectum utrique extremorum. Elle ressemble à la transformation naturelle, en deux points, au moins, sous quelque rapport. Primo quidem quia in utraque unum extremorum transit in aliud…. Aliter tamen hoc accidit ulrobiquc.

wtm in hoc sacramento tola subslantia punis transit in lotum corpus Cliristi, sed in transmutatione naturali malcrii unius suscipil /ormam alterius, priori forma depusila. Secundo conveniunt in lioc quod ulrobique rcmanct uliquid idem… differenler tamen : nam in Iriinsmutalione naturali remanel eadem maleria vel subjectum, in hoc uulem sacramento rémanent eadem accidenlia. On ne peut donc pas dire : Fanis est corpus Clirisli, puisque les deux extrêmes n’existent pas simultanément. On peut dire cependant : Ex pane fil corpus Ctirisli, en considérant la succession des termes, mais pas : De pane fit corpus Cliristi, puisque cette formule entraînerait une cause consubstantielle. Enfin, on ne peut pas dire : Panis fil corpus Cluisli, ni Punis cril corpus Clirisli, pour la même raison, si on considère la permanence du sujet commun. Toutefois comme, après la conversion, les accidents demeurent, il est permis d’employer les trois dernières formules : secundum quamdam simililudincm, si par pain on entend non la substance du pain, sed in universati hoc quod sub speciebus panis conlinctur, sub quitus prius conlinetur subslantia panis, et postea corpus Christi. In IV Sent., I. IV, dist XI, q. i, a. 1-4 ; Sum. theol., III » , q. Lxxv, a. 3-8 ; Cont. génies, 1. IV, c. lxiii. Finalement donc, la transsubstantiation est une conversion substantielle. Si elle est une conversion, il doit rester un élément stable, qui soit le siège et le substratum du changement. Cet élément stable n’est pas la matière première, ni les accidents qui persistent miraculeusement en dehors de leur sujet naturel, la substance du pain et du vin ; c’est la nature d'être, qui est commune à la matière et à la forme du pain et du vin et à la matière et à la forme du corps du Christ. Or Dieu, l’auteur de l'être, convertit ce qu’il y a d'être dans une nature en ce qu’il y a d'être dans une autre nature, sublato eo per quod ab illa distinguebatur. Sum. theol., III » , q. Lxxv, a. 4, ad 3'"".

Pour Richard de Middletown, la conversion est totale ; la matière du pain est convertie en la matière du corps du Christ et sa forme en la forme de ce corps, non pas en cette forme qui donne au corps son être complet et qui est l'âme intellectuelle, mais in formam corpoream incompletam, per quam corpus habet incomplelum esse, etiam in gradu corporeitatis, quoique Dieu aurait pu vouloir que le corps du Christ soit présent au sacrement, par la conversion de la forme seule ou de la matière seule. Bien qu’il ne reste rien de la substance du pain, en dehors des accidents, cette substance, toutefois, n’est pas anéantie, mais elle est changée en mieux. Ce changement, opéré par la puissance divine, se fait instantanément et non successivement. C’est un changement surnaturel d’un sujet à un autre sujet, qui est plus merveilleux que la création et l’incarnation, au moins secundum quid, in quantum scilicet terminus ad quem est aliquid prseexistens, quod per conversionem subslanliae panis in ipsum non augetur, nec aliquo modo mutatur.In 1 V Sent., 1. IV, dist. XI, a. 1, q. ii-vi.

Duns Scot s’est écarté de la doctrine de saint Thomas au sujet du mode de la transsubstantiation. Il a hésité au sujet de l’annihilation de la substance du pain et du viii, et s’il s’est prononcé pour la conversion ; il a tiré de la théorie thomiste de la transsubstantiation son hypothèse d’une forma corporeitatis, distincte de la forme substantielle. Pour saint Thomas, la forme du pain est convertie en la forme du corps du Christ. Or, cette forme ne peut être l'âme du Christ, qui n’est présente sous les espèces du pain que par concomitance. Il faut donc que ce soit une autre forme, qui donne au corps son organisation, sa qualité corporelle et sa vie matérielle, une forme spéciale, qui tient le milieu entre la matière première et l'âme spirituelle. Voir t. IV, col. 1917-1918.

Durand de Saint-Pourçain s’est éc.irté de la doctrine commune sur la conversion totale de la substance du pain au corps du Christ. Il a combattu cette doctrine et il a prétendu que la matière du pain n'était pas convertie en la matière du corps de Jésus. Salvo meliori judicio, potest estimari quod, si in isto sacramento fiai conversio subslanliæ punis in corpus Clirisli, ipsa fit per hoc quod, corrupla forma panis, nmleria ejus fil sub forma corporis Clirisli subilo et virtute divina, sicut materia alimenli fil sub forma nulrili, virtute naturæ. In IV Senl., 1. IV, dist. XI, q. m. Mais il n’aboutissait qu'à une simple mutation substantielle, comme le montre l’exemple choisi de l’assimilation des aliments par la nutrition. Les arguments que Durand faisait valoir en faveur de ce sentiment ont été exposés et réfutés par Pierre de la Palu, In IV Senl., 1. IV, dist. XI, q. III, et parCapréolus, Defensiones Iheologiæ divi Thomse Aquinalis, In IV Senl., . IV, âist. 'Kl, q.i, a. 2, §2, n. 2 ; a. 3, §2, n.2. Durand de Saint-Pourçain admettait la permanence de la matière du pain pour écarter la théorie de l’annihilation et mieux expliquer la conversion. Ses contradicteurs répondaient que la conersion n’exigeait pas la permanence actuelle de la matière, comme partie du corps du Christ, quia de maleria educitur forma, cujus pars non est maleria, mais qu’il suffisait de sa permanence potentielle et que la matière était inpotentiu ad formam Ils lui opposaient la doctrine de saint Thomas, d’après laquelle, per desilionem maleriæ panis, fil materia corporis Clirisli ibi realiler prœsens ubi alla eral localiler prias ; d’où la matière du pain était convertie en la matière du corps du Christ. Un autre dominicain, Jean de Paris, était allé plus loin. En 1305, tout en adhérant à la doctrine commune de la transsubstantiation, il avait déclaré qu’elle ne s’imposait pas à la foi et il avait proposé, comme une opinion probable, que la substance du pain demeurait entière dans ses accidents et avec la présence réelle du corps du Christ au sacrement de l’autel. Dans une Delerminalio de modo exislendi corpus Clirisli in sacramento altaris alio quam sit ilte qucm tencl Ecclesia, publiée d’après un manuscrit de Saint-Victor de Paris, Londres, 1686, il disait, en ellet : El licel leneam et approbem illam solemnem opinioncm quod corpusChristi est in sacramento altaris per conuersionem subslanliæ panis in ipsum et quod ibi maneanl accidentiasinesubjecto, non tamen audco dicere quod hoc cadal sub fide mea, sed potest aliter saluari vera et realis existerUia corporis Clirisli in sacramento altaris. Puis, il énonçait en ces termes cette autre manière d’expliquer la présence réelle : Quod subslantium panis manere sub suis accidenlibus in sacramento altaris dupliciler potest intelligi : uno modo sic quod subslanlia panis in sacramento altaris sub accidenlibus maneat in proprio supposilo, et istud cssel falsum, quia non esset comnmnicatio idiomatum inler panem et corpus CIvisli, nec esset verum dicere : l’unis est corpus Christi, nec : Caro mea vere est cibus. Alio modo ut substantia panis maneat sub accidenlibus suis, non in proprio supposilo, sed tracta ad esse et supposilum Clirisli ul sic sit ununi supposilum in duabus naturis… lia et licel sit in hoc sacramento duplex corporeitas, est lamen idem corpus propler unilatem supposili Clirisli. Op. cil., p. 85-87. Jean de Paris, eu proposant cette opinion, se.soumettait d’avance au jugement de l'Église, du pape ou d’un concile général. Dès 1305, il reçut une admonition de l’cvêque de Paris, qui se nommait Guillaume ; la même année, une assemblée de prélats lui interdit l’enseignement et la pré lication. Il en a])pela de cette interdiction au Sahit-Siége ; mais l’appel n’eut pas de suite, Jean de Paris étant mort à Bordeaux en 1306. Cf. Féret, La faculté de Paris et ses principaux théologiens, Moyen âge, l’aris, 181)6, t. iii, p 374-375. Cette sorte d’impanution ou de consubstanliation n’eut pas

de succès. Les arguments sur lesquels s’appuyait Jean de Paris furent exposés et réfutés par Durand de Saint-Pourçain, In IV Sent., 1. IV, dist. X, q. i, par Pierre de la Palu, In IV Sent., 1. IV, dist. XI, q. ii, et par Capréolus, In IV Sent., 1. IV, dist. XI, q. i, a. 2, § 1 ; a. 3, § 1. Il faudra arriver au xve siècle, à Wyclif, pour rencontrer la négation formelle de la transsubstantiation. Voir plus loin.

Les scotistes et les nominalistes admirent l’annihilation de la substance du pain et du viii, sur laquelle Duns Scot avait hésité, et ils expliquèrent la transsubstantiation per modum adductionis, c’est-à-dire par l’accession du corps et du sang du Christ à la place de la substance du pain et du vin. La transsubstantiation n’est donc pas une action productiva, mais une action adducliva. Voir Occam, In IV Sent., 1. IV, q. vi. Les thomistes leur opposèrent la doctrine de saint Thomas et montrèrent que l’acte de la transsubstantiation est mieux exprimé comme étant un passage (transitus) de la substance du corps et du sang du Christ dans celle du pain et du viii, et comme une absorption (absorptio) de celle-ci par l’autre Cf. Capréolus, In IV Senl., 1. IV, dist. XI, q. II.

Sur la permanence des accidents du pain et du vin sans leur sujet naturel d’inhérence, voir Eucharistiques (Accidents).

Mode de présence.

- Guillaume d’Auvergne, qui

pensait encore que le pain vivifiant venait du ciel entre les mains du prêtre, non pas, sans doute, par un mouvement local, mais subitement, à la manière des corps glorifiés, doués d’agilité, et des ordres transmis par l'âme aux membres du corps, enseignait que le corps glorifié du Christ peut être simultanément en plusieurs lieux et au ciel. Cette présence multiple en plusieurs lieux à la fois sous chaque hostie existe pour le bien de l'Église et l’avantage des chrétiens. De sacramento eucharisliæ, c. iii, p. 423-426. Alexandre de Halès disait aussi que la conversion du pain au corps du Christ se faisait subitement et sans mouvement local. Summa tlieologiæ, part. IV, q. x, m. v, a. 3, § 7, 8. Le pain est changé en la chair du Christ et le vin en son sang principaliter ; les autres choses sont présentes consequenter et per concomitunliam. Ibid., § 5. Quoique sacramentaliter, c’est-à-dire en raison du sacrement ou signe qui est double, le corps du Christ soit directement sous l’espèce du pain, et son sang sous l’espèce du vin seulement, néanmoins, le Christ tout entier est réellement contenu en chacune des deux espèces et il est tout entier dans les plus petites parcelles, divina virtute id opérante, mais il n’y est ni diffinilive ni circumscripliue, c’est-à-dire non connue dans un lieu et avec ses dimensions ; il y est par sa substance et sans étendue. Ibid., m. vii, a. 3. Albert.e Grand enseigne seulement la présence intégrale du Christ sous chaque espèce. In IV Sent., 1. IV, dist. XII, a. 4 ; De sacramento eucharistiie, dist. III, tr. III ; et sous chaque partie, sub tantitla forma. In 1 V Sent., 1. IV, dist. XIII, a. 10, pour cette raison que chaque parcelle du pain signifie enlièrcment la nourriture spirituelle, qui est la fin propre de l’eucharistie, a. 11. Saint Bonaventurc déclare que le corps du Christ est à l’autel sccundum veritatem et sccundum suani naturalem quaiilitatem, qu’il y est totuni et perfeclum in paruu loco et unum in pluribus locis, qu’il est localiter in cœlo, pcrsonuliler in Vcrbo, mais sacrameiitutiter in pluribus locis, non pas dimensive, licel habcat in hostia propriam dimensionem, enfin qu’il est lolum in loto et lotum in qiudibct parle, in qua salvatur specics totius. La conersion du pain au corps du Christ dépasse toute puissance, toute imagination et toute intelligence. Toutefois, si l’existence du corps du Christ au sacrenient de lautel est supra cuptum intcllcclus Inimani, non lamen supra uplum intelleclus fidelis. In IV Senl., I. IV, dist. X, part. I, ; i.l, q.ii-Y ; a.2, (j.i. Ailluurs.il dit encore : Quia vero corpus Christi bcatum et gloriosum non potest dividi in partes suas, nec separari ab anima ncque a divinitate summa, ideo sub ulraquc specie est unus Cliristus et lotus et indiuisus, scilicet corpus et anima et Deus. Breviloquium, part. VI, c. ix. Saint Thomas (16veloi)])c la doctrine sur le mode de présence du Christ dans l’eucharistie. In IV Sent., 1. IV, dist. X, a. 2, 3 ; Sum. iheol., III’, q. lxxvi. Il distingue la raison d’être des diverses parties du Christ sous chaque espèce, soit ex vi sacramenti, conformément au sens des paroles de la forme, soit ex naturali concomilantia, par l’union réelle avec l’objet direct de la conversion. Or, ex vi sacramenti, le corps du Christ est présent sous l’espèce du pain et son sang sous l’espèce du vin ; mais la divinité et l’âme du Christ ne sont sous les deux espèces que ex naturali concomilantia. Sous l’espèce du pain, il n’y a pas que la chair du Christ ; son corps y est tout entier, scilicet ossa, nervi et alla Imjusmodi. Sous cette espèce, le sang n’est présent que ex reali concomilantia, comme le corps sous celle du vin. Quant à la manière d’être, substanlia corporis vel sanguinis est sub hoc sacraniento ex vi sacramenti, non autem dimensiones corporis vel sanguinis Christi. Unde palet quod corpus Christi est in hoc sacramento per modum substanliæ, et non per modum quanlitatis. Sa quantité dimensive n’y est que exvircalisconcomitantiæ. Il en résulte que, la nature de la substance étant tout entière sous chaque partie de ses dimensions, talus Cliristus est sub qualibel parle specierum panis, eliam hoslia intégra manente, et non solum quum frangitur. Par suite, saint Thomas repousse la comparaison du miroir brisé, parce qu’il n’y a pas de resseniblance parfaite entre les deux termes de la comparaison. Ce n’est pas la fraction, c’est la consécration qui produit cette présence du corps de Jésus sous chaque partie de l’espèce. Alexandre de Halès, Summa Iheologix, part. IV, q. x, m. IX, et saint Bonaventure, In IV Sent., 1. IV, dist. XII, part. I, a. 3, avaient déjà enseigné que le corps du Christ n’est pas brisé dans la fraction de l’hostie. Albert le Grand admettait la réalité de la fraction, non dans le corps du Christ, mais dans les formes seulement, c’est-à-dire dans les accidents du pain. In IV Sent., 1. IV, dist. XIII, a. 1, 2. En outre, pour saint Thomas comme pour ses prédécesseurs, le corps’du Christ n’est dans l’eucharistie, ni circumscriplive ni définitive. Il n’y est donc pas comme dans un lieu. Par suite, il n’y est pas mû et il ne peut être vu que par l’œil glorifié d’un bienheureux.

Pour Richard de Middletown, le corps du Cinist est présent primo et per se et immédiate sous l’espèce du pain ; sa quantité, l’âme et la divinité du Seigneur n’y sont que par concomitance, quoique la divinité pourrait être encore propler simplicilalem et immensilalem suam, per quæ ubique lola est sub specie. De même, sous l’espèce du viii, il n’y a proprement que le sang ; le corps et sa quantité, l’âme et la divinité s’y trouvent en raison de leur union au sang. La quantité du corps du Christ n’est pas circonscrite par la quantité de l’espèce parce qu’elle y est présente per subslantiam suam. Donc le corps du Christ n’est pas localisé dans les espèces, quoique Dieu aurait pu vouloir ce mode de présence. Par suite, il peut être présent en plusieurs lieux à la fois. In IV Seul., 1. IV, dist. IX, a. 2, q. i-iii. Il ne peut être mû que par accident, en raison de sa présence sous les espèces qui sont mues ; il ne peut être touché immédiatement ni vu, soit par un esprit créé soit par un œil corporel. Ibid., a. 4, 5. Il est tout entier sous chaque partie, mais pas sous chaque point indivisible de l’hostie, a. 6.

Sur le mode de présence du corps du Christ dans l’eucharistie, Duns Scot s’écarte notablement du sentiment de saint Thomas, qu’il critique vivement.

Il admet la présence simultanée de ce corps au ciel et dans l’eucharistie, parce que Dieu peut faire que le même corps soit localiter en plusieurs lieux. Il fait consister la présence réelle sous les espèces sacramentelles dans une relation extrinsèque qui appartient à la catégorie ubi. Voir les conséquences qu’il en déduit à l’art. DuNS Scot, t. iv, col. 1918-1919. Cette explication a été adoptée par Pierre d’Auriol. In IV Sent., I. IV, dist. XLVIII, q. i, a. 2. Capréolus a exposé et réfuté leur sentiment. In IV Sent., I. IV, dist. X, q. i, a. 2, §2 ; a. 3, §2.

Occam a enseigné que la quantité n’est pas réellement distincte de la substance et qu’elle est seulement res quanta. Elle peut croître ou diminuer au point que la chose soit comme un point mathématique. Or, le corps du Christ n’a pas de quantité au sacrement de l’autel. Il est au ciel comme dans un lieu, suivant sa nature et quantitativement. Au sacrement, il est présent per modum subslantiie et non per modum quanlitatis, et cela s’explique puisque la quantité n’est pas essentielle à la substance. Il n’y est donc pas circumscriplive, bien qu’il y soit définitive. Il est tout entier dans l’hostie et dans chaque partie de l’hostie. Quodlibet, I, 4 ; De sacramento allaris, 6 ; In IV Sent., 1. IV, q. IV. Le corps du Christ peut être partout comme Dieu est partout. Cf. R. Seeberg, Ockam, dans Realencijclopàdie fiir prolestantische Théologie und Kirche, Leipzig, 1904, t. xiv, p. 276. Biel dit seulement que le Christ est tout entier dans l’hostie, et tout entier dans les parties de l’hostie. Sacri canonis missx exposilio, lect. XLiii.

Le sacrement.
1. Le sacrement lui-même.
Alexandre de Halès s’occupe de son unité, qui est réelle, quoique plusieurs choses concourent à le former ; il relève l’unité d’institution, d’effet et de fin. S’il y a double espèce, c’est pour différentes raisons, parce qu’il y a duplex inslitutionis ratio, duplex myslicum, duplex natura contenta, duplex modus sumendi, duplex immolalio, duplex effeclus. Le sacramentum est constitué par les espèces et par leur contenu sous différents aspects. Summa Iheologiæ, part. IV, q. x, m. iii, a. 1-3. Albert le Grand distingue le sacramentum de la res sacramenti, et il soutient l’unité du sacrement, qui est simpliciter unum. In IV Sent., 1. IV, dist. VIII, a. 12, 13. Ailleurs, il établit la distinction connue entre sacramentum, res et sacramentum, res et non sacramentum. De sacramento cucharisliie, dist. VI, tr. III. Quant à saint Bonaventure, il distingue trois choses dans le sacrement : species visibitis, corpus Cliristi verum et corpus Clirisli myslicum, et il explique ainsi l’unité du sacrement : eucharistiæ sacramentum non est unum unilate simplicilatis, sed inlegritalis in signo, et ordinatur ad unum, scilicet ad unionem corporis myslici. In IV Sent., I. IV, dist. VIII, part. II, a. 2, q. i, II. Cf. Richard de Middletown, In IV Sent., 1. IV, dist. VIII, a. 1, q. i, ii, iv. Saint Thomas répète la formule d’Alexandre de Halès : unum sacramentum, licet mulla concurranl. In IV Sent, I. IV, dist. VIII, q. I, a. 1, sol. 2’. Il explique cette unité dans la Somme theologique, IIP, q. lxxiii, a. 2. Le sacrement de l’eucharistie est un : ordinatur cnim ad spirilualem refeclioncm, quæ corporali eonformatur. Or, pour la réfection corporelle, il faut cibiis et polus. Deux choses concourent donc à l’intégrité de l’eucharistie : scilicet spiritualis cibus et spiritualis polus. Cf. Joa., vi, 56. Ergo hoc sacramentum mulla quidem est materialiler, sed unum formaliter et per/ective. Duns Scot explique aussi à sa façon l’unité du sacrement de l’eucharistie. Voir t. IV, cal. 1915. Pierre d’Auriol niait l’unité d’intégrité du sacrement, par cette raison que le communiant qui recevait seulement le corps du Christ sous l’espèce du vin recevait cependant tout le sacrement. In IV Sent., 1. IV, dist. VIII, q. i, a. 2. Capréolus résout