Dictionnaire de théologie catholique/EXODE

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 5.2 : EUCHARISTIE - FIUMEp. 223-231).
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EXODE, le deuxième livre du Pentateuque et le premier des livres du milieu. — I. Nom. II. Contenu. III. Théorie des critiques. IV. Authenticité mosaïque. V. Doctrine. VI. Commentaires.

I. Nom.

C’est la transcription du mot grec i’IoSo ;, par lequel les Juifs hellénistes ont désigné le second livre de la Loi et qui a passé dans la Vulgate latine et, par elle, dans toutes les langues chrétiennes. Philon s’en sert quelquefois, quoiqu’il emploie plus souvent le mot équivalent ki^yinyr, . Ce nom ne correspond qu’au début de l’ouvrage, qui raconte la sortie des Hébreux de l’Egypte. Les Juifs de Palestine désignaient ce livre, comme les autres, par sespremiers mots : nia-- :  ; n’isi ou simplement niaù et par abréviation 's. Origène transcrivait le nom complet en caractères grecs : oOaÀEa-ixoiO. In ps. i, P. G., t. xii, col. 1084. Ce nom a passé des manuscrits hébreux aux Bibles hébraïques imprimées. Les rabbins nommaient ce livre ma-w -133, « le livre des noms » , ou '3u cain, « le deuxième cinquième » , c’est-à-dire le second livre du Pentateuque. J. Fûrst, Dcr Kanon des Allen Testaments nach den Ueberlieferungen in Talmud und Midrasch, Leipzig, 1868, p. 5-6.

II. Contenu.

C’est l’histoire d’Israël, après la mort de Joseph, de sa sortie d’Egypte sous la conduite de Moïse et d’une partie de la constitution religieuse que Dieu lui a donnée au Sina’i. Cette histoire

se poursuit dans les quatre livres suivants qui sont, eux aussi, à la fois historiques et législatifs. Si le Deutéronome a une physionomie à part et se distingue, comme la Genèse, des trois livres du milieu, voir t. iv, col. 651-652, ceux-ci forment un tout et leur séparation n’a peut-être pas eu d’autre raison que la nécessité de diviser en parts à peu près égales un ouvrage qui, autrement, aurait dépassé de beaucoup les dimensions d’un rouleau ou volume ordinaire. D’autre part, l’Exode, considéré comme livre séparé, ne présente pas de divisions bien marquées, en dehors du récit historique et de la partie législative. Aussi les exégètes en ordonnent-ils l’analyse un peu différemment.

La division la plus simple, celle qui cadre le mieux avec la marche de la narration, est de distinguer le récit des faits depuis l’oppression des Israélites par un nouveau Pharaon jusqu'à leur arrivée au Sinai, i, 1 - xviii, 27, de la législation religieuse donnée par Dieu au Sinaï, xix, 1 - xl, 36.

Ire partie.

1° Récapitulation des tôldôi de Jacob, Gen., xxxvii, 1- iv, 25, par rénumération des onze fils de ce patriarche qui étaient venus en Egypte, pendant que Joseph y gouvernait, et qui s’y étaient multipliés au point de remplir le pays, i, 1-7, et leur première oppression par un nouveau Pharaon qui n’avait pas connu Joseph, 8-22.

2° Histoire de Moïse avant sa vocation : sa naissance, sa préservation, son éducation, sa fuite au pays de Madian et son mariage avec Séphora, ii, 1-22.

3° La vocation de Moïse : après la mort du roi oppresseur. Dieu entend les plaintes des Israélites et il choisit Moïse pour délivrer son peuple de la servitude de l’Egypte, ii, 23 - iv, 17.

4° Moïse remplit sa mission : il quitte son beau-père, retourne en Egypte et est bien reçu par le peuple, 18-31. Ses premières tentatives auprès du Pharaon n’aboutissent qu'à augmenter les charges des Israélites, qui se plaignent de Moïse ; lui-même se plaint à Dieu, qui lui renouvelle deux fois ses promesses, v, 1 - vi, 13.

5° Généalogie de Moïse et d’Aaron, 14-28.

6° Nouvelle mission de Dieu à Moïse et description des neuf premières plaies d’Egypte, vi, 29 - x, 29.

7° Annonce de la 10" plaie ; institution de la première Pâque ; après la 10'^ plaie, autorisation de partir accordée par le Pharaon et préparatifs du départ, xi, 1-xii, 36.

8° Le récit du départ est suivi de la législation concernant la Pâque future, xii, 37 - xiii, 16.

9° Itinéraire suivi par les fugitifs et traversée de la mer Rouge, xiii, 17 - xiv, 31, suivie du cantique de Moïse, xv, 1-19, et de Marie, sa sœur, 20, 21. 10 » Le récit raconte les diverses stations des Israélites à' Sur, à Mara, à Élini, au désert de Sin avec l’envoi des cailles et de la manne, à Raphidim, où l’eau sort du rocher et où les Israélites battent les Amalécites, xv, 22 xvii, 16. La visite de Jéthro est l’occasion de l’institution des juges, xviii, 1-27.

IIième partie.

Le campement au désert du Sinaï est signalé par la législation religieuse que Dieu donne à son peuple.

1° Les préparatifs de la manifestation divine et la manifestation elle-même, xix, 1-25.

2° Promulgation du Décalogue, xx, 1-21, et du code de l’alliance, xx, 22 xxiii, 33, et conclusion de l’alliance, xxiv, 1-8.

3° Moïse pénètre seul dans la nuée et pendant 40 jours et 40 nuits y reçoit de Dieu une description de l’arche d’alliance de la table des pains de proposition, du chandelier à sept branches, du tabernacle, de l’autel des holocaustes, des vêtements sacerdotaux, des rites de la consécration des prêtres, diverses lois concernant le culte, la désignation des constructeurs du tabernacle et la loi du sabbat, xxiv, 9 - xxxi, 18.

4° Pendant l’absence de Moïse, le peuple adore un veau d’or. Dieu s’en irrite ; Moïse intercède pour les coupables, brise les tables de la loi, renverse l’idole, r

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fait tuer les idolâtres et intercède de nouveau auprès du Seigneur, qui fait grâce à son peuple repentant, XXXII, 1 - XXXIII, 6. 5° Moïse transporte le tabernacle hors du camp et Dieu lui propose de renouveler l’alliance rompue par l’infidélité des Israélites. Moïse taille de nouvelles tables, reçoit une seconde fois de Dieu les conditions de l’alliance, et reparaît le visage resplendissant de la gloire divine, xxxiii, 7 - xxxiv, 35. 6° Les ordres de Dieu relatifs à la construction du tabernacle et à la fabrication des ustensiles du culte sont accomplis : les Israélites apportent leurs dons, les ouvriers désignés les emploient à la construction du tabernacle, de l’arche, de la table des pains de I)roposition, du candélabre et des autels et à la confection des vêtements sacerdotaux, xxxv, 1 - xxxix, 30. Tout le travail achevé est béni par Moïse, xxxix, 31-43. Dieu ordonne d'ériger le tabernacle, de vêtir et d’oindre les prêtres. Ses ordres sont exécutés et la nuée de sa gloire couvre le tabernacle, xl, 1-36.

III. Théories des critiques.

Pour toute une école de critiques rationalistes, le livre de l’Exode, comme ceux de la Genèse, du Lévitique et des Nombres, n’est pas l'œuvre de Moïse, le prétendu législateur du peuple juif ; c’est une composition tardive, formée d'éléments disparates, qui ont été empruntés à trois documents d'époque différente : le document élohiste, le document jéhoviste et le code sacerdotal. Indiquons ce qui reviendrait à chacun d’eux dans l’Exode, en notant les caractères généraux de la source.

1° Le document élohisle, E. — On lui a donné le nom d'élohiste, parce que son auteur présumé emploie constamment, pour désigner Dieu avant la révélation de Jahvé au c. vi de l’Exode, le nom d'Éloliim. C'était, suppose-t-on, une histoire des patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, et du peuple juif, dont ils étaient les ancêtres. Les lambeaux, qui en auraient été insérés dans le livre actuel de l’Exode, racontent l’oppression des Israélites par le Pharaon, I, 15-22, la naissance de Moïse, son adoption par la fille du Pharaon, et le meurtre d’un Égyptien, ii, 1-14, l’apparition divine, iii, 1-6, 9-15, 21, 22, la mention de la verge de Moïse, le retour de Moïse en Egypte, IV, 17, 18, 20 6, 21, les plaies d’Egypte, vii, 20 b, 21 a, 24 ; ix, 22, 23a, 35 ; x, 8-13 a, 20-27 ; xi, 1-3, la sortie d’Egypte, xii, 31-36, 37 6-39, les cantiques de Moïse et de Marie, xv, 1-21, la disette d’eau et le combat contre les Amalécites, xvii, 3-6, 8-16, la visite de Jéthro et l’institution des juges, xviii, les préparatifs de la manifestation divine à Horeb, xix, 2 6-19, le Décalogue, xx, 1-21, le code de l’alliance, XXI, 1 - xxiii, 19, les promesses et les menaces divines, xxiii, 20-23, l’engagement d’observer la loi et le séjour de Moïse sur la montagne, xxiv, 3-8, 12-14, 18, la descente de Moïse avec les tables de la loi, XXXI, 18 6, l’adoration du veau d’or et la rupture des tables, XXXII, 1-8, 15-35, les menaces de Dieu et le transport du tabernacle hors du camp, xxxiii, 1-11, et la confection de nouvelles tables de la loi, xxxiv, 28 6. La tradition qu’il suit différerait de celle du document jéhoviste. Elle place les Israélites au milieu de l’Egypte et elle n’en fait pas des pasteurs nomades. Elle envisage les plaies d’Egypte comme des représailles de l’oppression des Israélites. La législation est donnée à l’Horeb et non au Sinaï. L’auteur paraît bien connaître les choses égyptiennes. Son récit abonde en détails. Moïse accomplit des miracles par sa verge. Ce livre est une histoire théocratique plutôt qu’une histoire nationale. L'écrivain a un vocabulaire spécial et son style est uni, coulant, quoique parfois peu châtié. On le rattache au royaume d’Israël, parce que presque toutes les traditions qu’il rapporte ont trait à des localités de cette contrée. On le date géné ralement du ix'= ou du vin'e siècle, et on discute sur sa priorité relativement au jéhoviste comme sur sa dépendance. Quelques critiques ont voulu y distinguer divers écrits de la même école, E', E^, E', combinés en E. L’auteur aurait inséré dans son œuvre des documents antérieurs : morceaux poétiques, tels que les cantiques de Moïse et de Marie, voir Lagrange, Deux chants de guerre, dans la Revue biblique, 1899, t. VIII, p. 532-541, et textes législatifs, tels que le Décalogue, voir plus haut, t. iv, col. 162-164, et le code de l’alliance, qui est un code à la fois civil, criminel, moral et religieux, qui serait le plus ancien code Israélite et qu’on a rapproché du code d’Hammourabi. Lagrange, Le code d’Hommourabi, dans la Revue biblique, 1903, t. xii, p. 50-51. Sur le document élohiste, voir E. Mangenot, L’aulhenticiié mosaïque de Penlateuque, Paris, 1907, p. 49-76.

2° Le document jéhoviste, J. — Son nom vient de l’emploi fait par l’auteur dès le début de son récit du nom de Jéhovah ou Jahvé, même avant sa révélation à Moïse sur le Sinaï. Ce livre remontait aux origines de l’humanité : à l’histoire primitive il joignait l’histoire des patriarches et celle du peuple juif au moins jusqu’après la conquête de la Terre promise. La part qui lui reviendrait dans le livre actuel de l’Exode serait la suivante : l’oppression des fils de Jacob en Egypte, dans la province de Gessen, i, 6, 8-12, la fuite de Moïse au pays de Madian, ii, 15-23a, la mission divine de Mo se, les signes qui la démontrent et les épisodes du retour en Egypte, ni, 7, 8, 16-20 ; iv, 1-16, 19, 20 a, 226-31, l’oppression plus forte des Israélites par le Pharaon, v, 1 - vi, 1, les plaies d’Egypte, présentées comme des miracles de la puissance divine, vii, 14-18, 23, 25-29 ; viii, 4-lla, 16-29 ; ix, 1-7, 13-21, 236-34 ; x, 1-7, 136-19, 28, 29 ; XI, 4-8 ; xii, 29, 30, un récit de l’exode, au moins, xiii, 21, 22, la poursuite des Égyptiens et leur défaite, xiv, 5-7, 10-14, 19, 20, 216, 24, 25, 276, 30, 31, les stations à Mara et à Élim, xv, 22-27, la manne, XVI, 4, la station à Raphidim, xvii, 16, 2, 7, l’apparition de Dieu sur le Sinaï, xix, 20-25, la loi de l’autel, XX, 22-26, l’apparition divine aux anciens, xxiv, 1, 2, 9-11, l’adoration du veau d’or, xxxii, 9-14, le Décalogue jéhoviste, xxxiv, 1-28. Les lois qu’il rapporte sont citées pour leur intérêt historique, et non pour promulguer un code. C’est une histoire nationale et religieuse, une histoire sainte, composée selon les idées des prophètes. Elle accentue l’infidélité et la désobéissance des Israélites à l'époque mosaïque. Son auteur est le meilleur narrateur de tout l’Ancien Testament. On en fait un habitant du royaume de Juda. Quelques critiques ont cru retrouver dans son œuvre des traces de deux mains différentes, J S J '. On le date du ix « ou du viii"e siècle, les uns le disent antérieur à l'élohiste, les autres postérieur. Cf. E. Mangenot, op. cit., p. 76-95.

3° Le code sacerdotal, P. — Le sigle P est la première lettre du nom allemand de ce code, Priestercodex, et ce nom indique la principale partie de son contenu, qui est la législation sacerdotale et rituelle. Le document est cependant historique autant que législatif. On lui attribue dans l’Exode le recensement des fils de Jacob en Egypte, leur accroissement et leur oppression, i, 1-5, 7, 13, 14, leurs plaintes entendues par Dieu, II, 23 6-25, la mission et la généalogie de Moïse, vi, 2-30, son intervention auprèsde Pharaon et les plaies d’Egypte, vii, 1-13, 19, 20a, 216, 22 ; VIII, 1-3, 116-15 ; ix, 8-12 ; xi, 9, 10, la première Pâque et ses rites, xii, 1-20, 28, le départ des Israélites, 370, la durée de leur séjour en Egypte, 40, 41, l’institution définitive de la Pâque, 42-51, la consécration des premiers-nés, xiii, 1, 2, le voyage d'Étham à la mer Rouge, xiv, 1-4, la poursuite par Pharaon,

8, 9, l’annonce du secours divin, 15, 18, 1e passage de la mer Rouge et la submersion des Égyptiens, 21-23, 26, 27a, 28, 29, la chute de la manne au désert de Sin,

XVI, 1-3, 6-24, 31-35 a, le campement à Raphidim,

XVII, la, l’arrivée au désert de Sinaï, xix, 1, 2a, la montée de Moïse dans la nuée, xxiv, 1, 2, 156-18a, la législation qui lui est donnée, xxv, 1 - xxxi, 18a, la descente de Moïse du Sinaï, xxxiv, 29-36, l’exécution des ordres divins, xxxv, 1 - xl, 36. L’histoire sert de cadre à la législation, qui comprend encore tout le Lévitique et une bonne part du livre des Nombres. Pour les caractères du document, voir Lévitique. Le livre daterait au plus tôt de la fin de la captivité des Juifs à Babylone. Cf. E. Mangenot, op. cit., p. 131-138, 154-172.

Le livre actuel de l’Exode, qui est une compilation d’une partie de ces trois documents, ne serait donc pas l'œuvre de Moïse et sa rédaction définitive, comme celle du Pentateuque entier, serait au plus tôt antérieure à Esdras, sinon même postérieure. Sa valeur historique serait bien mélangée, puisque le livre combinerait des traditions différentes, en partie légendaires, et la législation, qui est elle-même une combinaison d'éléments disparates et de lois de diverses époques, n’aurait rien de mosaïque.

IV. Authenticité mosaïque.

1° Existence et rôle historique de Moïse. — 1. Existence historique. — Les critiques, qui se disent indépendants, ne reconnaissent guère de valeur historique à la tradition hébraïque sur Moïse, consignée dans l’Exode. Quelques-uns même doutent de l’existence de Moïse ou la nient résolument. H. "Winckler explique par l’astronomie la légende de Moïse, lequel n’est, à ses yeux, qu’une personnification de Jahvé-Tanimouz de la steppe. Geschiclite Isræls in Einzeldarslellungen, II « partie, Leipzig, 1900, p. 86-95 ; Die Keilinschriften und das Alte Testament, Berlin, 1902, p. 209-212. Pour Gheyne, art. Moses de V Encijclopiedia biblica, Londres, 1902, t. iii, col. 3203 sq., Moïse était primitivement le clan de Jahvé, qui habitait au nord de l’Arabie. La tradition a appliqué ensuite ce nom ethnique à un individu, dont l’histoire légendaire reproduit quelques traits de l’histoire réelle du clan. Edouard Meyer pense qu’on ne peut prouver historiquement la personnalité de Moïse ; selon lui, nous ne connaissons que le Moïse de la légende. -Die Isræliten und ihre Nachbarstamme, Halle, 1906, p. 451, note. Cependant la plupart des critiques les plus rationalistes admettent l’existence historique de Moïse, et presque tous les historiens s’accordent à dire que les faits qui se rattachent à l’exode d’Israël hors de l’Egypte exigent la présence et l’action d’une personnalité très puissante ; ils ne s’expliqueraient pas autrement. Il n’y a aucune raison de rejeter la donnée qui fait de Moïse un membre de la tribu de Lévi. Exod., Il, 1. La plupart des égyptologues contemporains pensent que son nom hébreu est la transcription du mot égyptien, mes, mesu, qui signifie « enfant » et qui était employé à l'état isolé ou en composition, par exemple, dans les noms propres Amosis, Euthmosis. La tradition juive n’a pas perdu son souvenir, et on le retrouve chez les prophètes, Isaïe, lxiii, 11, 12, Michée, vi, 4 (avec Aaron et Marie), Jérémie, xv, 1, Malachie, iv, 4, et dans quelques psaumes, lxxvi, 21 ; xcviii, 6 ; civ, 26.

On a voulu voir en "particulier une légende dans la circonstance qu’il fut sauvé des eaux. Elle aurait son point de départ dans cette idée que le libérateur des Hébreux a dû la conservation de.sa vie à un dessein providentiel de Dieu. D’autres personnages de l’histoire ancienne, Sémiramis, Œdipe, Cyrus, Romulus, ont été de même préserves de grands dangers à leur naissance. A. Jeremias, Das Alte Testament im Lichte

des alten Orients, Leipzig, 1904, p. 254-258. Le nom égyptien de Moïse a été interprété plus tard en ce sens et a reçu la signification de « sauvé des eaux » . Cette étymologie, trouvée après coup, ne prouve pas la réalité du fait, dont elle prétend donner l’explication. C’est aussi pour glorifier leur libérateur que les Hébreux ont imaginé son adoption, fort invraisemblable en elle-même, par la fille du Pharaon, son éducation à la cour royale et son instruction dans la science et la sagesse des Égyptiens. Ses rapports réels avec les Madianites et les Qénites ont été enjolivés dans la légende de son séjour auprès de Jéthro. Tout au plus avait-il épousé une femme de l’une de ces tribus. C’est des Qénites qu’il aurait appris à connaître Jahvé, le dieu du Sinaï, si Jahvé n'était pas le dieu de sa famille ou de son clan, et il aurait présenté à ses contribules ce dieu comme le dieu de leurs ancêtres. Peut-être aurait-il fait de la sortie d’Egypte une question de religion, d’où seraient venues les apparitions divines au Sinaï et la mission de délivrer son peuple.

Il n’est pas étonnant que le futur libérateur des Hébreux, vivant à une époque de persécution et destiné par Dieu à une grande mission, ait eu dans ses origines des circonstances extraordinaires. La comparaison avec des personnages légendaires ne prouve absolument rien. Le Pharaon faisant périr les enfants Israélites à leur naissance, la mère de Moïse a bien pu trouver dans son cœur maternel l’idée d’exposer son fils sur le Nil, et la providence a veillé particulièrement sur la sauvegarde de l’enfant, sans miracle, par un concours de circonstances toutes naturelles. Le nom égyptien de leur libérateur, adopté par les Hébreux, a été rattaché à une racine hébraïque, dont le sens convenait au fait de la délivrance des eaux. L’adoption de l’enfant trouvé par la fille du Pharaon n’est pas impossible ni invraisemblable, et si le nom égyptien de Moïse avait la signification que lui donnent la plupart des égyptologues modernes, il prouverait qu’il a été imposé à l’enfant par la princesse égyptienne qui ne parlait pas hébreu. L’enfant adopté aurait naturellement reçu une éducation semblable à celle des autres enfants de la cour. Ses rapports avec Jéthro ne sont pas des enjolivements légendaires, si on admet qu’il a été en relation avec les Madianites. Nous avons réfuté déjà l’origine qénite de Jahvé, voir t. iv, col. 959-961, et montré que ce nom divin avait été révélé par Dieu lui-même à Moïse. Ibid., col. 954-959.

2. Rôle historique de Moïse.

Le silence des monuments égyptiens sur le séjour d’un peuple de pasteurs en Egypte, en un pays si bien administré, et sur la fuite de ces étrangers pour échapper à la domination égyptienne, rend la tradition de l’Exode peu croyable et la relègue dans le domaine de la légende. H. Winckler, Geschichte Isræls, Leipzig, 1895, t. i, p. 55 sq. Cependant la profonde impression qu’ont laissée dans tout l’Ancien Testament la sortie d’Egypte et les merveilles qui l’ont accompagnée, Is., x, 24, 26 ; XI, 16 ; Jer., ii, 6 ; xvi, 14, 15 ; xxiii, 7, 8 ; Ps. lxxvi,

    1. LXXVII##


LXXVII, LXXIX, LXXX, CIV, CV, CVI, CXIII, cxxxiv, ctc,

et l’accord unanime de la tradition Israélite à rattacher la révélation de Jahvé et sa législation au Sinaï prouvent la réalité historique des événements principaux qui sont racontés dans l’Exode. Abbé de Broglie, Questions bibliques, édit. Piat, Paris, 1897, p. 224-241 ; kl., Le caractère historique de l’Exode, dans les Annales de philosophie chrétienne, mail887, t. cxiv, p. 105-138 ; B. Bæntsch, Exodus, Leviticus, Numeri, Gœttingue, 1905, p. Lxx-Lxxi. Aussi la plupart des critiques rationalistes admettent-ils que la tradition de Moïse, libérateur de son peuple, a un fondement historique auquel la légende s’est mêlée. Toutefois, il se pour

rait qu’il n’y ait à retenir que les faits de la sortie d'Égj’pte et de l’entrée d’Israël dans la péninsule du Sinaï. Valeton, dans le Manuel des religions de Chantepie de la Saussaye, trad. franc., Paris, 1894, p. 190-191.

Cependant, on se rend bien compte du silence des documents égyptiens. La caravane des fils de Jacob ne s'élevait, à son arrivée en Egypte, qu’au nombre peu important de 70 hommes. Exod., i, 5 ; Gen., XLVi, 8-27. L’installation de ces nomades dans la terre de Gessen, proposée par Joseph, a bien pu passer inaperçue dans l’administration du Pharaon, qui était lui-même un roi pasteur, puisque cette terre était alors un pays inculte et qu’elle ne devint un district administré comme les autres parties de l’Egypte, que sous Rarasès IL F. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 6^ édit., Paris, 1896, t. II, p. 219-220. D’autre part, les Pharaons n’avaient pas l’habitude de relater sur leurs stèles les événements défavorables qui se produisaient sous leur règne. On s’explique donc aisément que le Pharaon de l’Exode n’ait pas inscrit sur ses monumentsle souvenir des plaies d’Egypte, de la fuite des Hébreux et de la destruction de son armée dans la mer Rouge. Ces faits, qui étaient à la base de l’histoire d’Israël, ne constituaient qu’un épisode peu glorieux pour les Égyptiens, qui n’en ont pas gardé le souvenir. Spiegelberg, Der Aufenthalt Isracls in JEgyplen, 4'= édit., Strasbourg, 1904, p. 15-20 ; J. Nikel, Das Allé Testament im Lichte der orientalischen Forschungen. IL Moses und sein Werk, Munster, 1909, p. 14. « Après avoir longtemps joui, non sans un large profit, de l’hospitalité libérale des Égyptiens sur le sol de Gessen, le clan des patriarches hébreux se trouva réduit soudain à une condition plus dure. Pharaon fit peser sur ses hôtes, dont la richesse et l’accroissement étaient vus probablement d’assez mauvais œil par ses sujets, le poids des impôts et de la corvée. » H. Vincent, Canaan, Paris, 1907, p. 456. Il s'était produit un changement de dynastie, et le nouveau roi n’avait pas connu Joseph. Exod., i, 8. C'était Séti I", le fondateur de la XIX « dynastie égyptienne. Sous son fils Ramsès II, « le joug s’alourdit brusquement : il fallait créer en hâte des villes grandes et fortes : Ramsès et Pithom, et les exacteurs pharaoniques se firent si rudes pour les Israélites réduits au même servage que des prisonniers de guerre, qu'à la première occasion ils prirent la fuite. » H. Vincent, ibid. Une des villes bâties par les Hébreux est nommée Ramsès et elle a pris son nom de Ramsès II, son fondateur ; ses ruines ont révélé les travaux de ce prince. F. Vigouroux, loc. cit., p. 221-222, 236-250 ; Dictionnaire de la Bible, art. Pithom, t. v, col. 323324 ; Ramsès II, ibid., col. 971-974.

Suivant l’interprétation la plus répandue et la mieux appuyée, l’exode des Hébreux eut lieu sous le règne de Ménephtah P', au xiiie siècle avant JésusChrist. Or, il se rencontre que les Israélites sont nommés pour la prem-ière fois sur la stèle de ce roi, découverte en 1895 par M. Flinders Pétrie, dans les ruines de l’Amenophium de Thèbes. Ce Pharaon raconte ses victoires, la pacification de son empire, la punition des Chananéens révoltés et il dit qu' « Israël est déraciné et n’a pas de graine. » Il s’agit des Israélites réfugiés sur les bords du Nil plutôt que d’un clan Israélite, demeuré au pays de Chanaan, comme l’avait pensé M. Pétrie. « Après une vaine tentative pour entraver leur fuite, Pliaraon.qui a vu les Israélites s’enfoncer au désert, estime superflu de les y poursuivre, soit que d’autres soucis l’appellent ailleurs, soit qu’il juge assurée la ruine des fuyards ; en tout cas pour lui, leur race n’est plus. » H. Vincent, op. cit., p. 457. CL F. Vigouroux, La Bible et les

découvertes modernes, t. iv, p. 677-683 ; G. Maspero, Histoire ancienne des peuples de l’Orient classique, Paris, 1897, t. ii, p. 436, 443-444 ; A. Deiber, dans la Revue biblique, 1899, p. 267-277 ; Ph. Virey, ibid., 1900, p. 578-58& ; Dictionnaire de la Bible, art. Ménephtali /", t. v, col. 965-967. M. K. Miketta, Der Pharao des Auszuges, dans Biblische Studicn, Fribourgen-Brisgau, 1903, t. viii, fasc. 2, a tenté de reporter l’exode à une date antérieure et de la placer sous le règne d’Aménophis II, entre 1461 et 1436. Sa conclusion a été adoptée par J. Selbst, Handbucli zur BiblischenGeschichte, 6^ édit., Fribourg-en-Brisgau, 1910, t. I, p. 435.

Les objections tirées des miracles qui ont accompagné et suivi la sortie d’Egypte contre le caractère historique de cet exode, ne peuvent nous arrêter longtemps ici. Ces miracles « sont attestés par la croyance de toute une nation, croyance appuyée ellemême sur des usages immémoriaux, tels que la fête de Pâque, sur des monuments visibles, comme l’arche et le tabernacle. La croyance à ces miracles n’est pas pour le peuple d’Israël une sorte d'épopée nationale, comme le récit de la guerre de Troie pour les Grecs. C’est une croyance ferme, nette, précise, ayant des conséquences pratiques, » qui ont fait d’Israël le seul peuple monothéiste. Abbé de Broglie, Questions bibliques, p. 232. En outre, ces faits miraculeux s’unissent aux faits naturels et les expliquent au point qu’il faut rejeter comme non historique le récit de l’Exode tout entier, ou accorder aux miracles euxmêmes un caractère historique. Enfin, ces miracles présentent des circonstances qui conviennent au milieu historique où ils se sont produits, comme M. Vigouroux l’a clairement établi pour les plaies d’Egypte. La Bible et les découvertes modernes, t. ii, p. 305-349.

L’itinéraire suivi par les Israélites pour aboutir au Sina’i peut créer de graves difficultés exégétiques. Sa direction générale se justifie aisément. S’acheminer directement vers le pays de Canaan, c'était s’exposer à une ruine irrémédiable. « Informé de la fuite de cette immense et précieuse légion d’esclaves. Pharaon ne manquerait pas de se lancer à sa poursuite. D’ailleurs on se heurterait sans faute à la résistance des peuples de Canaan avant d’y être assez préparé. Un ordre divin ramène les fugitifs dans les solitudes austères et grandioses du Sina’i. On y prendra le temps nécessaire à l’organisation nationale qui fait encore défaut. La lutte avec les tribus rencontrées dans les vallées de pâturage et autour des puits aura pour résultat d’aguerrir le peuple pour les combats plus redoutables qu’exigera la conquête de Canaan. » H. Vincent, op. cit., p. 457. Sur les détails de cet itinéraire, voir F. Vigouroux, op. cit., t. ii, p. 350-489 ; J. Lagrange, dans la Revue biblique, 1900, p. 63-86.

On a remarqué que les plus anciens prophètes écrivains, Amos et Osée, connaissaient des faits racontés dans l’Exode. Amos parle de l’extermination des Amorrhéens, de la sortie d’Egypte et du séjour des Israélites pendant quarante ans au désert, ii, 9, 10 ; iii, 1 ; il dit cependant que les Israélites n’ont pas offert à Dieu de victimes et de sacrifices, v, 25, peutêtre de victimes et de sacrifices qui aient étéagréables au Seigneur. Osée mentionne aussi la sortie d’Egypte, opérée par l’intermédiaire d’un prophète, xl, 1 ; XII, 9, 13 ; mais il place les Israélites du désert audessus de ses contemporains relativement à leur conduite envers Dieu, ix, 10. Le séjour des Israélites en Egypte comme étrangers est rappelé encore par Isa’ie, LU, 4, et la sortie d’Egypte est mentionnée par les autres prophètes, ainsi que le séjour dans le désert. Jer., II, 2.

2° Moïse, législateur des Hébreux au Sinaï. — Les critiques rationalistes, qui reconnaissent en Mo’isj le

fondateur de la nation d’Israël et de sa religion, admettent bien qu’il dut donner à son peuple quelques règlements, qui furent considérés comme provenant de Dieu, puisque à cette époque il n’y avait encore aucune différence entre le droit humain et le droit divin. Mais la plupart n’attribuent à ce législateur aucune des lois qui sont contenues dans le Pentateuque. On trouvera à l’art. Lévitique la discussion des principales raisons qu’on invoque contre l’origine mosaïque du code sacerdotal, dont une minime partie se trouve dans le livre de l’Exode. Nous n’avons à parler ici que de la légi-slation du document éloliiste. Elle comprend le Décalogue moral et le code de l’alliance. Sur le Décalogue moral, voir t. iv, col. 163-164. Quant au code de l’alliance, la plupart des critiques, tout en le tenant pour la plus ancienne législation d’Israël, ne le rapportent cependant pas à Moïse. Ils ont fait diverses hypothèses sur sa date, et les plus modérés reconnaissent en lui le résumé du droit coutumier d’Israël sous la royauté pleinement constituée ; il aurait donc été fait après David, vers la fin du ixe siècle ou au commencement du vin", et vraisemblablement, suivant Wildeboer, dans les cercles sacerdotaux de Béthel. Cependant, Driver fait remarquer avec raison que les lois de ce code sont simples et conviennent à une société peu développée, quoique déjà relativenrent avancée en civilisation. Les préceptes concernant le culte sont assez élémentaires ; certaines dispositions, telles que le droit du talion, Exod., xxi, 23-25, sont primitives et beaucoup ont trait à l’agriculture. L’ensemble présente un réel cachet d’antiquité. Einleilung in die Literatur des allen Testaments, trad. Rothstein, Berlin, 1896, p. 37 Ce cachet d’antiquité est encore plus marqué depuis qu’on a pu comparer le code de l’alliance avec le code d’Hammourabi, qui est contemporain d’Abraham. Dans les deux codes, « ce sont les mêmes principes, et lorsque l’application tombe sur les mêmes objets, la rencontre est presque littérale, sans qu’il soit nécessaire de supposer un emprunt littéraire. » J. Lagrange, Le code de Hammoiirubi, dans la Revue biblique, 1903, p. 50. Il y a des différences qui, pour la plupart, sont à l’avantage du code hébreu, surtout au point de vue de la pureté du sens moral et de la délicatesse du sentiment religieux. D’autre part, Hammourabi légifère pour une société opulente, agricole, commerçante ; le livre de l’alliance est fait pour une société patriarcale de semi-nomades, qui pratiquent l’agriculture et l'élevage des troupeaux, mais ignorent les complications de la vie urbaine. Ibid. La promulgation du Décalogue, xx, 2, et quelques prescriptions du livre de l’alliance, qui concernent les étrangers, xxii, 27 ; XXIII, 9, sont motivées sur la condition d'étrangers que les Israélites avaient eue en Egypte et dont le souvenir était encore très vivace. Aussi le P. Lagrange reconnaît que ce code est aussi ancien que Moïse. La méthode historique, 2e édit., Paris, 1904, p. 177. Ed. Klostermann a admis la même conclusion, BeiIruge zum Vcrstàndnis der Enlstehungsgeschichte des Pentaleuchs, nouvelle série, Leipzig, 1907, ainsi que Ed. Konig, Gcschichte dcr ultesicmenilichen Religion, Gutersloh, 1912. Pour ce dernier, le Décalogue et le code de l’alliance ont été rédigés par Moïse lui-même ou au moins sous sa direction. Moïse n’a donc pas été un législateur sans code, et en particulier la législation du livre de l’Exode est son œuvre. Cf. E. Mangenot, op. cit., p. 69-76.

3° Moïse, auteur du livre de l’Exode. — 1. Preuves positives. — Ce livre lui-même donne des indications formelles sur l’activité littéraire de Moïse. Après la défaite des Amalécites à Raphidim, Dieu ordonna au chef des Hébreux d’en écrire le récit en souvenir dans u 1 livre et de l’inculquer dans les oreilles de Josué.

Exod., XVII, 14. Cf. Deut., xxv, 17-19. Le texte massorétique est ponctué de telle sorte qu’il faudrait traduire : « Écris dans le livre, » et on l’entend souvent du Pentateuque, déjà commencé et rédigé en forme de journal ou d’annales. Les massorètes avaient sans doute en vue ce livre, quand ils ponctuèrent ainsi ce passage. Mais la version des Septante n’a pas l’article ; elle porte : si ; (iio/.iov ou èv [ito), ! w, et ses auteurs n’avaient en vue qu’un livre indéterminé. J. Kley a prétendu toutefois que cette signification exigerait la leçon -isc '- :, employée. Deut., xiite 18 ; xxxi, 24 ; Is., xxx, 8 ; Jer., xxx, 2 ; xxxvi, 2. Die Pentateuchfrage, Munster, 1903, p. 217. Néanmoins, la leçon massorétique, fût-elle originale, ne désignerait pas nécessairement le Pentateuque commencé ; elle pourrait viser un livre dans lequel Moise aurait joint ce récit à d’autres déjà rédigés et qui serait reproduit dans le Pentateuque. Plusloin, Exod., xxiv, 4, il est dit que Moïse écrivit toutes les paroles du Seigneur. Or il ne s’agit pas de toutes les révélations diverses faites à Moïse.puisqu’ellesn’avaient pas encore toutes eu lieu, ni même de toutes celles qui s'étaient produites antérieurement, mais de celles qui précèdent immédiatement et qui contiennent les conditions de l’alliance conclue entre Dieu et le peuple, ainsi qu’il résulte clairement de la liaison entre le verset 3 et le verset 4 de ce récit. Il est clair, dès lors, que le Décalogue et le livre de l’alliance sont présentés ici comme ayant été écrits par Moïse lui-même. Un autre code de l’alliance est encore expressément attribué à une rédaction de Moïse. Dieu ordonna une autre fois au législateur d’Israël d'écrire les paroles qu’il venait de prononcer, Exod., xxxiv, 10-26, et qui contiennent les bases de l’alliance proposée au peuple, 27. Moïse obéit à l’ordre reçu et écrivit les dix paroles de l’alliance sur deux tables de pierre qu’il avait préparées, xxxiv, 1, 4, qu’il tenait en mains à la descente du Sinaï et dont il imposa l’observance aux Israélites, 28, 29, 32. C’est le Décalogue jéhoviste, voir t. iv, col. 162163.

Des passages, dits élohistes ou jéhovistes, du livre de l’Exode attribuent donc expressément à Moïse lui-même la rédaction d’une partie de son contenu. Mais ils ne restreignent pas, comme on l’a prétendu, cette part de rédaction à ces passages exclusivement. Il ne s’agit, en effet, que des morceaux historiques ou législatifs, rédigés par ordre de Dieu. Cet ordre, qui s’explique par l’importance du sujet, ne signifie pas que Moïse ne devait écrire que ces événements historiques et les dispositions fondamentales de l’alliance de Dieu avec Israël, et il n’empêchait pas le chef des Hébreux de consigner par écrit toute l’histoire de son peuple au désert et d’autres dispositions législatives moins importantes. Moïse a donc pu écrire aussi ou faire écrire tout le livre de l’Exode. Cf. G. Hoberg, Moses undder Pentateuch, dans Biblische Sludien, Fribourg-en-Brisgau, 1905, t, x, fasc. 4, p. 39-40.

Il n’y a pas dans l’Ancien Testament d’autre attestation formelle de la rédaction de l’Exode par Moïse lui-même ou par son ordre, puisque les témoignages des autres livres semblent viser seulement la rédaction mosaïque du Deutéronome. Voir t. iv, col. 655-656. Mais la composition mosaïque de l’Exode, attestée dans ce livre lui-même, est confirmée par son contenu. L’auteur du livre est, en effet, très au courant des choses égyptiennes. Il nomme les villes de Pithoni et de Ramessès, i, 11, qui ont eu Ramsès II pour restaurateur. Les travaux en briques et les corvées dont il parle, 14, répondent bien à l'œuvre de restauration de ces villes, telle que l’ont révélée les fouilles de M. Naville et que l’indiquent les monuments de ce Ramsès. Cf. v, 6-18. Il connaît le nom des sages-femmes, Séphora et Phua, qui n’obéissaient pas

aux ordres du Pharaon, 15. La barque de papyrus, dans laquelle la mère de Moïse exposa son enfant sur le Nil, ii, 3, n’est usitée qu’en Egypte. Le nom de Moïse est probablement d’origine égyptienne. Ce qui est dit des magiciens égyptiens qui, par leurs incantations, cliangcrent des verges en serpents, vii, 11, et firent des contrefaçons de plusieurs plaies, iniligées par Dieu aux Égyptiens, vii, 22 ; viii, 7, 18 ; cf. ix, 11, est bien confornie à la réalité. Ces plaies elles-mêmes, sans perdre leur caractère miraculeux, sont des fléaux naturels en Egypte, qui ont été produits dans des circonstances où apparaissait manifestement le doigt de Dieu. La donnée sur la composition de l’armée égyptienne de chars de guerre, xiv, 7, 9, 17, 18, 23, 25, 28 ; XV, 1, 4, 19, 21, est d’une exactitude parfaite. Les institutions rituelles et sacerdotales, établies par Moïse au pied du Sinaï, présentent une ressemblance, purement extérieure sans doute, mais néanmoins très réelle, avec les rites égyptiens. Le tabernacle avait, dans son ensemble, les mêmes dispositions que les temples égyptiens, et l’arche d’alliance, qui y était renfermée, ressemblait en quelque manière à leur naos intérieur. Bref, le récit de l’Exode a une couleur égyptienne évidente. Les critiques rationalistes ne la nient pas ; ils veulent seulement la restreindre aux passages qui auraient été empruntés au document élohiste. Ils l’expliquent dans ce document par le rapprochement immédiat de la Palestine et de l’Egypte et par les relations que les Israélites avaient sous leurs rois avec les Égyptiens. B. Bæntsch, Exodiia, Leviticus, Nunieri, p. lxx-lxxi. Toutefois, ce critique y reconnaît, pour son compte, quelques vestiges de la tradition nationale des Hébreux. Mais cette tradition, eût-elle reçu dès l’origine une forte empreinte égyptienne, aurait, au cours des âges, perdu de sa fraîcheur première et de son coloris local. Un rédacteur postérieur, fût-il personnellement au courant de la situation particulière de l’Egypte, de ses usages et de ses coutumes, n’aurait pu consigner la tradition par écrit d’une manière aussi conforme, jusque dans les moindres détails, à la réalité historique que les découvertes égyptologiques nous ont révélée. Il aurait été exposé, même involontairement, à la modifier d’après l'état politique différent de l’Egypte de son temps. Or, on ne remarque aucune trace de pareilles modifications, et l’Egypte est exactement décrite telle qu’elle existait à l'époque de l’Exode. Cette exactitude parfaite est plutôt le fait d’un Israélite contemporain, ayant longtemps vécu en Egypte, disons, de Moïse ou d’un de ses scribes. Enfin, le coloris égyptien existe dans les récits qu’on attribue au document jéhoviste aussi bien que dans ceux qui seraient de l'élohiste, notamment au sujet des plaies d’Egypte. Le livre de l’Exode tout entier, et non pas seulement le code de l’alliance, est donc d’un contemporain des faits racontés. CL E. Mangenot, op. cit., p. 234-238.

2. Réponse au.v principales objections des critiques. — Les critiques rationalistes, à qui quelques catholiques ont fait écho, ont proposé des arguments contre l’unité de rédaction, et par conséquent contre l’authenticité mosaïque du Pentateuque. On trouvera à l’art. Genèse la discussion de celui qui est tiré de l’emploi différent des noms divins, Élohim ou Jéhovah, dans le livre entier de la Genèse, dans les cinq premiers chapitres de l’Exode. Voir déjà t. iv, col. 951. Voici la solution de ceux qui concernent plus spécialement l’Exode.

a) Doubles récits. — - A propos de la sortie d’Egypte, on remarque des doublets : les mêmes faits sont racontés deux fois et de manières différentes, ce qui montre à la fois la diversité des traditions et des rédactions. Ainsi la vocation de Moïse et la révé lation de Dieu sont racontées une première fois, iii, 1-iv, 17, et une seconde fois, vi, 2-11 ; vii, 12. La manière dont les deux premières plaies d’Egypte sont accomplies est dift'érente. C’est Moïse qui frappe l’eau du Nil avec sa verge, vii, 17, 18, 206, 21rt, 24, 25 ; c’est la verge d’Aaron qui, simplement étendue, change en sang toutes les eaux de l’Egypte, 19. Moïse encore fait sortir du fleuve des grenouilles qui envahiront tout le pays, viii, 2-4 ; ou Aaron étendra sa main sur tous les cours d’eau, les canaux et les étangs pour en faire sortir des grenouilles qui se répandront sur l’Egypte entière, 5, 6. Pour le pain azyme, Dieu ordonne d’en manger le 15 nisan avec l’agneau pascal et des herbes amères, xii, 8 ; de fait, les Israélites, dans la presse du départ, emportèrent au matin la pâte non fermentée, 34, qu’ils firent cuire à Socoth, et ils eurent ainsi des pains azymes, 39. Il y a encore un double récit de l’itinéraire des Israélites vers la mer Rouge : un premier, xiir, 17, 18, et un second, xiv, 1-4 ; les versets 5-7 du c. xiv semblent être la continuation du premier. Plus loin, leꝟ. 15, où Dieu demande à Moïse pourquoi il crie vers lui, ne répond pas aux deux versets précédents, dans lesquels Moïse a donné aux Israélites l’assurance que Dieu combattra pour eux. A. Schulz, Doppelberichte im Penlatcuch, dans Biblische Studien, Fribourg-enBrisgau, 1908, t. xui, fasc. 1, p. 78-85.

Ces doubles récits ne s’imposent pas à la critique, quoi qu’on ait dit. Nous avons déjà montré qu’il y a eu deux manifestations successives de Jahvé à Moïse. Voir t. iv, col. 954, 957. Mais on insiste et on prétend qu’au moins les deux récits ne peuvent être de la même main. Le second n’est pas rattaché au premier. Moïse refuse de faire une démarche auprès du Pharaon, parce qu’il pense que, n’ayant pas été écouté par les Israélites, il n’a aucune chance de succès auprès du roi ; il ne fait aucune allusion à son échec précédent. On ne dit pas non plus quand a eu lieu cette seconde révélation. Ces preuves n’ont de valeur que dans la prcsupposition que les versets 22 et 23 du c. V n’appartiennent pas au récit de la révélation qui suit. Si l’on prend le contexte actuel. Moïse avait rappelé déjà son échec précédent avant que Dieu ne renouvelle sa mission, et la date de cette révélation est établie, puisqu’elle est provoquée par les plaintes du peuple, dont l’oppression a augmenté après la première visite de Moïse au Pharaon. Ainsi isolé, le second récit fait bien l’effet d'être un doublet du premier ; mais est-il raisonnable de l’isoler de la sorte et de le détacher de son contexte ? N’est-il pas plus légitime de le relier à ce qui précède ? Si le rédacteur a eu à sa disposition deux sources différentes, il n’a pas remarqué cette absence de liaison, et s’il a rapporté deux récits d’origine distincte, c’est que ses sources, que nous n’avons plus, lui fournissaient des indices de la liaison qu’il a laissée aux récits et qu’il n’a pas établie lui-même. Il distinguait donc deux révélations différentes, ayant eu lieu à des dates différentes, et il les plaçait dans l’ordre que ses sources lui indiquaient. Mais si les faits sont distincts. Moïse lui-même peut bien être l’auteur de la disposition chronologique actuelle.

Les miracles de l’eau changée en sang et des grenouilles sorties du fleuve ne sont pas racontés de deux manières différentes. Pour le premier, il est d’abord annoncé par Moïse au Pharaon comme une menace. VII, 14-18, et il est ensuite accompli par Aaron. Dans la menace, sans doute, c’est Moïse qui doit frapper de sa verge l’eau du fleuve pour la changer en sang ; dans la réalisation, c’est Aaron qui étend sa verge sur toutes les eaux de l’Egypte. Mais la verge dont Moïse devait frapper l’eau du fleuve, est celle qui a été changée en serpent. Or, c’est celle d’Aaron, vii, 9. Mais, dit-on, 175" ;

EXODE

1758

Moïse devait frapper l’eau de sa verge, taudis qu’A arou ne fait qu'étendre sa main (tenant la verge) sur les eaux de l’Egypte. Or, frapper dit plus que l’acte symbolique d'étendre la verge ; cet acte suppose une percussion physique. Moïse tantôt étend sa main ou sa verge, ix, 22, 23 ; x, 13 ; xiv, 16, tantôt il frappe, xvii, 6 ; Aaron aussi ou bien étend sa main, viii, 5, 6, ou bien l'étend et frappe de sa verge la poussière de la terre, 16, 17. Puisqu’il n’a fait qu'étendre sa main sur les eaux, il faudrait seulement en conclure que ri’xécutiori a été un peu différente de la menace, si, de fait, Aaron n’avait élevé sa verge et n’en avait frappé l’eau du Nil sous les yeux du Pharaon, 20. Le verset 19 ne fait qu’expliquer l’expression « l’eau du lleuve » , en énumérant les bras du fleuve, les canaux et les étangs formés par le Nil, par conséquent, non pas toutes les eaux de l’Egypte, mais seulement celles du lleuve dans leurs états différents, de telle sorte que toutes les eaux du Nil étaient changées en sang, que les Égyptiens ne pouvaient plus en boire et qu’ils durent creuser des puits pour avoir de l’eau à boire. F. Vigouroux, La Bible et les décoiwerles modernes, G<-- édit, Paris, 1896, t. iv, p. 321, note 3 ; F. de Hummelauer, Exodus et Leuilieus, Paris, 1897, p. 89-90. Il en est de même pour la plaie des grenouilles. La menace, faite par Moïse au Pharaon, ne parle que du fleuve ; l’exécution, accomplie par Aaron et sa main étendue, porte sur tous les courants, les canaux et les étangs du Nil. Il n’y a pas de trace de deux traditions différentes.

La loi du pain azyme à manger à la première Pâque a été pronmlguée par Dieu avant le 10 de nisan, xii, 3, en prévision de la hâte avec laquelle la sortie d’Egypte devait s’opérer, 8, et elle a été établie en souvenir de cette hâte. Elle n’est donc pas en contradiction avec le fait, raconté plus loin, 34, 39. Le législateur voulant que la première Pâque, qu’il instituait, fût accomplie comme elle devait l'être toujours, en régla les dispositions d’après l'événement qu’il connaissait d’avance, et cette réglementation n'était pas inutile pour que les Israélites, n’ayant pas de pain levé, se décident à manger l’agneau pascal avec du pain azyme. F. de Mummelauer, op. cit., p. 118, 130.

Quant aux deux itinéraires vers la mer Rouge, ils ne sont pas contradictoires. Le premier n’indique que la direction générale. F. de Hummelauer, op. cit., p. 140. Le chemin direct vers le pays des Philistins était sans doute dans la direction de la mer Rouge, el les Israélites purent le suivre jusqu'à Étham ; mais là, pour obéir aux ordres de Dieu, xiv, 2-4, ils durent le quitter et se rendre directement sur les bords de la mer Rouge. C’est là que commence la voie détournée que Dieu fit prendre à son peuple : ils devaient aller dans la direction du Sinaï, marcher vers le sud et non vers le nord. F. Vigouroux, lac. cit., p. 408-409. Il y eut donc un changement de direction. Pharaon qui croyait que leur dessein était seulement d’aller au désert, quand il les sut campés du côté de la mer Rouge, leur ferma au nord le chemin du désert. F. Vigouroux, ibid., p. 411-414. Dans les deux cas, Dieu réglait la nuirche d’Israël pour le faire échapper aux poursuites du roi d’Egypte. Loin donc de faire double emploi, les deux itinéraires se succèdent et se complètent.

b) Doubles lois. — Bæntsch, op. cit., p. vi, signale une double institution de la première Pâque. xii, 1-13, et 21-27 ; une double loi sur l’offrande du preinier-né, xiii, 1, 2, et 11-16 ; xxii, 29 b, et xxxiv, 28 ; l’ordre de paraître trois fois par an devant Jéhovah, xxiii, 17, et xxxiv, 24 ; la répétition de solenniser la fête des prémices et la fête [de la moisson, xxiii, 16, et xx.xiv, 22 ; la double défense d’oftrir du pain fermenté, .xxiii, 18, et XXXIV, 25 ; la double loi des pré mices et la double défense de faire cuire le chevreau dans le lait de sa mère, xxiii, 19, et xxxiv, 26. Au sujet de la première Pâque, le texte ne présente pas deux ordres différents de célébration.' On y lit d’abord l’ordonnance détaillée, donnée par Dieu à Moïse et à Aaron, puis la communication que Moïse en fait aux anciens d’Israël. Celle-ci reproduit l’ordonnance précédente, en la résumant, en omettant quelques détails et en ajoutant de nouvelles dispositions ; ce n’est qu’une partie du discours : l’auteur, qui vient de reproduire le précepte de Dieu, ne le répète pas en entier ; il y fait allusion à ce qui est déjà connu et il donne de nouvelles explications ; c’est un procédé de rédaction pour éviter des répétitions textuelles. Cf. F. de Hummelauer, op. cit., p. 122-123. Pour la loi de l’offrande du premier-né, il y a aussi l’ordre donné directement par Dieu à Moïse et la promulgation qui en est faite par Moïse au peuple. Cette loi, publiée séparément, est renouvelée dans de petits codes postérieurs. Les autres prescriptions doubles appartiennent aux deux codes de l’alliance, xx, 22 XXIII, 33 ; xxxiv, 1-28, que les critiques rationalistes rapportent, le premier au document élohiste, le second au document jéhoviste. Le texte de l’Exode présente le premier comme le code de l’alliance, solennellement conclue entre Dieu et Israël au pied du Sinaï, et le second comme celui du renouvellement de l’alliance rompue par l’adoration du veau d’or. Le second code n’est qu’un résumé du premier : il contient le Décalogue sous une nouvelle forme, voir t. iv, col. 162-164, et le rappel des principales lois religieuses de la première alliance. Il n’est pas étonnant dès lors qu’il y ait des répétitions. Les critiques attribuent cette distinction au rédacteur qui aurait combiné les documents élohiste et jéhoviste et ils rapportent le fond du second code à la rédaction jéhoviste de l’alliance faite au Sinaï. Bæntsch, op. cit., p. 280. Mais puisque, selon eux, des traits du renouvellement de l’alliance sont empruntés au document élohiste, il en ressort que le rédacteur, s’il a existé, n’a pas inventé ce renouvellement. Que le code reproduit à cette occasion, xxxiv, 10-27, soit le Décalogue jéhoviste complété par quelques lois sinaïtiques, c’est une pure supposition, fondée sur une distinction arbitraire de documents et sur une reconstitution a priori de la religion d’Israël. Voir t. iv, col. 162-164.

c) Contradictions et inconséquences. — B. Bæntsch, loc. cit., en relève quelques-unes dans le livre de l’Exode. Moïse, qui a du mal à parler, obtient de Dieu que son frère Aaron parle en son nom, iv, 10-16, et cependant Dieu envoie Moïse à Pharaon et le charge de parler directement au roi, vii, 14-18. Dans les récits concernant les plaies d’Egypte, c’est tantôt Mo’ise, tantôt Aaron, qui agit ; les événements sont présentés soit comme des maux infligés par représailles, soit comme des miracles ; les Israélites enfin sont représentés comme habitant au milieu des Égyptiens ou bien à part dans la terre de Gessen. La manne est décrite deux fois, xvi, 14, 31. L’existence du tabernacle et de l’arche est supposée, xvi, 34, quoique leur construction ne soit racontée que beaucoup plus loin. Les secondes tables de la loi, xxxiv, 1-10, contiennent un texte difl'érent de celui des premières,

XXIV, 12, quoique, d’après xxxiv, 1, le Décalogue doive être le même que celui du c. xx. Moïse est sur la montagne avec Jahvé, xx, 21 - xxiii, 33, et cependant il y est rappelé, xxiv, 1 ; le même désaccord se remarque, XXIV, 9, 12. Le c. xviii, dans lequel il est parlé d’une question juridique, n’est pas à sa place, puisque Moïse ne commence à recevoir de Dieu des dispositions législatives qu'à partir du c. xx.

Ces objections sont d’une faiblesse extraordinaire

et elles sont résolues dans tous les commentaires de l’Exode. Moïse, qui était bègue, avait demandé à Dieu d'être déchargé de la mission qui lui avait été confiée, mais Dieu lui avait donné en la personne d’Aaron, son frère, un porte-parole éloquent, qui remplit ordinairement ce rôle. Voir t. i, col. 1. Mais Dieu parlait à Moïse, qui mettait lui-même ses paroles sur les lèvres d’Aaron. L’ordre de parler au Pharaon, donné directement à Moïse, vii, 14-18, devait, comme les précédents et selon la parole dite, vii, 1, 2, être reproduit par Aaron, qui, du reste, eut son rôle propre à remplir au sujet de la première plaie, 19, 20. Les rôles sont de même partagés entre les deux frères pour toutes les autres plaies, mais Aaron n’intervient jamais que par l’ordre de Dieu. Toutes les plaies, infligées par Dieu, sont des punitions de l’endurcissement du Pharaon, mais on prétend que ce caractère est au second rang dans celles que les magiciens d’Egypte ne peuvent pas imiter et qui ont pour but de montrer le doigt de Dieu et de légitimer son droit de commander au roi d’Egypte. Bæntsch, op. cit., p. 5455. Les plaies sont simplement de plus en plus graves. Les mages avaient pu reproduire les deux premières, mais ils ne purent faire disparaître les moustiques et ils reconnurent le doigt de Dieu dans cette troisième plaie. Ils n’apparaissent plus à partir de la quatrième et ils sont atteints eux-mêmes par la sixième, IX, 11. Tout en étant plus merveilleuses que les trois premières, les sept autres sont des punitions de plus en plus fortes, qui frappent les Égyptiens autant qu’elles montrent la puissance de Jahvé et son droit de commander au Pharaon. Nulle part, il n’est dit expressément que les Israélites habitent au milieu des Égyptiens. Leur séjour en la terre de Gessen, au contraire, est affirmé explicitement dans le récit de la quatrième plaie pour dire que les mouches ne pénétrèrent pas dans la région occupée par les Israélites, VIII, 22. Jahvé manifeste sa puissance au milieu de la terre d’Egypte, parce qu’il est le Dieu de la terre entière. Leꝟ. 4 du c. ix signifie seulement que la peste des troupeaux ne s'étendit pas au pays de Gessen, où paissaient les troupeaux des Israélites. Cꝟ. 6, 7. De même, à la septième plaie, la grêle ne tomba pas au pays de Gessen, où étaient les Israélites, 26. Si les ténèbres couTirent l’Egypte entière, la lumière continua de luire partout où habitaient les fils d’Israël, x, 23. Siceux-ci ont l’ordre d’emprunter des vases d’or et d’argent aux Égyptiens, XI, 2 ; XII, 35, 36, il ne s’agit que de ceux de la contrée de Gessen, où les ténèbres n’avaient pas pénétré ; les Israélites ne firent pas le tour de l’Egypte pour ramasser des vases d’or et d’argent ; ils n’en auraient pas eu le temps, tellement leur exode fut précipité ; ils firent ces emprunts à leurs voisins de la contrée de Gessen. Il n’y a rien, dans tout ce récit, qui trahisse la main de plusieurs auteurs, (^f. F. de Hummelauer, op. cit., p. 87-88. La nature de la manne est décrite sommairement, xvi, 14, 15, à sa date avec les détails qui la suivirent, 16-30. Le ꝟ. 31 revient sur son nom pour ajouter de nouveaux détails sur sa forme, sa couleur et son goût, comme début et transition au récit suivant : ordre divin de déposer dans le tabernacle un gomor de manne, 32-36. Quant à ce tabernacle, beaucoup de commentateurs ont pensé, après saint Augustin, qu’il était mentionné ici par anticipation ou prolepse, comme il est parlé de l’arche à propos des tables de la loi, xxv, 16. Le P. de Hummelauer, op. cit., p. 178, y a reconnu un premier tabernacle, dont il serait aussi, selon lui, question, XXXIII, 7-11. Voir ibid., p. 323. Sur les rapports du Décalogue jéhoviste avec le Décalogue élohiste, voir t. IV, col. 162-164 ; F. de Hummelauer, op. cit., p. 330331. Le code de l’alliance n’a pas nécessairement été promulgué le même jour (lue le Décalogue, et il

peut y avoir un intervalle de temps entre leꝟ. 21 et le ꝟ. 22 du c. XX. Moïse n'était plus dans la nuée quand il le promulgua au peuple ; il a donc dû être rappelé auprès de Dieu avec les 70 vieillards, qui n'étaient pas dans la nuée lors de la promulgation du Décalogue, pour recevoir une nouvelle révélation, XXIV, 1. Les faits racontés, xxiv, 9 et 12, sont aussi des ascensions différentes. Moïse, qui était redescendu du Sinaï avec les 70 vieillards, y remonte seul. Le c. xviii est à sa place chronologique. L’institution des juges du peuple, provoquée par une observation de Jéthro, est l'œuvre personnelle de Moïse ; elle a pu précéder la législation que le Seigneur a révélée à Moïse plus tard pour son peuple.

Aucun de ces arguments ne prouve donc la diversité des auteurs dans le livre de l’Exode et ne va contre l’authenticité mosaïque de cet écrit. Sur la diversité des lois de l’Exode, du Lévitique et des Nombres, voir Lévitique et Nombres.

V. Doctrine.

1° Dogmatique. — Le dogme capital du livre de l’Exode, c’est la révélation, faite à Moïse, du nom propre, Jahvé, du Dieu des pères ou des patriarches et l'établissement du monothéisme dans la foi légitime d’Israël. Sur la révélation de Jahvé à Moïse, voir t. iv, col. 954-962. Sur la nature de Dieu d’après l’Exode, voir ibid., col. 963-965. Cf. J. Touzard, La religion d’Israël, dans J. Bricout, Où en est l’histoire des religions ? Paris, 1911, t. ii, p. 25-30. Au Sinaï, Jahvé, qui révèle sa nature intime comme l'être par excellence et la cause de tous les êtres, conclut avec son peuple une alliance très étroite. Cette alliance entre Jahvé et Israël ne pouvait être un contrat de même nature que ceux qui interviennent entre les hommes égaux en droits. Jahvé devait faire la première démarche ; aussi le premier trait de son alliance avec Israël est-il qu’elle vient de son libre choix. Par ailleurs, Israël ne pouvait discuter avec Dieu les clauses ou conditions de l’alliance ; Jahvé devait imposer à son peuple ses propres volontés, ses commandements, qu’Israël devait accepter et pratiquer.

Morale.

La principale clause de l’alliance de

Jahvé avec Israël était l’observation fidèle du Décalogue. Sur sa nature, voir t. iv, col. 164-176. Dès le début, Jahvé s’y présente comme un Dieu jaloux : il est le Dieu unique ; aucun autre dieu ne peut se poser en rival et s’arroger sur Israël des droits qu’il n’a pas conquis. Jahvé y apparaît en même temps comme un Dieu moral. Il n’avait pas besoin d’Israël ; c’est par pitié qu’il l’a tiré d’Egypte, pour faire cesser une dure servitude qui n'était pas méritée. C’est pourquoi il réclame de son peuple, avec la reconnaissance pour la libération accordée, la pratique de l'équité, de la bonté et des autres vertus morales. Ces clauses principales de l’alliance mettaient Jahvé bien audessus des dieux des nations, qui devaient s'éclipser devant lui. Lui seul devait être honoré et il devait l'être par un culte moral, correspondant à sa nature propre.

Rituelle et liturgique.

 Le caractère le plus frappant du culte divin dans l’Exode, c’est l’absence totale de figure ou d’image de la divinité. Le Décalogue

interdit de faire aucune image taillée représentant Jahvé. L'épisode du veau d’or, qui, aux yeux du peuple, était un emblème du Dieu d’Israël, montre que la foule avait du mal à se représenter Dieu, abstraction faite de toute forme sensible. La législation sinaïtique donne une plus haute idée de la spiritualité de Jahvé, qu’aucune figure extérieure ne pouvait représenter. L’arche cependant était un signe de la présence de Dieu au milieu de son peuple. La tente de réunion, qui l’abritait, était le lieu où on cherchait Jahvé et où on l’honorait. Dieu y rendait sa présence sensible par la colonne de nuée. Moïse s’j' entretenait avec lui comme un homme avec son ami, et le peuple se prosternait et rendait au Seigneur ses iiommages. L’arche était encore le trône de Dieu, sur lequel il reposait invisiblement. Elle contenait aussi les tables de la loi. Le tabernacle était dressé en dehors du camp ; c’est là que Dieu se rencontrait avec son peuple. L’autel était très simple, fait de terre ou de liierres non taillées ; il n’avait pas de degrés de peur que le sacrificateur, en les gravissant, ne découvrît sa nudité en présence de Dieu. Des jeunes gens, simples Israélites, offrirent les premiers sacrifices, avant que la famille d’Aaron n’ait été choisie pour le sacerdoce. Le service divin comprenait ce qui était le plus compatible avec la vie nomade du désert : on offrait des sacrifices, on célébrait trois fêtes annuelles : celle des azymes, rattachée au souvenir de la sortie d’Egypte, celle de la moisson et celle de la récolte des fruits. On observait aussi le sabbat et les néoménies. La description du tabernacle, des objets du culte et des vêtements sacerdotaux montre que Dieu, tout spirituel qu’il était, voulait recevoir un culte extérieur, joint aux sentiments intérieurs de l’âme. Cf. E. Mangenot, L’aulhenlicilé mosaïque du Pentateuque, p. 7275 ; J. Touzard, loc. cil., p. 32-35.

VI. Commentaires. — 1° Pères. — Origène, Selecla el homiliie in Exodum, P. G., t. xii, col. 263-396 ; Théodoret, Quæstiones in Exodum, P. G., t. lxxx, col. 225-297 ; Diodore de Tarse, Fragmenta in Exodum. P. G., t. XXXIII, col. 1579-1586 ; S. Augustin, Quxsliones in Heptateuchum (pour l’Exode), P. L., t. xxxiv, col. 501-516 ; S. Isidore de Séville, Quecslioncs in V. T. Penlnteuchum (pour l’Exode), P.L., t. Lxxxiii, col. 287-322 ; Procope de Gaza, Comment, in Exodum, P. G., t. lxxxvii, col. 511-690 ; S. Bède, In Pentateuchum commentarii (pour l’Exode), P. L., t. xci, col. 285-332 ; De iabernaculo et vasibus cjus et vestibus sacris, ibid., col. 393-498 ; pseudo-Bède, Queestiones super Pentateuchum (pour l’Exode), P.L., t. xciii, col. 363-388 ; Raban Maur, Comment, in Exodum, P. L., t.cviii, col.9-246 ; Walafrid Strabon, G/ossa ordinaria (pour l’Exode), P. L., t. cxiii, col. 183-296.

Au moyen âge.

S. Bruno d’Asti, Expositio in Exodum, P. L., t. clxiv, col. 233-378 ; Rupert de Deutz, De Trinitate et operibus ejus. Liber in Exodum, P. L., t. CLxvii, col. 565-741 ; Hugues de SaintVictor, Annotationes elucidatorise. in Pentateuchum (pour l’Exode), P. L., t. CLXxv, col. 61-74 ; Hugues de Saint-Cher, Postilla, Venise, 1588, t. i ; Nicolas de Lyre, Postilla, Rome, 1471, t. i ; Tostat, Opéra, Venise, 1728, t. ii ; Denys le Chartreux, Comment. in Pentateuchum (pour l’Exode), Opéra omnia, Monireuil, 1896, 1897, t. i, p. 473-644 ; t. ii, p. 1-127.

Aux temps modernes.

1. Protestants. — Calvin a commenté le Pentateuque entier ; il y en eut aussi l’Iusieurs commentaires au xyiie siècle. Au xix'e siècle, on peut citer : en Allemagne, A. Knobel, Exodus und Leviticus, Leipzig, 1852 ; 2e édit., par A. Dillmann, 1880 ; 3°= édit., par Ryssel, 1897 ; J. P. Lange, Exodus, Leviticus, Numeri, Bielefeld, 1874 ; C. F. Keil, Genesis and Exodus, 3^ édit., Leipzig, 1878 ; H. Strack, Genesis, Exodus, Leviticus, Numeri, Munich, 1894 ; H. Hol/.inger, Exodus, Tubingue, Fribourg et Leipzig, 1900 ; B. Bæntsch, Exodus, Leviticus, Numeri, Gœttingue, 1903 ; en Angleterre, M. Kalisch, Exodus, 1855 ; Cook, l.ondres, 1877, t. ii ; Rawlinson, Exodus, Londres, 1897 ; Chadwick, Exodus, Londres, 1890 ; Maclaren, The l’ooki of Exodus, Leviticus and Numbers, Londres, 1906 ; Bennett, Exodus, Londres, 1908 ; A. Me Neile, The book of Exodus, Londres, 1908 ; Driver, The book iif Exodus, Edimbourg, 1911. — 2. Catholiques. — Commentaires du Pentateuque : par Cajetan, Rome, 1531, par J. Oleaster, Lisbonne, 1556, par Santé Pagnino, Aiivers, 1565, par Tirin Anvers, 1632, par Corneille de la Pierre, Lyon, 1732, par C. Jansénius, Louvain, 1641, par J. Bonfrère, Anvers, 1625, par Cl. Frassen, Rouen, 1705, par A. Calmet, 2e édit., Paris, 1724 ; commentaires de l’Exode : Louis Lippoman, Catena in Exodum, Paris, 1550 ; Crelier, Exode et Lévitique, Paris, 1886 ; F. de Hummelauer, Exodus et Leviticus, Paris, 1897 ; J. Weiss, Das Buch Exodus, Graz, 1911.

Pour les questions critiques, voir les introductions générales citées t. IV, col. 664-665, et les introductions particulières des commentaires récents ; B. W. Bacon, The triple tradition of the Exodus, Hartford, 1894 ; Eerdmann, Das Buch Exodus, 1900 ; les articles sur l’Exode, dans Encijclopœdia bi}>lica de Cheyne, Londres, 1901, t. ii, col. 14321451. Sur le document élohiste, O. Procksch, Das nordliebraisches Sagenbuch. Die Elohimquelle, Leipzig, 1906. Sur le code de l’alliance, Rothstein, Das Bundesbucli und die relifiionsgesclticlitliche Entwicklung Isræl’s, Halle, 1888 ;

B. Bæntscli, Das Bundeshucli, Halle, 1892 ; L. B. Paton, Tlie origiiuil forin of the book of tlie covonanl, dans Journal 0/ biblical literature, 1893, t. xii, p. 79-93. Voir encore

C. Steuernagel, Jehov. Bericht ûber den Bundesschhiss am Sinai, dans Theolog..Studien und Kriliken, t. Lxxii, p. 319350 ; A. D.I^ot/., B und vont Sinai, dans Neue kirchliche Zeilschrift, t. XII, p. 561-580, 631-635, 859-875 ; t. xiii, p. 181204.

Pour l’historicité des faits racontés dans l’Exode, voir F. Vigouroux, La Bible elles découvertes modernes, 6’édit., Paris, 1896, t. ii, p. 215-577 ; H. Weiss, Moses und sein Volk. Eine liistorisch-exegetische Studie, Fribourg-en-Brisgau, 1885 ; Pelt, Histoire de l’Ancien Testament, 3’édit., Paris, 1901, t. i, p. 200-250 ; J. Nikel, Das Alte Testament im Lichte der altorieutalischen Forschungen. II. Moses und sein Werk, Munster, 1909 ; J. Selbst, Das Aile Testament dans Handbuch zur Biblischen Gescliicble, 6e édit., Fribourgen-Brisgau, 1910, p. 387-485.

Voir aussi Ch. Schœbel, Démonstration de l’authenticité mosaïque de V Exode, Paris, 1871.

E. Mangenot.