Dictionnaire de théologie catholique/DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE).

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 4.1 : DABILLON - DIEU philosophie modernep. 386-445).

DIEU. Nous étudierons successivement :
1° La connaissance naturelle que nous pouvons avoir de Dieu ;
2° les preuves de l’existence de Dieu ;
3° la nature de Dieu d’après la sainte Ecriture ;
4° d’après les Pères ;
5° d’après les scolastiques ;
6° d’après les philosophes modernes ;
7° d’après les définitions de l’Église.
Sur l’activité de Dieu ad extra, voir Création, Conservation, Concours, Providence, et sur la vie divine ad intra, voir Trinité.


I. DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE). —
I. Délimitation du sujet.
II. En quel sens il est théologique.
III. Origine historique des erreurs condamnées au conconcile du Vatican.
IV. Le protestantisme.
V. Le nominalisme.
VI. Le pseudo-mysticisme.
VII. Le jansénisme.
VIII. Le traditionalisme.
IX. Le modernisme et l’encyclique Pascendi.
X. Erreurs visées par le concile.
XI. Sens précis de la définition conciliaire.
XII. Justification et sources de la doctrine.


l. Délimitation du sujet.

Le problème de la connaissance de Dieu, comme il est de tous les problèmes le plus important, est aussi des plus complexes. Essayer d’en écrire ici l’histoire complète serait tenter l’impossible : la seule bibliographie du sujet composerait plusieurs gros volumes. C’est qu’au fond l’histoire de l’idée de Dieu dans l’humanité serait l’histoire de toutes les religions, de toutes les civilisations, de toutes les philosophies. Il faut donc se borner à l’essentiel. D’ailleurs, pour les détails, l’ensemble de ce dictionnaire constitue déjà une mine féconde de renseignements, et il n’est pas douteux que nos collaborateurs continueront à nous donner sur ce point la pensée des auteurs qu’ils étudient.

Pour orienter le lecteur et lui donner la clef du choix auquel nous nous sommes arrêté, rappelons quelques distinctions classiques dont la suite de ce travail donnera tout le sens et fera sentir la valeur.

1° Suivant la nature et le mode d’action des moyens internes et externes qui interviennent dans la connaissance que nous pouvons ici-bas avoir de Dieu, les théologiens distinguent la connaissance naturelle, la connaissance surnaturelle et la connaissance mystique de Dieu. Ils appellent connaissance naturelle de Dieu, celle qui se produit par le moyen objectif des créatures et par les seules lumières de la raison ; la connaissance surnaturelle s’obtient par la révélation proprement dite, à l’aide de la grâce intérieure de la foi ; enfin la connaissance mystique de Dieu est donnée par l’expérience intérieure du divin. Nous ne traiterons ici directement que de la connaissance naturelle de Dieu. Voir, pour la connaissance surnaturelle et mystique, les articles Révélation, Mystère, Trinité, Foi, Vision intuitive, Mystique, Contemplation.

2° On peut poser le problème de la connaissance de Dieu soit par rapport à l’existence, soit par rapport à la nature de la divinité. De là deux questions : que savons-nous de l’existence de Dieu ; que connaissons-nous de la nature divine ? Et chacune de ces questions reçoit une solution différente suivant qu’il s’agit de la connaissance naturelle, de la connaissance surnaturelle ou de la connaissance mystique de Dieu. Nous n’avons ici en vue directement que la connaissance naturelle de l’existence de Dieu. Cependant, comme, d’une part, il est impossible d’affirmer l’existence objective d’un être, si l’on ne saisit intellectuellement rien de sa nature ; comme, d’autre part, la connaissance que nous pouvons naturellement avoir de Dieu est celle d’un Dieu personnel, les deux questions proposées sont pas adéquatement distinctes; et pour traiter de la première comme il convient, nous devrons nécessairement toucher à la seconde, sur laquelle on peut d’ailleurs consulter les articles Agnosticisme, analogie. Attributs divins, Nature de Dieu.

3° On peut étudier la connaissance naturelle que nous avons de l’existence de Dieu, soit à un point de vue purement philosophique, soit à un point de vue purement domatique. Dam ce problème, pour le philosophe, tout se réduit en dernière analyse à la critique des preuves de l’exsistence de Dieu ou à la critique de notre faculté de connaître ; pour le chrétien, tout se ramène a constater, pour y adhérer fermement, ce que la révélation nous enseigne soit sur le fait soit sur la possibilité de la connaissance naturelle de Dieu. Entre l’attitude du philosophe et celle du simple croyant s’intercalent les démarches de l’apologiste et celles du théologien. Le premier prend pour point de départs les données de la raison, ou tous au moins ce que son interlocuteur veut bien admettre pour données, S. Thomas, Sum. theol., Ia, q. i, a. 8, et il s’achemine vers la connaissance naturelle, puis vers la connaissance surnaturelle de Dieu par la foi. Le second s’appuie sur les données intégrales de la révélation et de la doctrine catholique, qui lui servent de principes ; et partant, sinon de la pleine lumière, du moins de la pleine certitude, il tend la main à la spéculation philosophique. Dans le présent article nous envisagerons surtout la face dogmatique du sujet. Dans l’article suivant, Existence de Dieu, nous essaierons de satisfaire moins indirectement aux exigences de la pensée philosophique. Cette distribution a paru nécessaire pour que ces pages fournissent au fidèle, au théologien, au philosophe et à l’apologiste la réponse aux trois questions :
1. Quel est l’objet de ma foi sur la connaissance naturelle de Dieu ?
2. Quelle est la doctrine commune de l’Église sur la connaissance de l’Absolu ?
3. Quelles sont les limites entre lesquelles peut et doit se mouvoir un apologiste catholique et hors desquelles les constructions ou concessions apologétiques cesseraient d’être conciliaires soit avec le dogme, soit avec l’enseignement autorisé dans l’Église ?


II. En quel sens est théologique le problème de la possibilité de la connaissance naturelle de Dieu ?

Un peut très bien concevoir comme possible dans l’abstrait, bien plus, étant donnée la condamnation de la proposition 55e de Baius, la masse des théologiens catholiques considère comme possible au concret, un état de l’humanité ou un ordre de providence dans lequel aucune révélation proprement dite ne serait faite à l’homme. Dans cet état, que nous pouvons désigner par le nom classique d’état de nature pure, l’homme, sans aucun secours strictement surnaturel, tant d’ordre subjectif que d’ordre objectif, connaîtrait Dieu à l’aide de ses facultés naturelles par le seul témoignage des créatures. Supposons cet état réalisé :
1° L’homme pourrait avoir la connaissance certaine de Dieu ;
2° il pourrait réfléchir sur cette connaissance, parce que la faculté de réfléchir sur les opérations de notre esprit est une propriété essentielle de notre nature ;
3° comme, d’ailleurs, créé dans un tel état, l’homme serait exposé, ainsi qu’il est aujourd’hui, au doute et à l’erreur, il devra il avoir et par conséquent — c’est l’hypothèse — aurait le moyen naturel (debitum, exigé) de résoudre les difficultés philosophiques que soulève le problème de la possibilité de connaître Dieu parles lumières naturelles. Ces difficultés peuvent se ramener à trois chefs, suivant qu’elles sont prises :
1. de l’objet de noire connaissance ;
2. de nos facultés de connaître ;
3. de la méthode à tenir pour parvenir à la vérité.
L’ensemble des difficultés constitue ce qu’on appelle depuis Kant le problème critique, où tout se réduit en dernière analyse à l’examen des facultés de la connaissance. Cf. J. F. Buddeus, Traité de l’athéisme et de la superstition, c. vi, Amsterdam. 1740. p. 218. D’où l’on conclut, par définition, que dans l’état de nature pure, l’homme aurait le moyen de résoudre le problème critique et que ce moyen sérait rigoureusement naturel, cet état, la possibilité de la connaissance naturelle de Dieu sérait donc une question d’ordre exclusivement philosophique.

Mais nous ne vivons pas dans l’état de nature pur ; la révélation proprement dite nous a été donnée. On peut se demander si le fait de la révélation a changé notre situation par rapport au problème critique qui nous occupe. Spéculativement, deux hypothèses sont possibles
1° la relation positive est muette sur le pouvoir de connaître Dieu par les forces naturelles de notre esprit ;
2° la révélation renferme des affirmations sue ce sujet. Les deux hypothèses sont possibles, Dieu étant le maître de la mesure de ses dons surnaturels. Si la première était vérifiées, en d’autres termes, si le dépôt de la révélation qui nous a été transmis ne contenait En cours rien sur la possibilité naturelle de connaître Dieu, nous serions actuellement en face du problème critique exactement dans la situation de l’homme créé dans l’état de nature pure ; ce problème serait philosophique et la théologie n’aurait pas à s’en occuper directement. Si, au contraire, la seconde hypothèse était vérifiée, nous aurions pour la solution du problème critique des éléments nouveaux, des arguments proprement théologiques. Le fait de la révélation de ces éléments, la mise en œuvre de ces arguments ne nous feraient évidemment rien perdre des moyens de solution de ce problème qui sont dus à notre nature : ajouter de nouvelles données ne serait pas supprimer celles que nous fournissent les lumières naturelles de notre raison ; ce serait, au contraire, faciliter l’exercice de notre activité naturelle. Si donc Dieu avait bien voulu nous manifester sa pensée, et par conséquent la vérité, sur notre pouvoir naturel de le connaître, la critique philosopbique ne serait pas éliminée ; mais, à l’examen philosopbique se juxtaposerait un examen théologique ; à la certitude que peut produire la philosophie se superposerait la certitude qui dérive de l’affirmation divine.

Quiconque a saisi la portée de la seconde hypothèse que nous venons de faire, voit avec évidence que, dans cette hypothèse, il n’y aurait aucune pétition de principe, aucun cercle vicieux, à traiter dogmatiquement ou théologiquement du problème de la possibilité de la connaissance naturelle de Dieu. Or, cette hypothèse est précisément celle que la foi catholique nous enseigne avoir été réalisée. Donc, sans nous attarder à dire ici comment les conceptions protestantes, jansénistes, etc., sont embarrassées sur cette question de méthode, nous pouvons commencer notre exposé théologique. La suite de ce travail justifiera d’ailleurs notre position. Cf. Franzelin, Le Deo uno, Rome, 1883 ; Traclatus de divina tradilione et Scriptura, Appen-dix de habit udine rationis humanse ad divinam /idem, surtout c. iii, Rome, 1875, p. 620.


III. Origine historique des erreurs condamnées au concile du Vatican.

1° C’est un fait depuis longtemps remarqué et universellement admis que l’athéisme spéculatif, très rare au moyen âge, n’a cessé de devenir de plus en plus fréquent depuis le xvie siècle : on peut dire que le scepticisme et l’athéisme à l’état endémique datent de la Renaissance et de la Réforme. Bayle, si empressé à grossir le nombre des athées anciens et modernes, cite, sans oser y contredire absolument, ces paroles de Clavigny de Sainte-Honorine, Discernement et usage des livres suspects, p. 82 : « Je ne trouve pas d’athées chez nous avant le règne de François I er, ni en Italie qu’après la prise de Constantinople. » Et, de fait, avant le XVIe siècle on trouve peu d’écrits pour ou contre cette forme particulière de scepticisme qui consiste à nier ou à mettre en doute l’existence de Dieu, tout en ayant une notion correcte de la divinité. A partir du XVIe siècle, au contraire, le scepticisme universel ou le pyrrhonisme en religion et en morale pullule de toute part. Sur ce point, le témoignage des protestants s’accorde avec celui des catholiques. Le ministre Viret (y L">71) nous apprend qu’il « y en a plusieurs qui confessent bien qu’ils croient qu’il y a quelque Dieu et quelque divinité. .. ; mais quant à Jésus-Christ… ils tiennent tout cela pour fables et rêveries… J’ai entendu qu’il y en a de cette bande qui s’appellent déistes, d’un mot tout nouveau, lequel ils veulent opposer à a théiste… Ces déistes se moquent de toute religion, nonobstant qu’ils s’accommodent quant à l’apparence extérieure de la religion de ceux avec lesquels il leur faut vivre, et auxquels ils veulent plaire, ou lesquels ils craignent. Et entre ceux-ci il y en a les uns qui ont quelque opinion de l’immortalité des âmes : les autres en jugent comme les épicuriens, et pareillement de la providence de Dieu envers les hommes… L’horreur me redouble que plusieurs… sont infectés de cet exécrable athéisme. Par quoi nous sommes venus en un temps où il y a danger que nous n’ayons plus de peine à combattre avec tels monstres qu’avec les superstitieux et idolâtres (c’est-à-dire les papistes). Car, parmi les différends qui sont aujourd’hui en la matière de religion, plusieurs abusent grandement de la liberté qui leur est donnée de suivre des deux religions qui sont en différend, ou l’une ou l’autre. Car il y en a plusieurs qui se dispensent de toutes les deux et qui vivent du tout sans aucune religion. » Viret, Instruction chrétienne, 1565, t. il, épître dédicatoire, cité par Bayle, art. Viret. Le théologien espagnol Vasque/ écrivait un peu plus tard : In ea vero (alheorum) sententia noslro sseculo multi hærelici plane conquiescunt. l’t enini testantur Hedio, in epist. ad Philip. Melanchthonem, et Lindanus, in suo Dubitantio, dutn pravi homines hujus temporis niaxima inconstantia ex catholicis /iuntlulheraui, e.c lutheranis zwingliani, et ex his calrinistæ algue singulas seclas experiuntur et profitentur, in profundum malorum prolapsi Deum esse negant. InSum., I-’.disp. XX, c. i. Le même théologien ajoutait, dans un passage qu’on ne lit que tronqué dans les vieilles éditions de Lyon, « qu’on appelle ces athées poliligues, parce qn’avec Machiavel ils ne voient plus dans la religion qu’un moyen de gouvernement, témoin Henri III de France, dont la fin devrait leur ouvrir les yeux. » Outre ces témoignages directs, la dilïusionde l’athéisme au xvie siècle se prouverait encore parla multiplication des écrits contre les athées. Dans l’épilre dédicatoire que nous venons de citer, le ministre Viret avertissait le lecteur qu’il augmentait beaucoup la seconde édition de son ouvrage : a) « pour ce que l’esprit de Dieu nous propose souvent, es saintes Ecritures, tout ce monde visible comme un grand livre de nature, et de vraie théologie naturelle ; b) à cause de l’athéisme. » La même pensée et la même préoccupation amenèrent le calviniste Pacard, ségusiain, à écrire sa Théologie naturelle ou recueil contenant plusieurs arguments contre les épicuriens et athéisles de notre temps, La Hochelle, 1579. Pacard dédie son travail à François de la Rochefoucault. prince de Marcillac, et lui fait cet aveu : « Au commencement de mon ministère j’ai eu à combattre plutôt contre telles gens (épicuriens et athées), que contre ceux qui nous sont adversaires au fait de la religion. Et Satan ne s’est point contenté de me poursuivre en ce commencement, mais m’a presque continuellement exercé en cette sorte de combat. » C’est la mode parmi les universitaires de crier à l’exagération quand ils lisent dans le P. Garasse ou dans le P. Mersenne certains chiffres sur le nombre des athées de leur temps ; il était donc utile de produire les aveux du ministre réformé Pacard.

2° Après avoir constaté le fait de la diffusion de l’athéisme à partir du XVIe siècle, il faut dire un mot des causes de ce fait. Évidemment, il faut ici se garder des explications simplistes, unilatérales, et du sophisme : posl h>>c. ergo propter hoc, auquel les chercheurs de filiations doctrinales semblent spécialement exposés. Sans doute, l’histoire ne manque pas de continuité, mais il y faut laisser une large place à la contingence. Une chose est nécessaire : le rapport de convenance ou d’opposition des idées entre elles : le fait île l’association de ces mêmes idées en tel cerveau, à telle date, est chose contingente, qui dépend elle-même de beaucoup de contingences. Ces faits contingents sont l’objet propre de l’histoire. Constatés, ils sont du plus haut intérêt pour le psychologue, dont ils élargissent le champ d’observation ; ils sollicitent l’attention du métaphysicien et du théologien spéculatif, dont ils fécondent les méditations sur des rapports que, sans eux, il n’eût peut-être pas aperçus ou qu’il eût négligés ; la théologie positive fait de ces contingences une étude minutieuse, d’abord, parceque cette étude est nécessaire à l’intelligence des données traditionnelles, dont un théologien ne doit jamais s’écarter quand il expose les sources de la doctrine ; ensuite, parce que cette étude est très utile à l’interprétation des documents ecclésiastiques, dont le contenu doctrinal, invariable depuis les temps apostoliques, prend de nouveaux sens adversatifs à mesure que paraissent de nouvelles erreurs. Mais de la contingence même de ces faits résulte l’extrême difficulté, sinon l’impossibilité, de leur appliquer convenablement les régies de la méthode d’induction ; et c’est ce que, dans leurs affirmations de filiations et de dépendances, semblent oublier beaucoup de nos contemporains, dont la spécialité est d’exercer leur flair sur l’histoire des dogmes, sur la philosophie ou la théologie historiques, et plus généralement sur l’histoire plus ou moins comparée des religions. Dans toutes ces histoires à visées philosophiques, le sophisme non causa pro causa est l’abime perpétuellement côtoyé. Enfin, l’on accordera qu’il est bien hasardeux de prétendre déterminer exactement la genèse du théisme ou de l’athéisme dans un individu donné. Quù enim hominum scit quæ stint hominis nisi spirilus hominis qui in ipso est ? I Cor., il, 11.

3° Sous le bénéfice de ces réserves, nous pouvons nous dispenser de discuter beaucoup de prétendues causes de l’athéisme moderne souvent alléguées par des auteurs protestants, qu’il est inutile de nommer et qui ont soutenu longtemps, par exemple, que l’Église romaine est athée, parce que pélagienne ; que les scolastiques sont alliées, parce que disciples d’Aristote et donc partisans du système de la matière et de la forme, des générations spontanées, etc. ; que les jésuites sont athées, parce que leur politique est celle de Machiavel ; que les cartésiens sont alliées, parce qu’ils usent du doute méthodique, etc., etc. Nous pouvons de même négliger cette observation, que reprit, au xix, ; siècle, l’abbé Gaume dans sa lutte contre les classiques païens : ItaXorum philologiæ majusquam verm theologiæ studium,)>oeta>um Italorum elhnicismiun. Le luthérien Reimann, qui, un siècle avant damne, ne ces deux causes à l’athéisme des papisles italiens, s’appuie sur l’autorité de Philippe de Hornay, De verilate religionis christianæ, c. xxvi, p. 567, de Gisbertus Voêtius, Paralip., t. i, p. I 146, et de Bayle, Dictionnaire, p. 2920. Cf. Lotterus, De causis atheismi, Leipzig, 1711. Nous n’avons pas davantage < nous arrêter à uni’autre cause du’le l’irréligion, souvent mise en avant depuis Voltaire, à savoir le progrès cl.- lumières et des sciences Mise à la mode et exploitée par les philosophes du xviii » siècle, celle prétendue cause et excuse de l’athéisme est devenue, chez Auguste Comte, /" l<>i des trais états. Connue dans hdeui cas précédents, nous sommes ici en face du sophisme non causa pro causa, el d’une induction Incorrecte. I>u fait de la liaison contingente de l’athéisme et de la culture littéraire ou scientifique dans qui Iques cerveaux, on pisse à l’affirmation d’un rapport nécessaire, d’un l’ail universel. Or, il est historiquemenl prouvé que les vrais initiateurs du merveilleux progrès di iciences modernes ne furent ps alliées, que, parmi nos contemporains, beaucoup di i qu’il h -i de dévots. < » n saii i que les principe-, directeurs de la u ii n< plus favorabli me qu’à l’athéisme ou même .m déisme. Cf. le bon travail du protestant i. Navllle, La phy$iq[ dil. Pai ls, 1800. il est de mi me in que la théol i andement aidé su il ni de i i, ntiflqus tnodei n o prépart li ne i Voir, a o itijat, de bonnes indications, remarquées autrefois par Renouvier, dans Fréd. Morin, Dictionnaire de philosophie et de théologie scolastique, 2 vol., Paris, 1856, dans la troisième Encyclopédie théologique de Migne, t. xxi, xxii. Enfin, qui croit encore aujourd’hui à la loi des trois états’.'

Il en va autrement, croyons-nous, d’une autre cause de la diffusion de l’athéisme dans les temps modernes, à laquelle nous avons fait allusion, le protestantisme. C’est ce qu’il est nécessaire d’expliquer, pour exposer clairement et dans son entier le côté théologique du problème de la connaissance naturelle de Dieu. Ces doctrines protestantes nous donneront la clef des erreurs jansénistes, traditionalistes et modernistes, et nous fourniront l’occasion d’indiquer le rôle du nominalisme et du pseudo-mysticisme dans le problème de l’athéisme et de l’agnosticisme.


IV. Le protestantisme.

1 » Un certain nombre de protestants allemands ont affecté de déclarer, après l’encyclique Pascendi, que leur protestantisme n’a rien à voir avec le modernisme. De même, beaucoup de catholiques ont été surpris, lorsqu’ils ont entendu la même encyclique rapprocher le modernisme du protestantisme, et les deux de l’athéisme. Le concile du Vatican, dans le préambule de la constitution Dei Filins, avait déjà souligné le fait de la coïncidence de l’apparition de la Réforme et de la diffusion de l’athéisme. Cf. Acta concilii Yalicani, dans Colleciio Lacensis, t. vii, col. 219. Il est à remarquer que le concile écarta une première rédaction où la filiation des doctrines parut trop inarquée. Cf. ibid., col. 507, 1612 sq., 1628, 1648 sq., 70, 91, emend. 9, n. 4 ; puis col. 96, nouvelle rédaction. Notons ensuite avec soin que ce préambule historique ou, si l’on veut, ce morceau d’histoire des doctrines n’est pas de foi ; la chose est évidente ; et le rapporteur eut soin de le déclarer en plein concile : cum præambulum. .. ad /idem, ad doctrina))/ minime pertincal, Acta, col. 91. Mais ce préambule reproduit la pensée commune des théologiens catholiques depuis le xvie siècle. Ainsi, par exemple les dissertations [X -XI du traité De religionc de Neubær dans Tlteologia Wirceburgensis, t. ii, écrites dans h seconde moitié du xviiie siècle, pourraient servir de commentaire au texte du concile et par suite à l’encyclique Pascendi qui ne fait guère, sur ce point, que répéter le concile.

Les deux faits suivants justifient la pensée commune des théologiens catholiques sur les rapports du protestantisme el de l’athéisme, ou de l’agnosticisme 1’Aux témoignages déjà cités du calviniste Viret et du jésuite Vasquez, on pourrait joindre ceux d’autres écrivains s’accordant à considérer la liberté de penser et la fluctuation entre les différentes sectes issues du protestantisme, comme liées au développement du déisme et de l’athéisme. Les controversistes protestants ci catholiques du xvr » siècle j reviennent fréquemment. Ainsi, pour lîacon de Verulam, la principale caus, de l’athéisme est la multiplicité’des religions, divisiones circa religionem. Sermones fidèles, xvi, de atheismo, I 1res, 1(538, p. 184. L’érudit Spizelius, de la confession d’Augsbourg, s’accordait encore mieux que Bacon avec VasqueL, qu’il cite à plusieurs reprises, De atheismo eradicaiido, Augsbourg, 1660 ; d’après lui. De atheismi radiée, epUt. ad Henr. Sleibomium, p. 30, cen’i I pu précisément la diversit ions, le mélange « les religions, le changement de religion, qui est la cause principale du mal. Cu/us i, cjuë religiot - i On accordera que le protestantisme libéral, qui ne > herche déjà plus à éi Iter î’agnosticis ie vers l’athéisme. < >r. de tous cotés, le proteatanlibéral se vante de n êti s que le dé’eloppement complet dei doctrines de Luther ! ds Calvin, On s. ut que les polémistes catholiques écrivirent de bonne lieun ipelaient les athéi Luthei ilvin.

Cette littérature futabon lante. Citons Claude de Sainctes, plue tard évêque d’Évreux, Déclaration /Paucuns alhéismea de la doctrine de Calvin et de Bèze, contre lespremiers fondements de lu chrétienté, etc., Paris, 1568 ; Posscvino, Ath Lutheri, Melanchthonis, Calvini, liezve, ubiquetariorum, anabaptistarum, picardorum, puritanorum, urianorum et aliorum nostri temporis hæreticorum, Vilna, 15W3 ; ld., Bibliotheca selecta, l. VIII, Rome, 1503 ; ld., Judicium de Xuoe militis ijalli scriptis, etc., Lyon, 1593 : contre François de la Noue, Jean lîodin, Philippe du Plessis-Mornay, Machiavel, etc. ; Keuardent, Theomachia culvinistica XVI libris profligata quibus mille et quadringeiiti hujus sectæ novissimse errores diligenter excutiuntur et profligantur, 1604. On trouve des réminiscences de ces écrits polémiques dans Garasse, Somme théologique des vérités capitales, Paris, 1025, a vert., p. 35 ; l. I, et surtout l. II, contre l’agnosticisme (athéisme couvert) de Charron ; Mersenne, Quxstiones celeberrimse in Genesim. In hoc volumine atkei et deistx impugnantur, Paris, 1623, col. 15676 ; ld., L’impiété des déistes, alliées et libertins de ce temps combattue et renversée, Paris. 1624 ; voir c. ix, x, le jugement sur Charron, Cardan et Bruno ; Théoph. Raynaud, Erotemata de bonis et malts libris, part.I.erot. 3 et 4, dansOpera, Lyon, 1665, t. xi, p. 211.

Durant trois siècles, les protestants mirent sur le compte de « la rage des papistes » et sur « l’esprit de parti » les conséquences athées que les polémistes catholiques déduisaient des écrits des réformateurs. Ce n’était certes pas sans quelques fondements que luthériens et réformés rejetaient l’épithèle d’atliéisles ; car si athée signifie « qui n’admet point de Dieu, » ni Luther ni Calvin n’étaient athées. Les auteurs catholiques dont nous parlons avaient donc tort d’employer, sans toujours le bien définir, un terme péjoratif très odieux. Mais de cette concession, que nous faisons très volontiers, à conclure que les controversisles catholiques étaient aveuglés par la rage papiste, il va loin. Au contraire, ce qui se passe depuis cent ans dans le monde protestant démontre que nos théologiens voyaient juste. En effet, sous le nom d’athéismes de Luther, de Calvin, etc., que désignaient-ils ? Qu’on les relise avec soin, sans s’arrêter à l’écorce des mots ; ce terme d’athéisme désigne chez eux ce que nous nommons aujourd’hui naturalisme, rationalisme, panthéisme, agnosticisme. Or, il n’est pas rare que les mêmes textes de Luther et de Calvin qui servirent à de Sainctes, à Possevin, à Feuardent, etc., pour dénoncer au monde chrétien ce qu’ils appelaient en bloc « l’athéisme », soient précisémenteeux sur lesquels s’appuyaient, il y a quatre-vingts ans, Wegscheider et Bretschncider pour prouver l’identité du protestantisme et du rationalisme, ou ceux que mettent en avant de nos jours llarnack, Plleiderer, Sabatier, Paulsen, etc., pour se persuader qu’ils sont encore protestants, tout en ayant depuis longtemps cessé d’être chrétiens ou même déistes. Nous pouvons donc conclure que, si l’anglican Bacon, le calviniste Viret, le luthérien Spizelius étaient d’accord avec le jésuite espagnol Yasquez pour reconnaître une coïncidence de fait et quelque liaison entre l’hérésie protestante et la diffusion de l’athéisme proprement dit, de nos jours les protestants libéraux pensent, comme de Sainctes, Possevin, Feuardent, Mersenne, Garasse et Raynaud, que la doctrine protestante contenait en germe toutes les thèses que nous voyons systématiquement développées autour de nous et dont l’aboutissement naturel n’est autre que l’athéisme pur et simple. Le cours de l’histoire n’a donc fait que confirmer ce que la perspicacité des théologiens catholiques avait deviné, cf. Duns Scot, In IV Sent., q. tu, prologi, qu ; est. later.2, Ex diclis ; Yasquez, In Sum., I a, disp. X, n. 8, 15 ; el le protestantisme libéral, en se rattachant aux doctrines des premiers réformés. justifie les assertions historiques du concile du Vatican. D’ailleurs, nous pouvons négliger les réclamations de certains protestants libéraux allemands contre l’encyclique : L’encyclique, démasquant le modernisme, démasquait du même coup le protestantisme libéral ; de là, chez certains protestants libéraux, la préoccupatipn de séparer leur cause de celle du modernisme. Mais l’attitude que le protestantisme libéral dans son ensemble a prise à l’égard du modernisme, condamné par Rome, montre assez que la parenté des doctrines n’est pas imaginaire.

2° Ce serait pourtant manquer de toute justice et de toute mesure que de prétendre que les protestants sont tous et fatalement sur le chemin de l’athéisme ou de l’agnosticisme. Il n’en est heureusement rien. Les excès de quelques-uns de ses premiers adeptes effrayèrent Luther, comme plus tard le socinianisme lit reculer le calvinisme. Aussi, dès ses débuts, le protestantisme eut-il une théologie ou science de Dieu ; les Loci communes de Mélanchthon sont célèbres ; le calviniste Yirel, nous l’avons dit, donnait des preuves philosophiques de l’existence de Dieu ; la Théologie naturelle du huguenot Pacard a pour épigraphe Rom., I, 20. La bibliographie des ouvrages protestants anciens du même genre est immense. Disons simplement que Lobstein a raison d’affirmer que « la Réforme n’entama point la notion consacrée du Dieu personnel. I Etudes sur la doctrine chrétienne de Dieu, Paris et Lausanne, 1907, p. 160. Et, grâce à Dieu, il serait facile de citer parmi les protestants contemporains beaucoup d’écrivains dont la pensée est correcte sur le sujet qui nous occupe. C’est une appréciation très fausse, propagée à dessein par les modernistes dans les pays néo-latins, que tout le monde protestant partage leurs idées sur l’impuissance de la raison à connaître Dieu ; il suffît de vivre en pays protestant pour savoir que c’est calomnie pure. D’ailleurs, à côté de la littérature du protestantisme libéral dont on fait tant de bruit, il y a, aussi bien en Allemagne et aux États-Unis qu’en Angleterre, en Suisse et même en France, tout un monde de penseurs protestants qui sont aussi éloignés que nous de Hume et de Comte, de Kant et de Ritscbl, de Buchner et de Spinoza ; il y a du reste longtemps que l’on a remarqué que « rien n’est moins voltairien qu’un huguenot » orthodoxe. Lorsque donc les théologiens catholiques rapprochent les doctrines de la Réforme de l’athéisme, leur pensée ne vise pas l’ensemble des doctrines ; on veut simplement énoncer un fait : la coïncidence du développement de l’hérésie protestante et de l’athéisme ; et on explique cette coïncidence d’une manière générale par la mentalité faite aux protestants par quelques-unes de leurs doctrines, d’une façon plus spéciale, par les liaisons logiques de ces doctrines avec certaines positions philosophiques, qui conduisent au lidéisme, à l’agnosticisme ou à l’athéisme.

3° Dans tout ce travail, qu’il s’agisse des protestants ou des modernistes, nous n’avons en vue. même lorsque nous donnons des noms propres, ni les croyances personnelles, ni la foi subjective des individus. Il n’est question que des idées et de leur liaison ai eenotre sujet. Hans l’histoire des sciences, on discute la valeur d’une hypothèse comme d’un objet qui n’a rien à voir avec la personnalité de son auteur. Les juristes et les moralistes rejettent tous les jours tel principe d’un auteur classique sans mettre en question sa moralité. Les théologiens font de même. Dans le cas particulier qui nous occupe, nous sommes d’autant plus à l’aise pour procéder ainsi scientifiquement que nous tenons, avec h doctrine commune des Pères et de l’Ecole, que l’idée de Dieu est rarement absente chez l’homme normal ; car la croyance en Dieu naît et s’impose spontanément. Cf. Dictionnaire apologétique de la foi catholique, Paris, 1900, t. i, col. 10 sq. D’où il suit, par exemple, que si nous voyons M. Lobstein, qui est symbolo-lidéiste, protester qu’il admet un Dieu personnel, nous n’avons aucune raison de mettre en doute sonaflirmation, bien que nous soyons convaincu (iiie les Études sur la doctrine chrétienne de Dieu du même auteur ne justifient et ne légitiment pas cette ferme croyance. D’ailleurs, et d’une façon générale, un écrivain, protestant ou catholique, peut avoir et défendre une idée sans en voir toutes les conséquences logiques. Par exemple, tel principe d’Occam peut avoir l’athéisme spéculatif ou l’agnosticisme comme conséquence logique, sans qu’Occam ait admis ou entrevu ce lien, faute de pénétration ou d’examen. Et quand il s’agit du cas particulier de l’idée de Dieu, rien n’est plus facile à expliquer qu’une telle inadvertance, parce que l’idée de Dieu est chez, nous antérieure à la réllexion philosophique. Cette antériorité explique pourquoi tant de philosophes modernes, qui réfutent Descartes, se donnent l’équivalent de l’idée innée de Dieu, que leurs philosophies seraient incapahles de leur fournir. Est-ce un mal de constater cette impuissance et de dire, par exemple, que dans le système d’Occam et dans la Grammar of assent de Newman, on se donne l’idée de Dieu ? Cf. Fifleen sermons, xv, n. 41, où, pour éviter le sombre scepticisme qu’engendrent les théories modernes sur la connaissance, Newman fait entrer en ligne de compte, comme Victor Cousin, « l’existence et la providence de Dieu, d’un Dieu qui est à la fois miséricorde et vérité. » — Il arrive souvent qu’un auteur énonce un principe ou fasse une théorie inconciliables avec le dogme ou avec la théologie et qu’ailleurs, dans le même ouvrage, cet auteur atténue ses dires ; il arrive aussi que, soit par suite du progrès de sa pensée, soit comme résultat de polémiques, cet auteur modifie ses premières vues ou même les abandonne. Le critique des idées n’a pas à s’occuper de ces contingences, pourvu qu’il prenne bien le sens de l’auteur qu’il cite dans le passage précis auquel il renvoie. C’est au lecteur à ne pas généraliser et à se souvenir qu’une discussion sur le rapport des idées n’estpas le tableau littéraire’dela mentalité d’un auteur ni l’histoire de sa pensée intime.

4° Si étonnant que le fait puisse paraître au scepticisme et au rationalisme modernes, c’est sur un terrain proprement théologique que se posa le problème de la connaissance naturelle de Dieu, à l’époque de la Réforme. Laissons de côté la question des origines psychologiques des erreurs de Luther sur laquelle on discute encore, il reste que la doctrine de la justification est la base de tout le système protestant, et que celle-ci repose sur la doctrine luthérienne de la chnte originelle. Voir Justification, P originel. D’après Luther, la concupiscence, que n’avait poinl Adam, est chez nous insurmontable, car le libre arbitre a péri ; et de même que les énergies de notre volonté pour le bien ont disparu, noire raison naturelle a été obscurcie. Incapable d’aimer Dieu sans péché, l’homme, même justifié, n’a gardé la raison qu’en matière de boire et de manger, de chevaux et de mariages, d’objets terrestres. Impuissant à toute vertu naturelle, virtutei paganorum tplendida vitia, I homn >t aveugle pour les choses divines. Attaque. Luther nia les droits de la philosophie et de la tb péculative, puis, il eut recours contre b’s sorbonistes à la théorie des deux vérités : verum vero contradiceie polat. Enfin, contre 1rs anabaptistes, qui prétendaient que l’exercice de la i ai on est la condition de la foi, il soutint que les lumières fumeu la raison ne sont que ténèbres puantes wieein Drech .s sur ces violences de I’d< i" n e, bien qu’elles aient pi ne point s’étonner de rencontrer partout di antinomi de la conception luthérienne de li chule originelle, il était logique de lure à l’impossibilité di tonte connaissant naturelle de Dieu, el la conclusion fut d< duile, Calvin, tout oncédanl la connaissanci naturelle de quel Dieu. nia la possibilité de la i on nce naturelle du i » r.n Dieu l lai i u ni ricui alla plus loin i I soutint que, si nous avons été faits à l’image de Dieu, ce miroir a été brisé. De cette image il nous reste, il est vrai, quelque chose, mais c’est seulement quoddam perversum et distortum lumen, quod verum Deum ejusque relijionem damnel ut extremam stultitiam et falsos deos ut colendos monstre ! . Cicéron parle d’une certaine prolepsis de la divinité admise par Epicure. Cette anticipation est réelle, dit Illyricus ; mais, au lieu du vrai Dieu, ce qu’elle nous représente, c’est le polythéisme anthropomorphique, quod dii sint jihires et humanam forniam habeant.

On trouvera les textes de Calvin au premier livre de l’Institution chrétienne, s qui est de connaître Dieu en titre et qualité de créateur et souverain gouverneur du monde, » Genève, 1502. Voir aussi l. II, c. il, « Que l’homme est maintenant dépouillé de franc arbitre et misérablement assujetti à tout mal. j> Le P. Mersenne. Quxstiones celeberrinix in Gcnesim, Paris 1623, col. 233 sq., donne toute l’argumentation de Flaccus Illyricus. « Illyricus, observe Mersenne, ne nie pas ex professo et directement l’existence de Dieu, cependant par une conséquence — légitime ou non, peu importe ici — il est certain que plusieurs en partant de cet axiome que nousiie connaissons pas ce qu’est Dieu, arrivent à se persuader qu’il n’existe pas. Il est donc nécessaire de discuter les arguments d’Illyricus, qui sont au nombre de seize. » Cf. Bellarmin, Controv. de tjratia et libero arbitriez, l. IV, c. ii, Lyon, 1596, t. iii, p. 529 ; J. de la Servière, La théologie île Bellarmin, Paris, 1908, p. 613 ; Kleul^en, De ipso Ueo, Hatisbonne, 1881, n.115 ; < k>nst. Germanus, Re/ormatorenbilder, Fiïbourg-en-Drisgau, 1883, p. 90 ; Lobstein, Études sur la doctrine chrétienne de Dieu, Paris, 1907, p. 111.

D’autres protestants sont arrivés à se défier de la raison naturelle en matière religieuse par des voies plus courtes, par la doctrine de la « Bible seule ». Il existe en Ecosse une secte fondée au xvine siècle par John Barclay et nommée « les béréans ». Elle a pris ce nom, parce qu’elle se pique d’imiter les habitants de Rérée, dont il est dit, Act., xvii, 11 : Suiceperunt ver bum cttm omni avidilale, quolidie scrutantes Scripluras, si ila se haberent. Certes, celle origine textuelle n’a rien de philosophique. Cependant, voyez les consé quences que l’on a déduites de ce texte scripturaire. En ce qui touche la connaissance de Dieu, les béréans professent « que la majorité des prétendus chrétiens errent sur le seuil même de la révélation ; en admettant une religion naturelle, des connaissances naturelles, etc., non fondées sur la révélation ou non dérivées d’elle par voie de tradition, ces prétendus chrétiens rendent impossible toute apologétique du christianisme : car l’incrédule, si on lui concède qu’il peut connaître Dieu par les forces naturelles de sa raison, prétendra que la parole de Dieu est inutile. Il faut donc soutenir que sans la révélation nous n’aurions pas même l’idée eh’Dieu. » Cf. The denonrinational reason why… giving the origin… of the Christian secls, Londres, 1890, p. 226. n. 77 sq, Voila donc toute une philosophie, toute une méthode d’apologétique, fondée, non pas sur l’observation ou l’induction, mais sur un bout de texte mal compris. Il y a dans le monde pi ti s de béréans que l’on ne pense.

Concluons. Entendu au sens catholique, le dogme de la chute originelle ne nous prive que des dons surnaturels d’Ail indebita simplicité)’et secundum quid). Entendu au sens protestant, le même dogme constitue une déchéance, non pas seulement de l’étal historique ou vécut Adam, mais bien de uns facultés naturelles. Or, un’de ces (acuités est la raison, puissance naturelle qui, entre autres, a Dieu pour objet. Luther, Calvin, us [llyricus, etc., déclarent cette puissance incapable d’atteindre cet objet. D’autres arrivent au m résultat en exagérant la néo ssité de la révélation et par suite en mettant le I’le la reli| D’où cette conséquence : tout système philosophique qui tend > déprimer la raison, à en nier la valeur, à prouver qii n m île re n lïgiet Unese ne les brutes, est un confirmatur de la thèse fondamentale du protestantisme ; le mouvement anti-intellectualiste actuel est foncièrement protestant. L’Eglise catholique, au contraire, prend la défense de la raison. M. Ollé-Laprune a fort bien dit : « L’Eglise condamne tout fidéisme. Elle qui, sans la foi, ne serait pas, elle commence par rejeter, comme contraire à la pure essence de la foi, une doctrine qui réduirait tout à la foi. L’ordre de la foi n’est assuré que si l’ordre de la raison est maintenu. » Ce qu’on va chercher à Rome, Paris, 1895, p. 36. Ce n’est rien dire de trop ; et le concile du Vatican, en délinissant que nous pouvons connaître Dieu par les lumières naturelles de notre raison, avait explicitement en vue de défendre les droits de la raison. « Il semble, disait M « r Simor, primat de Hongrie, un des rapporteurs du concile, dans une des premières séances de l’assemblée, que nous voyons se réaliser aujourd’hui ce qu’un grand philosophe d’Allemagne avait prédit il y a deux siècles, à savoir qu’un temps viendrait où l’Eglise catholique aurait à défendre la raison humaine contre les incrédules et que l’athéisme serait la dernière des hérésies. » Acla, col. 92. Si, depuis quatre siècles, les philosophies négatives ont tant de succès, c’est surtout au protestantisme primitif qu’il faut en demander compte ; Paulsen a raison : « Les conséquences que nous voyons étaient au fond des premières tendances du protestantisme. » Kant, der Philosoph des Protestantismus, p. 10.

On trouvera des développements et des textes sur ce sujet dans Mohler, La symbolique, 3 vol., passim ; Dbllinger, La Réforme, passim, et t. i, p. 449-454 ; Denifie, Luther und Lulherthum, Mayence, 1904, t. I, passim ; Oistiani, Luther et le luthéranisme, Paris, 1908.

L’anglican Litton, Introduction to dogmatic theology on the basis of the xxxix articles of the Churchof England, Londres, 1882, p. 211, parlant de Mohler lui reproche de ne pas s’être souvenu que par « l’image de Dieu » dans laquelle l’homme a été créé, les protestants entendent « la justice originelle > et non pas la simple capacité de la raison à la religion, qui « sans aucun doute reste dans l’homme tombé. » Que cette manière de voir ait été adoptée par beaucoup de protestants depuis que les déistes d’abord, les athées ensuite, ont fait argument de l’ancienne opinion que nous avons rapportée, la chose n’est pas douteuse. Mais d’autres protestants continuent encore à regarder comme fondamentale la théorie luthérienne de la chute. Lire sur ce sujet James Gibson de l’Église libre écossaise, Présent truths in theology, Man’s inability and God’s sovereignty in the « things of God, » I Cor., ii, 11, 2 vol., Glascow, 1863. Ce fanatique, qui pourtant connaissait le protestantisme libéral, n’a pas l’air de se douter que, plus il prouve par maintes citations anciennes que la doctrine luthérienne de la chute originelle est le fondement du protestantisme, plus il apparaît que le protestantisme libéral actuel est l’aboutissement logique de la Réforme. Il est vrai que les protestants libéraux n’admettent plu « le dogme du péché originel, bien qu’il y en ait encore quelque trace dans la chute extratemporelle de Kant ; mais ils conçoivent l’intelligence de l’homme, comme les anciens protestants s’étaient appliqués à la représenter en vue d’établir leur doctrine de la justification.


V. Le nominalisme.

Les objections les plus répandues de nos jours contre la possibilité de la connaissance naturelle de Dieu ou bien sont dirigées contre les preuves qu’on donne de cette existence, ou bien contre la conclusion que l’on déduit de ces preuves. Les premières attaquent la valeur objective de nos idées et l’universalité ou la nécessité des premiers principes qui font le nerf des preuves classiques. Les secondes tendent à montrer que nous ne pouvons pas porter de jugements valables sur la nature intrinsèque de Dieu, d’où l’agnosticisme. On ramène ordinairement toutes ces objections à deux systèmes : l’empirisme, qui dérive toutes nos connaissances de la sensation, l’idéalisme, qui en trouve l’origine dans la pensée même. Si l’on va au fond de ces difficultés, on reconnaît qu’elles ont un point commun, le nominalisme.

Ce mot, souvent employé en différents sens, a besoin d’être délini. On sait que l’activité de l’esprit intervient dans la formation de nos idées universelles et par suite dans celle des principes nécessaires qui servent de base à tous nos raisonnements. Cf. Suarez, Dispni. metaphys., disp. VI, sect. il, n. 1, On sait aussi que le fondement objectif de nos idées universelles git aux diverses relations de similitude, de causalité, etc., que nous percevons. Suarez, op. cit., disp. VI, sect. v, n..’1, ad 3°" 1 ; cf. disp. XLV1I, surtout sect. xi sq. ; Minges, Sur le prétendu réalisme de Duns Scot, dans Beilrùge de Bæuinker, Munster, 1908, t. vu. Le nominalisme prend occasion de ce rôle de l’activité de notre esprit dans la formation des idées générales et des principes universels et nécessaires, et dans la perception des relations de similitude, de causalité, etc., qui en sont le fondement objectif ; et il consiste essentiellement — essentiellement, car de là on déduit les conclusions contre les substances, les causes, le noumène, etc. — à nier la réalité objective de ces relations pour les attribuer à l’activité du sujet : duo albæsse sirnilia est nie percipere duo alba. « Une relation, dit M. Bergson. après une foule d’autres, est une liaison établie par un esprit entre deux ou plusieurs termes. » L’évolution créatrice, Paris, 1907, p. 385. Biel, résumant son maître Occam, avait dit de même : Relationes important concepluni mentis quo intellectus fornialiter refert rem unam ad aliam… Et l’observation est exacte, remarque Suarez. Mais Suarez avec le reste de l’Ecole disait : Notre esprit découvre dans les choses, non seulement la ressemblance d’essence et de propriétés, mais encore la connexion intrinsèque entre les essences et leurs propriétés, en vertu du principe de finalité interne. Cf. Hahn, Philosoph la naturalis, Fribourgen-Brisgau, th. xii, n. 86 ; Kaufmann, La cause finale et son importance, Paris, 1896. Biel, au contraire, pensait que les relations ne sont rien en dehors de l’esprit. Et ille conceptus, quo res cognoscuntur ah intelleclu taies, dicitur relalio. tn IV Sent., 1. I. dist. XXX, a. 3. Conséquemment, Duo alba esse similia est me percipere duo alba ; on bien : Similitudo Socratis et Platonis in albedine niliil aliud est quant Sacrâtes et Plato ; ordo est partes ordinatx, etc. lbid., a. 3, Brescia, 1574, p. 278. M. Bergson, bien qu’il soit subjectiviste, tandis que Biel était objectiviste, ne va pas plus loin, lorsqu’au passage cité il ajoute : « Un rapport n’est rien en dehors d’un esprit qui rapporte. »

Nous n’avons pas à dire ici comment autrefois l’école d’Occam, plus tard les nominalistes Arriaga, de llurtado, de Benedictis et ceux qu’on nommait les Connotatores, enfin depuis Descartes une infinité d’écrivains, non scolastiques mais nominalistes. sont parvenus, quelquefois au prix de notoires contradictions avec leurs principes, soit à se donner soit à légitimer l’idée de Dieu et à éviter l’agnosticisme. Ce qui nous intéresse, ce sont les relations de la position nominaliste avec la possibilité de la connaissance naturelle de Dieu. Cf. Dictionnaire apologétique, Paris, 1909, 1. 1, col. 53. Or. il est aisé de comprendre qu’il suffit de se mettre dans l’hypothèse fondamentale d’Occam et de s’y tenir pour ruiner toute la théodicée. Celle-ci, en effet, soit pour prouver, soit pour penser Dieu, se sert des notions de cause, efficiente et finale, de substance, d’ellets et de propriétés, etc. Un nominaliste a comme tout le monde ces notions ; comme tout le monde, en vertu du principede raison suffisante, il applique spontanément à la cause, à la substance, finies, la notion de relation intrinsèque et déterminée aux effets et aux propriétés. Mais, à la réllexion. par esprit de système, il pose en fait que cette relation n’est pas objective, réelle, qu’elle est le produit de la seule activité de son esprit : duo alba esse similia est tue percipere duo alba ; « un rapport n’est rien en dehors d’un esprit qui rapporte. »

Ce principe admis, peu importe que le nominaliste soit objectiviste avec l’école d’Occam ou subjectiviste avec les modernes, peu importe qu’il cherche à légitimer son relativisme par l’association et par l’hérédité avec l’école anglaise, ou parles lois subjectives de la pensée avec Kant ; quelques traits de l’histoire des doctrines vont nous montrer que, placé dans l’hypothèse de la subjectivité des relations, on arrive vite à rejeter les preuves rationnelles de l’existence de Dieu ou à l’agnosticisme, parce que, dans cette hypothèse, la copule des jugements universels et nécessaires n’a et ne peut avoir d’autre sens que celui d’un rapport posé par l’esprit. Cf. Brunschwicg, La modalité du jugement, p. 53 sq. D’où il suit que notre science est, non des choses, mais de noire connaissance, scienlianon est de rébus, sed de terni inis, cf. Denille, C/iartularium universilalis Parisiensis, Paris, 1891, t. ii, p. 506 ; et, conséquemrnent, nous ne pouvons désigner le suprasensible que par des dénominations extrinsèques, tirées de nos états subjectifs (agnosticisme croyant), à moins que l’on ne soutienne avec Hume, Comte et Huxley qu’il est absolument inconnaissable : agnosticime pur).

L’école d’Occam et la possibilité de la connaissance naturelle de Dieu. —

Deux noms sont à retenir, celui de Pierre d’Ailly et celui de Nicolas d’Autrecourt. Les scolastiques depuis cinq siècles reprochent tous à Pierre d’Ailly d’avoir enseigné que l’existence de Uieu ne peut pas se prouver. Le reproche est fondé. Occamiste, Pierre d’Ailly soutient que la croyance en Dieu que nous fondons sur les données naturelles de notre intelligence est non pas certaine, mais seulement probable. Nam ex nullis apparentions natur aliter potes t concludi Deumesse evidenter. Comme d’ailleurs il déclare sophistique l’argument de saint Anselme, il suit que, Dieu n’étant naturellement connu ni par intuition ni par démonstration, la foi est le seul moyen de tenir son existence pour certaine. Il en dit autant de l’unité de Dieu. (Ju/cst. m Sent., 1. 1. q. iii, a.l ; q. xr, a. 2 ; q. n. a. 1 ; Quodlib. I, q. i, cité par Salembier, Pelrus ab Alliaco, Lille, 1886, p. 209 sq. Cf. l’.ouchitté, Dictionnaire des sciences philosophiques de Franck, Paris, 1875, art, d’Ailly, p. 18.

Nicolas d’Autrecourt, un contemporain d’Occam, déduisit d’un seul coup les conséquences de l’occamisme en théodicée. La publication récente de ce qui reste de rils nous permet de reconstituer en partie son sandivination. Retenant le principe de contradiction, comme premier principe, Nicolas se posa la même question que se pose Kant. dans son essai sur l’introduction en philosophie du concept des quantités négatives. Cf. Kant, Opéra, édit, de l’académie de Berlin, t. n. p. 202 : trad. latine de liorn, LeipLig, 1798, t. iv. p. 197. Ma question, dit Kant, se pose sous celle forin nple : Pourquoi pensé-je, de ce que quelque chose existe, qu’une autre chose existe ? »

On avait l< ans condamnées de Niçois d’Autrecourt, lu Boolny el <l Vrgentré. Le P. Denifle en a donn édition dan » le t. n du Chartulariam uni 1124, | 76 q. DenJfle a pour la numérotation de ces propositions les chiQri May ; nous ferons de m’mi Ma ! quelquea-unes des prose liseni dan D< nifli ont inintelllf i ippe, litde Ne olaa qui ""’survécu. t. vu ne bonna laquelle noua lai i voiB. Nicolai 'i >iii i p..ri donc de li ! question que Kantel -> résout comme lui parla négative :’> t eo quod un. non potest évidente » evidenlia dedut ta, , ., ., ., , , , , , 1 „ ; „,’< /"’idôm i i. prop. 12. Kanl a recours à la croyance ; Nicolas, à la foi : 11. Dixi quod excepta eertiludine fidei non eral alia rertitudo 711si certitudo prinii principii vel quæ in primum principiurn potest resolvi. Faisant et revocandam. Voir Lappe, texte, p. 8, 15. Quant à l’agnosticisme de Nicolas, on peut juger de son étendue par ces quelques propositions :
21. Quod quacumque re demonstrata nullus scit evidenter ijiiiu excédai nobililale omnes alias. Faisant, hæreticam et blasphemarn.
22. Quod quacumque re demonstrata nullus scit evidenter quin ipsa sit Deus, si per Deuni intelligantus ens nobilissimunt. Faisant, hæreticam et blasphémant.
23. Quod aliquis nescit evidenter quod una res sit finis alterius. Faisant, hæreticam et blasphemarn. Nous laissons de côté d’autres conclusions étranges : Quod Deus et creatura non sunt aliquid, 32, formule occamiste déjà interdite en 1339, cf. Chartul., t. ii, pièce 10’12, p. 500 ; Quod Sacrâtes et Plalo, Deus et creatura nihil sunt, ou encore celle-ci : Propositiones : Deus est, Deus non est, penilus idem signi/icanl, licet alto modo, 3, condamnées comme fausses et scandaleuses, pour nous arrêter à la négation du devoir de la religion naturelle : 24. Nullus scit evidenter qualibel reoslensa, quin sibi debeat impendere maximum, honorent. Faisant, hæreticam et blasphemarn. Ici Nicolas d’Autrecourt parait dépasser Kant, mais, n’étant pas rationaliste, il recourt à la foi chrétienne.

Essayons de comprendre comment du principe d’Occam sur la non-objectivité des relations suivent les conclusions de Nicolas, et bornons-nous à ce qui louche aux preuves de l’existence de Dieu a posteriori. De l’existence d’une chose, on ne peut pas conclure avec une certitude absolue à l’existence d’une autre chose : c’est en ces termes que Nicolas formule sa conclusion contre l’emploi en philosophie du principe de causalité, p. 9. Car, dans une telle inférence, dit-il, le conséquent ne serait identique ni à l’antécédent ni à une partie de l’antécédent. Or, il n’y a certitude absolue que lorsqu’il y a identité entre le conséquent et l’antécédent ou une partie de l’antécédent, comme il arrive dans les démonstrations de la géométrie, p. 8. Donc ex una re non potest evidenter inferri alia, p. 16. Sous les apparences de cette pure chicane de logique formelle se cachent, suivant la mode des iv° et xe siècles, d’assez gros problèmes, repris par les modernes depuis Euler.

Nicolas d’Autrecourt, suivant l’esprit et la méthode de son temps, établit ses conclusions nominalistes plulot par déduction que par induction, et ne dit à peu [ires lien de l’induction qui lui servait de hase. Il prit pour point de départ la certitude spéciale des mathématiques.

La certitude spéciale des mathématiques, remarque saint Thomas, leur vient soit du grand rôle que joue l’activité de notre esprit dans la constitution de leur objet, quantité’abstraite, continue ou discrète, soit de ce qu’elles ne démontrent pas une chose par une autre, mais toujours par sa propre définition, lu Boeth., de l i mit., q. vi, incorp.et ad 2°"’ ; lu metaphys., I. II, a la lin. En effet, dans les axiomes mathématiques, le sujetet l’attribut sont de même nature et appartiennent tous deux à la catégorie de la quantité ; les raisonne mathématiques vont loujours, sinon du même au même, ilu moins à l’équivalent.’lr, il snflil de se mettre danl’hypothèse occamiste de la subjectivité di relations pour ramener (eus les raisonnements au type du raisonnement mathématique, où seule l’id rapports est considérée. El Nicolas d’Autrecourt, bien avant Sluart Mill, vil très bien que, si Ion f.iil Cette rédaction, il ne peut.noir d’inférence que du m au même on > l’équivalent. Euclide a démontré dans sr, u V « livre, définitions xii iq., qu’en géométrie le rapport de l’antécédent au conséquent est nécessaire dans tous les cas. ce qui est l’opposé de l’une des ri du syllogisme classique : ab opposito antecedenlit non valet semper ad oppositum consequenlis. Cf. Dictionnaire apologétique, Paris, 1909, t. i, col. 69. Nicolas d’Autrecourt, pour qu’il y eût certitude absolue, exigea qu’on s’en tint à la règle d’Kuclide. « Il n’y a certitude absolue dans 1< -s inférences que lorsqu’il y a identité entre le conséquent et l’anlécédent ou une partie de l’antécédent, comme il arrive dans les démonstrations de la géométrie, » p. 8. Donc, concluait-il, par le principe de causalité on ne peut pas inférer de l’existence d’une chose, l’existence d’une autre chose.

Si l’on concède le principe, la conséquence de Nicolas est rigoureuse. En effet, la règle d’Kuclide est valable :
1° parce que les mathématiques considèrent le quantum en dehors de tout rapport avec la substance, S. Thomas, Melaphys., l. XI, lect. i ;
2° et aussi en dehors de tout rapport ou de toute dépendance causale, S. Thomas, Sum. l/icvl., I a, q. xliv, a. 1, ad 3 1 "" ;
3° parce que les mathématiques ne s’occupent nullement de l’essence de la quantité, qui pour elles est une donnée, mais n’envisagent dans la quantité abstraite que la propriété de la mensurabilité, cf. Ptolema ? us, Philosophia mentis, Rome, 1702, p. 258 ;
4° et cette propriété n’a pas la même espèce d’objectivité que les relations simplement réelles de similitude, de causalité, etc., sur lesquelles repose la doctrine des universaux et des premiers principes de la physique (sens scolaslique du mot) et de la métaphysique. En effet, l’activité de l’esprit et son mode de connaître dans la durée successive jouent, dans la perception des relations qu’étudient les sciences mathématiques, un rôle qu’elles n’exercent pas dans la connaissance des relations de similitude, de causalité. Anima complet tempus, avait dit Aristole ; saint Thomas le suit et répète plusieurs fois que, s’il n’existait pas d’âme, le temps n’existerait pas. In plujsic., l. IV, lect. xvi sq., surtout lect. xxiii ; In IV Sent., 1. 1, dist. XIX, q. ii, a. 1. VoirBergomo, Tabula, v° Tempus, 7, 35 ; cf. dub. H 49. C’est parce que nous sommes nous-mêmes dans la durée successive que dans nos jugements est impliqué le temps : anima cointelligit ten, pus. S. Thomas, De veril., q. i, a. 5, à la fin ; voir Vasquez, In Sum., I a, disp. LXIV, c. v, Paris, 1905, p. 529. Mais, si telles sont les raisons, fondées sur la nature spéciale de « l’abstraction mathématique », pour lesquelles la règle d’Kuclide est valable, il est clair que Nicolas d’Autrecourt, en « demandant » qu’on appliquât cette règle à tous les raisonnements, rendait impossible tout passage de l’effet à la cause, des propriétés à la substance, etc.

D’un seul coup, toutes les preuves a posteriori de l’existence de Dieu étaient ruinées ; l’agnosticisme avait le dernier mot ; et cela, par le principe même du relativisme, indépendamment de toute hypothèse occasionnaliste ou phénoméniste ; car ces hypothèses ne sont, chez Nicolas, que des conséquences et nullement des principes.

Répercussions du nominalisnie de la dogmatique protestante sur ta doctrine de la connaissance naturelle de Dieu. —

La doctrine catholique enseigne la volonté salvifique universelle, la prédestination gratuite, la grâce suffisante donnée à tous et la justice inhérente. Assurément ces vérités ne peuvent pas se démontrer par la seule raison philosophique, c’est-à-dire en vertu du principe de causalité efficiente et finale. Mais, ces vérités admises par la foi. la réalité du monde invisible et de l’ordre surnaturel se présente à la réllexion comme de tout point conforme à la loi de causalité et de finalité. Au sommet, la bonne volonté de Dieu ; au bas, notre libre activité’ ; à l’intersection des deux plans, la grâce, don intérieur, créé, actuel ou habituel. La grâce est cette réalité objective, par laquelle le dispensateur du salut gratuit nous conduit efficacement, avec notre coopération active, à notre fin surnaturelle. Ainsi, dans la théologie catholique, rien ne peut nous amener à douter de la réalité du lien causal et téléologique par lequel nous soiiiincs unis â Dieu, soit dans l’ordre naturel, soit dans l’ordre surnaturel. Nous avons l’unité dépensée. Sans doute, pour la pensée catholique, toutes les certitudes ne viennent pas de la foi ou n’en dépendent pas. Mais on peut dire que le dogme catholique oriente nos spéculations philosophiques et scientifiques dans le sens du sage réalisme du bon sens. Il en va tout autrement dans la dogmatique protestant’-. Inclinée par la doctrine luthérienne de la chute à se défier de la raison naturelle en matière religieuse, la philosophie protestante se voit imposer par la dogmatique de la Réforme une loi de développement dans le sens nominaliste. Il serait facile de montrer que, dès le temps du concile de Trente, pour éluder la justice inhérente comme cause formelle de notre justification. l’efficacité des sacrements ex opère operalo, ou la présence réelle et la transsubstantiation, les controversistes protestants s’appliquèrent à développer la philosophie nominaliste d’Occam. Dès cette époque, on trouve chez eux, pour attaquer ces dogmes, les arguments et les hypothèses — sans en excepter l’associationisme — qu’ont exploités plus tard Hacon, Ilobbes, Locke, Hume, etc., contre la connaissance des substances, des causes et des fins. Les doctrines zvvingliennes et calvinistes sur la cène posaient les principes de l’idéalisme moderne et du relativisme le plus radical. Lorsque Bèze, au colloque de Poissy. avouait la présence réelle, en ce sens que « la foi rend les choses promises présentes, » il disait exactement ce que soutient aujourd’hui l’évéque anglican Gore. lorsqu’il enseigne que a la foi commune de l’Église constitue la réalité spirituelle du sacrement — le corps du Christ — comme la raison constitue les objets du monde matériel. » The body of Christ, 3’édit.. Londres, 1904, p. 124-157. La terminologie de Gore diffère de celle de Bèze, mais la pensée est identique, comme il ressort de la critique de Bèze faite par le carme Beauxamis, Histoire des sectes tirées de l’armée sathanique, etc., Paris, 1570, p. 102 sq. La seule différence est que Gore, lorsqu’il soutient que i les choses n’ont pas d’existence en dehors des esprits qui les connaissent, que les relations sont l’œuvre de l’esprit et sont nécessaires pour faire les objets. » fait appel à des systèmes philosophiques, tandis que Bèze s’appuyait sur l’interprétation huguenote de Heb.. XI, 1 : reprœsenlatio eorum qusc sperantur et denwnstralio eorum quæ non lidentur. Cf. Reding. Œcumenici concihi Tridentini veritas, Einsielden, 168L t. il, p. 261 ; Atmales de philosophie chrétienne, t. ci i. p. 357. Mais la prétendue métaphysique qu’allègue Core n’est en réalité que le résultat d’une extension au monde extérieur de vues philosophiques, systémati d’abord pour un autre objet, c’est-à-dire pour la cène au sens zwinglien et calviniste. La résistance des protestants au cartésianisme eut surtout pour cause la doctrine de l’idée innée de Dieu, qui ruinait le dogme luthérien de l’impuissance de l’homme déchu. Locke employa contre cette idée innée le vert et le sec. el Descartes fut accusé’d’athéisme par des gens qui pensaient prouver Dieu « par l’insuffisance des lumières naturelles pour le salut, s.ms remarquer qu’ils s’enfermaient dans un cercle vicieux. Mais on ne tarda pas à remarquer que la philosophie cartésienne pomail être utilisée, soit contre la justice inhérente, soit en faveur du subjectivisme qui est au fond des doctrines de la Réforme, et on se radoucit. Ce fut une fête, lorsque, du cartésianisme, Leibniz déduisit le subjectivisme de la monade, et Malebranche les fondements de l’idéalisme : idéalistes en théologie dans les thèses de la justification, de l’efficace des sacrements et de la présence réelle, beaucoup de protestants pensèrent faire un pas vers l’unité de pensée en acceptant avec Berkeley l’idéalisme en philosophie. De son coté, sans aller à ces extrêmes, Wolf imagina un petit principe de psychologie pour exorciser le réalisme des papistes. Il posa a priori que, si par les sens nous connaissons le monde matériel et ses modifications, l’âme a conscience de toutes ses modifications. Comme les catholiques concèdent que nous n’avons pas conscience de la grâce du baptême, on voit de quelle utilité pouvait cette magnifique extension du rôle de l’introspection en philosophie. Cf. Amort, Philosop/iia pollin>. Augsbourg, 1730, de logica neotericorum, sect. vi, p. 578. Le principe de Wolf a d’ailleurs fait son chemin. Eucken, dans la préface d’une récente traduction allemande des Pensées de Pascal, écrit avec aplomb : « Il n’y a rien de certain que ce qui se manifeste de sa propre réalité dans le cœur ; ce qui doit être prouvé est toujours contestable et ne peut être qu’une amplification de ce qui nous est fourni par la réalité immédiate. » Eucken admet-il l’immanence comme doctrine ou seulement comme méthode ? Peu importe ici. Dans l’un et dans l’autre cas, il dépend de Wolf ; et par là sa thèse est un postulat non évident, mais inventé et posé sans preuves pour étayer une thèse de la théologie huguenote. Plus ou moins nominalisles sur ces points particuliers, les penseurs prouts, quand ils exposent les solides fondements réalistes de la théologie naturelle, ont fort souvent l’air d’être mal à l’aise, et font l’effet, tant ils sont hésitants et pleins de restrictions et de sourdines, de craindre de ruiner 1rs ouvrages de défense nominalistes de leur dogmatique. Cette gène explique assez pourquoi, du xvi » siècle à nos jours, ils ont peu à peu en si grand nombre abandonné la plupart des preuves traditionnelles de l’existence de Dieu, pour se réfugier avec Butler et Pale y dans l’unique argument de linalité ou de moralité.

Par ailleurs, la doctrine, commune à tous les protestants, de la justification par la foi sans grâce inhérente, cf. Adolphus, Compendium theologicum or manualfor students in theology, > (dit., Cambridge, 1881, p. i’.iT. remarques sur le 11’des 39 articles, explique la direction de leur philosophie constructive.

Luther l’étant persuadé que la concupiscence est le péché originel lui-même, puis constatant ce fait d’expérience que la concupiscence reste dans le baptisé, conclut que la grâce de notre justification n’est pas intérieure, mais extrinsèque. L’école d’Occam, tout en ervant la croyance de l’infusion dans le baptême d’un don intérieur, créé, distinct de Dieu, de l’a i de ses actes, avait cru pouvoir expliquer certaines propriétés de la justification par des dénominations extrinf liiel, In I VSenl., 1. ii, dist. XXVI, q. i. a. 2, .’1 ; dist. XXX, q. I, vantait il être occamiste. En réalité, M dépassait beaucoup son maître, quand il écrivait, au sens exclusif, contre l’Écriture et la tradition : gratia significai favorem </"’Deu » nos I lectitur. C’était nier toute justice inhérente, n’admettre qu’i justice imputée : on faisai dans faitce que les nominalistea avaient été amedire, dans l’ordre des possibilités abstraites, par de leur concept bâtard des relation Dans i naturel, pour Luther, sur un plan éternel, la artde |., volonté divine tout extérieur S. nous ; ’in autre plan, l’ordre historique et la pilovihle die de la race di chue pas d intersection. Le lieu’donc inexistant entre Dieu et nous dans i naturel. combler le gouffre d un i Aie, il reconnul une manifestation objective de Dieu dan li l’autre, il conserva dam l’humanité déchue une sorte d’idée innée qu’il y a « quelque Dieu », et il crut ainsi pouvoir damner les païens « sans excuses » . Qu’on admette les trois thèses calvinistes : 1° Dieu est l’auteur du mal ; 2° la volonté salvifique n’est pas universelle ; 3° certains hommes sont positivement réprouvés, le système ne manquera pas de quelque cohérence ; ces trois aspects d’une même affirmation relient, en effet, les dires de Calvin. Mais l’hiatus reste entre Dieu et nous, dans l’ordre surnaturel, chez Calvin aussi bien que chez Luther : car la téléologie très rigide de la prédestination calviniste reste toute entière dans le plan de l’éternité sans atteindre le sujet raisonnable.

Leibniz s’est appliqué à masquer ce défaut ; pour donner de l’apparence aux doctrines théologiques qui étaient les siennes, il construisit le monde de ses monades sur le modèle du monde surnaturel protestant. Pas de liberté proprement dite en Dieu, non plus que dans le monde créé, mais seulement la spontanéité : d’où, la vocation au salut étant nécessaire, une notion du surnaturel où la divergence avec la doctrine catholique va « jusqu’à la contradiction » , comme l’a fort bien entrevu M. Fonsegrive. Cf. Les idées religieuses de Leibniz, dans le Correspondant, 25 juin 1908-, p. 1165. Le principe de causalité cède donc tout naturellement la place au principe de raison suffisante : aussi la monade fermée contient-elle toutes ses déterminations et « exprime tout l’univers en un certain sens » . Cf. Leibniz, Opéra, édit. Gerhardt, t. ii, Correspondance de Leibniz et d’Arnaud, p. 105-1Il Sïp Mais l’harmonie préétablie ne sauve pas le principe téléologique, précisément parce qu’elle est une harmonie préétablie, c’est-à-dire parce qu’elle est une causalité sans efficience réelle et, par suite, sans finalité digne de ce nom.

Wolf tente une autre solution du côté du concept de finalité. Il se fait de la téléologie une idée telle que, « si l’on acceptait, dit-il, la thèse de l’idéalisme absolu, l’argument de finalité subsisterait, puisqu’il resterait une succession d’états constante. » Psychol. ration.. sect. iii, c. i, § 50(1. Cf. Faure, Enehiridion de fuie, spe et carilate S. Augustini. Xaples, 1837, p. 13. Ceux qui ont lu et compris L’évolution créatrice de M. Bergson savent où cette métaphysique peut conduire ; qu ail des attaches Ihéologiques, il sullitpour s’en apei voir de citer cette phrase nouiinaliste de Pierre d’Ailh : Aliquis non dignus cita œterna potest fieri digims potentia absoluta (les protestants supposent réalisée cette abstraction) absque mutatione aliqua in ipsoaut in quolibet alio farta, præter solam iraus, lionem temporis existenlis vel possibilis. In IV Seul.. I. I. q. i, a. -l. prop. 3°.

D’un autre côté, Hume nia la causalité efficiente. L’écossais Thomas Brown entreprit pour l’efficieno que Wolf avait essayé pour la [Inalité ; M écrivit une dissertation pour établir que l’empirisme sceptique de Hume « se concilie avec n’importe laquelle des vérili fondamentales de la religion et de la moralité. » Examinalion, nouvelle édition en 1806 ; refonte en 1818 sous le titre :.1" Tnquiry inlo t/w relation of cause and effect.

Rivé au nominalisme d’Œcam par la Uns, , de la justification extrinsèque, le protestantisme > été amené dernier dans la même doctrine en philosophie. Cf. Decurtins, Héfoxme sociale chrétienne ci réformisme catholique, dans l’Association catholique, lût 1907, p. 163. lussi a-t-il développé lea deux systèmes philosophique ! auxquels le nominalisme ri goureusement appliqué aboutit, l’empirisme positiviste et I Idl’.' Le nominalitme empirique L’École, i est une chose assez c mnue, i t empiriste, en ci n ns, que dans i.i quest le l’on, ne d. nos Idéi - elle l’expérience peu tout expliquer, Mali elle n’est pas nominaliste et soutient l’objectivité du rondement des relations contre les occamistes. Par là, elle défend la valeur des arguments a posteriori par lesquels on prouve l’existence de Dieu ; par là aussi, elle a un moyen d’expliquer comment nous arrivons à porter des jugements valables sur la nature intrinsèque de Dieu ; et cela, tout à fait indépendamment du problème de la perception immédiate des substances, sur laquelle la majeure partie des scolastiques tient la négative avec saint Thomas, Scot et Suarez ; d’ailleurs, les partisans de la perception immédiate dessubstancesne se servent pas de cette vue systématique pour expliquer notre connaissance des êtres immatériels et de Dieu, je parle des grands maîtres de la scolastique avant Descartes. Et il est bon de remarquer que le grand défenseur moderne de la perception immédiate, Hamilton, est tombé dans l’agnosticisme, pour avoir négligé de noter qu’il percevait « les relations des choses ».

On trouvera la doctrine de l’École sur ce sujet dans Suarez, De anima, l. IV, c. iv-vi ; JHsp. metaph., disp. XXX, sect. xii ; Lossada, Curs. philos., Barcelone, 1883, t. IX, Animastica, disp. VII, c. i ; Ptolemceus, Philosophia mentis et sensuum, etc., Rome, 1702, logico-physica, diss. XII, omnium logico-physicarum facile princeps, donne un bon exposé synthétique du problème de la connaissance intuitive et abstractive dans l’École et l’état de la question vers la fin du XVII’siècle, p. 76-91. On sait que, sous l’influence du cartésianisme, ce qu’on appelle la philosophie « éclectique », au xviir siècle, se donna la connaissance per species proprias des êtres immatériels ; voir ce système bâtard dans E. Amort, Philosophia Pollingaua, Augsbourg, 1730, p. 481-506. Neubaucr, dans Theoloijia Wirceb., De religione, diss. XI, Paris, 1852, t. H, p. 283, sent le besoin d’expliquer que le déisme n’est pas du à la philosophie éclectique, qui d’ailleurs n’est pas la sienne. Ce jugement parait exact ; mais la philosophie d’Amoit qui sauvait, comme il s’en vante naïvement, toutes les entités de la scolastique, n’en sauvait pas les principes essentiels ; elle se donnait la connaissance des êtres immatériels et de Dieu, sans pouvoir en rendre compte ; enfin en réagissant à l’excès contre l’empirisme qui tire nos idées de l’expérience, elle préparait les esprits, non moins efficacement que l’idée claire de Descartes et les monades de Leibniz, à l’idéalisme subjectiviste, qui les tire toutes de la raison elle-même. Cf. IJict. apologét. de la foi, Paris, 1909, t. i, col. 58. De nos jours, on est revenu aux doctrines de l’Ecole. Cf. Pesch, Institut, psychologie, Fribourg-en-Brisgau, 1898, t. ii, n. 871. Boedder, Psychologia rationalis, ibid., 1894, énonce la thèse classique que nous ne connaissons clairement la nature des substances immatérielles que par un raisonnement et donc par des concepts analogues (analogie logique), th. xx, p. 114. Cf. Coconnier. art. Ame, dans Dictionnaire apologétique, Paris, 1909, col. 95. Voir Piat, Insuffisance des philosophies de l’intuition, Paris, 1908 ; Moisant, Dieu, l’expérience en métaphysique, Paris, 1907 ; Maher, Psychology, 5’édit., Londres, 1003 ; Bickaby, The lirst principles of Knowledge, Londres, 1888 ; Peillaube, Théorie des concepts, Paris. On peut dire que le grand ouvrage de Kleutgen sur la Philosophie scolastique, 4 vol., trad. Sierp, et sur la Théologie der Vorzcit, 5 vol. non traduits, a surtout pour but la défense de la doctrine scolastique de la connaissance : après l’avoir exposée, il montre comment elle est nécessaire ou suffisante pour résoudre les grands problèmes philosophiques ou dogmatiques. Heinrich a repris ce travail en ce qui concerne la connaissance naturelle de Dieu. Dogmatische Théologie, Mayence, 1884, t. iii, surtout au S 141, P- 131-152. Voir aussi Polile, Lehrbucli der Dogmatik, Paderborn, 1902, t. i, p. 33.

Il ne s’agit donc pas ici d’attaquer l’empirisme, mais de montrer comment l’empirisme, s’il accepte la thèse occamiste de la subjectivité des relations, arrive à nier la possibilité de connaître Dieu. — Dès que les protestants se mirent à attaquer la possibilité pour l’homme déchu d’arriver à connaître Dieu par la raison naturelle. les théologiens catholiques insistèrent sur ce que les Pères ont appelé la connaissance « spontanée, naturelle, native, innée » de Dieu. Un chanoine régulier du Saint-Sauveur, Augustin Steuchus d’Eugubio, composa un traité De perenni philosophia lib. X, réimprimé à Paris en 1578, pour montrer que les philosophes païens ont reconnu de tout temps un Être souverain, etc. Un de ses arguments était tiré des textes patristiques sur la connaissance spontanée de Dieu : et on ne trouve guère de théologiens catholiques de la fin du xvie siècle qui, sur la thèse classique de la possibilité de l’athéisme, ne renvoient pas à Steuchus Eugubinus. Mersenne, ses Commentarii in Genesim, Paris, 1623, et dans V Impiété dévoilée, Paris, 1(>21. développa la thèse de Steuchus. Aussi, lorsque Descaries se mit à parler de l’idée innée de Dieu, sans d’ailleurs bien expliquer ce qu’il entendait par là, cf. Vacant, De nostra naturali cognilione Dei, Nancy, 1879, p. 110 sq., le mol et dans un certain sens la chose étaient familiers aux penseurs catholiques, qui rejetaient la thèse de l’impuiss naturelle de la raison eu matière religieuse, aussi bien sous la forme rigide proposée par les premiers protestants, que sous la forme adoucie de l’agnosticisme croyant ou dogmatique, proposée par Charron sous le nom « d’ignorance consciencieux di Dieu.

Le père des déistes anglais, Herbert de Cherbury, voir Cherbury, avait insisté sur la connaissance naturelle de Dieu dans son De veritate, prout distinguitw a revelatione, etc., 1645. Mais dans son De religione gentilium errorumque apud eos causis, 1651, il s’était appliqué à montrer que toutes les erreurs religieuses des païens venaient de l’inlluence sacerdotale et des lois civiles. La religion naturelle des païens était pure ; leurs « croyances » étaient fausses. Uobbes nia que « nous ayons une connaissance, gravée par la nature dans notre âme. de la divinité ; » ce qui était la thèse fondamentale de Cherbury ; « et son opinion était qu’on ne la peut acquérir ni par les arguments, ni par les idées ; non par les idées, parce qu’on ne peut avoir l’idée de l’infini ; ni par les arguments, car quoiqu’on puisse inférer assez justement de ce que rien ne peut se mouvoir de soi-même, qu’il y a un premier moteur éternel, l’on n’en infère pas néanmoins un être éternel immuable, mais un être éternel en mouvement : puisque, de même qu’il est vrai que rien ne se meut par soimême, aussi est-il vrai que rien n’est mis en mouvement que par une chose qui est en mouvement. » Phys., part. IV, c. xxvi. Cf. Samuel Parker, De Deo et providentiel, Londres, 1678, disp. I, c. xxvii. Partant de ce principe que nous ne pouvons avoir l’idée naturelle d’une essence immatérielle, Hobbes en avait déduit que notre âme est matérielle. Leviathan, 1651, c. xii. Cependant Dieu n’est pas un corps et « c’est contre l’honneur de Dieu, qui est infini, de lui attribuer une figure. » lbid., c. xxxi.

Ces conclusions peuvent paraître contradictoires. Hobbes, pour se mettre d’accord avec lui-même et avec les lois, recourt à la distinction du connaître, du croire et de la foi. Cherbury déclarait fausses toutes les croyances fondées sur la commune opinion. Hobbes. qui déduit et dérive tout du souverain, asseoit les croyances sur le respect des lois ; mais pour lui « croyance » ne va pas sans agnosticisme. L’on peut arriver à la croyance en Dieu — opposée au connaître — dit-il, soit par la raison naturelle, soit par le respect des lois : le prince ayant le droit de faire et d’imposer la commune « opinion >, qui devient objet de croyance. Cf. Samuel Clarke, Praires de la religion tant naturelle que révélée, dans Défense de la religion de Burnet, t. III. Cette doctrine de la commune opinion, origine des croyances, est à rapprocher : 1. avec le rôle assigné aux prêtres et au souverain dans l’origine des cultes par Voltaire, etc., et aussi parDupuis, dans {’Origine (astrale) des ailles, 171)5 : ceux-ci suivent la tradition de Cherbury ;’2. avec les vérités du seus commun de Huilier et de l’Ecole écossaise, qui ne nous apprennent rien du fond des choseset au fond suppriment la métaphysique : ce mouvement a abouti, on le sait, à l’agnosticisme désir Hamilton, d’où est venu Mansel. puis Spencer, qui ne fait que mettre en œuvre ces deux derniers. Cf. Spencer, Les premiers principes, c. v, Réconciliation de la science et de la religion par la croyance, c’est-à-dire par l’Inconnaissable.

Hobbes concède en paroles que « la foi », qui correspond à la révélation, nous renseigne sur la nature intrinsèque de Dieu — comment, l’ernpiriste matérialiste ne le dit pas ; et on explique ordinairement cette concession par le besoin d’être en règle avec les pouvoirs établis. La croyance, au contraire, qui résulte soit de l’exercice naturel de nos facultés sur Dieu, soit de la commune opinion, du consentement commun à la volonté du prince, ne nous apprend rien de la nature de Dieu. « Elle nous enseigne seulement à lui donner des noms honorifiques, soit négatifs, soit d’excellence, comme infini, très-haut ; mais par ces termes nous ne disons pas ce qu’est Dieu en soi, mais seulement combien nous l’honorons et restituons. Car, quand nous disons qu’une chose est infinie, nous voulons seulement dire que nous ne pouvons concevoir les bornes et limites de cette chose, et que nous ne concevons que notre propre impuissance. » Levial /tan, c. iii, n. 26. Dans le De cive, c. v, S 14, après avoir repété que l’on ne peut se former l’idée de Dieu, « parce que, concevant toutes choses par la voie de la sensation, l’homme ne peut rien imaginer que ce qui frappe ses sens, » il enseigne que, lorsque nous désignons Dieu par les attributs positifs €l lui attribuons, par exemple, la science ou l’entendement. " l’on n’a point d’autre vue que de réveiller l’esprit plongé dans les choses sensibles. » Dans le passage du nominalisme empirique à l’interprétation pragmatique des formules religieuses, sauf à faire appel à l’incoiiipréhensibilité divine, Hobbes devait avoir de nos jours plus d’un imitateur.

Hobbes, dans le De corpore, avait rejeté tous concepts qui prétendraient au titre de premiers ou d’innés ; ce qui était se séparer à la fois et de Descartes et de l’École. Locke, place’entre l’empirisme absolu de Hobbes et I innéismede Descartes, rejeta nettement et combattit non sans finesse les idées et les principes innés cartésiens, Essai, 1. I ; mais, tout en prenant pour base l’empirisme, il reconnut la valeur de la réflexion, rejeta la commune opinion comme origine de la croyance, et soutint la possibilité de prouver l’existence de Dieu. Essai, 1. IV. c. xv, xvi ; l. II, c. xxiii, S 12 ; I. IV, c. x. où Rom., i, 20, est allégué. Inutile de dire que l’auteur du fameux chapitre De l’enthou$iasme, l. IV, c. i. ne s’accommode pas de la prérogative e par Hobbes à la foi de nous instruire sur la nature divine : pour Locke, la révélation et par suite la foi sont impossibles.

Locke essaie donc de prouver l’existence de Dieu el <l i tpliquer comment, par la raison naturelle, nous en avons l.i connaissance. Mais il échoue sur le premier point : et, quanl au second, il aboutit aux mêmes conclu-ions subjectivisles, relalivistes, et par conséquent stiques, que le sensualiste son devancier. Il - I inslrucl il de le voir à l’œuvre Comme Occam, Locke attribue les relations à l’activité du sujet, D’où cette th< se, sur laquelle Locke ne de revenir que « toute notre connaissance condans la vue de nos propres idées, el que c’est Ile que roule toute notre connaissance, n Essai, I. IV, c. i. n. Venu apn Descartes, Locke ne lue pas pins que Malebranche de confirmer la erreui di sens, p ir la non-obji vile des qualité - sensibles, par le besoin d ii clain par la confusion entre la simple nce d’une cho et la connaissance adéquate, i ompréhenslon, do bjel Hobbi i appliqué la conception nominaliste de la Dti il. clui H’kl idie de cause : pour lui me pour Nicolas d tutrecourt et pour l< - positivistes I< rnea, la n lation d< que celle d’un antécédent à un conséquent. Hobbes définit la causalité : aggregalitm omnium accidentium, tiim agentium quotquot sunt, tum patientis, quibus omnibus supposilis intelligi non potest quxii effectus sit una productus, et supposito quod unum eorum desit, intelligi non potest quin effectus non sit productus. Prima philosoph., c. ix. Locke, sans même remarquer qu’une telle définition supprime non seulement la liberté d’indifférence, mais tout libre arbitre, y souscrit volontiers. « Tout ce que nous considérons comme contribuant à la production de quelque idée simple, excite par là dans notre esprit la relation d’une cause et nous lui en donnons le nom. » Essai, l. II, c. xxvi, § 1.

Aussi Locke voit-il, après Hobbes et comme Stuart Mill devait le remarquer plus tard, que dans un tel système les arguments du premier moteur et de la première cause ne concluent pas à Dieu ; que, logiquement et en rigueur, ils ne concluent qu’à l’impossibilité pour nous de penser qu’à un instant donné rien n’était ; que, tout au plus, grâce à l’action latente du vrai principe de causalité qui est présent à l’esprit des nominalistes comme du reste des hommes, ils ne concluent qu’à la matière éternelle. Pour exclure cette dernière conclusion, Locke raisonne ainsi : parmi les choses dont l’existence est certaine se trouve l’âme, qui est immatérielle. Or la matière ne peut pas être la cause d’un être immatériel ; donc Dieu, la première cause, est immatériel. L’argument est excellent, s’il est possible d’en prouver la majeure. Mais Locke en est incapable, toujours à cause de son nominalisme. En effet, l’âme est une substance ; or Locke en vingt endroits répète que les « substances nous sont inconnues. » « Le mot de substance n’emporte autre chose à notre égard qu’un certain sujet indéterminé que nous ne connaissons point, c’est-à-dire quelque chose dont nous n’avons aucune idée particulière, distincte et positive, mais que nous regardons comme le subslralum des idées que nous connaissons, > l. I, c. III, £ 18 ; l. II, C. xxiii, S 2, 45. Il en est de même pour les essences des choses. Locke trouve « beaucoup plus raisonnable » que celle qui soutient que nous pouvons les connaître, l’opinion de 6 ceux qui reconnaissent que toutes les choses naturelles ont une constitution réelle, mais inconnue, de leurs parties insensibles, » l. III, c. iii, S 17. Avec un nominalisme aussi rigoureux, comment Locke peut-il savoir que notre âme est immatérielle ? Et s’il l’ignore, que vaut son argument en faveur de l’existence de Dieu ? Or, il l’ignore, et il avoue cette « ignorance où nous sommes, concernant la nature de cette chose pensante qui est nous-mêmes, » l. II, c. XXVI I, § 27. En ajoutant à la sensation la réllexion comme source de nos idées. Locke s’est donné l’âme ; mais son nominalisme le prive du bénéfice de sa trouvaille. Car il connaît si peu l’âme et si peu la matière, quoiqu’il ait des idées de la matière et de la pensée, qu’il écrit : < Peut-être ne serons-nous jamais capables de connaître si un être purement matériel pense ou non. par la raison que sans révélation il nous est impossible de découvrir si Dieu n’a point donné à quelques amas di matière disposés comme H le trouve ; i propos, la puisi de penser, » I. III. c. iv, § (">. Mais s’il en est ainsi, Locke n’a pas prouvé l’existence de Dieu.

Mais, homme, il avail ci tû idée naturelle de Dieu et de sou existence que, philosophe, il mettait en péril, sinon en doute. Il n’a pas réussi à l’expliquer mieux qu’il n’avait fait à la légil r. Lee. xxiii du 1. H de I I insacré i cette explication, fin y lit : o Les idées simples que nous avons de Dieu sont c posées des impies que nous recevons de la réflea u constitue, nous l’avons dit. un propres sur Hobl hujusmodi autem simili potest in potentiii il </ m virtutibus operativit humanis,’dil saint Thomas, t’.nnt. gvul., 1. I. e. xxl. (I. UUngWI Personalily liuman and divine, Londres, 1903. « Après avoir formé, continue Locke, par la considération de ce que nouséprouvons en nous-mêmes, les idées d’existence cl ilf durée, de connaissance, de puissance, de plaisir, de bonheur et de plusieurs autres qualités et puissances qu’il est plus avantageux d’avoir que de n’avoir pas, lorsque nous voulons former l’idée la plus convenable à I Être suprême, qu’il nous est possible d’imaginer, nous étendons chacune de ces idées par le moyen de celle que nous avons de l’infini, et joignant toutes ces idées ensemble nous formons notre idée complexe de Dieu, « § 33, Sans entrer dans la discussion détaillée du procédé. qui, quoi qu’en pensent les modernistes, est bien différent de celui de l’École, puisque Locke est nominaliste, ne retenons que ce qui concerne l’idée d’infini. Cette idée est la pierre d’achoppement de tous les systèmes nominalistes ou ultra-réalistes. Malebranche s’y est heurté aussi bien que Spinoza, bien que par un autre biais ; Locke s’y heurta après Ilobbes, et de la même façon que M. Le Roy. Ce dernier prononce que le mot infini désigne seulement « ce double fait que, dans le progrés des représentations, on ne peut s’en tenir à aucun stade et que chaque stade, pleinement vécu, suscite aussitôt le suivant. » Dogme et critique, 2e édit., Paris, 1907, p. 280. D’après Locke, « lorsque nous nommons ces attributs [de Dieu] tn/mis, nous n’avons aucune autre idée de cette infinité, que celle qui porte l’esprit à faire quelque sorte de réllexion sur le nombre ou l’étendue des actes, ou des objets de la puissance, de la sagesse et de la bonté de Dieu, » l. II, c. xvii, § 1. On a souvent reproché à Locke d’avoir ici confondu l’indélini avec l’infini, et de n’avoir réfuté Hobbes, qui niait comme Malebranche toute idée de l’infini dans un être fini, que par une pure équivoque. En réalité, Locke avait l’idée de l’infini, puisqu’il avoue que « les attributs de Dieu contiennent toute perfection possible. » Son erreur est de soutenir que nous n’en avons que la représentation symbolique qu’il décrit : « Telle est, dis-je, la manière dont nous les concevons, telles sont les idées que nous avons de leur infinité. » Que Hobbes dise que, « lorsque nous parlons de l’infini, nous ne signifions que notre impuissance ; » que Locke explique que cette impuissance est du même ordre que celle d’atteindre le nombre infini par la multiplication interne d’une infinité de nombres multipliés sans fin ; pour un métaphysicien, c’est tout un ; les deux empiristes nominalistes ne désignent l’infini positif que par une dénomination extrinsèque fondée sur leurs actes internes et s’interdisent systématiquement tout jugement sur sa nature intrinsèque : l’essence de l’agnosticisme dogmatique est tout entière dans ce procédé. Du même point de vue métaphysique, c’est de même tout un, quant au fond des choses, sous la diversité des modalités systématiques, de dire avec M. Le Roy : « Connaître Dieu, c’est prendre ^conscience de ce qu’implique [l’acte de vivre, » Revue de métaphysique et de morale, 1907, p. 498, et de parler du Dieu, postulat de la conscience morale de Kant, du Dieu résumé de nos expériences intérieures de Ritschl et de Sabatier, de l’absolu qu’implique notre connaissance du relatif de Spencer, de l’immense être inconnu dont l’être personnel a le sentiment intime qu’il dépend de Schleiermacher, de l’objet de la foi morale et religieuse de sir Hamilton et de Mansel. Toutes ces formules, dont nous n’épuisons pas la liste, ont ce trait commun qu’elles désignent le vrai Dieu exclusivement par une dénomination extrinsèque, sans pouvoir arriver à rien affirmer de défini et de positif sur la nature intime de la substance divine. C’est la position de Locke, qui très logiquement, puisque, d’après lui, même les substances finies nous sontinconuues, se refuse à dire catégoriquement que Dieu est une substance, 1 II, c. xiii, $ 17 sq.

C’est chez Locke un principe que noire « connaissance ne va point au delà de nos idi’-js, » l. IV, c. iii, S 1. Si l’on fait abstraction du sens snbjectiviste Locke donne au mot idée, ce principe est (’vident. Or, d’un autre côté, Locke n’a aucune idée des causes, des substances, de l’infinité divine ou plutôt la seule idée qu’il en ait est celle de l’activité qu’il déploie pour les penser, de la pression de la loi subjective qui les lui fait nécessairement concevoir. Mais cette idée subjective pourluin’estpas représentative de la cause, de la substance, de l’infini en soi, dont par hypothèse ou par système il n’a pas connaissance. Cependant il se tient pour assuré de la réalité de ces divers objets, et donc sa croyance dépasse ses idées. » Telle est la genèse philosophique de cette formule souvent employée, d’abord par les cartésiens, alind est credere, aliud 8< cf. Lossada, op. cit., t. iv, p. 47 ; Jourdain, Histoire de l’université de Paris, Paris, 1862, p. 209 ; appendice, p. 144 sq. ; puis par les jansénistes, Denzinger, n. 1392 ; enfin par les agnostiques dogmatiques ; et telle est aussi l’origine historique de la distinction des vérités notionnelles et des vérités réelles, reçue depuis Locke chez les idéalistes et chez les empiristes anglais et familière sous d’autres noms aux pseudo-imsliques. VoirXewman, An essay in aid of a grammar of assenl, Londres, 1892, c. viii, § 1, p. 282, sur la ressemblance abstraite de Jean et Richard, ce qui explique la théorie de l’appréhension des propositions, c. I, § 2, p. 9 sq. Cf. Baudin, La philosophie de la foi chez Neivman, dans la Revue de philosophie, Paris, 1906, surtout, juin, p. 580 ; juillet, p. 27. En sens opposé, Toohey, An index lo the grammar of assent, Londres, 1907 ; The grammar of assent and the old philosophy, dans The Irish theological quarterly, octobre 1907 ; Neivman ami Modernisai, dans The Tablet, 4 janvier 1908.

Convaincu que nous ne pouvons avoir aucune idée de l’infini, Malebranche recourt à la fois au lidéisme et à la vision en Dieu, Recherche de la vérité, part. I, I. III, c. iv ; part. II, I. III ; vers le même temps, Pascal pour la même raison recourt à la foi du cœur. Dans le pays de Hume, le nominalisme bien développé dans toutes ses conséquences jette Berkeley dans l’idéalisme de Malebranche. En France, Rousseau décrie la raison, Emile, Paris, 1793, t. ii, p. 356. et résout le problème religieux, comme tous les autres, par le sentiment, unique voie pour arriver à la vérité. En Allemagne, Jacobi, Kant, Schleiermacher se précipitent, l’un dans le sentiment obscur de Dieu, l’autre dans la conscience morale, le troisième dans le sentiment de dépendance, tous au fond dans le subjectivisme de la doctrine de la foi justifiante, qu’ils accommodent au scepticisme et au rationalisme de leur temps.

L’histoire le prouve, comme la logique le prévoit. Le nominalisme rigidement exposé aboutit à l’athéisme et au nihilisme de Hume, ou tout au moins à l’agnosticisme pur d’Auguste Comte, de Huxley et du « rationalisme » anglais contemporain. Si l’on veut, tout en acceptant la position nominaliste, éviter cette abdication de la conscience, il ne reste plus qu’à mettre en système que « notre croyance dépasse nos idées, » que seule elle atteint le réel, et à construire des Glnubenslehren, qui justifient cette retraite. De là tant de livres d’apparence constructive. qui ne sont au fond que des apologies déguisées de la foi subjective, dont le protestantisme avait semé l’idée. Locke lui-même, tout rationaliste qu’il est, donne l’exemple de cette méthode.

Comme beaucoup de nos contemporains, Locke fait de la conception une idée toute cartésienne : en dehors de l’idée claire, il n’y a rien pour lui. Or il est obligé d’avouer que, dans son système, une substance immatérielle échappe à notre conception. C’est, en effet, un de ces objets que nous ne pouvons concevoir clairement qu’à l’aide des relations réelles entre la cause et son effet, la substance et ses propriétés, ou à l’aide de l’application objective du principe de raison suffisante. La difficulté est grande pour Locke, puisqu’il croit à un immatériel. Il essaie donc, pour la résoudre, de prouver qu’à « bien approfondir les idées que’nous avons de toute substance, nous ne’connaissons pas mieux à fond la corporelle que l’incorporelle. » Essai, l. II, c. xxiii. Les cboses sont donc parfaitement égales des deux cùtés. A l’oreiller du doute substituons le cbarme des ténèbres en religion.

Dans la pbilosophie nominaliste, l’analogie se réduit à une vague ressemblance, et le raisonnement par analogie est de nulle valeur. Cf. Stuart Mill, System of logic, l. III, c. x. ; Ilamilton, Lectures on metaphysics and logic, édit. Mansel. Edimbourg, 1866, t. IV, p. 170. D’autres nominalistes, comme Kant, Prolégomènes, etc., § r>7, et Whately, Eléments of logic, 2e édit, p. 138, réduisent toute analogie à une ressemblance de rapports. Voir Analogie. Cf. llastings, Encyclopsedia of religion and ethics, Edimbourg, 1908, art. Analogy.

Le nominalisme idéaliste.

Nous employons ici le mot idéalisme dans le sens qu’on lui donne le plus souvent quand on l’oppose à empirisme, pour désigner les doctrines qui expliquent la genèse de nos concepts et des principes par la raison elle-même.

Hume avait déduit les conséquences du nominalisme jusqu’à détruire non seulement la connaissance des substances et des causes, mais bien les substances etles causes mêmes, sans en excepter la substance de son tnoi. La science devenait impossible. Kant parait s’être proposé de sauver du naufrage la science, tout en restant fidèle à la thèse protestante de l’impossibilité de connaître Dieu par la raison naturelle. Ce ~.i ait à la fois la ruine du déisme et du catholicisme, ces deux formes du naturalisme ou du pélagianisme pour les sectes piétistes. En gaulant la croyance en Dieu donnée par la conscience morale, on préserverait l’essentiel de la foi justifiante ; et il n’y aurait qu’à restreindre l’objet de la foi à la simple croyance en Dieu, pour pouvoir rester protestant quand même, tout en admettant le rationalisme de Lessing. Résoudre d’un seul coup un problème ; iusm complexe était difficile mules éléments de solution étaient dans l’atmosphère du monde protestant vers la tin du xviir siècle.

Kant savait que la science tendait à devenir mathé matique ; sauver les mathématiques, c’était donc sauver la science. II savait aussi, car en dehors du cartésianisme (’.'tan chose admise, que les mathématiques tint Thomas le concède après Aristote, font abstræl h’- substances et dea causes, et que l’activité du sujet pi i ie un rôle considérable dans la constitution de l’objet même dis mathématiques, le quantum abstrait, continu ou discret. D’ailleUI considération de la subjectivité de nos idées était à la mode depuis I 1 Locke, Spinoza, Leibaiz, Berkeley,’-te. Sans s’expliquer nettement sur l’objectivité de l’espace et du temps on discute encore sur - Kant mit en relief le côté subjectil de notre connaissance di ci - quantités, ! -ans trop de pi in lit des formes de notre sensibilité. Il fallait passer aux nutri -. Kant B’empara de I hypothèse nominaliste de la tubjectivité des relations di similitude, de ubslance, .’te., el nui tout ion ai I a persuadai .m lecteur cette hypothèse, en se servant adroitement >< hdeux formes de la si lisibilité. Il parvint ainsi a parler d d’un x inconnu ce que faisaient di ià Vutrecoui i, , , , , ., , i i’" « biais, h % en a moins dans Kant I" on m-’lit ordim ment consistait a pré » nb r, "ii’. l’objectivité dei rela l. etc. et celle du quantum al, -Ira., „.. ! , , , , je (/ „„„_ tu m abstrait, objet des sciences mathématiques, est hors des relations substantielles et causales, et de ce que, d’autre part, par les sciences nous atteignons le réel puisque nous agissons sur lui, on concluait que la connaissance des substances et des causes est hors de la science, hors de notre connaissance ; cependant la connaissance mathématique subsistait. D’ailleurs, de ce que notre activité est nécessaire pour qu’il y ait temps, animacomplet tempus, on concluait au droit d’ériger 1° représentation dos relations causales, etc., en pure fonction de notre activité. Ces points acquis, nos concepts expriment le réel, mais symboliquement, comme en mathématiques x est le symbole de l’inconnue. On connaît la suite, antinomies, critique des preuves de l’existence de Dieu, etc., qui repose sur le principe de Nicolas d’Autrecourt.

Après avoir accepté, dans la Critique de la raison pure, la distinction du connaître et du croire dont nous avons dit les origines nominalistes, Kant se donne l’idée de Dieu. Ainsi il peut croire en Dieu, qu’il désigne par une dénomination extrinsèque, fondée sur ses besoins subjectifs : Dieu devient un postulat. Mais il se déclare incapable de porter aucun jugement valable sur la nature intrinsèque de celui que sa conscience lui présente — mais dans son hypothèse nominaliste ne peut pas lui représenter — comme juste et bon. Critique du jugement, î 86. De cet agnosticisme croyant, qu’il légitime par l’exemple des proportions en mathématiques, Prolégomènes, - ?57, 58, il déduit l’impossibilité de la révélation proprement dite, el par suite de tout dogme ; mais il est protestant, et donne des formules de la Bible et de son Kglise une interprétation morale. La religion dans les limites, etc. Cf. i Herzog, Realencyclopâdie, 3e édit.. art. Theismus, p. 592.

Critique.


1. Le nominalisme prouve-t-il la subjectivité des relations de causalité, de raison suffisante, de similitude, etc., qui sont le fondement des universaux el des premiers principes et par suite des preuves de l’existence de Dieu’.'
2. Prouve-t-il que nous n’avons aucune connaissance des substances et des causes en soi, que nous ne pouvons que les désigner par des dénominations extrinsèques sans porter sur leur nature intrinsèque des jugements valables, et que par suite la connaissance de Dieu en soi nous est absolument impossible ?

A la première question, on répond que, sans exception, depuis Occam jusqu’à M. Bergson, les nominalistes se donnent la subjectivité des relations de cause a effet, de substance à propriétés, etc., mais ne démontrent pas cette hypothèse. M. Bergson, dans L’évolution créatrice, reproche avec raison à Kant de se donner les formes ou moules u priori el à Spencer de ne rendre compte de rien avec ses idées héréditaires. Pour se mettre hors de pair, .M. Bergson recourt à une seconde hypothèse : le monisme plotinien lui -cil a donner de l’apparence a l’hypothèse du subjectivisme. Maila logique enseigne que la probabilité des conclu-iondécroît a -mque l’on introduit dan- -cprémi plus de vues systématiques, et que cette probabilité Bl nulle si l’une des li introduite absurde. Nous pouvons donc conclure que les divi philosophiea nominalistes ne prouvent rien (mire li principes et les conclusionclassiques de la théologie naturelle. reposent sur les faits suivants. «.rnand distinguons un homme qui raisonne d’un animal qui brait, nonconnaissons nettement par le principe utilmie me propriété de la lubi tan I un qui e-t exclusive de certaines propriétés élue ubslance ds l’attire. de même, pour la eau son rapport avec l’effet, dont notre acli lonne mu., typiqui i I In nous objecta la d’illusions des sens, d’erreurs, etc. ; nous acceptons les faits constatés, tout en nous déliant des interprétations que l’on en donne ; mais nous nions la parité des cas.

— 2. On nous montre que les sciences de classification, par exemple la botanique, n’atteignent guère <|ue les dehors des choses ; et que les sciences physiques font souvent de même, par exemple quand elles définissent l’électricité, « la cause inconnue des phénomènes suivants. » On répond avec saint Thomas que les sciences de classification ne définissent les êtres que par leurs accidents, comme lorsqu’on dit que l’homme est un bipède, et que souvent les sciences physiques ne définissent les causes que par leurs effets, parce que les différences essentielles des êtres nous échappent souvent : essentielles differentise ex accidenlibus nominantur, In IV Seul., I. III, dist. XXVI, q. l, a.i, ad 3°"’ ; sicut causa signi/icatur per suum effectum, vicul bipes ponitur differentia hominis. De ente et essenlia, c. vi, Venise, 1595, t. v, p. 28. Mais nous échappent-elles toujours ? Et ne savons-nous réellement rien de l’électricité, des champignons, ete ? Les apparences ne nous appprennent-elles absolument rien des réalités’.' Cf. Hastings, Encijclopœdia of religion and elltics, Edimbourg, 1908, art. Agnostieism et Absolule ; Catholic Enajclopsedia, New-York, 1907, art. Agnostieism. Enfin, la méthode des sciences, telle que nous l’a léguée le xviiie siècle, qui ne se préoccupe ni des causes, ni des origines, est-elle toute la méthode ? Cf. Gwatkin, The Knowledge of God, Edimbourg, 1906, t. i, p. 11.

— 3. On fait appel aux sciences mathématiques, aux intuitions spatiales et temporelles — Kant et Renouvier, La monadologie nouvelle, p. 102, 111, et passim — aux jugements synthétiques et analytiques, au symbolisme et à la conventionnalité des formules mathématiques, qui ne représentent le réel que par correspondance’.Spencer). Nous avons indiqué ce qu’il faut concéder sur ce point. Mais ici encore on devrait pour conclure nous prouver la parité des cas ; et on oublie cette règle de logique. De ce que l’activité du sujet joue un grand rôle dans la constitution de l’objet des mathématiques ; de ce que dans l’étude du quantum qui est leur objet nous faisons abstraction des relations substantielles, causales, etc., il ne suit pas que le rôle de notre esprit soit le même dans la perception des relations de similitude, de causalité qui régissent le monde concret, ni que nous n’atteignons pas ces relations dans le monde des réalités qui nous environnent et agissent sur nous.

— 4. Enfin, Kant, comme autrefois Nicolas d’Autrecourt, a la prétention de nous faire « passer par ses conditions ». L’évidence des propositions de géométrie n’est pas celle des autres propositions ; or, dans les propositions de géométrie, il ne s’agit que de rapports posés par l’esprit ; donc nos jugements sur toutes les catégories ne sont qu’un « lien logique », et penser, c’est quantifier, qualifier, etc. ; toutes opérations qui ne nous apprennent rien de l’ae inconnu. Celle négation de la possibilité de toute métaphysique objective suivrai ! chez Kant comme chez Nicolas d’Autrecourt, s’il était nécessaire que toute évidence soit de l’ordre des évidences mathématiques. Mais nous ne pouvons avoir d’évidences mathématiques qu’en faisan 1 abstraction de toutes les relations réelles connues de ions, autres que les relations de la quantité ; et cette abstraction n’est possible d’une manière réfléchie qu’autant que nous connaissons ces autres relations, qui ne sont pas des relations quantitatives. Mais s’il en est ainsi, il y a un cercle vicieux à passer du fait de la possibilité de l’abstraction mathématique à la négation d’une des conditions de ce l’ait. Sur ce point, il faut se séparer de ceux qui avec M. Sentroul, Revue néoscolastique, Louvain, mai 1906, p. 185 sq., pensent qu’il o faut passer par les conditions » de Kant. Cf. Baille, Qu’est-ce que la science ? Paris, 1907.

L’hypothèse de la subjectivité des relations, qui sont le fondement objectif des universaux et des principe ! nécessaires et universels, n’est donc pas démontrée. Nous pouvons donc rester sans trouble fidèles au lisme du bon sens. En indiquant la trame générale d< a j raisonnements par lesquels on montre que l’hypothèse nominaliste n’enlame pas les preuves classiques de l’existence de Dieu, nous avons donne’- la réponse à la seconde question posée. Nous avons quelque connaissance des substances, des causes finies ; très souvent, nous ne les désignons que par des dénominations extrinsèques ; mais nous pouvons aussi dans bien déporter des jugements valables sur leur nature intrinsèque. L’analogie ne se réduit donc pas toujours à une vague ressemblance, ni à une ressemblance de rapports, comme le veulent les nominalistes. Le raisonnement par analogie peut donc être valable ; et nous pouvons penser par des concepts analogiques les êtres immal riels, Dieu lui-même (analogie logique). L’agnosticisme dogmatique ou croyant avoue penser Dieu, puisqu’il croit à l’existence de l’Absolu ; mais il se refuse à reconnaître que nos jugements sur Dieu ont une valeur de vérité : ab eo quod res est aut non est, oralio dicitur vera vel falsa. Quand nous disons que nou> pouvons penser Dieu, nous allons plus loin : en affirmant de Dieu les attributs absolus, c’est de Dieu considéré en lui-même, abstraction faite des créatures et de notre mode de penser, que nous parlons. Si l’on admet la valeur objective des relations de causalité, de similitude et de raison suffisante, l’explication philosophique de notre dogmatisme est facile. Tout se réduit à ce raisonnement : qui finxil oculum, non considérât’.' Y’s. xem, 9. Raisonnement spontané, qui s’explicite : l’effet procède de sa cause suivant un mode déterminé’, par lequel il lui ressemble. Le principe de raison suffisante exige donc que la cause soit d’abord déterminée, avant que reflet le soit ; car toute action est produite en vertu d’un principe qui est dans la cause. S. Thomas, De potentnt. q. vii, a. 6. Donc, si parmi les effets produits par Dieu se trouve celui que nous appelons science, il faut qu’il y ait en Dieu quelque chose qui réponde à la définition de la science. S. Thomas, In IV Sent., 1. I. dist. XXXV, a. 1, ad 2 unl. Sans doute, Dieu est infini, et nous n’obtenons de sa nature intrinsèque par ce procédé qu’une connaissance très inadéquate, très imparfaite. Mais notre connaissance reste vraie. Le même saint Thomas indique bien le résultat auquel on arrive : « On parle du sourire des prés en Heurs ; la sagesse incréée, si l’on considère ce qu’elle est en Dieu — où elle est la substance divine — diffère plus de la sagesse créée que la lloraison des prés ne diffère du sourire de l’homme ; mais quant à la raison objective pour laquelle on donne le nom de sagesse et A la sagesse divine et à la sagesse créée, la ressemblance est plus grande qu’entre les lleurs des préset le sourire de l’homme, parce que cette raison objective est une par analogie (ontologique), se trouvant en Dieu comme dans le premier principe et dans la créature par voie de causalité. « lu IV Sent.. 1. 1, disp. XXII, q. 1, a. 2, ad 3’"". C’est tout ce que la logique exige, quoi qu’en ait dit Duns Scot, partisan de l’univocilé ontologique, pour que notre connaissance de Dieu soit telle que nous puissions procéder par déduction en théodicée et en théologie. Et, puisque le nominalisme n’est qu’une hypothèse, nous gardons le droit de rester fidèle à l’intellectualisme objectiviste qui est celui de l’humanité et de l’Église. A côté des autres sciences, il estime science per ullimas causas, la métaphysique.

Pour les discussions de détail avec les positivistes et les kantistes. voir Mac Cosh, The méthod o/ the divine government, 4’édil., Edimbourg, 1855 ; The mutilions of the miiui, ilntl., 1860 ; M. Cosh montre bien que l’agnosticisme de Kant et de Hamilton vient de leur nominalisme, au sens où nous avons pria ce mot ; Hodge, Systematic theology (protest.). Londres, 1871. t. i, p. 335-365 ; De Rroglie, Le positivisme et la science expérimentale, 2 in-8°, Paris, -1880 ; Ward, Essays on the philosophy oftheism, 2 vol., Londres, 1884 ; Gruber, Auguste Comte ; Le positivisme depuis Comte, 2 vol., Paris, 1893 ; Pescb, Institutiones logicales, Fribourg-en-Brisgau, 1889, t. ii, p. 349-366, et n. 874, critique de Kant. Dehove, La critique kantienne des preuves de l’existence de Dieu, Lille, 1905, montre très bien que cette critique se ramène à nier la valeur de l’infércnce : de ce que quelque chose existe, une autre existe ; et cela en vertu de l’hypothèse subjectiviste non démontrée. Sentroul, L’objet de la métaphysique selon Kant et selon Aristote, a essayé une méthode qui a soulevé bien des discussions que l’on trouvera dans Godsdienst, Wetenschap, Lctteren, W06, p. 53-78 (Begout) ; Ilevue néo-scolastiquc, mai 1906, p. 164-200 (Sentroul) ; Revue de philosophie, juillet 1907 (Farges) ; novembre 1907, p. 446471 (Sentroul) ; Revue pratique d’apologétique, 15 septembre 1908 (Piat), Pesch, liant et la science moderne, trad. Lequien ; Paris ; Piat, L’idée ou critique du kantisme, Paris, 1907 ; Farges, La crise de la certitude, Paris, 1907 ; Laminne, La philosophie de l’Inconnaissable, Bruxelles, 1908 ; Gérard, The uhl riddle and the newest answer. Londres, 1904 ; Gruber, art. Positivismus, dans Kirchenlexicon, 2e édit., Fribourg-en-Brisgau. Chossat, art. Agnosticisme, dans le Dictionnaire apologétique, Paris, 1909, t. i, col. 1-75, expose et discute d’après saint Thomas l’agnosticisme de Maimonide et d’Avicenne et montre que nos problèmes modernes ne sont pas tout à fait neufs. Tour la vulgarisation, Halleux, La philosophie condamlusitiviste et kantienne), Paris, 1908. Pour la bibliographie de lliistoire du sujet, col. 798-799.


VI. Le pseudo-mysticisme.

La possibilité de la connaissance certaine de Dieu par la raison naturelle suppose qu’on admet la valeur des éléments intellectuels dans la connaissance religieuse. Les pseudomystiques l’ont souvent mise en question. Il y a pour toutes les âmes menées par les voies mystiques un danger contre lequel tous les directeurs orthodoxes les prémunissent, celui d’attacher trop d’imporlance au sentiment, à la vie émotive dans la vie spirituelle ; c’est de là que naît souvent la tentalion qu’elles ont de préférer leurs lumières ou leurs obscurités, en un mot la connaissance religieuse qui leur vient de leurs expériences intérieures, aux données de la foi. Poussée à la limite, l’exagération de la valeur religieuse du sentiment, de l’expérience intérieure, suflit à elle seule.i faire déclarer impossible et non valable toute connaissance rationnelle de Dieu. Deux exemples nous sufliront pour le montrer.

I. MOLINOS ET JACQUES BŒHME.

Le pseudo-mstique libidineux Molinos, dont M. William.James s’est constitué’le chevalier. Varieties of religious expérience, Londres. 1902, p. 130, était entiché de - foi obscure et universelle, » c’est-à-dire d’une certaine expérience mystique de l’Être illimité’. Il écrit d’un trait : « Celui qui dans l’oraison se sert d’images, de figures, de représentations et de conceptions propres, n’adore pas Dieu eu espril i t en vérité. Celui qui aime Dieu nivanl que la raison argumente ou que l’esprit comprend, n adore pas le vrai Dieu. Denzinger, n. 1 105 sq. En d’autres tenues, les représentations intellec tuelles, que nous pouvons avoir par le discours ou par les formules traditionnelles, en dehors de l’expé rience mystique de la « foi obscure et universelle -. sont tant valeur objective. On voit que, sans se perdra dans le dédale des philoaophies, Molinos aboutisticisme, relalivement i l’ordre de eption, au aotionnel. Donc, pour lui, sans expé1 ii ure urnaturelle, pa ibilit* di connaître le vrai Dieu, bien, v* leçon ; E. Xaville, Les philosophies négatives, Paris, 1900, p. 185-222.

Du mysticisme au panthéisme ou à la connaissance purement négative de Dieu des néoplatoniciens et du soufisme, il n’y a qu’un pas : et plus d’un mystique le franchit au moyen âge. Dans les deux cas, c’est encore l’impossibilité de toute connaissance rationnelle de Dieu. Le « Philosophe allemand », Jacques Boehme, et, après lui, les « enthousiastes » ou fanatiques tombèrent dans ces erreurs. Ils appelaient Dieu, considéré en lui-même et sans les créatures, un Rien, nihil.

Comme les vues de Boehme se rattachent à celles de Fichte, de Hegel et de Schelling, par l’intermédiaire de Geulincx, de Spinoza, de Malebranche et de Berkeley, cf. l’hégélien Schvvegler, Geschiclile der Philasopliie, tiré à part de la Neue Encyclopudie der Wissenschaften und Kûnste, Stutlgart, 1848, p. 90. la doctrine de l’immanence n’est pas sans lien avec lui. D’autre part, les dévots actuels de l’Inconnu ou de l’Inconnaissable s’inspirent souvent de Boehme ou de ses ancêtres. Cf. Thamiry, De ralionibus seminalibus el immanentia, Lille, 1905. Il est donc nécessaire de noter que, si certains mystiques orthodoxes ont autrefois employé l’expression de Boehme, ainsi que nous l’apprend M. Sertillanges, qui connaît mais ne nomme pas de « grands mystiques thomistes qui ont parlé avec une sorte d’épouvante religieuse du néant de Dieu, » dans la Revue de p/dlosophie, février 1900, p. lii. cette formule n’avait pas, sous leur plume, le même sens que chez Hoehme.

En ellet, les mystiques orlliodoxes : 1° faisaient une dill’érence entre Rien, niltil, et Néant, non ens. Cf. Denille, Chartularium universilatis Parisie)isis, t. il, pièce 1012, p. 506. 2° Ils admeltaient, à l’inverse des pseudo-mystiques comme maître Eckart, Denzinger. n. 428, et Boehme, qu’on peut se faire une idée de Dieu, lorsqu’on le considère en lui-même et sans rapport aux créatures. 3° Enfin, les mystiques orthodoxes n’appliquaient à Dieu considéré en lui-même, à la plénitude de l’Etre, l’épi thèle de nihil, que pour exprimer sa grandeur par l’apport à nos connaissances et à nos lumières et l’absolue incompréhensibilité de la nature divine, qu’une forme de pensée, tirée des créatures, ne peut pas adéquatement représenter et saisir. La question n’est pas ici de savoir si cette façon de s’exprimer de ces mystiques orthodoxes était heureuse. Tout le monde aujourd’hui la trouvera choquante, fondée sur une distinction à peine intelligible entre nihil et non ens, et de nature à induire en erreur : tous défauts qu’on ne lui fait pas perdre, en l’isolant des contextes oubliés où elle se trouve. Mais, heureuse ou non, Cette expression n’a pas, chez les mystiques orthodoxes, le sens purement négatif qu’elle a chez ceux qui, comme Boehme et les fanatiques, ne le sont pas.

Chez les mystiques orthodoxes qui l’emploient, ce nihil ne signifie pas que Dieu est l’indéterminé, ni que la connaissance mystique est purement négative. Elle vent dire que la connaissance)><isilire de la divinité donne à l’une la claire notion de l’incompréheusibililé divine, en sorte que par la l’âme si’forme de Dieu une idée 1res relevée, bien que confuse, et comprend qu’il a pour elle une grande intelligence de la nature divine < saisir que nul être fini n’a le pouvoir de la comprendre, de la pénétrer adéquatement Dans cii état, tous | eg termes de comparaison font défaut a elle écarte toutes les formes ordinaires de pensée ec w impropret trad.in ce qu elli i on ">i el, à n ell i I précisément qu’aucune foi me n’est adéquate < I ei i nce divine Les lignes suivantes de sainte tagéle de Poligno montrent que tel si le sens de nihil, dans la formule nihil videt, d’où est venue I, , que Dieu, sl uihd. Kl ulen r] ht in lenebra, quiae bonum, quod ne< poêtil

cogilari nec intelligi, et omne quod potest Cogitari rel intelligi non attingit ad illud… Et nihil videt omnino cuiinia quod narrari jiossit ore, nec etiam concipi corde ; et nihil videt et omnia videt. Cf. Acla sanctorum, Anvers, 1643, t. i januarii, p. 197, n. 72 ; cf. ri. 148, 207 ; S. Thomas, In IV Sent., 1. I, dist. VIII, q. i, a., 1, ad 5um ; De potentia, q. vii, a. 5, ad 13 W| " sq. ; Suarez, Disi>. metaph., disp. XXX, sect. xii, n. 12.

On objecte que saint Thomas, après saint, Jean Damascène, parle de « l'être indéterminé de Dieu » , Sum. theol., I a, q. xi, a. 4 ; q. xiii, a. 14 ; De potentia, q.vii, a. 5 ; que par conséquent pour lui comme pour l’iotin, IIIe Ennéade, 1. VIII, c. IX, et pour Spinoza, omnis determinatio est limitatio seu negalio ; d’où il suit que tous les noms de Dieu sont purement négatifs. Cf. de Munninck, Prælectiones de Dei exislentia, Louvain, 1901, p. 96, 99 ; Sertillanges, dans La quinzaine, 1 « juin 1905, p. 412 sq., et dans la Revue du clergé français, 1 er octobre 1905, p. 317. — Réponse. — La formule de saint Jean Darnascène estclassique pour exprimer la plénitude de l'être divin ; si nous appelonscette plénitude « indéterminée » , ce n’est pas qu’elle n’est pas saisissante en soi, c’est parce que nous savons que la simplicité de sa nature parfaite et certains de ses modes d’opérer que nous connaissons, sont absolument incommunicables à tout être fini ; de plus, ce terme négatif connole l’impossibilité où nous serons toujours d'épuiser la richesse de la simplicité divine et l’impossibilité d’une représentation adéquate de l’infinie perfection par des perfections créées. D’ailleurs, pour saint Thomas, qui suit en ce point le pseudo-Denys, De potentia, q. vii, a. 2, ad 9° m ; Sum. Iheol., Ia-IIæ, q. il, a. 5, ad 2 om, les déterminations dans les êtres finis ne sont pas des négations, mais bien des additions. L'être infini, au contraire, est le seul à qui ontologiquement rien ne peut s’ajouter, parce que, tous les êtres finis étant limités à une perfection déterminée, liieu est au contraire en soi et par soi toute perfection, in se inclv.dit omnem modum perfeclionis ; c’est en cela que consiste son infinité positive. De verilate, q. XXIX, a. 3. Cf. Penzinger, n. 1631. Pans ce sens, saint Thomas répète souvent que l'être divin est l'être sans addition, esse sine additione est esse divinum, parce qu’il est de son concept d’exister, et de ne rien pouvoir recevoir, vu qu’il est l’infinie perfection, Sum. Iheol., I a, q. iii, a. 4, ad l" ra ; et il se sert souvent de cette considération pour rejeter le panthéisme de Plotin et des Arabes, De potentia, q. VII, a. 2, ad 6um, pour écarter du pseudo-Denys tout soupçon de panthéisme. Cont. génies, 1. 1, c. xxvi. Dieu est donc, pour saint Thomas, distinct du monde, bien qu’immanent, c’est-à-dire bien qu’omniprésent, ibid. ; et il est absolument déterminé en soi. Cette dernière formule est fréquente chez saint Thomas et il signale les inconvénients de penser autrement. In IV Sent., 1. I, dist. XXIV, q. i, a. 1, ad 3°"' ; dist. VIII, q. iv, a. 1, ad l" m ; 1. II, dist. III, q. i, a. 2 ; De potentia, q. i, a. 2, ad 7° 1 " ; q. vii, a. 2, ad 6 i, m ; Cont. génies, 1. I, c..vi ; Quodlibet., q. vii, a. 1, ad I" » ; a. 6. Cf. In IV Sent., 1. I, dist. XIX, q.i, a. 1, ad l um ; Sum. theol., I 1, q. xiii, a. 11, ad 2 UI ". D’où il suit que nos jugements sur Dieu, sans avoir une valeur de définition, nos concepts appliqués à Dieu laissant rem incomprehensam et excedentem nominis signi/icationem (analogie ontologique), ibid., a, 5, portent cependant sur l’essence divine considérée en soi, subslanlialilcr. Ibid., a. 2. Et nous pouvons parler de la perfection divine « absolument » et aussi de l'être divin « au sens absolu » . Sum. theol., I » , q. xiii, a. 11, ad 3°. æ ; In IV Sent., 1. I, dist. XXII, q. i, a. 2, ad 2 llm. Au point de vue absolu, tout ce qu’on peut dire de Dieu n’est donc pas faux, ibid., ad 4um ; et si tout cela n’est pas faux, les formules ne sont pas indifférentes, De potentia, q. vil, a. i, ad 8° m ; Penzin Lfv, n. 155 ; et nous » savons au vrai ce que nous disons de Dieu, » lorsque nous disons, par exemple, que Dieu est personnel. De potentia, q. vii, a. 2, ad I"" ; Cont. génies, 1. I, c. xii ; Sum. theol., I. q. iii, a. ' » . ad 2° m ; q. XIII, a. 8, ad 2um ; a. 12. On sait d’ailleurs que dans cette dernière question de la Somme saint Thomas a réfuté ex professa la théorie de la connaissance purement négative d Avicenne et de Maimonide. Cf. les censures de l’inquisition, dans Eymericus, Directorium inquisitorum, II*, q. i.viii, q. IV, Krrores Avicennæ, prop. 13 ; Alchindi, prop. 5 ; Maimonidis, prop. 1-3, Rome, 1585. p. 254 sq., Saint Thomas ne favorise donc en aucune façon l’agnosticisme des pseudo-mystiques. Mais il se rendait si bien compte des dangers des voies mystiques qu’il écrivit un article de la Somme pour proposer de faire passer les contemplatifs par des maisons d'études. S llteol., IIa-IIæ, q. clxxxii, a. 5.

II. 1.1 : PSBVDO-MYSTIC18MB DES PROTESTANTS ET LA CONNAISSANCE NATURELLE blC DIEU. — On distingue deux sortes d’agnosticisme, l’agnosticisme pur — agnoslicism of unbelief — qui est celui de Comte et de Huxley, pour lequel l’absolu est totalement inconnaissable ; l’agnosticisme dogmatique ou croyant — agnosticism nf belief — qui concède à l’agnosticisme pur qu’il n’y a pas et ne peut pas y avoir de preuves rationnelles de l’existence de Dieu, mais qui fait profession de croire en Dieu pour des raisons purement subjectives, sans toutefois reconnaître aucune valeur objective aux diverses formes de pensée par lesquelles il pense Dieu ; tel est l’agnosticisme de Kant, Hamilton, Mansel, Spencer et des modernistes. Ce que nous avons dit de la doctrine luthérienne des suites de la chute originelle et du nominalisme explique assez pourquoi beaucoup de prolestants abandonnent les preuves de l’existence de Dieu, et comment ils arrivent à désigner Dieu, auquel ils croient encore, seulement par des dénominations extrinsèques. Le fait de la persistance de quelque croyance en Dieu, dans des conditions aussi défavorables, s’explique aussi par la connaissance naturelle et spontanée de la divinité qu’ont tous les hommes et par l’influence du milieu chrétien. Mais les constructions systématiques que l’on voit se multiplier ne se comprennent pas, si l’on ne tient pas compte de l'élément pseudo-mystique qui gît au fond des doctrines de la Réforme sur la connaissance religieuse.

La foi fiduciale et le mysticisme.

On sait que

Luther en appelait aux mystiques contre les théologiens. Une de ses propositions censurées par la Sorbonne portait : In sermonibus Joannis Tauleri lingua teutonica conscriptis plus reperio tlteologise syncerm et solidm quam in omnibus omnium universitatum scolasticis docloribus repertum aul reperiri possit in omnibus suis sententiis. Cf. [Mélanchthon], Confutatio determinationis doctorum parrhisiensium contra M. L., etc., Bàle, 1523, p. 241-252. On sait aussi que de nos jours les protestants libéraux, qui en sont à la croyance en Dieu « sans preuves » , et qui ne conçoivent Dieu qu’en fonction des états subjectifs de leur conscience religieuse, se réclament des mystiques et du mysticisme de la doctrine protestante de la foi. Cet appel n’est pas sans fondement.

Les mystiques parlent tous d’une connaissance expérimentale de Dieu. Theologia mystica, dit Gerson, est expérimentales cognitio habita de Deo per conjunclionem a/fectus spiritualis. Opéra, s. I.. 1 488, t. iii, De mystica theologia spéculai ira, consid. xxvii, n. ï. verso. Pour faire entendre le mot experimentalis, les mystiques, spécialement saint Bernard, parlent de sens spirituels dans notre âme, analogues à nos sens intérieurs et extérieurs. Sermo de cita et quinque sensibus animse, P. L., t. CLXXXIII, col. 567. « De même que par les sens corporels nous avons l’expérience des objets

sensibles, de même par les sens spirituels nous pouvons avoir l’expérience des choses spirituelles. » Pierre d’Ailly, Spéculum considerationis, part. III, De spirilualibus scnsibus, c. ni. Ces sens, sous une action spéciale du Saint-Esprit, qui n’est ni nécessaire au salut ni donnée à tous les fidèles, goûtent, aiment Dieu, présent dans l'âme ; et, remarque Gerson, comme il n’y a pas d’all’ection sans quelque connaissance expérimentale, on dit quedans cet état l'âme connaît expérimentalement les choses divines. Sur ces points l’accord existe entre les mystiques orthodoxes.

Le débat commence, lorsqu’on se demande : Dans la contemplation affective dont nous parlons, la connaissance intellectuelle précède-t-elle l’amour ou le suit-elle '? Tous conviennent — il s’agit toujours des orthodoxes — qu’ordinairement une connaissance intellectuelle, au moins confuse, de Dieu précède le mouvement affectif d’où résulte la connaissance dite expérimentale, suivant l’adage : nihilvoliiuni nisi prsecognilum. Mais Gerson, quelques franciscains, Alvarez de Paz, Oviedo et quelques autres soutiennent, contre les thomistes, Suarez, Vazquez, Lossada et la plupart des auteurs, qu’il peut y avoir une contemplation affective, surnaturelle et en somme miraculeuse, sans connaissance réfléchie ou même directe, antécédente ou concomitante. Dans ce cas, la connaissance est donc subséquente à l'état all’ectif.

Gerson lui-même a fort bien vu les dangers de l’opinion qu’il soulient et en particulier celui de l’agnosticisme : nec i <lalis cognitio fit per solam abnegationem, car la voie de négation doit inclure celle d’excellence et de causalité ; propterea damnât us est arliculus parisiensis dicens quod m.u cognoscimus de Dec hacin vita nisi quod non est. Alphabetum i.xxxvi, o, et passim ; De elucidatione scholaslica mysticee théologies, consid. xi. Cf. de Munnynck, Prxlecliones de foi existentia, Louvain, 1904, p. 25-31. Cette erreur et d’autres écartées, il reste que quelques mystiques orthodoxes ont admis la possibilité et même le l’ail, non pas seulement d’une aperception, nouvelle au moins quant à ses modalités, par voie de réllexion, de souvenir le raisonnement, à la suite d’un état affectif — ce que tout le monde accorde — mais bien d’une fonction de représentation issue d’une fonction du vouloir. l’riminn tangitur supremus apex affectus, ndum quem movetur Deuni, el ex ixio eontactu relinquitur in mente verissima cognitio intellectus ; namgue illudsolum quod sentit, de divinis verUtime apprehendil intellectus. Pseudo-Bonaventure, Opéra, édit. Vaticane, q. unie, t. vii, p. 729, Vue Sion lugent, à la fin des solutions.

Si l’on définit la connaissance fidéiste, subjectiviste .i ri lativiste, celle qui : I. consiste en un sentiment meun jugement préalable, nulle prævertente menculiarem quemdam commovet sensuni, ilii l’encycliqui Pascendi, HU tamen agnosticismus ; J. qui tire -"ii origine du sujet, sans que l’objet lui oit intellectuellement représenté avant qu’il réagisse sentimentalement ; 3. qui n’exprime son objet qu’en fonction de l’opération par lequel elle le constitue

eu t objet, la connaissance expérimentale de Dieu

équente, dont Gerson admet la possibiliti

unie ni lld u^si.

h. parlant d’elle, ne trouve aucun argument de ii pour montrer qu’elle n « il pat purement i de la difficulté en recourant à I

il d’autorité, condt mnatui > il artit

, ir. ii ni a propot que li - Pères et les tl - n’admet) trois voiei

h n' dans l’hypothèse qu’il soutient on i wlement, Pe fait, dans cette b] po

'in, i t., —, iaion en he, ,

telque lie celle

de l’inclusion des choses dans les monades, on ne voie pas comment on pourrait parvenir à dépasser le stade où Dieu est désigné uniquement par des dénominations extrinsèques, et à porter des jugements déterminés sur la nature intrinsèque de Dieu.

Voir Gerson, Opcra. 1488, outre les passages cités dans le texte, Magnificat, tr. V, alphabetum i.xxxiv, n. I, o ; alphabetum i.xvi, consid. xil ; tr. VII, alphabetum i.xxxvi, j ; Alvarez de l’az, De inquisitione pacis. l. IV, part. III, c. viii, Opéra. Paris, 1876, t. vi, p. 299 sq. ; Oviedo, Integer cursus philosophicus, t. II, De anima, cont. viii, p. nr. En sens contraire, Suarez, De religioue. tr. IV, de oratione, l. II, c. xiii, Opéra, édit. Vives, t. xiv, p. 176 ; Disput. metaphys., disp. XXI II, sect. vii ; Vasquez, In Sum. theol., " II", q. IX, a. 1, disp. XXXV ; Lossada, Cursus philosophicus. Animastica, disp. VII. c. IV, n. 74, Barcelone, 1883, t. IX, p. 127 ; Gravina, Lapis lydius, l. II, e. xiir, Naples, 1638, p. 150.

C’est sur le modèle de la connaissance subséquente des mystiques que Luther calqua sa théorie de la foi fiduciale qu’il appelle expressément agnitio experimentalis. Cf. Calvin, Institution chrétienne, l. III, c. ii, 14, Genève, 1562, p. 335. On sait que les anciens protestants distinguaient la foi des histoires ou des dogmes et la foi justifiante. Cf. Harent, Expérience et foi, dans les Éludes, 20 octobre 1907 et avril 19(18. La foi justifiante considérée précisément, c’est-à-dire comme distincte de la foi des dogmes, dont Luther ne l’avait pas complètement purgée comme font les protestants libéraux, est une expérience intérieure. L'Évangile proposait la promesse générale de la rémission des péchés ; comment passer à la certitude de la justification personnelle 1 ? Par le sentiment, répondit Luther, par l’expérience intérieure. Tamisée par le sentiment, la promesse générale se réalisait en certitude du salut personnel. Cette certitude, on le voit, est nettement fidéiste, puisqu’elle ne se légitime pas par un motif qui puisse intellectuellement se formuler par un jugement qui la précède, niais seulement par le goût intérieur, par la certitude immédiate du contact ou de l’action divine, parle témoignage de l’Esprit, etc. Voir Crédibilité, t. tu, col. 2299, et Foi. Les théologiens protestants ont fait subir à la doctrine primitive bien des retouches. Mais, pour tous ceux qui ne sont pis de purs rationalistes, comme Wegscheider, la foi justifiante est restée fidéiste. On y croit, comme les mystiques de Gerson aiment, sans raisons intellectuelles. La foi fiduciale est de même subjectiviste. En effet, l’objet précis de cette foi se réduit au contenu des états i iprésentatifs issus de l’expérience. Les protestants ne s’accordent pas sur cet objet ni sur la genèse de ces états : les opinions vont de l’orthodoxie à l’Inconnaissable, du mysticisme le plus outré au voisinage du rationalisme. Mais tons s’accordent à dire que l’objet de cette foi est déterminé par l’expérience intérieure et qu’il se réduit à ce qui est expérimenté, senti, goùlé. Seule la connaissance expérimentale il' 1 cel objel est pour eux un véritable connaissance religieuse, de même que l'état de celui qui est justifié par la foi. est ni i religieux ». Cel exclusivisme suit, soit de la thèse fondamentale de l’impuissance de la raison naturelle de l’homme déchu en matière religieuse ; soit qu’avant la foi et même avec la loi. tout ce qui n’est pas la foi est péché, suivant le sen-. donné par le libre examen an texte de saint l’aul. Onuic iiiilem

quod mm est ex flde, peccatum est, Rom., xiv, 23 ; soit enfin « le ce qu’il n’j a de vraie connaissance religieuse

Celle qui lerl BU MIuI et qui' sans la fol on ne

saurait plaire., lion. 1 n pa B( 1 de Kanl indique bien leur pensée. Parlant « le la croyance en Dieu. Kant

o ! pal que DOUS disions : « Il Bel moralement certain que Dieu existe, I liens seul, ne ni !

moralement certain, i lanl M se défie de la certitude

rationnelle, il tanl il donne de prix.1 la 1 onnai

qui naît de la certitude qu’il appelle morale et définit :

celle qui s’appuie sur des causes subjectives. Critique de la raison pure, Méthodologie transcendantale, c.w, sect. iii, trad. Born, t. i, p. 569. Tel est le sens pour eux de ces expressions : la religion est une vie ; une impression précède les formules religieuses qui en fournissent une expression extérieure et formelle ; Dieu est le résumé de nos expériences religieuses, etc. Si on veut les entendre dans le sens où ils les emploient — et qui est tout différent de celui qu’elles pourraient avoir sur des lèvres catholiques — il faut se souvenir que, de même que la connaissance subséquente à l’amour des mystiques, la foi justifiante est une connaissance qui, par déiinition, manque de fondement rationnel, objectivement adéquat soit à la représenlation produite, soit à l’adhésion donnée ; dont l’objet, comme tel, ne vient pas du dehors (extrinsécisme), mais est constitué exclusivement par l’action ou parla réaction du sujet ; et où la vérité objective et la certitude subjective ne se résolvent en aucun cas, soit à des raisons logiques, soit à l’autorité du témoignage divin garantissant la vérité de la pensée divine contenue dans la révélation générale.

Fidéiste et subjectiviste, la foi fiduciale est nécessairement relativiste. Car, puisque seule elle constitue l’objet religieux comme objet, elle l’exprime nécessairement en fonction de l’opération par laquelle elle le saisit et s’en tient pour assurée. La conséquence est nécessaire, puisque, d’une part, la foi justifiante comme connaissance religieuse valable se distingue adéquatement de la foi des dogmes ou des histoires ; puisque, d’autre part, l'éclosion dans l'âme de cette foi est indépendante de tout motif rationnel adéquat et reste un fait impénétrable à l’analyse. La « bonne nouvelle » à laquelle doit répondre le « oui » de l'âme, pour être justifiée, se réduit, on le sait, à peu de chose pour la plupart des protestants. Or, quanu on examine de près, dans les meetings de la rue, au temple, dans la conscience ouverte des néophytes aussi bien que dans les livres, cet acte de foi, on observe que rien n’y est affirmé de Dieu objectivement. L’idée de Dieu n’y intervient qu’indirectement, soit comme cause, soit comme terme d’un état actuel ou futur de la conscience subjective du croyant : on croit non quee vera, mais seulement quee promissa sunt. Ce fut la raison pour laquelle le concile de Trente, que le concile du Vatican n’a fait que développer sur ce point, inséra ces mots : credenles vera esse quai divinilus revelalct. Denzinger, n. 680. Les anciens protestants disaient que dans la foi fiduciale tout se passe comme dans la foi des miracles. Or le thaumaturge qui affirme avec certitude que dans un quart d’heure il opérera un prodige, n'énonce directement et explicitement rien de la toute-puissance divine ; ce qu’il affirme objectivement, c’est l'œuvre merveilleuse. De même, la foi fiduciale qui se tient pour assurée de la rémission actuelle des péchés ou de la réalité future et définitive du salut, n’affirme directement rien de la bienveillance divine considérée en elle-même. Dans la foi des miracles et dans la foi justifiante, l’idée de Dieu et de ses attributs n’est impliquée dans le phénomène subjectif de la certitude que par manière de postulat. Sans doute, il est possible dans certaines conditions de désigner l’objet religieux, Dieu lui-même, à l’aille d'étals subjectifs. Cf. Dictionnaire apologétique, Paris, 1909, t. i, col. 13 sq. Mais, enfermé dans le subjectivisme, si l’on ne se donne pas par ailleurs l’idée de l’Infini — et comment se la donner si, faisant abstraction de la révélation extérieure et tenant pour nulles les connaissances rationnelles, on ne tient pour vrai en matière religieuse que ce qui est vécu, donné par l’expérience intérieure — on n’arrivera jamais par des formules construites rigoureusement avec des états subjectifs

à exprimer rien d’intrinsèque a la nature divine.

2 » lié percussion de la doctrine de la foi justifiante sur la doctrine de la connaissance naturelle de Dieu. — .Nous avons vu que la doctrine luthérienne des suites du péché originel, le nominalisme de la dogmatique protestante poussaient la Réforme a se délier des moyens rationnels de connaître Dieu. La théorie de la foi justifiante, commune à tous les protestants, mais développée surtout chez les sectes mystiques et piétistes. a puissamment contribué à les confirmer dans cette défiance. On se souvient que le pseudo-mysticNne de Molinos l’amena à nier la valeur de la connaissance intellectuelle de Dieu, et que Boehme réduit a rien notre connaissance de Dieu considéré en lui-même et indépendamment des créatures. Il s’est passé quelque chose de semblable dans le monde protestant, par suite du rôle prépondérant, exclusif, attribut' à la foi justifiante dans la constitution de nos idées véritablement religieuses, et par suite du relativisme du mode de représentation de l’objet religieux impliqué dans ce prétendu acte de foi. Cf. Le Bachelet, art. Apologétique, dans le Dictionnaire apologétique, Paris, 1909, t. i. col. 207. C’est sur le modèle des diverses théories pseudomystiques de la foi fiduciale qu’ont été construits, depuis la fin du wiiie siècle, tous les systèmes protestants — doctrines de la foi et philosophies de la religion — qui, prenant pour base la distinction du connaître et du croire, ont nié que nous connaissions Dieu rationnellement et pourtant gardé la croyance en Dieu. A défaut d’une histoire, qui ne saurait trouver place ici, voici quelques faits, qui serviront d’indications.

1. Le flottement doctrinal du protestantisme permettait de ramener toute la religion â l’idée de Dieu ; en d’autres termes, les « essences du christianisme », puis « l’unité des religions sous la diversité des théologii étaient dans la logique et partant dans la psychologie du système des articles fondamentaux. Le protestantisme manque de règle de foi objective ; car ni la Bible, ni les formulaires ecclésiastiques, livrés aussi bien que les décisions du prince, à l’interprétation privée, ne sont des règles de foi extérieures. Intérieurement, chacun réduit le dogme à ce qu’il expérimente. De là, l’indifférentisme, le rationalisme, puis le latitudinarisme. Cf. Herzog. Realencijclopiidie, 3e édit., v » Adiaphora : Wetzer el Welte, Kirchenlexikon, 2e édit.. v° Adiaphora.

2. Même pour les protestants qui admettent encore la révélation positive, il est à remarquer que dans la foi fiduciale l’autorité du témoignage divin n’est pas le motif de l’assentiment et la base de la certitude. Denzinger, n. 1638. Car l’objet de cette foi renferme toujours quelque chose de personnel, qui n’a pas été révélé, qui n’est pas contenu dans la révélation extérieure. Etant donné que dans le système est valablement religieux seulement ce qui est donné par et dans l’expérience intérieure, on crut depuis Lessing pouvoir se passer de la révélation proprement dite, tout en restant protestant, le protestantisme étant réduit à l’idée de Dieu et à la connaissance par h' sentiment moral et religieux. On en est venu à confondre tellement la foi et la connaissance naturelle de Dieu que certains protestants, conscients de la dureté de la prédestination luthérienne et calviniste, admettent la justification des païens par la première idée de Dieu. Cf. Hastings, Dietionary of the Bible, Edimbourg, 1899, t. ii, art. Justification, p. 828 ; Denzinger, n. L040.

3. La théorie de la foi justifiante fournissait un cas typique de connaissance religieuse tenue pour valable sans connaissance intellectuelle antécédente, de croyance « sans raisons intellectuelles ». comme dit M. Payot. Voir Croyance. Pour accorder le dogme luthérien de l’impuissance de la raison en matière morale et religieuse et le privilège de vérité que Ion attribuait à l’expérience religieuse, on imagina d’abord que, s’il y a des preuves rationnelles de l’existence de Dieu, elles ne sont point suffisantes. « Ce sont les preuves de sentiment » qui donnent la vraie persuasion ; « ce sont elles qui font le véritable fidèle, » disait déjà un des traducteurs de la Vraie religion de Grotius, Amsterdam, 1728, p. xv. Et l’on retrouve cette même théorie fort nettement exposée dans Hastings, Encyclopædia of religion and ethics, Édimbourg, 1908, t. I, art. Apologetics, p. 612, 622. L’auteur de l’article, M. Crafer, professeur à Cambridge, ne veut pas être agnostique et il admet les preuves de l’existence de Dieu ; « mais aucune d’elles ne va jusqu’à être une preuve positive. » L’expérience personnelle du chrétien peut seule être la preuve finale. « La preuve rationnelle s’achève dans la région de l’Esprit (Spirit) par la faculté spirituelle de la foi. » Pour la raison, le mot « infini » est purement négatif ; mais, pour la foi, il est entièrement réel et positif. La foi est un moyen ou organe de connaissance « distinct de nos autres moyens de connaissance, en sorte qu’elle doit être ajoutée à nos sens et à notre raison pour compléter notre être cognoscitif. » Car « l’essentiel de la vraie religion est l’exercice de la foi (faith) ; » or Dieu fait appel non à la raison, mais au cœur. M. Crafer voit bien que ce fidéisme choquera ; il répond que « la raison ne doit pas se moquer de la faculté spirituelle de la foi, mais doit l’accepter comme supérieure à elle. » Denzinger, n. 1639, 1643.

On est allé bien plus loin. Jacobi recommanda le salta mortale du fidéisme aveugle. Kant écrivit la Critique de la raison pure pour ruiner les preuves rationnelles de l’existence de Dieu. Le premier en appelait directement à l’expérience religieuse, à celle-là même que l’ensemble des protestants admet dans la justification. Le second déguisa savamment sa pensée, qui pourtant n’échappa pas à ses contemporains, qui parlèrent de son mysticisme et dirent tout haut que le système n’était autre que la doctrine piétiste « de la foi qui opère par la charité. » C’est bien en effet ce que veut dire Kant, lorsqu’il fait reposer la croyance sur des causes subjectives, c’est-à-dire sur des raisons morales. Son habileté fut de profiter du fait que le sentiment de l’obligation morale n’est jamais absent de la conscience et qu’il est lié à l’idée de Dieu. Sænger, Kants Lehre vom Glauben, 1903. Cependant la doctrine de Kant parut trop rationaliste à Schleiermacher ; qui s’appliqua à rendre au sentiment, à l’expérience religieuse proprement dite, son importance. Pas de connaissance religieuse sans l’expérience de la foi : rien de plus conforme au luthéranisme primitif. Ce qui explique l’énorme influence de Schleiermacher dans les milieux protestants, c’est qu’en se réfugiant dans l’expérience intérieure on croyait trouver contre l’athéisme un asile imprenable, une forteresse inattaquable : c’est aussi qu’on se débarrassait par ce moyen du poids mort des dogmes, qu’avaient retenus les premiers protestants, tout en n’ayant pas l’air de tomber dans le pur rationalisme d’un Wegscheider. Cf. T. Parker. Discourse of matters pertaining to religion, 1846 ; Morell, Philosophy of religion, 1849 ; Ferrier, Institutes of metaphysic, Édimbourg, 1854. Le pasteur Coquerel écrivit Le christianisme expérimental, Paris, 1847, « pour les esprits doués d’un juste instinct religieux, » dans le but « de remplacer la foi objective puisée dans les dehors de la vérité par une foi subjective puisée dans l’homme en lui-même, p. xiii. Pour cette foi subjective, disait Coquerel, « se confier en Dieu, c’est se confier en soi-même. Par exemple, se confier en Dieu comme un être aimant et bon, c’est se confier en l’idée que nous nous faisons de son amour et de sa bonté » p. 23 Cf. Newman, encore protestant, Discours sur le développement, 1843 ; trad. Saleilles, La foi et la raison, Paris, 1905, passim et p. 235, n. 28 ; p. 257, n. 41.

4. Nous avons dit que le nominalisme rigoureux, s’il garde la croyance en Dieu, ne peut le désigner que par de pures périphrases, par des dénominations extrinsèques, sans arriver à porter sur Dieu en soi des jugements valables. Nous avons dit aussi que l’objet religieux, dans l’expérience intérieure sans connaissance antécédente de la foi fiduciale, est nécessairement désigné de la même manière. Dès qu’on eut réduit l’objet de la foi à la croyance en Dieu par l’expérience religieuse, il était donc naturel de ramener notre connaissance de Dieu à ce qu’elle est dans l’hypothèse nominaliste, et de nier la portée ontologique de nos jugements sur la nature divine. Kant le fit, on le sait. Schleiermacher, bien que fort peu dogmatique, ne déduisit pas lui-même nettement cette conclusion agnostique, du moins en ce qui regarde Dieu en soi. Mais il se rencontra bientôt des esprits qui tentèrent l’aventure. Cela se fit, soit par réaction contre les prétentions outrées de l’intellectualisme de Cousin et de la philosophie spéculative de Hegel, et tel est le cas de sir Hamilton, Discussions on philosophy and literature, 1852 ; Lectures on metaphysics and logic, édit. Mansel et Veitch, Edimbourg, 1866, et aussi de Mansel, The limits of religions Thought, 1859 ; soit dans un esprit plus rationaliste, et tel est le cas de Parker et de Coquerel qui, dès ces temps lointains, parlent, l’un, de la « vérité mobile » et de « l’unité des religions, sous la diversité des théologies, » Denzinger, 10e édit., n. 2058, 2082, parce que l’expérience religieuse « ne nous renseigne pas plus sur son objet que ne le font nos sens sur la nature intime des choses, » Parker, op. cit., p. 14 sq. ; l’autre, du principe « que la nature de Dieu n’est connue que de lui, que Dieu n’est pas matière à raisonnement. » Coquerel, op. cit., passim. Le moyen terme employé fut simplement l’adjonction de l’hypothèse nominaliste à l’interprétation de l’expérience religieuse sentimentale. On sait que le c. v, Réconciliation, des Premiers principes de Spencer est le résultat de cette manœuvre. L’agnosticisme empiriste a été l’issue de ces spéculations.

En Allemagne, on est arrivé au même résultat de l’agnosticisme, mais idéaliste, avec Albert Ritschl. Celui-ci, pour bien marquer les origines protestantes de son système, l’a exposé dans un livre qui a pour titre, Die christliche Lehre der Rechtfertigung und Versöhnung, édition modifiée de 1888. Il faut analyser cette doctrine, parce que c’est de Ritschl que dépendent Harnack, Sabatier, etc., et par suite ceux des modernistes qui ne sont pas simplement spencériens ou positivistes. La théorie de la connaissance religieuse de Ritschl est fondée sur la théorie kantienne de la connaissance, bornée au seul phénomène, bien que Ritschl accepte la formule de Lotze : « Nous connaissons les choses dans les phénomènes. » Car il semble bien, malgré des flottements, que « les choses » sont pour lui un produit de notre activité mentale, une image, résidu de plusieurs perceptions sensibles ; et sur ce point, le système confine à l’idéalisme phénoméniste. Quoi qu’il en soit, Ritschl distingue expressément une connaissance religieuse et une connaissance théorique, — fonctions distinctes, qui, même appliquées au même objet, ne coïncident sur aucun point, mais divergent entièrement. » L’esprit peut, en effet, se référer de deux façons à ses perceptions : ou, les regardant comme des données objectives, il cherche à les organiser en un système cohérent de la nature, au moyen du lien causal, et porte à leur sujet des jugements théoriques, scientifiques, d’existence ; ou il les considère comme agissant sur le sujet sensible et porte à leur sujet des jugements de valeur (Werturteile), caractérisés par ce fait qu’ils font abstraction de la nature objective et des relations des choses entre elles, et apprécient seulement leur aptitude à satisfaire les besoins (esthétiques,

moraux, religieux) du sujet. Ainsi est établie la distinction entre la connaissance religieuse, exclusivement relative au sujet, intéressée, s’exprimant par des < jugements de valeur indépendants » — et la connaissance théorique. Par exemple, l’homme religieux n’a pas à se prononcer sur ce jugement : Jésus est-il Dieu ? — mais sur celui-ci : Jésus a-t-il pour moi, pour ma vie religieuse et morale, la valeur d’un Dieu'.' Et le second, pour Ritschl, ni n’implique le premier, ni n’en dépend. La théorie, de la religion est faite pour s’accorder avec celle théorie de la connaissance religieuse. La religion n’a pas pour objet les rapports de Dieu avec l’homme ou l’union de l'âme avec Dieu. Son but est de donner une solution au problème que voici : l’homme, jugeant qu’il est un être spirituel et personnel, voit qu’il est né pour dominer le monde ; d’autre part, il se sent dépendant du monde, opprimé par lui. Il trouve une solution de ce problème pratique dans l’idée d’un pouvoir supérieur au monde, qui le gouverne pour les fins de la vie spirituelle. Cette idée de Dieu n’est ni une intuition, ni une inférence rationnelle, mais un postulat de l’homme qui en a besoin pour exercer sa maîtrise personnelle et spirituelle sur le monde. Ce postulat s’exprime sous une forme symbolique, par exemple, Dieu est amour. Par là, on voit ce que signifie la célèbre phrase de Ritschl : « Dieu n’est qu’un simple nom qu’emploie le chrétien pour résumer ses impressions religieuses. » Mais toute intrusion du jugement théorique en matière religieuse est nulle et sans valeur : exemples, dogmes de la Trinité, des deux natures dans le Christ. Tout ce que nous pouvons dire est que Jésus est Dieu pour nous, a pour nous une valeur divine, parce qu’il nous révèle Dieu, c’est-à-dire parce qu’il nous manifeste une maîtrise complète sur le monde matériel (rédemption, justification, vie éternelle), un dévouement absolu au royaume de Dieu (communauté de personnes agissant d’après les lois de la vertu). Donc notre religion, notre christianisme, conclut Ritschl, sont indépendants de ce que nous pensons comme philosophes, de ce que nous tenons comme historiens.

Sous la phraséologie moderne de Ritschl, on reconnaît la vieille doctrine de la foi fiduciale, où tout en matière religieuse dépend de l’impression du sujet, où l’objet religieux se définit en fonction des besoins, des états, des émotions du sujet, sans qu’aucune donnée intellectuelle intervienne. Le système a été développé et appliqué à la connaissance de Dieu. On croit à l’existence de Dieu « sans raisons intellectuelles » ; ou bien, si l’on garde encore ces raisons, on déclare, comme Molinos, sans valeur la conclusion à laquelle on aboutit par le discours, sauf à déguiser le procédé par un appel à Kant ou à la philosophie positiviste. A la réllexion cependant, on concède, ou bien avec Kant que l’on croit à cause de nos besoins moraux, ou bien avec Rainquc la croyance est un « développement de la volonté à la poursuite de fins immédiates » et qu’elle « dépend de nos tendances actives et émotionnelles. » Mental science, l. IV, c. viii, l re et 3e édit. Toutes explications, d’apparence scientifique, que donnait déjà d’un mot le traducteur ancien de Grotius, quand il affirmait que la preuve qui fait le vrai fidèle est la preuve de sentiment « par les besoins de la conscience ». D’ailleurs, que pour éviter en apparence le pur sentiment, on ait recours à l’intuition immédiate, sans preuves, avecM. Monod, art. Foi, dans Lichtenherger, Encyclopédie des sciences religieuses, Paris, 1878, t. v, p. 1 ; qu’on fasse appel à une vue mystique et suprarationnelle, avec Rradley, Appearance and reality, 2e édit., 1902 ; au subconscient, avec William James ; à l’action de l’Esprit, avec Heard, The triparlite nature of man, 5e édit., Edimbourg, 1882 ; à un fait de conscience « impénétrable à l’analyse », avec Sabatier, Esquisse d’une phi loeophie religieuse, etc., Paris, 1898, p. in : c’est toujours à l’expérience intérieure, à l’exclusion de toute connaissance rationnelle, qu’on a recours. Le thème sur lequel on exécute toutes ces variations, n’est autre que la pseudo-mystique de la foi liduciale des premiei protestants.

Inutile d’ajouter que, ne reconnaissant aucune valeur aux preuves, à la connaissance intellectuelle en matière religieuse, on s’abstient, comme Locke ou connue Kant, de tout jugement sur la nature intrinsèque Dieu. Dieu reste aussi inconnu dans le système d Auguste Sabatier que dans celui de Spencer. Dans les deux cas, on le désigne par une dénomination extrinsèque et par de pures métaphores. Les métaphores binent, mais le procédé est identique. (Jue Spencer décrive le travail de la religion : « Construire sans fin des idées qui exigent l’effort le plus énergique de nos facultés, et découvrir perpétuellement que ces idées ne sont que de futiles imaginations et qu’il faut les abandonner, telle est la lâche, qui, plus que toute autre, nous fait comprendre la grandeur de ce que nous nous efforçons en vain de saisir, a Premiers principes, § 31 ; ou que Sabatier nous apprenne que « la définition de l’objet adoré se tire du culte et du bienfait qu’on en attend », Les religions d’autorité et la gion de l’esprit, Paris, 1904, p. 529, 534 ; c’est philosophiquement tout un. Nous n’avons dans les deux cas qu’une connaissance symbolique, et Dieu n’est désigné que par nos états subjectifs.

On pourrait s’imaginer que cet agnosticisme croyant était totalement étranger aux anciens protestants. Les protestants libéraux ici encore ont raison ; ils ont des ancêtres. La multiplicité des sectes, l’ambiguité voulue des formulaires ecclésiastiques, les variations perpétuelles sur les dogmes particuliers, l’unité extérieure sauvegardée, sans unité de pensée, par le soin de vider les formules de tout sens ferme et précis qui s’imposât, firent naître de bonne heure l’idée de la relativité de nos connaissances sur Dieu. On s’attacha surtout à ce qui répondait à un intérêt moral, à ce qui procédait des besoins de l'âme. De tout le reste, on fit des symboles, qui ne sont que des images subjectives, d’une vérité toute relative ; on considéra ces symboles, créés par les besoins de notre esprit et correspondant aux lois psychologiques de notre être spirituel, comme des produits de la réflexion, sans portée objective et métaphysique. Tel est le sens de l’apologétique d’aveugles adoptée par le D' Harris ; pour défendre la religion naturelle, il s’appuie sur ce que nous sommes dans une ignorance complète de la nature de tout ce qui nous entoure : il en est de même pour Dieu. Quoi de surprenant ? Cf. Rurnet, Défense de la religion tant naturelle que révélée (fondation Boylei, La Haye. 17'ii. t. il, p. 34 sq. Vers la même époque, et donc bien avant Mansel, Limits, etc., et M. Tyrrell, Through Scylla and Charybdis, Londres, 1907. c. Révélation, l’archevêque anglican de Dublin, King, Discoursc of predestinalion, 1709, réimprimé par Whately, dans ses Bantplon lectures, Appendix, p. 480. et l'évêque de Cork. Browne, Procédure, e.rtent and limits of human underslanding, 1728, soutinrent, dans des vues iréniques, à propos de la prédestination, que notre connaissance de Dieu est purement analogique au sens nominaliste, en sorte que nous « n’avons aucune conception directe et propre des attributs divins, pas plus que de quelque autre chose de ce monde. » Cf. S. Thomas. Sum. theol., 1 », q. xiii, a. 3. Voir Berkeley, Alciphron, dial. iv. c. xxi, et, en sens contraire, Spinoza. Ethica, pari. I. prop. xvii, scholion ; pari. II. prop. xi. v-xi. vu ; Copieston, Enquiry into the doctrines of necessity andpredestination, 1821 ; Grinfield, Vindiciiv analogies, 182-2 ; Ruchanan, Analogij considered as a guide la truth, 2e édit., 186."). Le rôi Jacques I er, pour écarter tout

blâme de l'Église anglicane, parle de sa « religieuse modération dans la curiosité aux mystères, » et pense résoudre les controverses par une solution agnostique. Cf. Du Perron, Réplique à la réponse du sérénissime roi de la Grande-Bretagne, Paris, 1620, p. 858 sq. Voir ïxrrell, op. cit., p. 95, 99 ; Denzinger, n. 1392, 1644 ; Le Roy, Dogme et critique, Paris, 1907, p. 32. Calvin, malgré son dogmatisme, pour résoudre les difficultés de la prédestination telle qu’il la conçoit, recourt à l'échappatoire de la « docle ignorance » pseudo-mvslique et agnostique de Nicolas de Cusa. Institution chrétienne, l. III, c. xxi, 3 ; c. xxiii, 8. D’ailleurs, d’après Calvin, « l’intelligence de la foi consiste plus en certitude qu’en appréhension. » Lobstein, Élude sur la doctrine chrétienne de Dieu, Lausanne, 1907, p. 115 sq. La position de Luther relativement à l’agnosticisme se manifeste par cette proposition : Istis novissimis trecenlis aunis multa perperam detcrminala sunt, quale est essentiam divinam nec generari nec generare. Pour détendre cet article, condamné par la Sorbonne, Mélanchtlion, après avoir parlé des stidtas et nugatorias quæstiones et de lana caprina logomacltias que, d’après lui, discutent les théologiens, cherche à légitimer l’agnosticisme de Luther par un texte de saint Augustin, souvent cité durant ces dernières années : Augustinus percutit vestram audaciam. Vis scire, inquit, naturam Dei'? Hoc scito, quod nescias. Confutatio, p. 71. Sans doute, ni Luther ni Mélanchtlion n’auraient admis, avec M. Simrnel, « que toutes les religions se valent théoriquement, puisque le contenu d’aucune n’est logiquement déterminable. » Simrnel, De la religion au point, de vue de la théorie de la connaissance, dans Bibliothèque du congres international de philosophie de 1900, Paris, t. il, p. 319. Mais s’ils auraient reculé devant les conclusions. M. Harnack n’a pas complètement tort de penser qu’ils posaient les prémisses.

Critique. — 1° Il ne manque pas de protestants qui voient clairement que « c’est abuser du langage de remplir ses pages des mots foi, vie spirituelle, quand on croitàl’Kcritnre comme on croit à Homère et à Platon. » MacCosh, The methodofthe divine government, 'redit., Edimbourg, 1855, p. 507. Il en est d’autres qui continuent rationaliste Wegscheider, que a la raison guider et juger le sentiment. < Institutiones theo 1844, p. 5 :  : . D’autres pensent avec saint Paul. I Église et ie concile du Vatican, Denzinger, n. 1643, Hi.". : i, 1658, qu’il est deux ordres de vérités moral*

ii uses, celui que la raison peut atteindre naturelle ni et celui don) la connaissance suppose la révélation, et ils regrettent que cette distinction soit méconnue par tanl d< réformés..Vaille. Les philosophie* négatives, Paris, > 13 il ». Il ne leur échappe pas que

n fait, (le la f, , i. indi ml confondue avec la con naissance nalun Ile de Dieu, un « pur sentiment, qui m

pas plus sur le caractère intime di objet que ne i, , nt les sens, imites les relij aient.

Buchanan, Faith ii, God, Edimbourg, 1855, t. il, p. 219. Enfin beaucoup combattent l’agnosticisme en généralel "1er" du pragmatisme. Oui ou non, saque Dieu i ! rémunérateur ' Si l’on admel alité objective du jugement et du juge, il m a plus

i un quid divin, il ya connaissance, affirmation s, , , nalité de Dieu Si l’on n’admel pa

ni le texte de saint Paul, Heb., si Seing and allributei o/ God, I ondre. 1886, P 106 Le i" li

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religieuses et toute une épistémologie. Mais c’est prendre pour accordée une hypothèse psychologique et oublier de prendre pourpoint de départ un fait constaté. Ensuite, chez les mystiques orthodoxes qui la soutiennent, cette hypothèse est réservée à certains cas d'états mystiques ; aucun auteur orthodoxe ne confond, avec ces états, la foi surnaturelle proprement dite, et encore moins la simple connaissance naturelle de Dieu par la raison. D’ailleurs, cette hypothèse est contre l’adage : lgnoli nulla cupido, et contre le mot de saint Augustin : Invisa diligere possumus, incognila non valemus. Mot et adage qui expriment un fait d’expérience, parfaitement indépendant de l’opinion qu’on se fait sur la question de la distinction réelle des facultés Peut-on raisonnablement fonder toute la religion sur une hypothèse aussi branlante que celle de Gerson ? Est-ce là procéder scientifiquement ? Enfin, quand l’hypothèse de Gerson serait confirmée par les faits et, par suite, pourrait servir au théologien dans la théorie de l’inspiration ou de la révélation immédiate, c’est un saut de génère ad genus de transporter à notre foi qui est j médiate et non œuvre d’amour mystique, ce que Ger ! son et ses adhérents disent d’un certain état de l’amour | mystique..4 fortiori, ce saut est-il, comme celui de Jacobi, mortel, si on passe de l’amour mystique dont parle Gerson à la simple croyance à l’existence de Dieu.

Il serait illusoire d’essayer ici une bibliographie. Nous nous bornons de parti pris aux indications suivantes, où l’on trouvera les renseignements qu’il nous est impossible de donner. Beimannus, HistoriaUmversalisatheismietatheorum…apudJudwos christianos, muhamedanos.ordinechronologico descripta et à suis initiis usque ad nostra tempora deducta, Hildesheim 1725 ; Jean François Buddeus, Traité de l’athéisme et de la superstition avec des remarques historiques et philosophiques, trad. L. Philon, Amsterdam, 1740 ; J. Brucker, Historia critica philosophise… ad nostram usque tetatem deducta 2- édit., 6 vol., Leipzig, 1767. Ces trois ouvrages de main protestante donneront l’histoire et la bibliographie de toutes les anciennes controverses sur notre sujet. Pour la (in du xviii siècle et le début du xix-, le même service sera rendu, à un point de vue plus rationaliste que protestant, par G. Bretschneider, Systematische Entwickelung aller in der Dogmatik vorkommenden Begriffe, nach den symbolischen Schriften der evangeliscl.. lutherischen und reformirten Kirche, etc., 4- édit., Lei 1841 (ouvrage publié en 1803, mais tenu à jour) ; Wegscheider.' Institutions theologise christianm iogmaticæ, 8- édit., Leipzig, 1844. Depuis cette époque à nos jours, cette littérature pi ciale esi touffue plus que jamais. On trouvera des références suffisantes, pour l’Angleterre, dans le rationaliste (sens 8 actuel), Benn, The Mstory o) english rationalistn in the xix iry, 2 vol.. Londres, 1906 ; peur l’Allemagne, dans Uh ! mann (catholique), Die Peradnlichkeii Goltes und ihre modernen Gegner, 1906. D’une manière générale, la bibliographie abondante de Sabatier, Esquisse d’une philosophie de la reliV après la psychologie et l’histoire. Parle, 1896 ; celle de Morris Jastrov, The study of religion, Londres, 191 I

in, Études sur la doctrine chrétienne île Dieu, I ausanne, 1907, Indiqueront letravaux récentsà i… ii humaine m noug

de donner indirectement l’ind „, , ,

avoir lu qu’Une mince partie, en cherchant a choisir, P trôler les vues que nos études nouBavalent i avant de publie, . n té nos conclus ! '.

ouvrages elles dans le suivants, qui m

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Parla, 1898 ; ] inglelcrre au wnr slàt I

1888 : D( me moral dont SptMi, /), , , Boutroux, Éludes d’histoire de la phii phie, P tines de iii,

aine, Lonvaln, 186 sophy of Immanuel Kant, 2 vol., 161, , /, , , .

pratique de Kant, Pari, I » Léon I a) hil tophie

i B.In philosopha

Parla, 1894 ; Maillet /, , , f /„

1 ' ' ' I 1 1 : I h la

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Essence du christianisa, „„_' nés Duns Scotus, Leipzig, 1000 ; Pfleiderer, Geschichte der Religionsphilosophie, 3e édit., 1893 ; Balllie, Theorigin and ftcance of Hegel’s logic, 19CM : J. Caird, A « introduction to tl »’philosophy ofreligion, 1880 ; .i— Orr, llw Ritsehlian theology and the evangelical faith, 1897 ; Kattenbusch, VunSchleiermacher zu Ritachl, 2* « jdit., 1893 ; Ecke, Die theologische Schule .. RitschV », 1897 : Rébelliau, Boasuet historien du protestantisme, Paris, 1892.


VII. Le jansénisme.

Baius et après lui Jansénius acceptèrent en partie les doctrines de Luther et de Calvin sur les suites de la chute originelle, et cherchèrent à les accréditer sous le grand nom de saint Augustin. Pour Baius, comme pour Calvin, dans L’état de nature déchue, les forces de la raison en ce qui concerne les vérités morales sont entièrement éteintes. Baius traite de pélagiens ceux qui « entendent des nations qui n’ont point la gr ;’ice de la foi » le texte de saint Paul : Godes, (/use legeûi non habent. Boin., ii, 14. Denzinger, n. 902. Voir Baius, t. ii, col. 70-71.

Jansénius.

L’Augustinus, Rouen, 1 6 43, reprit les vues de Baius. Au premier abord, il semble que Jansénius se sépare de Baius ; car il concède que les philosophes platoniciens ont pu connaître Dieu par les créatures, que tel est bien le sens de Rom., i, 20, et l’opinion définitive de saint Augustin. De statu naturse purse, l. I, c. xiii, p. 304. Il dit même expressément qu’ils l’ont connu, naturali rationis lumine, nulla revelatione, par le principe naturel de l’obligation absolue où nous sommes d’aimer Dieu par-dessus toutes choses. lbid., c. xv, p. 307.

Mais : 1. cette connaissance était de nulle valeur au point de vue moral et religieux sans la grâce. Jansénius Fait ici l’équivoque, déjà signalée chez les protestants, qui confond l’utile au salut éternel, le méritoire du salut éternel, avec l’honnête. Comme il n’admet pas que l’homme déchu puisse rien faire de naturellement honnête sans la grâce, comme d’ailleurs il est vrai que sans la grâce, dans l’état où de fait nous sommes, nous n’atteindrons pas la vie éternelle, il conclut que les païens ne pouvaient avoir aucune connaissance de Dieu valable moralement sans la grâce : comme si « moralement honnête » et « méritoire de la vie éternelle » étaient équivalents. Le vice du système est facile à découvrir. Jansénius concède que les païens ont eu une connaissance naturelle de Dieu spéculativement valable, mais non une connaissance pratique, une connaissance avec laquelle ils aient eu le pouvoir de commencer leur vie morale et religieuse. A l’objection que saint Paul, Rom., i, 20, déclare les païens inexcusables de n’avoir pas honoré Dieu qu’ils connaissaient, et que par conséquent ces païens n’avaient pas une connaissance simplement spéculative de Dieu, mais une connaissance moralement utile, les jansénistes répondaient par la plus immorale des doctrines : Deus impossibilia jubet. C’est ce que veut dire Jansénius quand, pour expliquer comment la connaissance de Dieu qu’il concède aux païens n’était que spéculative, il leur octroie pour honorer Dieu « l’impuissance morale » où nous sommes d’observer toute la loi : or, on sait que d’après Jansénius cette impuissance morales— ramenait à une véritable impuissance physique, lbid., c. xiv, p. 306. 2. Cette connaissance purement spéculative de Dieu, que Jansénius concède à quelques païens manquait d’ailleurs de certitude, sans la grâce. Jansénius veut prouver que 1’ « état de nature pure » est impossible. Denzinger, n. 935. Entre autres arguments, il apporte celui-ci : Car le bonheur y serait impossible. Une des conditions du bonheur parfait, en effet, d’après saint Augustin et le sens commun, est qu’il soit assure. Or, dit Jansénius, dans l’état de nature pure, o quand même on accorderait que l’homme pourrait connaître Dieu, auteur des choses naturelles, il ne pourrait pas arriver à la certitude. Car, bien que dans cet état il pourrait connaître les vérités rationnelles tenuiter, il n’aurait pas la certitude de son immortalité personnelle, non tamen quamdiu vel ipsemet qui cognoscit, puisque aucun philosophe n’y est parvenu. » lbid., 1. II. c. vii, p. 337. En d’autres tenues, la philosophie spiritualiste est impossible, sans la grâce. Cf. Denzingi r, n. 1506, la proposition que dut signer lionnetiy.

3. Enfin, cette connaissance spéculative et incertaine de Dieu, que Jansénius concède à quelques païens etqu’il appelle naturelle, en réalité vient de la révélation par la grâce de l’amour. D’après M. Laberthonnière, la foi et l’amour se confondent. « Avoir la foi, la foi vive et complète, c’est posséder liieu..Mais nous ne pouvons posséder Dieu qu’en nous donnant à lui ; et nous ne pouvons nous donner à lui que parce qu’il se dorme à nous. La foi apparaît ainsi comme la rencontre de deux amours. » Essais de philosophie religieuse, 1903, p. 166 ; cf. p. 110. D’ailleurs, le don surnaturel de l’amour précède La foi et même la recherche de Dieu. « Lorsqu’en elle ! on entreprend de chercher Dieu, c’est que déjà d’une certaine façon on l’a trouvé, » p. 145. C’est, à peine démarqué, le fameux « Tu ne me chercherais pas, si lu ne m’avais trouvé. » Mystère de Jésus. Et ailleurs : « La foi, pour se réaliser, suppose la grâce, » p. 165 ; cf. p. 182. t Mais le désir [déposséder Dieu, d’être Dieu] n’est pas naturel, je veux dire que l’homme ne saurait l’avoir par lui-même, car on ne peut pas posséder Dieu malgré lui, comme on possède une chose. Et si l’homme désire posséder Dieu et être Dieu, c’est que déjà Dieu s’est donné à lui. Voilà comment dans la nature même peuvent se trouver et se trouvent des exigences au surnaturel, » p. 171. Ces exigences sont équivoques ; oui ou non, la nature exiget-elle de posséder Dieu’.' Rien n’est plus exige dans un être que ses constitutifs intrinsèques. M. Laberthonnière répond avec une précision qui ne lui est pas coutumière : « Ce qui fait que l’homme est homme, c’est justement qu’il a le pouvoir de mettre Dieu dans sa vie en le prenant pour fin, » p. 78.

Cette psychologie de la foi-amour n’est rien moins qu’originale. Jansénius avait dit au fond la même chose que M. Laberthonnière. Chez Jansénius aussi la manifestation de Dieu se fait par la grâce surnaturelle de l’amour (surnaturelle, au sens janséniste du mot). En effet, dans le passage où il semble accorder que l’homme peut connaître Dieu par les lumières naturelles de sa raison et sans révélation, l’évêque d’Ypresdit bien « que la lumière naturelle de la raison dicte que Dieu seul doit être aimé par-dessus toutes choses ; » que cette vérité appartient « à la loi naturelle, o parce que sans un tel amour de Dieu aucun acte ne peut èlre même ethice bon ; il ajoute même que, bien qu’incapable de remplir un tel précepte, l’homme sans révélation, par la seule lumière naturelle, connaît cette obligation. 9 Mais la connait-il parles seules forces d< sa raison sans la grâce de l’amour ? Non. le don surnaturel de l’amour est supposé. Les platoniciens, dit-il^ ont fait consister la sagesse dans l’amour de Dieu ; mais ces païens eux-mêmes ont attribué cet amour àla grâce. Cet amour doit, d’après eux, être inspiré de Dieu, il doit « être imprimé en nous par lu forme del’élernelle et immuable substance ; « ceux en qui cet amour est ainsi inspiré, ceux-là. et non pas les autres, , connaissent Dieu et leur lin. Liquida sequitur amorent Dei, quo naturalis ratio, site christianorum, sivegentilium, dictai eunt relut bonum naturie lalionalis beatificum esse diligendum… nullo modo posse ei crcalurce viribus naturalibus pro/icisci. lbid., I. I. c. Xlil, p. 305 ; c. xv, p. 307. La volonté qu’avait Jansénius de donner, par des bouts de textes, l’impression que saint Augustin pensait comme lui, explique le dédale de ces raisonnements. Mais, la pensée de Jansénius saisie, la ressemblance de ï’Augustinus et du Dogmatisme moral est ici frappante.

Dans les deux cas, la manifestation de Dieu dans l’homme se fait par l’amour, la foi-amour, don surnaturel. Dans les deux cas, c’est la fin dernière de l’homme qui sert de moyen terme. Dans les deux cas, le don de l’amour est à la fois exigé (naturel) et gratuit (non naturel). Dans les deux cas, l'état d’impuissance de l’homme joue le même rôle. Que les deux auteurs parlent d’un don de l’amour, nécessaire à la manifestation de Dieu, c’est évident. Chez Jansénius, la fin dont il est question est la vision intuitive, par laquelle seule on possède Dieu, on est divinisé : bonum beatificum. Chez M. Laberthonnière, il s’agit de la même fin, car les expressions « posséder Dieu, être Dieu » ne s’emploient pas en dehors de l'élévation à l’ordre surnaturel ; d’ailleurs, l’auteur exprime la nécessité de la grâce, ce qui n’aurait pas de sens s’il parlait d’une autre fin que de la vision face à face. Chez Jansénius, le don de l’amour est surnaturel, au sens janséniste, c’est-à-dire exigé par la nature intègre, gratuit pour la nature déchue. Chez M. Laberthonnière, le même don est m exigé », puisque la fin pour laquelle il est nécessaire est strictement exigée ; on nous dit, en effet, que le pouvoir de prendre Dieu pour fin est ce qui fait que l’homme est l’homme : mais rien n’est plus strictement que ce qui résulte des constitutifs de l’individu ou de l’espèce. Ce don est en même temps « gratuit », puisqu’on nous avertit que « le désir » dont il est question « n’est pas naturel ». Enfin, dans les deux systèmes, l’impuissance de l’homme joue le même rôle : d’après Jansénius, l’amour ne peut pas sortir des forces de l’homme ; d’après M. Laberthonnière, « le désir n’est pas naturel, je veux dire que l’homme ne saurait l’avoir par lui-même. » Il y a bien quelques nuances, qui viennent de ce que Jansénius parle de deux états, celui d’Adam avant le péché, et celui de l’homme déclin, landis que M. Laberthonnière ne parle que d’un seul, le noire. Mais, si l’on va au fond des choses, c’est la même conception du surnaturel exigé dans les deux cas. M. Laberthonnière a ses réponses, nous allons y venir après avoir conclu. Comme le désir de la vision intuitive suppose la révélation, qui, à cause de notre élévation à cette fin, est absolument nécessaire d’après te concile du Vatican, Denzinger, n. 1635, il Bail que Jansénius, eu vertu de sou système dans lequel le-- dons surnaturel- ; d’Adam sont exigés, el M. Laberthonnière. puisqu’il fait profession d’admettre le concile du Vatican, sont d’accord et sur l’origine, par la révélation, de la connaissance de Dieu, ontologiquement et moralement valable, et sur l’impuissance physique de l’homme déchu a parvenir à cette connaissance par les -eules lumières de sa raison naturelle. Cette impuissance est moins masquée dans VAugustinus que (buis le Dogmatisme moral, parce que Jansénius ne donne pas la grâce de la foi-amour a tout le monde el n’a pas de peine à damner ceux qui ne l’ont pas,

M. Laberthonnière, que les athées embarrassent, mel tout le toit sur eux : ils croiraient, s’ils sidonnaient les dispositions morales requises pour croire ; mais la de l’amour est universellement donnée < tous. Cette dernière assertion fournit à M. Laberthonn I Le don de l’amour n’est pas i m pas posséder Dieu malgré bu. I qui bpouvoir, la fin », mais non pas

désir. Réponse. — I. Si la fin est exi|

ent, - Dani cette question, quand on parle. toujoui - d’exi{ eni es hy i hypothèsi > d< i" ndu t d< i" ad de llcation rien.loue ne te i LU est vrai que les tl nple de la cou i i ration, du corn

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ni le concours général ne sont en notre pouvoir. Mais quel est le théologien qui a jamais ditou pensé que si, par exemple, je vis demain, ma vie ne sera pas naturelle, sous le prétexte qu’il n’est pas en mon pouvoir de me la donner par moi-même ? Or, c’est ainsi que parle M. Laberthonnière : « Le désir n’est pas naturel, je veux dire que l’homme ne saurait l’avoir par luimême. » — 2° On nous réplique encore et surtout : Mais il n’est question que du surnaturel exigeant et nullement du surnaturel exigé, comme chez Jansénius ou Baius. — Réponse. — 1. « Ce qui fait que l’homme est homme » est du surnaturel exigeant'.' C’est plus qu'étrange. 2. On conçoit un surnaturel exigeant ex hypothesi elevationis gratuilæ, mais on nous parle d’un surnaturel exigeant ex hypothesi elevationis debitse. Cf. Thamiry, Les deux aspects de l’immanence, Paris, 1908, c. ix, p. 230-294.

Qucsnel.

Les jansénistes développèrent la doctrine de VAugustinus. Charron, après Montaigne, s'était appliqué à montrer que par « les seules forces de la raison », l’homme ne peut pas connaître Dieu, et que, même quand on le connaissait par la foi, on restait dans une « ignorance consciencieuse », à savoir dans l’agnosticisme. Cf. Garasse, Somme théologique, l. II, sect. il, m. L’abbé de Saint-Cyran prit la défense de Charron ; il ('tait d’ailleurs convaincu qu’il y a « quelque danger à prouver par des raisonnements la vérité d’un Dieu. » Les théologiens de la secte s’attachèrent surtout à confondre la foi et la charité. Voir les propositions condamnées de Quesnel, Denzinger, n. 1200, 1267. Cette confusion établie contrairement au concile de Trente, sess. VI, can. 28, Denzinger, n. 720, et à toute expérience psychologique, ils soutinrent : 1. que la foi est la première des grâces que l’homme reçoit et peut recevoir, Denzinger, n. 1242, 1241 ; 2. que la charité seule parle à Dieu et que Dieu n’entend

qu’elle : « Tu ne chercherais pas, si tu ne m’avais

trouvé. » On rencontre, il est vrai, cette formule chez certains mystiques, mais dans un tout autre sens. Nemo i/uwrere valet, dit saint Bernard, nisi (/ni prius invencrit. De diligendo Dca, c. vii, 22, P. L., t. clxxxii, col. 987. Celle phrase décrit ce qui se passe dans l'âme justifiée (lui ne goûte plus les douceurs de l’amour divin et en soutire ; cette angoisse qu’elle ('prouve est encore de l’amour ou vient de l’amour ; l'âme cherche Dieu et court vers lui comme le cerf altéré ers l’eau des fontaines ; si elle cherche, c’est que déjà elle a trouvé. De plus, chez certains mystiques, cette formule s’entend d’une « possession de Dieu par disposition potentielle ; ce qui ne favorise d’aucune façon m le jansénisme ni la philosophie ou la méthode d’immanence. Cf. Rousselot, Pour V histoire du problème de l’amour au moyen âge. Munster, 1908, dans Beitrâge de Bæumker, t. vi, p. 8ô. : î. Quesnel parle d’une certaine connaissance naturelle de Dieu même pour les païens, Rom., i, 19, mais elle est mauvaise el pernicieuse, bien que venant de Dieu, Denzinger, n 1256 ans la lumière de la foi, sans le Christ

el sans la charité, que pouvons-nous être, sinon ténèbres, aberration et péché'.' s Denzinger, n. i i. Dernière conséquence, qui montre bien à quel rela n isme peut conduire une exagération pseudo-mystique en théologie Vec Detu e$t, nei igio, ttoi non < si chantas. Denzinger, n. 1273. Quesnel alléguait en faveur de cette proposition un rersel de -.uni Jean : nui non diligil, "<" }iovit Deum : quoniam / charitat eil. I Joa., iv-, s. Le sens de ce, il le

divan ! Qui nondiligitnon novit D itoporlet

tii talubrller ; ce qui lignifie que personne ne auvé sans la chai ité. Corni 111e de la PI ajoute : Eslo spéculative noicat Deum, praclice ia, i, rn. ni etl experimentaliter, fui, sapide,

i >, , i. ticul melli * el duU

IV. 80 : î

DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE ;

804

nem nenio novit per experientiam et saporem, nui qui illud gustat et sapit. Sicul enim sapor sapiendo, iia amoi' amando practicecognoscitur, gu8latur et sapitur. Quesnel confond donc deux choses : la connaissance qui assure le salut, expérimentale, et la connaissance purement spéculative, de pure foi ; et il donne tellement d’importance à la première qu’il conclut à la nullité de la seconde comme Molinos ou Ritschl.

Sur les propositions de Quesnel, voir Greg. Kurlz, O. S. B., Theologia suplristica in compeiulio délecta, Bamberg, 1736 ; il examine 537 propositions condamnées ; Calatayud, Uivus Thomas, Valence, 17'ii, t. ii, et pasaim ; l’auteur s’occupe beaucoup des faits mystiques allégués alors comme aujourd’hui ; Jac. de la Fontaine, Constitutio Unigenitus iheotogice propugr.ata, 4 in-fol., Dillingen, 1720, où l’ordre des propositions est suivi ; les textes scripturaires et patristiques. cités par Quesnel et ses défenseurs, sont rapportés et discutés.

Pascal.

On trouve dans les Pensées de Pascal un grand nombre des conséquences ou des hypothèses de YAuguslinus, bien que les cinq propositions n’y soient pas. De.même, on n’y trouve pas toutes les propositions de Quesnel, mais les germes de tout ce qu’a condamné la bulle Unigenitus y sont assez apparents. Je parle bien entendu, non pas des Pensées éditées en 1669 et 1670 par les jansénistes où, spécialement sur le sujet qui nous occupe, furent faites des corrections importantes, cf. Pensées de Biaise Pascal, édition des grands écrivains, Paris, 1901, t. i, p. clxxvi, lit. xx ; fragments 242, 243, t. ii, p. 175, et des omissions savamment calculées, cf. fragment 556, t. iii, p. 4, note 2, avec les renvois. Mais il est question des Pensées telles que nous les lisons aujourd’hui, telles que les admire M. Eucken, telles que les recommande M. Laberthonnière. Essais de philosophie religieuse, p. 193-224.

1. La doctrine de Pascal sur les suites du péché originel est celle de Luther, de Calvin, de Baius, de Jansénius ; elle n’est pas la doctrine catholique.

2. La doctrine de la connaissance religieuse de Pascal, en tant qu’elle suppose que notre raison n’est naturellement que ténèbres et aveuglement, et en tant que sous le nom de foi du cœur elle propose au fond les vues de Jansénius et de Quesnel sur la foi-amour, a été condamnée parla bulle Unigenitus ; l'Église n’est donc pas responsable des défauts de l’apologétique qu’on en peut tirer.

3. Sur le point spécial qui nous occupe, à savoir de l’impuissance de l’homme à parvenir à la connaissance de l’existence de Dieu par les lumières naturelles de sa raison, sans l’aide de la révélation, Pascal est hérétique ; il a été condamné avec les traditionalistes, comme nous le verrons bientôt, par le concile du Vatican. Il écrit en effet : « Parlons maintenant selon les lumières naturelles. [XI vient de dire que par la foi nous connaissons l’existence de Dieu, mais non sa nature.] S’il y a un Dieu, il est infiniment incompréhensible… Nous sommes donc incapables de connaître ni ce i/it’ll est, ni s’il est. » Pensées, t. H, p. 145, fragment 233. C’est précisément ce que le dernier concile a condamné. Denzinger, n. 1634, 1653. Aussi, de même que Jules Simon avait raison de soutenir contre les traditionalistes français que leur Église les désavouait, quand ils prétendaient que lui, rationaliste, ne pouvait pas, indépendamment de la révélation, écrire une théodicée, et qu’il n’y a pas de « philosophie séparée », Religion naturelle, Ie édit., Paris, 1857, p. ix sq.j de même, le protestant de Genève, E. Naville, et « l'évadé », M. Hébert, ont raison de ranger Pascal parmi les auteurs condamnés au concile du Vatican. E. Naville, Philosophies négatives, Paris, 1900, p. 63 sq.j Hébert, L'évolution de la foi catholique, Paris, 1905, p. 135. Aussi M. Decurtins n’a-t-il fait que tirer une conséquence de bon sens, lorsqu’il a écrit dans un article qui avait pour but de dégager du mouvement moder niste « la réforme sociale chrétienne » : < Nous ne comprenons pas comment, après le Vatican, on peut construire une apologie du christianisme sur Pascal. »

Parlant des preuves classiques de l’existence de Dieu c par les ouvrages de la nature », l'édition de 1 070 faisait dire à Pascal : « Je n’attaque pas la solidilé de ces preuves consacrées /mr l'Écriture sainte. » En réalité, Pascal avait écrit : « C’est une chose admirable que jamais auteur canonique ne s’est servi delà nature pour prouver Dieu. » Fragment 243, t. il, p. 177. « N’oublie-t-il pas, demande M. Naville, la déclaration du psalmisle, Ps. xtx ? N’oublie-t-il pas la parole si claire de saint Paul que les perfections de Dieu se voient comme à l'œil dans ses ouvrages, Rom., I, 20? » Pascal n’oublie rien ; mais son exégèse est celle de YAuguslinus tout comme sa psychologie et sa morale. Cf. Pensées, t. ii, p. 285, frag. 375 ; p. 21, frag. 294 ; t. i, p.CLXii. « Je n’entreprendrai pasici. dit-il, de prouver par des raisons naturelles ou l’existence de Dieu, ou la trinilé, ou l’immortalité de l'âme ni aucune des choses de cette nature ; non seulement parce que je ne me sentirais pas assez fort pour trouver dans la nature de quoi convaincre des athées endurcis, mais encore parce que cette connaissance sans Jésus-Christ est inutile et stérile. » Fragment 556, t. m. p. 4. Port-Royal avait écarté ce passage compromettant, parce que trop voisin de YAuguslinus. En le présentant au public, Etienne Périer prit soin de gloser, afin de faire oublier cette filiation ; mais M me Périer en fait le centre de YApologie, prononçant avec Quesnel que « hors Jésus-Christ, il n’y a que vices, que misère, que désespoir, et nous ne voyons qu’obscurité dans la nature de Dieu et dans la nôtre, » t. i, p. cxciv, ccxliv. Qui avait tort ou raison de la préface d’Etienne Périer ou de M me Périer'? L’une et l’autre. Car Etienne Périer écrivait sa préface pour une édition où on lisait seulement qu’on n’attaquait pas la solidité des preuves de l’existence de Dieu, mais que souvent ces preuves ne son pas assez proportionnées à la disposition d’esprit de ceux pour qui elles sont destinées. Mais M me Périer pouvait lire dans le manuscrit : « Ces personnes destituées de foi et de grâce, recherchant de toutes leurs lumières tout ce qu’elles voient dans la nature qui les peut mener àcette connaissance [de Dieu], ne trouvent qu’obscurité et ténèbres. » Fragment 242, t. ii, p. 176. Là est le mot de l'énigme.

Car, pour Pascal, comme pour Jansénius, « il est certain que ceux qui ont la foi vive dedans le cour voient incontinent que tout ce qui est n’est autre chose que l’ouvrage du Dieu qu’ils adorent. » lbid. Avec la grâce de la foi vive le ca>ur connaît bien des raisons. Kt sans elle ? Nec unus quidem tôt sœculorum lapsu, répond Jansénius, in tanta liistoriarum vastitate reperiri potest, qui summum bonum, id est Deum verum, naturse sagacitale sine Dei gratia invenerit et coluerit. Augustinus, De statu, etc., l. II, c. v, p. 335. Le cœur de ceux qui ont la grâce de la foi vive voit clairement toutes les raisons de croire ; la raison des autres ne voit rien, ou ce qu’elle voit est inutile. Sans doute le Crede, ut intelligas a un certain sens vrai, mais 1' « abêtissez-vous ne paraît en avoir aucun. Le tort de Pascal est de ne pas distinguer entre la connaissance des mystères proprement dits, et celledes vérités rationnelles sur Dieu. Denzinger, n. 1631. 1643, entre les vérités que la foi nous propose et celles qui constituent lespréambules de la foi, dont l’existence de Dieu fait partie, lbid., n. 1638. Pour lui, l’homme corrompu a, relativement à toutes ces vérités, la même impuissance physique, tant qu’il n’a pas la grâce ; et. il n’y a pas plusieurs variétés de grâces : ou bien nous avons l’amour céleste et tout est sauf, ou bien nous sommes les esclaves de la cupidité et tout est perdu. Denzinger, n. 1385 sq. Aussi Pascal se proposait-il d'écrire contre ceux qui tiennent que l’existence de Dieu est manifeste, que nous en avons une connaissance spontanée et naturelle. Fragment 242. Il ne s’agit pas ici de Descartes, pour lequel Pascal est d’ailleurs très dur, fragments 76 sq. ; ni précisément de ceux qui comme Grotius commencent leur apologétique par les preuves en forme de l’existence de Dieu, fragments 243, 556 ; mais bien des théologiens, qui prenaient pour base de leur apologétique le lait de la connaissance spontanée et certaine de Dieu, considérant, comme le fait encore un des meilleurs théologiens du XIXe siècle, Scheeben, La dogmatique, trad. Bélet, t. ii, n. 29, que dans l’espèce « les preuves scientifiquement développées, bien loin de donner à l’homme la première certitude de l’existence de Dieu, ne font qu'éclaircir ou consolider celle qui existe déjà. » Le P. Colon, dans un entretien laissé dans ses manuscrits et publié plus tard (en 1683, d’après Sommervogel) par le P. Boutauld, Le théologien dans les conversations, i eilit., Avignon. 1853, avait employé cette méthode. Interrogé' par un athée sur les preuves de l’existence de Dieu, le théologien de f'.oton refuse d’abord de « parler de la nécessité' de l’Etre absolu, de la non-implicance en sa définition, de V impossibilité des causes infinies en nombre, de tous les autres arguments inventés par la logique artificielle des académies, « p. 40. Il y vient plus tard ; mais il débute par une sorte de démonstration ad oculos : Voyez et regardez le soleil et le> astres et vous sentirez naître la science de Dieu, avec un instinct qui vous portera à l’honorer. Cf. Illingworlh. Th mmanence, Londres, 1904 ; au c. n. The religious influence of the material wo ld, p. i : i- - 27, l’auteur a rassemblé de curieuses citations sur ce sujet. C’est à celle méthode des théologiens que s’en prend Pascal au fragment 242. Les rencontres verbales avec le texte de Colon sont d’ailleurs remarquables. Coton et Pascal discutent à peu prés les mêmes difficultés des athées, bien qu’ils les résolvent très différemment. « Leur argi >nl principal, dil Eugène le théologien de Coton, ù propos des anciens docteurs, quand ils ont voulu convaincre les infidèles, a toujours été de leur montrer le firmament et les astres, et les autres parties de l’univers. Je vous les montre, Messieurs, et je vous dis : Regardez. Eugène s'étant arrêté après avoir prononcé' cea il"u paroles, Léonce [l’athée du diali i -lit de continuer et de rapporter les raisons et les preuves que les anciens avaient formées là113. Quand j’ai dit : Regardez, repartit Eugène, j’ai lit tout cique je dois dire ; car la maxime de ces preniiei i l’avis qu’ils m’ont donné', est que, ap porter des raisons à ceux qui, après avoir regardé le monde, ne savent pas encore qu’ils ont un Dieu, c’est apporter le flambeau pour montrer le soleil à ceux qui ne le voient pas en plein midi, p. 18. C’est ruiner toute l’apologétique de Pascal, dont la base est que depuis la corruption de notre nature, Dieu nous a I. lisses dans un aveuglement « dont nous ne pouvons ir que pai la foi i fin tii nne. lussi Pascal écrit-il de ci - l qui n’ont pas la grâce de la foi Dire à i ux-là qu’ils n’ont qu'à voir la moindre

! qui les environnent et qu’ils verront Dieu à

overt, "i leur donner pour toute preuve de ce nd et important sujet le cours de la lune i i, i 'm i' l I leur donm r sujet de it les preuvi ide notre religion sont bien faibles, i l la i omparaisondu joui en plein midi, Pascal alli,

de i i i niui. et ajoute r., - r n’est

"' '""'i' c. qu’on parle eu le joui n

plein midi. On d< dil point que ceui qui i herchent le " plein midi ou de i eau à la mer, en trouveront

et ainsi il faut bien que l'évid de Dieu ne Mil pas

telle dan, ., , , i i ; i. i., i, , _, , , , „i 244

jetle quelque lumière sur ce dernier passage : « Ne dites-vous pas vous-même que le ciel et les oiseaux prouvent Dieu ? demande l’athée à Pascal. — Non. — Et votre religion ne le dit-elle pas ? — Non [au contrairej. Car encore que cela est vrai en un sens pour quelques âmes à qui Dieu donne cette lumière, néanmoins cela est faux à l'égard de la plupart. » Ceux qui ont la foi vive voient, les autres sont aveuglés. Pascal se souvient-il de la phrase de Calvin sur les païens : S’ils ont eu quelques éclairs de la vérité, c'était pour les mieux perdre ? La doctrine catholique est que Dieu, après la chute, nous a laissé la raison, l’usage de la raison, la puissance physique de le connaître, afin de nous sauver, si profitant de ses bienfaits nous ne manquons pas à notre devoir : facienli quod in se est, Veus non denegat gratiam, cela est vrai de tous.

Lnfin, que savons-nous de la nature intrinsèque de Dieu, même lorsque nous croyons en lui ? Nominaliste comme Locke, Pascal est agnostique comme lui. Il s’applique à montrer « qu’on peut bien connaître qu’il y a un Dieu sans savoir ce qu’il est. » Fragment 233, t. ii, p. 143. Des éditeurs modernes rapprochent de ce fragment plusieurs textes de Charron où il conclut à « l’ignorance consciencieuse ». Ces textes sont précisément ceux que le P. Garasse avait relevés et où il avait flairé « l’athéisme couvert » ; ce sont donc bs mêmes que Saint-Cyran, défenseur de Charron, avait jugés orthodoxes. Pascal et Saint-Cyran s’accordaient sur l’agnosticisme croyant : « Voilà ce que c’est que la foi : Dieu sensible au cœur, non à la raison, » parce que dans le système janséniste il n’y avait pas de foi sans amour. Fragment 278, t. il, p. 201, avec la noie très instructive. Cela est exact de la « foi parfaite » ; aussi les éditeurs de 1670 ajoutèrent-ils cette épithèle au texte original ; mais cela est faux de la foi tout court. Et, si on soutient cette erreur, le danger de mettre la foi dans le sentiment et de réduire l’objet de la foi au l’ait brut de l’existence de Dieu est difficile à éviter. Ce pas franchi, si vraiment « c’est le cœur qui sent Dieu, et non la raison o, et si ce sentiment est la foi, il est logique d'écrire : o Par la foi nous connaissons son existence ; par la gloire nous connaîtrons sa nature, > t. II, p. 144. Le sentiment, en effet, ne peut pas, en tant qu’opposé à la raison, nous renseigner sur la nature intrinsèque de Dieu. Mais la raison, d’après Pascal, . ne connaît ni l’existence ni la nature de Dieu, parce qu’il n’a ni étendue ni bornes. » lbid. Il reste donc que ni par la raison, ni par la loi, isolées, ou prises ensemble, nous ne pouvons porter un jugement sur la nature intrinsèque de Dieu : ce qui est l’agnosticisme croyant de Spencer, de Kant, de Mansel et des modernistes.


VIII. Le traditionalisme.

Le traditionalisme est la doctrine d’après laquelle une révélation primitive fut absolument nécessaire au genre humain, non seulement pour acquérir la connaissance des vérités de l’ordre surnaturel, mais bien pour acquérir la connaissance des vérités suprasi nsibles, c’est-a-dire des <. rites fondamentales de l’ordre métaphysique, moral et religieux ; les vérités dont il s’agit sont spécialement tence de Dieu, la spiritualité' et l’immortalité de l'âme et l i aie sii ictement obligie. Cette révélation nonest parvenue par la tradition, l’enseigni i i oral et social, d’une génération

à l’autre ; don le nom de trad.l loua hsiue. Celle doc trine admet donc dans Ile le une véritable Impuissance physique a pai enii soit i la i onnai à la certitude de l’existence de Dieu, indépendamment do la révélation. Celle-ci devient donc absolument lire. N..i i - a'…ndéjà lie onlré cet te Idée de |, , i lue il la révélation chez lei protestants et chez Pô mi |i - catholiqui i, >e lui une qui i i m le

pyrrhonisme t' 1 a i t plus favorable à la religion que le dogmatisme. > L’influence janséniste poussait à humilier la raison, cette superbe. Malebranche se déclara pour le fidéisme, tant à cause de prétendues difficultés déduites de la théorie de la connaissance, qu'à cause de l’impossibilité pour l’homme d’avoir l’idée de l’infini ; mais il ne recourut pas à la révélation ; la vision en Dieu, d’où devait sortir ce qu’on a appelé Yonlologisme, lui servit d'échappatoire. Xous n’avons pas ici à nous occuper de cette solution, parce qu’elle ne nie pas précisément le pouvoir pour l’homme de connaître Dieu par les lumières de sa raison, mais explique le fait d’une façon incorrecte et inconciliable avec le dogme de l’invisibilité divine. Muet, dans son traité De la faiblesse de l’esprit Immain, paru après sa mort, fit de grandes concessions au pyrrhonisme. Il accordait bien que l’homme a quelque pouvoir de parvenir à la vérité, mais il lui refusait le pouvoir d’arriver à la pleine certitude par les seules forces de la raison. Mais la bonté divine nous a enlevé cette infirmité, en nous concédant le don inestimable de la foi, qui chasse tous les brouillards. L’ouvrage posthume de Muet fut désavoué par ses amis' La question devait être reprise au xixe siècle.

Durant le xvrïïe siècle, on débattit onguement la question de l’origine du langage. On se souvient que Fénelon, dans sa Lettreà l’Académie, s’inspired’Horace : Sylvestres homines, et que le passage ne s’accorde guère avec la tradition biblique. L’Italien, T.-B. Vico, tout en concédant qu’avant le déluge l’homme avait conservé la religion, la vie sociale et le langage, soutint que les fils de Noé furent tellement dispersés par la crainte des bêtes féroces que ceux qui échappèrent à leur voracité perdirent d’abord toute religion, puis le langage, enfin la vie sociale et l’usage de la raison ; ils vécurent ainsi mille ans, au bout desquels, réveillés par la foudre, ils retrouvèrent quelque connaissance de la divinité, le langage, puis la vie sociale. De constantia philologiæ, c. IX, Scienlia nova, passim. On ne tarda pas à dire des « premiers » hommes, supposés barbares, ce que Vico avait imaginé pour les descendants de Noé. Avec Rousseau, Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes, Œuvres, Paris, 1819, t. iv, p. 201-373, la question s’embarrassa dans celle de l’origine des sociétés. Comme les rationalistes et les déistes pour faire une nasarde à la Bible, les sensualistes et les matérialistes pour renforcer leurs systèmes, se ralliaient en grand nombre à cette idée de l’homme sauvage, sans langage ; il arriva, ce qui n’est pas rare, que certains apologistes crurent bien faire de soutenir l’impossibilité pour l’homme d’inventer le langage. Après la Révolution, de Bonald lit entrer cette apologétique dans son système philosophique et social. Voir Bonald, t. ii, col. 959 ; Bonald, Recherches philosophiques sur les premiers objets des sciences morales, 1818.

La même année parut le premier volume de V Essai sur l’indifférence en matière de religion de Lamennais. Bans le IIe volume, Lamennais reprenait les objections des pyrrhoniens et concluait : « Il est de fait que souvent les sens nous trompent, que le sentiment intérieur nous trompe, que la raison nous trompe et que nous n’avons en nous aucun moyen de reconnaître quand nous nous sommes trompés, aucune règle infaillible du vrai. C’en est assez, comme on l’a vii, pour ne pouvoir rigoureusement affirmer quoi que ce soit, pas même notre propre existence. » Essai, 1820, t. ii, c. XIII, p. 29. Cependant la raison individuelle, à cette impuissance d’arriver au vrai et à la certitude, joint un invincible « besoin de croire ». Le consentement commun (l’ordre de foi) supplée à notre faiblesse, el 6 devient, dans l’institution de la nature, le point d’appui de nos connaissances, le titre qui nous en

assure la possession certaine, en un mot la véritable base de notre raison, t c. xiv, De l’existence de Dieu, p. 37. Le consentement commun ou l’autorité du genre li uiiiain renferme donc le plus haut degré de certitude où il nous soit donné' de parvenir. Lamennais montre ensuite qu’il n’est aucune proposition sur laquelle l’accord du consentement commun soit aussi unanime que celle de l’existence de Dieu. « Cette immense idée n’est pas seulement en harmonie avec notre intelligence ; elle est notre intelligence même, p. 70. L’athéisme est donc l’extrême folie. Le c. XV traite des « Conséquences de l’existence de Dieu par rapport à l’origine et à la certitude de nos connaissant L’auteur y conclut : » Il existe donc nécessairement, pour toutes les intelligences, un ordre de vérités ou de connaissances primitivement révélées, c’est-à-dire reçues originairement de Dieu, comme les conditions de la vie ou plutôt comme la vie même ; et ces vérité » de foi sont le fonds immuable de tous les esprits et la raison de leur existence, » p. 81. Et un peu plus bas : « De même que la vérité est la vie, l’autorité, ou la raison générale manifestée par le témoignage ou par la parole (ce n’est pas nous qui soulignons ici) est le moyen nécessaire pour parvenir à la connaissance de la vérité, ou à la vie de l’intelligence, » p. 81. Lamennais soutient ensuite que l’on ne saurait parler sans nommer Dieu, puisqu’on ne « saurait parler sans prononcer ou sans concevoir le mot est, » qui est le nom de Dieu. « Ainsi l’homme n’a pu exister comme être intelligent, n’a pu parler sans connaître Dieu, et ne l’a pu connaître que par la parole, » p. 82. Reprenant ici l’argumentation de Bonald, qu’il cite en note. Lamennais prétend que l’homme n’a pu inventer la parole, puisque cette invention suppose des idées préexistantes, et le besoin, et même le moyen de les communiquer. Donc il a fallu qu’il reçût à la fois les idées et les mots. » Enfin : « Ainsi In pensée, la parole ont été révélées simultanément » et, avec elles, Dieu, p. 83.

Le traditionalisme de Bonald et de Lamennais excita de l’enthousiasme, spécialement dans les milieux ecclésiastiques et même chez les protestants. Le jansénisme n'était pas mort : ce qui rendait moins choquantes alors la confusion de l’ordre naturel et de l’ordre surnaturel, et la thèse fondamentale de l’impuissance de l’homme, tel qu’il est depuis la chute, en matière religieuse, doctrines jansénistes que le traditionalisme acceptait. Les ennemis de la foi, afin de saper par la base la révélation divine, s’efforçaient de montrer que la connaissance des vérités de la religion naturelle dérivent de la puissance, de la spontanéité absolue et indépendante de l’esprit humain. De là, l’hypothèse des premiers hommes. sauvages, muets, se développant spontanément par le moyen de leur seule raison, découvrant le langage, fondant la société civile, inventant un culte religieux, passant du fétichisme au polythéisme, s'élevant au monothéisme, puisa la religion chrétienne. Produit du génie de l’homme, la religion était donc soumise au jugement et à la souveraineté de la raison humaine et devait parle seul moyen de cette raison se perfectionner conformément à la loi nécessaire du progrès continu. Cf. Laforét, Les dogmes catholiques, Tournai. I8(10, t. i. p. 458 sq. lai face de tels adversaires, on crut aller a la racine du mal, en niant à la raison humaine toute force, toute spontanéité en matière religieuse et morale, ou même avec Lamennais en toute matière ; on remplaça la raison par la révélation comme liant l’avait remplace sur le terrain moral et religieux par la raison pratique, comme Schleiermacher la remplaçait par le sentiment.

Il y eut chez les traditionalistes un très grand nombre de nuances et on les divise en deux groupes. 1. Les traditionalistes rigides soutenaient : a) que l’institution sociale riait le seul moyen par lequel l’homme pouvail parvenir à la première idée des vérités suprasensibles ; b) que l’unique motif efficace sur lequel la raison pouvait s’appuyer en adhérant à ces vérités était immédiatement l’autorité sociale, médiatement et en dernière analyse l’autorité de la révélation divine. Ce rôle attribué à la foi seule dans l’acquisition d’une vraie certitude des principes de la raison les a fait nommer fidéistes. Pour défendre cette position, Lamennais lit de la raison une puissance purement passive, la connaissance des vérités suprasensibles venant du seul enseignement extérieur. L’abbé Jiaulain, plus théologien que Lamennais, rattachait cette opinion aux doctrines de la grâce. Dans l’exposition et la défense de son système qu’il présenta à l'évêque de Strasbourg, 21 novembre 1837, il disait : « Soutenir que l’homme peut, par les seulsarguments de la raison, démontrer l’existence de Dieu et ses infinies perfec-. tions, qu’est-ce autre chose que prétendre que l’homme peut par ses propres forces s'élever à Dieu et connaître Dieu sans Dieu.' Kst-ce que par là on n’attribuerait pas à la raison humaine Vinilium fidei, contrairement au concile d’Orange ? Xe serait-ce pas affirmer que l’homme n’a pas besoin de la grâce pour croire en Dieu et que nous sommes les auteurs de noire foi'.' o Cité dans les Acla concilii Valicani, col. 520.

2. Les traditionalistes mitigés — on range ordinairement dans cette catégorie Ventura, Bonnetty, et les professeurs de Lo’jvain, Ubaghs, Laforèt, etc., bien que certaines phrases de deux premiers semblent quelquefois aller plus loin — faisaient plusieurs restrictions : o) Il ne - : i- : iss ; iii plus de l’acquisition de toutes nos idées par la révélation, mais seulement des vérités morales et religieuses, b) D’après Bonnetty et Ventura, l’homme avait besoin du magistère social pour les premières notions de Dieu, de l'âme, de la vie future 'I des principaux devoirs ; après y avoir adhéré par un acte de foi purement humain, l’homme avait la force gu Disante pour se les démontrer par les procédés rationnelordinaires, c) Les professeurs de Louvain pensaient éviter la nécessité absolue de la révélation, li confusion de l’ordre naturel et surnaturel, les doctrincs de Calvin, de Baiusel de Jansénius sur les suites du péché originel — erreurs qu’ils voyaient à bon droit impliquées danle traditionalisme rigide — en disant : I. esprit humain est doué d’une force interne qui lui est propre ; il est actif par lui-même i

ité est continue ; néanmoins, pour que l’homme doinde cel -prit parvienne au véritable usage de la oin d’un secours intellectuel extérieur. Les principes des vérités rationnelles, métaphysiques i-i morales, onl été mis dans l’espril humain par le iteur. Mutelle est la loi gique ou natu relle de noire espril que l’homme a besoin d’un enm ne ni intellectuel pour arrivei < i i usage de la n suffisant peur pouvoir acquérir une connais distincte de heu et des vérités morale Lai

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lation primitive n’avait pas été absolument nécessaire. Rome donna un inslant un laisser-passer, sous la signature du cardinal d’Andréa. Laforèt, op. cit. Mais un bref pontifical, puis divers documents, s’opposèrent à cette forme extrêmement adoucie du traditionalisme. Cf. Annuaire de l’université catholique de Louvain pour l’année 1876, où ces pièces ont été' publiées après la mort d’Ubaghs ; elles ont été reproduites par Bouix, dans la Revue des sciences ecclésiastiques, 1876, p. 541552, Ces professeurs de Louvain avouaient bien que l’usage de la raison précède la foi, qu’affaiblie par le péché originel, notre raison, excitée par l’enseignement social, pouvait démontrer Dieu. Mais l’usage de la raison, tel qu’ils l’entendaient, supposait la connaissance de Dieu et des principes rationnels, issue de l’enseignement social, el l’enseignement social découlait de la révélation primitive. Acla concilii Valicani, col. ÎMO. A supposer qu'à l’aide de quelque subtilité on put encore dans ce système soutenir la non-nécessité absolue de la révélation primitive, il restait que cette nécessité est absolue pour nous depuis la chute, et que parmi les suites du péché originel il fallait admettre une impuissance physique personnelle de connaître Dieu avec cerlitude indépendamment de toute révélalion.

Sur te traditionalisme on trouvera l’essentiel : 1- au point de vue philosophique, dans Rozaven, Examen d’un ouvrage intitulé de§ doctrines philosophiques sur la certitude dans leurs rapports avec les fondements de la théologie de l’abbé Gerbet, Avignon, 1831, 1833 ; Chastel, De la valeur de la raison humaine OU c que peut la raison par elle seule, Paris, 1854 : Kleutgen, La philosophie scolastique, trad. Sierp, Paris, 1868, ti I, diss. III, p, 132-455. Les ontologistes comme Gioberti attaquêrent de leur côté le traditionalisme, jusqu'à ce que i baghs joignit le système de Gioherti au sien. Les protestants orthodoxes se félicitèrent de voir Rome défendre les droits de la raison contre le scepticisme. Voir James Buchanan, Failli in God. Edimbourg, 1866, t. II, Theory of certitude, of scepticism, p. -lu sip i) mires affectèrent da croire au scepticisme de 1 1 „lr-e romaine en présentant le traditionalisme comme sa doctrine piopreil.a Placette, De insanabili Romanm Ecclesis scepticisme — 2* Au point de vue theologique spécial des rapports de la connaissance de Dieu avec l’ordre surnaturel, voir Constantin von Schazler, Natur und Vebernatur, DusI n der

ini, i die theologinche Frage der Gegenwart, Mayence, tsiio. Kleutgen touche souvent à la même question. Dit i. gie der Vorzeit, 5 édit., 5 vol.. Munster, 1K72. spécialement au commencement du t. n. — 3° Au point de vue historique, voir de L’abbé Hautain, sa de et ses œuvres, Paria, 1884 ; . Études théologiques sur les constitutions du concile du Vatican Pai, 1896, t. I, p. 120 sq., 329 sq. ; Didiot, J.< surnaturelle subj édit., Lille, 1894, n. 505 sq.


IX. Le modernisme et l’encyclique Pascendi.

Le modernisi st une doctrine dont les origines historiques et la parenté philosophique et theologique sont des plus complexes. Cf. Parodi, Le pragmatisme, dans la Revue de métaphysique et de morale, Paris, janvier 1908, p. 10t. Danles pages précédentes nonavons indiqué' les doctrines philosophiques et pseudo-théol ques dont dépend le modernisme. Les lecteurs par suite comprendront plus facilement ce qui est dit dans lîque Pascendi de la connaissance religieuse i a -('niral cten particulier de la connaissance naturelle de Dieu. Il ne nous reste plus qu'à indiquer l la position de l’encyclique ; 2° ce qu’il faui répondre aux modernistes qui prétendent que nous ne connaissons Dieu que par la i le intérieure.

I La rationnelle île Dieu et les 1710 après l’encyclique. Sandonner le détail des origines historiques du modernisme, l’encyclique en indique nettement la parenté philosophique et II i modei niâtes, dit-elle, pai li ni < ! ci prei principe : La raison humaine, enfermée rigoun

ut dan le cercle d< phénomi n due des

ni et tell

apparaissent, n’a ni la faculté ni le droit d’en franchir les Hlnites ; elle n’est donc pas capable de s'élever jusrp^a Dieu, non pas même pour en connaître par le moyen des créatures, même phénoménales, l’existence. D’où ils infèrent que Dieu nepeutpas être directement un objet de science. » Denzinger, IC C édit., n. 207'2. On sait que, dans la terminologie moderne, « notre connaissance est bornée aux phénomènes » a deux sens. Dans les sciences, telles qu’elles sont aujourd’hui constituées, un phénomène signifie a un fait à expliquer, un individu réellement connu à ramener à une loi ou à une cause inconnue. « C’est dans ce sens que les positivistes entendent le mot, lorsque — faisant non plus de la science, mais de la mauvaise philosophie — ils énoncent avec Comte, Huxley, Spencer que notre connaissance est bornée aux phénomènes. En slle kantien, c’est autre chose : « notre connaissance bornée aux phénomènes » signifie que le seul être qu’atteigne notre intelligence est l'être que nous présentent nos sens ; cet être, qui s’interpose officieusement entre l’esprit qui connaît, et ce que l’esprit connaît de la réalité, est le phénomène. L’encyclique s’est servie pour énoncer le premier principe des modernistes, de termes tels qu’ils désignent à la fois le nominalisme empiriste sous tous ses formes et le nominalisme idéaliste de Kant et des philosophies qui dérivent de lui. On se souvient qu’avant l’encyclique les modernistes donnaient pour prétextes à leurs innovations « les résultats acquis de la critique kantienne et spencérienne » et la nécessité d’accepter le nominalisme. Depuis l’encyclique ceux d’entre eux qui ont élevé la voix pour protester n’ont pas nié ou même ont, comme le Programma dei modernisa, Rome, 1908, avoué que telle est bien leur manière de voir.

Mais les modernistes, tout en acceptant les résultais acquis de la critique kantienne et spencérienne, prétendaient dépasser Kant et Spencer, et rien ne les choquait plus, à en juger par leurs protestations, que d'être confondus avec des kantistes. Le lecteur a vu qu’on peut arriver aux résultats de Kant et de Spencer, quant à l’impossibilité de connaître la nature intime des choses par des procédés qui ne sont pas spécifiquement les leurs : Nicolas d’Autrecourt par exemple au xive siècle a parcouru toute la carrière agnostique à l’aide d’une seule hypothèse et d’un seul postulat. De même, si l’on restreint la question à la connaissance religieuse, Molinos niait la valeur de toute connaissance intellectuelle sur Dieu en dehors du sentiment, de l’expérience intérieure ; Quesnel soutenait qu’il n’y a pas de Dieu pour qui n’a pas la foi-amour, la charité ; Pascal, comme Hobbes, et à l’aide du même argument concluait que, même avec la foi, nous ne savons rien de la nature divine, mais seulement le fait brut de l’existence de Dieu, Pensées, édit. Brunschvicg, 1904, t. ii, p. 143 sq. ; cf. Slapfer, dans la Revue des Deux Mondes, 15 novembre 1908, p. 383 sq. ; Boehme réduisait à rien notre connaissance de Dieu considéré en soi et par suite pouvait, comme certains modernistes, affirmer de l’absolu, les contradictoires. Denzinger, n. 2102. Il ne répugne donc pas qu’un moderniste soit arrivé à ses conclusions indépendamment de Kant et de Spencer. Dans la réalilécependant, les textes montrent que, si M. Loisy emploie la terminologie et la philosophie des idées héréditaires de Spencer, d’autres ont utilisé Comte, et d’autres Kant, soit par l’intermédiaire de Ritschl et de son école, soit directement. Cf. Léon XIII. Encyclique au clergé de France, 8 septembre 1899 ; Eucken, Thomas von Aquino, ein Kampf zweier Welten, Berlin, 1901.

L’encyclique Pascendi ne fait aucune recherche sur le détail de ces filiations philosophiques. Elle constate simplement : a) que les modernistes admettent la posiion des philosophes pour lesquels l’idée de Dieu, notre

connaissance intellectuelle (abstraite, spéculative, rationnelle, notionnelle) de Dieu est sans valeur objective, n’atteint ou ne représente pas le réel et n’a pas de portée ontologique. Denzinger, n. 2091 — « Qu’ils expliquent l’origine de cette idée par l’immanence vitale, par un sentiment qui jaillit en nous sans ju( ment intellectuel qui le précède (fidéisrne). lbid., n. 2074. — e) Que cette idée ne devient une connaissance ayant une portée ontologique, atteignant la réalité, que par la croyance, lbid., n. 2081. — d Que, même avec la croyance ou la foi, la connai-sance que nous avons de Dieu reste toujours purement symbolique, ibid., n. 2108, soit à cause de son origine purement subjective, ibid., n. 2079, soit à cause de l'élaboration que nous lui faisons nécessairement subir suivant nos besoins et nos états, ibid., n. 2080. soit à cause de l’universalité de la loi d'évolution, lbid., n. 2080, 2058. De la sorte aucune affirmation sur Dieu en soi n’est possible, d’où le manque de valeur métaphysique formules, lbid., n. 2080, 2020. Ce qui revient a dire que les modernistes admettent donc la distinction du connaître et du croire au sens de Hobbes, Locke, Pascal, Kant, Mansel, Spencer, Ritschl, etc. —e Enfin, les modernistes font dépendre la croyance de « l’expérience individuelle, » qu’ils expliquent par une certaine intuition du cœur. » Le texte ajoute : « Ils se séparent ainsi des rationalistes, mais pour verser dans la doctrine des protestants et des pseudo-mystiques. » lbid., n. 2081. En d’autres termes, les modernistes, après avoir admis la thèse du relativisme de Kant et de Spencer, les dépassent, tout en continuant avec eux à tenir pour symbolique notre connaissance de l’absolu, par un appel à Schleiermacher, c’est-à-dire à la thèse protestante qui fait consister la foi en une expérience intérieure, ou par un appel à la doctrine des pseudomystiques qui, avec Molinos par exemple, nient toute valeur à la connaissance intellectuelle indépendamment de l’expérience mystique.

L’encyclique fait remarquer : a) Que la conclusion moderniste : « Dieu ne peut pas être directement objet de science » a déjà été condamnée par le concile du Vatican. » Voir col. 857. — b) Que la théorie protestante de la croyance ou de la foi, qu’ils confondent à tort, à laquelle ils ont recours, a été rejetée comme hérétique par le même concile : sola interna cujusijue e.rperientia. Cf. de Broglie, Les relations entre la foi et la raison, Paris, p. 54 ; Denzinger, n. 2072. — c) Que dans leur recours à l’expérience, ils débutent par le fidéisrne. lbid., n. 2074. — d Que de parti pris ils ne s'élèvent pas au-dessus du symbolisme, c’est-à-dire des théories d’après lesquelles nous ne pouvons désigner Dieu que par de pures dénominations extrinsèques. lbid., n. 2079. — e) D’où il suit qu’ils s’enlèvent tout moyen de distinguer les religions fausses de la vraie. ibid., n. 2082, et de ne pas tomber dans le panthéisme, puis dans l’athéisme. Ibid., n. 2108 sq. On sait assez que l’agnosticisme dogmatique de Locke, de Kant. de Mansel, etc., n’a pas abouti à autre chose. — f) Enfin l’encyclique consacre un paragraphe au sentiment protestant, ou pseudo-mystique, dont les modernistes ont tant abusé. Elle fait remarquer que, considérée philosophiquement, leur psychologie est en défaut : car qu’est-ce après tout que le sentiment sinon une réaction de l'âme à l’action de l’objet proposé par l’intelligence ou par les sens ? » De plus, au point de vue moral, cette importance donnée au sentiment est dangereuse ; de même, elle est caduque au point de vue apologétique, car le bon sens n’admettra jamais que l'émotion soit un moyen sûr de découvrir la vérité ; elle est en outre ruineuse au point de vue religieux, car n’aboutissant à aucune affirmation ferme et précise sur la nature intrinsèque de Dieu, elle ne peut pas décider s’il existe un Dieu rémunérateur, lleb.. XI, 6 :

car le sentiment est incapable de résoudre objectivement cette question. Il est vrai qu’on cberche dans le système à suppléer à cette insuffisance par l’expérience. Mais l’expérience n’est elle-même dans l’espèce qu’un sentiment à l'état fort, dont l’intensité peut bien entraîner une persuasion plus grande de la réalité de l’objet religieux, si déjà l’on a des éléments intellectuels objectifs de cette persuasion, mais ne peut pas suppléer ces éléments. Denzinger, n. 2106 sq.

La connaissance rationnelle de Dieu et la vie intérieure.

Avant l’encyclique, les modernistes ont souvent fait appel aux mystiques et aussi à la vie religieuse ordinaire des chrétiens pieux pour conclure au manque de portée ontologique des notions religieuses, en debors de la « vie de foi » ou en dehors de la « vie de foi, qui opère par la charité ». Depuis l’encyclique, M. Tyrrell a prétendu que le pape avait décrété la mort de la piété dans l'Église. Il n’est pas douteux que les modernistes n’aient réussi à s’attirer les sympathies de plusieurs catholiques plus fervents qu’instruits par cette argumentation, qui ne tend à rien moins qu'à rendre ou impossible ou sans valeur toute connaissance naturelle de Dieu. Il faut donc exposer les faits, l’objection qu’on en tire, et donner une solution.

1. Les faits discutés.

Tout homme de quarante ans et qui pense, s’il est vraiment religieux et aussi capable d’un retour nettement réfléchi sur sa vie morale, fait un jour ou l’antre cette découverte, que Dieu est maintenant pour lui, habituellement ou à certaines heures, un Être bien différent de celui qu’il priait et adorait dans son enfance ou même à vingt ans. Prier, adorer, ces mots semblent n’avoir plus le même sens qu’ils avaient dans la famille, au collège ou au lycée, à la faculté. La définition abstraite qu’on en donnerait, est bien la même que celle du catéchisme de première communion ou du manuel de séminaire ; mais combien plus profondes en sont dans l'âme les répercussions ; combien modifié le sens perçu, vécu ; combien transformée, l’attitude intérieure que ce sens commande. Et du côtéde Pobjel : Dieu représenté sous des attributs moins distincts, plus uns, parce que plus dégagés des triées d’anthropomorphisme, que ceux qui avaient soutenu les premiers pas vers le devoir ; Dieu connu par

oncepts moins abstraits, moins métaphysiques ou, plus exactement, moins théoriques, moins académiques et scolaires, que ceux qu’avaient élaborés les efforts juvéniles de la spéculation personnelle. Dieu, essentiellement, au concret, distinctement, se présente sans ellort et comme spontanément à l'âme, meilleur que notre bonté', plus vrai que notre vérité, plus grand que nos hommages ; non seulement autre et différent de ses œuvres — cela il l'était dés le commencement — mais dessus d’elles, el cependant intimement

m', dissemblable à tout, et pourtant et surtout infiniment digm d'être aimé.

tte impression (l’une connaissance vraiment nouvelle, autre, grandit encore, si le Seigneur invite l'âme

iter combien il est doux, gustate et vide te, plutôt

entiment que par lumières : pise devotionis cru diamur affectu, 'lit la liturgie. Supposons le cas,

tiques pour se faire entendre, où nous

n.ninonjamais goûté de miel. On pourrait par le

raisons démonstratives nous

donni i. mi que is j touchions, quelque Idi

ir et de son parfum omettrions, soil

pai la loi au | : pa r raison scientifi

que li miel est doui La connaissanci que nous s de Dieu pai la raison naturelle, el au

: an quelq mblableé celle

que nonaurions de la douceur du m

donn di, i. votion ressi mble

plol oe que nous am Ion di

du miel, si nous venions à en goûter pour la première fois. A ces moments bénis, cette connaissance parait suivre l’expérience que nous faisons de l’amour divin. Cet amour nous pénètre et, sans raisonnement, un regard amoureux de notre àme perçoit confusément la douceur des perfections divines. Ce n’est pas Dieu tel qu’il est en lui-même et face à face, puisque nous sommes dans l’exil ; mais ce n’est pas non plus autre chose que Dieu, qui fait l’objet de cette sorte d’intuition, que les mystiques nomment regard intérieur. Dès lors, pour l'âme, le cruciiix de son prie-Dieu, le Dieu de ses méditations, ce Dieu toujours présent et qu’elle sent tout près d’elle, comme dans l’obscurité on sent un ami près de soi sans le voir ni l’entendre, paraît autre qu’on ne le décrit dans les livres, autre qu’on ne le prouve par les philosophies : il est bien l'Être nécessaire, l’Etre suprême, l'Être des êtres, le Père des idées, le ijuo majus cogitari naquit ; mais il paraît différer en bien, beaucoup plus que ressembler à ce qu’autrefois l’esprit saisissait, non sans peine, dans ces formules abstraites. De même, le rédempteur, auquel s’adresse le culte, et sur lequel s’appuie toute l’espérance de l'âme exilée, à qui va lout son amour, paraît au regard intérieur, vraiment plus rédempteur que dans le symbole : cruci/ixus sub Pontio Pilalo, plus divin, dans sa divine et miséricordieuse condescendance, que dans la formule conciliaire : consubslantialis. Cf. Acta sanctorum, Anvers, 1643, t. i. p. 197, n. 70. Enfin, le mystère île Jésus paraît plus réel que tous les syllogismes, tous les textes et toutes les conclusions de l'École sur ce même mystère. Il est réel comme une relation de personne à personne : ce qu’il n’est pas dans les livres.

Oui, à mesure qu’on progresse dans la vie intérieure, l’objet religieux paraît à l'âme plus réel : elle le « réalise », disait Nevvman. En même temps, cet objet devient pour elle plus certain. Sans raisonner sur la vérité des paroles divines, sur la fidélité des promesses, l'âme prend conscience d’une certitude des réalités divines et surnaturelles, qui paraît indépendante du motif d’autorité divine, el uniquement fondée sur l’expérience qu’elle a de ces réalités. Quand toute l'Écriture et tous les écrits des Pères seraient brûlés, ma foi resterait la même, disait un grand saint, tant il était sur de celui à qui il s'était donné et dont il avait goûté les incompréhensibles perfections.

Tels sont les faits, qu’indubitablement perçoit lies souvent la conscience religieuse des pieux fidèles. Schématiquement, la situation est la suivante ; la description de Dieu traditionnelle, la définition des actes du culte, également traditionnelle, ne paraissent plus, a la pensée réfléchie, adéquates à leur objet ; bientôt même la pensée directe de Dieu à l’aide des concepts s’accompagne de cet épi phénomène : « Cela n’est pas tout, H n’est pas tout à fait cela, mais plus ; i et pour parler le langage de saint Augustin, l'âme « distingue Dieu. qui n’est pas lui „ beaucoup plus par l’abandon

l’aveu de son néant, par la confiance en lui que par un discours métaphysique. I. I tre suprême n épi

plus le contenu île l’idée île Dieu. Ile contenu, qui trefois paraissait à l'âme venir du dehors par le moyen Compliqué des Concepts abstraits (le la formule |

chismale ou métaphysique, paraît maintenant.ire réalisé sans ell.nl par un mouvement qui vient du dedans.

Quand, p.ula mémoire, le sujet compare ta i. pi talion mentale, qui accompa iffectil ai luel, ii nnes, d.s juvéniles représentations religieuses, l’aperci ption actuelle déborde tellement le contenu primitif, le modifie et le transforme . ce point que la formule catéchismale, associée dan l’esprit a vi i parall ni plui.'ire qu’uni -..rie de schème vide, Im el, une de projection maladroite et.t, , , 1, tel qu’il eal maintenant p. r a. El il (li

cliii sur ses expériences successives, sur la transformation de plus en plus complète pour elle de l’objet réel île son adoration et de son amour, elle constate un écart de plus en plus marqué entre cet objet, tel que le saisit sa pensée actuelle, et le même objet, tel qu’elle le saisissait autrefois à l’aide de la seule formule traditionnelle. Bref, l’objet des formules catéchismales el métaphysiques lui paraît comme inanimé, indillérent au cœur, sans valeur d’action sur sa vie morale et religieuse ; au contraire, l’objet de l’expérience intérieure affirmé, semble-t-il, par un autre organe que le cerveau, est bien vivant ; bien que très imparfaite nt

connu — et l'âme a conscience de cette imperfection et de cette insuffisance — c’est Lui, moins inadéquateinent, le vrai Dieu, à qui l'âme s’abandonne et se lie, prête à tous les sacrifices : Dominus meus et Deus meus. Et la certitude de la foi en paraît toute rajeunie ; une certitude nouvelle, qui est d’essence diûerenteque la certitude appuyée sur la pure autorité du témoignage divin extérieur, paraît dans la conscience.

2. L’objection.

Certains modernistes se sont emparés de ces faits de conscience, pour vider de toute valeur ontologique la connaissance que nous pouvons avoir de Dieu par les concepts, par les formules religieuses, par l’abstraction. « Notre foi va plus loin que nos idées. » disait l’un ; « vous le savez bien, si vraiment vous avez la foi. » « C’est par la croyance que nous atteignons la réalité intérieure des choses que n’atteignent pas les sens, » disait l’autre, qui se flattait d’inaugurer l’objectivisme postkantien. « Dieu n’est pas une vérité abstraite, c’est une réalité qu’on perçoit, et dont on vil, par le sentiment, faculté immédiate du réel, » disait un troisième. « On ne démontre pas une réalité concrète, on la perçoit. Elle n’est pas objet d’analyse conceptuelle, mais d’intuition vécue… Déduire Dieu équivaut à le nier. Prétendre vouloir le trouver ainsi revient à vouloir l’atteindre par une méthode athée, » écrivait sans sourciller M. Le Roy, dans la Revue de mélaj>hysiqne et de morale, 1907, p. 472, 474. Quelques-uns de ces écrivains, pour satisfaire aux nécessités du dogme, sauver la possibilité de la révélation extérieure et garder la notion ebrétienne de la foi, assentiment de l’esprit à l’autorité du témoignage divin, gardaient quelque nexus objectivus entre nos idées religieuses et leur objet, cf. Webrlé, dans la Revue biblique, juillet 1905, sans d’ailleurs toujours éviter, à cause de la distinction du connaître et du croire, de tomber dans « la foi du cœur hermésienne ». Acta concilii Vaticani, col. 527, 529 sq. Cf. Annales île philosophie chrétienne, octobre 1908, p. 1-79. Mais d’après la majorité, l’absolu, le fonds substantiel de l'être, la réalité sous-jacente aux formules, pour parler net. Dieu, perçu, senti, vécu, ne pouvait être exprimé qu’en formules de vie : sous les espèces et symboles de l’action, d’après M. Le Roy ; par des images décolorées, résidu de notre expérience, d’après M. Loisy ; par de pures métaphores, d’après M. Tyrrell. Cf. Programma dei modernisti, p. 95. Mais tous s’entendaient sur le point suivant : avant et sans la croyance ou la foi, impossibilité pour la raison de connaître Dieu, la réalité divine, objectivement ; car, indépendamment de l’expérience, la « notion » n’a pas de valeur et de sens relativement à la réalité. Outre les arguments communs à l'école nominaliste et qui se résument à nier que nous ayons aucune connaissance « par les causes », Programma, loc. cit., on prouvait cette conclusion par l’appel aux mystiques, au grand chrétien Pascal, par des attaques contre les théologiens qui ont la superstition de formules mortes et vides, et par le développement vibrant des faits de la vie intérieure que nous ayons rapportés, suivi du raisonnement suivant : La vie intérieure atteint la réalité spirituelle ; donc, en dehors de l’expérience intérieure, les formules n’uni

pas de portée ontologique, et par suite en dehors de l’expérience actuelle du divin opérant en nous et en tout, » Programma, loc. cil., pas de connaissance de Dieu, et donc pas de connaissance rationnelle de Dieu. lbid., p. 105.

ÎJ. Réponse. — Les théologiens connaissent et admettent les faits religieux que j’ai essayé plus haut de décrire brièvement. Dire que l’Eglise réprouve ces états d'âme, reviendrait de fait à dire qu’elle bannit de son sein la piété et la vie intérieure, qu’elle renie saint Bernard, saint Bonaventure, l’Imitation, saint François de Sales, etc., et bille environ les deux tiers des Patrologies deMigne. Le Credo commence par ces mots : Je crois en Dieu ; et nos catéchismes, à la question : Pourquoi dites-vous, je crois en Dieu et non pas seulement je crois qu’il y a un Dieu ? répondent : Parce que non seulement je tiens pour certain que Dieu existe, mais encore je mets en lui loute ma confiance. Où est le théologien catholique qui a mis en question la valeur de cette réponse'.' Quelques protestants ont soutenu en Allemagne que la distinction célèbre Credere Deum, credere Deo, credere ni Deum était spécifiquement hussite et luthérienne. Le P. Denifle leur a montré que c’est ignorance pure. Le plus mince étudiant catholique en théologie sait que cette formule se trouve dans le Maître des Sentences et par suite dans tous les théologiens scolastiques. On faisait de même au subjectivisme de Luther, à sa doctrine de l’expérience intérieure, l’honneur de formules émues, qu’il emploie. Le même Denille a montré que Luther n’avait eu pour composer ces formules touchantes qu'à traduire le bréviaire et le missel de l’ordre des augusliniens. auquel il avait appartenu. Denille, Luther und Lutherthum, Mayence, 1904, t. i, p. 416 sq. Non, l'Église catholique n’a jamais fait de la vie religieuse une affaire de glaciale élégance académique et de froide correction conceptuelle.

On nous objecte la froideur de nos manuels de théologie, et il n’est pas difficile de montrer qu’elle est grande. Disons que cette froideur est voulue, calculée, non certes pour bannir la vie alfective de la religion, mais pour la rendre plus intense. Il n’est pas de professeur de théologie qui ne pense et ne sente autrement de la Trinité, quand, en chaire, il raisonne pour ses élèves sur ce profond mystère, et quand il est à son prie-Dieu. Dans les deux cas, c’est de la même Trinité, considérée objectivement, qu’il s’occupe, de la même réalité mystérieuse, qu’il parle. Mais en chaire, il raisonne ; à son oratoire, il adore, il aime et il prie. Si. en classe, il sent l'émotion religieuse le gagner, le prendre à la gorge, il la refoule le plus souvent, préférant laisser à ses auditeurs de rigoureuses et lumineuses démonstrations plutôt que le souvenir de la vibration d’un instant. C’est que le professeur de théologie sait parfaitement que, si son élève comprend bien la doctrine, le dogme, il y trouvera pour lui-même et pour les autres, l’heure de Dieu venue, une source intarissable de chaudes lumières et de pieuses affections. Bien de glacial comme les Respondeo dicendum de saint Thomas ; en apparence, rien de moins religieux que les o disputes » de Suarez. Faut-il les supprimer ei les remplacer dans les cours de théologie par la lecture de l’Imitation et le chant de quelque pieuse prose du moyen âge ? Non, parce que, à qui sait regarder comment les choses se passent ici-bas, les pages incolores de saint Thomas et de Suarez sont des foyers de vie religieuse intense, d’une incomparable puissance. « Il vaut mieux, dit limitatif », sentir la componction que d’en savoir la définition. » C’est exact, pour la conduite personnelle et le salut de chacun. Mais si mil ne savail définir la componction, qui enseignerait aux autres à la sentir, à la distinguer de ce qui n’est pas elle ? D’ailleurs, c’est encore honorer Dieu

que de se donner beaucoup de peine pour comprendre de son mieux ce qu’ila bien voulu nous révélerde luimême et de ses œuvres. J’ai signalé tout à l’heure l'écart qui, par suite du développement de la vie religieuse profonde, apparaît au fidèle entre la formule abstraite et le Dieu vivant de son cœur. Les pages glacées de saint Thomas et de Suarez n’auraient-elles pas, d’aventure, pour but d’expliquer cet écart apparent, d’en faire comprendre le sens, d’en mesurer la portée ? Jusqu'à preuve du contraire — et on ne me la fournira pas — je pense que l'étude approfondie des grands théologiens reste la meilleure apologétique contre les modernistes, qui prennent occasion de cet écart apparent pour nier la portée ontologique des notions abstraites sur Dieu et en général des formules dogmatiques. Aller dans l'étude des mystères divins jusqu’au bout de l’analyse conceptuelle et logique, c’est le meilleur antidote contre la défiance de la pensée spéculative, que peut faire naître la réflexion sur les caractères de la croyance vécue et vivante. Là où les modernistes, pour n’avoir pas rompu l’os et atteint la substantifique moelle du dogme objectif, concluent que « la formule est vide de sens et de valeur, qu’elle est irréelle, o le théologien voit intellectuellement que la parole divine, la langue de l'Église ont un sens tellement plein, une valeur ontologique tellement riche que les battements de cœur, les enthousiasmes de la foi, les folies d’amour religieux de toutes les générations ne seront jamais adéquats à l’objet que cette parole sacrée et cette langue officielle nous manifestent. Comprise autant que l’intelligence humaine peut la comprendre, la formule révélée nous découvre l’objet de notre foi, bien au-dessus de ce que l’amour réuni des hommes et des anges pourrait nous faire soupçonner, s’il nous était donné de pouvoir l’analyser. Ce qui est vrai des vérités révélées, l’est, toute proportion gardée, des formules philosophiques..Mais pour mettre dans un livre la métaphysique sur Dieu dont nous parlons, il ne suffit pas de l'écrire avec son coeur, il faut de la pensée pure ; et celle-ci est en quelque sorte impersonnelle, c’est-à-dire t, pour ceux qui ne sont pas formés à cette discipline, glaciale. Il paraît donc que les pages décolorées des théologiens, loin d'être une preuve de leur ïndilTérence à la vie spirituelle intime et profonde. lui 'ont en réalité' ordonn

Le préjugé de religion académique et d’intellectualisme exclusif écarté, serrons de près le raisonnement qu’on nous oppose : La ie intérieure itteint la réalité spirituelle ; donc, en dehors de l’expérience intérieure, de la foi du cœur, pas de connaissance rationnelle de Dieu, valable.

Sur l’antécédent de cel enthymème, mettons-nous d’accord quant aux points suivants : a) Il est vrai que la vie intérieure des chrétiens atteint la réalité spirituelle. || est vrai que les mahométans, qui croient i du vrai Dieu, atteignent la même réalité, bien que d’une autre manière, puisqu’ils n’ont pas la vertu théologale di foi. b On convient aussi que sans m vitale du sujet, l’individu n’atteint pas cette réalité. Beaucoup di nts des modernistes

prouvent que, dans la connaissance religieu. nous ne

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t péi du féti chisn lints et des extal iqui i ii- n effet, d après lui, se N i i inti rprétei I ln< onnu sans limid

le eette fraction i II I i II I t. s i „, ; , |, .,), , ï„, , |, |m

née de l’homm i iimi Charybdin, Londi. 272,

175. I que l’encyclique /' rail

remarquer aux mod |ue dam leur systi

toutes les religions se valent, et qu’il n’y a pas pour eux de moyen de montrer la vérité de l’une et la fausseté des autres. Comment le feraient-ils, puisque, d’après eux, d’une part les principes abstraits n’ont pas de portée ontologique en dehors de l’expérience intérieure, et d’autre part tous les hommes ont une expérience religieuse qui atteint la réalité divine ? On ne voit donc pas comment ils pourraient convenablement exclure de la vraie religion, par exemple les hallucinés de nos hôpitaux qui se croient le Père éternel, celui des Monod qui s’est dit le Messie, le fondateur de l’Agapeinone, bref tous les fanatiques, derviches hurleurs, etc. Mais pour simplifier la présente discussion, laissons de côté ce point et convenons de ne parler pour le moment que de l’expérience religieuse des bons chrétiens.

Le sens de l’antécédent étant ainsi bien déterminé, et concédé, nous demandons par quelle « conséquence » passe-t-on, de la proposition : la vie intérieure des bons chrétiens atteint la réalité spirituelle, à cette autre proposition : les formules religieuses, en dehors de l’expérience intérieure, n’ont pas de portée métaphysique ? Cette inférence est légitime, si l’on sous-enlend dans l’antécédent le mot seule, en d’autres termes, si l’on donne un sens exclusif à la proposition : la vie intérieure atteint la réalité spirituelle. Et c’est bien en réalité ce que font les modernistes.

En effet, l’appel aux mystiques et aux grands chrétiens, l'étalage des bénéfices de l’apologétique nouvelle, la description émue des expériences religieuses tendent à suggérer au lecteur que seule l’expérience intérieure al teint l'être substantiel ; quand le lecteur esta point, on lui glisse la conclusion, et le tour est joué. Mais a) l’appel aux mystiques est un leurre : a. parce que les mystiques supposent explicitement la foi, une pensée de foi, par exemple, celle de la présence de Dieu, c’est-à-dire une connaissance notionnelle au début de leurs expériences ; et, seuls, les pseudo-mystiques comme Molinos nient la valeur ontologique de cette pensée initiale proposée par la foi. b. Il est vrai que Gerson et quelques autres ailleurs admettent la possibilité d’une connaissance subséquente à l'état affectif, sans connaissance antécédente..Mais alors il faut dire : quelques mystiques et non pas : les mystiques. De plus, ces quelques mystiques n’admettent la connaissance subséquente que comme un cas singulier. Pour le reste des cas. ils parlent comme tous les autres. — b) L'étalage des avantages de l’apologétique nouvelle, en vue d’amener le lecteur à penser que seule la vie intérieure atteint le réel, est une amorce assez grossière. Elle sert à la fois à dissimuler les concessions que l’on fait aux agnostiques, et à donner de l’apparence aux moyens que l’on propose, par la beauté de la fin. « La pensée moderne est jalouse de la notion d’immanence, etc. ; si nous ne concédons rien, nous serons sans action sur noire temps. » le n’en crois rien ; mais, soit ! Suit-il de là que seule la vie intérieure atteint le réel ? Nos théories, fussent-elles de Kant, changent-elles l’ordre causal du monde ? — et La description émue de la vie spirituelle des bons catholiques, aux fins de produire la ne stion en

f.neur de la aieur exclusive de la connaissance issue de l’expérience, couvre un triple sophisme.

n. On nous décrit avei ïnes modalités de la

vie intérieure. Mais I numération complet*

parties.' Non, les éUlfl que l’on denit sont triés sur le

volet ; "n néglige, de parti pris, ceux qui contrediraient la thèse, par exemple le Pail de la foi sans amour dans l'étal île péché, Denzinger, ii, 740, le fait de i i en Dieu sans la foi dans l’hérétique formel, le fait de

la foi dans Vacedia, le fait de la foi dans ce que saint

Jean i la Croix appelle la nuit obscure, ou encore le Lut di la foi dans t oraison de pan foi, ete i i puis,

on n’explique pas la croyance en Dieu chez ceux qui n’ont pas la révélation, clic/, les fidèles, qui, soit par ignorance, soil par grossièreté, ne sont pas capables de toutes les analyses psychologiques dont on nous parle. Et, d’une énumération 1res incomplète, portanl sur le cas spécial des catholiques fervents, on passe à une généralisation comprenant tous les individus, toutes les situations.

b. On nous décrit avec art certaines modalités de la vie intérieure ; on nous fait remarquer que les réalités suprasensililes prennent pour nous, lorsque ces moda. lités accompagnent nos actes, un aspect de vérité, d’objectivité spécial : ce qui est incontesté ; et on nous demande d’avouer que la connaissance que nous avons de ces réalités n’est objective, réelle, que par ces modalités. Mais réel signifie deux choses : existant hors de moi indépendamment de mes états, ou bien dont l’existence objective m’affecte dans ma vie émotive, dans mes jugements de valeur. Les modernistes, pour tirer leur conclusion, devraient nous montrer que nous ne pouvons pas percevoir le réel au premier sens, sans passer par la perception du réel au second sens. Est-il vrai qu’il n’y a pas connaissance du réel, de l’objectif, indépendamment de l'état émotif que le réel excite quelquefois en moi, ou de l’estime qu’il fait naître ? Je ne nie pas qu’en certains cas la réllexion philosophique ne puisse, de cet état émotif, de cette estime, s’ils sont donnés dans la conscience, remonter à la réalité ; il y a très longtemps que certains théologiens ont essayé de défendre par cette voie l’argument de saint Anselme. Je ne nie pas, dans tous les sens du mot, que le sentiment soit « faculté du réel ».Mais les observations qu’on nous apporte prouvent-elles qu’il est « la faculté du réel » ? La répétition des mots « réalité vécue, réel agi » n’est pas une réponse à la question.

c. Les bons catholiques atteignent les réalités divines dans leur vie intérieure. Nous en convenons. Comme pour argumenter, on a choisi des cas où, d’une certaine façon, ils les atteignent par le sentiment, par l’estime, on conclut que le sentiment est « la faculté du réel ». Admettons-le pour un instant. Cela exclut-il la connaissance objectivement valable du réel, je ne dis pas indépendamment du sentiment, ce qui serait contre l’hypothèse que je concède à ce moment, mais par un autre moyen, x ? Non. En effet, mettons que le sentiment soil un épiphénomène nécessaire et constant de x, il restera vrai de dire que le sentiment est « la faculté du réel », même si l’on admet que x atteint le réel. Quand donc on nous démontrerait qu’il n’y a pas connaissance du réel sans sentiment, par exemple, parce que l’homme va à la vérité de toute son âme, il ne s’ensuivrait aucunement que notre puissance abslractive n’atteint pas le réel ; il s’ensuivrait seulement qu’elle ne l’atteint pas, sans que le sentiment ne l’atteigne aussi à sa façon. En d’autres termes, le rôle du sentiment n’exclut pas, mais suppose l’exercice de notre faculté intellectuelle de connaître ; et les analyses des modernistes ne contiennent rien qui démolisse la position classique en cette matière.

Nous croyons donc pouvoir conclure que leur argument : « la vie intérieure atteint le réel, donc la connaissance purement intellectuelle ne l’atteint pas, » pèche par nullité d’inférence, puisqu’ils n'établissent pas le sens exclusif de l’antécédent. Si d’ailleurs ils disent qu’ils ont le droit de donner le sens exclusif à cet antécédent, parce que les « résultats acquis de la critique kantienne et spencérienne « démontrent l’inanité de la connaissance intellectuelle, nous n’avons qu'à observer qu’en réalité ils concèdent la valeur du Kantisme et du positivisme, qu’ainsi la conclusion de leur enlhymème, qu’ils se donnent l’air de déduire de l'étude du fait religieux, ne suit en réalité de leur an técédent que parce qu’ils se la donnent a priori et in verba magislri.

4. Interprétation des faits.

Bien que suffisante pour montrer le défaul du raisonnement des rnodernistes, cette première réponse n’explique pas la question qu’ils ont soulevée des rapports de la connaissance rationnelle de Dieu et de la vie intérieure. Nous empruntons à Ferez, théolog nol du xvir siècle, une page qui mettra le lecteur sur la voie a suivre. Ens intenllonale aliud est logicum, aliud est reale seu roi iniialis, aliud est commune u trique. Logica enim solum agit de esse objective) conslilulo per triplicem inlcllcclus operalionem humanam ; philosophia autem moralis progreditur ad esse volili et noliti, et ad esse œslimati per a/lectum aut contemplum. Comparer avec l’action, la pensée-action et les jugements de valeur. Ulrunique ens convenil in génère enlis intentlonalis ; neque est necesse iilud restringere ad intellectum aul voluntatern humanam, sed oportet illud e.clendere ad omnem intellectum et voluntatem. Fer./ fait cette dernière remarque pour préparer le moyen dont il se sert pour défendre l’argument de saint Anselme. Voici ce procédé : nidlum bonum est esse chimeram ; sed carens omni defectuest bonum : ergo eurent omni defectu non est chimera. La majeure est évidente, dit-il, parce qu’il est de l’essence de l'être chimérique de ne pas pouvoir être l’objet d’une volilion ex judicio vero, et que, si on le veut quand même, nécessairement la volilion ne peut aboutir. On se souviendra que Leibniz avai ! lu Ferez et l’avait trouvé ingénieux. Est autem intellectus universim loquendo potentia cognosciliva perceptiva contradiclionis et invenliva rationum contradiclionis seu delectiva illarum. Voluntas autem est potentia lendensin objectum ut intellectum, nullam novam ralionem addens in objecto sed inclinationem ex parte subjecti aut declinalionem. Comparer avec ce qu’ont dit du rôle des causes subjectives de la croyance le F. Gardeil, voir Créuiiulité, t. iii, col. 2306 sq., et le P. Ilarent, voir Croyance. Ens autem intentionale est illud quod Itabel esse per denominalionem ab aclu intellectus aut voluntatis, relut si habeal esse voliti aut cogniti. El sic, positiviun intentionale est : esse nominati nomine dicta per affirmationem ; aul esse af/irmati per judicium ; aul esse voliti, aut esse œslimati, wstimalione dan le aliquam magnitudinem. En ce sens, et si l’on s’en tient à une observation sommaire, cf. Dictionnaire apologétique, Paris, "1909, t. I, col. 64, noire foi peut aller bien plus loin que notre connaissance purement notionnelle : esse nominati, ou purement logique : esse af/irmali. Mais on va voir pourquoi il n’en faut pas conclure que la connaissance notionnelle ou logique manque de portée ontologique ou que notre foi « prolonge nos idées ». En effet, est autem talis sestimalio judicium de re ex amore, cm iniitcio respondet nomen nobile et honori/icum. L'âme religieuse qui aime Dieu s’incline au Gloria Patri avec une altilude intérieure de respect, commandée par son amour ; mais son amour lui-même dépend de l’objet intellectuellement connu, et n’ajoute rien à l’objet en soi. L’auteur a recours à des exemples aujourd’hui classiques, l’iui hujus nominis quilibel intelliget et sentiet multo melius quam ullis verbis possit exprimi, si quis reflectat super hoc nomen ego et supra illud mea cita, mea sapientia. Comparer avec la réalisation de New man. Voir Croyance, t. iii, col. 2373 sq. Comparer aussi avec la vérité ; < personnelle, pour moi, agio, vécue », dont on nous parle tant. <juia enim unusquisque se amat, aliter se xstimat dicendo ego atque dicendo tu, 0/7111' aliter afficitur ad meum et ad tuum. Hujus causa est, quia unusquisque judicat et xstimat ex affectu. Cette remarque est du prince de la logique conceptuelle. Aristote. Le chaste, dit saint Thomas, juge autrement

de la pureté que l’incontinent : suit-il qu’il juge plus mal, et que son jugement n’a qu’une valeur purement relative ? L’idée de Dieu émeut et fait vibrer autrement l’homme pieux que l’impie, faut-il en conclure, comme on le fait, que l’impie n’a pas d’idée objectivement valable de Dieu, et que l’homme pieux n’a de Dieu que l’idée que son émotion peut lui en donner ? A ce compte, dans le fameux jugement de Salomon, celle qui par l'émotion de sa réponse fut jugée la vraie mère, ne l'était, et ne savait l'être, que par l'émotion que lui causa la proposition du roi. Qui ne voit que la réponse de cette femme et l’accent qu’elle y mit furent commandés par la réalité objective, par le fait de la gestation, de la parturition et de l’allaitement ? Salomon compta sur la réaction émotive de sa proposition pour distinguer la vraie mère, et nos juges d’instruction, qui épient « l’accent de vérité » d’un témoin, font de même ; mais tous savent et admettent que l'émotion et l’accent de vérité du témoin ne créent pas la connaissance du fait, qu’au contraire ils la supposent, et c’est précisément parce qu’ils la supposent, qu’on en tient compte. De même, l’indifférence du témoin est, dans bien des cas, la meilleure garantie de son témoignage : vérité admise de tous, mais que ne peuvent pas expliquer ceux qui tiennent que ce qui n’est pas émotionnel ne saurait atteindre le réel. C’est que la connaissance objectivement valable du réel est antérieure à la réaction affective. 111a autem nomina quæ præcedunt affectum, c’est-à-dire les formules purement conceptuelles et logiques, possimt esse œstimaliva realiter, sed formaliter non sunt. Ce qui signifie que la formule purement spéculative peut être prégnante de toutes les réactions affectives du sujet de façon à les légitimer logiquement, sans que subjectivement le sujet réagisse ; $unt lacrymx rerum, a dit le poêle dans le même sens. Par exemple, la formule abstraite du Credo, qui est l’objet direct de noire foi, n’est pas moins repré tentative de la réalité en soi, pour nous laisser froids à certains jours, quand par exemple nous avons une forte migraine. Os jours-là, le Credo reste pourtant la parole de Dieu, et par suite la vérité ; et le fait que nous ne réagissons pas, à cause de la migraine, n’en rien à la valeur objective de notification de la formule. Perez conclut : Patei ergo quid sitesse inlentionabquod, juxta dicta, non solum constituitur per triplicem opérai ionem logicam, sed per quartam rolili, et per quintam sestimati. Volilioenim estquædam illatin— i n’est pas nécessaire qu’il ait inférence formelle, de même plus haut il n’est pas question de jugement formel : les scolasliques connaissaient les apprehensiones virlualiter judicativa et illativse — ntelleclione, et cet timatio est Mario ex volitione Ant. Perez, In I n divi Thomm

tract, quinque, Rome, 1656, t. i. p. 3.

On voit par ce texte que l’admission des notions conceptuelles valables dans la vie morale et religieuse, loin

d'être gêne pour l’interprétation des faits, sert au

Contraire à les comprendre.

"ii nous objei lera que les scolasliques ne s’occupent jamais que des concepts i t des opérations logiqui que nous serions bien embarras é pour citer un autre auteur que Perez, qui parle d’une quatrième opération

et d’une i Inqui i, Nous avouons qu’il

nir, où nous avons trouvi

Mai ! la et qu ils expriment rail le fond de

la " : tique des vertu ; el l’on ail que, dans

la religion est uni ver

r 'Pl ite qu’un ai

de toutes les vertu p.,

ni de la rertu de prudence, j intervient.

i fournil la réponse aux 'ions que fin m des tut rappi '"- moderniiti libéraux, pour con clure que nous n’avons la certitude du réel en religion que par l’intuition dans le sentiment ou l’expérience. — 1. Il y a, disent-ils, progrès dans la connaissance du réel divin par l’expérience ; donc l’expérience est le seul moyen de l’atteindre. — Réponse. —Nous admettons le fait du progrès, que nous expliquons très facilement sans avoir à concéder la conséquence que l’on déduit de ce fait. Cf. Kleutgen, Théologie der Vorzeit, Munster, 1874, t. v, p. 272 ; S. Bonaventure, Opéra, édit. Quaracchi, t. v, p. 55 ; Bossuet, Œuvres oratoires, édit. Lebarq, t. v, p. 10't.

2. Par la vie intérieure, disent-ils, on a une sorte d’intuition des vérités divines ; donc la connaissance du réel, qui ne peut être qu’intuitive, s’acquiert par l’expérience. — Réponse. — Dans le conséquent on prend pour accordée la non-valeur de la connaissance abstraite, c’est-à-dire précisément ce qui est en question. Quant à l’antécédent, nous concédons une sorte d’intuition, à condition qu’on ne prenne pas ce mot au sens où les théologiens l’emploient quand ils trailent de la vision intuitive. Cette équivoque écartée, l’emploi du motintuition n’a rien qui nous choque. Cf. Harent, Expérience et foi, dans les Etudes, 20 octobre 1907, p. 233. On le trouve équivalemment dans saint Thomas : In hac etiani rila purgato oculoper donum intellectus Deusquodammodo videri potest. Sum. l/ieol., I » II", q. i.xix, a. 2, ad 3° m. Huarez, De oratione, c. xiii, dit : quasi intuitu ; Benoit XIV définit la contemplation : simplex intellectualis intititus cum sapida dilectione. De bealificatione, 1. 111, c. xxvi. Le sens de cette expression se détermine par celui des termes auxquels on l’oppose, qui sont « méditation et discours ». Méditation et discours emportent proposition d’une vérité de foi, puis raisonnement, ell’ort conscient ; intuition, au contraire, signifie appréhension de la vérité de foi sans raisonnement, avec clarté et sans effort ; c’est ainsi que nous saisissons les premiers principes, et que nous voyons que deux et deux font quatre. Par la pratique de la vie intérieure, sous l’action de la grâce de Dieu, il arrive que le fidèle saisit les vérités de foi, comme on voit les premiers principes spontanément, sans elïort, avec clarté, qu’il leur donne son assentiment sans raisonnement conscient, et qu’ainsi tenues pour certaines, ces vérités, qu'énonce la formule traditionnelle, mieux péné trées sollicitent fortement les puissances affectives. Dans ce cas, l’illusion serait de croire que la formule abstraite n’exprimait pas objectivement de quoi justifier tout l'ébranlement ressenti. Parce qu’on a mieux compris le dogme, on en a été plus touché : et parce que les objets que nous voyons, nous sont plus distinctement présents à l’esprit et nous émeuvent plus que ceux qui sont absents, on dit ici par analogie que, dans ces cas, on a l’intuition de la réalité divine. Cf. Scaramelli, La direction mystique, trad. Catoire, S vol.. Tournai, 1863 ; l’auteur avait en vue Molinos et ses disciples, el par suite traite les questions précisément au point de vue qui nous occupe ici ; Schram, Theologia myslica, Paris, I Sis. Voir aussi Moisant. Dieu, l’expérieni métaphysique, Paris. 1907,

3. Dans l’expérience religieuse, on n’a pas consi ienci d’un travail intellectuel, la connaissance semble venir du dedans et non du dehors, du cœur plutôt que du

au. — Réponse. —Ce que i s venons de dire explique pourquoi la conscience de Pefforl rail défaut, qu’il n'} t ni effort, ni raisonnement explicite. La ade partie de l’observation, que nous admettons comme la premii re, a été députa longtemps i tpliquée par les thi dans le ti i rlus, à propos des habitudi acquises que nonlaissent nos icti rai naturels. Cf. de Coninck, De moral) la te, natu efferlibut acluum tupernaturalium in génère, etc., Ame. lisp il. dub. iii, n. Si, I n vertu « le l’unitédu sujet humain, tout ce quenou non*. même les objets spirituels, dans l’acte le plus épuré de l’intelligence, a une représentation concomitante dans notre imagination, et par suite émeut d’une certaine manière nos puissances affectives sensibles. D’où il arrive, observe de ConincU, que si notre piété produit un acte d’amour de Dieu très sensible, nous éprouvons aussi une certaine douceur dans tout notre être : Cor nieum et caro mea exultaverunt in Deunt vivum. l’s. lx.xiii, 3. Ile là naît dans nos puissances inférieures une inclination aux appréhensions et aux affections de même nature. Kl celle inclination est très utile pour faciliter à la volonté les actes surnaturels, soit parce que cette inclination fait disparaître les empêchements que la partie sensible de notre êtreapporte souvent aux actes de la partie supérieure, soit parce que, grâce à cette inclination, l’intelligence est excitée et aidée à proposer son objet à la volonté avec plus de perfection et plus de force. L’objet étant ainsi proposé, l’imagination le présente à sa manière à l’appétit sensible, qui d’un mouvement nécessaire se porte à lui, in objectum aliquo modo simile corporali modo apprehensum. D’où il suit que l’objet religieux apparaît à la volonté libre d’autant plus digne d’amour que cette puissance est sollicitée à l’acte, à la fois, par l’objet vivement présenté par l’intelligence, et par l’état émotionnel de la partie inférieure. A la lumière de cette explication, il nous semble qu’on se rend assez compte pourquoi, dans certaines expériences religieuses, la connaissance parait venir du dedans, du cœur, et non du dehors, du cerveau. Mais on a tort de conclure que, dans ces cas, le réel n’est pas atteint par la connaissance abstraite, par l’intelligence. Si on retranche cet élément, on tombe dans le subjectivisme et dans le relativisme radical.

4. On objecte enfin : La vie intérieure nous donne une certitude sui generis de la réalité de l’objet religieux. Donc cet objet n’est pas alteint par les notions. — Réponse. — Les théologiens concèdent que la répétition des actes surnaturels engendrent une habitude de ces actes. Actuellement, la plupart des théologiens admettent que cette habitude est naturelle. La raison qu’ils en donnent est le fait d’expérience suivant. Le fidèle qui devient hérétique formel perd tous ses dons surnaturels : cependant il lui reste, s’il était théologien, Vhabitus acquis de la théologie ; et, bien qu’il n’ait plus la foi, il lui reste, pour les articles qu’il admet encore, une fermeté et une certitude subjectives d’adhésion à ces articles, dont il a conscience. Cet habilus n’est pas surnaturel maintenant, puisque, par hypothèse, tous les dons surnaturels sont perdus ; il est donc naturel ; et, s’il est actuellement naturel, il l’était quand l’hérétique avait la foi. On admet donc, en même temps que la certitude de la foi proprement dite, qui repose sur l’autorité du témoignage divin, une certitude naturelle des vérités révélées, acquise par la pratique de la vie spirituelle. Les modernistes réduisent la certitude de la foi à cette certitude naturelle acquise. C’est ce que l’on ne peut pas leur concéder. De l’existence de cette certitude naturelle, ils concluent à la non-valeur ontologique de l’assentiment ferme, donné aux propositions révélées précisément parce qu’elles sont la parole de Dieu. Encore une fois, la conséquence ne vaudrait que si l’on prouvait par ailleurs que les formules abstraites ne représentent pas le réel et nous ont été transmises, uniquement comme des types d’expériences religieuses, et non pas tout d’abord comme des manifestations des réalités divines, garanties par le témoignage divin.

Études sur le décret Lamentabili, lire à part de V Univers, août 1907 ; Heiner, Dcr neue Syllabus Pins.Y. 2’âdit., Mayence, 1908 ; Michelitsch, Der bibliscli-tlog » iatiscl>er Syllabus Pius A sarm dcr Encyclica gege>i den Modernismus’2’édit., Ciraz.

1908.


X. Erreurs sur la possibilité de la connaissance certaine de Dieu par la raison naturelle visées par le concile du Vatican

Le concile se proposa de condamner : L » le traditionalisme, Acla, coi. 79, 131. 2° l’erreur très répandue depuis les encyclopédistes fran et depuis l’apparition de la philosophie critique en Allemagne, qui consiste à nier la possibilité de connaître Dieu par la raison, soit faute d’arguments valables, soit pareeque les impressions dites intuitions sensibles sont seules l’objet réel de la connaissance, ralii per se nihil eognoscere, sed tantum percipeve, Acla, col. 520, 79, 8(3, 129 sq. ; 3° ceux qui nient la possibilité ou la légitimité de la théodicée, qui tlieologiam naturalem negant.Acta, col. 1 18, 127. Le concile a condamné’les partisans d’une religion exclusivement naturelle : dans l’ordre de providence où nous sommes, elle est insuffisante. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas une science naturelle de Dieu et des mœurs : scientia de Deo et rébus moralibus ; l’expression est du concile, Denzinger, n. 1658, qui ne l’emploie pas pour la rejeter, mais simplement pour avertir de leur erreur ceux qui confondent la théodicée et la morale avec la foi proprement dite. 4° Le concile n’a pas entendu définir seulement la possibilité d’une connaissance de Dieu abstraite, sans inlluence sur la vie morale et religieuse. La connaissance de Dieu, dont il affirme que la raison naturelle est capable, est une connaissance telle que la conscience de nos principaux devoirs envers Dieu en découle. En effet, un des membres du concile ayant proposé un amendement qui indiquait explicitement que la connaissance de Dieu dont on définissait la possibilité, emporte avec elle la connaissance de nos principaux devoirs moraux et en particulier de la religion naturelle, Acta, col. 121, emend. 11, la correction fut rejetée comme superflue sur l’observation suivante que fit le rapporteur : « Nous disons que l’homme peut connaître Dieu, « principe et fin de toutes c choses ; » notre formule énonce donc aussi que l’homme peut connaître ses principales obligations morales. Car personne ne peut tendre à Dieu, auteur de la nature, comme à sa fin naturelle, sans connaître au moins ses principaux devoirs envers Dieu. » Acta, col. 133, 507 sq. Le concile admet donc, antérieurement à tout acte de foi, la possibilité d’une théodicée dont la certitude et l’étendue permettent à l’homme de commencer sa vie morale et religieuse. D’ailleurs, parmi ces devoirs, le concile énumère plus loin celui de se soumettre à la révélation ; il suppose donc qu’avant la foi l’homme peut arriver par sa raison à une connaissance de Dieu telle qu’elle puisse servir de préambule à la foi. Mais une telle connaissance ne peut pas être sans quelque jugement de portée ontologique sur la nature intrinsèque de Dieu.

XI.

Les passages du concile qui touchent directement à notre sujet sont les deux suivants :

Eadem sancta mater Eccle— La même sainte Église, notre

sia tenet et docet Deum, re— mère, tient et enseigne que

rum omnium principiutn et par la lumière naturelle de la

Bnem, naturali humanse ratio— raison humaine, Dieu, prin nis luminee rébus creatis cipe et fin de toutes il

ccrlo cognesci p"s^e : invisibi— peut être connu avec certitude

lia enim ipsius, a creatura an moyen des choses créées ;

mundi. per ea quse facta sunt, car depuis la création du

intellecta, conspiciuntur ; at— monde, ses invisibles perfec tamen placuisse ejus sapientiæ tions sont vues par l’intelli el bonitati, alia, eaque su— gence des hommes au moyen

pernaturaii via, seipsum ac des êtres qu’il a faits ; que

a tenu voiuntatis sua ; décréta néanmoins il a plu à la sagesse

liumano generi revelare, di— et à la bonté de Dieu de se ré

cente apostolo : Multxfariam voler lui-même et les éternels

mullisque modis olim /’eus décrets (le sa volonté, par

loquens patribus in proplie— une autre voie et cela par

lis ; novissime, diebus istis une voie surnaturelle. C’est ce

locutus est nobis in Filio. que dit l’apôtre. Aprcsavoir

Huic divinæ revelationi tribuendum quiilem est, ut ea, quae in rébus divinis humanae rationi per se impervia non sunt, in præsenli quoque generis humani conditione ab omnibus expedite, firma certitudine et nullo admixlo errore cognosci possint. Non hac tamen de causa revelatio absolute necessaria dicenda est, sed quia Deus ex infinita bonitate sua ordinavit bominem ad finem supernaturalem, ad participanda scilicet bona divina, quaj humanæ mentis intelligentiam omnino superant : siquidem oculus non vidit, nec auris audivit, nec in cor hominis ascendit, quæ preparavit Deus illis qui diligunt illum. Oonst. Dei Filius, en, De revelatione, Acta concilii Vaticani, col. 250 ; Denzinger, n. 1634, 1635.

parlé autrefois à nos pères à plusieurs reprises et de plusieurs manières par lesproplwtes : pour la dernière fois. Dieu nous a parlé de nos jours par son Fils.

On doit, il est vrai, attribuer à cette divine révélation que les points, qui dans les choses divines ne sont pas par euxmêmes inaccessibles à la raison humaine, puissent aussi dans la condition présente du genre humain être connus de tous, sans difficulté, avec une ferme certitude et à l’exclusion de toute erreur. Ce n’est pas pourtant pour cette cause que la révélation doit être déclarée absolument nécessaire, mais parce que Dieu, dans son infinie bonté, a ordonné l’homme à la fin surnaturelle, c’est-àdire à la participation de biens divins qui dépassent tout à fait l’intelligence de l’esprit humain ; car l'œil n’a point vii, ni l’oreille entendu, ni le coeur de l’homme conçu les choses que Dieu a préparées à ceux qui l’aiment. (Traduction de l. Vacant.)

Après une série d’anathémes où sont rejetés l’athéisme, le matérialisme, toutes les formes du panthéisme, etc., vient le canon suivant :

Si quis dixerit Deum unum et verum, creatorem ei Dominiini nostrum, per ea qu ; e facta sunt. naturali rationis humanse luminc certo cognosci non posse, anathema sit. A cta, col. 25r> : 1 lenzinger, n. 1653.

Si quelqu’un dit que le Dieu unique et véritable, notre créateur et Seigneur, ne peut pas èlre connu avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine, au moyen des i très Cl -. qu’il soit ana 1 l, e concile a défini que l’homme a le pouvoir physique de s'élever à la connaissance de Dieu. — L’accent doit être mis mit le mot posse dans le canon cité. Il ne s’agit donc pas du fait. En d’autres t< on n’a pas voulu définir que chacun des hommes tire en fait la première connaissance qu’il a de Dieu, de la manifestation naturelle de Dieu par les créatures, mais bien que la r ; i is<, n humaine possède en elle-même des ce auxquelles elle peut connaître Dieu par le moyen de cette manifestation. Acta, col. 127. (580, 79 ; emend. 51 el 98, col. 224, 228, 238. Établir ce on, c'était poser un principe qui excluait à lui seul toutes les erreurs que l’on voulait atteindre et spécialement le traditionalisme rigide. M rsi notre but, disait le rapporteur de la commission de la foi ; el ce principe est le suivant : in homi otentiam esse Deum p< loi cei in idi. Acta, col. 79, 127. 130.

Cette puissance n’est pas affirmée indistinctement de chacun d<s individus de l’espèce humaine, col. 2 :  ! <>. mais on veut dire 'i'"' l’homme qui a l’usage de la n. col. 520, quelles que soient d’ailleurs les conditioni pour qu’il parvienne ; i cel état, col. 520, 79, di la bu ce de remonter à on auteur, p

i aide des lumièn - naturelles

de ol. 7 ! t. 150 : te formule n’exclut

directement tout traditionalisme mitigé, mais elle

mi ni opposée au di Luther, La et( A i emarquei le ' fo i

1 imennais n avait p.is nié toute pui

i puisque d’api es lui l’homme

li recevoir la vérité, On ni ttement dan le i on< ile que le pouvoir qu’on

délinissait, est un pouvoir physique, actif. Acta, col. 127 230, 521.

La solution donnée au concile de quelques difficultés qui peuvent se présenter à l’esprit, fera mieux saisir la portée réelle de ce que nous venons d’exposer. On objectait : Mais les païens n’ont pas connu Dieu, principe et fin de toutes choses. On répondit : Nous ne définissons pas le fait, mais la puissance. Acta, col. 236. Un autre répliquait : Mais le sourd-muet, l’homme des bois ne connaissent pas Dieu, n’ont pas la faculté de le connaître. On répondit : Nous ne parlons pas de chaque individu, mais de la nature humaine. Ibid. On reprenait : Mais pas de religion, pas de morale, sans vie sociale. La réponse fut que l’on ne délinissait rien sur les conditions du développement des facultés humaines, mais seulement l’existence en nous d’un moyen naturel d’atteindre les vérités morales et religieuses, col. 239. L’adversaire ajoutait que si, de fait, les païens ont connu Dieu, ils ne l’ont pas connu indépendamment de toute tradition. Le rapporteur, après avoir répété que l’on ne définissait rien sur les conditions de l’exercice des facultés de l’homme, refusa d’entrer dans la controverse de la question historique que l’on soulevait, parce que saint Paul, qui affirme que les païens ont connu Dieu, dérive cette connaissance non de la révélation primitive, mais bien du miroir des créatures, per ea qux facta sunt, liom., 1, 20, col. 238. Enfin, un dernier amendementopposait — et nous avons souvent retrouvé cette objection chez les modernistes — que l’on ne pouvait pas parler dans le canon de la lumière naturelle de la raison, puisque, de fait, l’homme n’a jamais été dans l'état purement naturel : Adam était dans l'état de justice originelle, nous sommes déchus, mais relevés. La réponse fui que la difficulté ne portait pas, puisque le concile parlait seulement des principes de la raison, sans parler de ['exercice de la raison : nos solummodo loquimur de principiis rationis, quod Deus e.r principiis rationis certo cognosci possit ; quidquid sit de exercitio ralionis. S’il était question de l’exercice de la raison, évidemment le problème de la nécessité de la grâce se poserait et il faudrait entrer dans des questions d'écoles ; maison ne parlait que des principes de la raison. Or, nonobstant le l’ait de l'élévation de l’homme à l'état surnaturel, l’expression lumière naturelle de la raison pour désigner notre faculté de connaître, en tant que distincte de la foi, avait un sens net admis par tous les théologiens et par tout le monde sans exception. Acta, col. 238 ; Denzinger, n. 1643 sq.

2 » Le pouvoir physique de connaître Dieu par la raison naturelle, défini par le concile, ne se réduit pus à uur impossibilité morale, bien moins encore à muimpossibilité absolue. — Il pourrait paraître au premier abord que le pouvoir physique de connaître Dieu, défini par le concile, doit s’entendre d’un pouvoir physique a né d’une impossibilité morale de

jamais parvenir naturellement à cette connaissance En d’antres termes, le pouvoir physique affirmé' sérail , i peu près de la même espèce que le pouvoir physique impliqué dans la phrase suivante : Archimède i I ses contemporains avaient le pouvoir physique de connaître notre télégraphie sans fil. Quelques modernistes ont

pr tendu se mettn d’i I a ei le concile par cette

interprétation, dont les sophismes j sur l’immorale constituent toul le fond. Voici leur nnement, Après avoir défini la possibilité pour l’homme de connaître Dieu, le concile admet implicitement la n raie de la révélation proprement

dite. dm. col. 136, 1672. D’ailleurs, qui dit n

site morale d’an sec i et admet comme

corrélatif une impossibilité morale. Acta, col. 524, n. il. Or, parmi los idijois pour lesquels le concile t que la révélation est moralement né<

trouve l’existence de Dion. Donc, concluent-ils, le concile, tout en définissant que l’homme a le pouvoir physique de connaître Dieu, a admis que ce pouvoir est environné de telles difficultés qu’en fait il ne s’exerce jamais : ce qui est, sinon la définition essentielle, du moins la description caractéristique de l’impossibilité morale. D’où il suit que, si avec les jansénistes on étudie bien le problème, on peut concéder que les individus sont dans l’impuissance morale absolue de connaître Dieu par la raison naturelle et que cette impuissance absolue provient d’une sorte d’impuissance physique. Acta, col. 236.

Rien de plus fallacieux que ce raisonnement, rien de plus contraire à la pensée certaine du concile quécette jonglerie de mots. En effet, même en supposant pour un instant que du fait d’impuissance morale on puisse jamais conclure à une impossibilité absolue ou même à une impuissance physique, eneore faudrait-il, pour que l’inférence fût correcte, que la proposition où est impliquée l’impuissance morale et celle où est affirmé le pouvoir physique de connaître Dieu par la raison naturelle fussent de eodem et sub eodem respectu. Or, nousallons montrer que cette condition essentielle n’est pas vérifiée ; nous dirons ensuite d’une manière plus générale pourquoi le passage de l’impuissance morale à l’impuissance absolue ou physique est illégitime dans la question qui nous occupe.

1. L’objet pour lequel le concile admet un pouvoir physique de connaissance rationnelle est différent de l’objet pour lequel il admet la nécessité morale de la révélation. L’objet de connaissance assigné aux forces naturelles de la raison est Dieu et les principales obligations morales et religieuses. Acia, col. 133. Au contraire, l’objet de connaissance pour lequel on déclare la révélation moralement nécessaire est beaucoup plus étendu, in rébus divinis. La dill'érence des formules n’est due ni au hasard ni à un caprice de style. A un amendement qui proposait de remplacer les mots choses divines par ceux-ci : Dieu et la loi naturelle, Acta, col. 509, 122, emend. 19, on répondit que la formule à sens moins restreint avait été intentionnellement choisie, col. 136, 239, 1652, 1672. Donc, même en négligeant les raisons de ce choix, il est certain que, lorsque le concile enseigne équivalemment que l’homme se trouve dans l’impuissance morale de connaître les choses divines, bien que dans cet objet l’existence de Dieu et les premiers principes de la morale et de la religion naturelle soient sûrement compris, cependant l’impuissance morale implicitement admise ne porte pas directement sur cet objet restreint, mais bien sur un ensemble de vérités plus étendu. On ne peut donc pas légitimement et de bonne foi conclure du texte voté par le concile qu’il admet dans l’homme une impuissance morale à connaître précisément Dieu et ses principaux devoirs. Cf. Granderath, p. 78, n. 1.

Dans le paragraphe où il est traité de la connaissance de Dieu, le concile parle du pouvoir de connaître ; dans la phrase où est impliquée la nécessité morale de la révélation, il s’agit de la connaissance actuelle des choses divines. De plus, l’impuissance morale supposée parle texte conciliaire n’est implicitement affirmée que par rapport à une connaissance universellement répandue, prompte, sans mélange d’incertitude et d’erreurs. Acta, col. 135, 524, n. 11 ; voir Granderath, p. 78, n. 3 ; Fran/.elin, De Scriptura et traditione, 2e édit., p. 617. Si je constate l’impuissance où se trouvent nos paysans de suivre l’exposé des fondements des géométries non euclidiennes, si je reconnais qu’Archimède était dans l’impuissance morale de découvrir la télégraphie sans fil, il ne suit nullement de ces impuissances relatives que le pouvoir physique d’enlendre Lobatchefsky ou de devancer MM. liranly et Marconi ait été refusé à l’humanité, ni même à nos paysans et

aux savants anciens. La raison en est que le pouvoir nu de poser un acte est différent du pouvoir prochain de le poser, ou encore que le pouvoir physique de connaître un objet n’est pas du tout le pouvoir de la connaissance actuelle de cet objet. Il y a loin de la coupe aux lèvres, c’est-à-dire qu’entre la faculté et son exercice s’intercale toute une série de circonstances, de conditions, de causes variables et variées, qui peuvent être favorables à l’activité de la faculté et à la perfection de son acte, qui peuvent aussi leur être nuisibles. Or, en théologie, quand on parle de l’impuissance morale où se trouve un agent par rapport à une action, on veut dire que le pouvoir physique, faculté ou inclination naturelle à l’acte, subsistant intact, les circonstances, conditions et causes, extérieures à ce pouvoir, mais requises à son exercice, sont défavorables ou empêchent l’acte de se produire. Passer de l’impuissance morale, comme les théologiens l’entendent, à l’absence du pouvoir physique serait donc une parfaite ignoratio elenchi. Le sophisme est différent d’espèce, mais reste un sophisme classé, si l’on passe de l’impuissance morale, concédée relativement à la connaissance actuelle, à une impuissance morale affectant le pouvoir même de connaître. Les jansénistes, malgré toule leur subtilité, n’ont pas réussi à persuader le contraire aux théologiens dans la question analogue de la nécessité de la grâce pour l’observation prolongée de toute la loi.

Une troisième différence entre les deux passages que nous comparons est que, c’est de V /tontine en général, de la nature philosophique de l’homme, qu’on affirme le pouvoir physique de connaître rationnellement Dieu ; c’est au contraire des individus qu’on admet l’impuissance morale dont il s’agit. Le texte du concile suffit à lui seul à prouver cette différence : dans le canon le mot homme est absent ; on lit seulement ces mots : naturali rationis /tum a nselumine (supposition absolue) ; la nécessité morale de la révélation est au contraire enseignée ut ab omnibus (supposition relative). La première rédaction du canon portait ces mots : ab homine. Un membre du concile en demanda la suppression « de peur que le concile ne parût définir comme un dogme de foi qu’il ne saurait jamais se rencontrer d’adulte qui ignore Dieu invinciblement, » conséquence qui suivait du texte proposé, si l’on y prenait les mots ab /tontine au sens de la supposition relative. L’observation parut exacte et l’amendement fut accepté. Acta, col. 126, emend. 49, 149. Voir Vacant, n. 273 sq.

Enfin, dans le canon, il s’agit de la nature philosophique de l’homme et non de l’homme dans l'état historique ; la nécessité morale de la révélation est affirmée au contraire, non pour l’homme en général, mais pour l’homme dans l'état où il se trouve de fait. Le rédacteur du projet de canon, M « ' Martin, s'était placé au point de vue historique, et il avait écrit : ab fcontine lapso cognosci posse. Acta, col. 1631, 131, 1672. La commission chargée d'étudier ce projet biffa le mot lapso qui ne se trouve pas dans le texte soumis aux délibérations du concile. Acta, col. 76, 1655. Dans le cours des discussions, plusieurs amendements furent proposés, qui tendaient de diverses manières à reprendre ce point de vue : ab homine in societate adulto, ab homine prouli nuncest. Acta, col. 1652, 120, emend. 3, i.."> : col. 125, emend. 51, 52,."> ; > ; col. 224, emend. 51, 52 ; col. 228. emend. 98. Un de ces amendements demandait qu’on omît le mol naturali, parce que l’homme n’ayant jamais été dans un étal purement naturel, on ne pouvait pas parler d’une connaissance de Dieu naturelle. Ces amendements ollraient une issue au traditionalisme mitigé et extirpaient moins radicalement le traditionalisme rigide. Car l'école de Louvain aurait pu dire que ce pouvoir de l’homme déchu n’aurait jamais été ce

qu’il est, sans la révélation faite à Adam ; Lamennais ou ses héritiers auraient pu essayer de retrouver un acte de foi dans l’exercice de ce pouvoir ; en tout cas, les uns et les autres n’auraient pas manqué de dire que ce pouvoir n'était pas simplement naturel, puisqu’il n’aurait été défini que pour un état de l’humanité qui ne l’est pas. D’un autre côté, comme les expressions prouti mine est, ab homme lapso, etc., rappellent non seulement la chute, mais aussi l'état antérieur, la rédemption et tout l’ordre de providence surnaturel où nous vivons, c'était s’exposer à voir remettre en question à propos du texte conciliaire la gratuité absolue de notre élévation à l’ordre surnaturel, la possibilité de l'état de nature pure ou, ce qui revient au même, la distinction réelle entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel ; et il devenait ainsi nécessaire de s’engager à fond dès le début dans diverses questions délicates touchant le traité de la grâce, que le concile devait examiner plus tard et sur lesquelles il n’a pas eu le temps de statuer.

Ces amendements qui tendaient à ne définir que pour l’homme historique la possibilité naturelle de connaître Dieu furent tous rejetés sur la demande du rapporteur de la commission. Acta, co. 130 sq., 150, 236, 238, 243. Celui-ci sous dill'éren tes formes répéta que, si l’on voulait porter le remède à la racine du mal, il fallait définir une proposition universelle, s’appliquant â l’homme en général, non pas seulement à des hommes existant dans un état particulier, réel ou hypothétique : Agitur i » génère île conditione naturse humanse, col. 150 ; et la raison de cette insistance se trouve formulée en quelques mots : cum eaquæ in ista doctrina docentur, generatim vera habenda sinl, sive sumatur homo in statu naturse purée, sive in statu naturæ lapsx, col. 131. Quant à l’argutie tirée de la grâce de l’ordre où nous sommes, on répondit que la question de la grâce se posait relativement à l’exercice de la faculté, et que le concile ne disait rien de cet exercice, se contentant d’affirmer que l’homme a les principes naturels de ht connaissance de Dieu, col. 238.

Au contraire, dans le passage où le concile parle de la nécessité morale de la révélation, il s’agit de l’homme historique : in prsesenti quoque gencris humant conditione. Bien que les modernistes aient fait les plus grands efforts pour persuader au public, qui lias théologien, que le mot naturel, dans l’expression « lumières naturelles de la raison », doit s’entendre au sens composé de l'état où nous sommes qui est surnaturel — ce qui ruine tous les fondements rationnels de la religion, puisque la valeur de la raison est niée ou grandement mis.., n suspicion — il est certain qu’en adoptant la formule du canon que nous éludions le concile lit aux rationalistes un.' grande roncession, celle précisément que les traditionalistes leur déniaient.' Rome, a diverses reprises dans le cours du siècle.

; iv : i ' » r ". Il ne le rationalisme et aussi le semi-rationalisme de quelques Vllemands. Les traditionalistes franivaient affecté de prendn. ou pi ut-é(re

simplement pris, ces condamnations pour une approbation de leurs doctrines. Quand Rome exigea des rétractations ( ! - Bautain et de Bonnetty.les semi-rationalistes

1 ur tour triomphé de I autre côté du Lin Religion naturelle de lui. Simon, ouvrage nettement rationaliste, fui un- à l’Index. Les traditionalistes, à 'I'" ' « le* Simon a ail '.ni remarquer A bon droit, dans " » v m daté du 10 août 1856, V édît., |

M"" u r th( liqui idmel la valeur de la raiBon el

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aucune théologie ou avaient plus de zèle pseudo-apologétique que de doctrine. Sur ce point, le concile donna raison au rationaliste Jules Simon : l'Église admet la valeur de la raison en matière morale et religieuse ; mais en même temps il eut soin de tracer une ligne nette de démarcation entre la doctrine catholique, le rationalisme qui exagère les forces de la raison, et le traditionalisme qui. à la suite de Luther et de Jansénius, les déprimait à l’excès. Tel est le but du paragraphe qui nous occupe en ce moment.

La théologie juive et arabe avait eu au xile siècle sa crise de rationalisme. Cette crise fournit â saint Thomas l’occasion de poser les principes qui ont triomphé au concile du Vatican, après une étude de la question qui n’avait pas duré moins de six siècles. Le concile du Vatican se trouvait en face de trois solutions : a) Celle de ceux qui se déliaient de la raison naturelle pour des raisons soi-disant théologiques (doctrine de la chute, pseudo-mysticisme), ou philosophiques (scepticisme, nominalisme, impossibilité de découvrir le langage, etc.), et qui de la nécessité morale de la révélation concluaient à la nécessité absolue de la même révélation, b) Celle des rationalistes qui, niant le dogme de la chute dont les précédents exagéraient les suites, soutenaient que le pouvoir de connaitre Dieu et de mener une vie religieuse et morale digne de ce nom est un des constitutifs de l’esprit humain, et concluaient de là que la révélation positive, loin d'être nécessaire, soit relativement, soit absolument, est inutile ou même nuisible, puisque naturellement et nécessairement l’homme à tout le pouvoir de connaitre Dieu dont il est susceptible, c) Celle des semi-rationalistes, Ces derniers admettaient le principe du rationalisme, que la religion tout entière n’est et ne peut être que le développement complet de l’esprit humain ; mais ils se flattaient de rester dans l’orthodoxie en maintenant le dogme de la chute originelle. La conception baianiste du surnaturel leur servait â réaliser ce prodige d'équilibre. D’après (Jùnther, comme d’après Raius et Jansénius, I étal de justice primitive était nécessaire et par conséquent naturel..Mais, par suite du péché originel, l’homme sans un secours d’en haut ne peut plus atteindre à son développement religieux normal. Les rationalistes, concluaient-ils, ont donc tort de rejeter toute grâce (révélation) de Dieu, puisque l’homme défini et non relevé ne pourrait rien dans l’ordre religieux sans la rédemption. Cependant, le secours requis n’est point nécessairement pour l’homme déchu el relevé celui de la révélation proprement dite ou manifestation de vérités ; car la raison humaine est capable de comprendre toutes les vérités religieuses ; de son côté, la grâce n’a point pour rôle de constituer notre être dans un étal supérieur à l'état naturel el normal de l’humanité. Grâce et révélation ne servent qu'à nous rendre la facilité perdue de mener la vie religieuse et morale qui est « le l’essence de notre nature unable ; et c’est en ce sens seulement qu’elles sont

Surnaturelles. De là à ré', luire toul h' dogmi i une philosophie purement déiste ou même â un symhol moral et métaphysique, il n’j avait qu’un pas.

Pour extirper d’un seul coup toutes ces erreurs, le concile proposa la doctrine traditionnelle sur la ni site de la révélation, qui avail servi de hase aux diversi —,

mm ns renfermées dans le Syllabut.a) C’eaté la

révélation qu’il (aut attribuer que, même dansl’ordi nous tous puissent sans difficulté, sans in

litude ei sans erreur connaître les pointa qui. dan

ni pas par eux mêmes Inai la raison humain ormule condamnait le rat

lisme en affirmant la néi ib morale di la révi lation, pour l’homme tel qu’il est. Elle condamnait le rationaliame qui, ionien accordant la nécessité morale d’un n b. mi. ur lalaait pas eonal

dans la révélation proprement dite : huic divinæ revelatiom tribuendum, dit le concile, et donc à la révélation extérieure, et non pas précisément à la grâce, à la

foi du cœur, à la foi-amour, etc. Le semi-rationalisme attribuait la nécessité morale de la révélation uniquement à la chute. In pnvsenti quoque generis humant condition ?, répond le concile. En d’autres termes, il est vrai qu’historiquement l’impuissance morale où gît l’humanité est la suite du péché d’Adam ; mais la faiblesse qui affecte l’ensemble de notre race dans l'état actuel, est de telle nature que, bien que dépendant en fait du péché d’Adam, elle eût pu se rencontrer dans une autre hypothèse : c’est ce qu’exprime le mot quoque. Acta, col. 122, emend. 20-21, col. 136. Le semirationalisme niait la distinction entre les vérités religieuses accessibles à la raison et celles qui ne le sont pas, le concile avait soin de la maintenir. Enfin, la même formule condamnait le traditionalisme et tous les hétérodoxes qui dépriment outre mesure la raison : car la phrase même qui constatait la nécessité morale de la révélation, affirmait implicitement que nos facultés naturelles nous sont restées après la chute, puisque certaines vérités religieuses ne nous sont pas d’ellesmêmes inaccessibles, même dans l'état où nous sommes.

b) Le concile déclare ensuite que la révélation n’est pas, absolument parlant, nécessaire. On ne peut la dire absolument nécessaire, que si l’on envisage notre destinée actuelle qui est surnaturelle, puisque notre fin est la vision intuitive. Cf. S. Thomas, Sum. theol., I a, q. i, a. 1 ; Visio intuiliva tolius ordinis supernatu}'alis origo et radie (Suarez). Voir Appétit, Surnaturel. Cette doctrine du concile était un dernier coup contre le rationalisme : la révélation est nécessaire, étant donnée la fin gratuite, mystérieuse et au-dessus de nos forces et des exigences de notre nature, que la bonté divine nous a librement assignée. Le semi-rationalisme, qui n’admettait la nécessité, soit morale, soit absolue, de la révélation que pour remédier à une impuissance accidentelle provenant de la chute originelle, était par là également de nouveau condamné. Le concile, en enseignant que la nécessité absolue de la révélation provient d’une impuissance radicale de l’homme dans l’ordre surnaturel, indiquait en même temps contre les protestants pseudo*-mystiques pourquoi l’expérience intérieure, sans révélation proprement dite, ne permet pas de retrouver tout le contenu vrai et réel du Credo et des formules ecclésiastiques ni d’en déterminer le sens.

Le concile mettait ainsi fin à la confusion entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel introduite dans le monde chrétien à la suite du dogme luthérien de la chute. Le traditionalisme même le plus mitigé était atteint, j4cta, col. 136, en même temps que le baianisme et le jansénisme recevaient la condamnation la plus radicale qu’ils aient jamais subie. Depuis trois cents ans, les théologiens s'étaient servis contre Baius et Jansénius, pour expliquer saint Paul et saint Augustin, de la distinction entre la nature philosophique et la nature historique de l’homme, entre le surnaturel absolu et le surnaturel relatif : le concile, en assignant la vision intuitive comme raison de la nécessité absolue de la révélation, faisait sienne la substance de cette doctrine. Acta, col. 547, n. 38. De là, en grande partie, les criailleries des modernistes contre les théologiens, fidèles à la pensée du concile du Vatican ; de là aussi, l’inutilité des efforts d'érudition de certains modernistes, pour déterrer, chez quelques théologiens traditionalistes ou anciens, des opinions moins opposées au baianisme et au jansénisme : la question est de savoir si ce que l’on a pu dire avant le concile du Vatican, peut correctement et loyalement se dire ou se soutenir après.

c) Que, par exemple, il y ail eu des théologiens qui

de l’impuissance morale aient pensé pouvoir conclure à une impuissance absolue ou même physique, qu importe, puisque le concile du Vatican dit expressément que de la nécessité morale de la révélation on ne doit pas conclure à une nécessité absolue : non hac tamen de causa rerelalio absolute necessaria dicenda est. C’est ce qui nous reste à expliquer, avec d’autant plus de soin que les modernistes, qui parlent tant du progrès de la théologie, ont comme pris plaisir de n ter sur ce point les sophismes des jansénistes et les à-peu-près des traditionalistes.

2. Le concile enseigne implicitement que la révélation est moralement nécessaire pour que tous puissent arriver à la connaissance prompte, certaine et pure d’erreurs, des points qui dans les choses divines ne sont pas par eux-mêmes inaccessibles à la raison ; comme la nécessité morale a pour corrélatif l’impuissance morale, le concile admet donc dans l’homme une impuissance morale relativement aux vérités religieuses d’ordre naturel. Quelle est au juste cette impuissance ? Si l’on prend la formule conciliaire indépendamment des délibérations de l’assemblée, il semble au premier abord qu’elle peut rendre trois sens : a) chaque individu est impuissant et par suite l’ensemble ; b) quelques individus arriveront ou peuvent arriver à la connaissance de toutes les vérités par ellesmêmes non inaccessibles à la raison, mais l’ensemble n’y parviendra pas, même avec l’aide de l'élite des intelligences ; c) sans rien spécifier sur les individus, l’ensemble ne parviendra pas à cette connaissance sans le secours extérieur de la révélation. De ces trois sens logiquement possibles, quel est celui que de fait le concile a eu en vue ?

Deux hypothèses classiques sont ici à examiner. Duns Scot, saint Thomas d’après le Ferrariensis, Vasquez admettent que toutes les véiilés d’ordre naturel ne sont pas accessibles à l’esprit humain ; cette opinion était chère aux nominalistes qui. avec Grégoire de l ! imini, insistaient sur le vulnus ignoranlise : et peut-être Capréolus l’enseigne-t-il : mnltas esse de Deoverilates cognoscibiles, quas nullus intellectus potest naturaliter cognoscere. Dans cette hypothèse, la révélation des vérités morales et religieuses est moralement nécessaire, non pas seuleinentpour l’ensemble et par suite pour les individus, mais pour chaque individu et par suite pour l’ensemble ; l’impuissance morale gît donc en chaque individu, et, sans la révélation, personne ne sait fout ce qui de soi est naturellement connaissable sur Dieu. Vasquez à l’appui de cette opinion cite saint Thomas. Sum. theol., IIa-IIæ, q. ii. a. 4, dont l’argument pour démontrer la nécessité de la foi vaut, semble-t-il, pour chaque individu : ratio enim Itumaua in divinis est multum deficiens ; il tire aussi un argument, peu solide il est vrai, de Sap., i., 15 : Corpus enim quod corrumpitur aggravât animant. Cf. Vasquez, In / am, disp. I, c. il. Cajetan, sur le même le l o de saint Thomas, introduit une hypothèse tout opposée. D’après lui. tout le vrai spéculatif d’ordre naturel est accessible sinon à la foule, du moins à l’aristocratie intellectuelle, dont le rôle est de diriger les masses. In II*" 11'. q. il, a. i. Cette opinion d’un intellectualisme ambitieux, d’après laquelle dans l’ordre naturel il y a du provisoirement inconnu, mais point d’inconnaissable, n’a jamais. semble-t-il, rencontre beaucoup de faveur chez les théologiens et l’encyclique Pascendi se sert de la notion d’inconnaissable, Denzinger, 10e édit., n. 2109 ; et la raison en est que, même avec la foi. nous devons dire avec saint Paul : e.r parle cognoscimus. On peut cependant y rattacher l’opinion adoucie de omni vero cognoscendo in complexii vel distributive, voir Suarez, De gratia actuali, l. I, c. i. el n. 20 ; et aussi le système intellectualiste d’Eusèbe Amort, dont, pour sauver le péripalétisme, l'éclectisme allait jusqu'à sou

tenir que le monde intellectuel est exactement semblable au monde réel. Dans cette hypothèse de Cajetan, la nécessité de la révélation ne subsiste que pour la multitude, mais non pas pour tous et chacun des individus ; pour lui, certains individus sont exempts de toute impuissance morale relativement à tout le vrai spéculatif d’ordre naturel.

Un des théologiens du concile proposa une rédaction où le texte de la Sagesse, allégué par Vasquez, se trouvait introduit. Acla, col. 1652, La commission refusa d’entrer dans cette voie. Durant les délibérations du concile, des amendements assez favorables à l’hypothèse de Cajetan furent proposés, Acla, col. 121, emend. 17, 18 ; mais ils furent rejetés. Acta, col. 135, 524, n. 10. Enfin, à la dernière discussion, un amendement mit sur le tapis l’hypothèse même de Cajetan. Acta, col. 225, emend. 56. L’auteur de cet amendement demandait qu’on omit le passage que nous étudions, celui où la révélation est déclarée n’avoir pas été absolument nécessaire pour remédier à l’impuissance morale de l’homme quant aux vérités religieuses d’ordre naturel. Il résulterait du texte proposé par la commis sion, disait-il, que dans l'état de nature pure l’homme pourrait sans aucun secours spécial pleinement se suffire à lui-même : ce qui suit de l’hypothèse de Cajetan ; or, faute de preuves théologiques, vous ne pouvez introduire rien de semblable dans un texte dogmatique ; et le saint-siège n’a jamais eu recours à cet argument (dont s'était servi Zigliara contre Ventura, Œuvres philosophiques, Lyon, 1880, t. r, p. 124, n. 97 ; p. 63, n.55, et passim) dans le cours du siècle pour condamner ceux qui ont le tort de déprimer trop les forces de la raison. La commission du concile examina cet amen nt et le rejeta, quia id a quo in allcra [emendatione] abhorretur, in textu non e.rprimitur. Le texte, en effet, n’entraîne en aucune façon que l’homme eût pu pleinement se suffire à lui-même dans l'état de nature pure : des secours naturels autres que la révélation pourraient, en effet, remédier naturellement à l’impuissance morale de l’homme en matière religieuse. Voir Vacant, t. i, n. 335. p. 350. Bien plus, le rapporteur donna en séance plénière la raison pour laquelle li' texte proposé et accepté ne permet pas de déduire rien qui favorise les thèses du progrès indéfini, de la perfection et indépendance naturelles absolues, qui sont le rempart du rationalisme. Nous ne disons pas. lit-il observer, que toutes les vérités naturelles sont accessibles à la raison. Non dicimus quod mimes verilales /<<" « I humanm rationi pervite. L’hypo thèse de Cajetan ne fut donc pas adoptée. Quant à celle

cot et de Vasquez, elle resta en l'étal : pi hypothesis il ! **, ulrum sint qusadam veritates natu , qupe homim pe / < non sint, hme hypothesis, quse est utic/ue niera hypothesis, per doclriuaui nostram non tangitur. Aria, col. 239. Mais par le fait seul que le concile s’abstenait de prendre parti, il suivait que, des trois sens logiquement possibles de la formule ut ab omnibus, le i iffirmail que le

dernier. Voici donc i sens du concile. Prenant pour

dm et définie qu’il j a dans les choses divin vértl naturel qui par elles-mêmes ne sont

la r.n son humaine, .1 1 ta, col. 238 affirme, quant à ces vérités, la nécessité mo. pour l’ensemble du genre humain impliqui i i tains indi vidu happent à cette néci Balte et que

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Ité morale de i., affe< tant mble

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de la race humaine. Au sens du concile, cette impuissance morale, qui affecte précisément l’ensemble de notre espèce, signifie que, sans considérer les individus séparément, sans les distribuer en groupes favorisés ou non, l’ensemble des hommes se trouve, par rapport à l’exercice de la faculté que chacun d’eux a de connaître certaines vérités morales et religieuses, dans des conditions telles quV/i fait cet ensemble ne les connaît pas, sans le secours de la révélation extérieure, comme il convient à l’homme et à Dieu, c’est-à-dire expedite, firnia certitudine et nullo admixto errore.

Reste à conclure. Nous voulions montrer pourquoi il serait illégitime de déduire du texte qui traite de l’impuissance morale où l’homme actuel se trouve par rapport aux vérités d’ordre naturel, l’impuissance absolue et a fortiori l’impuissance physique. Le sophisme qui se glisserait dans cette inférence est évident, puisque nécessairement on passerait du sens collectif au sens distribué.

3° Le concile n’a pas défini que le pouvoir physique de connaître naturellement Dieu passe facilement à Vacte, mais cette doctrine est au moins proxima fidei, et le texte du concile est favorable à cette interprétation. — Que le concile n’ait rien défini sur ce sujet, la chose est certaine et suit de la position qu’il prit : « Nous affirmons le pouvoir, les principes, sans rien dire de Yexercice de ce pouvoir. » Il n’est donc point défini que tout individu peut et doit acquérir une connaissance certaine du vrai Dieu par suite du développement normal de sa nature intellectuelle. Mais, qu’il en soit ainsi, la chose n’est pas douteuse, parce que, dans l'Écriture, la connaissance certaine du vrai Dieu est présentée comme facile, plus facile que la science du monde, vider i, Sap., xiii, 5, 9, conspiciuntur, Rom., I, 20, de telle sorte que l’homme est responsable devant Dieu de ne pas la posséder ou de la renier. Les Pères ont souvent affirmé que, même chez les païens, il y a une connaissance élémentaire de Dieu qui est spontanée, congénitale, d’où conclut saint Cyprien après ïertullien : Summa delicti est, nolle agnoscere, quem ignorare non possis. De idol. vanit., n. 9, P. L., t. iv, col. 577. Cf. Tertullien, Apolog., c. xvii, P. L., t. i, col. 376. Que le texte du concile soit favorable à la doctrine traditionnelle, cela suit du principe général que les documents ecclésiastiques doivent se prendre au sens de la doctrine scripturaire et patristique ; dans le cas particulier, le concile fait appel au passage de saint Paul, Rom., i, 20, où sûrement il est question d’un pouvoir physique de connaître Dieu qui passe facilement a farte, Rom., i, 19 ; enfin, le grand soin qu’a pris le concile de bien distinguer, comme nous l’avons explique, l’objel de la connaissance pour lequel il admet une impuissance morale dans l’homme, est un indice certain que s’il Considérai) coin nie difficile la connaissance rapide, sûre et sans erreur de tout ce que nous pouvons connaître de Dieu par la manifestation de ses perfections dans ses o’iivres. il entendait que la simple connaissance de Dieu, qui suffit à commencer la vie morale et religieuse, est i la portée de

tous. Nous n’avons pas à discuter ici la question de la

possibilité de l’athéisme, voir athéisme, el Kilber, De /'.. e. i, dans Theologia Wireeburgetuii. mais ce que venons d’exposeï fera comprendre au lecteur pourquoi lis théologiens : a) refusent de suivi

qu’ils ne considèrent comme valable que la connaissance de Dieu qui explicitement saisit l’Absolu, l’inflniment parfait, etc. ; fr) ni prél ni pas aux systèmes apologétiques qui. sous le prétexte de jouer un vilain tour aux historien eom ti ni ou mettent en question i ment

uni'.. di I al i i

leur. C) i -' jettent aussi bien btle 01 II 'I api ' quelles la raison naturelle ne pourrait aboutir qu’au

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DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE

8 : 36

panthéisme (D r Kuhn), que celles qui posent en principe qu’ii y a des hommes déterminés à l’erreur ou à la vérité, comme M. l’abbé Martin le prétend pour le philosophe de génie. « Pour lui [liant, Spinoza, saint Augustin, Bossuel], la seule raison est sa raison propre, déjà déterminée à penser telle doctrine. » La démonstration philosophique, Paris, 1898, p. 213. Les théologiens ont de honnes raisons de cultiver une psychologie moins simpliste.

i' Le concile n’a pas défini que le pouvoir physique de connaître Dieu, par la raison au moyen des créatures, est tellement personnel qu’il passe nécessairement à l’acte indépendamment du milieu social, ou que tout individu en possession de sa raison a par le fait le moyen de connaître Dieu sans l’aide d’aucune autorité extérieure ; mais cette doctrine est certaine, proxima fidei. — En d’autres termes, la thèse que le dernier critérium de l'évidence soit le consentement universel n’a pas été condamnée directement par le concile, pas plus que la théorie cartésienne qui fait dépendre la valeur du témoignage de nos facultés de la véracité divine. Sans doute, si le concile avait dû ou pu procéder par voie d’investigation philosophique, il eut fallu discuter ces questions ; mais les conciles décident directement par voie d’autorité scripturaire et traditionnelle. D’ailleurs, sur un point donné, les conciles le plus souvent ne définissent pas toute la doctrine, mais seulement ce qui est indispensable pour écarter du peuple chrétien les erreurs régnantes ; or il n’est pas toujours nécessaire pour atteindre ce but de trancher tous les problèmes philosophiques afférents. C’est ainsi que le traditionalisme a été condamné en vertu d’un principe théologique. Il suivait des spéculations philosophiques du traditionalisme rigide que, sans la révélation transmise par la société, l’homme est incapable de connaître Dieu, d’où la nécessité absolue de la révélation, et l’insuffisance de la raison naturelle. Ces conclusions étaient contre le dogme révélé : le concile les a rejetées directement.

Un amendement fut proposé demandant l’insertion dans le texte de ces mots : cilra quamlibet de Deo traditam doctrinam. Acta, col. 121, emend. 8. Si cet amendement eût été voté, le traditionalisme le plus mitigé eut été directement condamné et on eût déterminé que le pouvoir de la raison est strictement, adéquatement, personnel. Mais le concile, sur la demande de la commission et de son rapporteur, rejeta cet amendement. Acta, col. 130 ; cf. col. 150, emend. 52. Cependant le traditionalisme mitigé, qui posait l’enseignement social comme condition de la connaissance certaine de Dieu, se trouvait indirectement atteint, non point précisément à cause de son appel à l’enseignement social, à l’autorité extérieure — le concile ayant constamment refusé de s’occuper des conditions du développement et de l’exercice de la raison — mais en tant qu’il dérivait l’apport de l’enseignement social, en matière morale et religieuse, de la révélation surnaturelle : ce qui réintroduit la nécessité absolue de cette révélation, au moins pour arriver à une connaissance de Dieu certaine : certo cognoscere.

Une hypothèse fera comprendre tout le sens de celle conséquence. Si quelqu’un disait : L’apport de la tradition ne dérive pas précisément de la révélation primitive surnaturelle [indebila) faite à Adam, mais seulement de la science religieuse infuse par accident (adulto débita) qu’il reçut, de l’avis de tous les théologiens, au moment de sa création, science qui n'était pas strictement surnaturelle mais seulement miraculeuse comme serait la connaissance que nous aurions, par exemple, d’une langue étrangère par des espèces soudainement infuses ; cette façon de défendre le traditionalisme mitigé s< rait, d’après Granderath, p. 37, note 3, à l’abri de la condamnation même indirecte du Vatican, parce que,

tout bien pesé, la nécessité absolue de la révélation surnaturelle n’en découlerait pas.

On peut admettre et nous admettons la concession de Granderath ; mais il faut remarquer qu’elle ne sauve pas de l’erreur ceux qui nient le pouvoir perso, de connaître Dieu. En effet, quand on admet que la science religieuse, per accidens infusa, d’Adarn était due à son état d’adulte et par suite non surnaturelle au sens strict, c’est qu’on considère comme due, et par conséquent comme naturelle, la connaissance certaine de Dieu chez l’adulte. En d’autres termes, la théorie classique sur la science infuse d’Adam suppose et la notion du surnaturel et le pouvoir de connaître Dieu, que le concile du Vatican a solennellement sanctionnés. On ne peut donc rien déduire de cette théorie contre le pouvoir physique personnel de connaître Dieu qu’admettent les théologiens, puisque la supposition d’un tel pouvoir personnel est à la base de toute la théorie classique sur laquelle on s’appuie.

Il est d’ailleurs aisé de se rendre compte des raisons pour lesquelles les théologiens, tout en concédant si l’on veut avec Corluy, .S’pi’cHegriMH^Gand, 1884, t. i, p. 9t. que l’on ne peut rien déduire de l'Écriture pour les cas singuliers de l’homme des bois, du sourd-muet, voir cependant Franzelin, De traditione, 2e édit., p. 609. enseignent que la thèse du pouvoir physique personnel est proxima fidei. Dans l’hypothèse des adversaires, il faudrait donner aux passages classiques, Sap., xiii, 5 ; Rom., i, 20, le sens suivant : L’ignorance de Dieu est inexcusable, parce que la connaissance de Dieu a été donnée à tous les hommes par la science infuse naturelle d’Adam, grâce à laquelle tous les individus peuvent avec certitude découvrir Dieu dans les créatures. Mais est-il vraisemblable qu’un pareil sous-entendu, si peu dans les idées communes de l’humanité, se trouve dans ces textes ? Ne faut-il pas ranger une pareille exégèse parmi ces tours de passe-passe que l’envie de découvrir ou de mettre une théorie philosophique dans l'Écriture fait inventer ? D’ailleurs, la tradition a toujours entendu ces textes d’un pouvoir personnel el exclu tout autre témoignage que celui des créatures. Cf. Heinrich, Dogmatische Théologie, Mayence, 1881. t. i, p. 135-199 ; Perrone, Prxlect., De locis theol. t part. III, sect. i, c. i, Louvain, t. ix, p. 383.

Les modernistes ayant mis à la mode un certain mépris pour les dires de l'École, pour les décrets doctrinaux des Congrégations romaines et pour les condamnations pontificales, il est ici opportun de rappeler que le concile du Vatican lui-même a, en quelque sorte, pris à son compte les décisions romaines sur le sujet qui nous occupe. On lit, en effet, à la fin de la constitution Dei Filius, cet avertissement : * Comme il ne suffit pas d'éviter l’hérésie, si l’on ne fuit aussi avec soin les erreurs qui en sont plus ou moins voisines, nous avertissons tous les fidèles du devoir qu’ils ont d’observer aussi les constitutions et les décrets par lesquels le saint-siège a proscrit et prohibé les opinions de ce genre dont mention expresse n’est pas faite ici. » Denzinger, n. ItiGti ; Acta, col. 131. Cf. Franzelin, De traditione, 2e édit., 1875. p. 131 sq. Or, on sait que Lamennais, Bautain, Bonnetty, Ubaghs, etc. ont été condamnés. Il est vrai que cette monition du concile ne change rien par elle-même aux notes théologiques que méritent les erreurs de ces auteurs ; mais comment se dire fils soumis de l'Église, si l’on tient pratiquement pour non avenues les monilions d’un concile œcuménique ? Observons que dire avec presque tous les théologiens qu’en fait la première connaissance que nous ayons de Dieu nous vient le plus souvent de l'éducation, c’est constater un fait facilement observable ; dire qu’elle ne peut venir que de l'éducation, du langage, c’est construire toute une théorie.

5° Le pouvoir physique de connaître Dieu qu’a défini

le concile, ne se borne pas au pouvoir de connaître le fait brut de l’existence de Dieu, sans atteindre aucune de ses déterminations intrinsèques. — En d’autres termes, l’agnosticisme dogmatique est inconciliable avec le concile du Vatican. Cet agnosticisme consiste essentiellement à soutenir : 1. contre l’agnosticisme pur, que nous croyons à l’existence de Dieu ; 2. contre le dogmatisme, que nous ne connaissons cependant en aucune façon la nature intrinsèque de Dieu auquel nous croyons ; notre connaissance de Dieu se réduit donc au fait brut de l’existence. Dans ce système, le sujet Dieu n’est désigné que par de pures périphrases. Nous n’avons pas à expliquer ici pourquoi et comment cette forme d’agnosticisme, qui est celle des modernistes aussi bien que de Kant, llamilton, Mansel et Spencer, diffère de l’athéisme. Voir Agnosticisme, t. i ; Dictionnaire apologétique de la foi, 1909, t. I, et The Catholic Encyclopsedia, New-York, 1907, t. i. Il nous suffit de montrer que le concile entend parler, non seulement de la connaissance de Vexislence de Dieu, mais aussi d’une connaissance de l’essence divine, telle que nous puissions former des jugements de valeur objective sur sa nature intrinsèque, en particulier sur la personnalité et sur la providence divines. Si l’on pèse bien tous les termes du chapitre et du canon que nous étudions, on y trouve joints au nom de Dieu, les mots « principe et fin de toutes choses, un, vrai, notre créateur et notre maître. » Dans le cours des discussions du concile, divers amendements furent proposés demandant la suppression de toutes ces appositions. Acla, col. 221, 228, 229, 1629, 1631, 1652, 1655. La principale raison, apportée à l’appui de tous ces amendements, était qu’en employant ces termes le concile avait l’air de trancher des questions controversées dans l'École, par exemple celle-ci : « La création proprement dite, e.r nihilo, peut-elle être connue parla seule raison naturelle ? » Le rapporteur répondit qu’en employant ce terme, on ne faisait que suivre et adopter l’exemple et l’usage de l'Écriture. Sap., xiii, 5. Or, tout le monde dans l’Kcole convient que ce texte ne démontre pas à lui seul la création ex nihilo et ne décide pas qu’elle soit démontrable par la seule raison ; il en serait de même du texte conciliaire, si le concile adoptait la rédaction proposée. Acla, col. 79, I i'. ». 243. Ii’où il suit que la formule adoptée par le concile signifie que la raison naturelle peut connaître avec certitude le Dit u qii, dans l'Écriture, se dit unique et wai, notre créateur et notre maître. En d’autres termes, il est défini que la raison peut connaître le Dieu, qui est créateur au sens large du mot, mais il n’est pas défini qu’on puisse par la seule raison, indépendamment de toute révélation, le connaît i rtitude, comme

créateur, au sens strict, que tous les chrétiens entendent dan i. Voir t. iii, col. 2192-2195.

Lei déclarations très nettes du rapporteur sur le mot

indiquent aussi comment il faut entendre ces principe et fin de toutes choses, comme le fait justement remarquer Granderath, p. 16. Si, eu

laissé indécis le point d i la raison,

ule, peut d> montrer la création ex nihil

i "ment danla ne ne indécision le point i li 'ne* raison, non éclairéi par la

ut connaître heu comme principe et fin de ar "i lu. u n’a p - ci ex nihilo, mais iplement pro luil i I ordonné le monde, il nV

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que rendi lani l hjpothi se de la cré ition

ni dite. Il faut il. me dire que le I u pi foi d l'Église pai i principi

' du e. iii, , ii, , i dire que pu la seule connaître Dieu, principe et fin de toutes chosea rge di mol, tan* décidi

notre pouvoir physique naturel de connaître Dieu va, sans l’aide de la révélation, jusqu'à saisir avec certitude que non seulement il est notre principe et notre fin, mais encore qu’il est en fait et en droit l’unique éternel principe de tout ce qui n’est pas lui. Acla, col. 236. Tout le monde conviendra que si le concile eut défini ce dernier point, l’agnosticisme dogmatique eût été par cette décision nettement rejeté. Mais bien que la définition du concile n’ait pas toute cette ampleur, ce qu’elle contient exclut sans aucun doute non seulement l’agnosticisme pur, qui nie que nous puissions connaître l’existence de Dieu, mais encore l’agnosticisme dogmatique qui nie que nous puissions jamais porter de jugement valable sur la nature intrinsèque de Dieu, spécialement sur la personnalité et sur la providence divines. En effet, connaître Dieu, notre principe et notre fin, notre créateur et notre maître, ne va pas sans quelques jugements sur sa nature intrinsèque. Certains agnostiques concéderont avec Kant et même avec Spencer la présence dans notre esprit de ces jugements, mais ils en contesteront la valeur objective. Or, il est certain que c’est précisément cette valeur objective que le concile a eu en vue d’affirmer. En effet, comme nous l’avons rapporté, col. 824, les théories kantiste et positiviste sur la connaissance furent visées nommément par le concile, aussi bien que le traditionalisme, qui lui du moins, s’il était agnostique ou sceptique avant la foi, ne l'était pas avec elle. Un amendement fut d’ailleurs proposé qui demandait la condamnation expresse de ceux qui « sans précisément nier l’existence de Dieu » errent de diverses manières sur sa nature et tombent dans le panthéisme. L’amendement fut rejeté, non pas comme hors de la pensée du concile, mais comme inutile, étant donnée la portée du texte préparé par la commission. Acla, col. 98, 103. Non seulement le concile se sépara des agnostiques croyants, mais il voulut affirmer plus que ne faisaient les déistes. On sait que les déistes — ces dogmatiques dont parle Kant — admettaient que nous avons la connaissance des attributs métaphysiques de Dieu, mais, non pas une connaissance qui puisse servir de base à la vie morale et religieuse. Or, nous l’avons déjà dit, col. 82 i, le concile en parlant de Dieu, principe et fin de toutes choses, entendit expressément affirmer, non seulement avec les déistes que nous pouvons avoir de Dieu une connaissance spéculative et purement théorique objectivement valable, mais encore contre les déistes que cette connaissance est telle qu’elle rend possible le commencement de la vie morale et religieuse : ce qui, a n’en pas douter, inclut la personnalité et la providence divines. Les modernistes auront beau épiloguer ; ils ne réussiront pas à faire que telle n’ait pas été la pensée du concile, car ad prwlerilum non datur poI a : lui ; el il n’est pas de théorie de l'évolution qui fuie ipnle sens historiquement déterminé d’un texte diffère demain de ce qu’il est aujourd’hui et de ce qu’il était au jour où il a été écrit. Or, il est certain « pie le concile a oiilu affirmer que, parles seules lumières de la raison, nous BOmmeS capables de porter

sur Dieu des jugements de valeur objective, tels qu’ils

ni d.' fondements a notre vie morale et religieuse,

jioBa et nhiriiii qua Dette apprehende retur utcolendu » < ! cm obediendum tit ; bien plus, le

le a VOUlll dire que née naturelle

de Dit n i amène au seuil d'- la révélation positive.

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al et ni si", rent néa iir< rende, que la critique kantienne > i ipencéi i< ans de la conn. ' dont toute la théodicée

luil a la seuls idée absti aite de l’incompn i

bilité divine, soit par transcendance, soit par immanence. Mais ce sont des faits dont il faut tenir compte. D’ailleurs, tout ce que le concile a affirmé se trouve dans le texte de saint Paul, Rom., i, 20 ; les païens y sont déclarés inexcusables de ne pas avoir honoré celui dont ils ont connu, vu les attributs invisibles par le moyen des créatures. C’est donc qu’ils ont connu Dieu de telle sorte que l’adoration, l’obéissance devaient suivre de la connaissance qu’ils avaient. Mais sans la connaissance d’un Dieu personnel et provident, ces termes n’ont plus de sens, à moins qu’on ne fasse consister la religion, avec l’athée Clill’ord, dans « l'émotion cosmique », et qu’on ne prenne pour de la religion le tressaillement que peut subir un névrosé en pensant qu'à chacun de ses efforts musculaires « collabore la masse des étoiles ».

6° Le concile, sans exclure toute connaissance immédiate de Dieu et sans décider si oui ou non la première connaissance de Dieu peut nous être donnée par la révélation, enseigne que nous avons le pouvoir physique de connaître Dieu médiatement, per ea qu.e facta sunt, E rébus creatis. — 1. Une proposition affirmative n’est pas une proposition exclusive. En affirmant un pouvoir naturel médiat de connaître Dieu, le concile n’exclut donc pas d’autres manières de le connaître, s’il en est. En particulier, a) la doctrine de la connaissance immédiate de Dieu, soutenue par les ontologistes, n’est pas condamnée directementpar le texte du concile. Il fut question des ontologistes, dans l’assemblée et hors de l’assemblée, à plusieurs reprises. Acta, col. 1652, 120, 1672, 849, 127, 128, 153. Mais la question ne fut pas discutée à fond ; on se contenta de l'écarter et de la « laisser en l'état ». L’ontologisme n’est donc pas opposé au texte du concile, à la condition pourtant que la connaissance immédiate ne soit pas proposée comme l 'unique moyen de connaître Dieu, à l’exclusion de toute connaissance médiate certaine ; et que l’on prouve que cette connaissance immédiate est naturelle. Les ontologistes soutiennent le second point ; mais comme les théologiens prouvent solidement, par des moyens termes proprement théologiques, l’impossibilité de la vision intuitive par les seules forces naturelles, la doctrine des ontologistes se trouve inconciliable avec le mot naturali du texte conciliaire. D’autre part, plusieurs ontologistes expliquaient la vision en Dieu de telle sorte que la création ex nihilo et la distinction adéquate de Dieu et du monde disparaissaient. Cette forme d’ontologisme est inconciliable avec la distinction de Dieu et du monde et de la création ex nihilo enseignées par le concile. Acta, col. 85, 86. Cf. Granderath, p. 75, n. 1 ; Denzinger, n. 1521 sq. Enfin, un bon nombre d’ontologisles enseignaient avec Ubaghs que, sans l’intuition préliminaire immédiate de Dieu, l’homme ne peut pas par les créatures connaître Dieu avec certitude. Ubaghs, Theodicese seu l/teologise naturalis elementa, Louvain, 1852, p. 66 sq. Cette proposition, en tant qu’elle est exclusive de la connaissance médiate pour amener à la certitude, est immédiatement opposée à la définition du Vatican. Cf. Granderath, op. cit., p. 37. Voir Ontologisme.

6) M. Bæuinker dislingue deux voies pour parvenir à Dieu. L’une qui dérive de la doctrine platonicienne des idées, et qui a pour principe que l’ordre objectif correspond à l’ordre de nos idées et qu’un objet réel répond à notre système de concepts. Souvent saint Augustin s’en est servi, comme plus tard saint Anselme, puis Descartes, Leibniz. On peut appeler cette méthode immédiate, en ce sens que, sans nier la valeur du procédé par voie de causalité, elle n’a pas recours à la considération des causes. L’autre voie est celle d’inférence causale, qui part du monde pour remonter à son auteur. Cf. Bæumker, Witelo, Munster, 1908, p. 289 sq., dans Beitrâge, t. ni. Voir Grabman, Die philosophisc/ie

und l/teologisclie Erkennlnislehre des Cardinals Matthœut von Aquasparta, Vienne, 1906. Le concile du Vatican, en définissant que nous pouvons connaître Dieu per ea qusa facta sunt, e rébus creatis, n’a pas voulu exclure la première voie. Le rapporteur, en elîet, exposa en plein concile que le texte n’entraînait nullement la condamnation « du très célèbre argument de saint Anselme. » ^4c<a, col. 132. Les cartésiens qui siégeaient au concile se trouvèrent donc fort à l’aise pour voter le texte ; car on sait que peu de cartésiens nient la valeur des arguments fondés sur la causalité, efficiente ou finale.

Cependant le P. Piccirelli, De Dco uno et trino, Naples, 1902, p. 21, et n. 29 sq., soutient cette thèse : Fide divina edocemur…, sine ullo subsidio neque immédiates et directe visionis divini esse, neque prmlernaturalis idese innalse Dei ad mentent cartesianorum, ex rébus factis… in Dei exislenlis cognilionem posse assurgere. Nous ne saurions le suivre. — a) Le P. Piccirelli fait sur les idées innées un raisonnement analogue à celui que nous avons fait nous-mêrne à propos de l’ontologisme. Mais il y a entre les deux cas de notables différences. C’est par des moyens termes théologiques qu’on prouve l’impossibilité de la vision immédiate par les seules forces naturelles, et le P. Piccirelli, pour prouver l’impossibilité des idées innées, n’a que ce refuge, qui n’a rien de théologique, ut docetur in psychologia. La philosophie la plus scolastique du monde n’a jamais démontré la répugnance intrinsèque des idées innées ; car, de l’avis de tous les théologiens, Adam, le Christ en ont eu et les anges n’en manquent pas. Au contraire, la même philosophie scolastique, qui en psychologie se borne à montrer que les idées innées ne sont pas données dans l’expérience et ne sont pas requises pour expliquer notre connaissance intellectuelle, donne de bonnes et solides, bien que subtiles, raisons contre toute vision immédiate de Dieu par les seules forces naturelles. — b) Pour prouver sa thèse anticartésienne, l’auteur introduit, soit dans les textes qu’il cite, soit dans les livres cartésiens, des distinctions scolastiques — excellentes sans doute — mais qui, bien que familières à tous les théologiens actuels, ne se trouvent, ni chez les cartésiens, ni dans les documents conciliaires. Il parle, à propos des idées innées, qu’un cartésien ne lui concédera jamais être « préternaturelles », de l’acte second, et de l’exercice, des principes quo, quod, in quo. Mais le concile du Vatican n’a parlé que du pouvoir de connaître Dieu et s’est abstenu de parti pris de toucher à la question des conditions et de l’exercice de ce pouvoir. Mais, de plus, l’idée innée de Dieu des cartésiens n’est pas un acte second, et les cartésiens objectivistes concéderont volontiers au P. Piccirelli, s’il leur montre la nécessité de cette concession, que leur idée innée est un principium quo. — c) Sans doute, le P. Piccirelli, quand il donne comme de foi divine que les idées innées sont à rejeter, suit cette opinion que les conclusions théologiques peuvent être objet de foi divine. Sans discuter cette opinion — ce qui demanderai l beaucoup de distinctions qu’il ne paraît pas fairedans sa thèse — nousnousbornerons à faire observer que la conclusion du P. Piccirelli ne nous paraît en aucune manière suivre des prémisses qu’il avance, de façon à pouvoir être ou devenir objet de foi. Nous ne connaissons, d’ailleurs, aucun autre théologien qui affirme une telle conclusion. Bien que, d’après nous, la connaissance immédiate de Dieu par lidée innée soit une chimère, ce n’est pas une hérésie, et le concile ne l’a pas condamnée.

Pour ne pas avoir à revenir sur le cartésianisme, rappelons la doctrine commune des théologiens. Plusieurs auteurs catholiques ont soutenu et soutiennent que la connaissance spontanée, naturelle, dont parlent les Pères, n’est autre chose que l’idée innée des carte

siens, au sens « d’une représentation actuelle » de Dieu (Thomassin, Klee, Staudenmayer, Kuhn, etc.). La masse des théologiens soutient, et avec raison, l’opinion contraire ; on trouvera dans ce dictionnaire sous le nom des principaux Pères les textes les plus discutés etleur interprétation historique. La masse des théologiens n’admet donc pas qu’il y ait une tradition patristique en faveur des idées innées. Mais de cette constatation à donner une « note » théologique au cartésianisme, il y a d’autant plus loin qu’en se donnant l’idée de l’infini positif Descartes se donnait toute la théodicée. Les théologiens de l'école se contentent donc de considérer la doctrine cartésienne sur l’origine des idées comme « philosophiquement fausse », et la grande raison des théologiens est que cette doctrine ne peut pas se concilier avec le fait de l’athée par l’ignorance. Cf. Pohle, Lehrbuch der Dogmalik, Paderborn, 1902, t. i, p. 14. Si cependant l’innéisme cartésien est proposé de manière à exclure toute véritable preuve de l’existence de Dieu, per ea quae facta sunt, e rébus creatis, on s’accorde à le regarder comme « téméraire », parce que les preuves de l’existence de Dieu ont un solide fondement dans l'Écriture et dans la tradition. Cf. Granderath, p. 41 ; Pesch, Prxlect. theolog., t. il, n. 27.

c) On connaît l’argumentation que Kant a tirée de Locke pour démontrer l’impossibilité de toute révélation positive sur Dieu. Selon lui, la première idée de Dieu ne peut pas nous venir de la révélation ; donc ni la seconde, car il faudrait apprécier celle-ci par la première. Pendant que dura la controverse traditionaliste, quelques apologistes employèrent une argumentation partant du même principe. Cf. Valerga, Del tradizionalismo, Gènes, 1861, p. 24 sq. La première idée de Dieu ne peut pas nous venir de la révélation ; car la foi est essentiellement libre, nemo assent’Uur aUer’t tiisi volons ; or, pour vouloir donner son assentiment à quelqu’un, il faut déjà le connaître. Donc. Quelques théologiens continuent à se servir de cette réfutation du traditionalisme, et la mettent sous l'égide du concile. Les vues systématiques se manifestent ici ; on veut défendre la théorie d’après laquelle l’existence de Dieu ne peut pas être objet de foi ; et comme il semble bien que le concile du Vatican pense autrement, cf. Didiot, Logique surnaturelle subjective, Lille, 1894, p. 323, n. 178sq. ; A cta, col. 171 ; Pesch, l’ræ.lect. theol., t. il, n. 40 sq.. on s’ingénie à déduire de la condamnation du traditionalisme par le même concile un principe qui sauve l.i thèse préférée. Noua n’avons rien découvert dans les Actes du concile qui nous permette de dire qu’il ; iit résolu cette question : la première idée de Dieu peut-elle nous venir de la révélation ? Acta, col. 127. De ce que le concile affirme que la révélation n’est pas nécessaire à la connaissance certaine de Dieu, en s’appuyant sur des textes révélés et par voie d’autorité, le principe de Kanl ne suit du texte que si l’on démontre que le dogme défini ne peut pas se vérifier autrement. M ; i i - comment fera-t-on cette démonstration ' Su. ne/ s’est posé la question, el a résolu ince 1 objection de Locke et de Kanl, De Deo, 1. I. c. i. n. 3 sq. ; et depuis trois roui-, ans on n’a pas re démontré contre lui l’impossibilité de cet acte : a$seni>)i primo Deum ene e.r testimonio ipritu Dei. D’ailleurs, ceux qui se séparent ici di Suarei et en appellent avec confiance à v ; , ini Thomas, ne paraissent jamais di mandi li li nrs doctrim i a’accor tit facilement avec ce que 'lit le grand docteur de la première grâce d’Adam, question où Suarez, comme tout le monde le tait, suit ci défend saint Thodit I wm, I. III, c. wiir sq. ; s. Tho mas, De verilate, q, xviii, a. 2 sq. Enfin est-il bien dans la méth< ifnl i homaa d.' prou< i r de ruines, là ou ipe de pri

lide de principe douteux, simplement probables,

et d’où on peut tirer aussi bien l’erreur que la vérité? Nous croyons donc qu’après, comme avant le concile, l’argument de raison théologique contre les traditionalistes doit se formuler, sans entrer dans cette question controversée et sans introduire des vues systématiques sur l’obscurité et la liberté de l’acte de foi.

L’argument suivant, d’ailleurs classique, paraît satisfaire aux conditions indiquées ; et il vaut contre tous ceux qui, pour expliquer la première connaissance de Dieu, font appel à la foi, ou à la croyance commandée par la volonté libre. Le premier élément et le plus important de la crédibilité de la religion chrétienne est la connaissance certaine de l’existence de Dieu. Si donc on soutient que cette connaissance certaine ne peut être obtenue que par la révélation, ou en vertu d’un acte commandé par notre volonté libre, on est amené à conclure que la foi chrétienne n’est pas évidemment croyable, et par conséquent que l’assentiment de foi ne peut pas être prudent et raisonnable. Or, on démontre qu’il en est autrement. Voir Crédibilité, Foi. Nous préférons cette argumentation à celle qui suppose que la révélation ne peut pas donner à quelqu’un la première idée de Dieu, parce qu’elle nous parait solide et tout à fait conforme au concile du Vatican.

2. Que nous ayons le pouvoir physique de connaître Dieu d’une façon médiate, l'Écriture elle-même nous l’apprend. Les passages classiques sont ceux que nous avons déjà cités souvent, Sap., xiii ; Rom., i, 20 ; et il serait facile d’en citer beaucoup d’autres, par exemple, Rom., Il, 12 sq. ; Act., xiv, 14 sq. ; XVII, 24 sq., etc., où la nature créée nous est présentée comme un miroir où Dieu se rend visible au regard de notre esprit, non certes immédiatement, mais par l’entremise des créatures, que nous voyons placées sous sa dépendance et dont nous saisissons qu’il est la cause. Hien plus, l'Écriture nous apprend que de la contingence des créatures imparfaites nous pouvons passer à l'être nécessaire, ht tcôv ôpo|/ivtov àyaOûv E’ios/ai -'>> 'jvtoc, Sap., xiii, 1, et remonter par discours intellectuel des perfections finies à la perfection divine à l’aide des principes de causalité et de raison suffisante : a nwgnitudine enim speciei et creaturse cognoscibiliter [ « vaX^yait] poterit creator horion videri. Ibid., 5. Cf..lansénius d’Ypres, dans Cursus sacrse Scriptura completus de Mi^ne, t. xvii, col. 5 : >7.

Est-il besoin d’ajouter que l’expression per ea quæ facta sunt est très générale, que notre Ame et toute s.i vie intérieure y sont comprises, comme eut soin de le déclarer le rapporteur du concile : Nam si iliciotits Drum cognosci nnlurali rationis lumine per creaturas, id est per vestigia quæ creaturis omnibus impretta snni ; mulio minus excludimu » imaginent quw. anima immortali hominit viiipresaa estl Aria, col. 132, 149. Est-il besoin de rappeler le soin avec lequel [es Pères et les docteurs scolastiques ont suivi indications scripturaircs'.' Il vaut mieux signaler 8 l’attention du lecteur la magnifique cohérence de la doctrine scripturaire et traditionnelle, reproduite par

n île. Parlant de la création, le concile déclare, conformément i de nombreux témoigi riptu raires, que Dieu a tout créé « à cause de sa bonté el de

ite puissante vertu, non en vue d’augmenter sa béatitude, ni pour acquérir sa perfection, maia pour la manifester par les biens qu’il accorde aux créatun Denzinger, n. 1683, Calvin lui-même avait retenu cet » vérité, lorsqu’il parlait des magnifiques flambeaux allu ii temple du monde pour nous montrer Dieu ; mais Calvin, | >- i esprit de système, noua imaginait aveugles depuis la chute. La doctrine catholique est que, même apn i la chuta, nous somn voyants : le livre du monde non seulement sel ouvert

l, mais nous pouvon I n pi uétTOI Tous

les liions que Dieu nous accorde, soit dans l’ordre naturel, soit dans l’ordre surnaturel, portent l’empreinte de l’infinie perfection de leur auteur ; et cette empreinte est dans le plan divin ordonnée à notre esprit : non sine testimonio scipsum reliquit. Act., xiv, 16. Car, quoi qu’il en soit de la question spéculative de la possibilité d’un monde créé sans créature intelligente, il est sûr que le monde, tel qu’il est, est ordonné à nous signifier la gloire de son créateur : Cæli enarrant gloriam Dei, Ps. xviii, 2 ; et que du signe nous avons le pouvoir physique de passer à l'Être signifié. C’est ce qu’on veut dire quand on parle de notre pouvoir de connaître Dieu « médiatement » par la raison naturelle. Mais ces deux derniers mots demandent quelques explications qui compléteront cette étude de la définition du concile du Vatican.

7° Comme moyen subjectif de la connaissance naturelle de Dieu le concile désigne la raison naturelle. — Notons d’abord que cette partie de la phrase n’a rien d’exclusif : on condamne ceux qui soutiendraient que la raison naturelle n’est pas un moyen de connaître Dieu, mais on n’exclut pas les autres moyens de connaître Dieu, s’il en est, comme la révélation proprement dite, l’expérience mystique, ou même simplement le témoignage humain des parents, etc. Le but du concile n’est pas de donner l'énumération de tous les moyens de parvenir à connaître Dieu, mais d’enseigner qu’un de ces moyens est la raison naturelle. Tous les modernistes qui excluent ce moyen sont donc condamnés aussi bien que les traditionalistes, les kantistes et les positivistes que le concile avait en vue. Par exemple, on ne saurait regarder comme orthodoxes les anonymes italiens qui ont écrit le Programma dei modernisli, Rome, 1908, en réponse à l’encyclique Pascendi. Ils rejettent, en effet, la raison du nombre des moyens subjectifs que nous avons de connaître l’existence objective de Dieu, sous le prétexte que le concile était plein de thomistes infatués d’intellectualisme, et qu’on peut modifier le sens des définitions ecclésiastiques, conformément à la loi de l’universelle évolution. Op. cit., p. 105. Cf. Denzinger, n. 1665.

1. D’une manière générale : a) le mol « raison », dans le concile du Vatican, n’est pas employé au sens vulgaire du terme ; b) il n’est pas davantage employé au sens spécifiquement péripalélicien, platonicien, scolaslique, cartésien, leibnizien, etc. ; c) mais il est employé au sens philosophique, répandu au XIXe siècle chez tous les théologiens et chez tous les philosophes, sans en excepter ceux qui, kanlisles, positivistes ou traditionalistes, niaient alors la valeur de la raison. — a) Sans aller aussi loin que les auteurs du Programma, quelques écrivains français, sous le prétexte que les conciles ne font pas de philosophie, soutiennent que le mot raison dans la définition conciliaire doit être entendu au sens vulgaire. Le principe d’herméneutique invoqué est inexact, cf. Ami du clergé, 5 mars 1908 ; mais nous n’avons pas à le discuter ici. Car le sens du mot raison dans notre texte est une question de fait. Que ce mot ne soit pas employé par le concile au sens vulgaire, comme équivalent d’une capacité quelconque de connaître et de juger, la chose est évidente ; car le concile, distinguant la lumière de la raison de la lumière de la foi, caractérise la raison « par la connaissance de la vérité intrinsèque des choses ; » or, on avouera que cette description dépasse « le sens courant, étranger aux systèmes, qu’un homme du peuple pourra voir » du mot raison. Le mot raison, dans le langage vulgaire, entendu de tout le monde, y compris les enfants qu’on dit avoir atteint l'âge de raison, rend un sens plus large. Acta, col. 171.

b) Le même mot n’est pas employé par le concile dans le sens spécial que lui donnent les diverses écoles

de théologie et les diverses philosophies suivant leurs doctrines variées, touchant la table rase, l’intellect actif, l’origine des principes, les différentes conceptions de la matière et de l’esprit et de leurs relations. On en conviendra facilement à l'égard des systèmes que le concile a eu en vue de proscrire. Il en est de même à l'égard de ceux qu’il n’a pas condamnés. Le mot raison dans le concile n’est employé ni au sens spécifiquement péripatéticien, ni au sens de saint Augustin, ni dans celui qui est spécifiquement de saint Thomas. Ce n’est pas même le mot raison au sens des scolastiques, en tant que ce sens est spécifiquement distinct, par exemple, du cartésianisme et du platonisme. Les modernistes italiens dans leur Programme parlent du sens thomiste du mot raison dans le concile. Il faut dire pourquoi ils se trompent.

a. Où dans le concile se serait trouvée une majorité pour voter le mot raison dans le sens scolastique précis ? D’où serait sortie cette majorité, puisque le cartésianisme, l’ontologisrne, le traditionalisme s’enseignèrent un peu partout, sans excepter Rome, durant les soixante années qui précédèrent le concile ? Sans doute, la scolastique durant cette longue période n'était pas complètement morte ; mais pour cent cartésiens qui ont écrit durant les trois premiers quarts du xixe siècle, on serait bien embarrassé de nommer dix scolastiques, au sens spécifique du mot. Le Programma des modernistes italiens est donc victime d’une projection du présent dans le passé, quand il parle de concile thomiste, à propos du Vatican. Il y avait des thomistes — encore un mot devenu équivoque depuis quelques années — au Vatican, par exemple, des bannéziens — quelques amendements, non acceptés, trahissent leur présence, leurs préoccupations et leur mentalité. Mais la masse des amendements fut dans un sens tout opposé ; et ceux qui furent les ancêtres des divers néo-thornismes actuels ne paraissent avoir eu que fort peu d’influence dans l’assemblée. Les discours des rapporteurs sont aussi peu thomistes que possible ; ils renferment même plus d’une saillie qui dut plaire médiocrement aux thomistes présents, par exemple, l'éloge du fameux argument de saint Anselme, rejeté par saint Thomas, et, durant des siècles, par toute l'école thomiste. Sans doute, Franzelin, qui écrivit les travaux préparatoires de l’assemblée, était scolastique et thomiste. Il était scolastique dans toute la force du terme ; mais la rédaction qu’il avait préparée fut rejetée, parce que trop scolastique. Vacant, t. i, n. 16, p. 32. En un sens très réel, qui est celui qu’avait dans l’esprit le nominaliste Arriaga lorsqu’il pensait diminuer son adversaire Suarez en le qualifiant de thomiste, Franzelin était thomiste, comme Kleutgen, comme je le suis moi-même ; mais les modernistes italiens savent très bien que Franzelin n'était pas thomiste au sens où ils emploient ce mot, et que le « thomisme » qu’ils ont en vue n’a pas Franzelin ou Kleutgen pour patrons.

b. Qu’on parcoure, je ne dis pas les travaux de polémique et de littérature courante, mais les livres qui comptent et qui représentent la pensée du monde théologique, parce qu’ils sont écrits par des hommes qui dominent leur sujet ; on verra combien ils sont réservés pour avancer que tel ou tel auteur est condamné ou atteint par le concile du Vatican. Le P. Gratry excluait tout syllogisme du procédé par lequel nous connaissons Dieu ; il le décrivait comme « une opération de la raison, qui, regardant l'être Qui, monde ou Ame, voit par contraste et par regrès, dans ce fini l’existence nécessaire de l’infini. » Connnissance de Dieu, t. ii, c. VIH. Or je ne connais pas un théologien qui affirme que le P. Gratry soit condamné ; tous disent, il est vrai, que le procédé est imaginaire et par suite faux. Il est pourtant bien évident que si la doc

trine scolastique de la raison avait été inclue dans le texte du Vatican, le P. Gratry comme le procédé « métalogique » des giinthériens seraient hérétiques. Pour d’autres auteurs, il est vrai, les théologiens discutent, par exemple pour Kuhn et aussi pour la Grammar of assent de Newman. Le fait de ces discussions montre à l'évidence que la doctrine scolastique de la raison n’est pas considérée par les théologiens comme nécessairement impliquée par la doctrine du concile. Si elle l'était, ni Kuhn, ni Newman ne feraient l’objet d’un doute, puisqu’il est certain que leurs théories de la connaissance ne sont pas celle de l'École.

c) Que le concile ait employé le mot raison dans le sens philosophique commun au xixe siècle à tous les théologiens et à tous les philosophes, sans en excepter ceux qui, positivistes, kantistes ou traditionalistes, niaient alors la valeur de la raison humaine, les Actes de l’assemblée nous l’apprennent ; l’histoire du concile et le texte volé nous le disent encore plus clairement. Dans un moment de vivacité, dont la sténographie nous a conservé la trace, le rapporteur, comme il arrive, dit, à ce sujet, toute sa pensée. Les amendements favorables au traditionalisme mitigé se multipliaient ; le rapporteur se lassait de répéter qu’on parlait, non de l’exercice, mais des principes de la raison. « Si, dans ce sens, ajouta-t-il, on ne peut pas employer l’expression de « lumière naturelle de l’homme », il faudrait biffer absolument tous les livres tant des théologiens scolastiques que de tous les autres. » Acla, col. 238. Le rejet des amendements fut acquis.

La position même des controverses que le concile avait en vue de terminer, amenait d’ailleurs l’assemblée à prendre le parti qu’elle prit en effet. Par raison, tous ceux que le concile visaient, entendaient précisément ce que les théologiens et les philosophes, qu’ils combattaient, signifiaient par le même mot, à savoir le pouvoir des idées ou concepts, des principes et des conclusions. C’est ce pouvoir dont les traditionalistes, les kantistes et les positivistes contestaient la valeur objective aux cartésiens, aux rationalistes comme Wegscheider et.luhs Simon, enfin aux théologiens catholiques. Or, comme pour niera un adversaire sa position, il est nécessaire de s’entendre avec lui sur cette position, on peut dire que les ennemis de la raison i atendaient ce mot comme ses défenseurs. Le concile, s’il eût pris le mol dans un sens différent, n’eût atteint ni les traditionalistes, ni les kantistes, ni les positivistes ; et dan agi - où il enseigne contre les rationalistes les limites de la raison et ses véritables rapports avec la révélation, il eût parlé une langue Inintelligible <>n objectera que le concile aurait pu définir sa terminologie et par là, sans parler la même langurque ci ux qu’il condamnait, les atteindre. On en convient ; mais il ne l’a pas fait, les Actes de l’assemblée en fonl roi, el si le où le mot raison b’j trouve employé dans le sens admis par les adversaires sont tns nombreux, nous n’avons pu en découvrir aucun où le concile ait produit une définition spéciale de la raison,

n plus, ce qui est dit de la raison dans le texte

oguement discuté de la constitution Dci Filius

confirme ci que l’histoire nous apprend. La raison y

' idéi ou i ipts, puisqu’elle est le

pouvoir de l’idée de Dieu, objel central du débat avec d ingi r M 1634. Elle eal le pouvoir des princi], iii<ini le vrai, propter

tant, objet que 1 n’atteinl pat de la même manière. Denzinger, o. 163 oir d’inférer et de déduit

elle peut, a) indépi adamment di la fol, atteindre certaines vérités ur Dl lare

dépendant au devoir « le la fol, Denzin n. 1618, 1688 ; li ta, col. 503

par le discours, à l’aide du raisonnement par analogie et par téléologie, à une certaine intelligence des mystères sans toutefois les épuiser, Denzinger, n. 1644 ; c) et enfin démontrer les fondements de la foi et cultiver la science des choses divines, ibid., n. 1658, 1646 ; tous actes qui ne vont pas sans le pouvoir de porter des jugements objectivement valables sur la nature intime des choses et de Dieu. Décidément, à défaut d’autre mérite, le Programma des modernistes italiens ne manque pas de clairvoyance, quand il reconnaît que l’idée de la raison, telle qu’elle est exprimée dans le concile, est incompatible avec les théories modernistes sur la connaissance philosophique, scientifique et religieuse. D’autre part, il nous paraît évident que le texte du concile exprime de la raison un concept qui ne se réduit pas au sens commun. C’est que le concile, qui n’avait pas de l’objet de la foi et de la philosophie qu’il implique, la notion exténuée des écrivains français que nous réfutons, ne pouvait pas concevoir comme eux le rôle de la raison.

Si maintenant l’on demande sur quel fondement scripturaire ou patristique le concile s’est appuyé pour parler de la raison dans le sens philosophique, bien que non systématique, que nous venons d’indiquer, la réponse est très simple. L'Écriture, soit dans des matières faciles à tous, soit dans des matières qui dépassent l’intelligence commune et vulgaire, est pleine de quia, enim, ergo, etc. ; or ces particules n’ont pas de sens sans l’idée de la raison que nous avons décrite Au début du xvii c siècle, quelques controversistes français imaginèrent d’acculer les protestants, qui prétendaient s’en tenir à la Bible seule, à l’absurde et au si lence, en leur refusant de raisonner d’aucune façon sur l'Écriture, sous le prétexte que l'Écriture ne donne nulle part les règles de la logique et « les formes de conséquence » ; par conséquent, disaient-ils aux protestants, en raisonnant même exclusivement avec des textes d'Écriture, vous allez contre votre premier principe sur la règle de foi, qui est la Bible seule. Cf. Chossat, Les jésuites et leurs œuvres à Avignon, Avignon, 1896, p. 20Ô. Cette chicane embarrassa peutêtre le premier huguenot auquel on la fit, mais l'Église n’approuva pas cette nouvelle apologétique, qui se plaçait en dehors du bon sens et aussi en dehors de la tradition. Les Pères ont raisonné beaucoup sur Dieu et sur les choses divines ; ils ont employé la raison pour pénétrer et pour exposer les « conséquences » que nous propose l'Écriture, par exemple, la métaphysique des attributs divins de la seconde partie d’Isaïe ; ils ont de plus tenu pour valables les conclusions aussi bien que les principes de ces conséquences. La réflexion philosophique chrétienne n’a pas eu de peine à tirer de ces faits la notion de raison, telle qu’elle est exprimée dans le concile du Vatican. Et, comme le disait le rapporteur, si l’on ne veut pas admettre celle notion, il faut fermer tous les livres anciens et modernes.

2. Bien que le concile, quand il parle de noire j voir de connaître Dieu naturellement, entende le. mot raison au sens philosophique indiqué, cependant il ne définit pas que oe pouvoir toit un pouvoir d’inférence, soit médiate, soit immédiate. — Ce point demande A être étudié afin d éviti rtouti ition dans

Usures, afin aussi de diminuer les équivoques

nombreuses auxquelles la position du eourilr. m. il

comprise, a donné lieu. Quelques uns, en effet, rai nl ainsi : Dans ou il s’agit de la

première connaissance de Dieu, le concile a entendu

le ' in on dani un len très lâche, puisqu’il n’a pas

voulu définir que la raison puisse démontrer, ou d pronvi r, l « de Dieu, n boi né I dire

qu’elle peut connaître Dieu avec certitude Donc le mol m sens le plu- 1 ulgaire ir être d’accor 1

avec le concile. Rappelons les faits, leurs raisons d

et examinons les conséquences qu’on en a déduites. a) Les faits. — II est certain que les mois prouver et même démontrer ont été proposés, que quelques amendements en réclamèrent l’insertion. Acta, col. 1631, li ; r> ; i sq., 121. Il est certain également que la commission du concile ne voulut pas proposer ces termes à la délibération, qu’en fait ils ne furent pas proposés el qu’un amendement qui les introduisait fut rejeté. Acla, col. 76, 132. Quamvis aliquatenus cerlo cognoscere el demonstrare sit unum idemque, tanien phrasim niitiorem depulatio de /ide sibi eligendam censuit et non islam duriorem, déclara le rapporteur. Il n’est donc pas de foi délinie : a. que le pouvoir physique que nous avons de connaître Dieu par les créatures implique nécessairement une inférence soit immédiate soit a fortiori médiate ; et sur ce point nous ne pouvons pas arriver à comprendre comment le P. Buonpensiere peut écrire que la démonstrabilité de Dieu est un dogme de foi depuis la délinition du Vatican. Commentaria in /a « partem, Borne, 1902, p. 110, n. 160, 163. — b. 11 n’est pas davantage défini que la certitude de l’existence de Dieu, à laquelle nous avons le pouvoir physique de parvenir par la raison naturelle, soit entièrement et exclusivement fondée sur une inférence immédiate ou médiale, même implicite.

Je ne trouve sur ces deux points aucun désaccord ferme chez les théologiens catholiques. C’est la raison pour laquelle ils conviennent par exemple que l’idée innée des cartésiens, le passage du fini à l’infini du P. Gratry, le procédé métalogique des gùnthériens, etc, et d’un autre côté la doctrine de l’illumination de saint Augustin, voir Augustin, t. i, col. 2336, celle de la purgation, ibid., col. 2332, celle qui, avec Vasquez, requiert une grâce naturelle pour la première connaissance de Dieu, Vasquez, In 7 am, disp. XCVII, c. V, surtout n. 33 ; cf. disp. I, n. 15 ; disp. XIX, n. 9, etc., ne sont pas condamnées par le concile. Scheeben, qui a fort bien exposé cette question, La dogmatique, t. ii, n. 1420, n’en excepte pas même la théorie mystique du capucin Juvenalis Ananiensis, Sol intelligentix, Paris, 1876, p. 343, d’après laquelle nous connaissons Dieu sans inférence même immédiate à travers le miroir intérieur de l'âme.

Mais il faut bien remarquer : a. qu’une doctrine peut n'être pas définie par un concile, et cependant appartenir à la foi ; la raison en est que, pour appartenir à la foi, une doctrine n’a pas besoin d’avoir été définie, il suffit qu’elle soit contenue dans l'Écriture ou dans la tradition. Nous avons d’ailleurs déjà dit que les conciles se bornent ordinairement à définir ce qui est strictement requis pour écarter les erreurs qu’ils ont en vue, et telle fut l’intention explicite du dernier concile. Acla, col. 84. Ne peuvent s’en étonner ou s’en plaindre que ceux qui ont la mentalité de ce théologien anglican, converti au catholicisme, qui dans son zèle de néophyte aurait voulu que chaque matin le Times lui apportât une définition ex cathedra ; mais telle n’est pas la mentalité ordinaire des théologiens, encore moins celle des modernistes. — b. Une doctrine peut n'être ni définie, ni explicitement contenue dans le dépôt de la foi, et cependant toucher à la foi ou être théologiquement certaine. Il est vrai que le concile n’a pas défini que la raison pour connaître Dieu fasse une inférence, ni que toute la certitude que nous avons naturellement de l’existence de Dieu soit fondée sur une inférence ; mais abstraheiitium non est mendacium, c’est-à-dire ne pas spécifier n’est pas nier. Dans le cas particulier, d’ailleurs, bien que le concile n’ait rien défini sur ces deux points, l’histoire du concile nous montre qu’en ne spécifiant pas, l’assemblée n’avait pas l’intention de nier. On y parla plus d’une fois officiellement des preuves de l’existence de Dieu ; nous avons entendu le rapporteur explicitement affirmer que » jusqu'à un certain point, aliquatenus, connaitreavoc certitude et démontrer sont une seule et même chovcla, col. 132. Enfin, le concile renvoya aux décisions pontificales antérieures. Or, hautain et Bonnette avaient dû >igner, entre autres, ces propositions : « Le raisonnement peut prouver avec certitude l’existence deDieu el l' infinité de ses perfections. — Quelque faible et obscure que soit devenue la raison par le péché originel, il lui reste assez de clarté et de force pour nous guider avec certitude à l’existence de Dieu..etc. Voir Hautain, ou Denzinger, 10e édit., n. 1622, 1627. Rationis usus fidem prsecedil, et ad eam hominem ope revelationis et gratiæ conducil. Voir Bonnetty, et Denzinger, n. 1507. Donc le concile, en ne spécifiant pas dans sa définition quel acte de la raison intervient dans la connaissance naturelle de Dieu, n’a pas voulu faire une proposition exclusive de l’inférence et du raisonnement. De même, en n’excluant pas nécessairement par le mot naturel toute espèce de secours subjectif — voir plus loin col. 861 — son intention n’a pas été de faire entendre que ces secours sont nécessaires, soit pour le fait, soit pour la certitude de cette connaissance.

b) Raisoyis de la réserve du concile. — Il est facile de se rendre compte pourquoi le concile s’est tenu sur cette réserve, a. soit que l’on considère le but qu’il poursuivait ; b. soit qu’on tienne compte de l'état des documents traditionnels ; c. et de ce que nous enseigne l'Écriture.

a. Le concile, nous l’avons déjà dit plusieurs fois, ne voulait définir que ce qui suffisait à atteindre les erreurs à la mode. Acla, col. 84. Or, ces erreurs, bien que pour des raisons très diverses, s’accordaient à nier le pouvoir et la valeur de la raisoii. Il suffisait donc d’affirmer que la raison est le moyen subjectif de connaître Dieu, sans qu’il fût nécessaire de préciser davantage.

b. Il est très facile de montrer dans l'Écriture et dans la tradition que la connaissance de Dieu peut s’obtenir par voie de causalité et par conséquent par une inférence comme en font même les simples, sinon par un syllogisme à la manière des doctes. Cf. S. Thomas, Sum. theol., I a, q. xii, a. 12 ; q. XIII, a. 10, ad5um ; De veritale, q. x, a. 12, ad l um ; In Boeth., de Trinit., q. i, a. 3, ad 6um. Saint Thomas enseigne que la première idée de Dieu nous vient par cette voie. Il n’est pas difficile de trouver chez les Pères nombre de passages qui indiquent la même origine psychologique à la toute première idée de Dieu. Mais il ne serait pas facile de faire la preuve qu’il y a consentement des Pères pour attribuer exclusivement à une inférence la première idée certaine de Dieu, que l’homme a ou peut avoir. Saint Thomas sur ce point est très réservé ; car certains raisonnements de saint Augustin l’embarrassent, et bien qu’il les fasse de son mieux rentrer dans son système, cf. par exemple, Cont. gent., l. III, c. xlvii, il écrit cependant avec beaucoup de prudence : Est ijuxdam communia et confusa Dei cognitio, qux quasi omnibus liominibus adest, sive hoc sit quod Deum esse sit per se nolum, sicut alia demonstratiouis principia, ut quibusdam videtur [ut in llibro, c. x, dictum est), sive quod magis ver uni videtur — voilà ce que saint Thomas pense de sa propre opinion — quia naturali ratione — par une inférence — in aliqualem Dei cognilionem pervenire potest. Et aussitôt saint Thomas, comme procédé de cette inférence, indique la considération de l’ordre du monde. Cont. gent., l. III, c. xxxviii. Cf. Schmid, Die thomistischeund scolistische Gewissheilslehre, Dillingen, 1859. Exposons l'état du problème.

Qu’on lise la plume à la main les auteurs nombreux qui depuis trois ou quatre cents ans ont construit des systèmes sur la première idée de Dieu, on remarquera

que les séries de textes qu’ils apportent sont toujours les mêmes. Thomassin a ramassé beaucoup de textes en faveur des idées innées. Vers la même époque, l’oratorien Martin se servait des mêmes textes en faveur de la thèse janséniste, à savoir que sans une grâce surnaturelle nous ne sommes pas capables d’une bonne pensée, même naturelle, et par conséquent pas de la pensée de Dieu. Cf. de Rochemonteix, Le collège Henri IV de la Flèche, Le Mans, 1889, t. iv, p. 231, 233, 235. Or qu’est-il arrivé? Au xixe siècle, un ontologisle ardent, l’abbé Fabre, a réédité l’ouvrage de Martin, en y changeant seulement le titre de quelques chapitres, et il a fait de l’ouvrage une « démonstration » de l’ontologisme. Les mêmes textes se retrouvent chez le mystique capucin Ju vénal, Sol intelligentiæ, 1686, et en partie chez Malebranche ; le même abbé Fabre n’a pas manqué d’enrichir la littérature ontologiste d’une réédition enthousiaste de Juvénal. Rossuet appuyait sur une partie de ces mêmes textes l’argument des vérités éternelles, pendant que bon nombre de scolastiques en faisaient usage, comme leurs prédécesseurs, pour soutenir que l’idée de Dieu est per se nota et que l’argument de saint Anselme est patristique. De nos jours, Staudenmayer, Kuhn ont puisé aux mêmes sources et ont abouti à des vues plus ou moins nouvelles. Voilà donc, pour les mêmes séries de textes, huit interprétations, et il faudrait y ajouter celle de saint Bonaventure, celle de saint Thomas, celle de Vasquez, etc. On sait enfin que les modernistes apportent leur interprétation, à la suite des érudits allemands qui travaillent à donner au protestantisme libéral uneassielte traditionnelle. Ces faits sont indéniables.

L’accord n’est pas encore complètement fait parmi les érudits sur la portée réelle de ces séries de textes, bien que, d’une manière générale, on s’accorde à les rattacher aux doctrines platoniciennes, solution que saint Thomas avait déjà entrevue à propos des Noms divins du pseudo-Denys. Déjà nos collaborateurs ont donné, dans les articles parus, le sens objectif de ces formules palristiques, et nous sommes sur que ce que nous écrivons ici ne gênera aucun des rédacteurs des futurs articles et que tous continueront à traiter scientifiquement une question scientifique. Voici, en quille est la position des théologiens sur ce sujet ; elle explique pourquoi le concile s’est abstenu de rien spécifier sur la nature de l’acte de la raison par h quel nous connaissons Dieu par les lumières naturelles.

Des Ion ;. de textes où les Pi res parlent de la première idée naturelle de Dieu même chez les païens, les théologiens concluent à la certitude théologique de la Ihèse qui enseigne une connaissance naturelle. Bponlanée, de Dieu. Les Pères du Vatican connaissaient parfaitement cette doctrine solidement établie depuis le xvr siècle contre li - prolestants. Ensuite, dans untraités d< théologie, nous prouvons que pour |uerla genèse de cette idée spontanée de Dieu, on ne démontre pas le consentement di s Pi res soil pour l’inn il pour l’ontologisme, soil pour l’illumination, Boil pour la purgation, soil i r l’argument

ii même pour celui qui perle le nom de saint Anselme, etc. Et, pour administrer preuve aux unilatéraux ou : mx esprits systématiques en quête de parrains, il sufBl de prendre les lexti s dans leur sens objectif, tel qu’on peut le déterminer par l’application rigoureuse de la méthode historique Di cette enquête les théologien concluent qu’aucune dei interprétations de Martin, de Juvénal

Hune doctrine catholique, lia fonl requer ensuit) qui le Pèrea n’ont pas parlé au isif, m. us qu’ils ont admis it employé, a côté de léa qui leur sont spéciaux, la voie ordl

-lé qui a îles fondements précis dani

l'Écriture. Mais, de cette enquête, il ne résulte pas que nous ayons la clef de tous les passages des Pères discutés ; et par suite, la preuve n’est pas faite que le consentement unanime des Pères ait exclusivement considéré la première idée de Dieu comme provenant d’une inférence. Et voilà pourquoi la commission du concile, qui n'était pas composée d’ignorants, refusa de préciser que notre première idée de Dieu — il s’agissait de celle-là contre les traditionalistes — est due à une inférence médiate ou même immédiate.

Quand il s’agit de la première connaissance certaine de l’existence de Dieu, outre la difficulté' générale inhérente à cette sorte de questions — qui se souvient de l’heure où il eut, à un âge où il n'était pas capable de retour réfléchi et méthodique sur ses actes intérieurs, la première idée de cause, d’addition, de multiplication, et qui peut reconstituer la psychologie de cet instant ? — il est une autre difficulté qui vient de la singularité du cas de cette idée : a. L’idée de Dieu comme celle, par exemple, de la réalité objective du monde extérieur, est spontanée. On veut dire par là, non seulement qu’elle paraît de bonne heure, mais qu’elle jaillit de notre nature raisonnable un peu à la manière des premiers principes de la raison ; qu’elle trouve de l'écho dans les plus profonds replis de notre nature raisonnable, morale et religieuse, puisqu’elle donne la réponse au besoin inné d’assigner une dernière cause à tout, puisqu’elle explique ou fait naître le sentiment de l’obligation, puisqu’elle assigne un objet à la conscience de notre dépendance, à ce fond d’amour respectueux et de désir du bonheur qui sommeillent en nous. On veut dire enfin qu’elle est facile et s’harmonise avec les principes de la raison, au point que, si elle implique un procédé logique, il est à peine perceptible. — h. A l’inverse de ce qui arrive pour la plupart de nos idées primitives, la genèse de l’idée de Dieu est susceptible de plusieurs explications, suivant qu’il s’agit de la connaissance confuse de Dieu, ou d’une connaissance plus développée. On a ou on n’a pas l’idée de cause.de ligne droite ; sans doute, on peut faire et on fait des progrès dans ces sortes de concepts, mais la notion primitive reste identique, et l’explication réflexe et consciente qu’on se donne de celle notion n’est que le développement île la perception primitive de l’activité causale, du quantum, Au contraire, l’idée de Dieu admet bien des degrés dont le contenu est le même objet, mais fort diversement connu ; et on n’arrive pas à chacun di degrés par le même procédé. On peut, en effet, parler île la connaissance de Dieu par pures dénominations extrinsèques : par exemple, la cause défait de cet univers ; ou s'élever à une connaissance de sa nature intrinsèque : par exemple, la cause de droit de tout ce qui est ; et cette dernière connaissance sera plus ou inoins parfaite, suivant qu’elle représentera Dieu plus

ou moins nettement, personnel, libre, infini, provident, bon, etc. Or, ces différentes connaissances de Dieu ne se justifient pas philosophiquement de la même façon.

Les théologiens l’ont bien VU, qui admettent avec saint Thomas qu’il y a une connaissance île Dieu rudi litres facile à tous ; et une autre qui demande les

plus grands efforts de la pensée philosophique. Cont. gent., I. I, c. iv. Cf. Dictionnaire apologétique de i<< foi catholique, 1910, t. t. col. Il sq., 58. c, lutin.

comme le remarque très finement Selieeb' II. Lu 1/117 matique, t. 11. p. 20, n. 28. quel qu’il soit. " le moyen par lequel nous nous formons l’idée de Dieu 1 même par lequel nous arrivons a la certitude d réalité objective, et nous ne pouvons pas admettre que

1 idée que nous avons 'te lu. u soil vraie et légili m

idmettre l’i de Dieu. 1 Scheeben 1 1

pliqne, i l’aide de cette double remarque, ['illusion ' ! ceux qui admettent la valeur de l’argument de saint

-i luie, parce qu’en fait l’i ti [ble

qu’autant qu’il existe réellement, ot parce que nous ne pouvons pas concevoir Dieu comme cause première el nécessaire sans le supposer lui-même existant. Il suffit d'étendre cette observation à d’autres arguments moins célèbres, mais également historiques, et de la joindre aux deux singularités précédentes pour comprendre les explications variées des Pères sur la genèse de la première idée de Dieu.

En effet, tous ne parlent point, et le même Père, par exemple saint Augustin, ne parle pas toujours de la même espèce de connaissance de Dieu : d’où le besoin chez les Pères comme chez les scolastiques, de proposer des arguments très différents. En second lieu, le fait que l’idée de Dieu trouve un écho profond dans notre conscience amena ces écrivains à donner souvent une grande importance au procédé par lequel, d’une manière réflexe, on peut remonter à Dieu en partant de la conscience morale et de la vie religieuse : toutes choses qui, elles aussi, font partie du pcr ea quæ facla sunt. Entrer dans cette voie était d’autant plus naturel que la grande facilité et la grande limpidité de la connaissance rendent peu perceptible le procédé psychologique qui y intervient. Si l’on joint à ces observations, qu’il est, dans le cas singulier dont il s’agit, très facile de s’illusionner sur « la valeur de preuve » des arguments d’allure scientifique, réflexe et consciente que l’on apporte ; et si l’on ajoute, d’une part, que les Pères n’emploient pas de formules exclusives, comme font tant de modernes, d’autre part, que pour eux qui, ainsi que les théologiens, n’admettaient pas facilement l’absence de toute idée de Dieu dans l'âme, les preuves scientifiquement développées étaient beaucoup plus des moyens d'écarter les doutes ou de parvenir à une connaissance plus parfaite, que des recettes pour faire naître la première conviction de l’existence de Dieu ; on se rendra compte de l'état de la littérature patristique, et de la réserve très prudemment scientifique de saint Thomas, du concile du Vatican et des théologiens qui les suivent.

c. Une dernière raison de cette réserve est l'état des données scripturaires. L'Écriture propose, il est vrai, des arguments en faveur de l’existence de Dieu, mais sans dire partout que ces arguments nous en donnent la première idée. Or, si le débat contre les kantistes et les positivistes s'étend aussi à ces arguments, la controverse avec les traditionalistes roulait surtout sur la première idée de Dieu. D’ailleurs, décider de la première idée à l’aide d’un texte révélé, c'était trancher dans leurs racines profondes toutes les difficultés pseudo-théologiques sur les suites de la chute qu’avaient soulevées Luther, Calvin, Illyricus, etc., Jansénius, Pascal, Quesnel, etc., Hautain, etc. ; c'était ruiner toutes les prétentions du pseudo-mysticisme contre la connaissance rationnelle en matière religieuse ; c'était juger les doctrines, diverses en apparence, mais se réduisantau fond au nominalisme, que différents philosophes employaient pour ruiner, soit la possibilité, soit la valeur, et de l’idée rationnelle de Dieu et des arguments classiques en faveur de son existence. Or, deux passages de l'Écriture, Sap., xiii ; Rom., i, 18 sq. ; spécialement ce dernier, permettaient de décider dogmatiquement les controverses pendantes ; la tradition était d’ailleurs ferme sur le sens du texte de saint Paul. Saint Irént’e et Tertullien s’en servent déjà contre l’agnosticisme des gnostiqucs. Cf. Irénée, Conl. Iiœr., l. IV, c. vi, P. G., t. vii, col. 939, 1061 ; Tertullien, Adv. Herruogen., c. xuvsq., P. L., t. ii, col. 238. Dans l'Épitrc aux Romains, saint Paul veut montrer que les jugements de Dieu sont justes, soit sur les Juifs, qui ont la révélation, soit sur les païens, qui ne l’ont pas. La conduite de Dieu à l'égard des païens est juste : « Car la connaissance de Dieu est à leur portée ; Dieu, en effet, la leur a clairement proposée. Car, depuis la création du

inonde, les attributs invisibles de sa nature, à savoir son éternelle puissance et sa divinité, sont vus clairement dans la connaissance intellectuelle, voovixevcc, qui les perçoit à l’aide des choses qui ont été faites, et de la sorte ils sont inexcusables eux qui, ayant connu l)ieu, n’ont pas voulu l’honorer. » Ce texte est décisif. Acta, col. 520. L’homme déchu — et par conséquent l’homme dont s’occupe la philosophie, qui n’en connaît pas d’autre — a le pouvoir de connaître Dieu avec certitude par la raison naturelle ; avec certitude, parce que s’il y avait impossibilité d’exclure le doute, il n’y aurait pas obligation et responsabilité morale ; par la raison, parce que ce mot désigne le pouvoir de former des concepts objectifs, et parce que si directement ou indirectement la connaissance de Dieu n'était pas rationnelle, les doutes sur sa valeur seraient légitimes, et l’homme athée ne serait pas sans excuse. Tout cela est impliqué et dans le texte de saint Paul et dans la formule du concile qui allègue ce texte. Cependant — et c’est ce que nous voulions faire remarquer — saint Paul n’entre pas dans le dernier détail quant à la nature du procédé psychologique et logique par lequel l’homme connaît Dieu au moyen des créatures. Le concile, qui s’appuie spécialement sur ce texte, a voulu rester dans la même indétermination.

c) Examen des conséquences déduites. — Tels sont les faits et leur raison d'être. Suit-il de là que toute théorie de la connaissance religieuse s’accorde avec l’Ecriture, la tradition et le texte du concile ? Suit-il de là qu’on est en règle avec le concile, si, avec les modernistes, on soutient que la première idée objectivement valable de Dieu nous vient d’une expérience qui n’a rien de rationnel ; si l’on concède aux protestants libéraux que II lie est la transcendance divine que la raison est impuissante à s’en former une idée valable, pourvu qu’on ajoute que l’immanence divine est telle que l’homme prend conscience de l’action de Dieu sur lui ? etc. Suitil de là enfin, comme plusieurs écrivains français le prétendent, qu’on est en règle avec le concile, si l’on se contente du simple bon sens vulgaire pour expliquer la première idée de Dieu ? En répondant à ces questions, nous ferons connaître pourquoi les théologiens jugent qu’il n’en est pas ainsi.

Pour n’avoir plus à y revenir, disons d’abord que les écrivains français qui insistent tant sur le simple bon sens sont en règle avec le concile, pourvu que le bon sens dont ils parlent soit bien un pouvoir de connaître objectivement valable, et pourvu qu’on ne donne pas à l’appel au bon sens un sens exclusif. Ils sont en règle avec le concile sur la première idée certaine de Dieu, parce que les théologiens qui admettent l’universalité de la connaissance de Dieu ne requièrent pas autre chose que le sens commun, le bon sens vulgaire, pour qu’on y arrive. Mais il ne faut pas que ce simple bon sens soit limité à un pouvoir de connaître qui ne peut pas arriver à une affirmation ferme et précise sur la nature intrinsèque de Dieu, par exemple, sur la personnalité' divine ; car le concile a défini le pouvoir de connaître Dieu de façon à commencer la vie morale et religieuse, et cela se trouve dans le texte même de saint Paul. Il ne faut pas non plus que ce bon sens soit opposé en un sens exclusif à la raison discursive, par laquelle nous arrivons ou pouvons arriver, même sans la foi, à une connaissance plus développée de Dieu, à ce que le concile appelle à deux reprises au moins la « science » de Dieu. Denzinger, n. 1616, 1658. Or. malheureusement, les écrivains dont nous parlons ont quelquefois oublié ces conditions d’un langage correct en ces matières. Ajoutons qu’on peut être en règle avec la définition conciliaire entendue rigoureusement, c’est-à-dire ne pas être hérétique, et cependant ne pas satisfaire à toutes les conditions d’orthodoxie ; cela résulte assez de ce que nous avons rapporté de l’enseignement de

l'Écriture et des Pères sur les preuves rationnelles de l’existence de Dieu. Cf. Franzelin, De Deouno, th. vr. Quant aux modernistes, ils ont été condamnés, en ce qui concerne le point spécial qui nous occupe ici : a. à cause de leurs formules exclusives ; b. à cause de leurs conclusions agnostiques.

a. Formules exclusives des modernistes. — L’Ecriture, les Pères et le concile désignent comme le moyen objectif de connaître Dieu les créatures, e rébus creatis, per ea quæ factasunt, et cela comprend sans doute le monde ou miroir intérieur, S. Thomas, Cont.gentes, l. I, c. xxxi : huj nsmodi autem simile inveniri potest m potentat cognoscilivis et in virtutibus operativis humanis, mais aussi le monde ou miroir extérieur. Qu’on le remarque, le concile n’a pas défini que c’est par une inférence que nous acquérons per ca quæ facta sunt la connaissance certaine de Dieu, mais il ne l’a pas nié — ce qui eut été contre l'Écriture et spécialement contre Sap., xiii — et en employant l’expression générale per ea quæ facta sunt, il n’a pas exclu le monde extérieur. Qr, le modernisme exclut toute méthode qui tient compte de la manifestation de Dieu par le monde extérieur. En effet, d’après lui, la vraie philosophie est celle « où rien n’est communiqué du dehors, où tout croît du dedans. » D’où la bizarre conception de « la pensée, efficace de Dieu ». Ci. Revue de philosophie, novembre 1907, p. 4£2. Un moderniste dira : .Mais s’il faut tenir compte du miroir extérieur et ne pas l’exclure, la théorie scolastique de la connaissance s’impose ! On répond : En elfet, il est bien difficile de ne pas admeltre cette conséquence : plus la criliqtie moderne, qui a laissé intacte la doctrine scolastique, démolit de systèmes, plus cette conséquence s’impose ; et c’est la raison pour laquelle les théologiens s’y rallient de plus en plus et c’est, croyons-nous, la raison pour laquelle le magistère insiste tant sur le retour à saint Thomas et à l'École. Cf. Léon XIII, Encyclique au clergé de France, 8 septembre 1899, dans les Etudes, octobre 1899, p. 12. Cependant, ici où il s’agit autant qu’il est possible de parler en rigueur, je concède que cette conséquence n’est pas définie et qu’elle n’est impliquée dans le dogme qu’autant qu’on en démontrer,) l’absolue nécessité : certo cognoscere et probare est aliquatenus idem, disait le rapporteur.

L’Ecriture et la tradition proposent, même pour les simples, des arguments en faveur de l’existence de Dieu, airement implique la connaissance et la valeur des principes de la raison. Le modernisme rejette parce qu’il n’admet pas qu’on raisonne avant d’avoir fait la critique des premiers principes. méthode d’immanence consiste à prendre l’attitude philosophique des disciples de Kant. c’est-à-dire i ne pas chercher à s'élanci r hors de soi-même, comme d’un bond, appuyé sur des principes auxquels on donne d’emblée une valeur obj e, dans La

Quinzaine, 1° janvier I, s ! 17. p. 124. Celle formule entraîne toute une série d’exclusions par ricochets. D’abord, tous l< simples, c’est-à-dire 9999 individus sur 10000, sont exclus de la vraie et certaine connaissance de Dieu par voie d’inférence, par le seul fait qu’ils n’ont pas eu la chance d'être éduqués par l’uniité de France depuis qu’elle est aux trois quarts iviste ou kantiste. Cf. la statistique dans la R

d’apologétique, 15 novembre 1908, p. 296. Ensuite, coie il est bien entendu pour le modernisme que la critique démontre la non-valeur di premiers prim ip< - et di ip< l illusion qui leur fait 'onii litre par |< I on n une valeur

i i ipturaire i t traditionm dont le princip la ba.ni exclus

pour les tin, i. -. car le princi] dite a’appai

tient qu'à la législation interne de l’ordre phéni BU, qu’il ne peut donc ser<ir a n passeï Le 1

dans la Revue de métaphysique et de morale, mars 1907, p. 143. En sorte que, par exemple, saint Paul proposant un argument très simple en faveur de l’existence de Dieu aux habitants de Lystres, qui étaient incapables de critique, perdait son temps et manquait de méthode, et le même apôtre donnant à l’Aréopage des arguments plus relevés se trompait lui-même et décevait ses auditeurs. D’où il suit que les habitants de Lystres eurent tort de croire à l’existence de Dieu sur les raisons avancées par l’apôtre, puisqu’ils n’avaient pas fait la critique du principe de causalité d’après Kant et Spencer, et que les Arcopagiles eurent raison de n’y pas croire et de s’en tenir au culte du « Dieu incompris », puisque saint Paul faisait devant eux « un usage transcendant du principe de causalité, » ce qui est un paralogisme.

Enfin, le concile, tout en affirmant, avons-nous dit, la certitude rationnelle de l’existence de Dieu, ne spécifie pas dans sa définition les conditions d’un tel acte ; il se contente d’exclure toutes les doctrines d’après lesquelles l’homme est incapable de s'élever à une connaissance rationnellement valable et certaine de l’existence de Dieu. D’où il suit que tous les procédés qui aboutissent à la certitude rationnelle de l’idée de Dieu se concilient avec la définition conciliaire. La position des modernistes consiste ici, comme on dit dans l'École, à nier l’hypothèse, negare supposilum, ce qui, comme le savent ceux qui connaissent les règles de la civilité des disputes scolastiques, est la manière la moins polie du monde de contredire un adversaire. Il faut bien noter cette nouvelle exclusion des modernistes, parce que c’est à la faveur de ce procédé qu’ils cherchent à se couvrir de l’autorité des Pères et aussi des théologiens. Ils n’ont, en effet, pas de peine à trouver, dans les vieux textes, bien des argumentations sur Dieu qui ont le même point de départ que les leurs, par exemple le célèbre Fecisti nos ad te de saint Augustin, ou la considération de la religion naturelle comme principe de vie répondant à la nature de l’homme, etc. Comme il est certain que ni l’Ecriture, ni les Pères, ni l’Ecole, ni le concile, ni l’ensemble des théologiens depuis le concile, n’ont exclu ces argumentations — nous avons dit pourquoi — il paraît au public qu’on ergote vraiment trop contre les modernistes, puisque l’on regarde comme non orthodoxes, chez eux, des arguments qu’on approuve ou tout au moins qu’on ne condamne pas che ?. d’autres ; et on sait que bien des apologistes, qui ne sont pas modernistes, ont emboîté le pas, en vue de satisfaire à ce qu’on appelle les exigences ou les besoins de la pensée moderne. D’où grand désappointement à l’apparilion de l’encyclique Pascendi. Le grand public et aussi les apologistes que j’ai en vue ont été victimes d’une équivoque. Ils n’ont pas remarqué que, lorsque les modernistes partent du Fecisti nos ail te, ou de ce fait d’expérience : la nature postule la vie, et concluent : donc l’objet nécessaire de cette vie, de ce désir, Dieu, existe, ces formules, tout en étant mot pour mot les mêmes que celles de beaucoup de Pères et de quelques scolastiques, rendent chez les modernistes un tout autre sens que chez les auteurs orthodoxes.

Chez les auteurs orthodoxes, ces sortes de raisonnen’onl rien d’exclusif, car ces auieurs n’excluent

pas les autres raisonnements, et ils s’appliquent a montrer que des faits moraux, religieux, on peut déduire sur l’existenct de Dieu des conclu ions rationnellement valables et Ils n’j réussissent toujours, il est vrai, d’où il suit qu’ils trouvent souvent des contradicteui parmi les théologiens ; n comme leui n’a rieu d’exclusif et comme ils parlent dans l’hypothèse de la possibilité d’arrivei i une certitude rationnelle, 1 | existi Di S de Dieu, il est

conciliable avec le concile du Vatican. Rien plus, l’apologiste peut légitimement ad hominem y avoir recours, si la mentalité, c’est-à-dire les préjugés, de l’adversaire ou du néophyte le demandent.

Chez les modernistes, au contraire, l’emploi de ces mêmes arguments ne va jamais sans deux arriérepensées exclusivistes : il s’agit, bien entendu, des arriére-pensées manifestées dans les textes. D’abord, ils ont toujours à l’esprit, en exposant ces sortes de preuves, ce principe que la réflexion détruit la force de tous les autres arguments, que seules « les conséquences déduites de prémisses confiées au travail de la vie résistent à la dissolution critique. » Ce qui veut dire que Pascal a bien fait d’aflirmer l’inanité de la raison ; et que Kant et Hume, Comte et Spencer ont démontré l’assumption de Pascal ; et que, par suite, le même Pascal, Rousseau, Jacobi, Kant, Schleiermacher ont vu juste en recourant au cœur, au sentiment, à la conscience morale, à la piété, etc. Ensuite, ces arguments eux-mêmes sont donnés par les modernistes de façon à exclure des débuts de notre vie morale et religieuse précisément cette certitude rationnelle que le concile du Vatican a voulu affirmer. Ce sont ces deux arrière-pensées que les théologiens qui suivent le concile et la tradition ne peuvent pas accepter ; car elles faussent l’usage des arguments moraux, même les plus classiques, chez les modernistes. Donnons quelques exemples.

Bon nombre de théologiens admettent une intervention des tendances naturelles dans la formation delà première idée de Dieu : c’est le testimonium animas naturaliter christianse de Tertullien ; beaucoup d’autres considèrent comme valables les démonstrations de l’existence de Dieu partant du fait de l’obligation morale, du désir du bonheur ; d’autres enfin parlent d’une certaine illumination de l’esprit ou des dispositions morales du sujet. Mais tous évitent ou cherchent à éviter le fidéisme, c’est-à-dire un assentiment subjectivement certain, non fondé et appuyé sur un jugement intellectuel antécédent et non susceptible de se légitimer rationnellement ; en d’autres termes, tous prétendent sauver la certitude rationnelle.

Par exemple, saint Thomas est un des auteurs qui parle le plus souvent d’un « instinct de nature » , « d’un instinct divin » , qui, d’après lui, joue un grand rôle dans l’acquisition rapide des premiers principes spéculatifs et surtout pratiques. Une de ces premières vérités est, d’après lui, la connaissance de Dieu. Mais voici comment il explique lui-même la spontanéité de cette connaissance : Ejus cognitio nobis innata dicitur esse in quantum per principia nobis innata de facili percipere possunius Deum esse. In Boeth., deTrinit., q. I, a. 3, ad Q am j Sum. theol., I a, q. il, a.'l, ad l ura ; Ia-IIæ, q. i, a. 4 ; q. il, a. 8 ; q. lxxxix, a. 6 ; Contra génies, 1. III, c. xxxviii. Il serait facile de multiplier ces citations ; quiconque aura parcouru celles-ci conviendra que M. Mallet a raison de penser que plusieurs des « données » de la philosophie de l’Action sont identiques à quelques-unes des données de la scolastique. Mallet, La philosophie de V Action, dans la Revue de philosophie, septembre 1906, p. 239. Le même auteur expose que la philosophie de V Action s’occupe du cognilum ex actione et volitione elicilum. Ibid., p. 243. J’ai moi-même montré plus haut que cette sorte d’objet n’est pas inconnu des théologiens. Mais de nouveau, comme le fait très bien remarquer M. Baudin, « il y a deux manières de trouver Dieu dans les impératifs. La première consiste à entendre psychologiquement sa voix, par une expérience personnelle et une réalisation affective et imaginative… La seconde consiste à relier niétapli[isi<iuement les lois morales à l’intelligence et à la volonté divine, par une rationalisation, et c’est la méthode de saint Thomas. » La philosophie de la foi chez Newman, dans la Revue de philosophie, octobre

1906, p. 377. Ajoutons que cette seconde méthode est celle de tous les théologiens, qui développent les argumente dont il est ici question. De même, Vasquez qui donne une grande importance aux dispositions morales quand il s’agit de connaître Dieu, explique son point de vue ainsi : Licet in demonstralionibus necessarius non sit affectus voluntatis, et bonaillius disposilio, ut apprehensis proposilionibus stalim homo… assensum prsebeal iis rébus quse notissimse sunt, et nullo modo adpielatem perlinent ; in iis tamen quse ad pictatem spectaut, quales… sunt de unitate Dei, de illius scientia et providenlia, etiamsi demonstrationes in Ira propriam mensuram habeantur, necessarius est pius affectus… Jn iis ergo plurimum confert affectus bonus, non quideni ut, visa extremorum conformitate, assenliatur intelleclus, sed ut illam propositionem tali modo appréhendât et formel, ut faciat apparere eam extremorum conformitatem. InP iii, disp. I, c. ii, n. 15. Ailleurs le même théologien applique cette théorie à la démonstration de l’existence de Dieu elle-même, lbid., disp. XIX, c. ni, n. 9. Donc, pour les théologiens qui emploient des arguments analogues à ceux que développent les modernistes, l’assentiment s’appuie toujours en dernière analyse sur une évidence rationnelle. Saint Augustin est probablement de tous les Pères celui qui a le plus insisté sur le côté psychologique du problème que nous étudions : cependant il déclare nettement que nous ne pourrions pas croire si nous n’avions pas des âmes raisonnables. Credere non possemus, nisi rationales animas haberemus. Episl., cxx, n. 'S, P. L., t. xxxiii, col. 454. Et ailleurs : Eslenim Dcus, et vere summeque est ; quod jam non solum indubitatum, quantum arbitror. fi de relinemus, sed etiam cerla, quamris adhuc tenuissima, forma cognitionis altingunus. De libero arbitrio, 1. II, c. xv, n. 39, P. L., t. xxxii, col. 1262. La certitude de la connaissance naturelle de Dieu est donc, d’après saint Augustin, rationnelle. Cf. Enchiridion, c. IV : H sec sunt defendenda ratione vel a sensibus corporis inchoata, vel ab intelligentia mentis inventa. P. L., t. XL, col. 233.

Non, répliquent les modernistes, les raisons morales de croire ne sauraient donner lieu à une certitude rationnelle, c’est-à-dire à une certitude fondée sur des principes objectifs nécessaires et universels. La critique kantienne et post-kantienne a définitivement ruiné tous ces prétendus principes. L'àme moderne ne les admet plus. D’ailleurs, « la foi est introduite par une impulsion émotive en présence de raisons qui ne sont pas absolument des preuves. » Cf. Saleilles, La foi et la raison, Paris, 1905, p. xxxvii. Les arguments en faveur de l’existence de Dieu, fondés sur des faits de conscience morale et religieuse, doivent donc être traités et développés comme des preuves d’expérience ; et il ne peut en tout cela être question que d’une « expérience qui n’a rien de rationnel, mais qui est supérieure à toute expérience rationnelle. » Cf. encycl. Pascemli, S Alque hsec, Denzinger, 10e édit., n. 2081. Tel est le fond de l’exclusivisme des formules modernistes, dans le développement des arguments moraux et vécus de leur théodicée ou, plus exactement, de leur doctrine de la croyance. C’est donc le fidéisme mis à la base de notre vie morale et religieuse, le fidéisme que le concile du Vatican a repoussé du sein de l’Eglise, parce que contraire à la révélation. C’est ce que sans doute n’avaient pas assez démêlé les apologistes que l’encyclique Pascendi a surpris. Concluons : ce qui est condamné, ce n’est pas l’usage des arguments moraux ni l'étude de la psychologie de la vie religieuse ; c’est simplement cet usage et cette étude avec la mentalité exclusiviste des modernistes. Cf. Raille. L’idée de Dieu et l'âme contemporaine, extrait de la Revue apologétique de Bruxelles, 1908.

b. Conclusions agnostiques des modernistes. — Sans rien répéter de ce qui précède sur le sens du concile, nous pouvons affirmer que dans les passages que nous étudions, le concile par « raison naturelle » entend le pouvoir physique que nous avons d’atteindre et de distinguer le réel, suprasensible, matériel ou non, de façon à porter sur lui des jugements valables fondés sur la connaissance de la nature intrinsèque deschoses. Cela suit de ce que le concile définit qu’on peut connaître Dieu « par les choses » , et de ce qu’avec l’apôtre saint Paul il entend parler d’une connaissance de Dieu telle que, si nous ne l’honorons pas d’un culte religieux, après l’avoir connu par ce moyen nous sommes inexcusables. Il est vrai que la considération du a monde phénoménal » peut amènera la connaissance d’une première cause, d’un premier moteur. Stuart MiU admet cette conséquence ; mais, positiviste, il conclut au matérialisme. Cf. Maillet, La création et la providence devant la science moderne, Paris, 1897, p. 107. Or, ce n’est que par la connaissance de la nature intrinsèque des choses que l’on exclura l’hypothèse matérialiste ou panthéiste, Denzinger, n. 16481651 ; et, d’un autre côté, si l’on n’admet pas que la raison est capable de porter sur la nature intrinsèque des choses, et par conséquent de Dieu, des jugements objectivement valables, il est impossible de légitimer le devoir du culte. Cf. Dictionnaire apologétique de la foi, t. i, col. 7. Nous n’ajoutons donc rien au concile, en décrivant la raison comme nous venons de le faire.

Sans doute, cette description en un sens ne dépasse pas le sens commun, si dépasser le sens commun c’est, comme les philosophies nouvelles l’entendent, le contredire, en cessant d'être avec lui objectiviste et dogmatique. Elle ne dépasse pas non plus le sens commun en ce sens que, moralement parlant, tout homme venu en ce monde est capable de faire les actes qu’elle implique. Mais elle le dépasse de beaucoup, si dépasser le sens commun, c’est distinguer par l’analyse ce qu’impliquent nos actes directs, ce qu’expriment les textes de la Sagesse, xiii, et de saint Paul, Rom., i, qui interprétés par la tradition chrétienne ont servi de i la décision conciliaire.

Il est donc certain que le concile n’admet pas qu’on soit confiné dans l’agnosticisme, ni avant ni après la première adhésion de la raison à l’existence de Dieu, ni avant ni après le premier acte de foi proprement dite. Or les modernistes préfèrent, avant la croyance ou la foi, se rallier à l’opinion des positivistes ou des kantistes, sauf à essayer avec If. Brunetière d’utiliser l’inconnaissable de Spencer. Brunetii re, Pour le centenaire d’A uguste Comte, dans la Revue des Deua Mondes, 1-- juin 1902, p. 691 sqCf. Itevue de philosophie, février 1903, p. 237. après ou dans la croyance et la foi. ils préfèrent se rallier a l’opin i<>ti des protestants libéraux. Pour eux, comme pour M. Ménégoz, la raison est impuissante en matière religieuse — el il s’agit bien de la raison des philosophes, telle que je viens de la décrire ; nous n’atteignons Dieu que par la croyance, et nous exprimons cette croyance par des images (Tyrrell), dos symboles, des anthi opomorphismes, des formules absti

mes un caractère s mbolique, car. Iles

s riment direi li ment que les luis de notre esprit,

ibitudes de conduite qui résultent de

notre croyance & la vérité du conc< pi de Dien, de même

que les formules mathématiqui - n i (priment que notre

lion aux intuitions du réel et aussi notre action,

commodité qui nous guident dans notre choix de

/ he eality of God, danUibbert i ctobn 1906, p 106

bien plus, cet t ipn Ions sont contingentes, variables, comme tout le reste, aux I". lution

| >I. dans I 1907, II. I.

Cf. Denzinger, 10e édit., n. 2074, 2079 sq., 2094, 2026, 205$. M. Le Roy ayant proposé son symbolisme mathématique ou pragmatique, M. Sertillanges prononça que « la foi est un problème de vie, non un problème philosophique ; » et que « fùt-on relativiste en philosophie, si l’on maintient — et cela se peut — dans le système des relations une place pour les réalités dogmatiques, qu’importe que la réalité totale ait été définie tout d’abord, philosophiquement, par la relation ou par autre chose'.' » Cf. Revue du clergé français, novembre 1905, p. 5't3 ; octobre, p. 317. M. Desbuts marcha sur les traces de M. Sertillanges et exténua l’analogie de proportionalité de Cajetan, en « prolongeant » , dit-il, la pensée de saint Thomas, p. 384, au point de pouvoir, dans des vues apologétiques, proposer sérieusement de renoncer « à connaître Dieu par et dans nos concepts. » Desbuts, La notion d’analogie, dans les Annales de philosophie chrétienne, janvier 1906, t. eu, p. 385. Depuis, le même écrivain a écrit sans embarras : « Selon le saint docteur [saint Thomas], notre idée de Dieu est une idée analogue selon l’analogie de proportionalité. Une telle idée n’exprime pas une propriété abstraite commune à Dieu et aux créatures ; elle n’est, en aucune façon, une représentation, même obscure, de la nature divine. » Ibid., juin 1908, p. 255. Voir sur la position réelle de l’ancienne école thomiste, Dictionnaire apologétique de la foi, Paris, 1908, 1. 1, col. 45.

Toutes ces formules reconnaissent avec la scolastique et avec Kant que nous pouvons désigner Dieu par des périphrases tirées de nos états subjectifs, par des dénominations extrinsèques ; mais elles nient avec le même kant, non pas seulement contre la scolastique, mais bien contre la pensée de l’Eglise et de tous les fidèles, S. Thomas, Sum. theol., I a, q. xiii, a. 2, que nous soyons capables de porter un jugement défini, ayant une valeur de connaissance objective précise, sur la nature intrinsèque de Dieu. Peu importe ici, où il s’agit de l’aboutissement, de savoir si toutes ces philosophies ont ou n’ont pas dépassé Kant, si elles ont ou n’ont pas retrouvé le réel ; peu importe de même les diverses allonges essayées ; nous parlons du résultat. Or, qu’ils soient à la remorque de Spencer et de ses idées héréditaires, comme M. Loisy ; qu’ils tiennent que tous les termes de l’Ecriture sur Dieu sont figurés, comme le juif Maimonide et M. Tyrrell ; que leur symbolisme soit métaphysique, avec M. Desbuts, ou pragmatique, etc., avec M. Le Roy, etc. ; tous s’accordent à nier que la raison humaine ait le pouvoir de se faire une idée rationnelle valable de l’absolu, de façon à pouvoir porter sur la nature intrinsèque de l’ion desjugements définis ; tous s’accordent avec il. Dunanà considérer le et et l’estime de l'Église pour la raison « comme une erreur » . Cf. Rifaux, Les conditions du retour au catholicisme. Enquête, réponse de M. Ounan, p. 205. Ceux-là seuls qui ne connaissaient ni le sens de la définition du Vatican, ni les prétentions du modernisme, ont pu s'étonner de la condamnation de ce « rendez-vous de toutes les hérésies » . L’expression a froiss. ii tins protestants libéraux, qu’elle démasquait — car ces messieurs sont souvent gens d'église et vivent de ri venus ou d’aumônes ecclésiastiques et d’i

. I Ile n’est pourtant que juste, I

dinairei n’errent que sur quelques points ; mais la

théorie de la connaissance religieuse du lern

exige qu’on erre à la fois sur tous les dogmes ; bien

plOS, elle siippri aussi l.ien la foi que la raison, la

révélation que la connaissance naturelle de 1° i.

que ne faisaient ni le luthéranisme, ni le calvinisme,

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go / snii/i, t<i tir connu

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DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)

SGO

texte du concile, et quelles sont les conséquences de la doctrine révélée sur les théories de la raison. Il ne reste plus qu'à répondre à une dernière thflicu 1 1<'- en exposant le seul mot du canon conciliaire que nous n’avons pas encore expliqué. Il s’agit dans notre texte de la raison naturelle. Ce mot, tout le monde en convient, a été voté par le concile en vue d’exclure le traditionalisme. Cette hérésie admettait que l’homme, tel qu’il est, n’a pas les forces rationnelles suffisantes pour arriver à la connaissance certaine de Dieu ; il lui fallait donc un secours, une aide, pour suppléer à son insuffisance ; cette aide était la révélation proprement dite, cette révélation qui est, d’après l’Ecriture, strictement surnaturelle, c’est-à-dire indebila. En employant le mot naturel, le concile a eu explicitement en vue d’exclure ce secours surnaturel qui est la révélation ; et dous avons déjà dit que le texte de saint Paul, qui parle des païens qui n’ont pas la révélation, a bien ce sens.

1. Questions.

Ici certains apologistes cherchent à greffer leurs théories sur le texte du concile. Voici comment. Le concile, disent-ils, n’a exclu par le mot naturali que cette espèce particulière de secours, qui est la révélation proprement dite. Mais, puisque les Pères ont admis, par exemple, les théories de l’illumination et de la pur galion, puisque certains théologiens ont admis des secours surnaturels pour la première connaissance de Dieu, on peut concevoir et admettre la nécessité de secours autres que la révélation proprement dite, sans lesquels la raison ne peut pas parvenir à la connaissance certaine de Dieu. Or, si l’on admet la nécessité, et par conséquent la réalité historique de tels secours — lesquels ne sont pas exclus par la’définition conciliaire — le premier assentiment certain donné à l’existence de Dieu n’est plus nécessairement déterminé par le seul poids des preuves ; il n’est donc plus simplement rationnel. D’où il suit que, sans contredire en rien le concile du Vatican, on peut très bien concéder que le pouvoir physique de connaître Dieu avec certitude ne gît pas dans les principes intrinsèques et constitutifs de notre nature : sinon, il faudrait dire que le concile du Vatican a défini la possibilité de l'état de nature pure, ce que nul n’accordera. On peut donc, tout en restant fidèle au concile, concéder aux philosophies modernes, qu’en réalité nous n’avons intrinsèquement en nous aucun principe -naturel par lequel nous soyons capables d’atteindre et de distinguer l’absolu. Cette opération n’est possible que grâce à un secours de Dieu, à une action divine ; et de la sorte, sans admettre la doctrine de l’immanence, nous pouvons très bien, tout en restant catholiques, en admettre la méthode. Nous dirons donc que dans la connaissance religieuse, l’action divine supposée, tout croît du dedans ; qu’il suffit de l’observation psychologique pour expliciter avec une infaillible sûreté le contenu de l’action divine, confié au travail de la vie ; que la croyance en Dieu est une forme de l'être moral, que par son action Dieu ramène à lui ; que la connaissance intellectuelle de Dieu n’est que le rellet de la vie morale et religieuse ; et, comme les théologiens, à bon droit, rejettent l’agnosticisme dogmatique et veulent porter sur Dieu en soi des jugements objectifs, nous ajouterons que ce reflet ne va pas sans un nexus objectivus avec la réalité. Sur ce dernier point, il est vrai, notre doctrine se séparera des philosophies issues de Kant. Mais notre apologétique nouvelle aura l’immense avantage de tenir compte de ce fait, signalé par M. Blondel, que « la pensée moderne, avec une susceptibilité jalouse, considère la notion d’immanence, comme la condition même de la philosophie. »

Ces quelques lignes résument fidèlement, croyonsnous, la pensée un peu confuse qui, ces dix dernières années, a inspiré beaucoup d’articles, parus dans la

Revue du clergé français, dans les Annales de philosophie chrétienne, dans The New York Heview et ailleurs. Pour soutenir celle méthode d’apologétique, on a cherché chez les anciens théologiens diverses théories sur le surnaturel, absolu et relatif ; on a travaillé à enrégimenter les cardinaux Newrnan et Dechamps ; on a discuté de l'état de nature pure ; on a découvert « le point de départ de la recherche philosophique, » etc. Tous ceux qui ont pris part à la lutte contre les positions classiques, ne s’en écartaient pas également ; et bien que des modernistes avérés, c’est-à-dire des agnostiques, se soient servis des vues émises en faveur de la méthode d’immanence ou du dogmatisme moral, nous ne reviendrons pas sur l’agnosticisme ; mais il reste, après tout ce que nous avons dit, à traiter à part du problème des rapports de la nature et de la grâce, dans la connaissance de Dieu. La question à laquelle il nous faut répondre est donc la suivante : Cette apologétique nouvelle, en tant qu’elle s’appuie sur la doctrine des auxilia, pour expliquer notre première idée valable et certaine de Dieu, est-elle conciliable avec le concile ? Nous n’oublierons pas plus que dans ce qui précède, que les textes dogmatiques sont striclissirnse interpretationis. Acta, col. 131.

2. Réponse.

a) Les théologiens divisent les secours divins, auxilia, en deux grandes catégories : les naturels ou débita, et les surnaturels ou indebita. Les secours naturels comprennent le concours général, sans lequel aucune créature ne peut agir ; les secours spéciaux, exigés pour un acte déterminé, par exemple, pour que l’intelligence passe à l’acte ou pour que la volonté soit excitée et rende l’intelligence attentive : c’est à cette classe que se rapportent, si on les déclare nécessaires, l’idée innée cartésienne, l’illumination, la purgation, les dispositions morales, l’exemple des autres, l’enseignement social, etc. Les secours surnaturels sont destinés à élever les puissances à l’ordre divin, sans tomber sous le champ de la conscience, par exemple, la grâce infuse du baptême ; ou bien, ils excitent nos puissances à l’acte, par exemple, les grâces actuelles qui éclairent et sollicitent la volonté. Ces derniers secours, relativement à l’objet qui nous occupe, sont de deux espèces : per modum mère subjectivi, et per modum objectivi. On appelle secours objectif, tout ce qui se tient du côté de l’objet ; et purement subjectif, ce qui influe sur l’acte sans constituer une présentation de l’objet et sans varier la nature ou la force perçue des motifs d’adhésion. En d’autres termes, est dit « secours objectif », ce qui se présente à l’esprit comme objectif ; « subjectif », ce qui inllue sur l’acte sans constituer un objet. Par exemple, la révélation proprement dite est un secours objectif, parce qu’elle présente l’objet, et le motif d’adhésion : l’autorité divine. Mais, si nous supposons qu’en même temps que Dieu révèle une proposition au prophète, il agit sur ses puissances pour les inclinera l’assentiment, cette action qui, par hypothèse, ne constitue pas l’objet proposé à l’adhésion du prophète et ne varie pas la nature ou la force perçue du motif d’adhésion, qui, dans l’espèce, est l’autorité divine, est appelée secours purement subjectif. Ainsi, dans cette terminologie, l’hérésie traditionaliste consistait à soutenir que, sans un secours objectif, la raison de l’homme ne peut pas à l’aide des créatures connaître Dieu avec certitude.

De ces divers auxilia quels sont ceux que le concile a exclus, quels sont ceux où le champ reste ouvert aux opinions ? — a. Le mot « naturel » du concile exclut la nécessité de tout secours per minium objectivi, c’est-àdire précisément l’erreur traditionaliste. Acta, col. K10. h’où il suit que si l’on requiert un secours de cette espèce, en soutenant que, sans lui, l’homme n’a pas le pouvoir physique de connaître Dieu avec certitude, on est condamné. On est condamné, soit parce qu’on pro

fesse le fidéisme, soit parce qu’on confond le concours général avec les dons gratuits, et la raison avec la foi surnaturelle, soit parce qu’on exige la révélation comme absolument nécessaire, soit parce qu’on exclut la suffisance de la présentation médiate de Dieu par les créatures à la raison. Cf. encyclique Pascendi, passiin. — b. Le concile est absolument muet sur tous les autres auxilia, soit naturels, soit surnaturels. Cela suit de la déclaration, faite plusieurs fois dans le concile, qu’on ne voulait pas parler de l’exercice de la raison, mais de ses forces, et qu’il fallait établir une proposition

raie qui s’appliquât à tous les états, aussi bien à celui de nature pure qu'à notre état actuel.

Que tel soit le sens du concile, je ne vois aucun théologien qui le mette en doute. Par là, le concile et les théologiens laissent donc la porte grande ouverte aux hypothèses sur les divers secours qui peuvent intervenir dans la connaissance spontanée de Dieu, et aussi à l'étude et à l’analyse psychologique de notre première adhésion certaine à l’existence de Dieu. On peut donc — je ne dis pas : on doit — si l’on a de solides raisons à en donner, faire l’hypothèse de divers secours nécessaires ou exigés, c’est-à-dire naturels, et aussi faire l’hypothèse de certains secours gratuits, préternaturels ou surnaturels, non exigés dans l'état où nous sommes, mais donnés en fait, pour incliner notre nature à l’assentiment. Ces hypothèses faites, on peut s’en servir pour la description psychologique des faits, et ad hominem pour résoudre les difficultés de l’athée ou du sceptique à qui l’on s’adresse, s’il veut bien les admettre ; on peut même, comme faisaient par exemple les cartésiens pour l’idée innée, essayer de construire sur ces hypothèses une doctrine générale. La plus stricte théologie, même après l’encyclique Pascendi, permel toutes ces études, dont, nous l’avons dit, les Pères et certains théologiens orthodoxes nous ont donné l’exemple. Nous disons que la théologie permet l’emploi de ces procédés ; cela ne signifie pas du tout qu’elle en garantit la valeur. Il faut toujours s’en souvenir, les conclusions ne dépassent jamais la valeur des prémisses. Dans ci - études psychologiques où l’on f.iit intervenir diverses hypothèses de secours nécessaires ou gratuits, les conclusions ne peuvent jamais avoir que la certitude, la probabilité ou la fausseté de la moins certaine, de la plus douteuse ou de la plus inexacte des prémisses emplo ;

h De ce que la théologie permet, sans toujours les garantir, la prise en considération des facteurs psychologiques, religieux ettnoraux, qui, sans en excepter divi rs

iurs, naturels ou gratuits, peuvent inlluer sur la

notre connaissance certaine de Dieu, il ne

faudrait pas toutefois se hâter de conclure que taules

les hypothèsi - possibles sont concilia blés avec le dogme

défini et ~es exigences. Il n’en est rien ; caria définition

du concile exige que 1rs hypothèses sur les secours

pour la première connaissance de Dieu ne

..munir ! caractère rationnel de cette

connaissance et de la certitude qui l’accompagne : sinon,

i erreui mi me que le concile a voulu pros' le fldéisme ; que ces hypothèses soient telles qu’elles

ni rien d’exclusif relativement aux procédés de la nante, indiqués par l'Écriture et employés

par la tr.idiii t que le concile n’a pas ex< lus, bien

qu’il ne li I Unis, comme nous l’avons expliqué

li "i i. que ces hypothèses soient telles qu’elles

t, t valables pour loul étal de l’humanité, puisque le ment enli min définir IV is ! ence

ins l’homm rai, toi) i dans l'étal actuel,

dans l'étal d< nature [une. du pouvoir physique Dieu pai les lumières naturelles. Acta, 131. Il faut enfin, pour reati i dani l oi thod

nouvellent pu les propositions ni l et par Pie i Denxingi i.

n. 1040, 1381, 1385, 1380, 1527. Cf. Franzelin, De Dec uno, 3e édit., Rome, 1883, p. 09 ; Yiva, Damnatarum tliesium theologica trutina, Padoue, 1723, p. 238, sur la proposition 23e d’Innocent XI, en 1679 ; Faure, Enchiridion, Naples, 1847, p. 19-28, sur les doctrines jansénistes.

Ces quatre conditions d’orthodoxie expliquent bien la position de la théologie classique. On reproche beaucoup aux théologiens de n’avoir pas envisage' le coté moral, subjectif, du problème de l’idée de Dieu, et on renvoie à l’article très sec de la Somme où saint Thomas propose ses cinq arguments. D’un autre côté, on se fait un plaisir de citer à l’appui de la méthode, dite psychologique et morale, des thèses de divers théologiens. Voici la clef de l’imbroglio. Dans les traités de la grâce et des vertus infuses, les théologiens ont été amenés à considérer bien des hypothèses sur les auxilia naturels ou gratuits que Dieu nous donne ; et ils les étudient. Quelques-uns y ont admis des secours surnaturels pour les débuts de notre vie morale et religieuse. C’est là qu’on les pille aujourd’hui, sans beaucoup de critique et de discernement. Quand, au contraire, les mêmes théologiens donnent les preuves de l’existence de Dieu, ils font presque tous totalement abstraction de ces auxilia, c’est-à-dire des illuminations, des inclinations, en un mot des raisons d’adhérer subjectives. Nous avons cité Yasquez, qui admet l’intervention d’une « grâce naturelle » pour la première connaissance de Dieu, mais qui là où il donne les preuves de l’existence de Dieu réduit l’action de cette grâce « à faire saisir comme il faut les prémisses objectives, » par exemple, de l’argument de saint Anselme, qu’il défend en même temps que celui de la contingence. La raison de cette conduite suit des quelques remarques qui précèdent. Ces théologiens ont conscience de tout ce qu’ont d’hypothétique leurs doctrines sur la nature et la distribution des divers auxilia : à côté d’un certain nombre de thèses certaines, il y a là bien des vues purement systématiques ou conjecturales, que la logique interdit d’employer quand on a en vue une conclusion certaine. De plus, faire intervenir la notion d’un secours divin quand, par hypothèse, on ne sait pas si Dieu existe, ne paraît guère correct à beaucoup de logiciens. Ensuite, les théologiens partent toujours du principe que la connaissancede Dieu est rationnelle, possible dans tous les états de l’humanité et non exclusive des moens de la raison raisonnante. De là, leur effort d’objectivité', leur sécheresse dans la proposition des preuves de l’existence de Dieu. L'émotion, l’appel au sentiment, etc., n’est pas leur allai i, leur lecteur, s’il a de l'âme et du doigté', saura parier

i ire comme il convient, el ci les circonstances

l’exigeront : c’est affaire, la doctrine acquise, d'éloquence naturelle, de poésie, de piété, de zèle, etc., mais ce pas de la science théologique. c) Les écrivains que nous avons ici en vue procèdent tout autrement que l'École. N’ous avons.1 jà parlé de leur exclusivisme : il n’y a que… est leur premier mot, quand ils parlent de leur système ; tant pis pour ceux qui ne se payant pas de mots, de sentiments et d’hypomandent des raisons ; c’est leurfaute s’ils ne croient pas. Cf. encyclique Pascendi, § Atqut hsx, Denzinger, lo édit., n. 3081. Saint Paul, Rom., i, 20, il est vrai, el le livre de la Sagesse, mu. ont affirmé donner de raisons ; mais ces deux auteurs étaient inspirés, el ni le moyen objectif, ni le moyen sui.joctif qu’ils assignent, n’est précis ni celui de nos apologistes l’un et l’autre, en effet, parlent du monde i rieur et 'b cette raison par laquelle b - n ont

tantum /"-/ne, uni teit < "i ; Kstitnarc seeculum, quo mode hujus Dont

. Mil. 9.

i nei pi n iH-ii i pour accord

et considèrent comme certaines des hypothèses, qui ne sont que des vues systématiques — et ils sont étonnés que les théologiens, même ceux qui admettent ces hypothèses, prolestent contre le sophisme qu’il y a à les prendre comme hases d’une démonstration qui prétend aboutir à la certitude rationnelle. A ces hypothèses, ils joignent des thèses qu’aucun théologien catholique ne concède. M. Nouvelle, en effet, répondant à Mu r Turinaz, raisonne ainsi : « Tout homme en fait est appelé à vivre surnaturellement, à devenir consors divinee naturæ. Dès lors, je ne puis pas voir comment l’homme qui doit lihreinent atteindre cette fin pourrait seulement s’orienter vers elle, si au moins implicitement il n’en sent pas le hesoin et n’en éprouve pas le désir… Il faut donc bien admettre que, pour atteindre sa fin surnaturelle, qui est d'être participant de la nature divine, tout homme doit désirer posséder Dieu et être Dieu. » Réponse « M’J r Turinaz, dans les Annales de philosophie chrétienne, décembre 1905, p. 271. Cf. Denzinger, n. 1387, perinde ac si non daretur dilectio humana licila. M. Laberthonnière, continuant la même controverse, affirme que « le désir d'être Dieu, de posséder Dieu est bien certainement constitutif et caractéristique de l’humanité que nous sommes. » Ibid., p. 400. Cf. Denzinger, n. 1040, 1527, 1385. Pour M. Blondel, antérieurement aux grâces surnaturelles, « il y a une autre grâce, une vocation première, un état qui résulte de la perte du don initial. » Histoire et dogme, p. 68. Cf. Denzinger, n. 1381. De son côté, M. Desbuts proposant Une utilisation de la doctrine thomiste du concours, écrit : « Sans doute le concours divin n’est pas toujours ordonné directement à l’ordre surnaturel. Quand il tombe dans une âme séparée de Dieu, il se moule, comme partout, sur la nature qui le reçoit, et il ne vise alors immédiatement que des actions naturelles. Et cependant, cette âme, appelée à un ordre surnaturel, créée pour lui, n’est pas à l'état de « nature pure » : elle possède, de par la bonté gratuite de Dieu, un vide qui demande à être comblé. Dieu… tôt ou tard, l’amènera à se poser l’inévitable question de sa vocation surnaturelle ; il prépare tout en vue de ce moment gros de toute une éternité. Aussi le concours divin, même quand il est en soi naturel, n’est-il jamais ce qu’il serait chez une âme dont la destinée normale serait naturelle ; il conserve toujours, s’il est permis de risquer cette métaphore, une arrière-pensée surnaturelle. Il est donc forcé que notre idée d’infini, issue de l’action divine en nous, ne puisse s’appliquer qu’au but dernier vers lequel nous conduit cette action, » c’està-dire à notre fin surnaturelle. Cf. Denzinger, n. 677, 1381, 1010, 1527. La question ici n’est pas de savoir si M. Desbuts fausse ou non la notion de la prémotion bannézienne, cf. Pègues, dans la Revue thomiste, juillet 1908, p. 316, ni si l’emprunt qu’il fait à une des écoles néo-thomistes de Rome, à savoir que albedo separata esset (simpliciter) infini ta, est vrai ou faux, ad rem ou non. Nous ne nous arrêtons de même pas à remarquer que sans le concours, avec « arrière-pensée surnaturelle », M. Desbuts avoue ne pas s'élever au-dessus de la connaissance de « l’idéal », p. 254. Desbuts, Utilisation de la doctrine thomiste, dans les Annales de philosophie chrétienne, juin 1908, p. 259. De même, nous ne discutons pas la portée de l'écart que l’on remarque entre les doctrines classiques sur la grâce, sur notre élévation extrinsèque et intrinsèque au surnaturel, sur notre justification et les thèses de MM. Nouvelle, Laberthonnière et Blondel. Ces graves questions sont hors de notre sujet, qui est l’interprétation du concile, cf. Mm Turinaz, Lettre au R. P. Nouvelle, dans les Annales, t. eu, p. 387. Nous retenons seulement.qu’aussi bien dans le « vide » de M. Desbuts que dans le « désir » de M. Laberthonnière, le secours, donné dans l’ordre actuel pour nous amener à la première connaissance

certaine de Dieu est intrinsèquement surnaturel. Il le faut bien puisque, dans les deux cas, c’est par le < surnaturel exigeant » que nous arrivons à connaître véritablement Dieu.

II est vrai, avons-nous dit, que quelques théologiens ont parlé de l’hypothèse de secours surnaturels concédés de fait dans l’ordre actuel pour nous amener à la connaissance certaine de l’existence de Dieu. Mais lorsque nos apologistes, en quête de justification pour la méthode d’immanence, ont recours aux vues de ces théologiens et disent que sans les dons surnaturels on ne peut pas connaître Dieu, la formule n’a pas chez eux le même sens que chez les théologiens orthodoxes. En effet, la phrase peut avoir deux sens : de fait, sans un secours surnaturel, l’homme n’arrive pas à la connaissance de Dieu ; ou bien, en droit, sans un secours surnaturel, l’homme n’arrive pas à la vraie connaissance de Dieu. Le premier sens est conciliante avec le concile — et c’est celui des théologiens orthodoxes ; le second ne l’est pas — et c’est celui de Luther, de Jansénius, etc. Expliquons-nous.

Le premier sens est conciliable avec le concile, à savoir, de fait, sans un secours surnaturel, l’homme n’arrive pas à la connaissance de Dieu dans l’ordre actuel de providence ; en ce sens, il ne peut pas connaître Dieu sans l’aide d’une grâce. En effet, le concile n’a rien voulu décider sur les « conditions » de l’exercice du pouvoir qu’il définissait. Dire qu’un secours surnaturel, différent de la révélation, est accordé pour que ce pouvoir passe à l’acte ne contredit donc pas le concile. Quand on ajoute : de fait, dans l’ordre actuel, l’homme ne peut pas connaître Dieu sans la grâce, on peut encore concilier la pensée avec le texte voté. En effet, le concile a défini que l’homme en général, c’està-dire l’homme qu'étudie la philosophie, est constitué de telle sorte que par sa raison naturelle il peut connaître Dieu avec certitude ; ce qui entraîne un pouvoir intrinsèque à l’homme de connaître Dieu, et, de plus, si un secours est nécessaire pour que ce pouvoir passe à l’acte, que ce secours soit assuré, ne fasse jamais défaut, quel que soit l’ordre de providence envisagé. Cf. l’application de ces principes au cas de l’idée de l’infini du D r Kuhn, faite par le P. Granderalh, p. 41. Les théologiens orthodoxes anciens que l’on cite, concilieraient donc leur doctrine des secours surnaturels avec le concile, en disant : de fait, Dieu ne refuse à personne dans l’ordre où nous sommes cette grâce surnaturelle qui est la condition de la connaissance de Dieu ; et, dans l'état de nature pure, ce secours serait remplacé par un autre, en dehors de toute révélation. Comme d’ailleurs, chez les anciens théologiens, le secours dont ils parlent n’est pas per modum objectivi, mais servait seulement à faire voir, saisir ou admettre les prémisses naturelles et la conclusion, dans leur hypothèse, c'était encore au sens propre qu’il était question d’un pouvoir rationnel intrinsèque à l’homme, et la certitude aussi bien que la connaissance restaient rationnelles. Enfin, la connaissance n’atteignait pas, sans la révélation. Dieu, comme auteur et fin de l’ordre surnaturel.

Le second sens, à savoir, en droit, sans un secours surnaturel, l’homme n’arrive pas à la connaissance di Dieu ; en ce sens, il ne peut pas connaître Dieu sans secours surnature], est hérétique, parce que la formule ainsi entendue signifie, comme le voulaient Luther, Jansénius, etc., l’homme, en général, n’a pas le pouvoir physique de connaître Dieu. On nous demandera : Mais comment concilier cette conclusion avec l’aveu fait précédemment que le concile n’a rien défini sur les auxilia soit naturels, soit surnaturels, qui peuvent intervenir, hormis les secours objectifs qu’il a exclus '.' Rien n’est plus simple. Le concile admet que l’un des constitutifs intrinsèques de l’homme est la raison, pouvoir physique d’arriver à une connaissance et à une

certitude rationnelles de Dieu ; qu’il y faille de l’aide, ni il ne l’affirme, ni il ne le nie ; qu’on pense qu’actuellement, l’homme a de fait une aide non exigée, surnaturelle, c’est conciliaire avec le concile, parce que cette hypothèse n’entraîne pas nécessairement la négation ou la mise en question du pouvoir physique défini, ainsi que nous venons de l’expliquer ; de même, qu’on dise que nécessairement un secours est exige, debitum, par exemple, l’idée innée, l’illumination, la purgation, si le pouvoir physique en question pour l’acte et l’objet déterminés dont il s’agit, reste intact, on est encore en règle avec le concile..Mais, si l’on combine les deux hypothèses — ce qu’un théologien qui tient la notion du surnaturel qui résulte du concile ne fera jamais — et que l’on dise : dans l’ordre où nous sommes une aide, surnaturelle, gratuite, est, en droit, nécessaire, on dira une absurdité, que les théologiens qu’on allègue n’ont pas dite ; et, si quelqu’un l’a dite, il n’est pas à suivre, quel qu’il soit. Si on donne un sens à cette absurdité, on niera par là l’existence dans la nature humaine actuelle du pouvoir physique, actif, défini par le concile. Tel est le cas de Jansénius. Nous avons plus haut exposé comment, d’après lui, nous ne pouvons arriver à la connaissance de Dieu que par la foi-amour. Voici ce qu’il écrit sur le même sujet dans son commentaire du livre de la Sagesse, xiii, 5. A magnitudine enim speciei, id est. prsestanlia puïchriludinis, cognoscibiliter poterit horum creator videri ; per intellectus discursu.ru quo ex creaturæ cognilione, ad Deuni se erigit. L’nde grxcc clarkis est : analogice sive per proportionem poterit videri. Jusque là rien de plus orthodoxe, et les modernistes n’en concéderaient pas un mot. Mais voici : quod intellige, nisi mens variis gentilitiorwn deorum erroribus ebria sit ac nimium déprava ta, ni docet August., tractatu JOO in Joannem. 'l’unienim mm niai magmr gratis adjutorio lumen verse divinitatis intuetur. Cursus Scripturse sacras de M igné, t. xvii, col. 531. Voilà bien le secours surnaturel, nécessaireà l’homme tombé d’après Jansénius, parce que cet homme n’a pas ! es forces suffisantes pour s'élever à Dieu. Or, le concile du Vatican enque l’homme, en tout état, a ces forces. Et voilà comment précisément parce que le concile, sans entrer dans la question des différents états de l’humanité et dans celle des auxilia de ces états, a défini que dans i l’homme en général Icta, col. 131, 150, se trouve le pouvoir physique, la force naturelle de connaître Dieu, A' ta, col. 70. 1-27. 130, il résulte du texte voté, par uni conséquence qui est impliquée et que le concile connaissait, Acta, col. 131, 523, n. 10, 547, n. 38 sq., 1623, que loutet le doctrines de la chute qui nient ce pouvoir veut condamnées, et que toutes 1. - hypothèses sur leauxilia qui mettent ce pouvoir en question ou le nient sont inconciliables avec la doctrine di flnil < i ' ainsi que d’un coup Luther, Calvin. al, Quesm I. Bautain, letraditionaliste ! de Louvain sont frapp Maintenant, des deui ibles de la formule

que nous étudions, quel est relui que prennent les

de l’immanence, les apologistes à qui déplai rocédés < I < Il col< Le pn mil i sens ne ser virait île rien aux immanentistes pour leur but, qi

d’arriver à pou dei aux kantistes et auj

m moyen rationnel d’atteindre i ml i chercher < le retrouver dans

I e| d’une aide surnatu relle, du rarnaturi at. Ils choisissent donc le

I celui qu’a condamné l'Église. Luther, Cal

lu "u que l’homme tombé o a p i dan i les forces poui un si > la connal tance de Dieuparallèlement, et non ans Ils

Ique., la philosophie nominaliste, i mpi t)lf.T. Dl Tllioi.. CAT1IOI.

riste ou idéaliste, est arrivée à une conclusion identique. Les nouveaux apologistes qui, sans adopter l’immanence comme doctrine, l’acceptent comme méthode exclusive, commencent par concéder cette impuissance de la raison en matière morale et religieuse, en s’appuyant sur Pascal, sur les pseudo-mystiques, ou bien sur les prétendus « résultats acquis » de la critique kantienne et positiviste ; puis, ils se donnent — à quel titre logique et rationnel, on ne sait — ils se donnent donc, non sans soupçon de fidéisme, le surnaturel proprement dit, dans le concours, ou dans le désir, etc., sans remarquer, semble-t-il, que la question dogmatique se pose : oui, ou non, avons-nous le pouvoir physique de parvenir à une certitude rationnelle de Dieu, qu’a défini le concile ? Précisons notre pensée. L’encyclique Pascendi regrette que des catholiques se servent en apologétique de la méthode d’immanence. Denzinger, 10e édit., n. 2103. Il s’agit, dans ce passage, de l’apologétique de la religion catholique ; et le document fait remarquer que ces apologistes ont eu tort de mettre en l’homme une « exigence » et non pas seulement une « convenance » au surnaturel. 11 ne suit pas de ce passage que l’encyclique enseigne qu’on ne puisse pas démontrer Dieu en prenant pour point de départ notre nature morale et religieuse, considérée comme un fait. Lorsque donc, il y a quinze ans, M. lilondel partait des faits de conscience moraux et religieux et concluait à Dieu dans L’action, il était sur ce point précis — et en ne tenant pas compte ni de ses concessions très larges au kantisme, ni de ses prétentions à tout retrouver dans sa conscience de philosophe chrétien — moins loin de beaucoup de théologiens qu’on ne pourrait le croire au premier abord. Mais depuis, sous le prétexte de chercher des appuis théologiques, pour éviter le surnaturel exigé, dont on avait d’abord parlé, on a introduit la considération des auxilia, et l’on a parlé du surnaturel « anonyme » exigeant. Cf. Laberthonnière, Essais de philosophie religieuse, Paris, 1903, Appendices, p. 316 sq. L’encyclique Pascendi décrit à merveille ce qui s’est passé. Denzinger, 10e édit., n. 2074, 2081. L’action divine est devenue la cause de la connaissance religieuse, et dans cette connaissance l’expérience a remplacé la raison, comme chez beaucoup de protestants et chez les pseudomystiquee. Que deviennent, si les choses se passent ainsi, la connaissance et la certitude rationnelles de l’existence de Dieu définies par le concile ' Il ne m'échappe pas que les apologistes, dont il est moment question, font — quelques-uns du moins

— les plus grands efforts pour aller moins loin que les protestants et les psoudo-linsliques, et pour arriver a une connaissance vraiment rationnelle de Dieu. Cf. Blonde), dans les Annales, t. ciii, p. '230 sq. Nous

tenons compte de ces ellorts, tout en restant sceptique sur la valeur du résultat ; nous savons que M. I aberthonniere entend, par les procédés qu’il emploie, prouver l’existence de Dieu, Essais, p. 78, note ; « le même nous savons que ces apologistes refusent d’avouer que le surnaturel soit dans leur syslèmi igé „. Ibid.,

p, 315 sq M us il nous semble que deux choses les ont

La premièn est que, partant de l’hypothèse que entiment certain donné' a l’idée de Dieu n’eal pas déterminé uniquement par le poids des preuvi

d. mi' Béni D’est pas pure ut rationnel, ilont (in

pouvoir négliger ce que cet assentiment.i de rationnel

— de lé ficoncessions initiales au kantisme, au pai udo m] sti< i au lien de s’attacher,

ne font 1 mettra en

relief cet élément rationnel. Ensuite, l'étant donni auxilia surnaturels, ils parai |u’on

peut ient < i.< bon droit transport

que les tii de la libei té di i acte lui oa »

iv. - n

turel de foi, au cas de l’adhésion certaine, que naturellement nous sommes capables de donner rationnellement à l’existence de Dieu. Jansénius, on s’en souvient, avait eu la même conception ; les païens qui ont connu Dieu, d’après lui, ont rc(, u la grâce surnaturelle de l’amour ; dans et par cet acte libre ils ont connu Dieu, dont ils ont pu rationnellement se légitimer ensuite la connaissance par le discours.

A cette conception on oppose le raisonnement suivant, qui n’est pas usé pour avoir servi contre les traditionalistes. Si vous prétendez que l’existence de Dieu ne peut pas être aflirmée avec certitude sans un acte essentiellement libre (produit avec ou sans la prémotion physique, avec tel ou tel secours surnaturel, etc., peu importe), vous devez concéder qu’antérieurement à cet assentiment libre personne n’a et ne peut avoir la connaissance certaine de Dieu — c’est bien de fait ce que les apologistes de l’immanence soutiennent, les mots « action, vie, orientation », etc., désignant un acte libre. D’où la singulière conséquence : dans votre système, avant d’avoir librement voulu tenir pour certaine l’existence de Dieu, c’est-à-dire avant d’avoir produit l’acte libre dans et par lequel, ou bien à la suite duquel, on connaît Dieu, il est impossible à l’homme de se considérer rationnellement comme obligé en conscience de suivre la loi naturelle ; car cette obligation ne va pas sans la connaissance certaine du législateur. Et qu’on ne dise pas : Mais, comme beaucoup de théologiens, nous admettons le fait initial de l’obligation. Car il y a disparité. En effet, les théologiens qui admettent la valeur de la preuve de l’existence de Dieu par le fait de l’obligation, montrent que ce fait entraîne la connaissance certaine de Dieu — en cela vous faites comme eux ; mais ces mêmes théologiens ne donnent à la liberté aucune part dans la genèse du fait de conscience subjectif, qu’on appelle le sentiment de l’obligation. Or, dans votre système, si la liberté n’intervient pas dans la genèse du sentiment de l’obligation, ce sentiment ne peut pas impliquer la connaissance certaine de Dieu, puisque, dans voire doctrine, l’existence certaine de Dieu ne peut être affirmée que par un acte libre. « Sous une forme ou sous une autre, écrit M. Blondel, Lettre sur les exigences, etc., p. GO, est fait nécessairement à l’homme un don surnaturel… et l’homme doit sentir en quelque manière l’obligation d’accepter ce don. » Et si la liberté intervient dans la genèse du sentiment de l’obligation, de la responsabilité — ou du fait psychologique quelconque qui vous sert de base, car la nature spécifique de ce fait est ici indifférente, pourvu qu’il dépende de la liberté — si, dis-je, la liberté intervient dans le fait qui sert de base à votre argumentation pour prouver l’existence de Dieu : que devient chez vous la morale ? Sera obligé, qui le voudra bien. Quant à trouver Dieu, l’Etre non pas seulement subjectivement nécessaire, mais l'Être objectivement nécessaire, en partant d’un tel fait, il n’y faut pas songer : debiliorem scquitur 'parlent conclusio. Tout au plus, déduirez-vous « la catégorie de l’idéal », esthétique, eudémonique, social, etc. Et la nature intrinsèque du concours ou du secours que vous mettez à la clef, ne changera rien à la portée du résultat. Il ne restera toujours qu’une vérité et qu’une certitude subjectives à la fin de tous vos raisonnements. Mais, s’il en est ainsi, que deviennent la connaissance et la certitude rationnelles définies par le concile ? Il faut s’en souvenir ; le mot cerlo fut très attaqué au concile. Un amendement proposa de le supprimer, Acta, col. 224, « comme superflu pour les catholiques, puisque connaître et connaître avec certitude sont équivalents, et comme très utile aux rationalistes, » qui en profitei lient sans doute pour s’en tenir à la religion naturelle de Wegscheider et de Jules Simon. Le concile, pour éviter un abus possible, ne voulut pas sacrifier la vérité ;

il préféra maintenir les droits de la raison et vota le mot cerlo, dont cette discussion montre les conséquences et la portée.

Une autre cause de l’illusion des mêmes apologistes est leur appréciation de la doctrine du concile relativement à l'état de nature pure. Cf. Iiirot, dans les Annales de philosop/iie chrétienne, t. eu, p. : #> ; Fonsegrive, dans le Correspondant, juin 1908, p. 1166. Il est vrai, comme ils le disent, que le concile n’a pas défini la possibilité de l'état de nature pure. Mais il est absolument faux que les théologiens ne peuvent et ne doivent rien déduire du concile relativement à cette » possibilité, il est absolument faux que, relativement au pouvoir spécial de connaître Dieu avec certitude par la raison naturelle, les controverses antérieures au concile soient restées en leur état. Acta, col. 1623 sq. Le lecteur aura remarqué dans nos citations que l’expression « état de nature pure » est revenue souvent dans les discussions du concile. Cependant, le concile n’a rien décidé sur ce sujet directement ; il s’en est tenu à ce qui se trouve dans l'Épitre aux Romains, entendue, non au sens luthérien, calviniste ou janséniste, mais au sens de la tradition catholique.

Nous pourrions nous contenter ici de conclure : comme les théologiens prouvent très bien que l'Écriture ainsi entendue exige la déduction de la possibilité de l'état de nature pure, la question est vidée. Mais, , sans entrer dans ce très vaste sujet, bornons-nous au point spécial qui nous occupe. Le concile a voulu définir qu’il y a, dans « l’homme en général », un pouvoir physique de connaître Dieu par les lumières de la raison naturelle ; ce qui signifie que ce pouvoir est un des constitutifs intrinsèques de l’homme, quelque chose qui est de l’essence de l’homme ou qui en découle nécessairement, de telle sorte que, quoi qu’il en soit des conditions de l’exercice de ce pouvoir, ce pouvoir existe par le fait qu’un individu humain est donné. Les anciens protestants et les jansénistes concédaient que dans l’idée de l’homme se trouve un tel pouvoir ; mais ils ajoutaient que l’homme déchu l’a perdu et quel’homme relevé ne l’a que par la foi. Or, nous avons vu que saint Paul, parlant de l’homme déchu et relevé, c’est-à-dire de l’homme tel qu’il est de fait, de « l’homme historique », affirme qu’il ace pouvoir ; et, . aussi bien dans saint Paul que dans le livre de la Sagesse, le moyen objectif et le moyen subjectif assignés ne sont ni la révélation proprement dite, ni la foi, mais le témoignage des créatures et la raison. La conception protestante et janséniste des suites de la chute et de la rédemption se trouve donc, sur ce point spécial, condamnée.

Cependant, bien que saint Paul parle de « l’homme historique », on peut légitimement et on doit affirmer le même pouvoir de « l’homme en généra] ». Qu’est-ce. en effet, que « l’homme en général » ? Rien autre que les principes constitutifs de l’homme et tout ce qui en découle nécessairement, ce sans quoi on ne peut pas penser l’homme et cette expression connote en même temps qu’on fait abstraction des conditions particule des individus de l’espèce humaine et qu’on doit cette notion à l’observation de l’espèce humaine, telle qu’elle nous est donnée dans l’expérience : en d’autres termes, la base de cette idée abstraite est, non un être de raison, mais l’homme historique. Mais, si l’homme en général n’est pas autre chose que cela, il se trouve que saint Paul, partant et parlant lui aussi de l’homme historique, ne disant rien des conditions particulières des individus, et affirmant d’une manière absolument universelle dans l’homme historique l’existence d’un pouvoir subjectif de connaître Dieu auquel correspond un moyen objectif, les créatures, énonce une proposition sur l’animal raisonnable, qui est l’homme en général, comme font tous les jours les philosophes et aussi beaucoup de ceux.

qui ne le sont pas. Voilà ce qui se trouve dans saint Paul et dans le concile du Vatican. Et, je le répète, ce n’est pas la définition de la possibilité de l'état de nature pure.

.Mais les théologiens peuvent et doivent déduire du texte du concile plusieurs conséquences relativement à cette possibilité. Laissons de côté ce qui touche à la concupiscence, à l 'immortalité et au mal physique. On sait que, depuis longtemps, les théologiens déduisaient la possibilité de l'état de nature pure de la théorie classique du surnaturel et, en second lieu, de la possibilité pour l’homme actuel, sans révélation, d’avoir quelque vie morale et religieuse. L’argumentation protestante et janséniste contre la possibilité de cet état était au contraire principalement fondée sur une autre notion du surnaturel et sur l’impossibilité de toute vie morale et religieuse pour l’homme déchu, faute du pouvoir de connaître Dieu avec certitude. Le raisonnement des théologiens orthodoxes était le suivant. L’homme tel qu’il nait aujourd’hui, outre les principes constitutifs et consécutifs de sa nature, a le péché originel, la privation de la grâce sanctifiante et de la fin surnaturelle, la concupiscence, la mort et les misères de la vie : toutes suites, qui sont maintenant des peines du péché d’Adam ; enfin l’homme actuel a en naissant la simple « carence » ou absence des dons surnaturels ou préternaturels d’Adam. Or, Dieu n’a pas pu créer l’homme soit avec le péché originel, soit avec les peines du péché originel, mais très bien avec la simple « carence » ou l’absence des dons gratuits historiquement conférés à Adam. Mais l’homme ainsi créé serait précisément dans l'état de nature pure. Donc cet état est possible. Comment prouvait-on que Dieu pouvait créer l’homme avec la simple absence des dons conférés à Adam ? Précisément, par la doctrine de la gratuité des dons surnaturels dune part, et par la possibilité pour l’homme d’avoir, sans ces dons, quelque vie morale et religieuse, c’est-à-dire parce que l’homme avait dans sa nature intrinsèque le pouvoir de connaître Dieu avec certitude. D’où suivait la méthode scolastique, attaquée par Bonnetty comme conduisant mm rationalisme, au naturalisme et au panthéisme, mais défendue par l'Église, Denzinger, n. 1508 ; d’après laiu> Ile méthode, dans l'état actuel de l’humanité— qui est le même que celui de la nature pure, si on fait abstraction du péché' originel et de ses suites qui sont maintenant des i" ines — sont possibles uni' philosophie objectiviste, une morale, une théodicée et même une religion naturelles, insuffisante-, il est vrai, pour le salut dans l’ordre de providence surnaturelle où la boni' ei | et miséricorde divines a voulu nous placer, maiobjectivement valables, moralement utiles et bonnes.

Or, qu’a fait le concile >u Vatican ? Il a f.iit sienne l.i doctrine traditionnelle, celle de l’Ecole par conséquent, loui hanl le surnaturel, Denzinger, n. 1635 ; il > défini li' pouvoir physique de l’homme < connattre Dieu. Uni)., n. I6.'li. Par là, Ii protestants el

jansénistt deux points sont jugés. Donc, bien

que du concile on ne puisse pas d dune la possibilité de l'étal de nature pure en bloc, parce que cette conique i i théologiquement 1 1 i taine dép< ml i ib plusieurs.miles questions dont le concile n.. point parlé, cependant il est faux de due que du eonc île rien ni -une -m cette possibilité. Les plu diflli nid..lues et ce n ter la

"M autori.lue oncile que de les r< i hauffer. On rit, comme si tout ce qu’ont Imagim sur otestants, les jansi ailles, el m 'i ailleui ! .h iont< nable

srd’hui. Il faudrall pourtant te louvenii que ni a la notion du surnaturel et turtoul relativt m ni. c Ile du pouvoir de connaître Dieu.née.

tude par les lumières de la raison naturelle, l'état des controverses n’est plus le même qu’il y a quarante ou quatre cents ans.

Quand donc on nous dit que le concile n’a pas défini la possibilité de l'état de nature pure, etque, par conséquent, le pouvoir physique de connaître Dieu avec certitude ne gît pas dans les principes intrinsèques et constitutifs de notre nature, l’on se trompe ; car bien que le concile n’ait pas décidé de toute la question de l'état de nature pure, il a tranché précisément le point que nous étudions. On nous oppose immédiatement les rares théologiens molinistes qui ont admis le fait de secours surnaturels donnés dans l’ordre de providence actuel pour arriver à la connaissance de Dieu ; et l’on dit : puisque ceux-là ne sont pas condamnés, pourquoi le serions-nous ? comme eux, nous ne parlons que de secours surnaturels, donnés en fait, et nous nous refusons à les dire exigés, nécessaires. J’ai déjà répondu. Je me résume.

Supposons qu’un de ces molinistes emploie toutes les formules de la méthode d’immanence : dans l’ordre où nous sommes, la connaissance de Dieu est due à l’action d’une aide, qui est surnaturelle, et cela, précisément en tant que cette aide est surnaturelle ; cette aide est donc dans l’ordre actuel nécessaire, indispensable ; nous connaissons Dieu grâce au surnaturel exigeant. Sûrement le moliniste qui parlerait ainsi serait attaqué et par les siens et par les autres écoles — et avec raison. Mais, sur le point spécial de l’accord avec le concile quant au pouvoir physique défini et quant à la distinction de l’ordre su i naturel (au sens du concile) et de l’ordre naturel, ce moliniste hypothétique se disculperait par cette simple remarque. Je ne mets pas en péril le pouvoir physique de la raison, parce que j’admets que dans un autre ordre, sans aucune aide surnaturelle, le m. nie homme pourrait connaître Dieu par sa raison. Quand donc je disque l’aide surnaturelle, précisément en tant qu’elle est surnaturelle, est maintenant indispensable, nécessaire, d’une part, je ne mets pas en question le pouvoir physique de la raison, je ne parle que des conditions de l’exercice de ce pouvoir dont le concile n’a rien dit ; d’autre part, je ne peux pas être acculé au surnaturel i : , soit parce que je tiens fermement à la possibilité de l'étal de nature pure, ou, par définition, 'il u’j aurait point de surnaturel, soit pareeque, quant à la manifestation de l’existence de Dieu, dans mon système, elle ne dépend pas précisément de la surnaturalité du secours. En eiïel, si j’admets dans cet ordre la néces hypothesi) d’un secours qui est surnaturel, el si je dis que ce secours nous aide de fait à connaître Dieu précisé nt en tant qu’il est surnaturel, remarquez que j’admets que, dans l'état de nature pure, .. secours serait remplacé par un autre, non surnaturel, qui amènerait l’homme exactement A la même connaissance. La Burnaturalité du secours n’est dune pas précisément ce qui nous amène i connaître Dieu. Tout cela

serait compliqué' ; mais enfin, pour un théologien, c’est

intelligible. Un bannézien, qui se placer, , il.fins h 'nie

hypothèse, emploierait pour répondre une terminologie diffi rente, mais le fond de >a > épone et le pi employé reviendraient au même l’issue, il est vrai, li bannézien aurait du pouvoir physique naturel affirmi un concept qui serait moins fort que celui du moliniste, .. cause de la différence qui existe dans les deux 1 1°. des pouvoirs finis, des < deux écoles aboutiraient, dans l’hypotl introduite, i un pouvoir physique naturel, constitutif,

iliel i l’homme dans loul état. Cf. Desjardins, ttr l’ordre rurnaturel, dans la Revue dei

iquea, 1872, t. w. p, 188, 348 ; Salmantlcen

diap KX, dub. I, § 3, n. i’t sq <. point ' ir lerest< de l’hypotl Que ilisent les auteurs dont nous discutons la position'.' Excluant la possibilité de la nature pure, ils ne peuvent pas expliquer, comme le moliniste et le bannézien hypothétiques dont je viens de parler, comment ils gardent le pouvoir physique rationnel défini par le concile. Concédant, d’une part, la thèse kantiste et positiviste de l’impuissance de la raison à connaître Dieu, et soutenant, d’autre part, que nous le connaissons à l’aide du surnaturel intrinsèque, ils font dépendre cette connaissance précisément de l’aide surnaturelle en tant que surnaturelle ; et cette formule, dans leur hypothèse, met en question la réalité du pouvoir physique rationnel délini par le concile, puisque leurs concessions aux résultats acquis (?) du kantisme et du positivisme ne signifient pas autre chose que la négation, ou la non considération, de ce pouvoir. C’est donc chez eux la sumaturalité même du secours qui précisément manifeste l’existence de Dieu : cela, ils ne le nient pas, puisqu’ils parlent du consors divinæ naturse et concluent à la possession de Dieu, fin surnaturelle. D’où il suit que, chez eux, le surnaturel est exigé, et non pas seulement exigeant. Il est exigé, debitum, parce que l’homme sans obligation morale, sans (in, est inconcevable ; mais la morale et la fin exigent la connaissance certaine de Dieu ; or tout le système est construit sur l’hypothèse que, dans l’ordre actuel, seule la sumaturalité du secours manifeste Dieu. Le secours surnaturel est donc exigé dans l’ordre actuel, et par conséquent la révélation et tout le reste. Mais le concile a délini que tout l’ordre surnaturel est gratuit, n’est pas absolument nécessaire, même pour l'état actuel de l’humanité, .le ne vois donc pas comment, malgré l’affirmation des dits apologistes que leur système n’admet pas le surnaturel exigé et par suite n’entraîne aucune confusion de l’ordre naturel et de l’ordre surnaturel, ils évitent ces conséquences. Me déliant ici de ma mentalité moliniste, je me mets un instant dans l’hypothèse bannézienne, ou dans le scotisme, et je vois bien qu’il y faut juger comme dans l’hypothèse moliniste. Comme, d’autre part, les néo-thomistes ont réclamé contre la méthode d’immanence, et la repoussent presque tous ; bien que je ne puisse pas juger de leurs raisons, parce qu’ils n’ont pas encore eu le temps ou le génie de produire sur l’ensemble de la théologie des travaux exhaustifs, analogues à ceux que nous ont laissés les scotistes, les bannéziens ou les molinistes ; je pense que, même dans ces systèmes récents, malgré des hésitations constatées çà et là et des concessions malheureuses, on arriverait aux mêmes conclusions que celles des molinistes et des bannéziens. D’où je conclus que Mo 1 ' Turinaz a eu raison de dire que les nouvelles méthodes sont inconciliables avec le Vatican ; en tout cas, si elles sont conciliables, je ne le vois pas ; et les réponses faites jusqu'à ce jour ne le montrent pas quant au point spécial dont il est ici exclusivement question, celui du pouvoir physique de connaître Dieu par les lumières naturelles de la raison. Sans rien connaître ni directement ni indirectement des secrets des Congrégations romaines, je m’explique donc très bien la mise à l’Index des Essais de M. Laberthonnière.

Pour l’interprétation du concile sont à étudier d’abord les Acta concilii Vaticani, dans la Collectif) Lacensis, t. vu. La partie olïicielle de cette publication s'étend jusqu'à la col. 500 du volume. C’est surtout là que nous avons puisé. Les références à ce qui suit cette colonne se rapportent aux travaux préparatoires des théologiens et aux études de la commission conciliaire. Ktisuite sont à consulter : Granderath, Constitutiones dogtnatiese sacrosancti œcumen. concilii Vaticani, Fribourg-en-Rrisgau, 1892, p. 32, 77, 97 ; Vacant, Études theologiques sur les constitutions du concile, du Vatican, 2 in-8°, Paris, 1895, t. i. p. 282-305, et passim. Nous devons beaucoup a ces Jcm auteurs ; el souvent nous n’avons fait qu’appliquer leurs principes à des problèmes qui n'étaient pas soulevés de leur temps parmi les ' atholiques. Les théologiens qui ont écrit après Je concile sont

ment à consulter, surtout Franzelin, lie Deo uno et De

traditiune. Appendix. Voir la bibliographie de la section suivante.


XII. Justification et sources de la doctrine.

La méthode que nous avons suivie pour exposer le sens précis de la définition conciliaire, et qui a consisté à déterminer ce sens à l’aide des arguments sur lesquels le concile s’est appuyé, nous dispense d’entrer ici dans de longues études scripturaires et patristiques. Tout ce que nous pouvions faire dans un sujet qui touche à tant de points, c'était d’orienter le lecteur à travers ce fouillis de faits et de doctrines, qui encombrent aujourd’hui, comme a dit M. Piat, les abords de l’idée de Dieu. Les détails trouveront place dans les différents articles de ce dictionnaire, spécialement en ce qui concerne la doctrine des Pères. Esquisser cette question nous a paru inutile ; car elle est elle-même, si on veut la traiter scientifiquement, très complexe. Mieux vaut ne rien dire sur un pareil sujet que de paraître écourlé et de rester insuffisant. Nous préférons nous borner à quelques références utiles.

Ecriture.

Les commentaires de Corneille de la Pierre sur Sap., xiii, et Rom., i, sont à lire ainsi que le commentaire de saint Thomas sur l'Épitre aux Romains. Pour le livre de la Sagesse, Lorin, Comment, in Sapientiam, Lyon, 1607 ; dom Calmet ajoute à son commentaire du même livre une intéressante étude sur l’origine de l’idolâtrie ; C. L. Grimm, Das Buch der Weislieit, dans Kurzgefasstes exegetisches Handbuch zu den Apocnjphen des A. T., Leipzig, 1860 ; C. Gutberlet, Das Buch der Weislieit ïtbersetzt und erklàrt, Munster, 1874. Sur Rom., i, 19 sq., les meilleurs théologiens renvoient à Tolet, Commentarii et annotât, in Epist. B. Pauli ad Romanos, Rome, 1602 ; Cornely, Epist. ad Rom., dans le Cursus Seripturse sacrse, Paris, 18?6 ; VVieser, Pauli Apostoli doctrina de justificatione, Trente, 1874 ; Prat, La théologie de saint Paul, Paris, 1908 ; Schæfer, Erklàrung des Briefes an die Rômer, Munster, 1891 ; Quirmbacb, Die Lehre des lil. Paulus von der naturlichen Gotteserkenntniss und dem natûrlichem Sittengesetz, Fribourg, dans Strassburg. theolog. Studien, t. vu. Parmi les travaux protestants citons Sanday. A critical and exeg. commentary on the Epistle to the Romans, 4e édit., Edimbourg. 1900, p. 43, et comparaison avec Sap., xiii, p. 53 sq. ; Rogge, Die Anschauungen des Ap. Paulus von dem religids-sittlichen Character des Heidenthums, 1888 ; Klopper, Die durch naturliche Offenbarung vermitlelle Gotteserkenntniss der Heiden bei Paulus, Rom., i, 18 sq., dans Zeilschrift fur iviss. Théologie, 1904, p. 169. Ceux qui ne pourront pas aborder ces commentaires et travaux trouveront l’essentiel dans Corluy, Spicilegium, t. i, p. 75-96, et dans les premières thèses du De Deo uno de Franzelin.

2* Patristique. — Petau et Thomassin ont recueilli beaucoup de textes. A mesure que les discussions sont nées ou se sont renouvelées sur le sens des textes, les théologiens en ont repris l'étude ; le mouvement traditionaliste et l’ontologisme ont occasionné de bons travaux. Consulter spécialement Heinrich, Dogmatische Théologie, 2e édit., Mayence, 1883, qui est très riche au t. i et m ; Kleutgen, Théologie der Vorzeit, t. il ; Stentrup. Prxlect. dogmat. de Deo uno, Inspruck, 1879, explique surtout les textes cités par le D' Kuhn. L’Histoire de la philosophie de Stôckl et aussi son Lehrbuch der Geschichte der Philosophie, Mayence, 1875, indiquent nettement les positions des Pères en face des erreurs sur la connaissance de Dieu. Il en faut dire autant de la Dugmengeschichte de Schwane, 2e édit., Fribourg, 1892, 1895, t. i, n ; trad. franc., 2e édit., Paris, 1903, t. i, il. L’opuscule de Cari van l'.ndert. Der Gottesbewris m der potristischen Zeit mil beaond. Beriiksicht. Augustins, Fribourg, 1869, est encore utile et souvent employé. Le Itr Deo uno de Franzelin et le t. il de la Dogmatique de Scheeben donneront une vue synthétique des résultats acquis. Le t. I de l’excellent Lehrbuch der Dogmatik de Pohle, Paderborn, 1902, dont la traduction en français serait très utile, donne la bibliographie des principales monographies récentes à consulter.

Conclusion.

Pour faciliter au lecteur une vue synthétique du sujet, indiquons la place que le dogme défini au concile du Vatican occupe dans la théologie catholique, et aussi quelle situation il nous fait au point de vue philosophique. La doctrine que nous avons exposée occupe une place importante dans la théologie systématique catholique. Car
1° elle consacre la distinction des deux ordres de vérités religieuses et morales, celles auxquelles la raison et la conscience peuvent parvenir par leur fonctionnement naturel, et celles que nous ne connaissons que par la révélation, Denzinger, n. 1643 ; et l’on sait que, s’il s’agit des préliminaires de la foi, sans cette distinction aucune apologétique rationnelle n’est possible.
2° Si l’on n’admet pas la doctrine définie sur la cognoscibilité de Dieu, on est forcé, ou bien de nier la possibilité de l’état de nature pure, ou de dire que dans l’ordre présent la révélation est absolument nécessaire, ou de soutenir que le péché originel, non seulement — ce qui est de foi — nous a fait déchoir de l’état historique d’Adam, mais a corrompu dans leur fond nos puissances naturelles, les constitutifs de l’homme. Or, la première conséquence est contre tous les théologiens de l’École, qui enseignent, comme théologiquement certaine, la possibilité de l’état de nature pure ; il s’ensuit d’ailleurs cette absurdité que l’homme n’est pas nécessairement dirigé à Dieu comme à sa fin et qu’il est incapable, tel qu’il est, de loi et de religion naturelles. La seconde conséquence est contre le concile : non absolute necessaria dicencia est revelatio. Denzinger, n. 1635. Elle suit d’ailleurs de la première, car l’homme, sans destination à Dieu comme à sa fin, sans loi et sans religion naturelles, est une monstruosité que Dieu ne peut pas faire. Donc, la révélation devient nécessaire, exigée, debita, c’est-à-dire naturelle. L’adversaire a une échappatoire : Je ne soutiens pas en thèse que la révélation est debita, mais seulement dans l’hypothèse de la chute. On lui répond en lui faisant remarquer qu’alors il admet la troisième conséquence, c’est-à-dire la ruine de nos constitutifs naturels par le péché d’Adam. En effet, si l’homme déchu est incapable de connaître Dieu, c’est que sa tendance nécessaire, naturelle, à Dieu comme (in, sa capacité de loi et de religion naturelles sont détruites ; c’est que le péché originel a totalement corrompu les éléments de notre nature philosophique et éteint notre libre arbitre, ce qui a été condamné chez les premiers protestants par le concile de Trente. Cf. Piccirelli, De Deo uno et (rino, Naples, 1902, n. 38, p. 42. Cet aperçu montre la cohérence de la doctrine théologique.

Quant à la philosophie, nous avons vu que le concile n’a pas exclu l’argument de saint Anselme, c’est-à-dire tout le mode de philosopher qui se rattache ordinairement à Platon et aux Pères platonisants. Ce fait seul réduit anéanties accusations de « thomisme » outré et de « médiévalisme » absurde que le Programma des modernistes italiens et M. Tyrrell adressent à l’Église, dont ils n’écoutent plus la voix. Les faits sont les faits. En réalité, toutes les philosophies qui admettent que l’homme a le pouvoir de connaître les principes de causalité, efficiente et finale, et de raison suffisante, et que ces principes ont une valeur universelle, comme le principe de contradiction, admettent le minimum nécessaire pour que l’homme puisse par le moyen des créatures et par les lumières naturelle de sa raison l’élever à la connaissance certaine de Dieu. Ne peuvent donc avoir des difficultés contre le dogme que nous venons d’exposer, que les philosophies qui, ou bien d’une façon générale rejettent la valeur objective universelle de tous les principes de la raison, ou bien rejettent les principes de causalité et de raison suffisante ou leur emploi hors de l’ordre phénoménal. D’où il suit que le dogme défini nous met philosophiquement en très bonne posture. La métaphysique scolaslique, que le magistère ordinaire nous recommande, et qui se réduit en sommes à la connaissance des substances, des causes, des relations objectives et des formes absolues, peut d’ailleurs se construire à l’aide de ces seuls principes. Enseignons donc une philosophie sagement objectiviste, comme celle de l’Ecole. Et si nous avons des préoccupations apologétiques, souvenons-nous — l’encyclique vient de le rappeler à tous avec autorité — qu’en fin de compte notre néophyte doit aboutir à une dogmatique et par suite à une philosophie objectivistes. Sans doute, comme le fait remarquer saint Thomas, Sum. theol., I a, q. i, a. 8, on ne peut discuter avec quelqu’un qu’en se mettant d’accord avec lui sur quelques principes, et par conséquent en se plaçant ad hominem à son point de vue. Mais il est certaines concessions qu’on ne peut pas faire, puisque les accorder, c’est s’enlever tout moyen de conclure. Dans ce cas, saint Thomas nous dit encore ce qu’il reste à faire et ce qui est utile : Si l’adversaire ne concède aucun des principes nécessaires pour aboutir à la conclusion que l’on a en vue, on ne peut pas discuter avec lui, si autem nihil concedit, non potest cum eo disputari. Les kantistes et les positivistes sont-ils donc à abandonner ? Non, car nous pouvons dans nos principes, et souvent dans les leurs, résoudre leurs difficultés et leur faire comprendre qu’elles ne sont que la duperie de leur imagination, le résultat d’un manque de méthode, le fruit d’un abus de la réflexion philosophique : potest tamen solvere rationes ipsius. C’est plus utile et moins dangereux que de construire de soi-disant nouveaux systèmes.

M. CHOSSAT.