Dictionnaire de théologie catholique/CALIXTINS

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 2.2 : CAJETAN - CISTERCIENSp. 25-27).

1. CALIXTINS. Ce nom, emprunté au mot latin calix, sert à désigner, parmi les partisans de Jean Huss, ceux qui au XVe siècle, réduisant le minimum de leurs prétentions à quatre articles, revendiquèrent plus particulièrement l’emploi du calice ou la communion sous les deux espèces en faveur des laïques. La communion sub utraque n’était pas chose inconnue dans la pratique chrétienne, voir Communion sous les deux espèces, mais l’Église l’avait interdite depuis longtemps à cause de ses inconvénients. Jean Huss lui-même, du moins à ses débuts, n’avait pas songé à reprendre cet usage sans le consentement exprès de l’Eglise. Mais quelquesuns de ses partisans, sous l’inspiration de Jacobel, revendiquèrent le droit de la pratiquer. Or le concile de Constance, fidèle aux sages prescriptions du passé et soupçonnant d’ailleurs, non sans raison, que cette innovation masquait quelque erreur dogmatique sur la présence réelle, le condamna dans sa XIIIe session générale, ie 15 juin 1415. Mansi, t. XX vii, col. 726-728 ; Hardouin, t. viii, col. 380-382 ; Hefele, Histoire des conciles, trad. franc., Paris, 1876, t. x, p. 477-478. Mais ni l’archevêque de Prague ni le roi de Bohême Wencestas ne purent faire observer le décret du concile. Jacobel composa une violente diatribe contre les Pères de Constance qu’il appelait « les docteurs de l’usage » . Et Huss, changeant d’attitude bien que prisonnier, s’empressa d’écrire à son disciple Ilaulick, qui l’avait remplacé dans la chaire de Dethléhem, de ne pas s’opposer à l’emploi du calice, de ne pas combattre Jacobel, et à son ami Christian d’adjurer la noblesse de Bohême d’avoir à défendre un usage que le concile venait d’interdire contrairement à l’enseignement de l’Evangile et à la tradition primitive. L’exé’cution de Huss, survenue le (i juillet suivant, souleva l’indignation des partisans du calice et excita une révolte sanglante en Bohême. Malgré l’intervention de l’évêque de Leitomysl, qui fut impuissant à conjurer l’orage, la noblesse envoya une protestation au concile, notifiant son refus d’obéissance. L’usage du calice fut maintenu et généralisé ; il devint un signe de ralliement, le symbole des calixtins.

Dès 1418 le concile met en demeure le roi Wencestas de protéger la foi catholique, de purger l’université de Prague et de traduire devant la cour romaine les principaux fauteurs de l’hérésie. Il décide que les laïques qui avaient communié sous les deux espèces devaient abjurer leur erreur et que les écrits de Jacobel devaient être livrés et détruits. Le pape Martin V. dans sa bulle Inter cunc tas, du mois de février lilS. ratifie cesdéci » sions et exige que les hérétiques Boient interrogés sur la question de savoir s’ils admettent la pn Bénie réelle sous chaque espèce et s’ils consentent à ne plus communier que sous une seule. Hefele, ")> fi-, t. xi, p. 697’. » . Ni Jean Dominici, ni Beaufort, évêque de Winchester, ni Julien Césarini, envoyés successivement comme cardinaux légats pour pacifier la Bohême, ne 13K

C. A MX TINS

réussissent ; tous leurs efforts sont inutiles. Les hussites s’entêtent ; de j<l uv, profitant de la faiblesse royale, ils B’organisent militairement, ne mettent plus de bornes à leur andace et préludent à une longue et sanglante tragédie. En 1419, ils refusent de reconnaître pour roi l’empereur Sigismond. Le borgne Jean Ziska prend la tète de ce mouvement révolutionnaire et hérétique ; il se construit une forteresse, à 25 lieues de Prague, sur le mont Hardistin, qu’il lit appeler Tabor. A sa mort, en 1424, des divisions éclatent, quatre partis se forment : celui des taborites, minorité turbulente et sans scrupule, avec Procope le Grand ; celui des orphaniens, orpliattites ou orphelins, beaucoup plus nombreux, avec Procope le Petit ; celui des orébites, sans nuance de doctrine mais d’exaltation égale ; et enfin celui des modérés, gens de Prague ou calixtins proprement dits avec le Bohémien Rokytsana, curé de Prague, et l’Anglais wiclefiste Pierre Peyne.

Julien Césarini, chargé en 1431 par Martin V d’ouvrir et de présider le concile de Bàle et confirmé dans ces fonctions par Eugène IV, s’empresse d’entrer en relations avec les tchèques modérés ou calixtins, dans l’espoir de les ramener. Il reçoit d’eux un mémoire et les invite à comparaître. L’affaire étant ainsi entamée, il répond au décret de dissolution du concile porté par le pape qu’on doit la terminer, sous peine de voir un schisme éclater à Bàle et de donner lieu aux tchèques de prétendre qu’on a peur d’eux. Les calixtins, dociles à l’appel de Julien, envoient des délégués, entre autres Rokytsana, Peyne, Jean de Krainic, qui se rencontrent à Egra avec les envoyés du concile (8 mai 1432), demandent qu’on admette avec eux des représentants des taborites et des autres partis, tombent d’accord sur leur réception à Bàle et conviennent qu’on discutera librement leurs quatre articles, relatifs à la communion sous les deux espèces, à la répression des péchés, à la liberté de la prédication et aux biens ecclésiastiques. Conformément à cette convention, les tchèques arrivent à Bàle au commencement de 1433 ; tous les partis liussites sont représentés. Seuls parmi eux, les calixtins célébraient la messe comme les romains, sauf qu’ils donnaient aux laïques la communion sous les deux espèces. La discussion sur les quatre articles s’engage aussitôt. Le calixtin Rokytsana plaide en faveur de la communion sous les deux espèces ; l'évêque taborite Biskupec de Pilgram, pour le droit et l’obligation de punir les péchés ; le prêtre orphanien Ulrich de Tznaim, pour la liberté de la prédication ; et Pierre Peyne, contre les biens temporels du clergé. Les conclusions sont déposées par écrit. Avant de donner la parole aux orateurs désignés par le concile pour réfuter les arguments mis en valeur, Julien Césarini essaie par une série de 28 questions de bien déterminer la croyance des hussites ; car, en dehors de ces 4 articles, ils prolessaient d’autres doctrines étrangères à la foi ; et il n’entendait procéder à une réconciliation que sur des bases solides et sans la moindre équivoque ; il n’obtint pas de réponse. Les orateurs du concile prennent alors la parole : le Slave Jean de Raguse contre Rokytsana ; le Français Gilles Charlier ou Carlier. doyen de Cambrai, contre Biskupec ; le professeur de Cologne Henri Kalteisen contre Ulrich ; et l’Espagnol Jean de Palomar, de Barcelone, contre Peyne. La discussion dura plusieurs jours sans qu’on parvint à s’entendre. Les tchèques, pressés de rentrer dans leur patrie. obtiennent l’envoi d’une députation du concile en Bohème pour traiter directement avec le peuple assemblé. Nicolas de Cusa leur demanda si. dans le cas <>ïi on leur accorderait la faculté de donner la communion sub utraque, ils se montreraient plus accommodants sur les autres points ; ils ne répondirent pas. Le concile se résigna donc à envoyer des délégués en Bohème (avril 1433). Ceux-ci, après deux mois passés à Prague,

déléguèrent trois d’entre eux pour aller renseigner le conciie. Palomar avait pu se convaincre que la d nion la plus complète régnait parmi les hussites, qu’ils ne s’entendaient que sur l’emploi du calice pour la communion des laïques, sans qu’ils lu--<-nt tous d’accord pour déclarer s’ils le jugeaient nécessaire ou non au salut ; c’est ce qu’il notifia aux Pères de Bàle. Le concile, après une vive discussion, consentit à con' l’usage de la communion sub utraque, mais chargea ses délégués : l°de Cure observer que la coutume de ne communier que sous l’espi ce du pain avait été introduite par l’Eglise pour des motifs d’ordre dogmatique et d’ordre pratique, contre ceux qui pourraient croire qu’on ne reçoit pas Notre-Seigneur tout entier sous une seule espèce et contre les inconvénients qu’ollre la communion sous l’espèce du vin ; 2° d’exiger que h-^ pn calixtins ou utraquistes avertiraient préalablement leurs fidèles que Jésus-Christ est tout entier sous chaque espèce. Ce fut la base de l’accord stipulé à Prague, le 30 novembre 1433, sous le nom de conifiaclata. Restait à le faire souscrire par le concile, déjà des réclamations s'étaient l’ait entendre de la part des hussites exagérés, qui avaient repris leur carn ; de déprédations. Le cardinal Julien Césarini déclara que le concile ne pouvait aller au delà (février 1131).

Les hussites, loin de s’entendre, en vinrent aux mains : d’un côté les modérés ou calixtins et la noblesse, de l’autre les taborites et les démocrates ; on livra bataille à Lipan ; les calixtins l’emportèrent. Rokytsana. leur chef, voulut avoir le pas sur les catholiques et accentua ses revendications. Sous son inspiration, le landtag d’octobre 1434 décida entre autres choses que tout catholique de Bohème devait renoncer à la communion sous une seule espèce pour adopter l’utraquisine et qu’on devait donner même aux enfants la communion sub utraque. Le landtag de 1435 exigea de l’empereur Sigismond que, s’il voulait être reconnu roi de Bohème, il devait s’engager à la communion, lui et sa cour, sub utraque pendant son séjour en Bohème, à ne prendre de conseillers que parmi les calixtins, à imposer l’utraquisme à tout le royaume. On tendait ainsi à faire d’un usage religieux, non encore ratifié par l’autorité compétente et fort suspect d’hérésie, une loi de l’Etat et la marque distinctive de l'Église de Bohème. L’empereur fut appelé à se prononcer à Rrunn, mais il esquiva la réponse. Les délégués du concile protestaient que les tchèques devaient s’en tenir exclusivement aux eompactala, abstraction faite des décisions du landtag d’octobre 1434, parce que celles-ci étaient, en partie, en contradiction avec les compactata. Sigismond. tenant à se concilier les tchèques, leur promit de veiller pré cisémeni à l’exécution de ces décisions ; et. d’autre part, il demanda aux délégués du concile d’ajouter aux cohipactuta ces mots : salvis libertatibus et priviU’giis regjti Boheniits ; ceux-ci réinsèrent. Aussi, tandis que le landtag suivant, tenu à Prague, prit acte des proue sses de l’empereur et désigna Rokytsana pour l’archevêché de Prague, le concile de Bàle fit d’expi sses réserves. M.msi. t. x. p. Hî ; Hardouin, t. viii, p. 1468. Enfin, après île nouvelles et laborieuses négociations, la diète d’Iglau proclama les compactata loi de l'État, le."> juillet 1436. Sigismond signa, et les délégués de Bêle promirent l’assentiment du concile. Le concile, en effet, quoique désavoue depuis longtemps par Eugène IV, termina cette affaire de Bohème en publiant, le I5janvier 1 H ! 7. une bulle qui ratifiait les compa c ta ta et autorisait la communion rue utraque.

Désormais, semble-t-il, la paix politique et i aurait dû régner ; c'était compter sans l’hypocris l’ambition des chefs calixtins. Rokytsana conservait encore les dehors de l’orthodoxie pour obtenir l’a nient du pape a sa nomination à l’archevêché de Pi mais il dépassait la limite des concessions obtenu jouait de l’autorité du concile et laissait percer le vieil esprit hussite. Podiébrad, en aspirant clairement à la couronne de Bohème, ménageait sans doute les catholiques, mais ne rêvait au fond que d’aider Rokytsana et de prêter à l’erreur le concours de l’autorité royale. Tous deux furent exilés. Revenus au bout de dix ans, ils reprirent leurs intrigues. Tenus en suspicion par les catholiques, regardés comme des traîtres par les taborites, ils soutinrent la cause des calixtins, l’un par ses mandements, l’autre par sa victoire d’Hardistin sur les taborites (1453) : ni mandements ni victoires n’assurèrent leur triomphe définitif. Le règne du jeune roi Ladislas paraissait devoir ajourner indéfiniment leurs espérances ; mais il fut très court. A la mort prématurée de ce prince, Podiébrad, aidé de Rokytsana, réussit à tromper les catholiques, s’assura leur concours et se fit enfin élire roi de Bohème ( 1 158). Il tente une première l’ois de se faire reconnaître par le pape et demande au saint-siège la confirmation officielle du privilège du calice. Pie II se borne à promettre qu’il enverra en Bohême des hommes sûrs pour expliquer le sens et les limites de la concession accordée par le concile de Bàle. Podiébrad insiste ; Pie II reçoit son ambassade, accepte le serment de fidélité qu’elle prête en son nom, mais refuse de ratifier l’usage du calice. Son nonce Fanlini se rend en Bohême pour notifier ce refus catégorique. Podiébrad jetle alors le masque, incarcère le nonce, essaie par tous les moyens d’attirer à sa défection les nobles et le clergé catholiques. Plus de doute : c’est le schisme qui révèle l’hérésie depuis si longtemps latente. Paul II dut déclarer, en 1471, le roi de Bohême convaincu de parjure, de blasphème et d’hérésie, et l’excommunia. Peu après, la même année, à quinze jours d’intervalle, la mort emportait Rokytsana et Podiébrad, le pseudo-archevêque et le roi déchu, deux complices. Les calixtins n’ont plus de chef ; leur rôle peut être considéré comme fini. Quelques-uns se convertissent ; les autres passent aux frères bohèmes. Il n’y a plus place, en Bohème, que pour l’orthodoxie par la soumission à l’Église romaine eu pour la révolte par l’union avec les partis intransigeants. Désormais l’utraquisme se perd dans l’histoire des luttes civiles et religieuses du xvie siècle. Voir Bohèmes (Frères), col. 930-9’d.

Lcmant, Histoire de la guerre des hussites et du concile de Busle, Amsterdam, 1731 ; de Bonneehose, Jean Huss et le concile de Constance, Paris, 1846 ; Hofler, Geschichtschreibcr der hussilischen Bcwegung in Bôhmen, Vienne, 1855-1866 ; Denier, Huss et la guerre des hussites, Paris, 1K78 ; Hefele, Histoire ries conciles, trad. franc., Paris, 1876. — Puur ce qui regarde la négociation des compactata, voir les Monumenta conciliorum generalium xv sseculi, Vienne, 1857-1873, t. i, où se trouvent le Traclatus de reductione Bohemorunx de Jean Stoikowic <ju Jean de Raguse ; le Liber diurnus de Pierre de Saaz ; le Liber de legationibus de Gilles Charlier ; le Diarium de Thomas Kbendorfer d’Haselbach ; le Hegislrum de Jean de Tours. Voir aussi jEneas Sylvius Piccolomini (Pie 11), Historia Bohemorum, Bàle, 1571 ; Comment, de rébus Bnsilex gestis, Bàle, 1577. — Pour la suite, voir la bibliographie de l’article Bohèmes (Frères), col. 940-941.

G. Bareille.