Dictionnaire de théologie catholique/BERNARD (Saint)
1. BERNARD (Saint), abbé de Clairvaux. —
I. Vie.
II. Œuvres.
III. Lutte contre Abélard.
IV. Doctrine.
V. Caractère particulier et influence de cette doctrine.
I. Vie.
Saint Bernard, le dernier des Pères, que l’Église honore ù la fois comme saint et comme docteur, naquit en 1000, à Fontaines-lès-Dijon (Côte-d’Or). Son père, Tescelin, était un officier de la cour du duc de Bourgogne ; sa mère, Aletli (Alette, Aalays), était fille du seigneur de Montbard. Dès sa plus tendre enfance, il lit preuve d’une piété extraordinaire. Vers l’automne de 1111, il prit le parti de renoncer au monde, et dans son ardeur de prosélytisme il entraîna à sa suite trente compagnons parmi lesquels figurent ses frères et son oncle Gaudry. On les voit à Chàtillon-sur-Seine faire pendant six mois l’apprentissage de la vie monastique et entrer à (Eiteaux au printemps de l’année 1112.
Trois ans plus tard l’abbé Etienne Harding l’envoyait fonder l’abbaye de Clairvaux quin 1115), qui devait à son tour devenir la mère de tant d’autres abbayes. Bernard en compta jusqu’à soixante-huit avant de mourir. Vacandard, Vie de saint Bernard, Paris, 1895, t. il, p. 551.
Bientôt le zèle du fondateur de Clairvaux se fit sentir non seulement dans son ordre, mais encore dans toute l’Église de France et jusque dans la Ville Éternelle. Tous les ordres religieux, notamment l’abbaye de Cluny, cf. Apolugia ad Guillelmum, P. L., t. clxxxii, col. 895-918, subissent son influence. La cour de Louis le Gros n’y échappe pas davantage. Eclate le schisme d’AnacletlI ; Bernard, après avoir examine’au concile d’Étampes (1130) les titres d’Innocent et d’Anaclet à la tiare, estime qu’aucune des deux élections qui divisent Borne n’est exempte d’irrégularité, mais, pour éviter un plus grand mal, il passe par-dessus ces vices de forme et se prononce en faveur d’Innocent, dont les qualités morales lui paraissent offrir une garantie pour la dignité de l’Église et sa prospérité. Louis le Gros accepte sa décision, et bientôt après Henri I er d’Angleterre et le roi Lothaire s’y rallient également. Mais les partisans d’Anaclet, nombreux à Borne, à Milan et dans le sud de l’Italie, ne sont pas disposés à céder. Trois fois Bernard entreprend un voyage au delà des Alpes (1133, 1135, 1137) et finit par faire triompher la cause d’Innocent. 11 séjourne à Rome de décembre 1137 à juin 1138. Vers ce temps Anaclet meurt ; on lui donne pour successeur l’antipape Victor IV. Mais l’abbé de Clairvaux détache peu à peu du nouvel antipape tous les Domains. Victor sentie ridicule de sa situation et vient se jeter aux pieds d’Innocent IL C’était la fin du schisme.
De retour en France, Bernard eut bientôt à s’occuper de questions dogmatiques que soulevait le célèbre professeur de Sainte-Geneviève, Pierre Abélard. On sait comment il fut, en quelque sorte, contraint de paraître au concile de Sens (1140), comment il instruisit le procès d’Abélard, et comment, après le refus de celui-ci de s’expliquer, il fit condamner sa doctrine. Abélard, qui en avait appelé à Borne, fut condamné par Innocent IL Voir Abélard, t. i, col. 43, et plus loin.
Un disciple d’Abélard, Arnauld de Brescia, agita aussi quelque temps les esprits en France. L’abbé de Clairvaux l’en fit expulser, le poursuivit dans sa retraite à Zurich et en Allemagne, et le dénonça au pape comme un perturbateur de l’ordre public. Après une réconciliation plus apparente que réelle avec la papauté, Arnauld souleva contre elle, à plusieurs reprises, le peuple romain. Il finit par tomber entre les mains des défenseurs du pape et fut condamné à mort. Voir Arnauld deBrescia, t. I, col. 1972. Cf. Vacandard, Histoire de saint Bernard, 1895, t. il, p. 235 sq.
D’autres périls menaçaient l’Église de France. Au nord l’hérésie manichéenne, qui avait pris racine au château de Montwimer ouMontaimé, dans le diocèse de Chàlons (Marne), s’étendit de là jusqu’à la mer et jusqu’au Bhin. Cologne surtout en lut infecté. L’abbé de Clairvaux la poursuivit de ses dénonciations et de ses invectives dans ses serinons lxv et lxvi, in Cantica. Au sud, spécialement dans le Languedoc, Pierre de Bruys et un de ses amis, non moins redoutable, du nom de Henri, semaient à pleines mains l’hérésie, ameutaient le peuple contre le clergé, abolissaient le culte et détruisaient les églises. Bernard entreprit de remédier à ces maux, en évangélisant la région qui était le théâtre de ces désordres. Sa présence à Bordeaux, à Bergerac, à Périgueux, à Sarlat, à Cahors, à Toulouse, à Albi, en 1145, arrêta pour quelque temps les progrès de l’hérésie henricienne. Mais il ne parvint pas à l’éteindre complètement, et l’on sait comment, un peu plus tard, de ses cendres sortit l’hérésie des Albigeois, qui éclata comme un immense incendie. Voir Henri et les II en-Riciens, et Pierre de Bruys. Cf. Vacandard, Histoire de saint Bernard, t. ii, p. 217 sq.
Cependant les malheurs de l’Eglise d’Orient sollicitaient l’attention de Bernard. Louis VII et le pape Eugène III exhortent les chevaliers français à entreprendre une seconde croisade. L’abbé de Clairvaux se fait à Vézelay leur interprète (31 mars 1140). Sa prédication enflamme tous les cœurs. Il la continue par des lettres qu’il envoie de tous côtés. Non content d’écrire, il visite les villes des bords du Bhin et les pousse également à s’enrôler pour la croisade. Le roi Conrad III hésite à s’y associer. Bernard, qui le rencontre à Spire (décembre 1146-janvier 1147), finit par l’y déterminer. Mais comme l’entreprise échoua, faute d’une sérieuse et forte organisation militaire, Bernard eut à se défendre de l’avoir conseillée. Les attaques dont il l’ut alors l’objet lui causèrent un vif chagrin. Cela ne l’empêcha pas de former avec Suger un projet de nouvelle croisade, projet qui d’ailleurs avorta tristement. Cf. Vacandard, Histoire de saint Bernard, c. xxvil, xxxi, t. ii, p. 259, 115.
Cependant l’évêque de Poitiers, Gilbert de la Porrée, était dénoncé, au concile de Beims (1148), comme auteur d’une théorie philosophique qui portait atteinte au dogme de la Trinité. On lui reprochait d’enseigner que la divinité était une réalité distincte de Dieu. L’abbé de Clairvaux attaqua vivement cette erreur et fit signer à Gilbert une profession de foi orthodoxe. Voir Gilbert de la Porrée. Cf. Vacandard, Histoire de saint Bernard, t. ii, c. xxviii, p. 327 sq. ; de Bégnon, Études de théologie positive sur la sainte Trinité, 2e série, étude VIIIe, c. iii, a. 4, Paris, 1892, p. 87 sq.
Nous ne nous al larderons pas à raconter les conflitsentre l’Église et l’État auxquels l’abbé de Clairvaux fut mêlé. Nous ne dirons donc rien de ses démêlés avec Louis le Jeune. Cf. Vacandard, Vie de saint Bernard, c. xxiv, t. ii, p. 177 sq. De ses rapports avec la papauté, nous ne ferons qu’indiquer la leçon qu’il lui adressa dans le traité De consideratione, destiné à procurer la reforme de la cour de Borne. L’ouvrage est dédié à Eugène III, qui avait été moine à Clairvaux. Dans un langage parfois un peu vif, Bernard dénonce tous les abus que la faiblesse des papes tolère au sein de l’Église et surtout de la curie. Le Ve livre a plutôt un caractère philosophique et dogmatique. L’auteur y vise encore manifestement la doctrine de Gilbert de la Porrée.
Lorsqu’il écrivait ces lignes (au plus tôt 1152), Bernard touchait au terme de sa carrière. Ses dernières années furent attristées par des chagrins de toutes sortes, notamment par la trahison de son secrétaire Nicolas. Mais rien n’était capable d’abattre son courage. Quelques mois avant de mourir, malgré l’épuisement de ses l’orv ces, il se rendit encore à Metz pour rétablir la paix entre les Messins et le duc de Lorraine. Au mois de juillet 1153, il apprit la mort de son cher disciple, le pape Eugène III. Le 20 août suivant, il rendait lui-même son àme à Dieu ; il était âgé de 63 ans. Vingt ans plus tard, par une bulle en date du 18 janvier 1174, Alexandre III l’inscrivait au nombre des saints. Le pape Pie VIII lui conféra en 1830 le titre de docteur ; il est connu communément sous le titre de Doetor melliflUus.
Pour plus de détails sur la vie de saint Bernard, voir Vacandard, ouv. cit., 2 in-8° Paris, 1895 ; 2 in-12, Paris, 18 !)7. Les principales sources pour la biographie de l’abbé de Clairvaux sont : l’une Vita prima, r. imposée de cinq ou même de six livres et qui a pour auteurs Guillaume de Saint-Thierry (1. 1), Ernuud de Bonneval il. Il » , Geoffroy, secrétaire de saint Bernard (1. 111-Yi, témoins oculaires ou contemporains ; le Liber sextus de la Vita primo est également l’œuvre de témoins oculaires, entre autres de Geoffroy. La > — i vita, due à la plume d’Alain d’Auxerre (entre 1167 el 1170), résume et modifie légèrement la Vita prima. Puis vient une Vita tertia qui n’est autre qu’une ébauche de Geoffroy, utilisée par les auteurs de la Vita prima. Ajoutons une Vita quarto de.lean l’Ermite, le Liber miraculorum de Herbert, et VEscordium magnum cisterciense, qui sont un peu postérieurs et qui contiennent certains traits d’un caractère légendaire. Tous ces ouvrages ont été plusieurs fois imprimés. Migne les a reproduits, P. L., t. CLXXXV, col. 225 sq. La valeur de ces sources a été’examinée à fond par G. Huiler, Der heilige Berrmt Clairvaux, eine Darstellung seines Lebens u » d Wirkens, t. i (Vorstudien), Munster, 1886, et par E. Vacandard, Vie de saint Bernard, 1895, t. i. Introduction, p. ix-liv.
II. Œuvres. —
I. SERMONS. —
L’abbé de Clairvaux a
laissé un grand nombre d’ouvrages, au premier rang
desquels il convient de placer ses sermons, qui se répartissent
chronologiquement entre 1115 et 1153. Ces sermons
peinent se diviser en quatre séries :
1° Sermones
de tempore ;
2° Sermones de sanctis ;
3° Sermones de
diversis ;
4° Sermones in Cantica.
l°Les Sermones de tempore, P. L., t. clxxxui, col. 35360, sont au nombre de quatre-vingt-six, auxquels il faut joindre un fragment de sermon, découvert par M. Georg Huiler, Der heilige Bernard von Clairvaux, Munster, 1886, p. 237 sq. Ce groupe comprend, outre les sermons des dimanches et des fêtes, les quatre sermons De laudibus Virginia saper M issus est, un sermon sur les saints Innocents et dix-sept sermons sur le Psaume XC, Qui habitat, prêches probablement pendant le carême de l’année 1140. Au point de vue théologique, il y a lieu de signaler la discussion des motifs pour lesquels l’Église rend un culte aux saints Innocents. « Le martyre qu’ils endurèrent à cause du Christ suffit à leur sanctification, … comme le baptême suffit aujourd’hui aux autres enfants sans aucun usage de la volonté propre… Si vous cherchez quels étaient leurs mérites devant Dieu pour être couronnés, cherchez aussi quels étaient leurs crimes devant Hérode pour être massacrés… Hérode aurait pu mettre à mort des innocents ; et le Christ n’aurait pu couronner ces innocents, tués à cause de lui ? » In nativit. Innocent., c. il. Le sermon xii sur le Psaume XC fournit aussi une théorie sur les anges gardiens que nous aurons occasion d’examiner plus loin.
2° Les sermons De sanctis, P. L., t. clxxxui, col. 360-536, sont au nombre de quarante-trois ; ils contiennent l’éloge de plusieurs saints et surtout ils exposent les principaux mystères de la vie de la sainte Vierge. Le sermon sur la Nativité de Marie est intitulé : De a/juxductu. C’est le plus important de ceux que Bernard prononça sur les prérogatives de la mère de Dieu ; toute sa théorie de la médiation de la sainte Vierge y est développée. Dans les panégyriques de saint Victor, de saint Malachie, du bienheureux Humbert, on trouve exposée sa doctrine sur l’intercession des saints. On pourrait rattacher au groupe des panégyriques l’éloge funèbre que Bernard lit de son frère Gérard dans son commentaire du Cantique des Cantiques, Servi., XXVI, /’. /.., t. CLXXXUI, col. 903 sq.
3° Les serinons De diversis, P. L., t. clxxxui, col. 537-71s. généralement beaucoup plus courts que les précédents, sont au nombre de cent vingt-cinq. Mais il faut réduire ce chiffre à cent dix-sept : les sermons VI, VII, xxi sont de Nicolas de Clairvaux ; les sermons viii, xxvin sniii attribués communément à Guerric d’Igny, il se peut cependant qu’ils soient de saint Bernard ; cf. Vacandard, Vie de saint Bernard, l ro édit., t. I, p. 451, note ! t ; les sermons XL et XI I onl une origine douteuse, et le sermon lxviii est un doublet de xxxii.
4° Bernard composa une série de sermons sur le Cantique des Cantiques..Son commentaire s’arrête aux mots In leclulo meo quæsivi, ni, 1. Les vingt-quatre premiers sermons ont été prononcés de l’Avent 1135 à 1138. Après une interruption assez prolongée, il reprit son thème. Le sermon lxxx est de 1113. Les six sermons suivants ont précédé sa mort de peu de temps. Cela forme un total de quatre-vingt-six sermons. P. L., t. clxxxui, col. 785-1193. Gilbert, abbé de Swinshed (ou de Hoilandia), a continué, après Bernard, le commentaire interrompu, sans pouvoir l’achever, P. L., t. clxxxiv, col. 1 1252. Sun XLVIII" et dernier sermon s’arrête au verset : Dilectus meus candidus, , 10. Le commentaire de Bernard est avant tout une œuvre mystique. Ça et là cependant l’auteur développe ses théories dogmatiques. C’est ainsi par exemple que, dans le sermon v, il étudie les différentes sortes d’esprits ; il en distingue quatre : l’esprit divin, l’esprit angélique, l’esprit humain et l’esprit de la bête. Le sermon vin est consacré à l’étude du Saint-Esprit. Dans le sermon xix Bernard traite des anges et de leur hiérarchie. Il examine, sermon XXVII, l’origine de l’âme, et l’on sait que Bérenger (voir Bérenuer Pierre) lui a vivement reproché sa doctrine. Dans le sermon xli est exposée la théorie de la contemplation, que nous étudierons plus loin. Même thème dans le sermon lu. Ayant à expliquer le texte : Capite nobis vulpes parvulas quse demoliuntur vineas, ii, 15, Bernard en prend occasion pour combattre les hérésies manichéennes dont le prévôt de Steinfeld, Evervin, lui avait signalé les ravages à Cologne : c’est le sujet des sermons lxiv-lxvi. En quoi consiste l’unité du Père et du Fils, le sermon lxxi l’explique. Le sermon lxxiv décrit les visites que le Verbe fait à l’âme qui est devenue son épouse. On trouve dans le sermon lxxx une réfutation des théories trinitaires de Gilbert de la Porrée, évêque de Poitiers. Le sermon lxxxiii est un hymne à l’amour divin qui embrase l’âme humaine ; il y aura lieu de revenir sur ce sujet en exposant le mjsticisrne de l’abbé de Clairvaux.
On a pu croire jadis que le fameux manuscrit des Feuillants, maintenant à Paris, Bibliothèque nationale, n. 21768 du fonds français, contenait une édition originale des sermons prononcés en français par saint Bernard pendant le cours de l’année liturgique, d’après la rubrique initiale : « Ci encomencent li sermon saint bei naît k’il feit de l’Avent et des altres lestes parmei l’an. « Il est aujourd’hui démontré que Li sermon saint Bernarl sont une traduction en dialecte lorrain, voire messin, du texte latin que nous possédons. Cl.W. Furster, Li sermon saint Bernart : Atteste franzôsische Vebersetzung der lateinischen Predigten Bernard von Clairvaux, nach der Feuillantines Handschrift in Paris, Erlangen, 1885. Ces sermons sont au nombre de quarante-cinq. M. Fœrster a fait voir, p. x-xi, que la traduction se traîne sur le latin, dont elle ne peut rendre les jeux de mots. A quelle époque furent-ils traduits ? M. Fœrster pense, avec assez de raison, que Li sermon saint Bernart sont compris dans la condamnation portée en 1109, par le pape Innocent III, contre les traductions de la Bible et des Pères, qui lui avaient été signalées par l’évéque de Metz. Ils seraient donc de la fin du xiie siècle.
Les quarante-cinq sermons correspondent à la période de l’année liturgique comprise entre l’Avent et l’Annonciation. En 1889, von Tobler signala l’existence d’un second recueil de sermons français de saint Bernard à la Bibliothèque royale de Berlin, bw romanischen Meerman-H andsclirif tendes sir Thomas Phillipps, n.’20. Ce manuscrit comprend quarante-trois sermons de la seconde période de l’année, de l’Annonciation à l’Assomption. Les trois premiers correspondent aux trois derniers du manuscrit des Feuillants, Il faudrait, si Ion Tobler, en faire remonter la traduction à la fin du xiie siècle ou au commencement du xiii". Tous les sermons se retrouvent dans les éditions latines des œuvres de saint Bernard, sauf les numéros 30. 31 et 43, dont von Tobler ignore la provenance. Le savant critique ne publia que quelques sermons de son manuscrit : Predigten des heiligen Bernhard in altfranzôsischer Uebertragung, dans Sitzungsberichté des kôniglich-preussischen Akademie der Wissenchaften zu Berlin, 1889, p. 291-308. Mais en 1891 M. Alfred Scbutze édita totalement ce second recueil, Predigten des Bernhard ïn aller franzôsisches Uebertragung, t. ccm de la collection de la Société littéraire de Stuttgart.
L’existence d’un autre manuscrit avait été signalée dès l’année 1814 par Daunou, Histoire littéraire de la France, t. xiii, p. 193. On sait qu’il est entré au Musée Dobrée, récemment ouvert dans la ville de Nantes. M. Léopold Delisle en a donné la description dans le Journal des savants, mars 1900, p. 150. L’écriture, disposée sur deux colonnes (à la différence des deux autres manuscrits de la version française, qui sont à longues lignes), semble pouvoir être rapportée à la lin du XIIe siècle ou au commencement du xiii e. La meilleure partie du manuscrit, fol. 1-162, est occupée par la traduction française des quarante-quatre premiers sermons de saint Bernard sur le Cantique des Cantiques. M. Delisle cite la première page : « Ici comencet liprimers sermons saint Bernart sor les cantikes, » etc., et donne l’en-tète de tous les sermons avec le texte latin en regard. Au fol. 201, vient une traduction des sermons Super M issus est : « De la loenge de Nostre Dame. La dévotions me commande ke ge alcune chose escrie, mais li occupations le moi defent. »
La réunion de ces trois recueils forme donc une traduction presque complète des sermons de saint Bernard en langue romane, aux environs de l’an 1200. Cf. L. Delisle, lac. cit., p. 118-164 ; A. Schulze, Zu den altfranzôsischen Bernhard Handschriflen, Sonderabdruck ans Beitrâge zur Bucherkunde und Philologie August Wilmans zum 25 Marz 1003 gewidmet, Leipzig, 1903, p. 389-404 ; L. Delisle, Journal des savants, juin 1903, p. 347-348.
On peut trouver dans Léopold Janauschek, Bibliographia Bernardina. Vienne, 1891, une bibliographie complète des sermons de saint Bernard. Nous ne signalerons ici que les plus anciennes et les plus récentes éditions. Sous le n. 15, Janauschek marque, aux environs de 1472, une édition des Homilise super Missus est. En 1475 paraît à Mayence une édition qui renferme cent quatrevingts sermons. Les sermons sur le Cantique des Cantiques ne sont pas compris dans cette édition. Ils parurent à part en 1481 à Roztock. Lamème année les sermons De tempore et De sanctis furent imprimés à Bruxelles. Cf. Janauschek, n. 61. Sous le n. 62, on voit encore une édition des sermons De tempore, De sanctis, De diverses, publiée à-Heidelberg en 1481. Nous ne citerons pas d’autres incunables. La meilleure édition des sermons de saint Bernard est celle que donna Mabillon en 1690, dans les Sancti Bemardi Opéra oiimia, 2 in-fol., Paris, et qui a été rééditée depuis, en 1724, par Edmond Martène et Ursin Durand ; en 1854, 1859, 1879, par Migne, P. L., t. clxxxiii. Nous devons signaler, en outre, celle qui parut en 1891, sous la direction des D" Gsell et Janauschek, à l’occasion du huitième centenaire de la naissance de saint Bernard, Sancti Bemardi Sermones de tempore, de sanctis, de diversis, ad tertiam editionem Mabillonianam eut » coilieibus Atestriacis Bohemicis Styriacis coliatam, ’6 tasc, Vienne, 1891.
II. TRAITÉS ET OPUSCULES. —
Dans ce groupe nous rangeons, avec les traités proprement dits, quelques épîtres des plus importantes : Epist., xlii, lxxvi, cxc.
1° L’opuscule le premier en date est le Tractatus de gradibus humililalis et superbise, P. L., t. CLXXXII, col. 941 sq., qui fut composé avant 1125, peut-être dès 1121. Bernard l’écrivit à la demande de Godelroid, abbé de Fontenay. C’est un résumé des entretiens qu’il avait eus avec ses moines de Clairvaux, un commentaire de la règle de saint Benoit. A l’exemple du patriarche des moines d’Occident, il pose l’humilité à la base de la perfection évangélique et il en donne cette définition : « L’humilité est une vertu qui rend l’homme vil à ses propres yeux par la connaissance très vraie qu’il a de son état. ; > Humilitas est virlus qua homo verissiina sui cognitione sibi ipsi vilescit. Dans la première partie de l’ouvrage, Bernard développe cette pensée en neuf chapitres. Les treize chapitres de la seconde partie sont consacrés à l’explication des douze degrés de l’humilité, indiqués par la règle de saint Benoit. Mais, au moment d’aborder ce travail d’analyse psychologique, Bernard s’aperçoit qu’il est beaucoup plus aisé de définir une vertu par son contraire que par son essence. Au lieu des douze degrés de l’humilité, il décrit donc les douze degrés de l’orgueil, qui sont, d’après lui, la curiosité, la légèreté d’esprit, la folle joie, la jactance, la singularité, l’opiniâtreté, l’arrogance, la présomption, l’hypocrisie, la révolte, la licence et l’habitude de pécher. Nous devons à cette méthode quelques portraits qui ne dépareraient pas la galerie des Caractères de La Bruyère, notamment les portraits du moine qui s’abandonne à la jactance et de celui qui recherche la singularité.
2° Le Liber de diligetido Deo, P. L., t. clxxxii, col. 973 sq., parut vers 1126. Bernard l’adresse à son ami, un Français, originaire de la Châtre, le cardinal Haimeric (ou Aimery), chancelier de l’Église romaine. Le sujet qu’il traite est l’amour de Dieu, l’amour alfectif. D en décrit la mesure, modus, les causes, l’origine, les degrés et l’obligation. Il emprunte à Sévère de Milève (croyant l’emprunter à saint Augustin) la belle formule : « La raison d’aimer Dieu, c’est Dieu lui même ; et la mesure de l’aimer, c’est de l’aimer sans mesure. » Causa diligendi Deum, Deus est ; modus, sine modo diligere. Cet amour a pour motif, non seulement Dieu lui-même et ses perfections, mais encore notre propre avantage. Nous commençons par nous aimer et nous nous élevons insensiblement à l’amour de Dieu jusqu’au mépris de nous-mêmes. On passe ainsi par différents degrés : l’amour de soi, l’amour de Dieu pour soi, l’amour de Dieu pour lui-même, et enfin l’amour pur, en d’autres termes, par l’amour-propre, l’amour mercenaire, l’amour filial et l’amour béatifique. Tous les hommes sont obligés d’aimer Dieu : les gentils, les juifs et surtout les chrétiens. « Que rendrai-je au Seigneur pour ce qu’il m’a donné ? Dans sa première œuvre (la création) il m’a donné à moi-même ; dans la seconde (la rédemption), il se donne lui-même à moi ; et en se donnant, il m’a rendu à moi-même. Donné et rendu à moi-même, je me dois donc à lui et je me dois deux fois. » C. v, n. 15. — Le traité De diligendo Deo est un de ceux qui tentèrent de bonne heure les traducteurs. Il se trouve à Nantes dans le manuscrit du musée Dobrée (dont nous avons parlé plus haut), à la suite des sermons sur le Cantique des Cantiques, fol. 162, sous ce titre : « L’epistle l’abei Bernart de Cleresvals a un eveske cardinal, de diligendo Deo. Al baron noble sanior diacone et cardinal et cancelier de le romaine glise, Bernars, ki abes est apelez. »
3° L’Apologia ad Guillelmum S. Theodorici abbatem, écrite vers 1127. P. L., t. clxxxii, col. 896 sq. — La façon sévère dont les cisterciens appliquaient la règle de saint Benoît était une leçon indirecte adressée aux bénédictins. Certains moines de Clairvaux eurent en outre l’imprudence de la souligner par une critique mordante des usages clunistes. Pierre le Vénérable releva ces reproches, en traitant les cisterciens de « pharisiens » . Bernard, qui avait blâmé assez vertement les clunistes dans sa lettre à Robert, Epist., i, se trouvait de la sorte sous le coup du blâme de Pierre le Vénérable. Ses amis s’émurent de cette situation. Guillaume de Saint-Thierry (de Reims), qui appartenait lui-même à l’ordre bénédictin, lui conseilla de se défendre et de s’expliquer. De là l'Apologia. « Je ne vois pas bien, dit Bernard, ce que vous demandez de moi. Si je vous ai bien compris, il me faut faire réparation aux clunistes, qui nous accusent d’être leurs détracteurs ; il me faut aussi reprendre dans leur nourriture et leur habillement tous les abus que vous me signalez. Comment le faire sans scandale, et comment échapper au reproche de me contredire moi-même ? » L’abbé de Clairvaux commence par se justifier du reproche d’intolérance ; il fait 1 éloge de toutes 1rs communautés religieuses, notamment de Clunv. et prend à partie les membres de son ordre qui jetaient imprudemment le discrédit sur les moines noirs. Après avoir ainsi infligé aux « pharisiens » de Citeaux une leçon dans laquelle Pierre le Vénérable eût reconnu ses propres pensées, il se sent plus à l’aise pour signa-I i et censurer les dérèglements de l’ordre bénédictin. Son blâme porte sur la nourriture, le vêtement, le luxe des équipages. Il s’en prend même au style et à la décoration des églises. Les représentations figurées lui paraissent un hors-d’œuvre dans les monastères. A plus forte raison proscrira-t-il la sculpture symbolique. De là l’invective fameuse qui commence par ces mots : « Dans les cloîtres, sous les yeux des frères occupés à lire, à quoi bon ces monstres ridicules, ces belles horreurs, ces horribles beautés ? A quoi bon ces singes immondes ? ces lions farouches ? ces centaures monstrueux ? ces êtres demi-humains ? » etc. Apologia, n. 29. « Si vous n’avee pas honte de ces inepties, ajoute-t-il, ayez au moins îionte des dépenses qu’elles vous causent. » C’est sur cette dernière réflexion que Bernard clôt ses critiques.
4o Traclalus (Episl., xlii) ad Henricum, Senonensem archiepiscopum, de moribus et officio episcoporum, écrit vers 1127. P. L., t. CLXXXll, col. 809 sq. — Après avoir vécu quelque temps à la cour dans la dissipation, Henri s’était retiré dans son diocèse, à l’instigation de Geoffroy de Chartres, pour y vaquer aux devoirs de sa charge. L’abbé de Clairvaux, profitant de cette circonstance, lui adressa une lettre où il préconise les qualités des bons évêques. Entre toutes les vertus qu’il lui recommande, la chasteté, la charité’et l’humilité sont au premier rang. L’humilité est le fondement des autres vertus, elle « les reçoit, les conserve et les consomme » , Humilitas virtutes alias accepit… servat acceptas… se, raïas consummat. C. v, n. 17. Bernard, qui excelle dans la satire, stigmatise avec vigueur l’ambition des évéques, leur luxe et leur amour de l’indépendance. Il insiste sur le devoir qu’ils ont de se soumettre à Rome. Le gallicanisme commençait à poindre ; l’abbé de Clairvaux le combat. « Si vous, dit-il, malgré votre dignité, vous rendez vos devoirs aux successeurs de César, c’est-à-dire au roi, en assistant assidûment à sa cour, à ses conseils, à ses affaires, à son ost, pourquoi serait-il indigne de vous de paraître, vis-à-vis du vicaire du Christ, quel qu’il soit, dans la dépendance que l’antiquité a établie entre les Églises ?… Que ceux qui vous dissuadent de subir ce qu’ils appellent cette ignominie apprennent ce que c’est que de résister à l’ordre de Dieu. » C. viii, n. 31. Henri devait apprendre plus tard quelle était l’autorité de l’Kglise romaine, car il fut frappé de suspense par Innocent II. Mais en 1140, il était rétabli dans sa dignité. Ce fut lui qui présida le concile de Sens où fut condamné Abélard.
5o Traclatus de gratia de libero arbitrio, composé vers 1127, P. L., t. clxxxii, col. 1001 sq., et adressé, comme VApoloyia, à Guillaume de Saint-Thierry. Mabillon, dans son Admonilio, fait de cet opuscule un éloge extraordinaire. Nous aurons l’occasion d’en donner une analyse succincte, quand nous examinerons la doctrine di’l’abbé de Clairvaux sur la justification et la prédestination.
6o De laude novse militiee ad milites Templi, P. L., t. CLXXXII, col. 921 sq., adressé à Hugues de l’avns (canton de Troyes), fondateur et premier maître de ) ordre des Templiers. Cet ordre avait pris naissance en 1119 ; après neuf ans d’existence, il ne comptait encore que neuf membres. Le concile de Troyes (1128) lui donna ses encouragements. Hugues sollicita l’appui de l’abbé de Clairvaux, en même temps que l’approbation de Rome. La règle des Templiers fui des luis ébauchée.
Un peu plus tard, entre 1132 et 1136, Bernard adressa à Hugues son traité De lande novae mililise. Il fait l’éloge de la nouvelle chevalerie » et en prend occasion de critiquer la chevalerie ancienne, « la chevalerie du siècle. » Tout diffère entre elles, le costume, la vie et les mœurs, tout, jusqu’à la mort même. Tout ou presque tout est blâmable chez les chevaliers du monde, tout est louable chez les Templiers. Non content de louer la vie pieuse de ces derniers, que gouverne une règle sage, Bernard justifie l’usage de la guerre. Il n’y a pas de loi qui interdise au chrétien de frapper du glaive. Ce qui est défendu c’est la guerre inique, c’est surtout la guerre entre chrétiens. « Tuer les païens serait même interdit, si on pouvait empêcher de quelque autre manière leurs corruptions et leur oter les moyens d’opprimer les fidèles. Mais aujourd’hui il vaut mieux les massacrer, afin que leur épée ne reste pas suspendue sur la tête des justes. » Ibid, c. 111, n. 4, col. 924. « Ils peuvent combattre les combats du Seigneur, ils le peuvent en toute sécurité, les chevaliers du Christ. Qu’ils tuent l’ennemi ou meurent eux-mêmes, ils n’ont à concevoir aucune crainte ; subir la mort pour le Christ ou la donner, loin d’être criminel, est plulot glorieux. Le chevalier du Christ tue en conscience et meurt Iranquille ; en mourant il travaille pour lui-même ; en tuant il travaille pour le Christ. Ce n’est pas sans raison qu’il porte un glaive ; il est le ministre de Dieu pour le châtiment des méchants et l’exaltation des bons. Quand il tue un malfaiteur il n’est pas homicide, mais (excusez le mot) malieide, et il faut voir en lui le vengeur qui est au service du Christ et le défenseur du peuple chrétien. La mort des païens fait sa gloire parce qu’elle est la gloire du Christ ; sa mort est un triomphe, parce qu’elle l’introduit au séjour des récompenses éternelles. » Ibid. Après avoir développé sa thèse, l’abbé de Clairvaux termine son ouvrage par des considérations morales sur les lieux saints, sur le Temple, où résidaient les nouveaux chevaliers, sur Bethlébem, sur Nazareth, sur le mont des Oliviers et la vallée de Josaphat, sur le Jourdain, sur le lieu du Calvaire, sur le saint sépulcre, sur Bethphagé el enfin sur Béthanie, « le castel de Marie et de Marthe, où Lazare fut ressuscité. »
7o Epistola scu dialogus super Antiphonarium cistercieiisis ordinis. P. L., t. clxxxii, col. 1121. — Le chapitre cistercien avait chargé, vers 1132, l’abbé de Clairvaux de réformer le graduel et l’antiphonaire dont l’ordre se servait. Vu ses nombreuses occupations, il eût été difficile au saint abbé de mener seul à bien cette grave entreprise ; mais il sut s’adjoindre des collaborateurs d’une science éprouvée, et c’est à eux qu’il faut attribuer le traité De vanta, qui porte son nom dans plusieurs éditions de ses œuvres. L’abbé de Clairvaux se contenta d’y joindre une préface sous forme de lettre et d’en recommander la transcription exacte dans toutes les maisons de l’ordre. Mais c’est à tort qu’il blâme, dans cette lettre, comme profondément altéré el entaché de fautes grossières, l’antiphonaire de Metz, que ses collaborateurs avaient consulté. Voir sur ce point Vacandard, Vie de saint Bernard, 2< ou 3e édit., t. 11, p. 104-107.
8o Officium de sancto Victore. P. L., t. clxxxiir, col. 775-780, col. 371-376. Date incertaine. — L’abbé de Montiéramey sollicita de l’abbé de Clairvaux un oiïco de saint Victor, confesseur, l’un des patrons de son monastère. Voici comment Bernard concevait la missimi qui lui était confiée : « Dans les solennités religieuses, ce qu’il faut entendre, ce ne sont pas des nouveautés ni des œuvres composées à la légère, mais des choses authentiques et recommandables par leur antiquité, qui édifient l’Église et sentent la gravité ecclésiastique…
Que le chant même, s’il y en a, soif plein de gravité, qu’il ne seule ni la mollesse, ni la rudesse. Suave sans être léger, qu’il ne charme les oreilles que pour émouvoir les cœurs. Ce n’est pas un léger dommage pour la piété, que d’être détourné, par la légèreté du chant, du prolit qui doit être attaché au sens des paroles, et de s’appliquer davantage à combiner des sons qu’à insinuer des vertus. » Epist., cccxcviii, n. 2, P. L., t. ci. xxxii, col. 610. Les leçons de l’office turent empruntées aux panégyriques de saint Victor, que composa l’abbé de Clairvaux, P. L., t. CLXXXIII, col. 371-376. Il faut y joindre douze répons, vingt-sept antiennes et trois hymnes, dont le texte seul nous est parvenu, sans la notation. Selon toute vraisemblance, Bernard ne fit qu’adapter à son texte des phrases mélodiques déjà connues. Ses vers sont loin de valoir sa prose. Il n’a tenu compte que du nombre des syllabes, sans égard pour la quantité prosodique. « Quant au chant, écrit-il lui-même, j’ai composé, ces hymnes, en négligeant la mesure, pour ne m’occuper que du sens. » Quod ad cantum speclat, hymnum capiposui, metri negligens, lit sensui non deessem. Epis/., CCCXCVIII, n. 3, loc. cit.
9° Tractatus (Episl., lxxvii, ad Hugoneni de S. Vietore) de baplismo aliisque quæstionibus ah ipso proposilis. P. L., t. clxxxii, col. 1031 sq. — Hugues de Saint-Victor, si célèbre par ses ouvrages théologiques, avait questionné Bernard au sujet de divers problèmes posés par un théologien dont il ne dévoile pas le nom. L’anonyme enseignait : 1. que le précepte du baptême était devenu obligatoire à partir du jour où Notre-Seigneur avait dit à Nicodème : Nisi quis renatus fwrit, etc., , Toa., iii, 5 ; 2. que personne ne pouvait être sauvé sans le baptême ou, à son défaut, sans le martyre ; 3. que les Pères de l’Ancien Testament avaient eu une connaissance de l’Incarnation, aussi claire que les chrétiens ; 4. qu’il n’y avait pas de péché d’ignorance ; 5. que Bernard s’était trompé lorsqu’il avait écrit, dans une de ses homélies Super Missus est, que le mystère de l’incarnation avait été caché aux anges avant le jour de l’Annonciation. Bernard réfute toutes ces théories. Nous verrons ce qu’il dit du baptême et de la connaissance des anges, quand nous étudierons sa doctrine sur les sacrements et sur les anges. Les théories sur le péché d’ignorance et sur la science des Pères de l’Ancien Testament ont aidé à soulever le voile de l’anonyme. Deutsch, Peler Abeilard, Beilage, p. 466-472, nous parait avoir assez bien établi que les erreurs signalées par Hugues de Saint-Victor et réfutées par saint Bernard se trouvent dans les œuvres d’Ahélard. Il faut noter les expressions dont se sert l’abbé de Clairvaux pour stigmatiser le novateur, c. ii, 7 ; iii, 11 ; iv, 10. Si cette conjecture est juste, le traité a dû être composé entre 1136 et lliO.
10° Sermo seu liber de conversione ad clericos. P. L., t. ci. xxxii, col. 834 sq. — bans un de ses voyages à Paris, en 1140, Bernard fut invité par l’évêque, Etienne de Senlis, à prêcher devant la jeunesse des écoles. Ce sermon a été’conservé ; revu et corrigé, il est devenu un véritable traité sur la conversion. La péroraison surtout offre un intérêt historique. L’abbé de Clairvaux fait de l’immoralité des clercs une peinture extrêmement vive. Lt les professeurs, mêlés à la foule des étudiants, ne sont guère mieux traités que leurs élèves : « Malheur à vous qui tenez les clefs non seulement de la science, mais encore de l’autorité ! etc. »
11° Tractatus (Epist., exc) contra quædam capitula errorum Abœlardi (adressé à Innocent II en 1140), auquel il laut joindre les Capitula hæresum Pétri Abœlardi. P. L., t. clxxxii, col. 1049 sq. Nous aurons l’occasion d’étudier plus loin ces ouvrages à propos de la lutte de saint Bernard avec Abélard.
12° Liber de præcepto et dispensatione. P. L., t. clxxxii, col. 860 sq. Ouvrage composé avant 1143. — Bernard avait été consulté par les moines de Saint-Pierre de Chartres, à l’insu de leur abbé, sur divers points de règle, notamment sur la gravité des fautes commises contre la règle bénédictine. Il envoie sa réponse à Boger, abbé de Colombe, du même diocèse, pour que celui-ci la transmette aux pétitionnaires, en passant par les mains de leur abbé. L’un des points sur lesquels porte son examen, c’est la gravité d’une faute contre le silence. Si la transgression n’est que l’effet de l’oubli et de la distraction, elle constitue à peine une faute, vi.r peccatum repulatur. Si elle est commise en mépris de la règle ou du supérieur, elle peut constituer un péché mortel. Mais il laut bien remarquer que la négligence, qui vient de la langueur et de l’inertie, n’est pas mépris, lequel procède de l’orgueil et d’une volonté’délibérée. Mabillon, Admonitio, loc. cit., col. 859, montre que cette doctrine de l’abbé de Clairvaux. est, en tout point, conforme à celle de saint Thomas, Svm. theol., II a II æ, q. lxxxvi, a. 9. L’ouvrage forme un admirable traité d’obéissance monastique et fait valoir les avantages et les mérites d’une vie soumise à la règle. Bernard admet une hiérarchie entre les ordres religieux. Leur dignité se mesure sur le degré de perfection morale et la somme de sacrifices que chacun d’eux représente ; les ordres les plus sévères l’emportent sur les ordres d’une observance plus large. Les chartreux, par exemple, occupent, au regard de l’Église, un rang plus élevé que les chanoines réguliers ; et dans le seul ordre bénédictin l’abbé de Clairvaux n’hésite pas à attribuer la prééminence aux cisterciens, non par un vain sentiment d’amour-propre ou par esprit de corps, mais parce que ces religieux observent la règle plus strictement et plus littéralement que ne le font les clunistes et les autres moines noirs : Districtionctn litteratoriam profitentur cister denses, c. xvi, n. 47. De cette théorie, en apparence frivole et bonne à entretenir dans l’Eglise l’esprit de coterie et une inégalité contraire à l’Evangile, découlent au contraire des conséquences pratiques fort justes et appropriées aux besoins de l’àme qui tend à la perfection. Si cette âme n’a jamais le droit d’aspirer à descendre, il ne lui est pas toujours interdit d’aspirer à monter. De là pour elle la possibilité de commuer ses vœux. Bernard admet en principe, comme légitime et agréable à Dieu, le passage des prémontrés et des moines noirs dans l’ordre cistercien. En pareil cas, « quitter son monastère, c’est encore une manière de déserter le siècle » (cf. Epist., xxxiv, n. 1). cela forme en quelque sorte une seconde conversion. A lire, sur ce point, Le prœcepto et dispensalione, c. xvi en entier. Mais tout changement qui serait l’effet d’un pur caprice est à réprouver. Pour qu’un religieux puisse sans péché abandonner sa résidence et rompre son vœu de stabilité, il faut qu’il montre des signes incontestables de vocation extraordinaire et soit muni, s’il est possible, du consentement de son supérieur. La même liberté s’étend au profès qui se verrait dans l’impossibilité morale de remplir dans son monastère les engagements qu’il a pris devant Dieu.
13° Liber de vitae et rebus gestis sancti Malachiæ, Hiberniæ episcopi. P. L., t. clxxxii, col. 1073. — Malachie, archevêque d’Armagh, en Irlande, mourut à Clairvaux, en 1 148. Sur le désir de Congan, abbé dTnislounagh, et des communautés cisterciennes de l’Irlande, Bernard raconta la vie de son ami défunt. C’est une très importante page d’histoire. Dans le c. xix, il trace un magistral portrait du saint archevêque. Il ne lait aucune mention de la fameuse prophétie attribuée à saint Malachie. Sur le caractère apocryphe de cette prophétie, composée en 1590, voir Vacandard, Revue des questions historiques, juillet 1892, p. 50-53 ; Harnack, Ûeber Verfasser und Ziml ; der Prophctia Malachiæ, dans Brieger, Zeitschrift fur Kirchengeschichte, t. iii, p. 319.
14° Libri quinque de consideratione ad Eugenium III. P. L., t. clxxxii, col. 727 sq. — C’est le plus important des traités de saint Bernard. Le I er livre fut composé en 1149 ; le II » en 1150 ; le IIP en 1152 ; les IVe et Ve peu après. L’abbé de Clairvaux y laisse paraître les préoccupations qui assiègent son esprit, selon la date. C’est ainsi qu’au début du 1. ii, il se disculpe de l’insuccès de la seconde croisade. L’ouvrage a pour objet de tracer au pape une sorte d’examen de conscience. Le premier objet de la considération d’un pape, c’est lui-même ; le second, c’est sa maison, qui comprend les officiers subalternes et au sommet le sacre-collège. « Dans la curie, soyez pape ; chez vous, soyez père. » Il taut pourtant craindre que la familiarité ne blesse le respect. « Que vos familiers vous aiment, sinon faites qu’ils vous craignent. » Le troisième objet de la considération, c’est l’Église universelle. Le pape est l’évêque des évêques ; il gouverne l’Église par le moyen des légats, sorte de missi dominici, chargés de visiter les provinces ecclésiastiques ; par le moyen des appels et par les exemptions. Bernard dénonce les abus que cette triple institution a engendrés, et exhorte Eugène III à y remédier. Au delà de l’Église catholique, il semble qu’il n’y avait plus rien. Mais il reste encore les infidèles, les juifs, les sehismatiques et les hérétiques ; le pape est leur « débiteur » , et sa sollicitude doit s’étendre jusqu’à eux. C’est là un autre objet de sa considération. En qualité de souverain temporel et de « successeur de Constantin » * que le pontife considère aussi quels sont ses devoirs à l’égard du peuple romain, si difficile à gouverner. Enfin, que dans les rapports entre I Eglise et les États, il tienne ferme le glaive que le Christ a placé entre ses mains. Le 1. V a pour objet Dieu et le mystère de la Trinité. Bernard y fait de mystiques considérations et réfute, en passant, les théories de Gilbert de la Porrée. Vacandard, Vie de saint Bernard, c. xxxii, t. ii, donne une analyse détaillée de tout l’ouvrage.
III. EPITRES. —
Du vivant même de saint Bernard, on se disputait ses lettres. Vers 1145, son secrétaire Geoffroy en fit un premier recueil, qui comprenait non pas trois cent dix lettres, comme on l’a dit, Huffer, op. cit., p. 186 ; cf. Bréal, Historiens des Gaules, t. xv, p. 542, mais seulement deux cent trente-cinq. La dernière lettre de ce Corpus epistolarum était vraisemblablement l’épître ad Bomanos, écrite en 1145, qui porte dans l’édition Mabillon-Migne le n. 243. Cf. Vacandard, Vie de saint Bernard, 1™ édit., p. xi, note 1. Une collection très ancienne olfre trois cent dix épilres. L’édition Migne, qui a pour fonds principal celle de Mabillon de 1690, augmentée par Martène, fournit quatre cent quatre-vingt-quinze lettres, parmi lesquelles on en compte trente-sept qui sont des correspondants de l’abbé de Clairvaux ou parlent de lui. Des lettres qui portent le nom de Bernard, cinq sont des doublets par suite d’une erreur de Martène ; ce sont les épîtres ccccxxviii, ccccxxx, CCCCXLIV, CCCCLII, CCCCLIII. P. L., t. clxxxii, col. 626, note 1087. Huit sont apocryphes ou douteuses : Epist., CCCCLVI, CCCCI.X, CCCCIXI, CCCC’.XII-CCCCXXVI, CCCCLXX.Ce déchet est largement compensé par un appoint de trente-six pièces, éditées dans d’autres recueils et ainsi décomposées : sept lettres de Bernard et vingt-neuf de ses correspondants. Cf. Kervyn de Lettenhove, Bulletin de V Académie royale de Belgique, 2° série, t. XI, n. 2 ; t. XII, n. 12. La liste ainsi grossie comprendrait cinq cent huit lettres authentiques, auxquelles il faut ajouter une lettre éditée par le P. Satabin dans les Etudes religieuses, juin 1894, vingt-quatre lettres (vingt de Bernard et quatre de ses correspondants) découvertes par M. G. Huffer, Der heilige Bernard, t. i, p. 228-237, une êpître aux abbés réunis à Citeaux, Neues Archiv, t. v (1888), p. 459, s.. il au total cinq cent trente-quatre (’pitres. Signalons en outre deux lettres de Bernard encore manuscrites, la première ail geuteni Anglorum, à propos de la croisade, Biblioth. nation. Paris, fonds lat., H815, p. 2x7 » -288 1 >, la seconde adressée à l’archevêque et au clergé de Cologne, même sujet. Biblioth. de Munich, mss. 22201, fol. 257. Du reste, nous savons par des témoignages explicites, non moins que par des conjectures solides, que la correspondance inédite ou perdue de l’abbé de Clairvaux est fort considérable.
Ce n’est pas le lieu d’indiquer le contenu et la date de toutes les lettres que nous possédons. Nous avons vu que les 243 numéros qui furent compris dans le recueil de Geoffroy sont antérieurs à ll16. Mais le secrétaire de saint Bernard a tenu fort peu de compte de l’ordre chronologique, sauf pour la période qui correspond à son séjour à Clairvaux, c’est-à-dire de 1140 à 1145. Souvent, les lettres sont groupées par sujets traités ou par destinataires ; les numéros 113 à 120, par exemple, sont tous adressés à des femmes, bien qu’ils appartiennent à des époques différentes. Ce désordre chronologique est plus sensible encore dans les additions successives qui sont venues grossir le Corpus epistolarum. Ceux qui voudraient connaître les dates des lettres de l’abbé de Clairvaux, devront se reporter à la première édition de notre Vie de saint Bernard, t. il, p. 564 sq,
IV. ŒUVRES SUPPOSEES. —
L’abbé de Clairvaux était trop riche en œuvres pour qu’on ne lui prêtât pas des écrits dont on ignorait la paternité, pourvu qu’ils ne parussent pas trop indignes de son génie ou de sa piété. Presque tout un volume de Migne, P. L., t. clxxxiv, est rempli de ces ouvrages supposés.
Dans la Bibliographia Bernardina de Janauschek, p. v sq., les titres des ouvrages en prose soit imprimés, soit manuscrits, faussement attribués à saint Bernard, s’élèvent au nombre de cent vingt. Il est vrai que plusieurs forment double emploi. Nous citerons Vlmitatio Jesu Christi, la Bigle des Chevaliers du Temple, œuvre de Jean de Michel ; un Psalterium B. Mariæ Virginis ; et le Memorare qui a été composé assez tardivement avec quelques phrases empruntées à saint Bernard, sermon iv sur l’Assomption, n. 8, et sermon dans l’octave de l’Assomption, n. 15, P. L., t. clxxxiii, col. 428, 438.
On a aussi attribué à l’abbé’de Clairvaux quelques ouvrages métriques ou rythmiques. Pierre Bérenger l’accuse d’avoir composé dans sa jeunesse des chansonnettes légères. Peut-être s’agit-il de quelques essais de versification. Il ne nous en reste rien. Dans la Bibliographia Bernardina de.Ianausehek, p. xi-xiv, le nombre des poèmes faussement attribués à saint Bernard s’élève à cinquante-si’pt. Nous citerons seulement l’antienne Aima Redemptoris mater, qui est de Hermann Contract ; l’hymne Ave maris Stella ; l’antienne Ave Begpia cselorum ; e Salve Regina, qu’un moderne, le docteur Eladio Oviedo Arce, Memoria sobre et autor de la Salve, Compostelle, 1903, attribue à San Pedro de Mezonzo ; la prose Lœtabundus exultet fidelis chorus. Sur Les poèmes latins attribués à saint Bernard, par Hauréau, Paris, 1890, cf. Vacandard, Revue des questions historiques, 1er janvier 1891, p. 218 sq.
Le xv siècle ne donna pas d’édition complète des Œuvres de saint Bernard. En 1508 parut la suivante : Melliflui deeotique sa>tcti Bernardi abbatis Clarevallensis Cisterciensis ordinis opus preclarum complectens serrnones de tempore, île sanetis et super Gantica canticorum. Aliosque pluresejus serrnones et sententias nusquam hactenus impressas. Ejusdem insuper epistolas, ceteraque universa <jus opuscula, Domini quoque Gilleberti abbatis de Hoilandia m Anglia prelibati ordinis super Cantica serrnones. Omnia eecundum serietn hic inferius annotatam collocata, vigilanter et accurate super vetustissimii Clarevallis exemplaria apprime correcta. Janauschek, Bibliographia Bernardina, n. : >.">t>, p. M, donne le détail des titres. En 1513, 1515 et 1517, Jean l’eiit donna de nouvelles éditions des œuvres complètes. Ci. Janauschek, op. cit., n. 879, 886, W2. Wec la Bibliographia Bernardina de Janauschek on suit aisément la série des éditions jusqu’à celle d’Horstlus.
Mabillon, après Horstius, a donné, au xvir siècle, plusieurs éditions des ouvrages de l’abbé de i ilairvaux. La meilleure figure sous le n. 1306 de Janauschek : ^<in<ti Bernardi, abbatis primi Clarx-Vallensis, Opéra omnia cutn genuina, (uni spwia, dubia i’-. 2 ln-iol., Paris, I690,
En 1710, Ttené Mnssuet et François Le Texier en donnèrent une nouvelle édition, légèrement augmentée (Janauschek, D. I’ijS), mais typographiquement tort défectueuse. Cinq ans plus tard (1724), Edmond Marlène et Ursin Durand la rééditèrent avec un supplément de lettres de saint Bernard (Janauschek, n. 1489). Cette édition a été plusieurs fois réimprimée depuis. Elle a servi de base aux éditions de l’abbé Migne, Paris, 1854, 1859, 1879. Nous citerons l’édition de 1859, dont le t. IV, paru en 1860, renferme de nombreux documents nouveaux. P. L., t. clxxxijCLXXXV.
III. Lutte contre Abélard. —
Elle a déjà été exposée à l’article Abélard, t. i, col. 43-48. Nous nous bornerons à faire ici quelques légères additions ou rectifications.
L’enseignement d’Abélard, déjà une première fois condamné en 1121, recommença à soulever des protestations en 1138-1139 : témoin la lettre que lui adressa Gautier, évêque de Laon, d’Achery, Spicilegium, t. ii, p. 473-479, et la lettre de Guillaume de Saint-Thierry à saint Bernard et à Geoffroy évêque de Chartres. P. L., t. clxxxii, col. 512. Bernard eut une entrevue avec Abélard et obtint de lui une promesse de rétractation ou du moins de prudence dans son langage. Mais le novateur, encouragé par ses disciples, prit bientôt l’offensive et provoqua l’abbé de Clairvaux à un débat public au concile de Sens. Ce concile eut lieu non pas en 1141, comme ledit le P. Portalié, t. i, col. 37, après M. Deutsch, Die Synode zu Sens HU1 und die Verurtheilung Abàlards, in-8°, Berlin, 1880, mais en 1140, comme on l’a cru jusqu’ici. Cf. Vacandard, Revue des cjuest. Iiist., juillet 1891, p. 235-245 ; Wilhelm Meyer, Die Anklagesàtze des heil. Bernhard gegen Abtslard, dans Nachrichten der K. Gesellsc/iaft der Wissenschaften zu Gôttingen, philologiscli-ltislorisc/ie Klasse, 1898, fasc. 4, p. 420. Bernard fit quelque difficulté d’engager la lutte contre Abélard. Finalement il se rendit à Sens et devint le rapporteur du concile. Il « produisit devant l’assemblée la théologie de maître Pierre, et après en avoir extrait une série de propositions qu’il avait notées comme absurdes ou hérétiques, il adjura maître Pierre ou de les renier, ou de les justifier, ou de les corriger » . On sait comment Abélard répondit à cette invitation. Au lieu d’entreprendre sa justification, il en appela à Borne et sortit. Le concile n’en continua pas moins son œuvre. Il discuta les propositions suspectes que lui soumettait l’abbé de Clairvaux, et faisant un recueil de celles qu’il jugea à propos de condamner, il l’envoya au pape Innocent II, pour qu’il les condamnât lui-même. Voir, t. i, col. 38, la suite de cette aflaire.
Les propositions condamnées portent ordinairement le titre de Capitula, ou chefs d’accusation, Capitula hseresum Pétri Abœlardi. M. Wilhelm Meyer, op. cit., en a donné le texte le plus authentique, d’après les manuscrits 15139 (fol. 301) de la Bibliothèque nationale de Paris ; 40 (fol. 112 » ), de Valenciennes ; 22299 (fol. 1), de Munich ; 22271 (fol. 97), de Munich ; 998 (fol. 173), de "Vienne. Il faut réduire, ce semble, la liste des Capitula à 18. Le Capitulum 3 de la liste, publiée t. i, col. 44 : Quod Spiritus Sanclus sit anima mundi, estune interpolation. Abélard, en effet, l’ignore dans la réfutation qu’il entreprit des Capitula. Ct. Confessio fidei, P. L., t. CLXXVllt, col. 106. Et elle est trop grave pour qu’il l’eût passée sous silence, s’il l’eût rencontrée dansletexle qu’il avait sous les yeux.
Au sujet de ces Capitula, on peut se demander quel en est l’auteur, quelles en sont les sources et la légitimité, et d’où vient le Capitulum, interpolé, sur le Saint-Esprit, âme du monde.
L’auteur principal des Capitula est l’abbé de Clairvaux ; c’est lui qui avait dressé pour le concile les propositions à examiner. Il se peut que la discussion des textes ait amené quelques légères modifications de détail. Vraisemblablement certaines propositions incriminées ont été écartées, comme étant susceptibles d’une bonne interprétation. Maïs Bernard est, en somme, responsable des dix-huit chets d’accusation qui sont restés à la charge d’Abélard.
D’où les avait-il tirés ? Si l’on en croyait le texte lu par Abélard, Confessio fidei, loc. cit., et certains manuscrits (Paris 15139, Valenciennes 40, Munich 22299), les Capitula auraient été extraits, partie de la Theologia, partie du Livre des Sentences de maître Pierre, partie du livre qui a pour titre : Scito teipsum. Cette allégation est contestable. Guillaume de Saint-Thierry dit qu’il a puisé les propositions à condamner dans la Theologia ; et les Excerpta, qui comprennent quatorze Capitula, avouent la même origine. Besterit les n os 10, 14, 16, 17. Faut-il croire que ceux-ci proviennent du Liber Sententiarum et du Scito teipsum- ? M. Wilhelm Meyer n’a pas trouvé de formules qui leur correspondent dans les ouvrages édités par Bheinwald, parGietl et par le P. Denille. Epitome theologise christianæ, in-8°, Berlin, 1835 ; Die Sentenzen Rolands, 1891 ; Abielards Sentenzen und die Bearbeitungen seiner Theologie, d&nsvrchiv fur Literatur und Kirchengeschichte des Miltelalters, 1885, t. i. Le Scito teipsum ne les contient pas davantage. 11 semble donc qu’il faille s’en tenir au témoignage de l’évêque de Sens qui, dans sa lettre à Innocent II, P. L., t. CLXXXII, col. 542, déclare expressément que l’abbé de Clairvaux a extrait les Capitula de la Theologia de maître Pierre : Cum dominas abbas librum Theologias magistri Pétri proferret in médium et… Capitula de libro eodem proponeret. Mais si tous les Capitula sont tirés de la Theologia, pourquoi Bernard aflirme-t-il qu’ils se trouvent en partie dans le Liber Sententiarum et dans le Scito teipsum ? Il est vraisemblable qu’à ses yeux ces ouvrages n’étaient pas exempts d’erreurs. C’est ce qu’il écrit aux cardinaux, Epist., clxxxviii, P. L., t. clxxxii, col. 353 : « Lisez le livre de ses Sentences et celui qui a pour titre Scito teipsum ; vous verrez quelle moisson d’erreurs et de sacrilèges y fleurit ; vous verrez ce qu’il pense de la Trinité, du Christ, de la grâce, du péché, etc. » Il dénonce donc tous ces ouvrages en bloc, afin d’obtenir leur condamnation.
Les dix-huit chefs d’accusation sont-ils, au moins, exacts ? M. Meyer, qui les a contrôlés de près, déclare que la plupart des Capitula sont des extraits tout à fait fidèles ; quelques-uns seulement ne sont pas les formules mêmes employées par Abélard. Cependant il ne faudrait pas s’en rapporter à celui-ci, lorsqu’il crie à la calomnie dans sa Confessio. Il est visible que la Confessio fidei répondait à la pensée présente d’Abélard, et non à son enseignement passé. Cet ouvrage n’offre donc aucune garantie pour juger de l’exactitude des Capitula.
D’où provient l’interpolation : Quod Spiritus Sauclus sil anima mundi, entre le 2e et le 4e Capitulum : ’Vraisemblablement de l’épître exc de saint Bernard, P. L., t. clxxxii, col. 1002. La phrase s’y trouve, en effet, sous forme de prétention : Omitto… dicit Spiritum Sanctum esse animant mundi. Dans le manuscrit de Valenciennes 40, le texte des Capitula suit l’épître exc Et ce manuscrit insère la formule : Quod Spiritus Sanctus, etc., après le 2e Capitulum. M. Meyer pense que l’interpolation aura passé de là dans les manuscrits de Munich, où l’aura rencontrée Othon de Freisingen, qui la signale dans Gesta Friderici, i, 19.
L’abbé de Clairvaux ne se contenta pas d’envoyer à Borne ces chels d’accusation. Il dressa contre la doctrine d’Abélard un véritable réquisitoire, notamment dans son épître exc, adressée à Innocent II. Cette composition a été justement placée parmi les meilleures de son auteur. On lui a cependant reproché de n’embrasser pas dans leur ensemble les doctrines d’Abélard. On ne saurait au moins méconnaître qu’elle ait frappé juste. Ce que Bernard dénonce, c’est l’abus de la méthode spéculative qui forme le caractère et le péril de la théologie d’Abélard. Aussi insiste-t-il particulièrement sur ce point en divers endroits de sa lettre. La trinité et la rédemption sont 1rs seuls dogmes spéciaux dont il s’occupe avec étendue.
En même temps qu’il s’adresse au souverain pontife, l’abbé de Clairvaux circonvient les cardinaux. Il savait que plusieurs d’entre eux, notamment le cardinal Guy de Castello, et. lient favorables à Àbélard. l » e peur que le novateur n’échappât à la condamnation qu’il mérite, Bernard met la cure’en garde contre la tentation d’indulgence ; il consacre à ce sujet jusqu’à dix lettres, toutes plus pressantes les unes que les autres. Epist., CIXWVIII. CXCH, CXCIII, Cl.CXXXI-CCCXXXVI, CCCXXXVIII, P. L., t. clxxxii, col. 3.">1 sq.
On sait comment ses démarches furent couronnées de succès. Voir t. I, col. 43 sq. Il faut simplement changer les dates des rescrits du souverain pontife. Ils sont du 16 juillet 1140 et non de 1141. Cf. Yacandard, Revuedes quest. hist., juillet 1891, p. 235-245.
IV. Doctrine. —
I. SOURCES. —
Bernard nous apprend lui-même qu’il avait la douce habitude de chercher son aliment « dans la Loi, dans les Prophètes et dans les Psaumes. Souvent aussi, ajoute-t-il, je me suis reposé dans les pâturages évangéliques et aux pieds des apôtres » . In Cantica, serm. xxxiii, n. 7, P. L., t. ci. xxxiii, col. 955. La Bible lui devint à ce point familière, lui-même en fait l’aveu, que durant ses méditations solitaires elle se déroulait sous son regard comme un livre immense dont il pouvait lire à son gré toutes les pages. Pour saisir le sens du texte ou en résoudre les difficultés, il consulte rarement les commentaires des saints Pères. « Les choses, avait-il coutume de dire, ont plus de saveur quand on les goûte à leur source. » Cf. Yacandard, Vie de saint Bernard, t. I, p. i, "17.
Sa connaissance des Pères n’était cependant guère inférieure à celle des Ecritures, j’entends sa connaissance des Pères latins et surtout de ceux que ses contemporain. , considéraient à bon droit comme les plus émincnts docteurs de l’Église. Il invoque rarement l’autorit i de saint Jérôme ; mais saint Amhroise, saint Augustin et saint Grégoire le Grand sont ses auteurs favoris. Il appelle les deux premiers « les colonnes de l’Église » , el va jusqu’à dire, d’une façon évidemment oratoire : « qu’ils soient dans l’erreur ou dans la vérité, je confesse que je suis avec eux. » Tractât. X, De baptismo, etc., c. il, n. 80, P. L., t. clxxxii, col. lôliG. Il est aussi tributaire de Cassiodore, auquel il fait de notables emprunts. Cf. Vacandard, Vie de saint Bernard, l re édit., t. i, p. 458-459. Origène est, ce semble, le seul des Pères grecs dont l’exégèse lui ait été- familière. De diversis, serm. xxxiv, n. 1 ; In Cantica, serm. liv, n. 3. Il cite aussi saint Athanase dans sa lettre à Innocent II, De erroribus Abselardi, P. L., t. clxxxii, col. 1057.
II. PRINCIPES et METHODE. —
Bernard a des principes bien arrêtés en matière de foi et de théologie. Il s’en tient à l’Écriture et aux Pères ; traiter ces questions philosophiquement lui a toujours paru dangereux et suspect.
Abélard avait justement donné une définition de la foi, qui prêtait à l’équivoque. Avec quelle force l’ahbéde Clairvaux la relève ! « Dès le début de sa Théologie, ou plutôt de sa stultologie, dit-il, il définil la toi une estimation (une estimation des choses qui n’apparaissent pas, c’est-à-dire qui ne tombent pas sous les sens), comme s’il était loisible à chacun de penser et de dire en matière de foi ce qui lui plaît, on que les mystères de notre foi demeurassent suspendus à des opinions vagues et variables, au lieu d’être fondés sur une vérité certaine… « Je sais à qui j’ai cru, et je suis certain. » s’écrie l’Apôtre, el lui, lu me siuillles toul l>as : « La foi « est uniestimation. « Dans ton verbiage, tu fais ambigu ce qui est absolument certain. Mais Augustin parle autrement : « La loi, dit-il, n’est pas, dans le cu-ur où j elle réside et pour celui qui la possède, comme une « conjecture ou une opinion, elle est une science certaine, un cri de la conscience. » Loin donc, loin de nous de donner à la foi chrétienne ces limites ! C’est pour les académiciens que sont ces estimations, gens dont le fait est de douter de tout, de ne savoir rien. Pour moi, je vais en toute sécurité à l’avis du maître des gentils…, elle me plaît, sa définition de la foi : « La foi, dit-il, est « la substance des choses à espérer, l’argument des choses o non apparentes » . Heb., xi, 1. La substance de choses à espérer, non la fantaisie des vaines conjectures. Tu l’entends, la substance ! Il ne t’est pas permis dans la foi de penser et de disputer à ton gré, ni de vaguer çà et là dans le vide des opinions. Par le mot de substance, quelque chose de certain et de fixe t’est d’avance imposé, tu es emprisonné dans des limites déterminées ; car la foi n’est pas une estimation, mais une certitude. » De erroribus Abselardi, epist. ail. Innocentai, n, c. iv, 4, P. L., t. clxxxii, col. HJbT-1002.
Il ne semble pas que Bernard ait bien saisi le sens qu’Abélard attachait au mot estimation. Cf. Vacandard, Abélard, Paris, 1882, p. 396. Mais du moins il est clair qu’il réprouve toute définition de la foi qui impliquerait la moindre hésitation de l’esprit. Il distingue « trois états de l’esprit vis-à-vis de la vérité : l’opinion, la foi et l’intelligence. L’intelligence s’appuie sur la raison, la loi sur l’autorité, l’opinion sur la seule vraisemblance. Les deux premières possèdent en toute certitude la vérité : la foi sous enveloppe et comme close ; l’intelligence, toute nue et manifeste ; l’opinion, au contraire, n’a rien de certain, elle cherche le vrai par la vraisemblance plutôt qu’elle ne le saisit » . Il importe de ne pas confondre ces trois états ou altitudes de l’esprit humain. « L’opinion, qui prétendrait être affirmative, serait téméraire ; la foi, qui hésiterait serait infirme ; l’intelligence, qui essaierait de rompre le sceau de la foi, serait coupable de lèse-majesté, » repulatur scrutalor rnajestatis. VA là-dessus Bernard donne de la foi, de l’intelligence et de l’opinion, les définitions suivantes : Fides est voluntaria quseddm et certa prælibalio needum propalatse verilatis. Intellectus est rei cujusdam invisibilis certa et manifesta notilia. Opinio est quasi pro rero habere aliquid quod falsum esse nescias. De consideralione, 1. V, c. ni, n. 5-0, col. 790-791.
Il indique sa méthode quand il dit que « l’intelligence qui tenterait de rompre le sceau de la toi serait coupable de lèse-majesté » . Abélard avait posé en principe qu’on ne peut croire ce qu’on ne comprend pas : nec credi pusse aliquid, nisi jirimilus intellectum. llistoria calamitatum, édit. Cousin, p. 18. Dans cette maxime git encore une équivoque. Qu’on ne puisse croire une proposition inintelligible, c’est évident ; mais qu’on ne puisse croire une vérité qu’on ne comprend pas, c’est une erreur et une hérésie. Et c’est par crainte de tombèr dans cette erreur que l’abbé de Clairvaux s’élève si fortement contre toute tentative qui aurait pour objet de mettre les vérités de la foi à portée de la raison. Selon lui les vérités de foi sont humainement et rationnellement inexplicables ; vouloir les rendre accessibles à la raison, c’est commettre un attentai contre la foi et même contre la raison : Dum paratus est (Abélard) de omnibus reddere rationem, elian quse sunt supra rationem, ri contra rationem præsumit, ci contra fidem. « Car qu’y a-t-il de plus contraire à la raison que d’essaur de taire surpasser la raison par la raison.’El quoi de plus contraire à la foi, que de refuser de croire tout ce que la raison ne peut atteindre’.' o De erroribus Abselardi, c. i, / « <. cil., col. 1055. Bernard se bornera donc à exposer h’dogme, sans faire aucune incursion dan : ; le domaine de la théologie spéculative mise en crédit par saint Anselme, et continuée par Abélard et les SCOlastiques.
III.LA REGLE DE FOI —
Loin de s’en rapporter à sa propre raison en matière de foi, Bernard cherche dans l’Église et particulièrement auprès du souverain pontife la règle de ce qu’il doit croire. A ses yeux l’interprétation que l’Eglise donne des paroles de l’Écriture sainte est l’expression de la vérité, plus que ne l’est le texte même. In vigilia nalivilatis Domini, serin., iii, c. i. P. L., t. ci. xxxiii, col. 91. Et le pape, qui est le chef de l’Église, est l’organe de la vérité catholique. C’est de lui qu’il tant attendre la lumière dans les questions ohscures et débattues. Epist., clxxiv, c. îx, P. L., t. clxxxii, col. 33(5. Aussi hien il est infaillible. L’infaillibilité est une prérogative du siège apostolique. De erroribus Abœlanli, pra>f., P. L., t. clxxxii, col. 1053. Voir plus loin la doctrine de Bernard sur le pape.
IV. DIEU et la TRINITÉ. —
Bernard a exposé en maints endroits de ses ouvrages, mais notamment dans le Ve livre De consideratione, P. L., t. clxxxii, col. 787-808, et dans son épître à Innocent II, De erroribus Abœlardi, ibid., col. 1055-1060, ses théories sur Dieu, et la Trinité.
1° Dieu. —
Pouvons-nous connaître Dieu ici-bas ? Connaître son essence, non ; mais nous pouvons connaître son existence. La vue de la créature mène au créateur. « Toute cette variété des tonnes, tout ce nombre d’espèces que nous apercevons dans les choses créées, qu’est-ce autre chose que certains rayons de la divinité qui montrent que celui par qui elles sont existe réellement, sans nous définir pourtant ce qu’il est. Ainsi vous voyez quelque chose de lui, sans le voir lui-même, et vous savez de la sorte d’une façon indubitable qu’il existe. » In Cantica, serin, xxxi, n. 3, P. L., t. clxxxiii, col. 941.
Mais qu’est-ce que Dieu ? Pour répondre à cette question Bernard semble s’inspirer de saint Anselme. « Qu’est-ce que Dieu ? Celui qui est tel qu’on ne peut rien imaginer de meilleur. » Quid est Deusf Quu nil melius cogitari potest. De consideratione, 1. V, c. vii, n. 15, col. 797. Dans cette délinition il visait Gilbert de la Porrée qui posait une distinction un peu subtile entre Dieu et la divinité. Si la divinité n’était pas Dieu lui-même, elle serait ce par quoi Dieu est, et par conséquent quelque chose de meilleur que Dieu. « Mais cette divinité par laquelle Dieu est, n’est autre que Dieu. Il n’y a en Dieu que Dieu. Quoi ! direz-vous, vous niez que Dieu ait la divinité ? Non, mais ce qu’il a, il l’est. Vous niez qu’il soit Dieu par la divinité ? Non, mais cette divinité n’est autre que lui-même. » Bernard ne sort pas de là. Dieu est l’être simple, absolu, dont l’essence et les attributs se conlondent dans une unité incomparable. « Il est à lui-même sa forme, il est à lui-même son essence… Il est un d’une façon unique, il est un par excellence. Est viius, et quomodo aliud nihil. Si dici possit, unissimus est. En comparaison de son unité, tout ce qui est un n’est plus un. » Ibid., n. 16-17, col. 798. Il en prend Boèce à témoin.
2° Trinité. —
Et cependant Dieu est trinité. « Mais quoi ? Allons-nous détruire ce que nous avons dit de l’unité, en introduisant la trinité ? Non pas. Nous établissons, au contraire, l’unité. » Et Bernard pose le dogme tel que l’Eglise l’a défini : unité de nature, trinité de personnes. Ibid., n. 17, col. 798.
Mais est-il permis d’essayer de îaire comprendre ce » mystère ? Ce fut la tentative d’Abélard. L’abbé de Clairvaux la condamne a priori. « On nous demande, dit-il, comment ce que nous disons être le dogme catholique peut être. Qu’il suffise de savoir que cela est ainsi. Cela n’est pas perceptible à la raison, et cependant cela n’est pas ambigu comme une opinion (qu’on est libre d’admettre), mais sur à la foi. C’est un grand mystère ; il faut le vénérer, et non le scruter. Comment la pluralité est-elle dans l’unité et dans une telle unité ? et comment l’unité est-elle dans la pluralité ? Le scruter est témérité ; le croire est piété ; le connaître c’est la vie et la vie éternelle. » De consideratione, c. viii, n. 18, col. 799.
Bernard condamne ainsi toute spéculation sur la Trinité. C’est être un peu sévère. La foi et la piété n’interdisent pas un examen respectueux du mystère, quitte à reconnaître que la raison humaine ne saurait se rendre compte de la trinité des personnes en Dieu que par analogie. C’est ce qu’entreprendra de montrer saint Thomas d’Aquin, après saint Augustin et tant d’autres docteurs catholiques. Mais l’abbé de Clairvaux avait été dégoûté de ces sortes de spéculations par les tentatives malheureuses de ses contemporains, et notamment par celle d’Abélard.
Celui-ci avait cru donner l’intelligence du mystère de la Trinité en substituant certains attributs divins aux propriétés qui constituent les personnes et en attribuant aux comparaisons du genre et de l’espèce, de l’airain et du sceau, la valeur d’une véritable démonstration. Il disait, par exemple : « Le Père est la puissance ; le Fils, la sagesse ; le Saint-Esprit, l’amour ; le Père est donc une pleine puissance ; le Fils qui est sagesse est une certaine puissance ; le Saint-Esprit n’est pas une puissance, parce que l’amour n’est pas à proprement parler une puissance. » Bernard se récrie : « Le Père, dit-il, est tout ce que sont le Père, le Fils et le Saint-Esprit ; le Fils est tout ce que sont le Père et lui-même et le Saint-Esprit ; le Saint-Esprit est tout ce que sont et lui-même et le Père et le Fils. Et ce tout est un tout qui n’est ni plus grand dans les trois personnes ni moindre en chacune d’elles. » Il rejette donc comme « exécrables » , toutes les comparaisons par lesquelles Abélard prétendait donner l’intelligence du mystère. De erroribus Abselardi, c. ii, col. 1058. Une telle prétention est une atteinte portée à la raison elle-même ; « car qu’y a-t-il de plus contraire à la raison que d’essayer de surpasser la raison par la raison ? » Ibid., c. I, col. 1055.
Bref, pour l’abbé de Clairvaux le dogme de la Trinité se pose et s’expose, mais ne se discute pas et n’est pas susceptible d’une démonstration rationnelle. Vouloir l’expliquer par des comparaisons est une entreprise chimérique et coupable.
V. CHRISTOLOGIE ET RÉDEMPTION. —
1° Christologie.
Lorsque Bernard étudie le mystère du Fils de Dieu fait homme, sa grande préoccupation est d’éviter le piège où est tombé Nestorius en ne reconnaissant pas au Christ l’unité de personne en même tempsque la dualité des natures. Et il a frappé Abélard pour ne s’être pas exprimé avec assez d’exactitude sur ce point. Capitid. hxres, n. 5, P. L., t. clxxxii, col. 1051. Cf. De consideratione, 1. V, c. ix, x, ibid., col. 800-8U1.
La grave question de la science humaine du Christ, qui avait trouvé les Pères indécis et en désaccord, tut abordée par Bernard dans l’un de ses premiers ouvrages. Homil., ii, de laudibus Mariée Virginis. Y a-t-il eu progrès réel dans la science du Christ, ou seulement progrès apparent"/ Bernard se range à la seconde opinion. Commentant le texte de saint Luc, il, 52, il écrit : « Ce qui est dit ici de la sagesse et de la grâce, doit s’entendre non selon la réalité, mais selon l’apparence, non secundam quod erat, sed secundum quod appareliat intelligendum est. Car rien de nouveau ne s’ajoutait à lui qu’il n’eût déjà ; mais il paraissait croître quand il le voulait. Ton progrès, à toi, ô homme, ne se fait ni quand tu veux, ni comme tu veux. Mais en Jésus tout se faisait suivant sa volonté ; il paraissait sage quand il voulait et à qui il voulait, plus sage à qui il voulait et quand il voulait. » P. L., t. clxxxiii, col. 66. Sur cette question, cf. Revue du clergé français, 15 juillet 1903, p. 338 sq., un article, sans nom d’auteur, intitulé : La science humaine de Jésus.
La christologie de Bernard n’offre guère d’autre particularité remarquable.
2° Rédemption. —
Mais sa doctrine de la rédemption est très développée, en raison même des objections qu’elle avait rencontrées.
Dans son traité De diligendo Deo, il marque les effets de la rédemption en une phrase qui devait plus tard inspirer très heureusement saint Thomas d’Aquin : « Dieu, dit-il, nous offre ses mérites ; il se réserve pour notre récompense ; il se donne en nourriture aux âmes saintes ; il s’est livré pour le rachat des âmes captives, o Se dédit in meritum, se servat in præwiium> se appotûl in refectione animarum sanctarum, se in redeniptione distrahil captivarum. De diligendo Dco, c. vii, n. -28. P. L., t. clxxxii, col. 987. Ahélard lui fournit l’occasion d’insister longuement sur cette dernière pensée. Quelques Pères grecs, Origène et saint Grégoire de Nysse, avaient enseigné que l’homme, assujetti au démon depuis la chute, fut délivré de cet esclavage par la mort du Christ. Selon saint Athanase le Christ, se substituant à l’homme coupable, avait subi la peine due au péché d’Adam. Les principaux Pères de l’Église latine, saint Ambroise, saint Augustin, saint Grégoire le Grand, adoptent ces deux explications à la fois. Abélard les rejette : « Je crois, dit-il, que le démon n’a jamais eu sur l’homme d’autre pouvoir que celui d’un geôlier, et je crois aussi que le Fils de Dieu ne s’est pas incarné pour nous délivrer. » Capilul. hæres., 4, loc. cit., col. 1050.
On connaît l’éloquente apostrophe par laquelle l’abbé de Clairvaux lui répond : « Qu’y a-t-il de plus intolérable dans ces paroles, le blasphème ou l’arrogance ? Tous, dit-il, pensent ainsi ; mais moi, non. Et qui donc es-tu, toi ? Qu’apportes-tu de meilleur ? » et il essaie de l’écraser à coups de textes scripturaires ; il cherche des arguments jusque dans l’Ancien Testament ; mais il allègue surtout le Nouveau ; il cite successivement II Tim., xxv, 26 ; Joa., xiv, 30 ; Luc, xi, 21 ; Matth., xii, 29 ; Luc, xxii, 53 ; Col., i, 13 ; Joa., xix, il. Et non content de constater le fait, il veut établir que cet assujettissement de l’homme au démon est chose juste. De cette façon Abélard « comprendra que si le Fils de Dieu s’est incarné ; c’est pour délivrer l’homme. Au reste quand je dis que le pouvoir du démon sur nous est juste, je ne dis pas que sa volonté le soit. Le démon usurpe ce pouvoir, l’homme s’y assujettit lui-même ; tous deux sont criminels. Dieu seul est juste en soumettant l’un au pouvoir de l’autre… Ainsi cette sorte de pouvoir que le démon s’est acquis sans justice, qu’il a même usurpé par sa malice, ne laisse pas de lui avoir été attribué avec justice ; mais s’il était juste que l’homme fût esclave, la justice ne se trouvait ni de son côté ni du côté du démon, elle était toute du côté de Dieu » . De erroribus Abœlardi, epist. ad Innocentiuni, D. L., t. clxxxii, col. 1061-l005.
Mais qui dépossédera le démon du droit qui lui est accordé sur l’homme ? Ce sera l’Homme-Dieu en offrant à son Père une réparation condigne ; ce sera, si l’on veut, le démon lui-même par l’abus qu’il fera de son pouvoir sur l’homme. « Le prince de ce monde s’est présenté, et quoiqu’il ne trouvât rien dans le Sauveur, il n’en a pas moins porté les mains sur cet innocent ; il a perdu, du même coup, ceux qu’il retenait très justement. Comme celui qui n’était pas soumis à la mort y fut injustement condamné, il a justement délivré de l’empire de la mort, ainsi que de la servitude du démon, celui qui y était sujet. Il n’est pas juste, en effet, que l’homme paie deux lois sa dette. C’est l’homme qui devait, c’est l’homme qui a paé. Car, dit l’Apôtre : « Si un seul est mort pour tous, il s’ensuit que tous sont morts. » II Cor., v, 14. Un seul s’est chargé des péchés de tous ; la satisfaction de celui-ci doit donc être imputée à tous. Des lors on ne peut trouver de différence entre celui qui a forfait et celui qui a satisfait, car le Christ à lui seul est le corps et les membres. Le chef a donc satisfait pour les membres, le Chris) a souffert pour ses propres entrailles, lorsque, selon l’évangile de Paul, qui dément celui de Pierre (Abélard), Jésus-Christ est mort pour nous, quand il a expié nos péchés, détruit la cédule de notre condamnation en l’attachant à sa croix et qu’il a dépouillé les principautés et les puissances. Col., il, 13-1 i. » De erroribus Abxlardi, c. vi, n. 15, loc. cit., col. 1065.
Bernard montre, avec toute l’ardeur et toutes les ressources de son éloquence, la merveilleuse économie du plan divin qui substitue à Adam, chef de l’humanité coupable, Jésus-Christ, chef de l’humanité rachetée. De la sorte, on conçoit que la justice de Jésus-Christ nous soit imputée, de la même manière que l’injustice d’Adam nous l’avait été. « Si Satan court après moi, dit l’abbé de Clairvaux, comme Laban courut après Jacob, et s’il se plaint que je me sauve sans l’avoir prévenu, qu’il sache que je dois m’échapper de chez lui comme je m’étais échappé de chez mon premier maître… Si Assur me tyrannise injustement, pourquoi lui rendrais-je compte de mon évasion ? S’il me dit : C’est votre Père qui vous a. assujetti à moi, je lui répondrai : Mais mon frère m’a racheté. Puisque mon péché vient d’ailleurs, pourquoi la justice ne me viendrait-elle pas d’ailleurs également ? Je suis devenu pécheur par le fait d’un autre ; je suis justifié également par le l’ait d’autrui… Mais, dira-t-on, la justice est toute personnelle, elle n’a rien de commun avec vous. Soit ! mais alors que la faule aussi sait personnelle, elle ne me regarde pas davantage. Il ne convient pas que le fils porte l’iniquité de son père et ne partage pas la justice de son frère. Si tous sont morts en Adam, tous sont vivifiés dans le Christ. Vous m’objectez ma génération (ma naissance), je vous oppose ma régénération (ma renaissance). Si ma naissance terrestre me perd, ma génération céleste me conserve à plus juste titre… Jésus-Christ nous a été donné par Dieu son Père pour être notre justice. Eh quoi ! une justice que Dieu me donne ne serait pas à moi ! Si une faute qui m’a été transmise est à moi, pourquoi une justice qui m’est accordée ne serait-elle pas également mienne ? » De erroribus Abxlcudi, c. VI, 6, loc. cit., col. 1066.
Abélard ne comprenait rien à ce mystère de la communication de la justice, qui rend moins troublant et moins inexplicable le mystère de la transmission du péché originel. A ses yeux « notre rédemption consisle uniquement dans ce grand amour que nous inspire la passion de Jésus-Christ » , redemptio itaque nostra est illa snninia in nobis per passioneni Cltrisli dilectio. Comment, in epist. ad Rom., 1. IL Cf. Capitula lucres., loc. cit., col. 1050. Bernard ne conteste pas que cet amour que nous inspirent les souffrances du Christ ne soit un des fruits de la rédemption. A maintes reprises, il s’est étendu lui-même sur ce sujet, cl. Jn Cauliea, serm. xi, n. 7 ; De diligendo Dco, c. v, n. 5, et il y revient dans son traité De erroribus Abxlardi, c. viii, col. 1068 sq. Mais il s’attache à montrer que si la rédemption n’a pas d’autre eflet, elle n’efface pas le péché. Que devient le péché originel dans la théorie d’Abélard ? Supposons vraie sa doctrine. A quoi sert la rédemption aux enfants qui n’ont pas l’âge de comprendre et d’aimer le Christ souffrant ? Une telle théorie ne mène-t-elle pas droit au pélagianisme ? De erroribus Abmlai’di, c. ix, col. I071. » Ainsi, s’écrie saint Bernard, le Sauveur s’est borné à enseigner la justice, sans la donner ; à nous montrer un exemple de charité, sans la répandre dans nos cœurs ! Est-ce donc à cela que s’est borné ce grand mystère d’amour qui s’est montré dans l’incarnation ? » Deerroribus Abmlardi, c. vii, n. 17, col. 1067. « Pour moi, je considère trois choses dans l’œuvre de notre salut : l’état d’humilité jusques auquel Dieu s’est anéanti] la mesure de sa charité, qu’il a étendue jusqu’à la mort et à la morl de la croix ; et le mystère île la rédemption par lequel il a détruit la mort en la subissant. Retrancher ce dernier point des deux autres, c’est peindre sur le vide. Il n’est certes rien de grand et de nécessaire comme cet exemple d’humilité ; il n’est certes rien de plus grand et de plus digne de reconnaissance que cet exemple de charité, mais ni l’un ni l’autre n’ont de fondement ni de consistance sans la rédemption. » lbid., c. ix, n. 25, col. 1072.
VI. MARIOLOGIE ET INTERCESSION DES SAINTS. —
1° Opposition à la fête de l’immaculée conception. —
Bernard est l’un des plus grands serviteurs de Marie. Cependant son horreur des nouveautés lui fit suspecter une fête qui commençait à s’introduire en France de son temps : la fête de la Conception de la sainte Vierge. Son épître clxxiv, P. L., t. lxxxii, col. 332, dont on a contesté à tort l’authenticité, Ballerini, Sylloge monumentorum ad mysterium conceptionis immacutatx Virginia Deiparee illustrandum, Rome, 1856, t. ii, p. 709-821, contient à cet égard l’expression de sa pensée. L’établissement d’une telle fête ne lui paraît fondé ni en autorité ni en raison.
D’autorité, il n’en connaît pas d’autre que la légende de l’apparition de la Vierge à Helsin, moine de Ramsay, en Angleterre. On racontait que ce religieux, assailli par une tempête en traversant la Manche, avait invoqué Marie, qui était venue à son secours et, pour prix de sa protection, lui avait enjoint de célébrer désormais la fête de sa Conception, le 8 décembre. L’abbé de Clairvaux regarde à bon droit cette légende comme apocryphe.
Les raisons qu’on allègue en faveur de l’institution nouvelle ont-elles plus de valeur ? Bernard ne le croit pas. k On veut honorer, dit-il, la conception, sous le beau prétexte qu’elle a précédé la naissance, qui est sainte. Mais, à ce compte, il faudrait honorer aussi le père et la mère de Marie, qui existaient avant elle, et même tous ses aïeux. D’où viendrait la sainteté de la conception ? Dira-t-on que Marie fut sanctiliée, en même temps que conçue ? Mais elle n’a pu être sainte, avant d’être ; or elle n’était pas avant d’être conçue. Dira-t-on que la sainteté s’est mêlée à la conception ? Mais la raison n’admet pas cela. Comment y aurait-il sainteté, où n’est pas l’Esprit sanctificateur ? et comment le Saint-Esprit serait-il où est le péché ? car le péché était certainement là où était la concupiscence, ubi libido non defuit, à moins qu’on ne dise que Marie a été conçue du Saint-Esprit, ce qui est inouï… Si donc elle n’a pu être sanctifiée avant sa conception, parce qu’elle n’était pas ; si elle n’a pu l’être dans sa conception même parce que le péché y était, il reste qu’elle ait reçu la grâce sanctifiante après la conception, et existant déjà dans le sein de sa mère. C’est cette grâce qui, chassant le péché, a rendu sainte sa nativité, mais non pas sa conception. » Epist., clxxiv, n. 7. Ces derniers mots sont très significatifs : Restât ut post conceptioneni, in utero jam existens, sanctificationem acccpissc credatur, quee, excluso peccato, sanctam fecerit nalivitatem, non tamen et conceptioneni.
On a épilogue sur ce texte et on a prétendu qu’il pouvait se concilier avec le dogme de l’immaculée conception. Il faut répudier ces subtilités. Ce qui est sûr, c’est que l’abbé de Clairvaux n’admettait pas qu’on pût honorer la conception de Marie. Pourquoi ? Parce qu’elle n’était pas sainte, en d’autres termes, parce qu’elle n’était pas immaculée. Voilà le lait brutal. Il y a plus : tous ses contemporains, ses défenseurs aussi bien que ses adversaires, ont compris sa pensée de la même îaçon. Déjà sa théorie avait été refutée par Osbert de Clare, qui établit une heureuse distinction entre la conception active et la conception passive. Qu’importe que la concupiscence ait été mêlée à la génération de l’être qui fut Marie, si, par un privilège particulier, en vertu des mérites du Rédempteur, cette Vierge sainte fut exempte du péché originel ? Apprenez, disait le savant moine aux adversaires du culte de la conception, que cette fête a pour objet, non pas l’acte du péché, mais les prémices de notre rédemption : Desinant ergo infidèles et heeretici de hac sancta solemnitate in sua vanilate mulliplicia loqui, et discant quia filii matris gratiee non de actu peccali celebritatem faciunt, sed de primitif redemptionis nostrse. Osbert de Clare, dans Downside Beview, 1886, t. v, n. 2, p. 117. On ne pouvait mieux dire, et on peut regretter que Bernard n’ait pas connu, avant d’écrire sa lettre, ce langage d’une si ferme précision théologique. Du reste l’abbé de Clairvaux n’est ni un « Infidèle » ni un « hérétique » , pour avoir soutenu une opinion contraire. En cela, comme en tout point de doctrine, il soumet expressément son avis à l’autorité de l’Église romaine, tout disposé à croire ce qu’elle décidera. Epist., clxxiv, n. 9. Pour plus de détails sur ce sujet, voir Vacandard, Vie de saint Bernard, Paris, 1895, t. ii, p. 84-87 ; llànsler, De Mariée plenitudine gratifB secundum S. Bcmardum, Fribourg, 1901, p.11-39.
2 » Prérogatives de Marie. — C’est à la maternité divine de Marie que Bernard rattache les dons spirituels qui parent cette âme virginale où le ciel mit toutes ses complaisances. Et les deux vertus qui attirèrent plus particulièrement sur elle les regards de Dieu sont à ses yeux l’humilité et la virginité. Cette doctrine est répandue dans un grand nombre de ses sermons, P. L., t. clxxxiii, notamment dans les homélies Super Missus est, dans le sermon De aquxductu, et dans les sermons sur l’Assomption. « Si elle a plu par sa virginité, dit-il, c’est par son humilité qu’elle a conçu. » Super Missus est, homil. I, n. 5. Toutefois la vertu de virginité devait jouer un rôle essentiel dans la vocation de Marie. « En toute convenance, un Dieu ne pouvait naître que d’une vierge, et par la même raison, une vierge qui enfante ne pouvait mettre au monde qu’un Dieu. » lbid., homil. il, n. 1. Bernard emprunte cette belle pensée à l’hymne de saint Ambroise, Bedemptor omnium, qui fut le premier Noël chanté dans les églises d’Occident :
Ostende partum Virginis…
Talis decet partus De a m.
Marie était donc digne de porter ce grand nom de mère de Dieu : Magnum illud nomen Qioiôy.o-^.Sermo in dominica in oct. Assumpt., n. 4. Aussi ne faut-il pas s’étonr.er que Dieu ait « déposé en elle la plénitude de tout bien » . In Pentecost., serm. il, n. 1 ; In Nativit. Mariée, n. 6. Mais cette gloire fait aussi notre richesse. « Pleine de grâce pour elle-même, elle est pour nous surpleine et surabondante ; » Plena sibi, nobis superplena et supercf/luens. In Assumpt., serm. ii, n. 2. A sa grandeur est attachée une fonction. Marie, associée à Jésus pour l’œuvre de la rédemption du monde, Dominica infra oiiav. Assumpt., n. 1, 2 ; Super Missus est, homil. il, n. 3. est devenue après lui et par lui la dispensatrice de toutes les grâces. « La volonté de Dieu, dit l’abbé de Clairvaux, est que nous ayons tout par Marie. » Sic est voluntas cjus, qui tolum nos habere voluil per Mariant. In Nativit. Mariée, n. 7. — Niltilnos Deus I/abere volait quoi I per Mariée manus non transiret. In vigil. Nalivit. Christi, serm. ni, n. 10. Et pour faire entendre ce mystère, Bernard emprunte au livre des Juges une ingénieuse comparaison. Marie est semblable à la toison de Gédéon, qui humecta l’aire environnante. Lorsque Dieu voulut répandre sur l’aire une rosée céleste, il commença par verser cette rosée tout entière dans la toison. Ainsi, pour sauver le genre humain, il a mis d’abord en Marie tout le prix de notre rédemption. In Annunliat., serin., ni, n. 8 ; In Nalivit. Mariée, n. 6 ; Super Missus est, homil. ii, n. 7. Elle est le canal ou aqueduc par lequel toutes les eaux du ciel viennent en nous. Serm. de aquxductu, in Nalivit. Marix, tout entier. « Recourez donc : ’i Jésus le médiateur par excellence, s’écrie le saint abbé, à Jésus qui est toujours exaucé par son l’ère ; et si la majesté divine vous effraie, recourez | à Marie, » In Nativit. Maria, n. 7. « Rendez grâces à celui (]ni, d.ms sa pieuse commisération, vous a procuré une médiatrice en qui vous n’avez rien à redouter, o Dominica infra octav. Assumpt., n. 2. « Elle aussi, j’ose le dire, sera exaucée à cause de la dignité de sa personne, le Fils exaucera sa mère, et le Père exaucera son Fils. Mes petits entants, voilà l’échelle des pécheurs ! C’est là ma suprême confiance, c’est la raison de toute mon espérance. » In Nativit. Mariai ; n. 7. Et dans un débordement de foi, l’abbé de Clairvaux entonne cette touchante prière du Memorare, que les siècles suivants devaient achever et qui est devenue comme la respiration de l’Église universelle. « Vierge bénie, que celui-là taise votre miséricorde, qui vous a jamais invoquée en ses nécessités, sans avoir été exaucé. » Sileat misericordiam tuant, Virgo beata, si guis est qui invocatam te in necessitatibus suis sibi meminerit defuisse. In Assumpt., serin, iv, n. 8. Pour plus de détails, voir Vacandard, Vie de saint Bernard, t. ii, p. 87-95 ; Hânsler, op. cit., p. 33-64.
3° Intercession des saints. —
Bernard n’a pas restreint à la sainte Vierge sa théorie de la médiation. Comme Marie, tous les saints, les apôtres en particulier, sont, suivant sa pensée, des médiateurs de second ordre : mediatores, quibus secure me commitlere passion… quia mediantibus Mis ad Ulum Mediatorem ascendere potero, qui venit pacificare per sanguinem surùm et quse in cselis, et quse in terris sunt. In festo SS. Pétri et Pauli, serin, i, c. i, P. L., t. clxxxiii, col. 405. Nul ne s’est attaché plus que lui à mettre en lumière le dogme de la communion des saints. A cet égard ses panégyriques de saint Malachie et de saint Victor sont particulièrement instructils. Nous détacherons seulement ces quelques lignes de son second sermon sur saint Victor : « Il repose, le vieux soldat, tranquille dans les douceurs de la paix qu’il a conquise. Il est sans inquiétude pour lui-même, mais non pas pour nous ; car, croyez-le bien, en secouant la poussière de la chair, il n’a pas rejeté’les entrailles de l’amour. Pour se revêtir de son habit de gloire, il ne lut pas obligé d’oublier notre misère et sa miséricorde. Ce n’est pas une terre d’oubli qu’habite l’âme de Victor… La largeur du ciel dilate les cieurs et ne les rétrécit pas ; elle ne rapetisse pas les affections, elle les agrandit. Dans la lumière de Dieu on apprend ce qu’on ignore, on ne désapprend pas ce que l’on sait. Fh quoi ! les anges viennent au secours des hommes ; et ceux qui sortent de nos rangs ne sauraient plus compatira des souffrances qui ont été leurs propres soutfrances ! » In natale S. Victoris, serai, ii, c. iii, P. L., t. clxxxiii, col. 371-375.
VII. ANGÉLOLOGIE. — Voir t. i, col. 1225-1226.
1° Nature des anges. —
Bernard estime que les anges ne peuvent communiquer avec nous sans le secours d’un corps. In Cantica, serm. v, n. 2, P. L., t. clxxxiii, col. 799. Mais par nature ont-ils un corps, ou sont-ils simplement spirituels ? Bernard n’ose se prononcer sur la question. Ibid., n. 7. Plus tard il revient sur le même sujet. Mais, après avoir déclaré que les anges ont dis corps éthérés, corpore mthereos, il se reprend comme s’il craignait d’être allé trop loin. « Il y a, dit-il, quelques docteurs qui se demandent non seulement d’où viennent les corps angéliques, mais même s’ils existent. » Puis il ajoute : « Si l’on veut ranger ce point parmi les opinions discutables, je n’y mets pas d’opposition. » ! >< consider., 1. V, c. îv. n. 7. Évidemment s’il tolère la doctrine de la spiritualité absolue, il incline, avec saint Augustin, à donner aux anges un corps quelconque,
2° Organisation des anges. —
L’abbé de Clairvaux, qui copie saint Grégoire le Grand, adopte l’ordre suivant pour les neuf ordres angéliques : les anges, les archanges, les vertus, les puissances, les principautés, les dominations, les trônes, les chérubins, les séraphins. In Cantica, serin, xix ; De consider a tione, 1. V, c. iv, n. 7.
3° Perfections des anges. —
Les Pères n’étaient pas d’accord sur la connaissance que possèdent les bons anges. Saint Augustin leur accorde la vision béatifique et la connaissance anticipée du mystère de l’incarnation. Saint Bernard au contraire semble avoir douté que les anges aient été initiés à ce mystère, sauf l’archange Gabriel qui reçut mission de l’annoncer à la sainte Vierge. Super M issus est. homil. i, n. 2. On lui fit un grief de cette doctrine. Hugues de Saint-Victor l’avertit amicalement de ce que l’on considérait autour de lui comme une erreur. Lui mit-il sous les yeux la doctrine de saint Augustin’.' Au moins est-il sur que Bernard abonda dans le sens de ses critiques. Il déclara seulement que l’ignorance des anges portait non sur le mystère même, mais sur les circonstances de lieu, de personne, etc. Traclatus X, c. v, n. 18-21, P. L., t. clxxxii, col. 1042-1046. Cette justification n’est qu’à moitié’satisfaisante.
4° Occupation des bons anges. —
Contrairement au pseudo-Denys, Bernard enseigne nettement que tous les anges sont les missionnaires de Dieu. Super Missus est, homil. i, n. 2. Si le Christ est venu nous servir, dit-il, pourquoi répugnerait-il aux anges les plus sublimes d’imiter celui qu’ils servent dans les deux ? De S. Miehæle, serin, i, n. 2.
5° Les anges gardiens. — Voir t. i, col. 1226.
6° Satan et les démons. —
Bernard examine, avec ses contemporains et les Pères, quel a été le péché de Lucifer : Similis ero Altissimo. A-t-il réellement prétendu être l’égal de Dieu ? Bernard lui reproche d’avoir voulu usurper un titre qui n’appartient qu’au Fils du Très-Haut. Super Missus est, homil. iii, n. 12. Aussi a-t-il été’châtié promptement de son orgueil. Il fut précipité du ciel, avec ses suppôts. Mais qu’était l’enfer où il tomba’.' Saint Grégoire, suivant en cela saint Augustin dans l’interprétation de II Pet., ii, 4, avait admis que l’enfer n’était autre que notre atmosphère. Saint Bernard lit bon accueil à cette doctrine. Diabolus in pomam suam locttm in aère isto médium ititer cselum et terrain île cœlo cadens sortilus est, etc. In Cantica, serm. liv, n. 4. Fidèle en outre à l’opinion de saint Augustin, liernard estime que les démons sont exemptés du supplice du feu jusqu’à la fin du monde : Jam diabolo ignis paratus ; etsi nondum illepreecipitatus iti ignem. In transita Malachise, serm. i, n. 4.
Cf. Turmel, Histoire de l’angélologic, dans la Rente d’histoire et de littérature religieuses, 1899, t. iv, p. 217 sq.
VII. L’ÉGLISE. —
L’arche sainte dans laquelle Dieu offre un asile et le salut à l’humanité tout entière, c’est l’Église catholique et romaine. Nul, plus que Bernard, n’a voué à cette Eglise un culte tendre, profond et dévoue’.
1° Hiérarchie. —
1. Le pape.—
Les pages qu’il consacre à exalter la dignité du successeur de saint Pierre sont parmi les plus belles de son traité De consideratione, /’. /.., t. clxxxii. col. 727 sq. Qu’est-ce qu’un pape ? Les termes manquent pour le dire : « Il n’a pas son égal sur la terre, qui parem non habet. » Ibid., 1. I. c. il, n.. Les grands hommes de l’Ancien Testament ont montré en figure sa future gloire et son incomparable autorité. Dans le Nouveau il éclipse toute grandeur : « Il est Pierre par la puissance ; par l’onction, il est Christ. » Ibid., 1. II, c. viii, n. 15. (’es fonctions en impliquent beaucoup d’autres que Bernard énumère à la lin du livre IV" : s Considérez, dit-il au souverain pontife, que vous devez être le modèle de la piété, le champion de la vérité, le défenseur de la loi, le docteur desnations, le chef des chrétiens, le régulateur du clergé, le pasteur des peuples, le vengeur des crimes, la terreur des méchants, la gloire des bons, le marteau des tyrans, le père des rois, le modérateur des lois, le dispensateur des canons, le sel de la terre, la lumière du monde, le prêtre du Très-Haut, le vicaire du Christ, le Christ du Seigneur, enfin le Dieu de Pharaon. » Jbid., 1. IV, c. VII. Bernard tient cependant à montrer que cette suprême autorité ne supprime pas la hiérarchie. Les évêques sont aussi des pasteurs de troupeaux : « Vous vous trompez, écrit-il à Eugène III, si vous croyez que votre puissance apostolique, pour être souveraine, a été seule instituée par Dieu. » Ibid., 1. III, c. iv, n. 17. Mais cette réserve faite, rien ne limite l’autorité papale. « Chaque évêque a un troupeau qui lui est particulièrement assigné ; pour vous, tous les troupeaux ensemble n’en font qu’un seul, qui vous est confié. Vous n’êtes pas seulement le pasteur de toutes les brebis, mais encore celui de tous les pasteurs. Vous pouvez, le cas échéant et pour un motif grave, fermer le ciel même à un évêque, le déposer et le livrer à Satan. En un mot, vous êtes par excellence le vicaire du Christ. » lbid., 1. II, c. vin. n. 15, 16. Cf. Epist., cxxxi, P. L., t. clxxxii, col.’287-288 (lettre très importante). Et l’autorité du pape n’est pas seulement souveraine en matière disciplinaire, elle l’est également dans la morale et dans le dogme. Le pape est infaillible : « Tout ce qui touche la foi vous regarde, écrit Bernard à Innocent IL II est juste que les dommages de la foi se réparent là où la foi ne peut éprouver d’amoindrissement : lbi potissimum resarciri damna fi dei, ubi non possit fidessenlire defccluni. Car telle est la prérogative de ce siège : Iliec q nippe prerogativa sedis. En effet, à quel autre a-t-il été dit : a J’ai prié pour toi, Pierre, afin que ta foi ne défaille pas. » Ce qui suit s’applique donc aux successeurs de Pierre : « Et toi, une fois converti, confirme tes frères. » Luc, xxii. 32. De erroribus Absulardi, prx(., P. L., t. clxxxii, col. 1053.
Quant au pouvoir temporel du pape, Bernard n’est pas de ceux qui en fassent grand état. Sans doute, comme la plupart de ses contemporains, il croit à la fabuleuse donation de Constantin. Mais sa modestie chrétienne s’olfense de voir « le successeur de Pierre orné de soieries et de pierres précieuses, couvert d’or, porté par une blanche haquenée, escorté de gendarmes et entouré de ministres bruyants » , comme un prince de ce monde, comme « un successeur de Constantin » . In his successisli non Petro sed Constanlino. De considérai. , 1. IV, c. iii, n. 6. Aussi bien, gouverner les Romains, race intraitable et facilement rebelle, est un souci trop absorbant, une entreprise décourageante. Jbid., c. ii, n. 2, 4. Le pape tirera-t-il le glaive contre eux ? Sans doute les deux glaives lui appartiennent. Mais il a été dit à Pierre et par suite à son successeur : « Remettez votre épée dans le fourreau. » lbid., c. ni, n. 7. Bernard veut que le souverain pontife gouverne par la parole et non par l’épée. Ibid. Et si ce moyen ne réussit pas, il lui « reste encore une chose à faire : Sortez de la capitale des Chaldéens et dites : Il faut que je porte aussi l’Évangile à d’autres cités. Si je ne m’abuse, en échangeant ainsi Rome pour l’univers, vous n’aurez pas à vous repentir de votre exil » . lbid., c. III, n.8. Ainsi Bernard ne recule pas devant l’abandon de Rome. Il semble qu’il ne soit pas éloigné de renoncer au pouvoir temporel des papes.
2. Les évêques. —
Après le pape, les évêques. Eux aussi sont d’institution divine. « Vous vous trompez, écrit Bernard à Eugène III, si vous croyez que votre puissance apostolique, pour être souveraine, a été seule instituée par Dieu. » De considérât., 1. III, c. iv, n. 1 ; cꝟ. 1. IV, c. vu. Le saint docteur appelle quelquefois les évêques Christi vicarios, De officio episcoporum, c. ix, n. 36, bien qu’il ait dit ailleurs que le pape est « l’unique vicaire du Christ » , unicum Christi vicarium. De considérât-, 1. II, c. viii, n. 16. Mais il a soin de faire remarquer que l’autorité épiscopale est à certains égards subordonnée à celle du souverain pontife, il recommande, par exemple, à l’archevêque de Sens de « se montrer vis-à-vis du vicaire du Christ, quel qu’il soit, dans la dépendance que l’antiquité a établie entre les Églises » . De officio episcop., c. viii, n. 31.
3. Les cardinaux. —
Les membres du sacré-collège, que Bernard appelle les « collatéraux et les coadjuteurs » du pape, De considérât., 1. IV, c. IV, n. 9, sont divisés en trois ordres.
Au xiie siècle, le collège total comprenait cinquante-deux membres : soit six cardinaux-évêques, vingt-huit cardinaux-prêtres et dix-huit cardinaux-diacres. Il n’y avait pas entre les trois ordres une égalité absolue d’attributions. Le décret de Nicolas II, concernant les élections papales, accordait aux cardinaux-évêques une réelle prééminence que l’abbé de Clairvaux ne manqua pas de faire valoir lors de l’élection d’Innocent II. Cf. Vacandard. Vie de saint Bernard, l le édit., t. i, p. 276-302. D’une façon générale, il semble que Bernard n’ait pas fort apprécié en soi le cardinalat et l’honneur qu’il confère. Loin d’admettre que les cardinaux-prêtres et diacres eussent la prééminence sur les évêques de la catholicité, il trouvait ridicule, contraire aux convenances, au droit et à la coutume, qu’ils eussent la prétention de prendre rang avant leurs confrères dans la prêtrise et le diaconat. « Le nom de diacre, en particulier, dit-il, implique non pas un privilège de dignité, mais un service spécial. Si vous assistez de plus près au trône pontifical, c’est uniquement afin que le pape vous ait plus facilement sous la main. » Podicule minislri vestri vestris se compresbijteris anteferre conantur, etc. De considérât., 1. IV, c. v, n. 16. Bernard recommande au pape pour la nomination des cardinaux une extrême prudence. Qu’il élargisse le plus possible la sphère où s’exerce son choix. « Pourquoi, dit-il à Eugène III, ne choisiriez-vous pas dans l’univers ceux qui doivent juger l’univers entier ? » De considérât., 1. IV, c. iv, n. 9, 10.
4. Le clergé inférieur. —
Sur le clergé inférieur, la doctrine de Bernard n’offre rien de particulièrement remarquable. Sur le clergé en général, cf. Sermo de conversione ad clericos, P. L., t. clxxxii, col. 831 sq., notamment c. xx, col. 853 sq. ; sur les archidiacres, cf. Epist., lxxviii ; sur le sous-diaconat qui implique l’obligation et le vœu de continence, cf. Epist., cem, etc.
2° Prérogatives de l’Eglise. —
1. L’Église romaine est l’Eglise catholique. Elle doit embrasser tout l’univers. L’abbé de. Clairvaux déplore l’interruption des missions évangéliques : « Comment vos prédécesseurs, dit-il à Eugène III, ont-ils eu l’idée de mettre des bornes à l’Evangile et d’arrêter l’essor de la parole de foi, pendant que l’infidélité ; dure encore ? Il est nécessaire que la vérité arrive jusqu’aux oreilles des gentils. Attendons-nous que la foi tombe d’elle-même sur eux ? Comment croiront-ils, si on ne les prêche ? Pierre fut envoyé à Corneille, Philippe à l’eunuque, et, pour prendre un exemple plus récent, Augustin fut chargé par le bienheureux Grégoire de transmettre aux Anglais la règle de la foi. » De considérât., 1. III, c. i, n. 3, 4. Quelles n’eussent pas été les plaintes de Bernard s’il eut pu apercevoir, par de la le monde connu de son temps, les nations qui peuplaient l’Extrême-Orient et les sauvages du Nouveau-Monde ! Quant aux juifs, dont il prit la défense en maintes circonstances, cf. Epist., ccclxiii, ccclxv ; In Gantica, serm. lxiv ; Liber ad milites Templi, c. x, il ne songe pas à les évangéliser. o Les temps marqués pour la conversion des juifs ne sont pas arrivés, dit-il au pape ; vous êtes excusable de ne pas prévenir les desseins de la providence. » De considérât., 1. III, c. i, n. 3.
2. L’Église catholique doit être une. Bernard voudrait ramener dans le giron de l’Église romaine les schismatiques grecs. « Ils suiit avec nous, sans être avec nous ; unis par la foi, ils se séparent de nous par la désobéissance ; leur loi même est chancelante. Qui brisera leur opiniâtreté ? > De considérât., 1. III, c. i, n. 4. L’unité de doctrine est plus nécessaire encore que l’unité de gouvernement. Les hérétiques sont les pires ennemis de l’Église : « pervertis eux-mêmes, ils se plaisent à pervertir les autres ; ce sont des chiens pour déchirer et des renards par la ruse. » Deux moyens s’offrent pour leréduire : la persuasion ou la force : « Qu’on les corrige, s’il est possible ; sinon, qu’on leur ôte le moyen de perdre les autres, n De rmisiilrrat., 1. III, c. I, n. 3. On connaît la théorie de l’abbé de Clairvaux sur le pouvoir coercilif de l’Église. Il enseigne, à la vérité, qu’il « faut prendre les hérétiques par des arguments, et non par les armes » , non armis, sed argumentis, In Cantica, serm. LXIV, n.’J ; cl. ibid., note de Manillon ; et en cela il ne lait que suivre la doctrine de saint Augustin ; mais pour se conformer entièrement à la pratique de l’évêque d’Hippone, il ne dédaigne pas le secours du bras séculier dans la répression des manœuvres ouvertes de l’hérésie. L’hérésie était, en effet, au moyen âge, un attentat contre l’ordre public, en même temps qu’une attaque contre la religion. Les lois, conformes aux mœurs, s’opposaient à sa propagation. Un hérétique n’avait, aux yeux de Bernard, qu’un moyen d’échapper à leur rigueur ; c’était de s’abstenir de toute propagande. L’Église était vis-à-vis de lui en état de défense ; attaquée, elle frappait ; et, si les armes spirituelles ne suffisaient pas à écarter le péril, elle avait recours à l’épée de celui que l’on appelait l’évêque du dehors : Aut corrigeai li [hæretici], ne perçant ; aut ne périmant coercendi. De considérât., 1. III, c. I, n. 3 ; cf. Epist., CCXLI, CCXI.II. On ne s’étonnera donc pas que, sur les rapports de l’Église et de l’État, l’idéal de Bernard consiste dans l’union des deux pouvoirs, impliquant la réciprocité et un échange perpétuel de bons oflices : Regnum sacerdotiumque. .. omnes reges et sacerdotes… jnngant se animis, ijai juncli sunt institutis ; invicem se fovcant, invicem se défendant, invicem onera sua portent.
Epist., CCXL1V, n. 1, P. L., t. CLXXXIl, col. 441, Sans doute l’Église a droit aux deux glaives ; mais c’est l’État qui porte en son nom le glaive matériel, qu’elle ne saurait brandir sans violer la décence. La société chrétienne reçoit-elle une atteinte au dehors et au dedans, la tête commande et le bras exécute - Pétri uterque gladius, aller sua nutu, alter sua manu, quolies neeesse est, evaginandus. Epist., CCLVi ; De considérât., 1. IV, c. ni, n. 7. Cf. sur les deux glaives, Vacandard, Vie de saint Bernard, c. xxxit, n. (>, t. ii, p. 470.
3. L’Eglise est sainte, et sa sainteté doit reluire dans ses membres et spécialement dans son chef. Bernard signale au pape les vertus qui conviennent à sa dignité. Dr considérât., 1. I, c. viii, n. 9-11 ; 1. II, c. vi, vii, etc. Le De officio episcoporum est avant tout un miroir de sainteté que I abbé de Clairvaux présente à l’archevêque de Sens, ainsi qu’à ses collègues. Le Sermo de conversione ad clericos donne la même leçon, c. xx, aux clercs en général. Il faut lire aussi le beau passage que Bernard consacre à La tenue et à la conversation des prêtres, dans le De considérations, 1. II, c. xiii. « Entre séculiers, les plaisanteries ne sont que des plaisanteries ; dans la bouche il un prêtre ce sont des blasphèmes… Vous ave/, consacré votre bouche à l’Évangile ; l’ouvrir désormais pour de pareilles choses vous est défendu ; l’y accoutumer sérail un sacrilège, » etc. On voit quel idéal élevt l’abbé de ClSirvaux se faisait du clergé. Il avait la même conception de l’Église en général, représentée surtout par les âmes saintes : Ecclesia perfecloriim. In Cantica, serm. xiv, c. v. Mais la sainteté n’est pas l’œuvre de l’homme seul, elle est avant tout l’œuvre de la grâce, et la grâce nous arrive plus particulièrement par les sacrements dont l’Église est la dispensatrice.
IX. LES SACREMENTS. —
Bernard, comme tous les docteurs de l’Église, gémit sur le sort que le péché d’Adam a fait à l’humanité. L’homme nait coupable, et les sacrements sont les principaux canaux par où la grâce coule sur lui pour le sanctifier. Tel est l’enseignement de l’abbé de Clairvaux. Selon sa doctrine les sacrements sont au nombre de sept. Il les nomme en diverses circonstances, par exemple le baptême. De baptisnto, c. 1, il, P. L., t. clxxxii, col. 1031-1038 ; la confirmation, Vita Malachiæ, c. ni, n. 7, ibid., col. 1079 ; l’eucharistie, ibid., c. xxvi, n. 57, col. 1105 ; la pénitence (qu’il désigne quelquefois par le nom de confession : usum confessionis), ibid., c. ni, n. 7, col. 1079 ; l’extrême-onction, ibid., c. xxiv, n. 53, col. 1101 ; l’ordre, De conversione ad clericos, c. XX, n. 31, ibid., col. 853 ; le mariage (qu’il appelle en un endroit contractant conjugiorum), ibid., c. iii, n. 7, col. 1079.
1° Baptême. —
Dans sa lettre à Hugues de Saint-Victor, De baplismo, il cherche à déterminer le moment où le sacrement de baptême est devenu obligatoire pour la rémission du péché originel, ce péché le plus grave de tous : maximum plane, quod sic totum non modo genus humanum, sed et quemlibel ipsius generis occupât, ut non sit qid évadât non sit usque ad union. Sermo in feria /v a hebdomadæ sanctee, c. VI, P. L., t. clxxxiii, col. 265. La difiiculté venait du texte de saint Jean, ni, 5 : Nisi guis renatus fuerit ex aqua et Spirilu Sancto, non intrabit in regnum cœlocum. Bernard enseigne que, chez les juifs, le péché originel était eifacé par la circoncision ; chez les gentils, les adultes en obtenaient la rémission par leur propre foi, et les enfants par la foi de leurs parents ; les femmes juives n’avaient pas d’autre ressource que les gentils. La loi nouvelle a rendu inutiles tous ces moyens. Mais pour les remplacer il a fallu qu’elle fût connue. L’obligation de recevoir le baptême d’eau n’est pas un précepte naturel ; « il est en quelque sorte factice, » quedammodo faclitium, c’est-à-dire purement positif ; et par conséquent nul n’était obligé de s’y soumettre avant qu’il lui fût notifié : Valde quippe injuste exigitur obeditio, ubi non præcessit audilio. De baptismo, c. i, n. 2, col. 1032. Même connu, il peut être remplacé, en cas de nécessité, soit par le mai tue, soit par le désir, connue l’enseigne saint Ainbroise à propos de la mort de Valentinien, et à sa suite saint Augustin. Quant aux enfants, à défaut du baptême d’eau, ils peuvent toujours être sauvés par la foi de leurs parents. C’est là un effet de la miséricorde divine ; car le péché originel n’est pas un péché personnel, et si les enfants en héritent de leurs parents, n’est-il pas juste que la foi de leurs parents puisse leur en obtenir le pardon’.' Ibid., c. i, II, col. 10331038.
Le baptême n’éteint pas le foyer de la concupiscence. Mais la grâce et plus particulièrement le sacrement de l’eucharistie en atténuent considérablement les ellels. Sermo in cœna Domini, c. ni, P. L., t. clxxxiii, col. 272.
2° Eucharistie. —
La présence réelle de Jésus-Christ dans l’eucharistie était déjà contestée du temps de saint Bernard. Il s’élève avec force contre ce prétendu savant (sciolus) qui avait eu la présomption de dire que dans l’eucharistie il y avait seulement saccamentum, et non rem sacramenti, id est solam sanctificationem et non corporis récitaient. Vita Malachiæ, c. xxvi, toc. cit., col. 1105. Bar ce sacrement, Jésus-Christ devient la nourriture de nos âmes : se appoint in refectione animarum sanctarum-. De diligendo Deo, c. vii, n. 22, P. L., t. CLXXXII, col. 987. lue lois « investis du corps et du sang précieux du Seigneur » , nous n’avons plus à nous effrayer des redoutables ellels de la concupiscence, « car ce sacrement opère deux choses eu nous : il diminue l’attrait pour les fautes légères, et il ôte tout à fait le consentement pour les péchés graves. Si quelqu’un d’entre vous ne sent plus si souvent ni si violemment les mouvements de la colère, de l’envie, de la luxure ou d’autres passions semblables, qu’il en rende grâces au corps et au sang du Seigneur, parce que c’est la vertu du sacrement qui opère en lui » ces effets. Sernio in ca’na Dotnini, P. L., t. clxxxiii, col. 272.
3° Pénitence. —
Bernard reconnaît aux prêtres et aux évêques le pouvoir de remettre les péchés aux pénitents bien disposés et confessés ; sed nec absolvant etiam compunctum, nisi viderint et confession. Liber ad milites Templi, c. u.P. L., t. clxxxii, col. 938. Et il a fait condamner Abélard pour avoir enseigné que ce pouvoir avait été accordé seulement aux apôtres et non à leurs successeurs. Capitula hæresum, 12, P. L., t. clxxxii, col. 105’*. Rendue dans les conditions convenables, la sentence des prêtres précède celle de Dieu qui la ratifie : ut præcedat sententia Pétri sententiam cseli. Serni., i, in fest. SS. Pétri et Pauli, c. il, P.L., t. clxxxiii, col. 406. La confession était-elle fréquente du temps de l’abbé de Clairvaux ? Nous voyons du moins que les fidèles avaient l’habitude de se confesser pour la communion pascale : venlv.ro paras ! is hospitium, con/itentes peccata, Sermo in die sancto Paschse, c. xvi, P. L., t. clxxxiii, col. 282, et à l’article de la mort pour la réception du viatique : viix.it infirmum, eux mox moriluro salutarem con/itendi et communicandi obtinuit facuitatem. Vita Malachiæ, c. xxi, P. L., t. clxxxii, col. 1100.
4° Extrême-onction. —
Bernard, à propos de l’extrêmeonction, rappelle que ce sacrement, selon la doctrine de saint Jacques, v, 14-15, remet les péchés, et que la « prière de foi sauve le malade » . Vita Malachiæ, c. xxiv, P. L., loc. cit., col. 1104.
5° Ordre. —
Sur l’ordre, cleri sacratissimus ordo, et les saints ordres, curritur ad sacros ordines, Serait) de conversione ad clericos, c. xx, P. L., t. clxxxii, col. 853, la doctrine de l’abbé de Clairvaux n’offre rien de particulier. Lire son sermon De conversione ad clericos, son épître De moribus et officio episcoporum et son traité De considérations 1, P. L., t. clxxxii, col. 727 sq.
6° Mariage. —
Certains hérétiques de son temps, les manichéens, lui fournirent l’occasion de défendre et de proclamer la sainteté du mariage. « Il faut être bestial, leur dit-il, pour ne pas s’apercevoir que condamner les justes noces, c’est lâcher les rênes à toutes sortes d’impudicités. Otez de l’Église le mariage honoré et le lit sans tache, et vous la remplirez de concubinaires, d’incestueux, d’êtres immondes. Choisissez donc, ou de remplir le ciel de ces monstres, ou de réduire le nombre des élus aux seuls continents. Mais la continence est rare sur la terre. Faut-il croire que le Sauveur se soit anéanti uniquement pour elle ? Comment aurions-nous tous reçu la plénitude de sa grâce, si les continents seuls y ont part ? Et de quel droit raccourcit-on ainsi les bras de Dieu ? — Je le sais, il en est parmi vous qui accordent que le mariage entre vierges est permis. Mais sur quoi repose leur distinction ? Ils en appellent à ce verset de la Genèse, I, 27 (Matth., xix, 4, 6) : Masculin » et feminam creavit illos ; quod Deus conjunxit Uomo non separet, « Dieu les a créés homme et femme, et c’est dans cet état de virginité qu’il les a unis. » Vaine subtilité ! Sans doute le premier homme et la première femme étaient vierges, « mais autre chose est d’être unis étant vierges, autre chose est d’être unis parce qu’ils étaient vierges. La Bible dit simplement : Dieu les a créés liomme et Jemme. Et c’est juste. Le mariage ne requiert pas l’intégrité des corps, il requiert seulement la diversité des sexes. Ah ! si, au lieu d’indiquer les sexes, l’Esprit-Saint eut dit : Dieu les a créés vierges, comme vous eussiez pris occasion de ces mots, pour insulter à l’Eglise catholique qui unit les hommes et les femmes perdus, d’autant plus volontiers qu’elle espère les faire passer ainsi d’une vie déréglée à une vie honnête ! » Saint Paul autorise tous ces mariages. « Si vous prohibez ce que saint Paul approuve, votre prohibition ne me persuade qu’une chose : c’est que vous êtes hérétiques. » In Cantica, serin, lxvi, n. 4, 5, P. L., t. clxxxiii, col. 1095-1096.
X. JUSTIFICATION ET PRÉDESTINATION. —
1° Libre arbitre et grâce. —
Bernard, qui rencontra sur sa route le problème des rapports du libre arbitre et de la grâce, n’eut garde de l’esquiver. Fidèle à la pensée de saint Augustin, il déclare que « les mérites de l’homme ne sont que les dons de Dieu » . Un jour qu’il développait cette doctrine, l’un de ses auditeurs l’interrompt et lui dit : « Si Dieu est l’auteur de tout le bien que vous faites, quel espoir pouvez-vous avoir d’une récompense ? » C’est pour répondre à cette question que l’abbé de Clairvaux composa son traité De gratia et libero arbilrio. P. L., t. clxxxii, col. 1001-1030. Dès les premiers mots la réponse est formulée : « Qu’est-ce qui sauve ? C’est la grâce. Que devient alors le libre arbitre ? Il est sauvé ; breviler respondeo : salvatur. Enlevez, en effet, le libre arbitre, il n’y a plus rien qui puisse être sauvé ; enlevez la grâce, il n’y a rien qui sauve : l’un et l’autre sont nécessaires ; l’un reçoit, l’autre opère. » C. I, n. 2, ibid., col. 1002.
Cela amène l’abbé de Clairvaux à définir le libre arbitre et à étudier ses divers aspects dans le triple état de nature, de grâce, et de gloire. « Le libre arbitre, dit-il, est un pouvoir de la raison et de la volonté ; on le nomme libre par rapport à la volonté qui peut se diriger d’un côté ou d’un autre ; on le nomme arbitre par rapport à la raison qui a le pouvoir de discerner. » C. ii, n. 4, col. 1004. Dans quelque état que l’on considère la volonté de l’homme, elle est toujours libre : « même après la chute, le libre arbitre, si misérable soit-il, est encore dans son intégrité, » etsi miserum, lanten inlegrum. C. viii, n. 24, col. 1014. Aussi bien la liberté proprement dite ne diffère pas essentiellement en Dieu et dans la créature raisonnable, bonne ou mauvaise. « Elle n’est perdue, ni diminuée, ni par le péché ni par la misère, elle n’est pas plus grande dans le juste que dans le pécheur, ni plus pleine dans l’ange que dans l’homme. » C. iv, n. 9, col. 1006. Mais la liberté ainsi entendue, c’est la capacité de vouloir ; vouloir n’est pas la même chose que vouloir le bien ou vouloir le mal. « Le vouloir est en nous, en vertu du libre arbitre ; je dis le vouloir, et non vouloir le bien ou vouloir le mal. C’est le libre arbitre qui nous fait vouloir, et la grâce qui nous fait bien vouloir, » libcruni arbilrium nos facit volentes, gratia benevolos. C. VI, n. 16, col. 1010. « En cela quel est le mérite de la volonté ? C’est de consentir. Non pas que ce consentement, dans lequel consiste tout le mérite, vienne d’elle, puisque nous ne sommes pas capables d’avoir une bonne pensée de nous-mêmes, à plus forte raison un bon consentement. Mais si ce consentement vient de Dieu et non de nous, cependant il ne se fait pas en nous sans nous. La grâce et le libre arbitre agissent de concert, et mêlent leur opération si bien que leur œuvre indivise est tout entière l’œuvre de la grâce et tout entière l’œuvre du libre arbitre ; » mislim, non singillalim ; simul non vicissim ; non parlim gratia, partim liberum arbitrium, sed toluni singula opère indiriduo peraguut, etc. C. xiv, n. 46, 47, col. 1026-1027. Et c’est à ce titre que Dieu nous l’impute à mérite. Aussi’, dans le ciel, en couronnant nos mérites, Dieu ne fera que couroniiir ses dons : Dona sua, qnse dédit hominibus, in mérita divisit et præmia. C. xiii, n. 43, col. 1024.
2° Justification et prédestination. —
Cet exposé suffit pour montrer comment l’abbé de Clairvaux répudie le pélagianisme et abonde dans la doctrine de la justification et de la prédestination au sens augustinien. Tous 1rs critiques sont d’accord sur ce point. Mais nombre de protestants ont essayé de prouver que Bernard, poussant plus loin que saint Augustin et que les docteurs du moyen âge l’examen de la doctrine paulinienne de la prédestination, avait, le premier, formulé la théorie calviniste de la justification par la non-imputation des péchés, et la théorie luthérienne du salut par la foi. Examinons les principaux textes qui ont donné lieu à cette interprétation abusive. « Celui-là. disait un jour Bernard à ses moines, est vraiment bienheureux à qui Dieu n’a pas imputé son péché. Car qui n’a pas eu de péché ? Personne ; tous ont pi ché et tous ont besoin de la gloire de Dieu. Cependant qui portera une accusation contre les élus de Dieu ? Pour toute justice il me suffit que celui-là seul me soit propice, contre qui seul j’ai péché. Tout ce qu’il aura décidé de ne pas m’imputer, est comme s’il n’avait jamais été. Ne pas pécher, c’est la justice de Dieu ; la justice de l’homme n’est autre chose que l’indulgence de Dieu. J’ai vu cela et j’ai compris la vérité de cette proposition : Tout homme qui est né de Dieu ne pèche pas, parce que son origine céleste le préserve. L’origine cleste, la génération céleste, c’est la prédestination éternelle, par laquelle Dieu a aimé ses élus et les a gratifiés dans son Fils bien-aimé avant la constitution du monde, les plaçant en quelque sorte dans le Saint (des Saints) devant lui, alin qu’ils voient sa puissance et sa gloire et partagent l’héritage de celui dont ils reproduisent l’image et la ressemblance..T’ai remarqué que ceux-là étaient comme s’ils n’avaient jamais péché, parce que bien qu’ils paraissent avoir péché dans le temps, ils ne le paraissent plus dans l’éternité, car la charité de leur Père a couvert la multitude de leurs pèches. » In Canlica, serm. xxiii, n. 15, P. L., t. clxxxiii, col. 892.
A première vue, il semble vraiment que ce texte donne raison à ceux qui ont regardé l’abbé de Clairvaux comme un « précurseur du protestantisme » . Neander, Der heilige Bernhard umi sein Zeitalter, édit. Deutsch, Gotha, 1889, t. i, p. 193. Cf. Ritschl, Die christliche Lettre von der Rechtfertigung und Versohnung, t. i, c. ni, sect. xvii. Mais ce n’est là qu’une apparence trompeuse, qui provient des textes mêmes ou plutôt de certaines expressions bibliques que Bernard se proposait d’expliquer : Beatus vir cui non impulabit Dominus peccatum, Ps. xxxi, 2 ; Omnis quinatus est ex Deo, non peccat, quia generalio cealestis serval cum, I Joa., ni, 9 ; Chantas cooperit multitudinem peccatoruni. I Pet., IV, 8. Les mots non imputabit, generalio cxlestis, cooperit, sont ici de nature à faire illusion. Mais pour bien comprendre toute la pensée de l’abbé de Clairvaux, il faut rapprocher cette page des autres endroits de ses ouvrages où il a eu l’occasion d’expliquer les mêmes expressions. De gratia et libero arbitrio, c. ix, n. 29, /’. /, ., t. ci. xxxii, col. 1016 ; De diversis, serm. iv, n. 5, 1’. L., t. clxxxiii, col. 553 ; In Septuagesim., serm. i, n. I, ibid., col. 163. C’est de la comparaison de ces textes que ressort sa doctrine authentique. Or, il est manifeste que la non-imputation des péchés n’est autre pour lui que le pardon que le pécheur obtient par la grâce sanctifiante et par l’expiation de sa faute. Il n’y a pas de péché pour le prédestiné à la vie ; qu’est-ce à dire ? Cela signilie que le prédestiné, s’il pèche, « ne persévère pas dans le péché, » soit qu’il « l’expie par une pénitence condigne ou qu’il le fasse disparaître dans la charité’» , ou bien encore parce que la charité dont Dieu l’enveloppe efface tout, « couvre tout, i) Bossuet disait pareillement : « Dans la gloire éternelle, les fautes des saints pénitents, couvertes de ce qu’ils « Mil fait pour les réparer, et de l’éclat infini de la divine miséricorde, ne paraissent plus, j Oraison funèbre de Condé, E1 sûrement Bossuet n’entendait par là rien accorder à la doctrine protestante, Bernard pas davantage. Il ne conçoit pas la justification du pécheur sans une qualité intérieure que donne la grâce sanctifiante. Il y a, disait-il a ce propos, deux sortes de charité, la charité substantielle et la charité accidentelle. « En Dieu la charité est substantielle, en nous elle n’est qu’un don, une qualité. » De diligendo Deo, c. xii, n. 35, P. L., t. clxxxii, col. 996. Cette doctrine est si bien la sienne, que Neander lui reproche de ne pas savoir assez s’en dégager. « Il ne distingue pas toujours assez nettement, dit-il, la justification objective (la justification par la non-imputation des péchés) de la justification subjective qustification par la grâce intérieure), et il lui arrive quelquefois de retomber dans la manière de voir des théologiens de son temps, et d’employer leur langage. » Op. cit., t. i, p. 193. Cet aveu suffit pour justifier l’abbé de Clairvaux. S’il ne se dégage pas nettement île l’opinion des théologiens île son temps, c’est qu’il n’a pas l’intention de les contredire ; s’il emploie leur langage, c’est qu’il partage leur sentiment. Pour faire de lui un « précurseur du protestantisme » , il faudrait prouver qu’il a voulu absolument opposer la doctrine de la non-imputation des péchés à la doctrine commune de la justification par la grâce intérieure ; et c’est ce qu’on n’oserait soutenir, et en tout cas, ce qu’on ne saurait établir.
Un a cru apercevoir aussi dans les écrits de l’abbé de Clairvaux la théorie protestante qui attribue aux prédestinés l’assurance de leur salut : « Que le pécheur, écrit-il, qui a la componction, quisqids pro peccatis compunctus, et qui a faim et soif de la justice, croie en vous, Seigneur, qui justifiez l’impie, et, justifié par la foi seule, solani justip.calusperfidem, i aura la paix auprès de Dieu. » In Cantica, serm. xxii, n. 8. P. L., lac. cit., col. 881. « Quiconque, en effet, est appelé par la crainte et justifié par l’amour présume (avec raison l qu’il est du nombre des bienheureux, sachant que Dieu glorifie ceux qu’il a justifiés. Rom., viii, 29-30. Qu’est-ce à dire ? Il entend qu’il est appelé, lorsqu’il est agité par la crainte ; il sent qu’il est justifié, lorsqu’il est comblé d’amour ; et il douterait de sa glorification ! Il est initié, il est élevé, et il désespérerait du couronnement ! La foi, l’amour, la glorification, tout cela se tient ; l’un est le gage de l’autre. L’homme qui vit attaché aux choses du siècle n’a pas d’inspiration intérieure qui lui rende témoignage que la prédestination éternelle lui réserre quelque chose de bon. Mais une fois converti, il reconnaît qu’il n’est plus l’enfant de la colère, mais l’enfant de la grâce… Alors paraît à la lumière, pour la consolation du malheureux, le grand conseil qui était caché de toute éternité dans le sein de l’éternité : à savoir que Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. Vous avez, ô homme, comme indice de cet arcane, l’Esprit qui justifie, et par là même qui atteste à votre esprit que vous aussi vous êtes le fils de Dieu. Je reconnais le conseil de Dieu dans votre justification, car votre justification présente est tout à la fois la révélation du conseil divin et une sorte de préparation à la gloire future. Ou plutôt c’i s ! la prédestination qui est la préparation ; la justification est quelque chose de plus, c’est dé’jà une approche, un commencement : appropinquavit regnum cxlorum. Que personne donc ne doute qu’il est aimé’quand il aime. Comment 1 amour de Dieu ne suivrait-il pas notre amour, quand il l’a déjà prévenu ? Aimer Dieu, c’est un commencement de la béatitude et c’est un gage de la béatitude. » Epist., cvii. ad Thomam « V Beverla, n. 5-10, P. L., t. clxxxii, col. 245-247.
Pour voir dans ces pages la doctrine protestante de la certitude du salut chez les prédestinés, il faut une disposition d’esprit toute spéciale. Bernard recommande surtout aux âmes justes la confiance dans la prédestination au bonheur éternel, confiance qu’autorisent leur état présent et les efforts qu’elles font pour s’y maintenir. Mais il est si loin de penser qu’une âme juste ne saurait pécher gravement et périr éternellement, qu’il met toujours cette âme en garde contre elle-même et contre ses propres faiblesses. Au moment même où il la félicite de goûter déjà en partie ici-bas la béatitude céleste, il l’engage à « se glorifier en espérance, mais non en sécurité » , intérim qu’idem glorietur in spe, nondum tamen in securitate. Epist., cvii, n. 10, loc. cit. « Nous pouvons savoir, dit-il ailleurs, au moins en partie, dans quel état nous sommes ; mais savoir ce que nous serons dans l’éternité, cela nous est absolument impossible. C’est pourquoi que celui qui est debout prenne garde de tomber ; qu’il persévère et progresse dans cet état qui est un indice du salut et un gage (argwmentum) de prédestination. » En somme la seule garantie du salut, c’est la pratique de la vertu, c’est la persévérance. In Septuagesima, serm. i, n. 1-2, P. L., loc. cit., col. 163. Cf. ibid., note de Mabillon.
XI. MYSTICISME. —
La perfection de la vertu consiste dans l’amour. « Aimez et faites ce que vous voudrez, » disait saint Augustin. L’abbé de Clairvaux n’a pas d’autre doctrine. Sa lettre aux chartreux, Epist., xi, P. L., t. clxxxii, col. 108, son traité De diligendo Deo, ibid., col. 974, enfin ses quatre-vingt-six sermons sur le Cantique des Cantiques, P. L., t. clxxxiii, col. 783, nous font connaître à cet égard sa pensée la plus intime et le résultat de son expérience.
L’amour de Dieu, comme toutes les sciences, a ses degrés ; on n’arrive pas à la perfection d’un seul coup. Avant d’être purement spirituel, l’amour mystique traverse une phase que Bernard appelle l’amour sensible et « charnel » . Le mot sonne mal à nos oreilles, mais l’auteur désignait simplement par là l’objet sensible du saint amour, la cbair ou, si l’on veut, l’humanité du Christ : Nota amorcm cordis quodaynmodo esse carnalem, cjuod magis erga carnem C/iristi. In Cantica, serm. XX, n. 6. L’homme est ainsi fait qu’il ne peut s’élever aux choses intelligibles que par le secours des choses sensibles. Il ne saurait se représenter Dieu, ni l’amour, si ce n’est revêtu d’une forme corporelle. De là l’anthropomorphisme, de là l’idolâtrie qui n’est que l’altération de l’anthropomorphisme. Dieu, qui connaissait ce besoin irrésistible de la nature humaine, y pourvut par l’incarnation ; le Verbe se fit chair, « à ceux qui goûtaient la chair, il offrit sa chair à aimer, afin de les amener peu à peu à goûter l’esprit, » obtulit carnem sapientibus carnem, per quam discerent sapere et spiritum. In Cantica, serm. VI, n. 3.
Bernard nous raconte qu’il a passé lui-même par cet apprentissage. Cf. In Cantica, serm. xx, n. 6. Mais lorsque son âme eut reçu « la grande et suave blessure de l’amour » , grande et suave vulnus amoris, In Cant., serm. xxxix, n. 8, rien ne l’empêcha plus de contracter avec le Christ une mystique union ; elle était nubile ; son affection la liait au Verbe ; par la conformité de sa volonté avec la sienne elle devenait son épouse. Talis conformitas marilat animant Verbo… Si perfecte diligit, nupsit. In Cantica, serm. lxxxiii, n. 3. Eo se nubilem quo similem cernens. Serm., lxxxv, n. 10, 12 ; cf. Serai., XXXI, n. 6. Nul n’a célébré plus hardiment et plus délicatement que l’abbé de Clairvaux dans son lxxxme sermon sur le Cantique des Cantiqnes les douceurs de cet hymen mystérieux. C’est peut-être le plus bel hymne à l’amour que les échos d’un cloître aient entendu. Il faut le lire en entier. Entre l’âme et le Verbe tout devient commun, commeentre époux, la maison, la table, la chambre et le lit. Quibus omnia communia…, una domus, una mensa, unus thorus. In Cantica, serm. vu, n. 2. Bernard entend par là cette retraite mystérieuse où l’âme, recueillie et soustraite au tumulte des sens, tantôt s’abandonne à ses transports et tantôt se repose doucement sous le regard du Bien-Aimé.
Ici il nous fait pénétrer proprement dans la chambre de l’Époux. C’est un sanctuaire fermé à tous les regards ; c’est en quelque sorte le Saint des Saints, où l’épouse, comme autrefois le grand-prêtre, n’a accès qu’une fois l’an. Dans ce lieu tranquille tout repose, « la tranquillité de Dieu tranquillise tout, » tranquillus Deus tranquillat omnia. In Cantica, serm. xxiii, n. 16. Lui-même est assis dans son repos ; et, rien qu’à le regarder, l’âme s’endort paisiblement. Mais ce n’est là qu’un sommeil apparent ; l’âme vit et veille encore, vigil vitalisquesopor.In Cantica, serm. lii, n.3. Parfois, alors, elle est ravie à elle-même : c’est l’extase. Dans un éclair rapide, elle aperçoit la divinité ; mais c’est à peine si elle a pu saisir l’objet immatériel qui lui est apparu ; elle retombe aussitôt dans les images qui lui dérobent l’essence même de la beauté éternelle. Serm., LIT, n. 2, 3. Cum autem divinius aliquid raptim et veluli in velocitate corusci luminis interluxerit. Serm., xli, n. 3. Boy-miens in contemplatione Deum somniat… Tamen sic non tam spectati quant conjcctati, idque raptim et quasi sub quodam coruscamine scintillulee transeuntis, tenuiter vix attacli inardescit amore. Serm., xviii, n. 6. Cf. De gratia et libero arbitrio, c. v, n. 15, P. L., t. clxxxii, col. 1010.
Bernard a connu par expérience ces douceurs du mystique amour. Mais ce sont là, dit-il, des secrets qu’on ne révèle que par devoir. En dépit de sa discrétion, il a laissé échapper un mot qui peut nous donner une idée de l’extase telle qu’il la comprend et qu’il l’a expérimentée. C’est une sorte de mort aux choses de ce monde. Avec les images sensibles qui se sont évanouies, tout sentiment naturel a disparu. L’âme, alors, n’est plus sujette à la tentation et au péché. Tout est pur et spirituel dans sa vie, comme dans son amour. Vous n’avez plus à redouter pour elle la luxure et l’orgueil. « C’est en vain, dit-il avec l’auteur des Proverbes, qu’on jette un filet devant les pieds de ceux qui ont des ailes. » Sponsæ ecstasim voco mortem… Quid enim formidetur luxuria, ubi nec vita sentitur. In Cantica, serm. lii, n. 4.
Il semble qu’une telle doctrine soit bien voisine de celle de Fénelon et de M me Guyon. Mais un caractère important les distingue l’une de l’autre. Bernard ne croit pas à un état proprement dit de pur amour. Cf. Epist., xi, n. 8, P. L., t. clxxxii, col. 114. L’extase est à ses yeux chose passagère, raptim, I n Cant., serm. xli. n. 3 ; Serm., xviii, n. 6 ; De gratia et libero arbitrio, c. v, n. 15, col. 1010 ; et c’est uniquement pendant qu’elle dure qu’il accorde à l’âme l’immunité du péché. Dans sa pensée, l’extase est le moment précis où l’âme est ravie à elle-même par le consentement imperceptible qu’elle donne à l’attrait de là beauté du Verbe. Il est clair qu’à cette heure la tentation ne saurait avoir de prise sur elle.
Au reste, il faut bien remarquer qu’ici-bas, même dans l’extase, l’âme ne voit pas Dieu directement, et proprement ; elle ne l’aperçoit qu’en énigme et comme dans un miroir : Per spéculum et in aenigmate, non autem facie ad faciem, intérim inluetur. In Cantica, serm. xviii, n. 5. « Il n’y a pas un saint, pas un prophète, qui ait pu sur la terre le voir tel qu’il est. » Nunc quidem apparet quibus vult, sed sicuti vult, non sicuti est ; non sapiens, non sanctus, non propheta videre illum, sicuti est, potest aut potuil in corpore hoc mortali. In Cantica, serm. xxxi, n. 2 ; cf. Serm., xxxiii, n. 6 ; xxxiv, n. 1 ; De diversis, serm. ix, n. 1.
XII. ESCHATOLOGIE. —
1o Enfer, purgatoire, ciel. —
Bernard eut maintes fois l’occasion d’exposer sa pensée sur les fins dernières de l’homme. A cet égard ses écrits reflètent la doctrine courante. Dans un de ses sermons, De diversis, serm. xlii, n. 5-7, P. L., t. clxxxiii, col. 663665, il décrit le purgatoire, l’enfer et le ciel. Comme tous les écrivains du moyen âge, il se plaît à entasser dans l’enfer toutes les horreurs. « C’est un lieu mortel, où sévit un leu ardent, un froid rigoureux, un ver qui ne meurt pas, une puanteur intolérable, des marteaux qui frappent, dos ténèbres que l’on palpe, la confusion des pécheurs, le bruit des chaînes et la face horrible des démons. » Et ce qui est plus grave, ces tourments n’auront pas de tin. Le purgatoire est aussi un lieu de souffrances, mais q.ui n’auront qu’un temps et que nos gémissements, nos soupirs, nos intercessions et nos satisfactions peuvent abréger. Le ciel est un lieu de volupté, de splendeur, de joie, d’abondance, de paix, d’admiration, de satiété, de vision « où l’on voit la grande vi-ion…. où la sagesse resplendira sans ignorance, la mémoire sans oubli, l’intelligence sans erreur, et la raison sans obscurité » , etc.
2o État des âmes saintes dépouillées de leur corps, en attendant le jugement dernier. —
Cette question a sollicité plus particulièrement l’attention de l’abbé de Clairvaux. Sa réponse se lit dans trois sermons sur la fête de tous les saints, et dans son IVe sermon pour la dédicace d’une église, P. L., t. lxxxiii, col. 526 sq.
Le saint docteur déclare qu’il traite la question après mûre réflexion, sans préjudice toutefois d’une opinion meilleure dont on pourrait se prévaloir si l’on en avait reçu révélation : sine præjudicio sane, si cui forte aliter f’uerit révelatum. Néanmoins il estime que son sentiment est le vrai. De sanctis, serm. iv, n. 1, 2. Et il expose sa théorie sous quatre chefs : 1. Les âmes saintes, une fois dépouillées de leur corps, sont reçues dans le ciel, et admises dans la compagnie des anges. De sanctis, serm. iv, n. 1 ; Serm., ii, de S. Malachia, n. 5. —2. Ces âmes habitent dans « une grande lumière » , in lucc multa. De sanctis, serm. iv, n. 1. Elles sont « plongées dans une mer immense d’éternelle lumière et de lumineuse éternité » . De diligendo Deo, c. xi, n. 30. — 3. Elles voient l’humanité du Christ, De sanctis, serm. IV, n. 2, mais non sa divinité : cette faveur ne leur sera accordée qu’après la résurrection. En « attendant, les saints reposent heureusement sous l’autel, c’est-à-dire sous l’humanité du Christ, que les anges eux-mêmes désirent contempler de près » . Plus tard ils seront placés sur l’autel ; ils auront la pleine vision et la pleine contemplation de la divinité, lbid., n. 2. — 4. Cependant « ils se réjouissent dans l’Esprit-Saint, et au fond du cœur ils ont une grande joie, mais une joie imparfaite » , non plenam. De sanctis, serm. H, n. 4. Le désir qu’ils ont de reprendre leurs corps leur fait une sorte de ride, et les empêche de se précipiter librement vers Dieu de toute la force de leur affection. Adeo siquidem viget in eis desiderium hoc naturale, ut necdum tota eorum a/jectio libère pcrgat in Dcum : sed contrahatur quodam modo, et rugam facial, dura inclinantur desiderio ejus. De sanctis, serm. ni, n. 2 ; et. De diligendo Deo, c. XI, n. 30.
On s’est demandé si c’était bien là le dernier mot de l’abbé de Clairvaux sur la question, et Mabilloc a quelque peine à le croire. P. L., t. clxxxiii, col. 20-22. Il rappelle qu’en d’autres écrits Bernard semble accorder aux âmes des justes une félicité plus parfaite. Dans un de ses sermons sur saint Malachie, Serm., ii, n. 5, Bernard ne compare-t-il pas la gloire de son ami à celle des anges, pari cum angelis gloria et felicitate ? El décrivant l’entrée de saint Victor au ciel, cœlos irigressus, ne le rnontre-t-il pas « contemplant sans voile la gloire de Dieu, bienheureuse vision qui le transforme en une même image, de clarté en clarté, sous l’influence de l’Esprit du Seigneur » ? Serm., ii, de S. Vietore, n. 4. Enfin, dans un sermon De divertis, serm. xix, n. 3, expliquant les prérogatives des bienheureux : « Ils puisent, dit-il, l’eau dans la joie aux sources du Sauveur, et ils contemplent à l’œil nu, si je puis m’exprimer ainsi, l’essence de la divinité, sans être déçus par aucune représentation des fantômes corporels. » Comment concilier ce langage avec la théorie que nous avons exposée ? L’abbé de Clairvaux s’est-il contredit ou s’est-il rétracté ?
Nous ne croyons pas à une contradiction formelle ni à une rétractation. Dans ses sermons sur saint Malachie et saint Victor, Bernard parle d’une façon oratoire et n’a pas l’intention de préciser dogmatiquement le sort de ses héros. Le sermon xix De cliversis traite du bonheur du ciel en général, et n’aborde pas la question particulière de l’état des âmes qui attendent la résurrection. Il ne faudrait donc pas en tirer une conséquence qui n’est pas dans la pensée de l’auteur. Du reste le traité De consideratione est l’un des derniers ouvrages de l’abbé de Clairvaux ; le livre V n’est pas antérieur à l’année 1152 : or Bernard y fait allusion à la théorie exposée dans les sermons De sanctis, et il ne la désavoue pas. Son âme s’élève par la pensée « jusqu’aux demeures lumineuses, elle scrute curieusement dans les profondeurs du sein d’Abraham, et sous l’autel, quelle qu’en soit la nature, elle visite les âmes des martyrs qui, dans leur première étole, attendent là très patiemment la seconde » , c’est-à-dire la perfection de leur félicité : sub altari, quodeumque illud est, martyrum revisere animas, in prima stola secundam patieutissime expectantes. De consideratione, 1. V, c. iv, n. 9.
Il ne faudrait pas que cette théorie surprit trop le lecteur. On sait que Bernard se nourrissait de saint Ambroise et de saint Augustin. Or ces deux docteurs s’étaient montrés assez flottants dans leur enseignement eschalologique. Saint Ambroise enseignait, sur la foi du IVe livre d’Esdras. que, pendant tout le cours de la vie présente, les âmes attendent dans un endroit spécial les récompenses ou les châtiments qu’elles ont mérités : Scriptura habitacula illa animarum promptuaria nuncupavit. .. Ergo dum expectatur plenitudo temporis, expectant anima : remunerationem débitant. De bono mortis, 45-48. Cf. Tunnel, L’eschatologie sur la fin du 7 V’siècle, dans la Revue d’hist. et de littérat. religieuses, 1900, t. v, p. 97. Augustin accorde aussi une réelle béatitude aux âmes des justes, mais une béatitude inférieure à celle qui leur est réservée après le jugement dernier. Le sein d’Abraham sera pour elles, comme pour le pauvre Lazare, un lieu de repos provisoire : Poit hanc vitam nondum eris ubi erunt sancti quibus dicetur : Venite, benedicti… Nondmn eris, guis nescil" ? Sed jam poteris ibi esse, id)i illum quemdam ulcerosum pauperem dires ille superbus… l’iilit a longe requiescentem. In Ps. xxxvi, serm. i, n. 18. Cl. Enehiridion, c. xxix, et Turmel, Histoire de rangélologie, dans la Revue cilée, 1889, t. IV, p. 539, note 2. Voir t. i, col. 2447. Comme Augustin, l’abbé de Clairvaux aperçoit les âmes saintes dans « le sein d’Abraham » , et pour confirmer son opinion, il apporte le texte de saint Jean, sub altari, Apoc, VI, 9, qu’il interprète dans le même sens. Voir col. 690.
V. CARACTÈRE DE LA DOCTRINE DE SAINT BERNARD ET INFLUENCE QU’ELLE EXERÇA SUR LES AGES SUIVANTS. —
Malgré le dédain qu’il professe pour les hautes spéculations théologiques, Bernard est un théologien très averti et très profond. Si les vaines querelles de l’école lui échappent, la vraie métaphysique n’a pas pour lui de secrets. Il n’y entre pas par degrés, après un-long circuit de raisonnements, comme dans un labyrinthe ténébreux, à la manière des dialecticiens de profession qui trop souvent s’égarent en tâtonnant : il s’y élève d’une envolée, il y pénètre par intuition, grâce à la sûreté de son sens théologique. D’un mot il éclaire les questions, et les plus habiles s’étonnent de le voir résoudre en se jouant des difficultés sur lesquelles ils ont pâli durant de longues années.
Mais il est rare qu’il se livre aux spéculations qui ne doivent pas exercer une influence réelle sur la vie pratique. Deux écoles se partageaient les esprits, quand il entreprit d’écrire et d’enseigner : l’une qui avait le souci de conserver le caractère traditionnel et qui prit avec les maîtres de Saint-Victor un caractère mystique ; l’autre plus portée aux spéculations abstraites, à la critique des idées et des textes, et d’où sortit, avec Abélard, la scolastique : on devine aisément laquelle eut les préférences de l’abbé de Clairvaux. L’aversion qu’il témoignait pour les disputes, trop souvent stériles, de l’école, lui a même valu le reproche de décrier la science. Il y répondit en affirmant que, s’il méprisait la science de ceux qui veulent savoir uniquement pour savoir, ou pour faire montre de leur science, ou pour en trafiquer, il estimait infiniment ceux qui cultivent la science pour des motifs plus nobles. « Il y en a, dit-il, qui veulent savoir pour édifier autrui, et c’est charité ; comme il en est qui veulent savoir pour s’édifier eux-mêmes, et c’est prudence. Ceux-là connaissent vraiment le prix de la science et savent en user. » In Cantica. serm. xxxvi, n. 3. Ce que Bernard apprécie, en effet, chez un théologien, c’est moins l’étendue de l’érudition et les fines déductions de la dialectique, que l’amour des âmes et la science de la vie chrétienne. « Que m’importe la philosophie ? s’écriait-il un jour. Mes maîtres sont les apôtres ; ils ne m’ont pas appris à lire Platon et à démêler les subtilités d’AF-istote… mais ils n’ont appris à vivre. Et croyez-moi, ce n’est pas là une petite science. » Serm., i, in festo SS. Pétri et Pauli, n. 3 ; cf. Serm., iii, in Pentecosten, n. 5. C’est dans l’étude et dans l’enseignement de cette science que l’abbé de Clairvaux se complaît et excelle.
Outre un zèle ardent pour l’orthodoxie, ses ouvrages respirent la vie, la piété, l’amour de Dieu et des âmes. Leur caractéristique est l’onction, c’est-à-dire ce je ne sais quoi de doux, de fort et de tendre à la fois, qui trempe le style, le rend suave et le fait pénétrer jusqu’aux profondeurs de l’âme, à la manière de la grâce divine. Bernard possède au plus haut degré ce merveilleux secret. De là le titre de Doctor mellifluus qu’on lui donnait couramment au xve siècle et qui est resté attaché à son nom, comme celui i’Angelicus au nom de saint Thomas d’Aquin et celui de Seraphicus à saint Bonaventure. Fénelon a paraphrasé ce titre dans son Panégyrique de saint Bernard, lorsqu’il loue ainsi ses ouvrages : « Doux et tendres écrits, tirés et tissus du Saint-Esprit même, précieux monument dont il a enrichi l’Église, rien ne pourra vous effacer ; et la suite des siècles, loin de vous obscurcir, tirera de vous sa lumière. Vous vivrez à jamais, et Bernard vivra aussi en vous. » Bernard, en effet, pour parler comme Benoit XIV, est de ceux qui non seulement ont enseigné dans l’Église, mais encore ont enseigné l’Église.
Et d’abord Bernard est devenu par ses ouvrages l’organe officiel de la prière publique. L’Église, confiante en sa doctrine, lui a emprunté de nombreuses pages pour en composer les leçons du sanctoral dans le bréviaire. « Qui suis-je, écrivait-il modestement à l’abbé de Montiéramey, qui lui demandait un office de saint Victor, qui suis-je pour qu’on lise ma prose dans les églises ? » En dépit de son humilité, ses écrits sont une mine que les liturgistes ont largement exploitée. Les pages qu’il a consacrées à saint Joseph dans sa deuxième homélie sur les paroles Missus est, n. 16, se récitent aujourd’hui dans la solennité du 19 mars. Les leçons du second nocturne du bel office de Notre-Dame des Sept-Douleurs sont pareillement tirées de ses homélies, Sermo in dominica infra octavam Assumplionis, n. 1415. La fête des Saints-Anges, au 2 octobre, nous offre un extrait de l’un de ses sermons sur le psaume Qui habitat, serm. xii, n. 4, 6-8, etc. Bref, la plupart des fêtes modernes sont tributaires de ses œuvres.
Alexandre III et Innocent III, en préconisant la force et la pureté de la doctrine de l’abbé de Clairvaux, cf. Migne, P. L., t. clxxxv, col. 622, 625, avaient donné le signal de l’admiration que la postérité devait lui témoigner. Il était réservé à saint Bernard de clore cette glorieuse liste des Pères de l’Église qui commence aux premiers jours du christianisme et qui, continuée presque sans interruption pendant plus de six cents ans, porte des noms illustres, tels que ceux de saint Augustin, saint Ambroise, saint Jérôme, saint Grégoire le Grand, etc. Aux yeux des meilleurs juges, il ne devait en rien céder à ceux qu’il s’était choisis pour maîtres et pour modèles. « Le dernier des Pères, il est aussi grand que les plus grands d’entre eux, » ultimus inter Patres primis cerle non impar, a écrit Mabillon. Bernardi Opéra, Prsefat. generalis, n. xxiii, P. L., t. clxxxii, col. 26.
Placé aux confins de deux âges, à la limite des temps anciens et des temps modernes, l’abbé de Clairvaux clôt le passé, dont il recueille l’enseignement traditionnel, et ouvre l’avenir auquel il le transmet. A partir du XIIIe siècle les professeurs des écoles, les orateurs, les écrivains mystiques relèvent de lui, plus que de tous les autres Pères grecs ou latins, saint Augustin excepté. Les hérétiques eux-mêmes, un Luther et un Calvin, non moins que les catholiques, un saint Thomas d’Aquin ou un Gerson, se font gloire de feuilleter ses écrits et de demeurer fidèles à sa doctrine. Il est un auteur surtout, le plus illustre des anonymes, qui porte au moyen âge la manifeste empreinte de la pensée et du style des sermons sur le Cantique des Cantiques et du Traité de l’humilité. Saint Bernard a tant fourni au texte de l’Imitation de Jésus-Christ, dit un critique, qu’on a pu sans trop d’invraisemblance lui attribuer la paternité de l’ouvrage. C’est à lui notamment que le pieux inconnu emprunte les beaux mots qui servent pour ainsi dire d’épigraphe à son livre et qui en résument toute la doctrine : Ama nesciri. De imitatione Christ i, 1. I, c. il ; Bernard, Serm., ni, in nalivitate Domini, c. il, P. L., t. clxxxiii, col. 123. En général, le plagiat est moins manifeste, les ressouvenirs sont moins frappants, parce qu’ils sont moins textuels. Mais il serait aisé de retrouver, délicatement fondus dans la trame des chapitres, les fils d’or qu’une main habile a tirés des écrits du grand abbé de Clairvaux, cf. Vacandard, Vie de saint Bernard, l r « édit., t. ii, p. 538, note 2 : ce qui a fait dire, non sans une légère exagération, à un controversiste érudit, après la lecture de ses ouvrages : « L’Imitation ne m’a plus semblé être que la reproduction et l’analyse des écrits de saint Bernard. »
Ce qui est incontestable, c’est que certains écrits de l’abbé de Clairvaux ont fait, presque à l’égal du livre de l’Imitation de Jésus-Christ, les délices et l’aliment delà piété chrétienne. Et prises dans leur ensemble, ses œuvres ont eu une vogue vraiment extraordinaire. Une simple statistique de librairie suffirait pour le démontrer. Si l’on excepte les quatre grands docteurs de l’Église latine, Bernard est, de tous les Pères, celui dont les ouvrages ont été le plus souvent transcrits au moyen âge. Avec l’invention de l’imprimerie, une nouvelle fortune commence pour ses écrits. On en compte plus de quatrevingts éditions avant le commencement du xvie siècle (j’entends d’éditions partielles, car les éditions complètes sont postérieures à 1500). Le XIXe siècle atteignit le chiffre vraiment extraordinaire d’environ cinq cents éditions. Toutes les nations de l’Europe, à des degrés divers, ont contribué au succès de cette entreprise. La France marche en tête avec environ deux cents éditions des œuvres de son illustre enfant ; l’Allemagne la suit de près ; puis viennent l’Italie avec plus de quatre-vingts éditions, la Belgique-Hollande avec plus de vingt ; le reste se répartit entre l’Espagne, le Portugal, l’Angleterre, la Suède et les peuples slaves. Cf. Janauschek, Bibliographia Bernardina. Lorsque Pie VIII eut conféré à saint Bernard le titre officiel de docteur de l’Église (1830), cf. P. L., t. CLXXXV, col. 1544-1548, il semble que le mouvement qui portait les esprits vers les ouvrages du dernier des Pères se soit encore accru, et rien ne l’ait prévoir que ce mouvement doive se ralentir jamais.
Léopold Janauschek, Bibliographia Bernardina qua sancti Bernardi primi abbatis Claravallensis operum cum omnium tum singulorum editiones ac versiones, vitan et tractatus de eo scriptos, quotquot usque ad fi WDCCCXC reperire potuit, collegit et adnotavit, Vienne, 1891, a donné jusqu’à 276-1 numéros de bibliographie bernardine. Nous nous bornerons à indiquer les principaux ouvrages à consulter pour connaître la doctrine de saint Bernard’: outre ses Œuvres, voir dom Ceillier, Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques, in-4, Pari-, 1758, t. xxii, p. 317-470 ; Histoire littéraire de la France, édit. Palmé, Paris, 1869, t. xiii, p. 129-235 ; dom Clémencet, Histoire littéraire de saint Bernard, abbé de Clairvaux, et de I’Vénérable, abbé de Cluni, in-4°. Paris, 1773 ; Pien (Pinins), bollandiste, Acta sanctorum, augusti t. iv, p. 101 ; Neander, Der heilige Bernhard und sein Zeitalter, in-8°, Berlin, 1813, ouvrage réédité avec introduction et additions, par le D" M. Deutsch, 2 in-12, Gotha, 1889 : Ratisbonne, Histoire de suint Bernard et de son siècle, 2 in-12, Paris, 1840 (ouvrage plusieurs fois réédité) ; Rémusat, Abêlard, 2 in-8°, Paris, 1845 ; Ballerini, De sancti Bernardi scriptis circa Deiparx Virginis conceptionem, dissertalio historico-critica, in-8°. Borne, 1856, reproduite dans Sylloge monumentoruni ad mi/sterimu cuncéplionis immaculatx Virginis Deiparse illustrandum, in-8°, Rome, 1857 ; Bourassé, Summa aurea de laudibus beatissimse Virginis Mariée Dei Genitricis sine lube conccptæ, Paris, 1862 ; Morison, The life and lunes of S. Bernard, in-8°, Londres, 1863, rééditée en 1868, 1872, 1877, 1884 ; Bitschl, Lesefrûchte nus dem heilige Bernhard, dans Theolog. Studien und Kritiken, 1879, t. lii, n. 2, p. 317-335 ; Vacandard, Abélard, sa lutte avec saint Bernard, sa doctrine, sa méthode, in-12, Paris, 1881 ; Deutsch, Peter Abiilard, in-8°, Leipzig. 1883 ; G. Huiler, Der heilige Bernard von Clairvaux, Eine Darstellung seines Lebens und Wirkens, Vorstudien, in-8°, Munster, 1*86 ; G. Chevallier, Histoire de saint Bernard, 2 in-8°, Lille, 1888, plusieurs fois rééditée ; E. Vacandard, Histoire de saint Bernard, 2 in-8°, Paris, 1895 ; 2 in-12, 1897 ; W. Meyer, Die Anklagesàlze des heilig. Bernhard gegen Abâlard, dans Næhricnten der K. Gesellschaft lier Wissenschaften zu Gôttingen, jihilologischhistorische Klasse, 1898, fasc. 4, p. 420 sq. ; Piszter Imre, Szent Bernât Clairvauxi apât, Elete es miivei, Budapest, 1899.
E. Vacandard.
2. BERNARD D’ARRAS, dont la biographie nous est inconnue, appartenait aux capucins de la province de Paris ; nous savons qu’il fut gardien du couvent de sa ville natale et lecteur de théologie. Il se distingua dans la lutte contre les jansénistes qui lui donna occasion d’écrire les ouvrages suivants : Le grand commandement de la loi, ou le devoir principal de l’homme envers Dieu et envers le prochain, exposé selon les principes de S. Thomas, in-12, Paris, 17134. (Quérard, Bibliographie, indique à tort une édition de 1731.) Cet ouvrage est écrit contre la doctrine janséniste sur la charité. L’ordre de l’Eglise ou la primauté et la subordination ecclésiastique, selon S. Thomas, in-12, Paris, 1735. Ce livre fut supprimé par arrêt du Conseil d’État du 28 juillet 1736, parce que l’on craignait qu’il ne donnât lieu de renouveler des disputes sur les questions très vivement agitées alors. Les jansénistes triomphèrent de cet arrêt du Conseil (Nouvelles ecclésiastiques de 1736 à 1738) et l’un d’eux, Travers, prêtre du diocèse de Nantes, le prit à partie dans sa Défense de la Consultation sur la jurisdiction et approbation nécessaires pour confesser. (La Consultation parut en 1734-, la Défense en 1736.) Le 1’. Bernard réfuta cet auteur en publiant : Le ministère de l’absolution ou h 1 pouvoir de confesser selon S. Thomas, in-12, Paris, 1740. Il ajoutait ensuite un Avis au lecteur en tête des exemplaires de ce livre restés en librairie après que Travers eut publié son ouvrage des Pouvoirs légitimes du premier et du second ordre lions l’administration des sacrements et le gouvernement de l’Église (1744), ouvrage contre lequel il dirigeait en bonne partie son nouveau livre : Le code des paroisses ou recueil <ies plus importantes questions sur les cinés et leurs paroissiens… précède de quelques dissertation* contre le livre intitulé : Les pouvoirs légitimes. .., 2 in-12, Paris, 1746. Cet ouvrage fut loué par Journal de TrévOUX, septembre 1746. Non seulement le P, Bernard surveillait les jansénistes, mais aussi ceux qui tombaient dans l’excès opposé à leur rigorisme.
En 1745, le P. Pichon. jésuite, publiait un livre sur la Fréquente communion ; accueilli très favorablement à son apparition, ce livre fut bientôt justement censuré (l’auteur le désavoua en 1748). Le I’. Iîernard fut du nombre de ceux qui l’attaquèrent, mais comme les Appelants n’étaient pas exempts d’erreurs dans leurs critiques, il publia sans le signer un opuscule intitulé : Les écarts des théologiens d’Auxerre sur l’Eglise, la pénitence et l’eucharistie manifestés dans la troisième partie principalement de l’Ordonnance et instruction pastorale de monseigneur leur évè que portant une condamnation d’un livre intitulé : L’esprit de Jésus-Christ et de l’Eglise sur la fréquente communion par le P. Jean Pic/ion de la Compagnie de Jésus, in-4°, Liège (Paris), 1748. Enfin notre auteur publia : Le ministère primitif de la pénitence enseigné dons toute l’Église gallicane, ou l’administration de ce sacrement, selon les principes de la plus ancienne discipline suivis unanimement par le clergé de France, in-12, Paris, 1752. Il achevait d’imprimer ce livre quand il eut entre les mains un ouvrage intitulé : La fin du chrétien, Avignon, 1751 ; remaniement d’un autre ouvrage paru à Rouen en 1701 et 1728 sous le titre : La science des saints renfermée dans ces deux paroles : Il y a peu d’élus, et publié par un ex-oratorien nommé des Bordes, sous le pseudonyme d’Amelincourt. Sans perdre de temps il ajouta une critique de ce livre au volume qu’il imprimait. Le P. Bernard ayant fait hommage du Ministère primitif à Benoit XIV, en reçut une lettre très élogieuse, où nous voyons que ses supérieurs l’avaient fixé au couvent de Saint-IIonoré à Paris, pour lui donner plus de facilité de se consacrer à ses études. La bibliothèque franciscaine provinciale des capucins de Paris possède un manuscrit, probablement autographe, du P. Bernard, intitulé : L’antihiérarque, ou l’ennemi de la hiérarchie ecclésiastique, manifesté dans le livre intitulé Les pouvoirs légitima…et réfuté par le P. Bernard d’Arras, 1744. Notre capucin aurait eu, dit-on, la consolation de ramener à Dieu le célèbre Fontenelle, mort en 1757 ; mais nous ignorons quand lui-même mourut.
Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique du xviii’siècle. 2e édit., Paris, 1816, t. IV, p. 274 ; Bernard de Bologne, Bibliutheca script, ord. min. cap. ; Michel de Zug, BuUarium ord. min. cap., Rome, 1752, t. vil, p..412 ; Huiler, Nomenclator, t. ii, col. 1067.
P. Edouard d’Alençon.
3. BERNARD DE BOLOGNE, dans le monde Florian Toselli, naquit à Bologne le 17 décembre 1699 ; ses études de grammaire terminées, il entra à l’âge de dix-sept ans chez les capucins, le 12 juillet 1717. Après sa profession et ses études de philosophie et de théologie, il fut chargé d’enseigner à son tour la morale et le dogme. Il remplit encore diverses charges honorifiques dans son ordre, comme gardien et définiteur ; de 1750 à 1754 il fut supérieur des capucins à Malte ; en 1758 le général l’envoya commissaire dans la province de Milan. Malgré tout, le P. Bernard restait fidèle à ses études et à ses livres, auxquels la faiblesse de sa vue l’arracha peu avant sa mort, arrivée le 19 février 1768. En omettant à dessein ses œuvres oratoires, nous mentionnerons les suivantes : Manuale confessariorum ordinis capuccinorum, in-18°, Venise, 1737, 1740 ; Païenne, 1738. Cet opuscule ayant été censuré par la S. C. de l’Index pour quelques pages consacrées aux cas réservés (décret du Il septembre 1741), l’auteur en donna une nouvelle édition corrigée, Venise, 1715, quia été plusieurs fois réimprimée, Prato, 1832 ; ’r édit., Turin, 1835. — lusiituiio theologica juxta omnia /i<lci dogmata i I doctoris subtilis scholastico nervo inslructa, 4 ini", Ferrare et Venise, 1746, 1756. A la fin du troisième volume il ajoutait : Calculas chronologicus sacra* Scripluree de anuis a muudi exordio ad Christi orluni, et