Dictionnaire de théologie catholique/ALPHA ET OMÉGA

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 1.1 : AARON — APOLLINAIREp. 465-466).

ALPHA ET OMÉGA, noms de la première et de la dernière lettre de l’alphabet grec, qui ont servi à désigner symboliquement Jésus-Christ. —
I. Dans l’Apocalypse.
II. Chez les Pères.
III. Chez les gnostiques.
IV. Sur les anciens monuments chrétiens.

I. Dans l’Apocalypse, ils sont employés trois fois et la formule dont ils font partie est destinée à attester la certitude d’une annonce prophétique. « Le Seigneur Dieu qui est, qui a été et qui sera, le Tout-Puissant » dit de lui-même : « Je suis l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin. » Apoc, i, 8. Les commentateurs ne sont pas d’accord pour déterminer la personne qui parle, si c’est Dieu le Père, ou Jésus-Christ. Le Père est expressément désigné comme l’éternel et le tout-puissant. Apoc, i, 4 ; iv, 8. Calmet, Commentaire littéral sur l’Apocalypse, 2e édit., Paris, 1724, t. viii, p. 925. Si c’est Dieu le Père qui parle ainsi, la divinité de Jésus-Christ ressortira davantage, quand le Sauveur lui-même se nommera l’alpha et l’oméga. Or il le fait certainement, Apoc, xxi, 6 ; xxii, 13, et il explique la signification de ce nom symbolique, quand il ajoute : « le principe et la fin, » le principe de qui tout dérive, et la fin à laquelle tout doit être rapporté, « l’auteur des grâces et le distributeur des couronnes, le premier objet de votre culte et de vos espérances, et la fin de vos actions. » Calmet, op. cit., p. 1024. Il ajoute encore : « le premier et le dernier. » Apoc, xxii, 13. Ces expressions, déjà appliquées à Jésus-Christ, Apoc, i, 17 ; ii, 8, se lisent dans Isaïe, xli, 4 ; xliv, 6 ; xlviii, 12, où elles signifient que Dieu est l’auteur et le créateur de tous les êtres et qu’à ce titre, il sera le même à la fin des temps, qu’il est donc éternel et immuable, et le seul Dieu. Knabenbauer, Comment, in Isaiam, t. H, Paris, 1887, p. 87, 150, 221. En s’appliquant les attributs divins, Jésus-Christ affirme sa divinité et son égalité avec celui qu’ailleurs il a appelé son Père. On rapproche souvent ce nom symbolique d’A et Q des explications que les rabbins ont données des lettres hébraïques n et ii, sans qu’il y ait nécessairement parallélisme et dépendance. Talmud de Jérusalem, Haghiga, ii, 1 ; trad. Schwab, t. vi, p. 275 ; Schœttgen, Horse liebr. ettalmud., p. 1086 ; Schuhl, Sentences et proverbes du Talmud, 1878, p. 206, 280-281.

II. Chez les Pères. —

Les anciens écrivains ecclésiastiques ont adopté le nom symbolique A ii, donné par l’Apocalypse à Jésus-Christ, mais ils y ont attaché des significations différentes. —
1° Les uns ont conservé le sens primitif, exposé plus haut. Clément d’Alexandrie ne l’a pas seulement accepté, Strom., vi, 16, P. G., t. ix, col. 369, il l’a expliqué. Le Logos ainsi dénommé, a-t-il dit, Strom., iv, 25, P. G., t. viii, col. 1365, est infini ; c’est un cercle dans lequel toutes les puissances s’enroulent et s’unissent ; son commencement et sa fin se confondent et ne laissent entre eux ni distance ni intervalle. Le Verbe montre bien qu’il est A et Q, lui qui donne du lait, en se donnant lui-même aux chrétiens icibas et au lieu du repos éternel. Pœdagag., i, 6, P. G., t. viii, col. 292. Pour Tertullien, Liber de monogamia, b, P. L., t. ii, col. 935, Jésus-Christ se nomme A et Q afin de montrer que tout se ramène à lui et se réunit en lui d’à en « et d’u> en a. Origène, Comment, in Joan., i, n. 22, 23, P. G., t. xiv, col. 57, 61, en conclut que le Fils de Dieu est le principe de tous les êtres. Saint Jérôme, Cont. Jovinian., i, n. 18, P. L., t. xxiii, col. 247248, constate que Jésus, venu à la fin des temps, a ramené toute chose à son commencement et a rattaché en cercle o> à a. Saint Isidore de Séville, Elym., i, 9, P. L., t. lxxxii, col. 76-77, répète la même doctrine. L’auteur de VExpositio in vu visiones, i, 8, parmi les Œuvres de saint Ambroise, P. L., t. xvii, col. 768-769, reconnaît en Jésus-Christ l’a, le créateur du genre humain et l’auteur du salut, et l’a, la fin de la mort, de la loi et de tout péché. Prudence, Calliemerinon, ix, 10-12, P. L., t. lix, col. 863, l’a chanté en ces termes :

Corde natus ex parentis ante mundi exordium Alpha et Q. cognominatus : ipse fons et clausula Omnium qua ; sunt, fuerunt, quœque post futura sunt.

Saint Paulin de Noie, I’oema xxxi, v. 89-96, P. L., t. lxi, col. 673, célèbre aussi en vers latins l’a et l’a> et il y voit le triomphe de Jésus-Christ qui, après être descendu dans les limbes, est remonté au ciel. Primasius, Comment, in Apoc, i et v, P. L., t. lxviii, col. 799, 922, reconnaît que par là Jésus-Christ se dit Dieu, éternel, et créateur de toutes choses. Bède, In Apoc., i, 8, P. L., t. xciii, col. 135 ; Alcuin, Comment, in Apoc, i, P. L., t. c, col. 1095 ; saint Brunon d’Asti, Exposit. in Apoc, I, P. L., t. clxv, col. 610-614 ; Haymon d’Halberstadt, Exposit. in Apoc, i et vii, P. L., t. cxvii, col. 948, 1195, 1217, enseignent la même doctrine. Saint Thomas, Cont. gentes, l. III, c. xvii, cile l’Apocalypse, xxii, 13, pour prouver que Dieu est la fin de toutes choses. —
2° Les Pères ont donné au nom symbolique A et Q une autre signification ; ils y ont reconnu l’union de la divinité et de l’humanité dans la personne de Jésus-Christ. Origène, Comment. in Joan., i, n. 31, P. G., t. xiv, col. 80-84, l’a expliqué ainsi avec beaucoup de subtilités : Le Verbe qui était Α comme Dieu, est devenu Ω, en se faisant homme ; le Fils de Dieu qui a réuni en lui toutes choses est comme principe dans l’humanité qu’il a prise et comme fin, dans le dernier des saints qu’il récompensera ; il est aussi comme principe en Adam, le premier homme qu’il a créé, et comme fin, à son avènement en ce monde. Primasius, Comment, in Apoc, v, P. L., t. lxviii, col. 932, a pensé que l’auteur de l’Apocalypse avait répété plusieurs fois que Jésus est Α et Ω, afin d’insinuer plus souvent la divinité et l’humanité du Christ. Saint Grégoire le Grand, In Ev., homil.xxii, n. 8, P. L., I. lxxvi, col. 1179-1180, a prêché au peuple que notre rédempteur est A, parce qu’il a été Dieu avant tous les siècles, et Ω, parce qu’il s’est fait homme à la fin des siècles. Bède, In Apoc., xxii, P. L., t. xciii, col. 205 ; Alcuin, Comment, in Apoc., i, P. L., t. c, col. 1095 ; Haymon d’Halberstadt, Exposit. in Apoc, i et vii, P. L., t. cxvii, col. 948, 1195, 1217, ont reproduit cette explication.

III. Chez les gnostiques. — Marcus, disciple de Valentin avait vu la Vérité, qui appartenait à la tétrade, des êtres supérieurs, comme une femme dont la tête représentait Α et Ω. De son côté, l’Éon Jésus contenait en lui le nombre de tous les éléments ; c’est ce que manifesta bien, au jour de son baptême, la descente de la colombe, puisque la valeur des lettres du nom grec de cet oiseau équivaut à celle d’Ω et d’Α ; elle est de 801. Tertullien, De præscript., 50, P. L., t. ri, col. 70 ; S. Irénée, Cont. hær., I, xiv, n. 3, 6 ; xv, n. 1, 2, P. G., f. vii, col. 601, 608, 616, 617. Primasius, Comment, in Apoc, v, P. L., t. lxviii, col. 932-933, a gardé le souvenir de la valeur numérique du nom grec, TrepiWpa, de la colombe, et comme au baptême de Jésus, la colombe représentait le Saint-Esprit, il en conclut contre les ariens et les autres hérétiques que le Saint-Esprit a la même nature que le Père et le Fils, et qu’il leur est consubstantiel et coéternel.

IV. Sur les anciens monuments chrétiens. — La tradition
16. — Α Ω suspendus par des chaînettes à la croix monogrammatique, d’après Bottari, Sculpture e pitture, 3 in-fol., 1737-1753, tav. xliv.
monumentale va de pair avec la tradition écrite. Les anciens aimaient à représenter ce symbole de Jésus-Christ. On le voit peint ou gravé sur une foule de monuments publics ou privés (fig. 16, 17, 18), dans les églises et les cimetières, sur les médailles et les étendards militaires, dans les maisons des particuliers, les sarcophages, les tableaux, les fresques, les mosaïques, sur des inscriptions, des anneaux, des lampes, des amphores, des briques, des cassettes, des verres et des cuillères, sous des formes diverses, seul ou uni à d’autres sujets. C’est au cours du iye siècle que son emploi devient très fréquent et très répandu et on le trouve dans toutes lus régions de l’empire romain. 1] présente différentes significations. Il a ordinairement le sens que lui a donné l’auteur de l’Apocalypse. Mais joint au monogramme du Christ, il a marqué d’une façon plus spéciale la divinité de Jésus-Christ et il a été employé surtout dans l’Afrique chrétienne
17. — Monnaie de Constance IIn. DN GONSTANTIVS PF AUG. Buste de Constance II diadémé à droite. — v. SALUS AUG NOSTRI. Dans le champ, le monogramme du Christ accosté de l’Α et de l’Ω ; dans l’exergue : TRS.
comme une protestation de foi contraire à l’hérésie d’Arius. Martigny, Dictionnaire des antiquités chrétiennes, 2e édit., Paris, 1877, p. 476-477, 521. Dans quelques
18. — Anneau chrétien antique, d’après A. Boldetti, Osservazioni sopra i Cimiterij de’santi Martin, in-fol., Rome, 1720, p. 502, n. 32.
monuments, il se rencontre avec le triangle. Bien que la signification ancienne du triangle soit inconnue, J.-B. de Rossi, De titulis christianis Carthaginiensibus, dans Pitra, Spicilegium Solesmense, t. iv, Paris, 1858, p. 514-515, pense qu’il représente la Trinité et que, joint au monogramme du Christ et aux sigles α et ω, il symbolise Jésus-Christ ou la seconde personne de la sainte Trinité incarnée. Aringhi, Roma subterranea, Rome, 1651, t. i, p. 605, l’avait déjà admis. Martigny, Dict. des antiquités chrét., p. 766, et Kraus, Realencyklopädie der christlichen Alterthum, t. i, p. 378, l’ont reconnu. Primasius, Comment. in Apoc., v, P. L., t. lxviii, col. 932, supposait que la formule : « Je suis l’alpha et l’oméga, » était répétée trois fois dans l’Apocalypse pour indiquer l’unité de nature des trois personnes divines.

J. Chr. Wolf, Cursae philologicae et criticae in SS. Apostolorum Jacobi, Petri, Judae et Joannis epistolas hujusque Apocatypsium, t. 443 : Aringhi, Roma subterranea, Rome, 1651, t. ii, p. 564-565, 703-705 ; Gretzer, De Cruce, i, 9-12, 30, Opera, Ratisbonne, 1734, t. iii, p. 20-22, 58-00 ; Muratori, Notae et observationes in S. Paulini opera, P. L., t. lxi, col. 930 ; Martigny, Dictionnaire des antiquités chrétiennes, 2e  édit., Paris, 1877, p. 50-51 ; Barbier de Montault, Traité d’iconographie chrétienne, Paris, 1890, t. I, p. 84, 300 ; t. II, p. 21, 24, 99, 101, 179, 442 ; Kirchenlexikon, 2e  édit., Fribourg-en-Brisgau, 1882, t. i, p. 581583 ; Marie-Michel, O. M., Christus Alpha et Oméga, seu de Christi universali regno, Lille, 1898, p. 79-84 ; Hauck, Realencyclopädie für protestantische Théologie und Kirche, Leipzig, 1896, t. i, p. 1-12 ; Dictionnaire d’archéologie chrétienne, t. i, col. 1-25.