Dictionnaire de théologie catholique/AGGÉE (Le livre d')

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 1.1 : AARON — APOLLINAIREp. 292-297).

AGGEE. Après une étude générale sur le livre d’Aggée, nous consacrerons un article spécial à la prophétie du chapitre ii, 7-10.

I. AGGÉE (Le livre d’). —
I. Aggée et sa mission.
II. Sa prophétie.
III. Commentaires.

I. Aggée et sa mission. —

Aggée (hébreu : IJaggai ; Septante :’Ayi-aïoç ; Vulgate : Aggœus), dont le nom pourrait se traduire en latin par festivus ou mieux peut-être par peregrinus, est l’un des douze petits prophètes. On ne sait avec certitude que peu de chose sur l’histoire de sa vie. D’après les uns, il serait né en Judée, avant l’exil, et aurait vu de ses yeux le temple de Salomon ; d’après les autres il naquit un peu plus tard en Chaldée, d’où il vint à Jérusalem en compagnie de Zorobabel. Des auteurs pensent savoir qu’Aggée fit partie de la grande synagogue, qu’il mourut à un âge fort avancé, après l’achèvement du second Temple. On l’aurait enseveli avec beaucoup d’honneur dans l’endroit réservé à la sépulture des prêtres. Toutes ces conjectures reposent uniquement sur des traditions dont la valeur est contestable.

Ce que le texte biblique nous apprend de certain, c’est qu’Aggée prophétisa à Jérusalem et que les oracles, dont se compose son livre, ont eu lieu dans un espace de quatre mois environ. Voici dans quelles circonstances. Seize ans s’étaient écoulés depuis le retour de l’exil et c’est à peine si les Juifs revenus de Babylone avaient relevé l’autel des holocaustes et jeté les fondations du nouveau Temple. Les tracasseries des Samaritains n’étaient pas la seule cause de cette lenteur ; il y avait encore de l’indifférence religieuse. Les choses en étaient là quand, la seconde année de Darius, fils d’Hystaspe (520), les prophètes Aggée et Zacharie se levèrent pour faire entendre à Zorobabel, au grand prêtre Josué et au peuple des paroles de reproche et d’encouragement. I Esdr., iv, 24-v, 3. La reconstruction du Temple : tel fut l’objet de la mission d’Aggée.

Cette mission avait une portée considérable. Le Temple était pour les Juifs, surtout après l’exil, le centre de la vie religieuse et nationale. Tant qu’il n’était pas rebâti, on ne pouvait pas songer sérieusement à reconstituer le culte et la cité. Le véritable caractère, comme aussi l’avenir de la restauration entreprise par Zorobabel, dépendait donc du zèle et de la célérité que le peuple mettrait à relever de ses ruines le seul édifice où il fût permis de sacrifier à Jéhovah.

II. Prophétie d’Aggée. —

La prophétie d’Aggée se divise tout naturellement en quatre oracles distincts, prononcés à des époques liés rapprochées les unes des autres.

I" La seconde année de Darius, le premier jour du sixième mois (Elûl = août-septembre), Aggée adjure publiquement Zorobabel et Josué de ne pas tarder davantage à poursuivre avec diligence le relèvement du Temple. Qu’on ne prétexte pas le manque de ressources, car elles ne font jamais défaut quand il s’agii d’élever des maisons lambrissées. Seul, le sanctuaire de Dieu resterai ! en ruines ? La sécheresse et la disette sont un juste châtiment de l’indifférence du peuple. Le vingtquatrième jour du même mois, on se met à l’œuvre sous la direction de Zorobabel, i, 1 ; ii, 2.

2° Le vingt-et-unième jour du septième mois (Tisri = septembre-octobre), le septième jour de la solennité des Tabernacles, nouvel oracle ; ce sont des paroles d’encouragement, spécialement à l’adresse de ceux qui, ayant vu le Temple de Salomon, ne peuvent aujourd’hui considérer, sans pleurer, les chétives dimensions de celui qu’on rebâtit. Qu’ils sachent que la gloire future du Temple sera bien supérieure à celle d’autrefois. Le nouveau sanctuaire ne disparaîtra pas avant d’avoir vu se réaliser la promesse messianique ; de tous les points du monde les peuples y apporteront un jour le tribut de leurs présents, ii, 2-11.

3° Le vingt-quatrième jour du neuvième mois (Kislev = novembre-décembre), le prophète pose aux prêtres deux questions sur la pureté et l’impureté légales, pour avoir l’occasion d’avertir le peuple qu’aussi longtemps que le Temple ne sera pas rebâti, Dieu les traitera comme des gens impurs. Qu’on se rappelle les fléaux dont récemment encore ont souffert les fruits de la terre. Le jour est proche où Dieu va répandre ses bénédictions, n, 11-21.

4° Le même jour, Dieu déclare solennellement qu’au temps où, faisant justice du monde entier, il renversera les trônes et brisera la force des puissants, cf. il, 7, 8, ses regards s’arrêteront avec complaisance sur Zorobabel, dont il prendra soin comme un maître fait de son propre sceau, ii, 21-24. Ce dernier trait est à rapprocher de I Par., iii, 17, et, 1er., xxii, 24.

S ; ms avoir l’éclat d’Isaïe, l’énergie d’Amos et de Joël, le style d’Aggée ne manque pas de pureté, ni même d’une certaine élégance. Sa prose est coupée par endroits de ce parallélisme rythmique un peu lâche, dont les prophètes aiment à se servir. Quelques répétitions, comme celle-ci : ponite corda vestra super vias vestras, I, 5, 7 ; il, 16, 19, trahissent une langue assez pauvre, si toutefois elles ne sont pas l’effet de l’artifice oratoire. Mais il ne faut pas s’exagérer la portée de cette appréciation littéraire, faite sur un morceau de si peu d’étendue.

Inutile de s’attarder à établir l’authenticité et la canonicité de la prophétie d’Aggée, qui n’ont jamais été sérieusement contestées. On en trouve d’ailleurs des témoignages explicites dans la Bible elle-même. I Esdr., t, 1 ; vi, 14 ; Eccli., xlix, 13 ; cf. Agg, ii, 24 ; Hebr., xii, 26 ; cf. Agg., ii, 7. Le texte et les versions n’appellent aucune remarque spéciale.

III. Commentaires. —

S. Jérôme, P. L., t. xxv, col. 1387-1416 ; Théodore de Mopsueste, P. G., t. lxvi, col. 474-494 ; Théodoret de Cyr, P. G., t. lxxxi, col. 18601874 ; S. Cyrille d’Alexandrie, P. G., t. lxxi, col. 10211063 ; Haymon d’Alberstadt, P. L., t. cxvii, col. 211-221 ; Rupert, P. L., t. clxviii, col. 683-700 ; Albert le Grand. Tous les scolastiques de la renaissance qui ont donné un commentaire continu des petits prophètes. Ribera, S. J. († 1591), et Sanctius, S. J. († 1628), méritent une mention spéciale. Ils avaient été précédés d’Eckius, Comment, super Haggœum prophet., Sehgensladt, 1538 ; L. Reinke, Der prophet Haggai, in-8o, Munster, 1868 ; Knabenbauer, In proph. min., t. ii, p. 174-210 (1880) ; Trochon, Les petits Prophètes, p. 373-391 (1895) ; Yan Hoonacker, Les douze petits prophètes, 1908, p. 538-576. Rosenmùller, Schol. in V. T., t. vii, p. 92, énumère les commentaires protestants parus de 1550 à 1822. Il convient d’y joindre Ivohler, Die Weissagung Haggaïs, Erlangen, 1860 ; Pusey, Comment, on the minor Prophets, Oxford, 1889, in-4o ; Perowne, Haggai and Zechariah, in-12, 1888 ; Tony André, Le prophète Aggée, 1895.

A. Durand.

II. AGGÉE, II, 7-10.

A s’en tenir aux termes de la Vulgate, une des dernières prophéties messianiques se lit dans Aggée, ii, 7-10. Le passage entier, qu’on intitule d’ordinaire la gloire du second Temple, se résume assez

bien dans l’incise du verset 8* : Et veniet desideratas cunclis goilibus. Ce « Désiré de toutes les nations » serait le Messie. C’est là une traduction et un commentaire que des exégètes, même catholiques, contestent aujourd’hui. Voyons ce qu’il en est. La marche de cette étude est toute naturelle : I. Critique des versions et du texte. IL Exégèse du passage. III. Conclusion.

I. Critique des versions et du texte. —

1° La Vulgate actuelle, c’est-à-dire la version hiéronymienne porte, sans variante de quelque importance :

7. Quia hsec dicit Dominas exercituum : Adhuc unum modicum est, et ego commovebo csduni, et terra »), et mare, et aridam.

8. El movebo omnes gentes : et veniet desideratds cunctis gentibvs : et implebo domum islam gloria, dicit Dominus exercituum.

9. Meum est argentum, et meum est aurum, dicit Dominus exercituum.

10. Magna erit gloria dom.ua istius novissimæ plus quam primai, dicit Dominus exercituum : et in loco islo dabopacem, dicit Dominus exercituum.

2° Jusqu’à la fin du ive siècle, les Pères latins ont lu dans Vantique Vulgate latine ou version préhiéronymienne, vulgairement appelée ilala, une variante considérable, puisqu’elle concerne précisément le verset 8e, qui semble décisif. Au lieu de veniet desideratus cunctis gentibus, saint Ambroise, Epist., xxx, 12, P. L., t. xvi, col. 1064 : ut introirent electa genlium ; saint Augustin, De civ. Dei, xviii, 45, 48, P. L., t. xr.i, col. 606, 611 ; Ad Donat. p>ost collai., P. L., t. xliii, col. 671 : renient quæ electa sunt Domini de cunclis gentibus. Cette dernière leçon se rencontre encore dans saint Jérôme, qui la donne comme étant celle des Septante, in h. L, P. L., i. xxv, col. 1402. Aussi bien dom Sabatier, Bibl. s. version, ant. lat., in h. L, rétablit-il comme il suit la version latine primitive : et venient omnia electa gentium. Peut-être eût-il mieux fait d’écrire : et venient electa omnium gentium. Quoi qu’il en soit, il a fort justement omis le mot Domini lu par saint Jérôme et saint Augustin ; c’est manifestement une glose latine, répudiée par le texte et les autres versions.

3° Nous ne citons des Septante que le passage utile : "Eti anaÇ iyio aeiaco tôv ouf, avbv xai tyjv y^i v y -°" T V 6â), a<raav xa tïiv ijïjpâv, xa <rjvo-£Î<Ta> îiâvra Ta s6vy|, x « v^Çei ta èxÀExrà 7tâvTuv ràiv èôvùv… c’est-à-dire et venient optima omnium gentium, ou encore : optimse inter omnes gentes. La leçon grecque se présente uniformément dans tous les textes et les œuvres des Pères.

4° Version syriaque : « Encore un temps, hedd zeban, j’ébranlerai le ciel et la terre et le continent ; et j’ébranlerai toutes les nations et elles apporteront le désir, regtà, de tous les peuples, et je remplirai cette maison de gloire, dit le Seigneur tout-puissant. » — La paraphrase chaldéenne traduit exactement de la même manière, excepté qu’au verset 8 b elle porte : et venient desiderium omnium gentium. D’après Galatin, Opus de arcan. cathol. veril., p. 211, Rabbi Akiba (ne siècle) traduisait : et adducam desiderium omnium genlium,

5° Version arabe : et venient selectissima quæque omnium gentium.

6° Texte hébreu massore’tique.

Car ainsi parle Jéhovah Sabaoth : Encore une fois —[ce sera

[bientôt, ]

Et moi j’ébranlerai les cieux et la terre, et la mer, et le con-Et j’ébranlerai tous les peuples, [tinentjl

Et viendront les trésors de toutes les nations ; Et je remplirai cette maison de gloire :

dit Jéhovah Sabaoth !

A moi l’argent et à moi l’or :

oracle de Jéhovah Sabaoth !

Plus grande sera la dernière gloire de cette maison que la

dit Jéhovah Sabaoth ! [première : ]

Et en ce lieu-ci je donnerai la paix :

oracle de Jéhovah Sabaoth !

Nous avons adopté cette disposition symétrique, pour que le parallélisme du rythmé hébreu saute aux yeux.

7° Il suffit de jeter un coup d’oeil sur ce tableau comparatif du texte et des versions pour s’apercevoir que la Vulgate présente une variante caractéristique à l’endroit capital du passage : et veniet desideratas citnelis gentibus. Elle substitue le singulier au pluriel : veniet pour venient ; surtout elle met desideralus au lieu de desiderium. Saint Jérôme aura-t-il cédé ici, comme en plus d’un autre endroit, cf. Cornely, Introd. in sacr. Script., t. i, p. 425-426, au désir de préciser et de donner du relief à ce qu’il croyait être une prophétie messianique, substituant dans ce but le concret à l’abstrait : le désir*’1, la chose souhaitée et attendue pour le désir lui-même, tout comme fait Cicéron quand il écrit : Valete desideria mea ? C’est là une hypothèse très probable, et même certaine. On ne peut guère supposer en effet que le saint docteur ait lu dans le texte hébreu autrement que les Septante et les autres anciens traducteurs. La terminaison féminine du mot hemdat, « désir, » est trop caractéristique pour se prêter à une confusion quelconque. Tout au plus serait-il permis de conjecturer que les Septante auront lu le pluriel hemdat, bien que leur traduction puisse aussi bien s’expliquer avec le singulier collectif hemdat. Saint Jérôme a cru mieux traduire que les Septante : voilà tout.

S’appuyait-il pour en agir ainsi sur quelque interprétation traditionnelle reçue des Occidentaux ? Rien n’autorise à penser que les latins aient connu avant lui la traduction et veniet desideratus cunctis gentibus. Il est vrai qu’on la rencontre plusieurs fois sous la plume de saint Augustin, De civ.Dei, xviii, 35, 48, P..L., t. xli, col. 593, 611 ; Serm., l, P. L., l. xxxviii, col. 330 ; In Psalm. cxviii, 20, P. L., t. xxxvii, col. 1557 ; mais tous ces écrits sont postérieurs à la version de saint Jérôme ; et, d’ailleurs, en un endroit au moins saint Augustin se réclame expressément de l’hébreu, P. L., t. xli, col. 611. Or nous savons qu’en pareil cas son autorité est toujours le témoignage de saint Jérôme. Néanmoins il est possible que [ l’ensemble de tout le passage eût déjà reçu en Occident une interprétation messianique. Cette hypothèse donnerait à comprendre comment il se fait que, sans plus d’explication, saint Augustin l’expose si souvent dans ce sens. Et peut-être tel aura été le point de départ de saint Jérôme pour accentuer le messianisme du verset 8 e.

8° Quant à l’opinion de Ribera, in h. L, prétendant que les juifs postérieurs à saint Jérôme ont sciemment altéré ce passage à l’effet de l’obscurcir, elle n’est pas soutenable en face du texte et des versions. Il faut en dire autant de ceux qui, à la suite de quelques anciens, traduisent comme s’il y avait behenidat, « et viendront les nations avec empressement, » ou encore et hemdat, « et on s’approchera du Désiré des nations. »

II. Exégèse du passage. —

1 » Que saint Jérôme ait entendu par ce « Désire des nations » le Messie en personne, son commentaire ne laisse aucun doute à ce sujet. P. L., t. xxv, col. 1402. Il est pareillement incontestable que cette interprétation a été généralement suivie des latins depuis le moyen âge. Qu’il suffise de citer llaymon, P. L., t. CVIII, col. 217 ; Rupert, P.jL., t. ci.xviii, col. 686, 687 ; puis, dans leurs commentaires sur Aggée. Albert Le Grand, Hugues de Saint-C.lier, Nicolas de Lire, Ribera, Sancti us, Cornélius a Lapide, Menochius, Tirinu s, Sa, Estius, dom Calmet ; enfin, plus près de nous, liade, Corluy, Vigouroux, etc. A ces noms on pourrait joindre ceux de Luther, d’un grand nombre d’anciens protestants et parmi les modernes celui du D r Pusey. Avant notre époque les voix discordantes se comptent facilement. C’est par exemple celle de Mariana qui interprète le membre de phrase et veniet desideratus cunctis </<//tibus, en disant : id est divitise, aurum, argent um quæ omnes cupiunt. D’ailleurs il tient pour le sens messianique de l’ensemble du passage. Depuis un siècle, les protestants dits orthodoxes comme Hengstenberg et quelques exégètes catholiques, par exemple Reinke, le P. Knahenbauer et M. l’abbé Trochon se sont rangés à ce sentiment. A notre connaissance, le P. Houbigant fut le premier à opposer une dénégation radicale en refusant au passage tout entier un sens messianique quelconque. Vulgatus : veniet desideratus cunctis gentibus non sic licebat per verbum VEBAUnitmeri pluralis, quo numéro id legunt omnes veteres. Prseterea séries orationis excludit ab hoc loco Messise ad vent um, ad quem Messiam nihil pertinet de his verbis : meum est ar-GENTUM. .. P. Houbigant, Biblia hebr., t. IV, p. 709. Cette opinion est devenue celle de tous les rationalistes et d’un grand nombre de protestants.

2° Il faut bien convenir que l’interprétation qui entend le verset 8e de la personne même du Messie est inconnue avant la fin du ive siècle. Le fait n’a rien d’étonnant, puisque ce sens se fonde tout entier sur la traduction de saint Jérôme. Jusque-là grecs et latins entendaient par ces mots des Septante : xa’i f É Çet Ta Êy.Xexrà 7râvTt<>v tùv èôviôv, et venient electa omnium gentium, « l’élite de toutes les nations qui devaient un jour se convertir à la foi chrétienne : trophées glorieux, dons inestimables dont Dieu se plaira à parer l’j'.glise de son Messie. » S. Cyrille, P. G., t. lxxi, col. 1046 ; S. Ambroise, P. L., t. xvi, col. 1064 ; S. Jérôme, P. L., t. xxv, col. 1404 ; S. Augustin, P. L., t. xli, col. 606. On peut, il est vrai, faire remarquer que saint Éphrem avait déjà écrit, en rapprochant Aggée, ii, 8, 9, de III Reg., x, 27 : « Il s’agit de l’Église même du Messie qui doit se remplir de cet argent véritable, quand sera venu celui après qui soupirent toutes les nations.)>Operaomniasyriace, t.ï, pA61. Mais il convient de ne pas oublier que « le commentaire de saint Éphrem sur l’Ancien Testament ne nous est parvenu dans sa forme originale que pour la Genèse et la majeure partie de l’Exode, dans le manuscrit du Vatican 110 du VIe siècle ; pour les autres livres, il existe, d’une manière abrégée, dans une Catena Patrum composée en 861 par Sévère, un moine d’Antioche. L’épitomé de Sévère, comparé avec le manuscrit 110 d u Vatican, montre que le commentaire de saint Éphrem, dont se servait le moine d’Antioche pour la Genèse, di lierait de celui de ce manuscrit. Ce commentaire est basé sur la Peschito, mais il a subi des interpolations ; il s’y trouve des citations des Septante que saint Éphrem, ignorant le grec, ne pouvait utiliser ». R. Duval, La littérature syriaque, Paris, 1899, p. 75. Il est à craindre que Sévère n’ait pris bien d’autres libertés. Si la phrase citée plus haut était vraiment de saint Ephrem, Bar-Hébrneus et Bar-Salibi ne l’eussent pas ignorée ; et ils n’auraient pas manqué d’enregistrer dans leurs propres écrits un commentaire si remarquable. L’école d’Antioche — y compris les commentateurs de langue syriaque — connaît même une exégèse qui ne regarde pas si loin. Il s’agirait tout simplement des nations ennemies d’Israël, comme Gog et Magog ; elles seront vaincues et leurs dépouilles viendront enrichir le temple de Jérusalem. Théodore de Mopsueste, P. G., t. lxvi, col. 487 ; Théodoret de Cyr, P. G., t. lxxxi, col. 1867-1869. Cf. S. Jean Chrysostome, P. G., t. Xi.vn, col. 296 ; t. lv, col. 222 ; t. i.vi, col. 158 ; t. lxi, col. 293 ; Bar-llébrœus, In XII Proph. min. scholia, p. 20 (recensuit fïern. Moritz, Leipzig. 1882) ; Bar Salibi, Comment, in V. T. (encore inédit, Biblioth. nat. de Paris, fonds syr.).

3° Avec la version de saint Jérôme on commence à entendre Aggée, 11, 8, du Messie en personne, (’/est là un sens qui plaît singulièrement i saint Augustin ; il y revient à plusieurs reprises (voir les endroits cités plus haut 1, 7°, col. 567). Mais la garantie principale, peut-être même unique, de cette interprétation est l’autorité de saint Jérôme qui prétend avoir rendu exactement le texte original. Toute la question se ramené donc à examiner >i celle prétention est fondée. Or les raisons qu’on fait valoir contre la traduction de la Vulgate hiéronymienne se peuvent ramener à trois chefs.

a) Dans le texte hébreu, le verbe est au pluriel : vebdû, « et venient. » D’où il faut conclure que le sujet hemdat ne saurait désigner une seule personne, mais doit avoir un sens collectif. On parle du désir pour donner à comprendre les choses mêmes qui en sont l’objet : divitiæ, res pretiosse, optima quæque. Si on ne veut pas y voir un collectif, il faut alors lier tellement le mot hemdat aux deux suivants Kol-haggoïm, « omnium gentium, » lui servant de complément, qu’il ne fasse plus qu’un avec eux ; ce complément du sujet, étant au pluriel et renfermant l’idée principale, explique comment le verbe se trouve lui-même au pluriel. C’est là ce qu’on est convenu d’appeler la régie de Glassius, de constructions ad. sensum. De la sorte la proposition : Et venient desiderium omnium genlium, éqmvautk celle-ci : Et venient ea [pretiosa] quaz desiderantur ab omnibus j gentibus. C’est ainsi que les Septante et les autres’anciennes versions ont rendu le texte. Si, au contraire, la phrase hébraïque est à traduire comme fait la Vulgate, elle est réfractaire à toute analyse grammaticale. Et d’abord hemdat, « desiderium, » mis pour la personne même du Christ qu’on désire, ne peut pas avoir un sens collectif. Ensuite cunctis gentibus son complément ne saurait inlluer sur ce verbe pour le mettre au pluriel, puisque ces deux mots ne renfermeraient plus l’idée principale, qui, dans ce cas, se concentre manifestement tout entière sur hemdat, « le Désiré. »

Sans nier la valeur de cette considération grammaticale, j’avoue qu’elle ne me convainc pas entièrement. Il ne serait pas difficile, je crois, de signaler plus d’un exemple de construction hébraïque où l’enallage n’est guère plus explicable qu’ici, même dans l’hypothèse que la Vulgate a bien rendu le texte. Citons seulement d’après l’hébreu, Job, xv, 20 ; Ps. cxviii, 103 ; Is., xvi, 4 ; xlv, 8. Cf. Gesenius-Kautzsch, Hebr. Gram., §lb5 ; Ribera et Sanctius, in h. I. ; Pusey, Comment, in the minor Prophets, p. 495, 496 ; Corl uy, Spicil. bibl., t. i, p. 521. D’ailleurs il est à remarquer que le concept du Christ envisagé comme la source de tous les biens messianiques, donne à hemdat un sens cumulatif, qui fait équivalemment de ce mot un terme collectif.

b) Le P. Knabenbauer, Comment, in Proph. min., t. ii, p. 193, estime que si Aggée s’était servi du mot hemdat pour désigner le Messie, il n’eût pas été compris de ses contemporains, parce que rien jusque-là ne les avait préparés à cette appellation. A cela on peut répondre qu’à propos de toute appellation messianique, il a bien fallu commencer à l’employer une première fois. Je ne vois pas bien pourquoi un des derniers prophètes eût été réduit à ne désigner le Messie que par les noms que ses prédécesseurs lui avaient déjà donnés. Au reste il est à remarquer ici que, si la dénomination elle-même n’était pas encore reçue, la chose qu’elle désigne se trouvait être tout à fait conforme aux idées juives. Le Messie est la suprême espérance d’Israël ; c’est sur lui que les patriarches et les prophètes ont les yeux fixés ; le messianisme est comme le foyer de la vie religieuse et nationale des Juifs. Voir Messie. Est-il dès lors rien de plus naturel que le Messie soit conçu et désigné comme l’espoir du monde entier ? Et qu’on ne dise pas que les gentils ne pouvaient pas attendre celui qu’ils ignoraient encore ; car, n’attachant pas plus d’importance que de juste à cette attente universelle d’un libérateur, dont on retrouve chez tous les peuples des traces plus ou moins visibles ; nous nous bornerons à faire remarquer (car cela suffit), qu’il s’agit ici de celui qui devrait être l’objet de l’attente générale, plutôt que de celui qui l’était en réalité. Cf. Sanctius, Ribera, A Lapide, Éstius. C’est dans le même sens qu’en plus d’un endroit de l’Écriture, le texte original affirme que le nom de Jéhovah est loué de toutes les nations, par exemple, Ps. cxii, 3, bien qu’en réalité cela veuille dire tout simplement qu’il est digne de louange. C’est pourquoi les Septante et la Vulgate ont très bien traduit aîveibv tô ovojxa Kvptou, laudabile nomen Domini. Et puis, une fois en chemin, il faudrait être conséquent et aller jusqu’au bout : soutenir avec saint Augustin que ce passage doit nécessairement avoir trait au second avènement du Messie : ut enim desideratus essel exspectantibus, prius oportuit eum dilectum esse credentibus, nam promus ejus adventus nondum erat desideratus omnibus. De civ. Dei, xviii, 35, P. L., t. xli, col. 593. Enfin, il est aisé de citer plusieurs endroits de l’Écriture antérieure à Aggée, par exemple dans Isaïe, où le Messie reçoit une appellation à peu près identique : Et legem ejus insulse exspeclabunt, xlii, 4 ; ou encore me insulse exspectabunt, lx, 9 ; li, 5. C’est à dessein que nous omettons ici Gen., xux, 10, 26, dont le texte, les versions et les commentaires présentent un caractère trop problématique pour fournir une base solide au rapprochement.

c) La troisième raison qu’on fait valoir contre le messianisme duꝟ. 8, du moins tel que saint Jérôme l’a précisé, est le contexte même de tout le passage. Aggée se présente au nom de Dieu pour donner du courage à Zorobabel et aux Israélites tristes et découragés par l’aspect chétif du temple qu’on vient de restaurer, et qui est si loin d’avoir la splendeur de celui que Salomon avait bâti. Cf. I Esdr., iii, 12. Par la bouche de son prophète, Jéhova déclare qu’il donnera à ce second temple une gloire bien supérieure à celle du premier. Mais en quoi consistera cette gloire ? Toute la question est là.

Nous venons de constater que la tradition n’est pas d’accord au sujet du verset principal, et on verra un peu plus bas qu’elle ne diffère pas moins dans les points secondaires. Dans ces conditions, il ne nous reste plus d’autre ressource que de tirer du texte le meilleur parti possible, d’après les règles d’une saine critique. L’exégèse biblique rationnelle trouve son meilleur point d’appui dans le contexte, et quand il s’agit — comme c’est ici le cas — d’un passage rythmé, dans le parallélisme hébraïque. Or il est manifeste que cet objet convoité de tous les peuples, qui doit pénétrer un jour dans Jérusalem pour y embellir le temple du vrai Dieu, nous est marqué d’une façon explicite dans le stique suivant : meum est argentum, et meum est aurum, « à moi l’argent et à moi l’or. » En substance le sens de tout le passage se peut paraphraser comme il suit : « Moi Jéhovah, par des merveilles qui rempliront la nature entière et rappelleront l’Exode, le Sinaï et la conquête de la Terre promise, je vais encore une fois ébranler tous les peuples ; ils affilieront à Jérusalem et m’y offriront dans ce temple ce qu’ils ont de plus précieux, car l’or et l’argent m’appartiennent. La gloire de cette maison sera à la (in plus grande qu’au commencement. C’est en ce lieu que je donnerai la paix ! » Nous avons ici une prophétie parallèle à celle qui se lit beaucoup plus développée au chap. lx d’Isaïe.

Cette exposition se suffit à elle-même. Les idées s’y lient en se complétant d’une façon si naturelle, qu’il est bien difficile de ne pas la déclarer satisfaisante et la seule vraiment soutenable. D’autant plus que la règle souveraine du contexte se trouve fortifiée par les deux difficultés qu’on élève de par ailleurs contre l’exactitude de la traduction et veniet desideratus cunctis gentibus. L’examen que nous venons d’en faire montre bien qu’elles ne sont pas concluantes ; mais il faut convenir qu’elles constituent une grave présomption contre la version latine. Cette présomption prend, ce semble, un caractère de certitude quand on serre de près le contexte. Pour ces raisons nous sommes d’avis que les Septante et les autres versions antiques ont ici raison contre saint Jérôme. Cette conclusion n’est pas incompatible avec le décret du concile de Trente sur L’authenticité do la Vulgate (voir ce mot). Cf. Tic l’authenticité de la Vulgate aux endroits dogmatiques dans les Etudes religieuses, avril 1898, p. 216.

4° Si maintenant nous jetons un regard d’ensemble sur Aggée, il, 7-10, comme aussi sur les interprétations dont il a été l’objet, nous remarquerons sans peine que ce passage se divise naturellement en trois parties :

a) Commotion universelle du ciel et de la terre (7).

b) Ébranlement de tous les peuples qui apportent leurs présents au nouveau temple (8, 9).

c) La suprême manifestation de la gloire promise à ce temple par la paix messianique (10).

Chacun de ces points pris en particulier a reçu de la part des Pères et des exégètes postérieurs les explications les plus diverses. Nous l’avons déjà montré pour le second point, qui est le principal ; il ne serait pas difficile de l’établir également pour le premier. Inutile de s’attarder à une tâche dont plusieurs commentateurs se sont fort bien acquittés. Qu’on consulte le P. Knabenbauer sur la nature de cette commotion dont l’univers entier sera le théâtre. Comment. inProph. min., t. ii, p. 199, et Estius, Comment. in epist. ad Hebr., xii, 26. Quant au dernier point concernant la gloire du second temple et la paix que Jéhovah doit répandre dans Jérusalem, il appelle quelques courtes réflexions.

Ceux qui se refusent à voir dans tout le passage un sens messianique quelconque, entendent le ꝟ. 10 de la supériorité que le temple de Zorobabel, restauré par Hérode, devait avoir en durée et en splendeur sur celui de Salomon. L’école d’Antioche elle-même ne semble pas avoir admis autre chose. Cf. plus haut, II, 2°, col. 568, et aussi Eusèbe, Theoph. frag., dans Mai, Nova Patrum biblioth., t. iv, p. 128. Il est bien vrai que le second temple futrebàti de l’an 20avant, Iésus-Christ à l’an 26 de notre ère sur un plan beaucoupplus vastequeceluidi : templesalomonien ; c’est là que Jéhovah reçut les prières et les offrandes des prosélytes venus de tous lespointsdu monde connu pour .’idoreraJerusalem.il Mach., iii, 2 ; Act., ii, 7-12 (cf.Ps.LXXi, 10) ; Josèphe, Ant. jud., xv, 11, 14, édit. Didot, t. i, p. 610 ; La question juive dans l’antiquité, dans Études religieuses, 15 septembre 1895, p. 5 sq. Et pourtant il n’est guère admissible qu’un oracle si solennel ait eu pour unique objet des embellissements que le temple devait recevoir un jour, grâce à la politique vaniteuse d’un Iduméen. Au reste, quelle qu’ail été la magnificence du temple d’IIérode, d’ailleurs de si courte durée, elle a si peu réussi à effacer l’éclat et la réputation de l’édifice de Salomon que celui-ci est resté proverbial et passe encore généralement pour avoir été une des merveilles de l’antiquité. Enfin comment se résoudre à reconnaître la paix extraordinaire, prédite cinq siècles à l’avance, dans le calme, plus apparent que réel, fait de découragement et de servitude, dont la Judée jouit au moment où Hérode reconstruisit le temple ? Une paix semblable s’est vue plus d’une fois entre Aggée et Hérode, et on ne voit pas bien pourquoi, dans cette hypothèse, on descend si bas pour trouver la réalisation de la prophétie.

D’autres, qui ont senti avec Ribera, p. 198, toute l’insuffisance de eeite exégèse, la complètent heureusement in faisant remarquer que la gloire promise au second temple consiste par-dessus tout en ce que le Messie en personne doit y pénétrer. Ils rapprochent le texte d’Aggée de celui de Malæhie, II, l’.Ecce ego niitto ange-Imn mriini ri prn’purulii i viam ante faciem meam. El statim veniet ad templum suum Dominalor, quem vos quærids, et angélus lestamenti, quem vos vultis. Ecce venit, dicil Dominus e.rerciluurn. A en croire Ga latin, Ribera et Sanctius, cette interprétation ne serait pas exclusivement chrétienne, elle aurait encore pour elle l’autorité de plusieurs rabbins du moyen âge el même du 1. mieux Rabbi Akiba ([ 135), le prétendu prophète du pseudo-messie Bar-Cochébas. Il importe de remarquer ici que, d’après le texte et les Septante, l’opposition marquée par le prophète n’est pas précisément entre le temple de Salomon et celui de Zorobabel, mais entre la gloire du temple au début, à ses origines, et celle dont il doit jouir plus tard, à la fin, avant de disparaître : major erit gloria donnes istius noriss’uua quam prima. Cf. Agg., ii, 4. Du coup tombe cette mauvaise chicane, que Rosenmùller n’a pas craint de reproduire, à savoir que le temple restauré par Hérode ne saurait être considéré comme ne faisant qu’un avec celui de Zorobabel. Il s’agirait donc du temple du vrai Dieu en général, sans distinguer entre l’édifice matériel du Xe siècle et celui d’après l’exil.

Le plus grand nombre des commentateurs latins ne voient dans le temple matériel de Jérusalem que le commencement, l’ébauche et le type prophétique de l’Eglise ; tel est le vrai temple dont la gloire doit surpasser tout ce qui a précédé. Cf. Apoc, xxi, 21-26. La paix messianique a commencé avec l’incarnation du Verbe de Dieu, mais elle ne recevra son couronnement que le jour de son second avènement. Saint Augustin, De civ. Dei, xviii, 48, 35, P. L., t. xli, col. 610, 593, et en général tous ceux dont les noms ont été cités plus haut, II, 1°, col. 567, auxquels il faut joindre saint Éphrem, Opéra omnia tsyriace, t. i, p. 467. Ce sentiment n’a rien que d’exact et de logique du moment qu’on suppose qu’au verset 8e il est directement question du Messie ; il est bien clair dans ce cas que la paix, dont il est parlé immédiatement après, est vaste et durable comme le royaume même du Christ.

III. Conclusion. —

1° Malgré les interprétations diverses dont chaque détail de cette prophétie a été l’objet, I il n’est pas difficile de constater l’accord parfait des commentateurs catholiques sur le sens général de tout le passage. Par des voies différentes ils en arrivent presque tous à conclure qu’il s’agit ici des temps messianiques, c’est-à-dire de l’époque où doit s’établir sur terre le royaume immuable de Dieu prédit par les prophètes. Tel est le sens que l’auteur de l’épître canonique aux Hébreux, xii, 26-29, donne à Aggée, ii, 7 ; et c’est là une autorité irréfragable. Iiien plus l’usage même qu’il fait de ce passage au I er siècle de l’ère chrétienne donne à penser que sa signification messianique était dès lors communément reçue.

2° Ce sentiment de la tradition chrétienne trouve un solide point d’appui dans le texte lui-même. Aggée y décrit les temps messianiques avec les mêmes traits qui souvent se rencontrent ailleurs dans les auteurs inspirés. Pour s’en convaincre il suffit de comparer les trots parties de sa prophétie avec les plus saillants de ces endroits parallèles.

a) C’est d’abord une grande commotion de tous les peuples et comme un renouvellement de la nature entière. Joël, ii, 30, 31 (cf. iii, 15) ; Is., xxiv, 1 ; LI, 16 ; i.xv, 17 ; lxvi, 22 (cf. I Reg., ii, 10) ; Act., ii, 17-20 (cf. Ephes., iii, 8-14 ; II Petr., iii, 10, 13). L’avènement du Messie doit être en effet précédé de luttes acharnées, au milieu desquelles seront humiliées et châtiées toutes les orgueilleuses nations de la terre. Is., il, Il sq. ; xix, 16-xx ; xxiv, 19-23 ; Miellée, v, 10-vi ; Dan., il, 41 ; vii, 14.

b) Le culte de Jéhovah prendra aux temps messianiques un caractère universel, catholique. Les peuples du monde entier viendront en foule à Jérusalem, c’est-à-dire se convertiront au vrai Dieu. Is., lx, tout entier ; il, 2-5 ; iv, 3 ; xiv, 1-3 ; xi.ix, 6 ; Mien., iv, 1 sq. ; Ps. Il, LXVI, xi.vi, cxvi, i.xxxvi, etc.

c) De tous les biens messianiques la paix est le principal ; le Messie doit être le souverain pacificateur. Ps. i.xxi ; Is., ix. li, 7 ; Midi., v, 5 ; Malach., ni, 12.

3° Il y a donc au sujet de celle prophétie d’Aggée un juste milieu à tenir entre *vu sentiments opposés et qui sont, semblc-t-il, également erronés. En partant du fait que le verset 8° est mal rendu dans la Vulgate, les uns prétendent que le passage tout entier n’a rien de messianique. D’autres soutiennent qu’on ne saurait établir le messianisme du passage qu’en maintenant dans son intégrité la traduction de saint Jérôme. L. Reinke et le P. Knabenbauer — pour ne parler que des commentateurs catholiques contemporains — sont, croyons-nous, dans le vrai, quand ils concluent que le texte est à traduire comme ont fait les Septante, et que néanmoins l’ensemble du passage reste messianique. Il est bien vrai qu’il n’est pas directement question ici de la personne même du Messie, mais on y caractérise son temps et son œuvre. Le prophète prédit solennellement que la gloire future et dernière du temple, qu’on relève de ses ruines, sera de voir se réaliser au moins dans ses commencements, l’espérance messianique. Dès lors, une conclusion s’impose à quiconque admet l’inspiration d’Aggée : c’est que le Messie est déjà venu, puisque le temple a disparu depuis l’an 70 de notre ère. Que si on recherche à quelle époque précise et dans quelles conditions la prophétie a pu s’accomplir, il faut convenir que rien dans l’histoire du passé ne répond mieux aux exigences du texte que l’apparition dans le monde d’une religion universelle fondée en Palestine par Jésus de Nazareth et prêchée par ses disciples à toutes les nations de la terre dont l’élite a fini par croire à l’Evangile.

Pesch, Introd. propsed. ad s. theol., t. i, p. 141 ; Van Hoonucker, Les douze petits prophètes, 1908, p. 563-566 ; M. Hetzenauer, Theologia biblica, Fribourg-en-Brisgau, 1908, t. i, p. 598601, et, pour les protestants, Smith, A dictionary of the Bible, t. il, col. 1265.

A. Durand.