Dictionnaire de théologie catholique/ADORATION

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 1.1 : AARON — APOLLINAIREp. 225-229).
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1. ADORATION.


I. Adoration chez les païens et dans la Bible.
II. Adoration chez les chrétiens jusqu’au Ve siècle.
III. Adoration du Ve au IXe siècle.
IV. La proskunesis et la metanoia.

Nous exposerons au mot Culte les divers cultes admis par les théologiens catholiques, les personnes ou les objets auxquels ces cultes peuvent être rendus, et la manière dont ils s’appliquent à ces personnes ou à ces objets. Nous nous bornerons ici à parler de l’adoration telle qu’elle a été pratiquée soit en Orient, soit en Occident avant le IXe siècle. Les renseignements qui vont suivre sont nécessaires pour comprendre l’histoire de la doctrine catholique au sujet de l’adoration.

Le mot adoration désigne dans la langue théologique deux choses différentes : 1° le culte qui n’est dû qu’à Dieu, c’est le culte de latrie, Xarpsta, adoratio ; ce culte se manifeste par le sacrifice ou par tout autre acte qui indique que celui en l’honneur de qui il est fait est regardé comme un Dieu ; 2° certaines formules de vénération, la prostration, le baiser, etc., qui se désignent en grec par le mot itpo<r/ejvïi<riç, que les Latins traduisent également par adoratio. Ces deux derniers mots expriment plus exactement la cérémonie de l’adoration : le mot grec upoorxûvyiate désigne la prostration, le mot lutin adoratio, l’action d’approcher la main de la bouche pour envoyer un baiser. Le sens du mot XaTpeîa est plutôt celui d’un culte proprement dit rendu à Dieu, sans indiquer les gestes correspondant à ce culte. De la traduction latine unique de deux mots grecs différents sont nées les querelles théologiques relatives à l’usage de l’adoration.

I. L’adoration chez les païens et dans la Bible.

Chez les peuples païens.

L’adoration, proskunesis, chez les peuples orientaux, était une marque de respect qui consistait à se mettre à deux genoux et à se prosterner jusqu’à terre devant la personne qu’on voulait vénérer. On baisait les pieds de cette personne ou l’on touchait la terre du front devant elle. L’usage d’adorer non seulement les dieux mais les rois et les grands personnages existait chez les Égyptiens. F. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 6e édit., Paris, 1896, t. il, p. 145-146. Les Assyriens avaient la même coutume ainsi que les Perses. Dict. de la Bible, t. i, col. 234. Les peuples occidentaux au contraire refusaient de rendre cet hommage à des hommes. Arrien, Anab., IV, 11. De là les révoltes des Grecs quand Alexandre voulut se faire adorer par eux comme il l’était par les Asiatiques qu’il avait vaincus. Justin, xii, 7. Cf. E. Beurlier, De divinis honoribus <juos acceperunt Alexander et successores ejus, in-8°, Paris, 1891, p. 13-15. Les Romains avaient la même conception et lorsque les empereurs voulurent se faire adorer ce fut pour être traités comme des dieux. E. Beurlier, Le culte impérial, in-8°, Paris, 1891, p. 54.

Dans la Bible.

Les Hébreux, comme les autres peuples de l’Orient, adoraient non seulement la divinité mais les grands personnages. C’est ainsi que Joseph est adoré par ses frères, Gen., xliii, -26 ; David par Miphiboseth, par Joab et par Absalom. II Reg., ix, 6, 8 ; xiv, 22, 33. Cependant c’était plus particulièrement l’acte de vénération rendu à Dieu. Gen., xxiv, 26, 48 ; Exod., xx, 5, etc. C’est pourquoi le premier des commandements donnés sur le mont Sinaï au peuple hébreu contient ce précepte : « Tu n’adoreras pas les images taillées. » Exod., xx, 5. Notre-Seigneur dit de même au démon, qui lui demande de l’adorer : « Il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu. » Matth., IV, 10. C’est aussi pourquoi Mardochée refusa d’adorer Aman. Esth., m, 2. Notre-Seigneur reçoit souvent l’hommage de l’adoration : à son berceau de la part des Mages, Matth., il, 11 ; pendant sa vie publique de la part de l’aveugle né, Joa., IX, 38 ; après sa résurrection, de la part des saintes femmes. Matth., xxviii, 9. Pierre refuse l’adoration du centurion Corneille, parce qu’il n’est qu’un homme. Act., x, 26.

II. L’adoration chez les chrétiens jusqu’au Ve siècle.

Les Actes des martyrs nous donnent la preuve que les premiers chrétiens considéraient l’adoration, rcptxrx-jvï)(Tt ; , comme un hommage réservé à Dieu seul. Ils refusent d’adorer les démons, « les dieux du prince. » Passion de sainte Félicité, Ruinart, Acta sincera, p. 21 sq. ; Actes de saint Justin, dans Otto, Corpus apologet. christ, sseculisecundi, in-8°, Iéna, 1879, t. iii, p. 266-278, etc. Cf. P. Allard, Histoire des persécutions, in-8°, Paris, t. i, p. 351 ; t. ii, p. 417. Ils refusaient en particulier d’adorer les empereurs. S. Theophyle, Ad Aulolycum, i, 11, P. G., t. vi, col. 1040. Cf. E. Beurlier, Le culte impérial, p. 271. Ils se proclament au contraire adorateurs d’un seul Dieu, adorateurs du Christ, adorateurs des sacrements divins. Cf. P. Allard, ibid., t. i, p. 351, 375, 447 ; t. il, p. 408, 429, etc.

Les apologistes enseignent la même doctrine quand répondant aux accusations des païens qui leur reprochent d’adorer un’homme, Jésus de Nazareth, ils affirment qu’ils n’adorent que Dieu. Justin, Apol., i, 17, P. G., t. vi, col. 354.

Aussi, en disant que l’adoration est due au Fils et au Saint-Esprit, les Pères mordront par le fait même qu’ils croient à leur divinité. Nombreux sont les passages où les Pères répèlent ce point de la doctrine chrétienne. Jésus-Christ est digne d’adoration, dit saint Justin, parce qu’il est Dieu. Dial. cum Tryphone, 126, P. G., t. VI, col. 622, 768 : Cf. Epiphane, Hærcs., xxx, P. G., t. xli, col. 456 ; Origène, Cont. Cels., viii, 12, P. G., t. xi, col. 1533 ; Grégoire de Nazianze, Oral., xlv, in S.Pascha, xxxiv, P. G., t. xxxv, col. 634 ; cf. Orat., xxxi, col. 574, etc. Il en est de même de l’Esprit-Sain t. Justin, Apol., I, 6, P. G., t. VI, col. 336 ; Epiphane, Hæres., 1 m, 1, P. G., l. xlii, col. 488 ; Grégoire de Nazianze, Oral, iheol., v (xxxi), P. G., t. xxxv, col. 563. Cf. De pare, i, 21, P. G., t. xxxv, col. 750. Les textes que l’on pourrait citer à l’appui de cette doctrine sont nombreux.

Au contraire, l’hommage de l’adoration ne doit pas être rendu aux créatures, même à la sainte Vierge. Saint Epiphane condamne la secte des collyridiens qui adorait Marie. « Elle est vierge, dit-il, et doit être honorée, mais non pas adorée ; elle adore le fils qui est né de sa chair. » Epiphane, liserés., iii, 11, P. G., t. xlii, col. 1061 ; cl. col 1066.

L’acte principal de l’adoration est le sacrifice de la messe. Eusèbe en raconlant les funérailles de Constantin dit qu’on y célébra l’acte de latrie pour signifier qu’on célébra le sacrifice de la messe. Eusèbe, De vita Conslanlini, l. IV, c. lxxi, P. G., t. xx, col. 1223.

Jusqu’au Ve siècle, les chrétiens sont donc d’accord sur ces deux points : que la TTpocrxvvïiut ; est un acte de culte qui est réservé au souverain maître de toutes choses, c’est-à-dire à Dieu, et que les trois personnes étant une seule et même divinité ont également droit à l’adoration. Grég. de Naz., De pace, I, 21, P. G., t. xxxv, col. 750. Ils ne distinguent pas entre la larptia. et la 7rpoTvrjvy)(Ti ; et ils emploient indifféremment les deux mots.

III. L’adoration du ve au ixe siècle.

Les difficultés naquirent, lorsque l’on commença à discuter si la proskunesis était une marque de respect qu’on pouvait rendre aux images du Christ, aux reliques et aux images des saints. Alors on réserva le mot latreia pour désigner le culte accordé à Dieu seul et on employa le mot proskunesis dans un sens plus général. Mais cette distinction ne devint précise que peu à peu et c’est ce qui explique les controverses qui troublèrent l’Orient et l’Occident sur ce point de doctrine.

En Orient.

C’est en Orient que naquit la querelle connue sous le nom de querelle des iconoclastes, parce que ceux qui condamnaient la itpoffy.uvi)ffiç des images allèrent jusqu’à briser et détruire les images elles-mêmes.

Remarquons tout d’abord que les partisans du oulte rendu aux images ont toujours distingué soigneusement entre les honneurs dus à Dieu seul et les honneurs qu’on devait rendre aux images du Christ, de la sainte Vierge et des saints et en général à tous les objets vénérables. Théodore Studite, Antirrheticns, II, xxxviii, P. G., t. xcix, col. 380, rappelle que dans l’Ancien Testament on rendait l’honneur de la ïtpoffxûvïifft ; aux chérubins, à l’arche d’alliance, à la table de propitiation et que cependant la loi défendait d’adorer (itpoo-xuvEtv) les images taillées. « Les chrétiens, dit-il ailleurs, ont une seule foi, une seule latrie et une seule Ttpoffxyvïjfftç, celle qu’on rend au Père, au Fils et au Saint-Esprit. » Théodore Studite, Antirrlieticus, I, I, P. G., t. xcix, col. 330. Enfin dans une lettre, il remarque qu’une inscription placée sous l’image du Christ ou d’un autre personnage doit être appliquée à la personne représente. Théodore studite, l’.pist. ci.xvi, l. II, P, G., t. xcix, col. 1216. Voilà pourquoi <t il faut adorer L’Évangile, la croix, l’eucharistie. Tout ce qui est saint doit être adoré, mais il y a des degrés dans la sainteté et dans l’adoration. » Théodore Studite, Antirrlieticus, II, xxmv-xxxv, P. G., t. xcix, col. 376.

Ces passages et bien d’autres établissent la doctrine et en même temps nous montrent comment les chrétiens ont été amenés à rendre aux images du Christ, de la sainte Vierge et des saints, le genre d’hommage appelé TrpoffX’jvr.Ttç.

Au temps du paganisme les statues des princes étaient placées parmi celles des dieux dans les temples et dans les cirques. La foule brûlait de l’encens devant elles comme devant les statues des divinités de l’Olympe. Au temps même des empereurs chrétiens, de pareils hommages leur étaient rendus. S. Jérôme, In Daniel., iii, 18, P. L., t. xxxv, col. 509 ; S. Ambroise, Hexam., VI, ix, UIJ’.L., t. xiv, col. 266 ; Philostorge, Hi$t., ii, ii, P. G.] t. lxv, col. 480 ; Chronicon Pascale, ann. 330, P. G., t. xcii, col. 710 ; Jean Chrysost., De laitd. Pauli apostoli, homil. viii, P. G., t. l, col. 508 ; Socrate, Hist.eccl., vi, 18 ; Sozomène, ibid., viii, 20, P. G., t. lxvii, col. 717, 1508. Il n’est donc pas (’tonnant que les chrétiens aient songé à rendre de semblables hommages aux images de Jésus-Christ. Saint Jean Damascène et Nicéphore, patriarche de Constantinople, insistent l’un et l’autre sur cette raison que les images du Sauveur sont dignes d’adoration plus encore que les images des prinres. Jean Damascène, De iniagin., orat., ni, 41, P. G., t. xcix, col. 1357 ; Nicéphore, Antirrlieticus III adv. Constant. Copron., 60, P. G., t. C, col. 485. L’usage d’adorer les images devint très populaire en Orient et fut surtout favorisé par les moines. O. Bayet, Recherches pour servir à l’histoire de la peinture et de la sculpture chrétiennes en Orient avant la querelle des iconoclastes, in-8°, Paris, 1879, p. 135. Les abus amenèrent une réaction violente et qui dépassa de beaucoup la mesure. Léon l’Isaurien proscrivit tout culte des images, ordonna de les détruire et persécuta ceux qui refusèrent d’obéir à ses ordres. Voir Iconoclastes. La lutte se termina en Orient par la déclaration du concile de Nicée de 787 qui distinguait entre la jupoffxûvïjffiç permise à l’égard des images parce qu’elle se rapporte à celui qu’elles représentent et la Xatpeia qui ne doit être rendue qu’à Dieu. « Nous adorons (7rpoux’jvo-j|xev) les images saintes et la croix, disent les Pères, dans leur lettre à Irène et à son fils Constantin Porphyrogénète, comme nous adorons les invincibles et très doux empereurs. » Hardouin, Concil., t. IV, col. 476. Le pape Hadrien parle de même dans la lettre qu’il adressa à l’impératrice et à son fils, lettre qui fut lue à la seconde session du concile. « Nous adorons… les princes quoiqu’ils soient pécheurs, pourquoi n’adorerions-nous pas les saints serviteurs de Dieu ? » Hardouin, Concil., t. iv, col. 90.

Cependant la ligne de conduite que nous allons voir adopter en Occident par Charlemagne, parut triompher quelque temps en Orient ; même après le concile de Nicée, Michel le Bègue écrivit à Louis le Débonnaire pour l’instruire qu’il avait fait détruire les images placées à peu de hauteur, afin que les fidèles ne pussent les adorer ni faire brûler des lampes devant elles, mais qu’il avait laissé intactes celles qui étaient placées plus haut afin qu’elles pussent servir d’écrit, c’est-à-dire d’enseignement, Mansi, Concil., t. xiv, col. 417. Cf. Hefele, Hist. des conciles, trad. Leclercq, in-8°, Paris, 1909, t. iii, §329.

En Occident.

Dans la partie occidentale de l’empire on n’avait jamais eu la même dévotion à l’égard des images impériales. On était de même beaucoup plus réservé dans le culte des images. Serenus, évêque de Marseille, n’avait pas hésité à briser des images saintes pour empêcher que le peuple ne les adorai et saint Grégoire tout en le blâmant de les avoir brisées le félicita d’empêcher qu’on les adorât. S. Grégoire, Epist., ix, 52, P. L-, t. i.xxvii, col. 991. Dans la terminologie usitée en Occident le mot adoralio désignait un liom-Oiage rendu à Dieu seul.

Il est facile de comprendre, après cela, quel scandale causa en pays latin la doctrine professée par les Pères du concile de Nicée. L’Occident connut les actes du concile par une mauvaise traduction latine, remplie de contre-sens, où la pensée des Pères était souvent faussée et où on leur faisait émettre des hérésies dont ils étaient très innocents. Hardouin, Conçu., t. iv, col. 19, 151 ; cf. Libri carolini, iii, Vl, P. L., t. xcviii, col. 1148 ; Hefele, Histoire des conciles, t. iii, .§ 313. Les latins virent que les grecs enseignaient que la 7tpo<7x-jvY)cxi ; était permise à l’égard des images, et comme ils traduisaient ce mot par adoratio, ils en conclurent que les Pères grecs permettaient l’idolâtrie. Charlemagne fit examiner par ses théologiens la traduction latine et la consultation qu’ils lui adressèrent forme ce qu’on appelle les Livres carolins. Pour les théologiens latins, les adorateurs des images appuient leurs dires sur des passages de l’Écriture mal compris, et pour confirmer leur erreur, invoquent de mauvais exemples. C’est une fureur et une démence de présenter comme un modèle à suivre la ridicule coutume d’adorer les images des empereurs dans les cités et sur les places publiques. Celui qui, voyant adorer les images des empereurs, s’autorise de cette coutume pour adorer les images dans les églises, « suit la route des impies. » Adorer les images impériales c’est, en effet, faire preuve d’impiété. Adorer Dieu représenté par une peinture comme les païens adorent leurs rois locaux et mortels, c’est une profanation qui touche à l’incrédulité. Adorer les images serait s’exposer aux justes reproches des païens eux-mêmes qui avaient du moins l’excuse de leur ignorance. Libr. carol., iii, 15, P. L., t. xciii, col. 1142.

Les Livres carolins furent envoyés au pape Hadrien, au moins dans une rédaction abrégée. Le pape transmit ses observations à Charlemagne. Il réfute les arguments théologiques mais il ne prend pas la défense de l’adoration des images impériales. Hardouin, Conc.il., t. iv, col. 774-820 ; P. L., t. xciii, col. 1247 sq. La doctrine des Livres carolins fut adoptée par les évêques francs. Il semble qu’à cette époque ils admirent les images seulement en tant qu’elles pouvaient servira l’enseignement des fidèles.

Conclusions.

Toutefois dans les deux Eglises la doctrine fondamentale était la même. Le culte d’adoration proprement dite, c’est-à-dire le culte absolu de latrie, n’est dû qu’à Dieu. Aux images on ne peut rendre un culte identique. La querelle venait de ce qu’on ne s’entendait pas sur les mots et de ce que les latins voyaient dans les usages des grecs l’expression de ce culte absolu de latrie tandis que ceux-ci ne l’y voyaient pas. Il y eut cependant une différence de conduite assez accentuée. Les grecs furent toujours plus démonstratifs dans les honneurs qu’ils rendaient aux images et les latins plus réservés. Cf. E. Beurlier, Les vestiges du culte impérial à Byzance et la querelle des iconoclastes, in-8°, Paris, 1891 ; Dict. d’archéologie chrétienne, t. I, col. 539-545.

IV. La npoijx’jvïiai ; ET LA fxsTavot’a. — Le mot irpocrxijvr ^tç est aussi employé dans la langue liturgique grecque pour désigner une cérémonie qui est distinguée de la (jLsravoia. Jean le Jeûneur dit que les femmes soumises à la pénitence doivent faire seulement une r.po<rxijvTi<n ; et non une [Leravot’a, une inclination et non une prostration. Jean le Jeûneur, Pénilential, P. G., t. lxxxviii, col. 1904. Celui qui fait la TTpocx-jvrjff’.ç reste le corps droit, mais incline profondément la tête et fait le signe de la croix avec les trois premiers doigts de la main droite. Dans la [AEtavoc’a, il iléchit le genou, et s’il s’agit de la grande, baise la terre. Ducange, Glossarium mediseet infimsegrxcitatis, col. 1252 ; Goar, Euchologiuni, p. 29. Dans la liturgie de saint Jean Chrysostome, dont se servent encore aujourd’hui les grecs, la Trpoux’jvr^tç est plusieurs fois indiquée. Cf. F. E. Brightman, Liturgies eastem and western, in-8°, Oxford, 1896, t. I, Easlern Liturgies, p. 301, 302, etc. Dans cette même liturgie le mot itpoffxûvr^iï est aussi employé dans le sens strict d’adoration due à Dieu. « A toi appartiennent toute gloire et toute adoration, au Père et au Fils et au Saint-Esprit, etc. » F. E. Brightman, ibid., p. 317. Il en est de même dans la liturgie jacobite. Ibid., p. 75.

Les grecs désignent sous le nom de irpodxijv » i(jid ! l’image du saint dont ils célèbrent la fête, image qu’ils placent sur une petite estrade au milieu du chœur, le jour de la solennité et pendant tout l’octave. D’une manière générale on appelle ainsi toute image ou tout objet à qui l’on rend les honneurs de la upoo-xûvrjo-iç. Goar, Euchologiuni, p. 29, 35, note 72 ; Ducange, Glossarium, col. 1252 ; F. E. Brightman, p. 356.

E. Beurlier.

2. ADORATION PERPÉTUELLE.
I. Origine.
II. Diverses formes.

L’adoration perpétuelle de Jésus-Christ dans l’eucharistie est fondée sur la croyance des catholiques à la présence réelle. Voir Eucharistie. Cette dévotion est une manifestation de cette croyance en même temps qu’une preuve vivante de la piété que ce dogme inspire aux fidèles. Elle montre donc comment la présence réelle est en harmonie avec les aspirations du cœur de l’homme et quelle action elle exerce sur les masses populaires.

I. Origine.

La pratique de l’adoration perpétuelle se lie intimement à celle des quarante heures, dont elle n’est, au fond, que le développement.

C’est en 1534, à l’époque où les protestants multipliaient leurs sacrilèges attaques contre l’auguste sacrement de nos autels, que le père Joseph, capucin, connut le projet de répondre à ce surcroit d’outrages par un redoublement d’amour. Dans sa pensée, les chrétiens devaient rendre à Notre-Seigneur un tribut particulier d’hommages pendant quarante heures consécutives, en souvenir des quarante heures qui s’écoulèrent depuis le moment où son divin corps fut élevé sur la croix, jusqu’à celui de sa résurrection glorieuse. L’eucharistie n’est-elle pas, suivant l’expression même de notre Sauveur, le mémorial de sa passion ? Le Saint-Sacrement serait donc exposé solennellement pendant ce laps de temps ; des prédications spéciales et tout un ensemble d’exercices pieux disposeraient les fidèles à s’acquitter, aussi dignement que possible, d’un double devoir à l’égard de leur divin Maître : l’adorer avec plus de ferveur dans le sacrement de son amour ; et, en réparant les injures faites à sa majesté, apaiser la colère de Dieu irrité par les crimes des hommes.

Ces prières et ces touchantes cérémonies furent fixées d’abord (comme c’est encore l’usage à notre époque), aux trois jours qui précèdent immédiatement le carême.

L’expiation et l’adoration convenaient, de préférence, à ces jours que les gens du monde emploient trop souvent en divertissements coupables, au milieu des folies du carnaval. Par ce coté, cette pratique si louable se rattache à celles de l’antique Église qui, dès le Ve siècle, avait établi des supplications solennelles pour réparer les excès commis à l’occasion des saturnales et de quelques autres fêtes profanes, derniers restes du paganisme.

La pensée du père Joseph fut accueillie avec un véritable enthousiasme. A Milan, où elle fut d’abord exprimée, les fidèles accoururent en foule, apportant à l’envi, en grande quantité, des cierges ou de l’huile pour le luminaire, et des étoffes précieuses pour l’ornementation des autels.

De Milan, cette dévotion se répandit en Italie, où elle devint rapidement populaire. L’apotre de Home, saint Philippe de Néri, l’introduisit dans la capitale du monde chrétien, et elle fut successivement enrichie d’indulgences nombreuses par les papes Pie IV, Clément VIII et Paul V, qui s’efforcèrent de la propager dans l’Église entière.

IL Diverses formes. — La piété des fidèles ne se | contenta plus, bientôt, de faire une seule fois par an, pendant les trois jours du carnaval, les prières des quarante heures. De tous côtés, on demandait à les renouveler plus souvent. Dés 1548, elles avaient lieu, à Rome, le premier dimanche de chaque mois, dans l’archiconfrérie de la Très-Sainte-Trinité des pèlerins, instituée par saint Philippe de Néri ; quelques années plus tard, en 1551, on ajouta le troisième dimanche de chaque mois, dans l’archiconfrérie de Sainte-Marie de la prière et de la mort. L’usage ainsi se généralisait de plus en plus. Enfin, en 1592, par sa bulle Graves et diulurnæ, le pape Clément "VIII ordonna de rendre à Dieu cet hommage, constamment et à perpétuité, dans la Ville éternelle. Chaque église aurait son jour et sa nuit, à tour de rôle, et suivant un ordre indiqué. La chapelle du palais apostolique donnait l’exemple, en s’inscrivant au commencement de l’année liturgique, et en prenant pour son jour d’adoration le premier dimanche de l’Avent.

Comme le laissent entendre les premiers mots de la bulle clémentine, le pape s’était senti porté à établir ces supplications permanentes, par la considération des malheurs publics qui désolaient, alors, la chrétienté. L’œuvre, en s’étendant et en se développant, ne perdait donc point son caractère : son but était toujours la réparation, devenue, cette fois, universelle. Le souverain pontife espérait que les fidèles, en adorant, jour et nuit, le Saint-Sacrement exposé, croîtraient dans l’amour d’un Dieu si bon, et, en apaisant par leur ferveur sa juste colère, attireraient sur le monde les bienfaits de sa miséricorde infinie.

Dans le principe, on n’autorisa l’extension de cette pratique, en dehors de Home, que dans les villes où les églises et chapelles seraient assez nombreuses pour que l’adoration n’y fût jamais interrompue, ni le jour, ni la nuit, pendant toute l’année. Rescr. auth., n. 44. Sans cette précaution, en effet, la fin qu’on se proposait d’atteindre paraissait devoir être manquée, puisqu’on avait en vue, surtout, la perpétuité dans la prière. Peu à peu, cependant, on se laissa toucher, en faveur des petites villes qu’on ne crut pas opportun de priver de cette consolation et de ces avantages pour le simple motif qu’elles n’étaient pas très populeuses. On fut donc de beaucoup moins sévère. Rescr. auth., n. 55, 84.

Les évoques obtinrent des induits particuliers précisant les conditions auxquelles leurs diocèses respectifs auraient à se conformer, pour gagner les indulgences concédées, d’abord, seulement pour la ville de Rome et pour celles dans lesquelles l’exposition du Saint-Sacrernent était vraiment continuelle le jour et la nuit.

La grande révolution française et les longues guerres qui bouleversèrent ensuite l’Europe, apportèrent une perturbation dans la pratique de cette dévotion si consolante. Pendant la première moitié du {{rom-maj|XIX)e siècle, les expositions solennelles du Saint-Sacrement furent assez rares dans les paroisses. Cette coutume ne se conservait, d’ordinaire, que dans les couvents, les monastères, ou les chapelles de confréries. Mais, en 1848, à la vue des dangers que faisaient courir à la société les commotions violentes auxquelles elle se trouvait périodiquement soumise, la pensée de l’adoration réparatrice s’imposa davantage à l’attention des âmes pieuses, et, de toutes parts, se manifesta le désir de reprendre les anciennes traditions. Le 6 décembre de cette même année, commença à Paris, dans le sanctuaire vénéré’de Notre-Dame des Victoires, l’adoration nocturne par les’hommes, Parmi les fervents chrétiens, promoteurs de celle belle œuvre, nommons, en premier lieu, le célèbre converti du judaïsme, le chantre inspiré de l’eucharistie, si connu depuis sous le nom de père Hermann. Simple laïque alors, il s’était uni, pour assurer le succès de celle sainte entreprise, un prêtre de mérite, l’abbé delà Hotlillerie, futur évêque de Carcassonne. Dieu bénit leurs efforts : les centres d’adoration nocturne se multiplièrent à Paris et en province ; puis, dans l’Allemagne, la Belgique et le Piémont.

En 1875, il y avait, en France, environ une soixantaine de diocèses où l’adoration perpétuelle diurne était établie. Dans quarante d’entre eux, l’adoration nocturne était, en outre, pratiquée, quoique à des degrés différents, et avec certaines interruptions dues aux circonstances de lieux et de personnes. Ainsi dans le diocèse de Constantine, le Saint-Sacrement n’était exposé, dans les paroisses successivement, que les dimanches et les jours de fête chômés. Les conditions spéciales dans lesquelles était encore l’Algérie, n’avaient pas permis de faire mieux. Dans d’autres diocèses plus fortunes sous le rapport de la foi, comme ceux de l’ouest de la France, par exemple, on avait conservé l’ancienne pratique du mois d’adoration, dont l’origine remonte à la régence d’Anne d’Autriche. Suivant cette coutume respectable, chaque paroisse a son mois d’adoration, pendant lequel se déroule toute une série d’exercices pieux en l’honneur de la sainte eucharistie. Le troisième dimanche, le Saint-Sacrement est exposé ; il y a procession solennelle et bénédiction. C’est, de plus, un jour de communion générale à laquelle les paroissiens sont presque aussi fidèles qu’à la communion pascale.

L’adoration perpétuelle est maintenant en usage dans la plupart des diocèses. Elle est organisée de manière à ce que chaque paroisse, ou chaque chapelle, ait, durant l’année, un ou plusieurs jours d’adoration, suivant que cela est nécessaire pour que le Saint-Sacrement reste constamment exposé dans le diocèse. Ainsi, suivant une expression de Ma r Gerbet, évêque de Perpignan, la piété eucharistique, transportant, chaque jour, cette solennité d’une église à l’autre, a, pendant le cours de l’année, autant de stations dans le diocèse que le soleil en a dans le ciel.

Cette dévotion si sainte dans son objet et si féconde dans ses résultats, donne lieu le plus souvent, dans les pays profondément chrétiens, à de belles manifestations de foi et d’amour envers Notre-Seigneur. Le jour où une paroisse a l’honneur de représenter tout le diocèse devant le Saint-Sacrement exposé, est un jour de fête très goûté. La prédication de la parole de Dieu, la pompe des cérémonies, la beauté des chants et toutes les industries inspirées aux pasteurs par un zèle éclairé, en font un des moyens les plus puissants de sanctification pour les peuples et une des plus touchantes manifestations de la piété envers le très Saint-Sacrement de l’autel.

Parmi les associations dont un des buts principaux est de promouvoir la pratique de l’adoration perpétuelle, il convient de signaler ici :

L’archiconfrérie de l’Adoration perpétuelle du très Saint-Sacrement et l’œuvre des églises pauvres. La première pensée en revient à une charitable dame belge, Anne de Meeûs, qui, trois ans après, la vit sanctionnée par tous les évoques de Belgique, en 1851. Elle fut le berceau de la congrégation religieuse des sœurs de l’Adoration perpétuelle. Ce nouvel institut, fonde en 1857 à Bruxelles, fut approuvé par un décret de la S. C. des Évoques et Réguliers, le 8 avril 1872. Pie IX lui avait accordé, en 186^, le droit de s’affilier des confréries dans le monde entier. Celles-ci, pour jouir des nombreux privilèges de l’archiconfrérie, doivent se faire agréger à son siège principal qui est la maison ouverte à Rome par les sœurs de l’Adoration perpétuelle en 1879.

L’archiconfrérie de l’Adoration perpétuelle et de l’œuvre des tabernacles, dont le centre est à Paris et dont les rameaux s’étendent dans plusieurs diocèses de France et d’Algérie. Les indulgences dont elle jouit seraient encore plus nombreuses, si, suivant le désir exprimé par le souverain pontife, elle se faisait affilier à l’archiconfrérie romaine, comme l’ont l’ait celles d’Autriche, d’Italie et d’Allemagne. L’archiconfrérie du Sacré-Cœur de Jésus dite du Vœu national. Établie à Paris, le 1 er avril 1876, par le cardinal Guibert dans la chapelle provisoire de Montmartre, elle fut, l’année suivante, le 20 février 1877, érigée en archiconfrérie par Pie IX. Elle obtint, en même temps, la faculté de s’affilier toutes les confréries du même but existant en France, avec le droit de leur communiquer non seulement ses propres indulgences, mais aussi toutes celles de l’archiconfrérie romaine du Sacré-Cœur. Depuis les rescrits du 18 juin et du 29 novembre 1887, elle peut recevoir dans son sein les fidèles du monde entier. Le cardinal Guibert autorisa à Montmartre l’exposition perpétuelle, diurne et nocturne, du très Saint-Sacrement. Depuis cette époque (1 er août 1885), les adorateurs n’ont jamais fait défaut. Beaucoup de paroisses, de chapelles, de communautés religieuses, de séminaires et de collèges ont leur jour et leur nuit d’adoration en union avec l’adoration perpétuelle de la basilique du Vœu national.

L’œuvre de l’Adoration réparatrice des nations catholiques, établie à Rome depuis quelques années. Elle a pour but de compléter l’œuvre fondée en 1592, par le pape Clément VIII, et dont nous avons parlé plus haut. Toutes les nations du monde sont ainsi associées à ces prières qui se font à Rome pour le bien de la chrétienté. On a donc assigné à chacune d’elles un jour de la semaine, d’après le tableau suivant :

Dimanche. — Angleterre, Irlande, Norvège, Pologne.

Lundi. — Allemagne, Autriche-Hongrie, Grèce.

Mardi. — Italie.

Mercredi. — Portugal, Amérique du Nord.

Jeudi. — France, Amérique du Sud.

Vendredi. — Suisse, Missions catholiques.

Samedi. — Belgique, Espagne, Hollande, Syrie.

Au jour indiqué pour leur nationalité, les fidèles présents à Rome doivent aller visiter l’église même où se font les prières des quarante heures, qui dans la Ville éternelle ne sont jamais interrompues, comme nous l’avons dit. Ailleurs, les fidèles font une visite, d’une demi-heure environ, au très Saint-Sacrement dans une église qu’ils sont libres de choisir, et ils y prient aux intentions de cette œuvre réparatrice.

Depuis la date de sa fondation (1883), l’œuvre de l’Adoration réparatrice des nations catholiques n’a cessé de se répandre dans presque toutes les contrées du monde. Sept ans après (en 1890) elle était déjà constituée dans 400 diocèses environ.

5° Notons, enfin, la Société des prêtres du très Saint-Sacrement, vouée spécialement au culte de la sainte eucharistie. Cet institut religieux fut fondé, en 1856, par le R. P. Eymard, de sainte mémoire, avec l’aide du R. P. Raymond de Cuers, officier de marine, qui laissa une position brillante dans le monde, pour se consacrer entièrement à l’adoration de Notre-Seigneur et aux œuvres eucharistiques.

Pour les nombreuses indulgences concédées par les souverains pontifes à ces associations, voir Béringer, Les indulgences, leur nature et leur usage, t. I, p. 263 ; t. II, p. 107, 108, 118, 142. Pour les diverses formes de l’adoration, voir Annales de l’Association de l’adoration perpétuelle, Liège, chez Grandmont-Donders ; Ruggieri, Œuvre de l’Adoration perpétuelle, Bruxelles, Vromant, 1881 ; Voix de l’épiscopal français en faveur de l’œuvre universelle de l’Adoration réparatrice, Rome, p. 47, 48 ; Bulletin du Vœu national, Paris ; Rapports lus dans les assemblées générales des membres de l’œuvre de l’Adoration nocturne, Paris, 1872, 1873, 1874, etc. ; La journée du Sacré-Cœur, rapports sur l’Adoration nocturne, Paris, 1899. Plusieurs mandements des évêques, entre autres, celui du cardinal de Bonald, pour le carême de 1849, et de M Rœss, évêque de Strasbourg, pour le rétablissement de l’adoration perpétuelle dans son diocèse, carême de 1856.

T. Ortolan.