Dictionnaire de théologie catholique/ÉGLISE V. Principaux enseignements dogmatiques concernant l’Eglise

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 4.2 : DIEU - EMSERp. 434-470).

V. Principaux enseignements dogmatiques concernant l'Église.

Après avoir prouvé la vérité de l'église catholique, nous devons apprendre de son magistère infaillible et de la révélation divine telle qu’elle nous est proposée par l'Écriture et la tradition, les enseignements dogmatiques concernant l’institution, les propriétés essentielles et la divine constitution de l’Eglise. Nous omettrons toutefois, dans notre présente élude, les dogmes qui doivent être l’objet d’articles spéciaux, notamment le pouvoir d’ordre et le dogme de la papauté.

Observons encore qu’ici nous nous servirons des textes scripturaires ou des documents traditionnels précédemment cités, avec cette différence qu’ici nous ne les considérerons plus comme de simples témoignages historiques, mais comme l’expression de l’enseignement divin immédiatement donné par Jésus-Christ et prêché par les apôtres, et exigeant l’assentiment de la foi.

I. LE DOGME DE L’INSTITUTION DIVINE DE L'ÉGLISE CONSIDÉRÉE COMME SOCIÉTÉ SURNATURELLE.

Enseignement néo-testamentaire. —

L’Eglise considérée comme société surnaturelle consistant essentiellement dans la divine autorité établie par Jésus-Christ pour continuer sa mission jusqu'à la consommation des siècles, la divine institution de cette même Église résulte évidemmentdes textes scripturaires précédemment cités, et affirmant positivement les pouvoirs conférés par Jésus-Christ à ses apôtres et à leurs successeurs jusqu'à la consommation des siècles : pouvoirs absolument égaux à ceux que Jésus avait reçus de son Père : pouvoir d’enseigner, en la conservant fidèlement, toute la doctrine enseignée par Jésus : Data est mihi omnis potestas in cselo et in terra. Euntes ergo docele omnes génies, baplizanles eos in nomme Palris et Filii et Spiritus Sancti, docentes eos servare omnia quæcumque mamlavi vobis, et ecce ego vobiscum sur)} omnibus diebus, usque ad consummalionem sseculi, Matth., xxviii, 18 sq. ; pouvoir de lier et de délier sur la terre, c’est-à-dire pouvoir de commander autant que l’exige la fin surnaturelle à atteindre : Qxsecumque alligaveritis super terra » }, erunt ligata et in cselo, et quæcumqae solveritis super terrant, erunt solula et in cselo, Matth., xviii, 18 ; pouvoirs d’ailleurs communiqués spécialement à Pierre et à ses successeurs jusqu'à la fin des siècles, pour la parfaite unilé et cohésion de la nouvelle société surnaturelle. Matth., xvi, 18sq. ; Joa., xxi, 1°) sq.

Enseignement traditionnel. —

A l’occasion de diverses erreurs atteignant la divine constitution de l'Église ou ses propriétés essentielles, la tradition chrétienne, au cours des siècles, exprime, d’une manière plus complète, l’enseignement primitivement donné par la révélation néo-testamentaire. En face des hérésies gnostiques du IIe et du iiie siècle, la tradition patristique, en indiquant, comme marque caractéristique de la véritable Eglise, l’apostolicité de doctrine et de mission, selon les textes précédemment cités, témoignait, par le fait même, que les apôtres et leurs successeurs étaient les simples envoyés de Jésus-Christ agissant en son nom et avec son autorité, ce qui implique évidemment une autorité permanente, divinement établie pour régir l'Église. Contre l’erreur donatiste à la fin du IVe et au commencement du V e siècle, saint Optât, De schismate donalistarum, l. II, n. I sq., P. L., t. xi, col. 9 il sq., et saint Augustin, notamment dans son De unilate Ecclesise, P. L., t. xi. iii, col. 391 sq., revendiquent l’autorité divinement établie de l'Église une et catholique.

L’autorité divinement instituée du pontife romain est affirmée, du v c au ive siècle, surtout contre divers essais de schisme dans les Églises orientales, particulièrement par le pape saint Gélase (-j- 496), DenLingerBannwart, Enchiridion, n. 163, et par saint Hormisdas, n. 171 sq. ; affirmation répétée plus souvent encore depuis la consommation du schisme oriental au i.v siècle, particulièrement dans les professions de foi demandées aux orientaux et dans la définition du concile de Florence. Denzinger-Iiannwart, Enchiridion, n. 691. Au xv c siècle, contre les erreurs de Wicleff et de Jean lluss, on revendique la divine institution de l'Église comme société visible. Enchiridion, n. 627 sq. Enfin, depuis le xviie siècle jusqu'à notre époque, l’autorité ecclésiastique affirme souvent, à l’encontre du gallicanisme, du joséphisme et du libéralisme rationaliste, la divine institution de l'Église comme société souverainement indépendante des pouvoirs humains et comme société parfaite possédant pleinement et absolument tous les pouvoirs nécessaires pour atteindre sa fin surnaturelle ; c’est notamment ce qu’enseignent l’encyclique Quanta cura de Pie IX, et beaucoup d’actes pontificaux auxquels se réfère le Syllabus de 1864, ainsi que les définitions du concile du Vatican et beaucoup d’encycliques de Léon XIII.

Tout esprit réfléchi comprendra la souveraine importance pratique du dogme dont nous venons d’esquisser brièvement l’histoire. Pour les catholiques

déjà en possession de la pleine vérité, c’est de cette foi au dogme de l’institution divine de l’Eglise avec toutes ses propriétés essentielles, que dépend effectivement tout l’accomplissement des devoirs auxquels ils sont strictement tenus envers elle, soit dans leur vie individuelle soit dans leur vie publique ou sociale. Aussi importe-t-il souverainement, dans les circonstances actuelles où la lutte contre l'Église est partout si vive, de raviver et de fortifier fréquemment la foi des fidèles en la divine institution de l’Jiglise, comme Léon XIII l’a particulièrement fait dans plusieurs encycliques.

Quant aux non-catlioliques qui montrent quelque disposition favorable envers la religion catbolique, la question de l’institution divine de l'Église avec toutes les prérogatives qui en sont la conséquence, est celle sur laquelle on doit le plus insister pour vaincre leurs dernières résistances et pour leur inspirer tout le courage nécessaire. C’est la méthode particulièrement suivie par Léon XIII dans son encyclique Salis cognitum du 29 juin 1896.

II. le dogme ou la doctrine catholique sur les propriétés de l'église résultant immédiatement du fait de son institution divine. —L'Église société surnaturelle parfaite.

L’Eglise, ayant été établie comme société surnaturelle, est, en vertu de son institution même, une société parfaite, possédant, en propre et d’une manière indépendante, toute l’autorité nécessaire pour atteindre sa tin éminemment supérieure, qui est de continuer la mission de Jésus-Christ en accomplissant tout ce qui est nécessaire ou utile pour diriger les âmes vers le salut éternel. C’est ce qui résulte évidemment de l’institution de Jésus-Christ donnant lui-même directement à ses apôtres tout pouvoir, pour qu’ils l’exercent indépendamment de toute autorité humaine, d’après les textes précédemment cités. C’est aussi ce que montre manifestement la pratique constante de l'Église, revendiquant incessamment pour elle-même, dans l’exercice de ses pouvoirs et de ses droits, la souveraine indépendance que doit lui assurer sa divine mission. C’est ce qu’attestent dans tous les siècles de nombreux documents ecclésiastiques, notamment, à notre époque, l’encyclique Quanta cura de Pie IX du 8 décembre 1861, réprouvant dans toutes ses conclusions l’erreur assujettissant l'Église à la domination de l'État, Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1696 sq. ; le Syllabits de Pie IX du 8 décembre 1864, stigmatisant de nombreuses propositions destructives ou restrictives des droits de l'Église, particulièrement la proposition 20 : Ecclesia non est vera perfeclaque socielas plane libéra, nec pollel suis propriis et constantibus juribus sibi a divino suo fundatore collatis, sed civilis potestatis est definire quæ sinl Ecclestee jura ac limites, intra i/uos eadem jura exercere queat, Enchiridion, n. 1719 ; l’encyclique Arcanum divin se sapienlise de Léon XIII du 10 février 1880. revendiquant pour l’autorité ecclésiastique toute la discipline du mariage chrétien : Chris tus igitur, cuni ad talent ac tantam excellenliam matrhnonia renovavisset, totani ipsorum disciplinant Ecclesise credidil et contmendavit. Quse potestatem in conjugia christianorunt, omni cuni tempore tum loco exercuil algue ita exercuit ut illant propriam ejus esse appareret, nec hominum concessu quæsilam, sed auctoris sui voluntate divinitus adeptant : l’encyclique Immorlale Dei de Léon XIII du 1 er novembre 1885, déclarant expressément que l'Église est une société parfaite : societas est génère et jure perfecta, cum adjumenta ad incoluntitateni actionemque suant necessaria, voluntate beneficioque eondiloris sui, oninia in se et per se ipsa possideal ; ce que cette même encyclique démontre par la volonté formelle de Jésus-Christ et par la pratique constante de l'Église ;

enfin l’encyclique Satis cognitum de Léon XIII du 29 juin 1896, montrant que l'Église a seule mission de juger et de décider, par elle-même, tout ce qui appartient à la religion et d’administrer à son gré, librement et sans entraves, les intérêts chrétiens, qu’elle est conséquemment une société parfaite et que c’est ne pas bien la connaître, ou la calomnier injustement, que de l’accuser de vouloir envahir le domaine propre de la société civile ou d’empiéteT sur les droits des souverains. Enseignement qu’il importe souverainement d’affirmer aujourd’hui en face des prétentions exagérées de l’absolutisme d'État.

L’Eglise société visible.

L'Église, définitivement instituée pour diriger effectivement ses membres vers leur fin surnaturelle en continuant le ministère de JésusChrist, doit être essentiellement visible par les membres qui la composent, par l’autorité qui dirige ces membres et par le lien qui les unit avec l’autorité divinement instituée.

1. C’est une conclusion qui découle nécessairement de l’enseignement néo-testamentaire sur la constitution même de l’Eglise et sur les devoirs qui lui sont rigoureusement dus.

a) Des affirmations de Jésus-Christ telles qu’elles sont rapportées par les évangélistes, il résulte que l'Église doit avoir une autorité visiblement exercée parles apôtres et par leurs successeurs jusqu'à la consommation des siècles : autorité d’enseignement, Matth., xxviii, 20, à laquelle on doit visiblement se soumettre sous peine de damnation éternelle : Qui crediderit et baptizatus fuerit, oalrus eril, qui vero non credideril, ctmdemnabitur, Marc, XVI, 16 ; autorité de gouvernement à laquelle on doit aussi se soumettre visiblement, sous peine d'être tenu pour un païen et un publicain, c’est-à-dire sous peine d'être exclu de l’Eglise. .Matth., xviii, 17 sq.

b) L’enseignement de saint Paul n’est pas moins explicite.—
a. Saint Paul, comme nous le montrerons bientôt, affirme l’existence d’une autorité enseignante, dont la mission est de nous empêcher d'être halètes parle vent des doctrines humaines, Eph., IV, Il sq. ; autorité qui, pour exercer efficacement son rôle, doit nécessairement être visible. —
b. La foi que doivent avoir tous les membres de la société nouvelle, est une foi produite par l’enseignement extérieur, /ides ex auditu, auditus autem per verbum Christi, Rom., x, 17 ; ce qui suppose manifestement une autorité visible. Il est d’ailleurs requis que cette foi soit confessée ou manifestée extérieurement pour que l’on obtienne le salut : corde enim crediturad justitiam ; ore autem fit confessio ad salutem. Rom., x, 10. —
c. La société des nouveaux fidèles est appelée le corps de Jésus-Christ : vos autem estis corpus Christi et membra de membro, I Cor., xii, 27 ; unum corpus et anus Spiritus sicut vocati estis in una spe vocationis vestrse, Eph., iv, 1 ; sicut enim in uno corpore multa membra habemus, omnia autem membra non eumdem acluni Itabent ; ita ntulli unum corpus sumus in Christo, singuli autem aller alterius membra, Rom., XII, -isq. ; etJésus est appelé la tête ou le chef de ce corps. Eph., I, 22 sq. ; IV, 15 sq. ; Col., Il, 19. Or, ce nom de corps, donné à la société nouvelle, suppose dans l'Église, en même temps que la diversité des membres et des fonctions, une unité constituant un tout animé et un tout nécessairement visible, puisque les parties doivent être reliées entre elles par des relations de mutuelle dépendance, comme les membres d’un même organisme. Prat, La théologie de saint Paul, I" partie, Paris, 1908, p. 117 sq.

C’est ce que montre Léon XIII dans l’encyclique Salis cognitum, du 29 juin 1896, où il affirme que l'Église, parce qu’elle est un corps, tombe sous nos regards ; et, parce qu’elle est le corps de Jésus-Christ, elle est un corps vivant, actif, plein de sève, sustenté par JésusChrist, à peu près comme la vigne nourrit et rend

fertiles les branches qui lui sont unies. D’où ce pape conclut que, de même que, dans les êtres animés, le principe de vie est profondément caché et cependant se manifeste parle mouvement et l’action des membres, ainsi dans l’Eglise le principe de sa vie surnaturelle apparaît visiblement par les actes qu’elle produit.

2. Enseignement traditionnel.

a) Dans les trois premiers siècles, une affirmation implicite de la visibilité de l'Église est évidemment contenue, selon les indications précédemment données, dans la nécessité si souvent mentionnée d’appartenir même extérieurement à l'Église, de suivre son enseignement et de se soumettre à son autorité directrice, si l’on veut obtenir le salut. Carde tels devoirs incombant à tous les fidèles, supposent manifestement une autorité facilement discernible, sous la dépendance de laquelle on doit se placer et rester constamment. D’ailleurs la communion avec l’Eglise, rigoureusement exigée sous les peines les plus sévères en cette vie et en l’autre, étant toujours extérieure et visible, avec une foi intégrale toujours extérieurement et visiblement professée, il est manifeste qu’un lien visible, unissant tous les membres de l’Eglise, est toujours requis.

b) Du i c au xv siècle, on rencontre, chez les Pères et chez les théologiens, quelques affirmations qui, au moins par voie de conséquence, contiennent un enseignement positif sur la visibilité de l’Eglise.

Vers la fin du ive siècle, l’erreur des donatistes, en faisant dépendre le pouvoir sacramentel de la sainteté du ministre, aboutissait logiquement à cette conclusion qu’il ne doit y avoir dans l'Église aucun pécheur, quod Ecclesia Dei non cum malorum honrinum conimixtione futura prsedicta sit. S. Augustin, Breviculus collatîonis cum donatislis, c. viii, n. 10, P. L., t. xliii, col. 629. Un peu plus tard, les pélagiens affirmant que tout péché, toujours nécessairement mortel, exclut rigoureusement de l’Eglise et du ciel, admettaient conséquemment que l’Eglise est la société des parfaits, voir t. 1, col. 2383, n’ayant, par suite, d’autre lien d’union qu’une sainteté qui, de soi, n’est point visible.

Contre les assertions des donatistes, saint Optât enseigne que, selon la parole de saint Jean : Si dixerimus quia peccatum non habemus nos ipsos deeipimus, cl veritas in nobis non est, I Joa., i, 8, aucun fidèle n’est parfait, De schismate donalistarum, l. II, c. xx, P. L., t. xi, col. 971 sq. ; d’où l’on est autorisé à conclure que les pécheurs eux-mêmes ne sont pas privés du droit d'être rangés parmi les fidèles. D’ailleurs, la manière dont l'évêque de Milève parle, dans les textes précédemment cités, de la catholicité de l’Eglise et de ses propriétés distinctives, surtout de la cathedra Pétri, indique clairement que l'Église doit être visible.

Contre les donatistes et contre les pélagiens, saint Augustin montre qu’il y a dans l'Église, tant que dure l’exil de la terre, un mélange de bons et de mauvais chrétiens. Expliquant Ezech., XXXIV, 17 sq., il montre que nous sommes les brebis ou le troupeau de Dieu, et comment nous devons écouter la voix de notre souverain pasteur ; puis il ajoute que dans ce troupeau de Dieu, il y a des boucs : Quid hic faciunt hirci in grege Dei ? In eisdem pascuis, in eisdem fonlibus, et hirci tamen sinistræ destinait dexlris miscentur et prius tolerantur qui separabuntur ; et hic exercetttr ovium patientia ad similitudinem patientise Dei. Serni., XLvn, c. V, n. 6, P. L., t. XXXVIII, col. 298. Puis, appliquant la parabole du bon grain et de l’ivraie, le saint docteur conclut que la séparation des bons et des méchants se fera seulement après cette vie. Loc.cit. Dans une autre circonstance, s’adressant aux fidèles qui viennent d'être baptisés, il les exhorte à suivre les fidèles qui sont bons, car, ajoute-t-il, il y a des fidèles qui sont mauvais : Sunt enim, quod pejus est, fidèles mali. Sunt fidèles in quibus sacramenta Christi paliantur inju riant, qui sic vivunt ut et ipsi pereant et aller os perdant. Pereunt quippe ipsi maie vivendo ; perdunt véro alios maie vivendi exempta præbendo. Serm., ccxxiii, n. 1, col. 1092. Ces méchants, tant que dure l'Église de cette terre, peuvent être avec les bons, mais dans l’Eglise qui suivra la résurrection générale, ils ne pourront être avec la congrégation des saints. Car l’i’glise de cette terre est comparable à une aire renfermant la paille avec le bon grain ; sur cette terre elle a les bons mélangés avec les méchants, ce n’est qu’après le jugement qu’elle possédera tous les bons sans aucun méchant, n. 2, col. 1092. Ailleurs, expliquant en quel sens les fidèles sont le corps de JésusChrist, il affirme, il est vrai, que ceux-là seuls appartiennent vraiment au corps de Jésus-Christ qui vivent de son esprit, et que les autres sont des membres pourris qui méritent d'être retranchés, non s’il pulre membrum quod resecari mereatur. In Joa. Evang., tom. XXXVI, c. VI, n.43, P.L., t. xxxv, col. 1613. De même, il compare les méchants qui restent encore membres de l’Eglise aux humeurs mauvaises résidant dans le corps : sic sunt in corpore Christi quomodo humores mali. In 1 Joa., tr. 111, c. H, n. 4, col. 1999. Selon la force de ces deux comparaisons, bien que les pécheurs soient des membres imparfaits de l'Église, ils le sont cependant, tant qu’ils ne sont point retranchés ou rejetés du corps de l'Église. Dans plusieurs autres passages, les pécheurs sont aussi indiqués comme n’appartenant pas parfaitement à l'Église : nec omnino ad illani Ecclesiam perlinere judicandi sunt, quant sic ipse nnindat lavacro aquæ in verbo, utexhibeal sibi gloriosam Ecclesiam non habentem maculant aut rugam, aut aliquid liujusmodi. Debapt. contra donat., l. IV, c. ii, n. i, P. L., t. xliii, col. 155 sq. Son langage est presque le même dans son ouvrage De doctrina christiana, l. III, c. xxxii, P. L., t. xxxiv, col. 82.

Il est donc manifeste que, dans la pensée de l'évêque d’Hippone, l’Eglise de la terre, composée de fidèles bons et mauvais, justes et pécheurs, est nécessairement visible, car avec un tel mélange il ne peut y avoir, entre les fidèles, qu’un lien visible, consistant dans la profession extérieure d’une même foi et dans la soumission à la même autorité visible.

Du Ve au ixe siècle, en face des tentatives de schisme chez les Orientaux, et du IXe au xv° siècle, en face de leur schisme pleinement consommé, l’on rencontre beaucoup de documents ecclésiastiques insistant formellement, selon la tradition chrétienne depuis longtemps universelle et constante, sur la nécessité de la soumission à l’autorité visible du pontife romain ; ce qui suppose manifestement la croyance à une autorité visible, conséquemment à l’Eglise visible. Nous citerons notamment le formulaire du pape saint Hormisdas (514-523), universellement accepté comme règle de foi rigoureusement obligatoire pour tous ceux qui veulent obtenir le salut en restant en communion avec l'Église catholique. Ce formulaire mentionne expressément comme retranchés de la communion de l'Église catholique, ceux qui ne se soumettent point au siège apostolique dans lequel est l’intègre et parfaite solidité de la religion chrétienne : Et ideo spero ut in una communione vobiscum quam sedes apostolica prædicat, esse merear, in qua est intégra et verax cltristianx religionis et perfecta soliditas, promittens in sequcnli tempore sequestratos a communione Ecclesiæ catholicæ, id est non consenlicntes sedi apostolicæ, eorum nomina inler sacra non recilandæsse mysleria. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 172.

De même, un décret d’un concile de Rome, présidé par le pape saint Nicolas I er vers 862, porte anathème ou séparation de l'Église, contre quiconque méprise les dogmes, commandements, interdictions, sanctions ou décrets promulgués par le siège apostolique poup

la foi catholique, la discipline ecclésiastique, la correction des fidèles, la conversion des méchants et l'éloignement des maux prochains ou futurs. Enchiridion, n. 326. Le même enseignement, supposant évidemment dans l'Église une autorité visible et la nécessité de s’y soumetire visiblement, se rencontre dans le canon 21 du VIIIe concile œcuménique, IVe de Conslantinople, Enchiridion, n. 341, dans la lettre de saint Léon IX à Michel Cérulaire, n. 351 sq., dans la profession de foi proposée à Michel Paléologue par Clément IV en 1267, n. 466, et dans la bulle TJnam sanctam delioniface VIII du 18 novembre 1302, n. 468 sq.

Au commencement du XIVe siècle, les fraticelles, précurseurs de Wicleff sur ce point, soutenaient une Église spirituelle, frugaliUite mundam, virtute décorant, paupertatesuccinctam, qu’ils opposaient à l’Eglise charnelle, surchargée de richesses et souillée de crimes, où dominaient l'évêque de Rome et les autres prélats inférieurs. Cette erreur qui atteignait, par voie de conséquence, la visibilité de l'Église, fut condamnée par Jean XXII le 1e ' janvier 1317 dans la constitution Scinda romana atque universalis Ecclesia. Enchiridion, n. 485.

c) Toute la période, depuis le XVe siècle jusqu’aux temps actuels, est marquée par des affirmations très explicites de la visibilité de l'Église.

Au commencement du XVe siècle, Wicleff soutenant que tout prélat ou évéque, en état de péché mortel, est privé de toute autorité, Enchiridion, n. 595, que l’Kglise romaine est la synagogue de Satan et que le pape n’est pas le vicaire immédiat de Jésus et des apôtres, n. 617, aboutit logiquement à une Église invisible. Ces erreurs sont condamnées par le concile de Constance en 1415 ; et cette condamnation est renouvelée par Martin V le 22 février 1418. Loc. cit. De même, l’erreur de l’invisibilité de l'Église, formellement exprimée par Jean Huss dans les propositions suivantes : 1. Unica est sancta universalis Ecclesia i/use est prsedestinatorum universitas. — 3. l’rœscili non sunt partes Ecclesia', cum nuUa pars ejus finaliter excidet ab ea, eo quod prxdestinatumis caritas quæ ipsam ligat, non excidel. — 5. Præscilus, etsi aliquando est in gratta secundum prwscnlem justifiant, tamen nunquam est jiars sanctæ Ecclesia :  ; et prx-destinalus souper inanet membrum Ecclesiss, licel aliquando excidat a gratia advenlilia, sednon a gratia 2° 'sedestinationis. — 6. Sumendo Ecclesiam pro convocatione prædestinatorum, sive fuerinl in gratia, sive non secundum praisenlem juslitiam, isto modo Ecclesia est articulas fidei, est également condamnée par le concile de Constance en 1415 et de nouveau par Martin V en 1418. Encliiridion, n. 627 sq. Les théologiens de cette époque s’expriment dans le même sens, notamment Thomas Netter et le cardinal Turrccremata. Thomas Netter ou Waldensis (y 1430) prouve contre Wicleff, particulièrement par les paraboles évangéliques de Matth., xiii, xxv, et par l’autorité de saint Augustin, que, dans l'Église mililante, il y a mélange des bons et des méchants. Doctrinale antiquitatum fidei Ecclesia : catholiese, l. III, c. vin sq., Venise, 1571, t. i, p. 157 sq. Les réprouvés sont membres de cette Église, pourvu qu’ils ne sortent point de la société catholique par l’hérésie ou le schisme, ou qu’ils n’en soient point rejetés par des censures ecclésiastiques, l. III, c. ix, n. 3, p. 161. Mais ils sont dans l'Église, sicut sentina in navi, corruplum membrum in corpore aul macula in globo lunari, l. I, c. x, n. 6, p. 166.

Le cardinal Turrecremata († 1468) définit l'Église, la société des catholiques ou l’universalité des fidèles, qu’ils soient prédestinés ou non, qu’ils soient ou non dans la charité, pourvu qu’ils professent la foi catholique intégrale et qu’ils ne soient point retranchés de

l'Église par la juste sentence de leurs pasteurs. Summa de Ecclesia, l. III, c. ni, Rome, 1489, sans pagination. Il justifie aussi, dans l'Église, le mélange des bons et des méchants par les paraboles évangéliques du filet jeté dans la mer et ramassant des poissons de tout genre, bons et mauvais, Matth., xiii, 47 sq., du champ contenant le bon grain et la zizanie, 38 sq., et des dix vierges parmi lesquelles se rencontrent cinq folles et cinq sages. Matth., xxv, 2 sq. Il confirme sa doctrine par l’autorité déjà citée de saint Augustin, et s’appuie finalement sur cet argument de raison que, dans l’hypothèse contraire, toute autorité dans l'Église deviendrait absolument incertaine, l. I, c. m. Quant aux pécheurs, fidèles injusti et peccatores, conformément à l’enseignement de saint Augustin, ils sont dans la sainte Église de Dieu comme des membres desséchés et morts, ou comme des humeurs malignes, l. I, c. v.

Au commencement du XVIe siècle, Luther et Calvin, suivant l’exposé que nous avons donné précédemment de leurs systèmes, niaient, l’un par voie de conséquence et l’autre très ouvertement, la visibilité de l'Église ; et l’Kglise visible et tout humaine que tous deux essayèrent de maintenir ne pouvait sauvegarder le caractère divin de la visibilité de l'Église.

Contre toutes ces erreurs, les théologiens catholiques, depuis le xvr siècle jusqu'à noire époque, soit dans des ouvrages spéciaux, soit dans leurs sommes ou traités théologiques, expliquent et démontrent le véritable concept de la visibilité de l’Kglise.

Pighi († 1542) insiste sur la notion catholique de l’unité de l'Église, consistant non dans le lien de la charité ou de la grâce qui unit tous les membres entre eux et avec leur chef, mais dans la profession de la même foi et dans la soumission à la même autorité. D’où il conclut que les pécheurs sont membres de l’Kglise ; ce qu’il confirme par les paraboles évangéliques que rapporte saint Matthieu, XXII, xxv, et par la parole de saint Paul appliquée à l’Kglise : in magna autem donio non solum sunt rasa aurca et argentea, sed et lignea et fictilia, II Tim., II, 20. Hiérarchise ecclesiasticse asserlio, I. II, c. i, Cologne, 1558, p. 58 sq.

Melebior Cano († 1560) montre que l’erreur prédestinatienne de Wiclelf et de Jean Huss sur l’invisibilité de l'Église, déjà condamnée par le concile de Constance, rend tout exercice de l’autorité dans l’Kglise pratiquement impossible en le faisant dépendre du fait de la prédestination individuelle qui reste nécessairement inconnu ou incertain. Le mélange des bons et des méchants dans l'Église est prouvé par les paraboles évangéliques que rapporte saint Matthieu, xiii, xxii, xxv. De locis theologicis, l. IV, c. iii, Opéra, Venise, 1759, p. 95 sq.

Sta piéton (-j- 1598), dans sa démonstration de la visibilité de l'Église, insiste particulièrement sur le témoignage de l'Écriture de l’Ancien et du Nouveau Testament. De l’Ancien Testament il cite principalement les textes qui prédisent le royaume universel du libérateur ou rédempteur futur, s'étendant visiblement sur toute la terre, depuis la première annonce de cette libération, Gen., iii, 15, jusqu’aux prophélies de David, Ps. xvin, 5 ; xxi, 28 ; xuv, 17 ; xlvii, 2 sq. ; d’Isaïe, ii, 2 ; xlix, 12 ; lii, 10 ; i.iv, 1 ; lx, 1 sq. ; lxi, 9 sq. ; de Jérémie, xvii, 12 sq. ; d'Ézéchiel, xxxvii, 27 sq ; de Daniel, H, 35, vii, 27 ; d’Aggée, ii, 8 ; de Zacharie, ix, 10, et de Malachie, I, 10 ; prophéties que l’auteur applique à l'Église catholique, en s’appuyant surtout sur les interprétations données par saint Augustin. Les principales preuves empruntées au Nouveau Testament sont la double affirmation de Jésus-Christ rapportée par saint Matthieu : Non potest civilas abscondi super montem posita, v, 14 ; Quod si non audieril eos, die

Ecclesix, xviii, 17 ; et les faits rapportés dans les Actes des apôtres, ii, 41 ; viii, 40 ; IX, 15 ; xiii, 47 ; et dans l’iipitre aux Romains, x, 18, attestant la propagation de l'Église d’abord dans la Judée, puis dans l’univers entier ; propagation continuée ultérieurement comme le témoigne toute l’histoire ecclésiastique. Principiorum fui ex doctrinalium demonstralio methodica, . II, c. I sq., Paris, 1 ô82, p. 35 sq. Après cette démonstration scripluraire, où la tradition est d’ailleurs solidement représentée par saint Augustin dont les interprétations scripturaires sont souent citées, Stapleton expose quatre raisons pour lesquelles cette visibilité de l’Eglise doit être manifeste aux yeux de tous : le bien des fidèles qui peuvent ainsi facilement suivre les enseignements de l’Eglise et obéir en toute sécurité à ses préceptes, c. VI, p. 45 ; la nécessité pour les fidèles, exposés à perdre la foi, de pouvoir discerner facilement des sectes hérétiques l'Église catholique dont la vérité est devenue si resplendissante, p. 45 sq. ; la nécessité, pour les infidèles qui veulent embrasser la foi catholique, de pouvoir aisément reconnaître l’Eglise catholique, p. 46 sq. ; enfin la gloire de Jésus-Christ dont le règne sur toute la terre brille ainsi d’un merveilleux éclat, c. vii, p. 49 sq. Puis, dans le reste de son l. II, l’auteur répond en détail à toutes les objections des hérétiques, empruntées à l’Ancien ou au Nouveau Testament, ou à l’histoire de l’Eglise, et appuyées principalement sur le petit nombre des vrais serviteurs de Dieu, ou sur de prétendues défaillances de l'Église au moins dans sa partie visible, particulièrement pendant la tourmente arienne.

Dans ses célèbres Controverses publiées de 1586 à 1593, Bellarmin († 1625) complète la thèse de Stapleton. Son exposé scripturaire, enrichi de quelques textes nouveaux tels que, Super hanc pelram œdificabo Ecclesiam meani, Matth., xvi, 18 ; Attendite vobis et universo gregi in quo vos Spiritus Sanctus posuil episcopos regere Ecclesiam I)ei, Act., xx, 28, est à la fois plus concis, plus méthodique et plus démonstratif. Il montre particulièrement le fait, de la croyance universelle et constante à cette visibilité de l’Eglise, par la nécessité admise dans tous les siècles, sous peine d’exclusion de l’Eglise et de damnation éternelle, d’obéir au chef visible de cette Église et aux autres pasteurs légitimes, et en même temps de communiquer extérieurement avec les membres visibles de cette même Église. Controv., De Eccl. milit., l. III, c. xi, Lyon, 1601, t. : , col.919 sq. Puis il répond, comme Stapleton, aux diverses objections des protestants, mais d’une manière plus serrée et plus complète. Il montre que l'Église, bien qu’elle soit visible, est en même temps objet de la foi, parce que ce que l’on voit d’elle n’est point ce que l’on croit. On voit la société des hommes professant la même foi sous l’autorité des pasteurs légitimes, principalement des pontifes romains, et l’on croit que cette même société, instituée par Jésus-Christ, est la seule véritable Eglise ; vérité en elle-même révélée et inévidente, à laquelle nous pouvons donc adhérer par l’acte de foi, c. xv, col. 957.

Les auteurs subséquents ne font guère que reproduire les arguments de Bellarmin et de Stapleton. Nous citerons particulièrement Suarez († 1618) dans sa Defensio fidei catholiciB adversus anglicanx seclse errores, adressée en 1613 au roi d’Angleterre, l. I, c. vu sq. ; S. François de Sales († 1622), Controverses, part. I, c. ii, a. 1 sq., Œuvres complètes, Annecy, 1892, t. i, p. 40 sq. ; liossuet († 1704), Conférence avec M. Claude, Œuvres complètes, Paris, 1836, t. ix, p. 70 sq. ; Réflexions sur un écrit de M. Claude, p.HOsq. ; Libère de Jésus († 1719), Controversiurnm de Ecclesia militante, part. II, disp. II, controv. VI, Milan, 1757, t. viii, p. 214 sq. ; Tournely († 1729), Prxlecliones theologiae de Ecclesia, q. il, a. 7, Paris,

1739, t. i, p. 231 sq. ; Gotti († 1742), Vera Ecclesia Christi, trad. de l’italien par le P. Covi, c. ix, p. vii, Venise, 1750, p. 92 sq. ; Billuart († 1757), De regulis /i’dei, diss.III, a.3 ; Perrone(† 1876), De locis theologicis, part. II, c. ii, a. 2, Prselccliones Iheologicse, Louvain, 1843, t. viii, p. 38 sq. ; P. Murray, Tractatus de Ecclesia Christi, disp. V, Dublin, 1860, t. i, p. 266 sq. ; Eranzelin († 1886), Thèses de Ecclesia, 2e édit., Rome, 1907, p. 345 sq. ; Ilurter, Theologicæ dogmaticm conipendium, De Ecclesia Christi, part. I, c. il, 4e édit.. Inspruck, 1883, t. i, p. 195 sq. ; Mazzella, De religione et Ecclesia, disp. III, a. 4, 5e édit., Rome, 1896, p. 367 sq. ; Pesch, Prælectiones dcrjmalicse, De Ecclesia Christi, 4e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1909, p. 214 sq. ; de Groot, Summa apnlogetica de Ecclesia catholica, q. ni, a. 2, 2e édit., liatisbonne, 1892, p. 49 sq. ; Wilmers, De Christi Ecclesia, l. I, c. ni, a. 1, Ratisbonne, 1897, p. 58 sq. ; Billot, De Ecclesia Christi, (|. i, th. ii, 2e édit., Rome, 1903, p. 106 sq. ; P. Scbanz. Apologie des Christenthums, 3e édit., Fribourg-enBrisgau, 1906, t. iii, p. 88 sq. ; B. Poschmann, Die Sichtbarkeit der Kirche nach der Lehre des hl. Cyprian, Paderborn, 1908.

Cet enseignement traditionnel est confirmé par Léon XIII dans son encyclique Satis cognitum du 29 juin 1896. Il y affirme que, selon le plan divin, l'Église est à la fois spirituelle et extérieure ou visible : spirituelle dans le but qu’elle poursuit et dans les causes immédiates par lesquelles elle produit la sainteté dans les âmes ; extérieure ou visible, si l’on considère les membres dont elle se compose et les moyens par lesquels les dons spirituels arrivent jusqu'à nous. Car ses membres doivent non seulement avoir la foi dans leur esprit, mais encore la manifester extérieurement par une profession très évidente. De même, les moyens ordinaires et principaux qui produisent la sainteté dans leur âme, sont des moyens extérieurs, consistant dans les sacrements administrés, avec des rites spéciaux, par des ministres nommément choisis pour cette fonction. D’où Léon XIII déduit que ceux-là sont dans une grande et pernicieuse erreur qui, façonnant l'Église à leur gré, l’imaginent comme cachée et nullement visible ; et ceux aussi qui la regardent comme une institution humaine ayant une organisation, une discipline et des rites extérieurs, mais sans aucune communication permanente des dons de la grâce divine, sans rien qui atteste, par une manifestation quotidienne et évidente, la vie surnaturelle puisée en Dieu.

3. De cet enseignement néo-testamentaire et traditionnel, on peut déduire plusieurs conclusions doctrinales, relatives à la nature de ! a visibilité de l'Église.

a) Ce qui constitue la visibilité de l'église, c’est son organisation extérieure, autant du moins qu’elle est de droit divin, organisation manifeste à tous les regards, et à laquelle tous les fidèles doivent appartenir par le lien visible de la même foi obligatoire, extérieurement professée, par le lien de l’obéissance à l'égard d’une commune autorité visible, et par le lien d’une même communion dans la participation aux sacrements établis par Jésus-Christ. C’est ce que l’encyclique Satis cognitum de Léon XIII du 29 juin 1896, indique, selon l’enseignement constant de la tradition, comme l'élément visible de l'Église.

Mais en même temps que l’on affirme cet élément visible de l'Église, on doit affirmer, d’une manière non moins formelle, qu’il n’est point, à lui tout seul, toute l'Église. C’est l’enseignement de la même encyclique Satis cognitum, taxant d’erreur ceux qui, façonnant ['Église à leur gré, se l’imaginent ou comme absolument invisible ou comme purement extérieure, séparant ainsi violeinmentdeux éléments qui doivent s’unir pour constituer la véritable Église : complexio copulatioque

canon duarum velut partium prorsus est ad veram Ecclesiam m’cessaria, sic fere ut ad naturam liumanam intima animse corporisque conjunclio. Car l'Église n’est point un cadavre, elle est le corps de Jésus-Christ animé de sa vie surnaturelle. Et s’il est vrai que c’est mutiler le Verbe incarné que de supprimer sa nature humaine ou de s’attaquer à sa divinité', il est également vrai que le corps mystique de JésusChrist est la véritable Église, à cette seule condition que ses parties visibles tirent leur force et leur vie des dons surnaturels : sic corpus ejus mysticum non vera Ecclesia est nisi propter cam rem ijuoil ejus parle* conspicuse vim vilamque ducunt ex donis supernaturalibus rebusque cœleris, unde propria ipsamm ratio ac ualitra ef/lorescit.

b) Si l’on admet, avec saint Thomas, l’impossibilité d’avoir la foi en ce qui est, de soi, évident aux sens on à la raison, on devra reconnaître que la visibilité de l'Église, telle qu’elle vient d'être délinie, ne peut être l’objet de la foi, si on la considère simplement en elle-même comme fait matériel, éclatant aux regards de tous et aisément constaté par la perception des sens ; de même que la sainte humanité de Jésus-Christ considérée en elle-même, et pour ceux qui en avaient la perception sensible, ne pouvait être l’objet d’un acte de foi.

.Mais rien ne s’oppose à ce que, par un acte de foi, l’on croie à la vertu surnaturelle ou au principe divin qui anime l’organisme visible de l'Église, de même que l’on pouvait, par un véritable acte de foi, croire à la divinité de Jésus-Christ hypostatiquement unie à son humanité et dirigeant tonles ses actions. Alors ce n’est point la visibilité même de l'Église qui est l’objet de notre foi, c’est le caractère surnaturel, c’est la divine vérité de cette Eglise qui se manifeste extérieurement à nous par une si merveilleuse organisation visible.

Il est, d’ailleurs, bien assuré que de l’Eglise divinement établie avec toutes ses prérogatives surnaturelles nous n’avons point la pleine évidence rationnelle, de soi inconciliable avec l’acte de foi, selon la doctrine de saint Thomas, mais seulement une évidence de crédibilité, préparatoire à l’acte de foi, et solidement appuyée sur toutes les preuves précédemment apportées pour démontrer le fait très certain de l’institution divine de l'Église. C’est ce qu’observe justement le P. Billot : Simili ilaque modo Ecclesia objectum fidei non est, prœcise ut Ecclesia in suo esse sociali inlrinsece visibilis, sed solum ni Ecclesia vera, videlicet ut vera supernaturalis socielas in qua est xlernse salulis via, et sub Iwe respeclu non habet plus quant visibilitatem credibililatis. De Ecclesia Christi, 2e édit., Rome, 1903, p. 120.

3° Indèfectibilitè de l'Église. — L'Église, pour atteindre la fin qui lui a été assignée par son divin fondateur, doit encore être perpétuellement indéfectible dans sa durée à travers les siècles, dans sa constitution toujours identique à elle-même en ce qui est d’institution divine, et dans son enseignement toujours intégralement lidele de toute la doctrine révélée par Jésus-Christ.

I. Enseignement néo-testamentaire. —a) Promesses de Jesus-C/irist. — En même temps que Jésus promet particulièrement à Pierre la primauté d’autorité dans son Eglise, il lui assure solennellement que cette autorité continuera toujours, et que tous les efforts dirigés contre elle par les puissances de l’enfer seront à jamais frappés d’insuccès, et portse inferi non prsevalebunt adversus eam, -Lai r.-Jlai xSoj où x.*xi<rx<)Gov<m a^Tr, ; . Matth., xvi, 18. Si, comme le laisse entendre l’expression ou y.aTt<r/ij<70u<jiv, l'Église peut, au choc de ses ennemis, ressentir quelque atteinte ou quelque dommage, dans ses membres ou dans sa vie sociale, ce ne sera jamais jusqu’au point d'être vaincue par ses

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

adversaires, en perdant quelque chose de ses divines prérogatives, ou en subissant une atteinte dans sa doctrine par l’acceptation de l’hérésie, qui est l'œuvre principale des puissances de l’enfer dans leur lutte contre l'Église. Donc, en faveur de l’Eglise, promesse formelle d’indéfectibilité dans la durée, dans la doctrine et dans tout ce qui la constitue d’après la volonté de son fondateur.

De même, la promesse faite conjointement à tous les apôtres et à leurs successeurs jusqu'à la consommation des siècles de les assister dans l’enseignement qu’ils doivent donner à toutes les nations, Matth., xxviii, 19 sq., comporte l’indéfectibilité constante dans la doctrine, fidèlement gardée, avec l’assistance divine, comme un dépôt inviolable.

b) Enseignement de saint Paul. — L’enseignement qui résulte des textes déjà cités dans notre démonstration apologétique, particulièrement Eph., iv, 14 ; I Tim., iii, 15, c’est surtout l’indéfectibilité dans la doctrine comme nous le montrerons bientôt ; indèfectibilitè supposant d’ailleurs, au moins implicitement, l’indéfectibilité du magistère divinement établi.

2. Enseignement traditionnel.

a) Dans les trois premiers siècles, une affirmation implicite de l’indéfectibilité de l'Église est évidemment contenue dans la croyance absolue à l’Eglise et à ses divines prérogatives, telle qu’elle est exprimée dans les symboles et telle qu’elle résulte de la pratique universelle et constante de se soumettre intégralement à l’autorité de l’Eglise, sous peine d'être exclu de sa communion et d’encourir ainsi la damnation éternelle. On rencontre aussi, dans plusieurs écrils de cette époque, des affirmations assez explieites, comme nous le constaterons bientôt en prouvant l’infaillibilité de l’Eglise.

b) Du IVe au xve siècle, on rencontre fréquemment, chez les Pères et chez les écrivains ecclésiastiques ou chez les théologiens, des affirmations explicites de l’indéfectibilité de l'Église ; affirmations portant d’une manière particulière sur l’indéfectibilité ou infaillibilité doctrinale de l'Église en face de toutes les hérésies, ou affirmations simplement générales sur l’inébranlable fermeté et la constante identité de l'Église au milieu des persécutions et attaques de tout genre.

Nous omettrons présentement les textes traitant particulièrement de l’infaillibilité doctrinale ou de l’infaillibilité du pape, et nous signalerons uniquement ceux qui concernent, d’une manière générale, l’immuable identité de l’Eglise à travers les siècles, en omettant d’ailleurs les documents où cette merveilleuse identité est attribuée spécialement aux promesses faites à Pierre et à ses successeurs jusqu'à la consommation des siècles.

L’indéfectibilité de l’Eglise, ainsi entendue, est particulièrement affirmée au ive siècle, à l’occasion de la victoire définitive de l'Église sur les persécutions des trois premiers siècles, ou de son triomphe éclatant sur les hérésies de toute cette période. Saint Hilaire (-j- 366) montre que les hérésies dans leurs attaques constantes contre l’Eglise n’obtiennent jamais la victoire et que l’Eglise triomphe toujours d’elles. De Trinilate, l. VII, n. 4, P. L., t. x, col. 202.

De même, saint Ambroise, après avoir remarqué que l'Église a son temps de persécution et son temps de paix, ajoute qu’elle ne peut jamais défaillir. Elle peut, il est vrai, subir quelque diminution par la défection de plusieurs dans l'épreuve de la persécution, mais c’est pour être enrichie par les confessions des martyrs, et pour que, glorifiée par le triomphe du sang généreusement versé pour Jésus-Christ, elle répande, dans tout l’univers, la lumière plus forte de sa foi et de sa dévotion. Hexæmevon, l. IV, c. ii, n. 7, P. L., t. xiv, col. 190. L'Église, dit-il encore ailleurs, éprouve le choc des vagues de ce monde, mais, elle n’est jamais submergée

IV. - 68

par elles ; toujours capable de retenir et d’adoucir les soulèvements des flots elles révoltes des passions, elle reçoit leurs coups, mais elle n’en est jamais ébranlée. Elle assiste au naufrage des autres, étant toujours ellemême à l’abri de tout danger et toujours prête à être illuminée par Jésus-Christ et à jouir de la possession de lumière. De Abraham, l. II, c. ni, n. 1 1, col. 461 sq. Vers la même époque, saint Jean Chrysoslorne, appliquant ;  ! l'Église ces paroles d’Isaïe : El eril innovissimis diebus præparatus morts Dontini, ii, 2, montre que ce mont désigne la fermeté, l’immortalité ou immutabilité et la force inexpugnable de l'Église. In Es., Il, 2, P. G., t. lvi, col. 29. Plus loin, il rappelle que l'Église, en butte à tant et de si fortes attaques, n’a jamais été vaincue et qu’elle repose sur des fondements plus fermes que le ciel lui-même, puisqu’elle est appuyée sur la parole de son fondateur : Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point. In Is., homil. iv, n. 2, col. 121 sq. Un peu plus tard, saint Jérôme donne pour raison de l’inébranlable fermeté de l'Église, qu’elle repose sur le fondementde Jésus-Christ. In 7*., iv, 6, P. L., t. xxiv, col. 71.

A la fin du ive siècle et au commencement du V*, en face des donalistes affirmant que toute l'Église visible avait péri, et qu’elle avait persévéré seulement dans quelques justes en Afrique, saint Augustin insiste sur l’indéfectibilité de l'Église, qui ne peut jamais perdre la catholicité dont la possession perpétuelle lui estassurée par les prophéties de l’Ancien Testament, Ps. ii, 7, et par la promesse solennelle de Jésus-Christ. Matth., xxviii, 19 sq. ; Epis t., xlix, n. 2 sq., P. L., t. xxxiii, col. 189 sq. Commentant ces paroles du psaume lx, 5 : Inquilinus ero in labernaculo luo uscjue in ssecula, le saint docteur montre que l’Eglise durera jusqu'à la fin des siècles, qu’elle ne sera jamais vaincue ni déracinée, qu’elle ne cédera à aucune épreuve jusqu'à ce que vienne la fin des temps, jusqu'à ce que de cette demeure temporelle nous soyons reçus dans cette habitation éternelle où nous conduira celui qui s’est fait notre espérance. In ps. lx, n. 6, P. L., t. xxxvi, col. 726. L'évêque d’Hippone appliquant également à l'Église les paroles du psaume lxxi, 5 : Et permanebit cum sole, affirme que l'Église durera quamdiu sol oritur et occidit, hoc est quamdiu tempora ista volvuntur. [n ps. L.., n.8, col. 906. Il donne ailleurs cette raison de l’inébranlable fermeté de l’Eglise, c’est qu’ayant pour fondement Jésus-Christ lui-même, elle ne peut chanceler qu’autant que son fondement lui-même chancellerait, ce qui ne peut arriver. In ps. ciii, serm. ii, n. 5 sq., P. L., t. xlii, col. 79 sq. Elle peut être assaillie, mais elle ne peut être vaincue. Toutes les hérésies sont sorties d’elle, comme des sarments retranchés de la vigne : ipsa autem manet in radice sua, in vite sua, in caritate sua. Portai inferi non vincent eam. De symbolo, serm. ad catechum., c. VI, n. 14, P. L., t. XL, col. 635.

Du VIe au XIIIe siècle, la constante indéfectibilité de l’hglise est particulièrement appuyée sur la promesse spéciale faite à saint Pierre et à ses successeurs, notamment dans le formulaire du pape saint Hormisdas, très fréquemment employé pendant cette période, Denzinger-Bannvart, £'rtc/imf/ion, n. 171, et dans une lettre du pape saint Léon IX à Michel Cérulaire, du 2 septembre 1053. Enchiridion, n. 351.

Au xiiie siècle, saint Thomas, commentant le symbole des apôtres, énumère quatre conditions ou propriétés de l'église, parmi lesquelles la quatrième est que l'Église soit forlis et firma. Cette fermeté de l'Église, provenant de ce qu’elle a Jésus-Christ pour fondement, consiste en ce que, malgré les attaques dont elle est l’objet de la part des persécuteurs, de la part des hérétiques ou de la part du démon, elle ne peut jamais être détruite, et reste toujours pure et ferme dans la foi.

Exposilio super symbolo apostolorunt, opusc. VI, Opéra, Rome, 1570, t. xvii, fol. 69 sq.

Au xve siècle, Turrecremata traite expressément, dans sa Summa de Ecclesia, de l’indéfectibilité de l'Église dans la foi, dans la sainteté, dans la doctrine et dans l’autorité hiérarchique. Il prouve cette indéfectibilité particulièrement par l’autorité de l'Écriture. De l’Ancien Testament il cite surtout le ps. xlvii, 3 sq. : Fimdatur exultalione universæ terrai nions Sion, lalera aquilonis, civitas régis magni, et Is., xxxiii, 20 : Respice Sion civilalem solemnilalis nostræ : oculi tui videbunt Jérusalem, habitationem opulentam, tabernaculum quod nequaquam transferri poterit : nec auferentur clavi ejus in sempiternum et omnes funiculi ejus non rumpentur. Les principales preuves empruntées au Nouveau Testament sont la parole de Jésus à saint Pierre : Ego aillent rogavipro te ut non de/iciat (ides tua, Luc, xxii, 32, et l’affirmation de saint Paul : Douée occurrainus omnes in unitalent fidei et agnitionis filii Dei, in virum perfcclnm, in mensuram œlalis pleniludinis Christi, ut jam nottsimus parvuli fluctuantes el, circumferamur omni venlo tloclrina : . Eph., iv, 13 sq.

c) Du XVIe siècle jusqu'à notre époque, l’on rencontre habituellement chez les apologistes catholiques une revendication explicite de cette propriété de l’Eglise, universellement niée parles protestants anciens et actuels, du moins en ce qui concerne l'Église visible.

Cette négation est, en réalité, le fondement nécessaire de la prétendue Réforme, en même temps que de la mission, que ses chefs se sont eux-mêmes donnée, de rétablir la religion de Jésus-Christ dans sa pureté primitive. Toute réforme dans la doctrine et dans le gouvernement suppose évidemment une défaillance antérieure, bien que le moment précis où cette défaillance s’est produite, reste un objet de controverse parmi les adversaires de l'Église catholique : le commencement du xve siècle ou l'époque même des apôtres, comme l’a successivement pensé Luther, ou quelque autre époque intermédiaire, selon l’appréciation d’autres réformateurs, en notant toutefois que les protestants de notre époque, pour s'éviter l’inconvénient d’une absurdité par trop manifeste, placent cette défaillance beaucoup plus près des temps apostoliques.

Observons d’ailleurs que, même chez les ritualistes du xixe et du xxe siècle, dont le concept ecclésiastique se rapproche davantage du dogme catholique, la défectibilité de l'Église, en ce qui concerne l’unité voulue par Jésus-Christ, est, du moins pour une période très longue, nécessairement admise. Car tandis que Jésus a voulu, entre tous les membres de son Église, une unité parfaite de foi et de gouvernement, réalisée surtout par la soumission parfaite à la primauté de Pierre et de ses successeurs, les ritualistes préconisent, entre les trois communions existantes dans l'Église, la romaine, la grecque et l’anglicane, une union qu’ils se plaisent à considérer comme bien suffisante, faute de mieux, mais qui est, en réalité, bien en deçà de l’institution de Jésus-Christ ; ce qui suppose évidemment une défaillance au moins temporaire de l'Église dans l’unité telle que Jésus-Christ l’a voulue. C’est ce que montre particulièrement une lettre du secrétaire du Saint-Oflice du 8 novembre 1865, Ad qttosdam puscistas anglicos. Collectanea S. C. de Propaganda fide, n. 1276, Rome, 1907, t. i, p. 702 sq.

Contre toutes les négations protestantes, et parfois contre les assertions des jansénistes affirmant, à certaines époques de l’histoire de l’Eglise, un obscurcissement général de ; vérités dogmatiques ou morales très importantes, les apologistes ou théologiens catholiques, depuis le xvie siècle jusqu'à notre époque, démontrent l’indéfectibilité de l'Église en s’appuyant sur les promesses formelles de Jésus-Christ et sur l’enseignement

constant de la tradition. Nous citerons particulièrement : Stapleton, Principiorum fidei doctrinalium demonstratio, contr. I, l. III, c. i sq., Paris, 1582, p. 77 sq. ; Rellarmin, De Ecclesia militante, l. III, c. xin ; S. François de Sales, Controverses, part. I, c. il, a. 3, Œuvres complètes, Annecy, 1892, 1. 1, 61 sq. ; Suarez, Defensio fidei catholicx adversus anglicanse sectæ errores, l. I, c. m sq. ; Rossuet, Première instruction pastorale sur les promesses de l’Eglise, IV sq., Œuvres complètes, Paris, 1830, t. viii, p. 520 sq. ; Deuxième instruction pastorale, xv sq., p. 554 sq. ; Tournely, Prxlecliones theologicae de Ecclesia Christi, q. ii, a. S, Paris, 1729, t. I, p. 254 sq. ; Libère de Jésus, ConIrov., De Eccl. milit., part. I, disp. II, contr. VII, Milan, 1757, t. viii, p. 236 sq. ; Gotti, op. cit., p. 49 sq. ; Perrone, De locis theologicis, Ir. I, c. iv, a. 1, Prælectiones theologicæ Louvain, 1843, t. VIII, p. 217 sq. ; Murray, Tractatus de Ecclesia Christi, disp. IV, Iiulilin, 1860, t. i, p. 213 sq. ; Mazzella, De religione et Ecclesia, disp. IV, a. 5. Rome, 1896, p. 572 sq. ; Hurter, op. cit., I. I, p. 191 sq. ; Pesch, Prxlecliones dogmalicæ, De Ecclesia Christi, 4e édit., Fribourg-en-Iîrisgau, 1909, t. I, p. 209 sq. ; Wilmers, op. cit., p. 64 sq. ; De Groot, op. cit., c. viii, a. 1, Ratisbonne, 1892, p. 235 sq.

L’enseignement de ces tbéologiens peut se résumer dans les conclusions suivantes :

a) Ce qui constitue vraiment l’idéfectibilité de l’Eglise, c’est son identité substantielle en tout ce qui concerne sa constitution divine ; identité se maintenant jusqu'à la consommation des siècles, et supposant, par conséquent, la perpétuité ; identité se maintenant aussi intégralement dans toutes ses divines prérogatives, et particulièrement dans la doctrine que Jésus-Cbrist lui a confiée en dépôt, ce qui suppose évidemment l’infaillibilité doctrinale. Ainsi l’indéfectibilité, tout en supposant ou comprenant la perpétuité et l’indéfectibilité doctrinale, ne se confond pas avec elles ; à leurs concepts particuliers nettement déterminés, elle ajoute l’idée d’immutabilité substantielle en tout ce qui appartient à sa constitution divine. Cette immutabilité est restreinte à ce qui est d’institution divine ; car il est bien évident que l’Eglise, devant vivre dans tous les temps et devant s’adapter aux besoins de tous les fidèles à toutes les époques, doit pouvoir modifier sa législation purement ecclésiastique, ou ses institutions purement ecclésiastiques, de manière à les adapter aux divers milieux dans lesquels elle doit exercer son action.

b) L’indéfectibilité, ainsi envisagée, est vraiment une propriété distincte de toutes les autres propriétés de ['Église, bien que son concept particulier ait une étroite connexion avec le concept des autres propriétés, qu’elle suppose ou comprend nécessairement, comme la perpétuité ou l’infaillibilité doctrinale ; ou qu’elle envisage sous le rapport particulier de leur immutabilité constante, ce qui est vrai de toutes les prérogatives dont Jésus a doté son Église. Si quelques auteurs ne donnent aucune place particulière à l’indéfectibilité dans leurs études théologiques, ce n’est pas qu’ils ne la reconnaissent point comme propriété distincte, c’est uniquement parce qu’ils supposent à tort, croyons-nous, qu’elle ressort suffisamment des études particulières sur chacune des prérogatives de l’rJglise, dont on a soin de toujours prouver en détail la perpétuité et l’indéfectibilité.

c) Cette indéfectibilité appartient en réalité non seulement à l'élément visible de l'Église, mais à toutes ses divines prérogatives. Si les apologistes catholiques depuis le xvie siècle et à la suite de Rellarmin, De Ecclesia militante, l. III, c. xiii, ont le plus souvent démontré l’indéfectibilité de l'Église uniquement pour son élément visible, ce n’est chez eux qu’une question de méthode. Ils limitent, de fait, leur démonstration à l'Église visible, parce qu’elle seule, dans les systèmes protestants, est habituellement exclue

du privilège de l’indéfectibilité ; et que prouver, contre les protestants, l’indéfectibilité de l’Eglise d’une manière générale, sans préciser s’il s’agit de l'Église visible, serait raisonner en pure perte. En réalité, les arguments cités démontrent tous l’indéfectibilité de l'Église.

Cet enseignement théologique est confirmé par deux documents ecclésiastiques, en dehors des documents concernant spécialement la primauté indéfectible du pontife romain. La bulle Auctorem fidei du 28 août 1794 revendique pour l'Église l’indéfectibilité dans la foi, en condamnant comme hérétique cette proposition 1° du conciliabule de Pistoie : Postremis hisce sseculis sparsam esse generalem obscuralionem super veritates gravioris momenli, speclantes ad religionem cl quæ sunt basis fidei et moralis doctrinse Jcsu Christi. Denzinger-Rannwart, Enchiridion, n. 1501. L’encyclique Satis cognilum de Léon XIII du 29 juin 1896, après avoir expliqué en quoi l'Église est spirituelle, et en quoi elle est extérieure et visible, et après avoir montré que l’union de ces deux éléments est absolument nécessaire à la véritable Église, à peu près comme l’union intime de l'âme et du corps est indispensable à la nature humaine, ajoute que, comme l'Église est telle par la volonté et l’institution de Dieu, elle doit perpétuellement rester telle sans aucune interruption : Cum autem Ecclesia sit ejusmodi voluntate et constitutione divina, permanerc sine ulla intermissione débet ejusmodi in xleruitale lemporum. Ce que l’encyclique démontre par la perpétuité de l'Église et par l’aptitude qu’elle doit incessamment avoir à réaliser sa fin : ni permanerel, profecto nec esset condita ad perennitatem, et finis ijise quo illa contenait locorum cssel temporuntque certo -spatio definitus, quod cum veritate utrumque)>ugnat.

4° L’Eglise, corps de Jésus-C/trist. — Du fait de l’institution divine de l'Église avec la fin très spéciale que Jésus-Christ lui a assignée, résulte entre elle et Jésus une union telle que l'Église peut être, par analogie, appelée son corps. Cette doctrine se rencontrant fréquemment chez les Pères et chez les théologiens, nous devons en rechercher les fondements scripturaires et traditionnels, et montrer en même temps les conséquences principales que l’on doit en déduire.

1. Enseignement néo-testamentaire.

a) Parmi les affirmations de Jésus contenant au moins implicitement cette doctrine que l'Église est son corps, nous citerons particulièrement les textes où il l’appelle avec insistance son Église, Ecclesiam meam, Matth., xvi, 18, ou en termes analogues, pasce agnos meos, pasce oves meas, Joa., xxi, 16 sq., et les textes où il marque avec soin que c’est de lui que procèdent tous ses pouvoirs, data est mihi oninis potestas in cœlo et in terra, Matth., xxviii, 18 ; sicut misil me Pater et ego niitto vos, Joa., xx, 21 ; de lui aussi que procède toute la vie surnaturelle qui est dans tous ses membres, ego sum vitis, vos paimites. Joa., xv, 5.

2. Enseignement de saint Paul.

a) Saint Paul appelle expressément l'Église le corps de JésusChrist, ijise est caput corporis Ecclesiæ, Col., i, 18 ; pro corpore ejus quod est Ecclesia, Col., i, 24 ; et ipsutn dédit caput supra omnem Ecclesiam quæ est corpus ipsius et plenitudo ejus, Epli., I, 22 sq. ; sicut Christ us caput est Ecclesix, ipse salvator corporis ejus. Eph., v, 23.

a. Le sens de cette expression est déterminé par l’analogie du corps humain. De même que chacun des membres du corps et le corps tout entier reçoivent constamment de l'âme la vie et le mouvement, ainsi chacun des membres de l'Église et tout l’organisme de cette société spirituelle qu’est l'Église, reçoivent incessamment de Jésus-Christ la vie qui les anime. C’est d’ailleurs en ce même sens que saint Paul affirme, en

plusieurs autres passages, que tous les fidèles sont les membres de Jésus-Christ et qu’en lui ils forment tous un seul corps. I Cor., xii, 12. 27 ; Nom., mi, i sq. ; Eph.. iv, i, 16.

b. Jésus est la tête de ce corps mystique, non pas seulement à cause de sa prééminente dignité, comme dans le passage où il est appelé chef de toute principauté et de toute puissance, Col., Il, 10, mais principalement en ce sens que Jésus communique aux hommes ses frères sa propre vie, de même que la tête, dans le corps humain, exerce sur les autres parties du corps un véritable intlux vital. C’est ce que saint Paul affirme particulièrement dans deux passages, Eph., IV, 1(5 ; Col., il, 19, où Jésus est appelé' la tête, de laquelle le corps entier bien harmonisé et bien assemblé, par toutes les jointures qui s’assistent mutuellement, suivant une opération mesurée pour chaque membre, tire son accroissement et s'éditie lui-même dans la charité. Selon ces textes, le corps, formé par tous les lidèles, reçoit de Jésus : a) son unité toujours efléctivement maintenue par l’harmonie et l’accord provenant de la juste disposition des parties ; (i) son accroissement ou son développement par l’action de la charité, condition essentielle de l’union des lidèles avec JésusChrist ; y) un influx vital constant, au moyen des communications régulières entre la tête et le corps. F. l’rat, La tltéologie de saint Paul, Paris, 1908, t. i, p. 421 sq.

c. L'Église, qui est le corps de Jésus-Christ, est également appelée le complément de celui qui se complète entièrement en tous ses membres, c’est-à-dire le complément de Jésus lui-même. Eph., i, 22 sq. Comme la tête, qui centralise toutes les sensations et détermine tous les mouvements, ne peut exercer les fonctions vitales sans un organisme qui la complète et lui soit substantiellement uni, ainsi Jésus-Christ a pour complément son corps mystique, où il accomplit, dans chaque individu, des actions qu’il ne peut accomplir par lui-même. Jésus se complète ainsi en tous ses membres par les actes de la vie chrétienne qu’il y opère par sa grâce.

C’est aussi le même sens que l’on rencontre dans ces autres passages : Ego suni Jésus, quem lu persequeris, Act., ix, 4 sq. ; xxii, 7 sq. ; xxvi, Il sq. ; Filioli mei quos ilerum parturio donec Chris tus formetur in rubis, Gal., iv, 19 ; Adimpleo ea qux désuni passio ?ium Christi, in carne mea pro corpore ejus, quoil est. Ecclesia. Col., i, 24.

il. Cette vie de Jésus en nous, grâce à laquelle nous sommes véritablement son corps et ses membres, provient du Saint-Esprit qui habite en nous, I Cor., iii, 16 ; vi, 19 ; qui nous rend fils adoptifs de Dieu, Rom., VIII, 9, 11 ; qui opère tout en nous, 1 Cor., xii, 4-11 ; Eph., IV, 4 ; et par lequel nous vivons et nous sommes mus. Gal., v, 16, 18, 25 ; Rom., ix, 14 ; xii, 11. En même temps qu’il affirme pour tous les fidèles cette inhabitalion et cette opération du Saint-Esprit, saint Paul en attribue la provenance à la réception du baptême, car nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit, pour former un seul corps, soit juifs, soit païens, soit esclaves, soit libres. 1 Cor., xii, 13.

0) Saint Paul appelle encore l’Eglise l'épouse de Jésus-Christ. C’est le sens bien évident de tout le passage, Eph., v, 23-33, où l’union entre Jésus et son Église es1 proposée par saint Paul comme l’archétype parfait de l’union qui doit exister entre l’homme et la femme par le mariage chrétien. Ce qui nous ramené à l’idée précédemment exprimée par saint Paul, puisque, selon la doctrine de Gen., n. 24, et erunt duo m carne una, que l’apôtre rappelle ici, les ('poux sont une même chair. C’est d’ailleurs ce qu’indique expressément ici l'écrivain sacré, en appelant l'Église le corps ih Je u -Christ, ipse salvator cariant ejus, Eph., v.

2^5, et sa chair, nemo enim unquam carnem suant odio habuil ; sed nulril et fovel eam, sicut et Christus Ecclesiam. Eph., v, 29. Cette appellation, dans la pensée de saint Paul, dépend donc essentiellement de la première et exprime un sens substantiellement identique.

3. Enseignement traditionnel.

Nous nous bornerons à mentionner, sur ce point, les principaux témoignages explicites des Pères et des théologiens. Au commencement du ni'e siècle, Tertullien suppose manifestement cette doctrine quand, considérant tous les fidèles comme membres d’un même corps, il ajoute que l’Jiglise est dans tous ces membres, et que l'Église, c’est Jésus-Christ. De pœnitentia, x, P. L., t. 1, col. 1245. Il affirme de même que l'Église est l'épouse de Jésus-Christ, et il entend dans ce sens plusieurs passages de l’t'.criture. Adv. Marcionem, 1. IV, c. xi ; 1. V, c. xii, P. L., t. 11, col. 382, 502. Selon Origène, nous apprenons de l’Ecriture que toute l'Église de Dieu est le corps de Jésus-Christ, animé par le Fils de Dieu, et que les membres de ce corps sont tous ceux qui croient. Contra Celsum, I. VI, n. 48, P. G., t. xi. col. 1373. Jésus est le chef de ce corps de l’Eglise qui n’a aucune tache ni aucune rouille. In Epis t. ad Boni., 1. V, n. 9, P. G., t. XIV, col. 1046. De même, l’Eglise est plusieurs fois appelée l'épouse de Jésus-Christ. In Cant. canlic., 1. III, P. G., t. xiii, col. 148 ; In Mat th., tom. xiv, n. 17, P. G., t. xiii, col. 1230 sq. S. Cyprien s’exprime de même, De unilate Ecclesise, c. vi, P. L., t. iv, col. 502 sq.Un peu plus tard, saint Méthode de Tyr (j vers 312) affirme aussi expressément que l’Eglise est l'épouse de Jésus-Christ. Convivium deceni virginum, c. viii, P. G., t. xviii, col. 73.

Dans saint Hilaire de Poitiers († 366), on rencontre plusieurs fois la double formule de saint Paul, que l'Église est le corps de Jésus-Christ. In ps. xiv, n. 5 ; CXXY, n. 6 ; cxxviii, n. 9 ; In Malt/i., c. v, n. 24, P. L., t. ix, col. 302, 688, 715, 911, et que l'Église est l'épouse de Jésus-Christ. In ps. CXXVU. n. 8 ; cxxxr, n. 24, col. 708, 742 sq. Le concept de l'Église, corps de JésusChrist, se retrouve aussi chez, saint Grégoire de Nazian/.e, mais avec une formule particulière. L'évêque de Nazianze distingue, dans le corps parfait dont Jésus est le chef, des membres de perfections diverses. Tandis que les uns commandent et sont comparables à l'âme à cause de l'élévation de leurs vertus et de leur union plus grande avec Dieu, les autres qui doivent obéir sont comparables au corps ; mais tous unis par le même Esprit nesont qu’un dansun seul Christ. Oral., n, n. 3, P. G., t. xxxv, col. 409 ; xxxii, n. 11, P. G., t. xxxv, col. 185 sq.

Dans ses prédications sur les Épitres de saint Paul, saint Jean Chrysostome enseigne expressément que l'Église est le corps et l'épouse de Jésus-Christ. In I Cor., xii, 27, homil. XXXII, n. 1, P. G., t. lxi, col. 263 sq. ; In Eph., v, 22, homil. xx, n. 2, P. G., t. lxii, col. 136 sq.

Saint Ambroise, dans une lettre où il explique les enseignements de FÉpltreaux Ephésiens, donne comme motif de la charité que nous devons avoir les uns pour les autres, notre étroite union en Jésus-Christ, puisque nous ne formons tous qu’un seul corps dont Jésus est le chef. Episl., i.xxvi, 11. 12 sq., P. L., t. xvi, col. 1262 sq.

Selon saint Augustin, qui mêle le plus souvent ce double enseignement, l'Église est à la fois le corps et l'épouse de Jésus-Christ. Aussi il y a, entre Jésus-Christ et sein Eglise, une telle union qu’ils sont duo in carne una, el qne les actions et les souffrances de l’Eglise peuvent être attribuées à Jésus-Christ. In ps. XXX, enarr. H, n. i, P. /--, t. xxxvi, col. 232 ; In ps. cxlii, n. 3 sq., t. xxxvii, col. 1845 sq. ; Epist., cxl, n. 18, t. xxxiii, col. 515 ; Episl., clxxxv. c. XI, n. 50, col. 815 ;

In I Joa., tr. I, n. 2 ; Ir. II, n. 2, t. xxxv, col. 1979, 1990 ; De Genesi contra manichœos, . II, n.37, t. xxxiv, col. 216.

En même temps qu’il enseigne que l'Église est le corps de Jésus-Christ, Augustin montre que PEspritS.-tint est l'âme de ce corps, car l’Esprit-Saint fait, dans toute l’Eglise, ce que l'âme fait dans tous les membres d’un seul corps ; il est ainsi, pour le corps de Jésus qui est l'Église, ce que l'âme est pour le corps humain. Serm., cclxvii, c. iv, n. 4, P. L., t. xxxviii, col. 1231 ; CCLxviii, n. 2, col. 1232. D’où le saint docteur tire cette importante conclusion que, si l’on veut vivre du Saint-Esprit, si l’on veut rester uni à lui, il faut garder la charité, aimer la vérité, vouloir l’unité et persévérer -dans la foi catholique ; car, de même que le membre, qui est retranché du corps, n’est plus vivifié par l'âme, de même celui qui cesse d’appartenir à l'Église, ne reçoit plus la vie de l’Esprit-Saint. col. 1231. C’est encore la même pensée que l'évêque d’Hippone exprime ailleurs. Nous possédons le Saint-Esprit, si nous aimons l'Église, si nous sommes unis par la charité, si nous possédons le nom de catholique et la foi catholique. Soyons-en bien assurés ; autant chacun aime l'Église de Jésus-Christ, autant il possède le Saint-Esprit : quantum quisque amat Ecclesiam Christi, tantuni habet Spirituin Sanction. In Joa., tr. XXXII, c. vii, n. 8, P. L., t. xxxv, col. 1645 sq. D’après cet enseignement, il est facile de comprendre en quel sens saint Augustin affirme, comme nous l’avons indiqué précédemment, que les pécheurs sont unis à l’Eglise presque matériellement, sans participera sa vie intime, tandis que les justes sont vivifiés en elle par l’Esprit-Saint.

L’enseignement de saint Augustin, mentionné par saint Léon le Grand, Epist., i.xxx, c. il, P. L., t. i.iv, col. 914, se retrouve fréquemment chez saint Grégoire le Grand. S’appuyant sur Eph., iv, 15, et Col., i, 24, le saint docteur enseigne que l'Église est le corps de Jésus-Christ et l'épouse de Jésus-Christ, et que JésusChrist forme, avec son Eglise, une seule personne morale, de sorte que les actions et les souffrances de l’Eglise peuvent être attribuées à Jésus lui-même. Moral., prsef., c. vi, n. 14 ; l. III, c. nu, n. 25, P. L., t. i.xxv, col. 525, 612 ; l. XIX, c. xiv, n. 22 ; l. XXIII, c. i, n. 2 ; l. XXVIII, c. x, n. 23, P. L., t. lxxvi, col. 110, 251, 402 ; Epist., l. II, epist. xlvii ; l. V, epist. xliv, P.L., t. i.xxvii, col. 587, 772 ; In psalm. psenit., xxxvii, n. 12 ; ci, n. 1 ; P.L., i. lxxix, col. 57'tsq., 602 ; /// Cant. canlic, pra>f., n.l0 sq., col. 477 sq.En même temps, Grégoire reproduit l’enseignement de saint Augustin sur l’Esprit-Saint, vivifiant le corps de l’Eglise, comme l'âme vivifie les membres du corps humain. In ps. ci, J, col. 602.

Du vie au xiii c siècle, le même enseignement se rencontre chez les auteurs ecclésiastiques, particulièrement chez saint Bernard, Paraboles., iv, n. 1 sq., P. L., t. clxxxiii, col. 761 sq. ; Sermoncs in Cantica, xiv, 1 sq., col. 839 sq.

Au xuie siècle, saint Thomas, en reproduisant l’enseignement de saint Paul et de saint Augustin, y ajoute quelques explications. Il indique, avec précision, comment Jésus est le chef de ce corps qu’est l’Eglise, par la primauté d’excellence de toutes les grâces possédées par sa sainte humanité, et par l’universalité de sa constante médiation effective, en vertu de laquelle toutes les grâces dérivent de lui pour se communiquer à tous les membres de l'Église. Sum. theol., III", q. viii, a. 1. Le saint docteur indique aussi comment le corps de l'Église est justement appelé, par saint Paul, plenitudo corporis Christi, par la communication faite aux membres de l'Église de perfections qui sont surabondamment fn Jésus-Christ et qui autrement n’auraient point leur pleine réalisation ; de même que les membres du corps servent à l'âme pour exercer des

opérations qui sans cela n’auraient point leur accomplissement. In Eph., c. i, lect. vin. Le saint docteur montre aussi, avec netteté, comment sont réalisées dans le corps de l’Eglise les deux caractéristiques principales de tout corps bien organisé ; la distinction des membres avec leurs rôles différents et bien harmonisés et l’unité réalisée par l’unité du chef qui est JésusChrist, comme l’unité du corps humain est assurée par l’unité de l'âme. hi Col., c. i, lect. v.

Enfin saint Thomas, formulant à sa manière l’enseignement de saint Augustin et de saint Grégoire sur le Saint-Esprit vivifiant le corps de l’Eglise, compare l’Esprit-Saint au cœur qui a une influence secrète sur tous les membres, tandis que Jésus-Christ est comparé â la tête dominant manifestement les autres membres extérieurs : caput habet manifestam eminentiam respecta eseterorum exteriorum membrorum : sed cor habet quamdam in/luentiam occultant ; et ideo conli comparatur Spiritus Sanctus qui invisibilité}' Ecclesiam vivi/icat et unit : capiti au/cm comparatur ipse Chris tus secundum visibilem naturam, secundum quant hom<> hominibus præfertur. Sum. theol., IIP', q. viii, a. 1, ad 3° m.

Au commencement du XIVe siècle, cet enseignement commun des théologiens est positivement affirmé par Boniface VIII dans la bulle Unam sanctam. DenzingerBannwart, Enchiridion, n. 468.

Au xve siècle, cette doctrine est simplement mentionnée, par Thomas Netter ou Waldensis, Doctritiale antiquitatum fidei Ecclesise catholicæ, 1. II. c. xxviii, n. i, Venise, 1571, p. 224 sq., ef par le cardinal Turrecremata, Summa de Ecclesia, 1. 1, c. xxxvii sq.

A partir du XVIe siècle, les théologiens catholiques expriment plus nettement la doctrine théologique de la distinction entre le corps et ['âme de l'Église, dans cette formule dès lors communément admise : le corps comprend l'élément visible ou la société visible, à laquelle on appartient par la profession extérieure de la foi catholique, par la participation aux sacrements et par la soumission aux pasteurs légitimes, et l'âme comprend l'élément invisible ou la société invisible a laquelle on appartient par le fait que l’on possède les dons intérieurs île la grâce.

Cette distinction, implicitement contenue dans l’enseignement de saint Paul, et déjà clairement indiquée par saint Augustin, comparant l’action du Saint-Esprit sur l'Église à celle de l'âme sur le corps humain, et par les théologiens subséquents adoptant le même langage, est formellement exprimée par Bellarinin dans son (finie sur les membres de l’Eglise. S’appuyant sur l’autorité au moins implicite de saint Augustin, il attribue au corps de l'Église la profession extérieure de la foi et la participation aux sacrements, età l'âme de l’Eglise les dons intérieurs du Saint-Esprit, la foi, l’espérance et la charité. Puis il tire ces trois conclusions générales, relativement aux membres de l’r.glise. a) Il en est qui appartiennent tout à la fois à l'âme et au corps de l'Église ; ce sont les membres les plus parfaits, bien que parmi eux il y ait encore des degrés dans leur participation à la vie surnaturelle, comme il y a divers degrés de perfection dans la collectivité des êtres vivants ; ainsi ceux qui possèdent seulement la foi sans la charité n’ont que le premier degré initial de la vie surnaturelle. b) D’autres appartiennent à l'âme, sans appartenir au corps de l’Eglise : tels sont les catéchumènes ou parfois les excommuniés, s’ils possèdent la foi et la charité, ce qui peut se rencontrer, c) Il en est enfin qui appartiennentau corps et non à l'âme ; ceux qui ne possèdent point la charité, mais qui cependant professent la foi catholique et participent aux sacrements sous l’autorité des pasteurs légitimes, et taies sunt sicut capilli aut ungues aut mali humores in corpore humano. Controv., De Ecclesia, l. III, c. ii, Lyon, 1601, 1. 1, col. 917sq.

Cet enseignement de Bellarmin est dés lors habituellement suivi par les théologiens, sans aucun préjudice pour la visibilité de l’Eglise, parce que c’est véritablement L'Église visible que l’on donne comme constituant essentiellement la véritable Eglise, en supposant du moins le principe intérieur qui la vivifie, et sans lequel elle ne pourrait être la véritable Eglise. Cetenseignement ne porte non plus aucune atteinte au dogme catholique sur la nécessité d’appartenir à la véritable Eglise pour obtenir le salut, car, comme nous le montrerons bientôt, la nécessité d’appartenir à l’Eglise visible ou au corps de l’Eglise, oblige seulement in voto, dans le cas d’ignorance invincible ou d’impossibilité absolue, comme c’est le cas pour les sacrements de baptême et de pénitence dans des circonstances analogues. Tournely, op. cit., t. I, p. 65ï- sq. ; Libère de Jésus, op. cit., contr. III-1X, Milan, 1757, t. viii, col. 18 sq. ; Billuart, De regulis fidei, diss. III, a. 2 ; Perrone, op. rit., De locis theologicis, part. I, c. il, Louvain, 1843, t. VIII, p. 31 sq. ; Murray, op. cit., disp. II, sect. VI, n. 39 sq., t. i, p. 136 sq. ; Pesch, op. cit., n. 396, p. 269 ; Mazzella, op. cit., p. 465 sq. ; Eranzelin, Thèses de Ecclesia Christi, 2e édit., Rome, 1907, p. 293 sq., 369 sq. ; Ilurter, op. cit., th. xliv, p. 131 sq. ; de Groot, op. cit., q. iii, a. 1, p. 47 sq. ; VVilmers, op. cit., p. 86 sq. ; Billot, op. cit., th. xiv, p. 434 sq.

Cet enseignement théologique se rencontre explicitement dans plusieurs documents ecclésiastiques. L’encyclique Salis cognitum de Léon XIII du 29 juin 1896, après avoir montré comment l’Eglise esta la fois visible et spirituelle, enseigne que le corps de Jésus-Christ qu’est l’Eglise, est un corps vivant et animé, supposant conséquemment un principe de vie surnaturelle informant ce corps, et que l’union de ces deux éléments est absolument nécessaire à la véritable Eglise, à peu près comme l’intime union de l'âme et du corps est nécessaire à la nature humaine : complexio copulatioque /arum duarum velut partium prorsus est ad veram Ecclesiani necessaria, sic fere ut ad naturam liumanam intima animæ corporisque conjunctio

De même, l’encyclique Divinum illud munus de Léon XIII du 9 mai 1897 affirme expressément que Jésus-Christ étant le chef de l'église, le Saint-Esprit en est l'âme : Atque hoc affirmare suf/iciat quod qaum Christus caput sit Kcclesire, Spirilus Sanctus sit ejus anima, ce que l’encyclique confirme par l’autorité précédemment citée de saint Augustin : Quod est in corpore nostro anima, id est Spiritus Sanctus in corpore Clnisli quod est in Ecclesia. Serm., cclxvii, c. iv, P. L., t. xxxviii, col. 1231.

III. LE DOGME CATHOLIQUE SUH LA NÉCESSITÉ d’APPAR temii a l'église catholique pour ortenir le salut. — 1° Enseignement néo-testamentaire. — Selon la parole formelle de Jésus-Christ : Euntes in mundum universum, prrrdicate evangelium omni creaturæ. Qui crediderit et baptizatus fuerit salvus erit, qui vero non crediderit condemnabitur, Marc, xvi, 15 sq., condamnation est portée par lui contre ceux qui refusent d’adhérer à la prédication de sa doctrine, intégralement faite par ses apôtres et par leurs successeurs jusqu'à la consommation des siècles. Puisqu’une telle condamnation implique la perte éternelle du salut, d’après l’antithèse certainement existante entre les deux membres de phrase, on doit nécessairement conclure que l’appartenance à l’Eglise catholique, par la soumission toujours constante à son enseignement infaillible, est nécessaire au salut. On doit en même temps noter que la condamnation de Jésus, d’après l’antithèse précitée, .'tant portée uniquement contre ceux qui refusent positivement de se soumettre a l'Église, n’atteint pas ceux qui, ignorant en toute bonne foi la divine autorité de cette Eglise, ne sont poinl de fait soumis à son enseignement. Il n’y a donc point pour eux impossibilité

d’obtenir le salut en dehors de l’appartenance positive à cette même Eglise.

Enseignement traditionnel.

{.Première période, depuis les temps apostoliques jusqu'à la fin du ive siècle, période caractérisée par beaucoup d’affirmations implicites auxquelles se joignent, au IIP et au IVe siècle, quelques affirmations explicites. — a) Les affirmations implicites, nombreuses pendant toute cette période, sont renfermées dans la croyance unanimement admise, que tous ceux qui refusent de se soumettre à l’autorité doctrinale ou disciplinaire de l’Eglise, hérétiques ouschismatiques, perdent tout droit au salut éternel ou qu’ils n’ont ; aucun droit à être' considérés comme chrétiens, ou qu’ils sont exclus en même temps du royaume de Dieu et de l'Église, selon les témoignages précédemment cités et que nous nous bornons à rappeler. S. Clément Ie ', pape, I Cor., uni, 2, Funk, Patres apostolici, 2e édit., Tubingue, 1901, p. 172 ; S. Ignace d’Antioche, AdEph., iv, v, 3 ; xvi, p. 216, 218, 226 ; Ad J’hilad., iii, p. 266 ; S. Irénée, Contra hacr., I. IV, c. xxvi, n. 2, P. G., t. vii, col. 1053 ; Tertullien, De præscript., c. xxxvii, P. L. r t. ii, col. 51 ; Clément d’Alexandrie, Strom., VII, c. xvi, P. G., t. ix, col. 532.

De même, au IVe siècle, saint Ambroise affirme que les hérétiques et les schismatiques sont en même temps séparés du royaume de Dieu et de l'Église, In Luc, l. VII, n. 95, P. L., t. xv, col. 1723 ; et Didyrne d’Alexandrie († 395) déclare que ceux-là sont des antéchrists qui pensent le contraire de ce que professe l’Eglise de Jésus-Christ. In / /oa., 18 sq., P. G., t.xxxix, col. 1783 sq.

b) Outre ces affirmations implicites très nombreuses pendant toute cette période, on rencontre encore quelques affirmations explicites, particulièrement chez les auteurs ecclésiastiques du nie et du IVe siècle. Saint Cyprien ([- 258), dans son livre De catholiese Ecclesian unitaie, déclare, à mainte reprise, que celui qui abandonne l’Eglise de Jésus-Christ, ne peut parvenir à posséder sa récompense : nec perveniet ad Christi prsemia, qui relinquit Ecclesiam Christi, c. Vf, XIV, XVII, P. L., t. IV, col. 503, 510 sq., 513. Doctrine que l'évâque de Carthage formule ainsi dans une lettre à l'évêque Pomponius, en parlant de ceux qui sont rejetés de l'Église catholique : Neque enim vivere foris possunt, cum domus Dei nnasilet nemini snlus essenisi in Ecclesia possil. Epist., i.xii, n. 4, P. L., t. iv, col. 371. Vers la même époque, Origène († 251), dans ses homélies sur Josué dont une traduction latine nous est seule parvenue, affirme expressément qu’en dehors de l’Eglise personne n’est sauvé : Nenw ergosibi persuadeat, nemo seipsum decipial : exlrahanc domum, id est extra Ecclesiam, nemo salvatnr. llomil. iii, n. 5, P. G., t. xii, col. 841 sq.

Au iv siècle, en Occident, saint llilaire de Poitiers commentant le ps. xiv, et parlant de la montagne du Seigneur où nous devons avoir notre éternel repos, déclare que, dans notre marche vers cette sainte montagne, notre seul chemin est l'Église catholique : hinc enim proficiscenlibiis eo iter est et nonnisi per hune habitationem iter ullum est. In ps. xiv, n. 4, /'. L., t. ix, col. 301. Dans plusieurs autres passages, comme nous l’avons noté précédemment, il enseigne que ceux qui sont rejetés du corps de l'Église qui est le corps de Jésus-Christ, tanquam peregrini et alieni a Deo corpore, dominatui diaboli traduntur, In ps. CXVIII, lit. xv, n. 5, col. 607, ou qu’ils ne peuvent avoir de participation à la Jérusalem céleste : Dissidentes autem a cœtu sanctorum et se ab Ecclesiæ corporc peccatis pnvcipilanlibus séparantes, parlicipationcm sanctse islius domus non habent. In ps. < w. n. 5, col. 663.

Vers la fin de l’an 376, saint Jérôme écrivant au pape Damase en qui il vénère la primauté de pouvoir sur toute l’Eglise, déclare qu’en dehors de la soumission à cette autorité on ne peut être sauvé : Super illam pc

tram xdificatam Ecclesiam seio. Quicumque extra hanc domum agnum comederit, prof 'anus est. Si i/uis in Noe arca non fueril, peribit régnante diluvio. Epist., xv, n. 2, P. L., t. xxii, col. 355.

En Orient, saint Cyrille de Jérusalem (f386), dans sa catéchèse xviii, après avoir réprouvé toutes les hérésies qui se séparent de L'Église catholique, et avoir montré que l’Eglise catholique seule tient de Dieu tout pouvoir dans tout l’univers, affirme que c’est avec les moyens de salut que nous trouvons dans celle Eglise catholique, que nous posséderons le royaume du ciel, et que nous obtiendrons en héritage la vie éternelle. Cal., xviii, n. 28, /'. G., t. xxiii, col. 1049.

Vers la même époque, saint Éphrem de Syrie (f378), dans ses lnlerrogationes et responsiones, déclare que les hérétiques, qui sont des blasphémateurs et des ennemis de Dieu, sont appelés par l'Écriture, des chiens, des loups, des pourceaux et des antéchrists, selon cette parole de Jésus-Christ : nolite sanctum dare canibus, et selon cette parole de saint Jean : quia antichristi facti sunt mu M. Saint Éphrem conclut que nous ne devons pas les aimer, ni rester avec eux, ni prier ni prendre de la nourriture avec eux, ni les recevoir dans nos demeures, ni les saluer, ni communiquer aucunement avec leurs œuvres mauvaises. Opéra ontnia (grsece et latine), Home, 1746, t. iii, p. 112 sq.

2. Deuxième période, depuis la fin du IVe siècle jusqu’au commencement du xine siècle, marquée par de nombreuses affirmations explicites du domine catholique. Ces affirmations se rencontrent particulièrement dans les écrils de saint Augustin. Dans son De baptisnw contra donalislas, composé en l’an iOO, il enseigne expressément que tout ce qu’il y avait de bon dans le centurion Corneille ne pouvait lui être utile pour le salut, nisi per vinculum christianx societatis et pacis incorporaretur Ecclesiæ ; c’est pourquoi il reçoit l’ordre d’aller à Pierre, que par lui il apprend Jésus-Christ, et que baptisé par lui il est adjoint à la communion du peuple chrétien, 1. I, c. viii, n. 10, P. L., t. xliii, col. 115. Ceux-là n’ont point la charité, qui ont été retranchés de la communion de l'Église catholique, ou qui n’aiment poinl l’unité de l'Église, 1. 1, c. xvi, n. 21, col. 158. Le bapléme de l’Eglise peut exister en dehors d’elle, mais le don de la vie éternelle ne se trouve qu’en elle, 1. IV, c. i, n. 1, col. 155. Il n’y a pas de salut en dehors de l'Église ; c’est pourquoi tout ce que l’on a de l’Eglise ne peut, en dehors de l'Église, servir pour le salut. Sed aliud est non habere, aliud non utiliter habere. Qui non habet, est baptizandus ut habeal ; qui autem non utiliter habet, ut utiliter habeal corrigendus, 1. IV, c. xvii, n. 24, col. 170.

De même, dans son commentaire sur lo, psaume xlii, en l’an 415, Augustin enseigne que celui qui prie en dehors de la sainte montagne de l’Eglise, ne peut espérer être exaucé pour la vie éternelle. In ps. xlii, 4, P. L., t. xxxvi, col. 478. Dans son Enchiridion, écrit en l’an 421, le saint docteur déclare que tous les péchés, si grands qu’ils soient, peuvent être remis à ceux qui sont dans l'Église et qui témoignent un sincère repentir, selon ce que l'Église exige d’eux ; mais en dehors de l'Église les péchés ne sont pas remis, c. lxv, P. L., t. xl, col. 262 sq. Dans sa lettre cviii, il déclare, avec saint Cyprien, que ceux qui meurent pour le nom de Jésus-Christ, en dehors de l’unité de l’Eglise, peuvent être tués mais non couronnés. Epist., CVIII, n. 9, P. L., t. XXXIII, col. 410. Quiconque aura été séparé de l'Église catholique, si bien qu’il croie avoir vécu, à cause du seul crime de sa séparation de l’unité de Jésus-Christ, n’aura pas la vie. Epist., XLI, n. 5, col. 579. En dehors du corps de Jésus-Christ qu’est l'Église catholique, le Saint-Esprit ne vivifie personne. Celui-là ne participe point à la divine cha rité qui est ennemi de l’unité. Ceux qui sont en dehors de l’Eglise n’ont pas le Saint-Esprit. Epist., clxxxv, n. 50, col. 815. C’est encore ce qu’enseigne l'évêque d’IIippone dans son sermon au peuple de Césarée, n. 6, P. L., t. xliii, col. 695, et dans le sermon ccxv, n. 9, P. L., t. xxxviii, col. 1076.

En même temps qu’il enseigne si clairement la nécessité d’appartenir à l'Église catholique pour obtenir le salut, le saint docteur admet que l’on peut être dans l’erreur sans la connaître comme telle, et qu’en ce cas l’on ne doit point être rangé parmi les hérétiques : Sed qui sententiam suam, quamvis falsam atque perversam, nulla perlinaci animosilate défendant, prseserlini quam non audacia prsesumptionis suæ pepererunt, sed a seduetis atque in errorem lapsis parenlibus aeceperunt, quærunt autem caula solliciludine verilatem, corrigi parali, cum invencrint, nequaquam su71l inter lieeretieos depulandi. Epist., xliii, c. i, n. 1, P. L., t. xxxiii, col. 160. D’où l’on est en droit de conclure que, dans la pens ; e de saint Augustin, ces hérétiques de bonne foi ne sont pas exclus de toute chance de salut.

On peut consulter, sur toute cette doctrine de saint Augustin, Capistran Romeis, Dus Tleil des Christen ausser/ialb der icahren Kircke nach der Lettre des hl. Augustin, Paderborn, 1908.

Vers la même époque, saint Nicétas de Remesiana († 414) affirme que c’est dans la seule Eglise catholique que l’on obtient la communion des saints. Explanalio symboli Itabita ad compétentes, n. 10, P. L., t. lii, col. 871.

On peut encore citer comme se rattachant au ve siècle le symbole connu sous le nom de saint Athanase et déclarant formellement qu’il ne peut y avoir de salut en dehors de la foi catholique, ni conséquemment en dehors de l'Église catholique : Quicumque vult salvus esse an te omnia upits est ut teneat eathuticam /idem, quam nisi quisque iutegram inviolatamque servaverit, absque dubio in seternum peribit… H sec est (ides catholica quam msi quisque fideliter firmilerque crediderit, salvus esse non poterit. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 39 sq. On sait d’ailleurs loule l’autorité appartenant à ce symbole universellement reconnu et accepté un peu plus tard comme exprimant la foi véritable de l'Église catholique.

Non moins explicite est le formulaire proposé- parle pape saint Hormisdas, en 517, aux évêques d’Espagne pour la réconciliation des clercs orientaux insoumis au siège apostolique, et un peu plus tard universellement suivi comme règle de foi dans l’Orient catholique. Ce formulaire reconnaît expressément que le salut consiste tout d’abord à garder la règle île la vraie foi, qui n’est autre que celle du siège apostolique, c’est-àdire de l’Eglise catholique. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 171.

Vers la même époque, saint Eulgence (f523), dans son De fuie ou De régula verse fidei ad l’etrum, donne comme une règle très ferme, que tous ceux qui sont baptisés en dehors de l’Eglise catholique ne peuvent participer à la vie éternelle, s’ils ne sont, avant la fin de leur vie, incorporés à cette même Eglise, c. xxxvii, P.L., l. lxv, col. 7(3 sq. ; que tous les hérétiques et schisinaliques qui meurent en dehors de l’Eglise catholique iront au feu éternel, c. xxxviii, col. 704 ; que tous les hérétiques et schismatiques, baptisés au nom du Père, du Eils et du Saint-Esprit, s’ils n’ont pas été agrégés à l'Église catholique, quelles que soient les aumônes qu’ils aient faites et même s’ils avaient versé leur sang pour le nom de Jésus-Christ, ne peuvent aucunement èlre sauvés c. xxxix, col. 704.

En l’an 585, le pape Pelage II, écrivant à des évêques pour les ramener à la soumission au siège apostolique, leur rappelle cette vérité : Considerale quia quicum

que in pace et unilaie Ecclesia non fuerit, Dominwn habere non poterit. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 246.

Un peu plus tard, saint Grégoire le Grand († 604) enseigne, dans son exposition sur le livre de Job, que c’est dans l'Église catholique seule, que l’on accomplit fructueusement des œuvres bonnes ; car ceux-là seuls qui ont travaillé dans la vigne, reçoivent la récompense du denier ; et, d’autre part, tous ceux qui étaient en dehors de l’arche, onl été submergés par les eaux du déluge. Moral., l. XXXV, c. VIII, n. 12, P. L., t. LXXVI, col. 756 sq.

Dans les siècles suivants, cette même doctrine est communément admise. C’est ce que témoigne particulièrement, au XIe siècle, le symbole de saint Léon IX (-j- 1054) : Credo sanctam, catholicam et apostolicam, unam esse veram Ecclesiam, in qua unus datur baplisnuis et vera omnium remissio peccatorum. Denzinïïer-Oannwart, Enchiridion, n. 347.

3. Troisième période, depuis le commencement du MU siècle jusqu’au XVIe siècle, marquée par quelques affirmations explicites du dogme catholique et surtout par plusieurs définitions dogmatiques. La première définition dogmatique est du IV" concile de Latran en 1215, dans la définition de la foi catholique contre les albigeois : Una vero est, fidelium universalis Ecclesia, extra quam nullus omnino salvatur. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 430. Cette définition est renouvelée par la bulle Unam sanctam de lîoniface VIII, le 18 novembre 1302, avec une particulière insistance sur l’unité de cette même Église, appuyée principalement sur la primauté du pontife romain : Unam sanctam Ecclesiam catholicam et ipsam apostolicam urgente fuie credere cogimur et tenere, nosque hanc firmiter credimus et simpliciter confllemur, extra quam nec sains est nec remissio peccatorum, n. 468. Enseignement encore reproduit par le concile de Florence dans l’instruction d’Eugène IV aux jacobites, affirmant comme la foi très ferme de l'église catholique romaine : nullos intra catholicam Ecclesiam non existent es non solun] paganos, sed nec judieos ant hærelicos atquc schismalicos aelernse vitse fieri participes ; sed in ignem veternum ituros qui paratus est diabolo et angelis ejus, nisi ante finem vitse eidem fuerinl aggregati ; lantumque valere ecclesiaslici corporis unitalem, ut solum in ea manenlibus ad salutem ecclesiaslica sacramenta proficiant, et jejtmia, eleemosijnse ac cetera pietatis officia et exercitia militise christianse prazmia seterna parturiant. Neminem, quanlascumque eleemosynas fecerit, elsi pro Christi nomine sangiiinem e/fuderit, posse salvari, nisi in cat/iolictB Ecclesise gremio et unitale permanserit, n. 714.

Des affirmations très explicites du dogme catholique se rencontrent aussi à cette époque dans des professions ou confessions de foi, parmi lesquelles nous citerons particulièrement la profession de foi imposée aux vaudois en 1208 : Corde credimus et ore confitemur unam Ecclesiam non hæreticornm, sed sanctam romanam catholicam et apostolicam, extra quam neminem salvari credimus, n. 423, et la confession de foi proposée par Clément IV en 1267 à Michel Paléologue et présentée par lui à Grégoire X au IIe concile de Lyon en 1274 : Credimus sanctam catholicam et apostolicam unam esse veram Ecclesiam, in qua unum datur sanctum baptisma et vera omnium remissio peccatorum, n. 164.

Chez les théologiens de cette période principalement préoccupés d’autres problèmes ou controverses théologiques, l’on ne rencontre guère d’enseignement bien explicite sur ce point, en dehors de saint Thomas au xiii » siècle et du cardinal Turrecremata au xve siècle. Saint Thomas, dans son Expositio in décrétaient pri mant ad archidiaconum tridenlinum, expliquant l’enseignement du IVe concile de Latran, « i/o est fidelium universalis Ecclesia, extra quam nullus salvatur omnino, en donne cette raison qu’en dehors de l'Église on ne peut avoir la véritable foi, qui est essentiellement une et qui est en même temps absolument nécessaire au salut : Unilas autem Eeclesiæ est prsecipue propter fidei unitalem. Nam Ecclesia nihil est aliud quam aggregatio fidelium ; et. quia suie fde impossibile est placcre Deo, ideo extra Ecclesiam nulli palet locus saluti. Opusc.j XXIII, Operaomnia, Rome, 1570, t. xvii, p. 198.

C’est ce même argument de l’impossibilité d’avoir, en dehors de l’Eglise, la vraie foi nécessaire au salut, que reproduit le cardinal Turrecremata contre les hérétiques de son temps, qui prétendaient que l’on peut être sauvé en dehors de l'Église. Summa de Ecclesia, l. I, c. xxi, Rome, 1489, sans pagination.

4. Quatrième période, depuis le commencement du xvie siècle jusqu'à l'époque actuelle, marquée par une revendication fréquente et une plus complète explication théologique du dogme catholique, à l’occasion de nombreuses controverses avec les protestants, qui défigurent ce dogme par leurs fausses conceptions, soit de l’Eglise établie par Jésus-Christ, soit de la foi nécessaire pour le salut, ou qui, au nom d’un vague indifférentisme entre toutes les diverses communions religieuses, rejettent ce dogme comme cruellement intolérant.

a) L’enseignement Ihe’ologique de toute cette période ne pouvant être rapporté ici en détail, nous nous bornerons à signaler, du moins chez les principaux théologiens, ce qui constitue un progrès dans l’exposition de ce dogme.

a. Ce progresse manifeste tout d’abord dans l’exposé des conditions nécessaires pour l’appartenance réelle à l’Eglise catholique. Ces conditions qui découlent toutes de la pratique constante et universelle de l'Église, et qui avaient été mentionnées isolément parles Pères et par les théologiens précédents, sont indiquées pour la première fois sous une forme synthétique par Bellarmin dans ses célèbres Controverses, lians sa définition même de l'Église, il signale trois conditions indispensables pour appartenir au corps de l'Église ou à l’Eglise visible qui seule est la véritable Église, a) La profession de la vraie foi, toujours requise par la tradilion constante et universelle de l'église qui a sans cesse considéré les hérétiques comme n’appartenant pas à l'Église, selon les textes précédemment cités et dont plusieurs sont ici indiqués par Cellarmin. C’est d’ailleurs ce que déclare le IVe concile de Latran définissant l’Eglise fidelium Ecclesia, Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 430, et cunelorum pdelium mater el magistra, n. 433. On ne peut objecter, en faveur de l’agrégation des hérétiques à l'Église, que le champ de l’Eglise, comprenant selon la parabole évangélique le bon grain, la paille et la zizanie, renferme ainsi les bons, les pécheurs et les hérétiques ; car la parabole évangélique ne doit point s’entendre de l’Eglise, mais du monde entier, comprenant d’une manière générale les bons el les méchants, de quelque nature qu’ils soient, hérétiques ou non ; et cet élément mauvais est indiqué 1 dans son ensemble par la zizanie. On ne peut non plus objecter le texte de saint Paul, in magna domo sunt vasa aurea et argenlea et lignea et ficlilia, II Tim., Il, 20, car il ne s’agit point ici des hérétiques, mais des fidèles faibles qui sont aptes à se laisser facilement séduire. On ne peut objecter enfin le droit que possède l'Église déjuger et de punir les hérétiques ; car ce droit, incontestable vis-à-vis de ceux qui se sont enfuis de son bercail, ne suppose aucunement qu’ils en font encore partie. Controv., De Ecclesia militante, l. III, c. iv.

Toutefois le savant controversiste est d’avis que la

profession extérieure de la vraie foi, quand même la foi n’existerait point réellement dans l’intelligence, suffit pour agréger à l'Église, parce que l'Église est une société visible à laquelle on est associé par des liens extérieurs et visibles. Cette opinion qui, selon l’auteur, s’harmonise seule avec la visibilité de l'Église, ne met point sa sainteté en péril, car de tels cas ne sont, en l’ait, que des cas isolés et très rares, 1. III, c. x.

[3) La deuxième condition requise pour appartenir à la véritable Église est la participation aux sacrements, a. La réception du sacrement de baptême est nécessaire pour devenir membre de l'Église, selon l’enseignement constant des Pères et selon l’enseignement du concile de Florence dans le décret aux arméniens : Pri » itt » i omnium sacramentorum loctim tenel sanctum baptisina quod vitse spiritual is jauua est, peripsumenim membra Cliristi ac de corpore efficimur Ecclesise. De Eccl. milit., 1. III, c. m. — p. La participation aux autres sacrements est également requise, de telle sorte que les excommuniés, qui sont privés du droit de les recevoir, cessent véritablement d'être membres de l'Église, jusqu'à ce que ce droit leur soit restitué. De Eccl. milit., 1. III, c. vi. —y. Pour appartenir vraiment à l'Église, il faut encore que l’on soit soumis aux pasteurs légitimes, particulièrement au pontife romain. A défaut de cette condition, les schismatiques, selon l’enseignement des Pères et la pratique constante de l’Eglise, ne sont point membres de l'Église. De Eccl. milit., 1. III, c. v.

Quelques années plus tard, Suarez exprime une opinion différente. Il admet, comme principe, que tous ceux qui sont membres de Jésus-Chist, étant en réalité membres de son corps mystique, sont, par le fait même, membres de l'Église qui est ce corps mystique dont Jésus est le chef. Puis rangeant parmi les membres de .lésus-Christ tous ceux qui possèdent la vraie foi, qu’ils aient déjà ou non reçu le baptême, qu’ils soient, de fait, unis ou non au chef visible de l'Église par la charité et l’obéissance, il déduit ces trois conclusions : a) Les catéchumènes, dès lors qu’ils sont en possession de la vraie foi, sont, malgré la non-réception du sacrement de baptême, membres véritables de l'Église, du moins en ce qui concerne, pour ainsi dire, la substance de l'Église qui a toujours été la même dans tous les temps, non en ce qui concerne 1rs conditions particulières ajoutées par Jésus-Christ. Ainsi se concilie facilement avec le dogme Extra Ecclesiam nulla sa/us la possibilité de salut pour les catéchumènes, n. 18. — (3) Rien n’empêche de considérer les schismatiques comme membres de l'Église, tant qu’ils gardent vraiment la foi au chef visible de l'Église auquel ils refusent simplement l’obéissance, au moins dans tel individu qu’ils ne veulent point reconnaître comme possédant cette autorité à laquelle ils croient. Le manque d’obéissance ne suffit point pour les mettre en dehors de l'Église, de même que le pécheur qui refuse directement d’obéir à Jésus-Christ et qui même le poursuit de sa haine, ne cesse cependant point d'être membre de Jésus-Christ et de rester chrétien, pourvu qu’il garde la foi en lui.n. 14. — - ;) A plus forte raison les excommuniés qui ne sont ni hérétiqnes ni schismatiques restent membres de l'Église, puisqu’ils gardent la foi et même l’union avec le chef visible de l’Eglise. La privation du droitde communion avec les autres membres ne fait point qu’ils cessent d'être membres de l'Église, de même que la main et le pied ne cesseraient point d'être des membres du corps, s’ils pouvaient être privés du concours des autres membres ou du bienfait de l’alimentation, n. 14. D’ailleurs, dans le langage des Pères, les excommuniés ne sont point mis hors l'Église, mais simplement privés dé sa communion ; ils ne sont point des étrangers, mais seulement assimilés à des étrangers, à cause de l’absence de communion avec les autres, tanquam elhnicas, ii, 16.

Entre les deux exposés de Bellarmin et de Suarez, les théologiens subséquents ayant habituellement suivi celui de Bellarmin. nous ne croyons point nécessaire d’en citer ici la très longue liste. Exception doit être faite seulement pour deux points secondaires, où un assez grand nombre d’auteurs se sont ralliés au moins partiellement à l’opinion de Suarez. Il suffit donc que nous indiquions brièvement les opinions divergentes sur ces deux points, a) Relativement à l’agrégation des hérétiques occultes à l'Église visible, les théologiens qui l’admettent avec Bellarmin, s’appuient surtout sur la nécessité de maintenir intacte la visibilité de l’Eglise ; cette visibilité leur paraissant irrémédiablement perdue dans l’hypothèse contraire, puisque la profession extérieure et visible de la foi ne serait plus toujours considérée comme un lien suffisant pour rattacher à l'église. D’ailleurs, on ne met point en doute que ces hérétiques occultes, qui ne gardent plus avec l’Eglise que ce lien extérieur, ont déjà initialement rompu avec l’unité de l'Église, quant à la disposition intime de l'àme et à l’acte intérieur de leur intelligence ; et c’est dans ce sens que l’on interprète, non sans raison, le passage souvent cité de la bulle lneffabilis de Pie IX du 8 décembre 1854 : Si qui secus a nobis definitum est, quod Deus avertat, prsesumpserint corde senlire, ii noverint acporro sciant se proprio judicio condemnatos naufragium circa /idem passe* esse et ab unitate Ecclesise defecisse, ac prselerea facto ipso siw semet pœnis ajure statutis subjicere, si quod corde sentiunt, verbo aut scHpto aut alio quovis extemo modo significare ausi fuerint. Il est non moins certain que la présence de ces quelques hérétiques occultes dans l’Eglise ne fait point d’elle une assemblée d’hypocrites, soit parce que leur nombre est certainement très restreint, surtout si l’on considère les promesses d’indéf’ectibilité dans la foi faites par Jésus-Christ à son Église, soit parce que, même pource nombre très restreint, l’hypocrisie n’est nullement démontrée, car leur permanence dans l’Eglise, avec de telles dispositions intimes, provient plutôt d’une volonté sincère de ne point consommer leur faute, en rompant le lien extérieur qui les rattache encore à l’Eglise.

Nous citerons particulièrement : Jean de SaintThomas, De auctoritate summi poiili/icis, disp. II, a. 3, Cursus theologicus, Paris, 1883, t. vii, p. 252 ; Tournely, op. cit., t. i, p. 007 sq. ; Palmieri, Tractatus de romano pontifice, cum pvolegomeno de Ecclesia, Rome, 1877, p. 51 sq. ; Mazzella, op. cit., p. 470 sq. ; Wilmers, op. cit., p. 636 sq. ; Pesch, op. cit., p. 219 sq. ; Billot, op. cit., p. :  ; pti sq.

Cependant depuis le XVIIe siècle jusqu'à notre époque, l’opinion de Suarez, excluant les hérétiques occultes de toute véritable appartenance à l’Eglise catholique, a rencontré un assez grand nombre d’adhérents, s’appuyant sur ce que la possession de la vraie foi, qui ne peut exister si la foi n’est en même temps interne, est toujours rigoureusement nécessaire, pour que l’on fasse réellement partie de l'Église. C’est en ce sens que l’on interprète tous les documents ecclésiastiques. Toutefois l’on concède que ces hérétiques occultes sont membres apparents de l'Église, au même titre que ceux que l’on croit baptisés et qui en réalité ne le sont point. Ce que l’on estime suffisant pour que ces hérétiques puissent garder, au for externe, les droits qui n’appartiennent qu’aux véritables fidèles. Sylvius, Controv., 1. I, q. i, a. 7, Opéra, Anvers, 1698, 1. v, p. 242 sq. ; Wiggers, Commentaria in 77 ara //*, De virtutibus llieologicis, p. 117 sq. ; Henno, De virtutibus, tr. II, disp. II, q. ni, a. 1, Theologia, Venise, 1719, t. i, p. 304 ; Libère de Jésus, Controv., part. I, disp. I, cont. VIII, n. 127 sq., Milan, 1707, t. viii, col. 99 sq. ; Billuart, De regulis fidei, diss. III, a. 2 p. iv ; Murray, op. cit., t. I, p. 201 sq. ; Ilurter, op. cit., t. i, p. 236 ; de Groot, op. cit., p. 59 sq. 2 103

EGLISE

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D’après les principes précédemment exposés sur la nature de l'Église, il est assez, manifeste que l’opinion île Bellarrnin se concilie mieux avec ce qui constitue vraiment l'Église visible, ou l'Église telle que JésusChrist l’a voulue. Cette Eylise requérant des liens manifestement visibles, et le lien au moins extérieur de la foi étant encore suffisamment maintenu chez les hérétiques occultes, on doit conclure que rien ne s’oppose à ce qu’ils soient encore réputés membres de l'Église, en ce qui concerne ce lien visible de la foi.

p) Dans le cas de l’excommunication prononcée en dehors des cas d’hérésie ou de schisme, la plupart des théologiens postérieurs à Bellarrnin pensent qu’il y a exclusion réelle de l’Eglise catholique. Ils s’appuient principalement sur ce que les excommuniés, soit d’après le langage de l’Ecriture, sil tibi sicut clhnicus et publicantts, Matth., xviii, 17 ; ni lollatur de medio vestrum, I Cor., v, 2 ; tradere hujusmodi Satanx in interitum carnis, I Cor., v, 5, soit d’après le langage constant des Pères et celui des documents ecclésiastiques, sont toujours considérés comme retranchés, rejetés ou séparés de l’Eglise. Sylvius, Controv., l. III, q. i, a. 8, p. 244 sq. ; Henno, op. cit., t. i, p. 304 ; Tournely, op. cit., t. I, p. 647 sq. ; Billuart, De regulis fidei, diss. III, a. 3, p. v ; Murray, op. cit., t. I, p. 207 sq.

D’ailleurs, l’argument sur lequel s'était principalement appuyé Suarez, que la foi, qui subsiste encore intacte chez les excommuniés, est l’unique condition nécessaire de l’agrégation à l'Église, étant habituellement rejeté par les théologiens, la conclusion qui en « Hait déduite devait être également rejetée.

Cependant, à cause des concessions faites au moins indirectement par l'Église, depuis le commencement du xve siècle, aux excommuniés tolérés qui gardent quelque participation aux prières de l’Eglise, puisqu’il n’est pas interdit de prier avec eux et conséquemment de prier pour eux, et qu’ils conservent la juridiction ecclésiastique tant qu’ils n’en sont point effectivement dépossédés, on en vint finalement à tempérer l’opinion de Bellarrnin, en admettant que ces excommuniés tolérés, auxquels l'Église n’applique point toute la rigueur de ses lois, ne cessent point d’appartenir réellement à l'Église, et que la peine de la séparation effective de l'Église est strictement appliquée aux seuls excommuniés vitandi, pour lesquels ï'iiglise maintient toute la rigueur de l’excommunication. C’est la position prise au XIXe siècle par beaucoup de théologiens, notamment par Murray, op. cit., p. 208 ; de Groot, op. cit., p. 60 ; Wilmeis, op. cit., p. 643 ; Billot, op. cit., p. 318 sq.

b. Pendant cette même période on constate encore un progrès théologique relativement à l’explication de la nécessité d’appartenir à l’Eglise catholique pour obtenir le salut, surtout en face des exceptions que l’on doit inévitablement admettre, par exemple, pour les catéchumènes qui ineurent avant d’avoir pu recevoir le sacrement de baptême, qui seul les incorpore de fait à l'Église catholique.

Melchior Cano avait cherché la solution de la difficulté dans une interprétation plus large du mol Église dans la formule dogmatique Extra Ecclesiam nulla sains. Il l’entendait non de l’Eglise, telle qu’elle a été établie par Jésus-Christ, mais de l'Église de tous les lemps, comprenant tous les fidèles depuis le commencement du monde jusqu'à la consommation des siècles. Les catéchumènes appartenant réellement à celle Église, à cause de la foi véritable qu’ils possèdent très certainement, réalisent donc les conditions voulues pour obtenir le salut. De locis theologicis, I. IV, c. ii, Releclio de sacrant., p. ii, Opéra, Venise, 1759, p. 93, 372 sq. Ce fut aussi l’opinion adoptée par Panne/, lu II'" II', q. I, a. 10, Venise, 1752, col. 156.

Cette explication fut rejetée par Bellarrnin, parce qu’après la venue de Jésus-Christ, il n’y a pas d’autrevéritable Église que l’Eglise chrétienne ; et si les catéchumènes n’appartiennent pas à celle-là, ils n’appartiennent à aucune. A l’interprétation de Cano le savant controversiste substitua celle-ci. Les catéchumènes, il est vrai, ne sont point membres de l'Église acln et proprie, sed lantuni in potentia, comme l’homme conçu et non encore formé est homme seulement in potentia. Mais d’autre pari le dogme Extra Ecclesiam nemincm salvari, s’entendant uniquement de ceux qui n’appartiennent à l'Église ni en réalité ni en désir, neque re ipsa nec desiderio, comme le déclarent pour le baptême le langage unanime des théologiens et l’enseignement de l’Eglise, cette conclusion s’impose nécessairement : les caléchumènes appartenant à l'Église catholique, au moins par le désir, leur salut dans le cas où ils ne peuvent être, de fait, incorporés à l'Église catholique, s’explique par cette appartenance in voto, comme dans le cas où il est impossible de recevoir le baptême effectif. Quant à cette objection qu'à l'époque du déluge on ne pouvait être sauvé en dehors de l’arche par le simple désir d’y être renfermé, etianisi voto in ea fuisset, Bellarrnin répond simplement que les comparaisons ne conviennent pas nécessairement de tout point. Ainsi, d’après I Pet., ni, 21, le baptême est comparé à l’arche de Noé, et cependant sans le baptême in re on peut être sauvé. De EccL milit., l. III, c. m. Le savant controversiste donne la même explication pour le cas de l’excommunié repentant, qui obtient de Dieu la rémission de ses péchés, et qui n’est pas réconcilié avec l'Église. Il le considère comme appartenant à l'Église par le désir, ce qui lui suffit pour le salut, bien que ne possédant pas encore la communion extérieure sans laquelle il ne peut vraiment appartenir à l'Église visible de la terre, c. vi.

Suarez adopte la même explication. A l’argument apporté par Bellarrnin contre Cano, il ajoute cette autre raison que les conciles, en définissant qu’il n’y a point de salut en dehors de l'Église, parlent certainement de l’Eglise établie par Jésus-Christ, et que leurs définitions doivent nécessairement s’entendre d’elle. De fide, disp. XII, sect. iv, n. 22.

Le cardinal du Perron (y 1618) enseigne également que l’on peut être imputativement dans l’Eglise sans participer actuellement à la communion visible de l'Église, pourvu que ce défaut provienne de l’impossibilité d’y participer actuellement, à cause d’empêchements externes ; et bien que, dans ce cas, l’on n’ait point la communion visible et actuelle avec l'Église, la communion en vœu avec elle est légitimement imputée pour l’actuelle et suffit réellement pour le salut. Réplique à la réponse du srrénissime roi de la GrandcBrelagne, l. I, c. i.xviii, Paris, 1620, p. 572 sq.

Sylvius († 1649), dans ses Controverses, reproduit, relativement à la possibilité du salut pour les catéchumènes involontairement privés du baptême, l’explication et les arguments de Bellarrnin. Personne n’est sauvé en dehors de l'Église, en ce sens qu’il n’appartienne à l’r.glise nec re nec voto, comme on ne peut être sauvé sans le baptême reçu re vel voto. Or, par le désir, les catéchumènes appartiennent à l’Eglise, dans laquelle on entre actuellement par la seule porte du baptême. Controv., l. III, q. i, a. 3, Opéra, Anvers, 1698, t. v, p. 238.

C’est aussi la réponse du franciscain Henno († 1713), Theologia, tract, de virlal., disp. II, a. 1, concl. 2, Venise, 1719, t. i, p. 304.

A la même difficulté Libère de Jésus (y 1719) répond presque dans les mêmes termes. Pour que quelqu’un soit sauvé, il suffit, dans le cas de nécessité dans lequel seul vaut le désir du baptême, que l’on appartienne à.

l’Eglise merito et desiderio. Controv., part. I, disp. I, cont. VI, Milan, 1757, t. viii, col. 81.

Tournely († 1729), tout en maintenant que les catéchumènes appartiennent à l'Église animo et affecta, et que cela leur suffit pour le salut, s’exprime d’une manière différente, en introduisant dans cette question la distinction entre l'âme et le corps de l’Eglise. Selon lui, si l’on considère dans l'Église l'âme en même temps que le corps, personne ne peut être sauvé en dehors de l'Église. Si l’on considère seulement le corps de l'Église, il ne peut y avoir de salut pour qui est en dehors de lui par sa propre faute ; mais, dans le cas contraire, le salut peut être obtenu à cause de la foi et de la charité que l’on possède, en appartenant au corps de l'Église par le désir et en appartenant à son âme en réalité. Prælectiones theologicæ de Ecclesia Chris ti, q. vii, a. 7, Paris, 1739, p. 654.

Billuart († 1757) revient à l’explication de Bellarmin en ce qni concerne le salut des catéchumènes. Il déclare qu’ils peuvent être sauvés parce qu’ils appartiennent à l'Église par le désir, et qu’on ne peut objecter qu’il n’y a point de salut en dehors de l'Église, puisque cela est vrai seulement de ceux qui n’appartiennent à l'Église nec re nec in voto. Tract, de regulis fidei, diss. III, a. 2, p. iii, Sumnia sancti Thomse, Paris, 1886, t. v, p. 96.

On doit d’ailleurs observer que ces textes, où il est affirmé que l’appartenance de désir suffit pour le salut doivent généralement s’entendre d’un désir même implicite, du moins dans les cas où l’ignorance invincible empêche de former un désir explicite, selon ce que les théologiens de cette époque admettent communément pour le désir du sacrement de baptême qui est également nécessaire pour le salut. Voir Charité, t. il, col. 2242 sq. Enfin, au XIXe siècle, cette même doctrine est encore soutenue par la plupart des théologiens, sans aucun recours exprès à la distinction entre l'âme et le corps de l’Eglise. Murray, op. cit., 1. 1, p. 732 sq. ; Hurter, op. cit., t. i, p. 220 ; de Groot, op. cit., p. 119 ; Wilmers, op. cit., p. 660 ; Billot, op. cit., p. 124 sq. On peut aussi consulter notre thèse : De axiomate : Extra Ecclesiam nulla salus, Bar-le-Duc 1895, p. 373 sq.

Quelques théologiens, cependant, affirment encore, comme autrefois Tournely, que l’appartenance réelle à l'âme de l'Église ainsi que l’appartenance de désir à son corps, sont seules nécessaires pour le salut, et que l’apparlenance actuelle au corps de l'Église est simplement exigée par un précepte dont l’impossibilité ou l’ignorance invincible peut excuser. Mazzella, op. cit., p. 394 ; Pesch, op. cit., p. 267 ; Ed. Hugon, Hors de l'Église point de salut, Paris, 1907, p. 276 sq.

b) Quant aux documents ecclésiastiques de toute cette période, en même temps qu’ils reproduisent les déclarations antécédentes sur l’impossibilité d’obtenir le salut en dehors de l'Église catholique, ils affirment aussi, du moins plusieurs d’entre eux, que le salut, grâce à la miséricorde divine, reste encore possible, moyennant certaines conditions, â ceux qui ignorent invinciblement notre sainte religion, sans que ces documents introduisent, dans leurs affirmations dogmatiques, les explications théologiques précédemment indiquées.

La formule de foi dite de Pie IV, prescrite par ce pape le 13 novembre 1564 et constamment usitée depuis cette époque, déclare expressément qu’en dehors de la foi catholique telle que l’indique ce document, personne ne peut être sauvé. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1000. Cette même déclaration est reproduite dans la profession de foi prescrite aux Orientaux par Benoit XIV, le 16 mars 1743. Enchiridion, n. 1473.

Pie IX, dans son allocution consistoriale Singulari quidam du 9 décembre 1854, réprouve solennellement

l’indifférentisme de ceux qui s’imaginent faussement que l’on peut être sauvé en dehors de l'Église ; et pour montrer comment le dogme de l’impossibilité du salut en dehors de l’Eglise n’est aucunement opposé à la miséricorde et à la justice divine, il déclare expressément que ceux qui ignorent invinciblement la vraie religion n’ont, de ce chef, aucune culpabilité devant Dieu, et que Dieu seul peut tracer les limites exactes de cette ignorance, selon la multiple variété des peuples, des milieux et des caractères. Enchiridion, n. 1647. Tout cet enseignement est répété par le même pape avec une précision encore plus grande dans son encyclique aux évêques d’Italie du 10 août 1863. Pie IX y déclare notamment, que ceux qui sont dans l’ignorance invincible relativement à notre sainte religion, qui gardent avec soin la loi naturelle et ses préceptes gravés dans tous les cœurs, et qui, prêts à obéir â Dieu, mènent une vie conforme à l’honnêteté naturelle, peuvent avec le secours de la divine lumière et celui de la grâce, obtenir la vie éternelle, puisque Dieu qui voit, scrute et connaît parfaitement tous les esprits, tous les cœurs et toutes les pensées, ne souffre jamais, dans sa souveraine bonté et clémence, que quelqu’un, qui n’est coupable d’aucune faute volontaire, soit puni des peines éternelles. Enchiridion, n. 1677. C’est d’ailleurs à ces deux documents et à quelques autres semblables que se réfèrent ces trois propositions condamnées dans le Syllabus : 16. Hommes in eu jus vis religionis cultu viam seternæ salutis reperire œternamque salutem assequipossunt. — 17. Saltem bene sperandum est de œterna illorum omnium salute qui in vera Christi Ecclesianequaquam versantur. — 18. Protestantismus non aliuil est quant diversa verse ejusdem christianss religionis forma, in qua sequo ac in Ecclesia catholica Deo placere datum est. Enchiridion, n. 1716 sq.

On doit encore noter la profession de foi, exigée par le décret du Saint-Office du 20 juin 1859, pour l’absolution des hérétiques qui se réconcilient avec l'Église. Il y est expressément affirmé que personne ne peut être sauvé en dehors de la foi tenue, crue, prêchée et enseignée par la sainte Église catholique, apostolique et romaine. ColleclaneaS. C. de Propaganda fide, n. 1178, 2e édit., Rome, 1907, t. I, p. 642 sq.

3° Conclusions relatives au sens de la formule dogmatique : Extra Ecclesiam nulla salus. — 1. Selon les documents précités, l'Église dont il est ici question, n’est point l'Église comprenant, au sens large, tous les croyants depuis Adam jusqu'à la consommation des siècles, comme l’affirmaient Cano et Bannez. Elle est manifestement l'Église du Nouveau Testament, telle que nous l’avons précédemment décrite, puisque ce sens est celui qui est constamment usité dans tous les documents ecclésiastiques.

On doit en même temps observer que ces mêmes documents ne contiennent relativement à notre dogme aucune donnée positive en faveur d’une distinction théologique entre l'âme et le corps de l'Église.

2. Selon la teneur des documents ecclésiastiques, il est nécessaire pour le salut, que l’on appartienne actuellement ou in re à l'Église catholique, en dehors de deux cas implicitement ou explicitement indiqués, où par conséquent l’appartenance in voto suffit pour obtenir le salut.

a) Le cas implicitement excepté est celui où le baptême, toujours nécessaire pour être membre de l'Église, ne peut être effectivement reçu. Puisque le désir du baptême peut alors suffire pour la régénération de l'âme, selon l’enseignement du concile de Trente, sess. VI, c. iv, il est évident que le désir d’appartenir à l’Eglise, par la réception de ce même sacrement, peut également suffire, soit au catéchumène auquel l’administration du baptême est matériellement impossible dans le cas d’extrême nécessité, soit aux convertis du

protestantisme dont le baptême antécédent reste incertain, et qui sont actuellement dans la même impossibilité de recevoir le baptême.

b) Les documents ecclésiastiques déclarent expressément que l’appartenance actuelle à l'Église catholique n’est point nécessaire pour le salut, dans le cas où la vérité de cette même Eglise est invinciblement ignorée. C’est ce qu’expriment notamment l’allocution consistoriale Singulari quidam de Pie IX du 9 décembre 1854, et l’encyclique du même pape aux évéques d’Italie du 10 août 1863. Il est donc évident que, dans ce cas aussi, l’appartenance in votoi l'Église catholique suftit pour le salut. Nous n’avons point à définir ici ce qu’est la bonne foi théologique, puisque nous avons précédemment analysé tous ses éléments théologiques. Voir Bonne foi, t. ii, col. 10Il sq.

Quant au jugement à porter sur l’existence concrète de cette bonne foi dans les cas individuels, il nous suffira de rappeler les principes précédemment établis. Le problème de la responsabilité ou de la culpabilité morale étant nécessairement une question individuelle, on ne devra point appliquer à toutes les intelligences, à tous les temps, à tous les pays, à tous les milieux, une mesure uniforme, mais essayer de porter un jugement particulier sur chaque cas individuel, en tenant compte de l'état habituel de la conscience de chacun et des causes internes ou externes qui peuvent la troubler ou même la fausser, en tenant compte aussi des facilités ou difficultés particulières que chaque individu peut rencontrer dans l’acquisition de la connaissance religieuse qu’il est tenu de posséder. Aussi devrat-on se garder de toute généralisation téméraire concernant un pays, une région ou toute une catégorie de personnes, comme l’indique Pie IX dans son allocution consistoriale du 9 décembre 1854 : Nunc vero quis lantum sibi arroget, ut hujusmodi ignorantise designare limites queat juxta populorum, regionum, ingeniorum aliarumque rerum larti multarum rationem et varielatem ? Denzinger-Pannuart, Enchiridion, n. 1647. C'était déjà le jugement de Suarez et des théologiens de Salamanque. Parlant à une époque et dans un pays où la foi catholique régnait sans conteste, ils estimaient que, même dans un tel milieu, des hérétiques ou des infidèles pouvaient, de fait, rester en dehors de toute influence chrétienne et n'éprouver aucun doute sur la vérité de leur religion. Suarez, De fide, disp. XVII, sect. ii, n. (i, 9, 10, 13 ; Salmanticenses, Cursus llieolugicus dogmaticus, tr. XVII, disp. IX, n. 9.

3. Pour que, dans ces deux cas exceptionnels, l’appartenance m rolo puisse, chez les adultes, suffire pour le salut, certaines conditions sont strictement requises. (les conditions sont rigoureusement déduites des principes qui seront exposés à l’article Foi, ou de ceux qui ont déjà été exposés à l’article Contrition, t. iii, col. 1(576 sq.

a) On démontrera qu’un acte de foi strictement surnaturelle est indispensablement requis pour le salut, et que cet acte de foi doit avoir pour objet, à son degré minimum, l’existence de Dieu rémunérateur surnaturel. Cet acte de foi est toujours accessible, avec le secours de la grâce divine, à tout adulte, si dépourvu qu’il soit du secours extérieur de la prédication chrétienne. Car, selon l’autorité de saint Thomas, Qusest. disp., De veritale, q. xiv, a. 11, ad l" iii, c’est un enseignement très fondé sur la volonté de Dieu de sauver tous les hommes, que tout adulte qui, avec le secours de la grâce divine, observe la loi naturelle telle qu’il la connaît, obtiendra le don de la foi par quelque moyen providentiel, c’est-à-dire par une inspiration ou révélation intime, ou par quelque prédicateur extraordinaire, angélique ou humain.

b) On démontrera aussi que, sous le Nouveau Testament et depuis que la révélation chrétienne a été

manifestée au monde, un acte de foi surnaturelle en cette révélation est, en vertu de l’institution positive de Dieu, requis pour le salut, de telle manière cependant que l’on soit excusé de cette obligation, si en fait tout moyen de connaître cette révélation fait défaut. Ce qui peut se rencontrer non seulement dans les pays et dans les milieux où cette révélation n’est point enseignée, ou n’est plus enseignée que très incomplètement, mais même là où elle est communément et parfaitement enseignée, pourvu qu’en fait cette vérité nuit point été suffisamment proposée à tel individu, ou que celui-ci, sans qu’il y eût de sa part aucune culpabilité-, n’ait point prêté une advertance suffisante à cette même vérité. Dans ce cas, le salut peut être suffisamment assuré par la foi en Dieu rémunérateur surnaturel, pourvu que cette foi soit accompagnée de la volonté au moins implicite d’adhérer fermement à tout ce que l’on saurait être positivement révélé par Dieu ou exigé par lui pour le saluf.

c) Un acte de contrition surnaturelle est également nécessaire au salut, comme on l’a précédemment démontré, voir Contrition, t. iii, col. 1676 sq., pour tous ceux qui ont commis quelque faute grave. Si l’impossibilité physique de recevoir le sacrement de pénitence ou l’ignorance invincible de la divinité et de la nécessité de ce sacrement, excuse de l’obligation positive de le recevoir, rien ne peut excuser de la nécessité absolue de produire un acte de contrition surnaturelle, pour obtenir la justification nécessaire au salut. Cette contrition, dès lors qu’elle est sincère et universelle, doit manifestement être accompli d’un ferme propos intégral d’accomplir tout ce que l’on saurait être évidemment exigé par Dieu pour l’obtention du salut éternel.

Dans ce ferme propos, sincère et universel, est toujours implicitement compris le désir d’appartenir à la véritable Eglise, si elle était suffisamment connue comme divinement établie et comme nécessaire au salut. Désir implicite certainement suffisant sur ce point, comme il est certainement suffisant en ce qui concerne les sacrements de baptême et de pénitence, quand l’ignorance invincible ou une invincible inadvertance empêche d’accomplir actuellement ce qui est exigé pour le salut.

d) Quant aux facilités plus ou moins grandes de réalisation de ces conditions en dehors de l’appartenance actuelle à la véritable Eglise, on comprend aisément qu’elles dépendent principalement de la question fondamentale de la possibilité d’obtenir, en dehors de l’adhésion réelle à l'Église catholique, la foi strictement nécessaire au salut. Cette possibilité qui repose sur le principe très assuré de la volonté positive de Dieu de sauver tous les hommes, en fournissant à tous sans exception les moyens indispensables, sera prouvée à l’article Foi.

Réponse aux objections principales.

1° objection. — Selon les principes catholiques, la foi né saire au salut ne peut exister en dehors de l’Eglise, parce que la foi, dans l’ordre actuel de la providence, doit être nécessairement appuyée sur l’autorité de l'Église à laquelle Dieu a exclusivement confié la mission d’enseigner jusqu'à la consommation des siècles toute sa révélation. — Réponse. — a) Malgré les assertions contraires de quelques auteurs catholiques, notamment de deux écrivains américains de la seconde moitié' du xix c siècle, lirownson, dans l'édition complète de ses œuvres, t. v, p. 433 sq., et Mùller, C. S. S. IL, dans une brochure publiée en 1888, Extra Ecclesiam nulla salus, p. 177 sq., il est très certain que la foi, bien que, dans le plan actuel de la providence, elle doive être normalement réglée par la proposition officielle faite par l'Église avec une autorité souveraine, peut cependant, pour toute âme qui ignore en

toute bonne foi cette divine autorité, exister suffisamment pour le salut, en dehors de la soumission actuelle à cette même autorité. C’est l’enseignement formel de saint Thomas, expliquant comment un homme, en dehors de tout secours de la prédication chrétienne et même de tout commerce humain, nutritif* in silris vel inter bruta animalia, peut arriver à posséder la foi nécessaire au salut. Quæst. disp., De veritatc, q. xiv, a. 11, ad l um. Enseignement habituellement reproduit d’une manière explicite par les théologiens subséquents, et appliqué par eux aux païens ou infidèles négatifs, ignorant invinciblement ! a révélation chrétienne, particulièrement depuis le XVIe siècle où, après la découverte des Indes, l’attention des théologiens fut attirée sur les conditions du salut des infidèles. Dès lors, les théologiens enseignèrent expressément que la proposition de l'Église, bien qu’elle soit la règle de la foi pour tous ceux qui connaissent suffisamment son autorité, n’est pas cependant si absolument nécessaire que la foi ne puisse point exister, en dehors d’elle, pour ceux qui l’ignorent invinciblement. Suarez, De fide, disp. III, sect. x, n. 6 sq. ; Salmanticenses, Cursus Iheologicus, tr. XVII, De fide, disp. I, dub. v, n. 158 sq. ; disp. II, dub. iv, n. 103 ; Lugo, De virtute fidei divinx, disp. XII, sect. iii, n. 50 sq. : Pranzelin, Tractalus de divina traditione et Scriptura, ¥ édit., Rome, 1896, p. 649 sq.

C’est certainement la pensée qui a dirigé le concile du Vatican dans l’adoption du texte actuel de la sess. III, c. m. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1793. Après le passage qui affirme nettement toute l'étendue de l’obligation qui incombe aux catholiques de croire tout ce que l'Église, par ses définitions solennelles ou par son magistère ordinaire et universel, propose comme divinement révélé et comme obligatoirement imposé à notre foi, le concile a adopté, à dessein et après discussion, des expressions très générales pour désigner la foi absolument nécessaire au salut : Quoniam vero sine fide impussibile est dacere Deo, Heb., il, 6, et ad filiorum ejus consortium pervenire, ideo nemini unquam sine illa contingit justificatio. Ces expressions très générales substituées à dessein à la rédaction primitive, hsec est illa fuies sine qua impossibile est placere Deo, visant apparemment la seule foi catholique, montrent manifestement la volonté formelle du concile de ne point affirmer la nécessité absolue de la foi catholique pour le salut. A. Vacant, Etudes théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, Documents xv-xviii, Paris, 1895, t. il, p.. Il sq.

Quant à la manière dont la foi strictement nécessaire au salut peut être suffisamment obtenue en dehors de l'Église, soit dans les religions non chrétiennes, soit dans les sectes séparées du catholicisme, elle sera exposée à l’article Foi.

2e objection. — Selon l’enseignement constant el universel de la tradition catholique, il ne peut point y avoir de rémission des péchés, conséquemment point de salut, en dehors de l'Église catholique. Ce principe est tellement assuré qu’il sert même à établir l’argument traditionnel en faveur du dogme catholique. — Réponse. — a) D’après l’exposé de cet argument traditionnel, tel que nous l’avons précédemment indiqué, il s’agit uniquement, dans tous ces textes, de ceux qui sont coupablement en dehors de l'Église catholique. Leur persistance volontaire et opiniâtre dans une telle violation du précepte divin, tant qu’elle dure, les maintient évidemment dans un état de péché grave, inconciliable avec le salut éternel assuré à ceux-là seuls qui possèdent, par la grâce sanctifiante, l’amitié de Dieu. L’anathème, porté par l’enseignement traditionnel, n’atteint donc aucunement ceux qui, ignorant invinciblement la vérité ou les droits de l'Église catholique, ne commet tent en réalité, au moins sous ce rapport, aucune faute de rébellion envers Dieu.

b) Pour ceux dont la nonappartenance à l'Église est ainsi exempte de toute culpabilité, la rémission des péchés peut s’obtenir, ou uniquement par la contrition parfaite possédant toutes les conditions requises, ou par l’attrition jointe au sacrement de baptême ou à celui de pénitence, si ces deux sacrements se donnent validement dans la communion religieuse à laquelle on appartient. Car il n’est pas douteux que ces sacrements puissent exister en dehors de l’Eglise, dès lors qu’ils y sont administrés avec toutes les conditions requises pour leur validité, y compris le pouvoir d’ordre qui peut persister en dehors de l'Église, puisqu’il est inamissible. C’est l’enseignement formel de l'Église, portant anathème, au concile de Trente, contre ceux qui nieraient que le baptême conféré par les hérétiques au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, avec l’intention de faire ce que fait l'Église, n’est pas un véritable baptême, sess. VII, De baplismo, can. 4 ; et ce que l'Église définit pour le baptême, doit, de la même manière et pour la même raison, être admis pour les autres sacrements. Dès lors rien ne s’oppose à ce que les âmes de bonne foi qui adhèrent à l’hérésie ou au schisme d’une manière simplement matérielle, et qui apportent, d’autre part, les dispositions nécessaires pour recevoir le fruit du sacrement, le reçoivent en réalité. De fait, dans quelle mesure ces sacrements existent-ils avec toutes les conditions de validité dans les sectes hérétiques ou schisma tiques ? il est facile de s’en rendre compte, en ce qui concerne le baptême et la pénitence, d’après l’exposé précédemment fait aux art. Baptême, t. ii, col. 328 sq. ; Absolution, t. i, col. 214 sq., 222 sq., 230 sq., et Coni kssion, t. iii, col. 930 sq. Dans les diverses sectes scbismaliques orientales, ces deux sacrements se rencontrent habituellement avec toutes les conditions d’administration valide, sauf ce qui concerne la juridiction au tribunal de la pénitence, en dehors du danger ou péril de mort. La juridiction, toujours nécessaire pour la validité de ce sacrement, existe certainement dans le cas ou dans le péril de mort, puisque, selon la déclaration du concile de Trente, sess. XIV, c. vii, la pratique de l’ICglise a toujours été qu’il n’y eût jamais aucune réserve à l’article de la mort, et que tous les prêtres peuvent conséquemment absoudre de tous les péchés et de toutes les censures. En dehors de cette circonstance, les prêtres adhérant publiquement aune secte hérétique ou schismatique séparée de l'Église sont, à cause de l’excommunication publique qui en est la conséquence rigoureuse, toujours nécessairement privés de tout pouvoir de juridiction.

Dans les sectes protestantes, selon les principes précédemment exposés, le baptême est le plus souvent douteux, à tel point que l’on doit, selon les décisions du Saint-Office du 20 novembre 1878 et du 21 février 1883, s’informer, dans chaque cas particulier, de la validité du baptême antérieurement conféré, et, dans le cas de doute encore persistant, réitérer le baptême sous condition. Voir t. ii, col. 337-341.

En ce qui 'concerne le sacrement de pénitence, la foi dans sa divine institution et dans le pouvoir sacerdotal d’absoudre est habituellement absente, sauf chez les ritualistes d’Angleterre.

D’ailleurs, chez ceux-ci, tout pouvoir sacerdotal fait défaut, du moins en ce tout qui provient des ordinations anglicanes, celles-ci étant certainement nulles, d’après la pratique constante de l’Eglise romaine, et d’après la décision portée par Léon XIII par ses lettres apostoliques du 13 septembre 1896, publiées après un nouvel examen approfondi de toute la question.

Dans tous ces cas où les sacrements de baptême et de pénitence font défaut ou peuvent faire défaut, la con

trition parfaite reste le seul moyen par lequel les âmes de honne foi peuvent obtenir la rémission de leurs péchés.

3* objection. — Les théologiens catholiques, dans leur interprétation du dogme catholique, supposent nécessairement la damnation en masse de tous les païens avant et après Jésus-Christ, puisqu’ils repoussent comme erronée toute assertion relative au salut même de quelques-uns qui, parmi ces païens, paraissent les meilleurs. Car si même pour ces quelques hommes d'élite la condamnation est certaine, quel peut être le sort des autres ? — Réponse. — Il est vrai que quelques écrivains catholiques, comme Foggini, Patrmn Ecclesirn de paucitale adultorum fidelium sulvandorum, si cum reprobandis fidelibus coniparatur mira consensio adserla et demonstrata, Rome, 1750, se prononcent pour la damnation en masse de tous ceux qui restent en dehors de l'Église catholique. Mais cette opinion, particulièrement en ce qui concerne les païens avant et après Jésus-Christ, est certainement opposée à l’enseignement constant des Pères et des théologiens. Sans parler des affirmations générales des Pères et des écrivains des premiers siècles, ni de celles des écrivains postérieurs, sur la rédemption universelle accomplie par Jésus-Christ, sur le salut offert à tous, sur la damnation éternelle provenant de la seule faute de l’homme, et sur la possibilité pour tous les hommes de connaître Dieu, nous nous bornerons à rappeler brièvement l’enseignement des Pères et des théologiens qui ont plus spécialement traité la question du salut des païens avant ou après Jésus-Christ. Saint Augustin, dans sa lettre en, répond à cette question angoissante qui lui avait été' envoyée au nom d’un païen et qui se représenta si souvent depuis, sous diverses formes, à la pensée de tant d’autres écrivains : qu’est-il advenu des âmes des Romains ou des Latins qui sont restées privées de la grâce de Jésus-Christ jusqu’au temps des Césars ? Depuis le commencement du genre humain, réplique le saint docteur, tous ceux qui ont cru en Jésus-Christ et qui l’ont connu de quelque manière et qui ont vécu pieusement et justement selon ses préceptes, partout et aussi souvent qu’ils se sont rencontrés, ont certainement été sauvés par lui.

Depuis le commencement du genre humain, tantôt d’une manière plus cachée, tantôt d’une manière plus évidente, suivant que la sagesse divine l’a jugé meilleur selon les temps, Jésus-Christ n’a pas cessé d'être annoncé, et ceux qui ont cru en lui n’ont pas manqué depuis Adam et depuis Moïse ni dans le peuple d’Israël qui a été, d’une manière spéciale, un peuple prophétique, ni dans les autres nations avant la venue du libérateur promis. Puisque quelques-uns sont mentionnés dans les saints Livres des Hébreux depuis le temps d’Abraham, qui ne sont point de sa race, ni du peuple d’Israël, ni de la société des étrangers incorporés au peuple d’Israël et qui ont cependant participé à ce mystère, pourquoi ne croirions-nous pas qu’il y en a eu aussi d’autres çà et là dans le reste du monde, bien que nous ne le voyions point mentionné dans ces mêmes documents ? Ainsi le salut de cette religion, par laquelle seule le véritable salut est vraiment promis, n’a jamais manqué à personne qui en fût digne, et celui auquel il a manqué n’en était pas digne. Epist., en, n. 12, 15, P. L., t. xxxiii, col. 374, 376. Le saint docteur s’exprime de même dans son ouvrage De civilate Dei. Il ne croit pas que les Juifs osent prétendre que personne n’a appartenu à Dieu en dehors des Israélites, depuis qu’Israël s’est propagé après la réprobation de son frère aîné. En vérité, il n’y a eu aucun autre peuple qui put être appelé le peuple de Dieu ; mais des hommes appartenant, non par la société de la terre, mais par celle du ciel, aux véritables Israélites citoyens de la céleste partie, on ne peut nier qu’ils aient

existé aussi chez d’autres peuples. Car si on le nie, on est très facilement convaincu par l’exemple du saint et admirable homme Job, qui ne fut ni Israélite, ni prosélyte, mais qui, appartenant au peuple d’Idumée, y naquit et y mourut. Cet exemple a été fourni par la divine providence pour que nous sachions, par ce seul juste, qu’il y a pu en avoir d’autres chez d’autres peuples, qui, vivant selon Dieu et lui plaisant, ont appartenu à la Jérusalem spirituelle. De civilate Dei, 1. XVIII, c.xlvii, P. L., t. xli, col. 609 sq. Quant à la difficulté que l’on pourrait faire ici relativement à la nécessité de la foi en Jésus Christ même pour ces païens, selon la doctrine de saint Augustin, elle sera résolue à l’article Foi, lorsqu’on étudiera sur ce point la pensée du saint docteur.

Vers la même époque, l’auteur des deux livres De vocatione gentium affirme explicitement que la providence divine n’a cessé, en aucun temps, de s’exercer à l'égard de tous les hommes. Bien qu’elle se soit choisi un peuple qu’elle a spécialement avantagé, elle n’a cependant retiré à aucun peuple de l’univers les dons de sa miséricorde, 1. 1, c. v, P. L., t. ii, col. 652. Dans tous les pays et dans tous les temps, il y a eu des hommes qui ont plu à Dieu et c’est la grâce de Dieu qui en a fait le discernement. Cette grâce, bien que plus restreinte et plus secrète dans les temps anciens, n’a été absente à aucune époque ; et elle a été ainsi donnée virtute una, quantitate diversa, consilio immutabili, opère muUijormi, 1. II, c. v, ix, xxv, xxxi, col. 691, 691, 711, 716.

Saint Léon le Grand (f i-61) enseigne la même doctrine. Serm., xxiv, c. i ; lxix, c. h ; lxxxii, c. ii, P. L., t. uv, col. 203, 376, 423.

Saint Grégoire le Grand († 601), commentant Job, xiv, 13, affirme que, parmi les âmes justes que JésusChrist délivra de la captivité des limbes où elles étaient temporairement détenues, il y en avait beaucoup appartenant à la gentilité. Moral., 1. XII, c. XI, n. 15, P. L., t. lxxv, col. 993.

Dans les siècles suivants, l’on ne rencontre guère que les mêmes affirmations générales, que nous avons déjà signalées pour les premiers siècles. Au xiie siècle, saint Bernard († 1153) est plus explicite. Dans sa réponse à Hugues de Saint-Victor sur le baptême, il laisse entendre qu’il y a eu des fidèles dans la gentilité avant Jésus-Christ, quand il affirme que tous les fidèles qui s’y sont rencontrés, s’ils étaient adultes, ont été réconciliés avec Dieu, grâce à leur foi et avec l’aide des sacrifices qu’ils ont offerts à Dieu ; que pour les enfants, la foi des parents leur a pleinement suffi, etqu’il en fut ainsi jusqu'à l’institution du baptême. Et quand la divine institution du baptême eut été suffisamment divulguée pour obliger tous les hommes, il fut toujours vrai que la foi seule, avec la conversion de la volonté, sans la réception du baptême quand il ne peut être reçu, peut suffire pour le salut. Epist., lxxvii, de baptismo, c. i, n. i, 8, P. L., t. CLXXXII, col. 1031, 1037. De ce dernier enseignement il résulte manifestement que, dans la pensée de saint Bernard, après comme avant JésusChrist, il y a eu de véritables fidèles en dehors de ceux que Dieu a le plus favorisés par la prédication publique de sa révélation.

Au xiii c siècle, le passage déjà cité de saint Thomas (y 1274) sur la manière dont l’homme nutritus in silvis peut arriver à la possession de la foi surnaturelle, Qwœst. disp., De vcrilale, q. xiv, a. 11, ad l um, prouve que le saint docteur admettait la possibilité du salut pour les gentils avant l’avènement de Jésus-Christ et pour tous ceux qui, depuis cet avènement, sont privés du bienfait de la prédication chrétienne. D’ailleurs, en ce qui concerne les gentils, la même conclusion se déduit de ces deux enseignements de saint Thomas : a) que c'était simplement pour eux un moyen plus parfait et plus

sûr d’obtenir le salut, que de se soumettre aux observances de la loi, leur salut pouvant être obtenu sans cela, comme maintenant les laïques peuvent être sauvés sans entrer dans la cléricature et les séculiers sans devenir religieux, Sum. theol., I » 11*, q. xcviii, a. 5, ad3" m ; qu’une révélation sur Jésus-Christ a été faite à beaucoup de gentils, et que s’il y en a eu qui ont été sauvés sans que cette révélation leur soit faite, ils n’ont pas été sauvés sans quelque foi au médiateur, en ce sens qu’ils ont au moins cru à la divine providence, qui devait délivrer les hommes de la manière qui lui plairait. Sum. theol., IIa-IIæ ', q. ii, a. 7, ad >< ; Quasst. disp., De verilate, q. xiv, ad 5° 1 ".

De même saint Bonaventure († 1274), sans aucune distinction de temps, ni de pays, ni de différentes catégories d’hommes, admet que beaucoup ont été sauvés avant Jésus-Christ, sans la foi explicite à sa passion ; mais il admet que tous avaient une foi au moins implicite dont témoignaient leurs sacrifices et qu’avec le secours de la grâce divine certainement donnée à tous, cette foi non explicite au médiateur leur était facilement accessible, tum ex dictamine naturie, tum ex alic na instructione, tum cliam ex Dei inspira/inné qui se offert omnibus qm eum requirunt humiliter. In IV Sent., l. III, dist. XXV, a. I, q. il, Quaracchi, 1887, t. iii, p. 541. Il est vrai qu’au même endroit, le saint docteur affirme que les philosophes, qui ont compté sur leurs mérites et leurs vertus, ont manqué de cette foi au médiateur, et qu’ils ont été, en conséquence, privés des joies du paradis, tanquam superbi et a Christi membris et meritis separati. Mais le contexte montre évidemment qu’il s’agit ici uniquement des philosophes excluant, par leur orgueil, la grâce de Dieu qui, selon l’expression du saint docteur, se offert omnibus qui eum requirunt humiliter.

C’est d’ailleurs un fait bien avéré, comme on le prouvera à l’article Foi, que cet enseignement de saint Thomas et de saint Bonaventure, sur la possibilité de la foi surnaturelle pour tous les hommes, fut communément suivi par les théologiens scolastiques, et que, depuis le XVIe siècle, il fut habituellement appliqué à tous ceux qui sont nés et ont vécu dans un milieu païen, sans aucun des avantages de la prédication chrétienne, comme l’observe Vasque/ : Quoddicunt de homine nuti’ito in sylvis, idem sentiendum est île homine apud Indos aut in média gentilitate nalo, ubi ne veroum quidem mqsteriorum nostrse fidei audivit. In 7 : , iii, disp. XCV1I, n. 32.

Enfin, depuis le xviie siècle, plusieurs documents ecclésiastiques manifestent assez clairement la pensée de l'Église sur le salut des infidèles. Alexandre VIII, le 7 décembre 1690, condamne formellement l’erreur janséniste, affirmant que les païens ne recevaient aucune grâce suffisante pour le salut : Pagani, judsei, /iserelici, aliique liujns generis nullum omnino accipiunt a Jesu Christo in/Iu.vnni, adeoque hincrecte infères in Mis esse voluntatem nudam et inermem sine omni gratia sufficienti, prop. 5. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1295. C’est encore la même erreur qui est réprouvée par Clément XI, le 8 septembre 1713, dans la constitution dogmatique Unigenitus condamnant les propositions suivantes : 26. Nulles dantur gratise nisi per fidem. — 27. Fides est prima gratia et f’ons omnium aliarum. — 28. Prima gratia quam Deus concedit peccatori est peccatorum remissio. — 29. Extra Ecclesiam nulla conceditur gratia, Enchiridion, n. 1376 sq. ; et par Pie VI condamnant, par la bulle Auctorem fidei du 28 août 1794, cette proposition 22 : Propositio quæ innuit fidem a qua incipit séries gratiarum et per quam velut primam vocem vocamur ad salutem et Ecclesiam, esse ipsammet excellentem virtutem fidei, qua homines fidèles nominantur et sunt ; perinde ac prior non esset gratia Ma

quæ ut prsevenit voluntatem sic prsevenit et fidem, suspecta de hxresi eamque sapiens, alias in Quesnello damnata, erronea. Enchiridion, n. 1522.

Un peu plus tard, Pie IX, en même temps qu’il réprouve le latitudinarisme ou l’indifférentisme, enseigne expressément, dans son encyclique du 10 août 1863 aux évoques d’Italie, que ceux qui ignorent invinciblement notre sainte religion et qui, observant avec soin la loi naturelle et ses préceptes gravés par Dieu dans les cœurs de tous, et prêts à obéir â Dieu, mènent une vie honnête et juste, peuvent, avec le secours de la lumière et de la grâce de Dieu, obtenir la vie éternelle ; car Dieu qui voit parfaitement, scrute et connaît les esprits, les cœurs, les pensées et les dispositions de tous, ne souffrira aucunement que celui-là soit puni des supplices éternels qui n’a commis aucune faute volontaire. Enchiridion, n. 1677. Cependant, malgré toutes ces possibilités de salut pour les infidèles qui restent en dehors de l'Église et qui sont privés de tout secours de la prédication extérieure, aucune certitude ne peut exister relativement au salut de tel individu en particulier, faute de données suffisantes sur les secours qui lui ont été réellement accordés, et surtout sur la coopération qu’il a lui-même véritablement fournie. C’est en ce sens que l’on doit interpréter la réponse du Saint-Office de 1674, relativement au salut de Confucius, telle qu’elle est habituellement rapportée par les auteurs, bien qu’elle ne soit pas insérée dans l'édition officielle des Vollt ctanea S. C. de Propaganda fide de 1907 : Non licel affirmare Confucium essesalvatum ; christiani interrogati respondeant damnatos esse qui mortui sunt pi infidrlilale. A. Fischer, De sainte infidelium, Fssen, 1886, p. 41.

Le sens de cette réponse, comme de plusieurs décisions semblables des théologiens, est simplement que, tout document ou toute preuve faisant défaut pour émettre sur ce point une affirmation positive suffisamment motivée, il y a obligation de s’en abstenir. d’autant plus que des affirmations indiscrètes, dans une matière aussi grave, pourraient facilement donner lieu à quelque soupçon d’indifférentisme ou de latitudinarisme.

4e objection. — L’intolérance dogmatique qui résulte nécessairement du dogme catholique Extra Ecclesiam nulla salus a eu, au cours des siècles, de très funestes effets, parmi lesquels on doit particulièrement mentionner la suppression ou répression excessive et injuste de tout esprit critique, et l’oppression ou persécution systématique de ceux qui rejettent la doctrine catholique, ou se contentent même de la désapprouver. — Réj>onse. — a) L’intolérance dogmatique, au sens où on l’entend ici, n’est que le rejet de l’indifférentisme ou du latitudinarisme, et la condamnation de tout ce qui est certainement opposé à la vérité que l’on a le bonheur de posséder pleinement. Une telle intolérance, loin d'être répréhensible, est donc en ellemême digne de tout éloge. Quant aux funestes effets que l’on se plait à lui attribuer, rien ne prouve qu’ils aient existé au degré indiqué, rien surtout ne prouve qu’on puisse les mettre à la charge de l'Église catholique ou du dogme précité. Nous avons suffisamment prouvé, à l’art. DOGME, que l’r-glise catholique, dans la manière dont elle enseigne ses dogmes, ne s’oppose aucunement aux droits légitimes de la bonne et saine critique. Tout ce qu’elle exige des sciences humaines, c’est qu’elles ne contredisent point l’enseignement révélé ou ce qui a avec lui une étroite connexion, qu’elle seule a le droit de contrôler et de définir authenliquement, en sa qualité de gardienne du dépôt intégral de la révélation. C’est d’ailleurs un service que l’Eglise procure aux sciences humaines, en leur signalant une erreur à éviter dans un domaine qui ne leur appartient pas ; service qui ne suppose, pour ces

sciences, aucune abdication de méthode, car elles gardent toujours liberté parfaite de suivre leur méthode en tout ce qui est vraiment de leur ressort. Si, de fait, quelques auteurs catholiques ont restreint, d’une manière excessive, le champ qui doit être laissé libre à la bonne et saine critique, l'Église ne doit pas en être rendue responsable.

/>) L’intolérance sociale ou politique, telle qu’on l’entend ici, est simplement la défense légitime de l’unité catholique, dans une société qui a le bonheur de la posséder. Cette unité, étant le bien le plus éminiiil qu’une société puisse posséder et un bien duquel procèdent d’immenses avantages, même au simple point de vue de la civilisation humaine, les pouvoirs civils qui comprennent leurs devoirs envers la vérité catholique et qui ont le souci de leurs meilleurs intérêts, ne doivent rien négliger pour la maintenir dans son intégrité, autant que la prudence le leur permet.

Quant à la tolérance politique, selon l’enseignement de Léon XIII dans son encyclique Liberlas du 20 juin 1888, elle peut être accordée par les pouvoirs civils, dans une société irrémédiablement divisée au point de vue religieux, seulement dans la mesure nécessaire pour empêcher de plus grands maux. Même au simple point de vue humain, on ne peut que louer cette sage prudence de l'Église, relativement à l’usage ou au nonusage de la tolérance dans les sociétés humaines. Il est d’ailleurs bien évident que cette doctrine ne peut être rendue responsable des mesures répressives, parfois excessives, ordonnées par le pouvoir civil, agissant d’ailleurs quelquefois beaucoup plus par intérêt humain que pour le bien de la religion.

IV. LE DOGME CATHOLIQUE SUR LE MAGISTÈRE INFAILLIBLE m- : L'ÉGLISE. — Laissant à un article spécial l'étude du pouvoir d’ordre dans l'Église, nous bornerons présentement nos recherches à son double pouvoir de juridiction : le pouvoir d’enseigner avec une autorité infaillible, et le pouvoir législatif.

Quant au magistère établi par Jésus-Christ dans son Église, il est manifeste que l’infaillibilité dont il a été divinement pourvu, n’est pas une simple inerrance de fait, même perpétuellement réalisée ; c’est une inerrance de droit, en vertu de laquelle l’autorité enseignante dans l’Eglise est préservée de toute erreur, par l’assistance surnaturelle qu’elle reeoit du Saint-Esprit. C’est cette infaillibilité active que nous devons étudier dans l’enseignement néo-testamentaire et dans l’enseignement traditionnel. Quant à l’infaillibilité passive, qui est la simple possession intégrale et constante de la vérité par la société chrétienne, nous n’avons point à l'étudier séparément, puisqu’elle découle nécessairement de l’infaillibilité active. On comprend d’ailleurs que, dans notre présente étude, nous omettrons tout ce qui concerne spécialement l’infaillibilité du pape, qui sera l’objet d’un article particulier.

h Existence du magistère infaillible de l’Eglise.— 1. Enseignement néo-testanientaire.

a) Promesses de Jésus-Christ. — Laissant pour le moment la promesse rapportée par saint Matthieu, xvi, 18, parce qu’elle concerne principalement le magistère infaillible de Pierre et de ses successeurs, nous ne nous occuperons présentement que de la promesse faite conjointement à tous les apôtres et rapportée par saint Jean : Et ego roijabo Palrem et alium Paraclctum dabit vobis, ut maneat vobiscum in ivlemum, Spiritum veritatis quem mundus non potest accipere, quia non miel eum née scit cum ; vos uutem cognoscetis eum, quia apud vos manebit vl in vobis erit, xiv, 16 sq. /L-ce locutus eum apud vos manens. Paracletus autem Spiritus Sanctus, quem mittet Pater in noniine meo, ille vos docebit omnia, et suggerei vobis omnia quæcumque dixero vobis, 25 sq. — a) Ce consolateur, iïapâxXY]To ; , selon le sens le plus fréquemment

usité dans le Nouveau Testament, est en même temps appelé -o 7tve0u.a t/, ; à'Lr/Jîta ; , parce qu’il possède la plénitude de la vérité et parce qu’il doit la manifester aux apôtres et à leurs successeurs ; le génitif -cîjç ai.r8s : a ; signifiant à la fois, selon l’usage scripluraiie, la possession et la causalité. — b) Ce consolateur dont le rôle bienfaisant doit, après l’ascension de Jésus, s'étendre à l’humanité entière et dans tous les temps, cet Esprit de vérité qui doit enseigner toutes choses el toute vérité, Joa., xiv, 26 ; xv, 13, est promis aux apôtres, et par conséquent aussi à leurs successeurs, ei ; tôv ocim-iy, c’est-à-dire, selon le sens habituel du Nouveau Testament, pour toujours ou jusqu'à la consommation des siècles. — c) La promesse de cet Esprit de vérité, qui doit rester jusqu'à la fin du monde, avec les apôtres et avec leurs successeurs, et leur enseigner toute vérité, implique en eux la pleine possession de la vérité, non seulement pour eux-mêmes, mais aussi dans l’enseignement qu’ils sont tenus de donner au nom de Jésus-Christ et avec son autorité. C’est ce qu’indique implicitement le rôle attribué par Jésus au Paraclet qui doit, jusqu'à la consommation des siècles et en l’absence du divin Maître, aider les apôtres à l’accomplissement de leur mission. C’est surtout ce qu’indiquent très clairement les divers passages ou les pouvoirs promis ou conférés aux apôtres sontsignalés comme devant durer perpétuellement, particulièrement le pouvoir d’enseigner la doctrine de, lésus-Christ avec une parfaite et intégrale fidélité, selon le texte de saint Matthieu que nous allons analyser.

I>) Institution de Jésus-Christ. — Data eit mihi omnis potestas in cœlo et in terra. Euntes ergo docele omnes gen tes, bapt i : an les eos innomme PatrisetFiliiet Spiritus Sancii, docentes eos servare omnia quæcumqne mandavi vobis, et ecce ego vobiscum sum onniibus diebus, usque ad consummationem sseculi. Malth., xxviii, 18 sq. — a. Jésus, en vertu de la mission qu’il a reçue de son Père, communique à ses apôtres le pouvoir d’enseigner à toutes les nations tout ce qu’il avait précédemment enseigné, docentes eos servare omnia quæcumque mandavi vobis. Ces paroles, ne contenant aucune restriction, comprennent aussi le complément d’instruction qui devait être donné plus tard, selon la volonté de Jésus, par l’illumination du Saint-Esprit, car ce complément d’instruction formellement promis par Jésus et donné par son Paraclet, Joa., xiv, 16 sq., 25 sq. ; xvi, 13, n'était, en fait, qu’une explication de ce qu’il avait lui-même prêché à ses apôtres et qu’ils n’avaient point encore suffisamment compris. — b. Ce pouvoir d’enseigner comporte, pour les apôtres, la prérogative de l’infaillibilité active dans l’enseignement qu’ils doivent donner aux fidèles en vertu de leur divine mission. Car la promesse divine : ecce ego vobiscum sum, d’après un usage scripturaire très fréquent, comme nous l’avons noté précédemment, signifie que Jésus lui-même assure l’heureux succès de la mission qu’il confie à ses apôtres. Or, dans le cas présent, le succès ne peut être suffisamment garanti par Jésus qu'à une condition : c’est que l’enseignement donné, en son nom et avec la plénitude de son pouvoir, reproduise fidèlement et intégralement son propre enseignement, omnia quæcumque mandavi vobis, et qu’il le reproduise sans aucun danger d’erreur pour les fidèles. Car une simple possibilité d’erreur, en une matière aussi grave, sur quelque point et en quelque circonstance que ce fût, suffirait pour ébranler toute confiance et empêcher fatalement le but que se propose Jésus, et dont il promet solennellement la constante et parfaite réalisation, du moins toutes les fois que renseignement sera donné en son nom et avec la plénitude de son pouvoir.

Le succès ainsi pleinement garanti par Jésus suppose donc l’infaillibilité active des apôtres, dans l’enseigne

ment qu’ils doivent donner en son nom et avec son autorité.

c. Le pouvoir d’enseigner et la prérogative d’infaillibilité qui l’accompagne, ne sont pas conférés aux apôtres à titre simplement personnel ; ils sont encore conférés à tous leurs successeurs, £i ; tïjç auvrs).eîa ; toj aïtovo.-, c’est-à-dire jusqu'à la fin du monde, suivant le sens donné à cette expression dans les trois autres passages où elle est employée par saint Matthieu, par conséquent aussi dans le texte présent ; d’autant plus que ce sens est en même temps suggéré par toute l'économie du plan divin dans l’institution de son Eglise, selon ce qui a été précédemment démontré.

2. Enseignement des apôtres.

Nous nous bornerons à rappeler ici les deux témoignages de saint Paul que nous avons indiqués dans noire démonstration apologétique de la divine institution de l’Eglise. Epli., iv, 15 ; I Tim., iii, 15. Dans le premier passage, saint Paul, en affirmant que Jésus a donné des apôtres, des prophètes, des évangélisles, des pasteurs et des docteurs, ut non ja.ni sinius parvuli fluctuantes et circum feramur omni vento doctrines in nequitia hominum, in astutia ad circumventionem erroris, Eph., iv, 15, laisse Clairement entendre, quelle que soit la forme transitoire de plusieurs de ces ministères ou charismes, qu’il doit y avoir perpétuellement dans l'Église une autorité infaillible ; le but qu’il assigne ne pouvant être efficacement réalisé que par ce moyen. C’est aussi ce qu’indiquent les expressions Ecclesia Dei vivi columna et /irmamentum veritatis, I Tim., iii, 15, qui supposent une complète immunité de toute erreur, impossible à réaliser sans une autorité infaillible.

3. Enseignement traditionnel.

a) Première période, depuis l'époque apostolique jusqu'à saint A ugustin. — Pendant ces quatre siècles, l’autorité doctrinale de l'Église apparaît au moins implicitement contenue dans la tradition orale provenant des apôtres et toujours vivante dans l'Église, où elle reproduit constamment et fidèlement l’enseignement de Jésus et des apôtres ; tradition à laquelle on est tenu de se soumettre, sous peine d'être exclu de la communion chrétienne et d'être privé de l’héritage de Jésus-Christ.

C’est ce qu’indiquent assez clairement, dans les lettres de saint Ignace d’Antioche († 107), les passages où il insiste sur la soumission due à l’autorité de l'évêque en matière de doctrine, -r, toO âittaxôitovi YVù>u.r„ Ad Eph., iv, Patres apostolici de Funk, 2e édit., Tubingue, 1901, t. I, p. 216, parce que l'évêque tient la place de Dieu et le presbyterium celle du sénat apostolique. Ad Magn., vi, p. 234. C’est encore ce qu’indique l'évêque d’Antioche, dénonçant les hérétiques qui corrompent, par une doctrine perverse, la loi de Dieu pour laquelle Jésus a été crucifié, et les menaçant du feu éternel, Ad Eph., xvi, p. 226, parce qu’ils rejettent la foi enseignée dans l'Église.

Saint Justin († 163) parle plus explicitement de l’enseignement de Jésus-Christ, fidèlement transmis par les apôtres et par leurs successeurs, ets’imposant intégralement à l’acceptation des fidèles comme le seul vrai, Apol., i, 23, 61, 65, 66, 67, P. G., t. vi, col. 364, 420, 428, 432 ; Dialog. cum Tryph., n. 119, col. 753 ; enseignement contre lequel s’insurgent les hérétiques qui suivent la doctrine de l’homme dont ils portent le nom, au lieu de se soumettre à celle de Jésus-Christ. Apol., i, 26, col. 368 sq. ; Dial. cum Tryph., n. 35, col. 552.

Saint Irénée († 202) met en relief le rôle de l'Église dans la possession exclusive et dans la prédication constante de la vérité enseignée par Jésus-Christ et par les apôtres. Cont. hier., l. III, c. iii, n. 3 ; c. iv, n. I ; c. xxiv, n. 1 ; l. IV, c. xxvi. n. 5 ; l. V, c. xx, n. 1, P. G., t. vii, col. 851, 855, 966, 1056, 1177. L'évêque de Lyon insiste aussi sur le crime que commettent les hérétiques en

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

rejetant l’autorité de l’Eglise qu’ils accusent d’erreur ou d’incompétence. Cont. User., l. V, c. xx, n. 2, col. 1177sq. Cette insistance sur le rôle de l'Église marque nettement, dans la pensée du saint docteur, l’identification entre la tradition orale toujours vivante dans l’Eglise et son autorité doctrinale.

Le De præscriplionibus de Tertullien, écrit vers l’an 200, marque un autre progrès dans l’histoire du dogme de l’infaillibilité doctrinale de l’Eglise. En insistant, comme Irénée, sur l’autorité de la tradition toujours vivante dans l'Église et y reproduisant fidèlement l’enseignement de Jésus et de ses apôtres, Tertullien mentionne expressément l’assistance du Saint-Esprit promise par Jésus, Joa., xiv, 26, xv, 26, et empêchant les Églises d’errer dans la foi. De præscript., c. xxviii, P. L., t. il, col. 40. Remarquons toutefois que Tertullien parle, non de l’Eglise, mais des Églises.

Clément d’Alexandrie († 215) insiste, comme saint Irénée, sur l’obligation de suivre ty|v a71 : o<jTO>.ixY)v xa : Ex-L} r.TiaaTi'Lr, -/ Qp80|u’av tûSv âoYiiaTidv, Strom., VII, c. xvi, P. G., t. ix, col. 544, et fait consister le péché d’hérésie en ce que l’on répudie la tradition ecclésiastique, pour suivre des opinions humaines, péché par lequel d’ailleurs on cesse d'être homme de Dieu et fidèle au Seigneur. Strom., VII, c. xvii, col. 532.

Cette doctrine est très fréquemment reproduite par Origène († 251), De princip., l. I, prxf., n. 2, P. G., t. xi, col. 116 ; In Mat th., comnientariorum séries, n. 46 sq., P. G., t. xui, col. 1667 sq. ; In Jer., homil. v, n. 16, col. 319 ; In Ezech., homil. viii, n. 2, col. 730 ; In ps. XXXVI, homil. iii, n. 11, P. G., t. xii, col. 1347. Saint Cyprien († 258), en réprouvant énergiquement comme rebelles à Dieu ceux qui s’insurgent contre l'Église ou se séparent d’elle, De unitate Ecclesia, iv sq., P. L., t. iv, col. 5C0 sq. ; Epist., xliv, col. 340 ; xi.ix, /'. L., t. iii, col. 726 sq. ; LU, n. 24, col. 790 sq. ; xlix, n. 1 sq., P. L., t. iv, col. V09 sq., laisse clairement entendre qu’il y a dans l’Eglise une autorité divinement établie pour enseigner et régir les fidèles.

Au IVe siècle, chez les Pères grecs, le concept de l’autorité doctrinale de l’Eglise se rencontre plus explicite, bien que l’on ne détermine point encore les conditions dans lesquelles cette autorité doit s’exercer.

Saint Cyrille de Jérusalem († 386) enseigne formellement que l’on doit embrasser et garder la foi qui est proposée par l’Eglise, Cal., v, 12, P. G., t. xxxiii, col. 520 ; et ailleurs que l’Eglise enseigne universellement et sans défaut tous les dogmes qui doivent venir à la connaissance des fidèles, sur les choses visibles et invisibles, sur les choses célestes et sur les choses terrestres. Cal., xvill, 23, col. 1044.

Saint r.piphane (y 403) loue fréquemment l’Eglise catholique, gardant toujours parfaitement incorruptible la doctrine qui lui a été confiée par les apôtres, Ancoralus, lxxxii, cxviii sq., /'. G., t. xliii, col. 172, 232 sq. ; Adr. lucr., hær. xxxi, c. xxx sq., P. G., t. xi.i. col. 533 ; doctrine dans laquelle on se repose avec sécurité, à l’abri de la tourmente des hérésies. E.ipositio fidei, ii, P. G., t. au, col. 77.

Saint Jean Chrysostome († 407), commentant la parole de saint Paul : Ecclesia Dei vivi, columna et /irmamentum veritatis, affirme que l'Église est la colonne du monde, parce qu’elle-même a la vérité pour colonne et poursoutien. In I Tim., homil. xi, 1, P. G., t. lui, col. 551.

Les affirmations des Pères latins, à cette même époque, quoique moins explicites, ne sont pas moins concluantes. Saint Hilaire de Poitiers (y 366), commentant le fait de Jésus parlant de l’intérieur d’une barque à la foule amassée sur le rivage, explique que cette barque représente l’ji, glise, dans laquelle réside et est constamment prèchée la parole de vie, parole que ne peuvent comprendre ceux qui se tiennent en dehors de cette barque

IV.

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EGLISE

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Connu, in Matlh., xiii, I, P. L., t. i, col. 993. Saint Aml>roise, interprétant Luc, vil, lit, observe que si, parle doigt de Dieu, les démons sont chassés, de même, par le doigt de l’Église, la foi est constamment trouvée : Si enim digilo Dei ejiciuntur dsemonia, /Ides quoque digito Ecclesise reperitur. In Luc, l. V, n. 97, P. L., t. xv, col. IGG2.

A tous ces témoignages très explicites, en faveur de l’existence d’une autorité doctrinale dans l’Église, on doit joindre les nombreux faits précédemment signalés, attestant, pendant toute cette période, l’obligation pour tous les fidèles de se soumettre à l’enseignement de l’Église, sous peine d’être séparés effectivement de l’Église et de perdre tout droit à l’héritage éternel. Ces faits autorisent, en même temps, à conclure que l’autorité doctrinale à laquelle cette soumission est si rigoureusement due, doit être considérée comme infaillible en tout ce qu’elle propose comme enseignement divin, car seule une autorité offrant des garanties absolues de vérité peut revendiquer un pareil droit.

h) Deuxième période, depuis saint Augustin jus. qu’au xiiie siècle. — L’enseignement de saint Augustin sur l’existence et la nature de l’autorité doctrinale de l’Église a un caractère beaucoup plus explicite que celui des auteurs ecclésiastiques des siècles précédents.

C’est l’autorité de l’Église qui est la règle de notre foi : consulat régulant fidei quam de Scripturarum planioribtts locis et Ecclesise auctnritate percepit. De doct. christ., ]. III, c. ii, n. 2, P. L., t. xxxiv, col. 65. C’est même à l’autorité de l’Église que nous sommes redevables de notre foi dans la divine inspiration de l’Évangile : Ego vero Evangelio non crederem, nisi mecatholicæ Ecclesix commoveret auctoritas. Contra epist., manic/i., c. v, n. G, P. L., t. xlii, col. 176. Aussi le saint docteur insiste sur l’obligation imposée par la foi catholique, c’est-à-dire par celle qu’enseigne l’Eglise : ea lamen quærendi dubilalio calltolicx fidei mêlas non débet e.rcedere. El quoniam mulli liœrelici ad suani sententiam, quoe præler (idem est cat/iolicæ disciplinas expositioneni Scripturarum divinctrum Irahere consueverunt, anle traclalionem hujus libri catholica /ides br éviter expliçand a est. De Gen. ad lilt. lib. imper f., c. f, n. 1, ibid., col. 221.

L’infaillibilité de cette autorité doctrinale de l’Eglise est clairement indiquée dans le commentaire allégorique du ps. cm : Fundavit terrant super firmilalem ejus, non inclinabi tur in seculum scculi, où Augustin montre que l’Église, aj puyée sur l’inébranlable fondement dont parle saint Paul, fundamentum nemo potest ponere prseterquam quodpositum est, quod est Christus Jésus, I Cor., ni, 11, restera toujours inébranlable, parce qu’elle est la colonne et le soutien de la vérité : Non inclinabitur in seculum secidi. Jpsa est prxdestinala columna et firmamentum verilalis (I Tim., iii, 15). Enarr. in ps. ciii, n. 17, P. L., t. XXXVII, col. 1350. C’est encore ce que signifient ces assertions de l’évêque d’IIippone que l’Eglise, combattant contre toutes les hérésies, ne peut jamais être vaincue par aucune d’elles, ipsa est Ecclesia sancta, Ecclesia una, Ecclesia ver a, Ecclesia catholica, contra omnes hæreses pugnans ; pugnare potest, expugnari non potest. Hsereses omnes

; le illa e.iicrunt tanquam sarmenta inutilia de vite

prsecisa : pisa autem manct in radice sua, in vile sua, incliaritate sua. Portée in/erinon vincent eam (Matlh., xvi, 18), De sijtnb. serm. ad catech., c. VI, n. 14, P. L., I. xi., col. 6.’).") ; et que quiconque attaque le mur inexpugnable de l’autorité de l’Église, s’j brise fatalement, hoc Italie ! auctoritas rnatris Ecclesiw, hoc fundaïus verilalis obtiuri canon : contra hoc robur, contra hune ine.rpugnabilem murum quisquisarietal, ipseconfringiiur. Serm., ccxciv, c. xviii, P. L., t. xxxviii, col. 1346.

Saint Augustin donne même des indications assez

précises sur l’exercice de cette autorité infaillible, soit dans le souverain pontife, soit dans les conciles, selon les textes précédemment cités. Voir Augustin, I. i, col. 2414 sq. Quant à la source de cette infaillibilité de l’Eglise, elle est dans l’assistance de Jésus-Christ, qui continue à habiter et à gouverner son corps mystique pour le préserver de toute erreur : Tola enim Ecclesia conslans ex omnibus fidelibus, quia fidèles onines mciubra sunt C/irisli, liabet illud caput positum in cœlis quod gubernat corpus suum. Enar. in ps. i.vi, n. 1, P. L., t. xxxvi, col. G62. Sed eliam ipsam, quæ nuncest, Ecclesiam nisi Dominus inhabitarel, iret in errorem quemlibet Studiosissima sprculalio. Enar. in ps. i., n. 12, col. 122. Aussi c’est à cette même assistance de Jésus-Christ, qu’Augustin attribue la condamnation de Pelage par les papes Innocent et Zosime et par l’univers entier, in adjulorio Salvatoris qui suani luctur Ecclesiam. Epist., xcx, n. 22, 7’. L., t. XXXIII, col. 865.

Ces dernières paroles nous montrent aussi que le saint docteur admet l’infaillibilité de l’Eglise dans ce que nous appelons aujourd’hui un fait dogmatique, puisqu’il considère que l’erreur de l’élage a été justement et infailliblement condamnée par Innocent et Zosime. Le même enseignement se retrouve encore dans le célèbre passage où il affirme que la réponse du siège apostolique a terminé le débat sur le pélagianisme. Serm., cxxx, n. 10, P. L., t. xxxviii, col.731.

On doit enfin observer que l’infaillibilité de l’Église dans sa discipline générale ou dans sa pratique universelle ressort de la manière dont l’évêque d’Hippone se sert du fait de l’administration du baptême, même aux enfants, pour prouver le dogme du péché originel

souillant l’âme de tous les enfants d’Adam, en mê

temps que l’utilité du baptême conféré avant l’âge de raison. La pratique constante et universelle de l’Eglise est donc pour lui, dans ce cas, un argument certain de vérité, Serm., ccxciv, c. xvii sq., P. L., t. xxxviii, col. 1346 ; ce qui implique nécessairement l’infaillibilité de l’Église.

Saint Vincent de Lérins (y 450), dans son Commonttorium, attribue à l’Église ou au corps des pasteurs, la garde vigilante du dépôt de la foi ainsi conservé toujours intact, selon la recommandation de Jésus-Christ. Commonitor., I, c. xxii, P. L., t. L, col. GG7. Ce rôle de l’Église ne pouvant être convenablement rempli, que si l’Eglise a le pouvoir d’interpréter et d’expliquer l’enseignement révélé, selon les besoins des fidèles de tous les temps, et que si elle peut le faire d’une manière infaillible, l’autorité doctrinale infaillible de l’Église est donc ainsi implicitement affirmée par le moine de Lérins.

Gennade de Marseille († 493) enseigne expressément l’infaillibilité de l’Église dans ses lois et usages liturgiques. Parlant des prières qu’elle fait pour que la foi catholique soit acceptée par les idolâtres, les juifs, les hérétiques et les schismatiques, il affirme que beaucoup parmi eux reçoivent, par ces prières, la lumière de la foi. Ainsi se manifeste cette importante vérité que c’est par la grâce de Dieu que les conversions s’obtiennent. Et, à cette occasion, l’auteur établit ce principe constamment et universellement reconnu par la tradition chrétienne, ut legem credendilex statuai supplicandi, De ecclesiasticis dogmalibus, c. xxx, P. L., t. i.vm, col. 987 sq. De même, selon lui, les rites pratiqués par l’Église dans l’administration du baptême, notamment les exorcismes et les insufllations et la coutume constante de donner ce sacrement même aux enfants, prouvent le dogme de la transmission du péché originel â tous les enfants d’Adam, c. xxxi. xxxiv, col. 988 sq. Ainsi le magistère ordinaire et universel de l’église est implicitement affirmé par Gennade, appuyant l’existence universelle du péché originel sur ce que l’Eglise

catholique répandue partout l’a toujours compris ainsi, c. xxxiv, col. 989.

Quant à l’infaillibilité de l'Église dans les définitions dogmatiques de ses conciles ou dans l’enseignement dogmatique de ses souverains pontifes, elle brille, au Ve siècle, du plus vif éclat. Les définitions conciliaires d'Éphèse et de Chalcédoine sont acceptées par tous les catholiques comme règle de foi, et ceux qui refusent de s’y soumettre sont séparés de l'Église ; ce qui suppose évidemment une autorité infaillible. En même temps, à Éphèse et à Chalcédoine, le jugement conciliaire sur les écrits orthodoxes ou hétérodoxes soumis à l’autorité du concile est universellement accepté comme tranchant définitivement toute controverse et comme absolument infaillible.

Quant à l’infaillibilité doctrinale des souverains pontifes, nous prouverons ailleurs avec quelle force elle apparaît au concile de Chalcédoine, où l’enseignement du pape saint Léon I er dans sa célèbre lettre dogmatique à l'évêque Flavien en 449, Epist., xxviii, P. L., t. Liv, col. 755 sq., est universellement accepté par le concile comme l’enseignement infaillible de Pierre parlant par la bouche de Léon.

La même conclusion se dégage non moins évidente des assertions doctrinales du pape saint Simplicius, Denzinger-Bannwart, Enc/tiridion, n. 160, et du pape saint Gélase, n. 161, 163, ainsi que du célèbre formulaire de saint llormisdas imposé en Orient comme règle de la foi, à tous ceux qui veulent rester fidèlement soumis au Saint-Siège, centre de l’unité catholique, n. 171 sq.

Au vine siècle, saint Jean Damascène († 750) rend hommage au magistère ordinaire de l’Eglise, en s’appuyant, pour prouver la légitimité du culte des images, sur la tradition de l’Eglise, en laquelle il n’y a aucune tache. De imaginibus, orat. iii, n. 41, P. G., t. xciv, col. 1356. Il affirme de même, dans son De /ide orthodoxa, que celui qui ne conforme pas sa foi à la tradition de l'Église catholique est un infidèle, aussi bien que celui qui communique avec le démon par ses œuvres criminelles, l. IV, c. x, col. 1128.

Cet enseignement est approuvé, en 787, par le II'- concile général de Nicée, qui appuie aussi la légitimité du culte des images, sur la tradition de l’r.glise catholique, dans laquelle le Saint-Esprit habite. Act. Vil, Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 302, 304. C'était d’ailleurs aussi le langage du pape saint Adrien I er dans sa lettre au même concile. Labbe-Cossart, Concilia, Venise, 1729, t. viii, col. 761.

Aussi quand apparut, au xie siècle, l’erreur de Bérenger sur la sainte eucharistie, on lui opposa la croyance jusque-là constante et universelle de l'Église catholique. Guitmond d’Aversa († 1087), De corporis et sanguinis Chris ti veritate in eucharislia, l. III, P. L., t. exux, col. 1486 sq. ; Lanfranc de Cantorbéry († 1089), De corpore et sanguine Domini, c. xxii sq., P. L., t. cl, col. 440 sq.

Au xiie siècle, c’est encore le langage de saint Bernard dénonçant les erreurs d’Abélard comme opposées à la foi chrétienne, et faisant en même temps appel à l’autorité du pape pourles réprouver. Epist., exc, P. L., t. clxxxii, col. 1053 sq.

c) Troisième période du xiti" au XVIe siècle, marquée, comme la précédente, par une affirmation pratique et une reconnaissance universelle de l’autorité doctrinale de l'Église, et se différenciant de l'époque précédente, surtout par l’affirmation principalement pratique du droit qu’a l'Église d’intervenir dans toutes les matières connexes à la foi.

Le magistère de l'Église est particulièrement affirmé dans les définitions solennelles du IVe concile de Latran en 1215, du IIe concile de Lyon en 1274, et du concile de Florence en 1439, et dans les enseignements

moins solennels, par lesquels l'Église termine une controverse comme celle du temps où commence la vision béatifique, Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 530 sq. ; ou réprouve des erreurs comme celles des fraticelles, n. 484 sq., celles de Marsile de Padoue, n. 495 sq., celles de Wicleff, n. 581 sq., et de Jean Iluss, n. 627 sq.

Mais ce qui caractérise principalement cette période, c’est l’affirmation de l’autorité doctrinale de l'Église dans les matières connexes à la foi. Cette affirmation est occasionnée surtout par l’importante lutte qui se prolonge, pendant plusieurs siècles, autour de la grave question des relations entre la raison et la foi ; lutte, dirigée surtout contre les averroïstes, partisans très exclusifs d’Aristote et d’Averroès, et faisant passer leur enseignement avant celui de la foi. Dans cette lutte, toutes les écoles catholiques suivent la direction de l'Église, particulièrement l'école albertino-thomisle, voir t. i, col. 1875 sq., toujours préoccupée de maintenir l’intégrité de la foi, tout en suivant l’enseignement d’Aristote là où la foi ne s’y oppose aucunement.

Les principaux documents ecclésiastiques en cette matière sont : la lettre de Grégoire IX, Ad theologus Parisienses, du 7 juillet 1228, DenLinger-Banmvait, Enchiridion, n. 442 sq., plusieurs définitions du concile de Vienne, n. 475, 481, et la condamnation de plusieurs erreurs philosophiques par Clément VI, n. 553 sq.

Nous devons en même temps observer que, dans la condamnation des diverses erreurs que nous venons de mentionner, l'Église porte un jugement définitif et universellement accepté sur l’hétérodoxie des enseignements ou écrits soumis à son appréciation. Elle est donc, dès cette époque, universellement reconnue comme possédant, sans conteste, le droit de juger souverainement et infailliblement les faits dogmatiques.

Quant à l’enseignement des théologiens, bien qu’il soit donné sans beaucoup d’insistance ni d'étendue, au moins jusqu’au xv c siècle, par suite de l’absence d’erreur en cette matière, il est cependant assez préeis

Saint Thomas affirme expressément que la foi de l'Église universelle ne peut défaillir, conformément à la parole de Jésus-Christ, ego pro te rogavi, Petre, ut non de/iciat /ides tua, Luc, xxil, 32. Suni. theol., < II*, q. ii, a. 6, ad 3um. Il attribue de même au souverain pontife, qui a la plénitude de tout pouvoir dans l’jtglise, le pouvoir de modifier le symbole de la foi dans la mesure nécessaire pour expliquer les viriles de foi en face d’erreurs nouvelles. II a IIe, q. i, a. 10.

Il exige manifestement que l’on adhère à la doctrine de l’Eglise comme à une règle divine et infaillible ; quiconque ne le fait point, n’a point l’habitude de la foi, du moins si sa faute est commise avec advertance et opiniâtreté. Il » 11', q. v, a. 3. Le saint docteur suppose aussi que l’Eglise nous donne dans sa liturgie un enseignement dogmatique, quand il mentionne l’obligation qui nous incombe d’avoir une foi explicite dans les mystères de Jésus-Christ, qum in Ecclesia solemnizantur et publiée propununtur. II » II æ, q. ii, a. 7. Aucun enseignement formel n’est donné sur l’objet de l’autorité doctrinale de l'Église, mais ce qui est dit sur le double objet de la foi, l’un direct et principal, immédiatement proposé à notre assentiment, et l’autre indirect et secondaire que l’on ne peut rejeter sans rejeter aussi ce qui est de foi, doit également s’appliquer a l’objet de l’enseignement ecclésiastique, puisque tout ce qui appartient, directement ou indirectement, au dépôt de la foi, est soumis à l’autorité de l'Église.

Quant à l’autorité de l’Eglise dans la question des faits dogmatiques, le saint docteur la résout ainsi en traitant particulièrement de la canonisation des saints. L'Église étant infaillible en tout ce qui concerne la foi ou la morale chrétienne, ne peut porter un jugement

autorisant, en fait, quelque erreur préjudiciable à la loi ou à la pratique de la vie chrétienne. Elle ne peut donc permettre d’honorer, comme saint, quelqu’un qui ne le serait point, puisque ceux qui auraient cette fausse persuasion pourraient ôire facilement induits en erreur, relativement à ce qu’ils doivent pratiquer pour obtenir eux-mêmes le salutéternel. Aux deux objections principales en cette matière, que l’Kglise n’a point de moyen suffisant d’acquérir la certitude sur le fait que tel homme possède la sainteté digne de la gloire du ciel, et que le moyen qu’elle emploie, c’est-à-dire le témoignage humain, est de soi toujours faillible, saint Thomas répond qu’il y a des moyens suffisants d’acquérir cette certitude : l’examen de la vie, l’attestation des miracles et surtout l’instinct de l’Esprit-Saint qui assiste l’Eglise ; et c’est précisément cette providence divine qui, par son assistance constante, empêche que l’i.glise soit trompée par le témoignage faillible des hommes. Quodlib., IX, a. 16.

Quant aux jugements particuliers ne concernant ni la foi ni la pratique de la morale chrétienne et se rapportant uniquement à des faits particuliers, ul cum agitur de possessionibus vel de criminibus vel de hujusmodi, il est possible que le jugement de l’Eglise soit erroné, propter falsos testes. Loc. cit.

Une considération, faite ailleurs par saint Thomas, montre toute la nécessité de l’autorité infaillible qu’il attribue ici à l’Eglise dans ses jugements intéressant la foi ; c’est que, de paroles ou d’expressions impropres ou défectueuses, peut facilement provenir quelque perversion de la foi. Suni. Iheol., I a, q. XXIX, a. 2 ; IIa-IIæ, q. xi, a. 2.

Saint Bonaventure rend le même témoignage à l’infaillibilité de l'église dans ce qu’elle autorise par son usage général. In IV Sent., l. IV, dist. XVIII, p. II, q. iv, Quaracchi, 1889, t. IV, p. 490. L'Église ne pouvant être trompée ni se tromper dans la concession qu’elle nous fait d’indulgences valables, non seu lement au for externe, mais même devant Dieu, il est donc absolument certain que ces indulgences existent, dist. XX, p. ii, q. ii, p. 532. Pour la même raison, le saint docteur réprouve l’opinion de ceux qui disent que les indulgences n’ont pas toute l’efficacité que l’Eglise leur attribue, car c’est outrager l'Église que de dire qu’elle ment de quelque manière ou qu’elle fait des choses vaines et puériles, dist. XX, p. ii, q. VI, p. 510. Aussi la pratique de l'Église priant pour les défunts prouve que ses suffrages sont efficaces, dist. XLV, a. 2, q. i, p. 943.

Au XIVe siècle, Durand de Saint-Pourçain dit expressément que la croyance que l'Église est régie par le Saint-Esprit, est la première de toutes les vérités que nous devons croire, qu’elle est la raison de croire toutes les autres, et qu’elle est aussi ce en quoi se résout linah’iiient notre foi. In IV Sent., l. IV, dist. XXIV, q. i. On doit particulièrement remarquer, au XVe siècle, les témoignages de Thomas Netter, de saint Antonin et du cardinal Turrecremata. Thomas Netter ouWaldensis († 1130) prouve la foi indéfectible de l'Église catholique particulièrement parla promesse de Jésus-Christ à saint Pierre, Eyo autem rogavi pro le ut non de/icial fides tua, Luc, xxii, 32. Doctrinale antiquitatum /idei Ecclesia cal/iolicse, l. II, c. xix, n. 1, Venise, 1571, t. i, p. 193. C’est surtout par ce que nous appelons aujourd’hui le magistère ordinaire et universel que l'Église nous donne son enseignement infaillible. L'Église réunie dans les conciles même généraux s’est quelquefois trompée ; Netter pense qu’il a été ainsi au concile de Rimini au iv siècle et au concile tenu à Const.uilinople sous l’empereur Justinien. L’infaillibilité est surtout attribuée à l'Église catholique dispersée dans tout l’univers, pourvu que cet enseignement ait été consi.uii et universel, n. 1 sq., 8, p. 193 sq., 197. La coutume el la loi de l'Église sont des moyens d’arriver à la pos session certaine de la vérité, l. II, c. XXIII, n. 7, p. 210.

Saint Antonin de Florence (-J-1459) reproduit, relativement à la canonisation des saints et aux jugements portés par l’Eglise sur des faits particuliers, toutl’enseignement de saint Thomas. Il se réfère aussi à Jean de Naples dont il cite le Quodlibetum XI. Summa llieologica, part. III, tr. XII, C. VIII, Vérone, 1740, p. 541 sq.

Le cardinal Turrecremata († 1168) traite de l’indéfectibilité de l’Eglise dans la foi, en même temps que de son indéfectibilité in sanctilate, doclrina, prmlalione. Parmi les textes scripturaires prouvant cette indéfectibilité d’une manière générale, plusieurs s’appliquent spécialement à l’indéfectibilité dans la foi, notamment, ego autem rogavi pro te ut non deficiat /ides tua, Luc, xxii, 32 ; ut jam non simus pariuli /htcluanles et circumferamur omni vento doctrinse in nequitia hominum, Eph., IV, 1 i ; Ecclesia Deivivi, colutnna et firmamentum verilalis, I Tim., iii, 14. Summa de Ecclesia, l. I, c. xxviii, Rome, 1489, sans pagination. Quant à l’objet de cette infaillibilité, Turrecremata, comme saint Antonin, reproduit l’enseignement de saintThomas. Relativement au jugement porté par plusieurs papes dans l’affaire des ordinations faites par leur prédécesseur Formose, cette simple remarque est ajoutée : In illis qute sunt facti, Ecclesia errare potest ut dicit S. Thomas, l. II, c. xcn.

d) Quatrième période, du commencement du XVI siècle jusqu'à nos jours, période caractérisée surtout par un notable développement théologique portant particulièrement sur l’objet du magistère infaillible de l'Église et sur son mode d’exercice.

Ne pouvant rapporter ici en détail toute cette littérature théologique, nous nous bornerons à indiquer, au moins sommairement, ce qui intéresse particulièrement le mouvement des idées, sur l’objet de l’infaillibilité de l’Kglise et sur la manière dont cette autorité infaillible doit s’exercer.

a. Objet de l’infaillibilité de l’Eglise. — a) Infaillibilité de l'Église relativement à l’objet indirect du dépôt de la fui. — On commence à formuler explicitement, à la fin du xvie siècle, ce principe implicitement contenu dans l’enseignement néo-testamentaire et dans la doctrine traditionnelle, que l’autorité de l'Église s'étend non seulement à ce qui est explicitement ou implicitement, révélé, mais encore à ce que l’on appelle l’objet indirect du dépôt de la foi, c’est-àdire à tout ce qui est nécessaire pour que le dépôt de la foi puisse être défendu avec efficacité ou proposé avec une suffisante autorité. Bannez, In 7/ am ll x, q. xi, a. 2, concl. 1, Venise, 1602, col. 518 sq. ; Grégoire de Valence, Anah/sis /idei cat/iolicx, part. VIII, Ingolstadt, 1583, p. 313 sq. ; de Lugo, De virtute /idei divinse, disp. XX, sect. iii, n. 1Il sq. Depuis le xvii c siècle, cette doctrine est formellement enseignée par les théologiens, et constamment appliquée par l’iiglise dans la condamnation de nombreuses propositions atteignant seulement d’une manière indirecte l’enseignement révélé, comme beaucoup de propositions du Syllahus de Pie IX en 1864. C’est ce que déclare expressément leconciledu Vatican, exigeantque l’on fuienon seulement l’hérésie, mais encore toutes les erreurs qui s’en approchent plus ou inoins : Quoniam vero satisnon est hxreticam pravitatem devitare, nisi ii guoque errores diligentes fugiantur qui ad illam plus minusve accedunt, omnes officii monemus servandi eliam amstituliones et décréta quibus pravæ ejusmodi opiniones quæ islic diserte non enumerantur, ab hac sancta sede proscript se et prohibitæ sunt. Sess. III, c. iv. C’est encore ce qui résulte de la condamnation de la proposition 5° réprouvée comme erronée par le décret du Saint-Office, l.amciilabili sane exitu, du 3 juillet 1907 : Quum in deposito /idei verilales tantum revelatæ conlineantur,

nullo sub respectu ad Ecclesiam pertinet judicium ferre de assertion ibus disciplinarum Jiumanarum.

Observons toutefois que selon les indications fournies à l’article DOGME, la définition ecclésiastique déclarant infailliblement que telles vérités appartiennent réellement au dépôt indirect de la foi, n’en change aucunement la nature intime, et ne peut par conséquent suffire pour que celles-ci soient rangées parmi les vérités révélées.

P) Infaillibilité de l'Église dans ses lois universelles. — On formule non moins explicitement cette proposition, que l'Église est infaillible dans les lois qu’elle établit pour tous les fidèles. Cano († 1560) est le premier à exprimer ce principe, implicitement admis par les théologiens du moyen âge et par les Pères, d’après les preuves précédemment citées. Il affirme positivement que l’autorité de l’Eglise est infaillible dans les lois qu’elle établit pour tout le peuple chrétien, du moins in re gravi et quæ ad cliristianos mores formandos apprime conducat. De locis llieol., l. V, Opéra, Venise, 1759, p. 138. Certaines lois peuvent manquer de prudence et de mesure ; de même tout ce ; qui concerne les pénalités ecclésiastiques, les censures, les excommunications, les suspenses, les irrégularités et les interdits, n’est pas digne d’approbation. Mais tout ce qui, dans les préceptes, les décisions et les sanctions des souverains pontifes et des conciles, contribue véritablement à former la vie chrétienne des fidèles, est l’objet de l’infaillibilité de l'Église, en ce sens que l'Église ne peut, en cela, rien commander qui soit contraire à la doctrine de JésusChrist ou à l’enseignement de la raison. Cependant, l’auteur n’ose définir s’il y aurait hérésie à affirmer que quelque coutume de l'Église est mauvaise, ou que quelqu’une de ses lois est injuste, p. 138. Toutefois en ce qui ne concerne point la conduite de toule l'Église, mais seulement celle d’hommes particuliers ou d'Églises particulières, l'Église peut errer par ignorance, non seulement dans le jugement qu’elle porte sur les choses passées, mais aussi dans ses prescriptions ou lois particulières, parce que, dans ces cas, elle s’appuie sur des témoignages faillibles qui ne peuvent toujours suffire pour L’abriter contre toute erreur, p. 139.

Bannez († 1604) reproduit, sur ce point, l’enseignement de Cano, avec cette seule modification qu'à son jugement celui qui affirmerait que quelque coutume de l'Église est mauvaise, ou que quelqu’une de ses lois est injuste, doit ôlre certainement considéré comme hérétique, s’il accuse positivement l'Église d’erreur en une matière nécessaire au salut, sinon il serait seulement sapiens liseresim. In 7/ am II*, q. i, a. 10, Venise, 1602, col. I il sq.

Suarez († 1617) affirme expressément l’infaillibilité de l'Église (dans l’espèce il parle seulement de l’infaillibilité du pape) in pneceptis seu rebits moralibus quas tradit vel approbat pro uuiversa Ecclesia. De fide, disp. V, sect. VIII, n. 7. Ce qu’il entend uniquement de l’honnêteté et de la rectitude morale, en ce sens que l'Église ne peut approuver comme honnêtes des choses mauvaises, ni condamner comme mauvaises des choses honnêtes. Mais, en ce qui est seulement circonstance accidentelle de la législation ecclésiastique, comme la multiplication excessive des lois, leur rigueur trop grande ou leurs pénalités trop sévères, il n’y a point d’inconvénient à admettre quelque défaut humain, qui n’est point opposé à la sainteté de l'Église. Loc. cit. Aussi, voulant prouver, dans son traité des lois, que le pouvoir d'établir des lois, obligeant l’r.glise entière, ne peut point être délégué, Suarez s’appuie sur ce que les lois ecclésiastiques, obligatoires pour toute l'Église, doivent procéder d’un pouvoir qui ne peut errer en ce qui concerne la morale, et qu’un tel pouvoir dépendant de la direction spéciale du Saint Esprit promise au pape seul, n’est point susceptible de délégation. De legibus, l. IV, c. vi, n. 22.

L’enseignement de Suarez est dès lors communément suivi par les théologiens. Sylvius, op. cit., p. 335 sq. ; A. Barbosa († 1649), Juris ecclesiastici universi, l. I, c. ii, n. 40 sq., Lyon, 1645, p. 32 ; Jean de Saint-Thomas, Tractatus de auctoritate summi pontificis, disp. III, a. 3, Cursus théologiens, Paris, 1883, t. vii, p. 308 sq. ; Libère de Jésus, op. cit., t. v, p. 610 sq. ; llenno, op. cit., t. i, p. 315 ; Tournely, op. cit., t. i, p. 428 sq. ; Billuart, Tractatus de regulis fidei, diss. III, a. 5 ; Murray, op. cit., t. iii, p. 251 sq. ; Hurter, op. cit., t. i, p. 271 ; Wilmers, op. cit., p. 472 ; de Groot, op. cit., p. 293 ; Pesch, op. cit., p. 358 sq. ; Bouquillon, Tlœologia moralis fundamenlalis, 3e édit., Bruges, 1903, p. 57.

y) Infaillibilité de l'Église relativement à la canonisation des saints. — Depuis la fin du XIIIe jusqu’au commencement du xvi 6 siècle, les théologiens avaient communément adopté, sur ce point, la formule de saint Thomas. Au xvie siècle, Melchior Cano, tout en admettant que les jugements ecclésiastiques, en cette matière, reposent sur des témoignages en eux-mêmes faillibles, s’efforce surtout de montrer qu’il y aurait témérité, imprudence et irréligion à rejeter les décisions de l'Église sur ce point. Ce serait l’accuser d’erreur en ce qui concerne la conduite des fidèles, contrairement aux promesses de Jésus-Christ. D’ailleurs, aucun cas de faux témoignage ne pouvant être relevé dans tout un ensemble de faits de ce genre, on doit admettre que c’est une preuve d’une providence toute spéciale, préservant l’Eglise d’erreur en cette matière. De locis t/ieolog., l. V, c. v, p. 139 sq.

Bannez reproduit l’enseignement de saint Thomas et de Cano, en ajoutant qu’il est très téméraire, scandaleux et proche de l’hérésie, d’affirmer que ie pape ou un concile général puisse errer, même pour la canonisation d’un seul saint. Ce qu’il prouve par l’autorité du concile de Constance et de Martin V, condamnant la proposition 44" de AYicleff : Augustinus. BenedicttM et Uernardus damnati sunt, ttisi psenituerint de hoc quod habuerunt possessiones et instituerait et inlraverunt religiones, Denzinger-Rannwart, Encliiridion, n. 624 ; par l’infaillibilité certaine de l’Eglise d ; ms toutes les lois concernant le bien moral de toute l'Église et par les graves dommages qui résulteraient pour l'Église de la négation de cette infaillibilité. In 7/ am II*, q. I, a. 3, Venise, 1602, col. 147 sq.

Grégoire de Valence, en soutenant la même doctrine, va jusqu'à affirmer que l’on doit croire, d’une foi certaine, que les témoignages attestant la sainteté d’un serviteur de Dieu canonisé par le pape, sont vrais, et que cet homme est du nombre de ceux que les révélations de l’rxriture nous montrent comme obtenant, avec le secours de la grâce divine, le bonheur de la vie éternelle. Analysis fidei catltolicse, part. VIII, Ingolstadt, 1585, p. 314 sq.

Bellarmin, en reproduisant l’opinion de Cano, affirme simplement qu’il est certain que l'Église ne se trompe point dans la canonisation des saints, de telle sorte que les saints, canonisés par elle, peuvent être vénérés sans aucun doute. Controv., De sanctorum bealitudine, l. I, c. ix, Lyon, 1601, t. i, col. 1452 sq. Suarez s’exprime de même. Il ajoute formellement que cette doctrine n’est point de foi, mais qu’elle est assez certaine et que la proposition contraire est impie et téméraire. De fide, disp. V, sect. viii, n. 8. Les preuves dont l'Église se sert pour constater la sainteté de ceux qu’elle canonise, avec l’appoint fourni par l’assistance du Saint-Esprit, donnent une certitude excluant tout doute prudent. Defensio fidei catliolicæ, l. II, c. ix, n. 10. Sylvius, en reproduisant tous les arguments prouvant en cette matière l’infaillibilité de

L'Église, obsrrve aussi que cette proposition n’est point de foi, mais qu’elle est tellement certaine que la nier serait scandaleux, téméraire et proche de l’hérésie. Controv., 1. IV, q. ii, a. 14, concl. 2, Anvers, 1698, p. 337 sq.

Cet enseignement est dès lors communément suivi par les théologiens. Sylvius, op. cit., p. 336 sq. ; A. Barbosa, op. cit., t. I, p. 33 ; Jean de Saint-Thomas, op. cit., p. '293 sq. ; Salmanticenses, Cursus théologiens, tr. XVII, De fide, disp. IV, dub. il, n. 46, Paris, 1879, t. xi, p. 275 ; Libère de Jésus, op. cit., t. V, col. 627 sq. ; Henno, op. cit., p. 315 sq. ; Tournely, op. cit., t. i, p. 432 sq. ; Benoît XIV, De servorum Dei lieatificatione et beatorum canonizalione, 1. I, c. xlv, , ('dit., Rome, 1747, t. I, p. î-46 sq. ; Billuarl, Traclatus de regulis fidei, diss. III, a. 8 ; Murray, op. cit., t. iii, p. 312 sq. ; Mazzella, op. cit., p. 617 sq. ; Ilurter, op. cit., p. 271 sq. ; Billot, op. cit., p. 424 sq. ; Wilmers, op. cit., p. 469 sq. ; de Groot, op. cit., p. 298 sq. ; Pesch, op. cit., p. 371 sq. Voir CANONISATION DES SAINTS, t. iii, col. 1640 sq.

I) Infaillibilité de l'Église dans l’approbation des ordres religieux. — Cano affirme, non sans quelque hardiesse, que l’approbation ou la désapprobation des ordres religieux, ne relevant point seulement de la science, mais aussi de la vertu de prudence, n’est point une de ces choses dans lesquelles le souverain pontife ne peut errer. Les privilèges, conférés en cette matière par le saint-siège, ne sont point des jugements certains qui obligent tous les fidèles ; ils montrent seulement l’opinion des papes, tout comme les lettres décrétâtes dont quelques-unes ont été, après une meilleure délibération, réfutées par dis leltres subséquentes. De locis l/ieot., 1. V, c. v, Opéra, Venise, 1759, p. 140.

Bannez, au contraire, enseigne comme vérité certaine, que l’on ne pourrait nier sans hérésie que le souverain ponlife ne peut errer dans l’approbation qu’il donne à un ordre religieux, du moins en ce qui concerne la doctrine, et en ce sens que des constitutions religieuses ainsi approuvées ne peuvent rien contenir qui soit opposé à la doctrine évangélique, ou à l’enseignement de la foi ou à la droite raison. In 11™ II*, q. i, a. 10, Venise, 1602, col. 148 sq. Cependant il peut se faire que le souverain ponlife, par négligence ou par ignorance ou par suite de faux renseignements, manque, en quelque manière, de prudence en approuvant ou en confirmant plus d’ordres religieux que ne l’exigent les besoins de l'église. Toutefois cette erreur ne peut nuire à l'Église universelle, bien qu’elle soit nuisible à quelques individus, col. 149.

Grégoire de Valence enseigne également que le pape ne peut se Irompcr, en approuvant un ordre religieux comme conforme à la perfection évangélique. Anah/sis fidei calholicæ, part. VIII, Ingolstadt, 1585, p. 315. Ce ! auteur affirme même que le pape ne peut manquer de prudence, à ce point qu’il approuve un ordre que, selon toutes les circonstances, il aurait du rejeter. Ce serait imposer à l'église entière une chose qui ne serait point pour son édification, mais pour sa destruction ; ce que le pape ne peut faire. Cependant comme les circonstances de temps, de personnes et de choses changent fréquemment, il peut se faire qu’un ordre, d’abord prudemment approuvé, soit ensuite prudemment rejeté, p. 316.

Suarez enseigne, comme Grégoire de Valence cl Bannez, que le pape est infaillible dans le jugement qu’il porte sur tel ordre, comme capable de conduire véritablement à la perfection. Cette assertion est principalement appuyée sur ce que le pape ne peut induire les fidèles en erreur, en une telle manière qui concerne gravement leur conduite morale, ou leur ache minement effectif vers la perfection. De fide, disp. V' sect. viii, n. 9 ; De religione, tr. VII, 1. II, c. xvii, n. 17. Comme Bannez et contrairement à Grégoire de Valence, Suarez admet que les jugements du pape peuvent n'être pas infaillibles en ce qui concerne l’utilité ou l’opportunité d’un ordre. Mais il estime qu’il y aurait témérité à affirmer en fait une telle erreur, à moins qu’elle ne soit manifestement prouvée. Quant aux assertions de Cano en cetle matière, il les juge d’une sévérité excessive. Al hic gravissimus excessus est, ne quid majus dicam. De religione, tr. VII, 1. II, c. xviii, n. 22.

La doctrine de Bannez et de Suarez est dès lors communément suivie par les théologiens. Sylvius, op. cit., p. 339 sq. ; Jean de Saint-Thomas, op. cit., p. 311 ; Tournely, op. cit., t. i, p. 433 sq. ; Murray, op. cit., t. iii, p. 320 sq. ; Mazzella, op. cit., p. 018 ; Ilurter, op. cit., p. 271 ; de Groot, op. cit., p. 303 sq. ; Wilmers, op. cit., p. 474 sq. ; Pesch, op. cit., p. 370.

s. Infaillibilité de l'Église relativement aux faits dogmatiques. — Les faits et les documents précédemment cités montrent que, jusqu’au XVIe siècle, on avait pratiquement admis l’infaillibilité de l'Église, dans les jugements du magistère ecclésiastique concernant des faits dont la vérité est intimement liée avec la défense ou l’explication d’un dogme révélé, comme la légitimité' des conciles œcuméniques reconnus par l'Église, et le caractère hérétique des doctrines ou des ouvrages réprouvés comme hérétiques par les définitions ou décisions de l’Eglise.

En même temps, l’on reconnaissait avec saint Thomas, dont le texte a été précédemment cité, Quodlibet., IX, a. 16, que l'Église ou le saint-siège n’est point infaillible dans les jugements portés sur des faits particuliers, n’intéressant point la foi et dépendant uniquement de l’information et du témoignage des hommes. Nous avons cité, en ce sens, l’appréciation du cardinal Turrecremata sur le jugement de plusieurs papes, concernant les ordinations faites par leur prédécesseur Formose.

Au xvie siècle, l’attitude des théologiens reste la même, comme on peut particulièrement le constater chez Bellarmin. Le savant controversiste admet l’infaillibilité des jugements de l’Eglise sur la légitimité des conciles approuvés par elle et sur l’authenticité de leurs décrets, Controv., Desacramentis in génère, 1. II, c. xxv, Lyon, 1699, t. ii, col. 175, et sur le fait que tel saint canonisé jouit certainement de la gloire du ciel. De sanctorum bealitudine, 1. I, c. IX, t. I, col. 1452 sq. En même temps Bellarmin reconnaît que les papes r.tienne VI et Sergius III ont erré sur le fait de la validité des ordinations de leur prédécesseur Formose, qu’ils ne considéraient point comme pape légitime. De romano pontifi.ee, 1. IV, c. xiii, col. 747.

Bellarmin admet également que les Pères du VIe concile œcuménique ont pu se tromper sur le fait de l’héréticité personnelle du pape llonorius, si toutefois il est vrai que ce passage des actes du concile soit réellement authentique. De romano ponlifice, I. IV, c. xi, col. 743.

Sans doute, sur cette question des faits dogmatiques, l’on ne rencontre pas, chez Bellarmin, la précision des théologiens postérieurs à la controverse du xviie siècle ; mais, en dehors de ce défaut de terminologie, sa doctrine est bien orthodoxe. De la Servière, La théologie de Bellarmin, Paris, 1908, p. 121 sq. Aussi nous croyons qu’il est inexact de citer Bellarmin, ainsi que le fait M. Turmel, Histoire île la théologie positive du concile de Trente au concile du Vatican, Paris, 1906, p. 80, comme affirmant, sans distinction ni restriction, que l'Église peut errer dans les questions de fait.

Au xviie siècle, à l’occasion de la condamnation portée par Innocent X, le 31 mai 1653, contre cinq propositions extraites de VAuguslinus de Jansénius, la

question doctrinale de l’infaillibilité de l'Église, relativement aux faits dogmatiques, fut posée différemment, du moins en France.

Établissant une distinction entre l’enseignement doctrinal de l’Eglise relativement à ces cinq propositions justement condamnées, et le jugement de fait que ces propositions étaient réellement contenues dans Y Auguslinus de Jansénius, les jansénistes admettaient l’infaillibilité de l'Église sur le premier point et la rejetaient sur le second, sous ce prétexte que cette question de fait, n’appartenant point au domaine de la révélation, ne relève aucunement du magistère ecclésiastique. Ils prétendaient, d’ailleurs, s’appuyer sur ce que les tbéologiens avaient antérieurement affirmé, d’une manière assez habituelle, la faillibilité des jugements de l'Église sur des questions de fait, en omettant d’ailleurs les distinctions ou restrictions faites par ces théologiens, ou existant certainement dans leur intention, sans qu’elles fussent positivement énoncées. L’histoire de cette grave controverse devant être exposée à l’art. Jansénisme, il nous suffira de donner ici quelques indications sur les principaux documents ecclésiastiques en cette matière et sur l’attitude des théologiens catholiques.

Dès le 16 octobre 1656, Alexandre VII déclare et définit expressément que les cinq propositions extraites du livre de Jansénius intitulé : Auguslinus ont été condamnées in sensu ab eodern Cornelio intenta. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1098. Et le 15 février I661, ce même pape impose aux jansénistes l’obligation stricte de souscrire à un formulaire de soumission, exprimant une entière adhésion aux constitutions précitées d’Innocent X et d’Alexandre VII, et une réprobation formelle, sincero animo et sous la foi du serment, des cinq propositions de Jansénius, in sensu ab eodem auctore intento, n. 1091).

Quelques évêques s'étant permis de faire des additions à ce formulaire pontifical, Innocent XII, le 6 février 1694, après avoir confirmé les définitions d’Innocent X et d’Alexandre VII, interdit strictement toute addition au formulaire et enjoignit de l’entendre in sensu obvio, n. 1099. Enfin Clément XI, par la constitution apostolique Vineam Domini du 16 juillet 1705, déclara expressément que l’obéissance due aux constitutions du saint-siège ne comprenait pas seulement un silence obséquieux, mais que le sens condamné dans les cinq propositions du livre de Jansénius, tel qu’il ressort naturellement des paroles employées, doit être rejeté et condamné par tous les fidèles comme hérétique, non seulement de bouche mais encore de cœur, et qu’il n’est point permis de souscrire au dit formulaire alia mente, animo aul credulitate, et que ceux qui penseraient, prêcheraient, écriraient, enseigneraient ou affirmeraient diversement ou contrairement à tout ceci, seraient, comme transgresseurs des dites constitutions apostoliques, soumis à toutes les censures portées par ces constitutions, n. 1350, ce que confirma encore Pie VI par la bulle Auctorem fidei du 28 août 1794, qui réprouvait les prétentions du conciliabule janséniste de Pistoie, affirmant, relativement à la paix dite de Clément IX, que ce pape avait permis de se servir de la distinction entre le droit et le fait, pour souscrire au formulaire d’Alexandre VII, n. 1513 sq.

De leur côté, les théologiens catholiques combattaient vaillamment la thèse janséniste et réfutaient les arguments sur lesquels on prétendait l’appuyer. C’est ce que fit Bossuet en 1665, dans sa Lettre à la révérende mire abbesse et aux religieuses de Port-Royal, écrite sur la demande de l’archevêque de Paris, Hardouin de Péréfixe. Bossuet insista surtout sur la pratique de l’ancienne Église, condamnant les doctrines et les écrits des hérétiques, en même temps qu’elle enseignait la foi véritable, et exigeant la soumission à ces condam I nations qu’elle insérait dans ses professions de foi, | comme dans celle du pape saint llormisdas, et à tel point qu’elle refusai ! sa communion à ceux qui, emJ brassant sa foi, se refusaient à souscrire à ses jugements concernant les faits décidés. Œuvres, Paris, 1836, j t. xi, p. 648 sq. On doit toutefois reconnaître qu’au | jugement de ï'évéque de Meaux, les sentences de l’Eglise, en ce qui touche les faits, ne sont pas tenues infaillibles. Mais c’est une vertu chrétienne et religieuse de soumettre et d’anéantir son jugement propre, même hors des cas de vérités révélées, surtout dans les choses qu’on ne sait pas, el desquelles on n’a nulle obligation de prendre aucune connaissance. D’ailleurs, il est certain et indubitable qu’au-dessous de la foi théologale il y a un second degré de soumission et de créance pieuse, qui peut être souvent appuyée sur une si grande autorité qu’on ne peut la refuser sans une rébellion manifeste, p. 658. Bossuet voulait compléter sa démonstration dans un ouvrage plus étendu, que la mort l’empêcha de terminer. Ce qui nous est parvenu sous le titre d’Autorité des jugements ecclésiastiques n’est qu’un simple canevas, où l’auteur énumère vingtquatre exemples de cas où l'Église s’e*t prononcée avec autorité sur des faits, bien qu’ils ne soient pas révélés de Dieu, et a rigoureusement exigé la soumission des fidèles à ces jugements, p. 665 sq.

Ce que Bossuet n’avait fait que commencer, Fénelon l’accomplit avec une telle perfection, que les théologiens subséquents n’ont guère fait qu’utiliser ses matériaux. Ses principaux écrits en cette matière sont : quatre Instructions pastorales publiées en 1704 et 1705, Œuvres complètes, Paris, 185-2, t. iii, p. 573 ; t. IV, p. 5 sq., 96 sq., 261 sq. ; deux Lettres à l'évêque île Meaux, p. 338 sq., 357 sq. ; deux Lettres à l'évêque de Saint-Pons, p. 392 sq., 412 sq. ; sa Lettre sur l’ordonnance du cardinal de Noailles du 22 février 1103 eo)ttre le cas de conscience, p. 160 sq. ; son Instruction pastorale, du Ie ' mars 1706 pour la publication de la constitution Vineam Domini de Clément XI, p. 488 sq. ; une Lettre ù un évêque sur le mandement de M. de Saint-Pons, p. 520 sq. ; deux Lettres à Quesnel, p. 549 sq., 582 sq. ; trois Lettres contre un nouveau système sur le silence respectueux, p. 607 sq., 622 sq., 640 sq. ; une Instruction pastorale du l « > juillet 1708 sur le livre intitulé : Justification du silence respectueux, t. v, p. Lsq. ; une Lettre sur l’infaillibilité de l'Église louchant les textes dogmatiques, p. 109 sq. ; et deux Mandements pour l’acceptation de la constitution Unigeuitiis, p. 131 sq., 163 sq.

Dans ces divers écrits, Eenelon, à rencontre de Bossuet, revendiqua nettement l’infaillibilité de l'Église dans les jugements qu’elle porte sur les faits dogmatiques. Il appuya cetle revendication tout d’abord sur la mission donnée par Jésus-Christ à son Église. Matth., xxviii, 19 sq. Il est manifeste que le corps des pasteurs ne peut enseigner toutes les nations, qu’en remplissant les deux fonctions essentielles que saint Paul leur marque, qui sont de garder la forme des paroles saines, II Tim., i, 13, et d'éviter la nouveauté profane de paroles. ITim., vi, 20. C’est par ces deux fonctions indivisibles, que l'Église enseigne tous les jours toutes les nations, et elle ne pourrait manquer ni à l’une ni à l’autre, sans violer le dépôt. Si elle manquait à discerner la forme saine d’avec la nouveauté profane de paroles, elle pourrait donner l’une pour l’autre à ses enfants. Alors loin d’enseigner tous les jours toutes les nations, elle les induirait toutes en erreur. En se trompant sur la signification propre des termes, elle les tromperait inévitablement pour le fond des dogmes. Instruction pastorale du 10 février 1704, Œuvres complètes, t. iii, p. 579 sq. ; Instruction pastorale du 2 mars 1705, t. iv, p. 16 sq. ; Deuxième lettre à l'évêque de Meaux, t. iv, p. 358 ; Lettre sur

l’infaillibilité de l'Église louchant les faits dogmatiques, t. V, p. 108 sq.

Cette infaillibilité de l'Église, dans ses jugements sur les faits dogmatiques, est encore prouvée par la pratique constante de l'Église. Car l'Église a fait pour son infaillibilité sur les textes dogmatiques, précisément comme elle a fait pour son infaillibilité sur lesdogmes. En vain les protestants lui ont contesté son infaillibilité sur les dogmes, elle n’a jamais fait jusqu’ici aucun symbole, aucun canon, aucun décret équivalent, pour établir en termes formels et expressément cette autorité infaillible. Elle s’est contentée de la supposer et de l’exercer, en condamnant tous ceux qui refusaient de s’y soumettre sans réserve. De même le parti de.Jansénius lui conteste en vain son infaillibilité sur les textes dogmatiques. Elle n’a fait jusqu’ici ni symbole, ni canon, ni décret équivalent, pour établir en termes formels et expressément cette autorité infaillible ; mais elle ne cesse point de la supposer et de l’exercer manifestement dans la pratique. Deuxième lettre à l'évêque de M eaux, t. iv, p. 358.

Cette pratique de l’Eglise est particulièrement prouvée par plusieurs faits dont l'éclaircissement, au jugement de l’auteur, emporte la tradition tout entière. Les principaux faits cités dans les premiers siècles sont : la désapprobation formelle donnée au concile de Kimini, qui s'était trompé uniquement sur une question de fait ; l’obligation imposée par le concile de Chalcédoine à Tbéodoret, à Jean d’Antioche et aux autres Orientaux d’anathématiser Nestorius, l’orthodoxie sur le reste n'étant point considérée comme suffisante ; dans la controverse des Trois Chapitres, l’infaillibilité universellement attribuée aux décrets du concile de Chalcédoine relativement aux écrits soumis à son jugement ; le droit que s’attribue le cinquième concile et qui lui est universellement reconnu de juger infailliblement les textes désignés sous le nom de Trois Chapitres. Instruction pastorale du l" r juillet 1708, t. v, p. 51 sq. Les mêmes faits prouvent que cette infaillibilité de l’iiglise doit être admise pour le jugement porté par elle sur de longs textes. Instruction pastorale du 10 février 1704, t. iii, p. 577 sq.

A cette autorité infaillible est due une véritable soumission intérieure, pour laquelle un simple silence respectueux, comportant seulement une non-résistance extérieure, ne peut suflire. Instruction pastorale du 2 mars 1705, t. iv, p. 70 sq. ; Iïéponse à la deuxième lettre de l'évêque de Saint-Pons, p. 415 sq. ; Ordonnance et instruction pastorale du 1 er mars 1706, p. 495 sq. ; Lettre à un évoque sur le mandement de M. de Saint-Pons, p. 525 sq. Cette soumission véritable de l’intelligence, quand il s’agit de la condamnation d’un écrit, ou de propositions comme celles de Jansénius, doit avoir pour objet la réprobation de ces propositions, non au sens personnel de l’auteur quand celui-ci est différent du sens propre et naturel du texte, mais uniquement dans le sens propre et naturel du texte. Le sens personnel de l’auteur, quand il est tout seul dans l’esprit de l’auteur et qu’il est détaché de tout texte qui l’exprime naturellement au dehors, n’est qu’une pensée intérieure et secrète qui n’a rien de contagieux pour les peuples. Alors c’est un fait non seulement personnel, particulier, indifférent à la conservation du dépôt de la foi et au salut des peuples en général, mais encore intérieur et impénétrable. C’est le secret des consciences, réservé à Dieu seul qui en est le scrutateur. Mais le sens propre et naturel d’un texte, qui est, par l’institution des paroles et par l’usage de la langue, comme inséparable du texte, est porté par le texte même dans l’esprit de tous ceux qui le lisent ou qui l'écoutent. Quoique l'Église n’ait aucun besoin d’infaillibilité sur le sens personnel des auteurs détaché de tout texte, et que le dépôt de la foi

se trouve en pleine sûreté avec le salut des peuples en général, malgré ce sens personnel d’un auteur hérétique, il n’en est pas moins évident qu’elle a besoin de ne se tromper jamais dans le discernement du sens propre et naturel des textes considérés en eux-mêmes, parce que c’est ce sens qui passe, avec les paroles du texte, dans l’esprit des lecteurs et qui par conséquent conserve ou corrompt leur foi. C’est ce sens qui est naturellement lié avec le texte et qui sort, pour ainsi dire, des paroles mêmes, pour vivifier ou pour empoisonner les lecteurs. Instruction pastorale du 2 mars 1705, t. iv, p. 75.

Il est très assuré que l’infaillibilité garantie à l'Église, par son divin fondateur, dans le discernement de chaque texte qui conserve ou qui corrompt le dépôt, et entre autres du texte de Jansénius, est une vérité révélée. Instruction pastorale du 10 février 1704, p. 610. Mais l’héréticité de chaque texte, dépendant des règles de la grammaire et de la signification des termes, n’est point une vérité révélée, si elle est prise en ellemême ; elle ne tient à la révélation que par l’infaillibilité garantie à l’Eglise. Instruction pastorale du 2 mars 1705, t. iv, p. 90. Quant à savoir si l’acte par lequel on adhère à l’héréticité d’un texte parce qu’elle est enseignée par l'Église, est ou non un acte de foi divine, l’archevêque de Cambrai ne le décide point, toute la question, dit-il, devant être traitée indépendamment de ce point, p. 91.

Relativement à l’opinion de saint Thomas et des théologiens précédemment indiqués, sur la faillibilité des jugements de l'Église concernant des faits particuliers, Fénelon observe que ces faits particuliers, tels que possessions justes ou injustes, crimes ou choses semblables, sont très différents de l’héréticité des textes qui corrompraient le dogme de la foi, si l'Église manquait de les interpréter et de les condamner dans leur sens véritable. D’ailleurs, si quelques-uns d’entre eux, en très petit nombre, pressés par les difficultés qu’ils s’efforçaient de vaincre sur d’autres matières, et n’examinant pas alors la question présente dans toute son étendue, n’ont pas assez nettement distingué les faits personnels et indifférents au dogme, d’avec les faits dogmatiques des textes qui rentrent dans le droit, on ne doit point être étonné de ce défaut de précaution. Les meilleurs auteurs peuvent ne pas parler, avec exactitude, d’un point de doctrine, quand ce point n’a jamais été éclairci par aucune dispute, surtout quand ils n’en parlent qu’en passant, à la hâte, et par rapport à d’autres points qui les occupent alors uniquement. Ces théologiens n’ont point aperçu les conséquences qu’on veut maintenant tirer de leurs expressions. Tous leurs principes tendent évidemment à établir, en vertu des promesses, l’autorité infaillible de l’Eglise pour juger des textes qui affirment ou qui nient le dogme révélé, parce que l'Église ne peut juger du sens qu’en jugeant des paroles. Toutes les preuves qu’ils donnent de cette autorité infaillible, ne peuvent avoir aucun sens réel qu’en leur donnant cette étendue. Instruction pastorale du 10 février 1704, t. iii, p. 633 sq. Les arguments et les explications de Fénelon furent largement utilisés par les théologiens subséquents qui ne firent guère que compléter ses réponses aux diverses objections. Ilenno, op. cit., p. 312 sq. ; Tournely, op. cit., t. il, p. 466 sq. ; liilluart, Traclatus de regulis fidei, diss. III, a. 7 ; Régnier ([- 1790), De Ecclesia Clirisli, part. 1, sect. iv, c. II, dans le Cursus complétas tlteologix de Migne, Paris, 1838, t. iv, p. 655 sq. ; Perrone, De locis theologicis, part. I, sect. i, c. iv, a. 2, prop. 2, o)>. cit., t. viii, p. 255 sq. ; Murray, op. cit., t. iii, p. 265 sq. ; Mazzella, op. cit., p. 620 sq. ; Hurler, op. cit., p. 272 sq. ; Wilmers, op. cit., p. 464 sq. ; de Groot, op. cit., p. 283 sq. ; I’esch, op. cit., p. 366 sq. ; Billot, op. cit., p. 420 sq.

b. Mode d’exercice du magistère ecclésiastique, en dehors du magistère du pape dont on parlera ultérieurement. — a) Quant aux définitions solennelles des conciles. — Jusqu’au xve siècle, les théologiens ou auteurs ecclésiastiques n’avaient guère fait que constater l’infaillibilité des conciles dans leurs définitions solennelles sans en faire l’objet d’aucune étude doctrinale. Au XVe siècle, à l’occasion de la controverse relative à la prétendue supériorité du concile sur le pape, voir Conciles, t. iii, col. 064, on avait montré que bien qu’un concile puisse avoir autorité pour déposer un pape, surtout quand il est incertain, il ne peut jamais jouir d’une autorité infaillible en matière de doctrine, quand il se tient sans le pape, ou quand il n’est pas approuvé par lui.

Au xvie siècle, la même doctrine se rencontre, avec plus de développements théologiques ethistoriques, chez le cardinal Cajetan, Opuscula, t. i, tr. II, p. il, c. xxi, Lyon, 1588, p. 44 ; Cano, De locis theologicis, l. IV, c. iv, Opéra, Venise, 1759, p. 123 ; Grégoire de Valence, Analysis jidei cat/iolicx, part. VIII, Ingolstadt, 1585, p. iOO sq., et Bellarmin, Controv., De conciliis, I. II, c. XI, Lyon, "1601, t. i, col. 891sq. Bellarmin examinant particulièrement si les décrets doctrinaux des conciles généraux sont infaillibles, avant d'être confirmés par le pape, distingue quatre cas. Les trois premiers qui ne comportent point l’infaillibilité doctrinale sont les suivants : quand les Pères du concile définissent contrairement à l’avis des légats pontificaux présidant le concile, quand ils définissent au gré des légats, mais contrairpment aux instructions pontificales données aux légats, enfin quand les membres du concile définissent avec l’approbation des légats, mais sans instructions certaines du pape. Dans ces trois cas, la noninfaillibilité du concile est évidente, puisque le concile ne peut être infaillible qu’autant qu’il est universel et représente toute l'Église ; et que cette dernière condition est réalisée seulement par l’approbation que donne le pape, approbation qui, dans la circonstance, n’existe point. C’est aussi ce que prouvent plusieurs faits historiques mentionnés par le savant controversiste. Quant au quatrième cas, où les membres du concile définissent conjointement avec les légats et selon les instructions certaines du pape, l’infaillibilité du concile est indiscutable, puisque c’est, en réalité, le jugement de toute l’Eglise et un jugement définitif d’après la volonté certaine du pape, col. 895 sq.

Cet enseignement de Bellarmin est communément suivi par les théologiens postérieurs. Suarez, De fide, disp. V, sect. vu ; Sylvius, Controv., l. V, q. ii, Opéra' Anvers, 1698, t. v, p. 365 sq. ; Gonet, De virtutibus theologicis, disp. V, a. 1, n. 1 sq., Clypeus théologies tliomislicæ, Anvers, 1744, t. iv, p. 268 sq. ; Henno, op. cit., p. 316 ; Libère de.lésus, op. cit., t. v, col. 766sq. ; Tournely, op. cit., t. i, p. 376 sq. ; Billuart, Traclatus de regulis fidei, diss. V, a.4 : Gotti, T/ieologiascholaslico. dogmatica, tr. I, q. iii, dub. v, n. 1 sq., Venise, 1750, t. i, p. 52 sq. ; Bégnier, op. cit., Cursus complétas ll/eologise de Migne, t. iv, p. 551 sq. ; Murray, op. cit., t. iii, p.l83sq. ; Berthier, De locis tkeologicis, Turin, 1888, p. 322 sq. ; llurter, op. cit., p. 265 sq. ; de Groot, op. cit., p. 423 sq. ; Wilmers, op. cit., p. 392 sq. ; Pesch, op. cit., p. 29't sq. ; Billot, op. cit., p. 718 sq.

P) Quanta l’enseignement infaillible provenant du magistère ecclésiastique ordinaire et universel. — L’existence de cet enseignement infaillible avait toujours été admise dans l'Église. C’est ce que démontre particulièrement la manière dont beaucoup d’erreurs furent condamnées, au cours des siècles, sans définition formelle, par le simple fait qu’elles étaient jugées contraires à l’enseignement ordinaire de l'Église universelle. Ce fut l’argument particulièrement employé au ue siècle par Irénée et ïertullien contre les erreurs

gnostiques, et au ive siècle par le pape saint Sirice, Epist., vii, P. h., t. XIII, col. 1168, etpar saint Ambroise, Epist., LU, n. 14, P. L., t. xvi, col. 1128, contre l’erreur de Jovinien. C’est aussi de cette manière que fut approuvé le symbole dit de saint Athanase, universellement considéré comme jouissant dans l'Église d’une autorité irréfragable. L’existence du magistère ordinaire et universel est encore démontrée, d’après tous les témoignages précités, par la croyance constante et universelle à l’infaillibilité de l'Église, enseignant tacitement ou implicitement, par sa discipline et par sa pratique générale, les doctrines qui ont, avec celles-ci, une connexion évidente et nécessaire. Toutefois, la nature de ce même enseignement ne fut, de la part des théologiens, l’objet d’aucune étude spéciale jusqu’au bref de Pie IX du 21 décembre 1863 à l’archevêque de Munich, et même jusqu’au concile du Vatican. Pie IX, dans ce bref, déclarait expressément que, même en ce qui concerne les matières de foi, la soumission strictement due ne doit pas être restreinte à ce qui est défini par les décrets exprès des conciles œcuméniques ou des souverains pontifes, mais qu’elle doit encore être étendue à ce que le magistère ordinaire de toute l'Église dispersée dans l’univers entier, propose comme divinement révélé, et que le consentement universel et constant des théologiens catholiques tient, en conséquence, comme appartenant à la foi. DenzingerBannwart, Enchiridion, n. 1683. Enseignement formellement exprimé par le concile du Vatican dans ce passage : Porro fide divina et cat/iolica ea omnia credenda sunt qu.se. in verbo Dei scripto vrl tradito continentur et ab Ecclesia sive solenini judicio sive ordinario et universali magisterio tanguant divinitus revelata credenda proponuntur. Sess. 111, c. ni, Enchiridion, n. 1792.

Cette déclaration du concile eut pour conséquence d’attirer particulièrement sur ce point l’attention des théologiens, qui fournirent des explications plus coinpietés sur la manière dont l’enseignement du magistère ordinaire et universel est donné, et sur les conditions requises pour son infaillibilité. A. Vacant, Le magistère ordinaire de l'Église et ses organes, Paris, 1887 ; Etudes sur les constitutions du concile du Vatican, Paris, 1895, t. ii, p. 89 sq. ; Franzelin, De divina traditione et Scriptura, th. vin-xi, 4e édit., Rome, 1896, p.60sq. ; llurter, op. cit., p. 263 ; de Groot, op. cit., p. 308 ; Wilmers, op. cit., p. 402 sq. ; Pesch, op. cit., p. 310sq. ; Billot, op. cit., p. 431 sq. ; .1. Bellamy, La théologie catholique au xi.x° siècle, Paris, 1904, p. 233 sq.

Il nous suffira de résumer ici leurs conclusions principales. — a. Le magistère ordinaire et universel de l'Église s’exerce tout d’abord par l’enseignement exprès habituellement communiqué, en dehors de définitions formelles, par le pape et par le corps des évéques dispersés dans tout l’univers ; enseignement auquel participent les auteurs spécialement approuvés par l'Église, comme les Pères, les docteurs de l'Église et les théologiens dont elle approuve ou autorise l’enseignement d’une manière formelle ou simplement tacite. — [i. Le magistère ordinaire et universel peut encore s’exercer par l’enseignement implicite manifestement contenu, comme nous l’avons précédemment montre, dans la discipline et dans la pratique générale de l’Eglise, du moins en tout ce qui est vraiment commandé, approuvé ou autorisé par l’Eglise universelle ; car dans cet enseignement, dès lors qu’il existe véritablement, l’Eglise n’est pas moins infaillible que dans les définitions solennelles de ses conciles. — y. Le magistère ordinaire et universel s’exerce enfin d’une manière simplement tacite, par l’approbation tacite que l'Église donne à l’enseignement des Pères, des docteurs et des théologiens, quand elle le laisse se répandre dans l’Eglise universelle, pour y diriger effectivement les croyances et la vie 219 ;

EGLISE

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pratique des fidèles. Car l'Église manquerait effectivement à sa mission de garder intégralement le dépôt de la révélation, si, même par son silence, elle autorisait un enseignement universel qui ne fût point conforme à cette révélation ou qui tiendrait à l’affaiblir. — g. Pour que, dans ces diverses occurrences, le magistère ordinaire et universel soit infaillible, il est nécessaire que son enseignement soit manifestement donné comme appartenant, directement ou indirectement, à la révélation chrétienne. Et s’il s’agit d’une doctrine des Pères ri dos théologiens qui doit être considérée comme exprimant, en vertu de l’approbation tacite de l'Église, un enseignement certain de son magistère infaillible, il est requis que le consentement des Pères et des théologiens soit moralement unanime et qu’il porte effectivement sur une vérité positivement donnée comme appartenant certainement au dépôt de la révélation chrétienne.

{) Quant à l’enseignement non infaillible du magislère ecclésiastique, il est bien certain qu’avant le XVIe siècle, il avait toujours été considéré comme devant être loyalement accepté par les fidèles. C’est ce que démontrent particulièrement trois faits notables qu’il nous surfit de rappeler : a. L’autorité très grande dont ont joui, en matière de doctrine, beaucoup de décrets des papes, sans avoir cependant droit an privilège de l’infaillibilité, — p. L’autorité du concile de Vienne en 1311, accordant une préférence doctrinale à l’opinion affirmant que, dans le baptême des enfants aussi bien que dans celui des adultes, la grâce sanctifiante est communiquée à l'âme avec toutes les vertus infuses, préférence doctrinale qui contribua puissamment à rendre l’enseignement des théologiens, sur ce point, à peu près unanime. — y. Les interventions progressives de l’Eglise dans la question doctrinale de la conception immaculée de la très sainte Vierge, sans d finition positive du dogme ; interventions qui assurèrent le consentement unanime des théologiens et des fidèles, longtemps avant la définition solennelle.

Toutefois cet enseignement ne fut, jusqu’au xv c ou XVIe siècle, l’objet d’aucune étude théologique spéciale. Même après le concile de Trente et à l’occasion des décrets doctrinaux portés par les Congrégations romaines nouvellement établies, la question n’est mentionnée par les théologiens que d’une manière incidente, sans que l’on délinisse nettement la nature de cette autorité doctrinale, ni la soumission qui lui est due. Nous citerons particulièrement Lacroix, Tlteologia moralis, I. I, Ir. I, c. ii, n. 215, Paris, 1876, t. i, p. 320, et Gotti, Theologia scholastico-dogmalica, tr. I, q. iii, dub. ix, n. 1, Venise, 1750, t. i, p. 82.

Ce ne fut guère qu’au xixe siècle que ce point fut spécialement étudié par les théologiens, notamment après le bref de Pie IX du 21 décembre ÎSG.'J à l’archevêque de Munich, affirmant l’obligation incombant à tous les catholiques de se soumettre aux décrets doctrinaux des Congrégations romaines, Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1684, et après le concile du Vatican, précisant les conditions requises pour l’exercice de l’infaillibilité pontificale.

Nous n’avons point à exposer ici, sur cette matière, l’enseignement des théologiens contemporains, ce travail axant été fait précédemment, voir t. iii, col. 1108 sq., ou devant être fait à l’art. INFAILLIBILITÉ DU PAPE.

2° Conclusions dogmatiques concernant l’objet et le mode d’exercice du magistère infaillible de l'Église. — Après tout notre exposé des arguments scripturaires et traditionnels en faveur de l’infaillibilité de l’r.glise, nous devons, pour donner une juste idée de la doctrine de l'Église sur ce point, indiquer, sous une forme synthétique, les principales conclusions dogmatiques immédiatement déduites de toute cette documentation.

/ conclusion concernant l’objet général de cette

infaillibilité doctrinale. — En vertu de la mission universelle donnée par Jésus à son Eglise, l’infaillibilité doctrinale doit s'étendre à l’objet intégral du dépôt de la foi, tel que nous l’avons précédemment expliqué : objet direct, comprenant toute la révélation publiquement enseignée par Jésus-Christ et transmise par ses apôtres ; et objet indirect comprenant toutes les vérités sans lesquelles le dépôt direct de la foi ne pourrait être défendu avec efficacité ni proposé avec une suffisante autorité. Voir Dépôt de i.a foi, t. iv, col. 526 sq.

a) C’est ce qu’indique l’enseignement néotestamentaire, particulièrement dans Matth., XXVIII, 18 sq., relatant les paroles de Jésus chargeant ses apôtres et leurs successeurs à perpétuité, d’enseigner tout ce qu’il leur avait confié et de l’enseigner intégralement jusqu'à la consommation des siècles. Mission qui ne peut être efficacement remplie que si l’infaillibilité promise s'étend effectivement à tout l’enseignement chrétien et à tout ce qui est nécessaire pour sa légitime défense et pour son explication intégrale.

b) C’est aussi ce que manifeste l’enseignement traditionnel, soit par la pratique constante et universelle de l’Eglise, d’intervenir doclrinalement dans la mesure nécessitée par la défense intégrale de l’enseignement chrétien, et d’exiger, sous peine d’exclusion de la communion chrétienne, une entière soumission intellectuelle ; soit par les témoignages multipliés des Pères et des docteurs affirmant et prouvant cette autorité universelle du magistère ecclésiastique, particulièrement en ce qui concerne les erreurs mettant en péril quelque vérité révélée, et les faits ayant une intime connexion avec les dogmes chrétiens.

La première indication formelle de l’objet indirect de la foi, et par conséquent de l’autorité doctrinale de l'Église, apparaît chez saint Thomas distinguant un double objet de la foi : l’un comprenant les vérités immédiatement proposées à notre croyance, l’autre renfermant toutes les vérités dont la négation entraînerait le rejet de quelque vérité de foi. Sum. theol., Il' II », q. xi, a. 2.

Au xvie et au xviie siècle, cette distinction est formellement appliquée au magistère ecclésiastique, particulièrement par Bannez, In // : im lt K, q.xt, a. 2, concl.l, Venise, 1602, col. 518 sq. ; Grégoire de Valence, Analysis fidei catholiese, part, VIII, Ingolstadt, 1583, . p. 313 sq. ; et De Lugo, De virtute fidei divinse, disp. XX, sect. iii, n. 1Il sq. ; et dès lors unanimement suivie par les théologiens. Ce droit explicite du magistère ecclésiastique sur l’objet indirect du dépôt de la foi, est expressément affirmé par de nombreux documents ecclésiastiques, notamment par la condamnation de beaucoup de propositions du Syllabus de Pie IX qui sont opposées à des vérités de ce genre, et par l’affirmation du concile du Vatican, déclarant qu’il ne suffit pas d'éviter l’hérésie, si l’on n'évite aussi avec soin toutes les erreurs qui s’en approchent plus ou moins, et rappelant l’obligation qui incombe à tous d’observer les constitutions et les décrets, par lesquels le SaintSiège a proscrit et réprouvé de fausses opinions de ce genre, qui ne sont point expressément indiquées dans les actes du concile. Denzinger-Bannwart, Enchiridion n. 1820.

2e conclusion, relative aux faits dogmatiques. — On sait qu’au sens restreint communément donné à cette expression, depuis la fameuse controverse suscitée au xviie siècle par les jansénistes, il s’agit ici uniquement du fait que, dans tel livre non inspiré, une doctrine déterminée, orthodoxe ou hétérodoxe, est certainement contenue, selon le sens naturellement exprimé par le texte et d’après la signification objective des paroles, quelle que puisse être la pensée intime non manife par l’auteur. Le jugement infaillible de l’r.glise, en s’exen ant sur ce fait, se prononce à la fois sur la.

réalité objective du sens indiqué et sur son caractère orthodoxe ou hétérodoxe.

a) L’infaillibilité de l’Eglise, dans ce double jugement, est une conséquence nécessaire de la mission confiée par Jésus-Christ à son Église, telle que nous l’avons précédemment prouvée par le texte de saint Malth., xxviii, 20. En vertu de cette mission, l’Eglise doit pouvoir, jusqu'à la consommation des siècles, conserver intégralement et enseigner constamment la doctrine annoncée par Jésus-Christ. Ce qu’elle ne pourrait effectivement accomplir si, dans les nombreuses controverses relatives au sens réellement contenu dans tel écrit ou dans tel livre, elle ne pouvait infailliblement déterminer le sens réel en même temps que son orthodoxie ou hétérodoxie.

b) Au cours des siècles, l'Église, certainement infaillible dans la détermination de ses pouvoirs, s’est constamment servie de ce droit de juger infailliblement le caractère orthodoxe ou hétérodoxe des écrits dont l’appréciation doctrinale importait au bien de la société chrétienne, et en cette matière, elle a toujours rigoureusement imposé à l’acceptation des tidèles ses jugements définitifs. C’c-t ce que démontrent les nombreux faits précédemment cités, ainsi que plusieurs documents ecclésiastiques très explicites, depuis le milieu du xviie siècle, notamment la déclaration d’Alexandre VII du 16 octobre 1650, précisant le sens de la condamnation portée par Innocent X contre les cinq propositions extraites du livre de Jansénius, le décret d’Innocent XII du 6 février 1694 renouvelant cette même déclaration, et la constitution apostolique Vineam Dominide Clément XI du 16 juillet 1705.

3e conclusion. — L’infaillibilité de l'Église doit également s'étendre à tout enseignement dogmatique ou inoral, pratiquement inclus dans ce qui est commandé, approuvé ou autorisé par la discipline générale de l’Eglise, que cette discipline provienne d’une loi positive de l'Église entière ou d’une coutume adoptée ou approuvée par l'Église universelle ; comme la licéité du culte des saints dans la mesure où il est commandé ou permis, la légitimité et l’excellence des ordres religieux approuvés par l'Église, la divine institution et l’efficacité surnaturelle des sacrements dont l’administration est réglée par la liturgie ecclésiastique, la divine efficacité' du sacrifice de la messe, telle qu’elle résulte de la liturgie approuvée et des lois ou coutumes sanctionnées par l’Eglise, et beaucoup d’autres enseignements résultant des pratiques liturgiques de l'Église universelle.

a) C’est une conséquence rigoureuse de l’enseignement néo-testamentaire. Car l’infaillibilité garantie par Jésus à son Eglise, selon le texte de Matth., xxviii, 20, s’appliquant à tout enseignement réellement et efficacement donné par le magistère ecclésiastique, doit également s’appliquer à tout enseignement nécessairement inclus dans les lois, pratiques ou coutumes établies, approuvées ou autorisées par l’Eglise universelle, cet enseignement pratique ou indirect étant, surtout pour une autorité en elle-même infaillible, tout aussi réel et efficace que l’enseignement doctrinal direct.

b) C’est aussi ce qu’indique le témoignage constant de la tradition chrétienne. Car, à toutes les époques de l’histoire de l'Église, les Pères, les auteurs ecclésiastiques et les théologiens, et même les papes et les conciles, ont souvent déduit, de la pratique universelle, une preuve toujours considérée comme démonstrative en faveur d’une doctrine contestée. Il nous suffira de rappeler sommairement quelques faits ou documents principaux déjà signalés : le pape saint Etienne, au milieu du m° siècle, s’appuyant sur la pratique générale de l'Église, pour ne point renouveler le baptême donné par les hérétiques, ce qui était une affirmation au moins implicite de la validité du baptême conféré par

eux ; saint Augustin prouvant de même la valeur du baptême des hérétiques par l’antique coutume de l'Église de ne point rebaptiser ceux qui, de l’hérésie, reviennent à l'Église catholique, Contra Cresconium, l. I, c. xxxii sq., P. L., t. xliii, col. 465 sq., ou prouvant, par le fait universel de l’administration du baptême même aux enfants, le dogme du péché originel qui souille l'âme de tous les enfants d’Adam, en même temps que l’utilité du baptême qui est conféré avant l'âge de raison, Serin., ccxciv, c. xvii sq., P. L., t. XXXVIII, col. 1346 ; saint Jean Damascène s’appuyant au moins partiellement sur l’usage constant de l'église pour légitimer le culte des saints et de leurs images, De imaginibus, orat. iii, n. 41, P. G., ». xciv, col. 1355 ; De fide orthodoxe/, , l. IV, c. xvi, col. 1172 sq. ; argument également employé par le IIe concile oecuménique de INicée en 787, Denzinger-Bonnwart, Enchiridion, n..302 ; saint Thomas, au xiiie siècle, démontrant l’utilité des suffrages pour les fidèles défunts par la coutume constante de l’Eglise de prier pour eux, Sutn. lheol., ll x, supplem., q. lxxi, a. 2, 3, et la légitimité de l’invocation des saints par la coutume constante de lr.glise de recourir à leurs prières, Sum. iheol., IIl æ, supplem., q. lxxii, a. 3 ; le concile de Constance et Martin V en 1515 s’appuyant sur la coutume introduite dans l’Eglise de communier les laïques seulement sous l’espèce du pain, pour réprouver ceux qui condamnent cette coutume et ordonner que ceux qui affirment opiniâtrement le contraire soient punis comme hérétiques, I lenzinger-Bannwart, Enehiridion, n. 026 ; le concile de fiente prouvant, par le long usage que l’Eglise en a fait, l’authenticité de la Vulgate, sess. IV, Decretum de editione et usu librorum ; le même concile montrant la légitimité du culte d’adoration ou de latrie rendu à la sainte eucharistie par la pratique constante de l'Église, sess. XIII, c. v, et la légitimité du culte des saints et de leurs images par la pratique universelle depuis les premiers temps du christianisme, sess. XXV, Decretum de invocatione, vencratione et reliquiis sanctorum et sacrts imaginibus, et, depuis le XVIe siècle, les très nombreuses et très explicites affirmations des théologiens revendiquant pour l'Église l’infaillibilité doctrinale i n cette matière, comme nous l’avons indiqué précédemment.

'/ conclusion concernant la canonisation et la béatification des saints. — L’infaillibilité doctrinale de l'Église doit également s'étendre à cet objet, comme le prouvent la pratique constante de l'Église et l’enseignement habitue ! des théologiens, du moins depuis saint Bernard au xue et saint Thomas au xiiie siècle ; enseignement encore beaucoup plus explicite depuis le XVIe siècle, non seulement pour la canonisation mais aussi pour la béatification. Cette infaillibilité est d’ailleurs absolument nécessaire pour que l’Eglise puisse, ainsi que le requiert sa mission, diriger les fidèles, avec une entière sécurité, dans la pratique habituelle du culte ; car des erreurs en cette matière auraient une grave répercussion sur la pratique de la vie chrétienne.

5 c conclusion. — L’infaillibilité doctrinale de l'Église doit aussi être admise en ce qui concerne l’approbation des ordres religieux, selon l’enseignement constant des théologiens, particulièrement depuis le XVIe siècle, enseignement basé sur ce que l'Église ne peut induire les fidèles en erreur, en une matière concernant gravement leur conduite morale, comme est en réalité la détermination des moyens jugés aptes à conduire effectivement et en toute sécurité à la perfection chrétienne. La même raison prouve qu’il n’est point nécessaire d’admettre l’infaillibilité de l'Église clans les jugements qu’elle porte sur l’utilité ou l’opportunité d’un ordre, bien qu’il y ait témérité à

affirmer une erreur de fait en cette matière, à moins qu’elle ne soit manifestement prouvée.

e conclusion, relative aux définitions solennelles du magistère ecclésiastique, en dehors de celles du souverain pontife qui seront spécialement étudiées ailleurs. D’après la pratique constante et universelle de l'Église et l’enseignement des Pères et des théologiens à toutes les époques, il est très assuré que les conciles généraux, dans leurs définitions solennelles, jouissent d’une autorité infaillible, dès lors qu’ils remplissent toutes les conditions nécessaires pour être des organes effectifs du magistère de l'Église universelle, et qu’ils définissent positivement ce que les fidèles sont tenus d’admettre en fait de doctrine révélée, ou de doctrine intimement connexe avec la révélation.

On a expliqué ailleurs l'étendue et les conditions de cette infaillihilité. Voir Conciles, t. iii, col. G61 sq.

7e conclusion, relative à l’exercice du magistère ordinaire et universel. — L’existence de ce magistère, qui avait toujours été admise pratiquement dans l'Église, fut particulièrement affirmée au xixe siècle par les deux documents ecclésiastiques précités, la lettre de Pie IX du 21 décembre 1863 à l’archevêque de Munich et le décret du concile du Vatican, sess. III, c. III. Après la publication de ces documents, le mode d’exercice de ce magistère fut, comme nous l’avons montré précédemment, étudié avec soin par les théologiens, ainsi que les conditions nécessaires pour son infaillibilité.

8° conclusion, relative à l’autorité doctrinale de l'Église ne s’exerçant point d’une manière infaillible. — Les arguments précédemment cités prouvent également l’existence de cette autorité doctrinale, soit qu’il s’agisse de vérités réellement révélées, mais dont l’appartenance à la révélation n’est pas encore suffisamment manifestée, soit qu’il s’agisse surtout de doctrines intimement connexes aux vérités révélées et nécessaires ou utiles pour leur défense intégrale, mais sans qu’elles soient positivement définies comme telles par l’autorité ecclésiastique.

Une telle autorité doctrinale est d’ailleurs absolument requise pour que les besoins des fidèles puissent être pleinement satisfaits et que la doctrine révélée puisse être suffisamment proposée ou défendue, même en l’absence d’une évidence manifeste, que telle vérité appartient à la révélation chrétienne, ou que telle conclusion a une connexion intime avec la vérité révélée.

En fait, ces interventions de l’autorité doctrinale non infaillible sont assez fréquentes. C’est ainsi que, plusieurs siècles avant la définition du dogme de l’immaculée conception, l'Église, sans se prononcer encore d’une manière positive, avait loué et recommandé cette doctrine, et avait positivement déterminé que c'était avec cette signification précise que se célébrait la fête de la conception de Marie, et qu’un peu plus tard elle avait déclaré, au concile de Trente, qu’elle n’avait aucunement l’intention de comprendre, dans son décret sur le péché originel, la bienheureuse et immaculée Vierge Marie. Il est d’ailleurs très assuré que toutes ces interventions doctrinales, bien que non accompagnées d’infaillibilité, contribuèrent puissamment à la diffusion et à l’affermissement de la croyance à l’immaculée conception, et préparèrent ainsi la définition solennelle portée par Pie IX le 8 décembre 1854.

De même, l'Église, par l’organe immédiat du souverain pontife ou par l’intermédiaire des Congrégations romaines approuvées par lui, intervient souvent pour recommander des conclusions doctrinales, qu’elle juge plus aptes à la défense des vérités révélées, sans émettre sur ce point aucune définition infaillible liant absolument la conscience des fidèles. On sait d’ailleurs que, par ces interventions doctrinales dont la nature est

définie dans d’autres articles, voir Congrégations romaines, t. iii, col. 1108 sq., et Infaillibilité du pape, l’Eglise pourvoit très efficacement à une plus complète défense, non seulement du domaine strict de la révélation, mais encore de tout ce qui a avec lui une connexion manifeste, comme le requiert manifestement la mission confiée par Jésus-Christ à son Église.

V. LE DOGME CATHOLIQUE SUR LE POUVOIR LÉGISLATIF et pnÉCEPTlF DE l'église. — 1° Existence de ce pouvoir. — I. Enseignement néo-testamentaire. — a) Promesses de Jésus-Christ. — Laissant de côté pour le moment la promesse faite particulièrement à saint Pierre et à ses successeurs à perpétuité, d’une primauté universelle comprenant conséquemment la plénitude du pouvoir législatif sur toute l'Église, Matth., xvi, 18, nous nous bornerons ici à la promesse générale faite collectivement à tous les apôtres et leurs successeurs jusqu'à la consommation des siècles : Quod sinon audieriteos, die Ecclesiee. Si autem Ecclesiam non audieril, sit tibi sicut ethnicus et publicanus. Qusecumque alligaveritis super terrant, erunt ligata et in csalo, et quæcumque solverilis super terrant, erunt soluta et in cœlo. Matth., xviii, 17 sq. L'Église, dont il est ici question, ne peut être que la société nouvelle que Jésus veut fonder, celle qu’il a lui-même annoncée précédemment, et super hanc petram œdificabo Ecclesiam meam. Matth., xvi, 18. Et dans cette Église nouvelle, il s’agit de l’autorité qui y possédera le pouvoir de lier les volontés par des lois ou des préceptes, par des sentences judiciaires ou par des peines. C’est ce qu’expriment les mots alligaveritis et solverilis, comme nous l’avons précédemment indiqué dans notre démonstration apologétique.

Il est également manifeste que ce pouvoir promis par Jésus-Christ sans restriction aucune, quant à son étendue ou quant à sa durée, doit comme tous les pouvoirs concédés à l'Église dans l’institution nouvelle, durer jusqu'à la consommation des siècles.

Ce pouvoir de commander comporte aussi, d’après la parole de Jésus-Christ, le droit de sévir contre les rebelles. De même que les païens et les publicains étaient, chez les Juifs, considérés comme des hommes impurs avec lesquels on ne devait point communiquer, ainsi, dans l’Eglise nouvelle, ceux qui refuseront d’obéir à ses commandements ou à ses décisions, seront exclus de la communication avec ses membres, et en réalité n’appartiendront plus à sa société. Knabenbauer, In S. Malthœum, Paris, 1893, t. il, p. 122 sq.

Quant à l’institution de ce pouvoir législatif de l'Église, nous ne possédons aucun texte évangélique qui l’affirme spécialement, en dehors du texte de saint Jean, xxi, 15. sq., exprimant la collation universelle de tout pouvoir à saint Pierre et à ses successeurs, ou en dehors des textes généraux contenant les pouvoirs universels conférés à perpétuité aux apôtres et à leurs successeurs, sicut misit me Pater et ego mitto vos. Joa., xxi, 20 ; Matth., xxviii, 18. Mais la promesse infaillible de Jésus nous garantit suffisamment celle divine institution.

b. Enseignement et pratique des apôtres. — Nous possédons un document certain du pouvoir législatif exercé par les apôtres dans leur réunion tenue à Jérusalem aux environs de l’an 51. En vertu de l’autorité des apôtres, les membres de la nouvelle société chrétienne ne sont point astreints aux anciennes observances judaïques ; les seules pratiques qui leur sont imposées sont les suivantes : ut abstinealis vos al> immolatis simulacroruni et sanguine et suffocato et fornicationc, a quibus custodietites vos, bene agelis. Act., xv, 28 ; llefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, Paris, 1907, t. i, p. 1047 sq. ; Y. Prat, La théologie de saint Paul, l rc partie, Paris, 1908, p. 75 sq. Ce qui montre d’ailleurs que ces décisions sont

considérées comme strictement obligatoires pour tous les nouveaux chrétiens, c’est que l’on veille soigneusement à leur fidèle accomplissement. Act., xv, 41 ; xvi, i.

Le pouvoir législatif préceptif ou judiciaire n’est point exercé seulement par les apôtres réunis, il l’est encore par chacun d’eux dans les Églises particulières, comme nous le montre l’exemple de saint Paul, prononçant un jugement de condamnation contre l’incestueux de Corinlhe, I Cor., v, 3 sq., sévissant contre les hérétiques Hyménée et Alexandre, I Tim., I, 20, ou réglant ce que les fidèles en général doivent observer, I Cor., xi, 34, ce que les femmes en particulier doivent observer à l'église, I Tim., ii, 9, 11, 12, ou ce que doivent être les veuves admises au service de l’Eglise. I Tim., v, 9 sq.

Enfin ce même pouvoir est encore exercé par ceux que les apôtres placent à la tête des Églises particulières, comme Tite dans l’Ile de Crète : Hujus rei gratta reliqui te Cretse, ut ea quw dosant corrigas, et constituas per civitates presbyteros sicut et disposai tibi, Tit., I, 5, ou comme Timotbée à Kphèse : Adversus presbyterum accusalioncm uoli recipere, nisi sub duobus aut tribus testibus. 1 Tim., V, 19.

Cette pratique des apôtres, si on la rapproche de l’enseignement précité de Jésus-Christ, suppose manifestement la vérité de cet enseignement ou l’institution divine d’un pouvoir législatif dans l’Eglise.

2. Enseignement traditionnel.

a) Première période depuis les temps apostoliques jusqu’au commencement du ive siècle. — a. Comme preuve de l’enseignement traditionnel des Pères et des auteurs ecclésiastiques sur ce point, il nous suffira de rappeler ici au souvenir du lecteur, les nombreux textes précédemment cités dans notre démonstration apologétique, attestant, d’une manière générale, l’autorité divinement instituée dans l'Église, ou d’une manière particulière, le pouvoir de commander auquel on doit rigoureusement se soumettre sous peine d'être exclu de la communion chrétienne. Ces témoignages sont d’ailleurs corroborés par ce fait également constant, d’après les mêmes textes, que, même en matière de discipline, en dehors de questions comprises ou laissées comme libres, tous ceux qui s’insurgent contre l’autorité légitime des successeurs des apôtres ou contre celle du pontife romain, ou qui s’associent à de semblables rébellions, sont, non moins que les insoumis au magistère doctrinal, considérés comme infidèles à Dieu et â son Christ et réputés déchus de tous leurs droits de chrétiens.

b. Le pouvoir législatif de l'Église, pendant cette période, est attesté, sinon par les lois formelles pour l'Église universelle comme dans les siècles subséquents, du moins par de très nombreuses coutumes assez uniformes, considérées comme pratiquement obligatoires, et en fait toujours dépendantes de l’autorité ecclésiastique, de laquelle elles tiennent toute leur force d’application.

Il nous suffira de mentionner ici quelques-unes de ces coutumes qui sont étudiées aux divers articles spéciaux : coutumes concernant l’administration de chacun des sacrements, notamment celles du baptême, de la pénitence et de l’eucharistie ; pratiques relatives à l’observation de certains jours d’abstinence et de jeûne, ou à l’assistance à la messe et à l’abstention des œuvres serviles aux jours de dimanche.

Ces coutumes sont facilement constatées dans les écrits que nous possédons de cette période, tels que la Didache, les lettres de saint Ignace d’Antioche, la première Apologie de saint Justin, plusieurs écrits de Tertullien et de saint Cyprien, ainsi que dans les divers recueils composés au iiie siècle ou peut-être un peu plus tard, relatant les coutumes suivies jusqu’alors dans les diverses- Églises ou dans quelque région particu lière, comme les Canons des apôtres, la Didascalie des apôtres et les Constitutions apostoliques, les Canons d’Ilippolyte, le Testanentum Jesu C/iristi, qu’il nous suffit de signaler ici, puisque leur autorité est étudiée ailleurs.

Notons aussi que les mêmes documents qui attestent ces coutumes ou pratiques, attestent aussi qu’elles dépendent de l’autorité ecclésiastique dans leur application ou détermination pratique. Ainsi pour la date de la Pâque chrétienne sous le pape saint Victor I", ce fut la décision du pape qui donna la préférence à la coutume presque universelle de célébrer la Pâque le dimanche qui suit la pâque légale des Juifs, ce qui écarta finalement la coutume contraire des Asiatiques. Pour le baptême conféré par les hérétiques, ce fut également la décision du pape saint Etienne, ultérieurement suivie de plusieurs autres décisions, qui réprouva la pratique des Eglises d’Afrique, et imposa la coutume romaine de ne point rebaptiser ceux qui avaient déjà reçu le baptême des hérétiques. De même l’autorité ecclésiastique intervint, de fait, assez fréquemment pour l’application de la discipline pénitentielle et pour la réconciliation des lapsi.

Quanta l’absence de lois formelles pour l’Eglise universelle pendant cette période, elle n’a rien qui doive surprendre, si l’on se rappelle le caractère assez restreint des communautés chrétiennes de cette époque, les obstacles de tout genre empêchant alors leur complète organisation, ainsi que l’exercice, en fait, encore peu développé de l’autorité pontificale par suite de circonstances extrinsèques peu favorables.

b) Deuxième période, depuis le commencement du IVe siècle jusqu’au commencement du m c, caractérisée surtout par l’absence de grave erreur théologique sur ce point et par une législation ecclésiastique très considérable, portée principalement dans les conciles particuliers et tendant progressivement vers l’uniformité. Nous n’avons point à détailler ici cette législation ; ce travail sera fait aux articles spéciaux comme il a été fait à l’art. Dimanche, t. iv, col. 1313 sq.

Notons seulement que cette législation ecclésiastique n’est point restreinte à ce qui est purement spirituel, mais qu’elle s'étend aussi à tout ce qui, par son caractère sacré, relève de l’autorité de l’Eglise, comme c’est le cas pour le mariage, par le fait qu’il est un sacrement, et pour les biens ecclésiastiques à cause de l’usage sacréauquel ils sont exclusivement affectés. Voir Biens

    1. ECCLÉSIASTIQUES##


ECCLÉSIASTIQUES, t. ii, col. 813 S(|.

Observons aussi que cette législation est souvent accompagnée de sanctions ou de pénalités non seulement spirituelles, mais même temporelles, infligées par l’Eglise elle-même ou demandées par elle à l’autorité séculière, comme nous l’avons précédemment noté pour l’abstention des œuvres serviles et pour l’assistance à la messe. C’est aussi ce qui a lieu pour la punition des hérétiques à partir du xiie siècle, Denzinger-Bannvvart, Enchiridlon, n. 101, comme on le montrera en étudiant l’histoire de l’Inquisition.

Il est encore à remarquer que l'Église, en vertu de sa mission divine, s’attribue à cette époque le droit de commander, non seulement aux individus, mais aussi aux sociétés et à leurs chefs temporels, autant que l’exigent les intérêts spirituels dont elle a la garde. C’est particulièrement l’enseignement de saint Grégoire VII dans sa lettre â Hériman, évêque de Metz, Registr., l. VIII, epist. xxi, P. L., t. cxlviii, col. 591, et celui de saint Bernard dans son De consideratione, I. IV, c. iii, n. 7, P. L., t. clxxxii, col. 776, et dans sa lettre cci.vi, n. 1, col. 461.

c) Troisième période, du commencement du XIIF jusqu’au commencement du xvie siècle, caractérisée surtout par une législation universelle plus complète et par plusieurs erreurs sur ce point notamment au xiv e -204

et au xv siècle. On a un exemple de cette législation dans la loi portée par le IVe concile de Latran en 1215, déterminant pour l'Église entière l’obligation de la confession annuelle et celle de la communion pascale. On doit citer aussi beaucoup de lois, insérées dans le Corpus juri s.

Comme àl'épo<|ue précédente, l'Église légifère souverainement sur tout ce qu’elle juge èlre de son ressort, et elle s’attribue le droit d’inlliger des peines temporelles, particulièrement aux hérétiques. Elle continue aussi à exercer quelque pouvoir sur les sociétés ebrétiennes et sur leurs cbefs temporels, selon l’enseignement de saint Thomas, affirmant que le roi, tenu de procurer le bien de la multitude selon les exigences de la fin surnaturelle, en commandant ce qui conduit à cette fin et en interdisant, autant que possible, ce qui lui est contraire, doit apprendre de l’Eglise ce qui conduit vraiment à cette fin et ce qui en éloigne. De regimine principum, l. I, c. xv.

C’est d’ailleurs ce que l’autorité ecclésiastique revendique officiellement, notamment Innocent III dans le décret Novit, Décrétâtes Greg. IX, l. I, tit. i, c. 13, et Roniface VIII dans la bulle Unam sanctam.Xoir DonifaceVIII.

Le pouvoir législatif de l’Eglise fut attlaqué au XIVe siècle par deux erreurs principales, celle des fraticelles et celle de Marcile de Padoue. Les fraticelles faisant dépendre la possession de tout pouvoir dans l'Église de la sainteté personnelle des ministres de l'Église, niaient conséquemment toute autorité au pape et aux prélats ecclésiastiques, violateurs de la pauvreté. Cette erreur fut condamnée, avec plusieurs autres, par Jean XXII, le 1 er janvier 11317. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 485 sq. Marcile de Padoue attribuait à l’autorité séculière tout pouvoir sur le temporel de l’iiglise, Enchiridion, n. 495, et refusait à celle-ci tout pouvoir coercitif, à moins qu’elle ne l’eût obtenu par quelque concession bénévole de l’autorité séculière, n. 499. Ces erreurs furent également condamnées par Jean XXII, le 23 octobre 1327.

Au xv c siècle, Wiclelf renouvela l’erreur des fraticelles et des vaudois en faisant dépendre tout pouvoir ecclésiastique de la sainteté personnelle, Enchiridion, n. 584 ; en outre, il nia particulièrement le pouvoir qu’a l’r, glise d’excommunier, n. 591 sq. Ses erreurs furent condamnées par Martin V ', le 22 février 1418.

La défense des théologiens catholiques, surtout après le concile de Constance, porta principalement sur l’autorité du pape, dont on prouva la primauté effective sur toute l'Église, notamment le cardinal Turrccremata dans sa Summa de Ecclesia, que nous avons souvent citée.

d) Quatrième période, depuis le commencement du xv ie siècle jusqu'à l'époque actuelle, caractérisée, comme la précédente, par une législation considérable surtout depuis l’institution des Congrégations romaines, et en même temps par plusieurs erreurs manifestes contre le pouvoir de l’Eglise et par un notable développement théologique concernant surtout l’objet et le mode d’exercice de ce pouvoir. Mais pour ne point empiéter sur l’article de la primauté du pape, nous nous bornerons à quelques indications sommaires.

a. Quanta lu législation de cette époque, elle porte, comme précédemment, sur tout ce que l'Église juge être de son ressort, en rejetant comme abusive l’ingérence du pouvoir séculier en ce qui relève véritablement de l’autorité' surnaturelle. Mais on doit remarquer que, depuis plusieurs siècles, à cause du changement profond opéré dans nos sociétés modernes par la réforme protestante du XVIe siècle, l'Église s’abstient d’appliquer les pénalités temporelles précédemment portées contre les hérétiques. Pour la même raison, au moins depuis le concile de Trente, l’Eglise s’abstient

de transmettre des commandements au pouvoir séculier. Elle se borne à rappeler à ses sujets catholiques leurs devoirs impérieux dans la vie sociale. C’est notamment l’attitude prise par Léon XIII dans plusieurs de ses encycliques. C’est aussi l’attitude de Pie X, comme nous aurons bientôt l’occasion de le montrer, en étudiant les devoirs des fidèles envers l'Église.

b. Indication des principales erreurs niantou diminuant ce pouvoir législatif de l’Eglise ainsi que des documents ecclésiastiques qui les condamnent. — Au commencement du xvie siècle, Luther, s’appuyant sur sa fausse théorie de la justification par la foi seule niait, pour l’homme ainsi justifié, toute obligation d’un commandement quelconque. Son erreur fut réprouvée par Léon X condamnant, le 15 juin 1520, cette proposition 27e du chef de la réforme : Certum estinnxanu E -clesiæ aul papae prorsus non esse statuere arliculos fidei, imo nec leges morum scu bonorum operuni, Denzinger-Bannvart, Enchiridion, n. 27, et par le concile de Trente portant anathème contre ceux qui disent que l’homme justifié n’est pas tenu à l’observation des commandements de Dieu et de l'Église, mais seulement à croire. Sess. VI, can. 20. Un peu plus tard, les théologiens gallicans affirmant que le pouvoir de l'Église est restreint aux seules choses spirituelles, et que le domaine des choses temporelles appartient entièrement au pouvoir séculier, cette erreur, avec plusieurs autres, fut formellement condamnée, le 4 août 1690, par Alexandre VIII ; condamnation souvent renouvelée dans la suite par le Saint-Siège. Cette erreur, soutenue par les théologiens régaliens d’autres pays, fut encore réprouvée par Pie VI dans la bulle Auctorem fidei du 28 août 1794, rejetant les propositions i « et 5e du conciliabule janséniste et joséphiste de Pistoie. La proposition 4 e affirmait que c’est un abus d'étendre le pouvoir de l’Eglise au delà des limites du dogme et de la morale et de l'étendre aux choses extérieures, surtout en exigeant, par la force, ce qui doit dépendre de la seule persuasion. Kl le affirmait en outre qu’il appartient encore beaucoup moins à l’Eglise d’exiger par la force extérieure que l’on se soumette à ses décrets. Pie VI déclare que cette proposition est hérétique, autant qu’elle note connue un abus l’usage que l'Église fait de son autorité, à l’exemple des apôtres, in disciplina exteriore conslituenda et sancienda. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1504. Quant à la proposition 5°, insinuant que l'Église n’a pas le pouvoir d’exiger la soumission à ses décrets autrement que par les moyens qui dépendenl de la persuasion, Pie VI déclare de même qu’elle conduit à un système d’ailleurs condamné comme hérétique, dans la mesure où elle signifie que l'Église n’a reçu de Dieu aucun pouvoir de commander par des lois, ou de soumettre à un jugement extérieur et de frapper de peines salutaires, les désobéissants et les rebelles, n. 1505.

Au xixe siècle, les mêmes erreurs régaliennes niant au pouvoir ecclésiastique toute autorité sur les choses temporelles, et particulièrement sur le mariage que l’on voulait placer sous la domination exclusive du pouvoir séculier, furent condamnées par plusieurs documents ecclésiastiques, que rappellent les propositions 24e, 68e et 69 » du Syllabus, Enchiridion, n. 1724, 176 ! S sq., par l’encyclique Arcantmi de Léon XIII du 10 février 1880, et par l’encyclique Immorttde Dei du 1 « novembre 1885.

c. L’enseignement donné par les théologiens catholiques, à l’occasion de ces diverses erreurs, soit avant les déclarations officielles du magistère ecclésiastique, comme c’est le cas pour Bellarmin et Suarez, soit après ces déclarations répétées, comme cela se produisit surtout au xixe siècle, dénote un progrès notable, comme on aura l’occasion de le constater en étudiant en détail, à cette époque, le développement -206

théologique sur la nature et l’extension de la primauté du pape.

Conclusions relatives à l’objet et au mode d’exercice de ce pouvoir législatif.

Les documents que nous venons d’analyser nous autorisent à déduire les conclusions suivantes, d’ailleurs bien nécessaires pour préciser la doctrine de l'Église sur ce point.

1. Conclusions relatives à l’objet de l’autorité législalivede l'Église. — i'e conclusion. — D’après l’institution même de Jésus-Christ, l'Église seule, chargée de la fin surnaturelle à laquelle tout doit être nécessairement subordonné, doit avoir un pouvoir souverain et exclusif sur tout ce qui, par sa propre nature ou par la fin à laquelle il est destiné, se rapporte immédiatement à cette fin surnaturelle, comme les sacrements, les objets servant au culte divin, ou les biens affectés à l’usage exclusif de l'Église.

a. C’est ce qui ressort de l’enseignement néo-testamentaire, où l'Église nous est manifestée comme revêtue par Jésus Christ de la plénitude de tout pouvoir, pour accomplir sa mission surnaturelle indépendamment de toute autorité humaine.

b. C’est aussi ce qui ressort de l’enseignement traditionnel et de la pratique constante de l'Église, d’après les preuves précédemment indiquées. Pour rendre cette démonstration plus sensible, il nous suffira de rappeler brièvement l’exemple particulier de la législation de l'Église en ce qui concerne le mariage chrétien, selon l’encyclique Arcanvm de Léon XIII du lOfévrier 1880. L’histoire atteste, de la manière la plus évidente, que le pouvoir législatif et judiciaire, en tout ce qui concerne le mariage chrétien, a été librement et constamment exercé par l'Église, même dans les temps où il serait ridicule et absurde de supposer que le pouvoir séculier eût accordé, sur ce point, à l’Eglise son assentiment ou sa participation. Car il est manifeste que les lois portées par l'Église dans les premiers siècles, sur la sainteté et la stabilité du lien conjugal, sur les mariages entre esclaves et personnes li’res, ne furent point promulguées avec l’assentiment des empereurs romains, très hostiles au nom chrétien et ne désirant rien tant que d'étouffer, par la violence et le supplice, la religion chrétienne naissante ; surtout si l’on considère que ce droit exercé par l'Église était parfois tellement en désaccord avec le droit civil, que saint Ignace martyr, saint Justin, Athénagore et Tertullien dénonçaient publiquement comme illicites et adultères certains mariages, qui étaient cependant favorisés par les lois impériales. Et quand l’autorité fut exercée par les empereurs chrétiens, les papes et les évêques réunis en concile continuèrent, avec la même liberté et avec la

même conscience de leur droit, à prescrire et à défendre, au sujet du mariage chrétien, ce qu’ils jugeaient utile et opportun, quelque différent que ce fut des lois civiles. C’est ce que montrent beaucoup de décisions sur les empêchements de mariage, édictées par les conciles de cette époque. D’ailleurs, les documents de cette même époque attestent aussi que les empereurs, loin de s’attribuer aucun pouvoir sur les mariages chrétiens, reconnurent et déclarèrent que ce pouvoir appartient entièrement à l'Église. Et cette même pratique de l'Église persévéra constamment au cours des siècles.

c. C’est enfin l’enseignement formel de l’Eglise, dans cette même encyclique Arcanum et surtout dans l’encyclique lmmorlale Dei du 1 er novembre 1885, où Léon XIII, après avoir montré qu’il doit y avoir accord et harmonie entre les deux pouvoirs établis par Dieu, le pouvoir ecclésiastique préposé aux choses divines, et le pouvoir civil chargé des choses humaines, trace à chacun sa sphère d’autorité : Quidquid igitur est in rébus humatiis quoquo modo sacrum, quidquid ad salutem animarum cultumve Dei pertinet, sive taie illud sit natura sua, sive rursus taie intelligatur pro pler causant ad quam rcfertur, id est onine in potestate arbilrioque Ecclesix, cætera vero qitee civile et polilicum genus compleclitur, rectum est civili auctoritate esse subjeela, cum Jésus Christus jusseril quæ Cxsaris sint reddi Cxsari, qux Dei Deo.

2* conclusion. — L’Eglise, en vertu de la mission exclusive qu’elle a reçue de Jésus-Christ, de diriger tous les fidèles à la fin surnaturelle, a le droit de leur commander tout ce qu’elle juge utile pour assurer cette direction efficace, et le droit d’interdire tout ce qui est capable de l’entraver. Etcomme toutes les actions humaines, appartenant à la vie individuelle ou à la vie sociale, sont, dans l’ordre actuel de la providence, nécessairement subordonnées à cette fin surnaturelle, en ce sens du moins qu’elles ne doivent jamais être en désaccord avec elle, il est évident que l’autorité ecclésiastique a sur elles et dans cette même mesure un pouvoir universel de direction. C’est l’enseignement constant de la tradition chrétienne, résumé par saint Thomas dans le texte déjà cité, De regiminc principum, l. I, c. XV. C’est l’enseignement officiel de l’Eglise, comme on peut le constater dans beaucoup de documents de Léon XIII et de Pie X, indiquant aux catholiques l’attitude qu’ils doivent garder et les devoirs qu’ils doivent observer, dans leur vie publique, ou relativement aux matières sociales et à l’action populaire chrétienne : documents que l’on aura l’occasion d'étudier dans d’autres articles.

3e conclusion. — L’Eglise, en vertu de cette mission, peut, en tout ce qui concerne la direction obligatoire vers la fin surnaturelle, exercer ce double pouvoir de commandement et d’interdiction à l'égard des sociétés chrétiennes et de leurs chefs temporels, aussi bien qu'à l'égard des individus eux-mêmes. C’est l’enseignement constant de la tradition chrétienne, du moins à toutes les époques où ce pouvoir de l’Eglise peut s’exercer dans une société chrétienne normalement constituée. C’est ce qu’indique particulièrement saint Thomas, affirmant que le pouvoir séculier est soumis au pouvoir spirituel autant que l’exige l’ordre di-ïn, c’est-àdire en ce qui appartient au salut de l'âme, et qu’en cela on doit obéir à la puissance ecclésiastique plutôt qu'à la puissance séculière, tandis qu’en ce qui concerne le bien purement civil on doit plutôt obéir à la puissance séculière. In IV Sent., I. IV, disl. XLIV, q. iii, a. 3, ad i 1 "" ; Sum. t/ieol., II » II, q. XL, a. 2, ad 3<" » ; De regimine principum, l. I, c. w.

C’est l’enseignement formel de l'Église, notamment dans les documents précités de saint Grégoire VII, d’Innocent III et de Boniface VIII.

Et, s’il est vrai que, depuis plusieurs siècles, l'Église n’exerce plus ce droit comme elle l’exerçait autrefois, par suite de l’indifférence des pouvoirs séculiers, elle l’exerce cependant encore, sous la forme qui lui reste accessible, en s’adressant directement à ses sujets catholiques, pour leur indiquer leurs devoirs dans leur vie publique et sociale. C’est notamment ce qu’a fait Léon XIII dans son encyclique Sapientix christianse du 10 janvier 1890, où il traite des principaux devoirs des catholiques dans leur vie publique.

2. Conclusion relative à l’indépendance absolue avec laquelle l’Eglise doit exercer son autorité législative. — Tout ce qui concerne l’exercice de cette autorité ayant été étudié', ou devant l'être, aux articles spéciaux sur le pape, sur les Congrégations romaines, voir t. iii, col. 1106 sq., et sur les évêques, il nous suffira de signaler ici, comme corollaire de nos thèses précédentes, l’indépendance absolue qui appartient de droit, en cette matière, à l’autorité ecclésiastique.

o) Celte indépendance absolue de l’autorité législative de l’Eglise vis-à-vis des puissances séculières, est une conséquence évidente de son institution divine comme société parfaite, exclusivement chargée de diriger à la fin surnaturelle à laquelle tout doit être subor2-207

EGLISE

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donné, et possédant en propre tous les pouvoirs nécessaires pour diriger effectivement à cette lin.

b) Cette indépendance est, en même temps, clairement démontrée par la pratique constante de l’Eglise, se servant constamment de son propre pouvoir législatif d’une manière absolument autonome, dans les matières qu’elle juge être de son ressort, et revendiquant ce pouvoir, dans de nombreux documents officiels, comme lui appartenant de droit et exclusivement.

Si parfois l'Église a pratiquement renoncé à quelques-uns de ses droits, et accordé au pouvoir séculier l’exercice de quelque autorité en des matières relevant uniquement du pouvoir ecclésiastique, voir Conciles, t. iii, col. 644 sq., et Concordats, col. 728 sq., 748 sq., c’est uniquement par condescendance, et parce qu’elle l’a jugé utile pour mieux assurer la concorde en même temps que la paix et la liberté dans les sociétés chrétiennes, comme l’indique Léon XIII dans l’encyclique Immorlale Dei du 1 er novembre 1885.

c) Les puissances séculières n’ont d’ailleurs à craindre aucune intrusion dans leur propre domaine, car ('Église reconnaît expressément qu’elles y ont une souveraineté indiscutable ; c’est ce qu’affirme particulièrement Léon XIII dans l’encyclique Immorlale Dei : Utraque (potestas) est in suo génère maxima ; habel nlraque certes quibus conlineatur terminos, eosque sua cujusque natura causaque proxima definitos ; unde aliquis velul orbis circwmscribitur, in quo sua cujusqueaclio jure proprioversetur. Elun peu plus loin, le texte déjà cité, traçant à chaque pouvoir sa sphère d’action. Voir col. 2205-2206.

On doit aussi observer que les sociétés temporelles, loin d'éprouver quelque dommage par suite de cette indépendance législative de l'Église, en recueillent en réalité d’immenses avantages. Ces avantages proviennent surtout de ce que, grâce à l’heureuse inlluence de la législation de l'Église, les devoirs de chacun sont mieux observés, en même temps que ses droils placés sous la sauvegarde du droit divin affirmé par la législation de l’Eglise, sont plus efficacement maintenus. C’est ce que démontre particulièrement Léon XIII dans l’encyclique Arcanum du 10 février 1880, dans l’encyclique Diuturnum du 22 juin 1881 et dans l’encyclique Immortale Dei.

3. Conclusion relative au pouvoir judiciaire et au pouvoir coercitif que l’Eglise possède conjointement avec son pouvoir législatif.

L’Eglise possédant, en propre et d’une manière absolument indépendante, la plénitude du pouvoir législatif, doit posséder, de la même manière et en tout ce qui relève de son autorité, le pouvoir judiciaire et le pouvoir coercilif qui sont la conséquence et le complément de l’autorité législative. Ce double pouvoir sera l’objet d’articles spéciaux. Voir Jugements ecclésiastiques et Inquisition.