Dictionnaire de la langue française du seizième siècle/Clerc
Clerc. Ecclésiastique. — Nous sommes bestes de l’arche De Monsieur le Patriarche Qui nous gouverne et conduit, Qui nous chasse et nous rappelle Et comme clers de chapelle A l’aumosne nous reduit. Passerat, Prosopopée des Lecteurs du Roy.
Savant. — Force femmes se trouveront Qui aux plus clers disputeront. Marot, trad. de deux Colloques d’Erasme, I. — Je ne ignore que Solomon dict, et en parloit comme clerc et sçavant. Rabelais, III, 27. — Huppe de froc (dist frere Jan) je veulx devenir clerc sus mes vieulx jours. id., IV, 27. — Pourquoy… appelle-on ces gens icy ignorans? — Par ce, dist Gaingnebeaucoup, qu’ils ne sont et ne doyvent nullement estre clercs. id., V, 16 (1562). — Et y devenoient clercs et scavans en peu d’heure. id., V, 30.
(Ironiquement). — Je me sens poiser aux escoutans : autrement bon clerc. Montaigne, II, 17 (III, 33).
(Proverbe retourné). — Si n’estoient messieurs les bestes, nous vivrions comme clercs. Rabelais, I, 16. — La vraie forme est : Si n’estoient messieurs les clercs, nous vivrions comme bestes.
Parler latin devant les clercs. Prétendre instruire un plus savant que soi. — [Panurge au médecin Rondibilis]. Mangez un peu de ce pasté de coins : ilz ferment proprement l’orifice du ventricule à cause de quelque stypticité joyeuse qui est en eulx, et aydent à la concoction premiere. Mais quoy ? Je parle latin davant les clercs. Rabelais, III, 32. — Par une metaphore nous appellasmes grand clerc l’homme sçavant… et forgeasmes de là ce proverbe françois, Parler latin devant les clercs, pour denoter presque ce que les Romains vouloient dire par cet Adage, Sus Minervam. E. Pasquier, Recherches, VIII, 13.
Clerc jusques aux dents. Très savant. — J’ay tant frequenté ces notaires Que j’en suis clerc jusques aux dents. Sotties, II, 283. — En l’abbaye estoit pour lors un moine claustrier nommé frere Jean des Entommeures… clerc jusques es dents en matiere de breviaire. Rabelais, I, 27. — Jadis un antique Prophete de la nation Judaïque mangea un livre, et fut clerc jusques aux dents : presentement vous en boirez un et serez clerc jusques au foye. id., V, 45.
Parler d’une chose comme clerc d’armes. En parler sans la connaître, sans compétence. — II en parle comme clerc darmes, en errant tout a la premiere lettre, et par ainsi aussi a toutes les autres. G. Tory, Champ fleury, L. III, 35 ro. — Quant à ce phantastique, il luy est bien aisé d’en caquetter [de la régénération] comme à un clerc d’armes, car il n’a jamais gousté que c’est. Calvin, Epistre contre un cordelier (VII, 359). — Ilz s’aident aussi de la sentence de nostre Seigneur Jesus, disant qu’il y aura des signes au ciel pour annoncer le jour de sa venue derniere. Mais ilz en parlent comme clercz d’armes. Vray est qu’il leur est à pardonner, veu que ce n’est pas leur gibbier que de la saincte Escriture. id., Contre l’Astrologie judiciaire (VII, 531). — S’ils n’en ont fait espreuve [de l’amour], encore se rendent ils moins croyables, pour en parler comme clercs d’armes. E. Pasquier, Monophile, L. I (Il, 736). — Et à ce que ne pensiez que j’en parle comme un clerc d’armes, je suis quelquesfois tombé en gens si passionnez qu’ils contemnoient non seulement le monde, ains se desplaisoient à eux-mesmes. id., ib., L. II (Il, 776). — Je respon que je n’ay point parlé de ces langages comme clerc d’armes ; mais que, quant au grec, feu mon pere Robert Estienne m’y feit instituer quasi dés mon enfance. H. Estienne, Conformité, Préface, p. 45. — À ce que je voy, vous ne parlez point de ces choses comme clerc d’armes. Car vous estes garni de fort bons titres et documens. id., Dial. du lang. franç. ital., I, 189. — II en parle comme maistre, ou, Il n’en parle pas comme clerc d’armes. Il en parle comme sçavant. id., Precellence, p. 112. — Ne parlons plus de la guerre, à fin qu’on ne nous reproche en parler comme clercs d’armes, et que ne soyons mocquez comme fut un Philosophe, lequel en Ephese preschoit le devoir d’un grand Capitaine. Guill. Bouchet, 25e Seree (IV, 137).
En clerc d’armes, même sens. Cette déformation est amenée par l’oubli de la signification littérale. — Vray est qu’il se trouve plusieurs histoires escrites du mesme temps, mais outre que ceste cy contient plusieurs discours qui n’estoient encore divulguez, elle a cest advantage, de n’avoir aucune crainte que les gens de guerre en la lisant dient un mot qui leur est familier, c’est que l’autheur en parle en clerc d’armes. Martin du Bellay, Mém., au Roy (G., Compl.). — Ceux qui jamais ne veirent ces sepultures, et qui en ont parlé en clercs d’armes ont tenu que la Momie estoit composee d’Aloé. Thevet, Cosmogr., II, 6. Des historiens Grecs ou Latins, qui en parlent en clercs d’armes, et comme par ouyr dire. id., ib., IV, 10. — Ce que nous disputons est de mon gibier. Il est à presumer que mon art m’y aura descouvert quelque chose, et que j’en parleray comme bien advisé ; et quant à vous, en clerc d’armes. Cholières, 4e Matinée, p. 141. — Je ne parle point en clerc d’armes, je l’ay veu. id., 8e Matinée, p. 278. — Pour ne me laisser escrire de sa Croix en clerc d’armes, elle me mit sur les espaules la croix d’une aspre et longue maladie. St François de Sales, Defense de la Croix, Epistre au duc de Savoie.
(Par contresens). Comme clerc d’armes, En clerc d’armes. Savamment. — Quant au plaisir, au soulas et grand bien Que povres gens, lesquelz sont au lien De mariage, ont (ainsi que vous dites) En lieu des maux que noz femmes mal duites Nous font, avec tant de noysifz alarmes, Vous en parlez ainsi comme clerc d’armes. Jean Orry, à Ch. Fontaine, dans le Passetemps des Amis, p. 263. — Je vous en parle en clerc d’armes, pour m’estre trouvé plusieurs fois à telle feste. Thevet, Cosmogr., VII, 12.
En clerc. Sottement. — En toute langue et nation, pedant, clerc, magister sont mots de reproches : faire sottement quelque chose, c’est le faire en clerc. Charron, Sagesse, I, 39.
Clerc. Scribe, commis. — Il y introduisit une grande mutation quant aux clercs et ministres de l’espargne. Amyot, Caton d’Utique, 16. — Ainsi ayant rabaissé l’audace des greffiers, scribes et clercs des finances… il eut tous les registres et papiers à sa voulunté dedans peu de temps. id., ib., 17. — Catulus estant Censeur requeroit à Caton, qui pour lors n’estoit que Questeur, qui est comme general des finances, que pour l’amour de luy il voulust laisser eschapper un clerc de finances, auquel il faisoit faire le proces. id., Instruct. pour ceux qui manient affaires d’Estat, 13.
Clerc de finesse. Homme habile à tromper. Il y a là sans doute un jeu de mots sur clerc de finance. — L’invention saincte croix à six personaiges jouee par les clercs de finesse. Rabelais, II, 7.
Clerc. Valet. — Le prestre… ayant appellé son maistre clerc, luy dist : Pren ce mortier et le rapporte à Bellecouleur. Le Maçon, trad. de Boccace, Decameron, VIII, 2.
Clerc de taverne. — Devenu suis clerc de taverne. Anc. Poés. franç., XI, 46. — Clerc suis de taverne et vens pain. id., I, 79.
Clerc d’estaffe. Palefrenier. — Je m’esbahys comme toy, clerc d’estaffe, T’es entremys de faire une épitaphe D’une qui est trop myeulx que toy vivace. Anc. Poés. franç., X, 11.
(Fém.). Clergesse. Religieuse. — Maiz en passant par l’Ordinaire, Et, allegant qu’estoit clergesse, De logiz trouva grant largesse. Sotties, II, 74. — Les femelles il nommoit Clergesses, Monagesses, Prestregesses. Rabelais, V, 2.
Savante. — Depuis que femmes sont clergesses Plus qu’il n’affiert à leur nature, Ilz sont folles et vanteresses. Gringore, les Folles Entreprises (I, 81). — Calliope… tressage clergesse, et bien literee, de sa voix clere et resonante chanta maint dittier scientifique. Lemaire de Belges, Illustr., I, 29. — Qu’elle ne soit trop belle ny trop peu ; Clergesse moins. G. Colin Bucher, Poesies, 1r 7. — Diotime. Docte, certaine, philosophale, clergesse. M. de la Porte, Epithetes, 150 vo. — Nous ne sommes point grandes clergesses… ce nous est assez de sçavoir lire nos Heures. Cholières, 5e Ap. Disnée, p. 205. — Et les femmes qui déclinent aussi, pour se monstrer grandes clergesses. Tabourot des Accords, les Bigarrures, I, 2. — Clergesse, elle fait jà la leçon aux prescheurs. Regnier, Sat. 13.
Experte. — La mer est bien à craindre, aussi est bien le feu… Mais trop plus est à craindre une femme clergesse, Sçavante en l’art d’amour, quand elle est tromperesse. Ronsard, Amours de Marie, Elegie à son live (I, 128). — Par le vers d’une Sorciere Plus grand clergesse que moi. Luc de la Porte, trad. d’Horace, Epode, 5. — S’il faut prendre advis pour ce sujet d’une courtizanne qui a esté des plus fameuses du temps passé, et grande clergesse en son mestier. Brantôme, des Dames, part. II (IX, 529).
Femme d’un clerc, d’un greffier. — Une simple huissiere ou clergesse Aujourd’huy se presumera Autant ou plus qu’une duchesse. Anc. Pois. franç., III, 234. — Mademoiselle la Clergesse de Pilleverjus ayant désir extrême d’avoir des enfans… fut conseillée d’envoyer querir certaines herbes aux Cordeliers. Tabourot des Accords, Apophthegmes du sr Gaulard (III, 221).
(Adjectif). Employée par les clercs. — Escritoire. Peinte, longue, houppue, clergesse. M. de la Porte, Epithetes, 163 vo. — Plume… docte, escrivante… clergesse. id., ib., 327 vo.