Dictionnaire de la langue française du seizième siècle/Chevalier

Éditions Honoré Champion (IIp. 252-253).
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Chevalier. Cavalier. — Le nom de Chevalier comprend toute personne qui chevauche une beste à quatre piedz, et toutefois tel nom est donné seulement à celuy qui est dextre et expert à bien guerroyer et combatre à cheval. Pontus de Tyard, trad. de Leon Hebrieu, l’Amour, Dial., III, p. 79. — Je te donneray deux mille chevaux : as tu chevaliers pour mettre dessus ? Calvin, la Bible franç., Isaïe, 36. — Les jeunes chevaliers Achaeïens, apres avoir fouy un espace de chemin, revindrent un peu à eulx. Amyot, Philopœmen, 19. — Leur premiere franchise, entre nos mains esteinte, Ne leur laisse aujourdhuy qu’une dure contrainte Qu’ils souffrent subjuguez, comme un cheval domté Souffre dessus son dos le chevalier monté. R. Garnier, Porcie, 818. — Les chevaux courageux ne maschent point le mors, Sujets au Chevalier, qu’avecque grands efforts. id., Cornelie, 1210. — [A Jupiter]. Ils t’ont changé en or secretement coulant. Or de qui fut conceu le chevalier volant. Passerat, Contre Phœbus (I, 81). — Tant qu’en fin le cheval foible prie en aïde L’homme qui le monta en lui mettant la bride. Mais revenant vaincueur de l’ennemi plus fier, Il ne peut se deffaire apres du chevalier. Trad. d’Horace, Epistres, I, 10. — Leur dam, s’ils ont esté si mauvais chevaliers, que de quitter les arçons. Ph. de Marnix, Differ. de la Relig., I, 1, 8. — Vous en verrés qui morgueront pour estre sur un beau cheval ; mais sil y a de la vraye gloire en cela, ell’est pour le cheval qui est bon, et non pas au chevalier. St François de Sales, Vie devote, III, 4. — Voyez un cheval : quand il est altéré et qu’il trouve de quoy assouvir ou estancher sa soif, il se jette à corps perdu dans l’eau, et quoy qu’on luy tire la bride il n’y a moyen de l’en empescher, de sorte qu’il traisne son chevalier à val eau. id., Sermons recueillis, 41 (IX, 457). — Considerez un homme sur un cheval : on ne sçait lequel est le plus fier, ou le cheval ou le chevalier. id., ib., 47 (X, 68). — Quand ils ont leurs chevaliers sur eux ils dressent les oreilles en telle sorte que vous diriez qu’ils veulent escouter ce que l’on dit d’eux… l’on ne sçait lequel est le plus vain, ou le cheval ou son chevalier. id., ib., 64 (X, 354).

Cavalier, au jeu d’échecs. — Puis que de vous j’ay appris les Eschez, C’est bien raison que les miens vous sachez… Les Chevaliers sont mes escrits et vers Qui font un saut aux autres tout divers. Melin de St-Gelays, du Jeu des Esckecs (I, 278).

Chevalier, terme de viticulture. — Tel deschausser s’espargnera, si, devant que tailler la Vigne, on la houe à chevalier, par lequel se treuvans descouvertes toutes les rengees des ceps, à plaisir, l’on les cure et descharge des importunes racines. O. de Serres, Théâtre d’Agric., Ill, 4. La jeune Vigne sera labouree de ceste sorte d’œuvre appellee houer ou fousser à chevalier… Ce mot de chevalier vient de ce que le travailleur assemble la terre entre ses jambes… la tirant avec son instrument des deux costez, dont il dechausse les ceps, par ce moyen se faisant un relevement sur lequel il se treuve comme à cheval. id., ib. — Plus belle et plus utile œuvre est le double-chevalier, qui se fait de telle sorte qu’entre quatre ceps y a un relevement poinctu comme une pyramide, que le manœuvre faict y emmoncelant la terre de tous costez. id., ib.

Plus loin, O. de Serres emploie le mot chevalier, toujours au sujet de la culture de la vigne pour désigner la sorte de terrassement qu’on forme ainsi. — Sur l’entre-deux des fossez, (qu’en aucuns endroits l’on appelle Chevaliers et condots) sejournera la terre qui en aura esté tiree… Aux bords du raion ou fossé, des deux costez joignant la terre dure, mettra-on le complant, crocete ou chevelue, qu’on chaussera premierement de la meilleure terre sejournee sur le chevalier. Ib.

Chevalier, au sens du moyen âge, transposé dans l’antiquité. — Lautre ensuivant à qui elle se devise est la belle Hippodamie, fille du Prince Anchises… et femme du gentil chevalier Alcathous. Lemaire de Belges, Illustr., I, 41. — Le Prince Hector se tira vers madame OEnone, et se print à lentretenir, comme le plus courtois chevalier du monde quil estoit. id., ib., I, 44. — Paris… pour son guerdon ne demanda autre chose sinon estre fait chevalier de Ja main de son frere Hector. id., ib. — Par ainsi le bon chevalier Xantippus eut… tresmauvais guerdon de son service, et de la victoire quil avoit eue pour les Carthaginois. Seyssel, trad. d’Appien, Guerre Libyque, ch. 1. — Adonc Nestor, la fleur des chevaliers, Leur dict ainsi. Salel, Iliade, X, 180 vo. — Philoctete, qui ne vouloit endurer l’empeschement qu’on faisoit à ce vaillant chevalier [Ajax]. J. de la Lande, trad. de Dictys de Crète, L. V, 108 vo — Ces chevaliers [les Argonautes] d’honneur ambitieux… Monterent sus la navire Argolique. Bereau, Ravissement d’Hyllas, p. 142. — Aupres du tombeau creux, Ou git Hector chevalier grand et preux. Des Masures, Eneide, V, p. 229. — Turnus armé, le chevalier vaillant, Aux armes va ses hommes éveillant. id., ib., IX, p. 466. — Et le Pirame fier dans Neptune descharge Maint brave chevalier, maint casque, mainte targe. Du Bartas, Judith, V, p. 405. — Le Chevalier Enee a pour sa pieté Une belle louange à jamais merité. Am. Jamyn, Œuv. Poet., L. I, 34 vo. — Ce chevalier [Polynice] pensa que le fer sanguinaire De sa lance eust plongé dans l’aine de son frere. R. Garnier, Antigone, 1100. — Qui voudroit te blasmer, chevalier sans reproche, Dessous un front d'acier auroit un cœur de roche. Montchrestien, Hector, III, p. 33.

Le titre de chevalier errant se trouve aussi appliqué à des personnages mythologiques. — Son filz [de Laomédon] Tithonus sen alla chercher aventure comme chevalier errant, poursuivant les armes jusques aux Indes. Lemaire de Belges, Illustr., I, 18. — Ilz [Thésée et Pirithoüs] cherchoient voulentiers hautes et difficiles aventures, ensemble, comme preux chevaliers errans. id., ib., II, 2.

Chevalier d’armes, même sens que chevalier. — Un aultre jour se exerceoit à la hasche. Laquelle tant bien coulloyt, tant verdement de tous pics reserroyt… qu’il feut passé chevalier d’armes en campaigne et en tous essays. Rabelais, I, 23.

Chevailler d’honneur. — Lequel avoit esté chevailler d’honneur de la reyne Anne. Brantôme, des Dames, part. II (IX, 640).

Chevalier. Soldat. — Caesar… donna… a chascun chevalier cinq milles dragmes : et a chascun decurion deux fois autant. Michel de Tours, trad. de Suétone, I, 17 ro. — Les chevaliers de Caesar… en le suyvant en son curre doré… chantoient que Caesar avoit les Gaulles suppeditez et Nycomedes Caesar. id., ib., 23 ro. — Comme il appert… par deux vers que disoient les chevaliers en son triumphe Gallicque. id., ib., 23 vo. — Caesar neut pas loisir de concionner à ses chevaliers pour lincursion subite des ennemys. id., ib., 25 vo. — Il ne denonceoit les temps des batailles, ne les lieux et passages : mais faisoit tousjours ses chevaliers estre tous prestz et appareillez pour les mener subitement la ou il luy plaisoit. id., ib., 29 vo. — Caesar [prit] la commission de ramener les anciens chevaliers par leurs legions en Italie leur distribuant les champs veterains et municipaulx. id., ib., II, 49 ro. — Les centurions et decurions qui delaissoient les stations bellicqueuses punit par peine capitalle comme simples chevaliers sans ordre nommez gregaires. id., ib., 55 ro.

(Jeu de mots). Passer chevalier. Jeter par terre. — Il gambadoit, il saultoit… au moyen de quoy S. Chelault, qui n’estoit pas des plus habiles escuyers du monde, à tous les coups estoit passé chevalier dessus cest asne. Des Périers, Nouv. Récr., 27.

Chevalier de l’ardente espée. — Ainsi sera pipé Monsieur le jeune homme qui pensera incontinent estre quelque autre Adonis, ou pour le moins un second Chevalier de l’ardente épee, d’avoir fait un si grand coup que d’entrer en la faveur et s’insinuer en la grace de cette gentille Madame. J. Tahureau, 1er Dial. du Democritic, p. 18.

Chevalier de la petite espée. Coupeur de bourses. — L’un en titre d’office exerçoit un berlan, L’autre estoit des suivants de Madame Lipee, Et l’autre chevalier de la petite espee. Regnier, Sat. 10.

Chevalier de la fleur de lys. — Manasses… prit un des chevaliers de la fleur de lys, i. des quinze vingts, et le pria de dire un salut à son intention : pour ce faire il lui mit un beau jetton au creux de la main. Beroalde de Verville, le Moyen de parvenir, Sof Passuc (II, 23).

(Fém.). Chevaliere. Celle qui va à cheval. — Adonc sur ton haineux dos Chevalliere, sans repos Je courrai portée d’erre. Luc de la Porte, trad. d’Horace, Epodes, 17.

Fortune chevalière (Fortuna equestris). Fortune protectrice des chevaliers romains. — On eut devotion de regarder en quel temple seroit colloqué le don qui par les Chevaliers Romains avoit esté voué à la Fortune Chevaliere pour le salut et santé de l’Imperatrix. Ét. de la Planche, trad. des Cinq prem. Liv. des Annales de Tacite, L. III, p. 128.

Chevalière, avec un sens correspondant à celui de chevalier pour le moyen âge. — Maintes belles escarmouches se dressoient chascun jour, ou se trouvoient ordinairement les chevalieres de la Royne Calafie. Amadis, V, 52. — C’est moi seulement Qui cet honneur merite dignement, Qui ne suis homme, ains brave chevaliere, Portant le nom l’Amazone guerriere. P. de Brach, Meslanges, 210 ro.

(Adjectif). — Ceste belle et chevaliere rencontre. Cl. Fauchet, Origines des Chevaliers, à Gilles de Souvré.

Chevaleresse. Femme d’un chevalier (au sens du moyen âge). — Et moy, qui suis chevaleresse, Je souhaitte au vert boscage Au cerf chasser limiers en lesse, A mon mary hardy courage. Anc. Poés. franç., III, 147. — Les baronnesses et chevalleresses, et autres dames de grand rang et de riche estoffe. Brantôme, des Dames, part. II (IX, 354).