Dictionnaire de la Bible/Melchisédech

Letouzey et Ané (Volume IVp. 939-940-941-942).
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MELCHISÉDECH

MELCHISÉDECH (hébreu : Malkî-Ṣédék ; Septante : Μελχισεδέκ), roi de Salem, au pays de Chanaan, à l’époque d’Abraham.

1o Ce qu’il était. — Le nom de Melchisédech, malkîṣédéq, est hébreu et signifie « roi de justice ». La ville de Salem n’était autre, d’après plusieurs commentateurs, que Jérusalem. Voir Jérusalem, t. iii, col. 1319, et Salem. Melchisédech était roi de cette ville et du territoire qui en dépendait. De plus, il était prêtre de ’Êl ‘Élyôn, « le Dieu Très-Haut, » le vrai Dieu, le même que servait Abraham. Du nom hébreu de Melchisédech et de sa résidence, on peut conclure qu’il était Chananéen, comme cet Amorrhéen de nom analogue, Adonisédech, qui était roi de Jérusalem à l’époque de la conquête du pays par Josué, x, 1. Malgré la malédiction qui avait frappé leur père Chanaan, Gen., ix, 25, tous les Chananéens ne professaient pas nécessairement l’idolâtrie au temps d’Abraham. Le patriarche et ses fils sont souvent en rapport avec des hommes du pays qui ne paraissent mériter aucun blâme à raison de leur conduite ou de leur religion. Il n’y a donc pas lieu de faire de Melchisédech un Sémite étranger établi au pays de Chanaan. Le roi de Salem est en même temps prêtre, kôhên, nom qui apparaît pour la première fois dans la Bible. Il exerce cette fonction en qualité de chef de famille. La Sainte Écriture n’en dit pas davantage sur l’origine et la condition de Melchisédech, Gen., xiv, 18.

2o Sa rencontre avec Abraham. — Lorsque Lot, neveu d’Abraham, eut été pris à Sodome par Chodorlahomor et ses trois alliés, le patriarche se mit à la poursuite des vainqueurs, les battit, fit sur eux grand butin et ramena Lot avec tout ce qu’il possédait. Voir Abraham, t. i, col. 77. À son retour, le roi de Salem, Melchisédech, vint au-devant de lui, Heb., vii, 10, offrit du pain et du vin et bénit Abraham, en disant : « Béni soit Abraham par le Dieu Très-Haut, qui a fait le ciel et la terre ! Béni soit le Dieu Très-Haut qui a livré tes ennemis entre tes mains ! » Et Abraham lui donna la dîme de tout. Gen., xiv, 18-20. L’hiphil hôṣî’ a le sens de « faire sortir, mettre au-dehors, présenter ». Cf. Gen., xxiv, 53 ; Exod., iv, 6, 7 ; xii, 51, etc. Il est bien traduit par les versions : ἐξήνεγκε, « il apporta, » proferens, « présentant. » Par lui-même, le mot ne signifie pas : offrir à Dieu, ou : offrir en sacrifice. Melchisédech se contente d’apporter du pain, léḥém, comprenant peut-être toute espèce de nourriture, et du vin. Josèphe, Ant. jud., I, x, 2, dit que Melchisédech exerça l’hospitalité envers les soldats d’Abraham et leur donna en abondance les choses nécessaires à la vie. Un certain nombre de commentateurs pensent que Melchisédech ne fit pas autre chose que ravitailler les hommes qui accompagnaient Abraham. Mais le texte sacré ajoute la remarque suivante : « Et lui prêtre du Dieu Très-Haut. » Si ce renseignement n’avait pour but que de caractériser la personnalité de Melchisédech, il eût été mieux à sa place après le titre de « roi de Salem ». Mais il vient entre la mention du pain et du vin apportés par Melchisédech, et celle de la bénédiction prononcée sur Abraham. Il n’était pas nécessaire d’être prêtre pour bénir ; quiconque avait autorité paternelle, civile ou religieuse pouvait le faire. Voir Bénédiction, t. i, col. 1581. La qualité de prêtre, attribuée à Melchisédech, est donc rappelée à raison de l’acte qui précède, c’est-à-dire de l’offrande du pain et du vin. C’est ce que suppose la Vulgate en ajoutant la conjonction enim : « Car il était prêtre du Dieu Très-Haut. » Il est naturel qu’Abraham, rencontrant après sa victoire un prêtre du vrai Dieu, en ait profité pour offrir à Dieu ses actions de grâces. Il est également présumable que Melchisédech, avant d’offrir des aliments aux vainqueurs, exerça sa fonction sacerdotale en offrant à Dieu une partie des aliments apportés. Le texte ne le dit pas positivement, mais il ne dit pas non plus le contraire, et il insinue l’idée de l’offrande en insistant sur le sacerdoce de Melchisédech. L’Épître aux Hébreux, vii, 1-17, qui établit un parallèle détaillé entre Notre-Seigneur et Melchisédech, ne fait pas allusion à l’offrande de ce dernier, sans doute parce qu’il y avait dans les rites mosaïques un sacrifice ou oblation de farine ou de pain et de vin et qu’il n’y avait pas ainsi sur ce point de différence et de symbole particulier à relever entre Melchisédech et le sacerdoce d’Aaron. Mais les Pères supposent expressément un sacrifice de pain et de vin présenté à Dieu par le roi de Salem. Cf. S. Cyprien, Epist. lxiii, ad Cœcil., 4, t. ix, col. 376 ; S. Jérôme, Epist. lxxiii, ad Evagr., 3, t. xxii, col. 673 ; In Matth., iv, 26, t. xxvi, col. 195 ; S. Augustin, De divers. quæstion., 61, t. xl, col. 49 ; De civ. Dei, xvi, 22, t. xli, col. 500. La même idée est exprimée par Clément d’Alexandrie, saint Jean Chrysostome, saint Isidore de Péluse, saint Cyrille d’Alexandrie, saint Césaire d’Arles, Arnobe, etc. Cf. Pétau, De incarn. Verbi, XII, xii, 6-11. Elle est rappelée au canon de la Messe, 2a orat. post consecr., et semble visée dans la première antienne des vêpres du Saint-Sacrement. — En dehors de cet épisode de sa rencontre avec Abraham, les textes historiques ne font plus mention de Melchisédech.

3o Son caractère figuratif. — Au Psaume cx (cix), 4, il est dit du Messie futur : « Tu es prêtre pour toujours selon l’ordre de Melchisédech. « L’expression hébraïque ‘âl-dibrâṭi veut dire « à la manière, selon le mode », κατὰ τὴν τάξιν, comme traduisent littéralement les Septante. L’intention de l’auteur sacré est donc d’exclure toute autre espèce de sacerdoce, par conséquent le sacerdoce à la manière d’Aaron. Saint Thomas, Sum. theol., IIIa, q. xxii, a. 6, ad 2um, observe que Melchisédech est nommé ici non comme le chef, mais comme le type d’un sacerdoce particulier. — L’auteur de l’Épître aux Hébreux explique le caractère figuratif de Melchisédech. Il tire une première application de son nom propre, « roi de justice, » et du nom de sa ville, « roi de paix, » Salem se référant à šâlôm, qui veut dire « paix ». Melchisédech est « sans père, sans mère, sans généalogie, n’ayant ni commencement ni fin de vie, mais ressemblant au Fils de Dieu et restant prêtre pour toujours ». Heb., vii, 3. Cette description ne va pas à faire de Melchisédech un être à part. Elle porte seulement sur le silence de la Genèse, qui ne dit rien de l’origine ni de la mort du personnage, « dont la génération n’est point racontée, » μὴ γενεαλογούμενος « dont la généalogie n’est pas donnée. » Heb., vii, 6. Saint Paul remarque ensuite que c’est le supérieur qui bénit et qui reçoit la dîme de son inférieur. Melchisédech reçoit la dîme d’Abraham et le bénit. À Melchisédech sont donc inférieurs et Abraham lui-même et tous les prêtres lévitiques qui devaient un jour naître de lui. Or la Sainte Écriture dit que Jésus-Christ est prêtre selon l’ordre de Melchisédech ; c’est donc qu’il a un autre sacerdoce que celui d’Aaron, que son sacerdoce est supérieur à celui de ce dernier et qu’il doit le remplacer. Heb., viii, 4-18. Comme on le voit, le raisonnement se base seulement sur la bénédiction donnée et sur la dîme reçue. Ces deux actes pouvaient seuls établir la thèse de l’auteur sacré, à savoir la supériorité de Melchisédech sur Abraham et celle de Jésus-Christ sur les pontifes et les prêtres lévitiques. La nature du sacrifice offert par Melchisédech n’important nullement à la thèse, l’auteur n’en fait pas mention. On ne peut donc rien conclure de son silence contre l’interprétation des Pères et du concile de Trente qui dit de Jésus-Christ, Sess. xxii, de sacrif. Missæ, cap.  i : « Se déclarant constitué pour toujours prêtre selon l’ordre de Melchisédech, il offrit son corps et son sang sous les espèces du pain et du vin. » Cf. Franzelin, De SS. Eucharist., th. viii, Rome, 1873, p. 338-333.

4o Opinions et hypothèses sur Melchisédech. — Les anciens Juifs, afin d’expliquer la supériorité du roi de Salem sur Abraham, imaginèrent que ce roi n’était pas autre que Sem, leur ancêtre, fils de Noé qui, d’après leurs calculs chronologiques, vivait encore à cette époque. Cette identification se trouve dans le Targum de Jérusalem, où nous lisons : « Melchisédech, roi de Jérusalem, est Sem (fils de Noé, ajoute le Targum de Jonathan), qui était grand-prêtre du Très-Haut. » Walton, Biblia Polygl., t. iv, p. 24. Saint Jérôme dit que c’était l’opinion générale des Juifs de son temps. Epist. lxxiii, ad Evang., 5, t. xxii, col. 679. Cf. In Is., l. XII, c. xli, t. xxiv, col. 414. D’après saint Épiphane, Hær. v, 6, t. xli, col. 981, elle était aussi commune chez les Samaritains. Luther et Mélanchton l’acceptèrent au xvie siècle. Saint Épiphane réfute cette erreur en s’appuyant sur la chronologie des Septante, Ibid., col. 981-983.

Des hérétiques, combattus par ce même Père, ibid., col. 972 et par d’autres docteurs de l’Église, soutinrent aux ive et ive siècles que Melchisédech était une « force ou vertu de Dieu » supérieure à Jésus-Christ même, μεγάλην τινα δύναμιν, comme s’exprime l’évêque de Salamine. On les appela Melchisédéchiens. Tertullien, De præscript., 53, t. ii, col. 75 ; Théodoret, Hæret. fab., ii, 6, t. lxxxiii, col. 392 ; S. Jean Chrysostome, Hom. in Melchis., 3, t. lvi, col. 260. Cf. S. Augustin, De hær., 34, t. xlii, col. 31 ; S. Cyrille d’Alexandrie, Glaphyr. in Gen., ii, 7, t. lxix, col. 67 ; Philastre, De hæres., 52, t. xii, col. 1168. — D’autres, au contraire, enseignèrent que le roi de Salem était le fils de Dieu. S. Épiphane, Hær. lv, 7, col. 985 ; S. Ambroise, De Abraham, i, 3, no 16, t. xiv, col. 427. Pour d’autres, c’était le Saint-Esprit. S. Épiphane, Hær. lxvii, 3, t. xliii, col. 176 ; S. Jérôme, Epist. lxxii, 1, t. xxii, col. 676. D’après ce dernier Père, ibid., 2, col. 677, pour Origène et Didyme c’était un ange. Depuis on a imaginé que c’était Hénoch, Cham, Chanaan, Mesraïm, Job. Voir Sal. Deyling, Observationes sacræ, 3 part., in-4o, Leipzig, 1708-1715, t. ii, p. 55-65 ; Hermann van Elowich, Melchisedecus ab injuria P. Juriœi defensus (Jurieu l’identifiait avec Cham), et Melchisedecus minus feliciter ab H. Hulsio in Henocho detectus, dans le Thesaurus de Hase et Iken, Leyde, 1732, t. i, p. 175-187. La majorité des anciens Pères n’a jamais admis ces erreurs et ces hypothèses. « J’ai consulté Hippolyte, Irénée, Eusèbe de Césarée et d’Émèse, Apollinaire aussi et notre Eustathe, dit saint Jérôme, Epist. lxxii, 2, col. 677, et j’ai constaté que tous, par des arguments différents et des sentiers divers ont abouti au même point, savoir que Melchisédech était un Chananéen, roi de la ville de Jérusalem, qui était appelé d’abord Salem. » Voir S. Cyrille d’Alexandrie, Glaphyr. in Gen., ii, 7, t. lix, col. 67 ; Théodoret, Quæst. in Gen., 64, t. lxxx, col. 172 ; S. Épiphane, Hær. lxvii, 7, t. xlii, col. 181. — Aujourd’hui les assyriologues cherchent quelques traits de ressemblance entre Melchisédech et le roi de Jérusalem Ébed-tob ou Abdi-Khiba, dont on a retrouvé quelques lettres dans la correspondance de Tell el-Amarna, mais ces traits sont trop vagues pour qu’on puisse en tirer quelque conclusion positive. Voir Sayce, dans Hastings, Dictionary of the Bible, t. iii, 1900, p. 335. Ils peuvent néanmoins confirmer les paroles de saint Jérôme, contre l’opinion de quelques critiques de nos jours, qui, renouvelant sous une autre forme les hypothèses aventureuses que l’on vient de voir énumérées, prétendent que Melchisédech est simplement le type du grand-prêtre juif au ive siècle avant notre ère, H. Guthe, Bibelwörterbuch, 1903, p. 426, comme si l’idée que les Juifs se faisaient de leur patriarche n’était pas en opposition complète avec le rôle qu’on prétend lui faire ainsi jouer. — Voir L. Borger, Historia critica Melchisedeci, in-8o, Berne, 1706 ; Henderson, Melchisedek, Londres, 1809 ; C. A. Auberlen, Melchisedeck’s ewiger Leben und Priesterthum, dans les Theologische Studien und Kritiken, t. ii, 1857, p. 453-504 ; G. Rösch, Die Begegnung Abraham mit Melchisedek, dans la même revue, 1885, p. 321-366 ; Fritz Hommel, Geschichte Babyloniens und Assyriens, in-8o, Berlin, 1885, p. 162 ; id., Die altisraelitische Ueberlieferung in inschriftlicher Beleuchtung, in-12, Munich, 1897, p. 150-160 ; R. Kittel, Geschichte der Hebräer, 2 in-8o, Gotha, 1888-1892, t. i, p. 162. — On trouve dans les Œuvres de saint Athanase, t. xxviii, col. 525-530, une vie fabuleuse de Melchisédech (Historia de Melchisedec).