Dictionnaire de la Bible/Butor
BUTOR (hébreu : qippôd). Il est question de l’animal ainsi nommé dans trois passages de la Sainte Écriture. Isaïe, xiv, 23, dit de Babylone : « Je ferai d’elle la demeure du qippôd et un marais d’eaux. » Dans sa prophétie contre l’Idumée, il dit encore : « Le pélican et le qippôd la posséderont, l’ibis et le corbeau y habiteront. » Is., xxxiv, 11. Sophonie enfin s’exprime ainsi dans sa prophétie contre Ninive : « Les troupeaux coucheront au milieu d’elle, ainsi que toutes les bêtes des nations ; le pélican et le qippôd habiteront dans ses portiques, la voix (des oiseaux) chantera à ses fenêtres, la dévastation (Septante et Vulgate : le corbeau) sera sur son seuil. » ii, 14.
Les versions ont cru que le qippôd était le hérisson. Septante : ἐχῖνος ; Vulgate : ericius. Cette traduction paraît autorisée par la ressemblance du mot qippôd avec le nom arabe du hérisson, kunfud. Gesenius, Thesaurus linguæ hebrææ, p. 1226, rattache qippôd au verbe qâfad, « contracter, » parce que le hérisson se contracte en boule quand on l’effraye. Mais l’examen des trois textes dans lesquels se trouve le mot qippôd ne permet pas de croire qu’il s’y agisse du hérisson. Dans le premier texte d’Isaïe, le parallélisme exige que le qippôd soit un animal aquatique, capable de vivre au milieu des marais. Ce n’est pas le cas du hérisson, qui habite dans les bois et se tient caché pendant le jour sous la mousse et dans le tronc des vieux arbres. Dans le second texte, le qippôd est associé au pélican, palmipède qui vit au bord des eaux et fait une chasse active aux poissons ; le hérisson conviendrait d’autant moins ici, que les deux autres animaux nommés ensuite sont encore des oiseaux. Dans la prophétie de Sophonie, le qippôd est encore associé au pélican, et appelé à mener une vie aquatique, puisque Ninive se trouvait sur le bord du Tigre, dont les inondations devaient engendrer de vastes marécages auprès des ruines de la ville. De plus, la voix qui chante par les fenêtres délabrées est naturellement celle des oiseaux, par conséquent celle du qippôd, le dernier animal nommé, et celle du pélican. Le qippôd ne saurait donc être le hérisson. Les passages cités obligent à supposer que c’est un oiseau vivant sur le bord des eaux. Déjà la version arabe avait traduit qippôd par el-houbara, oiseau qui est une espèce d’outarde. Robertson, Thesaurus linguæ sanctæ, Londres, 1680, p. 956, enregistre l’opinion de commentateurs qui font du qippôd une anataria, un oiseau qui vit auprès des lacs et des marais dans le désert. Si l’on remarque que les principaux oiseaux des rivages, héron, grue, cigogne, ibis, ont déjà leur nom hébreu, il ne reste plus guère que le butor qu’on puisse identifier avec le qippôd. C’est ce qu’ont fait W. Drake, dans le Dictionary of the Bible de Smith, 1863, t. iii, supplément, p. xxxi ; Tristram, The natural history of the Bible, Londres, 1889, p. 243 ; Wood, Bible animals, Londres, 1884, p. 462.
Le butor, botaurus stellaris (fig. 637), est un échassier de la famille des ardéinés ou hérons. Il est caractérisé par son bec long, droit, tranchant, terminé en pointe aiguë et fendu jusque sous les yeux. Comme le verbe qâfad signifie surtout « trancher », il est possible que le nom de qippôd ait été donné au butor à cause de la conformation de son bec. La tête est surmontée d’une aigrette que l’animal relève ou abaisse à volonté. Le cou est court et fortement garni de plumes susceptibles d’érection. Cette particularité établit une certaine ressemblance entre le butor et le hérisson. Ainsi doit probablement s’expliquer la désignation de deux animaux si différents par le même mot hébreu qippôd. Il est à remarquer que la version syriaque traduit ce mot par le « hérissé ». Quand le butor est au repos, il replie son cou sur son dos de telle manière, que son bec se dresse la pointe en l’air. Ses doigts sont légèrement palmés à la racine. Le butor vit de grenouilles et de poissons. C’est donc un hôte des marais et des rivages. Cet animal est très courageux ; il se défend contre toute espèce d’ennemis, même contre l’homme, à l’aide de son bec et de ses ongles. Il pousse un cri qui rappelle le mugissement du taureau, avec quelque chose de plus intense et de plus perçant. D’Orbigny, Dictionnaire universel d’histoire naturelle, 2e édit., t. vii, p. 137, dit que son nom de botaurus ou de bos taurus, lui vient de là. C’est à cette voix lugubre que ferait allusion le prophète Sophonie. Toutefois Littré n’admet pas l’étymologie de d’Orbigny, et fait dériver botaurus du bas-latin bitorius ou butorius, d’origine inconnue. Dictionnaire de la langue française, t. i, p. 442.