Dictionnaire de la Bible/Brique

Letouzey et Ané (Volume Ip. 1929-1930-1937-1938).
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BRIQUE

BRIQUE (hébreu : lebênâh ; Septante : πλίνθος [ou πλινθεία, Exod., i, 14 ; v, 18, 19 ; πλινθουργία, Exod., v, 7, qui désignent le travail de la brique ; de plus, πλίνθος, mis deux fois, Is., xxiv, 23, et Mich., v, 11, par erreur de lecture du mot hébreu] ; Vulgate : later ; outre les passages correspondants au texte hébreu, on lit ce mot dans Judith, v, 10 ; dans Nah., iii, 14, à la place de « four à briques », malbên ; et par erreur, Is., xvi, 7, 11 ; cf. assyrien : libittu ; état construit : libnat), pierre artificielle faite avec de l’argile ou de la terre grasse durcie au soleil ou au feu. Le sens étymologique, lâban, « être blanc, » semble indiquer que le mot lebênâh fut d’abord appliqué à une espèce d’argile blanchâtre comme la brique crue de Babylone. — Dans diverses contrées de l’Orient, la brique est une précieuse ressource : elle remplace la pierre, qui fait défaut, pour la construction des édifices ; elle sert à la décoration des maisons après avoir été peinte ou émaillée ; dans le bassin de l’Euphrate et du Tigre, elle tenait autrefois lieu de papyrus ou de parchemin pour la composition des ouvrages littéraires ou des inscriptions, pour la correspondance, etc.

I. Brique de construction.1o Babylone et Ninive. — Dans la construction de la tour de Babel (col. 1346), on se servit de briques cuites au feu au lieu de pierres, et de bitume en guise de ciment. Gen., xi, 3. Rien de plus caractéristique de la Chaldée que ce genre de construction : nulle part on ne fait autant d’usage de la brique, usage presque exclusif. Car la plaine de Babylone est formée d’un terrain d’alluvion où la pierre fait défaut. La brique entre donc dans tous les édifices, murailles des villes, temples, palais, demeures les plus humbles comme les plus somptueuses. Cf. col. 1353, 1354. Hérodote, i, 17, le constate pour les remparts de Babylone, col. 1799, et remarque qu’on employait à faire des briques la terre même tirée des fondations. Depuis des siècles on exploite les ruines de Babylone ; des villes entières comme Hillah, Séleucie, Ctésiphon, Bagdad, etc., ont été construites avec des briques extraites de la vieille cité chaldéenne.

En Assyrie, on peut trouver la pierre presque sous la main et en abondance ; et cependant on bâtit de préférence avec la brique. Ce n’est donc pas par nécessité qu’on emploie ce genre de matériaux, mais parce que les murs de brique sont mieux à l’abri de l’humidité en hiver et garantissent plus efficacement des ardeurs du climat en été, et aussi par attache traditionnelle aux procédés de construction venus de Babylone (col. 1152). La civilisation assyrienne, en effet, est originaire de Chaldée ; ce sont des architectes de Babylone qui y ont apporté leur façon de bâtir ; et les Assyriens ne l’ont pas changée, parce que la fabrication et le maniement de la brique n’exigent pas un long apprentissage. C’est un travail plus rapide et plus facile que celui de la taille des pierres et de leur appareillement : on pouvait y employer les premiers venus, et en particulier les nombreux captifs pris à la guerre.

Voici comment, à Babylone et à Ninive, se faisait la fabrication des briques. On avait la matière première sous la main, souvent à l’endroit même où l’on construisait ; on n’avait donc qu’à pétrir la terre et à y ajouter une certaine quantité d’eau. L’on foulait aux pieds ce mélange dans de larges bassins sans profondeur. Les briquetiers de Mossoul suivent les mêmes procédés. Cf. Perrot, Histoire de l’art, t. ii, p. 115. Le prophète Nahum, iii, 14, dans son oracle contre Ninive, y fait une allusion ironique : « Va sur la boue, piétine l’argile, répare le four à briques. »
615. — Brique de Sennachérib, provenant de Koyoundjik. Musée d’Orléans. La légende porte : Sin-aḥi-irba, še-pu-šu us-tak-kan. « Sennachérib a fait faire, a fait établir. »
Pour donner plus de consistance à cette terre détrempée, on y ajoutait, pour les briques crues, de la paille hachée en petits morceaux. Une brique de Birs-Nimroud (col. 1347), apportée en Angleterre par M. Livingstone, de Manchester, renferme de la paille qui a servi à lier la terre, comme en Égypte. A. Löwy, The tower of Babel, dans les Proceedings of the Society of Biblical archæology, mars 1893, t. xv, p. 229. L’argile pétrie était façonnée dans des moules à peu près carrés, qui donnaient de larges briques, supérieures en dimension à la brique égyptienne. Elles avaient 20 à 40 centimètres de côté sur 5 à 10 d’épaisseur ; la dimension la plus commune est d’un pied chaldéen, c’est-à-dire 315 millimètres de côté. La plupart étaient simplement exposées au soleil, et elles étaient rapidement séchées, surtout pendant les mois d’été ou des chaleurs torrides. Le premier de ces mois d’été, le mois de Sivan, se nommait « le mois de la brique ». Quelquefois elles étaient à peine desséchées quand on les employait, de sorte qu’en se tassant elles finissaient par ne plus former qu’une seule masse compacte, où l’on ne reconnaît plus l’emploi de la brique qu’aux teintes diverses des différents lits superposés. La brique crue, bien desséchée au soleil d’un tel climat, acquiert une très grande solidité : cependant elle ne résiste pas à l’action prolongée de l’eau. Afin de la rendre plus résistante, on en faisait cuire une partie au feu dans des fours spéciaux. Et pour que la cuisson fût plus facile, que la brique fût complètement desséchée et durcie sans être calcinée, on lui donnait moins de dimension qu’à la brique crue. Sa couleur était différente ; au lieu de la teinte blanchâtre ou jaune clair de la brique crue, elle tendait plus ou moins vers le rouge sombre. L’une et l’autre étaient marquées au coin du prince régnant : sur l’un des plats des briques encore molles, on imprimait ses noms et titres à l’aide d’une sorte de timbre. C’est ainsi que les briques tirées des ruines de Khorsabad portent le nom de Sargon ; celles de Koyoundjik, le nom de Sennachérib (fig. 615), etc. Les briques de Babylone portent, pour la plupart, le nom de Nabuohodonosor, le grand bâtisseur ou restaurateur de ses monuments. Layard, Discoveries in the ruins of Nineveh and Babylon, 1853, p. 505, 531-532.

Dans les constructions importantes, on employait les deux sortes de briques ; plus fréquemment à Babylone qu’à Ninive. Le peuple se contentait de la brique crue ; mais pour les fondations et le revêtement des murs des temples, des palais, des remparts, on se servait de briques cuites, plus résistantes à l’action de l’eau ; car il y avait à craindre les infiltrations dans un terrain sillonné de nombreux cours d’eau, et à certaines époques de l’année les pluies torrentielles prolongées menaçaient d’amollir et de désagréger les murs, formés de simples briques crues. Pour relier entre elles les briques, on se contentait souvent, en Assyrie, de l’humidité des parois de la brique crue, qui, avec la charge qu’elle supportait produisait une adhérence suffisante. Mais, en Chaldée, on employait divers ciments : un simple mortier d’argile pour l’intérieur des maisons ou les murs peu soignés, Layard, Discoveries, p. 503 ; ou bien un ciment à la chaux très adhérent dans les grands édifices, comme à Birs-Nimroud, Layard, Discoveries, p. 499, 506 ; ou encore un mélange de cendre et de chaux, comme à Mughéïr, où l’on continue à l’employer sous le nom de charour. Taylor, Notes on the ruins of Muqeyr, dans le Journal of the royal asiatic Society, t. xv, p. 261. Mais pour avoir une solidité à toute épreuve, on avait un ciment naturel et caractéristique de la Chaldée, le bitume (col. 1349 et 1799). De plus, des lits de roseaux, placés à intervalles réguliers, servaient à maintenir plus de solidité et de cohésion entre les différentes couches de briques. On l’a constaté plus d’une fois dans les ruines (col. 1353), et Hérodote, i, 170, l’avait remarqué à Babylone. « À mesure, dit-il, qu’on creusait les fossés, on en convertissait la terre en briques, et, lorsqu’il y en eut une quantité suffisante, on les fit cuire dans les fourneaux. Ensuite pour mortier on employa le bitume chaud, et de trente couches en trente couches de briques on mit des lits de roseaux entrelacés ensemble. » Cf. Perrot, Histoire de l’art, t. ii, p. 113-122, 156-158.

2o Égypte. — Les Égyptiens étaient obligés par la nature du sol, comme à Babylone, de se servir de briques pour leurs constructions, car il n’y a pas de pierre dans le Delta ni dans la vallée du Nil. Ils tiraient, il est vrai, de belles pierres de taille de leurs carrières de calcaire, de grès, de granit, etc., mais ces carrières étaient fort éloignées, et l’extraction, et surtout le transport en étaient fort coûteux et fort difficiles. Ils réservaient donc la pierre pour les temples, les sarcophages ; leurs maisons, même quelques pyramides et des parties de temple, comme au Ramesséum, sont en brique. Le Nil, qui chaque année inonde l’Égypte, apporte à ses habitants, avec le limon qui rend les terres fertiles, les matériaux nécessaires pour bâtir leurs demeures. La brique commune n’est, en effet, que ce limon noir et compact mêlé d’un peu de sable et de paille hachée, et façonné en carreaux rectangulaires durcis au soleil. Voici les procédés détaillés de la fabrication actuelle, d’après une lettre de Samanoud, écrite le 18 mars 1894 par M. Vigouroux, qui voyait travailler les ouvriers sous ses yeux :

« Environ huit jours avant la fabrication, on laboure à la houe le champ dont la terre doit être employée ; on l’inonde de façon qu’elle soit bien détrempée, et l’on y répand de la paille fine, hachée en petits morceaux. En piétinant le sol ou en le faisant piétiner par des animaux, on obtient une terre plus malléable, et on fait pénétrer la paille dans la masse. Elle y fermente et soulève un peu la terre, qui d’ailleurs se trouve mélangée d’un peu de sable siliceux extrêmement fin, apporté par le Nil et par le vent du désert. La terre est alors toute prête pour la fabrication. Dans un carré, où il a amené l’eau, un homme entre, jambes et bras nus, pour pétrir avec les pieds et les mains la terre mélangée de paille, et en faire une pâte molle et bien homogène. Il ne faut pas qu’il y ait la moindre motte, autrement la brique serait de mauvaise qualité ; la paille sert de liant. Un autre ouvrier entre dans cette boue ainsi pétrie, en prend une certaine quantité qu’il dépose sur des espèces de couffes rondes et plates, tressées avec des feuilles de palmier ; on les appelle borsch (au pluriel berasch). Avant de les charger de terre, on les a préalablement recouvertes d’une couche de paille hachée, afin d’empêcher toute adhérence. Chaque porteur porte deux couffes de terre, une à chaque main. Il les tient par les deux anses ; arrivé à l’endroit où travaillent les mouleurs, il lâche une des anses, et la charge de terre malaxée tombe tout entière dans le tas, entraînant la paille sans qu’il reste rien dans la couffe. Le mouleur qui prend dans ce tas avec la main a une telle habitude, qu’il est rare qu’il ne prenne point exactement la quantité nécessaire pour remplir son moule. Celui-ci, de forme rectangulaire, se compose de quatre planchettes de bois dur, dont une, celle de droite, se prolonge en manche permettant à l’ouvrier de soulever le moule, dès que la brique est façonnée. Le moule est placé par terre sur une aire bien unie ; en le remplissant de limon, l’ouvrier met un peu de paille à l’intérieur tout autour, et, prenant de l’eau avec la main dans un vase placé à côté de lui, il en mouille le tout, façonne et unit la pâte avec la main ; puis, soulevant le moule, il laisse sur place la brique qu’il vient de fabriquer et en fait une autre à côté, en allant de droite à gauche. Après avoir terminé une rangée, il revient au-dessous de la première, disposant le tout comme une sorte de damier. Un mouleur qui a l’habitude de ce travail peut fabriquer environ trois mille briques par jour. À Samanoud, on donne par millier aux ouvriers dix petites piastres (1 fr. 28 environ), assez souvent huit ou neuf seulement. Ces briques, faites ainsi sur le sol et rapidement aplanies avec la main, sont assez grossières, un peu inégales ; mais elles suffisent pour les constructions ordinaires. On les laisse sécher sur place au soleil : la plupart sont employées crues. Si l’on veut les rendre plus solides et à l’épreuve de l’action de l’eau, on les fait cuire au four. Le four consiste simplement en un carré de quatre murs de briques crues ; dans l’un des côtés de ce carré, on laisse une ouverture pour mettre le feu. À l’intérieur, on dispose les briques par rangées, et quand le four est plein, on les recouvre avec des débris de vieilles briques. On se sert comme combustible de tout ce qu’on a sous la main, roseaux, débris de coton, de cannes à sucre, herbes sèches, etc. La brique ainsi durcie au feu prend une teinte rougeâtre.

« Comme ces briquetiers sont payés à tant le mille, il n’y a pas de surveillant pour les stimuler au travail. Mais, dans le champ voisin de Samanoud, les ouvriers chargés de briser les mottes de terre pour préparer l’ensemencement du coton sont sous la garde d’un surveillant, armé, comme dans l’ancienne Égypte, d’un bâton dont il fait usage pour stimuler les travailleurs négligents. »

Cette description de la fabrication de la brique à Samanoud peut servir de commentaire à la scène représentée au tombeau de Rekmara, à Qournah (fig. 616). Ce sont les mêmes procédés. On y voit piocher, emporter la terre, puiser de l’eau pour la détremper, mouler les briques et les disposer en damier ; les transporter à l’aide d’une sorte de joug après une première dessiccation ; les placer les unes sur les autres en piles régulières et distancées de façon à laisser l’air circuler dans les intervalles pour les dessécher et construire avec des pierres et des briques le magasin du temple d’Ammon, à Thèbes. Des étrangers, qui se distinguent facilement à leur barbe et à leur couleur, sont mêlés aux Égyptiens peints en rouge ; on leur a réservé
CAPTIFS FABRIQUANT DES BRIQUES POUR LA CONSTRUCTION DU TEMPLE D’AMMON À THÈBES EN ÉGYPTE.
la partie la plus dure du travail : des chefs de corvée, armés d’un bâton, surveillent les uns et les autres.

Ces deux scènes, l’ancienne et la moderne, nous font comprendre à quels durs travaux le pharaon persécuteur avait condamné les Hébreux, en les employant à la confection des briques. Exod., i, 14 ; Judith, v, 10. Pour aggraver leur peine, il prescrivit de ne plus leur donner la paille nécessaire à la fabrication. Exod., v, 7. Les Hébreux se voyaient donc obligés d’aller eux-mêmes ramasser le chaume qui restait sur pied dans les champs après la moisson, et cependant, malgré ce surcroît de travail, on exigeait d’eux la même quantité de briques. Ils allaient par toute la région, coupant même des roseaux, qaš, en
617. — Brique de Ramsès II. xixe dynastie. Thèbes.
Aujourd’hui au Musée de Berlin.
D’après Lepsius, Denkmäler, Abth. iii, Bl. 172.
guise de paille, ṭébên. Exod., v, 7, 12. Et quand ils n’avaient pas fourni la tâche excessive qui leur était prescrite, on les battait de verges, ꝟ. 14. Devant ces exigences tyranniques, les Hébreux font entendre la même plainte, ꝟ. 16, qu’un Égyptien de la xixe dynastie : « Je n’ai personne pour m’aider à faire des briques, point de paille. » Mais on leur répond, ꝟ. 18, comme les maîtres de corvée du tombeau de Rekmara : « Travaillez sans relâche. »

Ces briques fabriquées par les Hébreux étaient employées à la construction des magasins et des remparts de Pithom et de Ramsès. Exod., i, 11. Les fouilles récentes ont pleinement justifié le récit de Moïse : les murs de Pithom sont bâtis en larges briques reliées avec du mortier ; et ces briques sont les unes composées de paille ou de fragments de roseaux ; les autres sont faites de simple limon, sans aucun mélange. Cf. Discours de M. Ed. Naville, dans Egypt Exploration Fund, Report of first general meeting, 1883 ; F. Vigouroux, Bible et découvertes modernes, 5e édit., p. 248-274. Les briques trouvées à Pithom ont 44 centimètres de long sur 24 centimètres de large et 12 d’épaisseur. Le module que les Égyptiens « adoptaient généralement est de 0m22 X 0m11 X 0m14 pour les briques de taille moyenne, 0m38 X 0m18 X 0m14 pour les briques de grande taille ; mais on rencontre assez souvent dans les ruines des modules moindres ou plus forts ». G. Maspero, Archéologie égyptienne, in-8o, (1887), p. 8.

Comme sur les bords de l’Euphrate, les briques de la vallée du Nil sont marquées au coin du souverain, quand elles sortent des ateliers royaux. Les briques de Pithom portent le cartouche de Ramsès II, avec son nom d’intronisation, Ra-ouser-ma, Sotep-en-ra (fig. 617). On en a trouvé également au nom de Thotmès III, etc. Lepsius, Denkmäler, Abth. iii, Bl. 7, 25 bis, 26, 39, reproduit un certain nombre de ces briques avec cartouches royaux. La brique « des usines privées a sur le plat un ou plusieurs signes conventionnels tracés à l’encre rouge, l’empreinte des doigts du mouleur, le cachet d’un fabricant. Le plus grand nombre n’a point de marque qui les distingue ». G. Maspero, Archéologie égyptienne, p. 8. Voir Perrot, Histoire de l’art, t. i, p. 105-107, 202, 490, 505-506. Wilkinson, The manners and customs of the ancient Egyptians, édit. Birch, t. i, p. 342-345.

3o Palestine. — La pierre abonde en ce pays, excepté dans les plaines : on l’employa pour le temple, les palais, les remparts des villes fortifiées et les habitations particulières. Mais dans les campagnes et dans plus d’une ville beaucoup de maisons étaient construites en briques. Quatre murs de briques crues avec un plafond en poutres de sycomore recouvertes de terre battue étaient plus faciles à bâtir que des murs de pierres, mais aussi ils étaient moins durables. Is., ix, 9. Nous trouvons d’autres preuves de l’usage des briques dans la mention de fours à briques, II Reg., xii, 31, et d’autels idolâtriques, dressés à la hâte avec quelques briques placées les unes sur les autres. Is., lxv, 3. Aujourd’hui encore, les fellahs habitent en certains endroits, comme à Sébastiyéh (ancienne Samarie), dans des huttes de terre. M. Vigouroux, en avril 1894, a vu au petit village d’Et-Tiréh, dans la plaine de Saron, fabriquer des briques pour construire des cabanes. Le procédé était le même qu’en Égypte, mais les dimensions des briques étaient plus grandes et la façon plus grossière. De jeunes filles coupaient la terre par tranches, la jetaient dans un trou où elles la pétrissaient avec les pieds, en y jetant de l’eau et de la paille ; puis de petits enfants portaient la terre ainsi pétrie à des femmes qui la mettaient dans de grands moules, et laissaient les briques à la place où elles les avaient moulées pour sécher au soleil. Et-Tiréh est bâti en entier avec des briques de ce genre. — La Vulgate a traduit par « muraille de briques » le Qîrḥăréṡéṭ de l’hébreu, Is., xvi, 7, 11, mais c’est le nom d’une ville moabite.

II. Brique d’ornementation. — Comme les Chaldéens n’avaient pas d’autres pierres que la brique, ils s’ingénièrent à en tirer tout le parti possible pour la décoration de leurs palais et de leurs temples. Pour cela ils imaginèrent de les émailler. La peinture à fresque sur une sorte de stuc, appliqué à la muraille en briques, ne leur paraissait pas assez solide et assez résistante, surtout contre l’action de l’humidité et de la pluie ; mais en fixant les couleurs et les dessins au moyen de l’émail, on avait une décoration presque aussi inaltérable que la brique elle-même. On prenait des briques d’une pâte plus tendre, Place, Ninive et l’Assyrie, t. i, p. 233, et on étendait dessus, avant de la passer au four, une couche épaisse de matière colorée et vitrifiable. Par l’action du feu, la couleur adhérait intimement à l’argile et ne faisait, pour ainsi dire, qu’un avec elle (voir Émail), en sorte que maintenant encore elles gardent tout leur brillant. Les artistes chaldéens reproduisaient ainsi toutes sortes de sujets : des plantes, des animaux, des génies, des personnages, des scènes, comme chasses, batailles, sièges, etc. Les tons sont assez variés ; le plus souvent le fond est bleu, et les sujets se détachent en jaune ou en blanc. Il fallait de l’habileté et de la pratique pour représenter ainsi de grandes scènes avec des briques aux dimensions restreintes, ne pouvant contenir chacune qu’une faible partie du sujet ; pour composer un seul personnage, il entrait bon nombre de ces carreaux. Evidemment l’artiste devait faire une sorte de carton ; il le divisait en sections numérotées de la grandeur d’un carreau, et il répartissait exactement le travail entre les différentes briques, en les marquant d’un numéro d’ordre correspondant. Place, Ninive, t. ii, p. 253 ; Oppert, Expédition scientifique en Mésopotamie, t. i, p. 143-144. Les briques étaient ensuite assemblées avec soin et à joints très fins ; et pour les fixer solidement au mur dont elles formaient le revêtement, on se servait, à Babylone, de bitume. À Ninive, on se contentait souvent d’un ciment moins tenace. G. Perrot, Histoire de l’art, t. ii, p. 300. Ninive, qui avait emprunté l’art d’émailler aux Babyloniens, leur était restée inférieure : l’émail est moins solide ; à l’air il perd son brillant et l’argile s’effrite. À Khorsabad cependant, Place, Ninive, t. iii, pl. 24, 31, a trouvé au-dessus d’une des portes de la ville, fondée par Sargon, une archivolte émaillée bien conservée (fig. 618).


618. — Archivolte en briques émaillées d’une des portes de Khorsabad.
D’après Place, Ninive et l’Assyrie, t. iii, pl. 15.

Cette décoration des palais de Ninive et de Babylone avait vivement frappé les anciens. Ctésias, cité par Diodore, II, viii, 4, 6, en parle avec admiration. Bérose y fait allusion en signalant les peintures du temple de Bel. Le prophète Ézéchiel, xxiii, 14, 15, nous montre Ooliba, c’est-à-dire Jérusalem, « contemplant des hommes peints sur la muraille, des images de Chaldéens tracées au vermillon, portant une ceinture autour des reins, et sur la tête des tiares de diverses couleurs, tous semblables à des princes, des portraits de Babyloniens, de Chaldéens ; elle s’éprend d’amour pour eux et leur envoie des ambassadeurs. » Cf. Vigouroux, Bible et découvertes modernes, 5e édit., p. 401-403 ; E. Babelon, Manuel d’archéologie orientale, p. 125-131 ; Perrot, Histoire de l’art, t. ii, p. 295-311.

C’est aussi aux Babyloniens que les Perses empruntèrent, avec l’art d’émailler la brique, celui de l’estamper avec des sujets en relief, en le perfectionnant. Deux frises, celle des Lions et celle des Archers, trouvées à Suse, dans les ruines du palais d’Artaxerxès Mnémon, et reconstituées au musée du Louvre, nous offrent de magnifiques spécimens de ce dernier procédé. J. Dieulafoy, À Suse, journal des fouilles, 1884-1886, in-4o, Paris, 1888, p. 273. L’Égypte connaissait également la brique émaillée, et paraît en avoir fait un très fréquent usage dès l’ancien empire, particulièrement dans le Delta. Cet usage du reste « est encore très répandu dans les pays de l’orient et du sud, depuis la maison la plus simple jusque dans les palais… L’espèce de fraîcheur qui semble résulter de ce poli brillant, et l’éclat durable des couleurs que présentent ces revêtements, plaisent aux habitants des pays chauds ». A. Brongniart, Traité des arts céramiques, 3e édit., 1877, t. ii, p. 95.

Dans la grande pyramide de Saqqarah, la porte d’un des caveaux avait son chambranle entouré de ces briques émaillées en bleu verdâtre. Lepsius, Denkmäler, Abth. ii, Bl. 2. La plupart de ces plaques, acquises par le musée de Berlin, y ont servi à reconstituer cette porte. Leur face postérieure a une saillie qui servait à les engager dans le mortier ; et pour plus de solidité cette saillie avait été percée d’un trou dans lequel on devait passer une tige de bois ou de métal permettant de relier ensemble les briques d’une même file horizontale. Un plus beau spécimen, conservé au musée de Boulaq, a été trouvé dans les ruines d’un temple bâti par Ramsès III, à Tell-el-Yahoudi, au nord-est du Caire. Les cartouches du roi, après avoir été dessinés en creux dans l’argile, ont été remplis d’un émail vert, avec lettres en noir ; on y voit des prisonniers asiatiques et africains, avec figures en relief et couleurs variées. Cf. G. Maspero, L’archéologie égyptienne, p. 8 ; Perrot, Histoire de l’art, t. i, p. 822-826.

III. Brique documentaire. — C’est aussi à la brique que les Assyriens et les Babyloniens eurent recours pour composer leurs livres. Sur la brique encore molle, on gravait en creux, à l’aide d’un stylet triangulaire, des traits ressemblant à des clous ou coins. Leur position et leur assemblage variés donnent naissance aux signes syllabiques et aux mots (voir col. 1170). Les briques ainsi écrites étaient passées au feu ; on les numérotait et on avait ainsi les feuillets d’un livre, composé d’un nombre plus ou moins considérable de briques semblables. Un ouvrage comprend parfois jusqu’à cent tablettes. Ninive et plusieurs grandes villes avaient des bibliothèques formées ainsi de briques-livres. La plus célèbre est celle d’Assurbanipal, qui pouvait bien contenir environ dix mille tablettes. Le British Museum en possède la plus grande partie, entières ou fragmentaires. Les contrats d’intérêt privé, les lettres, sont aussi écrits sur l’argile ; cependant ce ne sont plus de larges briques, mais de petites tablettes ou gâteaux d’argile, souvent renfermés dans une gaine également d’argile. C’est sur ces petites tablettes qu’est écrite l’importante correspondance des rois et gouverneurs de Syrie et d’Assyrie avec Aménophis III et Aménophis IV d’Égypte, découverte à Tell-el-Amarna. Cf. Vigouroux, Bible et découvertes, 5e édit., t. i, p. 174-181 ; Fr. Lenormant, Histoire ancienne de l’Orient, 9e édit., t. v, p. 140. Des dessins sur brique sont également parvenus jusqu’à nous. Layard, Nineveh and Babylon, t. vii, p. 167. Ainsi une tablette d’argile, conservée au British Museum, nous présente le plan d’un quartier de Babylone. Le prophète Ézéchiel, iv, 1, reçut de Dieu l’ordre de tracer ainsi sur une brique le plan de Jérusalem et d’en représenter le siège.

E. Levesque.