Dictionnaire de la Bible/Bitume

Letouzey et Ané (Volume Ip. 1801-1802-1803-1804).
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BITUME

BITUME. Hébreu : ḥêmâr, de ḥâmâr, « bouillonner, écumer, » cf. Gen., xiv, 10 ; Strabon, xvi, 11, 45. Septante : ἄσφαλτος ; Vulgate : bitumen.

I. Description. — Les bitumes sont des matières minérales, résultant du mélange naturel de divers carbures d’hydrogène avec des composés oxydés. Ils sont très fréquents dans les régions volcaniques et doivent être attribués à d’abondants épanchements d’hydrocarbures, se rattachant à la phase solfatarienne des volcans. Ils se présentent sous trois aspects : solides, mous, liquides. Les solides comprennent les asphaltes ; les mous, les malthes ou pissasphaltes ; les liquides enfin, les pétroles et les naphtes. L’asphalte (ἄσφαλτος), le véritable bitume de Judée, solide, est noir ou brun, amorphe, d’un éclat vitreux et résineux ; sa cassure est conchoïdale ; il s’électrise négativement par le frottement, fond au-dessous de 100°, et brûle avec flamme et fumée, en dégageant une odeur suffocante. Très peu soluble dans l’alcool, il se dissout en partie dans l’essence de térébenthine et dans le naphte. C’est très probablement cette dernière combinaison naturelle qui donne naissance aux bitumes mous.

Les bitumes se rencontrent aujourd’hui dans toutes les parties du monde, changeant de nom suivant les contrées où on les découvre. Dans l’ancien continent, la Judée est une des contrées les plus riches en bitumes ; la mer Morte doit même son nom de lac Asphaltite au bitume qui monte parfois sous forme d’écume à sa surface, et que le vent pousse sur ses bords en masses qui se solidifient et deviennent plus dures que la poix. La Susiane et la Babylonie avaient également du bitume. À Hit, en particulier, sur le moyen Euphrate, on en trouve des sources très abondantes. C’est de là, dit Hérodote, i, 179, qu’on tira le bitume nécessaire à la construction des murs de Babylone.

Comme les bitumes proviennent soit de sources, soit de gangues, ils sont recueillis de différentes manières ; mais les systèmes scientifiques modernes ont en grande partie remplacé le procédé primitif des anciens, qui consistait à faire bouillir simplement les gangues bitumeuses dans l’eau. Le bitume montait à la surface, et les résidus terreux se déposaient au fond des récipients.

Le bitume, à cause de ses propriétés dessicatives, était employé par les Égyptiens dans l’embaumement des momies, mais dans les embaumements moins soignés et moins coûteux ; car pour les plus luxueux on préférait en général la résine de cèdre. La grande pureté de ce bitume le fit rechercher au moyen âge pour les remèdes : les Arabes l’extrayaient des tombeaux et le vendaient sous le nom de Moumia.

Aux environs des sources de bitume on rencontre une terre imprégnée de matières bitumineuses que Strabon, vii, 5, 8, désigne sous le nom d’Ampélite. Elle servait à combattre les vers qui rongeaient les pieds de vigne. Les bitumes liquides servaient également à l’éclairage. Il est très probable que les Hébreux, si voisins des sources de naphte, s’en servaient, comme les habitants de la Sicile, pour l’entretien de leurs lampes. — Sur le bitume de Judée, voir Ibn-el-Beithar, dans les Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque Nationale, t. xxvi, 1re part., p. 98-101 ; Abd-Allatif, Relation de l’Égypte, trad. S. de Sacy, Paris, 1810, p. 271-277.

F. De Mély.

II. Exégèse. — La première fois où il est certainement question de bitume dans l’Écriture, c’est dans le récit de la tour de Babel. Gen., xi, 4. « Ils prirent des briques en guise de pierre, et du bitume en guise de ciment. » Cette dernière remarque est un signe de la fidélité de la tradition qui a transmis ce récit jusqu’à Moïse. Ni en Égypte, ni en Palestine, on n’avait l’idée d’un pareil mortier ; en Chaldée, au contraire, où le bitume abonde, son emploi est un trait caractéristique des constructions du pays. Hérodote, i, 179, frappé de cette habitude toute locale, insiste sur ce détail en parlant des murs de Babylone. « À mesure qu’on creusait les fossés, on convertissait la terre en briques, et lorsqu’il y en eut une quantité suffisante, on les fit cuire dans les fourneaux. Ensuite pour mortier on employa le bitume chaud. » De nombreux voyageurs ont reconnu des traces de l’emploi du bitume dans les édifices de Babylone qu’il a été possible de déblayer. Raimond, Voyage aux ruines de Babylone, in-8o, Paris, 1818, p. 161-178. Les traces en sont encore visibles sur les briques babyloniennes et chaldéennes conservées au musée du Louvre. On le constate du reste dans toute la basse Chaldée, en particulier à Warka (Kenneth Loftus, Travels and researches, t. i, p. 169), et surtout à Ur, la patrie d’Abraham. Dans les ruines de cette dernière cité, l’abondance du bitume est telle, que les Arabes lui ont donné le nom de Mughéir, c’est-à-dire « la bituminée », ou « couverte de bitume ». Taylor, Notes on the ruins of Muqeyer, dans le Journal of the Royal Asiatic Society of Great Britain, t. xv, p. 260-261. En Assyrie, où il y a pourtant des sources de bitume, on ne l’employait pas comme mortier dans la construction des murs ; on le trouve seulement sous les deux lits de briques qui formaient le pavé des terrasses (Layard, Nineveh and Babylon, t. i, p. 29). On a remarqué que, dans les constructions de la Chaldée, le bitume n’est pas employé dans toute la masse des murailles, mais surtout pour les parties basses et extérieures, afin de leur donner plus de solidité. Là les larges briques cuites au four, engagées dans des couches épaisses de bitume, forment une maçonnerie si compacte que les machines de guerre devaient avoir peu de prise contre elles. Maintenant encore la pioche a peine à en détacher des fragments. En Chaldée, sur la paroi intérieure des murs, pour retenir le revêtement de briques émaillées représentant des figures d’hommes ou d’animaux, et servant à la décoration des palais, on employait aussi le bitume ; en Assyrie, on se contentait ordinairement de mortier ou ciment. Cf. Perrot, Histoire de l’art, t. ii, p. 300.

D’après la Genèse, xiv, 10, il y avait dans la vallée de Hassiddîm (ou Siddîm sans l’article ; Vulgate : Silvestris) de nombreux puits de bitume. Cette vallée de Hassiddîm, « des champs plains, » est maintenant, en partie au moins, la mer de sel, Gen., xiv, 3, c’est-à-dire la mer Morte ; elle a, en effet, une si grande quantité d’asphalte, que, comme il a été dit plus haut, le nom de lac Asphaltite lui a été donné pour cette raison par les Grecs et les Romains. Josèphe, Bell, jud., III, x, 7 ; IV, viii, 4 ; Strabon, xvi, 2, 42-44 ; Tacite, Hist., v, 6. Sur ses bords, à l’est, se trouve une montagne appelée Tour-el-Homar, c’est-à-dire « rocher d’asphalte ». Mislin, Les Saints Lieux, 1858, t. iii, p. 255. Ce nom arabe rappelle le mot ḥêmâr du récit biblique. « Quant aux bitumes de la vallée de Siddim, dit de Luynes, Voyage d’exploration à la mer Morte, t. i, p. 245, la contiguïté du Wady Mahawat et de ses calcaires bitumeux ne laisse pas de doute sur la possibilité de leur existence. » Il est donc certain que cette vallée devait être très abondante en sources de bitume.

En Égypte, on connaissait le bitume puisqu’on l’employait dans les embaumements. On s’en servait aussi en guise de goudron, pour calfater les barques de papyrus. Josèphe, Bell, jud., IV, viii, 4 ; Pline, H. N., vi, 22 ; Théophraste, Hist. pl., iv. Il est donc naturel de voir la mère de Moïse enduire de bitume et de poix la corbeille de papyrus où elle allait déposer son enfant, afin de la rendre imperméable à l’eau. Exod., ii, 3. L’asphalte employé en Égypte provenait de la mer Morte. Cf. Strabon, xvi, 2, 45.

Dans ces trois endroits, le mot employé est ḥêmâr, qui signifie incontestablement le « bitume ». Quant à Gen., vi, 14, c’est une question de savoir si la substance appelée kôfér, dont Noé devait enduire l’arche à l’intérieur et à l’extérieur, est vraiment du bitume, comme le traduisent les Septante et la Vulgate, ou de la poix, selon le chaldéen, le syriaque et l’arabe. Plusieurs interprètes, en particulier Keil, Genesis, p. 113 ; Dillmann, Genesis, p. 152, tiennent pour le bitume ; Gesenius, au contraire, Thesaurus, p. 708, et J. Fürst, Hebräisches Handwörterbuch, t. i, p. 623, pour la poix. Le bitume ou asphalte a un nom bien déterminé dans la Sainte Écriture, ḥêmâr, semblable au mot ḥomar, employé encore par les Arabes en ce sens. D’un autre côté, la poix est connue sous le nom de zéféṭ. Exod., ii, 3. Il faudrait donc voir dans kôfér une espèce particulière de bitume, un bitume mou, une sorte de pissasphalte ou bien une résine particulière, de même nature et usage que la poix. Mühlau et Volck, Gesenius’ Hebräisches Handwörterbuch, 11e édit., 1890, p. 401. Les anciens du reste confondaient souvent le bitume avec la poix. Il est à remarquer que le récit chaldéen du déluge, iie colonne, lignes 10-11, a aussi le mot kupru, en parallèle avec iddu. Frd. Delitzsch, Assyrisches Wörterbuch, p. 123, identifie les deux mots et leur donne la signification de bitume.

Les Septante (ou plutôt Théodotion) et la Vulgate, Dan., iii, 46, mentionnent une espèce de bitume, le naphte, bitume très inflammable, qui servit avec la poix à alimenter le feu de la fournaise où furent jetés Azarias et ses compagnons. Voir Naphte.

E. Levesque.