Dictionnaire de la Bible/Babylone

Letouzey et Ané (Volume Ip. 1351-1352-1357-1358).
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BABYLONE

1. BABYLONE (hébreu : Bâbél ; Septante : Βαβυλών ; Vulgate : Babylon ; textes cunéiformes : forme non sémitique :
Tin-tir (Bois de vie) ;

formes sémitiques :

(idéographique)
Bab ili (porte des dieux)
Espace
(phonétique)
Ba-bi-l(u).

I. Nom. — L’étymologie du nom de la ville nous est donnée par la Genèse, xi, 9 : à la suite de la confusion
404. — Plan fragmentaire de Babylone, traversée par l’Euphrate.
D’après une tablette cunéiforme.
des langues, on nomma la ville inachevée Bâbel, c’est-à-dire « confusion ». Tous les rationalistes et beaucoup d’assyriologues, comme Eb. Schrader-Whitehouse, The cuneiform Inscriptions and the Old Testament, t. i, p. 113-114 ; Fr. Delitzsch, Wo lag das Paradies, p. 213, combattent l’étymologie biblique pour y substituer celle qu’indiquent les textes babyloniens, Bab-ili, « porte de Dieu ou des dieux ; » mais rien ne prouve que l’étymologie donnée par Moïse ne soit pas la plus ancienne, et par conséquent la vraie : les Orientaux, pour bien des raisons différentes, changent facilement les étymologies des noms propres, souvent même au risque de les déformer un peu. Cf. Journal asiatique, janvier 1893, p. 88. En outre, si un auteur hébreu avait fourni cette étymologie, il nous l’eût donnée, d’après les principes de sa propre langue, sous la forme pilpel des verbes עע comme bâlal, « confondre, » et non pas sous la forme contractée assyro-babylonienne Bâbel, pour Balbel. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 5e édit., t. i, p. 360-362. On peut ajouter que si l’étymologie Bab-ili (porte de Dieu) n’eût pas été factice, et par conséquent la moins ancienne, les Babyloniens n’auraient pas coupé le mot en trois syllabes, au mépris de la division des deux mots constitutifs, Ba-bi-lu ; c’est ainsi que dans le nom de ville Dur-ili (forteresse de Dieu) les textes respectent toujours la coupure, et n’écrivent jamais Du-ri-li.

II. Histoire. — Laissée inachevée après la dispersion des constructeurs de la tour, Babylone fut terminée plus tard ; elle apparaît déjà comme faisant partie de la tétrapole méridionale de Nemrod, Gen., x, 10 ; cependant la domination babylonienne ne paraît établie sur la partie intérieure de la Mésopotamie que sous la dynastie pal-Tintir (dynastie de Babylone), qui régna d’environ 2409 à 2146 avant J.-C., et dont le roi le plus célèbre fut Ḥammourabi. Épargnée par l’invasion élamite des Koudourides, la monarchie babylonienne contribua à expulser les envahisseurs de la Chaldée et de tout le Sennaar, en y établissant sa propre autorité. Voir encore sur les origines de Babylone les Proceedings of the Society of Biblical Archæology, 10 janvier 1893, p. 108. Dès lors l’histoire de Babylone se
405. — Plan des ruines de Babylone. D’après M. Oppert.
confond avec celle de l’empire babylonien. La Bible ne s’occupe plus de Babylone avant la ruine du royaume d’Israël ; elle nous apprend alors que le vainqueur assyrien transplanta en Samarie des colons babyloniens, qui joignirent au culte du vrai Dieu celui de leurs idoles, et s’y firent des Sochothbenoth (voir ce mot), IV Reg., xvii, 24, 30. Plus tard un roi de Babylone, Mérodach-Baladan, cherche à faire alliance avec Ézéchias contre les Assyriens, et l’envoie féliciter de sa guérison ; c’est alors qu’Isaïe annonce à Ézéchias la captivité de Babylone. IV Reg., xx, 12-19 ; Is., xxxix, 1-8. C’est dans la capitale chaldéenne que Manassé est jeté en prison par le roi d’Assyrie. II Par., xxxiii, 11-13. Enfin la destruction du royaume de Juda, par Nabuchodonosor, y amène à plusieurs reprises des convois de Juifs prisonniers, que Jérémie console et fortifie dans la foi par la lettre insérée dans Baruch, vi, 1-72 et par celle de Jérémie, xxix. C’est surtout la captivité de Babylone qui a rendu cette ville célèbre dans l’histoire sainte. Jer., xx, 4, 12 ; Matth., i, 11, 17 ; Act., vii, 43. Ézéchiel habita la Babylonie ; Daniel y exerça même une charge élevée à la cour ; c’est à Babylone ou dans les environs que se placent l’érection de la statue de Nabuchodonosor et la délivrance des enfants de la fournaise, Dan., iii ; l’histoire de Susanne, Dan., xiii ; le récit des fourberies des prêtres de Bel, et la mort du dragon, Dan., xiv ; enfin le double épisode de la fosse aux lions, vi et xiv, 27-42. Après la prise de Babylone par Cyrus, une portion des captifs rentrèrent en Palestine aux différentes migrations mentionnées dans les livres d’Esdras et de Néhémie ; mais celui d’Esther nous montre que beaucoup aussi préférèrent continuer à vivre dans l’empire perse. Le gouvernement des Séleucides, puis des Parthes, ne leur y fut généralement pas défavorable (voir cependant Josèphe, Ant: Jud., XVIII, ix, 9, et G. Rawlinson, The sixth great oriental monarchy, Londres, 1873, p. 240-244), de sorte que la Babylonie devint plus tard pour eux un refuge et un centre d’études.

III. Description. — Si la situation de Babylone sur le bas Euphrate a toujours été connue, il n’en est pas de même de l’étendue de la cité. Le point de départ est donné par quelques ruines remarquables, le Babil, le Kasr ou palais ; mais où étaient les limites, les murs de la ville ? Suivant Hérodote, ces murs auraient eu 480 stades de circuit ou 88 800 mètres, 200 coudées de hauteur et 50 d’épaisseur, ou 92 et 23 mètres ; d’après Ctésias, duquel se rapprochent Strabon et Diodore de Sicile, le circuit n’était que de 360 stades (66 600 mètres) ; mais les hauteurs sont extraordinairement différentes : Ctésias donne 200 coudées (92 mètres), Pline 200 pieds (61 mètres), et Strabon 75 (23 mètres) ; ils étaient, comme toutes les constructions babyloniennes, de briques séchées au soleil, avec revêtement de brique cuite, du bitume en guise de ciment, et des lits de roseaux pour donner de la cohésion et drainer l’humidité de l’argile crue. Il y avait cent portes d’airain. Cf. Jer., l, 15 ; li, 53, 58. M. Oppert, Expédition en Mésopotamie, t. i, p. 234, croit avoir retrouvé les traces d’une double enceinte enfermant l’une 513 kilomètres carrés, l’autre 290. Comme ces traces ne sont pas évidentes, la plupart des savants anglais révoquent en doute le plan proposé par M. Oppert. Pour donner à Babylone une étendue égale au département de la Seine, ce savant y comprend les localités environnantes, particulièrement Borsippa ; mais un texte de Bérose, corroboré par Strabon, XVI, i, 6 et 7, édit. Didot, p. 629, et surtout par les inscriptions cunéiformes elles-mêmes, distingue soigneusement les deux villes. Bérose nous apprend que Cyrus, après la prise de Babylone, s’en alla faire le siège de Borsippa. Histor. græc. Fragm., t. ii, p. 508.
406. — Ruines de Babil.

L’Euphrate, endigué entre deux quais de brique bitumée, et coulant entre deux hauts murs percés de vingt-cinq portes, traversait la ville (fig. 404) ; un immense pont, et, s’il faut en croire Diodore de Sicile, un tunnel voûté, rejoignait les deux quartiers. Entre beaucoup de monuments remarquables, généralement assez bas et d’une architecture très massive, rehaussés d’enduit peint et de briques émaillées, ou couverts de plaques métalliques, bronze, argent et or, on admirait le grand temple ou tombeau de Bel et plusieurs palais.

La divinité particulièrement adorée à Babylone était Mardouk, le Mérodach de la Bible, la planète de Jupiter, qu’on appelait couramment Bel, « seigneur », le Belos ou Belus des écrivains classiques, le Bel des prophètes, Is., xlvi, 1, etc., distinct d’une autre divinité nommée Bel l’ancien, et mentionnée aussi dans Jérémie, l, 2. Le temple de Bel, consacré au seigneur Mardouk ou Mérodach, était surtout remarquable par sa tour à étages ou pyramide, décrite par Hérodote, i, 183, édit. Didot, p. 60, et Strabon, xvi, 1, 5, édit. Didot, p. 628, qui lui prête des dimensions fort extraordinaires. Dans la chapelle qui couronnait la pyramide, Diodore place trois statues colossales en or, de Jupiter, Junon et Rhéa, sans doute celles de Mardouk, Mylitta-Zirbanit, son épouse, et peut-être Ištar ; deux serpents d’argent, deux lions, trois coupes et une large table d’or massif. Tout cela fut pillé par les Perses lors de la conquête de Babylone, ainsi que le sanctuaire du bas de la pyramide. On croit généralement que ses ruines forment le Babil actuel (fig. 406). Néanmoins M. Oppert identifie la tour de Bélus avec le Birs-Nimroud (voir Tour de Babel). On peut voir par les bas-reliefs assyriens ce qu’étaient ces jardins, espèces de terrasses supportées par des arches et des piliers massifs, et s’étageant les uns au-dessus des autres (fig. 408), de façon à rappeler les montagnes couvertes de forêts que désirait revoir l’une des épouses de Nabuchodonosor. Mais G. Rawlinson, qui n’admet pas que 4 acres (moins d’un demi-hectare) de jardins suspendus aient pu donner 37 acres de ruines, voit dans le Tell-Amran le palais des prédécesseurs de Nabuchodonosor, déjà mentionné par Bérose. Si l’on n’y a trouvé ni maçonnerie ni statue, on en a retiré des briques estampillées au nom de différents anciens rois de
407. — Tell-Amran-Ibn Ali. D’après Rich.
Babylone. À l’est de ces palais on croit voir les traces d’un vaste réservoir mentionné par Nabuchodonosor sous le nom de Iabur-šabu. Cet ensemble, qui formait la cité royale, était entouré d’un côté par l’Euphrate, de l’autre par deux lignes de remparts se rencontrant presque à angle droit du côté est, et dont la partie nord aboutissait au Babil. Autour, et, semble-t-il, principalement au sud, se groupait l’immense population de Babylone. Hérodote, i, 180, édit. Didot, p. 59, a remarqué leurs maisons à trois ou quatre étages, alignées en rues parallèles et perpendiculaires au cours de l’Euphrate. À Djumjumah, prèsde Hillah, on a retrouvé, en 1876, les tablettes commerciales des Egibi, commerçants babyloniens, dont on peut suivre les transactions pendant environ deux siècles. Sur la rive droite de l’Euphrate, en face du Tell-Amran, des ruines encore bien visibles dessinent les contours d’un palais où les briques sont estampillées au nom de Nériglissor (Nergal-šar-uṣur). Englobant Borsippa dans Babylone, M. Oppert place à cet endroit, au Birs-Nimroud, le temple et la tour de Bel dont parle Hérodote, et les identifie avec les restes de la tour de Babel (voir Tour de Babel), tandis que H. et G. Rawlinson la confondent avec le temple de Bel-Mérodach décrit par Strabon, et la placent au Babil.

Malgré sa force et sa puissance, malgré le luxe de ses habitants, Is., xiv, 8 et suiv. ; xlvii, 1-2 ; Jer., li, 39 ; Dan., vi, 1, malgré la vitalité dont elle fit preuve, réparant bien des fois les désastres des longs sièges qu’elle eut à subir, elle finit par succomber, et par voir se réaliser à la lettre les menaces des prophètes juifs : Is., xiii, 19-23 ; xiv, 4-12 ; xlvii ; Jer., li, 58. Voir le reste de son histoire à l’article Babylonie ; voir aussi Tour de Babel.

Dans le Nouveau Testament, le nom de Babylone est encore employé dans la salutation finale de la Ire épître de saint Pierre, v, 13, vraisemblablement pour désigner Rome et non la Babylone mésopotamienne ; moins encore Séleucie, ou la Babylone d’Égypte, ou même Jérusalem. Voir Pierre (première épître de Saint).
408. — Jardins suspendus de Babylone. Essai de restitution.

L’Apocalypse désigne Rome sous le nom allégorique de « la grande Babylone, » xiv, 8 ; xvi, 19 ; xvii, 5 ; xviii, 2, 10, 21 ; au chap. xvii, 9, sont mentionnées les sept collines sur lesquelles elle est bâtie ; au ꝟ. 18, sa domination sur les rois de la terre. L’idolâtrie, la corruption et la puissance matérielle assimilaient ces deux villes ; ce que Babylone fut pour Jérusalem, la Rome persécutrice l’était pour l’Église.

E. Pannier.