Dictionnaire de l’administration française/BUDGET

BUDGET. 1. C’est l’acte par lequel sont prévues et autorisées les recettes et les dépenses annuelles de l’État, ou des autres services que les lois assujettissent aux mêmes règles. (D. 31 mai 1862.)

Le mot budget, importé d’Angleterre au commencement de ce siècle, vient de l’ancien mot bougette, sac, dont les Anglo-Normands se servirent pour désigner le sac de cuir dans lequel le chancelier de l’échiquier apportait devant le parlement les comptes et les pièces justificatives des recettes et des dépenses.

L’État, les départements, les communes et les divers établissements publics ont des budgets spéciaux soumis à des règles particulières (voy. Communes, Départements). Nous ne nous occuperons ici que du budget de l’État.

sommaire.

chap. i. introduction, 2 à 8.
ii. préparation et formation du budget, 9 à 13.
iii. vote du budget, 14 à 19.
iv. crédits, 20 à 27.
v. exécution du budget, 28 à 38.
vi. règlement définitif du budget, 39.
Administration comparée.

chap. i. — introduction.

2. Dans l’ancienne monarchie française, l’établissement du budget, autrement dit état du Roi, n’avait pas la même régularité qu’aujourd’hui. Souvent on se dispensait de remplir ce qu’on regardait comme une vaine formalité, ou bien on ne dressait ces états que plusieurs années après l’exercice expiré. Ce ne fut qu’en 1790 que commença la publication annuelle d’un tableau des recettes et des dépenses. D’après la constitution de l’an III, le Directoire dut présenter chaque année au Corps législatif un état des ressources et des dépenses qui prit le nom de budget sous le Consulat.

3. Sous le premier Empire, le budget ne présentait encore qu’un aperçu très-incomplet des dépenses et des recettes ; des sommes considérables restaient sans contrôle à la disposition du Gouvernement. Les formes financières se régularisèrent sous la Restauration. Une loi du 23 septembre 1821 prescrivit de comprendre dans le budget tous les revenus et toutes les dépenses. D’autres lois y rattachèrent successivement les non-valeurs, divers produits, ainsi que les budgets de plusieurs services spéciaux, et l’unité fut consommée en 1831 par l’annexion du budget de la dette publique et de l’amortissement.

4. Dès l’origine, les budgets étaient présentés par chapitres qui se décomposaient eux-mêmes en articles. Mais jusqu’en 1817, chaque ministre resta maître d’appliquer les fonds votés d’une manière plus ou moins différente de celle qu’indiquait le projet du budget. Il en résultait des abus qu’on voulut empêcher en décidant que les ministres devraient soumettre à l’approbation du roi la répartition entre les chapitres de leurs budgets particuliers, des sommes allouées à leur ministère. (L. 17 mars 1817.) Cette règle fut reconnue peu efficace et remplacée en 1827 par une autre qui consistait à diviser le budget en quatre grandes divisions et à le subdiviser en sections dont chacune devait être soumise au vote des Chambres. (O. 1er sept. 1827.)

5. Comme ce remède était encore insuffisant, une loi du 29 janvier 1831 décida que le budget de chaque ministère serait divisé en chapitres spéciaux contenant chacun des services corrélatifs ou de même nature, que la même division serait suivie dans la loi des comptes, et que les sommes affectées à chacun des chapitres ne pourraient être appliquées à des chapitres différents. Ce système dura jusqu’en 1852. Alors un sénatus-consulte établit le vote en bloc par ministère, la répartition par décrets et la faculté de reporter les excédants de crédits d’un chapitre sur l’autre en vertu d’un décret. D’incessantes réclamations n’obtinrent de résultat qu’en 1861 ; le budget fut divisé en sections, au nombre de 55. Les réclamations continuèrent et n’eurent satisfaction qu’en 1869, où l’on rétablit le vote par chapitres. Enfin l’Assemblée nationale décida, par une loi du 16 septembre 1871, non-seulement que le budget serait voté par chapitres, mais encore qu’aucun virement de crédit ne pourrait avoir lieu d’un chapitre à un autre.

6. La même loi réforma les règles concernant les crédits supplémentaires ou extraordinaires. Les lois de finances de 1817 et de 1819 avaient disposé que ces crédits pourraient être ouverts par des ordonnances royales à condition d’être soumis à l’approbation des Chambres à leur plus prochaine session. L’ordonnance du 1er septembre 1827 n’exigea plus la sanction législative immédiate que pour les crédits extraordinaires et renvoya à la loi des comptes la justification des crédits supplémentaires ; ce qui plaçait les Chambres en présence de faits accomplis qu’il ne restait qu’à ratifier. En 1833, il fut décidé que tous les crédits devraient être soumis aux Chambres dans leur plus prochaine session (L. 24 avril 1833), et en 1834, 1850 et 1851, de nouvelles restrictions furent apportées à la faculté d’ouvrir des crédits par ordonnances ou par décrets.

7. Cependant ces précautions n’empêchaient pas les crédits supplémentaires ou extraordinaires de s’élever à des sommes considérables. On se flatta de l’espoir qu’ils disparaîtraient presque en totalité lorsque le sénatus-consulte du 25 décembre 1852 créa la faculté de virement en détruisant la spécialité. Vaine illusion ; non-seulement les crédits supplémentaires, déduction faite de quatre années de guerre, s’élevèrent à plus d’un milliard de 1852 à 1861, mais le Gouvernement en outre s’abstenait d’en demander la ratification dans la session suivante. Le mal devint tel qu’un sénatus-consulte de 1861 supprima le droit d’ouvrir par décret des crédits supplémentaires ou extraordinaires, et n’autorisa la faculté de virement d’un chapitre à un autre qu’en vertu de décrets spéciaux rendus en Conseil d’État.

8. Il était entendu que ce serait par les virements que les ministres subviendraient aux besoins imprévus, et pour que ce système pût fonctionner, les allocations furent portées au maximum des crédits nécessaires. Mais l’équilibre entre la recette et la dépense ne fut pas mieux assuré que précédemment ; lorsqu’un besoin inopiné faisait un vide dans une section, il fallait que le Corps législatif votât de nouveaux fonds. La question s’étant posée devant l’Assemblée nationale, il fut reconnu que prétendre supprimer absolument les crédits supplémentaires ou extraordinaires était une chimère et que les meilleures garanties contre les abus se trouvaient dans la législation de 1831 à 1851[1]. Les dispositions adoptées en conséquence sont indiquées ci-après aux nos 21 à 24.

chap. ii. — préparation et formation du budget.

9. Le budget de l’État qui, une fois voté, prend le nom de loi annuelle des finances, se divise en deux parties distinctes les : recettes et les dépenses. Celles-ci doivent être établies par ministère, par chapitre et par article, et sont examinées avant les recettes destinées à les acquitter.

10. Chaque ministre prépare d’abord son budget particulier en prenant pour base les allocations antérieures, sauf à tenir compte des besoins et des services nouveaux. Il se concerte avec le ministre des finances, qui seul, en sa qualité de centralisateur, est en position d’apprécier l’ensemble des voies et moyens destinés à faire face aux dépenses et d’indiquer la juste limite où doivent s’arrêter les impositions à établir pour les besoins de chaque exercice.

11. Après avoir ainsi coordonné les budgets spéciaux des divers ministères, le ministre des finances prépare le projet de loi concernant l’ensemble du budget de l’État. Ce projet centralise dans un seul tableau les ressources et les besoins de chaque exercice et établit ainsi l’unité de système qui est la base fondamentale de l’ordre dans les finances.

12. Pendant longtemps on distinguait, dans le même budget, les dépenses ordinaires des dépenses extraordinaires, la loi de finances du 2 juillet 1862 les établit en deux budgets faisant chacun l’objet d’une loi distincte. Mais en 1871 on décida que toutes les dépenses seraient réunies dans le même budget et qu’on supprimerait le mot extraordinaire. (Rapp. de M. C. Périer, 31 août 1871.) de l’État ; 2° le budget sur ressources spéciales, comprenant la totalité des recettes et dépenses départementales, et celles des communes qui consistent en centimes additionnels ; 3° les recettes et dépenses inscrites pour ordre, et les budgets d’établissements séparés qui sont sous la surveillance de l’État. On ne devrait jamais additionner ces trois budgets, le premier doit être seul cité quand on veut faire connaître les recettes et les On ne fait plus de distinction qu’entre : 1° le budget dépenses de l’État.

13. Aucune dépense de l’État ne doit être engagée et n’est acquittée par le Trésor public qu’autant que le ministre des finances, préalablement consulté, a reconnu la possibilité d’y pourvoir. (Arr. du chef du pouvoir exécutif 1er avril 1871.)

chap. iii. — vote du budget.

14. Le projet de loi est imprimé et présenté à la législature, avec un exposé des motifs et de nombreux documents, avant l’ouverture de chaque exercice, c’est-à-dire de la période d’exécution des services.

15. Le budget est voté par chapitres. (L. 16 sept. 1871.) Il constitue la loi de finances. La période pour laquelle il est voté forme l’exercice.

16. Les impôts de répartition sont votés pour un an ; tous les autres impôts peuvent l’être pour plusieurs années. Les lois de finances en autorisent chaque année la perception. (D. 31 mai 1862.)

17. Le budget peut être rectifié, s’il y a lieu, pendant le cours de l’exercice. (D. 31 mai 1862.) On procède à la rectification suivant les mêmes formes que pour le vote du premier.

18. Les opérations de régularisation postérieures à la clôture de l’exercice sont l’objet de propositions spéciales dans la loi de règlement. (D. 31 mai 1862 ; voy. n° 39.)

19. Toutes contributions directes ou indirectes autres que celles qui sont autorisées par les lois de finances, à quelque titre et sous quelque dénomination qu’elles se perçoivent, sont formellement interdites, à peine, contre les autorités qui les ordonneraient, contre les employés qui confectionneraient les rôles et tarifs, et ceux qui en feraient le recouvrement, d’être poursuivis comme concussionnaires, sans préjudice de l’action en répétition, pendant trois années, contre tous receveurs, percepteurs ou individus qui auraient fait la perception. (Lois annuelles de .finances.)

chap. iv. — crédits.

20. La loi annuelle de finances ouvre les crédits nécessaires aux dépenses présumées de chaque exercice. Il est pourvu au paiement de ces dépenses par les voies et moyens compris dans le budget des recettes. (D. 31 mai 1862.)

21. Chaque chapitre ne contient que des services corrélatifs ou de même nature. (L. 29 janv. 1831.)

22. Les ministres ne peuvent, sous leur responsabilité, dépenser au delà des crédits ouverts à chacun d’eux, ni engager aucune dépense nouvelle avant qu’il ait été pourvu au moyen de la payer par un supplément de crédit. (L. 15 mai 1850.) Si un ministre tentait de dépasser ses crédits, le ministre des finances l’arrêterait en refusant de payer. Lorsque la dépense est néanmoins nécessaire, il faut un crédit extraordinaire ou supplémentaire. (Voy. n° 24.)

23. Aucun virement de crédit ne peut avoir lieu d’un chapitre à un autre (L. 16 sept. 1871), mais ils sont admis d’un article à un autre.

24. Les suppléments de crédits nécessaires pour subvenir à l’insuffisance dûment justifiée des fonds affectés à un service porté au budget, ne peuvent être accordés que par une loi, sauf le cas de prorogation de l’Assemblée nationale. (Id.)

La même disposition est applicable aux crédits extraordinaires. Ces derniers ne peuvent être demandés que pour des services qui ne pouvaient pas être prévus et réglés par le budget. (Id.)

25. Dans le cas de prorogation de l’Assemblée nationale, les crédits supplémentaires ou extraordinaires peuvent être ouverts par des décrets rendus en Conseil d’État, après avoir été délibérés et approuvés en conseil des ministres. (Id.)

Ces décrets doivent être soumis à la sanction de l’Assemblée nationale dans la première quinzaine de la plus prochaine réunion. (Id.)

26. Il ne peut être ouvert de crédits supplémentaires que pour certains services votés dont la nomenclature est jointe à chaque loi de finances. (L. 15 mai 1850, 16 sept. 1871.)

27. Les ministres ne peuvent accroître, par aucune ressource particulière, le montant des crédits affectés aux dépenses de leurs services respectifs. Lorsque quelques-uns des objets mobiliers ou immobiliers à leur disposition ne peuvent être réemployés et sont susceptibles d’être vendus, la vente doit en être faite avec le concours des préposés des domaines. (O. 14 sept. 1822.) Ces dispositions ne sont pas applicables aux matériaux dont il a été fait un réemploi dûment justifié pour les besoins du service même d’où ils proviennent. (D. 31 mai 1862.)

chap. v. — exécution du budget.

28. Chaque mois, le ministre des finances propose au Président de la République, d’après les demandes des autres ministres, la distribution des fonds dont ils peuvent disposer dans le mois suivant. (O. 14 sept. 1822.)

29. Les crédits ouverts par la loi annuelle de finances pour les dépenses de chaque exercice ne peuvent être employés à l’acquittement des dépenses d’un autre exercice. (Id.)

30. Sont seuls considérés comme appartenant à un exercice les services faits et les droits acquis du 1er janvier au 31 décembre de l’année qui lui donne son nom. (Id.) Les délais nécessaires, soit pour achever certains services du matériel, soit pour compléter le recouvrement des produits, ainsi que la liquidation, l’ordonnancement et le paiement des dépenses, sont déterminés par des dispositions spéciales du décret du 31 mai 1862.

31. La durée de la période pendant laquelle doivent se consommer tous les faits de recette et de dépense de chaque exercice, se prolonge : 1° jusqu’au 1er février de la seconde année, pour achever, dans la limite des crédits ouverts, les services du matériel dont exécution commencée n’aurait pu être terminée avant le 31 décembre précédent, pour des causes de force majeure ou d’intérêt public, qui doivent être énoncées dans une déclaration de l’ordonnateur jointe à l’ordonnance ou au mandat ; 2° jusqu’au 31 juillet de la seconde année, pour la liquidation et l’ordonnancement des sommes dues aux créanciers ; 3° jusqu’au 31 août, pour compléter les opérations relatives au recouvrement des produits et au paiement des dépenses. (D. 11 août 1850.)

32. Aucune dépense faite pour le compte de l’État ne peut être acquittée si elle n’a été préalablement ordonnancée directement par un ministre, ou mandatée par les ordonnateurs secondaires, en vertu de délégations ministérielles. (O. 14 sept. 1822.)

33. Toute ordonnance, pour être admise par le ministre des finances, doit porter sur un crédit régulièrement ouvert et se renfermer dans les limites des distributions mensuelles de fonds. (Id.)

34. Toutes les dépenses d’un exercice doivent être liquidées et ordonnancées dans les sept mois qui suivent l’expiration de l’exercice. (L. 4 mai 1834.)

35. Faute par les créanciers de réclamer leur paiement avant le 31 août de la deuxième année, les ordonnances et mandats délivrés à leur profit sont annulés, sans préjudice des droits de ces créanciers et sauf réordonnancement jusqu’au terme de déchéance (D. 11 août 1850.)

36. Les paiements à effectuer pour solder les dépenses des exercices clos sont ordonnancés sur les fonds de l’exercice courant. (Lois de règlement définitif.) Les ordonnances sont imputées sur un chapitre spécial ouvert pour mémoire et pour ordre au budget de chaque ministère, sans allocation spéciale de fonds. (L. 23 mai 1834.) Toutefois les dépenses que les comptes présentent comme restant à payer à l’époque de la clôture d’un exercice et qui ont été autorisées par des crédits régulièrement ouverts, peuvent être ordonnancées par les ministres sur les fonds des budgets courants, avant que la loi de règlement de cet exercice ait été votée. (D. 31 mai 1862.)

37. Sont prescrites et définitivement éteintes au profit de l’État, toutes les créances qui, n’ayant pas été acquittées avant la clôture de l’exercice auquel elles appartiennent, n’auraient pu, à défaut de justifications suffisantes, être liquidées, ordonnancées et payées dans un délai de cinq années, à partir de l’ouverture de l’exercice, pour les créanciers domiciliés en Europe, et de six années pour les créanciers résidant hors du territoire européen. (L. 29 janv. 1831.) Sont exceptées les créances dont l’ordonnancement et le paiement n’ont pu être effectués dans les délais déterminés, par le fait de l’administration ou par suite de pourvois formés devant le Conseil d’État (Id.)

38. Les dépenses que les ministres ont à solder postérieurement ne sont ordonnancées qu’après que des crédits extraordinaires ont été ouverts. Elles sont imputées sur le budget courant à un chapitre intitulé : Dépenses des exercices périmés. (L. 10 mai 1838.)

chap. vi. — règlement définitif du budget.

39. Le règlement définitif du budget de l’exercice expiré est l’objet d’une loi spéciale au projet de laquelle sont joints les comptes des ministres. Les subdivisions par chapitres doivent y être reproduites. (L. 24 avril 1833.) La Cour des comptes, de son côté, constate et certifie, d’après les comptes et pièces qui lui ont été produits par tous les comptables du Trésor, l’exactitude des comptes ministériels et prononce une déclaration générale et publique de conformité sur la situation définitive de l’exercice expiré. (Art. 440 à 445 du déc. du 31 mai 1862.) Lecomte.

Mis à jour, par L. S…

administration comparée.

L’utilité d’un budget a été reconnue dès 1601 par Sully. Je ne saurais croire, dit-il, que l’idée de cet sortes de formules ne soit pas venue à quelqu’un depuis que les finances ont été assujetties à quelques règlements ; l’intérêt seul doit en avoir empêché l’exécution. Quoi qu’il en soit, je soutiendrai toujours que sans ce guide ou ne peut travailler qu’en aveugle ou en fripon. « Ces sortes de formules » ont été également appréciées par son grand successeur Colbert. En Allemagne, le budget, ou plutôt les « états de prévision » furent recommandés par de Seckendorf en 1655 (Deutscher Führenstaat), par Gasser en 1729, par de Justi en 1752, par de Sonnenfels et autres publicistes du xviiie siècle. Mais, en Allemagne comme en France, le budget resta longtemps une question théorique ; les publicistes le recommandaient, les gouvernements se bornaient à rédiger des états qui restaient essentiellement secrets, du moins avant 1789. En Angleterre, où le droit d’accorder des subsides au roi et d’en surveiller plus ou moins étroitement l’emploi est entré de bonne heure dans la pratique constitutionnelle, le vrai budget, c’est-à-dire le tableau d’ensemble des recettes et dépenses probables, n’en est pas moins une institution presque moderne. De nos jours encore, l’Angleterre est sur ce point, à beaucoup d’égards, en retard sur les États du continent européen, comme il sera facile de le montrer en quelques traits.

Partout en Europe, le budget se compose d’au moins deux parties, les recettes et les dépenses. Ces deux parties sont présentées à la fois, les Chambres votent d’abord les dépenses et puis les recettes correspondantes. Sauf dans quelques petits États, où l’exercice financier est de plusieurs années, le double budget est arrêté pour une année. La plupart des constitutions s’expriment clairement sur ce point. Toutefois, la rédaction et même la publication d’un budget ne suppose pas nécessairement le vote de l’impôt par les représentants de la nation. En effet, le budget était connu en Prusse avant 1847, époque de la première réunion d’un parlement, encore purement consultatif d’ailleurs ; l’usage s’en est établi en Russie, qui publie depuis 1861 son budget annuel, et il existe également en Turquie. En Prusse, dans la période marquée par le conflit constitutionnel qui a précédé l’année 1866, le Gouvernement s’appuyait sur l’art. 109 disposant que « les contributions et taxes existantes continuent à être perçues tant qu’elles n’auront pas été modifiées par une loi. » On soutenait que les nouveaux impôts et les augmentations avaient seuls besoin d’être approuvés par le parlement, et le texte de la constitution semblait donner raison au Gouvernement. Depuis lors, Sadowa a valu au ministre un bill d’indemnité et il semble admis que l’ensemble du budget doit être voté tous les ans. (Voy. au Reichsanz. du 11 juillet 1875 la loi du 30 juin.)

L’Angleterre est le seul pays où l’ensemble du budget n’est pas voté tous les ans, car les impôts, contributions, taxes une fois accordées, le sont en grande partie d’une manière permanente, on ne vote que les changements ou les suppléments annuels. Certaines dépenses sont également « consolidées » ; il en résulte que les personnes qui n’ont pas une connaissance assez approfondie du mécanisme du budget anglais peuvent facilement concevoir une idée inexacte de l’importance de certains services. La discussion du budget, ou plutôt des parties de ce budget qui sont soumis au vote, a lieu d’après une procédure spéciale, que l’espace ne nous permet pas d’exposer ici. Disons seulement que les prévisions, dites estimates, se divisent en trois parties bien distinctes : 1° l’armée, 2° la marine, 3° les services civils, ce qui fait au fond trois budgets spéciaux. Le budget des services civils se divise en sept parties : 1° travaux publics (bâtiments civils) ; 2° traitements de l’administration ; 3° justice, police et prisons ; 4° instruction publique et établissements scientifiques et artistiques ; 5° services des affaires étrangères et des colonies ; 6 bienfaisance ; 7° divers et notamment les matières temporaires.On le voit, le budget n’est pas, comme sur le continent, divisé par ministères, on n’y voit figurer ni la dette publique, ni la liste civile et les autres dotations. C’est seulement le compte, annuel (finance accounts) qui donne une vue d’ensemble des recettes et des dépenses.

Malgré les détails nombreux donnés par les estimates, on trouvera peut-être la forme du budget anglais bien inférieure à celle des budgets du continent, mais un publiciste éminent, M. L. de Stein (Lehrbuch der Finanzwissenschaft, 3e édit. 1875, p. 74), n’est pas éloigné de préférer ce système au nôtre, par la raison qu’il est impossible d’embrasser l’ensemble d’un budget et surtout de le discuter sérieusement ; l’examen est plus approfondi lorsqu’on n’en étudie que les parties variables. Cette raison a sa valeur, mais les raisons qui militent en faveur de la forme française du budget ont une valeur supérieure, comme il serait aisé de le prouver, s’il y avait nécessité.

En France, en Prusse, en Autriche et dans quelques autres États, l’année financière commence au 1er janvier ; en Angleterre, en Danemark, etc., au 1er avril, aux États-Unis, au 1er juillet. Autrefois, elle commençait en Autriche au 1er novembre. Les États ont une tendance à mettre le commencement de l’année au 1er janvier.

Les budgets ne donnaient pendant longtemps que le produit net des impôts ; dans la plupart des pays ils indiquent maintenant le produit brut, du moins pour le plus grand nombre des produits. C’est un point sur lequel on doit prendre des informations en comparant, soit les diverses époques, soit les divers pays.

En France, tous les revenus sont perçus par les agents du ministère des finances ; il n’en est pas de même dans beaucoup d’autres pays : presque chaque ministère fait percevoir quelques taxes, dont il verse le produit au Trésor.

En Angleterre, le vote a lieu par sections, mais dans la plupart des pays par chapitres. Les virements sont de moins en moins permis. Les crédits supplémentaires et extraordinaires, ainsi que les bons du Trésor, sont connus et pratiqués presque partout. Enfin, la division en budget ordinaire et extraordinaire est fréquente. Dans certains pays il y a des budgets spéciaux ; en Italie, le budget est d’abord provisoire, un second vote le rend définitif. Nulle part qu’en France, le budget de l’État renferme des fonds départementaux et communaux.

En somme, ce qui différencie les budgets est plutôt d’ordre constitutionnel et économique que d’ordre administratif. Les différences administratives ne peuvent être exposées qu’en entrant dans de menus détails pour lesquels il faudrait un ouvrage spécial comme celui du baron de Czœrnig (Systematische Darstellung der Budgete, Vienne, 1862, 2 vol. chez Prandel et Mayer). Voy. aussi l’ouvrage précité de M. de Stein, ainsi que Gneist, l’Administration anglaise, de Rœnne, Droit public de la Prusse, etc. Maurice Block.

  1. Rapport de M. C. Périer, 31 août 1871.