Dictionnaire de l’Académie française/1re éd., 1694/Tome 1

Académie française
(1p. --4).
LE

DICTIONNAIRE

DE

L’ACADEMIE FRANCOISE

DEDIE AU ROY

TOME PREMIER.

A-L



A PARIS,

Chez la Veuve de JEAN BAPTISTE COIGNARD, Imprimeur du Roy,

& de l'Académie Françoise, ruë S. Jacques, prés S. Severin, au Livre d'Or.

Chez JEAN BAPTISTE COIGNARD, Imprimeur & Libraire prdinaire

du Roy, & de l'Académie Françoise, ruë S. Jacques, prés S. Severin, au Livre d'Or.

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M. DC. LXXXXIV.

AVEC PRIVILEGE DE SA MAJESTE'.







AU ROY.




· IRE.








L’Académie Françoise ne peut se refuser la gloire de publier son Dictionnaire sous les auspices de son auguste Protecteur. Cet Ouvrage est un Recueil fidelle de tous les termes & de toutes les phrases dont l'Eloquence & la Poësie peuvent former des éloges ; mais nous avouons, SIRE, qu'en voulant travailler au vostre, vous nous avez fait sentir plus d'une fois la foiblesse de nostre Langue. Lorsque nostre zele ou nostre devoir nous ont engagez à celebrer vos exploits, les mots de valeur, de courage & d'intrepidité nous ont paru trop foibles ; & quand il a fallu parler de la profondeur & du secret impenetrable de vos desseins, que la seule execution découvre aux yeux des hommes, les mots de prévoyance, de prudence & de sagesse mesme ne respondoient qu'imparfaitement à nos idées. Ce qui nous console, SIRE, c'est que sur un pareil sujet les autres Langues n'auroient aucun avantage sur la nostre. Celle des Grecs & celle des Romains seroient dans la mesme impuissance, le Ciel n'ayant pas voulu accorder au langage des hommes des expressions aussi sublimes que les vertus qu'il leur accorde quelquefois pour la gloire de leur siecle. Comment exprimer cet air de grandeur marqué sur vostre front, & respandu sur toute vostre Personne, cette fermeté d'ame que rien n'est capable d'ébranler, cette tendresse pour le peuple, vertu si rare sur le thrône, & ce qui doit toucher particulierement des gens de lettres, cette eloquence née avec vous, qui tousjours soustenuë d'expresions nobles & précises, vous rend Maistre de tous ceux qui vous escoutent, & ne leur laisse d'autre volonté que la vostre. Mais où trouver des termes pour raconter les merveilles de vostre Regne ? Que l'on remonte de siecle en siecle, on ne trouvera rien de comparable au spectacle qui fait aujourd'huy l'attention de l'Univers : Toute l'Europe armée contre vous, & toute l'Europe trop foible. C'est sur de tels fondemens que s'appuye l'esperance de l'Immortalité où nous aspirons ; & quel gage plus certain pouvons-nous en souhaitter que vostre Gloire, qui asseurée par elle-mesme de vivre eternellement dans la memoire des hommes, y fera vivre nos Ouvrages ? L'auguste Nom qui les deffendra du tems, en deffendra aussi la Langue, qui aura servi à le celebrer, & nous ne doutons point que le respect qu'on aura pour une Langue que vous aurez parlée, que vous aurez employée à dicter vos resolutions dans vos Conseils, & à donner vos ordres à la teste de vos Armées, ne la fasse triompher de tous les siecles. La superiorité de vostre Puissance l'a desja renduë la Langue dominante de la plus belle partie du monde. Tandis que nous nous appliquons à l'embellir, vos armes victorieuses la font passer chez les Etrangers, nous leur en facilitons l'intelligence par nostre travail, & vous la leur rendez necessaire par vos Conquestes, si elle se voit aujourd'huy establie dans la pluspart des Cours de l'Europe, si elle reduit pour ainsi dire les Langues des Païs où elle est connuë, à ne servir presque plus qu'au commun du Peuple, si enfin elle tient le premier rang entre les Langues vivantes, elle doit moins une si haute destinée à sa beauté naturelle, qu'au rang que vous tenez entre les Rois & les Heros.

Que si l'on a jamais deu se promettre qu'une Langue vivante peust parvenir à estre fixée, & à ne dépendre plus du caprice & de la tyrannie de l'Usage, nous avons lieu de croire que la nostre est parvenuë de nos jours à ce glorieux point d'immutabilité, puisque les livres & les atres monumens qui parleront de Vostre Majesté, seront tousjours regardez comme faits dans le beau siecle de la France, & seront à jamais les delices de tous les Peuples, & l’estude de tous les Rois. Nous sommes avec une profonde veneration.


SIRE,


DE VOSTRE MAJESTE







Les tres-humbles, tres-obeïssants, & tres-fidelles
sujets & serviteurs
Les Academiciens de l’Academie Françoise.
PREFACE

Aprés que l'Académie Françoise eut esté establie par les Lettres Patentes du feu Roy, le Cardinal de Richelieu qui par les mesmes Lettres avoit esté nommé Protecteur et Chef de cette Compagnie, luy proposa de travailler premierement à un Dictionnaire de la Langue Françoise, et ensuite à une Grammaire, à une Rhetorique et à une Poëtique.

Elle a satisfait à la premiere de ses obligations par la composition du Dictionnaire qu'elle donne presentement au Public, en attendant qu'elle s'acquitte des autres.

L'utilité des Dictionnaires est universellement reconnuë. Tous ceux qui ont estudié les Langues Grecque et Latine, qui sont les sources de la nostre, n'ignorent pas le secours qu'on tire de ces sortes d'Ouvrages pour l'intelligence des Autheurs qui ont escrit en ces Langues, et pour se mettre soy-mesme en estat de les parler et de les escrire. C'est ce qui a engagé plusieurs sçavans hommes des derniers siécles à se faire une occupation serieuse de ranger sous un ordre methodique tous les mots et toutes les plus belles façons de parler de ces Langues, pour le soulagement de ceux qui s'y appliquent avec soin.

Le Dictionnaire de l'Académie ne sera pas moins utile, tant à l'esgard des Estrangers qui aiment nostre Langue, qu'à l'esgard des François mesmes qui sont quelquefois en peine de la veritable signification des mots, ou qui n'en connoissent pas le bel usage, et qui seront bien aises d'y trouver des esclaircissemens à leurs doutes. On peut dire aussi, que ce Dictionnaire a cet avantage sur tous les Dictionnaires de ces deux Langues celebres de l'Antiquité, que ceux que nous avons, n'ont point esté composez dans les bons siecles ; Mais par des Modernes, ou par des Autheurs qui ont veritablement vescu durant qu'on parloit encore les Langues Grecque et Latine, mais non pas dans leur ancienne pureté. Nous n'avons point de Dictionnaires du siecle de Ciceron ni du siecle de Demosthene, et si nous en avions, il n'y a pas de doute qu'on en feroit beaucoup plus d'estat que des autres, parce qu'ils seroient considerez comme autant d'Originaux, et ceux qui auroient composé ces Dictionnaires, n'auroient point eu besoin de citer les Passages des autres Autheurs en preuve de leurs explications, puisque leur tesmoignage seul auroit fait authorité. Le Dictionnaire de l'Académie est de ce genre. Il a esté commencé et achevé dans le siecle le plus florissant de la Langue Françoise ; Et c'est pour cela qu'il ne cite point, parce que plusieurs de nos plus celebres Orateurs et de nos plus grands Poëtes y ont travaillé, et qu'on a creu s'en devoir tenir à leurs sentimens. On dira peut-estre qu’on ne peut jamais s’asseurer qu’une Langue vivante soit parvenuë à sa derniere perfection ; Mais ce n’a pas esté le sentiment de Ciceron, qui aprés avoir fait de longues reflexions sur cette matiere, n’a pas fait difficulté d’avancer que de son temps la Langue Latine estoit arrivée à un degré d’excellence où l’on ne pouvoit rien adjouster. Nous voyons qu’il ne s’est pas trompé, et peut-estre n’aura-t-on pas moins de raison de penser la mesme chose en faveur de la Langue Françoise, si l’on veut bien considerer la Gravité et la Variété de ses nombres, la juste cadence de ses Periodes, la douceur de sa Poësie, la regularité de ses Vers, l’harmonie de ses Rimes, et sur tout cette Construction directe, qui sans s’esloigner de l’ordre naturel des pensées, ne laisse pas de rencontrer toutes les delicatesses que l’art est capable d’y apporter. C’est dans cet estat où la Langue Françoise se trouve aujourd’huy qu’a esté composé ce Dictionnaire ; et pour la representer dans ce mesme estat, l’Académie a jugé qu’elle ne devoit pas y mettre les vieux mots qui sont entierement hors d’usage, ni les termes des Arts et des Sciences qui entrent rarement dans le Discours ; Elle s’est retranchée à la Langue commune, telle qu’elle est dans le commerce ordinaire des honnestes gens, et telle que les Orateurs et les Poëtes l’employent ; Ce qui comprend tout ce qui peut servir à la noblesse et à l’Elegance du discours. Elle a donné la Definition de tous les mots communs de la Langue dont les Idées sont fort simples ; et cela est beaucoup plus mal-aisé que de definir les mots des Arts et des Sciences dont les Idées sont fort composées ; Car il est bien plus aisé, par exemple, de definir le mot de Telescope, qui est une Lunette à voir de loin, que de definir le mot de voir ; Et l’on esprouve mesme en definissant ces termes des Arts et des Sciences, que la Definition est toujours plus claire que la chose definie ; au lieu qu’en definissant les termes communs, la chose definie est toujours plus claire que la Definition. Ainsi quoy qu’Aristote ait fait une definition excellente quand il a defini l’homme Animal Raisonnable, il est constant neantmoins que le mot Homme nous represente mieux ce qu’il signifie que cette definition. On en peut dire autant de ces verbes parler, marcher, estre, et autres semblables, qui font mieux sentir par eux-mesmes ce qu’ils signifient, que toutes les definitions qu’on en peut faire. Cela donneroit peut-estre sujet de croire qu’inutilement l’Académie s’est donné la peine de chercher les definitions des termes simples, qu’on avouë estre toujours accompagnées d’obscurité ; Mais quand on considerera qu’il n’y a presque point de mot dans la Langue qui ne reçoive differentes significations, et qu’il est impossible d’en donner des idées claires et distinctes, sans avoir estably quelle est la principale et quelles sont les autres, et en quoy elles different, tant à l’esgard du sens propre que du sens figuré ce qui ne s’apprend que par la Definition ; on reconnoistra en mesme temps l’utilité d’un travail qui a eu pour but d’expliquer la Nature et la Propriété des mots dont nous nous servons pour exprimer nos pensées, et l’on sçaura gré à l’Académie de ne s’estre point rebutée de toutes les difficultez qui ont pu se rencontrer dans l’execution de ce dessein.

Outre la Definition ou Description de chaque mot, on y a adjousté les Synonymes, c’est à dire les mots qui sont de mesme signification ; sur quoy on croit devoir avertir que le Synonyme ne respond par tousjours exactement à la signification du mot dont il est Synonyme, et qu’ainsi ils ne doivent pas estre employez indifferemment l’un pour l’autre. On a mis aussi les Epithetes qui conviennent le mieux au Nom substantif, et qui s’y joignent naturellement, soit en bien, soit en mal, et ensuite les Phrases les plus receuës, et qui marquent le plus nettement l’Employ du mot dont il s’agit.

Comme la Langue Françoise a des mots Primitifs, et des mots Derivez et Composez, on a jugé qu’il seroit agréable et instructif de disposer le Dictionnaire par Racines, c’est à dire de ranger tous les mots Derivez et Composez aprés les mots Primitifs dont ils descendent, soit que ces Primitifs soient d’origine purement Françoise, soit qu’ils viennent du Latin ou de quelqu’autre Langue. On s’est pourtant quelquefois dispensé de suivre cet ordre dans quelques mots, qui sortant d’une mesme souche Latine, ont fait des branches assez differentes en François pour estre mis chacun à part ; et on s’en est aussi dispensé dans quelques autres mots dont le Primitif Latin n’a point formé de mot Primitif en François, ou a esté aboli par l’usage, et dont par consequent les Derivez et Composez sont en quelque façon indépendans les uns des autres ; comme les mots construire et destruire qui viennent du mot Latin struere, qui n’a point passé en François.

Dans cet arrangement de Mots, on a observé de mettre les Derivez avant les Composez, et de faire imprimer en gros Caractères les mots Primitifs comme les Chefs de famille de tous ceux qui en dépendent, ce qui fait qu’on ne tombe gueres sur un de ces mots Primitifs qu’on ne soit tenté d’en lire toute la suite, parce qu’on voit s’il faut ainsi dire l’Histoire du mot, et qu’on en remarque la Naissance et le Progrez ; et c’est ce qui rend cette lecture plus agreable que celle des autres Dictionnaires qui n’ont point suivi l’ordre des Racines.

On a mis aprés chaque Verbe le Participe passif qui en est formé ; et quand ce Participe ne s’employe pas en d’autres sens que son Verbe, on s’est contenté de mettre qu’il a les significations de son Verbe sans en donner d’exemple ; Mais quand il a quelqu’autre usage ou un sens moins estendu, on a eu soin de le remarquer. Les Participes passifs ont les deux genres et se declinent comme les autres Noms aimé, aimée. Les personnes aimées. Il n’en est pas de mesme des Participes actifs qui n’ont point de genres et qui sont indeclinables. On appelle Participes actifs ceux qui se terminent en ant, comme changeant, donnant, faisant ; Et parce que ces Participes ont tousjours le mesme regime et le mesme sens que leurs Verbes, on a creu qu’il n’estoit pas besoin d’en faire mention. Ces mesmes Participes actifs tiennent aussi lieu de Gerondifs quand ils sont construits avec la particule en, En changeant souvent on devient inconstant ; En donnant on se fait honneur. Ils font aussi la mesme fonction sans cette particule, il luy dit changeant de discours. Enfin ces Participes deviennent aussi Adjectifs Verbaux, et alors ils ont les deux genres & se construisent selon le genre et le nombre du Substantif auquel ils sont joints ; Il y a des esprits changeants, des couleurs changeantes ; Et quand ces sortes de mots se trouvent dans le Dictionnaire avec les deux genres, ils y sont mis non pas comme Participes actifs, mais comme Adjectifs verbaux. Ainsi le mot changeant n’est point dans le Dictionnaire comme Participe actif, mais comme Adjectif verbal, changeant, changeante ; et cela suffit pour faire entendre la nature de ces mots, et quelle a esté la conduite de l’Académie à cet esgard.

On n’a pas jugé à propos de marquer le Reduplicatif de chaque verbe quand il ne signifie que la mesme action reïterée, comme Reparler à l’esgard de Parler. Mais quand le reduplicatif a un autre sens, comme le verbe de Representer à l’esgard du verbe Presenter, on luy a donné place entre les verbes formez de ce Primitif.

Quoy qu’on se soit proposé en general de ne point employer les vieux mots dans le Dictionnaire, on n’a pas laissé d’y en conserver quelques-uns, sur tout quand ils ont encore quelque usage, en les qualifiant de Vieux ; et l’on n’a pas mesme voulu oublier ceux qui sont tout à fait hors d’usage, lors qu’ils sont Primitifs de quelques mots receus et usitez. On a eu soin aussi de marquer ceux qui commencent à vieillir, et ceux qui ne sont pas du bel usage, et que l’on a qualifiez de bas ou de style familier selon qu’on l’a jugé à propos.

Quant aux termes d’emportement ou qui blessent la Pudeur, on ne les a point admis dans le Dictionnaire, parce que les honestes gens évitent de les employer dans leurs discours.

Il s’estoit glissé une fausse opinion parmy le peuple dans les premiers temps de l’Academie, qu’elle se donnoit l’authorité de faire de nouveaux mots, et d’en rejetter d’autres à sa fantaisie. La publication du Dictionnaire fait voir clairement que l’Academie n’a jamais eu cette intention ; et que tout le pouvoir qu’elle s’est attribué ne va qu’à expliquer la signification des mots, et à en declarer le bon et le mauvais usage, aussi bien que des Phrases et des façons de parler de la Langue qu’elle a recueillies ; Et elle a esté si scrupuleuse sur ce point, qu’elle n’a pas mesme voulu se charger de plusieurs mots nouvellement inventez, ni de certaines façons de parler affectées, que la Licence et le Caprice de la Mode ont voulu introduire depuis peu.

L’Académie en bannissant de son Dictionnaire les termes des Arts et des Sciences, n’a pas creu devoir estendre cette exclusion jusques sur ceux qui sont devenus fort communs, ou qui ayant passé dans le discours ordinaire, ont formé des façons de parler figurées ; comme celles-cy, Je luy ay porté une botte franche. Ce jeune homme a pris l’Essor, qui sont façons de parler tirées, l’une de l’Art de l’Escrime, l’autre de la Fauconnerie. On en a usé de mesme à l’esgard des autres Arts et de quelques expressions tant du style Dogmatique, que de la Pratique du Palais ou des Finances, parce qu’elles entrent quelquefois dans la conversation.

Les Proverbes ont esté regardez dans toutes les Langues comme des Maximes de Morale qui renferment ordinairement quelque instruction ; Mais il y en a qui se sont avilis dans la bouche du menu Peuple, et qui ne peuvent plus avoir d’employ que dans le style familier. Cependant comme ils font une partie considerable de la Langue, on a pris soin de les recueillir, aussi bien que les façons de parler Proverbiales, dont on a marqué les significations et les differens employs.

L’Académie s’est attachée à l’ancienne Orthographe receuë parmi tous les gens de lettres, parce qu’elle ayde à faire connoistre l’Origine des mots. C’est pourquoi elle a creu ne devoir pas authoriser le retranchement que des Particuliers, et principalement les Imprimeurs ont fait de quelques lettres, à la place desquelles ils ont introduit certaines figures qu’ils ont inventées, parce que ce retranchement oste tous les vestiges de l’Analogie et des rapports qui sont entre les mots qui viennent du Latin ou de quelque autre Langue. Ainsi elle a écrit les mots Corps, Temps, avec un P, et les mots Teste, Honneste avec une S, pour faire voir qu’ils viennent du Latin Tempus, Corpus, Testa, Honestus. Et si un mesme mot se trouve escrit dans le Dictionnaire de deux manieres differentes, celle dont il sera escrit en lettres Capitales au commencement de l’Article est la seule que l’Académie approuve. Il est vray qu’il y a aussi quelques mots dans lesquels elle n’a pas conservé certaines Lettres Caracteristiques qui en marquent l’origine, comme dans les mots Devoir, Fevrier, qu’on escrivoit autrefois Debvoir & Febvrier, pour marquer le rapport entre le Latin Debere & Februarius. Mais l’usage l’a decidé au contraire ; Car il faut reconnoistre l’usage pour le Maistre de l’Orthographe aussi bien que du choix des mots. C’est l’usage qui nous mene insensiblement d’une maniere d’escrire à l’autre, et qui seul a le pouvoir de le faire. C’est ce qui a rendu inutiles les diverses tentatives qui ont esté faites pour la reformation de l’Orthographe depuis plus de cent cinquante ans par plusieurs particuliers qui ont fait des regles que personne n’a voulu observer. Ce n’est pas qu’ils ayent manqué de raisons apparentes pour deffendre leurs opinions qui sont toutes fondées sur ce principe, Qu’il faut que l’Escriture represente la Prononciation ; Mais cette maxime n’est pas absolument veritable ; Car si elle avoit lieu il faudroit retrancher l’R finale des Verbes Aymer, Ceder, Partir, Sortir, et autres de pareille nature dans les occasions où on ne les prononce point, quoy qu’on ne laisse pas de les escrire. Il en estoit de mesme dans la Langue Latine où l’on escrivoit souvent des lettres qui ne se prononçoient point. Je ne veux pas, dit Ciceron, qu’en prononçant on fasse sonner toutes les lettres avec une affectation desgoustante. Nolo exprimi litteras putidius. Ainsi on prononçoit Multimodis & Tectifractis, quoy qu’on écrivist Multis modis & Tectis fractis ; Ce qui fait voir que l’Escriture ne represente pas tousjours parfaitement la Prononciation ; Car comme la Peinture qui represente les Corps, ne peut pas peindre le mouvement des Corps, de mesme l’Escriture qui peint à sa maniere le Corps de la Parole, ne sçauroit peindre entierement la Prononciation qui est le mouvement de la Parole. L’Académie seroit donc entrée dans un détail tres-long et tres-inutile, si elle avoit voulu s’engager en faveur des Estrangers à donner des regles de la Prononciation. Quiconque veut sçavoir la veritable Prononciation d'une Langue qui luy est estrangere, doit l'apprendre dans le commerce des naturels du pays ; Toute autre methode est trompeuse, et pretendre donner à quelqu'un l'Idée d'un son qu'il n'a jamais entendu, c'est vouloir donner à un aveugle l'Idée des couleurs qu'il n'a jamais veuës. Cependant l'Académie n'a pas negligé de marquer la Prononciation de certains mots lors qu'elle est trop esloignée de la maniere dont ils sont escrits, et l'S en fournit plusieurs exemples ; C'est une des lettres qui varie le plus dans la Prononciation lors qu'elle precede une autre Consone, parce que tantost elle se prononce fortement, comme dans les mots Peste, veste, funeste ; Tantost elle ne sert qu'à allonger la Prononciation de la syllabe, comme dans ces mots teste, tempeste ; Quelquefois elle ne produit aucun effet dans la Prononciation, comme en ces mots, espée, esternuer ; c'est pourquoy on a eu soin d'avertir le Lecteur quand elle doit estre prononcée. Il y a des mots où elle a le son d'un Z, et c'est quand elle est entre deux voyelles, comme dans ces mots, aisé, desir, peser ; Mais elle n'est pas la seule lettre qui soit sujette à ces changements. Le C se prononce quelquefois comme un G, ainsi on prononce Segret, et non pas Secret ; segond et non pas second ; Glaude, et non pas Claude, quoy que dans l'Escriture on doive absolument retenir le C. Ainsi les Romains prononçoient Gaius, quoy qu'ils escrivissent Caius ; Amurga, quoy qu'ils escrivissent Amurca, selon l'observation de Servius sur le premier livre des Georgiques ; ce qui acheve de confirmer ce qu'on vient de dire que la Prononciation et l'Orthographe ne s'accordent pas tousjours, et que c'est de la Vive Voix seule qu'on peut attendre une parfaite connoissance de la Prononciation des Langues vivantes, et qu'on n'appelle Vivantes que parce qu'elles sont encore animées du son et de la voix des Peuples qui les parlent naturellement ; au lieu que les autres Langues sont appellées Mortes, parce qu'elles ne sont plus parlées par aucune Nation, et n'ont plus par consequent que des Prononciations arbitraires au deffaut de la Naturelle et de la veritable qui est totalement ignorée.

Aprés tous ces soins que l'Académie a pris pour conduire cet Ouvrage à sa perfection, et mettre la Langue Françoise en estat de conserver sa Pureté, il est à craindre qu'en rendant compte au Public de son travail, quelques-uns ne l'accusent d'avoir fait trop de cas, et de s'estre trop occupée de ces Minuties Grammaticales qui composent le fonds du Dictionnaire. Mais ce qu'ils appellent Minuties, est à le bien prendre la partie de la Litterature la plus necessaire. C'est ce qui nous fait entrer dans la connoissance des plus secrets ressorts de la Raison, qui a tant de rapport avec la Parole (2), que dans la Langue Greque la Parole et la Raison n'ont qu'un mesme nom. Le Vulgaire sçait bien qu'il parle et qu'il se fait entendre aux autres ; Mais les Esprits esclairez veulent connoistre les differentes Idées sur lesquelles nos Paroles se forment ; Ce qui en fait la Justesse ou l'Irregularité, la Beauté ou l'Imperfection, la Certitude ou l'Equivoque. Delà vient que plusieurs grands personnages se sont tres serieusement attachez à l'estude des mots. Le fondateur de l'Empire Romain, Jule Cesar au milieu de ses plus importantes affaires, fit deux Livres d'observations sur la Langue Latine, intitulez de l'Analogie, qu'il adressa à Ciceron, et dont il paroist encore quelques fragmens, où nous voyons qu'il n'avoit pas dédaigné de descendre jusqu'aux plus petites reflexions de la Grammaire, comme de remarquer que les mots Arena, Coelum, Triticum, n'avoient point de pluriel, et ce sont ces sortes d'observations qui ont fait que quelques anciens l'ont mis au rang des plus habiles Grammairiens, et l'ont appellé Artis Grammaticae Doctissimum. Charlemagne Roy de France, et fondateur d'un nouvel Empire, travailla aussi à l'embellissement de sa Langue qu'il réduisit sous de certaines regles, et dont il composa luy-mesme une Grammaire. Ainsi les contestations qui naissent au sujet des mots et des façons de parler qu'on employe dans le Discours, naissent souvent entre les personnes de la première qualité et du plus bel esprit, lesquelles ont tousjours eu plus de soin que les autres de parler correctement. Nous avons un exemple celebre d'une dispute de cette nature arrivée dans l'ancienne Rome entre les premiers Citoyens de cette Ville maistresse de l'Univers. Le Grand Pompée ayant fait construire le Temple de la Victoire, voulut mettre une inscription sur le frontispice, pour marquer qu'il avoit achevé ce bastiment durant son Troisiéme Consulat, mais il fut en doute s'il falloit mettre Consul Tertio, ou Consul Tertium ; et dans cette incertitude il consulta les plus habiles de Rome, et Ciceron mesme qui ayant peine aussi à se determiner luy conseilla de n'escrire que les quatre premieres Lettres Tert. afin que le Lecteur achevast de prononcer le reste comme il voudroit. Mais Pompée eluda encore la difficulté d'une autre maniere en faisant mettre ce mot en Lettres numerales Consul III. et Aulugelle qui nous a conservé cette petite histoire asseure qu'il a veu le marbre mesme. Ce qui prouve clairement que les difficultez Grammaticales arrestent quelquefois les plus grands esprits, et ne sont pas indignes de leur application. Quand on voudra donc entrer dans ces considerations on sçaura peut-estre gré à l'Académie d'avoir prevenu la pluspart des Doutes qui peuvent naistre touchant l'usage de nostre Langue en prenant le soin de ramasser ensemble tout ce qui regarde cette matiere, et en le faisant avec assez d'exactitude pour avoir lieu de croire que ce travail ne sera pas inutile presentement, et sera encore plus utile à la Posterité.

L'Académie auroit souhaité de pouvoir satisfaire plustost l'impatience que le Public a tesmoignée de voir ce Dictionnaire achevé ; Mais on comprendra aisément qu'il n'a pas esté en son pouvoir de faire une plus grande diligence, si on fait reflexion sur les divers accidens tant publics que particuliers qui ont traversé les premieres années de son establissement, et sur la maniere dont elle a esté obligée de travailler.

Ses Lettres de Creation quoy qu'expediées en 1635. ne furent enregistrées au Parlement qu'au mois de Juillet de l'année 1637. ce qui la tenoit comme en suspens, et rendoit en quelque sorte son estat douteux. Le Cardinal de Richelieu mourut peu de temps aprés. La passion que ce grand Ministre avoit pour les Sciences et pour les belles Lettres qu'il mettoit au nombre des principaux ornemens d'un Estat, et son afaffection particuliere pour cette Compagnie qu'il regardoit comme son ouvrage, l'avoient fait resoudre de luy faire bastir une Maison pour y tenir ses Conferences. Mais les dernieres années de sa vie ne furent pas assez tranquilles pour lui permettre d'executer sa resolution, et de donner en cela des marques de cette Magnificence qui se mesloit à tous ses desseins. Ainsi l'Académie n'ayant point de lieu fixe ne s'assembloit que rarement dans les maisons de quelques particuliers de son Corps. Cela dura jusqu'à ce que Monsieur le Chancelier Seguier, qui estoit de l'Académie, lorsque Monsieur le Cardinal en estoit Protecteur, luy succeda en cette qualité. Il offrit alors sa maison à la Compagnie, qui commença à s'y assembler une apresdinée de chaque semaine. Les exercices des Académiciens, n'avoient pas même esté bien reglez dans les commencemens. Ils s'occuperent d'abord à faire des discours d'Eloquence qu'ils apportoient tour à tour, et qui n'avoient aucune relation au Dictionnaire. M. de Vaugelas qui s'estoit chargé d'y donner la premiere forme y travailla veritablement, et en fit les deux premieres Lettres ; Mais son travail n'estant point dans la methode qu'on a suivie depuis, il fallut recommencer aprés sa mort ce qu'il avoit fait pour conserver l'uniformité du plan que l'Académie avoit arresté. Monsieur le Chancelier s'estant trouvé absent de la Cour dans ce temps-là, et plusieurs Académiciens qui avoient pour luy un attachement particulier l'ayant accompagné, l'ouvrage avançoit fort peu. Cette interruption dura jusqu'en l'année 1651. que Monsieur le Chancelier revint à Paris, où il fut receu avec un applaudissement universel. Ce fut luy-mesme qui proposa à l'Académie de s'assembler deux fois la semaine, pour haster le travail du Dictionnaire qui n'en estoit encore qu'à la moitié de la troisiéme Lettre, et ainsi on peut dire que c'est seulement depuis l'année 1651. que l'on y a travaillé serieusement. La premiere composition en fust achevée vers le temps de la mort de Monsieur le Chancelier, qui arriva le premier jour de l'année 1673. Ce fut alors que le Roy ayant bien voulu se declarer le Protecteur de l'Académie, et luy donner dans le Louvre l'appartement où elle tient ses assemblées, elle se vit élever au comble du bonheur dont elle jouït presentement. Elle a depuis travaillé regulierement trois fois la semaine deux heures par chaque seance, et elle ne s'est occupée à autre chose qu'à revoir ce qui avoit esté fait. Ce second travail n'a pas moins cousté de temps à l'Académie que le premier, et cela ne se peut pas faire autrement, à cause de la maniere de travailler des Compagnies en general et de l'Academie en particulier, où tous ceux qui la composent disent successivement leur avis sur chaque mot et où la diversité des opinions apporte necessairement de grands retardemens. La celebre Académie de Florence connuë sous le nom della Crusca en est une preuve convaincante. Elle a employé quarante ans à composer le Dictionnaire dont elle a enrichi la Langue Italienne et plus encore à l'augmenter et à le perfectionner, ce qui l'a mis en Estat de servir de regle pour toutes les difficultés de cette Langue. Et c'est en cela que la lenteur du travail d'une Compagnie est avantageusement recompensée par l'authorité de ses Décisions. Monsieur Colbert qui estoit de l'Académie, et qui desiroit fort de voir le Dictionnaire achevé, estant persuadé comme l'ont esté les plus sages Politiques, que ce qui sert à former l'Eloquence contribuë beaucoup à la gloire d'une Nation ; Peu de temps aprés qu'il eut esté receu dans cette Compagnie, il y vint sans qu'on l'y attendist, pour estre tesmoin de la maniere dont on travailloit. Il y arriva lors qu'on revoyoit le mot, Amy, et comme il falloit avant toutes choses regler la définition de ce mot, il vit combien il s'esleva de difficultez avant que d'en convenir. On demanda si le mot d'Amy supposoit une Amitié reciproque ; c'est-à-dire, si un homme pouvoit estre appelé l'Amy d'un autre qui n'auroit pas les mesmes sentimens pour luy. Cette question qui est plus de Morale que de Grammaire, et que neanmoins on doit resoudre avant que de definir le mot, occupa l'Académie assez long-temps. Il fallut que chacun dist son avis ; et enfin la définition de ce mot fut arrestée comme elle est presentement imprimée dans le Dictionnaire. On y adjousta les Epithetes qui se joignent naturellement à ce mot, et ensuite on examina les Phrases et les Proverbes où il s'employe. Monsieur Colbert qui assista à toute la seance, et qui avoit veu l'Attention et l'Exactitude que l'Académie apportoit à la composition de ce Dictionnaire, dit en se levant, qu'il estoit convaincu, qu'elle ne l'avoit pas pu faire plus promptement, et son tesmoignage doit estre d'autant plus consideré, qu'on sçait que jamais homme dans sa place, n'a esté plus laborieux ny plus diligent.

Cependant quelque soin que l'Académie ait apporté à ce travail, il est bien difficile qu'il ne luy soit eschappé quelques fautes ; Mais comme elle ne s'en est chargée que dans la pensée de contribuër à la Perfection de la Langue, elle recevra avec plaisir tous les avis qu'on voudra bien luy donner, et s'en servira dans les Editions suivantes de ce Dictionnaire, afin de le rendre plus utile et de respondre plus dignement à l'attente du Public.

L'Académie n'ayant pas jugé à propos de donner place dans son Dictionnaire aux termes particulierement attachez aux Sciences et aux Arts pour les raisons qui ont esté dites, quelques Académiciens ont creu qu'ils feroient un ouvrage utile et agreable d'en composer un Dictionnaire à part : Et comme ils l'ont fait avec beaucoup de soin, il y a lieu de croire que le Public sera content de leur travail.
LISTE

DE L’ACADÉMIE FRANÇOISE,

LE ROY PROTECTEUR,

Aprés le deceds de Monsieur le Chancelier Seguier,

qui avoit succedé à Monsieur le Cardinal de Richelieu.

MESSIEURS,

François Charpentier, Doyen de l’Académie, Receu en 1651. à la place de Jean Baudoin.

Armand du Cambout, Duc de Coaslin, Pair de France, Chevalier des Ordres du Roy, Receu en 1652. à la place de Claude de l’Estoile.

Paul Philippes de Charmont, ancien Evesque d’Acqs, Receu en 1654. à la place de Honorat Laugier.

César Cardinal d’Estre’es, Commandeur des Ordres du Roy, Receu en 1656. à la place de Pierre du Rier, qui avoit succedé à Nicolas Faret.

Jean Renaud de Segrais, Receu en 1662/ à la place de François de Metel sieur de Bois-Robert.

Jacques Testu, Abbé de Belval, & Prieur de saint Denis de la Chartre, Receu en 1665. à la place de Guillaume de Bautru.

Paul Tallemant, Intendant des Devises & Inscriptions des Edifices Royaux ; Prieur d’Ambierle, & de saint Albin, Receu en 1666. à la place de Jean Ogier Sieur de Gombauld.

Claude Boyer, Receu en 1666. à la place de Louis de Giry.

Philippe de Courcillon, Marquis de Dangeau, Gouverneur de Touraine, chevalier d’honneur de Madame la Dauphine, Chevalier des Ordres


du Roy, Receu en 1668. à la place de George de Scudery, qui avoit succedé à Claude Faure Sieur de Vaugelas.

François Seraphin Regnier des Marais, Abbé de S. Laon de Thoüars, Prieur de Grand-mont prés Chinon, Académicien de la Crusca, & Secretaire perpetuel de l’Académie Françoise, Receu en 1670. à la place de Marin Cureau de la Chambre.

{{sc|François de Harlay de Chanvallon, Archevesque de Paris, Duc & Pair de France, Commandeur des Ordres du Roy, Proviseur de Sorbonne, Superieur de Navarre, &c. Receu en 1671. à la place de Hardou1n de Perefixe, Archevesque de Paris, qui avoit succedé à Jean Louïs de Guez Sieur de Balzac.

Jacques Benigne Bossuet, Evesque de Meaux, cy-devant Precepteur de Monseigneur le Dauphin, & Premier Aumosnier de Madame la Dauphine, Receu en 1671. à la place de Daniel Hay du Chastelet, Abbé de Chambon.

Charles Perrault, cy-devant Controlleur General des Bastimens du Roy, Receu en 1671. à la place de Jean de Montigny Evesque de Leon, qui avoit succedé à Giles Boileau, qui avoit succedé à Guillaume Colletet.

Esprit Fleschier, Evesque de Nismes, Receu en 1673. à la place de Antoine Godeau Evesque de Vence.

Jean Racine, Trésorier de France à Moulins, Receu en 1675. à la place de François de la Mothe le Vayer, qui avoit succedé à Claude Gaspard Bacher Sieur de Meziriac.

Jean Gallois, Abbé de S. Martin de Cores, Receu en 1673. à la place de Amable de Bourzeis.

Pierre Daniel Huet, Evesque d’Avranches, Receu en 1674. à la place de Marin le Roy Sieur de Gomberville.

Toussaint Rose, Conseillet du Roy ordinaire en ses Conseils, Secretaire du cabinet de Sa Majesté, & President en sa Chambre des Comptes de Paris ; Receu en 1675. à la place de Valentin Conrart.

Jacques Nicolas Colbert, Archevesque de Rouën, Receu en 1678. à la place de François Esprit, qui avoit succedé à Philippes Hubert.

Louis Verjus, Conseiller du Roy ordinaire en ses Conseils, Receu en 1679. à la place de Jacques Cassaignes, qui avoit succedé à Marc Antoine Gerard Sieur de S. Amant.

Louis de Courcillon de Dangeau, Abbé de Fontaine-Daniel, Prieur de Gournay sur Marne, cy-devant Lecteur ordinaire de la Chambre du Roy, Receu en 1682. à la place de Charles Corin, qui avoit succedé à Germain Idabert Abbé de Cerizi.

Jean Barbier Daucour, en 1683. à la place de François de Mezeray, qui avoit succedé à Vincent Voiture.

Jean de la Fontaines, Receu en 1684. à la place de Jean Baptiste Colbert Ministre & Secretaire d’Estat, qui avoit succedé à Jean de Silhon.

Nicolas Boyleau Despreaux, Receu en l’année 1684. à la place de Claude Bezin Sieur de Bezons, Conseiller d’Estat, qui avoit eu la place de Monsieur Seguier Chancelier.


Thomas Corneille, Receu en 1685. à la place de Pierre Corneille son frere, qui avoit succedé à François Maynard.

Jean Louis Bergeret, Conseiller du Roy ordinaire en ses Conseils, Secretaire du Cabinet de Sa Majesté, & Premier Commis de M. de Croissy, Receu en 1688. à la place de Geraud de Cordemoy, qui avoit succedé à Jean de Balesdens, qui avoit succedé à Claude de Malleville.

François Timoleon en Choisy, Prieur de S. Lo de Rouën, Receu en 1687. à la place de François de Beauvilliers Duc de saint Aignan, Pair de France, qui avoit succedé à Hippolyte Jule de la Menardiere, qui avait succedé à François Tristan, qui avoit succedé à François de Cauvigni Sieur de Colombi.

Jean Testu de Mauroy, Abbé de Fontainebleau & de S. Cheron, Prieur de Dampmartin, ancien Aumosnier ordinaire de Madame. Receu en 1688. à la place de Jean Jacques de Mesmes President au Mortler, qui avoit succedé à Jean Desmarets.

Jean de la Chapelle, Receu en 1688. à la place de Pierre de Boissat.

François de Callieres, Seigneur, de la Rochechellay, & de Gigny, Receu en 1689. à la place de Philippes Quinault, qui avoit succedé à François Salomon, qui avoir succedé à Nicolas Bourbon, qui avoit succedé à Pierre Bardin.

Eusebe Renaudot, Historiographe de France, Receu en 1689. à la place de Jean Doujat, qui avoit succedé à Balthazar Baro.

Bernard de Fontenelle, Receu en 1691. à la place de Jean Jacques Renouard, Sieur de Villayer, Doyen des Conseillers d’Estat, qui avoit succedé à Abel de Servien Secretaire d’Estat & Sur-Intendant des Finances.

Estienne Pavillon, cy-devant Advocat General au Parlement de Mets, Receu en 1691. à la place de Isaac de Benserade, qui avoit succedé à Jean Chapelain.

Jacques de Tourreil, Receu en 1692. à la place de Michel le Clerc, qui avoit succedé à Danie1 de Priezac, Conseiller d’Estat.

François de la Mothe Fenelon, Precepteur des Enfans de France, Receu en 1693. à la place de Paul Pelisson, qui avoit succedé à Jacques de Serisay.

Jean Paul Bignon, Abbé de saint Quentin, Receu en 1693. à la place de Roger de Bussy Rabutin, qui avoit succedé à Nicolas Perrot d’Ablancourt, qui avoit succedé à Paul Hay Sieur du Chastelet, Conseiller d’Estat.

Jean de la Bruyere, Receu en 169. à la place de Pierre Cureau de la Chambre, Docteur en Theologie, Curé de saint Barthelemy, qui avoit succedé à Honorat du Bueil Marquis de Racan.

Simon de la Loubere, Receu en 1693. à la place de François Tallemant, qui avoit succedé à Jean de Montreuil, qui avoit succedé à Jean de Sirmond.

François Paul le Fevre de Caumartin, Docteur en Theologie, Abbé de Nostre Dame de Buzay, Reccu en 1694. à la place de Louis Irland de Lavau, qui avoit succedé à Henry Louis Hubert Sieur de Montmor Conseillcr d’Estat.

Charles Boileau, Abbé de Beaulieu, Prieur de Faye, Predicateur ordinaire du Roy, Reccu en 1694, à la place de Philippes Goibaud Sieur du Bois, qui avoit succedé à Nicolas Potier de Novion, Premier President au Parlement de Paris, qui avoit succedé à Olivier Patru, qui avoit succedé à François Porcheres d’Arbaud.


Jean Baptiste Coignard,

Imprimeur & Libraire ordinaire du Roy & de l’Académie Françoise, Reccu en 1689. à la place de Jean Baptiste Coignard son Pere, qui avoir succedé à Pierre le Petit , qui avait succedé à Jean Camusat.



PRIVILEGE DU ROY

LOUIS par la grace de Dieu, Roy de France et de Navarre, A nos amez et feaux Conseillers les gens tenans nos Cours de Parlement, Maistres des Requestes ordinaires de nostre Hostel, Baillifs, Seneschaux, Prevosts, leurs Lieutenans, et à tous autres nos Officiers et Justiciers qu’il appartiendra, Salut. Le feu Roy de glorieuse memoire, nostre tres-honoré Seigneur et Pere, ayant estably dans nostre bonne Ville de Paris une Compagnie de gens doctes et recommandables pour la connoissance des belles Lettres, sous le titre de l’Académie Françoise, pour avoir soin de polir et de perfectionner la Langue Françoise, et la mettre en estat de traiter de toute sorte d’Arts et de Sciences, Il auroit specialement preposé le Cardinal de Richelieu pour élire les Personnes dignes de remplir les places de cette Compagnie, et pour concerter avec eux les Reglemens qu’ils devoient suivre, et le travail où ils se devoient appliquer. Ensuite dequoy, aprés plusieurs propositions, ils seroient demeurez d’accord de plusieurs Statuts pour la discipline de leur Compagnie, et auroient resolu, avant toute autre chose, de s’appliquer à la composition d’un Dictionnaire François, qui par son abondance et par le choix exact des mots et des façons de parler les plus élegantes, fixeroit le bon usage de la Langue, en s’opposant à la licence des nouveautez et à la rudesse de l’antiquité. Aprés quoy cette Compagnie s’y estant occupée avec beaucoup d’assiduité et de perseverance depuis l’année 1635. jusqu’à present, il se trouveroit qu’elle auroit conduit ce grand travail proche de sa perfection, et qu’elle seroit sur le point de le mettre en lumiere. Mais comme l’impression de ce Dictionnaire sera de tres-grands frais, et qu’il y auroit à craindre, lors qu’il sera achevé, que le desir du gain ne portast d’autres personnes à le contrefaire, soit en changeant le titre ou l’ordre, soit en y ajoustant ou retranchant, soit en le reduisant en epitome ou en quelque autre maniere que ce soit, ce qui seroit de tres-notable prejudice à ceux qui se seroient chargez des frais de l'impression. Mesme comme il n'est pas impossible que depuis le long temps que cet Ouvrage est commencé, plusieurs gens de Lettres n'ayent eu connoissance de la methode et de l'exactitude avec laquelle les mots de la Langue y sont examinez, veu les differentes personnes, comme Escrivains et Copistes, qui ont esté employez pour le mettre au net, et qu'il n'est pas juste que si cette connoissance est parvenuë à d'autres, ils se puissent prevaloir de l'industrie et du travail de cette Compagnie en prevenant par la publication de quelques nouveaux Dictionnaires, celuy qu'elle est sur le point de donner au public. Outre que les Dictionnaires contrefaits ne pourroient pas avoir l'authorité ny estre de la consideration que merite le travail d'une Compagnie choisie pour ce sujet par les ordres du feu Roy, et qui depuis si long-temps y a donné ses soins ; Nous aurions esté suppliez par ceux qui la composent, de leur accorder nos Lettres sur ce necessaires. A ces causes, voulant traiter favorablement ladite Académie Françoise, tant pour luy donner des marques de la protection speciale que nous luy avons accordée, en voulant bien nous en declarer le Chef et le Protecteur, qu'en consideration du merite et de la capacité des personnes qui en sont, et de l'importance de leur travail, qui tournera à l'avantage du Public et à la gloire de la France parmy les Nations estrangeres : Nous leur avons par ces presentes signées de nostre main, permis et permettons de faire imprimer, vendre et debiter en tous les lieux de nostre obeïssance le Livre intitulé le Dictionnaire de l'Académie Françoise, en un ou plusieurs volumes, conjointement ou separément, en telles marges, tels caractères et autant de fois que bon leur semblera, soit en son entier, soit en epitome ou abregé, pendant l'espace de vingt ans, à compter du jour qu'il sera achevé d'imprimer pour la premiere fois. Et faisons tres-expresses défenses à toutes autres personnes, de quelque qualité ou condition qu'elles soient, d'imprimer vendre ny distribuer en pas un lieu de nostre obeïssance, le Dictionnaire de l'Académie Françoise, sans son consentement, ou de ceux qui auront son droit, sous pretexte d'augmentation, de correction, de reduction en epitome, de changement de titre, fausses marques ou autre déguisement, en quelque maniere que ce soit, à peine de quinze mille livres d'amende, payable sans deport par chacun des contrevenans, et applicable un tiers à Nous, un tiers à l'Hostel-Dieu de Paris, et l'autre tiers à l'Académie ou aux Libraires dont elle se sera servie, de confiscation des exemplaires contrefaits, et de tous dépens, dommages et interests. Mesme faisons défenses à tous Imprimeurs et Libraires dans tous les lieux de nostre obeïssance, d'imprimer cy-aprés aucun Dictionnaire nouveau de la Langue Françoise, soit sous le titre de Dictionnaire, soit sous un autre titre tel qu'il puisse estre, avant la publication de celuy de l'Académie Françoise, ny pendant toute l'estenduë des vingt années du present Privilege. Voulant que durant tout ce temps il ne soit imprimé aucun autre Dictionnaire nouveau de la Langue Françoise, que celuy de l'Académie, sous les mesmes peines de quinze mille livres d'amende, applicable comme dessus, et payable moitié par les Libraires qui auront vendu les Dictionnaires nouveaux autres que ceux de l'Académie, moitié par ceux qui en seront les Autheurs ; confiscation des exemplaires, et autres peines si le cas y échet : à condition qu'il sera mis deux exemplaires du Dictionnaire de l'Académie Françoise en nostre Bibliotheque publique, un en celle de nostre Chasteau du Louvre, et un en celle de nostre tres-cher et feal le sieur Daligre Chancelier de France, avant que de l'exposer en vente. Si vous mandons et enjoignons à chacun de vous, ainsi qu'il appartiendra, que de tout le contenu cy-dessus, vous fassiez joüir pleinement et paisiblement l'Académie Françoise, et ceux qui auront droit d'elle, sans souffrir qu'elle reçoive aucun trouble ny empeschement. Voulons qu'en mettant au commencement ou à la fin du Livre un extrait des presentes, elles soient tenuës pour duëment signifiées, et que foy y soit ajoustée, et aux copies collationnées par l'un de nos amez et feaux Conseillers et Secretaires, comme à l'Original. Commandons au premier nostre Huissier ou Sergent sur ce requis de faire pour l'execution d'icelles tous actes et exploits necessaires, sans demander autre permission. Car tel est notre plaisir, nonobstant oppositions ou appellations quelconques, et sans prejudice d'icelles ; pour lesquelles nous ne voulons qu'il soit differé, et dont nous avons retenu la connoissance à Nous et à nostre Conseil nonobstant aussi Clameur de Haro, Chartre Normande, prise à partie, Privileges obtenus ou à obtenir, et autres Lettres à ce contraires, qui ne pourront nuire à l'Académie Françoise, et auxquelles nous avons dérogé et dérogeons pour ce regard seulement. Donné à Fontainebleau le vingt-huitiéme jour du mois de juin l'an de grace mil six cens soixante et quatorze, et de nostre Regne le trente-uniéme. Signé, LOUIS. Et plus bas, Par le Roy, Colbert.

Registré sur le Livre de la Communauté des Imprimeurs et Libraires de Paris le premier d'Aoust 1674. suivant l'Arrest du Parlement des 8. Avril 1653. et celuy du Conseil Privé du Roy, du 27. Février 1665. Signé, Thierry, Syndic.

L'Académie Françoise a cedé et transporté le present Privilege à Jean Baptiste Coignard, son Imprimeur.

Achevé d'imprimer pour la premiere fois le 21. jour d'Aoust 1694.
EXPLlCATION DES ABBREVIATIONS
dont on se sert dans ce Dictionnaire.

s. m. substantif masculin.

s. f. substantif feminin.

adj. adjectif.

adj. de t. g. adjectif de tout genre.

adj. v. adjectif verbal.

v. act. verbe actif.

v. pass. verbe passif.

v. n. verbe neutre.

part. pass. participe passif.

adv. adverbe.

prov. proverbialement.

fig. figurément.





DICTIONNAIRE



DICTIONNAIRE

DE

L’ACADÉMIE FRANÇOISE

·

A



A Lettre voyelle, la premiere de l'Alphabet. A. b. c. d.

Il est aussi substantif masculin. Un grand A. un petit a. & alors il est long.

On dit proverbialement. Une panse d'A. Il m'avoit promis de copier ce traité, il n'y a pas fait une panse d'A. il s'attribuë cet ouvrage, il n'y a pas fait une panse d'a.

On dit aussi prov. Ne sçavoir ny A, ny B. pour dire, Ne sçavoir pas lire.

Apprendre l'A. B. C. pour dire, Apprendre à connoistre les lettres.

A est souvent Preposition, & alors il est bref.

Il sert à marquer le datif. A Pierre. à l'homme. à la femme. à la Reine, &c.

Il sert aussi à marquer le Lieu. Aller à Rome. estre à Paris. à l'entrée du bois.

La Situation. A costé. à gauche. à droit. à l'envers. à pied. à cheval.

La Posture & le Geste. A genoux. à jointes mains. à bras ouverts, &c.

Le Temps. A midy. à deux heures. à jour prefix. à l'instant. à chaque moment, &c.

La Distance. A cent lieües d'icy. à vingt lieües à la ronde. à cent ans de là &c.

La Qualité. De l'or à vingt-quatre carats. velours à trois poils, ruban à double lice, &c.

La Valeur. Du vin à dix sols la pinte. du drap à vingt francs l'aulne. la pistole est à dix francs, &c.

La Quantité. Ces sommes montent à tant. à dix pieds de hauteur. à cent toises de là, &c.

La Maniere. A la Françoise. à l'Espagnole. à


la haste. à voiles déployées &c.

Le Moyen. Moulin à vent, à eau, moulin à bras. arme à feu, &c.

La Fin. A bonne intention. à mauvais dessein, &c.

A sert encore pour marquer à quoy une chose est propre, & son usage. Terre à froment. moulin à bled, à papier, à poudre, &c.

A quoy une personne peut pretendre par son merite. C'est un homme à Evesché.

On s'en sert plus ordinairement pour marquer le mauvais traittement dont un homme est digne. Homme à estrivieres, à nazardes, &c.

A sign. Aprés, Successivement. Poil à poil. brin à brin pied à pied. pas à pas, &c.

Avec. A regret. à grand peine. chargé à cartouche. à la pointe de l'épée. à petit bruit. chapeau à grands bords. chandelier à branches, &c.

En, Dans. Blessé à la cuisse. un coup à la teste. jetter à la riviere. puiser à la fontaine. cela est à vostre choix. il est logé à la maison où pend pour enseigne la croix d'or, la couronne &c. ou par abbregé, A la croix d'or, à la couronne, &c.

Selon. A mon advis. à vostre compte. à ce que je voy. à ce que vous dites, &c.

Pour. Appeller à tesmoin. prendre à partie. avoir à bon marché, &c.

Environ. Sept à huit cents hommes, quarante ou cinquante, pour dire, Environ sept ou huit cent hommes Environ quarante ou cinquante.

On dit, A peine de, &c. pour dire, Sur peine, ou sous peine de, &c.

A sert aussi à former des façons de parler adverbiales, qui le plus souvent expriment la maniere. A tort & à travers. à tastons. à reculons. à merveilles. à l'envy. à la mode, &c.

A se met absolument devant l'infinitif de quelques verbes sans estre precedé d'aucun nom qui soit ou exprimé, ou sous-entendu, & alors il se peut resoudre par le Gerondif. A n'en point mentir. à dire vray. à tout prendre. à le voir. à l'entendre. Comme qui diroit. En ne mentant point. en disant vray &c.

Il se met aussi devant l'infinitif de plusieurs verbes sans estre precedé d'aucun nom qui soit exprimé, mais seulement sous-entendu, & alors il sert à marquer confusément le regime du verbe, & se peut resoudre par le terme Dequoy. Donnez-moy à manger. donnez-moy à boire. il n'y avoit pas à disner. il y avoit bien à souper. C'est comme qui diroit, Donnez-moy dequoy manger. dequoy boire. dequoy disner, &c.

Il se met devant l'infinitif des verbes avec un nom, & alors il sert à marquer dans la chose, ou dans la personne que le nom signifie, la qualité ; la proprieté, la disposition, l'usage, &c. suivant ce qui est signifié & determiné par le verbe. Une chose à faire. un mot à dire. une avanture à écrire. un compte à rendre. un acte à signer. une maison à loüer. une terre à vendre. bois à brusler. pierre à bastir. vin prompt à boire, mur prest à tomber. c'est une affaire à le ruiner. il est homme à se fascher. c'est un homme à se mocquer de tout ce qu'on luy dira.

Il y a encore d'autres usages de la préposition a, qu'il seroit difficile de determiner icy, & qui se verront dans la suite de ce Dictionnaire.

Au, Particule formée par contraction de la préposition à & de l'article le.

Il sert à marquer le datif singulier des noms qui commencent par une consone, & devant le nominatif desquels on met l'article le. Ceder au torrent. deferer au jugement. obëir au Roy, &c.

Aux, est une particule formée par contraction de à, les ; il sert à marquer tous les datifs pluriels. Donner aux pauvres, aux Eglises. pardonner aux coupables. se soumettre aux loix, &c.

Ces deux particules, au & aux, ont encore d'autres usages qui se verront à l'ordre des noms & des verbes avec lesquels on les joint. Prendre au despourveu. passer au travers des Ennemis. passer au fil de l'épée. au contraire. au sortir de l'Eglise. au partir delà. quand se vint au fait & au prendre. au bout du compte. aller aux champs. ils en vinrent aux mains, aux prises &c.

AB

ABANDONNER. verbe actif. Délaisser entierement. Les gens de guerre l'ont contraint d'abandonner sa maison. il a abandonné le pays. abandonner sa femme & ses enfans. Dieu n'abandonne point les siens. vous m'abandonnastes bien au besoin. les Medecins ont abandonné ce malade. abandonner une succession, une cause &c.

Abandonner à quelqu'un, Signifie luy permettre de faire ce qu'il voudra de ce qu'on luy abandonne. Vous vous plaignez de cet homme-là je vous l'abandonne. il a abandonné tous ses biens à ses creanciers.

On dit en ce sens, Abandonner au bras seculier. C'est renvoyer un Ecclesiastique au Juge laïque.

Abandonner à quelque chose, Se dit figurement comme abandonner à quelqu'un. Abandonner une ville au pillage, l'abandonner à la fureur des soldats. abandonner un vaisseau à l'orage, au vent. abandonner à la mercy, à la discretion, à la misericorde.

On dit dans le langage de l'Ecriture, Que Dieu abandonne les méchans au sens reprouvé, pour dire, qu'Il les abandonne à leurs erreurs, & à leurs vices.

Abandonner, Se dit dans le mesme sens avec le pronom personnel. S'abandonner à la Providence. s'abandonner à la fortune. vous ne devez pas vous abandonner à vos passions. s'abandonner à la débauche, au vin, aux femmes, à la tristesse, aux pleurs.

_______________

Quand il est dit absolument il signifie, Se prostituer. Cette femme s'est abandonnée.

Abandonné, ée. participe. Il a les significations de son verbe. Biens abandonnés. fille abandonnée. cause abandonnée. abandonné des Medecins. abandonné de Dieu & des hommes. abandonné au sens reprouvé. abandonné au bras seculier.

Abandonné est quelquefois subst. & alors il signifie, Perdu de débauches. C'est un abandonné. une abandonnée.

Abandon. substantif masculin verbal. Estat où est une personne ou une chose delaissée. Il n'est guere en usage qu'en cette maniere de parler adverbiale. A l'abandon. laisser à l'abandon. tout est à l'abandon.

Abandonnement. s. m. v. Délaissement entier.

Il est quelquefois actif & se dit par rapport à celuy qui abandonne. L'abandonnement de Dieu. c'est un grand abandonnement de Dieu quand le pecheur vient jusqu'à ne plus sentir de remords.

Il est le plus souvent passif, & se dit par rapport à ce qui est abandonné. Aprés l'abandonnement de tous ses biens. l'abandonnement des richesses, des plaisirs.

Abandonnement estant mis sans regime, signifie Prostitution, grande débauche. Abandonnement infame. le dernier abandonnement. vivre dans l'abandonnement.

ABASTARDIR.

ABASTARDISSEMENT. Voy. BASTARD

ABBAISSE

ABBAISSEMENT,

ABBAISSER, Voy. BAS

ABBAT-JOUR. Voy. JOUR.

ABBATTEMENT,

ABBATTEUR,

ABBATTIS,

ABBATTRE. Voy. BATTRE.

ABBÉ s. m. Prelat qui est Superieur d'un Monastere d'hommes. Abbé de l'Ordre de saint Benoist. Abbé regulier. Abbé crossé & mitré. élire un Abbé. benir un Abbé.

On appelle, Abbé Commendataire, Un Clerc seculier qui est pourveu en Cour de Rome du titre d'Abbé, pour joüir des revenus d'un Monastere, & non pour le gouverner.

On dit, Joüer à l'Abbé. C'est un jeu, un divertissement où tous ceux qui en sont, font les mêmes choses que fait celuy qui y commande.

On dit proverb. & figur. Pour un Moine on ne laisse pas de faire un Abbé, pour dire, Que dans une assemblée on ne laisse pas de deliberer & de resoudre, quoy qu'une personne qui devoit y étre n'y soit pas.

Attendre comme les Moines font l'Abbé, pour dire, Commencer toûjours en attendant.

Le Moine répond, comme l'Abbé chante, pour dire, Que les inferieurs se conforment aux Superieurs.

On appelle par raillerie, Abbés de sainte Esperance, Ceux qui prennent la qualité d'Abbé, sans en avoir le titre.

Abbesse. subst. feminin. Superieure d'un Monastere de Filles, qui a droit de porter la crosse. Nommer, élire, benir une Abbesse.

Abbaye s. f. (On prononce Abbéye) Monastere d'Hommes qui a pour Superieur un Abbé, ou de Filles, qui a pour Superieure une Abbesse. Abbaye Royale, ou de fondation Royale. Abbaye en regle. Abbaye en commande. le Roy luy a donné une Abbaye. Abbaye de l’Ordre de saint Benoist, de l’Ordre de saint Bernard, de l’Ordre de Prémonstré &c. ou Abbaye de S. Benoist, de S. Bernard, de Premonstré &c.

Il se prend quelquefois pour les seuls bastimens du Monastere. Une Abbaye bien bastie. une Abbaye qui tombe en ruine.

Il se prend aussi pour l’Eglise seulement, Nous entendrons la Messe à l’Abbaye.

On dit prov. & figur. Pour un Moine l’Abbaye ne faut, pour dire, qu’On ne doit pas laisser de faire ce qui a esté resolu par plusieurs personnes, quoy qu’un de ceux qui devoit se trouver à l’execution ne s’y trouve pas.

Abbatial, ale. Adj. Appartenant à l’Abbé ou à l’Abbesse. Logis Abbatial. maison Abbatiale. les droits Abbatiaux. fonctions Abbatiales. dignité Abbatiale. mense Abbatiale.

ABBOYER. v. neutre. Japper. Il ne se dit au propre que pour signifier le cri du chien. Ce chien abboye à la Lune. il abboye aux voleurs. il abboye contre tous les passants. il abboye aprés tout le monde.

Il se met quelquefois activement. Ce chien abboye les passants, abboye tous les pauvres.

Abboyer se dit figur. & sign. Crier aprés quelqu’un, le presser, le poursuivre importunément. Tous ses creanciers abboyent aprés luy.

On dit aussi figur. Abboyer aprés quelque chose, pour dire, La desirer, la poursuivre ardemment. Ils sont trois ou quatre qui abboyent aprés cette charge. abboyer aprés une succession.

On dit proverbialement & figurement. Tous les chiens qui abboyent ne mordent pas, pour dire, Que tous ceux qui menacent ne font pas toûjours du mal.

Abboyer à la Lune, pour dire, Crier inutilement contre un plus puissant que soy.

Abboyé, ée. participe. Un debiteur abboyé de tous ses creanciers. Il n’est guere en usage qu’au figuré.

Abboyant, ante. Adj. verbal. Qui abboye. Des chiens abboyants.

Abboy. s. m. Bruit que fait le chien en abboyant. L’abboy de ce chien est fort importun.

Abbois au pluriel sign. proprement, l’Extremité où le cerf est réduit quand il est sur ses fins. Le cerf est aux abbois, tient les abbois.

On dit fig. d’une personne qui se meurt, qu’Elle est aux abbois. On le dit aussi d’une Place qui ne se peut plus défendre.

Abboyement. s. m. v. Abboy, cri du chien. L’abboyement d’un chien. de longs abboyements.

Abboyeur. s. m. v. Qui abboye. Ce chien est grand abboyeur. cet homme a un bon abboyeur pour le sanglier. pour le loup.

Il se dit figur. des hommes qui crient, qui pressent avec importunité. Voilà bien des Abboyeurs.

ABBREGE,

ABBREGER,

ABBREVIATEUR,

ABBREVIATION. Voy. BREF.

ABBREUVER,

ABBREUVOIR. Voy. BOIRE.

ABC

ABC. On prononce Abécé. s. m. L’Alphabet de la Langue Françoise. Il en est encore à l’Abc. apprendre l’A b c.

Il sign. aussi un petit livret contenant l’Alphabet & la combinaison des Lettres, pour apprendre à lire aux enfans. Acheter un A b c pour un enfant.

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Il signifie fig. le commencement d’un Art, d’une science, d’une affaire. Ce n’est-là que l’A b c des Mathematiques.

On dit proverbialement & figurement. Renvoyer quelqu’un à l’A b c, pour dire, Le traiter d’ignorant.

Remettre quelqu’un à l’A b c, pour dire, L’obliger à recommencer tout de nouveau.

Abécédaire. Adj. de tout genre. Qui apprend l’A B C, & non pas celuy qui l’enseigne. Il n’y a rien de si ridicule qu’un vieillard Abécédaire. Il n’a guere d’usage qu’en cette phrase.

ABD

ABDIQUER. v. act. Renoncer à une dignité souveraine, s’en dépoüiller, s’en devestir. Abdiquer le Consulat. abdiquer l’Empire, la Royauté, la Couronne &c.

Il se met aussi absolument. Ce Prince a abdiqué on l’a forcé d’abdiquer.

Abdiqué, ée. part.

Abdication. s. f. v. Action par laquelle on abdique. L’abdication de Dioclétien, l’abdication de Charles-Quint. Il se prend aussi passivement, & se dit par rapport à la chose abdiquée. L’abdication de l’Empire.

ABE

ABEILLE. s. f. Mouche à miel. Abeilles sauvages abeilles privées. abeilles dorées. essaim d’abeilles. les abeilles volent sur les fleurs. l’aiguillon des abeilles.

ABESTIR. Voy. BESTE.

ABH

AB HOC ET AB HAC. Mots empruntez du Latin. On s’en sert en stile familier, pour dire, Confusément, sans ordre, sans raison. Il ne sçait ce qu’il dit, il en parle, il en discourt Ab hoc & ab hac.

ABHORRER. Voy. HORREUR.

ABJ

ABJECT, ECTE Adj. Méprisable, bas, vil, dont on ne fait nulle estime. Il se dit principalement de la naissance & de la condition. Un homme abject. condition abjecte. des emplois, des usages vils & abjects.

Abjection. s. f. Abbaissement, état de mépris, où est une personne. Il est tombé dans une telle abjection, que &c.

Il signifie aussi Rebut, en cette phrase de l’Ecriture sainte. L’opprobre des hommes & l’abjection du peuple.

ABJURATION,

ABJURER. Voy. JURER.

ABL

ABLATIF. s. m. Le sixiéme cas des mots qui se declinent. Ablatif singulier. ablatif pluriel. ce verbe régit l’ablatif. ablatif absolu.

On dit prov. Ablativo tout en un tas, pour dire, Tout ensemble, avec confusion & desordre. Il a mis cela ablativo tout en un tas. Il est bas.

ABLUTION. s. f. Action par laquelle on lave, on nettoye quelque chose, il ne se dit que pour signifier ce que l’on verse d’eau & de vin dans le Calice, & sur les doigts du Prestre aprés qu’il a communié. Avant l’ablution. aprés l’ablution. le Prestre prend l’ablution. 4 ABN ABO ABR

ABN

ABNEGATION. Voy. NIER.

ABO

ABOLIR. v. act. Annuller, mettre hors d'usage, mettre à neant. Il appartient à ceux qui font les loix de les abolir. les nouvelles Coustumes ont aboli les anciennes. le Roy a aboli les Duels.

Abolir un crime, Se dit lors que le Prince par des Lettres qu'il donne, remet d'autorité absoluë la peine d'un crime qui n'est pas remissible par les Ordonnances.

Abolir, Se dit aussi, avec le pronom personnel. S'abolir, & alors il est neutre passif. Cette Coustume s'est abolie d'elle-mesme. c'estoit une ancienne pratique qui s'est abolie.

Le crime s'abolit par vingt-ans, C'est à dire, que le droit d'en poursuivre la punition cesse aprés vingt-ans.

Aboli, ie. part. Loy abolie. crime aboli.

Abolition. s. f. v. Anéantissement, extinction, il se dit principalement en parlant des loix & des Coustumes. L'abolition des cérémonies de la Loy. abolition d'une loy. abolition d'un culte superstitieux. l'entiere abolition de l'Ordre des Templiers.

Abolition signifie aussi, Le pardon que le Prince accorde d'autorité absoluë, pour un crime qui n'est pas rémissible par les Ordonnances. Lettres d'abolition. abolition generale. prendre, obtenir une abolition. il a eu son abolition. le Parlement a enteriné son abolition. Porteur d'abolition. C'est celuy qui a obtenu une abolition.

Abolissement. s. m. v. Il signifie la mesme chose qu'Abolition dans son premier sens. L'Abolissement des cérémonies de la Loy &c.

ABOMINABLE. Adj. de tout genre. Execrable, détestable, qui est en horreur. Crime abominable. un homme abominable.

Il se dit par exageration de tout ce qui est tres-mauvais en son genre. Cette comédie, cette musique est abominable. cela a un goust abominable, une odeur abominable.

Abomination. subst. f. Détestation, execration. Avoir en abomination. il est en abomination à tous les gens de bien.

Il sign. aussi, La chose ou la personne abominable. Ce crime est une des grandes abominations, qu'on se puisse imaginer. commettre des abominations. les abominations des Gentils. cet homme est l'abomination de tout le monde.

Abominablement. Adv. D'une maniére abominable. Cela est pensé, cela est dit meschamment, abominablement.

On le dit aussi tres-souvent par exageration, pour signifier Une tres-méchante maniere en quoy que ce soit. Il chante, il écrit abominablement.

ABONDER. verbe neut. Avoir en grande quantité. Abonder en richesses. abonder en toutes choses. cette maison abonde en biens. cette Province abonde en bleds, en vins, en soldats, en gens d'esprit.

Il signifie aussi, Estre en grande quantité. Le bien abonde en cette maison. toutes choses y abondent.

On dit en Jurisprudence, que Ce qui abonde ne vicie pas.

On dit fig. Abonder en son sens, pour dire, Estre fort attaché à son opinion.

Abondant, ante. Adj. v. Qui abonde. Païs abondant en toutes sortes de biens. maison abondante en richesses. il est abondant en paroles, en comparaisons.

On dit, Recolte abondante, pour dire, Grande recolte.


Abondance. s. f. v. Affluence, grande quantité. Abondance de tout. abondance de biens. pays d'abondance. année d'abondance. en abondance. en grande abondance. avec abondance. estre dans l'abondance. avoir abondance de toutes choses.

Corne d'abondance. C'est ainsi que les Fables appellent la Corne de la chevre qui nourrit Jupiter.

Corne d'abondance, En Peinture & en Sculpture, c'est une figure de corne, dont il sort des fruits ou des richesses. Ce tableau represente deux petits amours qui portent une corne d'abondance. l'architecture de ce Palais est ornée par tout de cornes d'abondance.

On dit proverbialement. De l'abondance du coeur la bouche parle.

d'Abondant. Adverbe. De plus, outre cela. Je vous ay dit telle & telle raison ; j'adjousteray d'abondant. Il vieillit, & n'est guere en usage que dans la Pratique.

Abondamment. Adv. En abondance. Il ne doit point souhaiter davantage de biens, il en a abondamment.

Surabonder. v. n. Abonder avec excés. Où le peché abondoit, la grace surabonde. Il n'est guere en usage que dans cette phrase.

Surabondant, ante. Adj. v. Qui surabonde. Il n'y avoit rien de surabondant. une grace surabondante.

Surabondance. s. f. v. Tres-grande abondance. Surabondance de graces, de benedictions, de toutes sortes de biens. surabondance de droit.

Surabondamment. Avec surabondance. Dieu a répandu ses graces surabondamment.

ABONNEMENT

ABONNER

ABONNIR

ABORD

ABORDAGE

ABORDER

ABORTIF

ABOUCHEMENT

ABOUCHER

ABOUTIR

ABOUTISSANT

ABOUTISSEMENT

ABR

ABRI. s. m. Lieu où l'on se peut mettre à couvert de toutes les incommoditez du temps & des saisons. Un bon abri. estre à l'abri. se mettre à l'abri de la pluye, du vent, du mauvais temps, de la tempeste. chercher un abri, de l'abri. il y a un bon abri dans cette plage-là pour les vaisseaux. il estoit à l'abri derriere une muraille, à l'abri derriere une haye. c'est un lieu extremement découvert, où il n'y a point d'abri.

Il se prend aussi, figur. pour Un lieu où l'on est en seureté, & generalement pour tout ce qui nous met hors de danger. Estre à l'abri, se mettre à l'abri de la persecution, de la vexation. il a trouvé un bon abri auprés d'un tel Prince. la solitude est un abri contre l'embarras du monde. la pauvreté volontaire est un abri contre les inquietudes des richesses.

ABRICOT. s. m. Sorte de fruit à noyau, qui participe de la prune & de la pesche. Gros abricot. pannier d'abricots. confire des abricots. paste d'abricots.

Abricotier. s. m. Arbre qui porte des abricots. Abricotier en espailler. abricotier en plein vent.

ABROGER. v. act. Abolir, rendre nul, mettre hors d'usage, ne se dit guére qu'en parlant des loix, des constitutions, des cérémonies, & autres choses