Dictionnaire de l’Académie française/1re éd., 1694/Epitre

Académie française
(1, ).







AU ROY.




· IRE.








L’Académie Françoise ne peut se refuser la gloire de publier son Dictionnaire sous les auspices de son auguste Protecteur. Cet Ouvrage est un Recueil fidelle de tous les termes & de toutes les phrases dont l'Eloquence & la Poësie peuvent former des éloges ; mais nous avouons, SIRE, qu'en voulant travailler au vostre, vous nous avez fait sentir plus d'une fois la foiblesse de nostre Langue. Lorsque nostre zele ou nostre devoir nous ont engagez à celebrer vos exploits, les mots de valeur, de courage & d'intrepidité nous ont paru trop foibles ; & quand il a fallu parler de la profondeur & du secret impenetrable de vos desseins, que la seule execution découvre aux yeux des hommes, les mots de prévoyance, de prudence & de sagesse mesme ne respondoient qu'imparfaitement à nos idées. Ce qui nous console, SIRE, c'est que sur un pareil sujet les autres Langues n'auroient aucun avantage sur la nostre. Celle des Grecs & celle des Romains seroient dans la mesme impuissance, le Ciel n'ayant pas voulu accorder au langage des hommes des expressions aussi sublimes que les vertus qu'il leur accorde quelquefois pour la gloire de leur siecle. Comment exprimer cet air de grandeur marqué sur vostre front, & respandu sur toute vostre Personne, cette fermeté d'ame que rien n'est capable d'ébranler, cette tendresse pour le peuple, vertu si rare sur le thrône, & ce qui doit toucher particulierement des gens de lettres, cette eloquence née avec vous, qui tousjours soustenuë d'expresions nobles & précises, vous rend Maistre de tous ceux qui vous escoutent, & ne leur laisse d'autre volonté que la vostre. Mais où trouver des termes pour raconter les merveilles de vostre Regne ? Que l'on remonte de siecle en siecle, on ne trouvera rien de comparable au spectacle qui fait aujourd'huy l'attention de l'Univers : Toute l'Europe armée contre vous, & toute l'Europe trop foible. C'est sur de tels fondemens que s'appuye l'esperance de l'Immortalité où nous aspirons ; & quel gage plus certain pouvons-nous en souhaitter que vostre Gloire, qui asseurée par elle-mesme de vivre eternellement dans la memoire des hommes, y fera vivre nos Ouvrages ? L'auguste Nom qui les deffendra du tems, en deffendra aussi la Langue, qui aura servi à le celebrer, & nous ne doutons point que le respect qu'on aura pour une Langue que vous aurez parlée, que vous aurez employée à dicter vos resolutions dans vos Conseils, & à donner vos ordres à la teste de vos Armées, ne la fasse triompher de tous les siecles. La superiorité de vostre Puissance l'a desja renduë la Langue dominante de la plus belle partie du monde. Tandis que nous nous appliquons à l'embellir, vos armes victorieuses la font passer chez les Etrangers, nous leur en facilitons l'intelligence par nostre travail, & vous la leur rendez necessaire par vos Conquestes, si elle se voit aujourd'huy establie dans la pluspart des Cours de l'Europe, si elle reduit pour ainsi dire les Langues des Païs où elle est connuë, à ne servir presque plus qu'au commun du Peuple, si enfin elle tient le premier rang entre les Langues vivantes, elle doit moins une si haute destinée à sa beauté naturelle, qu'au rang que vous tenez entre les Rois & les Heros.

Que si l'on a jamais deu se promettre qu'une Langue vivante peust parvenir à estre fixée, & à ne dépendre plus du caprice & de la tyrannie de l'Usage, nous avons lieu de croire que la nostre est parvenuë de nos jours à ce glorieux point d'immutabilité, puisque les livres & les atres monumens qui parleront de Vostre Majesté, seront tousjours regardez comme faits dans le beau siecle de la France, & seront à jamais les delices de tous les Peuples, & l’estude de tous les Rois. Nous sommes avec une profonde veneration.


SIRE,


DE VOSTRE MAJESTE







Les tres-humbles, tres-obeïssants, & tres-fidelles
sujets & serviteurs
Les Academiciens de l’Academie Françoise.