Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DOUCEUR

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 446-447).
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☞ DOUCEUR. s. f. Impression agréable que font sur la langue les choses qui n’ont rien d’aigre, de piquant ni de rude. On le dit aussi de la même impression qui est produite sur les autres sens. Ce mot s’emploie au propre & au figuré, dans la plupart de ses acceptions. Voyez Doux. Dulcedo, dulcitudo, suavitas. La douceur du miel est plus fade que celle du sucre. La douceur de la voix charme l’oreille. Ce qu’on estime dans les parfums, c’est la douceur. La douceur de la peau plaît au toucher. La douceur des couleurs plaît à la vue. On dit qu’un homme aime les douceurs, quand il aime le sucre, les confitures, les vins de liqueur.

Douceur, dans un sens moral, lenitudo, lenitas, désigne un caractère d’humeur qui rend très-sociable, & ne rebute personne. La douceur, dit M. l’Abbé Girard, est une qualité qui se trouve particulièrement dans la tournure de l’esprit, par rapport à la manière de prendre les choses dans le commerce de la vie civile. Ses contraires sont l’aigreur & l’emportement.

☞ Il paroît qu’on se sert plus communement de ce mot à l’égard des femmes, parce qu’elles tirent leur principale gloire des qualités convenables à la société, pour laquelle il semble qu’elles aient été précisément faites. C’est par une conduite modérée, par des manières modestes & polies, que l’homme doit montrer la douceur de son caractère, & non par des airs féminins & affectés. La douceur est une vertu presque inconnue, parce qu’elle est simple & sans éclat. M. Esp. Il y a une si grande liaison entre la douceur & l’humilité, qu’elles sont presque inséparables. S. Bernard. dit ce que sont deux sœurs. Douceur de mœurs, douceur d’esprit. Il est difficile de définir cette douceur qu’on trouve si charmante dans les femmes ; il semble qu’il n’y a pas grande différence entre la bonté & la douceur. M. Scud. Voyez encore Humanité, Bénignité.

Douceur, signifie encore, Contentement, aise, agrément, plaisir. Suavitas, jucunditas. Dieu nous détache des douceurs trompeuses du siècle par les amertumes salutaires qu’il y mêle. Le P. Thom. C’est dans le repos de l’esprit que consiste la douceur de la vie. Toutes les douceurs d’un cœur tendre ne se peuvent connoître, qu’en les éprouvant soi-même. M. Scud.

Ce sont les douceurs de la vie,
Qui font les horreurs du trépas.

Quin.

Mille & mille douceurs y (à la couronne) semblent attachées,
Qui ne sont qu’un amas d’amertumes cachées.

Corn.

La guerre a ses douceurs, l’hymen a ses alarmes.

La Font.

On dit, conter des douceurs à une femme ; pour dire, la cajoler, lui conter des fleurettes. Blanditiæ, illecebræ, lenocinia.

Aller à l’abri d’une perruque blonde,
De ses froides douceurs fatiguer le beau monde.

Boileau.

En ce sens, on dit aussi, Dire des douceurs à quelqu’un ; pour dire, le flatter, lui dire des choses obligeantes.

Douceur, se dit aussi, de quelque commodité, ou menu profit qu’on tire d’une affaire, d’une entremise, Fructus, utilitas, commodum. Cet homme n’a pas beaucoup gagné à ce marché ; mais il en a tiré quelque douceur. Il a fait ce mariage, il en a eu quelque douceur. Cela est du discours familier.

Douceur se dit du style. Il y a une douceur de style, qui consiste à écrire de manière que le discours s’insinue imperceptiblement dans l’esprit du Lecteur, & y fasse une impression qui plaise & attache… Ce talent regarde le style personnel, & est fort au-dessus du grammatical, dont néanmoins il suppose d’ordinaire la pratique. P. Buffier. La douceur du style grammatical, selon le même Auteur, consiste à éviter une suite de mots dont la prononciation est rude, ou une suite de syllabes qui ont le même son, ou à-peu-près le même : le style n’aura point de douceur, si ces mots ou ces syllabes ne sont pas tout-à-fait de suite, mais fort près ; si l’on répéte trop souvent certaines particules, car, pour, mais, &c. si les mêmes mots sont pris en différens sens dans une même phrase ; s’il y a des mots que l’oreille ne distingue pas assez, de sorte que plusieurs semblent n’en former qu’un seul. Isocrate, S. Jean Chrysostôme, & Euripide parmi les Grecs ; Cicéron & Cornelius Nepos parmi les Latins ; Sarasin, M. de Fénelon, Archevêque de Cambray, M. Maboul, Évêque d’Alet, Racine ont une grande douceur de style.

On dit, proverbialement, Tout par douceur, & rien par force, pour dire, qu’on fait mieux ses affaires à l’amiable, que par violence.